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Title: Du Diable à Dieu : Histoire d'une conversion
Author: Retté, Adolphe
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Du Diable à Dieu : Histoire d'une conversion" ***


  ADOLPHE RETTÉ

  Du
  Diable à Dieu

  HISTOIRE D’UNE CONVERSION

  PRÉFACE DE
  FRANÇOIS COPPÉE

  VINGT-TROISIÈME ÉDITION


  PARIS
  LIBRAIRIE LÉON VANIER, ÉDITEUR
  A. MESSEIN, Succr
  19, QUAI SAINT-MICHEL, 19

  1907



DU MÊME AUTEUR


VERS

  Cloches dans la nuit (épuisé).  }
  Une belle dame passa.           }
  L’Archipel en fleurs (épuisé).  }  Poésies 1889-1897
  La Forêt bruissante.            }  (en réimpression).
  Les Blessés (épuisé).           }
  Poésies, 1897-1906 (Campagne première. Lumières tranquilles.
    Poèmes de la Forêt et derniers vers). In-12                 3 fr. 50


PROSES

  Trois dialogues nocturnes.
  Le Symbolisme (Anecdotes et Souvenirs), 1 fort volume in-12   3 fr. 50
  Dans la Forêt (Impressions de Fontainebleau). In-12           2 fr. »»
  Virgile puni par l’amour (Contes de la forêt de
    Fontainebleau). In-12                                       3 fr. 50


SAINT-AMAND (CHER).--IMPRIMERIE BUSSIÈRE.



Il a été tiré de ce livre quinze exemplaires sur papier de Hollande Van
Gelder numérotés de 1 à 15



PRÉFACE


Dans la tempête d’impiété qui sévit sur la France et quand les
malfaiteurs qui la gouvernent s’efforcent de détruire dans l’âme du
peuple jusqu’au dernier vestige du sentiment religieux, nous avons du
moins une consolation, c’est le retour pur et simple à la vérité
chrétienne d’hommes d’élite, d’esprits très remarquables à divers
titres, les uns par la force de la pensée, les autres par les dons de
l’imagination. Les futurs historiens de notre littérature à la fin du
XIXe siècle seront forcés de reconnaître, par exemple, que Brunetière,
le grand critique, le puissant dialecticien, que Bourget, le pénétrant
romancier, l’excellent peintre de la société moderne, que Huysmans, le
rare et précieux artiste en style, que Verlaine, le poète délicieusement
naïf, malgré ses égarements, furent des catholiques--et des catholiques
qui, tous, sont revenus à la foi après l’avoir longtemps oubliée ou
perdue.

C’est encore un intellectuel, un poète--car Adolphe Retté est un poète à
qui ses sensations et ses rêves ont souvent inspiré de beaux et nobles
vers--oui, c’est un vrai poète qui nous raconte l’histoire de sa
conversion dans le petit livre que voici. Tous ses lecteurs partageront,
je crois, l’émotion profonde qu’il m’a donnée.

Certes, il revient de loin, le malheureux poète, et il a longtemps erré
dans les plus mauvais chemins de la pensée avant de tomber, brisé de
douleur et de lassitude, au pied de la Croix qu’il embrasse aujourd’hui
éperdument, comme un naufragé étreint une épave.

Les convertis que j’ai nommés tout à l’heure ont pu, pendant bien des
années, passer avec indifférence devant cette divine Croix.
Quelques-uns--et j’en suis, _mea culpa_--déplorent amèrement la sotte
légèreté et la dangereuse audace avec lesquelles ils ont quelquefois
parlé des choses saintes, et il est plus d’une page dans leurs anciens
écrits dont ils rougissent et qu’ils condamnent. Mais ici, la faute--ou
plutôt le malheur--fut pire.

Elevé sans foi, Adolphe Retté, ayant atteint l’âge d’homme, devint un
athée, un matérialiste militant. Compagnon des ennemis de la religion,
il a même participé à leur œuvre détestable. Comment donc en est-il
arrivé à l’horreur de son passé, à l’impérieux besoin de croire en Dieu
et d’obéir à ses commandements et à ceux de son Eglise? Vous
l’apprendrez par sa très humble et très courageuse confession.

Lisez! Suivez avec lui le douloureux itinéraire qui l’a conduit du faux
au vrai, du péché à l’état de grâce, du blasphème à la prière et--comme
il le dit si fortement--du diable à Dieu! Descendez dans l’abîme de
cette âme au désespoir, de ce cœur déchiré. Ecoutez le tragique dialogue
entre le bien et le mal, assistez à la lutte furieuse entre la lumière
et les ténèbres, entre le désir de la mort, du suicide, du néant, et
l’effort vers la vie éternelle!

Plus d’une fois, vous songerez avec épouvante: «Cet infortuné va
succomber!... Il est perdu!...»

Non pas. Rappelez-vous le démoniaque du pays des Géranésiens, qui vivait
dans les sépulcres et que nul ne pouvait dompter. De même qu’il délivra
ce possédé, Notre-Seigneur va chasser de cette conscience à la torture
tous les démons, celui de l’orgueil, celui de l’impureté, celui de la
haine. Poursuivez la lecture de ces pages vibrantes de sincérité,
palpitantes de repentir, brûlantes de foi, d’espérance et d’amour.

Voyez! Le blasphémateur d’hier est maintenant en adoration devant son
crucifix et prie la Vierge Marie avec la candeur d’un enfant. N’y a-t-il
pas là manifestement une preuve extraordinaire, osons le dire, une
preuve surnaturelle de l’infinie miséricorde et de la toute puissante
grâce de Dieu?

Parce qu’il m’a crié au secours dans sa détresse morale, parce que je
l’ai envoyé tout naturellement vers l’excellent et saint prêtre qui a
tracé le signe du pardon sur son front humblement incliné et qui, pareil
à Jésus calmant les flots, a fait descendre la paix dans son âme
orageuse, Adolphe Retté a souhaité quelques lignes de moi au début de ce
livre qui n’a pourtant besoin d’aucune recommandation. Il conquerra tous
les cœurs vraiment chrétiens, vraiment charitables; ils voudront, j’en
suis certain, le faire connaître et répandre la bienfaisante atmosphère
qui s’en dégage.

Quant à moi, il me laisse la plus douce des certitudes, celle qu’une âme
est sauvée, et la bonne joie de savoir que la religion persécutée compte
désormais un défenseur de plus dans la personne de ce bon poète,
fortifié par la pénitence et la prière et prêt à mettre au service de sa
foi tout son courage et tout son talent.

François COPPÉE.

15 avril 1907.



PRÉAMBULE


Amené à la vérité par la grâce de Dieu tout-puissant et par
l’intercession de la Sainte Vierge, l’auteur des pages suivantes n’a
point pour objet de raconter sa vie. Pour la clarté de sa narration, il
suffit de mentionner qu’élevé sans la foi, victime de discordes
familiales, il fut, dès l’âge de douze ans, à peu près abandonné à
lui-même.

Mis au collège dans une ville protestante, il suivit les pratiques de
l’hérésie dite: Confession d’Augsbourg. Mais il n’en fut pas influencé.
Il n’en garda qu’une croyance, assez vague et assez confuse, à
l’existence de Dieu et beaucoup d’éloignement pour une doctrine où il
n’avait trouvé que sécheresse et prédominance rigide du règne de la Loi
sur le règne de la Grâce.

A dix-huit ans, il s’engagea comme soldat. C’est alors que commencèrent
des ribaudailles et des folies où son corps se rua de même que son âme.

Rentré dans le civil, l’auteur suivit la vocation littéraire qui le
sollicitait impérieusement depuis son enfance. Il écrivit des livres de
vers et de prose, dont la plupart mêlent l’érotisme au blasphème. Il les
réprouve, aujourd’hui, de tout son cœur.

Il se laissa aussi séduire par l’utopie socialiste. Il chut dans
l’ornière où s’embourbent ceux qui, possédés par l’orgueil de la
Science, s’imaginent préparer l’avènement d’une humanité satisfaite dans
tous ses appétits et qui se ventronillerait, parmi des auges d’or, sur
un globe où il n’y aurait plus ni Dieu ni Maître. Revenu de cette
illusion, il oscilla, par crises alternatives, entre le paganisme, avec
ses joies sensuelles, aggravées de dureté à l’égard d’autrui, et une
sorte de bouddhisme brumeux qui le portait à nier la réalité du monde
sensible, à jongler avec des larves et à désirer se dissoudre, le plus
tôt possible, dans la nuit sans étoiles du Nirvâna.

Enfin, après des culbutes réitérées dans le fumier de la débauche, de
longues souffrances, des épreuves matérielles et morales de toutes
sortes, il fut tiré de la voie de damnation éternelle, où il progressait
au pas de course, par le plus adorable des miracles.--Au moment où il
désespérait de tout, même de l’Art, et où, las de se dégoûter lui-même,
il rêvait de suicide, la Grâce le foudroya.

C’est le récit sincère et scrupuleusement exact de cette conversion
qu’on va lire.

L’auteur l’a écrit dans un ferme esprit de pénitence et avec l’espoir
qu’il lui en sera tenu compte au Ciel pour la rémission de ses erreurs
et de ses fautes.

Que la Très sainte Trinité, que la Vierge immaculée, sa douce Etoile du
Matin, que son bon Ange lui soient en aide.

Ainsi-soit-il.

Arbonne, novembre 1906.



DU DIABLE A DIEU



PREMIÈRE PARTIE

        _Deus, in adjutorium meum intende. Domine, ad adjuvandum me
        festina._

        (VÊPRES)



I


C’est à Fontainebleau, dans une petite salle, au fond de la cour d’un
café. Trois ou quatre papillons de gaz tremblotent d’une façon
parcimonieuse. Des bancs sans dossier s’alignent depuis la porte
d’entrée jusqu’à trois pas d’une table derrière laquelle, assis sur une
chaise de paille, je pérore. Les murs sont nus et crasseux, le plafond
bas, humide et crevassé.

L’auditoire comprend des ouvriers de Fontainebleau et d’Avon: des jeunes
et des vieux, quelques petits commerçants dont les affaires périclitent,
un commis-voyageur en collectivisme, venu de Paris, en tout une
trentaine d’assistants.

Je parle d’abondance et l’on m’écoute avec ferveur. Et qu’est-ce que je
leur débite à ces bonnes gens? Tout simplement, je leur annonce l’âge
d’or.

--Oui citoyens, leur dis-je à peu près, le temps approche où l’humanité,
enfin délivrée de ses superstitions anciennes, rejetant l’idée de Dieu,
abolissant la propriété individuelle et supprimant le militarisme, se
développera en plein bonheur par la grâce de la science, les conseils de
la Raison et la pratique devenue instinctive de la Fraternité. C’est en
appliquant le précepte: Travailleurs de tous les pays, unissez vous, et
pour commencer en vous groupant dans les syndicats, afin de détruire les
institutions bourgeoises qui vous pervertissent, que vous réaliserez
cette floraison magnifique du Progrès. Donc, guerre au prêtre, guerre au
capitaliste, guerre au soldat, et vive la sociale! Tel doit être notre
mot d’ordre...

Ces balivernes redondantes sont bruyamment applaudies. Puis un
cantonnier ténorisant entonne l’_Internationale_ dont le refrain est
repris en chœur, avec un sombre enthousiasme, par toute l’assistance que
ma rhétorique a surchauffée. Ensuite le collectiviste ambulant fait une
quête pour la propagande, et l’on se sépare.

A la sortie, je fus hélé par quatre convaincus qui éprouvaient le besoin
d’absorber un supplément de fariboles. C’étaient: un jardinier, un
chaisier, un menuisier et un mastroquet enclin à aider valeureusement sa
clientèle pour la mise à sec de ses futailles.

Le jardinier me dit:

--Venez donc prendre un bock, citoyen; nous voudrions vous poser
quelques questions sur un sujet qui nous tracasse depuis longtemps. Il
n’y a que vous qui puissiez nous débrouiller cela.

J’acquiesce; nous entrons au café; nous nous attablons devant de la
bière aigre, et dans une atmosphère de fumée de tabac suffocante.
Toutefois, le mastroquet veut se commander une absinthe, sous prétexte
que, chez lui, sa femme l’empêche de siroter ce toxique. Mais les autres
s’y opposent énergiquement.

--Non, mon vieux, tu es déjà un peu soûl... Ailleurs, tu es libre de
t’enfiler tout ce qu’il te plaira; mais quand tu viens avec nous, nous
ne voulons pas qu’il soit dit que les socialistes sont des pochards. Tu
boiras de la bière comme les copains.

L’autre se résigne en grommelant. Et le jardinier--homme
d’une intelligence assez développée--me met aussitôt sur la
sellette:--Voyez-vous, citoyen, me dit-il, nous savons qu’il n’y a pas
de bon Dieu, c’est une chose entendue. Mais enfin, puisque le monde n’a
été créé par personne, nous voudrions bien savoir comment _tout_ a
commencé. La science doit être au courant de cela; et vous allez nous
expliquer nettement ce qu’elle dit de croire là-dessus.

Cette mise en demeure me remua singulièrement. Car que leur répondre?
Ils étaient là qui attendaient, les oreilles ouvertes toutes grandes et
les yeux pleins d’espoir, que je leur départisse les articles du _Credo_
scientifique. Ces faces attentives, penchées vers moi, me gênaient. Je
me sentais travaillé de scrupules graves.

Allais-je leur expliquer que les savants honnêtes se récusent touchant
le problème des origines? Que quelques-uns se bornent à formuler de
vagues hypothèses? Que les charlatans du déterminisme simpliste lancent,
comme des bolides, des affirmations aussi catégoriques que peu
satisfaisantes?

Bien que fort infatué de matérialisme, je ne pouvais pas leur présenter
comme des certitudes les fragiles théories sur lesquelles la science
élève ses châteaux de cartes. C’était, du reste, cette question du
commencement _de tout_, un point ténébreux à l’horizon de mon orgueil.
Je n’aimais pas à l’envisager et je l’écartais bien vite dès qu’il me
venait à l’esprit.

Si j’avais été un politicien ou l’un de ces vulgarisateurs qui
farcissent de notions hétéroclites la cervelle des prolétaires, je
n’aurais pas hésité à leur servir quelque amphigouri où le fracas des
mots aurait dissimulé plus ou moins le néant des idées. Mais, au
détriment de ma réussite dans le socialisme, je n’ai jamais su affirmer
ce que je ne connais pas. Pourtant, le peuple étant très friand de
faconde, il m’eût été facile de satisfaire mes interlocuteurs; seulement
voilà: tant de bonne foi chez ces pauvres gens me touchait; je m’en
serais voulu à mort si je les avais trompés.

Je restais là, tête basse, en silence.

--Eh bien? reprit le jardinier, impatient d’ouïr mes révélations.

--Eh bien, dis-je, poussé par la vérité, la Science ne peut pas
expliquer comment le monde a commencé.

A cette déclaration, de l’ébahissement, du désappointement, un vrai
chagrin se peignirent sur les visages. C’était peut-être un peu comique,
mais surtout fort attendrissant, car le peuple a soif de certitudes.

--Nom d’une pipe, cria le menuisier, dans tous les journaux et les
brochures que nous lisons, on nous rabâche que la Science explique tout,
donne la raison de tout; en dehors d’elle il n’y a que des blagues
inventées par les prêtres, d’accord avec les riches, pour exploiter les
travailleurs. Vous-même, tout à l’heure, vous venez de nous dire que la
Science était la seule chose à quoi un homme libre devait croire. Et
maintenant voilà que nous vous demandons la chose la plus importante, le
comment nous existons, quoi, et vous nous répondez que personne n’en
sait rien... quel déchet!

Les autres approuvèrent ce discours avec énergie. Ils me sommèrent, de
nouveau, de leur fournir une solution, tellement il leur semblait
ridicule, anormal, monstrueux que leur chère Science, la déesse dont on
leur vante sans répit l’infaillibilité, fût en défaut sur un point
qu’ils tenaient--fort judicieusement--pour essentiel.

Moi, je n’étais pas fier et je ne savais trop comment me sortir de
l’impasse où je m’étais fourvoyé. Pour faire diversion, j’eus recours
aux hypothèses. Je leur déballai le bagage habituel; l’évolution
indiquée par Lamarck, développée, en conjectures séduisantes, par
Darwin, la monère de Haeckel, les racontars sur la force et la matière
de Buchner, les syllogismes déterministes. Je crois aussi me rappeler
que je fis une incursion chez Diderot. Ils m’écoutaient avec dévotion,
quoique le fumet de ces viandes creuses ne leur caressât guère les
méninges.--Néanmoins je dus en revenir, bon gré, mal gré, à cette
constatation que la Science se déclarait impuissante à expliquer
l’énigme de l’univers.

Mes partenaires étaient tout à fait déconfits. Ils commençaient à me
darder des regards méfiants comme s’ils soupçonnaient que, possédant la
clef qui ouvre les portes de la certitude, je tenais à la garder pour
moi seul.

--Ah! c’est tout de même embêtant, proféra le chaisier, en hochant la
tête, pourquoi ne voulez-vous pas nous dire la vérité?

--Ce n’est pas que je ne veuille point... dis-je. Comprenez donc: _Je ne
puis pas_, ni moi ni personne. Ceux qui vous affirmeraient quelque chose
de décisif à cet égard, se moqueraient de vous.

Le mastroquet intervint, d’une voix pâteuse:

--Moi, je m’en fiche, vous savez... y a pas besoin de s’occuper de ces
foutaises qui empêchent de rigoler. Ce qu’il nous faut, c’est la
révolution sociale, et demain, s’il y a moyen. C’est bien notre tour
d’être riches et que les pauvres bougres bouffent leur content!

--Et principalement qu’ils boivent à gogo, n’est-ce pas mon vieux, dit
le jardinier. Toi, tu ne vois pas plus loin que le fond de ton verre.
Mais nous autres nous en voulons davantage. Puisque le citoyen Retté
s’en lave les mains de nous expliquer le commencement du monde, nous
nous adresserons ailleurs. Il y a le citoyen N... qui fera moins de
manières. Je parie qu’il est fixé, lui.

Ce N... petit rentier, ancien plumassier, était une sorte de Homais qui
témoignait d’un grand zèle pour la destruction de «l’hydre cléricale».
Totalement stupide, bavard intarissable, tout débordant de vocables
scientifiques à quoi il comprenait peu de chose, il éblouissait les
ouvriers par un flux copieux de diatribes contre l’Eglise. Au surplus,
c’était un sectaire habité par un diable balourd, mais fort violent. Il
se vouait, plus spécialement, à la suppression des crucifix, tant sur
les routes que dans les écoles et à la porte des cimetières. La seule
vue d’une croix le mettait en fureur et, alors, il ne se calmait
qu’après avoir invectivé Notre-Seigneur.--Il est mort comme il sied: il
réclama au moment terrible un prêtre et l’extrême onction avant de s’en
aller pourrir.

Quoi qu’il en soit, je me dis, qu’en se référant à un tel frénétique,
mes interlocuteurs couraient le risque d’être aspergés d’une abondante
rosée de sottises. Mais je me gardai bien d’émettre cette réflexion à
voix haute car, sûrement, j’eusse été taxé de jalousie à l’égard d’un
«militant» qui avait fait ses preuves.

Je pris congé sur des poignées de main fort molles. J’avais perdu les
neuf-dixièmes de mon prestige. Je ne m’en préoccupais guère. Je me
sentais profondément troublé, mal à l’aise, et j’éprouvais le besoin de
réfléchir, seul à seul, avec ma conscience.

Gagnant la forêt, je suivis le sentier qui serpente à travers la futaie
des Fosses-Rouges. Il était environ dix heures du soir. La nuit de juin
régnait, toute tiède, toute bleue, tout embaumée, sous les arbres. De
légers souffles chuchotaient dans les feuillages. Aux interstices des
hautes frondaisons, je voyais scintiller les étoiles. Le rossignol
chantait.

Je ne goûtai pas, comme d’habitude le charme de l’ombre et du silence.
Mon cœur pesait, très lourd, dans ma poitrine, j’avais presque envie de
pleurer; un remords, qui m’était insolite, s’agitait en moi.

Quoi, me dis-je, tu viens d’exalter ces hommes simples et pleins de
bonne volonté au nom de la science. Tu leur as promis le paradis
terrestre pour après-demain et quand ils t’ont demandé sur quel granit
asseoir l’édifice que tu leur proposes de construire, tu as été obligé
de rester coi. Inculquer à des ignorants une doctrine qui manque de
premiers principes, ce n’est tout de même pas très loyal. Et il n’y a
pas à tergiverser: probablement que jamais tu ne seras fichu de tourner
cette difficulté... Entasse Darwin sur Haeckel, Lamarck sur Geoffroy
Saint-Hilaire, étaie le transformisme avec le monisme, toutes ces
maçonneries chancellent sur du sable mouvant. Tu dois l’avouer: cet
océan ténébreux, le mystère du monde, ne cesse de démolir tes
constructions.

Je sais bien comment tu t’en tires à part toi. Tu te dérobes parmi le
scepticisme transcendant. Tu te dis: suis-je assuré moi-même d’exister?
Dès lors, pourquoi le monde serait-il autre chose que le cauchemar d’un
Démiourge qui digère mal?

Oui, mais cela, c’est une amusette pour _dilettanti_. Le peuple,
totalement fermé à l’ironie, n’y comprendrait rien. Et d’ailleurs, tu
sais, par expérience, qu’il lui faut des affirmations nettes...

Aussitôt j’eus un bon mouvement. En tout cas, continuai-je, je me
promets de ne plus m’exposer à mentir ou bien à battre en retraite
devant les objections des simples. Jusqu’au moment où j’aurai acquis une
conviction ferme et scientifique touchant les origines, je ne propagerai
plus le socialisme par la parole.

Cependant, je me hâtai d’ajouter: cela ne m’empêchera pas de combattre
par mes livres et mes articles. J’éviterai tout ce qui pourrait jeter
des doutes sur le Progrès dans l’esprit du peuple. Rien qu’en
recommandant la destruction de l’armature bourgeoise qui nous enserre,
on peut obtenir de bons résultats...

Je me disais ces choses. Et pourtant je demeurais inquiet, triste
jusqu’au fond de mon être. J’errais sous les ramures. Malgré moi,
j’implorais de je ne savais qui une réponse à cette question des
origines que je croyais avoir si délibérément écartée de mes pensées. Je
levais les yeux vers le ciel sombre, fourmillant d’étoiles, et il me
semblait voir s’y dessiner le sourire formidable d’un sphynx.

Rien, rien, rien, ne m’éclairait. Tout était taciturne. Et les noirs
halliers répandaient dans mon âme leur vaste obscurité.

Bah! finis-je par m’écrier, j’ai la tête fatiguée. Je suis las d’avoir
discouru pendant deux heures. Demain mon cerveau se raffermira...
Rentrons nous coucher.

J’allai donc me mettre au lit. Mais mon scrupule ne me lâchait pas. Je
me tournais et me retournais, ressassant des arguments qui sitôt
formulés s’effritaient. De la nuit, je ne pus fermer l’œil. Par
instants, cette idée me traversait le cerveau comme une flèche: _si,
pourtant, Dieu existait?_ Mais tout de suite, j’entendais s’élever en
moi un énorme ricanement.--Néanmoins, l’idée revenait. De sorte que
quand je m’assoupis, à l’aube, ce fut en me répétant: _oui, pourtant, si
Dieu existait?_...

Plus de trois ans ont passé depuis cette soirée où je fus mis en
déroute.--Aujourd’hui que la Lumière ineffable daigne m’éclairer, je
crois que le Bon Dieu choisit cette occasion de ma conférence pour
commencer à m’investir.

Grâces lui en soient rendues à jamais!



II


Malgré ce premier éveil de ma conscience, j’étais beaucoup trop enfoncé
dans l’abîme d’orgueil et de sensualité où j’avais roulé depuis si
longtemps pour que mon âme restât élevée vers le Bon Dieu. Je devais
subir encore bien des traverses, regimber, souventes fois, contre les
appels de la Grâce, me souiller de la fange des passions jusqu’à
l’écœurement, avant de trouver le chemin définitif par où je me hissai
vers l’éternelle Beauté.

J’allais entrer dans une période de fluctuations extrêmes. J’allais
courir de doctrine en doctrine, cherchant partout une foi qui calmerait
l’inquiétude de mon cœur; et naturellement je ne la trouvais pas.

Je fus alors pareil à ces agités dont parle si admirablement la sœur
Catherine Emmerich: «Jésus vit des hommes, tantôt séparés de la vraie
vigne et couchés parmi les raisins sauvages, tantôt, comme des troupeaux
égarés, livrés en proie aux loups et refusant d’entrer dans le bercail
du Bon Pasteur... Ils bâtissaient sur le sable des huttes qu’ils
défaisaient et refaisaient sans cesse, mais où il n’y avait ni autel ni
sacrifices. Ils avaient des girouettes sur leurs toits et leurs
doctrines changeaient avec le vent. Souvent ils détruisaient leurs
cabanes et en lançaient les débris contre la pierre angulaire de
l’Eglise qui restait inébranlable. Ils erraient, les yeux fermés, autour
du jardin de l’Eglise. Ils ne voulaient pas entrer dans ce jardin, car
ils craignaient les épines de la haie...[1]»

  [1] La douloureuse Passion de N.-S. Jésus-Christ, p. 115.

Des fissures lézardaient donc les murailles du temple où j’avais
intronisé la Science. Toutefois, j’étais encore si pétri des sophismes
de la raison humaine, que je ne pouvais me résoudre à les démolir pour
de bon. C’est en vain que je vis le transformisme s’en aller en
poussière sous la critique de M. Quinton. C’est en vain que je dus
admettre la probabilité de la théorie qui oppose la constance des
espèces aux déductions hâtives des évolutionnistes. Je n’étais pas
arrivé au point où je fus obligé de vérifier que la science est un
cinématographe où se succèdent de vacillantes images.

Il y eut, tout de même, ceci d’acquis que je commençai à me méfier des
savants. Du reste, si parmi ces semeurs de paroles contradictoires
j’avais rencontré quelques intelligences prudentes qui étudiaient avec
précaution et probité les phénomènes naturels, je m’étais, plus
fréquemment, heurté aux arrivistes sans scrupules qui infestent les
Sorbonnes et les Muséums. Ah! quels démarqueurs du travail d’autrui,
quels banquistes usant d’un prestige obtenu par des moyens frauduleux
pour tournebouler l’entendement des hommes de la notion, des _Primaires_
si bien analysés par Léon Daudet. De tels charlatans, qui exploitent la
bonne bête Démocratie en la flagornant, me semblaient de plus en plus
fétides. Ceux-là, ce sont les frères chéris des politiciens qui bernent,
à tant par jour, le pauvre peuple de France. Alchimistes louches, ils
fabriquent les drogues dont on empoisonne l’esprit des Simples. La
doctrine de l’évolution leur a servi à mixturer une soi-disant morale
qu’ils croient justifier en lui donnant pour principal ingrédient la
croyance au progrès indéfini de l’humanité. Au surplus, ce n’est là
qu’un attrape-nigauds, ce qu’on pourrait appeler un _pige-électeurs_. En
effet ces savantasses, si dévôts à Marianne, ne croient à rien du tout,
sauf à l’opportunité de remplir leurs poches, par la vente d’orviétans
suspects, et de se pavaner sous des titres et des grands-cordons
multicolores.

Puis ce qui me répugnait aussi chez ces Pharisiens du savoir, c’était
leur arrogance. Leur dédain pour l’art désintéressé passe l’imagination.
Tout ce qui est propre, élevé, salubre, ils le haïssent. Enfin ils
éprouvent un plaisir vraiment diabolique à coasser contre le divin[2].

  [2] Ces marchands d’abracadabras ont été flagellés d’une main
    vengeresse, par Maurice Maindron, dans son beau livre l’_Arbre de
    Science_. Maindron nous a fort bien dessiné, entre autres, et sous
    le nom de Schmidt, un tritureur de notions officielles facile à
    reconnaître. C’est celui-là «qui n’employait jamais le mot de Ciel
    parce qu’il ne répond à rien de prouvé--non plus que celui de
    Créateur en tant que définition exacte parce que n’est exact que ce
    que la science nous démontre méthodiquement...»

Je fis un nouveau pas en avant le jour où je m’aperçus, peu après la
soirée de ma conférence, que notre fameux Progrès--moyeu du carrosse où
les gens de science, inféodés à Marianne, charrient leur idole vers la
Tour de Babel--n’était qu’une illusion.

En effet, me dis-je, le Progrès n’existe pas puisqu’il est de
constatation expérimentale que les désirs et les appétits croissent
proportionnellement aux satisfactions qu’on leur donne. Prenons les
chemins de fer: quand ils furent inventés, on les tint pour un grand
progrès sur les diligences et les pataches. Maintenant, on commence à
les comparer aux tortues les moins ingambes. Et l’on rêve de véhicules
électriques qui feraient du deux cents à l’heure.--Il en est de tout
ainsi. De sorte, conclus-je, que le Progrès ressemble à un écureuil qui
galope, affolé, dans une cage cylindrique et mobile sans jamais arriver
nulle part. La cage est plus ou moins dorée, mais enfin c’est une cage.

Ainsi la Science branlait au vent et je venais de dévisser, en moi, son
appendice: le Progrès. Dès lors, que restait-il de ma foi dans le
splendide avenir réservé à l’humanité par sa prétendue évolution vers le
bien-être absolu et les marmites pleines?

Pas grand’chose.

Mais ici, je dois revenir en arrière.

Antérieurement à cette période, j’avais traversé divers partis
politiques sans réussir à me fixer dans aucun. Vers l’âge de vingt-sept
ans, j’avais été séduit, comme beaucoup d’écrivains de ma génération,
par les théories simplistes de l’Anarchie. «Cette greffe individualiste
sur l’arbre du communisme» me paraissait susceptible de donner de bons
fruits. La formule anarchiste n’est point complexe; la voici: jetons
tout par terre: Dieu, patrie, famille, propriété, lois, traditions.
Gardons-nous, ensuite, de restaurer le principe d’autorité sous quelque
forme que ce soit. Alors les hommes, délivrés des entraves qui
s’opposent au développement de leur personnalité, tomberont dans les
bras les uns des autres et, partageant, selon les besoins de chacun,
tous les biens de la terre, vivront dans une fête perpétuelle, parce
qu’ils seront à la fois entièrement libres et entièrement solidaires.

On reconnaît là une dérivation de quelques-unes des rêveries chères à
Jean-Jacques Rousseau.

