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Title: Histoire des enseignes de Paris
Author: Fournier, Edouard
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Histoire des enseignes de Paris" ***


                    LIBRAIRIE DE E. DENTU, ÉDITEUR


                            DU MÊME AUTEUR

        LE VIEUX-NEUF, histoire ancienne des inventions et découvertes
        modernes, 3 vol. gr. in-18                       15ᶠ. »

        PARIS CAPITALE, 1 vol. gr. in-18                    3 50

        HISTOIRE DU PONT-NEUF, 2 vol. in-18                 6 »

        LA COMÉDIE DE JEAN DE LA BRUYÈRE, 2 vol. in-18      6 »

        L’ESPRIT DES AUTRES, 1 vol. in-18 elzévir           5 »

        L’ESPRIT DANS L’HISTOIRE, 1 vol. in-18 elzévir      5 »

        PARIS DÉMOLI, 1 vol. in-18 elzévir                  5 »

        LE MYSTÈRE DE ROBERT LE DIABLE, 1 vol. gr. in-18    3 50


              PARIS.--IMPRIMERIE CHAIX (S.-O.).--14010-4.

[Illustration:

HISTOIRE
DES
ENSEIGNES DE PARIS

HISTOIRE
DE LA
BUTTE DES MOULINS

HISTOIRE
DE
L’HOTEL
DE
VILLE

HISTOIRE
DU
PALAIS
DE
JUSTICE

HISTOIRE
DU
LOUVRE

HISTOIRE
DU
PONT-NEUF

ENIGMES
DES
RUES
DE PARIS

HISTOIRE
DU
PALAIS
ROYAL

PARIS
DEMOLI

PARIS
CAPITALE

LES
MAISONS
HISTORIQUES
DE
PARIS

TENEBRAS HISTORIÆ ILLUMINAT ERUDITIO

PROMENADE HISTORIQUE
DANS PARIS

CHRONIQUES & LEGENDES
DES RUES DE PARIS
]



                           EDOUARD FOURNIER

                               HISTOIRE

                                  DES

                               ENSEIGNES
                               DE PARIS

                           REVUE ET PUBLIÉE

                       PAR LE BIBLIOPHILE JACOB

 Avec un appendice par J. Cousin, bibliothécaire de la ville de Paris

                     OUVRAGE ORNÉ D’UN FRONTISPICE

                  DESSINÉ PAR LOUIS-EDOUARD FOURNIER

  DE 84 DESSINS GRAVÉS SUR BOIS ET D’UN PLAN DE LA CITÉ AU XVᵉ SIÈCLE

                    [Illustration: Colophon E. D.]

                                 PARIS

                           E. DENTU, ÉDITEUR

              LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES

               PALAIS-ROYAL, 15-17-19, GALERIE D’ORLÉANS

                                 1884

           Droits de traduction et de reproduction réservés.



DÉDICACE

A MADAME VEUVE ÉDOUARD FOURNIER


Vous avez été, pendant plus de vingt-cinq ans, l’inspiratrice et pour
ainsi dire la collaboratrice intime de tous les ouvrages de votre mari.
C’était vous qu’il consultait avant de les entreprendre, c’était à votre
jugement éclairé qu’il aimait à les soumettre avant de les livrer au
public. C’étaient aussi vos encouragements qui lui donnaient confiance
en son talent si varié et si original; c’était votre approbation qui lui
garantissait celle du public: vous avez ainsi pris part à tous ses
succès. Il est donc bien naturel que je vous offre, que je vous dédie,
Madame, la dernière œuvre d’Édouard Fournier, cette _Histoire des
Enseignes de Paris_, qui fut si longtemps un de ses projets favoris, qui
s’est trouvée mêlée en quelque sorte à toutes ses études sur
l’archéologie parisienne et qui, cependant, n’était pas encore achevée,
quand une mort imprévue et prématurée est venue interrompre son œuvre
favorite.

Ce fut moi, vous le savez, qui publiai en 1851 le premier ouvrage de ce
laborieux et intelligent érudit, sa belle _Histoire de l’Imprimerie et
des Imprimeurs_. Il n’est plus là aujourd’hui, pour écouter les conseils
de mon amitié et de mon expérience. C’est sous l’empire de ce triste et
pieux souvenir que j’ai consenti à surveiller, à diriger la publication
d’un ouvrage posthume qui eût été peut-être son meilleur livre, s’il
avait eu le temps de le compléter et de le terminer. Je puis dire que
cette tâche délicate une fois acceptée, je l’ai remplie sous vos yeux,
Madame, en regrettant sans cesse que l’auteur n’ait point assez vécu
pour perfectionner son œuvre, pour l’achever lui-même.

Je souhaite que cette œuvre ne soit pas inférieure à ses autres
ouvrages, si savants, si curieux, si intéressants et si justement
estimés, car je suis heureux d’en laisser tout l’honneur à sa mémoire,
en publiant l’_Histoire des Enseignes de Paris_ sous vos auspices,
Madame, et en inscrivant votre nom en tête du dernier ouvrage de votre
cher et regretté mari.

1ᵉʳ mars 1884.

                             PAUL LACROIX
                         _Bibliophile_ JACOB.



PRÉFACE DE L’ÉDITEUR


Il est bien regrettable que ce livre n’ait pas été achevé par Édouard
Fournier, qui l’avait commencé il y a plus de vingt ans et qui n’a pas
cessé, pendant ce long intervalle de temps, de chercher la forme qu’il
lui donnerait et de réunir çà et là les matériaux qui pourraient lui
servir dans la composition de son ouvrage. Le sujet qu’il se proposait
de traiter était alors tout à fait neuf, et il eût été le premier à s’en
occuper, s’il avait composé et publié cet ouvrage à l’époque même où il
avait déjà fait une ample moisson de tant de matériaux qu’il a employés
un peu partout, dans des feuilletons de journaux, dans son _Paris
démoli_, dans les Enigmes des rues de Paris, dans ses _Chroniques et
Légendes des rues de Paris_, dans l’_Histoire du Pont-Neuf_, dans son
_Histoire de la Butte des Moulins_, et jusque dans le _Vieux-Neuf_.

Les dessins et la plupart des gravures sur bois qui devaient illustrer
les _Enseignes de Paris_ étaient exécutés depuis plus de quinze ans par
les soins et sous les yeux de M. E. Dentu, et l’auteur tardait encore
non seulement à remettre son manuscrit à l’imprimeur, mais encore à
remplir les lacunes de son travail et à en compléter l’ensemble. Il
s’exposait ainsi à se voir devancé par un concurrent qui aurait eu moins
de souci que lui de faire un bon livre. Le sujet était tentant, il est
vrai, engageant même, à vue de pays, mais on n’avait qu’à l’aborder pour
en reconnaître l’étendue et les difficultés. Beaucoup d’érudits et de
littérateurs essayèrent de s’en emparer, mais ils y renoncèrent, en
présence de la longueur des recherches, et ils se contentèrent les uns
et les autres d’effleurer le sujet qu’il eût fallu approfondir.

Avant qu’Édouard Fournier eût projeté d’écrire cet ouvrage sur les
enseignes, il n’y avait eu que quatre essais: _Petit Dictionnaire
critique et anecdotique des Enseignes de Paris_, par un Batteur de pavé
(H. de Balzac), 1826; _Petite Revue des Enseignes de Paris_, par un
Allemand, 1826; les _Enseignes_, article d’Ernest Fouinet, inséré dans
le _Mercure de France_, en 1834, et _Recherches historiques sur les
Enseignes des maisons particulières_, par E. de La Quérière, 1852. Le
_Petit Dictionnaire_ de Balzac ne faisait mention que des enseignes
qu’on voyait à Paris en 1825; la _Petite Revue_ n’était qu’un canard de
colporteur, où l’on se moque de la mauvaise orthographe des enseignes;
l’article de Fouinet ne contenait que des généralités curieuses, et la
brochure de La Quérière parlait moins des enseignes de Paris que de
celles de Rouen et des autres villes de France. L’exemple cependant
était donné: il fut suivi, quelques années après, par un savant
archéologue, Adolphe Berty, qui publia, en 1860, deux articles sur les
anciennes enseignes des maisons de la Cité, dans la _Revue
archéologique_, et par cinq ou six journalistes, qui trouvèrent chacun
matière à deux ou trois articles de fantaisie et d’histoire sur les
enseignes: Firmin Maillard, dans le _Journal de Paris_; Jean de Paris,
dans le _Figaro_; Alfred de Bougy, dans la _Presse_; Hector Malot, dans
le _Journal pour tous_; Amédée Berger, dans le _Journal des Débats_; J.
Poignant, dans le _Gaulois_; etc.

Ces articles, ces essais n’avaient servi qu’à faire désirer davantage le
livre d’Édouard Fournier, que M. E. Dentu annonçait toujours et qui
n’était pas encore près de paraître. L’auteur, en effet, tout en
travaillant à son ouvrage, n’en avait pas encore bien arrêté le plan;
ses notes me prouvent qu’il avait hésité, à cet égard, jusqu’au dernier
moment, et la publication du grand ouvrage de M. Blavignac, architecte
de Genève, _Histoire des Enseignes d’hôtelleries, d’auberges et de
cabarets_ (Genève, Grosset et Trembley, 1878, in-8º de 542 pages),
n’avait fait sans doute qu’augmenter l’indécision d’Édouard Fournier.
Fallait-il diviser le livre en deux et même en trois parties distinctes?
Les enseignes dans l’antiquité, les enseignes de Paris, et les enseignes
en France et à l’étranger? Fallait-il se borner à l’histoire ancienne et
moderne des enseignes de Paris? Fallait-il, comme l’a fait M. Blavignac,
classer les enseignes par figures et par sujets, comme la _Science des
armoiries_ a rangé alphabétiquement les blasons des familles?
Fallait-il, à travers ces milliers d’enseignes de toutes les époques,
aller à l’aventure, sans autre règle que le caprice, en rassemblant çà
et là des faits bizarres et inconnus, des particularités intéressantes,
des anecdotes diverses, des renseignements archéologiques, des mélanges
d’érudition et de philosophie? La mort, une mort imprévue et presque
subite, est venue mettre un terme à ces incertitudes de composition, à
ces embarras, à ces doutes sur le choix d’un plan définitif, en faisant
tomber la plume des mains du laborieux et consciencieux écrivain, qui
avait mis tant d’années à préparer son dernier ouvrage, et qui, pour
avoir voulu le faire plus complet, plus parfait que les autres, n’a pas
eu le temps de le finir.

La digne veuve d’Édouard Fournier m’a confié religieusement tous les
manuscrits, toutes les notes, tous les imprimés, tous les documents
enfin, rassemblés par son mari, pour exécuter l’ouvrage que M. E. Dentu
n’attendait pas sans impatience depuis plus de quinze ans et que
l’auteur promettait sans cesse dans le délai le plus rapproché, car
Édouard Fournier était un de ces écrivains consciencieux qui ne croient
jamais avoir fait assez de recherches pour la préparation de leurs
ouvrages historiques.

Je me suis mis à l’œuvre aussitôt, et j’ai fait usage, avec un soin
minutieux, des innombrables matériaux qu’il avait accumulés pour son
travail. Après avoir adopté un plan systématique qui ne comprenait que
les enseignes de Paris à toutes les époques, avec une introduction très
sommaire sur les enseignes dans l’antiquité, j’ai distribué en trente et
un chapitres tout ce qu’Édouard Fournier avait préparé, noté, indiqué,
écrit pour l’_Histoire des Enseignes de Paris_, en élaguant, en laissant
de côté seulement ce qui concernait les enseignes des autres villes de
France.

Après quoi, j’ai retouché, remanié, augmenté, complété ceci et cela, en
esquissant de mon mieux les chapitres dont l’idée avait été oubliée ou
laissée de côté par le maître de l’œuvre; en me pénétrant bien de la
pensée que je n’étais pas ici l’auteur, mais le simple éditeur de cette
œuvre posthume. Je n’ai pas cherché, je l’avoue, à imiter la manière et
les procédés de métier littéraire qui ont fait le succès de
l’intelligent et spirituel savant, auquel je ne voulais rien enlever de
ce qui lui appartenait; je me suis contenté de remplir simplement et
modestement les lacunes de l’ouvrage, qui était sien et qui restera
sien dans l’importante collection de ses œuvres historiques sur le vieux
et le nouveau Paris. Je crois devoir déclarer néanmoins que ce livre eût
été infiniment supérieur à ce qu’il est, si Édouard Fournier avait pu
l’achever et le publier lui-même.

Ma tâche accomplie sous les auspices d’un pieux devoir de vieille
amitié, je laisse à mon jeune ami Louis-Édouard Fournier, qui a obtenu
le grand prix de Rome l’année même où il perdait son digne père, le soin
de représenter dans une ingénieuse allégorie, en tête de cet ouvrage
qu’elle caractérise, le Génie de l’érudition, une lampe à la main,
étudiant le sens héraldique des armes de la ville de Paris et
s’efforçant, en présence du Sphinx antique, d’expliquer les énigmes de
l’histoire et d’en éclairer les ténèbres: _Tenebras historiæ illuminat
eruditio_.

                     Paul LACROIX,
                          _Bibliophile_ JACOB

[Illustration:

Paris.--Typ. Tolmer et Cⁱᵉ.

LA CITÉ AU XVᵉ SIÈCLE

AVEC LES ENSEIGNES DES MAISONS

Extrait de la feuille X du plan de l’ancien Paris, restitué par ALBERT
LENOIR et ADOLPHE BERTY. (_Archives de la Commission des Monuments
Historiques._)]



HISTOIRE

DES

ENSEIGNES DE PARIS



INTRODUCTION

ORIGINE DES ENSEIGNES DANS L’ANTIQUITÉ


On peut dire avec assurance que les enseignes ont existé, depuis les
temps les plus reculés, chez tous les peuples, chez les Égyptiens comme
chez les Hébreux, chez les Assyriens comme chez les Grecs, partout enfin
où il y avait des inscriptions publiques sur les monuments et des
monnaies portant des caractères ou des signes graphiques, car les
enseignes ne sont que des emblèmes ou des inscriptions. Mais, jusqu’à
présent, l’érudition n’a pas pris la peine de rechercher leur origine et
de constater leur existence dans l’histoire des mœurs de l’antiquité
égyptienne, hébraïque, assyrienne et grecque. C’est seulement chez les
Romains que la science s’est occupée de prouver, d’après le texte des
auteurs latins et par le témoignage incontestable de quelques monuments
figurés, qu’il y avait des enseignes de toute espèce dans la Rome
antique et dans les principales villes de l’empire romain.

Cependant, si l’abbé Barthélemy n’a pas parlé des enseignes dans son
savant _Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, vers le milieu du_ IVᵉ
_siècle_ avant l’ère vulgaire, Zell, professeur de littérature ancienne
à l’université de Fribourg, a voulu combler cette lacune en citant un
passage d’Aristote, qui pourrait faire croire que les enseignes
remonteraient chez les Grecs à la plus haute antiquité[1]; mais notre
professeur s’avise tout à coup de changer un mot (χαμήλων, au lieu de
χαπήλέων) dans ce passage d’Aristote, et les raisons assez concluantes
qu’il donne de ce changement de mot viennent détruire toute l’économie
de sa dissertation. Les malheureuses enseignes ne s’en relèveraient pas,
si le savant helléniste ne démontrait pas ensuite que les hôtelleries
(λέσχαι) furent presque contemporaines des temps héroïques et qu’elles
ont été d’abord établies dans les îles Ioniennes. C’est là qu’une
esclave insolente veut renvoyer Ulysse, dans l’_Odyssée_ d’Homère, et le
commentateur d’Homère, Eustathius, qui vivait au XIIᵉ siècle de notre
ère, prétend que les λέσχαι étaient des édifices à portiques ouverts, où
l’on entrait à pied ou à cheval. Athénée ne comptait pas moins de 360 de
ces hôtelleries en Grèce, au IIᵉ siècle depuis Jésus-Christ hôtelleries
qui étaient caractérisées par des enseignes ou par des écriteaux, car
il fallait distinguer les λέσχαι des πανδοκεῖα, οù l’on ne recevait que
des étrangers. Quant aux cabarets, καπηλεῖα, dont les patrons étaient
infâmes comme les _lenones_ (maquereaux), ils avaient sans doute aussi
des enseignes, pour qu’on ne les confondit pas avec les οἰνῶνες,
boutiques où l’on vendait du vin en détail.

On peut supposer quelle était l’enseigne ordinaire des débitants de vin,
la pomme de pin étant consacrée à Neptune et à Bacchus, car les tonneaux
étaient enduits de poix-résine, pour empêcher le vin de filtrer entre
les douves de ces barriques, dans l’intérieur desquelles l’eau de mer ne
pouvait pénétrer quand on les transportait dans des barques. Le vin
contenu dans de pareils tonneaux sentait la poix-résine, mais le peuple
trouvait à ce vin-là une saveur particulière. Plutarque ne nous dit pas
que la pomme de pin fût l’enseigne des cabarets grecs, mais il rechercha
pourquoi elle était dédiée en même temps à Neptune et à Bacchus[2]. La
tradition s’est maintenue depuis deux mille ans et plus, en perdant
peut-être son sens mythologique, car, de nos jours, les cabarets de la
Grèce sont encore décorés de la pomme de pin traditionnelle[3]. Ce
n’était pas le seul emblème qui fût le signe distinctif des cabarets.
Les monnaies de Byzance, cette ville de débauche et d’ivrognerie,
étaient surchargées d’emblèmes. «Les images qui y sont représentées,
disions-nous dans un autre ouvrage que nous citerons plus d’une fois
dans celui-ci, nous sembleraient copiées sur les enseignes des cabarets
grecs, si quelque chose nous donnait à croire que les cabarets eussent
des enseignes. Ce ne sont que grappes de raisin avec leurs pampres,
amphores à larges anses, à large ventre, ou bien des têtes de Bacchus
couronnées de lierre[4].»

Chez les Romains, il n’y a plus de doute, l’enseigne est partout et son
usage s’applique à tout. L’enseigne (_insigne_) des galères ne différait
pas beaucoup des enseignes de marchands. C’était une figure sculptée ou
peinte, à l’avant d’un vaisseau, pour représenter l’objet dont le navire
portait le nom. Une autre figure, placée à l’arrière et nommée _tutela_
(protection), représentait la divinité à qui la sauvegarde du navire
était confiée[5]. Ces divinités tutélaires présidaient aussi à la garde
des cités, et on voyait, sur les portes de quelques villes romaines,
l’image sculptée de Pan, dieu des champs, comme il est dépeint dans ces
deux vers d’un poète du Vᵉ siècle:

    Præsidet exigui formalis imagine saxi
      Qui pastorali nomina fronte gerit[6].

N’était-ce pas là une enseigne portant un nom de dieu ou de ville? Il
n’y a pas de peuple qui ait fait plus d’usage des inscriptions que les
Romains. Ces inscriptions, accompagnées d’images sculptées ou peintes,
étaient alors de vraies enseignes, _signa_, et avaient dès lors toutes
sortes de destinations, dans la vie publique comme dans la vie privée.
Ainsi, les poids employés pour le commerce indiquaient souvent le nom
du marchand qui s’en servait et le genre de marchandises qu’il vendait.
En février 1830, en déblayant trois maisons antiques, à Rome, on trouva
dans une boutique trente-huit poids en bronze avec cette légende: EME ET
HABEBIS (Achète, tu l’auras)[7]. Toutes les maisons de Rome, sous les
empereurs, avaient, au lieu de numéros, des enseignes muettes
représentant leur nom, ou des écriteaux sur lesquels leur nom était
inscrit. On sait, par exemple, que le poète Martial, qui vivait sous le
règne de Titus, était logé à l’enseigne du Poirier (_ad Pyrum_). Ces
maisons avaient jusqu’à huit ou dix étages, et quiconque exerçait un
commerce ou une industrie était libre de l’annoncer au moyen d’une
enseigne, en sorte que les maisons étaient, du haut en bas, bariolées
d’enseignes peintes ou sculptées avec des inscriptions. Cette multitude
d’enseignes ou d’écriteaux devait employer un grand nombre de peintres
ou barbouilleurs, qui n’avaient pas d’autre métier; c’étaient
probablement ceux que Pline[8] appelle _rhyparographi_, qui
n’exécutaient dans leurs tableaux que des sujets bas et grossiers.

Les premières enseignes, selon Pline, avaient été des trophées et des
boucliers, qui non seulement portaient des noms propres, peut-être avec
indication d’une qualité professionnelle, mais encore qui offraient des
peintures caricaturales: «Je vous montrerai tel que vous êtes, dis-je,
un jour, à Helvius Mucia (c’est Cicéron qui parle).--Montrez, me
répondit-il. Alors j’indiquai du doigt, dans le bouclier symbolique de
Marius, sous les boutiques neuves, la figure d’un Gaulois tout
contrefait, tirant une langue énorme, et les joues enflées[9].»

Il y avait aussi des enseignes _à combat_, sans doute pour les marchands
qui vendaient soit des armes de guerre et des cuirasses, soit des objets
divers destinés aux combats du cirque. Horace en parle, quand il fait
dire à Dave, dans une de ses satires: «Le jarret tendu, je regarde les
combats de Fulvius, de Rutuba et de Placideanus, ces combats si
fidèlement retracés avec de la couleur rouge ou du charbon[10].»

C’étaient surtout les hôtelleries, les cabarets et les marchands de vin
qui se distinguaient par leurs enseignes. Ces derniers s’étaient
contentés longtemps d’annoncer leur marchandise par une couronne de
lierre suspendue à la porte, le lierre étant consacré à Bacchus; une
sentence de Publius Syrus dit qu’il n’est pas besoin de suspendre une
branche de lierre pour vendre du vin (_Vino vendibili suspensa hedera
non opus est_). L’enseigne d’un cabaret se composait ordinairement de
quelque figure hideuse, ou d’un bas-relief en terre cuite, dont le sujet
était relatif à la profession du tavernier[11]. Les hôtelleries, selon
l’opinion de plusieurs antiquaires, avaient souvent des figures
d’animaux pour enseignes. Il y eut, à Rome, dans le quartier des
Esquilies, quartier rempli de cabarets, une rue de l’_Ours coiffé_
(_vicus Ursi pileati_), et ce nom venait certainement de l’enseigne d’un
cabaret, que la tradition semble rappeler, au même endroit, puisqu’on y
trouve encore l’_Osteria del Orso_, là même où l’on a découvert des
inscriptions antiques qui désignent ainsi la localité (_ad Ursum
pileatum_)[12]. L’enseigne d’un autre cabaret représentait un ours en
toge (_Ursus togatus_)[13].

Parfois l’hôtelier se nommait lui-même sur son enseigne, qui était
gravée sur pierre au frontispice de sa maison, comme le prouve cette
inscription curieuse, trouvée en France[14]:

    MERCURIUS hic lucrum
    Promittit, Apollo salutem,
      Septimanus hospitium.
    Cum prandio qui venerit,
      Melius utetur. Post,
    Hospes, ubi maneas prospice.

En voici la traduction: «Ici, Mercure te promet le gain, Apollon la
santé, Septimanus l’hospitalité. Celui qui apportera son dîner s’en
trouvera mieux. Après cela, étranger, regarde où tu veux loger.»

On pourrait, d’après le sens de l’inscription, supposer que Septimanus
avait mis son auberge sous les auspices de Mercure et d’Apollon.

Une autre inscription, citée dans les _Miscellanées_ de Spon[15], nous
apprend qu’Éros, affranchi de Lucius Afframius, était venu, avec sa
femme Procilla, de Tarascon à Narbonne, pour s’y faire hôtelier
(_hospitalis_), sous l’enseigne du Coq gaulois ou plutôt du Gaulois à
tête de Coq (_a Gallo gallinaceo_). Une autre enseigne d’hôtellerie,
représentant un combat de rats et de belettes, aurait fourni, dit-on, à
Phèdre, contemporain des premiers empereurs de Rome, le sujet et le
titre d’une de ses plus jolies fables.

Les plus vieux usages se conservent surtout dans le peuple. Ainsi, les
moulins à vent ou _moulinets_, qui se voient encore au-dessus de la
porte de beaucoup de cabarets et qui semblent être un caprice de
cabaretier, sont signalés, sous le nom de _sucula_, dans les comédies de
Plaute, et leur présence à l’entrée d’une taverne signifiait que le vin
fait tourner les têtes, comme le vent les ailes d’un moulin. Les
cabarets et les _popines_ (cuisines populaires) de l’ancienne Rome
avaient aussi des enseignes en nature, c’est-à-dire un étalage de
bouteilles et de flacons, de viandes et de légumes, arrangés avec art,
comme les _montres_ de nos boutiques. Ces sortes d’enseignes parlaient
aux yeux mieux encore que les plus ingénieuses inventions des peintres
et des sculpteurs. Les marchands d’eau, qui sont encore presque aussi
nombreux que les marchands de vin, en Italie comme en Espagne, n’ayant
rien à montrer dans leur étalage pour affriander les gourmands,
imaginaient des tableaux d’enseigne capables de piquer la curiosité du
public. Ainsi l’architecte Mazois, dans son grand ouvrage sur les
antiquités de Pompéi, dit y avoir vu une peinture qu’il n’a pas
reproduite, laquelle représentait les compagnons d’Ulysse changés en
bêtes par les philtres enivrants de Circé. Cette fresque, qui servait
d’enseigne à un _thermopole_ (_thermopolium_), boutique où l’on vendait
des boissons chaudes, conseillait aux ivrognes de redouter les effets du
vin. Les enseignes des mauvais lieux, _meritoria_ et _lupanaria_,
étaient moins morales; et, sans parler des écriteaux attachés aux
portes des _meretrices_ ou femmes de débauche, avec leurs noms et leurs
qualités plus ou moins malhonnêtes (voy., dans Tacite, la description
des hauts faits de l’impératrice Messaline, qui se prostituait, sous le
nom de Lycisca, dans un lupanar), ces lieux infâmes, situés généralement
aux environs des théâtres, des cirques et des bains, dans les quartiers
qu’habitait la population la plus abjecte de la ville, étaient signalés,
le jour, par l’image monstrueuse d’un phallus, et, le soir, par la
faible clarté d’une lampe phallophore. Plus tard, le phallus paraît
avoir été remplacé, à la porte des mauvais lieux, par une pierre en
forme de coin, qui avait la même signification.

Les fouilles de Pompéi ont mis à découvert un grand nombre d’enseignes,
peintes, sculptées en pierre ou moulées en terre cuite, la plupart sans
inscription, mais encore fixées à la place qu’elles occupaient au-dessus
ou à côté des boutiques de marchands. Il est souvent difficile de
reconnaître la profession qu’elles caractérisent. Ainsi, un petit
bas-relief en terre cuite, représentant une chèvre, pouvait être
l’enseigne d’une étable de chèvres, sinon d’un vendeur de lait ou de
fromages de chèvre. Le nom du marchand était parfois écrit ou peint, sur
le mur, à côté du bas-relief ou de la peinture. Beaucoup de ces
tableaux, peints grossièrement à la cire rouge, représentent une figure
grimaçante, ou bien les denrées mêmes qui se vendaient dans la boutique;
un marchand de vin avait pris pour enseigne deux esclaves portant sur
leurs épaules une gaule à laquelle est suspendue une amphore. On a cru
pouvoir attribuer à un professeur de pugilat ou à un gladiateur une
peinture représentant deux hommes qui combattent. On a moins de doute
sur la destination d’un tableau qui représente un homme fouettant un
enfant. C’était là, certainement, l’enseigne d’un maître d’école. Enfin,
l’éléphant, qu’on employait autrefois au transport des fardeaux et des
marchandises, devait être l’enseigne d’une hôtellerie, où logeaient des
voyageurs et des marchands étrangers[16].

Les enseignes emblématiques étaient si bien appropriées à l’esprit du
peuple romain, que l’édile faisait peindre, sur les monuments publics,
des figures de serpents, et cette simple image, comprise de tout le
monde, avait le même sens et la même autorité que cette inscription de
police, plus explicite, qu’on retrouve partout dans les villes modernes:
_Défense de déposer ici aucune ordure, sous peine d’amende_. Le serpent,
consacré à Esculape, commandait le respect et inspirait une sorte de
crainte religieuse[17].



I

JURISPRUDENCE ET POLICE DES ENSEIGNES A PARIS[18]


Nous n’avons pas trouvé, dans l’ancien droit coutumier, la moindre
disposition légale relative à l’établissement des enseignes de Paris. Il
est bien certain, cependant, que leur usage, devenu si général depuis la
fin du xiiiᵉ siècle, avait donné lieu à des règlements de police qui ne
sont pas venus jusqu’à nous, puisque le commissaire Nicolas de la Mare
n’en fait pas mention dans son _Traité de la Police_, dont il avait
emprunté tous les matériaux aux archives du Châtelet. Il est impossible,
en effet, que ces innombrables enseignes, de toutes dimensions, qu’on
suspendait à l’entrée des maisons et au-dessus des _ouvroirs_ ou
boutiques, n’aient pas exigé des mesures d’ordre, de surveillance et de
sécurité, que l’intérêt du public rendait absolument nécessaires. Ces
enseignes, en pierre, en terre cuite, en bois, ou même en métal, la
plupart attachées avec des anneaux à des potences de fer, qui faisaient
saillie de deux ou trois pieds sur la rue, étaient un danger permanent
pour les passants, surtout lorsque le vent les secouait en tous sens et
menaçait à chaque instant de les arracher de leurs pivots mobiles et de
leurs charnières rouillées. Quelques-unes de ces enseignes avaient un
poids énorme; d’autres s’avançaient jusqu’au milieu de la rue ou
s’élevaient de plus d’un mètre au-dessus de l’auvent des boutiques.

Les proportions des auvents n’étaient pas moindres; ils servaient d’abri
pour les marchandises ou pour les marchands, contre le grand soleil et
contre la pluie. Ils se succédaient l’un après l’autre, se touchant et
même se superposant, dans toute la longueur d’une rue, de sorte qu’on
pouvait, en côtoyant les boutiques, n’avoir presque rien à craindre des
averses et des coups de soleil. Ces auvents, placés trop bas,
entravaient le passage des charrois et des voitures; placés plus haut,
ils empêchaient l’air et la lumière de circuler dans ces ruelles
étroites où s’amoncelaient les odeurs des boues et des ruisseaux. Nous
ne voyons nulle part que les marchands aient payé un droit à la ville
pour avoir une enseigne, tandis que le droit d’avoir un auvent sur rue
était taxé par le garde de la voirie, sans doute d’après la grandeur de
cet auvent. Ce droit d’auvent fut acquis, moyennant 40 sous, le 6
novembre 1448, du garde de la voirie, pour la maison du _Château
frileux_, située dans la rue de Jouy[19]. Il est probable que ce furent
les marchands eux-mêmes qui demandèrent la suppression des auvents, qui
avaient tellement envahi les rues, que les enseignes n’étaient plus
visibles. Celles-ci, d’ailleurs, s’étaient multipliées en s’agrandissant
tous les jours et en se disputant l’une l’autre une place au soleil. Ce
fut d’abord aux auvents que s’attaqua la police de la voirie: ils furent
donc déclarés gênants et nuisibles, en 1554, par une ordonnance de
police, qui tomba bientôt en désuétude, puisque les auvents reparurent,
plus envahissants que jamais[20]. Il y eut donc lutte continuelle entre
les auvents et les enseignes, jusqu’à la destruction complète des
premiers, qui subsistèrent encore plus d’un siècle, lorsqu’on eut fait
disparaître une partie de leurs inconvénients en réduisant leur largeur
et en fixant la hauteur qu’ils pouvaient avoir. Malgré l’existence des
règlements de voirie contre les saillies qui causaient un embarras sur
la voie publique, les enseignes, qui, à vrai dire, ne gênaient pas la
circulation, échappèrent aux persécutions de la police. Les corps de
métiers avaient assez de puissance et de crédit pour maintenir leurs
enseignes, en dépit des réclamations de la classe bourgeoise. Les
auvents avaient été tour à tour supprimés et rétablis, diminués et
augmentés. Pendant les troubles de la Fronde, lorsque la capitale était
bloquée par l’armée royale, les échevins ordonnèrent aux habitants
d’abattre tous les auvents de leurs maisons[21]. Il est probable que
les enseignes reçurent alors une première atteinte et que les plus
encombrantes partagèrent le sort des auvents. Elles avaient bravé trop
longtemps les lois de la voirie, et l’on peut croire que quelques
accidents décidèrent le lieutenant de police à sévir contre elles. Nous
lisons, dans une lettre de Guy Patin[22], en date du 2 novembre 1666:
«On réforme ici les auvents des boutiques, qui étoient trop grands; à
quoi les commissaires du Châtelet sont fort occupés. Il y en a même deux
d’interdits de leurs charges pour n’y avoir pas vacqué avec assez
d’exactitude; mais on ne diminue pas les tailles, ni les impôts du
Mazarin.» Les auvents avaient sans doute des défenseurs influents, car
ceux-ci, par représailles, dénoncèrent les abus des enseignes, et la
jurisprudence du Châtelet leur donna raison. Voici comment Charles
Robinet, dans ses _Lettres en vers à Madame_[23], raconte cette
rigoureuse prohibition des grandes enseignes:

    Le grand magistrat La Reynie
     *       *       *       *
    A fait passer par les réformes
    Toutes les enseignes énormes
    Et qui, s’avançant trop avant,
    Ainsi que jadis maint auvent,
    A qui l’on a rogné les cornes,
    Passoient de raisonnables bornes,
    Et, dans toute rue et carfour,
    Des lanternes couvroient le jour,
    Dont nous allons avoir affaire,
    Au défaut de cadran solaire,
    Ou, par leur inégalité,
    Péchoient contre la symétrie,
    En toutes choses si chérie.

Cette réduction de la grandeur exagérée des enseignes ne suffisait pas
encore à l’auteur des _Lettres en vers_, car il expose en ces termes les
vœux de l’opinion publique, au sujet de certaines enseignes accusées
d’impiété:

    Mais je voudrois encore plus;
    Si mes avis étoient reçus,
    Je voudrois, par sentiment pie,
    Que l’on n’y mît plus l’effigie
    Ni du bon Dieu ni de ses saints,
    Dont les irrévérends humains
    Signalent les lieux plus profanes.
    Il est des Vénus, des Dianes,
    Des Cupidons, des Adonis
    Et d’autres objets infinis,
    Pour indiquer tous domiciles
    De cette plus grande des villes.

C’était la première fois que les enseignes avaient à se défendre contre
une attaque aussi violente, car l’ordonnance de 1577, relativement aux
enseignes d’hôtelleries[24], qu’on soumit alors à des règles fixes,
n’avait pas même inquiété les marchands, qui professaient le plus
souverain mépris pour les hôteliers et aubergistes, lesquels ne
faisaient partie d’aucune corporation[25]. Les enseignes ne manquaient
pas de protecteurs, qui obtinrent des concessions de la part du
lieutenant de police La Reynie. La dimension des enseignes fut fixée de
manière à ce qu’elles ne payassent aucun droit au fisc, quand elles ne
dépassaient pas cette dimension uniforme et qu’elles étaient appliquées
solidement au mur. Quant aux enseignes saillantes, elles furent
autorisées, ou plutôt tolérées, à condition qu’elles payassent le droit
d’être suspendues, à telle hauteur réglementaire, au-dessus du pavé du
roi[26].

Les enseignes se vengèrent sur les auvents, qui furent dès lors
irrévocablement détruits; puis, elles reprirent petit à petit leurs
anciennes proportions, sous la tolérance de la police, si bien qu’en
1679 elles avaient reparu aussi grandes qu’elles l’étaient avant
l’ordonnance de La Reynie. Les marchands attachaient tant d’importance à
leurs enseignes, qu’ils payèrent tout ce qu’on voulut, et les enseignes
pendantes, dont la taxe continuait à s’élever, se gardèrent bien de
venir se coller honteusement à la muraille. Il n’y en eut jamais un plus
grand nombre, et La Reynie signalait leur éclatante réapparition en
1688. L’autorité ne fit qu’exiger un modèle de potence plus solide, pour
suspendre ces enseignes, et un droit plus fort, pour la permission qu’il
fallait acheter à prix débattu.

En même temps, la pose de toute nouvelle enseigne et le changement
d’une enseigne ancienne donnèrent lieu au payement d’un droit attribué
au voyer[27]. Le bureau de la voirie, qui modifiait à son gré les us et
coutumes du régime des enseignes marchandes et immobilières, exerça
toute espèce de vexations contre les propriétaires de ces enseignes. Les
syndicats des corporations résistèrent et surtout protestèrent; mais,
comme il s’agissait toujours de droits à payer, les contraventions
finissaient par des amendes et des indemnités au profit du voyer et de
la voirie. Tout était bon pour tirer de l’argent des enseignes; et
quand, en vertu de l’édit de 1696, Charles d’Hozier, juge d’armes, reçut
la mission de dresser le recueil général des armoiries qui pouvaient
être portées ou revendiquées en France, afin de les soumettre au
payement d’un droit fiscal, une immense quantité de propriétaires
d’enseignes furent compris au nombre des gens à armoiries, parce que
leurs enseignes avaient arboré des prétentions nobiliaires, ou simulé
des armes de fantaisie, ayant plus ou moins un caractère héraldique.
L’enseigne était désormais un bon produit pour le fisc.

Un édit du mois de mars 1693 avait, d’ailleurs, permis de dresser un
état précis et détaillé de différentes _espèces_ sur lesquelles il était
dû des droits aux commissaires de la voirie. Il suffira d’indiquer les
principaux articles concernant les enseignes[28]:

«Article XII.--Pour les enseignes grandes ou petites, y compris la
potence, s’il y en a, ou autres accompagnements, qu’elles soient
suspendues au-dessus ou au-dessous de l’auvent (on voit que les auvents
avaient regagné du terrain), en quelque nombre qu’il y en ait à la même
maison, un seul droit de quatre livres; mais pareil droit pour chaque
marchand ou artisan, dans la même maison. Si, après l’année révolue, il
était fait ou exposé quelque nouvelle enseigne, nouveau droit de quatre
livres.

»Article XIII.--Pour tous les tableaux appliqués sur les trumeaux et
jambages des portes, ou de la boutique, en quelque nombre qu’ils soient
à la même maison, pour le même marchand, un seul droit de quatre livres.

»Article XXI.--Pour les bustes aux maisons ou encoignures, indiquant la
profession, quelque nombre qu’il y en ait, le tout en une même maison,
un seul droit de quatre livres.

»Article XXII.--Pour les cadrans indiquant la profession, un seul droit
de quatre livres.

»Article XXVIII.--Aucun propriétaire ou locataire des maisons, boutiques
ou échoppes ne pourra faire poser, établir ou échanger aucune desdites
choses ou espèces, qu’il n’ait obtenu préalablement la permission, par
écrit, desdits commissaires.»

Ces articles, si simples en apparence, donnaient prétexte à toutes
sortes de difficultés qui se traduisaient par des amendes ou par des
exactions. Il n’y avait pas un changement d’enseigne qui n’amenât des
tracasseries non seulement de la part des commissaires de la voirie,
mais encore de la part des voisins; car les tribunaux avaient décidé
qu’une enseigne étant une propriété, nul ne pouvait la prendre dans la
même ville, surtout si le commerce et la profession étaient identiques
chez deux concurrents qui se disputaient la même enseigne. De là des
querelles, des procès et des arbitrages. On était bien loin de l’âge
d’or des enseignes, où chacun était libre de choisir et d’adopter
l’enseigne qui lui plaisait, sans être accusé de plagiat, de contrefaçon
ou de concurrence malhonnête, alors que chaque rue avait quelquefois
deux ou trois enseignes semblables pour des métiers différents. Il est
certain, dans tous les cas, que les ordonnances de police, qui réglaient
d’une manière uniforme les dimensions de l’enseigne, furent appliquées
avec la dernière rigueur, car le docteur anglais Lister le constate en
ces termes, dans le récit du voyage qu’il fit à Paris en 1698: «On
ordonna, il y a quelque temps, aux marchands, d’abattre toutes leurs
enseignes à la fois, sans permettre de les avancer, à l’avenir, de plus
d’un pied ou deux au-delà du mur, ou d’avoir plus de telle dimension,
assez petite, en carré. On obéit à l’instant; en sorte que ces enseignes
n’obstruent plus les rues et font, grâce à leur petitesse ou à leur
élévation, aussi peu de figure que s’il n’y en avait point[29].»

Depuis le numérotage des maisons, au XVIIIᵉ siècle, la plupart des
enseignes, que ce numérotage rendait inutiles, avaient disparu, il est
vrai, et il ne restait plus que les enseignes des marchands. Ces
derniers étaient las de subir la tyrannie et la vénalité des
commissaires de la voirie. Ceux-ci proposèrent une réforme générale des
enseignes, dans le courant de l’année 1761, et ils obtinrent des
Trésoriers de France une ordonnance qui devait produire de nouveaux
droits et de nouveaux profits, sous la direction du bureau de la voirie.
D’après cette ordonnance, toutes les enseignes, sans exception, devaient
être placées à quinze pieds de hauteur au-dessus du pavé des rues et
n’excéder les murs des maisons que de deux ou trois pieds. «Sous
prétexte, dit Barbier dans son _Journal_[30], qu’elles seront moins
exposées à se détacher dans les grands vents et qu’elles incommoderont
moins les fenêtres voisines, mais aussi peut-être pour quelques raisons
de droits et de profits.» Les six Corps de marchands s’émurent de
l’ordonnance des Trésoriers de France, qu’ils regardèrent avec raison
comme un moyen de tirer l’argent des bourses. Ils se réunirent d’office
en assemblée générale et firent rédiger un mémoire dans lequel on
appréciait la dépense considérable que l’ordonnance imposait aux gens à
enseignes, vu la difficulté de mettre de niveau toutes les enseignes qui
étaient de grandeur inégale et dont la plupart devraient être
entièrement changées. Le mémoire fut présenté au lieutenant de police,
qui accorda aux six Corps de marchands la permission verbale de
supprimer les enseignes saillantes et de les appliquer en tableau sur
les murs des maisons, dans les trumeaux des croisées. «Ce qui offusquera
encore moins, dit Barbier, les fenêtres du premier étage et la lumière
des lanternes le soir.» Les six Corps de marchands s’engagèrent à faire
exécuter, dans l’espace de deux mois, par tous les membres de leur
corporation, le changement qu’ils avaient accepté dans le système
général des enseignes, et le lieutenant de police décida que toutes les
Communautés d’arts et métiers, qui ne faisaient pas partie des six
Corps, seraient tenues de se conformer au même engagement, sans
ordonnance de police publiée et affichée. Chaque Corps et chaque
Communauté devaient, à tour de rôle, aviser à faire enlever les
enseignes saillantes et à les mettre en placard contre les maisons.
Pendant plus d’un mois, on ne vit dans les rues, où la circulation des
voitures fut presque interrompue, que des ouvriers travaillant, sur des
échelles, à déplacer et à replacer les enseignes, aux frais des six
Corps de marchands et des Communautés de métiers. Ce changement général
fut approuvé par tout le monde, et l’aspect des rues y gagna beaucoup.
«En tout cas, dit Barbier, cela fera repentir le bureau de la voirie de
la réforme qu’il voulait imaginer, par la perte des droits que lui
produisaient les changements et embellissements continuels que l’on
faisait aux enseignes.»

Les auvents subsistaient encore, réduits, il est vrai, à des proportions
restreintes, mais les enseignes saillantes ou pendantes étaient
définitivement condamnées, d’après l’avis des six Corps de marchands.
«Les enseignes saillantes, disait une ordonnance du lieutenant de
police, en date du 17 décembre 1761, faisaient paraître les rues plus
étroites, et dans les rues commerçantes elles nuisaient considérablement
aux vues des premiers étages, et même à la clarté des lanternes, en
occasionnant des ombres préjudiciables à la sûreté publique; elles
formaient un péril perpétuellement imminent sur la tête des passants,
tant par l’inattention des propriétaires et des locataires sur la
vétusté des enseignes ou des potences, que par les coups de vent, qui en
ont souvent abattu plusieurs et causé les accidents les plus funestes.»
Dans la même ordonnance, le lieutenant de police n’avait pas manqué
d’adresser quelques reproches aux marchands, en leur attribuant les abus
qu’il s’agissait de détruire. «Les marchands et artisans, disait-il, ont
tellement négligé de se conformer aux règlements de police, notamment à
l’ordonnance de 1669 par de La Reynie concernant l’élévation, la largeur
et la saillie de leurs enseignes, qu’il semble qu’à l’envi les uns des
autres chaque marchand ou artisan se pique d’enchérir sur son voisin ou
son confrère, par la hauteur, le volume et le poids de son enseigne. Il
y en a même qui, dans les professions les plus communes, ont poussé
l’excès jusqu’au point de placer au-dessus de leurs boutiques les
attributs de leur métier et des figures, soit en massif, soit en relief,
qui, bien loin de servir à la décoration de la ville, comme on pourrait
présumer que telle a été leur intention, choquent les yeux des citoyens,
par leur énormité, ôtent les vues aux voisins, et mettent les passants,
surtout lors des grands vents, dans le cas de craindre d’en être
écrasés[31].» En conséquence, le lieutenant de police ordonnait donc que
tous les particuliers, de quelque qualité et condition qu’ils fussent,
seraient tenus d’appliquer les enseignes contre les murs des boutiques
ou magasins par eux occupés, et d’en supprimer totalement les potences,
dans le délai d’un mois.

Il paraît que _tous les particuliers_ ne s’étaient pas empressés
d’obtempérer à l’injonction du lieutenant de police, car le Bureau des
finances crut devoir ordonner, dans les premiers jours de janvier 1762,
que conformément à l’ordonnance du lieutenant de police, dans le courant
du présent mois toutes les enseignes en saillie fussent supprimées,
plaquées et scellées contre le mur, et ayant tout au plus quatre pouces
de relief, ainsi que les étalages des auvents. Une feuille périodique,
_l’Avant-coureur_, publia, dans son numéro du 11 janvier 1762, de sages
réflexions sur une mesure de police et de voirie qui était déjà exécutée
presque partout, et qui allait transformer de la manière la plus
satisfaisante la physionomie des rues de Paris. «Nous devons dire,
objectait le journaliste, que, même avant la publication des deux
ordonnances, la plus grande partie des marchands en avaient prévenu
l’effet, sur la simple invitation de M. le lieutenant général de police,
et que les yeux étaient déjà flattés de ne plus voir dans les rues ce
_bariolage_ obscur et dangereux, qui les déparait. Il est heureux pour
nous que les magistrats préposés pour la sûreté publique aient bien
voulu concourir entre eux à détruire un usage qui ne pouvait qu’être
nuisible, à tous égards, aux citoyens. Le premier bien d’une réformation
si utile est de rétablir entre les marchands l’égalité que le luxe des
enseignes avait détruite; le second, c’est de procurer la sûreté des
citoyens et l’embellissement de la capitale; et, comme tout ce qui est
avantageux tend à la perfection, on doit espérer qu’aux enseignes
plaquées succéderont les bas-reliefs, des tableaux et autres véritables
ornements, qui honoreront les arts, en même temps qu’ils embelliront
leurs places.» Les vœux du journaliste (sans doute, de Querlon ou La
Dixmerie) furent exaucés, quarante ans plus tard; car la mode des
enseignes peintes, et souvent peintes par des artistes de grand talent,
commença sous le Directoire, prit tout son développement sous l’Empire
et brilla de tout son éclat pendant la Restauration.

La jurisprudence des enseignes paraissait désormais établie par
l’ordonnance de M. de Sartine, à laquelle s’étaient soumis tous les
marchands et artisans. Il y eut cependant quelques contradicteurs et
opposants, qui se refusèrent à retirer les enseignes pendantes et
saillantes, qu’ils regardaient comme une possession acquise depuis
l’ancienne ordonnance de La Reynie et l’édit du mois de mars 1693. On
plaida, et longuement, ainsi que pour la plupart des procès de ce temps,
et l’on est surpris de voir que le droit de voirie pour les enseignes
fut fixé par un arrêt du Parlement, le 11 mai 1765, arrêt qui rappelait
les anciennes ordonnances relatives aux grandes et petites enseignes,
supportées par des potences et faisant saillie à trois pieds du mur dans
les grandes rues et de deux pieds et demi dans les petites. Le rappel de
ces ordonnances impliquait seulement le droit de voirie, qui avait été
de 4 livres par chaque enseigne et qui fut maintenu au même taux, bien
que les enseignes ne fussent plus saillantes et suspendues à des
potences. Nous croyons que ce droit de voirie a été dû et payé jusqu’à
la révolution de 1789. Au reste, les enseignes étaient toujours
autorisées, approuvées et même censurées par la police[32]. Cependant
nous sommes à peu près sûr que, depuis 1789 jusqu’en 1800, la police
avait autre chose à faire qu’à s’occuper des enseignes. Elles n’ont pas
été néanmoins oubliées dans le Code civil: «Une enseigne d’établissement
commercial est une propriété légitime que chacun doit s’abstenir de
léser, en se l’appropriant ou l’imitant de manière préjudiciable.» (Art.
544.) Cet article était sans doute sujet à bien des interprétations,
puisqu’un jugement de l’année 1821 a dû en établir la jurisprudence, en
disant: «Un établissement commercial en possession d’une enseigne peut
exiger qu’un établissement plus nouveau et de même nature change une
enseigne qui ferait confondre les deux établissements, surtout si
l’identité avait donné lieu à des méprises.»

La préfecture de police ne s’est pas désintéressée aujourd’hui des
enseignes de Paris, quoique la plupart de ces enseignes ne soient plus
représentées que par des tableaux figurés ou par de simples
inscriptions. Voici la note curieuse qui a été communiquée au _Figaro_
et qui fut insérée dans le numéro du 10 décembre 1871:

«On s’occupe, depuis quelques jours, à la préfecture de police, de faire
le relevé de toutes les enseignes de Paris, depuis les plus modestes
jusqu’aux plus somptueuses, travail formidable auquel sont employées
plus de cent personnes et qui, néanmoins, ne sera pas terminé avant la
fin du mois de février 1872. L’énumération de toutes ces enseignes
formera quinze à vingt volumes in-folio, d’environ 1,200 feuilles
chacun. Ce recueil, assurément très original et très curieux à
consulter, même pour les amateurs, sera mis gratuitement à la
disposition des personnes qui auront un renseignement à prendre ou une
réclamation à formuler. Toutes les enseignes nouvelles y seront
inscrites, dès qu’elles se produiront, et, afin d’éviter les omissions,
une ordonnance ministérielle obligera les commerçants et industriels à
faire, à ce sujet, une déclaration à la préfecture de police.»

Nous ne pensons pas que cette ordonnance ministérielle ait été faite.



II

ORIGINES DES ENSEIGNES EN FRANCE INSCRIPTIONS ET MONOGRAMMES ENSEIGNES
DES MAISONS ET DES HOTELS


Il est incontestable que les enseignes qui existaient dans la Gaule
romaine, comme dans l’ancienne Rome (et plusieurs inscriptions antiques
en font foi), ont continué d’être en usage chez les Francs, qui se
façonnèrent peu à peu à la civilisation gallo-romaine. Le mot latin
_signum_, employé par Quintilien[33], au Iᵉʳ siècle, pour désigner une
enseigne de boutique, était changé, dans la basse latinité, en
_insignium_, qui devint dans la vieille langue française: _ensigne_,
_ensaigne_, _ensaingne_, _ensengne_, etc., en prenant plusieurs sens
différents, parmi lesquels celui d’enseigne de boutique ou de marchand
nous paraît avoir été appliqué plus tard que les autres. Nous n’en
trouvons pas d’exemple, en effet, avant la fin du XIIIᵉ siècle. Le mot
et la chose existaient cependant bien antérieurement, mais le mot ne
figure pas dans le _Livre des métiers_, rédigé par Étienne Boileau, sous
le règne de Louis IX; toutefois, dès ce temps-là, la rouelle d’étoffe
jaune, que les juifs étaient tenus de porter au-dessus de la ceinture,
s’appelait déjà leur _enseigne_ accoutumée. Les maisons avaient donc, de
même que les gens, leur signe ou leur enseigne, et Jean Boutillier
pouvait dire, dans sa _Somme rurale_, au milieu du XIVᵉ siècle: «A peine
de vie, ou de membre, ou d’estre flastry, ou enseigné d’_enseigne_
publique.» C’était un écriteau que le condamné avait sur la poitrine, en
allant au pilori. Il faut s’étonner que Lacurne de Sainte-Palaye n’ait
pas donné, dans son _Dictionnaire historique de l’ancien langage
françois_, une seule citation qui confirme l’emploi du mot _enseigne_
dans l’acception qui le caractérise le mieux.

Voici les différentes définitions du mot, dans le _Dictionnaire
étymologique de la langue françoise_, par Ménage: «C’est une marque
particulière, qui, aidant à discerner quelque personne ou quelque chose
d’avec une autre, la fait connoître: l’_enseigne_ d’une maison, d’une
hôtellerie; d’une compagnie des gens de pied; une _enseigne_ qui se
portoit autrefois au chapeau ou en quelque autre endroit; l’_enseigne_
d’un sergent ou d’un _messager_, qui est une chose semblable à ce que
l’on appelle l’_émail_, à l’égard des hérauts d’armes; et de là cette
façon de parler: _à telles enseignes_; d’_insigne_ ou d’_insignium_.»
Furetière, dans son _Dictionnaire universel_, bien postérieur à celui de
Ménage, est plus explicite dans les définitions du mot _enseigne_: «Ce
mot signifie ce qu’on pend devant un logis pour faire connoître que
dans ce logis on vend ou l’on fait quelque chose qui regarde le public.
Ainsi les bassins blancs pendus devant un logis marquent un barbier, et
des bassins jaunes un chirurgien. Un clou, pendu au-dessus d’une porte,
montre que l’on vend du vin dans le logis. De la paille et des petits
paniers, pendus devant une maison, avertissent qu’on y vend du lait et
de la crème.» Ces définitions sont empruntées presque textuellement au
_Dictionnaire françois_ de Richelet, publié en 1680.

On a lieu d’être surpris que l’enseigne n’ait pas donné naissance à un
plus grand nombre de ces proverbes, qui sont à la fois la raison et la
malice du peuple[34]. Il n’en est pas un seul antérieur au XVIᵉ siècle.
Gabriel Meurier, dans son _Trésor des sentences_, a recueilli celle-ci
formulée en deux lignes rimées:

    Enseigne du logis ou hôtellerie,
    Chacun cherche et demeure à la pluye.

Dans les _Adages françois_ de la même époque, on trouve ce conseil
proverbial: «Ne t’y fie qu’à bonne enseigne.» Cette expression si
usuelle et non moins proverbiale: «Être logé à la même enseigne,»
s’emploie encore, dans le sens figuré, pour dire: Éprouver le même
malheur, la même perte, le même embarras. On dit qu’un homme est logé à
l’enseigne de la lune, ou bien qu’il a couché en plein air. On dit d’un
méchant portrait ou tableau qu’il est bon à faire une enseigne à bière.
Enfin, l’Académie a maintenu dans son Dictionnaire ce vieux proverbe: _A
bon_ _vin, point d’enseigne_; signifiant que ce qui est bon n’a pas
besoin d’être recommandé. Il faut citer encore cette locution au figuré:
«L’enseigne promet plus qu’elle ne tient.»

Nous croyons que les enseignes des maisons étaient en usage avant les
enseignes des boutiques, car les boutiques, avec leur étalage de
marchandises, annonçaient ainsi suffisamment ce qu’elles offraient au
passant, tandis que les maisons, n’étant pas numérotées, n’avaient aucun
signe extérieur qui les fît distinguer l’une de l’autre. On leur donna
donc des noms d’enseignes, et ces enseignes furent représentées par des
_images_ en tableau ou en relief. La maison prenait aussi le nom de
celui qui l’habitait. Le _Livre de la taille de Paris pour l’an
1292_[35], sous le règne de Philippe le Bel, n’indique pas une seule
enseigne de maison ni de boutique[36]. Les bourgeois et les nobles n’ont
pas d’autre qualification que leur nom propre; les gens du peuple,
marchands ou artisans, sont désignés par leur profession: ainsi _Jehan
d’Orliens, le paintre_; _Nicolas de Tours, armeurier_; _Bernier le
tailléeur_; _Simon le bahutier_ (fabricant de coffres); _Nicolas le
brodéeur_. Voici comment les maisons se trouvent indiquées par le nom de
leur propriétaire ou locataire: «La quinte Queste de la paroisse
Saint-Germain, du coing de la meson Lambert Bouche jusques au coing de
la Hiaumerie et tout contremont la grant rue, jusques au quarrefour de
la Porte, et du quarrefour de la Porte, jusques à la rue des
Lavendières; au renc par devers la meson mestre Pérard de Troyes, et
tout contremont la rue des Lavendières, par devers la meson Jean Augier
jusques à la meson Lambert Bouche.» Dans le _Livre de la taille de Paris
en 1313_[37], les enseignes des maisons et des boutiques ne figurent pas
davantage; mais on peut, en deux ou trois endroits, deviner leur
existence, quoique les noms et les professions des propriétaires ou des
locataires soient simplement mentionnés, comme dans la _Taille de 1292_.
Plusieurs rues sont citées, dont la dénomination provenait certainement
de la principale enseigne qu’on y voyait: la _rue au Lyon_, près la
porte Saint-Denis; la _rue au Cine_ (cygne), dans la Cité; la _rue de
l’Image Sainte-Katherine_; or, dans cette petite rue de la Cité, qui n’a
que trois personnes soumises à la Taille, la première était: _Guillain
l’image, tavernier_, lequel payait 36 sols parisis, et _l’image_ n’était
autre que l’enseigne de la taverne. Dans la _rue à l’Ecureil_, qui
devait aussi son nom à une enseigne, cette enseigne paraît être celle de
Richard de Bray, _buffetier_ (vendeur de vin). Mais tous les gens de
métiers n’avaient pas encore des enseignes, car le _quêteur_ de taille
eût sans doute adopté ce genre de désignation, si l’enseigne avait
existé, dans cet intitulé d’un chapitre de la quête: «Parmi la viez rue
du Temple, à commencer des Blans-Manteaux, à dextre, au rang où le
serrurier demeure, jusques à la rue Anquetin le Faucheux.» Voilà un
serrurier qu’on ne nomme pas et qui, sans doute, n’avait pas
d’enseigne.

Adolphe Berty est le premier archéologue qui ait soigneusement recherché
les enseignes des anciennes maisons, pour deux quartiers de Paris, dans
les _Trois Ilots de la Cité_[38] et dans la _Topographie historique du
vieux Paris_[39]. Cet immense dépouillement de pièces d’archives est
malheureusement resté inachevé, par suite de la mort de l’auteur. Ce
sont les travaux de Berty qui nous ont appris que toutes ou presque
toutes les maisons avaient un nom d’enseigne, sinon une enseigne
effective; que ces noms et ces enseignes changeaient de temps à autre,
quand les maisons changeaient de propriétaire; que ces noms et ces
enseignes se répétaient à l’infini, en sorte que chaque rue avait
souvent, comme les rues voisines, une maison de la _Corne de Cerf_, du
_Grand Godet_, du _Croissant_, de la _Croix blanche_, du _Pied de
Biche_, du _Cheval noir_, ou du _Cheval blanc_, ou du _Cheval rouge_, du
_Plat d’Étain_, du _Sabot_, etc. Ces différents noms, sans cesse
employés et répétés, n’impliquaient pas la présence d’une enseigne
plastique; mais quelques-uns dépendaient de certains signes extérieurs,
de certains détails matériels; ainsi est-il très probable qu’une maison
du _Pied de Biche_ ou du _Griffon_ devait son nom à une sonnette
emmanchée d’un pied de biche ou d’une patte de vautour; de même, une
maison de la _Corne de Cerf_ ou de la _Corne de Daim_ avait sans doute
un véritable bois de cerf ou de daim au-dessus de la porte.

Ce qui est bien constaté dans cette nomenclature de toutes les maisons
d’une rue ou d’un quartier, c’est que la plupart n’ont pas de
désignation avant l’an 1200, et que les enseignes qui se montrent dans
le cours du XIIIᵉ siècle sont fort rares; mais ces enseignes deviennent
nombreuses au XIVᵉ siècle, et presque générales dans le siècle suivant;
elles subsistent encore en partie au XVIIᵉ siècle, pour disparaître au
XVIIIᵉ siècle à peu près complètement. Quand l’enseigne est qualifiée
d’_image_, on peut assurer qu’il s’agit d’une statue en pierre, en
plâtre ou en bois: ordinairement, c’était l’image d’un saint ou d’une
sainte, à qui la maison était, pour ainsi dire, dédiée. Dans son
archéologie des _Trois Ilots de la Cité_, Berty ne cite qu’une maison à
enseigne, qui existait au XIIIᵉ siècle: celle du _Paon blanc_, mais il
indique une dizaine de maisons dont les enseignes dataient du XIVᵉ
siècle: maison des _Trois Chandeliers_ (1358), maison des _Balances_
(1343), maison du _Châtel_ (1369), maison du _Pot d’étain_ (1381),
maison de l’_Échiquier_ (1363), maison de la _Clef_ (1387), maison du
_Panier_ (1346), maison du _Chat_ (1345), maison du _Paradis_ (1343),
maison de la _Seraine_ ou Sirène (1353), maison de l’_Unicorne_ ou
Licorne (1367), maison du _Chapeau_ (1364), maison du _Grand Godet_
(1364), maison du _Chapeau rouge_, etc. Nous nous bornerons à
mentionner, toujours dans les trois îlots de la Cité, quelques maisons à
image qui ne remontent pas au-delà du XVᵉ siècle: maison de l’_Image
Saint-Jacques_ (1415), maison de l’_Image Notre-Dame_ (1427), maison de
l’_Image Saint-Nicolas_ (1456), maison de l’_Image Saint-Pierre_ (1455).
Il n’y a que la maison de l’_Image Saint-Kristofle_ qui soit du XIVᵉ
siècle (1385).

Les mêmes enseignes de maisons se retrouvent dans les études de Berty
sur la région du Louvre et des Tuileries[40], si ce n’est que les
enseignes sont, en général, d’une époque bien postérieure. Quelques-unes
ne datent que du XVIIIᵉ siècle, comme les suivantes: maison du _Puits
sans vin_ (1713), maison des _Barreaux rouges_ (1700), maison du _Grand
Monarque_ (1719). Il n’y a que deux enseignes du XIVᵉ siècle: la maison
des _Trois Morts et trois Vifs_ (1334), dans la rue Saint-Honoré, et la
maison du _Pied de Griphon_ (1397), dans la rue du Chantre. Parfois, le
propriétaire choisit une enseigne analogue à son nom: la maison de la
_Croix de fer_ appartient à Jacques Croix; la maison de la _Moufle_ à
Guillaume Mouflet. En certains cas, le changement d’une enseigne accuse
une intention malicieuse: la maison du _Saint-Esprit_ (1489), dans la
rue du Champ-Fleuri, devient, en 1582, la maison de la _Pantoufle_; une
vieille maison, qui n’avait pas eu d’enseigne jusqu’au milieu du XVIIᵉ
siècle, prend tout à coup, en 1671, l’enseigne burlesque du _Chat-lié_,
par allusion à certain Robert Challier, qui avait été propriétaire d’un
hôtel voisin. Quant à l’enseigne suspecte du _Dieu d’amours_ (1530),
dans la rue Saint-Honoré, elle annonçait peut-être un mauvais lieu,
comme il s’en trouvait beaucoup dans le vieux Paris, et tous avec des
enseignes plus ou moins spéciales. Mais, en revanche, les bons
sentiments pouvaient se faire jour à l’aide d’une enseigne: dans la rue
Fromenteau, une vieille maison, qui avait pris pour enseigne, après la
mort de Henri IV (1610), la _Figure du feu roy Henry_, changea
d’enseigne, sans changer d’image ou de tableau, et s’intitula _Maison de
l’ami du cœur_. Dans la même rue, Gilles Baudouyn, contrôleur de la
Maison du roi, donna pour enseigne, en 1657, à la maison qu’il
possédait, le _Portrait de Louis XIII_. Gabrielle d’Estrées avait, dans
cette même rue Fromenteau, un petit hôtel, que Henri IV acheta pour elle
à M. de Schomberg, mais cet hôtel, ainsi que tous les hôtels des
seigneurs et des nobles, ne portait pas d’autre enseigne qu’un écusson
aux armes de Phelypeaux, qui en avait été le possesseur lorsqu’il eut
acquis l’ancien hôtel de la _Rose_. La belle Gabrielle aurait dû
rétablir cette enseigne-là.

La police d’autrefois n’avait rien à voir dans les enseignes, et la plus
grande liberté était laissée aux propriétaires qui voulaient se donner
le plaisir d’attacher à leur maison une enseigne burlesque, joyeuse ou
même gaillarde. Il y avait seulement un léger droit à payer au voyer,
pour changement d’enseigne. Dans la rue Saint-Honoré, la maison de
l’_Image Saint-Jean_ (1408) prit, en 1624, l’enseigne de la _Vache
couronnée_. Rien n’était plus fréquent alors que de couronner, dans une
enseigne, la vache, le bœuf, le cheval, le singe et même l’âne. On ne
voyait, dans ces singuliers couronnements, aucune injure à la royauté.
Ainsi la maison du _Bœuf couronné_ (1416), qui avait adopté l’_Image de
Saint-Martin_ en 1489, devait, en 1719, échanger son saint contre un
tableau représentant le _Grand Louis_ ou le _Grand Monarque_. C’était
une épigramme contre le Régent, duc d’Orléans, que d’inaugurer une
enseigne de Louis le Grand à deux pas du Palais-Royal et de l’hôtel du
cardinal Dubois.

Cette enseigne du _Grand Monarque_ avait été une flatterie des bourgeois
de Paris, sous le règne de Louis XIV. On la retrouve, dans divers
quartiers, avec les dates de 1680 à 1700. Dans la rue Jean-Saint-Denis,
près de la rue Saint-Honoré, elle avait succédé, en 1687, à l’enseigne
de la _Grimace_, qui datait de 1603 et qui était peut-être un souvenir
de ce bateleur populaire surnommé _maître Grimache_. Les rébus et les
jeux de mots fournissaient des enseignes plaisantes à certains
propriétaires de ce quartier. Par exemple, on trouvait, là comme partout
ailleurs, des maisons _Au Cygne de la Croix_ (1687), où le calembour
(_Signe_) pouvait seul expliquer la présence d’un cygne au pied d’une
croix. L’enseigne de l’_Étrille fauveau_ (1577) reproduisait en rébus le
sujet de ces vers de l’épître du _Coq-à-l’âne_, composée par Clément
Marot:

    Une étrille, une faux, un veau,
    C’est-à-dire, _étrille fauveau_,
    En bon rébus de Picardie.

Un autre rébus de Picardie, la _Vertu de l’assurance_, c’est-à-dire de
l’_A sur anse_ (1613), dans une enseigne de la Cité, rue du Chantre, ne
fut peut-être pas beaucoup plus compréhensible, en créant l’enseigne de
la _Petite Vertu_, dont nous ne connaissons pas la représentation
figurée (1680). Il était encore plus facile de comprendre l’enseigne des
_Gracieux_, que la prononciation transformait en _Gras scieux_ et que le
peintre avait représentés sous la figure de trois gros hommes sciant du
bois.

Les alentours du vieux Louvre avaient conservé un grand nombre de très
vieilles maisons, construites au commencement du XIVᵉ siècle, mais dont
les enseignes primitives avaient été changées plusieurs fois depuis leur
fondation. La maison de l’_Image Saint-Pierre_ (1700), appartenant à
l’Hôtel-Dieu, n’avait pas moins de 500 ans; elle avait d’abord porté
l’enseigne de l’_Étrille_ (1353). Dans la rue des Poulies, la maison du
_Papegaut_ (Perroquet) n’avait cette enseigne que depuis 1426, mais elle
en avait eu sans doute une autre, puisqu’elle était déjà construite en
1364. Une maison voisine, bâtie à la même époque, avait porté l’enseigne
de la _Licorne_, en 1491; elle subsistait encore au commencement du
XVIIIᵉ siècle et prenait alors le nom d’_Hôtel des Parfums_. Enfin, une
des plus anciennes maisons du quartier, la maison des _Trois Morts et
trois Vifs_ (1334), avait été décorée, dès l’origine, d’un bas-relief
sculpté, représentant la sombre légende si célèbre au moyen âge et
contemporaine de la Danse macabre, selon laquelle trois chevaliers,
allant s’ébattre à la chasse, étaient accompagnés à leur insu par trois
squelettes chevauchant à côté d’eux et les conduisant à la mort.
L’enseigne subsista pendant plus de deux siècles; la maison était encore
debout en 1696, mais elle avait bien changé de destination, puisqu’elle
portait alors pour enseigne l’_Ile d’amour_ et qu’elle devait être
occupée par des femmes de mauvaise vie.

La publication du premier volume de l’_Inventaire sommaire des Archives
hospitalières_ a fait connaître un grand nombre de maisons, la plupart
très anciennes; mais toutes ces maisons, appartenant à l’Hôtel-Dieu, qui
en était devenu propriétaire par le fait de donations et de legs
charitables, avaient été louées au commerce et à l’industrie. C’est donc
aux métiers de Paris qu’il faut rapporter la plupart de ces enseignes,
qui ne furent pas changées tant que l’Hôtel-Dieu conserva la propriété
des maisons. Cependant, ce fut la veuve Nicole de Villiers qui fit don,
à l’Hôtel-Dieu, en 1531, d’une maison à l’enseigne du _Chat qui pêche_,
maison sise dans la rue du Petit-Pont. Le _Château frileux_, au coin de
la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs, dans la Cité, et la maison voisine de
l’_Écu de France_, située au parvis Notre-Dame, avaient été loués au
Bureau de la Ville, qui y siégea jusqu’en 1747. On peut encore citer une
très belle maison, à l’enseigne de l’empereur _Marc-Aurèle_, dans la rue
Taranne: elle avait été léguée à l’Hôtel-Dieu, le 2 septembre 1661, par
Françoise Servais, veuve de Louis de Vanderbuch, dit Aved, peintre du
roi. On trouvera, dans le chapitre des enseignes de marchands[41], la
nomenclature de beaucoup de maisons à enseignes, que les administrateurs
de l’Hôtel-Dieu louaient à bail et qui ne changèrent pas de nom, la
plupart du moins, pendant trois ou quatre siècles, quoique ces maisons
fussent occupées par des commerçants et des gens de métiers, plutôt que
par des bourgeois et des familles du tiers état.

On peut, ce me semble, établir une différence notable entre les
enseignes des maisons et celles des boutiques. Les enseignes des maisons
étaient ou devaient être sculptées en pierre, ou modelées en terre
cuite, quelques-unes contemporaines de la maison elle-même et ayant été
engravées au ciseau dans la muraille même au-dessus du fronton de la
porte; elles étaient généralement peintes ou dorées. Les images ou
statuettes reposaient sur des piédestaux en pendentifs, ou s’abritaient
dans des niches ogivales, plus ou moins ornementées et fleuronnées à la
manière du style gothique. Un très petit nombre de ces images étaient
en métal, mais beaucoup sans doute en bois colorié. Il faut comprendre
parmi ces enseignes les inscriptions et les monogrammes, qui ne
figuraient pas seulement au-dessus de l’entrée principale, et qui
souvent se trouvaient répétés en différents endroits de la façade.
Malheureusement, le Paris ancien ayant à peu près disparu, depuis
soixante à soixante et dix ans, par suite de la reconstruction des
maisons, il est bien peu d’enseignes sculptées qui aient échappé aux
démolisseurs.

Ainsi on voyait encore, à la fin du XVIIᵉ siècle, dans la rue
Saint-André-des-Arcs, la maison de Jacques Coictier, le médecin de Louis
XI, laquelle conservait au-dessus de la porte la représentation figurée
d’un arbre chargé de fruits, avec cette devise en rébus: _A
l’Abricotier_. Mais cette maison, bâtie sur l’ancien emplacement de
l’hôtel de Navarre, près de la porte de Bucy, à l’endroit même où
s’ouvre aujourd’hui le passage du Commerce, n’était plus celle de
l’_Éléphant_, que Louis XI avait donnée à son médecin et que les
héritiers de celui-ci firent rebâtir; on sait pourtant que la maison de
l’_Éléphant_ avait, sur le mur de sa cour intérieure, l’image sculptée
d’un oranger ou d’un abricotier, chargé de fruits; ce qui expliquerait
le changement de l’enseigne de l’_Éléphant_[42].

La belle enseigne de la _Cour du Dragon_, dans la rue de
l’Égout-Saint-Germain, vis-à-vis de la rue Sainte-Marguerite, a survécu
à ces deux rues disparues depuis vingt ans. Faisant suite à la rue
Sainte-Marguerite, cette cour ou passage devait porter le même nom, et
l’architecte

[Illustration]

avait eu l’idée de lui donner pour enseigne le dragon légendaire sous la
forme duquel le diable apparut à sainte Marguerite et l’avala d’une
seule bouchée; assez délicatement pour que la sainte ayant fait le signe
de la croix dans les entrailles même du monstre en pût ressortir saine
et sauve.--Et voilà pourquoi sainte Marguerite était invoquée par les
femmes en couches. La porte monumentale au-dessus de laquelle on voit ce
dragon issant d’un cartouche évidé, les ailes étendues et la tête
fièrement dressée contre la console d’une fenêtre du premier étage,
superbe sculpture du xviiᵉ siècle, qui donne une idée de ce qu’était
naguère la statuaire des enseignes, se trouve aujourd’hui presque au
coin du boulevard Saint-Germain et de la rue de Rennes, au nº 50 de
cette dernière. Par contre, on a détruit, vers la même époque, une
maison de la rue du Four, ornée d’une enseigne représentant la _Fontaine
de Jouvence_, petite sculpture du XVIᵉ siècle, un peu mutilée, dans
laquelle cette fontaine semble placée sous l’invocation de Vénus
dominant la vasque supérieure: une femme puise de l’eau, et de l’autre
côté, un vieillard rajeuni s’éloigne. Cette jolie enseigne a été
conservée; elle fait partie des collections si intéressantes du musée
Carnavalet, ainsi que l’enseigne du _Chapeau fort_, grand feutre
couvrant un fort bastionné, sculptée sur la façade de la maison d’un
chapelier, rue de l’École-de-Médecine (XVIIIᵉ siècle).

[Illustration]

Il ne reste plus guère de maisons anciennes portant des inscriptions et
des monogrammes; signalons cependant, rue de la Huchette, au nº 14, la
maison de l’_Y_, enseigne de chaussetier (_lie-grègues_), qui est
entaillée dans la pierre, au milieu d’un rond à bordure architectural
et reproduite dans la ferrure des balcons. Il n’y a plus trace, dans la
rue Mignon, d’une petite maison à porte cochère, sur laquelle on lisait
cette inscription latine: «_In fundulo, sed avito_,» que Benserade
traduisait plaisamment par ces mots: «Je suis gueux, mais c’est de
race[43].» L’interprétation des monogrammes offrait encore plus de
difficultés et d’obscurités que les devises et les rébus, qui, selon le
caprice des propriétaires, s’attachaient au frontispice des maisons.
Depuis le milieu du XVIᵉ siècle, par exemple, Catherine de Médicis avait
fait sculpter, sur les colonnes des Tuileries, une foule de symboles
mystérieux, avec des H et des C ou D entrelacés. Mais personne n’avait
pu les expliquer avant l’abbé Terrasson, qui, le premier, en 1762, dans
son _Histoire de l’ancien hôtel de Soissons_, y a reconnu les chiffres
du roi et de Catherine de Médicis et des signes allégoriques de la
viduité de la reine. L’helléniste J.-B. Gail a reproduit dans son
_Philologue_[44] ce passage de Brantôme[45], qui explique une partie de
l’énigme: «Nostre reyne, autour de sa devise que je viens de dire, y
avoit fait mettre des trophées, des miroirs cassez, des éventails et
pennaches rompus, des carquans brisés, et des pierreries et perles
espandues par terre et les chaînes toutes en pièces, le tout en signe de
quitter toutes bombances mondaines, puisque son mary estoit mort.» Quant
au chiffre, qu’on a pris tour à tour pour le monogramme de Diane de
Poitiers et celui de la reine et de Henri II, Catherine, peut-être
confondant à dessein, l’avait fait _insculpter_ non seulement sur les
colonnes du palais des Tuileries, mais encore sur l’arcade de la rue de
Jérusalem, construite et sculptée par Jean Goujon, et sur la colonne qui
lui servait d’observatoire et qui seule subsiste du palais qu’avait bâti
pour elle l’architecte Jean Bullant sur l’emplacement de la Halle au blé
actuelle[46].

[Illustration]

Il est à regretter que les érudits du XVIᵉ siècle n’aient pas recueilli
les belles inscriptions grecques qui avaient été gravées sur les maisons
du poète Baïf et du jurisconsulte Pasquier. C’étaient là des enseignes
bien dignes de ces illustres savants.

Nous avons dit que les hôtels des grands seigneurs ne portaient pas
d’autres enseignes que leurs armoiries sculptées, peintes ou dorées,
souvent avec leurs devises. Au commencement du XVIIᵉ siècle, il y eut
quelques inscriptions plus simples et plus faciles à comprendre, car la
langue héraldique n’était pas à la portée de tout le monde: le nom du
propriétaire fut donc inscrit avec ses titres sur le linteau de la porte
d’honneur de son hôtel, quelquefois avec la date de la construction de
cet hôtel. Plus tard, on abrégea cette inscription, et le cardinal de
Richelieu avait fait graver ainsi, en lettres d’or, ces deux mots
seulement: PALAIS CARDINAL, au-dessus de la principale entrée de son
palais. Cette inscription elliptique fut, au dire de Sauval, _dix ans
durant, et bien maltraitée et bien contrôlée tout ensemble_[47].
«Balzac, en 1652, ajoute Sauval, prétendoit que cette inscription
n’étoit ni grecque, ni latine, ni françoise; et pour lors écrivit qu’il
ne pouvoit souffrir des incongruités en lettres d’or, et ce frontispice
fastueux, par l’ordre de ses supérieurs. Outre que cette critique ne fut
pas trop bien reçue pour un _Socrate chrétien_, dont il avoit pris la
qualité, c’est que pas un grammairien ne prit son parti, tant s’en faut:
on prétendit que c’étoit un gallicisme, et même consacré par un usage
aussi vieux que l’Hôtel-Dieu, les Filles-Dieu, la place Maubert.» La
même critique se renouvela plus tard, avec plus d’acrimonie, lorsque le
chancelier Séguier eut fait graver ces deux mots: _Hôtel Séguier_,
au-dessus du portail de son hôtel, dans la rue de Grenelle-Saint-Honoré,
hôtel qui n’avait pas eu d’inscription, quand il appartenait au duc de
Bellegarde et à Gabrielle d’Estrées, duchesse de Liancourt. «Si Balzac
eût vu une telle usurpation, dit Sauval, peut-être s’en fût-il plaint
aussi bien que de celle du Palais Cardinal.»

Ces inscriptions, qui sont de véritables enseignes de maison, ont
toujours été en usage depuis, même en pleine République de 1793; on a lu
longtemps sur le fronton de la porte de l’hôtel de la Trémoille, au nº
50 de la rue de Vaugirard, cette inscription bizarre: _Hôtel de la
Fraternité_. Quelques hôtels ont gardé de ces temps un souvenir
singulier; c’est ainsi qu’on lit encore sur l’hôtel du quai de la
Tournelle, portant le double numéro 55, 57, cette inscription: _Hôtel
ci-devant de Nesmond_; un de ses voisins était et est demeuré l’_Hôtel
du ci-devant président Rolland_. Des inscriptions semblables se
retrouvent encore, au Marais notamment. Au reste, les enseignes et les
dénominations des maisons étaient moins monotones et plus pittoresques
que les numéros par rue, comme à l’origine du numérotage, ou par section
circulaire, comme cela se fit d’une façon assez peu intelligible à
l’époque du Directoire. Nous regretterons donc, pour la distraction des
yeux et de la pensée, cette multitude d’enseignes variées, parfois si
singulières et si amusantes, qui témoignaient du caprice ingénieux des
bourgeois de Paris; nous ne sommes pas fâché de voir surgir çà et là
quelques protestations à cet égard. Par exemple, quand la rue de Rivoli,
en vertu de la loi du 4 octobre 1849, fut prolongée jusqu’à l’Hôtel de
ville, M. Henri Labrouste, architecte de la maison nº 122, fit sculpter
sur la façade, par Thomas Gruyère, un grand bas-relief portant la date
de 1855, à l’usage de cadran solaire et symbolisant le temps vrai et le
temps moyen: le Temps vrai élève un miroir sur lequel rayonne l’heure de
midi; le Temps moyen consulte une horloge. Trois petits génies
complètent l’allégorie: à droite, le Matin versant la rosée; à gauche,
le Soir couronné d’étoiles; au milieu, le Midi tenant un flambeau et des
dards; au-dessous on lit cette inscription morale et philosophique:
_Vera intuere, media sequere_ (_contemple le temps vrai, mais suis le
temps moyen_[48]).



III

ENSEIGNES DES MARCHANDS, DU XIIIᵉ AU XVIᵉ SIÈCLE


Les enseignes des marchands ont été certainement bien postérieures à
celles des maisons; ces enseignes, qui servaient à distinguer entre
elles les industries et à empêcher de confondre une maison de commerce
avec une autre, n’étaient pas d’une nécessité absolue, puisque toutes
les maisons eurent leurs enseignes depuis la fin du xiiiᵉ siècle et que
l’enseigne de la maison suffisait pour la boutique. Celle-ci,
d’ailleurs, avait en quelque sorte son enseigne parlante, puisque les
marchandises qu’on devait y trouver étaient exposées plus ou moins
simplement aux regards du public. Cet étalage, il est vrai, n’avait
aucune analogie avec les pompeux et brillants étalages de nos magasins.
La boutique, qu’on nommait _fenêtre_ ou _ouvroir_, au moyen âge, ne
ressemblait guère, en effet, à une boutique du Palais-Royal ou des
boulevards du Paris moderne. C’était généralement une salle basse du
rez-de-chaussée, très obscure et très enfumée, communiquant de
plain-pied avec la rue, par une porte étroite, toujours ouverte, excepté
dans les plus grands froids; une large baie, sans vitrage, représentait
une espèce de fenêtre, qui ne se fermait que la nuit avec des volets, et
devant cette fenêtre, à hauteur d’appui, une tablette assez étroite
servait à l’exposition permanente des marchandises ou des denrées qui
s’offraient en nature au choix des passants. Ce qui rendait les
boutiques si sombres à l’intérieur, c’était moins le peu de largeur des
rues que les auvents énormes destinés à protéger les passants et les
marchandises contre la pluie et le soleil. Les enseignes ne pouvaient
être visibles, dans la rue, que si elles débordaient la ligne des
auvents et se balançaient dans l’air au-dessus d’eux, à l’extrémité de
longues potences en fer.

Il en résulta naturellement que les marchands se contentèrent longtemps
des enseignes de leurs maisons, sans en ajouter à leurs boutiques,
d’autant plus que la plupart des maisons étaient fort étroites, quoique
très élevées, et n’avaient pas plus d’une boutique, avec deux fenêtres
de façade. On s’explique ainsi comment toutes les maisons furent garnies
d’enseignes, longtemps avant que les boutiques en eussent aussi pour
leur propre compte. Il est, d’ailleurs, bien difficile de reconnaître
les enseignes, qui appartenaient aux boutiques plutôt qu’aux maisons,
car les unes et les autres, qui devaient différer de forme, d’aspect et
de disposition, représentent d’ordinaire les mêmes _images_ et affectent
les mêmes dénominations. Ainsi, dans nos archives domaniales, les
chartes et les actes qui concernent la propriété foncière des maisons de
Paris n’indiquent que les enseignes de ces maisons et passent sous
silence celles des boutiques. On a lieu de s’étonner que les érudits qui
ont parlé des enseignes en général, aient négligé de faire aucune
distinction entre ces deux catégories d’enseignes, n’ayant ni la même
origine, ni le même but, ni le même caractère. Nous ne serions pas
éloigné de croire que les changements d’enseigne, si fréquents aux XVᵉ
et XVIᵉ siècles, accusent non seulement des changements de propriétaires
dans les maisons qui changeaient d’enseigne, mais des changements de
commerce et d’industrie dans les boutiques qui dépendaient de ces
maisons. D’après les renseignements certains que nous fournissent trois
sources principales de documents authentiques--savoir: deux articles
d’Adolphe Berty sur _les Trois Ilots de la Cité_, publiés en 1860 dans
la _Revue archéologique_; trois volumes de la _Topographie du vieux
Paris_ (quartier du Louvre et quartier Saint-Germain), par le même
auteur, et l’_Inventaire des Archives hospitalières de Paris_--les
maisons, à quelques rares exceptions près, sont mentionnées sans aucune
désignation, avant le XIVᵉ siècle; c’est seulement au XVᵉ siècle que les
enseignes apparaissent de tous côtés et qu’elles subissent souvent deux
ou trois transformations dans le cours de ce siècle-là; ces
transformations d’enseigne et ces changements de nom se continuent
pendant les deux siècles suivants; à partir de l’édit de police de 1661,
les enseignes de maison disparaissent presque complètement et cèdent la
place aux enseignes de marchand.

L’enseigne la plus ancienne qu’on ait citée jusqu’à présent[49], serait
celle de _la Corbeille_, aux Champeaux, c’est-à-dire sur l’emplacement
même où Philippe-Auguste avait fait construire les Halles en 1180; or,
cette maison à enseigne, qui aurait existé, à cet endroit-là, vingt-six
ans plus tard (1206), nous semble bien problématique, et le fait
mériterait d’être appuyé sur une preuve incontestable, qu’Adolphe Berty
n’a pas donnée avec son exactitude ordinaire dans son beau travail sur
les _Enseignes de Paris avant le_ XVIIᵉ _siècle_. On a cité aussi, sous
la date de 1212, une autre enseigne, celle de _l’Aigle_, dans le cloître
Notre-Dame; mais la preuve fait également défaut à cette citation. Dans
tous les cas, ce ne serait pas là une enseigne de marchand. C’est dans
nos chapitres consacrés aux hôtelleries et aux cabarets[50] qu’on
trouvera plusieurs enseignes dont l’existence est bien constatée et qui
datent de la même époque à peu près. Quant aux _images_ de saint et de
sainte qui peuvent avoir servi d’enseignes à des boutiques aussi bien
qu’à des maisons, nous en parlerons dans le chapitre des enseignes de
corporation et de confrérie[51]. Il s’agit, toutefois, de rechercher ici
quelles sont les premières enseignes qui peuvent avoir été appendues par
des marchands aux maisons où ils avaient leurs _ouvroirs_. Ces enseignes
seraient donc, à notre avis, celles qui offrent quelque instrument de
travail ou quelque autre objet applicable à telle ou telle profession, à
tel ou tel commerce. Il suffira de relever ces enseignes marchandes,
dans les savantes recherches d’Adolphe Berty sur trois îlots de la Cité
et sur le quartier du Louvre; la Cité et le Louvre étant les deux plus
anciens quartiers de Paris.