Les adhérents de l’Anarchie se recrutent parmi toutes les classes de la
société. On trouve chez eux des snobs, désireux de se singulariser et
d’ahurir leur entourage par de truculents discours; des jeunes gens
riches, détraqués par la recherche des sensations inédites et dont cette
doctrine, farouche et languide à la fois, chatouille agréablement le
système nerveux. On y rencontre des ratés de l’enseignement et de l’art
qui en veulent au monde entier de leur impuissance; des malchanceux
aigris par la misère; des envieux, jaunes de bile recuite; des éclopés
et des disgraciés que leurs béquilles ou leur bosse indignent; des
brutes sanguinaires du genre de celle qui assassina la malheureuse
Elisabeth d’Autriche; des illuminés et des exaltés que la souffrance
humaine supplicie, mais qui n’y voient de remède que par la torche, les
explosifs et le couteau; pas mal d’ouvriers désireux de s’instruire et
que les pesantes ratiocinations du collectivisme rebutent; des
sentimentaux bizarres dont la glande lacrymale suinte pour un chien
écrasé mais qui hurlent de joie dès qu’un capitaliste culbute et se
fracasse avec son automobile.

On y distingue enfin quelques esprits cultivés probes, sincères dans
leur aberration comme feu Elisée Reclus et Kropotkine, plus d’honnêtes
cordonniers, que _l’humanitairerie_ a fâcheusement distraits de l’alène
et du fil poissé, comme Jean Grave. Puis quelques renégats dont le
défroqué jaboteur Sébastien Faure--celui-là même qui entend traiter Dieu
comme un ennemi personnel--et des haineux à froid comme Pouget.

Tous, d’ailleurs, sont possédés d’un orgueil incroyable; chacun d’eux se
tient pour l’homme libre en soi. Et par une résultante obligée de cet
état d’esprit, dès que les mots: Dieu ou religion leur viennent à la
bouche ou sous la plume, ils se mettent à jurer et à cracher comme des
chats sauvages.

Tels quels, les anarchistes forment un clan à part dans le socialisme.
Dépourvus d’ambition, réprouvant la conquête du pouvoir, situant le
triomphe de leur chimère dans le plus lointain avenir, ils demeurent
indemnes des saletés politiques où barbottent les séides des Millerand,
des Jaurès et des Guesde. Peut-être aussi sont-ils un peu moins enjuivés
que les collectivistes.--Ils vivent enfoncés dans leur idéal, tout à
l’Eden de frairies sans fin qu’ils imaginent. Ils ne sortent de leur
songe que pour maudire l’égoïsme, la soif de lucre et la bassesse
d’idées qui caractérisent la société actuelle. Leurs vaticinations et
leurs invectives ne manquent pas alors d’une certaine grandeur.

Qui ne possède point la foi peut donc se laisser attirer, un certain
temps, par les parties généreuses et les illusions poétiques de la
doctrine anarchiste. Mais bientôt on réfléchit. Et l’on ne tarde pas à
s’apercevoir que la société telle que la souhaitent ces sectaires ne
pourrait subsister que si toutes les facultés humaines gardaient un
constant équilibre entre elles. L’âme, au sens anarchiste, devrait être
pareille à une balance dont les plateaux resteraient toujours de niveau
même lorsqu’on mettrait un poids dans l’un d’eux.

Des hommes dépourvus de moelle épinière, d’estomac et d’organes
reproducteurs seraient tout à fait qualifiés pour pratiquer l’Anarchie.
Mais les hommes tels qu’ils furent créés ne peuvent se vouer à la
réalisation de ce rêve sans choir sous le joug du Prince des Ténèbres
puisque, ignorant ou refusant la Grâce du Bon Dieu, ils ne recherchent
que la satisfaction éperdue de leurs cinq sens.

Bien que je me traînasse encore dans la nuit, mon jugement finit par se
révolter, contre cette doctrine par trop anti-naturelle. Puis la rage
égalitaire de la plupart des anarchistes, la sottise pédante des fruits
secs, les arguties monotones des scolastiques de la bande, le vol et le
meurtre préconisés sous les noms de vengeance équitable et de «reprise
individuelle» me dégoûtèrent. Je me ressaisis. Mais, hélas, ce ne fut
qu’après avoir blasphémé en prose et en vers, chanté l’âge d’or
anarchiste, semé la haine, exalté, comme des martyrs, maints lanceurs de
bombes et attisé l’esprit de révolte parmi un certain nombre de jeunes
gens dont cette folle littérature flattait les mauvais instincts...
C’est là, aujourd’hui, un de mes grands sujets d’affliction. Aussi, je
prie les chrétiens entre les mains de qui tomberaient quelques-uns des
écrits où je m’égarai de la sorte de les détruire par le feu. Ce sera
une bonne œuvre...

Echappé de l’anarchie, où pouvais-je aller? Tout imprégné de sophismes
révolutionnaires, je fis un voyage de découverte chez les
collectivistes. Ce n’était pas que leurs théories m’agréassent; mais je
me disais que, même sans y adhérer, je pourrais peut-être, dans leurs
rangs, instruire les prolétaires et les fortifier pour la lutte contre
les Bourgeois prépotents qui les pressurent. M’abstenant désormais de
propager l’anarchisme, je tâchai néanmoins d’apprendre aux ouvriers à
sauvegarder leurs intérêts. Je préconisai les syndicats; j’en organisai
même un, composé d’ouvriers du bâtiment. Mais, je fus jalousé, puis
calomnié par les professionnels de l’agitation syndicale qui se
figuraient--très à tort du reste--que je briguais au moins un mandat de
conseiller municipal et qui, voyant l’assiette au beurre venir à eux, se
jugeaient beaucoup plus désignés que moi pour y mettre la main. Ils
m’aliénèrent les travailleurs que j’avais groupés. Si bien qu’un jour,
je fus hué de la belle façon et prié, en termes peu amènes, de ne plus
reparaître au siège du syndicat que j’avais fondé.

Je n’en voulus pas aux pauvres gens qu’on avait tournés contre moi. Le
peuple est un enfant indiscipliné. Du moment qu’on lui inculque qu’il
peut faire ce qu’il lui plaît, il s’empresse de briser les jouets qu’on
lui donne. Ce qu’il lui faut, c’est un maître indulgent mais énergique.

Je demeurais si imbu de l’idée de progrès social que, faute de mieux, je
me mis à fréquenter les intellectuels du collectivisme dans l’espoir de
servir la cause par la plume. Là, tout de suite, je subis de nombreuses
désillusions. Ces petits redingotards, ces produits de la laïque, de
l’Ecole de Droit ou de l’Ecole Normale se considéraient, pour le plus
grand nombre, comme les futurs propriétaires de la République.
Quelques-uns se prouvaient désintéressés dans leur glaciale
ambition--surtout ceux de l’escouade guesdiste--mais les neuf-dixièmes
voyaient dans le socialisme une fadaise, plus efficace que les bourdes
périmées, pour l’exploitation de Jacques Bonhomme.

J’en entendis se gausser entre eux, au sortir d’une réunion publique,
sur la facilité avec laquelle les prolétaires se prenaient à la glu des
promesses de bonheur sans limite qu’on leur prodiguait. Je les vis
intriguer pour conquérir des emplois d’attachés au cabinet. Je surpris
d’ignobles manœuvres pour évincer et supplanter tel naïf, comme Joindy,
dont le dévouement avait obtenu l’affection des ouvriers.--Bref, je les
jaugeai très vite à leur vraie valeur: Machiavels du ruisseau,
médiocrates âpres au pillage plus encore que quiconque de leurs émules
du radicalisme. Et je leur tournai le dos...

La rupture définitive eut lieu un soir de Vendredi-Saint. Divers
turlupins de la _Petite-République_ avaient organisé, à Paris, une
grande réunion précédée d’un banquet-saucisson; on y devait raconter aux
ouvriers qu’ils étaient les premiers artistes du monde. M. Anatole
France et Jaurès prendraient la parole.

Ayant été gratifié d’une carte de convocation, je ne vins pas au banquet
car je restais honteux d’avoir, par faiblesse plus encore que par
impiété, assisté l’année précédente à l’une de ces ribotes sacrilèges.
En effet, l’immense stupidité de ces sortes de manifestations m’avait
toujours peu emballé.

Mais je me rendis à la réunion, étant curieux de constater comment
l’auteur du _Lys rouge_ s’y prendrait pour lécher les pieds du
Roi-Populo.

La chose se passait au Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Ma carte me donnait le droit de prendre place sur la scène, derrière le
bureau et les orateurs. Je montai donc sur les planches, après avoir
subi le contrôle de quelques citoyens-commissaires que «la chaleur
communicative du banquet» me parut avoir fort émus. Je m’assis entre un
féministe à peu près inoffensif du nom de Léopold Lacour et le délicieux
abbé Charbonnel. Charmant voisinage comme on voit.

Le rideau se leva; la salle était comble. La séance commença par un
braillement en chœur de l’_Internationale_. Puis cette joyeuse crapule
de Gérault-Richard s’avança vers le trou du souffleur et débita une
harangue où, vu l’anniversaire de la mort de Notre-Seigneur, le Bon Dieu
fut copieusement insulté.

Applaudissements, hurlements enthousiastes, reprise de
l’_Internationale_.

Le calme rétabli, M. Anatole France se leva et entama son exorde. Il
semblait intimidé car je crois bien que c’était la première fois qu’il
affrontait un public populaire. D’une langue exquise, comme tout ce que
produit ce merveilleux écrivain, son discours se ressentait, quant au
fond, de l’absurdité des thèses qu’il lui fallait soutenir. Il s’y
trouvait, comme il sied, des oraisons jaculatoires au Progrès, des
flatteries à l’adresse des ouvriers et quelque lyrisme socialiste.
Cependant, comme l’orateur débutait dans sa carrière de courtisan de la
Foule, il y avait de la gêne dans sa diction et un certain manque de
carrure dans le texte même de ses périodes. Lui, le délicat,
l’épicurien, le renaniste imprégné d’ironie jusqu’aux moelles évoluait
gauchement parmi les truismes. On sentait qu’il se forçait à de la bonne
volonté pour encenser Caliban. Mais le tour de main lui faisait défaut.

Il s’est rattrapé depuis.

Sa péroraison fut consacrée à développer que l’Art, tout l’Art, peut et
devrait être accessible même aux illettrés. C’est, du reste, un des
sujets de déclamation les plus chers aux socialistes. Seulement on se
demandait en voyant ce France raffiné mettre son talent, comme un
paillasson, sous les pieds de la Plèbe ignorante, comment il s’y
prendrait pour faire saisir, le cas échéant, à ses auditeurs le
scepticisme subtil et les fleurs de rhétorique quintessenciées qui
abondent dans son œuvre. Ce point ne fut pas élucidé. M. France termina
son discours par une phrase malheureuse où méconnaissant l’aptitude à
l’Art des balayeurs et des égoutiers, il déclarait que les bijoutiers,
les ciseleurs et certains ouvriers du meuble sont déjà _presque_ des
artistes.

Le succès fut médiocre et les applaudissements clairsemés. Jaurès s’en
aperçut; plein de mépris pour une aussi froide entrée dans la
flagornerie, il se leva, d’un bond, afin de stimuler la ferveur de
l’auditoire. Il se planta, l’air avantageux, sur le bord de la scène,
agita ses petits bras comme un moulin qui, se préparant à tourner,
commence par essayer ses ailes. Puis l’outre pleine de flatuosités
sonores se dégonfla.

Il reprit le couplet final de M. France. Mais ce fut pour l’amplifier et
le renforcer. Il affirma d’abord le dogme que tous les ouvriers étaient
des artistes,--sans le savoir. Il y eut là une tirade sur le bûcheron
qui équarrit savamment ses troncs d’arbres, besogne--selon Jaurès--au
moins aussi élevée que celle d’habiller la pensée avec des rythmes
choisis. Puis vint une leçon indirecte à M. Anatole France qui fut, en
termes pâteux mais par hasard assez clairs, morigéné pour n’avoir pas
proclamé la compétence universelle du Prolétariat.

Ensuite, il fallait bien immoler quelques victimes d’élite sur l’autel
du dieu. Jaurès n’y manqua point: s’élançant dans le passé, il secoua
Gœthe d’importance, incrimina son aristocratie et son dilettantisme,
flétrit sa sérénité olympienne et surtout lui reprocha de n’avoir pas
prévu et vénéré d’avance l’avènement du socialisme. Puis ce fut le tour
du père Hugo. Celui-ci reçut l’hommage bref de quelque pommade pour ses
_Châtiments_; mais Jaurès déplora l’entêtement que le poète mit à
chanter les splendeurs de l’Evangile et à défendre le Bon Dieu, malgré
les conseils des politiques de son entourage. Le discours se conclut par
quelques injures à l’Eglise et par une apothéose du Prolétaire exalté
comme un être sublime, doué de toutes les vertus et capable de toutes
les intelligences. Puis le Borée méphitique cessa de souffler: Jaurès se
tut.

A ce coup l’enthousiasme de la salle atteignit au délire. Ce n’étaient
que claquements frénétiques des paumes, clameurs tonitruantes des hommes
et suraiguës des femmes, trépignements à se croire chez des sectateurs
de Saint Guy.--Populo s’adorait lui-même.

Pour moi, j’étais outré par l’impudence de Jaurès. Quoi donc, il ne lui
suffisait pas que l’homme qui a publié les plus beaux vers--et les plus
grandes sottises--du XIXe siècle, le père Hugo se soit humilié au point
d’écrire, dans l’_Histoire d’un crime_, que: «le peuple est toujours
sublime même quand il se trompe.» Cette platitude ne paraissait pas au
rhéteur assez extrême pour compenser le pauvre restant de croyance où se
maintint le poète déiste des _Contemplations_?

Quant à ce qui concerne Gœthe, je dus sourire. Car que pèsent les
déjections d’un Jaurès au regard de ce colosse d’intelligence et
d’orgueil qui seul, dans les temps modernes, sut magnifier et revivifier
l’art antique et restituer en strophes scintillantes, dans son _Faust_,
la psychologie du Démon?

Surtout, j’étais blessé pour M. France. Je trouvais désastreux qu’un tel
lettré, fourvoyé dans ce pandémonium de bêtas malfaisants, reçût ainsi
les verges pour l’édification des sots houleux qui remplissaient la
salle et des ramasseurs d’épluchures libres-penseuses qui se pavanaient
sur la scène.

Aujourd’hui, j’estime que M. Anatole France n’avait pas volé cette
avanie. Mais alors, étant tout à l’Art, je souffrais de son abaissement.

Cependant mes voisins menaient tapage. Le simple Lacour se trémoussait
comme une marionnette affolée dans un guignol et criait de toutes ses
forces: Bravo Jaurès! Bravo Jaurès!

L’abbé Charbonnel dilatait sa mâchoire prognathe, à se décrocher le
condyle, et poussait des grouinements d’allégresse. Certes, ce lui était
une intense volupté, ce jour de vendredi-saint, de voir traîner dans la
boue, par des Gérault-Richard et des Jaurès, le corps sanglant de
Notre-Seigneur.

L’un et l’autre m’agacèrent si fort que je ne pus m’empêcher de
déclarer, à voix très haute, que les calembredaines de Jaurès touchant
Gœthe et Hugo atteignaient au dernier degré de l’imbécillité.

Sur quoi, Lacour fit un geste d’épouvante et promena des regards
inquiets autour de lui pour vérifier si j’avais été entendu. Charbonnel
haussa les épaules avec une pitié dédaigneuse.

Un jeune collectiviste qui cabriolait près de nous, en l’honneur de
Jaurès, s’arrêta net dans ses gambades, me toisa et promulga ceci:--Oh!
on sait bien qu’au fond tous les poètes sont des aristos... Si vous
n’êtes pas content, citoyen, vous n’avez qu’à déguerpir.

C’est ce que je fis aussitôt, étant, au surplus, peu soucieux d’ouïr
davantage Gérault-Richard qui préludait à de nouvelles pasquinades.

Je pris le train et je regagnai la campagne. Tout en parcourant les
quatre kilomètres qui séparent la station de Lagny du village de
Guermantes où j’habitais alors, j’examinai mes sentiments.

J’étais écœuré. Non seulement je restais réfractaire aux balivernes
teutonnes du collectivisme; mais encore cette haine de l’art, cette
sottise suffisante du bas politicien Jaurès, tout ce qu’il y a d’envie,
de vanité outrecuidante, d’ambition sordide et de sales rancunes dans
l’âme de ses adeptes me donnaient des nausées.

Non, me dis-je, je ne fréquenterai plus ces gens-là. Je servirai le
peuple sans lui baiser le derrière ni le tromper. J’œuvrerai pour lui
dans mon coin.

Et puis, très bas, j’ajoutais: D’ailleurs, il est malpropre de choisir
le jour où les chrétiens sont en deuil pour huer leur croyance. Je suis
un saligaud d’avoir participé à cette vilaine farandole autour d’un
cadavre... Je sais très bien que cette légende de la Passion du Christ
manque de beauté plastique, mais il suffit de ne pas s’en occuper. Et
c’est ce que je veux faire à l’avenir...

Hélas, j’étais de bonne foi. Mais le diable ne desserre pas aussi
facilement sa griffe. Et je devais m’insurger encore bien des fois
contre le Bon Dieu avant que sa grâce infinie vînt en moi!...

Malgré mes désillusions je ne réussissais pas à éliminer le ferment
révolutionnaire qui m’empoisonnait l’âme. Ne pouvant me résoudre à me
confiner dans l’art pur, aimant toujours le peuple en raison même des
charlataneries dont je le voyais victime, je me dis que, peut-être,
parmi ces radicaux qui prétendent lui vouer une fervente affection, je
pourrais encore le servir.

Je restai socialiste de penchant mais je mis une sourdine au crin-crin
sur lequel je raclais des variations humanitaires.--Je m’acoquinai donc
à plusieurs blocards dont les déclarations en faveur du prolétariat me
parurent assez sincères.

C’est alors que je fis la connaissance de Clemenceau. Il n’était plus
député et il n’était pas encore sénateur. Discrédité, à peine retapé par
l’Affaire Dreyfus, il se consumait à publier des articles d’art, de
littérature et de politique dans divers papiers de France, d’Allemagne
et surtout d’Angleterre. Cet homme possède une puissance de séduction
étrange. Il est d’autant plus malaisé de l’expliquer que, dur,
sarcastique, souvent injurieux, il traite avec brutalité ceux qui
l’admirent et qui l’aiment. Peut-être sa main-mise provient-elle, pour
un esprit cultivé, de sa forte intelligence, de son goût réel et de sa
compréhension des choses d’art et de la comparaison qu’on est obligé de
faire entre ses qualités de pensée et la bêtise du troupeau radical.
Puis comme tous les tempéraments autoritaires, il vous courbe sous son
geste. C’est un Jacobin mais un Jacobin lettré: variété peu commune.

En somme, il y a en Clemenceau du Saint-Just avec la boursouflure et
l’ineptie glorieuse de soi en moins, avec, en plus, un certain sens des
réalités.

Il y a aussi, chez lui, une misanthropie foncière, quelque chose de
sombre et d’ardent qui lui fait proférer, dans les moments très rares où
il se livre en partie, des maximes à la Tibère. Ajoutez qu’il est sujet
à des crises de scepticisme et de mélancolie où il laisse entrevoir le
profond dégoût que lui inspirent ses coreligionnaires et,
probablement--lui-même.

Lorsque j’entrai en relations avec lui, ses déboires politiques, ses
embarras financiers et des chagrins intimes l’avaient pourtant un peu
amolli. Quoique sa campagne pour Dreyfus lui eût rendu quelque
influence, il demeurait inquiet, désorbité, rassasié de radicalisme au
point qu’il refusa _trois fois_ le siège de sénateur qu’on lui offrait
et qu’il fallut les instances les plus pressantes pour le lui faire
accepter. Ce fut, du reste, une influence féminine qui le décida.

Puis de rudes soucis le harcelaient. Ah! je l’ai vu se prêter à des
démarches plutôt humiliantes pour l’orgueil sans limite qui forme la
dominante de son caractère. Il n’était pas alors l’âpre dictateur que
nous voyons aujourd’hui mener l’assaut contre l’Eglise aux
applaudissements des Loges. Pour se distraire de ses ennuis, il se
donnait tout à cette pièce: _le voile du Bonheur_ où il nous révèle,
d’une façon assez inattendue, un Clemenceau quasi-bouddhiste...

Ce n’est point mon sujet de raconter ici l’extrémité où Clemenceau se
trouvait alors réduit.--Tout ce que je dois dire c’est que je subis très
fort son influence, que je lui témoignai--je puis le certifier sans
crainte de démenti--d’un dévouement total et que son emprise se
manifesta en moi par une recrudescence de rage anti-religieuse. C’est,
je crois, l’époque de ma vie où j’ai le plus blasphémé.

Toutefois, si je continuais à outrager le Bon Dieu sous l’étendard aux
trois couleurs souillées du radicalisme comme je l’avais fait et sous le
drapeau noir de l’Anarchie et sous le drapeau rouge du socialisme
politiquant, je ne pus m’adapter aux pratiques des radicaux. Ceux-ci me
furent, bien vite, encore plus nauséabonds que les collectivistes.

Le radical est un sectaire qui détruit la société tout en prétendant
façonner des matériaux propres à lui conférer des bases logiques. Il a
contribué, plus que quiconque, à développer, au nom des principes de 89,
cet individualisme subversif de toute règle dont nous subissons
aujourd’hui les effets. Toutes les institutions préservatrices sont
détruites ou menacent ruine. On est arrivé à ce résultat extravagant,
qu’ayant pour objectif de libérer l’individu des entraves anciennes, on
l’a au contraire réduit à l’impuissance vis-à-vis de l’Etat qui le
triture, le mutile et l’encadre à son caprice. La Révolution a commencé
le mal; Napoléon l’a codifié; nos Bourgeois, depuis cent ans, l’ont
aggravé. Dieu étant chassé de partout, il ne reste plus que le gendarme
pour maintenir le peuple souffrant, avide de jouir à son tour et
travaillé par l’esprit de révolte, dans l’obéissance à l’Etat. Le jour
où le gendarme tournera casaque--ce qui est inéluctable--la débâcle
commencera.

En attendant nous vivons dans une France pareille à un tas de détritus
où la Haute-Banque cherche des paillettes d’or. Et pour comble, nous
sommes gouvernés, grâce à l’ineptie de cette néfaste mécanique: le
suffrage universel, par une bande de despotes niais, et irresponsables:
sénateurs et députés. L’unique capacité de ces parlementaires est
digestive. Ronger le budget, en jeter des bribes à leur clientèle,
quémander des sportules aux Financiers, qui les traitent avec une
méprisante munificence, voilà leur préoccupation journalière. Puis obéir
aux délégués des Loges et aux quelques roublards--fonctionnaires de
l’étranger, c’est ici que le mot est exact--qui font figure d’hommes
d’Etat dans les ministères, voter des lois stupides ou nocives, sous
couleur de progrès, voilà leur œuvre. Il y a bien une opposition; mais,
quelques-uns mis à part, elle ne comprend guère que des timides et des
médiocres.

Je ne tardai donc pas à découvrir que nos maîtres du radicalisme sont
d’affreux tartufes. Car, avides d’or, jouisseurs insoucieux du
lendemain, plus réfractaires à tout idéal désintéressé qu’une plaque
d’amiante à l’action du feu, ils feignent de ressentir, pour les
prolétaires--qu’ils exploitent en les caressant et qu’ils haïssent en
secret--une sollicitude paternelle. Et c’est ce qu’il y a de plus
horrible dans le cas de ces démoniaques, après leur acharnement contre
l’Eglise, que cette hypocrisie pateline qui laisse les pauvres crever de
faim tout en les berçant de promesses illusoires.

Habitué à raisonner mes impressions, je me formulai les constatations
que je viens d’exposer et j’éprouvai de la répulsion pour ces
misérables. Mais par veulerie, par respect humain, quoique je ne crusse
plus du tout à la légitimité du régime, je continuai à le servir, sans
grand zèle, il est vrai.--Bien plus, la persécution contre les
congréganistes, les expulsions, les vexations de toutes sortes dont
l’Eglise était victime m’indignaient à part moi. Je voyais nettement
qu’il n’y avait là qu’une diversion destinée à occuper l’électeur tandis
qu’on le dévalise. Je savais qu’en dehors des furieux contre
Notre-Seigneur, que sont les possédés de la Maçonnerie, les autres ne
«faisaient de l’anticléricalisme» que pour dissimuler leurs rapines. Je
n’ignorais pas que tels qui «mangent du curé» en public, acceptent fort
bien que, dans le privé, leur femme et leurs enfants servent le Bon
Dieu. Je me rendais compte du vilain calcul de ces _taffeurs_ qui
s’imaginent que les prières de leur famille suffiront à compenser leurs
sacrilèges. Je lisais et j’approuvais, _in petto_, les articles où M.
Drumont dénonce bellement l’infamie de tous ces ventripotents, nourris
de cautèle et d’ordures.

Et pourtant si grande était ma répulsion pour le christianisme que je me
gardais de proclamer ces sentiments salubres. Au contraire, plus je me
rendais compte de ces choses, plus je m’acharnais à m’enliser dans
l’ornière du blasphème.

Du reste, j’en sais plus d’un qui se trouve dans l’état d’esprit où je
m’entêtais alors. Il est si vrai l’adage d’Ovide en ses _Métamorphoses_:
_video meliora proboque, deteriora sequor_! Je le traduirai de la sorte:
La Révolution, c’est le crime et l’erreur, je le sais, je vois le
remède; cependant, mulet pervers, je m’entête dans le mal.

Ah! c’est qu’on est infiniment lâche quand on méconnaît le Bon Dieu pour
suivre le Diable!...

Cependant, un moment vint où le désenchantement l’emporta. Je retournai
à la solitude.--Ma chère forêt de Fontainebleau m’apaisa quelque peu.
Mais comme je ne cessais d’étayer mes convictions matérialistes, à
mesure qu’elles menaçaient ruine, je n’arrivais pas à la grande paix que
je souhaitais. J’avais beau me répéter le vers magnifique de Baudelaire
sur:

    _Un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve,_

je ne pouvais m’en détacher de ce monde où, sottement, je me croyais
désigné pour combattre l’Eglise, dans la mesure de mes forces et pour
mener le peuple au bonheur matériel...

Quel abîme de contradictions! Quel douloureux vertige parmi tant de
péchés! J’errais, sans boussole, dans les dédales d’un souterrain
nocturne. Je ne savais plus du tout où j’allais.

Mais vous le saviez, vous, ô ma bonne Vierge. L’aube approchait où vous
vous lèveriez dans mes ténèbres, ô calme Etoile du Matin. L’heure se
préparait à sonner où, prenant dans votre main si pure ma main souillée,
vous me conduiriez jusqu’au pied du trône de Dieu.

Gloire à vous, ô clémente, ô très sainte, ô très douce Mère de
Notre-Seigneur...



III


Ainsi, au moment de cette conférence au cercle socialiste de
Fontainebleau dont j’ai parlé plus haut, mes convictions politiques ne
se maintenaient plus que par une sorte de veule accoutumance mêlée
d’amour-propre et de respect humain.

Je venais en outre de perdre ma foi dans l’idée de Progrès. Et je
commençais à renier la Science soi-disant infaillible.

Quant à mon être moral, il était bouleversé comme un logis où des
tâcherons se seraient mis en grève au milieu d’un déménagement.
Coléreux, incapable de pratiquer la patience et la résignation dont
j’aurais eu besoin pour supporter les soucis d’une existence difficile,
je souffrais, en outre, profondément, d’avoir perdu l’idéal de bonheur
matériel pour le peuple qui m’avait soutenu pendant pas mal d’années. Ma
déconvenue m’aigrissait le caractère comme aussi les tribulations que la
littérature n’épargne pas à ceux qui veulent vivre de leur plume--en
restant honnêtes.

Deux sentiments me soutenaient un peu et me valaient parfois quelque
joie: ma prédilection pour la forêt de Fontainebleau et mon amour de
l’art.

La forêt, elle m’était auxiliatrice. J’y connaissais des heures
d’inspiration et de recueillement dans la solitude. Là, je pouvais
m’entretenir avec mes frères les arbres. Admirer, pénétrer l’harmonie
profonde des futaies, composer et me réciter des vers sous bois,
c’étaient mes récréations les plus chères. Et je m’épanouissais.

Mais rentré chez moi, je redevenais sombre, morose, agité.--Il faut dire
que j’y retrouvais une femme dont, parce que j’en étais fort épris, les
défauts m’éprouvaient cruellement. Elle était surtout la plus déterminée
menteuse que j’eusse jamais rencontrée. A la lettre, elle mentait comme
elle respirait, et souvent sans motif--pour le plaisir.

Cette fausseté perpétuelle m’exaspérait--et il en résultait des scènes
qui n’étaient point faites pour apaiser ma pauvre âme tumultueuse. Il
fallait la quitter cette femme, dira-t-on. Sans doute, mais voilà: le
lien sensuel--et réciproque--était trop solide entre nous. J’avais beau
me raisonner, je demeurais captif de ses splendides yeux noirs et de ses
petites mains caressantes.

D’autres vices où elle excellait, j’en subissais, hélas, la contagion;
de sorte que nous formions un couple où les querelles endiablées
alternaient avec de furieuses débauches.

Quel cercle de l’enfer qu’un tel ménage interlope! De la part de l’homme
il n’y a--dès qu’il récupère sa dignité--que mépris pour sa compagne et
honte de lui-même. L’amour véritable n’existe pas; l’attache provient
d’une complaisance presque morbide pour les ivresses charnelles et d’une
soumission de caniche aux plus bas instincts.

La femme, elle, se pavane surtout dans la gloriole de tenir asservi le
mâle qu’elle dorlote, excite et griffe tour à tour. Tout cela, on
l’habille de poésie. C’est un prétexte à des vers qui brûlent comme des
feux de Bengale et à explosions d’images chatoyantes et malsaines.

Mais, en somme, quel piètre recours contre les outrances du vice! Et
comme on sort de là le cœur inassouvi et malade!...

Des mois passèrent.

Pour pallier les effets de mon désarroi moral, j’imaginai de me forger
une sorte de paganisme. Par là, je tentais de justifier mes
passions.--Certes, je ne croyais pas aux dieux de l’Olympe, bien que la
Grèce, _compendium_ des civilisations aryennes, m’ait toujours été
chère.

Seulement, je me disais: Puisque je ne veux ni ne puis adhérer au
christianisme, puisque la Nature, souriante et farouche à la fois,
m’attire passionnément, je magnifierai le Destin aveugle et les Forces
impénétrables qui font de l’homme leur jouet. Je déifierai mes instincts
et j’écarterai de moi toute pensée altruiste qui me détournerait de
mener mes cinq sens à la pâture des voluptés.

Je célébrai donc les rites du Grand Pan et de l’Aphrodite captieuse.
Néanmoins, il se mêlait à ces folies un remords secret qui ne laissait
pas de me rendre très triste aux heures où, la fièvre des sens tombée,
je regardais dans mon âme et la trouvais aussi sale qu’une bouche
d’égoût qu’on négligea de curer.

Alors je m’écriais:--Non, le _nunc est bibendum et pede libero pulsanda
tellus_, non, le _jouissons et rions ironiquement sans souci des jours,
puisque, demain, nous mourrons_ ne suffisent pas à me contenter. Il me
faut un Idéal moins grossier...

Mais lequel?

Cette notion du Divin que nous ne pouvons détruire en nous, à moins
d’être devenu tout à fait les servants du Diable, me tenaillait sans
repos.

Je tournai autour du squelette qui a nom Kant. J’en démontai les
ressorts. Mais l’Impératif catégorique du sophiste de Kœnigsberg me fit
froncer les narines... La raison suffisante me parut aussi sèche que les
tibias de Calvin. Et j’allai ailleurs.

Je tentai le panthéisme, ce qui me ramena, plus ardemment que jamais,
aux arbres. Je crus alors découvrir mes dieux, parcelles de la substance
indéfinie, sous l’écorce des chênes et dans le feuillage des hêtres.
J’adressais des prières aux bouleaux. La rosée, sur les fleurs d’or des
genêts, m’apparaissait comme une eau lustrale.--Cette aberration,
c’était, tout de même, plus propre que le paganisme orgiaque.

Dans ce temps-là, j’éprouvais une joie obscure à plaisanter la vie
terrestre de Notre-Seigneur. Voici une phrase prise dans un article
publié durant cette période: «Après tout, le Galiléen était un assez
brave garçon; mais il manquait de sens pratique.»

Si je la transcris, en rougissant, et en en demandant pardon, c’est
qu’elle montre mon état d’esprit d’alors.

D’ailleurs, chaque fois que le Nom Auguste de Jésus me venait sous la
plume, je _devais_ l’éviter pour le remplacer par ce sobriquet:
Galiléen. Et agissant ainsi, je me rengorgeais, fier comme un dindon en
sa basse-cour, car je m’imaginais presque égaler Julien l’Apostat ou le
mégalomane Nietzsche.

Bientôt, le panthéisme m’apparut trop diffus et trop vague. Et d’autre
part, je fus bien forcé de m’avouer que la Nature, sous son masque de
sérénité, cache une face d’airain.

J’aurais voulu, oh! oui, j’aurais voulu que tout autour de moi fût
mansuétude, indulgence, aide réciproque. Et chaque fois que j’essayais
de conquérir cette notion de douceur par l’étude des forces naturelles,
il me fallait bien constater que la concurrence vitale règne durement
sur le monde. Cette évidence me brisait le cœur.

Quoi, même dans la forêt, si les pins faisaient alliance avec les
bouleaux pour une protection mutuelle contre les essences guerrières, à
côté, les chênes et les hêtres se livraient une bataille sans merci et
où l’on ne comptait plus les cadavres.

Et moi qui aurais tant voulu être assuré que tous mes arbres chéris
vivaient en bon accord... Quel chagrin!

Je fus alors tout découragé. Je tombai dans le désespoir et me dis:--En
somme, c’est le bouddhisme qui a raison et plus particulièrement son
apôtre d’occident: Schopenhauer. L’univers n’est qu’un tourbillon
d’apparences décevantes. Cessons de _vouloir_ qu’il existe et nous
connaîtrons la joie de nous dissoudre dans le bon Néant où la durée est
abolie de même que l’espace. Arrêtons la roue du Destin... Oui, mais
pour pratiquer cette morne doctrine, il aurait fallu me faire ascète. Et
j’étais bien trop possédé par l’orgueil et la luxure pour y réussir.

Puis, d’autre part, j’avais peur de ce Nirvâna béant et funèbre qui
m’invitait à me jeter dans l’Inconscient.

Je fermai donc les livres bouddhistes, pour ne plus les rouvrir, et mon
agitation intérieure s’accrut.

Dès lors, ce fut en moi une mêlée effarante de tous mes phantasmes[3].

  [3] _Noctium phantasmata_, dit Saint-Ambroise. Et, en effet, qu’il
    faisait nuit dans mon âme!

Un jour, le socialisme et son utopie de progrès infini ressuscitaient.
Le lendemain, Aphrodite et Dionysos chantaient furieusement la volupté,
en choquant leurs coupes d’or, dans mon cerveau. Et docile, je
sacrifiais sur leurs autels. Le surlendemain, l’arome des sombres fleurs
que l’Isis panthéiste prodigue à ses dévots me flattait les narines. Le
jour d’après, j’invoquais Çakya Mouni et son sourire idiot. Puis soudain
les bavardages instables de la Science reprenaient le dessus. Il me
venait aussi des velléités de christianisme; mais je les expulsais de
mon âme, avec courroux, car elles me semblaient fort laides au regard
des prestiges où je me cramponnais...

Une fois en votre vie, vous êtes-vous trouvé perdu dans une plaine
pullulante de végétations sauvages? Ce fut par une de ces tombées de
jour où l’équinoxe d’automne détraque la saison et où les vents ne
cessent de sauter d’un horizon à l’autre. La tourmente arrive de tous
les côtés. Cela souffle à droite, à gauche, en avant, en arrière; tous
les Borées et tous les Notus sont déchaînés. Des bises et des khamsins
vous assaillent, vous giflent, vous brûlent, vous glacent presque
simultanément; on ne sait à qui entendre de ces vents déchaînés, on
s’arrête ahuri; on espère une accalmie qui, d’ailleurs, ne vient
pas.--Ainsi de mon âme à cette époque.

Sans cet amour de la solitude dont le Bon Dieu a bien voulu me gratifier
dès mon enfance, je ne sais ce que je serais devenu. Car, il importe de
le souligner, à tous les âges, je ne me suis jamais senti heureux que
dans les champs, sous les arbres ou au bord des eaux,--tout seul. Ne
point parler, rêver ou méditer devant quelque paysage, telles ont
toujours été mes joies les plus profondes et les plus rédemptrices. Je
l’ai bien senti, aux jours où, après avoir entassé péché sur péché, je
me réfugiais en quelque campagne si écartée que la meute des passions ne
venait guère m’y relancer...

Pour tenir tête à l’ouragan d’aspirations contradictoires qui
m’assaillait à cette époque de mon existence, je multipliais donc mes
courses à travers la forêt pacifiante. Ah! qu’il avait raison saint
Bernard quand il disait: _Aliquid amplius invenies in sylvis quam in
libris_. Je ne cessais d’expérimenter la grande vérité contenue dans
cette phrase. En effet les lectures hétéroclites, où je me plongeais
afin de me refaire une conviction ferme, augmentaient encore mes
incertitudes.

L’histoire me montrait un univers livré aux querelles et aux
déprédations--un brigandage perpétuel.

La Science, j’ai dit à quel point les guirlandes suspectes qu’elle
m’avait départies s’étaient desséchées en moi.

La littérature aussi commençait à m’ennuyer. Je laissai tout pour ne
plus lire que quelques auteurs, dès longtemps mes favoris: Lucrèce,
Dante, le _Faust_ de Gœthe et ses _Entretiens_ recueillis par Eckermann,
le théâtre et les sonnets de Shakespeare, Baudelaire, Balzac et les vers
de Hugo, plus quelques très rares volumes dus à des contemporains. Et je
ne coupais même pas les pages des livres qu’on m’envoyait.

Me sentant moins désolé sous les arbres, je les quittais aussi peu que
possible. En suivant les longues allées de la forêt, ces chemins où,
grâce aux branches en arceaux, on croit errer dans des nefs de
cathédrales, je me sentais pénétré d’une émotion solennelle. En
parcourant tels minces sentiers, pleins d’ombres chatoyantes et de
rayons assoupis, je recueillais de gracieuses images. Mes chers
bouleaux, si sveltes en leur robe d’argent pâle, éveillaient en moi de
douces musiques. Enfin plusieurs sites, d’une sévérité grandiose, comme
le Désert d’Apremont m’inspiraient un violent désir de m’y fixer--d’y
construire une cabane ou d’y aménager une grotte pour y vivre loin des
hommes, loin des femmes, loin de la littérature, loin de tout.

Si prolongées que fussent ces promenades, il fallait pourtant bien finir
par rentrer chez moi. Là je retrouvais la dame aux yeux noirs; et la
triste existence sensuelle et querelleuse recommençait. Lorsque
j’essayais de fuir, c’était pour me galvauder avec des personnes encore
moins édifiantes--si possible--que ma maîtresse.

Eh! bien voyez et admirez: je semblais alors bien définitivement assis
au fond de l’incertitude car jusqu’à la forêt commençait à se taire pour
moi.--Et ce fut le moment que le Saint-Esprit élut pour me darder une
seconde fois au cœur les javelines d’or de la Grâce.

Je me rappelle ce jour comme si j’y étais encore: c’était en juin 1905,
au commencement du mois. Or depuis une semaine, j’avais vécu de la façon
la plus désordonnée. Ce matin-là, tout morose, en proie à un profond
mécontentement de ma conscience, j’allai sous les arbres. Je suivais le
sentier qui, du carrefour des Huit-Routes, se dirige vers la Grotte des
Montussiennes. J’avais emporté la _Divine Comédie_ et je relisais, pour
la dixième fois peut-être, les premiers chants du Purgatoire.

Avant de poursuivre il faut spécifier que, jusqu’alors, j’avais lu le
merveilleux poème comme j’aurais fait d’un conte de fées splendide,
rédigé par un poète de génie. Il se peut--il est même probable--que ces
vers, tout imprégnés de la Grâce, avaient fécondé, à mon insu, les
régions les plus secrètes de mon âme. Mais je n’en avais point la notion
et je ne croyais ressentir qu’une influence toute littéraire.

J’en étais à ce passage du second chant où Dante et Virgile viennent de
quitter l’enfer et s’arrêtent sur le rivage d’une mer mystérieuse, au
pied de la montagne du Purgatoire.

Ici je dois citer: «Je vis, raconte Dante, que ne la vois-je encore, une
clarté venir sur la mer d’une telle vitesse qu’aucun vol d’oiseau ne
l’égale. Après avoir détourné d’elle mes yeux pour interroger mon Guide,
je la revis plus brillante et plus grande.

«Puis de chaque côté m’apparut je ne sais quoi de blanc et, au-dessous,
peu à peu, sortit quelque chose de pareil. Mon Maître ne dit rien
jusqu’à ce que les premières blancheurs se déployèrent en ailes. Mais
lorsqu’il reconnut bien le nocher, il cria: «Ploie, ploie les genoux:
Voilà l’Ange de Dieu. Joins les mains. De tels Ministres du Seigneur tu
verras désormais; vois, il dédaigne les instruments humains; il ne veut
d’autre rame, d’autre voile que ses ailes pour parcourir ces lointains
rivages. Vois comme il les dresse vers le Ciel, comme il frappe l’air de
ses pennes éternelles!...»

«Plus de nous s’approchait l’oiseau divin, plus éclatant il
apparaissait, de sorte que mon œil ne pouvant, de près, soutenir sa
splendeur, s’abaissa. Et Lui vint au rivage avec un batelet si svelte et
si léger qu’il ne plongeait aucunement dans l’eau.

«A la poupe se tenait le céleste nocher rayonnant de béatitude; et
dedans étaient assis plus de cent esprits. Tous ensemble, d’une seule
voix ils chantaient: _In exitu Israël de Ægypto_ et le reste du psaume.
Puis sur eux l’Ange fit le signe de la sainte croix; tous se jetèrent
alors sur la plage et Lui s’en alla comme il était venu...»

On sait que Dante a voulu peindre, en ces vers, l’allégresse des fidèles
défunts qui se réjouissent de se purifier de leurs fautes en Purgatoire,
afin de mériter une place en Paradis, après la juste expiation.

Que se passa-t-il alors en moi? Je sentis un frisson me courir dans les
veines, puis je me mis à trembler de tout mon corps. Le livre m’échappa
des mains. Je dus m’appuyer au fût d’un hêtre. J’étais comme ébloui par
une lumière intérieure. Il me sembla que les noires nuées qui
opprimaient l’atmosphère obscure de mon âme se dissipaient. Je ne sais
quelle clarté, douloureuse à force d’être intense, me montra mes vices
accroupis comme des crapauds dans la fange de mon cœur. Un remords et en
même temps une joie indicible me labouraient tout entier.

Voici exactement les paroles que je prononçai alors:--Quoi, il se
pourrait qu’une aussi sublime inspiration fût le témoignage de la
vérité? Il se pourrait que cette religion catholique, tant bafouée par
moi, eût raison lorsqu’elle affirme qu’un pécheur qui se repent et
accepte joyeusement la pénitence de ses fautes devient par là digne de
monter au Ciel?... Mais s’il y a dans ces vers plus qu’une magnifique
fantasmagorie--je pourrais me laver de mes ordures, être sauvé?... Mais
alors, mais alors, c’est donc que Dieu existerait?...

Je restai quelques minutes éperdu. Puis je repris: oh! si Dieu existait,
quelle chance pour moi.

Aussitôt, comme si les nuées se rassemblaient, il fit nuit dans mon âme.
Une voix perçante--que je n’avais jamais entendue--s’éleva en moi qui me
disait:--Allons, pauvre chimérique, vas-tu te laisser prendre à ce
gluau? Tout cela, c’est de la littérature. Tu sais très bien, au fond,
que le catholicisme n’est qu’une fable vermoulue. Et tu serais une dupe
si tu cessais de t’en gausser.

--Sans doute, sans doute, répondis-je, mais, tout de même, c’est bien
étrange ce que je viens de subir...

Je ramassai le livre; je continuai ma promenade, troublé au delà de ce
que je puis dire. Je me répétais: Existe-t-il? Existe-t-il?

Et chaque fois que j’articulais cette phrase anxieuse, la voix
aigre--ah! que de jours je devais l’entendre encore--s’écriait: Sot,
double sot, tu ferais bien mieux de fabriquer quelques vers à la gloire
des dryades... Puis le sombre ricanement, déjà entendu la nuit qui
suivit ma conférence, me parcourait l’âme.

Pourtant je ne me laissai pas entraîner à tourner en plaisanterie cette
impression si nouvelle. Une douceur insolite m’emplissait le cœur et
d’autre part, je ne sais quelle poignante appréhension d’un inconnu
redoutable autour de moi me faisait soupirer.--A ce moment, je m’aperçus
que mes joues étaient couvertes de larmes qui avaient ruisselé sans que
je m’en fusse douté.

Ce fut dans cet état d’esprit que je rentrai à la maison. Je m’y montrai
si taciturne que la dame aux yeux noirs, pour lors en humeur de dispute,
s’ébahit qu’au lieu de lui répondre, comme de coutume, par une volée
d’invectives, je me contentasse de hausser les épaules en silence...

On croira que touché à fond par la Grâce, comme je venais de l’être, je
demeurai au moins le reste de la journée sous le coup de cette atteinte
si imprévue. Mais il paraît que le Mauvais avait conçu quelque
appréhension de me voir lui échapper, car il ne perdit pas de temps pour
me ressaisir.

L’après-midi, mon ami C..., un lettré avec qui j’entretenais des
relations assez suivies, vint me rendre visite. Il me proposa de faire
un tour dans le parc du château de Fontainebleau. Toute occasion m’étant
bonne pour fuir mon triste ménage, j’acquiesçai aussitôt. Et nous fûmes
dehors.

C..., homme de cœur et de sensibilité vibrante, était alors préoccupé
par l’idée religieuse. Les vaticinations pompeuses de la Science ne le
satisfaisaient pas plus que moi. Tout en balançant fort à se tourner
vers l’Eglise, il n’était pas loin d’affirmer son respect pour le Dieu
de l’Evangile. Comme ce lui était devenu un sujet de méditation assez
habituel, après quelques propos de littérature et d’art, il mit
l’entretien sur cette question.

En substance, il me dit ceci:

--J’ai beau faire, je ne puis me contenter des théories du rationalisme.
Elles laissent inassouvie une part de mon âme. Je souffre d’une
inquiétude qui réclame une conviction ferme pour s’apaiser un peu.
J’essaie bien de revenir aux dogmes du christianisme tels que j’appris à
les aimer jadis. Mais dès que je m’oriente de ce côté, ma raison se
cabre et, si j’insiste, refuse de les admettre. Pourtant, j’aurais bien
besoin d’une règle de vie qui me serait un frein contre les écarts où
m’entraîne mon imagination. Et il y a des moments--aujourd’hui par
exemple--où il me semble que le Surnaturel pourrait me la fournir, cette
règle.

Il s’exprimait d’un ton posé, comme un homme qui a beaucoup réfléchi et
qui est sur le point de prendre le parti le plus sage.

Je l’avais écouté avec attention, sans l’interrompre et, à part moi, je
m’étonnais de cette coïncidence entre nos préoccupations. La logique eût
donc exigé que je lui confie mes incertitudes si pareilles aux siennes.
Il était indiqué de lui narrer le bouleversement de mon âme et de lui
relater le coup de foudre reçu le matin.--Peut-être que, nous aidant
l’un l’autre, nous aurions trouvé le chemin vers la Vérité adorable.

Eh bien, rien de cela n’arriva. J’eus un mouvement d’irritation à
constater chez lui ce que j’éprouvais moi-même, et d’une façon encore
plus intense. Je ne sais qui--ou plutôt je le sais très bien
maintenant--s’empara de ma langue et me força de proférer une kyrielle
de blasphèmes--non pas de grosses injures, mais de sarcasmes à tournure
littéraire--qui me venaient au cerveau avec une abondance
extraordinaire. J’ajoutai une apologie véhémente du polythéisme grec et
enfin je lui citai, non sans orgueil, une phrase prise d’un de mes
écrits les plus érotiques et où la Sainte Vierge était mise sous les
pieds de l’Aphrodite.

Je revois, par la pensée, l’endroit où j’éjectai ce paquet de vipères.
C’était au milieu de l’allée de vieux ormes qui longe la rive gauche du
Grand-Canal.

C..., que la violence de mon discours et l’attrait sensuel de ma
dialectique avaient ébranlé, reprit:--Oui, à coup sûr, vive Aphrodite!
Cependant il me faudrait quelques lectures qui m’affermissent contre ces
retours du christianisme dont je me sens réellement troublé, je vous
l’affirme encore.

Alors, je repartis de plus belle. Je lui conseillai de se procurer tout
Renan et de s’assimiler, en prenant des notes, cette confiture opiacée.
Je lui recommandai d’apprendre par cœur la _Prière sur l’Acropole_. Je
lui prescrivis Pétrone, Catulle, Horace. Je lui vantai les aphorismes de
Nietzsche et l’_Essai d’une morale sans obligation ni sanction_ de
Guyau.

Ces objurgations étaient d’autant plus bizarres que, pour moi, je ne
croyais plus à l’efficacité de ces drogues. Mais, comme je viens de le
dire, j’étais _obligé_ par une force, qui m’était à la fois intime et
étrangère, de détourner ainsi mon ami de la voie Unique.

C... me quitta, rendurci dans sa mécréance et non sans avoir fait chorus
à quelques plaisanteries sacrilèges par quoi je conclus ma diatribe.

A peine seul, je ressentis presque de l’effroi. Car, à récapituler notre
conversation, je découvris, de la façon la plus claire, que quelqu’un
semblait s’être substitué à moi pour écarter de Dieu mon ami, puisque je
venais de parler contre ma pensée actuelle.

--Enfin, m’écriai-je, qu’est-ce que cela veut dire? Tout aurait dû me
porter à encourager C... dans son penchant vers l’Idéal chrétien, étant
donné que moi-même, il n’y a pas trois heures, j’ai été bouleversé,
jusqu’aux larmes par un désir analogue... C’était moi et ce n’était pas
moi qui parlais. Suis-je donc le Sosie de quelque Hermès invisible? Car
quoi, je ne divague pas: j’analyse avec netteté mes idées, mes
sensations aussi... C’est à croire que le Diable existe et qu’il a le
pouvoir de nous transformer la cervelle en un phonographe où il inscrit
ses arguments... En tout cas, j’ai, à présent la certitude d’avoir
discouru à rebours de ce que m’indiquait ma conscience... Je m’en vais
donc courir chez C..., le prier de ne tenir aucun compte de mes paroles
et de marcher dans le sens où il se juge attiré.

Déjà je me dirigeais vers le logis de C... quand une mauvaise honte
m’arrêta net:--Il va se demander ce que signifie ce revirement brusque.
Et si j’insiste, il me prendra pour un fol inconsistant.

Puis une bouffée de scepticisme me fit faire un geste d’insouciance:

--Bah! repris-je, tout cela n’a pas d’importance: c’est une des scènes
de la farce qu’un Démiourge facétieux et lugubre se joue aux dépens des
hommes. J’ai bien assez d’ennuis avec mes propres états d’âme sans
assumer encore, par-dessus le marché, ceux de mon ami C... Qu’il se tire
d’affaires comme il l’entendra...

Et je tournai les talons.

Je venais d’être si docile aux instigations du Diable que, rentré chez
moi, il poursuivit son avantage. Sans désemparer, j’écrivis les
premières lignes d’un article contre l’Eglise destiné à je ne sais plus
quel papier qui vendait de l’anticléricalisme. Puis j’allai me coucher.

Or voici que, dans la nuit, ô Grâce du Bon Dieu, vous me revîntes. Je
m’éveillai en sursaut à la suite d’un rêve où je vis se peindre, en
images radieuses, la vision de Dante lue la veille. Tout s’y trouvait:
la vaste mer aux lames souriantes, la montagne escarpée du Purgatoire
dont le sommet se perdait dans une brume irisée où passaient des lueurs
d’or, l’Ange éployant ses grandes ailes blanches, la barque pleine
d’esprits qui chantaient le psaume de la délivrance. Et les deux Poètes
fixaient sur moi des regards chargés d’une tristesse infinie, tandis que
résonnaient les accords onduleux d’une musique semblable au chant de la
brise dans les futaies de pins.

Le cœur battant à coups pressés, je méditai, quelques minutes, sur la
beauté de ce songe. Un lourd sanglot, qui ne pouvait pas éclater,
m’oppressait. Et soudain, comme si un ordre impérieux venait de m’être
signifié, je me précipitai à bas de mon lit. Je courus, pieds nus, à mon
cabinet de travail; je pris l’article immonde et je le déchirai en vingt
morceaux que je jetai au panier.

Recouché, je me dis:--Demain, je retournerai dans la forêt. Là, parmi
cette fraîche mélodie des ramures qui me fut toujours lénifiante, parmi
les genêts en fleurs, j’examinerai mon âme à fond.

Si je découvre qu’elle veut croire, eh bien, je me jure de ne pas lui
barrer la route. Aussitôt, je me sentis très calme; une grande joie me
pénétra le cœur; et je m’endormis d’un sommeil paisible...

Agneau de Dieu, vous aviez eu pitié de moi; vous veilliez à mon
chevet...



IV


Avant de continuer ce récit, il importe de mentionner que, pour la
rédaction des chapitres qui précèdent comme pour ce qui va suivre, je me
suis servi des carnets de notes où je consigne, depuis des années, les
principaux événements de mon existence et les réflexions qu’ils me
suggèrent. Aidé, en outre, par l’excellente mémoire dont le Bon Dieu a
bien voulu me favoriser, j’ai pu retracer, sans omissions graves ni
erreurs, les crises de conscience par lesquelles je passais. Et c’est
ainsi qu’il m’a été facile d’indiquer, d’une façon exacte, les endroits
où se jouèrent les actes du drame dont j’étais le sujet.

Puis, à la lumière de la Grâce, certains faits, qui me semblaient
obscurs au moment où ils se produisirent, se sont éclairés. C’est
pourquoi je prie humblement le lecteur de bonne foi de se tenir pour
assuré que c’est un homme non seulement sincère, mais renseigné sur
lui-même qui parle ici.

Donc, le matin qui suivit ce songe où Maître Alighieri m’avait assisté,
comme il le fut lui-même par Virgile, je me levai, dès qu’il fit jour,
et je gagnai ma futaie de prédilection: celle des Fosses Rouges.

Il faisait un temps admirable. Le ciel, très haut, très bleu, où le
soleil rayonnait comme le corps glorieux d’un Archange, versait une
pluie d’or diamantée sur les jeunes frondaisons. Toutes les pousses du
printemps à son apogée finissaient de s’épanouir. La forêt s’était parée
des couleurs de l’espérance et de l’allégresse. O fête des clartés
nouvelles, des sèves exubérantes et des feuillages tendres, que tu me
semblas merveilleuse!

Sous les arbres, il régnait une lumière adoucie qui se teintait de
toutes les nuances du vert et qui, aux lointains, devenait presque
mauve. Les ramures, frémissantes sous les caresses d’un vent tiède,
projetaient sur le sable du chemin et sur l’herbe fine qu’étoilaient des
pervenches et des fleurs de fraisiers, des ombres roses. Les fougères
balançaient leurs palmes délicates. Des merles sifflaient, insoucieux,
et des ramiers roucoulaient amoureusement; l’on eût dit, parmi les grès
sonores, des chants de cascatelles et des carillons de clochettes en
cristal.

Je suivais, à pas lents, le sentier si bien tracé par Charles Colinet.
Il traverse la futaie dans sa plus grande largeur, non pas selon
l’agaçante ligne droite, mais en décrivant nombre de courbes
capricieuses, en épousant toutes les pentes. Si bien que nul aspect de
ce site accidenté n’échappe aux regards admiratifs du promeneur.

J’étais dans le ravissement de cette beauté. Je saluais les vieux chênes
barbus de mousse argentée et graves comme des patriarches. Les hêtres et
les charmes, en cépées à sept ou huit tiges, me semblaient des tuyaux
d’orgue où la sylve exhalait le cantique de sa joie. Lorsque les
souffles abaissaient puis relevaient en cadence les feuillages éoliens,
je croyais sentir passer sur ma face l’ombre vermeille de grandes ailes
angéliques. J’aspirais, à pleins poumons, l’arome salubre des
sèves.--Que c’est beau! Que c’est beau! me répétais-je, les mains
jointes. Et cette effusion, n’est-ce pas, c’était déjà presque une
prière.

Certes, on eût dit que parmi toute cette splendeur et toute cette
douceur, le Saint Esprit s’épandait en effluves radieux et bénissait la
forêt sacrée.

On comprend que, tout ému encore de mon rêve de la nuit précédente, je
goûtai, jusqu’au plus profond de mon être, les sensations heureuses que
me prodiguait ce printemps délectable. Mon âme s’ouvrait, humble et
docile, aux bonnes pensées; jamais je n’avais été mieux préparé à
recevoir les appels de la Grâce.

Ce fut d’abord presque avec timidité que je regardai en moi-même.
J’appréhendais un peu d’y retrouver quelques restes des ténèbres
méphitiques où je m’étais égaré la veille. Il y eut bien une vague
velléité de ricanement diabolique à l’encontre de la joie qui
m’emplissait le cœur. Mais l’emprise de la Grâce était trop forte à ce
moment; la tentation se dissipa comme une vaine fumée; le Diable humilié
fit silence.

Rassuré de ce côté, je me dis: «Voyons, il s’agit, cette fois, d’établir
le bilan de mes doutes et de mes convictions. Repassons les articles du
_credo_ scientifique; épluchons d’abord paganisme, bouddhisme et
panthéisme. Analysons-nous en toute franchise, sans faux-fuyants et sans
détours.

Je récapitulai donc panthéisme, bouddhisme, paganisme. Et je m’aperçus
tout de suite que ces erreurs n’avaient pris de force que par l’ivresse
de mes sens ou par mon dégoût des Agités pervers qui mènent au gouffre
la société contemporaine. Le voile que ces illusions avaient déployé
devant les yeux de mon esprit se déchira d’un seul coup et la brise
printanière en emporta les lambeaux.--Hélas, il se retissa par la suite;
cela m’arriva chaque fois que je me bouchai les oreilles pour ne pas
entendre la voix divine qui me sollicitait. Pourtant, jamais plus
l’étoffe n’en redevint aussi résistante que naguère.

Quant à la science, je n’eus pas beaucoup à m’interroger. Après avoir
recensé avec soin les théories matérialistes, je m’aperçus, plein d’un
étonnement joyeux, que l’édifice ne tenait plus debout. Je n’eus qu’à
donner un coup de pioche et tout s’effondra. _L’écroulement fut
total--et définitif._ Je peux affirmer que, depuis, en aucune occasion,
cette lourde bâtisse ne s’est réédifiée en moi.

--Maintenant, que me reste-t-il? m’écriai-je.

Aussitôt, il me fut répondu, tout bas, au dedans de moi:--Dieu!

Je tressaillis et j’eus un mouvement de recul. Mais la voix intérieure
et si douce reprit:--Dieu!

Et il me sembla que les feuillages chanteurs répétaient autour de
moi:--Dieu! le Seigneur Dieu!

J’hésitai, je cherchai par où me dérober tant ce nom me faisait peur.
Puis prenant mon parti:--Soit, dis-je, je veux bien aller à Lui. Mais
comment m’y prendre?...

Il arrive parfois, lorsqu’on erre dans les parties rocheuses de la
forêt, sans suivre de chemin tracé, qu’on aboutit au fond d’un défilé où
les blocs de grès paraissent se rejoindre pour vous empêcher d’avancer.
On n’aperçoit d’abord nulle issue. On pourrait revenir sur ses pas, mais
on n’y consent point parce qu’on se doute que, de l’autre côté de ces
pierres, il y a des choses merveilleuses à voir. On s’approche et, dès
qu’on est tout près, on découvre un passage étroit, obscur, encombré de
ronces, mais tout de même praticable.--On s’y glisse, en butant et en
chancelant; on se rattrape aux ronces qui vous ensanglantent les mains,
on s’appuie aux parois du roc, on tombe, on se relève,--et enfin l’on
débouche sur une esplanade, baignée de clartés, du haut de laquelle on
admire à l’infini un paysage grandiose.

Cette image rend on ne peut mieux non seulement cet épisode de ma
conversion mais aussi ce qui devait m’arriver jusqu’au jour où l’Eglise
accueillit dans son giron le pauvre pécheur repentant.