CITÉ[52]. RUE DE LA JUIVERIE. Maison de la _Heuse_, ou de la _House_,
c’est-à-dire de la Botte, vers 1400; ce serait la maison d’un
cordonnier.--Maison de la _Chausse de Flandres_, vers 1450; ce serait la
maison d’un chaussetier, fabricant ou vendeur de chausses, de bas,
etc.--Maison des _Trois Chandeliers_, 1358. Ce pouvait être la maison
d’un marchand de chandelles.--Maison des _Balances_, 1343. Peut-être la
maison d’un balancier ou vendeur de poids et balances, à moins que ce ne
fût le dépôt des balances publiques ou du Poids du roi.--Maison du _Pot
d’étain_, 1381. Ce doit être un ferblantier, qu’on appelait alors un
Potier d’étain. En 1575, c’était la maison de la _Roue de fer_, sans
doute l’officine d’un ferronnier.--Maison des _Connils blancs_, 1468.
C’est sans doute la maison d’un éleveur de lapins domestiques.

RUE DES MARMOUSETS. Maison de la _Nef d’argent_, 1432. Pouvait être la
maison d’un orfèvre, la nef d’argent étant un grand vase à boire ou une
pièce d’orfèvrerie, qu’on ne voyait que sur la table des princes et des
grands seigneurs.--Maison du _Plat d’étain_, 1433. Encore un potier
d’étain.--Maison de la _Clef_, 1387. N’est-ce pas la maison d’un
serrurier?--Maison de la _Housse-Gilet_, 1415. Maison ou boutique d’un
tailleur ou _couturier_.

RUE AUX FÈVES. Maison du _Billart_, 1423. Fabrique de billes ou balles,
pour les jeux de mail ou de paume, etc.--Maison de la _Cage_, au XVᵉ
siècle. N’est-ce pas un marchand de poisson, qui avait une _cage_ ou
boutique à garder du poisson vivant?--Maison du _Panier_, 1346.
Peut-être un vannier qui fabriquait des paniers de jonc et
d’osier.--Maison du _Heaume_, 1429. Pourquoi ne serait-ce pas la demeure
ou la boutique d’un armurier?

RUE DE LA LICORNE. Maison du _Sabot_, 1487: maison ou boutique d’un
sabotier, sinon d’un cordier, le sabot étant un outil de deux espèces,
employé par ces deux métiers.

RUE DU HAUT-MOULIN. Maison du _Pourcellet_, 1375. N’est-ce pas un
charcutier qui demeurait là?--Maison du _Chapeau_, 1364, ou du
_Chaperon_, 1445. Est-ce un fabricant ou vendeur de coiffures de
tête?--Maison du _Grand Godet_, 1364. Marchand de hanaps, de coupes, de
verres à boire.--Maison du _Paon blanc_, 1391.

RUE DE GLATIGNY. Maison du _Cercel_, c’est-à-dire du _Cerceau_, en 1362.
Cette maison était une taverne.

QUARTIER DU LOUVRE[53]. RUE DE BEAUVAIS. Maison du _Gobelet d’argent_.
Peut-être un orfèvre?--Maison du _Coq_, 1519. Un poulailler?

RUE CHAMPFLEURY. Maison du _Gros tournois_, 1373. Un changeur ou un
banquier?--Maison de la _Pantoufle_, 1582. Une boutique de
pantouflier.--Maison du _Patin_, 1573. C’est, à coup sûr, un cordonnier
pour dames.--Maison de l’_Entonnoir_, 1591. Un tonnelier? Cette maison
changea trois fois d’enseigne, à la fin du XVIIᵉ siècle, pour se placer
tour à tour sous la protection de la _Ville de Mantes_, de la _Ville de
Munster_ et de la _Ville de Bruxelles_.--Maison de l’_Étrille_, 1353.
Était-ce une écurie ou un cabaret, qu’on appelait ainsi au
figuré?--Maison des _Deux Coignées_, 1451. A coup sûr, c’est un
charpentier.

RUE DU COQ. Maison de la _Chausse_, 1401. Un chaussetier,
bonnetier.--Maison des _Trois Poissons_, 1489. Un pêcheur ou un
poissonnier, marchand de marée.--Maison du _Van_, 1490. Un vannier,
ouvrier en osier, sinon un vanneur ou bluteur de farine.

RUE FROMENTEAU. Maison de la _Couronne_, 1420. Les couronnes d’or
étaient les armes parlantes des orfèvres.--Maison du _Pan_, sorte de
filet de chasse, 1425. Fabrique de filets.--Maison de la _Cuillère_,
1524. Un potier d’étain, ne fabriquant que des cuillers. Mais, en 1571,
ce fut la maison de la _Cuiller de bois_, quand le potier d’étain eut
cédé la place à un boisselier, fabricant d’objets de ménage en
bois.--Maison de la _Teste de Bélier_, 1574. Un abattoir, ou un
échaudoir.--Maison du _Fer à cheval_, 1550. Maréchal ferrant.

RUE SAINT-HONORÉ. Maison du _Cheval rouge_, 1350. Sans doute une
hôtellerie.--Maison du _Papegaut_ ou Perroquet, 1426. Un oiselier,
vendeur d’oiseaux rares?--Maison des _Trois Serpettes_, 1568. Un
fabricant de coutellerie.--Maison du _Bœuf_, 1378. Un boucher.--Maison
du _Heaulme_, 1378. Un heaumier, fabricant de casques et armures de
tête.--Maison de la _Huchette_, 1432. Menuisier, fabricant de huches et
de bahuts.--Maison de la _Croix d’or_, 1415. Orfèvre.--Maison de la
_Pelle_, 1410. Fabricant d’outils de bois.--Maison de la _Clef_, 1411.
Serrurier.--Maison du _Plat_ ou du _Pot d’étain_, 1489. Potier
d’étain.--Maison de la _Crosse_, 1489. Orfèvre.--Maison du _Bœuf et du
Mouton_, 1413. Boucher.--Maison du _Godet_, 1413. Potier d’étain ou
plombier, fabricant de gobelets.

Nous avons remarqué que, parmi les enseignes que nous laissons de côté,
en recueillant les précédentes, quelques-unes portaient les noms de
différentes villes de France et de l’étranger. Ces enseignes, ce nous
semble, peuvent être attribuées à des marchands, qui avaient signalé
ainsi, soit le lieu de leur naissance, soit leurs rapports commerciaux
avec les villes qui figuraient sur ces enseignes. Voici donc, à titre de
spécimens, quels sont les noms de ville qui avaient été mis sur des
enseignes, dans ces anciennes rues de la Cité et du quartier du Louvre
que nous venons de parcourir sous la direction du savant archéologue
Adolphe Berty.

CITÉ. RUE DES MARMOUSETS. Maison de _Jérusalem_, 1508. Le propriétaire
de cette maison était un marchand et bourgeois de Paris, nommé Jean
Legras, qui avait fait le voyage de la terre sainte, peut-être pour son
commerce, et qui, en 1557, fit une fondation de vingt livres de rente
annuelle, à prendre sur sa maison, en faveur de la confrérie du
Saint-Sépulcre, ayant son siège dans l’église du couvent des Cordeliers.

RUE FROMENTEAU. Maison de la _Ville de Tours_, 1600.

RUE CHAMPFLEURY. Maison de la _Ville de Mantes_, 1680, puis, de la
_Ville de Munster_, 1687; puis, de la _Ville de Bruxelles_, 1700. On
peut supposer que cette maison, que nous avons citée déjà plus haut,
était une auberge, qui a cherché successivement sa clientèle parmi les
voyageurs de Mantes, de Munster et de Bruxelles, en changeant chaque
fois de propriétaire.

RUE SAINT-HONORÉ. Maison de la _Ville de Cornouaille_, 1687. C’était
assurément une auberge.--Maison de la _Ville de Lude_, 1687.--Maison de
la _Ville de Lunel_, 1687.

RUE JEAN-SAINT-DENIS. Maison de la _Ville de Lyon_, 1668.--Maison du
_Bois de Boulogne_, 1680[54].

La plupart de ces enseignes, avec des noms de ville, sont du XVIIᵉ
siècle; on ne peut donc pas supposer que la représentation de chaque
ville était sculptée en relief sur la pierre, comme cela avait eu lieu
au moyen âge. Il y eut peut-être quelques tableaux dans lesquels
l’imagination des peintres avait fait les frais d’une vue de la ville
que l’enseigne annonçait; mais il est plus probable que l’enseigne se
bornait à une simple inscription.

Quant aux enseignes héraldiques, telles que l’_Écu de France_, l’_Écu de
Bretagne_, l’_Écu d’Orléans_, etc., c’étaient ordinairement des
hôtelleries qui se les attribuaient, pour s’en faire un titre d’honneur
et de recommandation. Mais les marchands ne se privaient pas de les
prendre aussi, dans l’intérêt de leur commerce (nous en dirons quelque
chose dans le chapitre des enseignes armoriées[55]). Ils ne craignaient
pas, pour ce fait, d’être recherchés et inquiétés par les juges d’armes
attachés à la Maison du roi. Les marchands se permettaient tout dans
leurs enseignes, si ce n’est de blesser l’honnêteté publique, et
pourtant cette enseigne drôlatique, _Au Q couronné_, a subsisté rue de
la Ferronnerie, depuis 1680 jusqu’à nos jours, sans avoir mis en émoi la
pudeur de la police. On assure même que plus d’un des propriétaires du
_Q couronné_ eut le bonheur de faire fortune, grâce à son enseigne, qui
était encore plus impertinente que celle où l’on voyait figurer le _Bœuf
couronné_ et la _Vache couronnée_. Cependant il faut bien dire que M.
l’abbé Dufour a rectifié l’opinion de M. de La Quérière, qui s’étonnait
d’avoir rencontré, en 1828, cette enseigne qu’il qualifiait
d’irrévérencieuse: «C’est tout simplement la marque d’un balancier, dit
M. l’abbé Dufour. Les balanciers habitaient alors cette rue et prenaient
pour enseigne la lettre qui leur servait à poinçonner leurs
produits[56].»

[Illustration]

C’est au XVᵉ siècle que l’enseigne des marchands règne partout dans
Paris et prend la place de l’enseigne des maisons. A partir de cette
époque, pas une boutique, pas une échoppe qui n’ait son enseigne,
modeste ou triomphante, religieuse ou libertine, sévère ou plaisante,
bizarre ou ridicule. Nous pouvons, en quelque sorte, nous représenter
cette variété d’enseignes, comme si nous nous promenions dans les rues
du Paris de ce temps-là, en lisant et en commentant une facétie en prose
intitulée: _le Mariage des quatre fils Hémon et des filles de Damp
Simon_[57], laquelle n’est autre qu’une nomenclature des enseignes de
Paris, imprimée et sans doute réimprimée plus d’une fois à la fin du XVᵉ
siècle. Il y avait alors devant la grande Boucherie, près du grand
Châtelet, une enseigne des _Quatre fils Aimon_, tous quatre montés sur
le même cheval. Cette enseigne rappelait un roman de chevalerie, que
tout le monde connaissait, et ce fut là sans doute ce qui fit le succès
de l’enseigne, qui avait une sorte de célébrité. Une marchande de la rue
du Cygne emprunta au même roman le sujet d’une autre enseigne, celle des
_Trois Filles de Damp Simon_, qu’on pouvait regarder comme le pendant de
l’enseigne des _Quatre fils Aimon_. Quand on avait vu la première, on
voulait voir la seconde. La badauderie parisienne se chargea de la
renommée des deux enseignes. Un littérateur de carrefour prit de là
occasion d’inviter, en quelque sorte, toutes les enseignes de Paris au
mariage des Quatre fils Aimon avec les Trois filles du seigneur Damp
Simon.

Voici comment s’est fait le mariage, «avec tout l’ordre qui a été gardé
au banquet». Tout par enseignes, enseignes partout. La _Grâce du
Saint-Esprit_, du bout de la rue des Lavandières, est descendue sur
l’_Image Saint-Pierre_, du chevet de l’église Saint-Gervais; et, à la
requête des _Trois Rois de Cologne_, de la Grande-Rue-Saint-Jacques, et
des _Trois Roines_, du grand _ouvrouer_ (ouvroir), on veut faire, au
carrefour Saint-Innocent, le mariage des _Quatre fils Aimon_, de devant
la Boucherie, avec les _Trois filles de Damp Simon_, devant l’église
Saint-Leu et Saint-Gilles, et, pour avoir une quatrième épousée, on
songe à prendre la _Pucelle Saint-Georges_, au bout de la rue
Trousse-Vache. Quant aux filles de la noce, qui devront tenir compagnie
aux épousées, on a les _Trois Pucelles_, qui sont devant la porte de
maître Jean Turquet, et la _Nonnain qui ferre l’oue_ (l’oie), au ponceau
(rue du Ponceau) de la rue Saint-Denis.

Quel doit être le parement des épousées? Les _Fermiaux_ (agrafes) de la
rue Quinquampoix, les diamants et les ceintures de la _Couronne_ et de
la _Fleur de lys_, du cimetière Saint-Jean. Les épousées auront, en
outre, la _Couronne_, du carrefour de la Porte-de-Paris. Tous ceux qui
viendront à la fête auront les _Chappelets_, de la porte Baudet, et les
Gands, de la rue des Arsis. Les _Ménestriers_ de la salle de danse qui
est dans la rue de la Tonnellerie mèneront les épousées à l’église aux
sons de leurs instruments. Les seigneurs de la noce seront le _Chevalier
au cygne_, de la rue des Lavandières, _Samson fortin_ (le fort), de la
rue de la Harpe, et l’_Image Saint-Georges_, de la rue des Barres; les
rois et les chevaliers logeront au _Château de Pontoise_, rue de la
Cossonnerie; les reines et les dames, au _Palais du Terme_ (des
Thermes), rue de la Harpe.

Le mariage aura lieu au _Moutier_ (église), rue de la Cossonnerie; puis,
en la _Chapelle_ du carrefour du Temple, rue des Gravilliers, devant
l’_Image Notre-Dame_. Le _Cardinal_, de la Pierre-au-Lait, célèbrera le
mariage; le _Prêcheur_, du chevet de l’église Saint-Jacques, chantera la
messe; l’_Ange_, de devant l’église Saint-Gervais, et celui de la rue
aux Fèvres, de devant l’église Saint-Innocent, tiendront les cierges.
Avant la cérémonie religieuse, il faudra que les époux aillent faire
leurs serments, en présence du _Dieu d’amours_, de devant le Palais, et
en face d’un autre _Dieu d’amours_, de la Pierre-au-Lait: jurant que le
mariage sera bon et valable, par la _Fête-Dieu_, du bout de la rue de la
Grande-Truanderie; par le _Petit-Saint-Antoine_, des Halles, et par le
_Vaudeluque_ (fanfaron), de la rue des Lombards. Les _Champions_, de la
Croix-Hémon, combattront contre tout homme qui dira le contraire.

Il faudrait maintenant choisir un homme sage, discret et clairvoyant,
qui sache ordonner la dépense et tout le fait des noces. Ce sera
l’_Homme aux deux têtes_, à la porte aux Peintres. On lui remettra donc
l’argent, à savoir le _Gros Tournois_, de la cave de Pontis, et celui du
Petit-Pont; et, pour savoir s’ils sont de poids, on les pèsera aux
_Balances_, de la Croix-du-Tiroir. Puis, nous les mettrons en la
_Huchette_, de la rue Saint-Martin, laquelle sera fermée avec la _Clef_,
du cimetière Saint-Jean, et celle de la rue des Ecouffes. Ensuite, quand
il s’agira de les prendre, pour faire les achats, on les mettra dans les
_Bourses_, du Petit-Pont et dans celles de la porte Baudet, de la porte
du Cloître-Notre-Dame et des Halles. Quand il s’agira de faire les
_Garnisons_ (provisions), on les prendra à la _Grange_ du Petit-Pont; le
blé sera criblé à la _Cave_ et au _Van_, en la rue du Roi-de-Sicile, et,
pour le porter au moulin, afin d’en faire le pain de la fête, nous le
mettrons sur l’_Ane rayé_, en la Vannerie, ou sur celui de la Verrerie,
pour l’aller moudre au _Moulinet_, en la Vannerie, ou aux autres
_Moulinets_, devant Saint-Séverin et auprès de l’église Saint-Côme et
Saint-Damien.

Quant au vin, il faut le chercher aux _Bouteilles_, devant le Palais, ou
au _Barillet_, devant Sainte-Opportune. Au banquet, les rois et les
reines boiront à la _Coupe d’Or_, de la Savonnerie, ou à la _Coupe
d’Argent_, du marché Palu, et les autres convives boiront au _Grand
Godet_, rue de la Lanterne, en la Cité; aux _Gobelets_, en Grève; au
_Voirre_ (verre), rue de Jouy. On cuira le pain, les tartes, pâtés et
flans, au _four Ganquelin_, rue de l’Arbre-Sec.

Venons-en aux apprêts du banquet. On trouvera le _Queux_ (cuisinier), au
bout de la rue aux Anglais; le _Chaudron_, devant l’Hôtel-Dieu et à la
Vieille-Monnaie; la _Poële_, au bout de la rue des Parcheminiers; le
_Pot de Cuivre_, devant le parvis Notre-Dame; le _Gril_, rue de la
Mortellerie, ou bien près de l’église Saint-Benoît, en la rue
Saint-Jacques; le _Jaunet_ (lard jaune), rue Saccalie; le _Lard taillé_,
au carrefour Guillory; le _Trépied_, au carrefour du Temple; le
_Soufflet_, à la bastille Saint-Denis, ou rue des Deux-Portes; le
_Mortier_, rue Saint-Josse, ou rue Aubry-le-Boucher, et le _Pestel_
(pilon), devant le Palais; le _Verjus_, à la _Treille_, rue de la
Calandre; l’eau, pour faire le potage, à la _Fontaine de Jouvence_, et
l’eau, pour laver la vaisselle, au _Puits_, lequel appartient à sœur
Colette, qui fait si bien les bonnes saucisses, rue d’Arsis.

Or, comme il importe de faire compte des pots de cuivre et d’étain, on
ira chercher les _Tableaux_ en la rue Saint-Merry. Quant à la vaisselle
d’étain, on prendra les _Plats_ rue Tirechappe; les _Quatre Ecuelles_,
en la rue des Prêcheurs; le _Pot d’étain_, à la porte aux Peintres, et à
l’enseigne des _Déchargeurs_, rue Geoffroi-le-Sueur.

A présent, les viandes pour les rois et les reines, comme pour le
commun. On prendra le _Lièvre_ devant l’église du Saint-Sépulcre; le
_Veau_, devant Saint-Merry; le _Taureau_, devant Saint-Bon; les _Deux
Moutons_, rue de l’Hirondelle, derrière le collège d’Autun; le _Chapon_,
devant Saint-Antoine; le _Coq_ et la _Géline_ (poule), rue des
Lavandières; les _Connins_ (lapins), rue de la Mortellerie, et rue de la
Juiverie; les _Coulons_ (pigeons), devant la _Tête-Noire_,
Grande-Rue-Saint-Martin. Et, pour faire les entremets, on prendra le
_Paon_ à la pointe Sainte-Eustache; les _Deux-Cygnes_, rue de la Harpe;
le _Faisan_, rue Tirechappe; les _Perdrix_, rue Hautefeuille, devant les
Cordeliers; les _Tourterelles_, en la rue du Four.

Tous ceux qui serviront les rois et les reines seront vêtus de draps,
qui se vendent aux _Poulies_, rue des Blancs-Manteaux, et ils
trancheront avec des _Couteaux_, qui sont devant Sainte-Croix en la
Cité. On mettra le relief du repas de noces aux _Trois Corbillons_, rue
de la Tannerie, pour distribuer ce relief aux _Quinze-Vingts_, rue
Maudetour.

On se pourvoira des meubles nécessaires pour la salle du banquet: la
_Table roulante_, rue de la Saunerie; les _Tréteaux_, en la
Grande-Rue-Saint-Jacques; la _Chaire_ (siège), au Petit-Pont; le linge,
au _Fardel_ (fardeau), rue Saint-Denis; le _Chandelier_, rue
Saint-André-des-Arts, afin d’y mettre les _Chandelles_ de la rue
Mauconseil.

Pour les convives qui ne mangent que du poisson, on aura les _Deux
Saumons_, de la porte Montmartre; le _Gournau_ (gournal, espèce de
rouget), de la rue de la Saunerie; le _Turbot_, de la rue
Saint-Julien-le-Pauvre; le _Barbeau_, de devant les Béguines, en la rue
Geoffroy-l’Anier; la _Raie_, de la rue Geoffroy-Langevin; la _Lamproie_,
sous les piliers des Halles, où l’on fabrique la cervoise (bière) pour
ceux qui ne boivent pas de vin.

Pour issue de table, on prendra le _Cerf_, en la rue Baillehoé, ou en la
rue de la Calandre; le _Sanglier_, devant l’église Saint-Julien, en la
rue Saint-Martin. Quant aux fruits, on les trouvera à la _Pomme_, devant
le Saint-Sépulcre; le _Poirier_, au bout de la rue du Temple; le
_Noyer_, aux Fossés-Saint-Germain; le _Figuier_, au bout de la rue des
Nonaindières, et le _Mûrier_, au Champ-Gaillard.

Précautions à prendre pour garder la fête: on aura _Ysoré_ et _Guillaume
au court nez_, en la place Maubert; puis, nous tiendrons l’_Huis de
fer_, de la rue de la Saunerie, et celui de la rue Aubry-le-Boucher. Les
champions seront armés de l’_Haubergeon_, de devant Saint-Michel, en la
Cité; des _Deux Heaumes_, de la porte Baudet, le petit et le grand; des
_Gantelets_, du carrefour Saint-Séverin, et du _Gantelet_, de la rue de
Georges-la-Mer, à la Barre-du-Bec; de l’_Épée_, de la rue Saint-Denis;
de l’_Écu de France_, de la rue Neuve-Notre-Dame, ou de celle de la
Vannerie, ou de celle de la porte de Paris; et, pour se mieux défendre,
n’ont-ils pas la _Massue_, de la rue Jean-Tison?

Il y aura quelques joyeux ébattements pendant le dîner, savoir: l’_Homme
sauvage_, de la rue aux Fèvres, ou celui de la Bûcherie, au Petit-Pont;
les _Trois Mores_, de la rue Saint-Martin, qui danseront et feront
danser l’_Ours_ et le _Lion_, de la rue Michel-le-Comte, ou ceux de
devant l’église Sainte-Marine, et les _Singes_, en la rue de
Vieille-Pelleterie; ils montreront la _Grimace_, de la rue Saint-Denis,
la _Truie qui file_, des Halles, et la _Truie qui vole_, de la rue des
Lombards.

Après le dîner, les convives pourront s’amuser à l’_Échiquier_, qui est
auprès de l’église de la Madeleine, et avec les _Dés_, en la rue
Thibaut-aux-Dés.

Et qui voudrait aller en chasse au gibier, pourrait avoir le _Grand
Cornet_, du chevet de l’église Saint-Jean; le _Cheval blanc_, de la rue
Neuve-Notre-Dame; le _Cheval rouge_, de la rue de la Verrerie; le
_Cheval noir_, de la rue Regnault-le-Fèvre; le _Cheval vert_, de la rue
Pierre-au-Lard. Il faudrait, en outre, la _Selle_, en la rue de la
Tabletterie, ou celle de la rue Saint-Denis; la _Heuse_ (botte), de la
porte Baudet, et celle de la rue Saint-Martin; les _Éperons_, de la rue
Saint-Denis; les _Brides_ et les _Freins_, de la rue Perrin-Gasselin.
Et, s’il pleut, ils auront contre la pluie la _Housse-Gilet_, de la
porte Saint-Denis, et celle de la rue de la Harpe; le _Chapeau rouge_,
de devant Saint-Jean-en-Grève, et les _Moufles_ (gants de chasse), du
pont Perrou, pour porter le _Faucon_, qui est devant le petit
Saint-Antoine, ou pour aller prendre les _Trois Canettes_, devant les
Moulins du Temple.

Que si les reines et les dames veulent s’ébattre à la promenade, elles
auront le _Chariot_, de la porte Saint-Honoré. Quand elles voudront se
promener par eau, elles auront la _Nef d’argent_, au bout de la rue des
Poulies, et celle de devant l’hôtel d’Anjou, pour voir pêcher à la
_Nasse_, en la rue de Darnetal, et pour prendre les _Trois Bequets_
(brochets), près l’église Saint-Magloire, et les _Trois Poissons_, de la
Savonnerie.

Quant aux gens du commun peuple, ils pourront aller voir le _Jeu de
Paume_, de Braque, au Poncelet, et celui de la rue Grenier-Saint-Ladre.
Ils viendront jouer aux _Billes_ et au _Billard_, en la rue
Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Ils peuvent encore aller veiller aux
champs et souper à la _Pierre de Bailly_, devant le _Beau roi Philippe_.
Ils peuvent aussi aller se mettre au _Lit_, à l’abreuvoir Popin: c’est à
savoir qu’il faut chercher la coulte (couvre-pied) et le coussin
(oreiller), les draps et les couvre-chefs (bonnets), au _Fardeau_, déjà
nommé, et le lit sera couvert de la _Penne_ (édredon), d’auprès l’église
Saint-Séverin, et nos gens iront coucher, quand l’_Horloge_, devant
Sainte-Catherine, sonnera.

Aucune description ne donnerait une idée plus complète et plus
pittoresque des enseignes de Paris, si nombreuses et si variées en ce
temps-là. On a remarqué que les mêmes enseignes se trouvaient dans des
quartiers différents. On a pu constater aussi que la plupart des
enseignes de marchand étaient analogues à leur genre de commerce et à
leur profession. Mais, dans cet ingénieux _Mariage des quatre fils
Hémon_[58], il n’est fait mention que de cent cinquante enseignes[59],
entre lesquelles il n’en est que trois ou quatre plaisantes, comme la
_Nonnain qui ferre l’oie_, la _Truie qui file_, la _Truie qui vole_,
etc. Or, on doit estimer à plus de trois mille le nombre des enseignes,
qu’on voyait à Paris en ce temps-là, relatives à l’industrie, au
commerce et à la marchandise.



IV

NOMS DES RUES, PROVENANT DE LEURS ENSEIGNES


C’est le peuple, le bas peuple surtout, qui a baptisé les rues de Paris
au moyen âge, et leurs parrains sont restés tout à fait inconnus. Le
nom, une fois trouvé et donné, n’était pas toujours accepté par les
habitants de la rue, que la voix publique avait dénommée sans demander
leur avis. Il arrivait aussi que le premier passant venu changeait ce
nom de son autorité privée, si le nom n’était pas à son gré et ne lui
semblait pas convenir à la rue qui le portait. De là, les différents
noms attribués simultanément à la même rue, qu’il n’est pas toujours
aisé de reconnaître sous ces noms multiples qu’on rencontre dans des
actes authentiques de la même époque. Voilà pourquoi l’histoire des
anciennes rues et ruelles de la capitale est si difficile à éclaircir
complètement, aux XIVᵉ et XVᵉ siècles, comme aux XVIᵉ et XVIIᵉ. Les
rues, en effet, ne reçurent en quelque sorte leur état civil que vers
l’année 1728, lorsque René Hérault, lieutenant général de police,
s’occupa non seulement de créer le numérotage des maisons, mais encore
de fixer d’une manière définitive les noms des rues. C’est lui qui
commença, en cette année-là, à faire poser, à l’entrée et à la sortie de
chaque rue, des plaques de tôle sur lesquelles étaient inscrits les noms
que l’usage paraissait avoir consacrés. Ces noms avaient été peints en
gros caractères noirs sur des feuilles de fer-blanc découpées de la même
grandeur et clouées à l’angle des rues, sur la première et la dernière
maison de chaque rue ou ruelle. Quant aux numéros, ils étaient également
peints, au-dessus des portes des maisons, en couleur blanche sur fond de
couleur bleue ou rouge. On n’avait pas adopté, dès l’origine, la
division des numéros pairs et impairs; les numéros se suivaient d’un
bout à l’autre de la rue, revenant ensuite par l’autre côté, de façon
que le dernier se retrouvait en face du premier.

On ne tarda pas à s’apercevoir que l’emploi des plaques de tôle portant
le nom des rues était sujet à bien des accidents. Ici, les gens du
quartier, mécontents de ce qu’on avait donné la préférence à un nom qui
leur plaisait moins qu’un autre, arrachaient ces plaques ou les
mutilaient, en effaçant le nom qu’elles portaient. Là, le propriétaire
de la maison à laquelle on avait attaché, sans son consentement, une
plaque nominative, la faisait disparaître, sous prétexte de faire
réparer, ou gratter, ou badigeonner cette maison. Le lieutenant général
de police crut devoir intervenir, et publia une ordonnance, en date du
30 juillet 1729, défendant d’endommager les plaques qu’on avait apposées
aux deux extrémités de chaque rue, et enjoignant aux propriétaires des
maisons où ces plaques seraient attachées, de faire mettre, en leur lieu
et place, de grandes tables de pierre de liais, où seraient gravés en
creux les noms des rues, dans le cas où ces propriétaires auraient à
faire enlever lesdites plaques pour des travaux à exécuter aux façades
de leurs maisons, ou bien si ces plaques avaient été détériorées par
quelque cause que ce fût. Le continuateur de De La Mare constate, en
1738, que les propriétaires se prêtèrent volontiers à l’exécution de
cette sage ordonnance et prirent même l’initiative de poser des plaques
aux encoignures intermédiaires entre les deux extrémités de la rue[60].
Plusieurs de ces plaques sont aujourd’hui conservées au musée
Carnavalet. Il y a quarante ans, on voyait encore, au coin de bien des
rues de Paris, l’ancien nom gravé sur une pierre de liais encastrée dans
le mur de la première maison de ces rues-là, car, depuis que la rue
avait eu son nom inscrit sur la pierre, avec approbation du lieutenant
de police, personne n’avait plus songé à changer ce nom officiel, si
bizarre, si étrange, si incompréhensible qu’il pût être. Ces noms de rue
séculaires se trouvaient ainsi placés sous la sauvegarde de la
tradition.

Combien d’anciennes rues devaient leurs noms à des enseignes qui, la
plupart, n’existaient plus depuis longtemps, mais dont quelques-unes
étaient encore à la même place depuis deux ou trois siècles! Il n’est
peut-être pas sans intérêt de rechercher aujourd’hui ces noms de rue,
qui sont comme des épitaphes sur des tombeaux. Beaucoup de rues n’ont
pas même laissé de trace, et c’est à peine si l’on parvient à préciser
l’endroit qu’elles occupaient; mais il suffira de rappeler ici leurs
noms, en rapprochant ces noms des enseignes qu’ils représentent et qui
ont été quelquefois la cause de leur renommée populaire. Dans cette
rapide nomenclature on verra que les enseignes et les rues qu’elles ont
nommées vivent un peu plus longtemps que les simples mortels; en
revanche, les unes et les autres sont oubliées encore plus vite que les
hommes qui ont eu des enfants et des amis. On peut dire d’une enseigne
fameuse et d’une rue plus ou moins fréquentée, qu’on supprime tout à
coup, selon le bon plaisir du service de la voirie: _Sic transit gloria
mundi_. Voici donc, par ordre alphabétique, quelles étaient et quelles
sont encore les rues qui ont dû leurs noms à des enseignes[61]:

* _Rue des Deux-Anges_, quartier Saint-Germain-des-Prés. Deux images
d’anges, placées aux extrémités de cette rue, lui avaient donné ce nom.

* _Rue de l’Arbalète_, quartier Saint-Benoît. Elle a pris son nom d’une
enseigne de l’_Arbalestre_, qui était au coin de cette rue, nommée, au
XIVᵉ siècle, rue des Sept-Voies, antérieurement à l’enseigne.

* _Rue de l’Arbre-Sec_, quartier du Louvre. Ce nom, que la rue portait
déjà au XVᵉ siècle, lui venait d’une enseigne de maison, qu’on y voyait
encore du temps de Sauval, près de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois.

_Rue de l’Arche-Dorée_, quartier Saint-Paul, ancien nom de la rue de
l’Étoile: selon Jaillot, elle devait son nom à une enseigne de
l’_Arche_, qui pendait à une maison appartenant à un sieur Dorée.

_Rue Aumaire_, quartier Saint-Martin-des-Champs. Cette rue se
prolongeait jadis au-delà de la rue Frépillon et prenait, à cet endroit,
le nom de _rue de Rome_, à cause de l’enseigne d’une maison.

_Rue du Pont-aux-Biches_, quartier Saint-Martin. Ce nom lui venait d’un
petit pont ou ponceau, construit sur un égout, et d’une enseigne des
_Biches_.

_Rue du Bout-du-Monde_, quartier Saint-Eustache. Ainsi nommée d’une
enseigne en rébus, où l’on avait représenté un _bouc_, un _duc_, sorte
d’oiseau, et un globe terrestre figurant le _monde_.

_Rue de la Calandre_, quartier de la Cité. «Le plus grand nombre des
auteurs, disent Hurtaut et Magny, conviennent qu’elle a pris son nom
d’une enseigne, mais ils ne s’accordent point sur la représentation de
cette enseigne. Les uns disent que c’était un de ces insectes qui
rongent le froment et qu’on nomme aussi _charançon_; les autres, une
espèce de grive que les Parisiens appellent _calendre_; d’autres disent
que c’est une espèce d’alouette, nommée _calandre_; d’autres enfin, que
c’est une machine avec laquelle on tabise et on polit les draps, les
étoffes de soie, et Sauval dit que c’est là la véritable origine du nom
de cette rue.»

* _Rue des Canettes_, quartier du Luxembourg. Elle tire son nom de
l’enseigne des _Trois Canettes_.

* _Rue des Petits-Carreaux_, quartier Saint-Denis. Elle tire son nom
d’une enseigne qu’on y voyait encore à la fin du dernier siècle.

* _Rue du Cherche-Midi_, quartier de la Croix-Rouge. Selon Sauval,
c’était le nom d’une enseigne, où l’on avait peint un cadran et des gens
qui y cherchaient midi à quatorze heures. «Cette enseigne, ajoute-t-il,
a semblé si belle, qu’elle a été gravée, et mise à des almanachs tant de
fois, qu’on ne voyait autre chose. On en a fait un proverbe: _Il cherche
midi à quatorze heures_, _c’est un chercheur de midi à quatorze
heures_.» L’enseigne fut remplacée depuis par une enseigne sculptée en
pierre, qui subsiste encore.

* _Rue du Gros-Chenet_, quartier Montmartre. L’enseigne d’une maison,
située au coin de la petite rue Saint-Roch, lui avait donné son nom.

* _Rue Cloche-Perce_, quartier Saint-Antoine. Nom altéré de
_Cloche-percée_, que la rue portait autrefois à cause d’une enseigne
qu’on y voyait encore en 1636.

_Rue du Cœur-Volant_, quartier du Luxembourg. Elle devait son nom à une
enseigne peinte, qui représentait un cœur avec des ailes, dit le _Cœur
volant_.

_Rue du Coq_, quartier du Louvre. Cette rue a tiré son nom de la maison
du _Coq_, qui avait pour enseigne un coq en bas-relief, armes parlantes
de l’ancienne famille Le Coq.

_Rue des Coquilles_, quartier de la Grève. Elle fut ainsi nommée à cause
de l’hôtel des Coquilles, situé en cette rue et décoré, sur la façade,
de coquilles sculptées figurant l’enseigne de la maison; il existe
encore, à l’alignement de la rue de Rivoli.

_Rue de la Corne_, quartier du Luxembourg. Ainsi nommée de la corne de
cerf qui pendait pour enseigne d’une maison, au coin de la rue du Four.

* _Rue du Croissant_, quartier Montmartre. Une enseigne représentant la
lune dans son croissant lui avait fait donner ce nom.

_Rue de la Croix-Blanche_, quartier Sainte-Avoie. Nom d’une enseigne.

* _Rue du Cygne_, quartier des Halles. Nom d’une enseigne au XIIIᵉ
siècle.

_Rue des Cinq-Diamants_, quartier Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Nom de
l’enseigne d’une maison de cette rue.

_Rue de l’Écharpe_, quartier Saint-Antoine. Nom d’une enseigne.

* _Rue des Deux-Écus_, quartier Saint-Eustache. Elle tire son nom de
l’enseigne d’une maison.

* _Rue de l’Épée-de-bois_, quartier de la place Maubert. Nom d’une
enseigne.

_Rue de l’Étoile_, quartier Saint-Paul. Elle doit son nom à l’enseigne
d’une vieille maison qu’on appelait le Château de l’Étoile.

_Rue de la Femme-sans-tête_, quartier de la Cité. Elle avait pris son
nom d’une enseigne satirique, qui représentait une femme sans tête,
tenant à la main un verre de vin, avec cette légende: _Tout en est bon_.

* _Rue des Quatre-Fils_, quartier du Temple. Ainsi nommée à cause de
l’enseigne des _Quatre Fils Aimon_, représentés, en costume de guerre,
sur le même cheval.

_Rue de la Fontaine_, quartier de la place Maubert. Ainsi nommée de
l’enseigne d’une maison.

_Rue des Fuseaux_, quartier Sainte-Opportune. Elle avait pris son nom de
l’enseigne d’une maison, représentant trois fuseaux.

* _Rue de la Harpe_, quartier Saint-André-des-Arts. On l’appelait déjà,
au XIIIᵉ siècle: _vicus Citharæ_. Son nom lui vient de cette enseigne,
qu’on voyait encore, il y a un siècle, à la seconde maison à droite,
au-dessus de la rue Mâcon.

* _Rue de l’Hirondelle_, quartier Saint-André-des-Arts. Ce nom lui vient
de l’enseigne d’une vieille maison qu’on appelait l’hôtel de l’Arondale.

* _Rue de la Huchette_, quartier Saint-André-des-Arts. Ce nom lui vient
de l’enseigne d’une maison au XIIIᵉ siècle.

_Rue de la Lanterne_, quartier de la Cité. Nom d’une enseigne, en 1397.
Cette enseigne, qui était celle d’une maison située au coin de la rue
des Marmousets, paraît avoir été mentionnée, en ces termes, dans la
_Taille_ de 1292: «Agnès, de la Lanterne, regrattière.»

* _Rue du Petit-Lion_, quartier du Luxembourg. Nom de l’enseigne du
_Petit Lion_.

_Rue des Trois-Maures_, quartier Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Elle
doit son nom à l’enseigne d’une auberge, fameuse au XVIᵉ siècle.

_Rue du Petit-Moine_, quartier de la place Maubert. Elle tirait son nom
d’une enseigne.

_Rue du Noir_, quartier de la place Maubert. Cette rue devait son nom
populaire à l’enseigne du _More_ ou _Maure_.

* _Rue des Oiseaux_, quartier du Temple. Elle doit son nom à une
enseigne.

* _Rue du Paon_, quartier Saint-André-des-Arts. Nom d’une enseigne. Il y
avait dans le quartier de la place Maubert une autre rue du Paon,
nommée aussi par une enseigne.

* _Rue de la Perle_, quartier du Temple. Elle devait son nom à
l’enseigne d’un jeu de paume.

* _Rue du Plat-d’étain_, quartier Sainte-Opportune. Elle a pris son nom
de l’enseigne d’un hôtel qu’on y voyait encore au XVIᵉ siècle.

_Rue du Poirier_, quartier Saint-Martin-des-Champs. Nom d’une enseigne.

* _Rue des Prêcheurs_, quartier des Halles. Ce nom lui a été donné, au
XIVᵉ siècle, à cause de l’enseigne d’une maison qu’on appelait l’hôtel
du Prêcheur.

_Rue de Rats_, quartier de la place Maubert. Nommée ainsi, dès le XIIIᵉ
siècle, à cause d’une enseigne.

_Rue du Roi-Doré_, quartier du Temple. Ce nom lui vient d’un buste du
roi Louis XIII, qu’on avait placé à l’entrée de cette rue et que le
peuple appelait le _roi doré_, parce que ce buste était doré.

* _Rue du Sabot_, quartier Saint-Germain. Nom d’une enseigne. Cette rue
s’était d’abord appelée rue de l’Hermitage, qui fut également le nom
d’une enseigne.

_Rue de Venise_, quartier de la Cité. Nommée ainsi à cause d’une
enseigne _à la Ville de Venise_.

* _Rue des Quatre-Vents_, quartier du Luxembourg. Nom d’une enseigne.

Ce n’étaient pas là les seules rues qui tirassent leurs noms des
enseignes de maison ou de boutique, et l’on pourrait en citer un certain
nombre d’autres qui sont évidemment nommées par les enseignes, quoique
la tradition se taise à leur égard. Il était aussi tout naturel que le
nom de la rue, emprunté à une enseigne, ne survécût pas à cette
enseigne quand celle-ci avait disparu. Voici encore quelques rues
signalées par J. de La Tynna comme ayant des noms qui provenaient
également des enseignes[62].

Le pont aux Meuniers, qui traversait le grand bras de la Seine à côté du
pont au Change, fut reconstruit à la fin du XVIᵉ siècle par un
entrepreneur nommé Marchand, qui lui donna son nom; mais le peuple, qui
baptisait volontiers les rues de Paris, changea le nom de ce nouveau
pont et le nomma le _pont aux Oiseaux_, parce qu’on avait peint, sur la
façade de chacune des maisons élevées de chaque côté dudit pont, un
oiseau différent pour servir d’enseigne.

La rue du Chaudron, dans le faubourg Saint-Martin, devait son nom à une
enseigne qui existait encore en 1816.

* La rue de la Clef, dans le quartier Saint-Médard, avait pris ce nom
d’une enseigne de maison à la fin du XVIᵉ siècle.

Le passage de la Croix-Blanche, dans la rue Saint-Denis, était ainsi
nommé à cause d’une enseigne.

* La rue de l’Éperon, quartier Saint-André-des-Arts, avait porté
successivement plusieurs noms, avant le dernier, qui lui vint d’une
enseigne, en 1636.

La place des Trois-Maries, sur le quai de l’École, portait ce nom, dès
1554, à cause de l’enseigne d’une maison.

Le passage de la Marmite, dans la rue des Gravilliers, avait le nom
d’une enseigne, qu’on voyait encore, en 1816, rue Phelipeau, en face de
ce passage.

* La rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, dans la rue Saint-Denis, avait
subi de nombreuses variations de nom, dans lesquelles le lion se
trouvait toujours, pour rappeler l’enseigne d’une maison, qui subsiste
encore au nº 4 et représente un lion sculpté au-dessus de la porte.

Le passage du Panier-Fleuri, dans le cul-de-sac des Bourdonnais, portait
le nom de l’enseigne d’un marchand de vin voisin.

* La rue Servandoni, quartier Saint-Sulpice, eut d’abord deux noms,
provenant l’un et l’autre de deux enseignes: rue du Pied-de-biche et rue
du Fer-à-cheval.

La rue du Pot-de-fer, quartier Saint-Sulpice, devait aussi son nom à une
enseigne, comme une autre rue du quartier Saint-Marceau, laquelle avait
pris, en 1586, le même nom, à cause d’une enseigne analogue.

Le passage et la cour du Puits-de-Rome, dans la rue des Gravilliers,
étaient ainsi nommés, parce que l’enseigne d’une maison voisine leur
avait donné ce nom-là. C’est ainsi que, dans la rue Montorgueil, le
passage du Saumon conserve encore le nom de l’ancienne enseigne de la
maison qui lui sert d’entrée.