Tout en tergiversant, comme je viens de le dire, j’arrivai dans le bas
des Fosses Rouges, au carrefour du Pivert. Là, le sentier bifurque: à
gauche, il grimpe vers Mont-Chauvet, à droite, il s’enfonce dans la
futaie du Nid de l’Aigle.

Je pris à droite; et après avoir marché quelques pas, je quittai le
chemin pour entrer dans la brousse. Je trouvai, au pied d’un chêne, une
pierre moussue où je m’assis et je me demandai ce que j’allais
construire pour remplacer le temple des vaines idoles dont les derniers
débris roulaient, pêle-mêle, hors de mon âme.

J’étais dans un état de parfait équilibre, plein d’une quiétude rarement
ressentie. Et je me sentais si lucide que je pouvais suivre sans peine
toutes mes associations d’idées. C’est là encore un des bienfaits de la
Grâce. Certes, les minutes où elle nous soulève hors de nous-même et
nous remplit de rayons, en un ravissement ineffable, sont splendides.
Mais combien douces également les heures qu’elle choisit pour couler en
nous comme un fleuve paisible et majestueux où nos pensées se reflètent,
plus précises qu’elles ne le furent jamais. Alors le calme dont on
jouit, la perspicacité nouvelle qu’on se découvre permettent de
dégrossir les matériaux pour le tabernacle où le Seigneur descendra
quand il le jugera suffisamment purifié.

A l’endroit où j’étais assis, les buissons m’entouraient de toutes parts
de sorte que du sentier, l’on ne pouvait m’apercevoir.--On verra
pourquoi je donne ce détail.

Le dos appuyé au tronc du chêne, les prunelles levées vers le ciel
radieux qui semait des médailles de soleil sur le sable, je me dis:--Un
fait existe, c’est que, depuis qu’il y a des hommes pour se poser le
problème du: _Pourquoi sommes-nous mis au monde_, cent religions et
autant de philosophies ont tenté de le résoudre.

Elles ont varié sans cesse, suivant les milieux, les circonstances, les
modes, et surtout suivant les caprices de l’esprit humain. Des croyances
sont nées, se sont développées, ont péri. La raison et la science se
sont évertuées à donner une explication de l’univers. Jamais elles n’ont
réussi à rien établir de stable puisque telle hypothèse, tenue hier pour
la vérité, est remplacée aujourd’hui par une hypothèse nouvelle qui,
demain, sera elle-même détrônée par une autre conjecture.

Cela une expérience séculaire le prouve.

Or il faut reconnaître que seule, parmi cette versatilité perpétuelle,
l’Eglise catholique demeure immuable. Ses dogmes ont été posés dès sa
fondation. On les trouve déjà, en substance, dans les Evangiles. Depuis,
les Apôtres et les Pères n’ont fait que les développer, les affirmer, en
déduire une liturgie et une discipline. Jamais nul d’entre eux n’a
varié: tous sont restés constamment en communion parfaite d’idées et de
sentiments. Tandis que les savants et les philosophes sont livrés aux
disputes continuelles. Tandis que les hérésiarques ne cessent de se
morceler en une foule de sectes où chacun interprète Dieu à sa façon.

Et voilà dix-neuf cents ans que cela dure. L’Eglise maintient sa foi
intacte cependant qu’autour d’elle, doctrines et théories tourbillonnent
comme des feuilles mortes emportées par un cyclone.

C’est justement cette constance de l’Eglise à maintenir les
enseignements du Christ en un faisceau que, depuis des siècles, rien n’a
pu rompre, qui courrouce si fort ses adversaires. Fils de l’inquiétude
et du changement, une telle mystérieuse unité les étonne et les irrite à
la fois. N’ai-je pas, moi-même, publié maintes pages où je reprochais à
l’Eglise de ne pas évoluer, où je la traitais de corps inerte, d’organe
vestigiaire entravant la marche de la civilisation? Et encore chez moi,
ce n’était que l’orgueil étourdi d’un fanfaron d’indiscipline qui se
figure que sa façon de penser prime celle de saint Paul, de saint Jérôme
et de saint Bernard, lesquels ne passent cependant point pour des
imbéciles.

Mais prenons des esprits destructeurs comme les encyclopédistes,
qu’ont-ils fait d’autre que d’uriner contre les murs de l’Eglise dans
l’espoir d’en ébranler la base. A quoi se ramènent leurs attaques?--A
des rabâchages sur l’omnipotence de la sensation, à des plaisanteries
d’un goût douteux touchant telle légende ou telle prophétie dont ils ne
comprenaient probablement pas le sens. Ils ont jeté par terre une
société. Ont-ils construit?--Point: puisque leurs menées ont créé cette
France en décomposition et, par contre-coup, cette Europe incohérente où
les nations chrétiennes se désagrègent et penchent vers la subversion
totale et vers la barbarie que leur prépare le socialisme.

D’autre part, si je considère, par exemple un Balzac, génie dont l’œuvre
domine le XIXe siècle, que me fournit-il?

L’affirmation, avec preuves à l’appui, que notre fléau l’individualisme,
né de la Révolution, source des variations perpétuelles, a pour première
cause ces fameux principes encyclopédiques dont les différents régimes
qui se succèdent au pouvoir depuis plus de cent ans, se sont si
follement infatués.

Qu’est-ce que Balzac en a conclu? Ceci: que l’Eglise étant immuable
pouvait seule allumer le phare dont la lumière serait assez puissante
pour rallier toutes ces barques à la dérive dans la brume que sont nos
institutions et nos sciences.

Voilà donc une grande intelligence, douée d’une perspicacité supérieure,
cela, même les indifférents l’avouent. Elle n’a fait que répéter, avec
une force impérieuse, ce que les défenseurs de l’Eglise proclament
depuis les origines, à savoir qu’en dehors d’elle, il n’y a point de
salut.--Et je suis bien obligé de reconnaître que les faits leur donnent
raison.

Donc l’Eglise n’ayant jamais varié, son unité, sa constance doivent
avoir une cause plus qu’humaine puisque l’humanité, livrée à elle-même,
n’est que changement.

En outre les préceptes de sa morale sont salutaires et il est certain
que si nous les appliquions, nous n’en vaudrions que mieux. Par suite
ces préceptes doivent être propres à fournir une règle de vie aux
pauvres âmes qui, comme la mienne, errent douloureusement de grèves
désertes en récifs, faute d’avoir trouvé le havre tranquille où elles
pourraient jeter l’ancre.

Oui, continuai-je, tout heureux d’avoir enfin aperçu un flambeau dans
mes ténèbres, l’Eglise doit détenir la vérité consolatrice et
salvatrice. Et si elle la détient, comme elle déclare procéder d’une
révélation divine, c’est donc que Dieu existe!...

Ah comme, alors, je respirai à l’aise! La forêt me parut transfigurée;
et on eût dit que les rayons du ciel imprégnaient toujours davantage ses
frondaisons harmonieuses. Une force nouvelle coulait dans mes veines.
J’aurais pu m’écrier, avec saint Augustin: «Je ne vous aimais pas
encore, ô mon Dieu, vous qui êtes maintenant la lumière de mon cœur,
vous qui soutenez et fortifiez mon esprit. Et pourtant j’entendais votre
voix me crier de tous côtés: Courage! Courage[4]!...»

  [4] Confessions: livre I, chap. XIII.

Mon âme s’épanouissait toute; et je compris qu’il _fallait_ rendre
grâces. Je tombai à genoux sur la pierre moussue et, _pour la première
fois depuis ma quinzième année_, je priai:

--Mon Dieu, dis-je, puisque vous existez, venez à mon secours. Vous
voyez: je suis l’homme de bonne volonté qui ne demande qu’à vous obéir.
Assistez-moi, instruisez-moi, éclairez-moi...

Ce fut tout: mais c’était suffisant puisque jamais plus, à partir de ce
matin, la conviction que Dieu existait ne sortit de mon âme.

Je devais encore m’égarer de bien des façons, résister en maintes
occasions, aux appels de la Grâce, me souiller de péchés nombreux.
Cependant ma foi dans la Providence divine persista. Si imparfaite
qu’elle fût, elle me soutint dans mes traverses et mes peines jusqu’au
jour où le Bon Dieu estima qu’il était temps de me ramener tout à fait à
Lui et où sa Grâce me foudroya définitivement. Je me relevai, les yeux
pleins de larmes, après cette prière et je me dis:--Puisque ma raison
comme mon cœur acceptent cette idée de la prééminence de l’Eglise
catholique, il faudrait maintenant me mettre à l’école auprès de ceux
qui sont missionnés pour expliquer sa doctrine. Car j’ignore à peu près
tout de ses principes les plus essentiels et le peu que j’en connais est
déformé en moi par les écrits et les dires des sophistes dont je
partageai l’aberration.

La logique exigeait que j’agisse de la sorte. Pourtant je me sentis en
proie à une véritable panique à la seule pensée d’aller trouver un
prêtre. Je ne sais quelle prévention me retenait. D’autre part, je
craignais d’être mal reçu.--Ah! que j’ignorais l’infinie Charité de
l’Eglise!

Et puis, il y avait du respect humain dans mon cas:--J’aurai l’air d’un
nigaud... Que diront mes amis?... Entrer dans une église et m’y
agenouiller au vu et au su de tout le monde, c’est bien ennuyeux.

Je dus me répondre aussitôt:--Un homme qui pratique ce qu’il croit être
la vérité n’est jamais ridicule; quant à tes amis, il en est parmi eux
qui sont des catholiques fervents: ceux-là ne pourront que se réjouir de
ta conversion. Les autres, tu n’as pas coutume de te conduire d’après
leurs opinions puisque tu es renommé pour l’indépendance ombrageuse de
ton caractère. Aller à la messe n’est pas plus difficile car beaucoup
qui valent mieux que toi, et qui ne sont pas des sots, le font...

Je me disais tout cela et pourtant je ne parvenais pas à me décider. Je
me débattais contre mes propres raisonnements. En même temps, je sentais
grouiller au fond de moi, comme un nœud de vipères sous une touffe
d’aubépine en fleurs, des railleries et des blasphèmes, que je
n’acceptais pas et qui pourtant m’obsédaient.--Le Diable, un moment
déconcerté, relevait la tête.

Néanmoins, je ne me laissai pas faire:--Pouah! m’écriai-je, vais-je
encore triturer toutes ces saletés? Non pas: je veux désormais en garder
mon âme indemne... Louable résolution: mais j’aurais dû la corroborer
par une entrée immédiate dans l’Eglise. Or j’avais beau m’inciter à
cette démarche décisive, je ne pouvais m’y résoudre. Je pris donc un
moyen terme:--Il faut, dis-je, avant tout, que j’acquière quelques
notions touchant le catholicisme, que j’étudie, au moins, ses dogmes
fondamentaux.

Après, après... je verrai!

Tandis que je balançais de la sorte, j’entendis marcher dans le sentier.
Je regardai à travers le taillis. Et je vis un vieux prêtre, qui venait
du Nid de l’Aigle et qui se dirigeait de mon côté. Il lisait son
bréviaire et levait parfois les yeux pour admirer la futaie chatoyante.
Dissimulé, comme je l’étais, dans le fourré, il ne pouvait m’apercevoir.

Je le regardais anxieusement s’approcher. Il devait seulement être de
passage à Fontainebleau car, les figures du clergé de la ville m’étaient
familières et je ne le reconnus pas pour en faire partie. Par la suite,
je ne l’ai, d’ailleurs, jamais revu.

Il récitait sans doute l’_Angelus_ puisque, quand il fut arrivé à la
hauteur du chêne où je m’appuyais, il prononça ces mots que je saisis
très distinctement:--_Et Verbum caro factum est: Et habitavit in
nobis_...

A l’ouïr, un frisson me passa par tout le corps. Je me répétai tout
bas:--Le Verbe s’est fait chair; il habita parmi nous!

O mon Dieu, c’était une grâce de plus que vous me faisiez. Au moment
même où je venais de remettre mon âme entre vos mains adorables, vous
avez voulu qu’une parole de Votre Sagesse me fût ainsi révélée. Père,
Fils, Saint-Esprit, soyez-en glorifié tant qu’il me restera un souffle
d’existence pour me prosterner devant Vous...

J’étais si bouleversé; ces phrases divines résonnaient si haut en moi
que je demeurai immobile; le vieux prêtre dépassa mon gîte sans se
douter que j’étais là.

Je le regardai s’éloigner, dans une sorte de stupeur. Mais quand il fut
à deux cents mètres environ, je ne sais quelle force me poussa. Il me
sembla entendre crier au dedans de moi:--Va!...

Je sortis de mon réduit, avec un grand fracas de branches froissées, et
je courus vers lui, en l’appelant:--Monsieur, monsieur, s’il vous
plaît!...

Il se retourna, parut surpris et même un peu alarmé. En effet je devais
avoir vaguement l’apparence d’un malandrin surgi du fourré pour lui
demander la bourse ou la vie. Mais il demeura, sur place à m’attendre.

Quand je fus près de lui, je ne sus quoi dire. Ma langue restait collée
à mon palais. Je me sentais tout effaré.

Il m’examina et voyant que je gardais le silence, il me demanda:--Que
désirez-vous, Monsieur?

Les larmes, alors, ruisselèrent sur mes joues et je ne pus que lui
répondre ceci:--Monsieur, je vous en supplie, priez pour moi.

Mon émoi, l’angoisse qu’exprimait toute mon attitude le touchèrent. Il
comprit, certes, qu’il avait devant lui un homme en détresse. Après
m’avoir sondé d’un regard aigu, il reprit:--Oui, monsieur, je vous
promets de prier pour vous; et je vais le faire tout de suite.

Puis, levant la main droite, il me bénit.

Ensuite il attendit que je parlasse de nouveau. Mais moi, pauvre
misérable, je demeurais muet, la tête basse, n’osant rien ajouter. Il
eut sans doute l’intuition que mon heure n’était pas venue car, me
saluant profondément, il répéta:

--Oui, mon bon monsieur, je vais prier pour vous.

Et il s’éloigna.

Quand il eut disparu au tournant du sentier, je restai quelques minutes
indécis. J’aurais voulu le rejoindre et, d’autre part, quelque chose
comme une main rigoureuse me retenait.

Je me sentais heureux au possible et à la fois triste jusqu’au fond de
mon être. Pourtant la joie l’emportait. Si bien que je m’en allai, au
hasard dans la forêt, me répétant sans cesse ces mots dont la beauté
surnaturelle me transportait:--_Et le Verbe s’est fait chair. Et il
habita parmi nous_... Et de grandes vagues de lumière déferlaient
majestueusement dans mon âme qui en restait toute lumineuse.

Sainte-Trinité, que vos voies sont sublimes. Vous avez voulu, en ce
jour, imprimer, dans l’esprit du pauvre ignorant, le mystère adorable de
Votre Incarnation. Sera-ce assez de toute une vie de prières pour
reconnaître cette munificence de votre Grâce? Sainte-Vierge, Mère de
miséricorde, Refuge des pécheurs, intercédez auprès de Votre Fils, pour
qu’Il m’octroie la faveur de ne jamais oublier le miracle que sa charité
produisit alors en moi...



V


Arrivé à cette étape de mon voyage vers la Vérité, il semblera
peut-être, à certains, que j’allais progresser rapidement et, surtout,
ne pas retourner en arrière. Combien qui, une fois revenus à Dieu,
l’auraient servi sans hésitations désormais! Mais moi, tout ondoyant
encore, bien que j’eusse acquis le sentiment très ferme que mon âme
faisait peau neuve, je ne pouvais pas me décider à risquer le pas
décisif: c’est-à-dire à rentrer dans l’Eglise.

Si réelle que soit leur foi, les chrétiens savent comme il nous est
difficile de nous garder dignes de la Grâce et de maintenir intacte
notre cuirasse de prières de façon que la rouille des péchés n’y morde
pas et que le Mauvais n’en fausse point l’armature.

A plus forte raison, l’homme en marche pour se convertir ne cesse de
trébucher contre tous les obstacles. Ne confiant à personne mes
incertitudes et mes désirs du Bien éternel, j’étais très faible contre
moi-même. Et je ne laissais pas de jeter des regards affriandés vers les
demeures de perdition d’où le Bon Dieu m’avait expulsé. C’était une
guerre continuelle où j’aurais été vaincu plus souvent encore si je
n’avais été protégé, à mon insu, par la Sainte Vierge.

Certes, la voie où je m’engageais, sous la conduite de la Grâce, était
radieuse et traversait des contrées où règne la tiédeur d’un perpétuel
renouveau: Et pourtant, il y avait beaucoup de jours où elle me
paraissait obscure et froide. Je me disais:--Si je retournais à mon
palais de l’orgueil et des sens en liesse? Mon âme grelotte. Pour la
réchauffer, j’y allumerais un grand feu. J’y tendrais des tapisseries où
serait tissé le triomphe d’Aphrodite. Et je festoierais sans plus me
soucier de ce Dieu qui me sollicite.

La tentation devenait parfois si forte que j’y cédais. Je me gorgeais de
fruits défendus, je me soûlais des vins capiteux du dilettantisme. Mais
le dégoût me prenait bientôt. Je brisais mon verre sur le plancher, je
lançais les plats par la fenêtre. Et tout frémissant d’un remords que je
n’avais jamais connu auparavant, je reprenais l’escalade de la colline
au sommet de laquelle la Croix scintille comme une étoile.

La miséricorde du Bon Dieu est si grande qu’il me pardonnait mes
défections et qu’il m’octroyait de nouvelles forces pour mieux résister
aux soubresauts de l’âme lépreuse qui agonisait en moi.

Qu’on songe que je n’avais pour me soutenir ni le Sacrement de
Pénitence, ni la Sainte-Eucharistie. J’étais seul--ah! oui bien
seul--depuis ma première enfance qui n’avait reçu que les enseignements
de l’incrédulité.

Ensuite, de onze à dix-huit ans, je n’avais point connu de foyer où
apprendre l’observation des devoirs moraux les plus élémentaires. En
effet, les miens, divisés, en guerre les uns contre les autres,
s’occupaient peu de l’enfant sensuel et rêveur que j’étais. S’ils le
faisaient, par boutades, c’était pour tenter de m’inculquer leurs
rancunes réciproques ou pour expérimenter sur moi des méthodes
d’éducation contradictoires. Ainsi, un jour, on s’étonnait naïvement que
je fusse indocile, raisonneur et plus enclin à m’en aller rêver sous les
arbres qu’à m’intéresser aux querelles de la famille. Alors on me
punissait à tour de bras. Le lendemain, l’on déclarait qu’il est bon de
laisser les enfants se développer eux-mêmes et que la nature leur
apprendra le bien et le mal. Et c’était un prétexte pour ne pas plus se
soucier de moi que si je n’eusse pas existé. J’en profitais pour
vagabonder dans la campagne et pour esquisser de vagues vers. Car, déjà,
l’esprit de poésie me possédait fort.

Cela, c’étaient mes vacances. De retour au collège, il me fallait
mâchonner la nourriture coriace que des pédants moroses, ennuyés de leur
métier, me distribuaient, parmi une grêle de pensums et de retenues.
Entre-temps, j’étais livré à la bise du protestantisme qui me gerçait la
surface de l’âme sans, heureusement, pénétrer jusqu’au cœur.

Puis ce fut le régiment où je piaffai comme un poulain échappé. Puis la
vie littéraire à Paris. Nous étions une troupe de poètes épris d’art
jusqu’à la frénésie--épris aussi de sensations outrancières. Entre tous
ces compagnons de la vie intense, j’étais le plus ardent. Si l’un
proposait: «Allons faire la fête,» je m’écriais aussitôt:--N’y allons
pas; courons-y!

Trois choses me préservèrent relativement: mon goût du travail; mon
penchant vers la solitude en pleine nature qui amenèrent ma fuite de
Paris pour vivre à la campagne. Enfin, l’amour d’une femme admirable
d’un dévouement et d’une constance qui ne se démentirent jamais, malgré
les chagrins dont je l’avais abreuvée... Elle mourut, hélas, trop tôt,
dans des conditions tragiques. Et je la remplaçai, follement, par la
dame aux yeux noirs qui me fit tant de mal...

En retraçant, à grands traits, ces épisodes de mon enfance et de ma
jeunesse, comme en récapitulant, plus haut, mes avatars politiques et
mes voltiges à travers cent doctrines, j’ai voulu montrer à quel point
j’étais peu armé pour résister au mal. Sans la Grâce du Bon Dieu, je
n’aurais à coup sûr point réussi à jeter définitivement au fossé le
lourd fardeau de péchés que je portais.

Or, malgré mes reculs et mes rechutes, je ne laissais pas de progresser.
D’abord mes heures d’égarement, loin de Dieu, se faisaient de moins en
moins fréquentes. Ensuite il m’arrivait de tenir tête aux
tentations.--Oh! mon moyen de défense n’était pas très compliqué; je
levais les yeux au ciel et je disais:--Mon Dieu! Mon Dieu!--Et le Bon
Maître me venait en aide.

Chaque fois que j’avais ainsi repoussé les conseils du Mauvais, je me
sentais inondé d’une joie intérieure et paisible que je n’avais jamais
connue auparavant.

Il est certain que la Grâce ne cessait pas d’opérer mystérieusement en
moi sans que j’en eusse l’entière conscience. C’était, je crois, ce
travail latent que Notre-Seigneur a désigné dans la parabole de _la
Semence_: «Il en est du Royaume des cieux comme quand un homme jette de
la semence en terre. Qu’il dorme ou qu’il veille, jour et nuit, la
semence germe et elle croît à son insu[5].»

  [5] _Ev. sec. Marcum, IV_, 26-27.

Dans le même temps, la phrase de l’_Angelus_: _Et Verbum caro factum
est; et habitavit in nobis_ me revenait sans cesse à l’esprit.--Dans mes
carnets de cette période, je la trouve notée, toutes les quatre ou cinq
pages, sous cette formule elliptique: Aujourd’hui, pensé à _Verbum_ et
médité.

Elle surgissait, plus particulièrement en moi, dans la solitude de la
forêt--alors que j’étais occupé de tout autre chose. Je l’entendais
d’abord au plus intime de mon être, puis je la répétais avec un grand
frémissement. Je m’arrêtais et, tout en caressant d’une main distraite,
le feuillage tendre de quelque bouleau, je tombais dans une rêverie
profonde.

--Ce doit être, me disais-je, la clef qui ouvre la porte du sanctuaire
où je voudrais entrer. Pourquoi me hante-t-elle, avec tant de
persistance, cette phrase? On dirait que le Bon Dieu tient à ce que j’en
approfondisse le sens.

Je m’étonnais; j’admirais; et je concluais que cette affirmation: _le
Verbe s’est fait chair; et il habita parmi nous_ résumait certainement
le miracle des miracles de la charité divine puisqu’il y était formulé
que pour nous guérir du péché et nous ouvrir le Ciel, Dieu avait daigné
emprunter notre humanité.

Ces réflexions me causaient un attendrissement tel que j’en demeurais
ému des journées entières...

Ce fut à la même époque que je commençai à prier le Bon Dieu dans toutes
les circonstances où j’étais affligé par des peines morales aussi bien
que par des ennuis matériels. Je m’agenouillais et je prononçais la
brève prière suivante:--Mon Dieu, puisque vous existez, venez à mon
aide, j’ai confiance en vous.

Je puis le certifier: _jamais il n’arriva que je ne fusse pas
exaucé._--Ce n’était pas toujours de la façon dont je m’y attendais:
mais c’était toujours pour mon plus grand bien.

J’aurais dû m’éperdre en hymnes de reconnaissance. Mais voyez la
mauvaise nature du demi-converti: après un remerciement hâtif, je ne
songeais plus qu’à jouir du bienfait qui venait de m’être octroyé. Ma
conscience m’en faisait des reproches et tentait de me ramener à l’idée
de Dieu. Mais je répondais:--Plus tard! Plus tard! Nous avons bien le
temps!...

Seigneur, il a fallu que, las de mon ingratitude, vous me brisiez par
les plus dures souffrances, pour que je comprisse l’énormité de ma dette
envers Vous.

Je continuais également à regimber contre mon désir réel d’étudier et de
pratiquer cette religion catholique que j’avais reconnue comme la seule
vraie. J’avais beau regarder, avec l’envie violente d’y entrer, du côté
de l’Eglise, je ne parvenais pas à me décider.

Les mêmes futiles objections, que j’ai rapportées au chapitre précédent,
se hérissaient sans trêve devant moi. Elles se corroboraient de
sophismes cent fois rabâchés et qu’il serait fastidieux de transcrire.
Je n’en rapporterai qu’un seul parce qu’il m’a poursuivi presque jusqu’à
la dernière minute qui précéda le triomphe de la Grâce. Le voici:--Me
faire catholique pratiquant ce serait aliéner mon indépendance, car je
me connais, une fois que j’aurai pris mon parti, j’irai jusqu’au bout,
n’étant point l’homme des moyens termes. Je me tiendrai pour engagé
d’honneur à obéir en tout aux prescriptions de l’Eglise. Et, si je
manque à quelqu’une, j’en souffrirai. Je me trouverai dans un état
peut-être pire que celui--pourtant peu délectable--où je me débats...
Donc je reste libre!

Piètre liberté! Je devais apprendre que l’unique indépendance consiste à
porter joyeusement le joug adorable du Bon Dieu. Car, en dehors de Lui
et de son Eglise, on n’est que le prisonnier, cruellement entravé, de
l’erreur et des passions.

A force de tergiverser de la sorte, je finis par choir dans une
mélancolie profonde. Rien d’étonnant à cette humeur noire. Mon âme était
malade et je ne faisais pas ce qu’il eût fallu pour qu’elle guérît.
J’accolais, en moi, un enfant sain à un vieillard fiévreux: le chrétien
naissant au païen moribond. Et naturellement celui-ci communiquait son
mal à celui-là. Bref, rien ne me sourit plus de mes distractions
anciennes. Une tristesse permanente me tenait le cœur comprimé. Alors
l’idée de suicide--qui devait me torturer si effroyablement lors de la
crise décisive d’où sortit ma conversion--entra en moi. Et des poèmes
funèbres en résultèrent qui traduisaient la désolation de mon âme. Je
dois en citer quelques fragments[6].

  [6] On comprend bien que ce n’est point par vanité littéraire que je
    le fais. Etant poète, il était logique que mes chagrins
    s’exprimassent en vers. Ceux-là sont caractéristiques; c’est
    pourquoi je les cite.

Navré que la forêt, elle-même, ne réussît plus à me faire oublier mes
tourments, je disais:

    Jadis de verts rameaux me caressaient la tête,
    J’offrais mes mains aux frôlements des clématites,
    Et mes yeux rayonnaient car j’étais le poète
    Bienvenu des halliers que la Muse visite...

    Hélas elle s’éteint cette flamme de vie,
    Je frissonne pareil aux arbres vermoulus
    Qui chuchotent à peine une plainte assourdie:
    Le soleil de juillet ne me réchauffe plus;
    Comme fait le lichen à l’écorce friable,
    Un mal subtil se glisse en mon cœur et le ronge...

Puis ma mélancolie s’avivant au souffle d’une de ces bises qui, aux
jours d’équinoxe, tonnent parmi les futaies, je m’écriais:

    O vent hagard, chevauche à travers les taillis,
    Froisse et disperse au loin les fleurs de l’anémone,
    Ravage la futaie et jonche de débris
    Le sentier sinueux où ne passe personne.

    Assaille et romps aussi, comme de faibles plantes,
    Mon orgueil et mes espérances,
    Qu’elle s’appelle Amour, Poésie ou Science,
    Chasse l’Illusion aux ailes décevantes.

    Morne, pareil au fût d’un chêne que le lierre
              Etouffe entre ses tentacules,
    Tandis qu’au ciel s’efface une clarté dernière,
    Je sens mon cœur saigner comme le crépuscule...

Enfin la hantise de la mort envahissant de plus en plus mes pensées, je
m’adressais à elle et je m’écriais:

             ...--O Mort, je te vénère,
    Car ta bouche est la coupe où j’ai bu la beauté;
    Parce que tu guéris de toutes les misères,
    Je veux te suivre au fond de ton éternité.
    Prends-moi dans la forêt qui me sacra poète,
    Que ce soit par un soir de brise éolienne
    Où les bouleaux plaintifs chanteront sur ma tête:
    O Belle, je mettrai mes deux mains dans les tiennes;
    Tu quitteras pour moi la couronne et les voiles,
    Tu me prodigueras tes plus profonds baisers
    Et, me réfugiant entre tes bras glacés,
    Je m’en irai, joyeux, dans la nuit sans étoiles.

Ce poème de la mort résumait d’ailleurs toutes mes désillusions et même
mes incertitudes, car outre une imprécation contre le paganisme et une
autre contre la science, il contenait deux strophes où les vertus de la
Sainte-Eucharistie sont mises en doute. Inutile de dire que je les
réprouve et que je les effacerai de mon livre.

On voit que j’étais arrivé au plus noir de la désespérance. Sur ces
entrefaites, en mars 1906, des nécessités de vie courante m’obligèrent
de me fixer pour quelque temps à Paris.

A partir de cette époque les événements se précipitent jusqu’au jour
béni où la Sainte-Vierge prit mon âme entre ses mains miséricordieuses
et l’offrit, toute frémissante de douleur, au Bon Dieu.



DEUXIÈME PARTIE

        _Agnus Dei qui tollis peccata mundi, parce nobis, Domine_...

        _Ora pro nobis Sancta Dei Genitrix ut digni efficiamur
        promissionibus Christi_...

        _Sacrificium Deo spiritus contribulatus: cor contritum et
        humiliatum Deus non despicies._

        PSAUME 50.



VI


Combien le séjour à Paris me fut pénible. Depuis douze années que je
vivais à la campagne ou dans les bois, j’avais perdu l’habitude de la
grand’ville ordurière et bruyante. Tout m’en était odieux: le tintamarre
des camions et des tombereaux, les cris de canard qu’on égorge des
automobiles, les cloches des tramways. Je haïssais les trop hautes
maisons à la façade fuligineuse. Je grognais contre les passants à
l’allure hâtive, aux traits contractés par des désirs de lucre ou des
pensées de sale godaille. J’étouffais dans l’atmosphère malpropre qui
stagne parmi les rues comme sur les boulevards. Le soir j’étais au
supplice à cause de ces lampes électriques dont la morne clarté brûle
les yeux.

J’avais, dira-t-on, pour compensation, la facilité de fréquenter mes
confrères. Or leurs propos, qui ne m’avaient jamais beaucoup intéressé,
ne parvenaient plus du tout à me retenir. C’est en vain que je me
battais les flancs pour me suggérer que la littérature restait ma
préoccupation principale. Au fond, je sentais bien que ce n’était pas
vrai et que j’aurais donné toutes les «causeries d’art» du monde pour
ouïr encore le vent chuchoter dans les pins et les bouleaux.

En somme, je ne réussissais plus à me distraire de la révolution qui
s’opérait en moi sous l’influence de la Grâce. Et pourtant cette
préoccupation constante me mettait parfois en colère. Las d’entendre ma
conscience me répéter: «Il faut aller à l’Eglise ou tu périras,» je
m’écriais à part moi:--Mais c’est un véritable supplice. Est-ce que
cette voix ne va pas se taire à la fin... Et j’essayais de lui imposer
silence.

Lorsque j’inventais quelque ruse pour l’étouffer, ne fût-ce qu’une
demi-journée, je ne m’en trouvais que plus malheureux. Afin de réagir,
je m’acoquinais dans les endroits où se réunissent maints poètes. Là, je
montrais une gaîté fébrile. Je multipliais les propos sceptiques ou
graveleux; je déclamais éperdument des vers. On applaudissait, on louait
ma verve, on riait de mes plaisanteries.

Moi, cependant, je m’en allais bientôt, en haussant les épaules. Dès que
je me retrouvais seul, la chape de plomb de la mélancolie retombait sur
moi plus lourde que jamais. L’envie de me suicider me taraudait l’âme.
Et je ne pouvais que me dire:--C’est de ma faute. Pourquoi est-ce que je
continue à mener cette existence absurde au lieu d’obéir à la
voix--certainement divine--qui me sollicite d’une façon si impérieuse?

Alors, j’allais me réfugier dans un de ces jardins publics qui
réconfortent, un peu, par leurs parterres et leurs massifs, les pauvres
sylvains exilés à Paris. Là, du moins, je voyais des arbres et le
tumulte de la ville s’atténuait. Je me rappelle, entre autres, un banc
du Jardin des Plantes où je me suis assis bien souvent. C’est près de la
maison des pachydermes, sous un splendide catalpa. Que de fois je m’y
suis attardé! Comme j’y ai rêvé, médité, scruté ma tristesse...

Je récapitulais tout ce qui s’était passé en moi depuis que le Bon Dieu
me faisait signe de venir à Lui. Au plus propre de mon être, je
retrouvais vivaces les impressions ressenties naguère dans la forêt. Je
constatais que mes erreurs passées finissaient de s’en aller en
poussière; et je m’en sentais tout joyeux. A ces moments, une grande
paix entrait en moi; je pensais à Dieu d’une façon très douce et je me
mettais à prier:--Seigneur, disais-je, vous voyez que je ne vous
abandonne pas. J’entends toujours chanter dans mon âme votre parole
adorable. Je sais que vous êtes le Verbe et que vous avez habité parmi
nous pour nous racheter du péché. Ayez pitié de moi. Il me semble que
j’avance si lentement dans vos voies...

On comprend que si je m’exprimais de la sorte c’est parce que je ne
pouvais pas distinguer à quel point l’aide qui m’était fournie d’En-Haut
était puissante et combien, au contraire, la Grâce m’entraînait
rapidement vers Dieu en me maintenant dans la foi et en écartant de moi
les conseils sinistres de l’esprit de suicide. Il eût fallu un prêtre
pour m’éclairer. Mais voilà, rien qu’à l’idée de gagner le plus prochain
confessionnal, je me sentais pris d’une véritable panique et je
remettais à plus tard cette démarche que je devinais pourtant être
indispensable.

Néanmoins je sortais consolé de ces heures d’appel à la Providence
divine. Je me trouvais mieux assuré pour combattre les ennuis qui
m’assiégeaient.

J’en subissais de plusieurs sortes et de très durs.

D’abord la dame aux yeux noirs, que j’avais emmenée à Paris, redoublait
de mensonges et d’incohérences.

Elle me narrait les bourdes les plus formidables pour aller jouer et
boire en compagnie de donzelles mal peignées. Elle dilapidait nos
maigres ressources. Lorsque je rentrais dans la noire chambre d’hôtel où
nous campions, elle me faisait des scènes de jalousie très âcre et--je
puis le dire--injustifiées; sur quoi, je me mettais en fureur. Nous nous
insultions à outrance. Puis, hélas, le dénouement coutumier se
produisait: nous finissions par nous rapprocher. Nous nous prodiguions
de furieuses caresses... Elle en demeurait affermie dans la certitude de
l’empire qu’elle exerçait sur mes sens, moi, plus triste et plus écœuré
que jamais--et néanmoins trop lâche pour rompre.

D’autre part, je hantais les milieux radicaux car depuis l’arrivée au
pouvoir de Clemenceau, il était question, vu mes services passés, de me
gratifier d’une sinécure quelconque.

Certes, c’était sans enthousiasme que je m’apprêtais à servir un régime
qui, comme je l’ai raconté, me répugnait depuis pas mal de temps. Mais
je me disais:--Après tout, ils sont légion ceux qui servent le Bloc tout
en le méprisant et parce qu’il faut vivre. Un de plus ou un de moins,
cela n’a guère d’importance... Raisonnement dont j’ai honte aujourd’hui
et qu’heureusement je n’ai pas appliqué jusqu’au bout.

Où l’hypocrisie de la radicaille me devint tout à fait intolérable, ce
fut un soir où j’assistai à un conciliabule présidé par un politicien
qui, dans ses articles et ses discours, faisait parade de son
libéralisme et de sa tolérance. Or il s’agissait de la séparation de
l’Eglise et de l’Etat. Voici comment il s’exprima répondant à certains
qui se plaignaient qu’on mît trop de formes et trop de lenteur à spolier
le clergé séculier et à empêcher le culte:--Laissez-nous faire, dit-il,
en esquissant un sourire chafouin, nous étranglerons les prêtres en
douceur sans cesser de parler de liberté et, bien mieux, en leur donnant
l’apparence des premiers torts devant le pays.

Peut-être trouva-t-il qu’il avait parlé un peu trop franchement car il
ajouta:

--Cela, entre nous, n’est-ce pas?

Tous les assistants, charmés de cette bonne nouvelle protestèrent de
leur discrétion--sauf moi, qui gardai le silence. Nous avons vu, depuis,
comment le plan exposé ce jour-là, fut, en effet, mis en œuvre.

Je sortis de cette sentine dégoûté. Je crachai sur le seuil et je me
jurai de ne plus rien avoir de commun avec ces tartufes de démocratie.
Car, je dois l’avouer, au détriment de ma perspicacité, j’avais pris
presque au sérieux jusqu’alors, et malgré tant d’indices révélateurs, la
feinte bonne foi du Gouvernement dans l’affaire de la Séparation.

Je m’écartai donc, une fois pour toutes, de cette politique de Mandrins
cauteleux et je retournai à mes préoccupations.

Que d’heures lugubres je passai alors à errer dans Paris en ressassant
mes chagrins et mes incertitudes. Tout m’ennuyait: les tableaux du
Louvre où je me réfugiais de temps à autre, la lecture des papiers
publics, les colloques avec mes confrères et même la poésie. Il
m’arrivait bien d’esquisser quelques strophes; mais je ne les terminais
pas; je déchirais le papier où je les avais jetées et j’en restais là,
en me disant:--A quoi bon!

Je ne pouvais plus penser qu’à Dieu. Je me tournais vers Lui; je lui
demandais de réveiller mon âme engourdie et de m’assister dans mes
peines. Et notre bon Père qui est dans les cieux ne me faisait pas
défaut. Non seulement Il me consolait mais encore Il ancrait de plus en
plus en moi la certitude de sa toute-puissance. Je l’atteste: dès cette
époque et jusqu’à l’heure où j’écris ces lignes, jamais un doute à cet
égard ne m’effleura l’esprit.

Cependant, quoique favorisé de la sorte et en ayant presque conscience,
je ne me décidais pas à faire la démarche qui eût amené ma conversion
définitive. Le Mauvais, qui se voyait menacé de perdre une âme naguère
vouée à ses maléfices, m’écartait des églises. J’éprouvais une vague
frayeur à la seule pensée d’entrer dans quelqu’une. Et cette répugnance
se traduisait par un scrupule bizarre.

M’agenouiller sous ces voûtes imprégnées de prières, me disais-je, moi
qui me suis rendu coupable de tant de blasphèmes, de vilenies et de
malpropres luxures, ce serait commettre une sorte de sacrilège. Jamais
je n’oserai.

Une après-midi, pourtant, après avoir erré, peut-être une heure, sur le
parvis de Notre-Dame et dans le square qui verdoie derrière le chevet de
la basilique, je pris mon parti; je franchis le seuil et je suivis le
bas-côté qui longe le petit bras de la Seine.

L’église était presque déserte. Deux ou trois femmes priaient devant la
statue de la Sainte Vierge qu’on voit à droite de la grille du chœur,
quand on fait face au grand autel. Je m’arrêtai pour les regarder et
leur ferveur me toucha. Je pensai:--Que je voudrais faire comme elles!

Je fus, alors, sur le point de tomber à genoux. Quelqu’un parlait en moi
qui me disait:--Va, humilie-toi; ne crains rien: tu seras exaucé.

Mais, aussitôt, j’entendis ce ricanement aigre, qui m’avait poursuivi si
souvent, et la voix de l’Autre proféra ces mots issus des caves les plus
ténébreuses de mon âme:--Allons, ne fais pas l’idiot. Si cela t’amuse de
croire en Dieu, tu peux te donner ce divertissement sans qu’il soit
nécessaire, pour cela, de t’aplatir devant cette image.

--Oh! c’est trop fort, tout de même, m’écriai-je, misérable que je suis,
vais-je blasphémer dans cette église? Mieux vaut en sortir tout de
suite.

Je m’enfuis. Mais, comme j’avais déjà la main sur la poignée de la
porte, une force irrésistible me retint. Je _dus_ me retourner. Et
m’inclinant vers l’autel, je dis:--Mon Dieu, ayez pitié de moi. Quoique
je sois un très sale pécheur, venez à mon secours.

Dehors, je me sentis un peu rasseréné, car c’est un fait sur lequel je
ne saurais trop insister: toutes les fois que j’implorais de la sorte le
Seigneur, je me sentais soulagé; et cela d’une façon immédiate. Avant de
prier, j’avais le cœur broyé dans un étau. Dès que j’avais crié à l’aide
vers le bon Maître, mon pauvre cœur martyrisé se dilatait; et je sentais
descendre en moi un rayon de la lumière divine qui m’avait éclairé
durant mes courses à travers la forêt.

Vous le savez, ô Charité ineffable, j’étais--et j’espère encore être
pareil à l’humble publicain dont vous avez dit, dans votre Evangile,
que: «Se tenant à l’écart, il n’osait même pas lever les yeux vers le
ciel. Mais il se frappait la poitrine et disait:--Mon Dieu, sois-moi
propice à moi qui suis un pécheur[7]!»

  [7] _Ev. sec. Lucam_, XVIII, 13. _Et publicanus, a longe stans nolebat
    nec oculos ad cœlum levare; sed percutiebat pectus suum, dicens:
    Deus, propitius esto mihi peccatori._

O Providence adorable, que vous me fûtes propice, en effet, et comme
vous n’avez cessé de me combler de vos grâces, malgré mon indignité!...

Le lendemain de ce jour, il me vint à l’esprit de me confier enfin à
quelqu’un qui saurait m’entendre. Je pensai tout de suite à François
Coppée avec qui j’étais en relations amicales depuis une quinzaine
d’années et dont j’avais eu lieu d’éprouver la grande bonté. Je le
connaissais pour un catholique convaincu: j’étais donc sûr de trouver
des encouragements auprès de lui.

Je l’allai voir et j’en fus reçu à merveille. Mais retenu par je ne sais
quelle fausse honte, je ne pus me résoudre à lui confier entièrement
l’état de mon âme. Toutefois, je lui dis combien j’étais triste, dégoûté
de ma vie sans but et assoiffé de conquérir la paix morale.

Coppée sut me réconforter. Il fut, très simplement, le grand frère
indulgent et pitoyable que j’étais accoutumé de connaître en lui. Comme,
tout ému, je lui serrais les mains en le remerciant, il me dit:--Pour
nous autres catholiques c’est un devoir d’assister qui fait appel à
nous. En ce qui vous concerne, je le remplis avec d’autant plus de
plaisir que je sais qu’il n’y a point de perversité innée dans vos
écarts et dans vos erreurs. Cependant, si vous pouviez croire, vous
verriez qu’au-dessus de notre littérature, il y a quelque chose de bien
autrement sublime: un Dieu qui nous soutient dans nos tribulations.

Ah! j’aurais dû lui répondre:--Mais je crois... Ce Dieu dont vous me
parlez, je le prie; et je ne demande qu’à mieux le servir.

Je me tus: l’absurde bâillon que je maintenais sur ma bouche, dès qu’il
s’agissait de choses religieuses, ne se desserra point.

Pourtant, à peine deux heures après avoir quitté Coppée, je lui écrivis
une longue lettre--qu’il doit avoir conservée,--où je lui peignais mon
trouble et où je lui laissais entrevoir que je n’étais pas aussi loin de
la foi qu’il avait pu le supposer.

C’est la seule fois, durant toute cette période, où je me sois un peu
ouvert à autrui. Il fallut la détresse d’âme qui résulta des dernières
convulsions du _vieil homme_ en moi pour que je me confiasse à un autre
de mes amis catholiques de qui je parlerai bientôt.

Sur ces entrefaites, je tombai malade. Paris ne me valait décidément
rien: j’y dépérissais à vue d’œil tant par la nostalgie de la forêt que
par mes soucis matériels. Ceux-ci s’accroissaient du fait que je
m’abstenais rigoureusement de donner aucun article aux journaux
anti-catholiques où j’avais écrit jusqu’alors.

Le physique fléchit donc après le moral. Je souffris de violents
élancements au cœur accompagnés de crises de suffocation, à la suite
desquelles je vomissais le sang.--Je précise ces maux, parce que, comme
on le verra, j’en fus délivré, d’un seul coup, par une faveur du Bon
Dieu, _le jour même_ où je fis le pas décisif pour entrer dans l’Eglise.

D’après l’avis d’un médecin, je quittai Paris et je m’installai dans une
petite localité de la banlieue où il me fut possible de respirer un air
plus pur. Ce n’était pas tout à fait la vraie campagne. Néanmoins j’y
trouvai un peu de calme, du silence et quelques arbres.

Je passais mes journées couché sur la pelouse d’un petit jardin où
fleurissaient des géraniums et des roses. Un doux peuplier murmurant
agitait son feuillage au-dessus de ma tête. L’admirable été de 1906
m’imprégnait d’azur, de lumière et de tiédeur. Trop faible pour
travailler, épuisé par les insomnies et par le sang perdu, je restais
là, dans l’herbe, du matin au soir. J’étais si absorbé en moi-même que
je ne donnais plus guère d’attention aux extravagances de ma déplorable
maîtresse.

J’avais l’intuition que les douleurs corporelles qui m’accablaient
m’étaient bonnes et qu’elles achevaient de me purifier de mes ordures
passées.

Puis je prenais de plus en plus en grippe les mobiles qui m’avaient
déterminé jusqu’au jour où la Grâce me toucha. Illusions politiques,
orgueil littéraire, passions sensuelles m’apparaissaient comme des
corbeaux dont les croassements se taisaient depuis que s’élevait
quotidiennement en moi le cantique merveilleux de la prière.

--Ah! me disais-je, songe à toutes les années que tu vécus en proie à
ces prestiges inanes. Et qui sait? Si le bon Dieu ne t’avait pas frappé
justement, et moins encore que tu ne le mérites, tu aurais peut-être
regagné les chemins de la perdition.

Raisonnant de la sorte, j’aurais chu dans la misanthropie si je ne
m’étais représenté que des souffrances sans nombre compensent les
aberrations et les péchés où s’égarent les hommes.

Ayant vérifié sur moi-même à quel point toute jouissance mauvaise, toute
malice contre Dieu se paient par des tourments physiques et moraux, je
m’écriais:--Mon Dieu, qu’est-ce que ce monde, sinon une jungle où des
bêtes de cruauté et de ruse s’entredéchirent, où le mal régnerait seul
si vous ne nous rameniez à vous par la douleur?

Et je concluais--surtout aux heures où la maladie m’éprouvait
davantage--par la récitation des strophes splendides de Baudelaire:

    Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
    Comme un divin remède à nos impuretés
    Et comme la meilleure et la plus pure essence
    Qui prépare les forts aux saintes voluptés.

    Je sais que vous gardez une place au poète
    Dans les rangs bienheureux des saintes légions,
    Et que vous l’invitez à l’éternelle fête
    Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

    Je sais que la douleur est la noblesse unique
    Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
    Et qu’il faut pour tresser ma couronne mystique
    Imposer tous les temps et tous les univers...

Et j’ajoutais:--Soyez béni, mon Dieu, de m’avoir révélé ma faiblesse par
les maux que vous daignez m’infliger. Soyez béni d’avoir brisé mon
orgueil en me montrant le néant des illusions où je me complaisais.
Soyez béni, d’avoir comblé, par la grâce de votre tendresse insigne,
l’espace effrayant qui nous sépare, nous pauvres humains accroupis dans
la fange de nos vices, du ciel radieux où vous régnez dans votre gloire.

Telles furent ma prière et mes méditations pendant les mois de juillet
et d’août.

Elles ne suffirent pourtant pas à me garder d’un suprême retour de
l’ancien esprit d’impiété.

Tant que j’avais été très malade, je n’avais eu à subir aucune attaque
de ce genre. Il semblait que le Bon Dieu voulût épargner ma faiblesse.
Mais à peine je commençais à me remettre et à reprendre la plume que je
commis une faute grave.

Une revue m’avait demandé un article de littérature, me laissant le
choix du sujet. Ayant été payé d’avance, je tenais à m’acquitter, le
plus tôt possible, de l’engagement que j’avais pris. Je cherchais un
thème à développer lorsqu’un fragment des _Foules de Lourdes_ de
Huysmans, publié par un autre périodique, me tomba sous les yeux.

A cette lecture, ce fut en moi comme une éruption de blasphèmes. Il me
vint aussitôt à l’idée de le critiquer, avec virulence, non pas tant au
point de vue de l’art que pour dauber sur le sentiment religieux qui
s’en dégageait.

Ici, je dois retourner en arrière. Quand parut le livre de la conversion
d’Huysmans: _En route_ (en 1896), j’étais tout à fait en proie au délire
socialiste et révolutionnaire. Néanmoins cet exposé si intense et si
émouvant des vicissitudes d’une âme qui revient à Dieu m’avait
profondément remué. Pendant plusieurs jours, je n’avais cessé d’y
penser. Puis, réagissant, avec une sorte de fureur, contre l’impression
salutaire que j’avais reçue, j’avais publié un éreintement farouche du
volume. Et, depuis, quand parurent _La Cathédrale_ et _Sainte Lydwine_,
j’avais récidivé.

Mais ce qui était explicable--et même, en un certain sens, excusable,--à
l’époque où le matérialisme militant suintait de mon âme, le devenait
beaucoup moins maintenant que je m’étais promis de ne plus attaquer ni
directement ni indirectement le catholicisme.

Quoi qu’il en soit, il fit soudain nuit dans mon âme. Je passai trois
jours à écrire un article sarcastique où la conversion d’Huysmans était
raillée à outrance et où, hélas, la Sainte Vierge était insultée.

L’article fini et envoyé, ce fut comme si un voile se déchirait en moi.
Je vis clairement mon péché, je me fis horreur et j’éprouvai un violent
remords.

A coup sûr, j’aurais dû empêcher la publication de cet article dont je
me repentais déjà de tout mon cœur. Je n’en fis rien, me donnant pour
prétexte--peu valable--que puisqu’il m’avait été réglé d’avance, je
n’avais pas le droit de le retirer.

On verra comment, peu après, la mémoire de cette mauvaise action, où se
condensaient mes suprêmes révoltes contre l’Eglise, me tortura.

Le Bon Dieu ne m’en punit point tout de suite. En effet la santé me
revenait de jour en jour. Je souffrais encore du cœur; mais c’était
supportable et, d’autre part, je me retrouvais en possession de toute ma
vigueur cérébrale.

Peut-être dus-je cette grâce au fait que navré d’avoir--presque
involontairement, j’y insiste--bafoué l’hyperdulie d’Huysmans, je
redoublai de prières. Je me rendais compte, de plus en plus, que Dieu ne
laisserait pas la foi à l’état de «pierre d’attente» dans mon âme. Je
lui disais:--Vous m’avez appris par votre adorable insistance à me
solliciter, malgré mes rechutes et mes hésitations, que vous aviez un
dessein sur moi. Faites du pauvre Retté selon votre vouloir: il vous
aime et il vous craint. Il ne demande qu’à se soumettre.

Pénétré de ces bonnes pensées, je résolus de retourner dans la forêt. Ce
fut une intuition toute puissante. Certes, j’étais heureux d’aller
revoir mes frères les arbres, mais, surtout, _je sentais_, et cela de la
façon la plus nette, que sous leurs ombrages, il se passerait quelque
chose de décisif pour moi.

Je partis donc pour Arbonne. Enfin, enfin, j’étais presque arrivé au
moment où, par l’intercession de la Sainte Vierge, la Grâce divine
allait me jeter dans les bras de l’Eglise!...



VII


Le petit village d’Arbonne offre cet avantage sur Barbizon, Marlotte, et
d’autres localités des environs de Fontainebleau, qu’il n’est pas trop
envahi par les citadins en vacances.

Les communications étant assez difficiles, les tramways à vapeur et les
chemins de fer s’en trouvant à pas mal de kilomètres, les casinos,
musiques tziganes et tournées cabotines y faisant défaut, beaucoup
l’ignorent ou ne se soucient pas d’y villégiaturer.

Mon goût de la solitude s’y pouvait donc satisfaire à peu près. En
outre, la forêt enveloppe Arbonne presque de toutes parts. Son bornage
et ses entours recèlent un grand nombre de sites d’une beauté grave et
d’autant plus appréciable pour moi qu’étant peu connus et, souvent, d’un
abord malaisé, ils ne sont pas envahis par la race ennuyeuse des
touristes.

Sous leurs futaies grandioses, parmi leurs rocs farouches, on ne
rencontre point de bicyclistes hurleurs, point d’Anglais croassants et
si absorbés par la lecture du Baedecker qu’ils n’ont pas le temps de
regarder les gorges et les _plattières_ que ce volume leur signale.
Point non plus de ces bourgeoises sautillantes qui, flanquées d’enfants
braillards et déprédateurs, jabotent, entre elles, de modes et de
cuisine et qui poussent des cris de poule en gésine d’un œuf pour une
ronce accrochant leur robe ou pour une couleuvre traversant le chemin.

Sûr de n’être pas horripilé par quelque caravane de ce genre, dès le
lendemain de mon arrivée, le 2 septembre, je me levai à l’aube et je
gagnai la forêt dont les frondaisons déferlent, avec un murmure
solennel, presque jusqu’au seuil de l’auberge où je logeais.

Ce fut le cœur plein d’une joie radieuse que je saluai les pins et les
bouleaux qui bordent, en sveltes colonnades, pleines d’harmonies
soupirantes, de rayons assoupis sur les mousses et d’ombres légères, le
sentier que je suivais.

J’allais, tout heureux, aspirant le parfum des résines et des sèves,
cueillant, çà et là, quelques brins de bruyère, ému par les caresses
dont les feuillages inclinés me frôlaient le front.--O Nature sylvestre,
où circule le souffle de Dieu, que tu m’apparus maternelle et
consolatrice!

J’arrivai au pied du rocher de Cornebiche... Là, je m’arrêtai net car
j’apercevais, au sommet, le petit oratoire que surmonte une statue de
Notre-Dame de Grâce.

Vue ainsi d’en bas, on en distingue à peine les formes. Mais je la
connaissais bien, m’étant maintes fois assis à sa base pour admirer le
merveilleux paysage qu’on découvre du haut de la colline.

Il me vint aussitôt à l’esprit de monter vers l’oratoire. Car à
l’allégresse qui débordait de mon âme se mêlait, plus intense que
jamais, ce sentiment du divin qui dominait ma vie intérieure depuis
quelques mois. Jusqu’alors, je ne m’étais pas adressé à la Bonne Mère.
Mais la rencontrant ainsi à l’improviste, dans la forêt, je devinai
qu’il fallait lui parler et qu’elle me serait auxiliatrice auprès du
Seigneur Dieu.--Sans hésiter, j’entrepris l’escalade du rocher.

Je veux décrire ce site avec quelque détail. D’abord, c’est là qu’une
quinzaine de jours plus tard, je devais céder enfin complètement à la
Grâce. Ensuite, parce qu’il présente un sens symbolique que je tiens à
dégager.

Le sentier qui monte à Cornebiche s’amorce (à droite, quand on suit,
vers les Hautes Plaines, le chemin dit _la Passée aux vaches_), en face
d’une coupe ancienne où quelques bouleaux chétifs ont repoussé.

Il est presque effacé sous les bruyères qui l’ont envahi et, par suite,
assez difficile à découvrir. Néanmoins voici une indication pour le
faire reconnaître: cinq pins s’élèvent à l’entrée, qui ne prospèrent pas
beaucoup, deux en avant, de moyenne taille, derrière eux, deux plus
petits, puis un presque haut. Sur la gauche, un taillis de conifères
assez serrés; sur la droite, une brousse hérissée de genêts rébarbatifs
et bossuée de rocs blêmes qui rejoignent, au sud, les dernières pentes
de la colline.

Le sentier s’engage sous une voûte obscure de pins pressés les uns
contre les autres, puis il ressort dans une éclaircie, puis commence à
escalader parmi des bouleaux tors et des grès aux formes âpres et
tourmentées. On trébuche contre des racines; on glisse sur les aiguilles
de pin sèches qui jonchent le sable. Il arrive qu’on tombe. D’ailleurs,
il importe de mentionner que plus on progresse, plus la montée devient
difficile. Certains renoncent et, parvenus à mi-chemin, reviennent sur
leurs pas.

On traverse ensuite un ravin qu’emplit un fouillis de hautes fougères,
grillées par le soleil, et de ronces malignes. Au fond de ce creux
surgissent des blocs énormes qui semblent barrer le passage. On se
demande comment les franchir quand on aperçoit un couloir resserré où le
sentier se faufile. On monte; on monte, et toujours avec plus de peine,
car les ronces se cramponnent à vous pour vous empêcher d’avancer, car
des touffes de bruyères se jettent dans vos jambes pour vous retenir,
car des mousses perfides dissimulent la voie.

On monte encore et l’on se heurte à un premier arbre tombé qui, lui,
obstrue décidément le chemin en formant au-dessus une sorte d’arche de
pont d’où se détachent de longues échardes. Il n’y a pas à hésiter: le
seul moyen de passer, c’est de se mettre à quatre pattes pour se risquer
dessous.

Une fois qu’on a vaincu cet obstacle, on se trouve à peu près à mi-côte.
Quinze pas plus haut, second arbre tombé; celui-ci, on l’enjambe sans
trop de difficulté. Le paysage environnant commence à se découvrir en
son ampleur. Le sentier suit, quelque cent mètres, en corniche, le flanc
du rocher; on se repose un peu et l’on reprend haleine car un rude
effort reste à donner.

En effet, tout de suite après, le sentier recommence à monter presque
verticalement ou tourne, quasi sur lui-même, en lacets peu aménagés pour
l’ascension. On franchit un troisième arbre tombé et, quelques pas plus
loin, on se heurte à un quatrième. Celui-là est redoutable: des branches
mortes le hérissent de façon à former une herse qui empêche tout à fait
de passer par-dessus; en-dessous, entre son tronc et le sol, il ne reste
qu’un espace tellement minime, qu’on ne croit pas pouvoir s’y insinuer.
On se rebuterait si l’on n’avait la ferme volonté d’arriver au sommet.
Enfin l’on se décide: en rampant, la figure presque à terre, on se
glisse sous le tronc, dont l’écorce vous rabote l’échine[8]. Puis on se
redresse et, content d’avoir triomphé une fois de plus, on recommence à
gravir la pente presque à pic. On parvient enfin à une petite caverne
qui se creuse sous un rocher monstrueux. Là, il est bon de s’arrêter
quelques minutes, de s’asseoir pour étancher la sueur qui vous ruisselle
de partout et pour se recueillir.

  [8] Plus tard, chaque fois que je montais à Notre-Dame de Grâce, tout
    en rampant de la sorte et en baisant presque le sol, je ne manquais
    pas de me répéter: _Memento quia pulvis es, et in pulverem
    reverteris_. Excellente pratique d’humilité.

Puis le sentier serpente parmi des arbrisseaux, dont les ramures vous
flagellent, tourne à droite, entre deux grès et soudain--l’on débouche
au sommet.

C’est une large plattière, dallée de roches à fleur de sol, dont l’une,
devant l’oratoire, se creuse en un bénitier naturel qui contient presque
toujours de l’eau de pluie. Çà et là, de grandes touffes de genêts, de
jeunes pins, de minces bouleaux. Mais il y a un large espace vide au
milieu duquel s’élève l’oratoire. C’est une tour ronde, de sept mètres
de haut environ, et que surmonte une statue--insignifiante au point de
vue de l’art--de la Vierge à l’Enfant. La tour est construite de
fragments de grès reliés par du ciment. En somme, une bâtisse fruste
dont la nudité s’harmonise avec les rochers moroses et les végétations
sauvages qui l’environnent. Deux ouvertures latérales et un porche
garnis de barreaux de fer permettent de voir à l’intérieur. On y
découvre, pour autel, un cube de pierre meulière, posé sur trois blocs
de grès formant de vagues marches.

Quelle vétusté! Le plâtre des murs se détache en larges écailles et
jonche le sol parmi toutes sortes de détritus: immondices jetées à
travers les barreaux par des visiteurs qui se jugeaient certainement
fort... voltairiens, morceaux de bois à demi-brûlés, débris de couronnes
très anciennes, papiers sales, pommes de pin pourries. Le plafond, tout
vermoulu, tout fissuré, laisse suinter la pluie. Des limaces se traînent
sur le sol et les parois.