Il y avait, au XIVᵉ siècle, dans la rue Saint-Denis, une ruelle de
l’Ane-Rayé, qui devint le cul-de-sac des Peintres. L’enseigne de l’_Ane
rayé_ représentait un zèbre.

* La rue Cloche-Perce, qui devait son nom, comme nous l’avons dit, à
l’enseigne de la _Cloche percée_, eut à subir, pendant huit ou dix ans,
du temps de Sauval, un changement de nom, par le fait d’une autre
enseigne de la _Grosse Margot_, «qu’avoit mis là un tavernier fameux
pour son bon vin»; on l’avait nommée rue de la Grosse-Margot[63].

Au reste, les rues de Paris, au moyen âge, changeaient si souvent de
noms, par suite de changement d’enseignes qui avaient la vogue à tour de
rôle, qu’il est maintenant bien difficile de constater topographiquement
la place de ces rues. Il en est une que Hurtaut et Magny n’ont pas
mentionnée et qui ne figure pas, à son ordre alphabétique, dans le
_Dictionnaire_ de J. de La Tynna, quoique ce dernier l’ait citée, sans
aucun détail, à l’article de la rue de la Petite-Truanderie, dans le
quartier Montorgueil. C’est, en effet, le nom de cette rue de la
Petite-Truanderie, qui fut métamorphosé, à cause d’une enseigne, vers le
milieu du XVIIᵉ siècle, et qui devint, tant que dura l’enseigne, la rue
du Puits-d’Amour. Ce puits public existait encore, dans cette rue,
quoique à demi ruiné, du temps de Sauval, qui dit y avoir vu _tirer de
l’eau_. On lisait, sur la margelle, cette inscription en lettres
gothiques:

    Amour m’a refait
    En 525 tout à fait.

C’était quelque amoureux, sans doute, qui avait fait réparer le vieux
puits, en souvenir de la triste aventure qui rendit ce puits célèbre,
sous le règne de Philippe-Auguste, quand Agnès Hellebic s’y précipita
par désespoir d’amour. Depuis lors, les amants se donnaient rendez-vous
au Puits d’Amour. «Avec le temps, dit Sauval, son nom a passé à une
maison proche de là, et comme ce nom a paru galant à un marchand qui la
loue, il a fait repeindre l’enseigne et l’a rehaussée de couleurs fort
vives, et même, afin de mieux représenter la fable, il y a figuré un
puits, tout entouré de belles filles et de jeunes garçons, avec un petit
Amour qui décoche des flèches sur eux, et ces paroles au bas: _Au Puits
d’Amour_. Or, comme d’autres marchands ont trouvé cette enseigne fort à
leur gré, et d’autant plus qu’ils s’imaginent que les enseignes
plaisantes, ou qui se font remarquer, attirent les chalands, les uns
l’ont tout à fait copiée, les autres se sont contentés de
l’imiter[64].»



V

ENSEIGNES SCULPTÉES, FORGÉES, ÉMAILLÉES; ENSEIGNES EN PIERRE, EN BOIS,
EN PLOMB, EN FER, EN TERRE CUITE, EN ÉMAUX OU FAIENCE.


Le plus grand nombre des enseignes étaient des tableaux, peints plus ou
moins naïvement, et cela, dès les premiers temps de l’usage des
enseignes de marchand. On peut dire avec certitude que toute enseigne
pendante était peinte sur bois, à l’exception de quelques enseignes
_ouvrées_ en fer, dont le poids pouvait être supporté par la potence à
laquelle on suspendait l’enseigne. Quant à ces peintures, elles devaient
être généralement exécutées d’une manière convenable, car la corporation
des peintres, comme toutes les corporations de métier, exerçait une
rigoureuse surveillance sur les ouvrages que ses membres seuls, ayant
droit et privilège de maîtrise, se chargeaient d’exécuter eux-mêmes ou
de faire exécuter, sous leur responsabilité, par leurs _compagnons_ et
leurs _apprentis_; voilà pourquoi un maître peintre, si habile et si
célèbre qu’il fût, ne refusait jamais des travaux de peinture
décorative, qu’on pouvait croire indignes de lui. Le même artiste qui
peignait des fresques pour les églises et les hôtels avec un réel talent
ne dédaignait pas de peindre des enseignes pour les marchands. Nous
n’avons pas cependant de document écrit que nous puissions citer à
l’appui de cette assertion plausible et presque incontestable, car il ne
nous est resté aucune de ces enseignes du XVᵉ et du XVIᵉ siècle, que
nous attribuons au pinceau des artistes de la confrérie de Saint-Luc
plutôt qu’à la brosse maladroite de quelques ignorants barbouilleurs.
Dans le Compte de l’ordinaire de la Prévôté de Paris, année 1463, nous
trouvons le nom de Jean de Boulogne, dit de Paris, qui avait fait «un
écu de France, peint à l’huile, de fin or et azur, mis et assis sur
l’entrée de la porte de l’hôtel du _Roi_, près des Tournelles.» Or, cet
écu de France n’était autre qu’une enseigne, et le peintre Jean de
Boulogne, dit de Paris, paraît être le fameux Jean de Paris, alors bien
jeune, qui était originaire de Lyon, mais qui se serait intitulé Jean de
Boulogne, parce qu’il avait étudié son art dans l’atelier d’un bon
peintre bolonais[65].

Nous ne parlerons donc ici que des enseignes exécutées par des
sculpteurs, des ferronniers, des plombiers, des _tailleurs_ en bois, des
potiers en terre et des émailleurs. Quelques ouvrages de ces artistes ou
artisans sont venus jusqu’à nous et peuvent du moins servir de
témoignage pour attester l’existence d’une foule d’enseignes de la même
espèce. Nous avons déjà dit que la plupart des enseignes de maison
devaient être sculptées et, par conséquent, adhérentes au mur. On ne
saurait supposer, en effet, qu’un bas-relief en pierre ou même en terre
cuite ait pu se suspendre à une potence, si forte qu’on l’eût faite en
vue de soutenir un pareil poids. Les spécimens de ces enseignes
sculptées qui subsistent encore dans Paris, après tant d’années et
surtout après tant de démolitions successives, ne nous donnent qu’une
idée très insuffisante de ce que pouvaient être les belles enseignes de
cette espèce, dues à des sculpteurs de premier ordre; car les _imagiers_
du XVᵉ siècle, qui travaillaient la pierre avec tant d’adresse et qui
façonnaient une multitude de petites figures d’anges et de saints pour
les églises gothiques, étaient certainement les mêmes qui exécutaient
les enseignes sculptées des maisons et des boutiques.

La rue de la Harpe devait son nom à une de ces enseignes sculptées, et
cette enseigne s’y voyait encore vers la fin du siècle dernier, au dire
de Jaillot[66], sur la façade «de la seconde maison, à droite, au-dessus
de la rue Maçon». A. Berty, dans son étude sur les _Enseignes de Paris
avant le dix-septième siècle_, n’a pas admis l’opinion de Jaillot.
«Cette maison de la Harpe, située près de la rue Maçon (et qui a disparu
il y a une centaine d’années), dit-il, n’est pas la même que le _domus
ad Citharam_, qui a donné son nom à la rue et qu’on trouve mentionné au
XIIIᵉ siècle.» Mais A. Berty ne nous dit point à quel endroit de la rue
était l’enseigne de la _Cithare_, à cause de laquelle la rue avait été
nommée _vicus Citharæ_ dans un contrat de 1247, et en 1272 rue du
Harpeur ou _vicus Regnialdi citharistæ_, dans le Cartulaire de la
Sorbonne. Alfred de Bougy[67] semble avoir voulu plaisamment mettre dos
à dos les deux savants archéologues parisiens, en cherchant ailleurs la
maison qui portait l’enseigne primitive de la rue: «Serait-ce par
hasard, dit-il, la maison placée à l’angle des rues de la Harpe et
Saint-Hyacinthe-Saint-Michel, où l’enseigne du marchand de vin figure
(en bois peint) le saint roi David jouant de la cithare?» Alfred de
Bougy savait bien que la vieille rue Saint-Hyacinthe avait été ouverte
en dehors de l’enceinte de Philippe-Auguste et que le roi David ne
pouvait en aucun cas être confondu avec Regnault le Harpeur ou le
Cithariste.

L’enseigne en pierre sculptée qui avait donné son nom à la rue de la
Calandre, dans la Cité, représentait probablement un grillon sous une
forme monstrueuse, car dès l’année 1280 la rue avait pris le nom de
_Kalendra_ ou _Calandre_; on appelait ainsi autrefois le grillon, qui
était l’hôte habituel du four banal et qui faisait un bruit perçant et
continuel, après la cuisson du pain. On l’appelle aujourd’hui _cafard_ à
Paris, où il infeste les fournils des boulangers. Ménage voulait que
cette enseigne eût représenté d’abord une alouette, que l’on nommait
aussi _Calandre_. «La rue de la Calandre de Paris, dit-il, a pris son
nom d’une calandre qui y pendoit pour enseigne[68].» Sauval se serait-il
donc trompé en supposant que le nom de la rue venait de la machine de
bois, nommée _calandre_, qui sert à polir et à calandrer les draps et
les étoffes? «Vers le milieu de cette rue, dit-il, pend une enseigne, à
demi rompue, où cette grande machine est peinte..., et pour moi, je
m’étonne que l’abbé Ménage ait dit qu’elle devoit son nom à une enseigne
d’alouette[69].» En effet, la rue de la Calandre était voisine de la
_Vieille Draperie_. L’enseigne sculptée de la _Calandre_ avait disparu
alors, mais on en a vu longtemps encore, jusque vers 1860, une de la
même époque, celle des _Trois Poissons_, sculptée dans un médaillon, sur
la façade d’une maison de la rue de la Saunerie, nº 14, près du quai de
la Mégisserie[70].

La rue de la Licorne, qui ne prit ce nom qu’au XVᵉ siècle, quand on y
montra une prétendue licorne vivante, s’appelait auparavant, dès le XIVᵉ
siècle, rue des _Obloiers_, parce que c’était dans cette rue que se
fabriquaient les _oblées_ ou _oublies_, qui ne sont autres que ces
minces cornets de _plaisir_ qu’on vend, le soir, dans les rues. Les
marchandes de plaisir ont succédé aux _oublayeurs_ et _oublieux_ du
moyen âge. Ces derniers avaient laissé sur un mur, dans la rue de la
Licorne, un souvenir de leur industrie pâtissière: c’était l’enseigne
sculptée de la _Gerbe de blé_, car l’oublie était faite avec de la fleur
de farine. Quant à l’enseigne de la Licorne, qui perpétuait le nom de la
rue, la tradition ne dit pas si elle était peinte ou sculptée.

L’enseigne sculptée de la rue du Cherche-Midi n’est pas certainement
celle qui avait donné son nom à la rue où elle se trouve. Sauval ne
parle pas de cette enseigne sculptée, mais d’une autre qui était peinte,
que l’enseigne actuelle a sans doute remplacée. Cette dernière, qui fait
corps avec la maison du nº 19, forme un médaillon suspendu au milieu
d’un encadrement d’architecture: il représente un astronome en costume
antique traçant un cadran solaire sur une tablette que lui présente un
petit génie. On lit au-dessous: _Au Cherche-Midi_. Cette sculpture, bien
composée et bien exécutée, paraît être du XVIIIᵉ siècle.

[Illustration]

L’enseigne sculptée de la _Fontaine de Jouvence_, que nous avons déjà
mentionnée[71], dans la rue du Four-Saint-Germain, est du XVIᵉ siècle;
elle figurait au-dessus de la porte de la maison de la Fontaine,
construite avant l’année 1547. Cette sculpture, malheureusement mutilée,
et qu’on peut voir au musée Carnavalet, est d’un très bon style. La
statue, posée au milieu de la fontaine, est une Vénus, qui a été brisée
presque complètement, sans doute à cause de sa nudité. La femme qui
puise de l’eau dans la fontaine est décapitée; mais l’homme qui
s’éloigne à gauche, emportant un sac sur son épaule, est intact.
Serait-ce un vieillard que la fontaine de Jouvence vient de rajeunir? A.
Berty s’est trompé étrangement en croyant que cette sculpture était du
commencement du XVIIIᵉ siècle[72].

[Illustration]

Il faut nous borner à citer quelques autres enseignes sculptées qui
subsistent encore, ou du moins qui étaient à leur place il y a quelques
années: _Au Centaure_, rue Saint-Denis, au coin de la rue des Lombards,
à côté du _Mortier d’argent_, presque en face du _Chat noir_, très bonne
sculpture du XVIIᵉ siècle, qu’on a eu la barbarie de mettre en
couleur;--_Aux Bons Enfants_, chez un marchand de vin de la rue
Saint-Martin: ce sont des enfants qui donnent des fruits et du pain à un
pauvre vieillard; sculpture lourde et sans art: l’artiste a mis un chien
basset aux pieds du vieillard, quoiqu’il ait eu la prétention de faire
un bas-relief dans le

[Illustration]

style grec académique;--une enseigne sculptée, _Aux Bons Enfants_, chez
un marchand de vin, rue de la Huchette;--_Au Bon Conseil_, qu’on voyait
chez un marchand de vin de la rue Mauconseil et qui a disparu récemment:
deux enfants, nus et couronnés de lierre, étaient à table; une espèce de
Bacchus, assis sur un tonneau, leur versait à boire; de l’autre côté,
une femme, également nue, suppliait ce gros homme de ménager la raison
des deux enfants;--_Au Soleil d’or_, encore un marchand de vin, rue
Saint-Sauveur, nº 84, tout près de la rue Montmartre: sous les rayons
de ce soleil, d’un jaune vif, trois enfants font la vendange et
dégustent le vin nouveau; de chaque côté du

[Illustration]

soleil sont des raquettes, ce qui indique clairement l’existence d’un
jeu de paume dépendant jadis du débit de vin.

[Illustration]

On voyait aussi sur le quai de la Mégisserie deux enseignes sculptées,
le _Vieux Pêcheur_ et le _Galant Jardinier_; mais les architectes, qui
ont démoli les maisons anciennes et rebâti les nouvelles, n’étaient pas
payés pour s’intéresser à ces vieilles enseignes, coloriées comme des
images de plâtre, qu’on a remplacées l’une par un tableau, l’autre par
une statuette en bois coloriée. Rue de la Lingerie, nº 15, une enseigne
en bois sculpté peint en bronze et argent représente le _Bon
Samaritain_.

[Illustration]

Il y avait autrefois des enseignes à figures en plâtre et en terre
cuite, mais elles n’étaient pas faites pour résister longtemps aux
accidents de la vie parisienne. Les enfants s’amusaient à les abattre à
coups de pierres. Les enseignes sculptées en bois et peintes au naturel
faisaient meilleure résistance, mais la pluie et le soleil en venaient à
bout tôt ou tard, si l’on n’avait pas soin de les repeindre souvent pour
les préserver de la destruction. Il fallait peindre aussi les enseignes
en fer, qui ne craignaient que la rouille.

C’étaient quelquefois de bons ouvrages de ferronnerie, élégants et
légers, travaillés, presque sculptés au marteau. Les marchands de vin
appréciaient beaucoup ce genre d’enseigne, qui ne se détériorait pas, à
condition qu’on en renouvelât la peinture tous les dix ans. Un marchand
de vin de la rue Saint-Honoré, nº 33, près de la rue de la Ferronnerie,
a encore une très jolie enseigne en fer forgé: _A l’Enfant Jésus_. Ce
divin enfant est représenté debout sur la lettre H dans son monogramme,
entre deux ceps de vigne. L’enseigne _Au franc Pinos_, qui représente
une grappe de raisin suspendue au centre d’un enroulement de vigne, en

[Illustration]

fer forgé, existe encore également chez un marchand de vin dont la
boutique fait le coin de la rue des Deux-Ponts et du quai Bourbon. Le
_pinot_, ou plutôt _pineau_, est une espèce de raisin noir qui fait le
meilleur vin de Bourgogne et dont Rabelais vante les qualités. Un autre
marchand de vin, nº 6, quai de l’École, aujourd’hui quai du Louvre,
avait fait exécuter en fer son enseigne: _Au Petit Suisse_. Celui-ci
monte la garde au milieu d’une treille; le tout est très haut en
couleurs, comme si c’était un tableau de foire. Cette jolie enseigne,
_Au Petit Suisse_, est répétée, avec une tout autre composition locale
et sous un autre costume,

[Illustration]

pour annoncer la boutique d’un marchand de fromages de

[Illustration]

Gruyère, rue Montorgueil. L’enseigne des _Trois Rats_ était aussi en
fer, les rats trottinant au milieu d’un ornement en forme de cœur ou de
vase. L’enseigne _A la grâce de Dieu_, rue Montmartre, est la plus
ancienne de toutes les enseignes en fer, car elle doit remonter à
l’époque de la régence du duc d’Orléans. C’est un petit personnage, en
costume du temps, avec la perruque et nu-tête, dans une barque, qui est
censée en péril de mer, au milieu d’une sorte de cartouche en fer battu,
affectant la forme d’un écran.

[Illustration]

Les enseignes sculptées n’étaient souvent que des bustes ou des statues.
On sait, par exemple, que le buste de Molière, qu’Alexandre Lenoir avait
fait placer en 1799 sur la façade d’une maison de la rue de la
Tonnellerie, qu’on regardait alors comme la maison natale de cet homme
célèbre, a été depuis peint en noir par un barbare qui en a fait une
enseigne: _A la Tête noire_. Cette singulière manie de barbouiller de
noir ou d’autre couleur foncée les sculptures en pierre blanche s’est
signalée encore tout récemment, au boulevard des Capucines, en
déshonorant la belle maison neuve où est établi un grand magasin
d’étoffes, _A la Ville de Lyon_: les deux nymphes, couchées
nonchalamment sur la console de la porte cochère, œuvre exquise du
statuaire Jalley, ont été noircies du plus brillant noir pour cacher
leur voluptueuse nudité.

[Illustration]

Retournons à nos enseignes d’autrefois et allons chercher dans la grande
rue du faubourg Saint-Antoine, nº 187, une autre _Tête noire_, qui est
celle d’un vrai nègre, sculptée en médaillon colorié; une autre encore
au nº 44, mais peinte sur bois et qui sert de fétiche à la boutique d’un
marchand de meubles. Près de là, dans le même faubourg, nº 26, se trouve
le _Gryphon_, très jolie enseigne sculptée, et tout à côté, le _Vaisseau
marchand_. En revenant vers le centre, dans la rue Saint-Antoine, nous
trouvons, au nº 134, une statue de la _Truie qui file_, en livrant ses
mamelles à ses petits pourceaux: cette statue en pierre, qui est
sculptée très naïvement, très spirituellement, faisait la joie de nos
pères, et il y en avait à Paris trois ou quatre autres, notamment celle
de la rue des Poirées, reproduisant la même fileuse avec des variantes
de détail. On a conservé aussi, rue de la Tonnellerie, une enseigne, _A
l’ancienne Renommée_, qui est une assez bonne statue, debout sur la
boule du monde. Quant au _Nègre_ du boulevard Saint-Martin et au
_Chinois_ de

[Illustration]

la rue La Fayette, l’un et l’autre ayant des cadrans d’horloge dans le
ventre, ils ont été si bien peinturlurés et dorés, qu’on

[Illustration]

ne sait pas s’ils sont en pierre ou en zinc, et que nous les regardons
comme des joujoux de Nuremberg taillés en plein bois avec un simple
couteau par quelque bûcheron artiste de la forêt Noire.

Il y avait jadis en France beaucoup de ces _tailleurs_ de bois, qui
faisaient mieux que des enseignes, et qui ne laissaient pas nos églises
de village manquer de statues de saints et de saintes, qu’un coloriage
intelligent ne déparait pas trop, quand on les avait placées dans leurs
niches. C’étaient ces mêmes artistes d’instinct et de sentiment qui
_élabouraient_ ces merveilleux triptyques, ces superbes retables qui
font encore notre admiration par le nombre, la variété et le caractère
des figures qui y sont rassemblées. Quand les travaux d’église vinrent à
leur manquer, ils se consacrèrent, malgré eux, à des œuvres profanes.
Ils exécutèrent les dernières enseignes sculptées en bois, dans
lesquelles ils faisaient quelquefois des images de saints ou des sujets
de sainteté, et ils entreprirent aussi de grands ouvrages de boiseries,
ornementées, d’après des dessins d’architectes-décorateurs. On verra
encore, sur le quai Bourbon, presque au coin de la rue des Deux-Ponts,
un curieux modèle de ce travail de sculpteur ornemaniste, dans une
devanture de boutique du XVIIIᵉ siècle, très pure de dessin et très
élégante, malgré sa simplicité[73].

Quelques bons _tailleurs_ en bois ont trouvé à s’employer, dans ces
derniers temps, pour la fabrication de plusieurs enseignes sculptées. On
voyait une de ces enseignes, celle d’un charcutier, rue
Neuve-des-Petits-Champs, nº 2: _A l’Homme de la Roche de Lyon_. Nous
dirons quel était cet homme, dans le chapitre des anecdotes relatives
aux enseignes[74]. M. Poignant a décrit ainsi cette statue[75]: «C’est
une statue en bois, de grandeur naturelle, représentant un homme vêtu en
chevalier; de la main gauche étendue, il tient une bourse; la droite
s’appuie sur une lance. Elle

[Illustration]

paraît dater de la Restauration.» M. Poignant cite une autre sculpture
d’enseigne, qui date de 1840; ce sont les figurines qui décorent des
deux côtés la devanture de la boutique d’un opticien, rue de l’Échelle;
l’une représente un officier de marine qui relève le point de latitude
avec un sextant; l’autre, un matelot qui regarde avec un télescope. «La
justesse du mouvement, dit M. Poignant, la fermeté de l’exécution, font
de ces statuettes deux fantaisies artistiques qui ne manquent pas de
valeur.» L’enseigne du magasin de nouveautés: _Aux Statues de
Saint-Jacques_, rue Étienne-Marcel, entre les rues aux Ours et
Saint-Denis, n’a demandé que de menus frais d’installation; car les
statues qui la composent proviennent de l’ancien hôpital de
Saint-Jacques-de-Compostelle, fondé en 1298, lequel s’élevait à
l’endroit même où l’on vend maintenant aux dames des objets de toilette
et de mode. Ces deux statues en habits de pèlerin ne datent pas sans
doute de l’origine de l’hôpital, que la Révolution avait fait
disparaître; elles sont du XVIᵉ ou du XVIIᵉ siècle. On les trouva
presque intactes en creusant les fondations de ce magasin, et le
propriétaire, après les avoir fait restaurer en 1854, les plaça comme
une enseigne sur l’entablement de la maison qu’il faisait bâtir. On dit
que ces vénérables statues lui ont porté bonheur.

Sous le règne de François Iᵉʳ, les artistes italiens que le roi avait
amenés en France, et qui travaillaient pour lui à l’hôtel de Nesle et au
château de Madrid, eurent l’ingénieuse idée d’encastrer, dans
l’architecture des édifices qu’on faisait construire alors à Paris et en
province, des émaux et des plaques de faïence représentant des sujets,
des emblèmes et des ornements. On employait aussi ces faïences émaillées
au carrelage des galeries et des salles dans les châteaux et les hôtels.
Il est à peu près certain que ce genre de décoration fut appliqué aux
enseignes des marchands, puisqu’on avait fait entrer des inscriptions
non seulement sur les grandes pièces de faïence encadrées dans la
pierre monumentale, mais encore dans les carreaux qui servaient au
pavement intérieur des maisons. Il ne s’est conservé aucune de ces
enseignes en faïencerie, mais on peut voir au musée de Cluny
quelques-unes des plaques émaillées qui décoraient le château de Madrid,
au bois de Boulogne.

[Illustration]

Il y avait, cependant, au nº 24 de la rue du Dragon (faubourg
Saint-Germain), entre les deux fenêtres du premier étage d’un hôtel
garni, une véritable enseigne en émail du XVIᵉ siècle, avec cette
légende dans la bordure jaune qui entourait le médaillon: _Au fort
Samson_. Ce médaillon, d’un très beau style, représentait non pas
Samson, mais Hercule terrassant le lion de Némée. On l’attribuait à
Palissy, et le propriétaire de la maison y avait fait mettre cette
inscription: ANCIENNE DEMEURE DE BERNARD PALISSY EN 1575. Le médaillon
attira la curiosité des amateurs, et le propriétaire refusait toujours
de le vendre, jusqu’à ce que l’offre d’un prix considérable l’eût enfin
décidé à le laisser enlever de la place que ce précieux souvenir du
grand verrier céramiste avait gardée depuis trois siècles. On l’a
remplacé par un médaillon colorié de même dimension représentant une
tête d’homme.

Il est certain que l’atelier où Palissy fabriquait ses émaux et
_rustiques figulines_ n’était pas éloigné de sa demeure, et cet atelier
devint sans doute, sous le règne de Henri IV, la verrerie de
Saint-Germain-des-Prés. Le médecin Jean Heroard a écrit dans son
_Journal_, à la date du 4 juin 1666, cette note où il met en scène le
Dauphin qui fut Louis XIII: «Il se joue à une petite fontaine faite dans
un verre, qui lui venoit d’être donnée par les verriers de la verrerie
de Saint-Germain-des-Prés; s’amuse à une vaisselle de poterie, où il y
avoit des serpents et des lézards représentés; y faisoit mettre de
l’eau, pour les représenter vivants[76].»

Sous le premier Empire, Napoléon avait fait venir d’Italie un groupe
d’ouvriers mosaïstes, qui avaient entrepris de fabriquer des enseignes
en mosaïque; mais ces essais, coûtant fort cher, furent peu appréciés et
ne trouvèrent pas de clientèle. Plus tard, on remplaça la mosaïque en
petits cubes de verre émaillé, par des mosaïques en plus gros cubes de
pierres de couleur, et l’on en fit des tableaux qu’on incrusta dans le
dallage des trottoirs et des passages devant les boutiques. Ce furent
les enseignes sur le sol, au lieu des enseignes sur les murs. Ces essais
ont été repris récemment sous les galeries du Palais-Royal. Ce n’était
pas, du reste, une invention moderne, puisque des mosaïques du même
genre sont encore intactes, depuis dix-neuf siècles, dans les maisons
antiques d’Herculanum et de Pompéi.



VI

ENSEIGNES D’ENCOIGNURE, OU POTEAUX CORNIERS


Il y avait, dans le vieux Paris, beaucoup de maisons d’encoignure,
construites entre deux rues et s’avançant à angle droit sur une petite
place ou un carrefour. L’encoignure de ces maisons, généralement bâties
en bois, était formée par une grosse pièce de charpente, simplement
équarrie ou sculptée avec plus ou moins de soin, laquelle s’élevait
toujours jusqu’au premier étage et quelquefois montait jusqu’à la
toiture. Cette pièce de bois s’appelait _cornier_ ou _poteau cornier_.
On comprend que ce poteau, faisant face à une place sur laquelle
débouchaient plusieurs rues, était l’endroit le plus favorable pour
l’exhibition d’une enseigne, que cette enseigne fût celle d’une maison
ou bien celle d’une boutique. Cette enseigne était de différente
espèce, selon la fantaisie du propriétaire ou du marchand. Tantôt on y
posait une _image_ ou statue de saint, sur un piédestal pendentif ou
dans une niche; tantôt on n’y mettait qu’un buste en pierre, ou en bois,
ou en plâtre, doré ou colorié de couleurs éclatantes; tantôt on y
appendait, à l’extrémité d’une potence en fer, une enseigne ordinaire
représentant les armes parlantes d’un commerce ou caractérisant le nom
de la maison du coin. On sait combien ces maisons d’encoignure furent
recherchées par certaines industries qui s’adressaient directement au
bas peuple et aux passants. On peut assurer que l’enseigne en rébus: _Au
bon Coing_, fut une de celles qui répondaient le mieux à la position
avantageuse d’un cabaret ou d’une rôtisserie, occupant une maison
d’encoignure. C’est ce genre d’enseigne qui est indiqué dans un des
articles de l’édit de 1693, relatif aux enseignes de Paris: les bustes,
_aux maisons en encoignure_, indiquant la profession, ne payaient qu’un
seul droit de 4 livres. Quant aux maisons d’encoignure où il y avait des
images de saint dans des niches, si ces images, devant lesquelles on
allumait, la nuit, une lampe ou une lanterne, n’existent plus, leurs
niches sont restées vides, en grand nombre, dans les vieux quartiers.

Mais nous ne voyons pas que les ordonnances de police aient distingué
nominativement les poteaux corniers, qui étaient de véritables enseignes
de maison, enjolivées de sculptures et présentant quelquefois des sujets
pieux ou allégoriques qui se déroulaient sur toute la hauteur du poteau
ou du pilier. Ils étaient cependant fort nombreux, et, dans notre
jeunesse, nous nous rappelons en avoir vu couverts de figures en ronde
bosse peintes ou dorées; malheureusement il n’en subsiste plus, à notre
connaissance, qu’un seul dans la rue Saint-Denis, dont nous allons
parler tout à l’heure. Il y en avait un, plus curieux que tous les
autres, et le plus remarquable par son exécution, comme par le sujet
qu’il représentait: c’était celui de la maison des _Singes_; mais la
destruction de ce rare et précieux monument remonte à la fin de l’année
1801.

La _Décade philosophique_, dans sa livraison du 10 nivôse an X (31
décembre 1801), publiait la note suivante, dont nous ne citons qu’une
partie:

«On travaille, à Paris, dans la rue Saint-Honoré, à la démolition d’une
ancienne maison, dont on fait remonter la date au XIIᵉ siècle. Elle est
construite en bois, à la manière du temps, et a servi plus d’une fois de
modèle à nos peintres, lorsqu’ils avaient à traiter des sujets puisés
dans l’histoire de France des temps reculés. Le citoyen Vincent l’a
représentée dans son beau tableau du président Molé.

»Cette maison a été quelquefois décrite, mais on n’a point fait assez
d’attention à un _poteau cornier_, tout couvert de sculptures, qui forme
l’angle de l’édifice. Cependant le sujet qui y est représenté est très
curieux. Le lecteur nous saura gré sans doute d’entrer dans quelques
détails sur ce poteau que l’on peut regarder comme un _monument_.

»La masse du poteau a la forme d’un grand arbre, duquel s’élèvent des
branches garnies de fruits. On voit plusieurs singes qui cherchent à
l’envi à grimper autour, pour atteindre les fruits. Mais un vieux singe,
tranquille et tapi au bas de l’arbre, présente d’une main un des fruits
que les jeunes ont fait tomber par les secousses qu’ils ont données à
l’arbre.

»En parcourant les Fables de La Motte, on en trouve une sur le
gouvernement électif, dont la vue du poteau semble lui avoir suggéré
l’idée; nous n’en citerons que les derniers vers:

    On dit que le vieux singe, affaibli par son âge,
        Au pied de l’arbre se campa;
        Qu’il prédit, en animal sage,
    Que le fruit ébranlé tomberait du branchage,
        Et dans sa chute il l’attrapa.
    Le peuple à son bon sens décerna la puissance:
        L’on n’est roi que par la prudence.

»On voit que c’est absolument la même allégorie que celle représentée
sur le _poteau cornier_. L’architecture de nos pères était sans doute de
bien mauvais goût, si nous la comparons à l’architecture actuelle, mais
convenons pourtant qu’elle parlait à l’imagination.

»Nous apprenons, à l’instant même, que le gouvernement a donné l’ordre
de déposer le _poteau cornier_ au musée des Monuments français.»

Plaignons les vandales révolutionnaires qui ne savaient pas ce qu’ils
faisaient. Ils détruisaient là non seulement un monument unique des
anciennes enseignes de Paris, mais encore la maison où Molière était né,
le 15 janvier 1622.

On connaissait mal en 1801 la maison natale de Molière, qu’on était allé
chercher rue de la Tonnellerie, parce que Jean Poquelin, le père de
notre grand comique, habitait une maison, qu’il avait achetée seulement
en 1633, sous les Piliers des Halles, devant le Pilori, maison qui
portait alors pour enseigne l’_Image de Saint Christophe_. C’est à
Beffara que l’on doit la découverte de la véritable maison dans laquelle
naquit Molière. «Cette maison, dit Eudore Soulié[77], était connue sous
le nom de _maison des Cinges_, à cause d’une très ancienne sculpture qui
la décorait, et elle se trouvait à l’angle des rues Saint-Honoré et des
Vieilles-Étuves.» L’extrait d’un manuscrit de la Bibliothèque nationale
contenant les noms des propriétaires et locataires des maisons de la rue
Saint-Honoré, est venu prouver que Jean Poquelin, malgré l’acquisition
de la maison à l’enseigne de _Saint-Christophe_ sous les Piliers des
Halles, n’avait pas quitté la _maison des Singes_, qu’il occupait
antérieurement à la naissance de J.-B. Molière, en 1622. C’était là
certainement que se trouvait sa boutique de tapissier. Voici l’extrait
relatif à cette maison natale de notre illustre parisien: «Année 1637.
Maison où pend pour enseigne le _Pavillon des Singes_, appartenant à M.
Moreau et occupée par le sieur Jean Pocquelin, maistre tapissier, et un
autre locataire; consistant en un corps d’hôtel, boutique et cour,
faisant le coin de la rue des Étuvées (Vieilles-Étuves): taxée huit
livres.[78]» On ne nous dit pas si la taxe avait pour objet l’enseigne
pendante du _Pavillon des Singes_, que Jean Poquelin y fit sans doute
ajouter, parce que le poteau cornier de la maison ne lui paraissait pas
suffire pour annoncer sa boutique de tapissier. On peut croire que cette
maison si curieuse, qui datait du XIIᵉ ou du XIIIᵉ siècle, était
représentée, avec son poteau cornier, dans l’enseigne peinte du
_Pavillon des Singes_.

Le poteau cornier de la maison natale de Molière fut donc transporté
dans les magasins du musée des Monuments français, mais on ne trouva pas
sans doute le moyen de l’utiliser dans l’organisation définitive du
musée. On avait bien eu l’idée de reconstruire cette maison, comme un
intéressant spécimen de l’architecture en pans de bois du moyen âge;
mais les entrepreneurs ou les charpentiers qui travaillaient pour le
musée employèrent ce vieux bois sculpté, dans leurs constructions, comme
bois de charpente. «Il se perdit là où on avait voulu qu’il se
conservât, avons-nous déjà dit dans un de nos ouvrages[79]. Lorsqu’au
mois de janvier 1828, Beffara voulut le voir et le faire dessiner, on
lui répondit qu’il avait été détruit et employé dans les bâtiments[80].»
On trouvera, à la page 27 du tome III du _Musée des Monuments français_,
par Alexandre Lenoir, une gravure au trait de ce poteau cornier,
dessinée par Bureau et gravée par Guyot. Une autre gravure, à
l’eau-forte, par Chauvel, a été publiée dans le _Moliériste_ (juillet
1879), avec un intéressant article de M. Romain Boulenger.

Nous avions remarqué autrefois, avons-nous dit il n’y a qu’un instant,
dans des maisons d’encoignure, un certain nombre de poteaux corniers
qui représentaient des sujets allégoriques ou religieux, entre autres la
généalogie de la famille du roi David, commençant à son père Isaïe et
finissant à son dernier descendant Jésus-Christ. On appelait ces poteaux
des _arbres de Jessé_, mais ils ont tous été détruits, croyons-nous,
avec les diverses maisons dont ils formaient l’enseigne, à l’exception
d’un seul, cité par Viollet-le-Duc dans son _Dictionnaire raisonné de
l’Architecture française_, situé au coin d’une maison qui faisait
l’angle de la rue Saint-Denis et de celle des Prêcheurs: «Ces poteaux
corniers sont souvent façonnés avec soin, ornés de sculptures, de
profils, de statuettes, choisis dans les brins les plus beaux et les
plus sains. On voit encore des poteaux corniers, bien travaillés, dans
certaines maisons de Rouen, de Chartres, de Beauvais, de Sens, de Reims,
d’Angers, d’Orléans. On en voit encore un, représentant l’_Arbre de
Jessé_, à l’angle d’une maison de la rue Saint-Denis, à Paris, datant du
commencement du XVIᵉ siècle[81].» Cet arbre de Jessé, de grande
dimension, monte jusqu’au faîte de la maison.

[Illustration]



VII

ENSEIGNES DES CORPORATIONS, DES CONFRÉRIES ET DES MÉTIERS


Les corporations de métier remontaient à la plus haute antiquité,
puisque les artisans et les marchands de l’ancienne France étaient
groupés par associations distinctes, ayant leurs statuts et leur
organisation spéciale, avec des insignes et des costumes particuliers.
Le même état de choses a dû exister, dès les premiers temps de l’ancien
Paris, lorsque Lutèce, après la conquête des Gaules par Jules César,
devint une ville gallo-romaine; mais les renseignements historiques font
défaut à ce sujet, jusqu’au XIIᵉ ou XIIIᵉ siècle, là où apparaissent de
rares et incertains documents sur l’histoire des enseignes. Si, comme
nous le supposons, les enseignes, au XIIᵉ siècle, n’étaient que les
_insignes_ des métiers, ces insignes ou enseignes devaient être
distribués, comme des armes parlantes ou des indications figurées, entre
les différentes rues consacrées aux métiers et qui en portaient les
noms. Mais déjà, à cette époque reculée, telle rue, qui conservait un
nom de métier et, par conséquent, de corporation, avait laissé
s’échapper et se transporter ailleurs la plupart des artisans ou des
marchands, qui, ne pouvant plus trouver assez de place pour leur
commerce ou leur industrie dans la rue où avait été originairement
concentré ce commerce ou cette industrie, s’étaient répandus, de proche
en proche, dans les rues voisines et dans tous les quartiers de la
ville. Ainsi, nous ne doutons pas que primitivement la rue affectée à un
métier et qui lui devait une dénomination usuelle n’ait eu, à chacune de
ses extrémités, une enseigne unique caractérisant le métier, lequel y
avait pris naissance, et qui l’avait, pour ainsi dire, baptisée.

Mais ces rues, dans lesquelles chaque métier avait été centralisé dès
l’origine[82], n’étaient déjà plus, à la fin du XIIIᵉ siècle, réservées
exclusivement aux métiers dont elles gardaient le nom. Nous en trouvons
la preuve incontestable dans la Taille de 1292: la rue de la _Saunerie_
n’avait plus qu’un saunier, sur onze sauniers qui demeuraient alors à
Paris; la rue de la _Charronnerie_, trois charrons sur dix-huit; la rue
de la _Ferronnerie_, deux ferrons sur onze; la rue de la _Savonnerie_,
trois savonniers sur huit; la rue des _Plâtriers_, un plâtrier sur
trente-six; la rue de la _Poulaillerie_, onze poulaillers sur
trente-six; la rue de la _Pelleterie_, quatre pelletiers sur deux cent
quatorze; la rue de la _Sellerie_, vingt-cinq selliers sur cinquante et
un; la rue de la _Petite-Bouclerie_, quinze boucliers, ou fabricants de
boucles, sur cinquante et un; la rue de la _Barillerie_, un barillier
sur soixante et dix; la rue de la _Buffeterie_, pas un seul buffetier ou
marchand de vin sur cinquante-six; la rue des _Écrivains_, un écrivain
sur vingt-quatre, etc. Ce tableau comparatif prouve d’une manière
incontestable que les métiers avaient abandonné leur centre natif et
s’étaient dispersés dans Paris, ce qui semblerait indiquer la nécessité
des enseignes individuelles pour les gens de métier qui s’éloignaient du
quartier général de leur commerce. Cependant, à cette époque, les
enseignes des maisons et des boutiques étaient à peine employées. Le
savant M. Franklin n’en parle même pas, en décrivant les rues de Paris
au XIIIᵉ siècle: «Les marchands, dit-il, se retrouvaient, au seuil de
leurs sombres boutiques, guettant les passants et s’efforçant, par mille
moyens, d’attirer leur attention; aussi les règlements de police leur
interdisaient-ils d’appeler l’acheteur avant qu’il eût quitté la
boutique voisine. Les marchandises étaient étalées devant la fenêtre,
sur une tablette faisant saillie au dehors; un auvent de bois, accroché
en l’air, protégeait les chalands contre la pluie.» Guillot de Paris, en
effet, ne fait aucune allusion aux enseignes, dans son _Dit des Rues de
Paris_, composé et rimé en 1300[83].

Il est bien certain, toutefois, que les corporations, les communautés et
les confréries de métier existaient alors, avec leurs bannières, qui
n’étaient, à vrai dire, que des enseignes portatives, puisque chacune
représentait les armoiries ou le patron, le saint protecteur de la
corporation, de la communauté ou de la confrérie. La corporation
comprenait l’ensemble de tous les artisans d’un même métier, maîtres,
compagnons et apprentis; la communauté n’était qu’un groupement
charitable et religieux d’une partie de ces artisans, en vue d’un
travail localisé ou d’une œuvre collective; la confrérie était
l’association fraternelle de tous les membres de la corporation,
vis-à-vis de l’Église et de la société civile. L’enseigne, qui n’était
encore que l’_insigne_ public des trois fractions d’un même corps de
marchands, avait passé, de la bannière que l’on portait, dans toutes les
cérémonies publiques, en tête de la corporation ou de la confrérie, aux
écussons des flambeaux, qui ne servaient que pour les enterrements des
associés; le même _insigne_ reparaissait sur les médailles à l’effigie
du saint patron, sur les jetons de présence aux assemblées de la
confrérie et sur les _enseignes_ de pèlerinage, qui s’attachaient au
chapeau ou à la coiffure de chaque confrère. Ce fut là l’enseigne
patronale, que les maîtres de la corporation faisaient placer en
sculpture ou accrocher en peinture à la porte de leurs maisons. Ce
furent là, en dehors des nombreux insignes de saints indiquant
l’invocation d’un patronage particulier, les maisons qu’on distinguait
sous le nom de _maisons de l’enseigne_ de tel saint ou de telle sainte.
On ne les trouve ainsi indiquées qu’à partir du XIVᵉ siècle, où elles ne
cessèrent plus de se multiplier jusqu’en 1600.

Voici maintenant quelles étaient les principales corporations et
confréries qui avaient des maisons à enseigne[84]: Saint Yves: les
avocats et les procureurs.--Saint Antoine: les vanniers, les bouchers,
les charcutiers et les faïenciers.--Saint Michel: les boulangers et les
pâtissiers.--Saint Éloi: les orfèvres, les bourreliers, les carrossiers,
les ferblantiers, les forgerons et les maréchaux ferrants.--Saint
Laurent: les cabaretiers et les cuisiniers.--Sainte Barbe: les
artilleurs et les salpêtriers.--Saint Simon et Saint Jude: les
corroyeurs et les tanneurs.--Saint Joseph: les charpentiers.--Sainte
Catherine: les charrons.--Saint Cosme et Saint Damien: les
chirurgiens.--Saint Crépin et Saint Crépinien: les cordonniers et les
bottiers.--Saint Jacques: les chapeliers.--Saint Blaise: les
drapiers.--Saint Gilles: les éperonniers.--Saint Maurice: les fripiers
et les teinturiers.--Saint Clair: les lanterniers et les
verriers.--Saint Louis: les maquignons et les barbiers.--Saint Nicolas:
les mariniers, les épiciers.--Sainte Anne: les menuisiers, les tourneurs
et les peigniers.--Saint Martin: les meuniers.--Sainte Cécile: les
musiciens.--Saint Roch: les paveurs.--Saint Pierre: les
serruriers.--Sainte Marie-Madeleine: les tonneliers.--Saint Vincent: les
vinaigriers.