Une plaque de marbre, placée au-dessus de l’autel, porte cette
inscription:

  _Ex-voto. Cet oratoire édifié par la famille Poyez de Melun a été béni
  et consacré à Notre-Dame de Grâce, après autorisation de Monseigneur
  Allou, évêque de Meaux, par MM. Tigier, curé d’Arbonne et Pecnard,
  curé de Fleury, le 1er juin 1862, en présence des fondateurs et de M.
  Lefort maire d’Arbonne. Ave Maria gratia plena._

Voici maintenant à quelle occasion l’oratoire fut édifié. La femme de M.
Poyez, avocat melunais, étant tombée gravement malade fut abandonnée par
les médecins. Fort pieuse, ainsi que son mari, tous deux invoquèrent le
secours de la Sainte Vierge. Un mieux se déclara immédiatement--et,
grâce à l’intercession de la Bonne Mère, Mme Poyez fut bientôt tout à
fait guérie. Pleins de reconnaissance, les Poyez décidèrent alors de
construire un oratoire qui serait dédié à la Vierge.

Sur ces entrefaites, M. Poyez fut chargé par la municipalité d’Arbonne
de défendre ses intérêts dans une affaire de terrains contestés entre la
commune et le châtelain de Courances. M. Poyez gagna le procès et,
refusant les honoraires qu’on lui offrait, demanda qu’on lui fît cadeau
du sommet de Cornebiche--ce qui lui fut accordé de grand cœur. Aussitôt,
il mit des ouvriers à l’œuvre et l’oratoire fut rapidement construit,
malgré les difficultés que présentait l’accès du site.

Il y avait, à cette époque, une autre statue de la Vierge placée sur la
pierre d’autel. Chaque année, le clergé de la région organisait un
pèlerinage à l’oratoire: il y venait beaucoup de monde. Puis, après la
guerre, cette coutume tomba en désuétude.

Quant à la statue, elle fut détruite, à coups de fusil, par un paysan,
braconnier et esprit fort, renommé pour son impiété et ses mauvais
instincts. Certes, ce possédé dut éprouver un plaisir intense à
commettre son sacrilège. Mais, peu après, voici ce qu’il lui arriva. Il
s’était fait à un doigt une piqûre qui semblait d’abord insignifiante
mais qui s’aggrava subitement au point que, pris de tétanos, il ne tarda
pas à mourir dans des souffrances affreuses et en proférant des
blasphèmes.

Une particularité d’un autre genre touchant l’oratoire mérite d’être
rapportée. En 1897, lors du terrible incendie qui ravagea la forêt
pendant douze jours, le feu, ayant tout dévoré depuis la _plattière_ de
Franchard jusqu’au versant occidental du rocher de Milly, gagna
Cornebiche et en contourna les pentes, embrasant les arbres mais
laissant l’oratoire intact. Par les traces qui en subsistent, il est,
encore aujourd’hui, très facile de vérifier le fait...

Du haut de Cornebiche, on savoure un des paysages les plus imposants de
la forêt. La vue s’étend à dix lieues pour le moins. Si l’on se place
sur le roc en balcon qui domine le versant nord, on découvre une étendue
plane que quadrillent des cultures et que parsèment des villages; puis,
plus près, un océan de pins, de chênes et de bouleaux qui paraît monter
à l’assaut de la colline. Sur la droite les sombres sommets des Hautes
Plaines profilent leurs lignes sévères et le Rocher de Milly, ses
pierres arides.

Traversant la _plattière_, si l’on regarde vers le sud, on aperçoit
d’abord la vaste plaine de Champfroid. Défrichée jadis, plantée de
genêts malingres et brunâtres, trouée d’excavations où des bruyères
mortes font comme des touffes de bourre, elle ressemble, vue de la
hauteur, à un large tapis décoloré par les ans et dont le tissu
s’arrache. Au loin, en face, ce sont les grès blafards du Rocher de la
Reine et les constructions, d’un blanc cru, de l’aqueduc qui conduit à
Paris les eaux de la Vanne. A gauche, le chemin montant de la Touche aux
Mulets trace un trait d’ocre au cœur des verdures d’une épaisse futaie.
A droite, diminué par l’éloignement, le Rocher du Laris-qui-parle
moutonne sous une toison de pins bleuissants[9].

  [9] En patois briard, un _laris_ c’est une montée escarpée. Un
    laris-qui-parle c’est donc une côte où il y a un écho. Et, de fait,
    celui-ci existe: il répète même des phrases assez longues.

Quant au sens symbolique du site et de la montée, je gage que le lecteur
l’a déjà saisi. Toutefois, précisons-le.

Je note, d’abord, qu’en dehors du sentier, il n’existe _aucun autre
chemin_ pour accéder au sommet de Cornebiche--au point culminant où
notre Etoile du Matin scintille dans la lumière. Cela ne signifie-t-il
pas qu’en dehors de l’Eglise, il n’est pas de route pour parvenir aux
pieds de la Grande Intermédiaire, de la Vierge immaculée qui offre nos
souffrances et nos vœux à la Trinité radieuse?

Ensuite, ce même sentier, presque effacé sous les plantes folles, c’est
aussi l’image de l’âme où la foi s’est presque perdue sous un
pullulement d’erreurs et de vices. Cependant cette pauvre âme, soudain
contrite, veut s’élever, fût-ce au prix de mille peines, vers ce sommet
du haut duquel les clartés de la Grâce s’irradient et descendent
illuminer le taillis obscur--symbole de notre orgueil--où elle gît dans
la détresse.

Courageuse alors, elle commence à gravir son Calvaire d’expiation.
Montée pénible car: ces arbres tombés, barbelés de pointes aiguës qui
encombrent le chemin, ces rocs si difficiles à contourner, ces ronces
qui griffent et qui tirent le pèlerin en arrière, ces aiguilles de pins
sèches sur quoi il glisse et qui le font choir, ce sont ses péchés, ses
découragements, ses doutes, ses rechutes dans le mal. Ce sont aussi les
tentations et les scrupules.

Mais si l’âme persiste, si, malgré tant de vicissitudes, elle
n’abandonne point la voie étroite, que borde un précipice, elle arrive à
la petite grotte sous le rocher c’est-à-dire au reposoir où elle se
purifie par le Sacrement de Pénitence. Alors elle atteint, presque tout
de suite, le sommet bienheureux où règne cette lumière: la foi désormais
inébranlable. Elle s’agenouille devant la Vierge Auguste et la remercie
de l’aide qu’elle accorde au pécheur qui veut, de toutes ses forces,
conquérir son salut...

Bien entendu, c’est seulement plus tard qu’il me fut donné de traduire,
comme je viens de l’exposer, le sens symbolique de la montée à la
colline où règne Notre-Dame de Grâce.

Néanmoins, par cette splendide matinée, comme arrivé, tout haletant, au
sommet, je considérais la statue de la Vierge, si blanche et si calme,
dans le vaste azur sans nuages que le soleil imprégnait d’un rayonnement
d’or fluide, je me sentis l’âme soulevée d’un transport irrésistible.

Je joignis les mains et, m’adressant à la Sainte-Mère, je lui dis:--Vous
voyez, quelque chose m’a commandé de venir à Vous et je suis venu... O
Vous que je n’ai pas encore invoquée, Vous, vers qui les fidèles se
tournent en leurs afflictions, s’il est vrai que vous soyez la
Médiatrice toute-puissante, priez votre Fils de m’indiquer ce que je
dois faire maintenant.

Puis je m’assis sur un rocher et je me pris la tête dans les mains en
répétant:--Que faire? Que faire?

Alors la voix très douce, si souvent entendue au-dedans de moi, me
répondit:--Va trouver un prêtre. Libère-toi du fardeau qui t’accable;
puis entre délibérément dans le sein de l’Eglise...

Mais tout de suite le conflit habituel recommença:--Je ne puis pas,
m’écriai-je, j’ai peur de me livrer de la sorte...

--Tu cherches à te leurrer toi-même, tu n’as pas peur du tout, reprit la
voix devenue impérieuse, c’est l’orgueil qui te retient.

--Orgueil ou non, je veux rester libre...

Cet endurcissement singulier eut le résultat que l’on peut croire:
aussitôt la voix se tut, et je me sentis mortellement triste. Ce fut
comme si le soleil venait de s’éteindre.

Je redescendis, tête basse, la colline. Pourtant avant de regagner le
chemin d’Arbonne, je me tournai une dernière fois, vers la Sainte-Vierge
et je saluai en silence--sans oser lui parler davantage. Puis je
retournai à l’auberge...

Alors le Bon Dieu employa les grands moyens pour briser cette carapace
de péchés où je m’entêtais à me blottir. Parmi quelles affres, je fus
enfin jeté à genoux sur le seuil du Sanctuaire, on va le voir.



VIII


Avant de poursuivre, il sied d’expliquer ce que sont ces voix dont j’ai
parlé à plusieurs reprises. Sinon, l’on pourrait croire qu’il s’agit de
phrases entendues comme si un interlocuteur invisible cheminait à côté
de vous et vous obsédait de propos amers ou vous donnait, avec
mansuétude, de bons conseils.

Or ce n’est pas cela du tout. Jamais rien n’est perçu par le sens de
l’ouïe. C’est intérieurement, au plus profond de l’être, que s’élèvent
ces dialogues qui nous laissent consolé ou plus triste selon que la voix
procède du Bon ou du Mauvais.

L’âme est alors pareille à une futaie où résonneraient tour à tour les
chants graves et doux d’une brise céleste et les ricanements de rafales
diaboliques.

Cet état ne peut pas, non plus, être comparé à ces périodes de réflexion
où l’on cause avec soi-même, où l’on pèse le pour et le contre d’une
décision à prendre, où l’on analyse ses sensations, où l’on démonte
l’armature de ses sentiments, où l’on dissocie ses idées afin d’en
éprouver la valeur.

Ce travail psychologique n’a rien que de naturel. Il est familier à
quiconque aime à scruter les mobiles qui le font agir. Il ne viendrait
jamais à l’esprit de celui qui le pratique que des forces mystérieuses
interviennent pour modifier les opérations de son cerveau.

Mais dans l’âme où le Saint-Esprit daigne faire affluer la Grâce, tandis
que le Mauvais, qui s’y était construit une sombre et solide citadelle,
regimbe contre cette invasion de la lumière divine, il se passe un
phénomène que nulle théorie d’ordre humain ne suffit à expliquer.

En effet, le Moi garde toutes ses facultés intactes. Il demeure le
témoin étonné, mais plus lucide que jamais, du combat qui se livre en
lui. Si insolites que lui en semblent les péripéties, il a l’intuition
que ces lutteurs, qui se disputent la possession de sa conscience, ne
sont ni des fantômes créés par son imagination, ni des prestiges nés
d’un déséquilibre de ses fonctions mentales.

Ah! comme, alors, on se rend compte que le libre arbitre existe. Car
l’âme en proie à ce conflit demeure entièrement maîtresse de se
soumettre à l’un ou à l’autre des belligérants.

Si elle cède à la nature, c’est-à-dire à l’orgueil, au respect humain,
aux passions dont le Démon tire tout son pouvoir, elle le fait en
connaissance de cause.--J’ajouterai, que ce lui est d’autant plus
facile, qu’en agissant de la sorte, elle suit la pente où l’inclinent
ses habitudes les plus chères.

Si au contraire elle réprime la nature pour obéir à la Grâce, c’est tout
aussi librement qu’elle le fait. L’effort à donner est parfois
formidable. Car il s’agit de rompre avec des péchés d’autant plus
captieux qu’il serait bien plus commode d’aller le train-train coutumier
selon leur molle routine que de les fuir sous les coups de fouet
lumineux infligés par la Grâce à ceux qu’elle distingue.

Tant que l’âme, objet de ce duel, persiste à tergiverser, à ne point se
fortifier par le sacrement de Pénitence et la Sainte Eucharistie, elle
ignore la paix. Les cliquetis du combat ne cessent de reprendre en elle.
Bien plus, Dieu permet bientôt que le Démon la fouaille et la torture,
la précipite dans d’affreuses ténèbres où il semble que jamais plus
aucune étoile ne luira. C’est, je crois, dans ce sens, qu’on peut
s’appliquer l’avertissement donné par Notre-Seigneur Jésus-Christ:
«_Lorsque l’Esprit immonde est sorti d’un homme, il erre par les lieux
arides, cherchant le repos, mais il ne le trouve point. Il dit
alors:--Je retournerai dans la demeure d’où je suis sorti. En revenant,
il la trouve inhabitée, nettoyée de ce qui la souillait et ornée. Il va
prendre alors sept autres esprits plus pervers que lui. Ils entrent tous
ensemble dans la demeure et s’y établissent. Et le dernier état de cet
homme devient pire que le premier[10]._»

  [10] _Evangiles_: SAINT MATHIEU, XII, 43-45; SAINT LUC, XI, 25-26.

J’emploierai encore une image pour mieux spécifier les circonstances de
ce duel d’où l’âme doit sortir sauvée ou réprouvée.

C’est un drame à trois personnages: deux sur la scène, un dans la salle
de spectacle. L’un, le Démon, c’est l’acteur favori, royalement vêtu,
débitant les tirades pompeuses qui lui valurent toujours de frénétiques
applaudissements. L’autre, l’Ange de la Grâce, c’est le débutant de
génie dont les dires et l’action déconcertent d’abord, puis entraînent
le spectateur,--l’âme dont cette rivalité agite toutes les puissances.
Il applaudit; il sent la supériorité de ce nouveau venu sur le vieux
turlupin qui le charmait d’habitude. Il chasse celui-ci des
planches--pour le rappeler, hélas, dès que sa paresse d’esprit le ramène
aux histrionneries dont il s’était fait un besoin. Cependant, l’Ange,
quoique méconnu, ne perd point patience; il attaque constamment l’Autre;
il couvre sa voix cassée des modulations les plus riches et les plus
pures.

Si le spectateur finit par lui donner raison et par l’élire pour seul
interprète de la Beauté, ce sont alors des fêtes et des ravissements qui
passent en splendeur toutes les fantasmagories de l’Autre.

Mais si le spectateur s’entête à revenir au cabotin qui lui frelata le
goût, il est perdu. Il s’égare en des ripailles avec cet acteur de
clinquant et il devient incapable de comprendre les nobles enseignements
du messager divin qui avait assumé la tâche pénible de lui purifier le
cœur et le cerveau...

Donc pour me résumer, qu’il soit bien entendu que quand je parle, dans
ce récit, des voix qui me sollicitaient, il faut comprendre qu’il s’agit
d’un dialogue tout intérieur. Ne pas oublier non plus que je ne cessai
pas une minute d’avoir la pleine conscience que l’avenir de mon âme
dépendait entièrement du parti que j’allais prendre. Cela devait être
souligné, car si je n’avais pas eu cette liberté et si, d’autre part, la
Grâce ne m’avait éclairé, mes habitudes d’esprit comme mes passions
m’auraient maintenu dans la pratique du péché et pour toujours écarté de
l’Eglise.

Voilà, je pense, qui démontre la fragilité de l’hypothèse déterministe
puisque si j’avais suivi la nature, j’aurais obéi au mobile le plus
fort--celui que m’imposait toute ma vie passée. Au contraire j’entrai
dans la voie que ni mes intérêts les plus immédiats, ni mes penchants de
poète sensuel ne me désignaient.

Ces éclaircissements donnés, j’en viens à la crise suprême d’où sortit
ma conversion définitive.



IX


Ma pauvre âme, déchirée par tant de vicissitudes et de combats me
faisait si fort souffrir que je tombai dans un grand découragement.

--J’ai essayé de prier, me disais-je, j’ai fait appel à ce Dieu que je
devine sans le connaître. Il me semble qu’il m’a répondu. Mais voici
qu’il s’éclipse et que je deviens, de jour en jour, plus triste... Ah!
je me dégoûte par trop moi-même et la vie me répugne. Mieux vaut en
finir puisque je ne suis plus entendu Là-Haut; je vais me suicider.

Toutefois, comme je méditais ce projet sinistre, il me vint, tout à
coup, à l’idée de me confier à mon ami S... catholique fervent, avec qui
j’étais lié depuis une vingtaine d’années. Il m’avait, maintes fois,
secouru et consolé dans mes peines, et j’étais à peu près assuré qu’il
saurait m’aider à me reconnaître dans les ténèbres où j’errais encore.

Je lui écrivis donc une longue lettre. Je lui exposai comment tout
s’était écroulé de mes illusions matérialistes et de ma foi dans les
assertions téméraires de la Science. Je lui dis combien j’avais soif de
certitude et comment je m’étais adressé au _Dieu inconnu_. Puis je lui
narrai le désespoir où j’avais chu et les tentations de suicide qui me
tenaillaient.

S... me répondit aussitôt. Sa lettre et celles qui suivirent me furent
si auxiliatrices que je dois en citer les passages essentiels.

«Votre grand malheur, mon pauvre ami, me dit-il, c’est de n’avoir pas
reçu une éducation catholique. N’ayant pas cette foi, vous vous trouvez
actuellement désemparé sans rien voir à quoi vous raccrocher. De là
viennent ces tristes idées de suicide qu’un catholique, quoi qu’il lui
arrive, et à moins qu’il ne soit pris de fièvre chaude, repoussera
toujours avec horreur.--Vous vous supprimeriez: et _après_? Si vous
croyez à une vie future, quelles seront les conséquences de cet acte
_après_ votre suicide?... Vos prières à un _Dieu inconnu_, c’est de la
littérature. Or Dieu ne demande pas de littérature, mais que nous nous
adressions à lui simplement avec tout ce que nous pouvons avoir de cœur.
Vous êtes bien malheureux; c’est pourquoi, aussi vrai que je crois en
Dieu, étant donné que, dans une heure, je vais me confesser et que,
demain matin, je communierai, je vous promets d’offrir à Dieu, pour
vous, ma communion et de le prier pour que la lumière se fasse
définitivement dans votre esprit. Car vous êtes dans une angoisse
horrible: c’est la nuit obscure si tragiquement décrite par saint Jean
de la Croix. Sortez de cette nuit, pauvre ami, où vos prières à un _Dieu
inconnu_ ne font que vous enfoncer davantage. Je vous le répète: mes
prières, je les offre à Dieu pour vous de toute l’amitié que je vous
porte. Je souhaite qu’Il vous donne la force dont vous avez besoin
aujourd’hui...»

Cette lettre, d’une si admirable charité, me fit fondre en larmes. Et je
me sentis un peu soulagé du fardeau qui m’accablait. Je récrivis tout de
suite à S... et je m’ouvris davantage. Je lui dis que je ne demandais
qu’à croire au _vrai_ Dieu, que souvent j’avais eu le désir de voir un
prêtre, ne fût-ce que pour le consulter sur l’état de mon âme mais que
j’avais été retenu par la crainte de n’être pas compris et aussi par de
la répugnance à aliéner ma liberté. «Ne pourrais-je faire mon salut tout
seul?» lui demandais-je. Je lui notifiai aussi cette frayeur bizarre qui
m’empêchait de fréquenter les églises comme si je me sentais trop
souillé pour que ma présence n’y fût pas un outrage à Dieu.

S... me répondit: «J’ai peur de la crise que vous traversez, ne pouvant
m’en rendre compte qu’à travers vos lettres. Il vous faudrait, le plus
tôt possible, un guide auprès de vous, sinon vous risquez de dérailler.
Or moi, je ne puis être ce guide: 1º parce que je suis trop loin; 2º
parce que je n’ai pas la science nécessaire. Adressez-vous à un prêtre.
Mais d’avance, quel qu’il soit, veuillez ne pas voir en lui un homme,
mais le représentant de Jésus-Christ. Si vous ne trouvez pas de
réconfort auprès de ce prêtre, pensez simplement que c’est là une
épreuve et que Dieu se sert de son ministre, à son propre insu, pour
vous l’imposer. A vous de réunir le courage nécessaire pour la supporter
sans broncher. Par contre, si ce prêtre vous comprend et vous _mène
bien_, réjouissez-vous que l’épreuve vous soit épargnée. Gardez-vous
par-dessus tout de croire que par vos seules et propres forces vous
pouvez être sauvé, que par votre seule intelligence vous êtes capable de
faire la lumière en vous. Ce sont là des présomptions de _protestant_
et, comme toutes les présomptions, ce ne sont que des pensées d’orgueil
inspirées par l’esprit du mal. Enfin méfiez-vous d’une humilité mal
entendue, celle dont vous souffrez actuellement, puisque vous m’écrivez
que vous n’osez mettre les pieds dans une église, vous considérant comme
trop indigne. Cela, c’est du jansénisme, et le jansénisme est cousin du
protestantisme! Vous vous étiez écarté de Dieu; pour revenir à Lui, il
faut nécessairement que vous _alliez à Lui_. Et puisqu’il est
particulièrement dans les lieux qui lui sont consacrés, n’ayez nullement
peur d’y pénétrer. Vous constaterez, vous-même, que vous y serez mieux
pour prier...»

Cette seconde lettre me fit beaucoup de bien. J’y répondis en assurant à
S... que j’allais faire tous mes efforts pour surmonter les présomptions
qui m’avaient retenu. J’ajoutais que je voyais clairement qu’il y avait
là de l’orgueil et enfin je reconnaissais, avec lui, que c’est cet
orgueil qui nous égare dès que nous nous éloignons de Dieu.

Une troisième lettre me confirma dans mes bonnes résolutions.

S... m’y disait: «Je vois, avec plaisir, que vous êtes d’accord avec moi
pour distinguer l’orgueil à la racine de tous nos vices. N’essaie-t-il
pas de se glisser même au milieu de nos actes d’humilité?... On ne croit
bien, cher ami, que quand on reconnaît son impuissance à _expliquer_. La
foi est un acte d’humilité de la part de notre raison. C’est pourquoi
les humbles d’esprit possèderont seuls le royaume de Dieu. La route de
notre vie commence déjà à être longue; si nous nous retournons, pour la
regarder, nous constaterons que, toutes les fois, ou à peu près, que
nous nous sommes égarés ou que nous sommes tombés, ce fut par un excès
de confiance en nous-mêmes c’est-à-dire d’orgueil; vous voyez,
aujourd’hui, le peu qu’étaient ces soi-disant certitudes sur lesquelles
vous prétendiez vous appuyer. La douleur est venue et les a toutes
balayées. Devant la douleur, vous vous êtes trouvé nu et sans appui. Au
lieu de vous en désespérer, ayez-en de la joie car ce que vous avez pu
prendre tout d’abord pour un désastre, sera, sans doute, votre salut.
Ecoutez la grande voix de la douleur; elle vous enseignera en quoi
consistent les véritables certitudes. Elle est la parfaite éducatrice,
la seule qui nous donne la clef de notre destinée... Allons, cher ami,
du courage car vous avez encore de durs assauts à subir mais j’espère
beaucoup de votre bonne volonté...»

Ces lettres si touchantes et si perspicaces, me furent bien précieuses.
Non seulement elles m’élucidaient nombre de points qui m’étaient restés
obscurs au cours de mon évolution vers Dieu, mais encore, elles
m’avertissaient de l’épreuve par où j’allais passer et elles me
donnaient de l’énergie pour l’affronter.

En effet, à mesure que la Vérité pénétrait en moi, de plus en plus
irrésistible, je me remémorais ma vie d’hier dans un détail implacable.
Je frissonnais d’épouvante et de repentir en dénombrant tous les péchés
dont je m’étais rendu comptable. D’autant que certains, dont je croyais
avoir perdu le souvenir, me revenaient maintenant par grands coups de
lanières brûlantes qui me corrodaient la conscience.

Supplicié de la sorte, je fuyais des journées entières dans la forêt.
Là, je marchais à grands pas, indifférent aux beautés sylvestres,
indifférent aux murmures amicaux de mes frères les arbres. Je ne pouvais
plus qu’écouter ces voix despotiques qui tenaient tout mon être.

Parfois aussi, je m’asseyais sur la mousse et j’essayais de prier. Il
m’arriva de me dire:--Peut-être, devrais-je invoquer le Bon Dieu
autrement que je ne le fais...

Je tâchai donc de me rappeler l’oraison dominicale. Or je dus constater
que j’en ignorais la plus grande partie. Je récitais: _Notre Père qui
êtes aux cieux... Pardonnez-nous nos offenses..._

C’était tout: le reste--si je l’avais jamais su--s’était évaporé depuis
mon enfance.

Cependant j’entendais s’élever, sans cesse en moi, soit des reproches
sur ma tiédeur, soit des exposés minutieux de mes vilenies de naguère,
soit des excitations à désespérer de mon salut, soit aussi, d’adorables
invites à me remettre tout entier dans les mains du Bon Dieu.

Ecartelé par tant de sollicitations contradictoires, je gardais
néanmoins le sens très net de ce qui se passait dans mon âme et je
suivais les moindres péripéties de ce duel dont j’étais le champ clos.

Or c’était des colloques continuels entre trois interlocuteurs.--Je
crois bon de rapporter l’un de ces conflits. Je le transcrirai sous la
forme, si je puis dire, dramatique, car c’est ainsi que je le trouve
relaté dans mes notes de septembre 1906. D’ailleurs cela rendra mieux
que toutes les analyses du monde ce qu’il y avait de poignant--et de
mystérieux--dans ces dialogues.

La voix démoniaque parlait très haut, avec des intonations sarcastiques
et des éclats de rire mordants. Parfois, elle se multipliait; c’était
alors comme si toute une meute de chiens enragés aboyait en moi. La voix
angélique parlait tout bas, avec des inflexions douces et fortes à la
fois qui répandaient comme une rosée rafraîchissante sur les flammes
dont j’avais le cœur dévoré. Et moi, le lamentable moi, je balbutiais,
entre bas et haut, des supplications effarées ou des phrases de
repentir.

Au surplus voici:

_Le Démon._--Alors, parce que tu t’es suggéré de réprouver les débauches
d’esprit et de corps où tu te vautras pendant tant d’années, tu te
figures que tu vas tout de suite récupérer une âme de petit enfant après
le baptême?

_Moi._--Je ne me figure rien de semblable. Je sais seulement que je ne
puis plus vivre ainsi. Et puisque Dieu m’accorde le repentir de mes
fautes, j’espère que ce n’est pas pour me délaisser ensuite.

_Le Démon._--Détrompe-toi. Si Dieu permet que tu sois muré dans la
désolation, c’est afin de bien te montrer que tu n’as plus rien à
espérer de Lui.

_L’Ange._--Il ment! La miséricorde de Dieu est infinie à l’égard de qui
se repent. Espère et prie.

_Moi._--Oh! je voudrais tant prier... Mais, depuis quelques jours, dès
que j’essaie de le faire, je sens comme un poids qui m’écrase la
poitrine. Et je ne puis que me courber en me tordant les mains.

_Le Démon._--Tu vois bien!... C’est la meilleure preuve que tu n’as rien
à attendre de Là-Haut. Plus tu t’entêteras à supplier ce Dieu qui te
méprise, plus tu seras repoussé. Des pécheurs de ton acabit ne peuvent
se racheter. Prends donc un parti viril; admets que tout est fini pour
toi: saute dans le noir où l’on ne souffre plus.

_Moi._--Oui, ce serait peut-être le plus sage car je me sens si
misérable.

_L’Ange._--Non, espère et tâche de prier. La douleur purifie: un
catholique, ton ami sincère ne te le répète-t-il pas dans cette lettre
que tu reçus ce matin?

_Moi._--C’est vrai... Mon Dieu, je vous implore! Notre Père qui êtes aux
cieux, pardonnez-moi mes offenses.

_Le Démon._--Ah! c’est ainsi? Eh bien, je m’en vais ressusciter
quelques-unes de ces hontes que tu croyais ensevelies dans l’oubli.

_Moi._--De grâce, que cette voix se taise. Je sais suffisamment que je
suis une ordure...

_L’Ange._--Courage: subis avec constance cette épreuve; elle est
nécessaire.

_Moi._--C’est impossible: je souffre trop. Je voudrais ne pas écouter.

_Le Démon._--Tu écouteras tout de même.--Tiens, te rappelles-tu le jour
où ta pauvre femme, qui t’aimait malgré tes infidélités continuelles, et
qui priait pour toi--ce dont tu la raillais--te montra quelque argent
qu’elle avait réussi à mettre de côté. Elle voulait acheter des livres
que tu désirais et aussi une robe pour elle qui en avait si grand
besoin. Toi, aussitôt, tu exigeas cette somme, épargnée avec tant de
peine. Comme toute triste, mais sans colère, elle te la refusait, tu la
lui arrachas des mains. Elle voulut la reprendre--tu la brutalisas.
C’est en vain qu’elle t’adjura de ne pas gaspiller ces quelques pièces
d’or si péniblement épargnées. Tu t’enfuis sans l’écouter et tu allas
faire ripaille avec une guenipe des plus dégoûtantes. Quand tu revins,
au bout de trois jours, tu trouvas ta femme dans les larmes. Et toi, tu
te moquas d’elle, en disant qu’un poète avait besoin de sensations
variées...

_Moi._--Hélas je me souviens; mes sens frénétiques m’entraînaient.

_Le Démon._--Où est-elle maintenant ta femme?--Au cimetière. Si elle
mourut, c’est toi qui lui brisas le cœur.

_Moi._--C’est vrai, c’est vrai!... Oh! je voudrais me casser la tête
contre un arbre.

_L’Ange._--Accepte l’épreuve: _il le faut_. Prends courage et prie.

_Moi._--Notre Père qui êtes aux cieux, pardonnez-moi mes offenses.

_Le Démon._--Par indulgence singulière, il te pardonnerait peut-être
celle-là. Mais celle-ci: te rappelles-tu le jour où pour divertir
quelques débauchés de ton espèce, tu te mis au cou la croix pectorale
authentique d’un évêque défunt? Cette croix tu l’avais eue d’un de tes
amis qui la tenait, lui-même, d’une gnostique, experte aux sacrilèges,
et qui l’avait dérobée. Malgré les supplications de ta femme, tu
l’emportas chez des filles de joie. Et là, après t’être livré à des
plaisanteries obscènes et blasphématoires, tu en fis cadeau à la plus
éhontée de ces ribaudes... Penses-tu que ce soit une offense qui te
puisse être pardonnée?

_Moi._--Je ne savais pas. Je ne voyais dans cette croix qu’un morceau de
métal sans signification.

_Le Démon._--Tu mens. Puisque le lendemain, tandis que ta femme, à qui
tu n’avais pas manqué de conter ce bel exploit, allait à l’église en
demander pardon à Dieu, tu restas, tout le jour la tête enfouie dans les
coussins de ton divan à te répéter:--Quelle horreur! quelle horreur!
Comment ai-je pu me conduire de la sorte?... Tu avais donc conscience du
sacrilège. Et maintenant, tu serais assez naïf pour croire que Dieu
voudra recueillir un aussi malpropre individu que toi? Mais regarde-toi
donc: tu es couvert d’une boue que rien ne peut nettoyer. Tu n’as plus
qu’une ressource: saute dans le noir... Veux-tu que je t’indique un
moyen d’en finir rapidement avec la vie?

_L’Ange._--Veux-tu que je t’indique un moyen de te sauver? Rappelle-toi
qu’il y a des mois que tu luttes contre tes vices. Rappelle-toi que
cette science dont tu te disais le servant enthousiaste, tu l’as vue
s’écrouler en toi. Rappelle-toi que ce paganisme sensuel dont tu te
faisais le zélateur, tu l’as pris en dégoût. Rappelle-toi les paroles
que tu entendis dans la forêt parmi les souffles embaumés du printemps
radieux. Dès lors, tu as cru au Verbe incarné et tu l’as humblement
adoré. Espère et prie.

_Moi._--Notre Père qui êtes aux cieux, pardonnez-moi mes offenses... Je
me repens! Mais pourquoi cette torture?

_L’Ange._--Il le faut. Courage!

_Le Démon._--Du courage? Il n’en aura bientôt plus. Ce n’est pas en vain
que depuis une semaine je lui remets sans cesse sous les yeux le miroir
où il voit toutes ses fautes.

_Moi._--C’est vrai que je suis bien las...

_Le Démon._--Veux-tu retrouver le calme? Ecarte cette sotte illusion de
repentir. Reprends tes habitudes. Et pour commencer, abolis ce fantôme
que tu appelles Dieu.

_Moi._--Ah! non par exemple; jamais! Je crois en Dieu de tout mon cœur.

_L’Ange._--_Alleluia!_

_Le Démon._--Alors tu n’as pas fini de souffrir. D’autant plus que je
distingue toujours, au fond de ton âme, le désir de suicide.

_Moi._--Que Dieu m’assiste. Je crois en Lui...

                   *       *       *       *       *

Tout fut silence. J’étais au sommet des Hautes Plaines. Le soleil
merveilleux trempait de clarté les futaies sommeillantes. Des bouvreuils
chantaient, en sautillant, çà et là. De fins bouleaux frémissaient à
peine sous un vent tiède. Moi, les yeux levés vers le ciel d’azur et
d’or incandescent, je répétais: Mon Dieu, venez à mon aide, je me
repens!...



X


A la suite des tourmentes d’âme dont je viens de donner un exemple,
j’eus un peu de répit. Sans doute, je le dus, en partie, aux prières de
mon ami S... avec qui je restais en correspondance presque quotidienne.
Mais je crois aussi que le Bon Dieu voulut me laisser reprendre des
forces pour l’épreuve suprême qu’il me restait à subir. Je restai très
triste mais plus tranquille pendant quelques jours.

Cette accalmie, je l’occupai à liquider la situation vis-à-vis de la
dame aux yeux noirs. Depuis notre passage à Paris, je me détachais
d’elle de plus en plus. Tant de mensonges, de frénésies, de querelles
m’avaient lassé. Le séjour à Arbonne m’aida encore bien davantage à me
débarrasser de ce joug humiliant.

Les journées je les passais entièrement dans la forêt. Rentré, je
demeurais fort silencieux, étant tout absorbé par ma vie intérieure. La
nuit et la couchée venues, je ne touchais même pas du bout du doigt ma
maîtresse. Elle s’aperçut que son prestige baissait. Afin de le
rétablir, elle essaya quelques-unes de ces disputes qui s’étaient
jusqu’alors terminées par des réconciliations où mes sens me rejetaient
à sa merci. Cette fois, elle échoua: je demeurai indifférent à ses
provocations; je laissai grêler ses railleries et ses outrages, sans
répondre un seul mot. Maintes tentatives pour réveiller mon érotisme ne
réussirent pas mieux. Comme elle ignorait ce qui se passait en moi et
qu’elle était loin de se douter que, dès ce moment, je cherchais le
moyen de rompre avec elle sans... mélodrame, elle prit l’alarme. Ce
Retté si calme, et qu’elle ne voyait plus guère qu’à l’heure des repas,
lui semblait anormal. Elle eut l’instinct d’un danger; et pour y parer,
elle crut habile d’essayer de l’absence. Sous prétexte de mettre en
ordre notre appartement, elle partit pour Fontainebleau.

Je serai bref sur le dénouement car ce n’est point mon sujet de raconter
ici comment la dame aux yeux noirs me causa un préjudice fort grave, dû
à son intempérance. Je dirai simplement que j’en profitai pour lui
signifier son congé. Elle vint me relancer à Arbonne dans l’espoir de me
reprendre.--Et elle s’en alla de même, avec la conviction que tout était
fini entre nous--bien fini.

Afin d’être tout à fait sincère, je dois mentionner que j’eus pourtant,
quelques velléités de renouer. Peu de jours après son départ, je fus sur
le point de courir après elle. Qu’on n’oublie pas que, depuis la mort de
ma pauvre femme, elle avait été mon seul amour et que quatre ans de vie
commune avaient forgé entre nous des chaînes dont les anneaux même
rompus, tendaient à se ressouder.

Néanmoins, je surmontai cette tentation, me fortifiant par la pensée que
mon retour à Dieu m’interdisait de prolonger ce triste concubinage. Que
la Providence me fut secourable en cette occasion! En y réfléchissant,
je me suis dit bien souvent, que si je n’avais pas été soutenu Là-Haut,
je n’aurais pu m’échapper, sans meurtrissures douloureuses, de ce piège
de la chair qui m’avait agrippé jusqu’aux os.

Libéré de la sorte, il me devenait plus facile de vaquer à ma
régénération spirituelle. Eh bien, j’hésitais encore; tous les litiges,
tous les scrupules qui m’avaient supplicié persistaient à me hanter,
pareils à ces songeries rhapsodiques qui traversent le sommeil agité
d’un fiévreux.

Bien plus, mes remords qui, jusqu’à cette époque, avaient porté
principalement sur les écarts de ma vie sensuelle, se spécialisèrent. Ma
production intellectuelle s’étala devant moi. Tant de livres et
d’articles où j’avais semé le blasphème à pleines mains se récrivirent
dans mon âme en lettres de feu. Ma mémoire implacable faisait que _je
devais_ m’en réciter les passages où Notre-Seigneur, la Sainte Vierge et
l’Eglise étaient le plus furieusement outragés. Cette récapitulation
vengeresse me causait des souffrances telles que je connus, de nouveau,
la tentation de désespoir. Je fus en proie au Démon qui comptait,
certes, sur mon épouvante des jugements de Dieu pour me pousser à me
détruire.

Le pire de cette crise, c’est que je restais seul pour affronter
l’ennemi. La voix angélique, qui m’avait soutenu dans mes luttes
antérieures, avait cessé de m’encourager et l’on eût dit que le ciel
demeurait fermé à mes prières. Qu’il faisait obscur dans mon âme! Non
seulement j’étais torturé, sans arrêt, par le repentir mais je me
croyais délaissé par Celui qui, naguère encore, daignait m’envoyer
quelques rayons de sa miséricorde.

Le jour vint où j’entrai enfin dans la vraie voie de la rédemption. Ce
fut à travers des péripéties tellement atroces, que je frissonne rien
qu’à m’en souvenir et que la plume me tremble aux doigts. Il faut
pourtant les raconter car elles montrent combien la bonté divine fut
grande à l’égard du pauvre pécheur pénitent...

J’avais erré, de l’aube au soir, dans la forêt. Navré de ne plus
recevoir aucune consolation dans mes peines, je m’agenouillais parfois
pour supplier Dieu de venir à mon aide et pour lui demander de tarir la
source brûlante où j’étais obligé de boire à longs traits l’amertume
affreuse du remords. Nulle réponse, nul soulagement ne me furent
octroyés. Seule, la voix diabolique, qui parlait de désespérance et
de mort, résonnait en moi. Je criais:--Grâce! L’écho me
répondait:--Désolation sans merci!...

Je me laissai tomber sur le sable près d’un roc difforme qui, sculpté
par les intempéries, tournait vers moi une face d’Euménide. Les mains
crispées sur une touffe de bruyère, le front appuyé contre l’écorce
rugueuse d’un chêne je me dis:--Il est vrai que j’ai l’âme toute
souillée par ces écrits blasphématoires dont le souvenir me lacère, mais
du moins, depuis que j’ai reconnu la puissance du Seigneur, je n’ai pas
récidivé. Pourquoi ne m’en est-il pas tenu compte Là-Haut?

Alors, pareille à une rafale glacée, la voix du Démon s’éleva:--Tu
oublies qu’il y a quelques semaines, tu choisis l’occasion de quelques
pages publiées par Huysmans pour bafouer l’Eglise une fois de plus. Tu
vois donc bien que ta soi-disant conversion n’est qu’une fantaisie
d’esprit blasé et que quand tu reviens à ta vraie nature, tu ne peux
t’empêcher de haïr le catholicisme.

_Moi._--Je ne puis m’expliquer cette aberration. Cet accès d’impiété
dont j’ai subi si violemment les effets, c’était comme s’il m’eût été
imposé par une force extérieure. Et la preuve que je suis de bonne foi,
c’est qu’il y a quelques minutes, j’affirmais que je n’avais plus
blasphémé depuis que le Bon Dieu daigna me faire signe de venir à Lui...
Mais soit, j’ai péché une fois de plus. Mon repentir s’en accroît, et
que le Seigneur me pardonne.

_Le Démon._--Allons donc: ton repentir lui-même n’est qu’une illusion
littéraire. Tu te le fabriques pour l’appliquer, comme un révulsif, sur
ton âme tombée en langueur à la suite de tes débauches d’idées
contradictoires.

_Moi._--Ah! non par exemple. Mon repentir est véritable et, quoique Dieu
semble m’avoir abandonné, ma foi en Lui demeure intacte. Qu’il me damne,
comme je l’ai mérité, mais qu’accueillant mes remords et mes prières, Il
me laisse la force d’espérer qu’Il m’écoute.

_Le Démon._--Soit, admettons la sincérité de ton repentir. Il n’en
subsiste pas moins que ta dernière offense a comblé la mesure. C’est
pourquoi tu ne reçois plus aucun secours de Là-Haut. Mon cher, tu as
beau regretter ta faute, tu es perdu sans rémission.

_Moi._--Hélas, j’en ai peur... que devenir?

_Le Démon._--C’est bien simple: puisque Dieu te repousse, puisque ton
existence est devenue un tourment continuel, ce que tu as de mieux à
faire, c’est de t’enfuir dans la mort. Si, dans l’autre vie, tu subis
des tortures, sois assuré qu’elles ne surpasseront point celles que tu
supportes en ce moment... Et puis il y a des compensations, l’orgueil
d’avoir bravé Dieu procure aux damnés pas mal de jouissances...

_Moi._--Quelle horreur! Il est écrit sur la porte de l’enfer: «Vous qui
entrez, laissez toute espérance.» Mais moi, bien que Dieu me rejette,
bien que je sois consumé d’une flamme d’angoisse, je sens que je ne dois
pas encore désespérer.

_Le démon._--Duperie et sotte imagination! Mets-donc une bonne fois dans
ta tête que si Dieu te pardonnait, il ne te laisserait pas souffrir
d’une façon aussi abominable. C’est logique cela, c’est un fait. Il faut
que tu aies l’esprit fort affaibli pour ne pas t’en apercevoir.

_Moi._--Mon Dieu, il est juste que vous me frappiez mais faites, du
moins, que cette voix se taise.

_Le Démon._--Est-ce qu’on t’écoute? Va, tu es perdu, perdu, perdu!

_Moi._--Mon Dieu, à quoi me résoudre?

Silence absolu. L’ombre venait sur la forêt. Les grands pins sévères,
les vieux chênes pensifs semblaient se recueillir avant le sommeil.

Une brume bleue s’élevait, comme l’encens d’un office du soir, des
futaies solennelles et montait vers le zénith où souriaient les
premières étoiles. Mais cette vaste sérénité ne me pénétrait point.
J’allais à travers bois, le front courbé, les mains jointes, et je
répétais en soupirant:

--Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné?...

Quand je rentrai au village, j’étais si pâle que les gens de l’auberge
se récrièrent, me croyant malade. Je les rassurai par quelques
phrases évasives et, pour ne pas les préoccuper, j’essayai de
manger.--Impossible: les bouchées me restaient dans la gorge et, en même
temps, je sentais comme des coups de poignard qui me trouaient le cœur.

Je quittai la table et j’allai me coucher. J’éprouvais une telle fatigue
que je croyais dormir un peu. Mais il n’en fut rien: au contraire, à
peine eus-je fermé les yeux que le plus terrible des assauts que j’eusse
eu encore à subir se déchaîna.

J’étais dans un état de vague somnolence, quand tous mes péchés se
présentèrent à moi sous des formes effroyables. Dans une sorte de clarté
fuligineuse, toute mon existence passée m’apparut. C’était comme un
cloaque aux murs noirs d’où suintait une humidité puante et que
couvraient des végétations visqueuses. Sur le sol fangeux grouillait,
rampait, se tordait un peuple immonde de crapauds, de vipères et de
salamandres.

Je m’effondrais, plein d’épouvante, sous ce cauchemar quand la voix
diabolique se fit entendre:--Voilà ton âme, dit-elle. Comprends-tu
maintenant que rien ne peut plus la purifier? Tes prières ont échoué; le
stupide espoir que tu gardais dans un Dieu que tu dégoûtes t’a déçu.
Tue-toi donc, lâche!

Et il me sembla que des figures grimaçantes m’entouraient et hurlaient
parmi des éclats de rire forcenés:--Il se tuera! Il se tuera!...

Je me dressai, en sursaut, sur mon lit. Je tremblais; je suffoquais; une
sueur froide me ruisselait du front et par tout le corps.

--Oh! oui, criai-je, c’est assez souffrir. Je veux me tuer...

Aussitôt, comme dans un éclair, il me vint à l’idée qu’un de mes amis de
Fontainebleau possédait un revolver dont il m’avait montré, quelque
temps auparavant, le mécanisme. _Je vis_, avec une netteté formidable,
l’armoire où il l’avait rangé, la planche même sur laquelle il l’avait
posé.

--Demain, me dis-je, j’irai chez lui; je lui déroberai cette arme et je
me ferai sauter la cervelle dans quelque coin de la forêt.

Comme je proférais ces mots, je levai les yeux au plafond et j’avisai un
crochet fixé là pour y suspendre une lampe. De lampe il n’y en avait
point; le crochet semblait attendre.

A quoi bon attendre jusqu’à demain, repris-je. Il vaudrait mieux me
pendre tout de suite... Si seulement j’avais une corde... Immédiatement
la voix de damnation me souffla à l’oreille:--Il y en a une, toute
neuve, dans le bas du placard, à côté de la cheminée.

Je sautai à bas de mon lit pour courir au placard.--Mais alors, je me
sentis comme dédoublé. Une moitié de mon être voulait le suicide sans
retard, sans réflexion. L’autre résistait, appelait mentalement au
secours, et durant cette lutte, il me semblait que roulait autour de moi
un orage de blasphèmes et d’ignobles jurons.

Je m’aperçus alors que je me tenais, d’une main, cramponné à l’un des
barreaux de mon lit, tandis que de l’autre j’essuyais la sueur horrible
et les larmes qui m’inondaient le visage.

--Allons, un peu de courage, dit le Démon, en un rien de temps ce sera
fait.

Je lâchai le barreau; je marchai vers le placard...

Je tenais la clef qui l’ouvrait quand, soudain, une lumière éblouissante
se fit dans mon âme enténébrée. Je m’arrêtai net. Et alors j’entendis,
oui, j’entendis--je l’affirme sur mon salut éternel--la voix céleste et
bien connue qui me criait:--Dieu! Dieu est là!

Foudroyé par la Grâce, je tombai à genoux;--Merci, mon Dieu,
murmurai-je, tout sanglotant, vous êtes revenu.

Et à la même minute, je crus voir, au-dedans de moi-même, l’image de
Notre-Seigneur Jésus-Christ en croix qui me souriait avec une expression
de miséricorde ineffable.

Une grande paix entra dans mon âme; j’eus la sensation profonde que
toutes les forces mauvaises qui m’avaient assailli battaient en
retraite. Et plus elles reculaient, plus je me sentais baigné de clarté.

Je restais là, ravi, stupéfait, débordant de reconnaissance, ne cessant
de répéter:--Merci, mon Dieu, vous m’avez sauvé!... Puis je pensai à
cette montée récente au sommet de Cornebiche où j’avais imploré la
Sainte-Vierge; et j’eus l’intuition que c’était Elle qui m’avait secouru
dans le péril extrême auquel je venais d’échapper et je résolus d’aller
la remercier dès qu’il ferait clair.

Cette douce lumière qui m’avait illuminé, maintes fois, dans la forêt
m’inondait de toutes parts. Je me rappelai le jour où je rencontrai le
vieux prêtre qui m’avait béni. Ce souvenir me fit tant de bien que je
demeurai, jusqu’au matin, à genoux sur le carreau, le front posé sur le
pied de mon lit. Et je ne cessais de redire:--Merci Seigneur, merci
Sainte Vierge, vous avez daigné me tirer de l’ombre irrémédiable au
moment où la Mort m’avait déjà pris dans la courbure de sa faux...

La nuit passa sans que j’eusse la notion du temps qui s’écoulait. L’aube
glissa des lueurs d’or rose aux interstices des volets. Aussitôt je fus
dehors et je me dirigeai, à pas pressés, vers l’oratoire de Notre-Dame
de Grâce. Je gravis la colline, d’une haleine, sans même m’apercevoir
des obstacles qui barrent le sentier.

Arrivé au sommet, je me prosternai, le front sur le sable, devant la
Sainte-Vierge. J’étais si hors de moi que je ne pus d’abord que pleurer.
Mais quelles douces larmes: c’était comme un torrent purificateur qui
emportait toutes les souillures de mon âme.

Enfin il me fut possible de parler et je dis à l’Auguste Mère:--Achevez
votre œuvre. Je ne résiste plus, je suis tout à vous et je suis sûr que
vous m’indiquerez ce qu’il me reste à faire pour rentrer dans l’Eglise.

Je restai longtemps agenouillé sur le seuil de l’oratoire. Je sentais
s’élever en moi des élans de gratitude et d’adoration. Cela ne
s’exprimait pas verbalement. J’étais là, les mains jointes, les yeux au
ciel et c’était comme si toute mon âme était attirée en haut pour se
fondre toujours davantage dans la lumière de la Grâce.

Comme je redescendais la colline, j’eus soudain l’idée que le plus
simple était d’aller trouver François Coppée et de lui demander qu’il me
mît en relations avec un prêtre qui sût m’entendre. Rentré à l’auberge,
je lui écrivis pour solliciter un rendez-vous d’urgence.

Coppée me répondit par retour du courrier: il me mandait de venir chez
lui le surlendemain à deux heures de l’après-midi.

Jusqu’à mon départ, je fus dans un état d’allégresse paisible que nulle
attaque diabolique ne troubla. Cette voix sinistre qui m’avait traqué si
farouchement faisait tout à fait silence. Enfin, détail qu’il faut
mentionner, parce qu’il est l’expression de la vérité, je ne souffrais
plus du cœur; je ne ressentais ni lancinements ni étouffements. Et
depuis, je n’en ai plus jamais souffert.

L’heure sonna de prendre le train pour Paris. Je partis--j’étais
sauvé... Gloire à Dieu, gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit. Gloire
à toi, ma belle Etoile du Matin!...



TROISIÈME PARTIE

        _Cum invocarem, exaudivit me Deus justitiæ meæ; in tribulatione
        dilatasti mihi._

        PSAUME 4.

        _Gloria tibi, Stella matutina mea._



XI


La première chose que je fis en arrivant à Paris, ce fut de me rendre à
Saint-Germain-des-Prés pour y prier[11]. Cette appréhension étrange qui
m’avait empêché si longtemps d’entrer dans les églises avait tout à fait
disparu. Je franchis délibérément le seuil et j’allai m’agenouiller
devant l’autel de la Sainte Vierge.

  [11] Je ne choisis pas cette église plutôt qu’une autre. Elle se
    trouvait sur mon chemin: j’y pénétrai.

--Bonne Mère, lui dis-je, c’est vous qui m’avez amené jusqu’ici. Faites
maintenant que je trouve le prêtre qui me réconciliera avec Dieu. Vous
voyez mon âme: encore toute chancelante sous le poids de ses fautes,
elle demande à se libérer. Je vous supplie donc de m’ouvrir la porte du
sanctuaire où j’aurai part à l’amour infini.

Cette prière me fit grand bien. Je gagnai la maison de Coppée où je fus
reçu tout de suite. Le poète se récria d’abord sur ma mauvaise mine. Il
y avait de quoi car, comme on le pense bien, la crise que je venais de
traverser ne me donnait pas précisément l’air florissant. Je le
rassurai; puis, après lui avoir peint l’état de mon âme, je lui demandai
de m’indiquer un prêtre qui consentît à m’instruire et à me guider.

--Car vous comprenez, ajoutai-je, que je ne puis plus marcher tout seul.
J’ai besoin d’un appui et je suis venu à vous avec la conviction que
vous sauriez me le fournir.

Coppée, fort heureux de la bonne nouvelle, me dit:--Je vais vous
adresser à l’Abbé M. vicaire de Saint-Sulpice. C’est un saint et savant
homme de qui vous recevrez, j’en suis sûr, l’aide nécessaire.

Il écrivit une lettre pressante et me la remit en me disant:--Vous
n’aurez qu’à la porter au presbytère; l’abbé M... s’y trouve toujours le
soir, à partir de cinq heures et demie.

Je le remerciai et je le quittai non sans qu’il m’eût prodigué les plus
chauds encouragements.

Une fois dans la rue, je me demandai ce que j’allais faire pendant les
trois heures qu’il me restait à user. Il me sembla que le mieux serait
de retourner à l’église.

Je revins donc à Saint-Germain-des-Prés. Je m’assis auprès du grand
autel et, la tête dans les mains, je me pris à réfléchir sur la façon
dont je m’expliquerais auprès de l’abbé M... Mais alors, en pensant à
tout ce qu’il faudrait lui avouer, je sentis une grande honte m’envahir.

Jamais, me dis-je, je n’oserai lui confier ces choses; ou si je m’y
résous, il est fort probable qu’il se récusera, n’ayant pas de temps à
perdre avec le sale pécheur que je suis...

Cet accès de scrupule me tortura d’autant plus qu’il allait sans cesse
en augmentant et que je ne savais comment lui tenir tête. Je ne pus
rester dans l’église; je sortis et me mis à errer au hasard sur la rive
gauche. J’écoutais, tout crispé, une voix captieuse chuchoter en
moi:--Sauve-toi, va te cacher n’importe où puisque tu te rends compte de
ton indignité, puisque tu saisis que le salut n’est point pour toi...

La tentation était forte. Néanmoins, ayant subi force assauts de ce
genre, j’avais pris de l’expérience; j’eus l’intuition qu’il ne fallait
y céder à aucun prix et que le moment était arrivé où je ne _devais_
plus reculer. Rassemblant mon énergie éparse, je me dis: Cette dérobade
est absurde. Si le Bon Dieu m’a conduit au point où j’en suis, ce n’est
pas pour me délaisser lorsque je vais faire le pas décisif. J’ai
confiance en Lui: quoiqu’il puisse arriver, j’irai à cinq heures et
demie chez l’abbé M...

Mon parti semblait bien pris--de fait il l’était. Cependant, à mesure
que le temps s’écoulait, je me sentais en proie à une très sombre
tristesse qui pesait sur moi comme un ciel d’hiver sur une campagne
flétrie. Tout était en léthargie au dedans de mon être; tout se taisait:
plus même de remords ni de scrupules, mais un immense accablement. La
lumière de la Grâce me paraissait éteinte et il ne restait qu’une nuit
intense où mon âme se cherchait à tâtons sans se trouver.

Ah! cette sensation de solitude totale dans des ténèbres opaques, c’est
peut-être la plus terrible des épreuves que l’âme qui se repent ait à
supporter.

Ma course sans but me conduisit sur la place du Panthéon. J’avisai le
portail de Saint-Etienne du Mont et je me dis:--Si j’entrais là.
Peut-être que la clarté divine m’y reviendra...

J’entrai donc. J’errai, le front bas, sous les arceaux. J’essayais de
prier et ce m’était impossible. Il y avait sur mon âme comme une couche
de givre que je ne réussissais pas à percer.

Je repris mon vagabondage par les rues. Il n’y avait plus que mon corps
qui agissait. Mon âme était comme défunte.

Mes pas me conduisirent à Saint-Sulpice. J’y entrai, pareil à un
somnambule; mais quand je fus sous ces voûtes embaumées de prières, je
repris un peu conscience de moi-même, c’est-à-dire que je ressentis
d’une façon encore plus aiguë ma solitude.

Je m’agenouillai sur la première chaise venue et je tentai une
supplication à l’adresse du Ciel impassible. Je pus tout juste
dire:--Mon Dieu!... Rien de plus.

Et la nuit glacée s’appesantit de nouveau sur moi.

Je me relevai; je me traînai, en détresse, dans l’église. Comme cinq
heures sonnaient, je me trouvai près de la Chapelle du Sacré-Cœur. Un
prêtre en méditation s’y tenait assis. Aussitôt que je l’eus distingué
dans la pénombre, il me vint à l’idée de lui demander du secours.

--Monsieur l’abbé, lui dis-je, sans autre préambule, je voudrais prier
et je ne puis pas... C’est horrible!

Il me regarda, plein de pitié. Certainement il devina quelque chose de
mon angoisse car il me répondit:--Le Bon Dieu vous tient compte de
l’intention, soyez-en certain. Prenez courage: je vais prier pour vous.

Je le remerciai d’un signe de tête, étant incapable d’ajouter un mot, et
je me remis à vaguer dans les bas-côtés. Alors, voici que, peu à peu,
mon cœur se desserra et qu’il fit plus clair en moi. En même temps, je
sentis naître, grandir, s’affirmer la certitude que je dirais _tout_ à
l’abbé M... et l’espoir qu’il me recevrait à merci au nom du Seigneur.

Ce réveil de mon âme fut semblable au retour à l’existence d’un homme
qui s’est évanoui et qu’un cordial administré à temps remet sur pied.

Je fus soudain en pleine possession de mes facultés. Sans nulle
hésitation, je me dirigeai vers le presbytère; cinq heures et demie
sonnant, j’étais dans la loge du concierge et je demandais l’abbé M...

Tout en montant l’escalier vers la cellule qui m’avait été indiquée,
j’examinais encore une fois l’état de mon âme et je m’étonnais que tant
de calme et de décision eût succédé à tant de fièvre et d’incertitude.
Toutefois, comme je frappais à la porte, le cœur me battait assez fort
car une parole de Byron, qui s’appliquait à mon cas, me revenait à la
mémoire: «C’est ici un de ces relais où les Destins changent de
chevaux.»

Entré, je vis un petit vieillard à cheveux blancs, assis dans un grand
fauteuil. Il me regardait d’un air interrogateur. Je lui remis la lettre
de Coppée; et il la lut sans rien témoigner de l’impression qu’elle lui
causait. Puis, m’ayant fait asseoir, il me demanda tranquillement, et
comme s’il s’agissait de la chose la plus facile du monde, de lui
exposer par suite de quelles circonstances je m’était senti attiré vers
l’Eglise.

Je me trouvais un peu embarrassé, ne sachant trop par quel bout entamer
mon récit, quand je me souvins que j’avais sur moi quelques-unes des
lettres de mon ami S... Elles mettaient si bien dans leur jour les
péripéties les plus récentes de ma conversion qu’elles constituaient la
meilleure des entrées en matière. Je les tendis à l’abbé M... en le
priant de les parcourir.

Il les lut avec attention puis me dit:--Vous avez eu là, pour
conseiller, un excellent catholique. Il faut remercier le Bon Dieu qui
vous inspira d’avoir d’abord recours à lui.--Maintenant, causons.

Il me posa d’abord quelques questions touchant mes origines et
l’éducation que j’avais reçue. Ensuite il m’invita à lui narrer comment
mes idées avaient évolué pour que, parti de l’hostilité à l’égard de
l’Eglise, j’en fusse arrivé à cette évidence que je ne pouvais plus
vivre en dehors d’elle.

La simplicité de son accueil m’avait mis tout à fait en confiance de
sorte que je n’éprouvai aucune difficulté à lui retracer ma vie
intellectuelle depuis le jour où les brouillards du socialisme et de la
science s’étaient dissipés en moi et où la Grâce m’avait pris par grands
coups de lumière. Il est inutile de recommencer ce récit puisque j’en ai
donné le détail dans les chapitres précédents.

Enfin j’arrivai à l’époque où démuni de toute croyance ferme, ballotté
entre mon désir de vivre selon la foi et mes aberrations anciennes,
j’étais tombé dans une mélancolie profonde.

--Et alors, interrompit l’abbé, naturellement, vous avez pensé à vous
suicider?

--Mais oui, répondis-je, assez surpris qu’il eût deviné cette conclusion
de mes égarements.

--C’est bien cela, reprit l’abbé, continuez...

Je lui décrivis les affres subies durant les dernières semaines qui
venaient de s’écouler. Tandis que je parlais, le souvenir de ces heures
effroyables me revenait si vivement que je dus m’arrêter pour me
reprendre un peu.

--Oui, me dit alors l’abbé M... c’est affreux n’est-ce pas? Cela peut
vous donner une idée--et encore affaiblie--de ce qui se passe en enfer.
Mais remettez-vous et terminez.

Je lui racontai la nuit terrible où j’avais failli succomber
aux incitations du désespoir. Puis, tout anxieux, je lui
demandai:--Maintenant, monsieur l’abbé, croyez-vous que je puisse être
sauvé?

Un bon sourire lui éclaira le visage. Il se leva et me frappant sur
l’épaule:--Mais, mon cher ami, me dit-il, la chose est aux trois quarts
faite. Vous vous repentez; vous avez pleuré des larmes de sang sur vos
fautes. Soyez sûr que vous avez été entendu Là-Haut. Moi, je n’ai plus
qu’à vous instruire des vérités essentielles de notre sainte religion.
Puis, d’ici quelques jours, vous ferez votre confession générale et vous
communierez. Et vous verrez que tout ira bien.

Je m’ébahis car je m’étais ancré cette idée dans la tête qu’il faudrait
de longs mois avant que je fusse jugé digne des sacrements.