Quelques métiers avaient mis leurs confréries sous les auspices de
certaines grandes fêtes de l’Église. Par exemple: les tailleurs
célébraient leur fête patronale à la Trinité et à la Nativité de la
Vierge; les chandeliers et les épiciers, à la Purification; les
couvreurs, à l’Ascension; les rôtisseurs, à l’Assomption, etc.

On s’explique ainsi combien il y avait de maisons à l’image de
Notre-Dame. Nous n’en ferons pas le relevé, dans la _Topographie
générale du vieux Paris_, par Adolphe Berty, mais nous croyons
intéressant de rechercher, dans les trois premiers volumes de ce grand
ouvrage, la plupart des maisons qui eurent des images de saint et de
sainte pour enseignes, avec les dates que l’auteur avait soigneusement
recueillies dans les Archives de la ville de Paris[85]. On remarquera
que, sauf quelques exceptions, ces maisons à image sont du XVᵉ et du
XVIᵉ siècle. Nous commençons par dépouiller les deux articles de Berty
sur _Trois Ilots de la Cité_[86].

CITÉ. RUE DE LA JUIVERIE. Saint Pierre, 1455.--Saint Michel,
1600.--Sainte Catherine, 1503.--Saint Julien, 1575.--Saint Nicolas,
1519.--Saint Jacques, 1415.--Saint Pierre, 1430.--Saint Christophe,
1528.--Sainte Marguerite, 1502.

RUE AUX FÈVES. Saint Antoine, 1574.--Saint Jean-Baptiste, XVᵉ siècle.

RUE DE LA CALANDRE. Images Saint Marcel et Sainte Geneviève,
1507.--Saint Christophe, 1385.--Saint Nicolas, 1450.

RUE DE LA LICORNE. Image Notre-Dame, 1525.

RUE DE LA LANTERNE. Image Sainte Barbe, 1534.--Saint Yves, 1513.

QUARTIER DU LOUVRE. RUE CHAMPFLORY. Image du Saint-Esprit, 1489.--Saint
Nicolas, 1489.--Notre-Dame, 1575.--Saint Eustache, 1530.--Saint Julien,
1624.

RUE DU CHANTRE. Image Sainte Anne, 1687.--Saint Claude, 1687.--Sainte
Barbe, 1515.--Sainte Geneviève, 1603.

RUE DU COQ. Image Saint Martin, 1440.--Saint François,
1687.--Notre-Dame, 1687.--Saint Jacques, 1687.

RUE FROMENTEAU. Image Saint Hugues, 1582.--Notre-Dame,
1427.--Saint-Béal, 1550.--Notre-Dame, 1567.--Saint Louis, 1491.--Saint
Simon et Saint Jude, 1550.--Saint Jacques, 1700.--Saint Nicolas,
1477.--Saint Jacques, 1406.

RUE SAINT-HONORÉ. Image Saint Jean-Baptiste, 1489.--Saint Claude,
1637.--Saint Martin, 1378.--Saint Jacques, 1508.--Saint Jean,
1408.--Notre-Dame, 1489.--Sainte Barbe, 1530.--Saint Michel, 1439.

RUE SAINT-JEAN-SAINT-DENIS. Image Saint Jean, 1700.--Sainte Geneviève,
1623.--Saint Louis, 1603.--Saint Claude, 1603.--Saint François, 1700.

RUE SAINT-THOMAS-DU-LOUVRE. Image Saint Jacques, 1450.--Sainte Anne,
1575.

QUARTIER DU BOURG SAINT-GERMAIN. RUE DES BOUCHERIES. Image Saint
Jacques, 1467.--Saint Michel, 1420.--Sainte Catherine, 1429.--Saint
Jacques, 1319.--Saint Jean, 1509.--Saint Pierre, 1411.--Sainte
Marguerite, 1595.--Saint François, 1522.--Saint Martin, 1523.--Saint
Antoine, 1523.--Sainte Geneviève, 1435.--Saint Nicolas, 1475.

RUE DE BUSSY. Image Saint Claude, 1535.

RUE DES CANETTES. Image Notre-Dame, 1446.

Ces images de Notre-Dame, de saints et de saintes étaient, pour la
plupart, les enseignes des maisons appartenant à des membres de
corporation et de confrérie, ou louées et habitées par eux. Les
confréries furent supprimées et abolies, à plusieurs reprises, pendant
le XVIᵉ siècle, mais on les rétablit sur de nouvelles bases, et elles
continuèrent à subsister en conservant toujours les mêmes patrons, qui
n’avaient pas quitté leurs enseignes. Les corporations furent changées
en jurandes, sous le règne de Louis XVI, pour donner satisfaction aux
économistes du XVIIIᵉ siècle; mais ces réformateurs impitoyables
dédaignèrent de faire la guerre aux saints et aux saintes, qui avaient
été, durant plus de quatre siècles, les gardiens respectés des métiers
et de la marchandise. Les enseignes qui rappelaient ces saints patrons
ne disparurent que pendant la Révolution, ce qui ne les empêcha pas de
reparaître plus tard dans toute leur gloire sur les enseignes. Mais c’en
était fait des corporations, des communautés et des confréries, qui
n’avaient pas laissé d’autres traces que ces enseignes commémoratives,
que les artisans et les marchands eux-mêmes ne comprenaient plus.

Les confréries marchandes, dont l’histoire est encore à faire, car le
rarissime _Calendrier des Confréries de Paris_, par J.-B. Le Masson, ne
nous en offre qu’une nomenclature très abondante, ces confréries avaient
chacune des administrateurs, des officiers, des revenus, des rentes et
des propriétés. Elles avaient aussi, outre leurs bannières à l’image du
saint patron ou portant leurs armoiries, des enseignes grotesques ou
plaisantes, pour les maisons où elles tenaient leur siège et leur
bureau. La fameuse _Truie qui file_ était une de ces enseignes de
confréries. «Celle de la _Truie qui file_, qu’on voit à une maison du
marché aux Poirées, rebâtie depuis peu, dit Sauval[87], est plus
remarquable et plus fameuse par les folies que les garçons de boutique
des environs y font à la mi-carême, comme étant sans doute un reste du
paganisme.»

Mais Sauval ne nous dit pas quelles étaient ces folies[88]. L’enseigne
des _Sonneurs des Trépassés_ était aussi une enseigne de confrérie,
enseigne peu décente à une époque où l’on sonnait dans les rues la mort
des bourgeois de Paris. Cette enseigne en rébus représentait une pluie
de _sous neufs_ et brillants, tombant sur des poulets tués[89]. La
maison où pendait cette enseigne (Sauval ne nous dit pas où elle était
placée) servait sans doute aux joyeux repas de la confrérie. C’est aussi
dans les Comptes de la Prévôté de Paris, publiés à la suite de l’ouvrage
de Sauval, que nous trouvons quelques indications sur les confréries et
sur leurs maisons. La confrérie de la Madeleine, fondée en l’église
Saint-Eustache, touchait, en 1421, dix sols parisis de rente sur une
maison de la rue Montorgueil, qui avait appartenu à maître Jean de la
Croix.

La confrérie aux Bourgeois, qu’on appelait la Grande Confrérie, était la
plus riche des confréries de Paris. Voici la mention de deux maisons qui
lui appartenaient en 1448 et en 1450: «Maison scise rue de la
Cossonnerie, à l’enseigne Saint Michel, qui fut à la grande Confrairie
aux Bourgeois de la ville de Paris, donnée à rente par Mᵉ Girard Gehe,
curé de Saint-Cosme, abbé de ladite grande Confrairie; Mᵉ Pierre de
Breban, conseiller du roi en sa Chambre des Généraux, doyen de ladite
confrairie; sire Michel Culdoë, bourgeois de Paris, prévost d’icelle
grande Confrairie, pour quatre livres parisis de rente.» Cette note nous
apprend que la confrérie avait à sa tête un abbé, un doyen et un prévôt.
Ce furent ces officiers qui vendirent, en 1450, une des maisons de leur
confrérie: «Maison scise rue Saint-Denys, à l’enseigne du Cocq blanc,
scise entre les rues Perrin-Gasselin et de la Tabletterie, vendue par
les abbé, doyen et prévost de la confrairie aux Bourgeois de la ville de
Paris, pour quatre livres parisis de rente.» Citons encore une autre
confrérie qui avait une maison à enseigne antérieurement à l’année 1463:
«Maison scise en la Vieille-Tixeranderie, faisant le coin d’une petite
ruelle par laquelle on va de ladite rue de la Vieille-Tixeranderie au
Martroy Saint-Jean, tenant d’une part à un Hostel, où jadis souloit
pendre l’enseigne de la _Heuse_ (la botte), qui appartient à la
confrairie de la Conception Nostre-Dame aux marchands et vendeurs de
vin à Paris, fondée en l’église Saint-Gervais, et qui à présent
appartient à Jean Raguier[90].» Un dernier souvenir peu édifiant des
anciennes confréries parisiennes; c’est encore Sauval qui nous le
fournira: «Croiroit-on bien qu’au Saint-Esprit (à l’hôpital du
Saint-Esprit, qui attenait alors à l’Hôtel de ville), il y a une
confrérie de Notre-Dame de Liesse, fort riche et composée de gens à leur
aise, mais de condition médiocre, qui n’y admettent personne qu’à
condition de leur faire un grand festin et qui dissipent en banquets
fort fréquens les richesses que leurs devanciers n’avoient amassées que
pour mieux honorer Dieu et faire des aumônes? Aussi y a-t-il presse à
être leur traiteur, et n’en prennent-ils point qui n’ait le goût friand,
et à cause de cela est perpétuel et bien payé. Les compagnons d’entre
eux n’appellent point autrement leur confrérie, que la _Confrérie des
Goulus_[91].»

Les enseignes professionnelles des métiers devaient être fort nombreuses
dès le XIVᵉ siècle; mais, comme elles dépendaient presque exclusivement
des boutiques, elles n’ont pas été indiquées dans les documents relatifs
aux immeubles; car ces sortes d’enseignes suivaient toutes les
vicissitudes d’un commerce qui les amenait et les emportait avec lui.
Ainsi, nous ne trouvons qu’un petit nombre d’enseignes de métier, dans
les curieuses recherches de Berty sur les quartiers de la Cité, du
Louvre et du bourg Saint-Germain. Par exemple, rue de la Juiverie, la
_Heuse_, ou la Botte, XVᵉ siècle, et la _Chausse de Flandre_, 1450; rue
du Four-Basset, le _Gland d’or_, 1600, et le _Heaume_, 1429; devant
Saint-Nicolas-des-Champs, le _Pesteil_ ou le Pilon, 1395; rue
Saint-Honoré, l’_Éperon d’or_, 1603; rue Champfleuri, les _Deux
Coignées_, 1451; le _Heaume_, 1378; le _Rabot_, 1572; la _Pelle_, 1410,
etc.

Les marchands, ou vendeurs proprement dits, qui ne fabriquaient pas leur
marchandise, tels que les drapiers, les épiciers, les pelletiers, les
lingers, etc., préféraient des enseignes de fantaisie, qui convenaient
également à toute espèce de commerce et qui ne caractérisaient pas
spécialement leur profession. De là les _Bras d’or_, les _Barbes d’or_,
les _Soleils d’or_, les _Étoiles d’or_, les _Escharpes d’or_, etc., qui
prouvaient surtout que l’or sous toutes ses formes avait les préférences
du commerce.

Les enseignes de boutique et d’ouvroir étaient de dimension généralement
modeste, avant le XVIIᵉ siècle, quand elles devaient prendre place
au-dessus de la porte d’entrée de la boutique et, par conséquent, sous
l’auvent. Le système des armes parlantes convenait le mieux à la plupart
des métiers et des industries, car c’était là l’indication la plus
naturelle et la plus simple de chaque genre de fabrique et de vente: il
suffisait de la représentation figurée d’un pot ou d’un plat d’étain
pour annoncer l’ouvroir d’un ferblantier; rien n’indiquait mieux la
boutique d’un chapelier qu’un chapeau; la boutique d’un bonnetier, qu’un
bonnet; la boutique d’un serrurier, qu’une clé. Mais, au XVIIᵉ siècle,
tous ces attributs de métier prirent des proportions exagérées et
bientôt monstrueuses: «Ces enseignes, dit Mercier[92], avoient pour la
plupart un volume colossal et en relief; elles donnoient l’image d’un
peuple gigantesque, aux yeux du peuple le plus rabougri de l’Europe. On
voyoit une garde d’épée de six pieds de haut, une botte grosse comme un
muids, un éperon large comme une roue de carrosse, un gant qui auroit
logé un enfant de trois ans dans chaque doigt; des têtes monstrueuses;
des bras armés d’un fleuret, qui occupoient toute la longueur de la
rue[93].» La plupart de ces objets, que l’orgueil du marchand
grossissait à l’envi, pendaient à de longues potences en fer et
oscillaient dans l’air, au gré du vent, en jetant, la nuit, de larges
ombres qui rendaient nulle la faible clarté des lanternes. Ce fut
l’ordonnance de police du mois de novembre 1669 qui obligea tous les
gens de boutique à réduire leurs enseignes à la même dimension, «13
pieds et demi, depuis le pavé de la rue jusqu’à la partie inférieure du
tableau, qui n’auroit que 18 pieds de largeur sur 2 pieds de haut.» Les
potences, auxquelles les tableaux d’enseigne devaient être accrochés,
furent aussi réduites à des dimensions uniformes. Le modèle de ces
potences nous a même été conservé, dans le _Traité de la Police_ de
Delamarre (liv. XI, tit. IX), avec l’adresse du fabricant privilégié,
qui fournissait les ferrements, moyennant le prix de 17 livres; c’était
le sieur Nicolas de Lobel, serrurier du roi, rue Coquillière, proche
Saint-Eustache, vis-à-vis la rue des Vieux-Augustins.

Tant que La Reynie fut lieutenant général de police, on respecta ses
ordonnances, et les enseignes restèrent soumises au règlement qui avait
diminué considérablement leurs dimensions: «Les enseignes n’obstruent
plus les rues, écrivait le docteur anglais Lister dans son _Voyage à
Paris en 1698_, et font, grâce à leur petitesse ou à leur élévation,
aussi peu de figure que s’il n’y en avait point.» Mais un siècle après
l’ordonnance de 1669, il n’était plus question de la police des
enseignes, qui avaient repris des proportions énormes, aussi gênantes
que dangereuses pour le public, eu égard au peu de largeur des rues et à
la hauteur excessive des maisons. Il fallut l’ordonnance de police de M.
de Sartine, du 27 décembre 1761, pour forcer les marchands à supprimer
les potences «et tous les massifs et reliefs servant d’enseignes, pour
les convertir en tableaux appliqués sur les murs, en suivant les
dimensions obligées.» Cette ordonnance, mise à exécution dans le plus
court délai et maintenue avec rigueur, eut pour objet de faire rentrer
dans le néant la ridicule et hideuse fantasmagorie des enseignes de
métier[94].



VIII

ENSEIGNES DES HOTELLERIES ET DES AUBERGES


On peut affirmer, sans essayer de le prouver par des documents certains,
que, dès les premiers temps du moyen âge, les hôtelleries et les
auberges de Paris avaient des enseignes, comme dans tout le monde
romain; car il est impossible de supposer l’existence d’un asile de jour
et de nuit pour les voyageurs, sans un signe distinctif, sans une
enseigne annonçant à l’extérieur la maison hospitalière qui attend des
hôtes étrangers et qui leur offre à toute heure le gîte et la
nourriture. Cette enseigne n’était peut-être qu’une branche d’arbre, ou
bien une couronne de feuillage, ou bien un bouchon de paille, ou bien
tout autre objet indicateur, mais ce devait être un signe spécial et
généralement admis, qui permettait à tout individu arrivant dans une
ville ou dans un pays sans y connaître personne et sans en savoir la
langue, de trouver là, moyennant pécune, à se loger et à vivre. On peut
dire avec certitude que la plus ancienne enseigne a été celle d’une
hôtellerie. Cependant nous ne citerons pas d’enseigne d’hôtellerie, à
Paris, antérieurement à 1302. Ce fut en cette année 1302 que l’adroite
faussaire flamande Jeanne de Divion, complice de Robert d’Artois, qui
disputait à sa tante Mahaut la succession du comté d’Artois, vint
descendre à l’hôtellerie de l’Aigle, dans la rue Saint-Antoine, pour y
préparer en secret de faux actes destinés à servir les machinations de
son patron[95]. Cette hôtellerie, dépendant des propriétés de l’abbaye
de Saint-Maur-des-Fossés et située près de la porte Baudoyer, avait pour
enseigne l’_Aigle_, qui rappelait peut-être qu’un camp romain, _Castrum
Bagaudarum_, occupait jadis la place de Saint-Maur-des-Fossés.

Il faut aller à la fin du XIVᵉ siècle pour trouver à Paris les noms des
enseignes de deux autres hôtelleries; elles avaient laissé d’excellents
souvenirs au poète Eustache Deschamps, qui les regrettait, en les
comparant aux auberges d’Allemagne, où l’on faisait maigre chère. Voici
quelques vers de sa ballade sur les ennuis du séjour d’Allemagne:

    Princes, par la vierge Marie,
    On est, en la Cossonnerie,
    Aux Canètes ou aux Trois Rois,
    Mieux servy en l’hostellerie,
    Car ces gens que je vous escrie
    Là n’y parleront que thiois (allemand).

La _Cossonnerie_ ou _Coqçonnerie_ était la poulaillerie des Halles, le
marché au gibier et à la volaille. Il a laissé son nom à la rue où il se
tenait[96]. Monstrelet, dans ses _Chroniques_, cite quatre bonnes
hôtelleries parisiennes, sous le règne de Charles VI: l’hôtel à
l’enseigne de l’_Épée_, rue Saint-Denis; l’hôtel de l’_Ours_, à la porte
Baudet ou Baudoyer; le logis de l’_Arbre-Sec_, rue de l’Arbre-Sec, et
l’hôtel de la _Fleur de lys_, près le Pont-Neuf[97]. Il y avait, dans le
même temps, une hôtellerie non moins renommée, à l’enseigne du _Château
de fétu_ (château de paille?), situé dans une partie de la rue
Saint-Honoré, appelée alors rue du Château-Fétu, et qui s’étendait
depuis la rue Tirechappe jusqu’à la Croix du Tiroir[98]. On lit dans la
_Chronique_ de Froissart[99]: «Si descendirent les chevaliers
d’Angleterre, messire Thomas de Percy et les autres, en la rue qu’on dit
la Croix-du-Tirouer, à l’enseigne de _Château de fétu_.» Cette
hôtellerie devait être assez importante, pour que des seigneurs de si
haut parage vinssent y loger avec tout leur train; aussi, lorsque les
Anglais se furent emparés de la ville de Paris, au nom du roi
d’Angleterre Henri V, avant la mort de Charles VI, le _Château de fétu_
fut compris dans les confiscations domaniales de l’occupation anglaise.

On peut se faire une idée de l’état confortable de certaines
hôtelleries, dès ces époques reculées, lorsqu’on voit les ambassadeurs
des souverains étrangers loger dans ces hôtelleries, avec une nombreuse
suite d’officiers, de valets et de chevaux. Sous le règne de Louis XII,
en 1500, les ambassadeurs de l’empereur Maximilien, en arrivant à Paris,
furent conduits, par le prévôt des marchands et les échevins, dans la
rue de la Huchette, à la maison de l’_Ange_, «qui étoit fort belle pour
ces temps-là, dit Sauval, et là, ils étoient défrayés de tout aux dépens
de la ville». En 1552, sous le règne de Henri II, un ambassadeur du roi
d’Alger étant venu trouver le roi de France à Châlons, avec des chevaux
et des juments arabes, le roi écrivit au prévôt des marchands pour lui
ordonner de recevoir très honorablement cet ambassadeur et de «lui
montrer tout ce qu’il avoit envie de voir à Paris... Quelques jours
après, dit Sauval, cet ambassadeur descendit à la rue de la Huchette, à
l’hôtellerie de l’_Ange_[100].» Le prévôt des marchands et les échevins
allèrent en grande pompe lui faire la révérence et lui donnèrent, pour
le garder, une escorte d’arbalétriers de la Ville, qui veillaient jour
et nuit à la porte de son logis, pour empêcher le peuple d’entrer dans
l’hôtellerie.

S’il y avait alors un certain nombre de belles et opulentes hôtelleries,
où descendaient les voyageurs de distinction qui se rendaient à Paris,
de tous les points du monde, pour visiter cette grande capitale, qui
passait pour la ville la plus curieuse et la plus intéressante de
l’Europe, Paris renfermait une multitude d’auberges de bas étage,
espèces de coupe-gorge et repaires de malfaiteurs, où la police allait
ramasser le gibier de potence, qui peuplait les prisons du Châtelet
avant de faire l’ornement des gibets de la place de Grève. Les Registres
criminels du Châtelet, à la fin du XIVᵉ siècle, citent une foule
d’enseignes de ces tavernes, où l’on tuait, où l’on volait sans cesse
les marchands qui avaient le malheur de s’y être arrêtés pour passer la
nuit[101]. Parmi celles de ces enseignes mal famées qui reviennent le
plus fréquemment sous la plume du greffier Alleaume Cachemare, on
remarque l’_Écrevisse_, place Baudoyer; l’_Écu de Saint-Georges_, rue de
la Harpe, et surtout l’_Écu de France_, rue de la Truanderie. L’auberge
du _Plat d’étain_, située au bas de la rue Saint-Jacques, était aussi un
des mauvais lieux où les archers du prévôt de Paris faisaient les plus
fructueuses captures pour la justice criminelle du Châtelet.
L’hôtellerie du _Pestel_ (le pilon), dans la rue de la Mortellerie,
théâtre ordinaire des _repues_ franches de la bande du poète Villon,
rassemblait ces joyeux compagnons qui revenaient de la maraude, tout
chargés de victuailles qu’ils avaient dérobées chez les marchands[102].
Villon n’a pas omis de célébrer, dans son _Grand Testament_, ce repaire
de voleurs:

    Où pend l’enseigne du Pestel
    A bon logis en bon hostel.

Il y eut de tout temps des hôtelleries de cette espèce, que nous
appelons maintenant des _garnis_ et qui conservent encore, sous ce
nom-là, les traditions de la race des gens de _pince_ et de _croc_,
comme ils se qualifiaient eux-mêmes à l’époque de Villon. Ces garnis de
bas étage n’étaient souvent que des maisons de débauche, tel que celui
représenté dans la ballade où Villon décrit ses honteuses amours avec la
_grosse Margot_. Cette ballade, affreusement pittoresque, eut assez de
célébrité parmi les souteneurs de filles et les piliers de mauvais
lieux, pour qu’une hôtellerie de la rue Cloche-Perce se soit donné
l’enseigne de la _Grosse Margot_, qui subsistait encore à la fin du
XVIIᵉ siècle[103]. Du reste, il y avait dès lors, comme à présent, des
hôtelleries, des auberges, des garnis, pour toute sorte de clientèle,
suivant le proverbe du temps: _Telle hôtellerie, telles gens_. Il y
avait même des hôtelleries spéciales pour les voleurs de profession,
vagabonds et gens sans aveu: la maison de l’_Enseigne verte_, dans la
rue Saint-Denis, était une de ces hôtelleries signalées aux recherches
des limiers du lieutenant général de la police[104].

Aucune de ces anciennes hôtelleries où les voyageurs, les marchands
étrangers venaient loger _à pied ou à cheval_, n’existe plus sans doute
à Paris, du moins avec son caractère et son aspect d’autrefois; mais
nous en trouvons la description plus ou moins complète dans quelques
vieux livres, comme le _Roman comique_ de Scarron, et dans quelques
relations de voyageurs, comme le _Journal_ de deux Hollandais à Paris en
1657-58. On en a un tableau exact et fort curieux dans une enseigne de
marchand de vin qu’on voyait naguère au quai du Marché-Neuf et qui
représentait une vieille auberge, située près de l’ancienne _boucherie_
du Marché Neuf, construite _ad hoc_ au XVIᵉ siècle, et démolie en 1804
pour faire place à la Morgue, que les dernières transformations du quai
de la Cité ont fait aussi disparaître.

[Illustration]

Une petite pièce rimée du XVᵉ siècle, intitulée _le Pèlerin passant_,
nous fait connaître quelles étaient les principales hôtelleries du temps
de Louis XI ou de Charles VIII. Cette pièce est un _monologue_, que
débitait, dit-on, sur le théâtre, un seul acteur, et qui servait
d’intermède entre une farce et une moralité. L’auteur, ou peut-être
l’acteur lui-même, se nommait Pierre Taherie[105]. Le _Pèlerin passant_,
c’est-à-dire le voyageur, en arrivant à Paris, descend à l’_Écu de
France_, qui était une hôtellerie assez convenable; mais il ne nous dit
pas où elle se trouvait située, et il ne donne pas davantage l’adresse
des autres auberges, qu’il va chercher ensuite dans différents
quartiers. Notre voyageur, jugeant qu’il dépense trop à l’_Écu de
France_, s’en va demander gîte à l’_Écu de Bretagne_, dont l’hôtesse,
_dame de bien, de noble race et bien famée_, ne reçoit que des gens de
son pays. Le Pèlerin se présente successivement à l’_Ancre_ et à l’_Écu
d’Alençon_, sans pouvoir tomber d’accord sur le prix de son
_hébergement_. Il s’arrête enfin au _Chapeau rouge_ et se félicite
d’avoir rencontré la meilleure hôtellerie de la ville, du moins à en
croire les apparences:

    Un grand logis, une grand’court,
    C’estoit un paradis terrestre.

Mais le difficile était d’y avoir une chambre; on y voyait une foule de
gens

    Qui attendoyent estre logés,
    Muchés (cachés) en un coin à requoi,
    Tant du pays que des estrangé.

Notre Pèlerin n’a pas la même patience; il va frapper à la porte de
l’_Écu d’Orléans_, mais la porte était close et la maison déserte.
L’hôte avait quitté son métier pour entrer au service du roi. Force est
donc de chercher gîte ailleurs et au plus proche; c’est à l’_Écu de
Bourbon_ que le Pèlerin espère le trouver: c’était

    Une maison de grand abord,
    Où aultre fois il a fait bon,
    Mais l’hoste de céans est mort!

Notre voyageur, qui a l’estomac vide, se hâte de se transporter à
l’_Écu de Châteaudun_. Pas de chance; l’hôtellerie est pleine, et tout
ce qu’il peut obtenir, c’est la _repue_ (le dîner ou le souper). Enfin
il est admis à l’_Écu de Calabre_ pour y passer la nuit. Il y fut assez
mal, puisqu’il en partit le lendemain dans l’espoir de trouver mieux; il
ne fut pas plus heureux, dit-il:

    Quand j’eus couru longue saison,
    Je m’en vais au _Chef Saint-Denys_,
    Dont le maistre de la maison
    En aultres estoit un fenys (phénix).

Mais il n’y resta pas longtemps, car cet aubergiste phénomène vint à
mourir, et la bourse du _Pèlerin passant_ étant presque épuisée, il
résolut de retourner chez lui et s’embarqua sur un bateau qui descendait
la Seine pour faire escale à Saint-Ouen; là, il logea dans une auberge
riveraine, au _Port Saint-Ouen_, où sans doute on lui fit crédit; le
lendemain, il voulut se faire héberger dans une autre auberge, au _Port
Saint-Jore_:

    Mais le maistre estoit à Rouen,
    Ainsi qu’on me mist en mémore.
    De là allay plus loin encore,
    En un logis d’antiquité,
    Qui se nomme _la Trinité_.

Était-ce encore une auberge de village ou une maison hospitalière, dans
laquelle le pauvre pèlerin trouva un asile sans bourse délier?

Il ressort du monologue de Pierre Taherie que les hôtelleries, au XVᵉ
siècle, avaient ordinairement pour enseigne l’écu d’armoiries d’un pays
ou d’un haut et puissant seigneur. Nous avons donné ailleurs la raison
de ce vieil usage, qui persiste encore dans quelques villes de France:
«La raison en est, disions-nous[106], dans l’appel que les hôteliers
pouvaient faire ainsi à tous les nouveaux arrivés d’un même pays, joyeux
de venir prendre gîte sous le patronage du nom de la province, et de se
donner pour point de ralliement l’enseigne portant les armes de leur
seigneur.» Cet usage paraît avoir changé dans le cours du XVIᵉ siècle,
car le maréchal de Vieilleville dit, dans ses _Mémoires_, que les
enseignes des hôtelleries sont «au nom des saints et saintes»[107].

Ces images de saints et de saintes furent remplacées par des croix,
lorsque le protestantisme eut mis à l’index les saints et les saintes.
On comprend que les hôtelleries, ouvertes à tout le monde, sans
distinction de croyance religieuse, devaient éviter d’éloigner le
voyageur, à la seule inspection de leurs enseignes. Les images de saints
furent remplacées par des croix, qui n’inquiétaient alors la religion de
personne. Il y eut aussitôt des croix de tous les métaux et de toutes
les couleurs: Croix d’or, d’argent, de fer, de cuivre; Croix blanche,
rouge, noire, etc. La couleur verte étant vue de mauvais œil, à cause du
_Bonnet vert_, qui avait fait considérer le vert comme la couleur
emblématique des faussaires et des filous, nous doutons fort que les
honnêtes gens allassent loger volontiers à l’hôtel du _Val de Gallye_ ou
de la _Croix verte_; mais Richelet, dans la préface de son
_Dictionnaire françois_, nous apprend que la meilleure hôtellerie du
XVIIᵉ siècle était celle de la _Croix d’or_.

Les voyageurs qui voulaient voir Paris et y faire un séjour plus ou
moins prolongé étaient assez nombreux pour assurer un bon revenu aux
hôtelleries où ils venaient descendre; aussi ces hôtelleries
avaient-elles pour enseignes les noms des grandes villes étrangères.
Deux gentilshommes de Hollande, qui firent un voyage à Paris en
1657[108], allaient prendre leurs repas dans une auberge de cette
espèce: «On y traitoit assez mal, disent-ils, et c’estoit une de celles
où il ne va que des estrangers: aussi a-t-elle pour enseigne la _Ville
de Hambourg_. Il y avoit sept ou huit Allemands assez bien faicts, et
nous nous estonnasmes qu’ils souffrissent qu’on leur fist si pauvre
chère. La pluspart de ces messieurs s’attroupent aux païs estrangers et
s’adressent et se logent chez ceux de leur nation. Par le premier, ils
ne profitent guère et ne connoissent que peu ou point la nation qu’ils
visitent, et par le second, ils sont trompez et maltraitez de ceux de
leur nation dont ils se servent, qui abusent du peu de connoissance
qu’ils ont du païs où ils sont.»

Ces Hollandais, à leur arrivée, étaient descendus à l’auberge où s’était
déjà logé un de leurs compatriotes, au faubourg Saint-Germain, rue des
Boucheries, à l’enseigne du _Prince d’Orange_. Ils ne voulurent pas
suivre un de leurs compagnons de voyage, qui s’en allait loger «chez
Monglas, en la rue de Seine, à la _Ville de Brissac_.» Tallemant des
Réaux, dans ses _Historiettes_, a parlé de cette auberge: «L’hôte et
l’hôtesse sont huguenots, dit-il, et sont assez exacts; c’est une
honnête auberge, et tout est plein de gens de la Religion (réformée) à
l’entour.»

Ce fut vers ce temps-là que les hôtelleries de Paris prirent le nom
d’_hôtels_, comme pour faire concurrence avec les habitations des grands
seigneurs. «Il y a à Paris, écrivait le docteur Lister en 1698, un grand
nombre d’hôtels, c’est-à-dire d’auberges publiques, où on loue des
appartements. Ce nom s’applique aux maisons des seigneurs et des
gentilshommes, dont le nom est le plus souvent écrit en lettres d’or sur
un marbre noir placé au-dessus de la porte[109].» Beaucoup de ces
hôtelleries remontaient à une époque très ancienne, et elles avaient
conservé leur enseigne primitive, sur laquelle on lisait encore, suivant
les prescriptions de l’ordonnance de 1579: _Hostellerie_, ou _Taverne,
par la permission du Roy_. La plupart cependant s’étaient soustraites,
en prenant le titre d’_hôte._, aux règlements tyranniques de cette
ordonnance, qui enjoignait aux hôteliers de faire inscrire sur leur
porte, en gros caractères, les prix que les voyageurs auraient à payer;
par exemple: _Dînée du voyageur à pied, 6 sols. Couchée du voyageur à
pied, 8 sols_. Sur beaucoup d’enseignes, on lisait: _Icy on fait nopces
et festins_, et cette inscription s’est maintenue, avec son orthographe,
presque jusqu’à nos jours. On lisait aussi cette autre inscription, qui
ne sert plus que dans quelques villes de province lointaines: _Icy on
loge à pied et à cheval_. Les hôteliers avaient ainsi à se débattre au
milieu d’une foule de lois et de règlements plus ou moins tyranniques.

Le _Livre commode_ de Nicolas de Blegny[110] nous donne les noms et les
adresses des principaux hôtels de Paris à la fin du XVIIᵉ siècle, en
indiquant bien des enseignes; mais il ne nous dit pas que les hôtels qui
portaient des noms de pays avaient pour enseignes les armes de ces pays.
Les noms de province et de seigneurie commandaient toujours des écussons
armoriés pour enseignes; quant aux noms de ville, on a lieu de croire
qu’ils autorisaient les hôteliers à faire peindre _au naturel_, comme on
disait alors, sur les enseignes de leurs hôtelleries, une vue de ces
villes françaises ou étrangères. Venons maintenant à la nomenclature des
hôtels de second ordre, en différents quartiers. Le sieur de Blegny n’en
cite que deux de premier ordre: l’hôtel de la _Reine Marguerite_, rue de
Seine, et l’hôtel de _Bouillon_, quai des Théatins (actuellement quai
Malaquais), dans lesquels on trouvait des appartements magnifiquement
garnis pour les grands seigneurs, anciens hôtels princiers, l’un et
l’autre, et qui, sans doute, n’avaient pas besoin d’autre enseigne que
leur grande notoriété alors qu’ils étaient habités, le premier, par la
_Reine Margot_, le second, par le duc de Bouillon. Les bons hôtels,
recommandés par le _Livre commode_, étaient les suivants: le _Grand Duc
de Bourgogne_, rue des Petits-Augustins; l’hôtel d’_Écosse_, rue des
Saints-Pères; l’hôtel de _Taranne_, l’hôtel de _la Savoie_ et l’hôtel
d’_Alby_, rue de Charonne; l’hôtel de _Lille_, l’hôtel de _Bavière_,
l’hôtel de _France_, et la _Ville de Montpellier_, rue de Seine; l’hôtel
de _Venise_ et l’hôtel de _Marseille_, rue Saint-Benoît; l’hôtel de
_Vitry_, l’hôtel de _Bourbon_, l’hôtel de _France_ et l’hôtel de
_Navarre_, rue des Grands-Augustins; la _Ville de Rome_, rue des
Marmousets; l’hôtel de _Perpignan_, rue du Haut-Moulin; l’hôtel de
_Tours_, rue du Jardinet; l’hôtel de _Beauvais_, rue Dauphine; l’hôtel
d’_Orléans_, rue Mazarine; l’hôtel du _Saint-Esprit_, rue Guénégaud;
l’hôtel de _Saint-Aignan_, rue Saint-André; l’hôtel de _Hollande_,
l’hôtel de _Béziers_, l’hôtel de _Brandebourg_, l’hôtel de _Saint-Paul_,
et le grand hôtel de _Luynes_, rue du Colombier.

Le sieur de Blegny cite ensuite des hôtels d’un ordre inférieur, où l’on
mangeait _à table d’auberge_, c’est-à-dire à table d’hôte, pour 40 sols,
30 sols, 20 sols et 15 sols: 1º l’hôtel de _Mantoue_, rue du Mouton;
l’hôtel de l’_Ile-de-France_, rue Guénégaud, etc.; 2º l’hôtel de
_Château-Vieux_, rue Saint-André; le petit hôtel de _Luynes_, rue
Gît-le-Cœur; à la _Galère_, rue Zacharie; aux _Bœufs_, et aux _Trois
Chandeliers_, rue de la Huchette, etc.; 3º l’hôtel d’_Anjou_, rue
Dauphine; le _Petit Saint-Jean_, rue Gît-le-Cœur; au _Coq hardi_, rue
Saint-André; à la _Galère_, chez le sieur Vilain, rue des Lavandières; à
la _Croix de Fer_, rue Saint-Denis; au _Pressoir d’Or_, et à l’hôtel de
_Bruxelles_, rue Saint-Martin; à la _Croix d’Or_, rue du Poirier; à la
_Toison d’Or_, rue Beaubourg, etc.; 4º à la _Ville de Bordeaux_, et à
l’hôtel de _Mouy_, rue Dauphine; l’hôtel _Couronné_, rue de Savoie; au
_Petit Trianon_, rue Ticquetonne; à la _Ville de Stockholm_, rue de
Buci; à la _Belle Image_, rue du Petit-Bourbon; au _Dauphin_, rue
Maubuée, etc.

Les auberges où l’on mangeait à 10 sols sont même désignées dans le
_Livre commode_: au _Heaume_, rue du Foin; au _Paon_, rue Bourg-l’Abbé;
au _Gaillard Bois_, rue de l’Échelle; au _Gros Chapelet_, rue des
Cordiers; à l’hôtel _Notre-Dame_, rue du Colombier. Le sieur de Blegny
n’oublie pas deux ou trois auberges où il y avait trois tables
différentes, à 15, à 20 et 30 sols: à la _Couronne d’Or_, rue
Saint-Antoine; au _Petit Bourbon_, quai des Ormes; à l’hôtel de
_Picardie_, rue Saint-Honoré.

Les restaurants et les restaurateurs n’existaient pas encore, mais on
avait, en différents quartiers de la ville et des faubourgs, des
traiteurs et marchands de vin, «qui font nopces, ou qui tiennent de
grands cabarets, et où il se fait de grands écots.» Dans ces maisons-là,
on ne couchait pas, on ne logeait pas, en général; on ne faisait qu’y
boire et manger. Le _Livre commode_ nomme les propriétaires de ces
établissements: Clossier, à la _Gerbe d’or_, rue Gervais-Laurent;
Blanne, à la _Galère_, rue de la Savaterie; Bedoré, au _Petit Panier_,
rue Tirechappe; Robert, au Cloître-Saint-Merry; Aubrin, à la _Croix
blanche_, rue de Bercy; Martin, aux _Torches_, cimetière Saint-Jean;
Guérin, à la _Folie_, rue de la Poterie; Payen, au _Petit Panier_, rue
des Noyers; Cheret, à la _Cornemuse_, rue des Prouvaires.

Nicolas de Blegny ne s’arrête pas là; il cite, avec leurs enseignes,
d’autres endroits où «on peut aussi boire et manger proprement et
agréablement»: au _Louis_, près le Jeu de paume de Metz; à la
_Porte-Saint-Germain_, rue des Cordeliers; à la _Reine de Suède_, rue de
Seine; aux _Carneaux_, rue des Déchargeurs; à la _Petite Bastille_, rue
de Béthizy; au _Petit Père noir_, rue de la Bûcherie; aux
 _Trois Chapelets_, rue Saint-André-des-Arts; à la _Galère_,
rue Saint-Thomas-du-Louvre; au _Soleil des Perdreaux_, rue
des Petits-Champs; au _Panier fleuri_, rue du
Crucifix-Saint-Jacques-de-la-Boucherie; à la _Boule blanche_, près la
porte Saint-Denis, et au _Jardinier_, faubourg Saint-Antoine. Mais les
_bons endroits_ que le sieur de Blegny recommande aux fins gourmets et
aux grands buveurs n’étaient, en réalité, que des cabarets, quoique les
auberges et les maisons garnies dans lesquelles il y avait des tables
d’hôte fussent cent fois plus nombreuses qu’elles ne le sont dans le
_Livre commode_; car, d’après les _Annales de la Cour et de la Ville_,
pour les années 1697-1698, t. II, p. 185, «il y avoit eu dans Paris un
si grand abord d’étrangers, que l’on en comptoit quinze à seize mille
dans le faubourg Saint-Germain seulement. Le nombre s’accrut encore
bientôt de plus de la moitié, en sorte que, au commencement de l’année
suivante, on trouve qu’il y en avoit trente-six mille dans ce seul
faubourg.»

Nous n’avons pas l’intention de reconstituer l’état des hôtelleries, à
propos de leurs enseignes, sous le règne de Louis XIV; nous nous
bornerons à rappeler que si le nombre de ces hôtels et maisons garnies
ne fit que s’accroître avec le nombre des voyageurs qui venaient voir
les monuments et les curiosités de la capitale de la France, J.-C.
Nemeitz, conseiller du prince de Waldeck, qui visita cette capitale en
1715, bien que la traduction française de son _Séjour à Paris_ n’ait été
publiée qu’en 1727[111], nous apprend qu’il y logea lui-même dans une
grande hôtellerie où se trouvaient, en même temps que lui, des étrangers
appartenant à dix nations différentes. Mais il ne songe pas à signaler
les principales hôtelleries; il constate seulement que les plus
agréables et les plus fréquentées étaient celles du faubourg
Saint-Germain, et il nomme l’hôtel _Impérial_, rue du Tour, qui n’est
autre que la rue de Tournon; l’hôtel de _Hambourg_, tout contre; l’hôtel
d’_Espagne_, rue de Seine; l’hôtel de _Nîmes_, dans la même rue; l’hôtel
d’_Anjou_, rue Dauphine; la _Ville de Hambourg_, au bas, rue des
Boucheries; l’hôtel d’_Orléans_, rue Mazarine; l’hôtel de _Modène_, rue
Jacob; et d’autres hôtels, situés dans la rue de Tournon, qui était la
plus recherchée des voyageurs, à cause du voisinage du Luxembourg: le
grand hôtel d’_Entragues_, l’hôtel de _Trévise_ et le petit hôtel de
_Bourgogne_. C’était dans les hôtels de la rue de Tournon que les
ambassadeurs et les seigneurs étrangers louaient de préférence des
appartements pendant leur séjour à Paris; l’hôtel officiel des
ambassadeurs extraordinaires ayant été établi dans cette rue, à l’ancien
hôtel du _maréchal d’Ancre_.



IX

ENSEIGNES DES CABARETS ET DES MARCHANDS DE VIN


Les cabarets eurent longtemps, au moyen âge, la même enseigne que dans
l’antiquité. Cette enseigne n’était autre qu’un rameau de verdure, une
branche de sapin, une couronne de lierre, ou tout autre bouquet de
feuillage, qu’on appela _bouchon_, dès la première formation de la
langue française. Le bouchon de paille et la branche de laurier
n’indiquaient que les mauvais lieux. Au surplus, cabaret et mauvais lieu
souvent ne faisaient qu’un[112]. Comme le peuple, dans certains patois,
prononçait _bouchou_, au lieu de _bouchon_, bien des cabaretiers
remplaçaient le rameau ou la branche d’arbre par un chou[113]. Le
cabaret lui-même prit le nom de _bouchon_, qui est encore usité, mais
dans le sens le moins favorable; on l’appelait aussi _buffet_, qu’on
transforma en _buvette_. La rue des Lombards était, au XIIIᵉ siècle, la
rue de la Buffeterie. On n’ouvrait pas un cabaret sans devoir un droit
de _buffetage_ (_buffetagium_) au seigneur féodal de la terre où ce
cabaret pouvait être établi, et ce droit, qui se payait tous les ans,
comprenait le droit de _lever bouchon_, car il n’y avait pas de cabaret
sans enseigne. Le Cartulaire de Saint-Magloire, à Paris, nous apprend
que les moines du couvent prélevaient le buffetage sur les cabarets de
leur domaine territorial[114].