Comme je lui confiais mon scrupule à cet égard, l’abbé M... se mit à
rire franchement:--Quel enfant vous faites, me dit-il, croyez-vous que
je vais vous laisser comme cela en pénitence dans un coin?

Puis reprenant son sérieux:--L’Eglise ne demeure pas fermée à qui, comme
vous, fait appel à sa charité. Il est vrai, vous avez beaucoup péché,
mais vous avez beaucoup souffert. Il est nécessaire qu’on vous vienne en
aide. Dites-vous bien que Dieu vous a traité comme ceux qu’il aime.
Remerciez-le, remerciez la Sainte Vierge qui, certes, intercéda pour
vous. Et ayez confiance puisque je vous affirme que vous possédez la
vraie contrition.

--Ah! m’écriai-je, les larmes aux yeux, grâce à vous, mon bon Père, je
vais enfin récupérer cette paix intérieure que je croyais avoir perdue à
jamais.

--Non, rectifia l’abbé, pas grâce à moi, grâce à Dieu dont je ne suis
que le très humble instrument.

Il me dit ensuite de me procurer mon acte de baptême et de le lui
apporter le lendemain. Puis il me remit un catéchisme où il me marqua au
crayon ce que je devais d’abord apprendre, à savoir: les actes de foi,
d’espérance et de charité, l’oraison dominicale, la salutation angélique
et le symbole des Apôtres.

--Outre ces prières, ajouta-t-il, laissez-vous aller à ces élans
d’adoration dont vous m’avez parlé. Ces effusions viennent du Saint
Esprit et il ne faut pas craindre de les multiplier... Maintenant,
savez-vous faire le signe de la croix?

--Hélas non, répondis-je.

--Je vais vous l’apprendre car il constitue, en abrégé, la profession de
foi de l’Eglise catholique. Allons, faites comme moi: la main droite au
front, puis à la poitrine, ensuite à l’épaule gauche et enfin à l’épaule
droite en disant: Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, ainsi
soit-il.

J’imitai l’abbé en répétant ces paroles. Mais je me trompai: je mettais
la main droite au front puis j’allais à l’une ou l’autre épaule et je
m’arrêtais tout confus en m’excusant de ma maladresse. J’étais si ému
que je perdais un peu la tête. N’était-il pas touchant, en effet, ce
doux vieillard qui, plein de mansuétude, apprenait ainsi, au pauvre
pécheur ignorant les pratiques élémentaires de la religion?

Enfin, ayant réussi à faire comme il faut le signe de la croix, je pris
congé sur ces derniers mots de l’abbé M...:--Allez en paix, mon cher
fils, couchez-vous de bonne heure car je vois à votre figure que vous
êtes épuisé par les insomnies. Priez, avant de vous endormir. Ne perdez
pas une minute de vue cette pensée que vous allez être racheté de
l’esclavage du péché. Confiance et prière: tout est là. Je vous bénis. A
demain, à la même heure.

Je le remerciai et lui promis d’être exact.--Dehors, j’arpentai la rue,
tout songeur et tout heureux d’avoir pris le bon parti.

Qui m’aurait dit, pensais-je, que ce serait si facile? Puis j’admirais
la bonté de la Providence qui m’avait conduit, comme par la main, au
prêtre qu’il me fallait. Ah! si l’abbé M... m’avait accueilli par des
phrases pompeuses et des tirades ampoulées, il est probable que je me
serais cabré. Mais son ton paternel, sa façon de me présenter comme une
chose toute simple l’empreinte divine sur mon âme, l’onction enjouée de
ses propos avaient agi en moi mieux que n’auraient pu le faire les
discours les plus apprêtés.

--Maintenant, conclus-je, en me mettant au lit, je n’ai plus qu’à me
laisser conduire... Ouf, quelle délivrance!

J’ouvris mon catéchisme. Que les actes de foi, d’espérance et de charité
me touchèrent! De quelle allégresse je répétais:--Oui, mon Dieu, je
crois en vous et en votre sainte Eglise, parce que, j’en ai fait
l’expérience, vous ne pouvez ni me tromper ni la tromper. Oui, mon Dieu,
j’espère que vous me conserverez votre grâce et que, si j’observe vos
commandements, vous me recevrez dans votre gloire. Oui, mon Dieu, je
vous aime par-dessus tout, car vous n’avez pas cessé de me prouver votre
amour.

Ensuite je dis le _Pater_ et l’_Ave_ en m’attachant à en bien pénétrer
le sens et à m’appliquer l’adorable miséricorde qui pénètre ces versets.
Enfin je méditai le _Credo_. Puis je m’écriai:--O Mère de mon Dieu, je
me remets tout entier entre vos mains et je vous donne mon âme. Daignez
la présenter à votre Fils...

Alors, ayant tracé sur moi le signe de la croix, je m’endormis d’un
sommeil paisible, tel que je ne l’avais pas connu depuis bien des jours.



XII


Douceur ineffable de la Grâce, lorsqu’elle rentre, en ondes radieuses,
dans l’âme qui croyait l’avoir perdue.

C’est d’abord comme un _Angelus_ qui tinte lentement sur la campagne par
une aube un peu brumeuse de la fin d’avril. On sent qu’il va faire beau,
car on devine le ciel bleu par-dessus les vapeurs diaphanes qui flottent
sur les pommiers chargés de délicates floraisons. La cloche épand ses
notes assourdies à travers les volutes neigeuses du brouillard que
nuancent des clartés roses. Tout est calme, recueillement, attente émue
de la pleine lumière.

Puis la Grâce se fait plus éclatante. L’_Angelus_ s’est tu: la nature
prie. Et c’est alors le lever du soleil qui monte rapidement de
l’horizon et couvre de sa gloire les jeunes verdures. Il aspire la
brume, il chasse les fantômes de la nuit qui se traînaient encore dans
les coins d’ombre, tandis que de larges souffles chargés du parfum des
violettes, font frémir les frondaisons légères des peupliers et des
bouleaux. Tout être tressaille à l’unisson; et l’hymne du printemps
s’épanouit dans l’air frais du matin... Ainsi de l’âme pénitente à qui
la Grâce prodigue ses mystérieuses splendeurs.

Qu’il eut raison le Père Lacordaire quand il dit dans le passage de ses
_Mémoires_ où il parle des effets de la Grâce: «Les deux grands biens de
notre nature, la vérité et la béatitude font irruption ensemble au
centre de notre être, s’y engendrant l’un l’autre, s’y soutenant l’un
par l’autre, lui formant comme un arc-en-ciel qui teint de ses couleurs
toutes nos pensées, tous nos sentiments, toutes nos vertus, tous nos
actes enfin, jusqu’à celui de notre mort qui s’empreint, au loin, des
rayons de l’éternité. Tout chrétien connaît plus ou moins cet état; mais
il n’est jamais plus vif et plus saisissant qu’en un jour de conversion.
Et c’est pourquoi l’on pourrait dire de l’incroyance, lorsqu’elle est
vaincue, ce qui a été dit du péché originel: «Felix culpa, heureuse
faute!»

O sainte Eglise catholique, dispensatrice des vérités du Bon Dieu, que
tu es admirable quand tu recueilles, en toute mansuétude, l’enfant
prodigue qui, dompté par la Grâce, vient se prosterner devant tes
autels...

Telles étaient mes pensées pendant que, sous les auspices de l’abbé M...
à qui je rendais quotidiennement visite, je me préparais au sacrement de
Pénitence. Je ne saurais exprimer à quel point je me trouvais dans un
parfait équilibre de toutes mes fonctions. Non seulement mon cœur
battait à l’aise, mais les associations d’idées se faisaient si nettes
dans mon cerveau que je pouvais les enregistrer, avec tous leurs
détails, dans ma mémoire. Je m’assimilais aussi, avec une facilité
extraordinaire, les enseignements du catéchisme--ce livre d’une si
étonnante profondeur pour qui reçut le don de le comprendre. Puis
j’assistais aux offices; j’y priais de mon mieux et j’y méditais les
beautés de la liturgie. Et plus j’avançais dans la voie lumineuse, plus
la foi poussait de solides racines au tréfonds de mon être. Je la
sentais s’épanouir en moi comme un chêne vigoureux que les tempêtes
peuvent assaillir mais non renverser.

Pour fuir les bruits de la ville et son agitation fiévreuse, j’avais
repris mes habitudes de l’été précédent. Je passais la plus grande
partie de mon temps dans l’un de ces beaux jardins publics qui empêchent
Paris de devenir tout à fait une sentine funeste aux corps comme aux
âmes. J’y récupérais un peu de ma chère solitude.

Mais que ma disposition d’esprit différait de ce qu’elle avait été
naguère. En juin, je ne savais pas encore au juste où j’allais, je
vacillais, indécis, entre mon bon ange et le démon. En octobre, au
contraire, assuré de ma rédemption, éclairé, soutenu par l’Abbé M..., je
vivais une vie intérieure toute de ravissements et d’adoration.

Enfin, le jour arriva où l’abbé M... m’annonça qu’il me jugeait
suffisamment instruit pour que je fisse ma confession générale.

--Vous viendrez dans ma cellule à l’heure habituelle, me dit-il.
Auparavant, examinez-vous à fond et tâchez d’établir aussi exactement
que possible le bilan de vos fautes. Et surtout, écartez toute crainte
de n’être point pardonné qui tendrait à vous décourager; car ce n’est là
qu’une tentation diabolique contre laquelle je vous ai déjà mis en
garde.

--Je n’éprouve plus rien de tel, lui répondis-je. Je n’ai plus qu’un
grand désir de me délivrer du poids qui pèse sur mes épaules et de
recevoir la sainte Eucharistie.

De fait, à aucune des étapes de ma conversion, le Mauvais ne m’avait
pareillement laissé en repos. On eût dit que me sentant bien gardé, il
renonçait à me chercher noise. Comme toutes ses ruses se résument en
ceci qu’il voudrait nous empêcher de prier, il est tout naturel qu’il
demeure impuissant contre celui qui ne cesse de lui opposer un bouclier
d’oraisons. Or il n’est pas exagéré de dire qu’à cette époque, je
passais rarement plus d’une heure sans prier, et que je faisais de
longues stations dans les églises où, à l’abri du Saint-Sacrement,
j’élevais mon âme vers Dieu.

Ainsi prémuni, pour me préparer à ma confession, j’allai, dès une heure
de l’après-midi, au parc Montsouris. Je m’y installai sur un banc, près
du lac où voguent des flottilles de canards multicolores. L’atmosphère
était d’une tiédeur exquise. De minces nuées, chatoyantes comme des
gorges de tourterelles, passaient dans le ciel pâle où luisait un doux
soleil d’arrière-saison. L’automne commençait à dorer les feuillages. En
face de moi, s’élevait un saule-pleureur qui trempait sa chevelure
harmonieuse dans l’eau limpide. Aux intervalles de ma méditation,
j’admirais sa souplesse et l’élégance de ses formes. Et--fiction qu’on
voudra bien me pardonner--je m’imaginais que mon ange gardien battait
des ailes à travers ses ramures ondoyantes.

J’avais pris avec moi une _Concordance des Evangiles_ que l’abbé M...
m’avait donnée et mon catéchisme. Tantôt j’étudiais, dans ce petit
livre, les raisons qui expliquent à quel point le sacrement de pénitence
constitue un acte d’une portée si divine et si humaine à la fois. Tantôt
je recensais mes péchés: et alors, si leur nombre et leur gravité
m’effrayaient très fort, je me rassurais à la pensée que j’allais
bientôt me débarrasser de ces souillures, et qu’ils me seraient remis
non pas tant à cause de mes remords que par la charité miraculeuse de
Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Puis je lisais les chapitres du Saint-Livre qui retracent la Passion,
qui peignent le Jardin des Olives, les Juges iniques, les Juifs
acharnés, la voie douloureuse, le crucifiement, le partage de la robe,
l’éponge imbibée de vinaigre, les outrages de la plèbe, jusqu’au cri qui
fit trembler le ciel, la terre et les enfers et qui annonçait que
l’univers coupable entrait dans le règne de la Grâce: «Tout est
consommé!»

Surtout, assistant, par la foi, au supplice de l’Agneau, je mettais mes
bras autour du gibet où le bon Larron fut garrotté. Et je m’écriais avec
lui: «Seigneur, souvenez-vous de moi dans votre Royaume...»

Puis, faisant un juste retour sur moi-même, j’ajoutais:--Mon bon
Sauveur, je sais que vous avez voulu toutes ces ignominies et toutes ces
tortures pour me racheter de la servitude du péché. Qu’est-ce le peu que
j’endurai au regard des souffrances que Vous, la plus innocente des
victimes, vous avez acceptées par amour pour moi? Comment pourrais-je
reconnaître ce sacrifice? Mais j’ai confiance en Vous et je Vous aime.
Ayez pitié de moi, Seigneur Jésus; médecin des âmes, guérissez-moi de la
lèpre qui ronge, depuis si longtemps, mon esprit et mes sens. N’oubliez
pas que Votre Mère auguste a daigné intercéder pour le pauvre caillou
brisé que je suis...

Me disant ces choses et bien d’autres analogues, je me sentais pénétré
d’une contrition toute salutaire. C’était un mélange de honte à cause de
mes fautes et de regret poignant parce que j’avais contribué, pendant
tant d’années, à remettre en croix l’Agneau rédempteur.--Et cependant
l’espoir de ma purification prochaine lénifiait l’amertume de mon
repentir.

L’après-midi passa de la sorte. Quand vint l’heure d’aller au
presbytère, je me trouvai fortifié d’une décision souveraine. Ce fut
sans nulle hésitation que je marchai vers la confession.

Dès que je fus entré dans la cellule de l’abbé M..., ce bon père
s’informa d’abord de mes dispositions. Je lui dis que je n’éprouvais que
cet unique désir: me libérer du péché.

Il me fit agenouiller sur un prie-Dieu, devant un crucifix. Puis, après
les prières sacramentelles, je récitai le _confiteor_ et je commençai
l’étalage de mes fautes...

Et alors, comment exprimer cela--_les mots ont peur comme des poules_,
disait Verlaine--à mesure que j’avouais mes fautes, il me semblait que
Notre-Seigneur, lui-même, était là. Il me semblait que, d’une main
caressante et impérieuse à la fois, il cueillait mes péchés dans mon âme
et les éparpillait en poussière devant ses pieds adorables. En même
temps, je sentais ma pauvre âme, toute ployée sous le faix du mal, se
redresser peu à peu, reprendre enfin sa rectitude, puis s’épanouir en
des flots d’amour et de reconnaissance...

Quand j’eus fini, quand l’abbé M... eut prononcé, sur ma tête inclinée,
la sublime formule de l’absolution, je me relevai. Il m’ouvrit les bras
et je m’y précipitai tout en pleurs.

Certes, nous étions aussi émus l’un que l’autre. Car si je mettais dans
cette accolade toute ma gratitude pour lui qui m’avait été tellement
auxiliateur, lui rendait grâces au Seigneur de l’avoir désigné pour
guider, vers le bercail de l’Unique Pasteur, la brebis rebelle qui s’en
était enfuie depuis son baptême.

Nous causâmes ensuite quelques minutes. Puis, comme d’autres soins le
sollicitaient, je me retirai après qu’il m’eut recommandé de me trouver
le lendemain, à la première heure, à Saint-Sulpice pour communier.

Dans la rue, je marchais tout allègre. Je me disais:--Je suis pardonné,
je suis pardonné, quel bonheur!... Cent _alleluia_ me chantaient dans le
cœur et il me semblait que j’avais rajeuni de dix ans.

Je me souvins alors d’une page d’_En Route_ où cette sensation de
délivrance est on ne peut mieux notée.--Durtal s’éperd en remords de ses
péchés et le Prieur de la Trappe lui dit: «La croix, qui était faite de
tous les péchés du monde, pesait d’un tel poids que les genoux de Jésus
fléchirent et qu’il tomba. Un homme de Cyrène passait là qui aida
Notre-Seigneur à la porter. Vous, en détestant vos péchés, vous avez
allégé cette croix du fardeau de vos fautes et l’ayant rendue moins
pesante, vous avez ainsi permis à Notre-Seigneur de la soulever...»

Et moi aussi, pensai-je, Notre-Seigneur m’a permis de l’aider à porter
sa croix. Gloire à Lui!...

Le lendemain matin, je me réveillai vers quatre heures. Je me préparai à
la communion par la lecture de l’Evangile où il est raconté comment
Notre-Seigneur institua la Sainte-Cène. Puis je priai Dieu de m’octroyer
la faveur de recevoir sa chair et son sang avec l’humilité nécessaire.

Quand je sortis pour me rendre à Saint-Sulpice, j’éprouvais une joie
paisible à l’idée que, dans quelques minutes, l’œuvre de ma rédemption
serait tout à fait accomplie et j’admirais à quel point tous les
obstacles s’étaient aplanis depuis que je m’étais mis sous la direction
de l’abbé M.

Entré dans l’église, j’allai à la chapelle du Sacré-Cœur où ce bon père
dit, tous les jours, la messe de six heures et demie. Il y avait fort
peu de monde: quelques femmes du peuple, deux ou trois religieuses, un
seul homme en plus du pauvre moi. Je m’agenouillai près d’eux et
j’ouvris mon âme au Seigneur, le suppliant d’y entrer quoiqu’elle fût si
imparfaite.

A mesure que le moment de la communion approchait je me sentis soulevé
par un de ces élans d’adoration qui enlèvent l’âme, parmi des ondes de
lumière intérieure, jusqu’aux pieds du Trône divin. Je balbutiais:--O
mon Dieu, je ne suis pas digne, mais venez en moi pour que je vous
possède.

Et dans mon âme rénovée ne cessaient d’affluer les splendeurs de la
Grâce. Aussi, lorsque je quittai ma chaise j’étais si pénétré de cette
clarté indicible qu’il me semblait que mon être entier était pareil à
une blanche flamme qui montait joyeusement se perdre dans le ciel.

Me fais-je comprendre? Cet état n’ayant rien de terrestre, il est à peu
près impossible de l’analyser. Ce que je puis dire, c’est que ni les
plaisirs des sens les plus raffinés ni même les ivresses cérébrales que
procurent l’art et la poésie n’approchent de cette extase où l’âme, qui
s’unit à Dieu, se fond tout entière.

L’abbé M... me communia. Je regagnai ma place; et tandis que je récitais
mon action de grâces, je savourais pleinement la paix radieuse qui
régnait en moi. Ah! que ne peut-on arrêter le temps à cette heure
solennelle de quiétude et d’innocence. Pourquoi faut-il que le monde
revienne vous obséder de ses bas appétits et de ses viles rumeurs?...

Pendant la journée qui suivit, je vécus dans une sorte de rêve lumineux.
Toutes mes pensées se tournaient vers le Seigneur; toutes les choses me
semblaient avoir revêtu un aspect de fête. A la lettre, je voyais
l’univers avec des yeux nouveaux.

Sainte Eucharistie, qu’ils sont à plaindre les ignorants et les égarés
qui méconnaissent vos vertus! Pour moi, je sais que vous êtes la source
de tout bien, la fontaine d’espoir et d’énergie où, aux jours de
tristesse et de découragement, l’âme puise le réconfort et la joie.
Faites, ô mon Dieu, que je ne l’oublie jamais. Gardez-moi digne
d’approcher toujours de votre Sainte-Table dans les mêmes sentiments où
je me trouvai ce jour de ma première communion.



XIII


Pendant les trois semaines que je demeurai à Paris après ma première
communion, la règle d’existence que je m’étais tracée dès mon retour
continua. Je rendais de fréquentes visites à l’abbé M... et je mettais
de mon mieux en pratique les avis pleins de sagesse qu’il me prodiguait.
Fortifié par ses conseils, j’éprouvais une grande satisfaction à les
suivre. Obéir m’était devenu facile à moi le révolté de naguère. Puis je
goûtais intensément la sérénité joyeuse qui, pour la première fois de ma
vie, me comblait l’âme.

Je faisais un retour sur mes angoisses passées et je me disais:--Si tous
ceux qui errent irrésolus, désorbités, bourrelés d’incertitudes
pouvaient savoir la paix intérieure qu’on acquiert quand on se réfugie
dans les bras charitables de l’Eglise. S’ils rompaient les mailles du
filet d’orgueil qui les enlace, ils connaîtraient la joie de s’humilier
devant le Crucifix rédempteur...

Je m’approchais souvent de la Sainte-Table; chaque communion me rendait
l’âme encore plus tranquille et plus pénétrée de la miséricorde divine.
Enfin, m’étant logé près de Notre-Dame, je ne manquais pas d’aller y
entendre, tous les matins, la messe de sept heures.

Il faisait encore presque nuit lorsque j’entrais dans la basilique; il y
régnait une obscurité que coupaient faiblement la clarté mince de
quelques cierges votifs et la lueur tremblante de la lampe qui veille
devant le Saint-Sacrement. La messe était dite par un vieux prêtre dans
la chapelle où l’on voit le tombeau de Monseigneur Darboy surmonté d’une
statue de Saint-Georges terrassant le Démon. Je me plaçais contre un
pilier qui fait face à l’autel et je m’unissais, de tout mon cœur, au
Saint-Sacrifice. Que c’était bon de prier dans cette ombre recueillie.
Que les entretiens avec Dieu y étaient féconds en grâces sanctifiantes.

Dans le grand silence de la cathédrale, presque déserte à cette heure,
c’est à peine si l’on entendait parfois un pas résonner sur les dalles
et tinter les sonneries liturgiques. Puis tout se taisait: il n’y avait
plus que la voix grave de l’officiant et le cliquetis des chapelets
égrenés par quelques servantes du quartier venues pour demander à Dieu
de les assister dans leur labeur.

J’ai connu là des ravissements si adorables, je m’y suis senti tellement
détaché de moi-même, tellement transporté aux sommets de la foi que le
souvenir de ces messes matinales ne cesse de m’illuminer la mémoire...

Dès que l’_Ite missa est_ s’était envolé, alouette de la Grâce, vers le
ciel, j’allais m’agenouiller devant la statue de la Sainte-Vierge dont
j’ai parlé plus haut. Je récitais une dizaine puis je causais
paisiblement avec la Bonne Dame. Elle est si tendrement accueillante
cette douce Reine des Anges. Quand on souffre du corps ou de l’esprit,
il est si consolant de poser son front fiévreux sur ses genoux et de
l’implorer pour qu’elle vous soulage. Alors, on sent ses mains radieuses
vous caresser l’âme et on l’entend qui vous dit tout bas:--Pourquoi
t’affliger? Est-ce que je ne suis pas là pour t’enlever tes peines?...

Mais ce n’était pas seulement afin de la solliciter que je m’attardais
de la sorte auprès d’Elle. C’était surtout pour l’exalter, pour répéter,
avec une entière ferveur, ses litanies, pour respirer le parfum
spirituel qui s’en dégage. Tandis que je murmurais ses louanges, il
s’ébauchait en moi des strophes à sa gloire. Sorti de l’église, je les
notais aussitôt; et mon bon ange aidant je les fixerai, quelque jour,
dans un poème...

Mes journées, je les passais soit au Parc Montsouris, soit au Jardin des
Plantes, soit dans ce petit square qui fait la proue de navire au bas du
Pont-Neuf. Tout en admirant les splendeurs défaillantes de l’automne,
tout en regardant mes frères les arbres semer autour d’eux des feuilles
d’or, je méditais l’Evangile et l’_Imitation de Jésus-Christ_. C’étaient
mes seules lectures avec celle de mon paroissien. Car on ne saurait se
figurer à quel point les choses littéraires m’étaient devenues
lointaines.

L’Evangile, c’est la nourriture essentielle du chrétien, celle dont on
ne saurait trop se sustenter. Je l’avais si bien compris que depuis
lors, je n’ai guère manqué d’en relire quotidiennement deux ou trois
chapitres.

_L’Imitation_, c’est une essence de prières. On pourrait la comparer
aussi à un outil indispensable pour sarcler le champ de notre âme
lorsque les faux jardiniers qui s’appellent Orgueil et Luxure tentent
d’y cultiver de mauvaises herbes où d’y faire prospérer des floraisons
vénéneuses. Et puis quel étonnant, quel perspicace psychologue que
l’auteur inconnu de ce petit livre qu’on n’a qu’à ouvrir presque au
hasard, lorsqu’on ne voit pas très clair en soi, pour y trouver le
conseil nécessaire.

--Dans l’_Imitation_, me disait l’abbé M... on sent passer le souffle du
Saint-Esprit...

Pendant que je m’occupais de la sorte, l’idée me vint d’écrire
l’histoire de ma conversion. Et bientôt elle s’imposa si despotique que
je crus plaire au Bon Dieu en la mettant à exécution. Je consultai
l’abbé M... qui approuva fort mon projet. Je lui dis alors combien il me
semblait indiqué d’aller rédiger cette œuvre de réparation dans la
solitude. Il en tomba d’accord, de sorte que, deux jours plus tard,
après avoir communié encore une fois de sa main, je partis pour Arbonne.

Comme on n’en doute pas, la première chose que je fis, en arrivant, ce
fut de monter à Cornebiche. Tout heureux de revoir ma chère forêt que
novembre habillait de pourpre et d’or, je gravis la colline et j’allai
me mettre aux pieds de Notre Dame de Grâce pour la remercier de l’aide
qu’elle m’avait départie et pour la supplier de m’être auxiliatrice dans
mon travail.

Je récitai, de tout cœur le _Salve Regina_. A peine avais-je fini qu’une
oraison jaillit en moi si nette que je pus la noter tout de suite.

La voici:

  SALVE REGINA

  HUMBLE PARAPHRASE POUR LES PAUVRES CONVERTIS

  _Reine des anges de lumière, salut._

  _Mère, dont la miséricorde infinie répand les eaux vives de la Grâce
  dans l’âme des pauvres convertis, salut._

  _Nous étions comme des morts sans sépulcre dont la pourriture
  infectait les hommes de bonne volonté. Toi, Vie éternelle, Toi,
  ambroisie céleste, Toi, vaste espérance, voici que tu nous tiras de
  notre corruption._

  _Fils du péché originel, insurgés contre la rédemption, nous avons dû
  enfin crier vers Toi du fond de l’abîme où le prince de l’orgueil nous
  avait précipités. Et maintenant, humbles et les yeux en pleurs, nous
  soupirons vers Toi._

  _Hélas, Interprète des volontés divines, Interprète aussi de nos
  appels à la Trinité redoutable, viens à notre secours._

  _O Rose mystique, imprègne de tes parfums ce jardin envahi par les
  orties: notre âme. Tourne vers nous la splendeur miséricordieuse de
  tes yeux. Fais que notre orgueil se brise comme un caillou sous le pic
  qui fait jaillir la lumière du Seigneur. Fais que ton fils nous
  octroie sa couronne d’épines. Ah! fais aussi que ce fruit de tes
  entrailles nous pénètre de sa divine saveur._

  _O trop Clémente pour les pécheurs que nous sommes, ô trois fois
  pitoyable, ô infiniment secourable Vierge Marie._

  _Quoique nous ne le méritions aucunement, prie pour nous, Sainte Mère
  de Dieu. Prends dans tes mains le cœur contrit de ces enfants
  derniers-nés de la Grâce: les pauvres convertis. Rends-les dignes de
  monter, au jour du jugement, à la droite du Juge équitable et
  terrible._

  _Seigneur tout-puissant, tu as voulu que ton Verbe incarné prît pour
  tabernacle le corps immaculé de notre Vierge bien aimée. O
  Saint-Esprit tu l’as empli de ta flamme. Sainte Trinité, daigne en
  souvenir de ce mystère, nous garder du Mauvais._

  _Par l’intercession de ta Mère auguste, notre douce Etoile du Matin,
  dissipe en nous les ténèbres du Mal. Délivre-nous de la mort éternelle
  que nous avions encourue par notre très grande faute._

  _Et qu’après l’épreuve de ce Purgatoire où nous entrerons en chantant
  tes louanges, ô Père, ô Fils, ô Saint-Esprit, nous soyons admis à
  contempler, pour l’Eternité, ta face adorable._

  _Que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous entende._

  _Agneau de Dieu, toi qui effaces les péchés du monde, toi qui saignes
  chaque jour sur tous les autels pour la rémission de nos fautes,
  pardonne aux pauvres convertis._

  _Agneau de Dieu, toi qui habitas parmi nous pour laver nos taches,
  exauce les pauvres convertis._

  _Agneau de Dieu, par les vertus du Miroir de ta Justice, laisse
  descendre à jamais en nous les rayons de ta Grâce et prends en pitié
  les pauvres convertis._

M’étant ainsi fortifié par la prière, je descendis la colline, je
retournai à Arbonne et je commençai d’écrire ce livre...



XIV


Me voici parvenu au terme de ma tâche. L’œuvre de pénitence et de
réparation est accomplie.

J’ai raconté comment, livré à moi-même dès mon enfance, je désertai le
service du Bon Dieu. J’ai dit à quel degré d’incertitude et de
désespérance j’étais arrivé lorsque l’illusion scientifique et l’utopie
socialiste se furent écroulées en moi. J’ai exposé les raisons pour
lesquelles je pris en dégoût les malfaiteurs qui détruisent notre France
et les banquistes qui, pour flatter l’imbécillité baveuse des
parlementaires, se vantent d’avoir éteint les lumières du Ciel. J’ai
essayé de montrer comment la Grâce divine me pénétra. J’ai dit mes
luttes, mes souffrances, ma victoire sur les forces mauvaises qui
m’obsédaient.

J’ai fait de mon mieux. Puisse le Seigneur accepter ces pages où
j’espère avoir mis toute ma reconnaissance pour les bienfaits dont il
daigna combler le pauvre pécheur repentant.

Si parmi les personnes qui les liront il s’en trouve à qui elles fassent
quelque bien, je leur demande de prier pour moi.

Et pour le surplus: _Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da
gloriam!_


FIN


Saint Amand (Cher).--Imprimerie BUSSIÈRE.



LIBRAIRIE LÉON VANIER, ÉDITEUR

A. MESSEIN, Succr

19, QUAI SAINT-MICHEL, PARIS (5e)

Envoi franco contre mandat postal, timbres, etc.


Extrait du Catalogue général


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    format et dans le papier des «Œuvres complètes» en 5
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  La France sous le second Empire, 1852-1870. Etude critique.
    1 fort volume in-12                                         3 fr. 50

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    universelle. 3 vol. in-18. Chaque volume                    3 fr. 50
    Le tome I: Matière; tome II: Vie; tome III: Intelligence.


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