Vers la fin du XIVᵉ siècle, l’enseigne ordinaire des cabarets avait
changé, parce que la plupart de ces cabarets étaient des caves, où l’on
vendait du vin au pot et au tonneau. Un _cercel_ ou cerceau pendait à
l’entrée de la taverne, à la place du bouchon. Nous voyons, en 1362, un
propriétaire autorisé à suspendre à la porte de sa maison «un cercel à
taverne, ou autre enseigne[115]». Monteil cite, au XVᵉ siècle, plusieurs
cabarets où pendait un cerceau: on y vendait du vin de sauge et de
romarin. Il y avait dès lors plus d’un cabaret fameux, entre autres la
maison du _Chat_ (1340), rue aux Fèves, dans la Cité; plus tard, ce
cabaret avait modifié son enseigne et portait le nom de maison du _Chat
blanc_ (1429-1497); c’est sous ce nom qu’il subsista au même endroit
jusqu’à nos jours. Lorsqu’il disparut, vers 1860, avec le reste de
l’impasse où il s’était maintenu pendant cinq siècles, il n’avait plus
pour habitués que des vagabonds et des voleurs, qui y venaient passer
la nuit. Le cabaret de la _Pomme de Pin_ n’était pas moins célèbre, du
temps de Rabelais, qui le nomme avec d’autres où les écoliers de Paris
tenaient leurs assises; il fait dire par son écolier Limousin (liv. II,
chap. VI de _Pantagruel_): «Nous cauponisons (mangeons), ès tavernes
méritoires de la _Pomme de Pin_, du _Castel_, de la _Magdaleine_ et de
la _Mulle_, belles spatules vervecines (épaules de mouton),
parforaminées de petrocil (assaisonnées de persil).»

Noël du Fail, dans les _Baliverneries ou Contes nouveaux d’Eutrapel_, en
1548[116], cite deux ou trois cabarets qui avaient la vogue, notamment
celui du _Croissant_, rue Saint-Honoré,

[Illustration: MAISON DE LA:POMME DE PIN: MCC]

et celui de l’_Étoile_, sans donner l’adresse de ce dernier. Pierre de
l’Arrivey, dans sa comédie de _la Vefve_, signalait encore, au
commencement du XVIIᵉ siècle, le renom des cabarets de la _Pomme de Pin_
et des _Trois Poissons_: «Si je vais au Palais, tous ces clercs sont à
l’entour de moy; l’un me mène aux _Trois Poissons_, l’autre, à la _Pomme
de Pin_[117].» Agrippa d’Aubigné, dans les _Aventures du baron de
Fæneste_, nous fait savoir que la vieille renommée de la _Pomme de Pin_
n’était pas déchue et qu’elle balançait encore celle du _Petit More_,
qui avait la clientèle des poètes. Théophile fait l’éloge de ce
cabaret, dans sa _Description du voyage de Saint-Cloud_:

    Tu sçauras donc qu’un soir, après qu’au _Petit More_
    (Qu’à cause du bon vin tout biberon honore),
    Nous eusmes fricassé, tout comblez de soulas,
    Des perdrix et lapreaux.....

Il vante aussi, dans une satire, deux autres cabarets, qui n’eurent pas
moins de vogue sous le règne de Louis XIII:

                 ..... Lors, par cinq ou six fois,
    Il me prie à souper, ou que, si je voulois,
    Nous irions, chez Cormier, au _Cerf_; au _Petit More_,
    Ou chez Torticoly.....[118].

Vers cette même époque, un livre facétieux, dont l’auteur n’est pas
connu[119], passe en revue les principaux cabarets de Paris.

Un homme, que sa femme venait de battre pour l’avoir vu sortir d’un
cabaret borgne, vient «_en Parnasse_» supplier Apollon «qu’il luy pleust
luy donner une ample et entière congnoissance de toutes les maisons
d’honneur, que Bacchus possède dans Paris.» Apollon ne refuse pas de lui
indiquer les cabarets les plus estimés: d’abord la _Pomme de Pin_, sur
le pont Notre-Dame, «qui commence néanmoins à descheoir du crédit
qu’elle avoit le temps passé.» Mais, ajoute Apollon, «si vous avez
nouvelle que la presse soit à la _Pomme de Pin_, prenez la peine de
vous transporter au _Petit Diable_.» Apollon conseille à son homme, dans
le cas où il passerait devant le Palais, d’aller hardiment déjeuner à la
_Grosse Tête_. Après avoir entendu la messe à Saint-Eustache, celui qui
aurait fait vœu de dîner en ce quartier-là ne doit pas chercher d’autres
rendez-vous qu’au _renommé logis du célèbre_ Cormier. Celui qui sort du
théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, encore tout échauffé par l’éloquence
admirable de M. Bellerose, ne saurait mieux faire que d’_aller
rafraîchir_ aux _Trois Maillets_. Ceux qui se trouveront au faubourg
Saint-Germain, après avoir joué à la paume ou à la boule, seront tout
portés, pour prendre leur collation, à _Saint-Martin_, à l’_Aigle
royal_, à la _Pomme de Pin_. Mais Apollon les arrête ici, en leur
criant: «N’allez plus à _Clamar_, si vous ne voulez pas qu’on vous
traite en crocheteurs; son maistre l’a fait rayer du nombre des cabarets
illustres.» Apollon recommande à ceux qui viennent de solliciter leurs
procès au Châtelet d’entrer ensuite au _Grand Cornet_, sans se faire
tirer l’oreille, ou bien à la _Table du valeureux Roland, maison insigne
et fameuse_; quant à ceux qui auraient peur d’être écorniflés par
quelque recors ou sergent, ils doivent aller, un peu plus loin, à la
_Galère_ ou à l’_Échiquier_, «pour divertir la mélancolie qui
n’abandonne jamais les pauvres plaideurs.»

Êtes-vous obligé de suivre la Cour et sortez-vous du Louvre à l’heure du
dîner, vous trouvez devant vous le premier cabaret de France, celui de
la Boesselière; mais il ne faut pas y entrer sans avoir au moins une
pistole dans sa bourse. Avez-vous une bourse moins garnie, on vous
conseille de pousser jusqu’aux Halles et de passer une heure aux _Trois
Entonnoirs_ pour y goûter d’un charmant vin de Beauce. Si vous allez
jouer au mail, vous ferez bien de prendre des forces en buvant une
bouteille de vin à l’_Écu_ ou à la _Bastille_.

Celui qui va se promener avec sa maîtresse aux marais du Temple, peut
avoir une belle chambre au cabaret de l’_Écharpe_. Celui qui passe par
la rue des Bons-Enfants ne doit pas se dispenser de visiter l’hôtel du
_Petit Saint-Antoine_, un des bons cabarets de la ville de Paris.
Quiconque se sentira l’estomac indisposé pour avoir trop bu la veille,
n’aura qu’à boire encore pour se remettre le cœur, et s’il se trouvait
par hasard aux environs du cimetière Saint-Jean, il fera bien de
s’arrêter au logis des _Torches_ pour y prendre une potion cordiale,
capable de ressusciter un mort. Enfin voici le plus friand cabaret,
qu’Apollon nous gardait pour la bonne bouche, c’est celui des _Trois
Cuillers_, ou _Cuillères_, dans la rue aux Ours.

Tous ces cabarets avaient des enseignes peintes ou sculptées,
quelquefois dorées ou argentées. Les ordonnances de la Ville et de la
Cour des Aides prescrivaient aux cabaretiers, taverniers, logeurs et
autres, qui vendaient le vin en détail, de mettre des enseignes aux
endroits où se faisait la vente. A défaut d’enseigne, le vendeur de vin
plaçait sur sa porte un bouchon, ou un moulinet emblématique, annonçant
que le vin fait tourner la tête. Les gentilshommes, les plus grands
seigneurs, allaient au cabaret pour faire bombance et boire à
tire-larigot. Pierre de l’Estoile, dans son _Journal de Henri IV_ (année
1607), affirme que la dépense était de six écus par personne, au _Petit
More_ et à la _Hure_, rue de la Huchette. Le poète Théophile, qui
s’entendait en cabaret aussi bien qu’en poésie, nous a laissé cette
peinture d’un ivrogne qu’il rencontrait souvent au _Petit More_:

    Quant au chapeau qu’il porte, il est tel, à le voir,
    Qu’on diroit vrayement que c’est un entonnoir;
    Le cordon qui l’entoure est fait à la marane,
    Historié jadis comme le dos d’un asne;
    Son oreille est semblable à celle d’un cochon,
    Où pend le _Petit More_, en guise de bouchon[120].

Ce _Petit More_ reparaît sans cesse dans les chansons bachiques, sous le
règne de Louis XIII:

    Sus, allons chez la Coiffier,
      Ou bien au _Petit More_.
    Je vous veux tous défier
      De m’enivrer encore[121]!

C’était le rendez-vous des plus vaillants buveurs. La _Comédie des
Chansons_[122], qui fut peut-être représentée à l’Hôtel de Bourgogne
avant 1640, en a fait un tableau assez peu décent:

    Un jour, Paulmier, à haute voix,
    Enivré dans le _Petit More_,
    Tandis qu’on le tenoit à trois,
    Desgobillant, disoit encore:
    «Je veux mourir, au cabaret,
»Entre le blanc et le clairet!»

Pierre de l’Estoile place le cabaret du _Petit More_ dans la rue de la
Huchette; mais il y eut sans doute plus d’un cabaret portant la même
enseigne, car nous en voyons encore un, dans la rue de Seine, à l’entrée
de la petite rue des Marais, aujourd’hui Visconti, et nous ne doutons
pas que son enseigne ne soit du XVIIᵉ siècle.

La même comédie nous a conservé aussi un couplet de chanson bachique,
sur le cabaret de Cormier, à l’enseigne du _Cerf_:

[Illustration]

      Mon gros Jean Gourmand,
    Que j’ay l’âme ravie
        D’envie
        De voir
    Ton visage charmant;
        Chacun rit,
    En revoyant la trogne
        D’un ivrogne,
    Que le Cormier fleurit.

Le dernier couplet nous donne à penser que Cormier, vers 1639, avait
changé l’enseigne de son cabaret, en y arborant un _cormier_ ou
sorbier, comme un plaisant synonyme de son nom. Guillaume Colletet, qui
fut un des habitués de cet illustre cabaret, conseillait ainsi, à un
_poète buveur d’eau_, de changer de boisson, en allant chez Cormier:

    Va trinquer, à longs traits, de ce nectar nouveau,
    Que le Cormier recelle en ses caves secrètes,
    Si tu veux effacer ces antiques Prophètes,
    Dont le nom brille encor dans la nuit du tombeau[123].

Ce sont les poètes qui ont fait, au XVIIᵉ siècle, la renommée des
cabarets qu’ils fréquentaient de compagnie. Chapelle a célébré, en vers
spirituels, la réunion de ses amis, à la _Croix de Fer_, où Molière
parlait plus qu’il ne buvait. Saint-Amant allait, de préférence, avec
une autre coterie poétique, chez Sercy, rue de Seine, à la _Petite
Galère_. C’est dans ce cabaret qu’il est mort, le 29 décembre 1661,
après une maladie de deux jours, à laquelle la bonne chère et le bon vin
n’étaient pas étrangers. Les jeunes gens de la Cour, qui ne dédaignaient
pas de suivre les poètes au cabaret, donnèrent l’idée d’une entrée de
ballet, dansé devant le roi, à l’occasion de la naissance du Dauphin, en
1638: cette entrée représentait les enseignes des cabarets de Paris, et
Dassoucy en avait fait les vers[124].

Nous avons écrit ailleurs l’histoire des cabarets de Paris[125], et,
dans cette histoire, nous n’avons eu garde d’oublier les enseignes, la
seule chose dont nous ayons à nous occuper ici. On ne saurait s’étonner
de la notoriété que ces enseignes eurent du temps de Louis XIV. Chaque
classe de la société, chaque corps d’état avait son cabaret privilégié.
Les clients ordinaires de la _Tête noire_, située près du Palais,
étaient les clercs de la basoche et les chantres de la Sainte-Chapelle.
Les avocats, les juges eux-mêmes ne dédaignaient pas de se rafraîchir, à
la _Tête noire_, avant et après les audiences, car il n’y avait pas de
buvette dans la grand’salle du Palais. La veuve Bervin, dans le
voisinage du cimetière Saint-Jean, tenait un cabaret, à l’enseigne du
_Mouton blanc_, où Racine et Boileau ne croyaient pas se compromettre en
y dînant avec l’avocat Brilhac. C’est dans ce cabaret que Racine eut la
première pensée de sa comédie des _Plaideurs_. Chapelle fit infidélité
au bouchon de la _Croix de Fer_, quand il entraîna ses amis à la _Croix
de Lorraine_, qui avait meilleure table et meilleur vin; Molière et
Boileau ne refusèrent pas de l’y suivre, avec le comte de Lignon et
l’abbé de Broussin. Nous craignons bien que la _Croix de Fer_ n’ait
jamais réussi à reconquérir ses anciens hôtes, que lui avait enlevé la
_Croix de Lorraine_. Au surplus, Chapelle fut toujours inconstant à
l’égard des cabarets, parce qu’il les aimait tous et qu’il était connu
de tous. Il trônait surtout, quand il ne songeait qu’à s’enivrer en
tête-à-tête avec une bouteille, à la taverne de l’_Ange_, ou bien à
celle de la _Pomme de Pin_, rue de la Licorne, dans la Cité. Ce dernier
cabaret, qui avait peut-être vu Rabelais _humant la purée septembrale_,
garda sa vieille renommée jusqu’à la fin du XVIIᵉ siècle, où l’ancien
maître de la _Pomme de Pin_, nommé Desbordes-Grouyn, enrichi dans son
commerce et plus encore dans les gabelles, avait cédé sa maison à
l’excellent cuisinier Cresnay.

[Illustration]

Chaque cabaret rassemblait en quelque sorte sous son enseigne un fidèle
bataillon de buveurs et de goinfres. Les amoureux dînaient et soupaient
à l’_Écharpe_, qui donna son nom à une petite rue du quartier du Marais;
les friands de l’ordre des Coteaux, c’est-à-dire les vrais connaisseurs
en toutes sortes de vins, tenaient leurs assises chez Lamy, aux _Trois
Cuillères_, rue aux Ours; les gros mangeurs faisaient bombance chez
Martin, aux _Torches_, près du cimetière Saint-Jean; d’autres à la
_Galère_, rue Saint-Thomas-du-Louvre; d’autres enfin, chez l’hôte du
_Chêne vert_, à la porte de l’Enclos-du-Temple. Les comédiens et les
gens de théâtre, qui ne frayaient pas volontiers avec le commun du
public, avaient leurs cabarets attitrés, où ils se trouvaient à leur
aise entre eux; c’étaient: pour ceux du Palais-Royal, avant la mort de
Molière, le cabaret des _Bons Enfants_, dans la rue du même nom, et son
voisin le cabaret l’_Alliance_, où le comédien Champmeslé allait
toujours, lors même que son théâtre fut transporté rue Guénégaud. Les
cabarets s’étaient multipliés autour de l’Hôtel de Bourgogne, jusque
vers les _places de Montorgueil_; il y avait là un cabaret fameux, au
_Croissant_, comme dit l’auteur anonyme de l’_Ode à la louange de tous
les cabarets_. Quand la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, réunie à celle
du Palais-Royal, vint s’établir, en 1680, dans la rue Guénégaud, ces
cabarets, surtout ceux des _Deux Faisans_ et des _Trois Maillets_, ne
chômèrent pas et prospérèrent davantage, les comédiens italiens ayant
remplacé les comédiens français. Le théâtre du Palais-Royal, occupé
alors par l’Académie royale de musique, que Lully y avait transportée du
faubourg Saint-Germain, fournissait de nouveaux habitués, à l’_Épée de
Bois_, de la rue de Venise, taverne adoptée par les musiciens et les
danseurs. Quiconque allait d’habitude au cabaret voulait s’y rencontrer
avec ses pairs et compagnons; ainsi les maîtres ès arts et autres
membres du corps universitaire avaient leurs agapes pédantesques au
cabaret de la _Corne_, transféré de la rue des Sept-Voies à la place
Maubert; aux _Trois Entonnoirs_, près des _Carneaux_, et surtout à
l’_Écu d’Argent_. Les moines, les prêtres même ne craignaient pas
d’entrer au cabaret, et surtout au _Riche laboureur_, dans l’enclos de
la Foire Saint-Germain, et à la _Table Roland_, dans la Vallée de
Misère, près du Châtelet.

Mais il faut nous arrêter à la fin du XVIIᵉ siècle, pour ne pas refaire
notre _Histoire des Hôtelleries et Cabarets_, à laquelle nous renvoyons
le lecteur, et nous terminerons ce chapitre, déjà trop long, par une
simple nomenclature empruntée au _Livre commode des Adresses de Paris
en 1691 et 1692_, en ne citant que les cabarets dont le sieur de Blegny
a mentionné les enseignes. Nous avons déjà parlé de plusieurs de ces
cabarets, _renommés pour les vins fins et pour la bonne viande_; mais
leur rappel, dans le _Livre commode_, prouvera qu’ils n’avaient rien
perdu, à la fin du XVIIᵉ siècle, de leur réputation bachique et
culinaire; nommons donc Lamy, aux _Trois Cuillères_, rue aux Ours;
Loisel, aux _Bons Enfants_, près le Palais-Royal; Fitte, au _Grand
Louis_, rue Bailleul; Berthelot, à la _Conférence_, rue Gervais-Laurent;
Dumonchel, au _Soleil d’Or_, rue Saint-André; Dutest, à la _Corne_, rue
Galande; de Sercy, à la _Petite Galère_, rue de Seine, etc. Mais déjà
les cabarets du bon ton ne s’intitulaient plus que traiteurs, tout en
conservant leurs enseignes plus que séculaires; il n’y eut bientôt des
cabarets que pour le peuple, et ceux où les gens du monde s’aventuraient
encore quelquefois pour _faire la débauche_ étaient aux Porcherons, à la
Courtille, au Port-à-l’Anglais, à la Salpêtrière, etc. Ce fut alors que
les cafés prirent naissance à Paris, et ils se distinguèrent des
cabarets en se refusant toute espèce d’enseigne.



X

ENSEIGNES DES BARBIERS, DES ÉTUVISTES, DES CHIRURGIENS, DES APOTHICAIRES
ET DES MÉDECINS.


Il n’y a pas d’enseignes de métiers qui aient donné lieu à plus de
débats, à plus de conflits, à plus de procès que les enseignes des
barbiers, car les barbiers ont été en querelle permanente avec les
chirurgiens, les étuvistes et même les médecins. Leur corporation était
sans doute très ancienne, mais leurs statuts primitifs étant tombés en
désuétude au XIVᵉ siècle, le roi Charles V leur en donna de nouveaux en
1362, lesquels furent confirmés seulement en 1371 par lettres patentes
adressées au prévôt de Paris[126]. Voici l’analyse des articles V et VI
de ces statuts de la communauté des barbiers de la ville de Paris. «Ils
ne pourront exercer leur métier, si ce n’est pour saigner et pour
purger, les cinq fêtes de Notre-Dame, les jours de saint Cosme et saint
Damien, de l’Épiphanie et des quatre fêtes solennelles. Ils ne doivent
pas pendre leurs bassins les jours de fête qui suivent les fêtes de
Noël, de Pâques et de la Pentecôte, sous peine de cinq sous d’amende,
savoir: deux sous pour le roi, deux sous pour le maître et un sou pour
le garde ou lieutenant du métier.» Ces bassins, que les barbiers ne
devaient pas pendre à leurs boutiques, en certains jours de fête, sous
peine d’amende, étaient les armes parlantes de leur métier, et, par
conséquent, leur enseigne. Cette enseigne-là était donc mobile et
alternative ou journalière, puisqu’on devait la décrocher à certains
jours. Mais les barbiers avaient une autre enseigne fixe et stable, qui
n’était jamais mieux à sa place que les jours de fête religieuse,
puisque c’était l’image de saint Louis, leur patron.

Le _Livre des Métiers_, d’Étienne Boileau, prévôt de Paris sous le règne
de saint Louis, donne les statuts des _estuveurs_ ou baigneurs, et ne
mentionne pas ceux des barbiers, qui n’avaient pas le droit d’exercer
leur métier dans les étuves; mais, dès cette époque, les barbiers, du
moins quelques-uns, s’occupaient de chirurgie et de tout ce qui
constituait la médecine manuelle, que les _mires_ ou médecins proprement
dits dédaignaient de pratiquer eux-mêmes, notamment la saignée et le
pansement des clous, bosses, apostumes et autres plaies. Charles V
compléta en ce sens les statuts des barbiers par son ordonnance du 3
octobre 1372, où il déclarait que les pauvres n’avaient pas les moyens
de recourir aux chirurgiens, _qui sont gens de grand état et de grand
salaire_. Par une ordonnance de 1383, Charles VI augmenta et confirma
les privilèges des barbiers au point de vue chirurgical. Des lettres
patentes de Charles VII, datées de juin 1444, achevèrent de transmettre
aux barbiers une partie des attributions de la chirurgie, et leur
permirent en quelque sorte de faire ouvertement concurrence aux
chirurgiens. Les barbiers avaient ajouté déjà aux armes parlantes de
leur métier celles de la chirurgie, c’est-à-dire les trois palettes
peintes en rouge, qu’ils suspendaient à leurs bassins professionnels. La
palette était une petite écuelle de métal destinée à recevoir le sang
dans les saignées et pouvant contenir environ quatre onces de ce sang,
qu’on mesurait, pour ainsi dire, en le tirant de la veine. On comprend
les discussions et les contestations, auxquelles ces trois palettes et
ces bassins fournissaient des prétextes continuels, qui amenèrent
quantité de procès entre la communauté des barbiers et le collège des
maîtres chirurgiens.

Nous n’avons à nous occuper que des enseignes de l’un et de l’autre
corps de métier, lesquelles furent en cause dans ces procès débattus au
Parlement, et qui avaient souvent donné lieu à des jugements de simple
police pour contravention; car, par un arrêt du 26 juillet 1603, le
Parlement avait autorisé les barbiers à s’intituler: _maîtres
barbiers-chirurgiens_, et à faire figurer dans leurs enseignes les
bassins ou plats à barbe et les trois palettes de la saignée; mais,
parmi les barbiers, beaucoup n’avaient pas subi l’examen d’anatomie et
de chirurgie pratique, qu’ils étaient tenus de passer devant les
maîtres-jurés de la communauté pour avoir le droit de saigner et de
panser les pauvres malades; ceux-là ne devaient donc pas, sous peine
d’amende, arborer les trois palettes emblématiques au-dessous de leurs
bassins. Quant aux maîtres barbiers-chirurgiens, ils se permirent de
changer quelque chose à leur qualification, et ils s’intitulaient, de
leur autorité privée, sur leurs enseignes, _chirurgiens-barbiers_, ce
qui fut matière à nouveaux procès, après lesquels les barbiers durent se
contenter du titre de barbiers-chirurgiens. En revanche, les chirurgiens
eurent, à leur tour, des procès à soutenir contre les barbiers, qui les
accusaient de contrefaire leur enseigne professionnelle et de prendre
indûment quelquefois le titre de barbier; les chirurgiens, qui
saignaient comme les barbiers, prétendaient aussi faire la barbe comme
eux: ces chirurgiens-là n’étaient que des barbiers-chirurgiens; ils
avaient des enseignes, de même que les barbiers, et des enseignes
presque semblables. Le cas était épineux, la question difficile à
résoudre, car les chirurgiens produisaient des lettres patentes du roi
Jean, en date du 5 avril 1353, qui les autorisaient à raser et saigner,
avant que les barbiers eussent obtenu du roi Charles V leurs statuts,
qui n’avaient d’analogie que sur ces deux points. Les chirurgiens
pouvaient donc pendre des bassins à leur porte, comme enseigne de leur
profession, et, en outre, des _boîtes_ d’onguents qui ressemblaient
assez aux palettes des barbiers. On plaida, on replaida, et le
Parlement, reconnaissant que le droit des chirurgiens à prendre des
bassins pour enseigne était antérieur à celui des barbiers, déclara que
ces derniers n’en auraient pas moins, par leurs statuts, l’entière
possession de leurs bassins et de leurs palettes d’enseigne. Mais, pour
établir une juste distinction entre les chirurgiens et les barbiers, il
fut décidé, par un nouvel arrêt, que les chirurgiens auraient des
bassins de cuivre avec trois _boîtes_, et les barbiers, des bassins
d’étain ou de plomb avec trois _palettes_[127].

Les chirurgiens renoncèrent eux-mêmes à toute espèce d’enseigne,
lorsqu’ils eurent exclu de leur corps les chirurgiens-barbiers et les
chirurgiens-apothicaires; les barbiers reprirent alors possession de
leurs bassins et de leurs palettes de cuivre. Monteil, dans son
_Histoire des Français de divers états_[128], avait fait dire à un
maître chirurgien, dès le XVᵉ siècle: «Le public devrait bien distinguer
leurs enseignes des nôtres, en bas desquelles ne pendent pas des plats à
barbe, mais des boîtes; le public devrait bien aussi ne pas ignorer que
nous sommes maîtres chirurgiens jurés.»

Les barbiers n’étaient plus que chirurgiens lorsque la mode voulait
qu’on portât la barbe longue; mais ils redevenaient barbiers dès que
l’on en revenait à couper la barbe. De là sans doute les alternatives de
misère et de fortune de la _barberie_. On peut voir, d’après la _Taille_
de 1492, que les barbiers de Paris étaient au nombre de 151, et comme
chacun d’eux avait à payer pour sa part 8 à 12 sous, ce qui était
comparativement une imposition assez élevée, on peut en conclure qu’ils
faisaient assez bien leurs affaires à cette époque[129]. Tous, il est
vrai, n’étaient pas aussi habiles, malgré les promesses de leurs
enseignes. Ainsi, vers 1500, Pierre Gringore les traitait assez mal,
dans son poème des _Faintises du monde qui règne_, où il dit avec
dédain:

    Tel pend à son huys le bassin,
    Qui ne sauroit raire (raser) une chièvre.

C’est que sous le règne de Charles VIII les Français avaient rapporté
des guerres d’Italie l’habitude de laisser croître leur barbe. Cette
habitude persista toujours, avec les guerres d’Italie, sous Louis XII et
sous François Iᵉʳ, qui avait inauguré la mode des grandes barbes. Il y
eut alors plus de chirurgiens que de barbiers, quoiqu’une bien
singulière mode fût aussi venue d’Italie en ce temps-là. Hommes ou
femmes se rasaient ou se faisaient raser impitoyablement tout le poil du
corps, comme nous l’apprend ce rondeau, qui constate l’étrange service
qu’on réclamait des barbiers:

    Povres barbiers, bien estes morfonduz
    De veoir ainsi gentilshommes tonduz,
    Et porter barbe; or, avisez comment
    Vous gaignerez, car tout premièrement
    Tondre et saigner, ce sont cas défenduz.
    De testonner on n’en parlera plus:
    Gardez ciseaux et razouers esmouluz,
    Car désormais vous fault vivre autrement,
        Povres barbiers.

    J’en ay pitié, car plus comtes ni ducz
    Ne peignerez, mais, comme gens perduz,
    Vous en irez besongner chaudement
    En quelque estuve, et là gaillardement
    Tondre maujoinct ou raser priapus,
        Povres barbiers[130].

Ce rondeau prouve que, malgré les prescriptions des anciens statuts, les
barbiers du temps de François Iᵉʳ pouvaient exercer leur métier dans les
étuves, de telle sorte qu’ils s’intitulaient alors _barbiers-étuvistes_.
Mais les barbiers devaient avoir plus tard leur revanche, et Mercier
disait, en 1782, dans son _Tableau de Paris_: «Douze cents perruquiers,
maîtrise érigée en charge, et qui tiennent leurs privilèges de saint
Louis, emploient à peu près six mille garçons. Deux mille chamberlans
font en chambre le même métier, au risque d’aller à Bicêtre; six mille
laquais n’ont guère que cet emploi. Il faut comprendre dans ce
dénombrement les coiffeuses. Tous ces êtres-là tirent leur subsistance
des _papillotes_ et des _bichonnages_.» Il y avait donc, à Paris, en
1782, 1200 perruquiers, c’est-à-dire barbiers, car dès lors l’usage des
perruques tendait à disparaître; or, ces barbiers exerçaient leur métier
dans douze cents boutiques, peintes en bleu d’azur, couleur de la livrée
du roi saint Louis, et ces douze cents boutiques portaient chacune
l’enseigne pendante des deux bassins de cuivre, accompagnés de trois
palettes.

Le perruquier, né malin, comme le vaudeville, agrémentait souvent son
enseigne de devises et de vers, plus ou moins mal orthographiés, dans le
goût de cette inscription, copiée sur la boutique d’un perruquier du
village de Sarcelle:

    La Nature a doné à l’homme la barbe et les cheveux,
            Ici on les coupe toutes deus.

Les barbiers auraient mieux fait de s’en tenir à l’inscription qu’on
leur avait permis de placer sur leurs boutiques, lorsqu’ils furent
érigés en corps de métier, en 1674: _Céans on fait le poil proprement,
et on tient bains et étuves_. Ils s’intitulaient, dans leurs lettres de
maîtrise: _Barbiers, baigneurs, étuvistes et perruquiers_; ils ne se
mêlaient plus de chirurgie, mais ils avaient le droit de vendre, en gros
et en détail, des cheveux et toutes sortes de perruques, de poudre, de
savonnettes, de pommades, de pâtes de senteurs et d’essences[131].

[Illustration: AU TEMPS PERDU]

Les barbiers, de tous temps, furent plaisants et facétieux; ils le
montraient bien, même jusque sur les enseignes, dont l’invention leur
appartenait. De cette catégorie fut l’enseigne qu’on voyait naguère dans
la cour du Dragon et qui représentait une femme essayant de
débarbouiller un nègre, avec cette inscription philosophique: _Au temps
perdu_.

Les chirurgiens, après d’interminables procès soutenus contre les
barbiers, furent en querelle pendant de longues années avec les
médecins, et sans doute avec les épiciers, puisqu’ils vendaient, en
vertu de leurs statuts, des drogues et des onguents, comme les
apothicaires, qui avaient été incorporés dans la communauté des
épiciers, mais qui ne se laissèrent pas absorber par cette corporation,
ainsi que le prouve le long procès qu’ils intentèrent à Guy Patin et qui
ne tourna pas à leur profit. Ils s’étaient alors séparés, bon gré mal
gré, des épiciers, et quoiqu’ils eussent le même patron que leurs
anciens confrères qui s’étaient mis sous la protection de saint Nicolas,
ils avaient adopté pour enseigne le serpent d’Esculape. Ils y joignaient
sans doute des inscriptions latines, pour relever leur profession. Les
chirurgiens avaient recours quelquefois à ce procédé, lorsqu’ils ne
craignaient pas d’imiter les marchands, en se donnant le luxe d’une
belle enseigne peinte. Tel était ce chirurgien demeurant à Paris, près
de Saint-Martial, lequel avait fait peindre un _tableau de la Charité de
saint Louis_, pour s’en faire une enseigne, et qui obtint de l’amitié de
Santeuil[132] ce distique, qu’il fit graver en lettres d’or, au-dessous
de son tableau, destiné à braver la haineuse jalousie des médecins:

    Ne medicus adhibere manus dubitaveris ægro,
      Admonet hæc pieta regias, teque docet.

Au reste, les médecins eux-mêmes ne dédaignaient pas de sacrifier
parfois à la vanité de l’enseigne. Le médecin Mouriceau, qui fit, en
1681, le _Traité des femmes grosses_, donnait ainsi son adresse, à
défaut de l’adresse de son libraire: _Paris, chez l’Auteur, au milieu de
la rue des Petits-Champs, à l’enseigne du_ BON MÉDECIN. Au XVIIIᵉ
siècle, médecins et chirurgiens se seraient crus déshonorés s’ils
avaient mis des enseignes sur la façade des maisons qu’ils habitaient,
mais ils avaient des adresses imprimées et gravées, qu’ils distribuaient
dans leur quartier. Nous ne citerons que la suivante, finement gravée
par Chalmandrier, d’après un dessin de Marillier, qui l’avait enjolivée
de bouquets de roses et surmontée d’un groupe d’amours sérieusement
occupés à se soigner les dents: _Le sieur Delafondrée, chirurgien
dentiste, seul élève associé de M. Fauchard, rue et près les Grands
Cordeliers_.

La plupart des dentistes, n’étant pas chirurgiens, caractérisaient du
moins leur profession par des armes parlantes, qui n’étaient autres que
des dents énormes, ou, plus modestement, par des râteliers de belles
dents blanches à faire envie aux pauvres édentés; ce qui se voyait
encore de nos jours, au Palais-Royal, dans les tableaux dentaires de
Désirabode.

Nous avons trouvé aussi plusieurs adresses gravées, avec des attributs
et des emblèmes agréables qui recommandaient des boutiques
d’apothicaires, avant que ces indispensables auxiliaires de la médecine
se fussent métamorphosés en pharmaciens. Nous nous arrêterons de
préférence à une enseigne sculptée, et très élégamment sculptée, qu’on
voit encore rue Saint-Denis et qui porte cette légende: _Au Mortier
d’Argent_. Son voisin le _Centaure_, dont nous avons donné le dessin
page 85, et le _Bon Samaritain_, de la rue de la Lingerie, sont des
enseignes de marchands droguistes.

[Illustration: LE MORTIER D’ARGENT, RUE SAINT-DENIS]



XI

ENSEIGNES DES IMPRIMEURS ET DES LIBRAIRES


M. L.-C. Silvestre a publié en 1867 un bien curieux ouvrage[133] en
recueillant seulement les marques des imprimeurs et des libraires du
XVIᵉ siècle, et cet ouvrage s’augmenterait de plusieurs volumes, si l’on
s’avisait de rechercher l’origine et le sens de ces marques, qui étaient
souvent énigmatiques et difficiles à expliquer. Les marques qui
figuraient ordinairement dans les livres imprimés aux XVᵉ, XVIᵉ et XVIIᵉ
siècles, soit à la fin du texte, soit sur le titre du volume, servaient
souvent d’enseignes aux imprimeurs et aux libraires, mais non d’une
manière absolue et générale, car, dans bien des cas, la marque n’avait
aucune analogie avec l’enseigne, qui était celle de la maison dans
laquelle s’établissait l’imprimeur ou le libraire. Un ouvrage spécial et
complet sur les marques et les enseignes des imprimeurs de Paris était
donc un travail de bibliographie très intéressant, et nous ne sommes pas
étonné que plusieurs érudits y aient songé avant M. Silvestre. «On m’a
fait lire, dit Jean-Bernard Michault, de Dijon[134], l’ouvrage manuscrit
de votre jeune auteur sur les enseignes et les vignettes emblématiques
des imprimeurs. M. de La Monnoye m’a dit autrefois qu’un de ses amis
avoit travaillé sur la même matière.»

Les deux ouvrages annoncés par La Monnoye et Michault n’ont jamais paru.

Nous n’avons pas à nous occuper ici des _marques_ proprement dites; nous
nous bornerons à relever celles qui ont un rapport direct avec notre
sujet, et à faire connaître sommairement la plupart des enseignes de
l’imprimerie et de la librairie, depuis l’année 1470 jusqu’au règne de
Henri II, en 1574[135].

L’invention de l’imprimerie remonte certainement à 1440, et peut-être au
delà, mais elle ne fut introduite en France qu’en 1470, par un prieur
de Sorbonne, Jean de la Pierre, qui fit venir d’Allemagne trois
imprimeurs, Martin Krants, Ulric Gering et Michel Friburger, pour
imprimer sous ses yeux plusieurs ouvrages théologiques. Ces trois
Allemands avaient apporté avec eux leur matériel d’imprimerie,
caractères mobiles, presses et outillage typographique. Ce fut dans la
maison de Sorbonne, où ils étaient logés, qu’ils imprimèrent leur
premier livre, intitulé: _Epistolæ Gasparini Pergamensis_, petit volume
in-4º. Ce volume ne portait pas encore de marque, et leur atelier,
installé dans les bâtiments de la Sorbonne, n’avait pas, ne pouvait pas
avoir d’enseigne. Ils en prirent une, en 1475, quand ils transportèrent
leur imprimerie dans la rue Saint-Jacques, près les charniers de
l’église Saint-Benoît, et cette enseigne, le _Soleil d’Or_, ne fut pas
mise, comme marque, sur les livres qu’ils imprimèrent, quoiqu’ils
n’oubliassent pas de la mentionner dans leur adresse.

Les trois premiers imprimeurs travaillaient encore dans le local de la
Sorbonne, lorsque Pierre Cesaris et Jean Stol, qui venaient des
Pays-Bas, s’établirent rue Saint-Jacques, près les Jacobins, à
l’enseigne du _Soufflet vert_. C’est là qu’ils imprimèrent, en 1473, le
_Manipulus Curatorum_. Pierre Cesaris fut un des quatre premiers
libraires-jurés. Leur établissement dans la rue Saint-Jacques, au centre
du quartier de l’Université, prouve qu’ils avaient voulu se placer sous
les auspices du corps universitaire, pour faire concurrence aux scribes
et aux libraires, qui copiaient et vendaient, en ce même quartier, des
livres manuscrits. Ces scribes et ces libraires n’avaient pas de
boutiques, mais ils attachaient aux fenêtres de leur domicile de longs
rouleaux, sur lesquels étaient annoncés les livres qu’ils offraient en
vente[136]. On comprend que l’industrie des écrivains, qui avait
prospéré pendant le moyen âge, ne put soutenir la concurrence redoutable
de l’imprimerie, et que les libraires, qui s’étaient mis alors en
boutique avec des enseignes semblables à celles de tous les marchands,
vendirent cent fois plus de livres imprimés qu’ils n’avaient vendu de
livres manuscrits. Le nombre de ces libraires s’accrut considérablement,
à mesure que les livres se multipliaient avec les progrès de
l’imprimerie. Nous devons nous borner à citer ceux de ces libraires qui
faisaient imprimer des livres avec leurs noms et leurs marques.

Pierre Le Caron, qui imprima en 1474 un des premiers livres français:
_l’Aiguillon de l’Amour divin_, de saint Bonaventure, traduit par Jean
Gerson, demeurait rue Quinquampoix, à l’enseigne de la _Rose blanche_;
il alla loger ensuite rue Neuve-Saint-Merry, à l’enseigne des _Rats_;
puis, rue de la Juiverie, à l’enseigne de la _Rose_. Pasquier Bonhomme,
qui publia les _Grandes Chroniques de France_, en trois volumes
in-folio, imprimés _en son hôtel_, rue Neuve-Notre-Dame, avait pour
enseigne l’_Image de Saint Christophe_.

Antoine Vérard, un des plus habiles et des plus actifs imprimeurs de son
temps, puisqu’il imprima ou fit imprimer plus de cent ouvrages in-folio
et in-quarto, avec des figures sur bois, demeura d’abord, et jusqu’en
1499, sur le pont Notre-Dame, à l’enseigne de _Saint Jean
l’Évangéliste_; il changea plusieurs fois de domicile, mais il garda
toujours la même enseigne, au carrefour de Saint-Séverin, rue
Saint-Jacques, près le Petit-Pont, et devant la rue Notre-Dame. Il eut
plusieurs marques d’imprimeur et de libraire, qui ne rappelaient en rien
son enseigne favorite. Cette enseigne était aussi celle qu’avait adoptée
Michel Lenoir, qui avait sa boutique de libraire, en 1496, sur le pont
Notre-Dame; mais lorsqu’il alla demeurer, en 1505, au bout du pont
Notre-Dame, devant Saint-Denis de la Chartre, il prit pour enseigne
l’_Image Notre-Dame_; plus tard, en s’établissant rue Saint-Jacques, il
choisit une autre enseigne: _A la Rose blanche couronnée_. Il n’est pas
facile de s’expliquer ces mutations d’enseigne, si fréquentes chez les
imprimeurs et les libraires; nous croyons pourtant, d’après certains
rapprochements de noms, qu’elles résultent simplement du changement de
domicile et que les enseignes des maisons devenaient la plupart du temps
les enseignes des boutiques.

Antoine et Louis Caillaud, imprimeurs, demeuraient, en 1497, rue
Saint-Jacques, près les Jacobins, à l’enseigne de la _Coupe d’Or_;
Pierre Levet, imprimeur, en 1495, rue Saint-Jacques, aux _Balances
d’Argent_; Pierre Le Rouge, imprimeur, en 1490, rue Neuve-Notre-Dame, à
la _Rose_. Ce dernier imprimeur avait fait graver une marque, dans
laquelle la rose de son enseigne était surmontée d’une fleur de lis
couronnée et accotée de deux faucons. Cette marque est une des plus
anciennes que nous ayons rencontrées dans un livre du XVᵉ siècle. A
cette époque, presque tous les libraires étaient en même temps
imprimeurs, ou du moins ils prenaient indifféremment l’un ou l’autre
titre professionnel; aussi, l’Allemand Wolfgang Hopyl, qui imprimait
presque tous les beaux livres d’heures, illustrés d’encadrements et de
gravures sur bois, que publiait Simon Vostre, s’intitula plus d’une fois
libraire, dans ses nombreux changements de domicile et d’enseigne,
depuis 1489 jusqu’en 1517, rue Saint-Jacques, à _Sainte Barbe_; puis,
dans la même rue, près l’église Saint-Benoît, à _Saint Georges_, et
ensuite au _Tréteau_; enfin, près les Écoles de Décret, à l’enseigne des
_Connils_, c’est-à-dire des _Lapins_.

Georges Metelhus, imprimeur, en 1494, rue Saint-Jacques, près le
Petit-Pont, à l’enseigne de la _Clef d’Argent_; Philippe Pigouchet,
imprimeur-libraire de livres d’église, rue de la Harpe, près le collège
de Damville, ensuite près l’église de Saint-Cosme et Saint-Damien, prend
l’enseigne du _Palmier_, qui reparaît dans sa marque d’imprimeur, où ce
palmier, chargé de fruits, est sous la garde d’un homme et d’une femme
sauvages. Jean du Pré, également imprimeur de livres d’église,
demeurait, en 1492, rue Saint-Jacques, «en l’hôtel où pendent pour
enseigne les Deux Cygnes»; sa marque de libraire, que porte le titre
d’une édition gothique des _Lunettes des Princes_, par Jean Meschinot,
représente les deux cygnes de son enseigne, soutenant un écusson vide,
au milieu de fleurs, entre deux anges qui jouent de la harpe et du
psaltérion.

L’imprimeur Durand Gerlier, qui avait pour enseigne l’_Étrille Fauveau_,
quand il demeurait rue des Mathurins, de 1489 à 1493, se transporta, en
1498, rue Saint-Jacques, à l’_Image Saint Denis_; Guyot Marchand, qui
imprima en 1491 une belle édition de la _Danse macabre_, dans le grand
hôtel du _Champ-Gaillard_, derrière le collège de Navarre, avait une
singulière marque, qui reparaissait sans doute sur son enseigne de la
_Bonne foi_: les deux notes de musique _sol_ et

[Illustration]

_la_, suivies des mots superposés _fides_ sur _ficit_, et au-dessous,
deux mains jointes, au milieu des nuées, «pour faire allusion, dit La
Caille dans son _Histoire de l’Imprimerie_, à ces paroles du _Pange
lingua: Sola fides sufficit_.» Georges Wolff, imprimeur allemand,
occupait, en 1492, les ateliers d’Ulric Gering, rue de Sorbonne, avec
son enseigne: _au Soleil d’Or_; mais, lorsqu’il se fut associé avec son
compatriote Philippe Cruzenach, il porta son imprimerie, rue
Saint-Jacques, à l’enseigne de _Sainte Barbe_. Jean Lambert, qui était
libraire rue Saint-Séverin, en 1492, ne conserva pas son enseigne de la
_Corne de cerf_, quand il vint s’établir, comme imprimeur, devant le
collège Coqueret, où il jugea convenable de pendre l’_Image de Saint
Claude_ au-dessus de sa boutique. Jean Trepperel, imprimeur-libraire,
qui imprima et publia un grand nombre de romans de chevalerie, avait
d’abord pour enseigne l’image de _Saint Laurent_, quand il demeurait sur
le pont Notre-Dame, en 1491; il changea de saint et d’enseigne, en
allant demeurer rue Saint-Jacques, en 1498, à l’_Image Saint Yves_; il
n’y resta pas longtemps et passa dans la rue de la Tannerie, à
l’enseigne du _Cheval noir_; en 1502, sa veuve tenait boutique, rue
Neuve-Notre-Dame, à l’_Écu de France_. On s’explique ces changements
d’enseigne par ces changements de domicile.

C’était, d’ailleurs, une habitude presque générale chez les imprimeurs
et les libraires, du moins à la fin du XVᵉ siècle et au commencement du
XVIᵉ. Jean Philippi, imprimeur allemand, établit ses presses, en 1495,
rue Saint-Jacques, à l’_Image de Sainte Barbe_; puis, il les transporta
bientôt, rue Saint-Marcel, à l’enseigne de la _Sainte-Trinité_. Un autre
imprimeur allemand, Jean Higman, imprimait d’abord, en 1489, dans la
maison de Sorbonne, cet asile tutélaire de l’imprimerie; il alla
demeurer, au Clos-Bruneau, près les Écoles de Décret, à l’enseigne des
_Lions_; ensuite, il se fixa rue Saint-Jacques, à l’_Image Saint
Georges_. La rue Saint-Jacques sera désormais, comme au moyen âge, le
grand marché de la librairie. Jean Driart s’y installe, à l’enseigne des
_Trois Pucelles_, en 1498, pour y imprimer la plus belle édition du
_Mystère de la Destruction de Troie la grant_. Antoine Nidel, qui était
maître ès arts avant de se faire imprimeur, ne s’éloigne pas du collège
Coqueret et du collège de Montaigu en créant une imprimerie, à
l’enseigne de la _Cathédrale_, dans le quartier des relieurs, qu’on
appelait le Mont Saint-Hilaire, entre la rue Saint-Hilaire et la rue des
Sept-Voies. Deux imprimeurs s’établissent, la même année, Félix
Baligant, sur la montagne Sainte-Geneviève, près le collège de Reims, à
l’_Image Saint Étienne_, et Geoffroy de Marnef, rue Saint-Jacques, près
l’église Saint-Yves, à l’enseigne du _Pélican_. Ce dernier s’était
associé à ses deux frères Jean et Enguilbert, en réunissant leurs trois
enseignes dans une marque collective, qui représentait leur association
«par trois symboles, dit La Caille, des grues qui font leur nid en
volant, un perroquet qui parle, un pélican qui donne la vie à ses
petits, avec trois bâtons» où sont les initiales de leur trois prénoms.

Il faut maintenant citer les imprimeurs et les libraires qui ouvrent
leurs ateliers et leurs boutiques, avec enseignes, sous le règne de
Louis XII. C’est, en 1498, le libraire Jean Petit, rue Saint-Jacques, à
l’enseigne du _Lion d’Argent_, et dans la même rue, près des Mathurins,
à la _Fleur de lys d’Or_. Ce libraire est un de ceux qui, de son temps,
ont fait imprimer le plus de livres, puisqu’il entretenait, à lui seul,
les presses de quinze imprimeurs. Il avait réuni, dans sa marque de
libraire, le lion et la fleur de lis, qui figurèrent l’un après l’autre
dans les deux enseignes de ses boutiques. Thomas du Guernier, qui exerça
pendant plus de vingt-six ans comme imprimeur et comme libraire, et qui
imprima un grand nombre de romans de chevalerie, demeurait d’abord, rue
de la Harpe, à l’_Image Saint Yves_; il resta dans la même rue, en
transportant son établissement près le _Pilier vert_, à l’enseigne du
_Petit Cheval blanc_. Denis Roce, qui ne fut que libraire, demeurait rue
Saint-Jacques, près l’église Saint-Benoît, où la plupart des libraires
avaient leur sépulture; il prit pour enseigne l’_Image Saint Martin_, et
pour marque, par allusion à son nom de _Roce_, un rosier portant des
roses, avec son écusson armorié, soutenu par deux griffons.

Les imprimeurs allemands et belges qui venaient s’établir à Paris y
faisaient encore fortune. Jodocus Badius Ascensius, après avoir été
professeur au collège de Lyon, se fit imprimeur à Paris, vers 1502, rue
Saint-Jacques, «au-dessus de l’église Saint-Benoît, près du Gril», à
l’enseigne des _Trois Luxes_ (brochets); il devint libraire, pour vendre
les excellentes éditions de classiques latins, qu’il publiait lui-même.
Nicolas Wolff, de Bade, qui mettait sur ses éditions: _Impressi arte et
industria ingeniosissimi viri N. W. Allemani_, imprima d’abord dans le
cloître Saint-Benoît, aux _Trois Tranchoirs d’Argent_; ensuite rue de la
Harpe, à l’enseigne des _Rats_. Thomas Kées, de Wesel, imprimait à
l’enseigne du _Miroir_, près le collège des Lombards. Alexandre Aliate,
Belge, n’exerça que quelques mois, en 1500, rue Saint-Jacques, devant le
Collège de France, à l’_Image Sainte Barbe_. Thielman Kerver, arrivé
d’Allemagne en 1500, fonda une des plus importantes maisons d’imprimerie
et de librairie, qui devait durer plus d’un siècle; il demeurait d’abord
sur le pont Saint-Michel, à l’enseigne de la _Licorne_; ensuite, rue des
Mathurins et rue Saint-Jacques, toujours avec la même enseigne, qu’il ne
changea que vers la fin de sa vie, pour prendre celle du _Gril_; mais
ses successeurs reprirent celle de la _Licorne_, qu’ils faisaient
figurer dans leur marque typographique. Berchtold Rembolt, de
Strasbourg, avait adopté l’enseigne d’Ulric Gering, le _Soleil d’Or_, en
créant son imprimerie rue Saint-Jacques; mais, en allant s’établir près
du Collège de France, il prit pour enseigne l’_Image Saint Christophe_.
Sa veuve, qui épousa en 1513 Claude Chevallon, rentra, avec le _Soleil
d’Or_, dans la maison que son premier mari avait habitée rue
Saint-Jacques. Claude Chevallon était si fier de son enseigne, qu’il la
mit dans sa marque, au-dessus de son écusson, soutenu par deux chevaux
dressés debout, pour faire allusion par un rébus à son nom de Chevallon
(cheval long).

Les autres imprimeurs et libraires qui parurent du temps de Louis XII
étaient tous Français, mais ils n’exercèrent pas longtemps, à
l’exception de quatre ou cinq. Gaspard Philippe imprimait, en 1502, rue
de la Harpe, aux _Trois Pigeons_; Nicolas de la Barre, en 1509, rue de
la Harpe, devant l’_Écu de France_, aux _Trois Saumons_; puis, rue des
Carmes, devant le collège des Lombards, à l’_Image de Saint Jean
l’Évangéliste_; Antoine Bonnemère, en 1508, rue Saint-Jean-de-Beauvais,
devant les grandes Écoles de Décret, à l’_Image Saint Martin_; Guillaume
le Rouge, en 1512, rue Saint-Jean-de-Latran, à la _Corne de Daim_;
Nicolas des Prez, en 1508, rue Saint-Étienne-du-Mont, au _Miroir_. Il y
eut plusieurs imprimeurs célèbres dont les débuts datent de ce règne-là,
mais qui n’acquirent toute leur réputation que sous le règne suivant.
François Grandjon, très habile graveur et fondeur de caractères, de même
que ses deux frères Jean et Robert, demeurait rue Saint-Jacques, près
l’église Saint-Yves, à l’_Image Saint Claude_, et devant le couvent des
Mathurins, à l’_Éléphant_; Gilles de Gourmont, le premier qui imprima du
grec à Paris, et qui devint imprimeur du roi, habitait rue
Saint-Jacques, aux _Trois Couronnes_, mais il remplaça cette enseigne
par celle de _l’Écu de Cologne_, sans changer de domicile. Ses deux
frères, Jean et Robert, imprimeurs comme lui, demeuraient au
Clos-Bruneau, près le collège Coqueret, à l’enseigne des _Deux Boules_.
Guillaume Anabat, demeurant rue Saint-Jean-de-Beauvais, depuis 1500
jusqu’en 1505, à l’enseigne des _Connils_ (lapins), imprimait de
superbes livres d’heures, remplis d’images gravées sur bois, pour Gilles
Hardouyn, demeurant au bout du Pont-au-Change, à l’enseigne de la
_Rose_, et pour Germain Hardouyn, qui avait sa boutique de libraire
devant le Palais, à l’_Image Sainte Marguerite_. Enfin, Guillaume
Nyverd, successeur de Pierre Le Caron, en 1516, conserva cette fameuse
imprimerie, dans le même local, rue de la Juiverie, à l’enseigne de la
_Rose_, qui céda la place, on ne sait pourquoi, à _l’Image Saint
Pierre_.

Le nombre des libraires augmentait à mesure que diminuait celui des
imprimeurs. Il y eut un libraire du roi, Guillaume Eustace, qui
demeurait, en 1508, rue de la Juiverie, à l’enseigne des _Deux
Sagittaires_, qui furent reproduits dans toutes les marques de ce
libraire, jusqu’à ce que sa boutique fût transférée, dans la rue
Notre-Dame, à l’enseigne de l’_Agnus Dei_. Il faut citer, parmi les
autres libraires de ces temps-là, Poncet Lepreux, qui fit imprimer à ses
frais une immense quantité de livres en tous genres, depuis 1498
jusqu’en 1552; pendant 55 ans, il n’eut que deux domiciles, rue
Saint-Jacques, devant les Mathurins, à l’enseigne du _Loup_, et même
rue, au _Croissant_. Citons encore deux autres libraires de la même
époque, Jean Lefèvre, rue Saint-Jacques, à l’enseigne du _Croissant_;
Jacques Ferraboue, en 1514, sur le Petit-Pont, devant l’Hôtel-Dieu, à
l’enseigne du _Croissant_. Galiot du Pré, chef d’une nombreuse famille
de libraires qui se succédèrent jusqu’en 1570, ouvrit boutique, sur le
nouveau pont Notre-Dame, en 1512, à l’enseigne de la _Galée_, par
allusion à son prénom de Galiot, qui signifiait aussi un navire à voiles
et à rames. Il avait donc fait poser son enseigne dans sa marque, avec
cette devise de bon augure: _Vogue la Galée_.

Sous François Iᵉʳ, où le nombre des livres imprimés se multiplie à
l’infini, la place est prise et disputée par les fils et les descendants
des anciens imprimeurs et libraires; nous n’avons donc à mentionner que
les nouveaux venus dans l’imprimerie et la librairie, avec de nouvelles
enseignes. Commençons par les imprimeurs, qui la plupart travaillaient
pour les libraires et ne publiaient plus de livres. On ne peut imaginer
combien de poésies et de vieux romans de chevalerie, d’ouvrages de
morale et de philosophie, furent mis au jour sous le règne de François
Iᵉʳ. Guillaume Lebret imprimait, avec Jean Réal, en 1538, dans le
Clos-Bruneau, à la _Corne de Cerf_, puis à la _Rose rouge_. Jean Réal se
sépara de son associé en 1548, et imprima seul, rue du Mûrier, à
l’_Image Sainte Geneviève_; puis, rue Traversine, au _Cheval blanc_.
Pierre Gromors imprimait, à l’enseigne de la _Cuillère_, près l’église
Saint-Hilaire, en 1521; au _Phénix_, près le collège de Reims, en 1538.
Simon de Colines, qui était à la fois imprimeur et libraire, de 1510 à
1550, changea souvent de demeure et d’enseigne: en 1526, il avait sa
boutique, près le collège de Beauvais, au _Soleil d’Or_; en 1527, sa
marque de libraire nous fait supposer qu’il avait pris pour enseigne:
_aux Connils_ (lapins); en 1531, son enseigne représentait le Temps,
barbu et poilu, maniant sa faux, avec

[Illustration]

cette devise: _Hanc aciem sola retundit virtus_. Jean Messier, associé
d’abord avec Jean du Pré, imprimait en 1517, rue des Poirées, près le
collège de Cluny, à l’_Image Saint Sébastien_; Nicolas Savetier, rue des
Carmes, à l’_Homme sauvage_; Guillaume de Bozzozel, rue Saint-Jacques,
près des Mathurins, au _Chapeau rouge_; Nicolas Prévost, rue
Saint-Jacques, à l’_Image Saint Georges_; Pierre Leber, rue des
Amandiers, à l’enseigne de la _Vérité_; Gilles Couteau, rue
Grenier-Saint-Ladre, à l’enseigne du _Grand Couteau_; Pierre Regnault,
rue Saint-Jacques, aux _Trois Couronnes de Cologne_; Pierre Sergent, rue
Notre-Dame, à l’_Image Saint Nicolas_; Denis Janot, qui fut nommé
imprimeur du roi, en 1543, rue Notre-Dame, contre l’église
Sainte-Geneviève-des-Ardents, à l’_Image Saint Jean-Baptiste_. Enfin,
Michel Vascosan, qui fut libraire et imprimeur, de 1530 à 1576, et qui
peut être considéré comme le plus excellent imprimeur du XVIᵉ siècle,
demeurait rue Saint-Jacques, à l’enseigne de la _Fontaine_, là où
Jodocus Badius avait établi sa presse, à son arrivée à Paris, en 1502;
aussi, Vascosan avait-il représenté dans sa marque d’imprimeur cette
presse avec l’inscription: _Pressum ascensianum_.

Voici maintenant les enseignes de quelques-uns des meilleurs libraires
de cette époque: Alain Lotrian, de 1518 _à_ 1539, rue Notre-Dame, à
_l’Écu de France_; Regnault Chaudière, 1516-1551, rue Saint-Jacques, à
l’_Homme sauvage_; Pierre Bridoux, rue de la Vieille-Pelleterie, à
l’enseigne du _Croissant_; Jean Hérouf, rue Notre-Dame, à l’_Image de
Saint Nicolas_; Nicolas Chrestien, près le collège de Coqueret, à
l’_Image Saint Sébastien_; Jean Roigny, rue Saint-Jacques, au _Basilic_,
et ensuite aux _Quatre Éléments_; Ambroise Girauld, 1526-1546, rue
Saint-Jacques, au _Lion d’Argent_; même rue, au _Roi David_; même rue,
au _Pélican_; Jean Macé, 1531-1582, au Mont Saint-Hilaire, à l’_Écu de
Bretagne_; puis au Clos-Bruneau, à l’_Écu de Guyenne_; Vincent Sertenas,
1538-1554, rue Notre-Dame, à l’_Image Saint Jean l’Évangéliste_; puis,
même rue, à la _Corne de Cerf_; Étienne Robert, dit le Faucheur,
libraire et relieur du roi, sur le pont Saint-Michel, à la _Rose
blanche_. Geoffroy Tory, peintre, graveur et libraire, 1512-1550, le
premier qui obtint un privilège du roi pour l’impression d’un nouveau
livre d’heures, demeura successivement sur le Petit-Pont, joignant
l’Hôtel-Dieu, rue Saint-Jacques, devant l’_Écu de Bâle_ et, même rue,
devant l’église de la Madeleine, et conserva toujours sa fameuse
enseigne du _Pot cassé_, qu’il avait dessinée lui-même sur sa marque de
libraire, avec cette touchante devise: _Non plus_, qui rappelait sa
douleur à la mort de sa fille, etc.

[Illustration]

Je m’arrête ici, en me reprochant de m’être laissé entraîner trop loin
dans cette aride et monotone énumération d’imprimeurs et de libraires,
sans autres détails que leurs adresses et leurs enseignes. J’ai tenu à
montrer ainsi que ces enseignes et ces adresses changeaient souvent,
dans l’exercice de leur profession; que leur industrie et leur commerce
étaient concentrés dans un petit nombre de rues du quartier de
l’Université, et que leurs enseignes différaient souvent de leurs
marques typographiques. On nous permettra[137] d’ajouter à ces
renseignements un peu arides, malgré leur intérêt, une nomenclature
sommaire des marques ou enseignes que certains imprimeurs et libraires
de Paris ont mises sur des livres sortis de leurs presses ou de leurs
boutiques, quoique ces livres ne portent pas leurs noms, ni l’indication
du lieu d’impression. Ce n’étaient pas là des éditions clandestines,
mais c’étaient bien des éditions anonymes, et nous avouons ne pas
comprendre le but et l’intention des éditeurs, qui se cachaient ainsi
sous leurs enseignes.

L’_Abel_, de l’Angelier.--L’_Abraham_, de Pacard.--L’_Amitié_, de
Guillaume Julien.--Le _Basilic_ et les _Quatre Éléments_, de Roigny.--Le
_Bellérophon_, de Perier.--La _Bonne Foi_, de Billaine.--Le _Caducée_,
de Wechel.--Le _Cavalier_, de Pierre Cavalier.--Le _Cordon du Soleil_,
de Drouart.--Le _Chêne vert_, de Nicolas Chesneau.--Les _Cigognes_, de
Pâris.--Le _Saint-Claude_, d’Ambroise de la Porte.--Le _Cœur_, de
Huré.--Le _Compas_, d’Adrien Perier.--La _Couronne d’Or_, de Mathurin du
Puis.--L’_Éléphant_, de François Regnault.--Les _Épis mûrs_, de Du
Bray.--L’_Espérance_, de Gorbin.--L’_Étoile d’Or_, de Benoît
Prevost.--La _Fontaine_, de Vascosan.--Autre _Fontaine_, des Morel.--La
_Galère_, de Galiot du Pré.--L’_Hercule_, de Vitré.--La _Licorne_, de
Chappelet.--Autre _Licorne_, de Kerver.--Le _Loup_, de Poncet le
Preux.--Le _Lys blanc_, de Gilles Beys.--Le _Lys d’Or_, d’Ouen
Petit.--Le _Mercure arrêté_, de David Douceur.--Le _Mûrier_, de
Morel.--Le _Grand_ _Navire_, de la Société des libraires de Paris, pour
les impressions des Pères de l’Église.--_L’Occasion_, de
Fouet.--L’_Olivier_, des Estienne.--Autre _Olivier_, de
Chappelet.--Autre _Olivier_, de Patisson.--Autre _Olivier_, de Pierre
l’Huillier.--La _Paix_, de Jean Heuqueville.--La _Palme_, de Courbé.--Le
_Parnasse_, des Ballard.--Le _Pégase_, de Wechel.--Autre _Pégase_, de
Denis du Val.--Le _Pélican_, de Girault.--Le _Phénix_, de Michel
Joly.--La _Pique entortillée d’une branche et d’un serpent_, de Frédéric
Morel.--Autre, de Jean Bien-né.--Le _Pot cassé_, de Geoffroy Tory.--La
_Presse_ ou _l’Imprimerie_, de Badius Ascencius.--La _Rose dans un
cœur_, de Corrozet.--La _Ruche_, de Robert Fouet.--La _Salamandre_, de
Denis Moreau.--La _Samaritaine_, de Jacques du Puis.--Le _Saturne_, ou
le _Temps_, de Colines.--Le _Sauvage_, de Buon.--Le _Serpent mosaïque_,
de Martin le Jeune.--Le _Soleil_, de Guillard.--La _Toison d’Or_, de
Camusat.--La _Trinité_, de Meturas.--La _Vérité_, de David.--La _Vertu_,
de Laurent Durand.--Les _Vertus théologales_, de Savreux.--La _Vipère de
saint Paul_, de Michel Sonnius.

Cette liste aurait pu être aisément doublée, mais, telle qu’elle est,
elle doit suffire pour indiquer des enseignes qui étaient alors
tellement bien connues, qu’elles suppléaient en quelque sorte aux noms
des imprimeurs et des libraires qui les avaient adoptées et mises en
honneur.



XII

ENSEIGNES DES ACADÉMIES, DES THÉÂTRES, DES LIEUX PUBLICS, DES TRIPOTS ET
DES MAUVAIS LIEUX


En rassemblant les notes qui m’ont servi à préparer mon édition du
_Livre commode des Adresses de Paris_, publié en 1691 et 1692 par le
sieur de Blegny, sous le pseudonyme d’Abraham du Pradel, je m’étais
beaucoup préoccupé de rechercher quelles étaient les enseignes des lieux
publics de Paris, tels que les étuves, les théâtres, les jeux de paume,
car ces enseignes devaient exister encore, du moins la plupart, à la fin
du XVIIᵉ siècle; et il est certain que, dans le siècle précédent, il n’y
avait pas à Paris une seule maison qui n’eût son enseigne, soit
nominale, soit figurée. Ainsi les académies (nous ne parlons pas des
Académies royale des sciences, des inscriptions et belles-lettres, des
beaux-arts ou de sculpture et de peinture, encore moins de l’Académie
française), si nombreuses depuis le règne de Louis XIII, eurent
incontestablement des enseignes, et pourtant nous n’avons pas réussi à
les découvrir, soit pour les académies des jeux ou des brelans publics,
soit pour les académies proprement dites, instituées par des
particuliers pour l’éducation de la noblesse. Ces académies n’étaient
que des manèges d’équitation, des salles d’escrime, des écoles de
musique, de danse, etc., et par conséquent elles s’annonçaient aux
passants par des enseignes permanentes et par des écriteaux indicatifs.
Notre édition du _Livre commode_[138], où les enseignes des marchands ne
sont signalées qu’en très petit nombre, ne donnera donc pas les
enseignes des académies, ni celles des autres lieux publics, enseignes
qu’une enquête plus heureuse que la nôtre parviendra peut-être à mettre
au jour.

Il en est une, cependant, que je viens de découvrir en feuilletant la
_Bibliothèque de l’École des Chartes_ et qui a été commune à toutes les
académies de danse au XVIIᵉ siècle. Quand Louis XIV, qui aimait la danse
au point de la pratiquer en maître, eut créé l’Académie royale de danse,
en 1662, le roi des ménétriers, Guillaume du Manoir, joueur de violon du
cabinet du roi et l’un des vingt-cinq de la grande bande, intenta un
procès aux maîtres à danser, et ce, au nom de la communauté et de la
confrérie de Saint-Julien des ménétriers. Ce procès en Parlement ne dura
pas moins de trente ans et fut terminé par une déclaration du roi, du 2
novembre 1692, en vertu de laquelle la communauté de Saint-Julien fut
maintenue dans la jouissance de son privilège de donner, concurremment
avec l’Académie royale de danse, soit des lettres de maîtrise de joueur
d’instruments, soit des leçons de danse. Voici un curieux extrait du
factum pour Guillaume du Manoir: «De tous temps, la plupart des maîtres
à danser ont eu et ont encor un violon pour enseigne, non pas pour
désigner qu’ils montrent à jouer de cet instrument, mais pour marquer
qu’ils montrent la danse et la liaison qu’il y a entre la danse et le
violon; et, de fait, au-dessous du violon qui leur sert d’enseigne on
écrit toujours ces mots: _Céans on montre à danser_, et, de plus encor,
lorsqu’on veut exprimer qu’un écolier va apprendre cet exercice ou celui
de l’épée, on dit vulgairement qu’il va à la salle[139].»

Cette citation nous permettra de supposer l’existence d’une autre
enseigne pour les académies où l’on apprenait l’escrime. Leur enseigne
avait été une épée tenue par une main gantée, et cette enseigne était
placée sans doute au-dessus de la porte de toutes les maisons où il y
avait une salle d’armes pour l’exercice de l’épée. Nous avions remarqué,
en effet, dans les notes de Berty sur la topographie des quartiers du
Louvre et du bourg Saint-Germain, plusieurs _maisons de l’Épée_, et même
une _maison de l’Épée rompue_. Il en devait être de même des enseignes
de tous les maîtres joueurs d’instruments, qui avaient une salle de
musique: les joueurs de luth exposaient pour enseigne un luth; les
joueurs de cor de chasse, un cor; les joueurs de hautbois, un hautbois,
etc. D’après ce système, une académie pour l’équitation prenait pour
enseigne un cheval ou une tête de cheval, sinon une selle, un mors, une
bride. Quant aux académies des jeux, comme elles avaient été défendues,
la plupart n’avaient garde de se trahir par quelque autre signe
extérieur qu’une simple lanterne, qui devait être indispensable en un
temps où les rues de Paris n’étaient pas éclairées.

Si l’Académie royale de danse, dont nous venons de parler plus haut,
avait au moins un violon pour enseigne, on peut supposer que l’Académie
royale de musique se donna aussi le luxe d’une enseigne et y mit en
montre tous les instruments de son orchestre, lorsque cette académie,
créée par Lully en vertu des lettres patentes que le roi lui avait
accordées au mois de mai 1672, s’établit d’abord dans une salle
provisoire, qui n’était qu’un jeu de paume, «près Luxembourg, vis-à-vis
Bel-Air», suivant l’adresse que nous fournit l’opéra des _Fêtes de
l’Amour et de Bacchus_, représenté et imprimé en 1672. Lully avait
attribué certainement une enseigne à son théâtre, puisqu’il en avait
appliqué une à sa maison, qu’il bâtissait simultanément au coin de la
rue Sainte-Anne et de la rue Neuve-des-Petits-Champs. Cette vieille
maison existe encore, avec sa décoration que nous avons appelée une
_enseigne lyrique_: «Au-dessus de la haute fenêtre qui occupe le milieu
de la principale façade, disons-nous dans un de nos ouvrages[140], se
voient comme sculptés dans la pierre plusieurs des attributs qui
rappellent le premier propriétaire. Ce sont des instruments de musique,
une timbale, des trompettes, une guitare, etc. Des masques de théâtre
servent de clefs de voûte aux cintres du rez-de-chaussée et sont une
allusion à l’origine de la fortune de celui qui fit bâtir cette
demeure.»

[Illustration]

L’enseigne d’un théâtre était aussi un éclairage de lanternes, mais ces
lanternes portaient peut-être une inscription qui devenait lumineuse le
soir des représentations. Le Duchat avait dit, dans une note de la
préface de son édition des œuvres de Rabelais, commentées par lui
(1711), que le nom du Théâtre ou _Jeu des Pois pilés_ venait d’une
enseigne: «Espèces de farces morales connues sous le nom de _Poids
pilés_, et appelées de la sorte parce qu’à la maison où on les
représentoit, à Paris, pendoit pour enseigne une pile de poids à peser.»
(Voir _Fœneste_, liv. III, chap. X.) Mais Le Duchat s’est démenti
lui-même dans une note sur ce passage des _Aventures du baron de
Fœneste_, par Agrippa d’Aubigné, où il représente les pois pilés comme
une purée de pois, à laquelle on faisait allusion avec dédain en
parlant des premières et grossières farces du théâtre français. Nous ne
sommes pas éloigné de croire que Le Duchat avait raison dans sa première
interprétation du nom de ce théâtre des Poids pilés, qui avait son siège
aux Halles et probablement dans une grande maison, une espèce de halle
fermée où était le Poids du Roi. Cette halle ou maison était située dans
la rue de la Buffeterie ou des Lombards. Il suffira de citer un seul
document contemporain de l’époque où le _jeu des pois pilés_ fut établi
dans le quartier des Halles par la joyeuse bande des _Enfans sans
souci_: «Lettre de l’an 1471, du quatorzième octobre, par laquelle
Marguerite de la Roche-Guyot vend au Chapitre le Poids le Roi, avec le
lieu où il se tient en la rue de la Buffeterie, _alias_ des Lombards,
avec le Poids de la Cire, deux mille sept cens soixante-quatorze livres,
12 sous[141].»

On peut donc dire avec certitude que l’enseigne du _Poids du Roi_ était
une pyramide de poids empilés, par ordre de grosseur, en commençant par
les plus gros et en finissant par les plus petits. Il y avait d’ailleurs
plusieurs maisons du même genre pour le pesage des marchandises. Berty,
dans sa _Topographie du vieux Paris_, cite une maison des Balances, en
1372, dans la rue du Coq. La rue des Billettes avait aussi pris son nom
de l’enseigne des billes, ou du billot, qu’on pendait à la maison où se
payait quelque péage au profit du roi ou de la ville[142].

Les étuves, qui s’étaient tant multipliées depuis le XIIIᵉ siècle,
avaient également des enseignes, mais nous n’en avons pu découvrir que
deux[143], l’une dans le Compte des confiscations de Paris en 1421, pour
les Anglais qui étaient alors maîtres de la ville, l’autre dans le
Compte du Domaine de Paris pour un an fini à la saint Jean-Baptiste
1439: «Maison en laquelle a estuves à femmes, scise rue de la Huchette,
où est l’enseigne des _Deux Bœufs_, faisant le coin de ladite rue, près
de l’Abreuvoir du Pont-Neuf.»--«Hôtel de l’_Arbalestre_, dans la rue de
la Huchette, tenant du côté du Petit-Pont à l’hostel de _Pontigny_, et
du côté du pont Saint-Michel, à l’hostel des _Bœufs_, etc.; _à
l’Arbalestre_, il y avoit estuves pour hommes, et _aux Bœufs_, estuves
pour femmes.» Sauval, qui nous offre ce renseignement précieux par sa
rareté, avait dit dans son _Histoire des Antiquités de la ville de
Paris_[144]: «Vers la fin du siècle passé, on a cessé d’aller aux
étuves. Auparavant elles étaient si communes, qu’on ne pouvoit faire un
pas sans en rencontrer.» De ces étuves, il était resté jusqu’à nos jours
des noms de rues: rues des Vieilles-Étuves-Saint-Martin, rue des
Vieilles-Étuves-Saint-Honoré, la ruelle des Étuves, près la rue de la
Huchette, etc. Mais les enseignes de ces étuves, enseignes qui étaient
sans doute curieuses pour l’histoire des mœurs, n’avaient pas même
laissé un souvenir.

Des étuves et des maisons de baigneurs aux maisons de débauche, il n’y
avait qu’un pas. Le savant Duméril, dans son ouvrage sur les _Formes du
mariage_, soutient qu’au moyen âge un bouchon de paille servait
d’enseigne aux prostituées, et aujourd’hui même un lien de paille est
encore employé dans les rues pour indiquer un objet quelconque à
vendre. Mais les mauvais lieux avaient d’autres enseignes plus
caractéristiques, la prostitution formant un corps de métier. Ainsi,
l’abbé Perau, dans ses additions à la _Description historique de la
ville de Paris_, par Piganiol de la Force[145], affirme que le nom du
quartier du Gros-Caillou n’a pas eu d’autre origine qu’une maison de
débauche: «Il faut dire, à présent, l’origine de ce nom singulier de
_Gros Caillou_, qui lui fut donné après son nom très ancien de _la
Longray_. Dans le lieu où est aujourd’hui sise l’église, étoit une
maison publique de débauche, à laquelle un caillou énorme servoit
d’enseigne, et l’on fut obligé d’employer la poudre pour le détruire et
élever en sa place la croix qui y est aujourd’hui et l’église à la place
de la maison.» L’abbé Perau n’a pas eu égard au nom primitif de _la
Longray_, qui peut avoir été le nom vulgaire d’une pierre druidique,
d’une espèce de dolmen: _le long grais_ ou _gray_. En effet, Jaillot,
dans ses _Recherches sur la ville de Paris_, dit que ce gros caillou
était une borne servant de limite entre les seigneuries de
Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève. L’enseigne de la maison
de débauche n’en était pas moins la tradition populaire du quartier.

On connaît du moins avec certitude les enseignes d’un grand nombre de
jeux de paume, qui ont été souvent nommés dans l’histoire et dont
Adolphe Berty a recueilli les noms seulement pour les quartiers du
Louvre et du bourg Saint-Germain.

Le _Journal d’un bourgeois de Paris_, sous le règne du roi Charles VII,
mentionne le jeu de paume du _Petit Temple_ rue Grenier-Saint-Lazare,
où l’on voyait la belle Margot jouer à la paume avec la main nue, en
guise de raquette. L’Illustre Théâtre, où Molière fit ses débuts de
comédien avec la troupe des Béjart, s’installa, en 1643, dans le jeu de
paume des Métayers, situé près de la porte de Nesle; il fut transporté
ensuite au jeu de paume de la Croix noire, situé rue des Barrés, près du
port Saint-Paul; puis enfin, il alla

[Illustration]

terminer sa carrière dramatique, en 1646, au jeu de paume de la Croix
blanche, rue de Bucy. Ce sont là les faits les plus intéressants de
l’histoire des jeux de paume, que nous ne nommerons pas tous, car on n’a
pas relevé encore leurs annales dans tous les quartiers du vieux Paris,
où ils furent si nombreux au XVIIᵉ siècle, lorsque la paume était
l’exercice favori de la jeunesse. Ils ont disparu, la plupart, depuis
que le jeu de billard, qui a remplacé la paume, s’est intronisé dans les
estaminets et les cafés. Un des derniers jeux de paume qu’on ait vus à
Paris, dans la rue Saint-Victor, avait une enseigne fort curieuse pour
l’archéologie, puisqu’elle représentait deux joueurs en action, avec le
costume qu’ils portaient il y a cent cinquante ans environ. Nous
attribuerions aussi à un jeu de paume, sinon à un marchand de raquettes
et d’_éteufs_ ou de balles de paume, l’enseigne d’une maison: _A la
Raquette_, que nous avons fait dessiner, il y a vingt ans, au coin de la
rue Charlemagne et de la rue des Nonnains-d’Hyères.

[Illustration]

Contentons-nous de donner comme spécimen la liste des jeux de paume
désignés par leurs enseignes, tels que Berty les a trouvés dans l’ancien
bourg de Saint-Germain-des-Prés.

_Rue des Boucheries._ Maison et jeu de paume du Dauphin, aboutissant à
la rue des Quatre-Vents, en 1523.--Jeu de paume du Château de Milan.

_Rue de l’Ancienne-Comédie._ Jeu de paume de l’Écu de Savoie, en
1523.--Jeu de paume de l’Écu, en 1592, dans le grand hôtel de l’_Écu de
France_.

Le jeu de paume de l’Écu de Savoie occupait un espace de terrain si
considérable, qu’on y bâtit au XVIIIᵉ siècle plusieurs maisons, dont
les enseignes furent l’Écritoire, la Talemouse, la Tour d’Argent, le
Champ des Oiseaux, l’Ane vert, les Clefs, et la Rose rouge. Ces noms
d’enseigne n’annonçaient pas des maisons très respectables.

Le jeu de paume de l’Étoile, qui existait en 1547, fut remplacé, à la
fin du XVIIᵉ siècle, par la nouvelle salle de la Comédie française, au
nº 14 de la rue de l’Ancienne-Comédie, qui lui doit son nom.

_Rue de Seine._ Les jeux de paume furent plus nombreux dans cette rue-là
que dans tout le quartier Saint-Germain. Voici les noms des principaux:
Jeu de paume de Fort Affaire, 1588.--Jeu de paume des Deux Anges,
1593.--Jeu de paume des Trois Cygnes, 1595.--Jeu de paume du Soleil
d’Or, 1595.--Jeu de paume de la Bouteille, 1600.--Jeu de paume
Saint-Nicolas, 1617.--Jeu de paume des Trois Torches, 1687.

Terminons par une remarque qui a échappé à Berty, le dépisteur de tous
ces jeux de paume: c’est que le jeu de paume des Métayers, près de la
porte de Nesle, où Molière parut sur la scène pour la première fois avec
la troupe de l’Illustre Théâtre, a subsisté bien plus longtemps qu’en
1790. Nous sommes presque certain qu’il conservait sa première
destination, sans avoir changé d’aspect, en 1818, ayant toujours ses
deux entrées, l’une dans la rue de Seine et l’autre dans la rue
Mazarine. Il ne fut détruit qu’en 1823, lors de l’ouverture du passage
du Pont-Neuf; mais on reconnaît, au nº 42 de la rue Mazarine, l’entrée
et l’allée obscure qui conduisaient au jeu de paume. En 1818, tous les
habitants du quartier, fidèles gardiens de la tradition, appelaient
encore ce vieux jeu de paume le _Théâtre de Molière_.



XIII

LES VIEILLES ENSEIGNES


On s’est demandé souvent autrefois proverbialement: «Où vont les
vieilles lunes?» On aurait pu se demander aussi: «Que deviennent les
vieilles enseignes?»

Sans doute, la pluie, la sécheresse, le soleil, l’humidité et la
poussière faisaient leur œuvre sur ces enseignes, exposées à toutes les
intempéries de l’air et des saisons, pendant de longues années; mais si
on ne les repeignait pas, si on ne les nettoyait pas de temps à autre,
on les changeait trois ou quatre fois dans un siècle, et les vieilles
enseignes n’étaient pas condamnées à faire des fagots pour allumer du
feu. Il y avait sans doute des vendeurs et des acheteurs pour ces
vieilles enseignes, qui passaient d’une maison à une autre et servaient
tour à tour à recommander différentes industries et différents
commerces; car l’enseigne n’avait pas toujours un rapport direct et
caractérisé avec la profession de l’artisan, qui la choisissait par
caprice ou par hasard. C’étaient aussi les mêmes enseignes qu’on voyait
répétées dans le même quartier et dans la même rue, elles ne différaient
souvent que de couleur: s’il y avait trois Croix, trois Lions, trois
Chevaux, trois Pots, trois Cages, trois Paniers, à côté l’un de l’autre,
chacune de ces enseignes se distinguait par une couleur spéciale, de
manière à ce que les mêmes signes distinctifs, représentés et dénommés
dans plusieurs enseignes voisines, ne fussent jamais confondus entre
eux, puisqu’ils n’avaient pas d’autre objet que de désigner une maison
ou une boutique; ainsi la Croix d’Or n’était pas la Croix d’Argent, le
Grand Lion n’était pas le Petit Lion, le Cheval blanc n’était pas le
Cheval rouge, le Pot d’Étain n’était pas le Pot de Cuivre, la Cage bleue
n’était pas la Cage noire, le Panier vert n’était pas le Panier fleuri.

Les signes distinctifs des enseignes ne variaient donc pas à l’infini,
comme on paraît le croire, et leur ressemblance même n’avait rien qui
pût déplaire au marchand ou au propriétaire. Il suffisait qu’il n’y eût
pas deux enseignes absolument semblables dans la même rue. Un changement
d’enseigne ne pouvait être déterminé que par une circonstance
indépendante de l’enseigne elle-même, car ordinairement l’ancienneté
d’une enseigne en faisait la valeur. Aussi, nous avons remarqué que si
la maison changeait d’enseigne deux ou trois fois en un siècle, la
boutique n’en changeait pas, à moins de changer de destination
commerciale. Ce sont là des raisons qui nous font penser que les
enseignes ne se détruisaient pas, en cessant d’appartenir à telle maison
ou à telle boutique, et que l’acquéreur ne manquait pas, pour les
transporter d’un lieu à un autre et pour leur donner une nouvelle
existence en les attachant à un nouveau commerce ou à un nouveau local.
Cependant, nous n’avons pas réussi à découvrir quels étaient les
marchands qui à une époque reculée vendaient les vieilles enseignes
d’occasion, en les faisant réparer et repeindre.

Ce n’est qu’au XVIIIᵉ siècle que nous trouvons ces marchands-là: «Chez
les marchands de ferraille du quai de la Mégisserie sont des magasins de
vieilles enseignes, dit Mercier[146], propres à décorer l’entrée de tous
les cabarets et tabagies des faubourgs et de la banlieue de Paris. Là,
tous les rois de la terre dorment ensemble: Louis XVI et Georges III se
baisent fraternellement, le roi de Prusse couche avec l’impératrice de
Russie, l’Empereur est de niveau avec les Électeurs; là, enfin, la tiare
et le turban se confondent. Un cabaretier arrive, remue avec le pied
toutes ces têtes couronnées, les examine, prend au hasard la figure du
roi de Pologne, l’emporte, l’accroche et écrit dessous: _Au Grand
Vainqueur_.» Mais il ne s’agit ici que de têtes peintes représentant des
portraits de rois et de reines, qui étaient en faveur, à ce qu’il
paraît, auprès des cabaretiers de Paris et de la banlieue. Ces marchands
de ferraille avaient à leur disposition les peintres d’enseigne pour
rafraîchir et enjoliver la marchandise au plus juste prix: «Un autre
gargotier demande une impératrice; il veut que sa gorge soit
boursouflée, et le peintre, sortant de la taverne voisine, fait présent
d’une gorge rebondie à toutes les princesses de l’Europe.» La police,
si tracassière et si épineuse pour tant de sujets indifférents, ne
prenait pas sous sa protection ces pauvres souverains, auxquels le
peintre donnait «un air hagard ou burlesque, des yeux éraillés, un nez
de travers, une bouche énorme.» On se contentait d’exiger que la légende
de l’enseigne ne fût pas injurieuse.

«Quand je vois, ajoute philosophiquement Mercier, toutes ces vieilles
enseignes, pêle-mêle confondues, comme on les change, comme on les
marchande; quand je songe aux destinées qui promènent de cabarets en
cabarets ces grotesques portraits de souverains; au vent qui les
ballotte, aux épithètes dont le barbouilleur, ennemi de l’orthographe,
les décore, à leur dernier emploi enfin, qui est de guider les pas
chancelants des ivrognes, il me prend envie de composer, sur ces
métamorphoses et sur ces vicissitudes de la royauté, un petit dialogue
où ces augustes enseignes converseraient entre elles à la porte des
bouchons.»

Les vieilles enseignes peintes, qui traînent dans la crotte, à la porte
des marchands de bric-à-brac, et qui ne rencontrent plus une âme
charitable pour les recueillir et les sauvegarder, eurent pourtant de
nos jours un bon saint Vincent de Paul, qui daigna prendre en pitié ces
peintures dégradées et abandonnées. Le prince de Pons, élève d’Abel de
Pujol, s’était pris d’admiration pour tous les anciens tableaux et
surtout pour les plus enfumés et les plus écaillés, dans lesquels il
s’imaginait retrouver les œuvres originales des plus célèbres peintres
grecs de l’antiquité. Les vieilles enseignes se prêtaient naturellement
à son innocente folie: il en avait rempli son atelier, et il passait sa
vie à les débarbouiller, à les nettoyer, à les repeindre à la grecque,
après avoir cherché à découvrir sous les couleurs et les vernis
quelques précieux vestiges d’une peinture d’Apelle ou de Parrhasius. Ce
musée d’enseignes retomba dans le bric-à-brac de dernier étage, à la
mort du prince de Pons, qui était parvenu, sous la préoccupation de son
étrange manie, à gâter, à sacrifier de très beaux tableaux de maîtres,
et à couvrir des plus horribles barbouillages d’enseigne les meilleures
peintures[147].

M. A. Bonnardot a recueilli l’enseigne d’un cabaret de la _ruelle de
l’Abreuvoir-Popin_ (voir la figure ci-dessus, page 127), qui représente
cette ruelle si pittoresque quelques années avant sa démolition, vers
1825. Elle débouche sur la Seine par _l’Arche Popin_, que surmonte, du
côté du quai, la maison de quincaillerie à l’enseigne des _Deux Clefs_.
M. Bonnardot a fait graver cette enseigne si curieuse dans sa
monographie du Châtelet de _Paris à travers les âges_.

On comprend que d’excellents tableaux se soient ainsi égarés et perdus
quelquefois parmi les enseignes qui avaient tenu leur place au soleil.
Mille circonstances, inappréciables au point de vue rétrospectif,
pouvaient faire du meilleur tableau ancien ou moderne une simple et
modeste enseigne. On raconte qu’à l’époque de la Révolution un
charbonnier de Paris avait acheté une tête de Greuze, une de ces têtes
de jeune fille si remarquables par l’expression naïve et voluptueuse à
la fois du modèle, ainsi que par l’éclat et la vérité du coloris. A
cette époque il y avait sur tous les quais et sur tous les ponts une
exposition permanente des plus précieuses épaves du XVIIIᵉ siècle
artistique, et ces trésors de l’art français ne trouvaient pas, même à
vil prix, d’acheteurs, car les vrais sans-culottes ne se piquaient pas
d’être des connaisseurs, et les connaisseurs qui n’étaient pas encore
arrêtés et emprisonnés comme suspects craignaient de se compromettre en
achetant les reliques de l’ancien régime. Notre charbonnier n’avait rien
à craindre de ce côté-là. Le tableau acheté pour quelques francs, il le
barbouilla consciencieusement avec de la poussière de charbon ou de la
suie, car cette peinture lui semblait trop brillante et trop blanche et
rose pour l’usage qu’il en voulait faire, puis il la cloua, sans cadre,
au-dessus de sa boutique, en la prenant pour enseigne, avec cette
inscription: _A la belle Charbonnière_. L’enseigne resta pendant dix ou
quinze ans à tirer l’œil du client, qui, en venant chercher un boisseau
de charbon, ne manquait pas d’admirer la belle charbonnière. Enfin un
amateur passa par là, vit l’enseigne, y reconnut une peinture de Greuze
sous la teinte noire qui la recouvrait, et le tableau, une fois nettoyé
et reverni, alla reprendre la place qu’il méritait dans une des plus
célèbres galeries de la Restauration. C’est là que le charbonnier
retrouva un jour son enseigne. «Si je l’avais accrochée à ma boutique
dans ce bel état de fraîcheur, dit-il, je me serais fait moquer de moi,
car les charbonniers ne se débarbouillent que le dimanche.»

Nous racontons ailleurs (chapitre des PEINTRES D’ENSEIGNE) l’histoire de
l’enseigne que Watteau avait faite pour son ami Gersaint, le marchand de
tableaux du pont Notre-Dame, et qui fut achetée à très haut prix par M.
de Julienne, pour entrer ensuite dans un Musée comme un des
chefs-d’œuvre du maître. On aurait à citer plus d’une histoire de ce
genre, car les grandeurs et les décadences de l’enseigne furent de tous
les temps et de tous les pays. Nous avons vu, chez un de nos plus chers
amis (Paul Lacroix), une admirable peinture de Frans Hals, qui
représente le portrait du timonier de l’amiral Tromp, attablé dans un
cabaret, buvant et fumant avec délices, et qui fut pendant plus d’un
siècle l’enseigne d’un _musico_ d’Amsterdam. M. Paul Lacroix a trouvé
aussi une enseigne d’un _marchand d’estamples_ (sic), peinte en camaïeu
brun, figurant un coin d’atelier de graveur au XVIIIᵉ siècle, avec une
gravure de portrait d’homme, en cours d’exécution, entourée des outils
de l’artiste.

[Illustration: LES DEUX GASPARD.]

M. Poignant s’écriait, en 1877, dans une très intéressante étude sur les
enseignes de Paris[148]: «Dans quels coins moisissent, si elles
moisissent encore, les belles enseignes de la Restauration: _les
Architectes canadiens_, rue Dauphine; _les Deux Gaspard_[149], _les Deux
Philibert_, _les Trois Innocents_, boulevard Poissonnière et boulevard
Bonne-Nouvelle? Où sont _les Danaïdes_, _l’Avocat Patelin_, _le
Débarquement des Chèvres du Thibet_, qui, de 1820 à 1830, faisaient
l’admiration des badauds et la joie des enfants?

    Mais où sont les neiges d’antan!»

Ce vers de Villon, qui termine cette plaintive évocation au sujet des
enseignes de Paris aujourd’hui disparues, peut-être négligées et
oubliées dans quelque ville de province ou de l’étranger, peut-être
passées à l’état de planches dans quelque ouvrage de menuisier,
peut-être brûlées et détruites; ce vers de Villon, si mélancolique et si
touchant, revient plusieurs fois dans la ballade célèbre où le poète se
demandait ce qu’étaient devenues Héloïse, Jeanne d’Arc et bien d’autres
femmes illustres que la mort avait mises en poussière depuis tant
d’années et qui eurent les honneurs de l’enseigne dans un temps où
l’enseigne ne respectait rien.

On s’explique comment des écrivains et des poètes romantiques se sont
passionnés pour de vieilles enseignes, et comment ils ont poussé la
passion jusqu’à les enlever nuitamment, à leurs risques et périls, comme
le berger Pâris enleva Hélène. Un ami de Jules Janin nous a raconté que
ce _prince des critiques_, après avoir fait partie de la bande joyeuse
de Romieu, qui s’amusait à décrocher les enseignes dans le faubourg
Saint-Germain et à les changer de boutique, à la plus grande
stupéfaction des propriétaires de ces enseignes, s’était amendé et avait
pris l’enseigne au sérieux, à tel point qu’il en avait emporté chez lui
deux ou trois des plus portatives pour orner son cabinet de travail, ou
plutôt sa petite chambre de la rue Saint-Dominique-d’Enfer. «Ce sont là,
disait-il, mes trophées de jeunesse.»

Un autre fantaisiste de la plume, un véritable _curieux_ dans toute
l’acception du mot, mon bon confrère Champfleury, avait bien voulu
m’adresser une aimable et spirituelle lettre, dont je me permets de
transcrire ce passage: «J’ai, à la maison, une enseigne du XVIIIᵉ
siècle, en bois sculpté, enseigne de marchand de vin, avec une légende
incompréhensible. Je l’ai décrochée, il y a tantôt trente ans, dans une
nuit de folles aventures, et je ne m’en repens pas, ayant sauvé un
monument du quai de la Mégisserie à l’époque des racoleurs: un
garde-française, assis dans un cabaret aux murs duquel sont accrochés de
nombreux brocs, tend son pot en l’air. Dans un ruban contourné
au-dessous de la sculpture, on lit: AU BAN (?). L’enseigne était
coloriée; les habits du soldat portent traces du rouge, et le travail du
bois, quoique grossier, est curieux par son cartouche. Ce fut ma fin de
jeunesse, quoique à l’occasion je me sente encore capable de recommencer
un Musée de la nature de celui dont j’ai fait l’aveu dans les _Souvenirs
des Funambules_ (p. 243 à 245, édition Lévy). Je ne vous cite pas ce
passage par gloriole, mais ce sont des dates que ces décrochements
d’enseigne. Les collégiens décrochent-ils encore aujourd’hui des
enseignes? L’enseigne a-t-elle aujourd’hui le côté tentateur
d’autrefois? J’appelle votre attention sur ces briseurs d’images de la
fin de la Restauration. Ce fut une école, de 1830 à 1844; j’en devins
un des plus ardents sectaires[150].»

Mon confrère Champfleury, en commettant ce pieux larcin, semblait
prévoir que les enseignes peintes et sculptées ne tarderaient pas à
disparaître, et qu’il fallait en conserver à tout prix les derniers
monuments authentiques. Quant à la légende de son enseigne, qui avait
été certainement, comme il l’a si bien deviné, celle d’une boutique de
racoleur au XVIIIᵉ siècle, faut-il lire: _Au Ban_, ou bien: _Au Bau_? Le
ban était, en termes de féodalité, «la convocation que le prince faisait
de la noblesse pour le servir à la guerre,» suivant la définition du
_Dictionnaire de l’Académie française_; mais, en plein XVIIIᵉ siècle, on
ne parlait plus guère de ban. Il faut donc lire: _Au Bau_, sur cette
vieille enseigne. Le pauvre imprudent ou innocent racolé, qui se
laissait enrôler au service du roi en vidant des pots de vin bleu avec
son pêcheur d’hommes ou son vendeur de chair humaine, ne savait
peut-être pas que le _bau_ de l’enseigne du marchand de vin n’était
autre qu’un grand filet que l’on traîne dans la rivière et qui ramasse
tout ce qu’il rencontre sur son chemin.



XIV

ENSEIGNES HISTORIQUES ET COMMÉMORATIVES


On ne connaît qu’un très petit nombre de ces sortes d’enseignes, qui ont
dû être fort multipliées, mais dont le souvenir n’a été ni recueilli ni
conservé. Nous les diviserons en deux catégories distinctes, en donnant
à chacune d’elles un ordre chronologique, d’après les faits indiqués et
commémorés jusqu’en 1789, sans comprendre dans cette double nomenclature
les enseignes modernes, qui ont eu souvent un caractère et même une
origine historiques, mais qui se trouveront mieux à leur place dans
l’ensemble de cet immense _Pandémonium_ de tableaux d’enseignes que le
Paris du XIXᵉ siècle s’était fait pour obéir au goût du jour et au
despotisme de la mode.

Les deux catégories d’enseignes que nous allons passer en revue dans ce
chapitre comprendront: 1º les enseignes qui se rattachent ou qui
semblent se rattacher à des personnages de notre histoire; 2º les
enseignes qui ont trait à des traditions, à des usages, à des événements
historiques de toute nature et qui représentent à diverses époques les
idées et les préoccupations du peuple de Paris.

Il y avait en 1718, «derrière le cloître Saint-Marcel», au faubourg
Saint-Marceau, une hôtellerie à l’enseigne de la _Reine Blanche_[151],
appartenant à Mᵐᵉ Peloton. Cette enseigne rappelait non seulement que
les veuves des rois de France prenaient le nom de _reines Blanches_,
puisque ces veuves devaient porter toute leur vie le deuil de leur mari,
en vêtements blancs; mais encore elle désignait une maison bâtie sur
l’emplacement d’un hôtel de la _Reine Blanche_, que Blanche de Navarre,
seconde femme de Philippe de Valois, avait occupé, durant son veuvage,
«dans le voisinage peut-être de l’église Saint-Marcel, et d’une rue
qu’on ne nomme point autrement, dit Sauval, que la rue de la
Reine-Blanche[152]». L’hôtel de la _Reine Blanche_ subsistait encore en
1392, puisque c’est là que Charles VI faillit être brûlé vif dans la
tragique mascarade des Hommes sauvages. Sauval a trouvé dans les pièces
d’archives du vieux Paris la mention de plusieurs autres hôtels
appartenant aux Reines Blanches[153]. Faut-il attribuer une pareille
origine à l’enseigne d’un cabaret qui existait autrefois à
l’entrée du passage du Dragon, en face de la rue Gozlin, jadis rue
Sainte-Marguerite, et qui s’était ouvert sous les auspices du _Dragon de
la Reine Blanche_? Quelle était cette reine Blanche? Peut-être celle qui
avait habité, selon la légende, un vaste hôtel de la rue du
Vieux-Colombier, presque au coin de la rue de l’Égout-Saint-Germain, sur
laquelle s’ouvrait alors l’entrée du passage. Quant au Dragon, c’était
certainement celui qui figure encore au-dessus de la porte monumentale
du passage et dont nous avons donné la figure à la page 40 de ce livre.

A la fin du XVIᵉ siècle, l’enseigne historique s’était montrée dans
celle du _château de Milan_, qui rappelait l’occupation du duché de
Milan par les Français pendant le règne de Louis XII. La ville de Calais
fut reprise sur les Anglais, en 1558, par le duc de Guise, et le
souvenir de cette importante conquête, qui rattachait à la France une de
ses bonnes villes maritimes qu’elle avait perdue depuis 1347, survivait
à l’événement, vingt-six ans plus tard, dans une enseigne représentant
la _prise de Calais_[154]. On peut affirmer, du moins, que cette
enseigne mémorable ne faisait pas allusion au siège que cette ville
avait soutenu contre Édouard III. Il est difficile de préciser quelle
pouvait être une autre enseigne historique, _A l’Armée de
Charles-Quint_, que Noël du Faïl avait signalée dans ses _Baliverneries
ou Contes nouveaux d’Eutrapel_, imprimés pour la première fois en 1548.
Eutrapel se vante d’avoir su _attraper monnoie_, ce qui le rendit «sain
et sauf, jusques à l’hostel, avec l’espée et la dague, bien en poinct,
non pas comme toy, dit-il à Lupolde, comme toy qui vendis, dès
Palaiseau, ton braquemard, revenant à Paris, lorsque la peur s’y vint
loger à l’enseigne de l’_Armée de l’empereur Charles-Quint_[155]». Nous
supposons que cette armée était celle qui envahit la Provence en 1536,
et qui, après avoir répandu l’épouvante dans tout le royaume, fut
bientôt forcée de se retirer, en perdant la moitié de ses soldats,
décimés par la maladie et la disette. Au reste, la mention de cette
enseigne, peut-être imaginaire, ressemble fort à une boutade satirique.

L’enseigne du _Petit Suisse_, qu’on voit encore sur le quai du Louvre,
doit être un souvenir du corps de garde des Suisses, qui était là tout
auprès, vers le milieu du XVIIᵉ siècle[156]: «Entre cette maison (le
Petit-Bourbon) et le Louvre, disent deux Hollandais qui vinrent à Paris
en 1657, il y a une petite place où l’on voit les corps de gardes
françois et suisses: ils s’y mettent en haye toutes les fois que le roy
sort, et presque tous les matins, lorsque S. M. va entendre la messe à
la chapelle du Petit-Bourbon[157].» L’enseigne du _Puits_, que l’on
voyait autrefois dans la rue de la Ferronnerie, avait aussi une
tradition, sinon une origine historique. Selon nos deux voyageurs
hollandais, qui ne quittèrent la rue Saint-Denis _qu’à l’endroit où elle
aboutit avec celle de la Ferronnerie_, «on y montroit encore le puits où
le traistre Ravaillac se cacha pour oster la vie à Henri IV[158].» On a
vu longtemps dans la rue de la Ferronnerie l’enseigne du _Cœur_
_couronné percé d’une flèche_, pendant à la maison en face de laquelle
le roi fut tué. Ce _Cœur couronné_, qui est expressément désigné dans
les _Lettres_ de Malherbe, fut remplacé par un buste de Henri IV. Il y
avait aussi dans la rue Froidmanteau, qui a disparu lors de la
construction du nouveau Louvre de Napoléon III, une enseigne: _Au roi
Henri_, lequel n’était pas Henri IV, puisque la maison et l’enseigne
dataient de 1563[159]; mais la maison ayant été reconstruite en 1606, on
conserva l’enseigne en l’appliquant à Henri IV, dont la statue en pierre
subsista jusqu’en 1792; cette statue, détruite par la Révolution, avait
été remplacée, sous la Restauration, par une mauvaise peinture à
l’huile[160].

Nous avons un curieux exemple de la renaissance de l’enseigne historique
plus d’un siècle après l’événement qu’elle reproduisait. Le comte
d’Egmont, qui avait voulu délivrer les Pays-Bas du joug des Espagnols,
fut arrêté par ordre du duc d’Albe et décapité en 1568; quelques
hôteliers de Paris, sans doute en haine des Espagnols, imaginèrent de
représenter sur leur enseigne, en 1648, la tête du comte d’Egmont posée
dans un plat, comme celle de saint Jean-Baptiste. Mazarin, à cette
époque, préparait déjà le traité des Pyrénées et le mariage du roi avec
l’infante d’Espagne Marie-Thérèse: défense fut faite, sous peine de
prison et d’amende, de prendre pour enseigne cette tête coupée[161].
Nous avons vu chez notre confrère et ami M. Paul Lacroix un tableau
représentant la tête, dans un plat, du comte d’Egmont, bonne peinture
qui pourrait avoir été une enseigne.

Il y avait dès lors des enseignes sur lesquelles le jeune roi Louis XIV
était représenté, avec le titre d’empereur, qu’il se donnait, en effet,
dans ses relations diplomatiques avec les souverains mahométans, qui se
qualifiaient de même, comme l’empereur du Maroc[162]. Il ne faut pas
oublier non plus que les marchands étrangers qui ouvraient boutique à
Paris se plaisaient souvent à évoquer dans leurs enseignes une
réminiscence de leur pays: ainsi, pendant la guerre terrible que Louis
XIV faisait à la Hollande, un marchand hollandais, établi à Paris, où le
retenait son commerce, avait pris pour enseigne: _A la Paix
perpétuelle_[163]. La police, si défiante et si chatouilleuse à cette
époque, ne paraît pas s’en être préoccupée plus que de l’enseigne
suivante: «Au mois d’octobre 1742, raconte Barbier dans son _Journal
historique et anecdotique du règne de Louis XV_, tous les passants, et
surtout les étrangers, s’arrêtent pour lire une enseigne, élevée dans la
rue Saint-Antoine, qui annonce la boutique par ces mots: _A l’Empereur
des François_; elle a paru singulière et occasionne beaucoup de
raisonnements.»

Quant aux enseignes qui portaient des inscriptions historiques, il
fallait souvent s’en défier, car elles étaient tantôt antérieures et
tantôt postérieures à la date qu’on pouvait leur assigner. Par exemple,
l’hôtel _Jean-Jacques Rousseau_, rue des Cordiers, avait pris cette
enseigne plusieurs années après l’époque où J.-J. Rousseau y avait
demeuré lors de son premier voyage à Paris; et une seconde fois en
1745. L’hôtel de l’_Empereur Joseph_, rue de Tournon, qui s’appelait
d’abord hôtel de _Tréville_, paraît avoir pris ce nom et cette enseigne
quelques années avant le voyage que l’empereur Joseph II fit à Paris,
sous le nom de comte de Falkenstein, en 1777; seulement, après le séjour
de l’empereur, il compléta son enseigne en s’intitulant hôtel de
_l’Empereur Joseph II_[164]. On s’exposait aussi à faire d’étranges
erreurs en cherchant une enseigne célèbre dans une rue où elle n’avait
jamais été. Les historiens de la Révolution se sont répétés l’un l’autre
en racontant que la veille du 10 août 1792 Westermann, Santerre et les
autres chefs de la conspiration révolutionnaire, qui devaient le
lendemain attaquer la royauté dans le palais des Tuileries, s’étaient
rassemblés secrètement à l’hôtel du _Cadran bleu_, dans la rue
Saint-Antoine, pour dresser les plans de leur entreprise; mais il n’y
eut jamais d’auberge du Cadran bleu dans la rue Saint-Antoine. C’est
dans la rue de la Roquette que cette auberge existait d’ancienne date,
et c’est là qu’eut lieu la réunion des conjurés[165].

J’arrive à la seconde catégorie des enseignes historiques ou
commémoratives: ce sont celles qui n’ont pas de date certaine et qui
semblent avoir été inaugurées en mémoire de quelque fait plus ou moins
connu et plus ou moins authentique. C’est en quelque sorte le témoignage
figuré d’une tradition parisienne.

Il y avait à Paris, en 1280, une enseigne de maison, _A la Ville de
Jérusalem_, enseigne qui ne pouvait être qu’un souvenir des croisades,
et même de la dernière, celle de Louis IX, qui se termina par la mort de
ce saint roi, devant Tunis, le 25 août 1270. C’était peut-être aussi une
pieuse réminiscence de la part d’un pèlerin au retour de la terre
sainte[166]. L’enseigne de l’_Arbre sec_, lequel donna son nom à une rue
qui le porte encore, était également un souvenir de quelque pèlerinage
en Orient. Cette tradition orientale est ainsi rapportée dans le livre
de messire Guillaume de Mandeville[167]: «A deux lieues d’Ébron est la
sépulture de Loth, qui fut fils au frère Abraham, et assez près d’Ébron
est le Membré, de qui la vallée prend son nom. Là il y a un arbre de
chein, que les Sarrazins appellent _Jape_, qui est du temps Alozohuy,
que l’on appelle l’_Arbre sech_, et dit-on que cet arbre a là esté
depuis le commencement du monde, et estoit tousjours vert et feuillu,
jusques à tant que Nostre-Seigneur mourust en la croix; et lors il
seicha, et si firent tous les arbres par l’universel monde, ou ils
chéirent, ou le cuer dedans pourrist, et demourèrent du tout vuides et
tout creux par dedans: dont il y en a encore maint par le monde.»

Les récits mensongers des voyageurs, au retour de leurs voyages dans les
pays lointains, s’étaient reflétés pour ainsi dire dans les enseignes,
qui représentaient des animaux extraordinaires ou fabuleux, des plantes
imaginaires, des curiosités naturelles plus ou moins étranges et
fantastiques. Ainsi, on avait vu longtemps dans la rue de la Licorne
une enseigne représentant cet animal, qu’on disait avoir été amené
d’Afrique à Paris sur la fin du XVᵉ siècle, et dont la corne avait été
déposée, après sa mort, dans le Trésor de l’abbaye de Saint-Denis. Ainsi
retrouvait-on, dans les enseignes, la _Syrène_, l’_Hydre aux sept
têtes_, le _Mouton végétal_, la _Fontaine ardente_, le _Merle blanc_, le
_Singe vert_, etc.; en un mot, toutes les bêtes prodigieuses, toutes les
singularités de la nature tropicale qui avaient figuré dans les
relations de voyages aux Indes depuis celles de Marco Polo et de
Mandeville. Il y a eu au XVIIIᵉ siècle, par exemple, quinze ou vingt
enseignes sur lesquelles le singe vert était représenté; aujourd’hui
nous ne connaissons qu’une seule enseigne, _aux Singes verts_, dans le
passage Choiseul.

[Illustration]

L’enseigne du _Puits d’Amour_, dont nous avons parlé plusieurs
fois[168], devait son nom à un ancien puits situé à la pointe d’un
triangle que formaient les rues de la grande et de la petite Truanderie
avec celle de Mondétour. Une jeune fille nommée Hellebik, dont le père
tenait un rang considérable à la cour de Philippe-Auguste, se voyant
trahie et abandonnée par son amant, s’était précipitée dans ce puits et
y avait trouvé la mort qu’elle cherchait. Ce fut l’origine de la
célébrité du Puits d’Amour. Un écrivain moderne, qui ne cite aucune
autorité sérieuse, rapporte qu’un prédicateur, qui prêchait à
Saint-Jacques de l’Hôpital, dénonça en chaire avec tant de zèle et
d’éloquence «les rendez-vous qu’on se donnait tous les soirs à ce puits,
les chansons qu’on y chantait, les danses lascives qu’on y dansait, les
serments qu’on s’y faisait, comme sur un autel, et tout ce qui
s’ensuivait, que les pères et mères, les dévots et les dévotes s’y
transportèrent à l’instant et le comblèrent[169]». Sauval, en effet,
rapporte qu’il l’avait vu presque comblé. Il n’y eut probablement pas
d’autre Puits d’Amour, mais on vit les enseignes du _Puits d’Amour_ se
répéter dans différents quartiers, car, disait Henry Sauval, «plusieurs
marchands ont trouvé cette enseigne faite à leur gré, et d’autant plus
qu’ils s’imaginèrent que les enseignes plaisantes, ou qui se font
remarquer, attirent les chalands[170]».

L’enseigne du _Chien_, rue des Marmousets, au coin de la rue des
Deux-Hermites, était celle d’une maison qui fut rebâtie sur
l’emplacement d’une autre maison démolie, au XVᵉ siècle, en vertu d’un
arrêt du Parlement contre le pâtissier qui faisait des pâtés de chair
humaine avec les corps des victimes auxquelles son voisin le barbier
avait coupé la gorge. Il n’y avait pas de légende mieux établie dans la
Cité, et l’on se rappelait traditionnellement que la place où s’élevait
la demeure des deux scélérats était restée vide et maudite pendant un
siècle. Une haute borne, appuyée contre la maison et profondément
enfoncée dans le sol, conservait, affreusement mutilée, l’image du chien
qui fit découvrir l’effroyable association du barbier et du
pâtissier[171]; l’animal grattait la terre de ses pattes et tenait un os
dans sa gueule. En 1848, une fruitière y adossait son étalage et
achevait de la dégrader. Un antiquaire, M. Th. Pinard, fit sur la pauvre
pierre commémorative une notice qui fut publiée, avec le dessin qui
l’accompagnait, dans la _Revue archéologique_ de cette année-là[172].
Lors de la transformation de la Cité sous le règne de Napoléon III, le
bibliophile Jacob adressa un mémoire à M. Haussmann, préfet de la Seine,
pour le prier de vouloir bien faire surveiller l’enlèvement de la borne
historique de la rue des Marmousets; ce qui fut fait vers 1864. Cette
pierre fut déposée dans les magasins de la ville et réservée pour le
Musée archéologique municipal. Nous ignorons ce qu’elle est devenue
depuis.

[Illustration]

Nous avions vu, il y a vingt-cinq ans, dans la rue du
Monceau-Saint-Gervais, une ancienne enseigne, avec cette inscription: _A
l’Orme Saint-Gervais_. Elle représentait un vieil arbre, à l’écorce
rugueuse, dont le pied était entouré d’un parapet de pierre en forme de
puits. Il est probable que c’est la même enseigne qu’on retrouve
aujourd’hui dans la rue du Temple. L’orme de Saint-Gervais est resté
debout, en face de l’église, pendant plus de trois siècles: c’était sous
son ombrage que se tenait autrefois, après la messe, un tribunal de
simple police; c’était là aussi que se payaient certains impôts de
voirie. Cet arbre vénérable a subsisté longtemps après la reconstruction
de l’église sous Louis XIII; les vues gravées au XVIIIᵉ siècle le
représentent encore bordé de sa margelle de pierre. Ingres avait fait
don au Musée de la ville de Paris d’une peinture du XVIᵉ siècle
représentant les danses populaires sous un arbre qui pourrait bien être
l’orme de Saint-Gervais, dans les branches duquel les musiciens ont
établi leur orchestre en plein vent. L’attribution peut sembler un peu
risquée; en tout cas, on en peut juger _de visu_ au musée Carnavalet, où
se trouve encore ce curieux tableau échappé par miracle à l’incendie de
1871.

Une image de _saint Fiacre_, qui servait d’enseigne à une maison de la
rue Saint-Antoine où on louait des carrosses, donna, selon Sauval, le
nom de _fiacre_ à ces carrosses de louage, sous le règne de Louis XIII.
Quinze ou vingt ans plus tard, un certain Nicolas Sauvage, facteur du
maître des coches d’Amiens, loua dans la rue Saint-Martin, vis-à-vis de
celle de Montmorency, une grande maison appelée, dans quelques anciens
papiers terriers, l’hôtel _Saint Fiacre_, «parce qu’à son enseigne étoit
représenté un autre saint Fiacre, qui y est encore,» dit Sauval. Nous
avons établi ailleurs que le premier qui s’avisa d’avoir de ces sortes
de voitures publiques s’appelait Fiacre et demeurait rue
Saint-Thomas-du-Louvre. Il devint le parrain de ses successeurs.
N’est-il pas tout naturel que deux des premiers se soient installés dans
des maisons portant l’enseigne de _Saint Fiacre_[173]? «Non seulement,
ajoute Sauval, le nom de _fiacre_ fut donné aux carrosses de louage et à
leurs maîtres, mais aussi aux cochers qui les conduisoient, et même je
pense que cette manière de gens a pris saint Fiacre pour patron.»
Malheureusement, ce nom ne fut pris qu’en mauvaise part, lorsque les
entrepreneurs ne fournirent plus au public que de vieux chevaux fourbus,
des carrosses mal tenus et sans rideaux, et des cochers mal habillés et
malpropres.

[Illustration]

L’enseigne des _Trois Canettes_, au numéro 18 de la rue de ce nom, est
peut-être le produit de la légende de la cane de Montfort. «Je m’assure
aussi, écrit Mᵐᵉ de Sévigné à Mademoiselle de Montpensier (30 octobre
1656), que vous n’aurez jamais ouï parler de la cane de Montfort,
laquelle tous les ans sort d’un étang avec ses canetons, passe au
travers de la foule du peuple en canetant, vient à l’église et y laisse
de ses petits en offrande.» Cette légende a été recueillie, par un
chanoine de Sainte-Geneviève, dans le _Récit véritable de la venue d’une
cane sauvage depuis longtemps en l’église de Saint-Nicolas de Montfort_
(ou Montfort-la-Cane, Ille-et-Vilaine), _dressé par le commandement de
Mademoiselle_[174]. Enseigne et légende, c’était tout un, autrefois.

L’enseigne du _Louis d’argent_, que la voix populaire au XVIIIᵉ siècle
avait surnommé le _Louis des Frimaçons_, était alors le point central de
la réunion des membres de la première société secrète des francs-maçons.
Ce fut dans le cabaret de la rue des Boucheries, cabaret dont le patron
était un traiteur anglais nommé Hure, que fut constituée, le 7 mars
1729, la première loge des francs-maçons de Paris, par Lebreton,
imprimeur de l’Almanach royal[175].

Nous finirons ce chapitre en rappelant une enseigne historique qui ne
fut comprise par personne, lorsqu’un charcutier lyonnais nommé Cailloux
vint l’arborer, en 1777, sur sa boutique à l’entrée de la rue des
Petits-Champs (aujourd’hui nº 5): _A l’Homme de la Roche de Lyon_. Cette
enseigne était encore inexplicable pour les Parisiens, quand M. Étienne,
successeur du charcutier lyonnais, la fit repeindre en 1816. On lisait,
en effet, dans la _Chronique de Paris_, numéro du 29 juillet 1816: «Les
fortes têtes du quartier cherchent en vain quel rapport il y a entre un
chevalier et des saucissons.» Nous ne pouvons mieux faire que de
reproduire ici, en la complétant un peu, la notice que Balzac a
consacrée à l’Homme de la Roche de Lyon: «Bon Dieu! qu’ai-je aperçu? Un
chevalier cuirassé, dont le front est couvert d’un casque à visière, au
milieu des boudins en bois, des saucisses, des hures en peinture,
emblèmes chers aux gastronomes de la petite propriété. Mais, se
demande-t-on, que fait, au milieu des pieds de cochon, ce preux
chevalier? Pourquoi cette bourse qu’il offre à tout venant? Or, sachez
qu’il y avait autrefois à Lyon un certain M. Jean Fléberg, né à
Nuremberg en 1485, grand guerrier en même temps qu’officier de bouche de
François Iᵉʳ, qui, riche et généreux, dotait de 300 francs, chaque
année, vingt-cinq jeunes filles, comme de raison sages, et dans ce
temps-là il y en avait beaucoup; qui sauva la ville d’une famine, fonda
son célèbre hôpital, et mourut en 1546 à l’âge de soixante-deux ans. On
lui a élevé un monument dans le quartier qu’il habitait, appelé la Roche
ou le Bourgneuf, et deux fois la reconnaissance des Lyonnais a relevé le
monument que le vernis du temps n’avait pu conserver. M. Étienne, en se
plaçant sous les auspices de Jean Fléberg, a voulu prouver qu’il était
de Lyon; mais, compatriote de l’Homme aux bienfaits, a-t-il hérité des
pieuses dispositions de l’Homme de la Roche? Ceci ne nous regarde pas;
tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il a une boutique fort
appétissante et une enseigne riche en souvenirs.

«Nous oubliions de dire que Louis XVI a ordonné, en mémoire de Fléberg,
que trois filles sages seraient dotées encore tous les ans. Allons,
jeunes beautés, sages et modestes, on donne encore à Lyon trois prix de
vertu[176]!»

M. Dronne, successeur de M. Étienne, a pieusement, de nos jours, redoré
son enseigne (nous allions dire son blason); et le fac-simile de
l’antique statue de Jean Fléberg illustre toujours la devanture de la
boutique, où, tout en perfectionnant l’art de la charcuterie, il a
trouvé moyen de consacrer à son histoire un beau volume curieusement
illustré[177].



XV

ENSEIGNES SATIRIQUES ET ÉPIGRAMMATIQUES


Les documents nous manquent pour donner à ce chapitre l’étendue et
l’importance qu’il devrait avoir, car on ne saurait douter que dans une
foule de circonstances les enseignes n’aient servi à exercer des
vengeances ou des représailles plus ou moins motivées, plus ou moins
déguisées, et cela sans doute à toutes les époques. Mais dans la plupart
des cas il suffisait de la décision et de l’injonction d’un commissaire
de police pour faire disparaître l’enseigne qui causait du scandale ou
qui excitait des rumeurs dans le quartier. Il y eut certainement,
néanmoins, des inspirateurs d’enseigne plus obstinés et plus batailleurs
que d’autres pour défendre devant les tribunaux de simple police, ou
même devant les Chambres et la Cour du Parlement, le droit de maintenir
une enseigne qui n’était ni indécente, ni injurieuse, ni impie, mais qui
blessait seulement la susceptibilité exagérée de quelques particuliers.
Ce sont les pièces de ces procès à propos d’enseignes qu’il faudrait
rechercher dans la poussière des archives judiciaires, mais nous n’avons
trouvé, sur ce sujet curieux, que des indications sommaires et assez
vagues. On peut, toutefois, se faire une idée du rôle que les enseignes
jouaient dans les querelles des bourgeois et des marchands, quand on se
rappelle l’usage que le clergé du moyen âge fit d’une espèce d’enseigne,
en plaçant à l’entrée du chœur de Notre-Dame un marmouset hideux, en
pierre, qui n’était autre que la caricature du savant jurisconsulte
Pierre de Cugnière, avocat du roi sous le règne de Philippe de Valois.
Pierre de Cugnière avait osé, dans l’assemblée des États généraux de
1329, s’attaquer à l’autorité ecclésiastique, en soutenant les droits du
roi, le temporel contre le spirituel: ce fut pour se venger de cet
adversaire que son image satirique devint pendant plus de deux siècles
un objet de mépris et de dérision, ne servant qu’à éteindre les cierges
de la cathédrale. Le peuple, ignorant l’origine de ces insultes
vindicatives, allait brûler des cierges devant l’_enseigne de M. de
Cugnet_ et les éteignait sous le nez de ce marmouset couvert de cire et
noirci de fumée.

Un petit livre populaire, intitulé _les Rues de Paris_ et imprimé en
gothique vers 1493, assure qu’on brûlait ainsi pour deux cents livres de
bougies par an, et dans beaucoup d’églises de France on voyait à quelque
encoignure de l’édifice une enseigne du même genre, une figure
grimaçante, qu’on employait aussi à éteindre les cierges[178].

Il ne faisait pas bon se mettre en lutte avec le clergé, même sur la
question des enseignes, mais les luttes de cette espèce furent sans
doute assez rares et finirent toujours par la condamnation et la
suppression des enseignes que l’autorité ecclésiastique avait jugées
attentatoires au respect des choses saintes. Nous avons rappelé ailleurs
(chap. XVI), d’après Tallemant des Réaux, le procès que le curé de
Saint-Eustache dut intenter contre un cabaretier de la rue Montmartre,
qui avait pris pour enseigne la _Tête-Dieu_. Cette enseigne était
certainement injurieuse, moins par son nom de _Tête-Dieu_ que par la
représentation de cette _tête_, car il y eut des enseignes en l’honneur
de la Véronique qui ne scandalisèrent personne. Ces enseignes impies, ou
plutôt simplement indécentes, ne se montrèrent probablement qu’à
l’époque des guerres de religion, au XVIᵉ siècle.

C’est également à cette époque qu’il faut faire remonter l’apparition
momentanée de pareilles enseignes. «On n’épargnait pas même la religion,
dit M. Amédée Berger dans son excellent travail sur les enseignes[179],
et souvent la police fut obligée d’intervenir pour faire enlever des
inscriptions telles que le _Juste Prix_ (le Christ enchaîné), le _Cerf
mon_ (le sermon), le _Cygne de la croix_ (le signe de la croix), le
_Singe en batiste_ (le saint Jean-Baptiste), et autres inconvenances
qui se trouvaient jusque sur les façades des maisons de débauche.» Nous
avions cru reconnaître, dans un passage des _Règles, Statuts et
Ordonnances de la Caballe des filous_, pièce facétieuse du XVIIᵉ siècle,
la caricature de ce _Singe en batiste_: «Un homme de chambre, botté,
fraisé comme un veau, gauderonné comme un singe», et nous avions dit, à
ce propos: «Une vieille enseigne de Paris représentait un de ces magots
ainsi accoutrés, avec cet affreux calembour pour légende: _Au Singe en
batiste_[180].» Ce n’est pas le personnage de cette caricature que la
police avait pu mettre à l’index, mais seulement l’inscription, qui
n’était qu’un jeu de mots malsonnant. Pierre de l’Estoile, dans son
_Journal du règne de Henri IV_, rapporte une facétie non moins
impertinente, que s’était permise, en 1610, un des écrivains satiriques
qui raillaient impunément la Ville et la Cour, sous le pseudonyme de
maître Guillaume, lequel avait rempli l’office de fou du roi. Le savant
canoniste Jacques Gillot, conseiller au Parlement de Paris, ayant
rassemblé et publié, par ordre de Henri IV, un recueil des _Libertés de
l’Eglise gallicane_, on supposa que maître Guillaume avait écrit au
pape: «Je vous advise que j’ay mis un bouchon et une enseigne aux
_Libertés de l’Eglise gallicane_, pour dire qu’ici se vend le bon vin.»
Nous ne croyons pas, cependant, que les _Libertés de l’Eglise gallicane_
aient donné lieu à une enseigne politique, dont le sens eût échappé à
presque tout le monde.

«La politique avait peu de part à cette ornementation des rues, dit M.
Amédée Berger dans son étude sur les enseignes[181], et nous ne
connaissons, en fait d’allusion aux affaires du temps, que le fait de ce
marchand parisien, cité par Monteil, qui, pendant le siège de Paris,
voulant bien vivre, et à peu de frais, avec tout le monde, avait écrit
d’un côté de son enseigne: _Vive le roi!_ et de l’autre: _Vive la
Ligue!_ et qui, suivant les circonstances, tournait et retournait son
tableau.» Il faut descendre jusqu’à la Révolution de 1789 pour voir
l’enseigne politique se produire effrontément, mais non pas toujours
sans péril. On n’avait pas eu jusque-là d’autres enseignes politiques
que celles des _logements_ imaginaires que la satire attribuait aux plus
grands personnages de l’Etat. Nous donnerons quelques détails sur ces
enseignes imaginaires dans notre chapitre XX.

Mais si l’enseigne satirique n’osait pas s’attaquer en pleine rue aux
chefs du Gouvernement et critiquer leurs actes par des caricatures ou
des inscriptions plus ou moins transparentes, elle ne se faisait pas
faute de vengeances personnelles, en ridiculisant des individualités
quelquefois honorables et dignes de respect. Nous avons déjà vu, page
34, une maison prendre, en 1671, l’enseigne burlesque du _Chat lié_, par
allusion malveillante à un propriétaire voisin qui s’appelait Challier.
«Il y a, rapporte Tallemant des Réaux, un plumassier de la rue
Saint-Honoré qui a pris pour enseigne le _Grand Cyrus_ et l’a fait
habiller comme le maréchal d’Hocquincourt[182].» En effet, Mˡˡᵉ de
Scudéry, dans son roman du _Grand Cyrus_, où la plupart des personnages
sont des contemporains avec des noms perses et grecs, avait représenté
le maréchal d’Hocquincourt sous les traits du roi Cyrus. Il ne semble
pas que le maréchal se soit fâché d’être métamorphosé en héros de roman
et travesti en matamore dans une enseigne. A cette époque la caricature
s’était emparée des Espagnols, qu’on représentait partout avec le
costume le plus extravagant et le plus ridicule. Abraham Bosse en avait
fourni le meilleur type dans ses estampes. On peut supposer que ces
Espagnols grotesques ne furent pas épargnés sur les enseignes, puisque,
par raillerie, les montreurs de bêtes savantes habillaient à l’espagnole
leurs chiens et leurs singes, avec larges fraises gauderonnées.

[Illustration]

Une enseigne qu’on peut regarder comme une satire _ad hominem_ se voyait
dernièrement encore, rue de l’École-de-médecine, au coin de la rue de
l’Ancienne-Comédie. Il est probable que sa mystérieuse singularité n’a
pas nui à sa conservation. «On voit sculpté sur une grande pierre
incrustée dans le trumeau qui sépare les deux croisées du premier étage
de la maison, dit E. de la Quérière dans ses _Recherches historiques sur
les Enseignes_ (1852), un _chapeau_ rond, à larges bords, dont un côté
est retroussé dans la forme usitée parmi la bourgeoisie du temps de
Louis XIV. Ce chapeau est comme suspendu au-dessus d’une lunette de
fortification, autrement dit _ouvrage à cornes_. Le sculpteur avait-il
voulu faire de cette enseigne une malicieuse épigramme? Nous serions
porté à le croire.» C’était sans doute l’enseigne d’un chapelier. La
légende portait: _Au Chapeau fort_, équivoquant sur le mot _Château
fort_; mais bien aussi sur les _ouvrages à cornes_ que ledit couvre-chef
était destiné à coiffer. L’enseigne du _Chapeau fort_ est aujourd’hui
conservée au musée Carnavalet.

Tallemant des Réaux nous raconte ainsi une vengeance par le moyen de
l’enseigne: «Un commis borgne ayant exigé d’un cabaretier des droits
qu’il ne lui devoit pas, le cabaretier, pour se venger, fit représenter
le portrait du commis, à son enseigne, sous la forme d’un voleur, avec
cette inscription: _Au Borgne qui prend_. Le commis, s’en trouvant
offensé, vint trouver le cabaretier et lui rendit l’argent des droits en
question, à la charge qu’il feroit réformer son enseigne. Le cabaretier,
pour y satisfaire, fit seulement ôter de son enseigne le p, si bien
qu’il resta: _Au Borgne qui rend_, au lieu du _Borgne qui prend_[183].»

Bonaventure d’Argonne raconte aussi la querelle d’un oiselier avec les
Jésuites, à propos d’une enseigne: «Il y avoit autrefois dans la rue
Saint-Antoine, à Paris, un oiselier qui prenoit la qualité de
_gouverneur_, _précepteur et régent des oyseaux_, _perroquets_,
_singes_, _guenons et guenuches de Sa Majesté_. Ces grands titres
paroissoient écrits en lettres d’or, dans un riche cartouche, au-dessus
de la boutique de ce personnage. La plupart des passans qui lisoient ce
bel écriteau n’en faisoient que rire, mais quelques pédans qui pensèrent
y être intéressés, prenant la chose au point d’honneur, en firent du
bruit et s’en plaignirent comme d’une profanation des titres les plus
glorieux de la république des lettres. La chose vint aux oreilles du
digne précepteur, et il disoit: «Je ne sais pas à qui en ont ces
Messieurs. Mes écoliers valent bien les leurs, ils sont mieux instruits,
et ne sont ni si sots ni si barbouillez.» L’abbé Boisrobert, à qui j’ai
ouï raconter cette histoire, ajoutoit qu’il n’y avoit que du plus ou du
moins entre les écoliers de cet homme et ceux de nos collèges, tout
n’aboutissant qu’à faire faire aux uns et aux autres de certaines
grimaces, ou dire des mots qu’ils n’entendent point[184].»

Le sujet de l’enseigne était quelquefois plus innocent que la légende,
et l’on pouvait, par le commentaire, ajouter à cette légende un
caractère de malignité qu’elle n’avait pas originairement. Ainsi, à la
fin du premier Empire, quand Béranger eut publié sa fameuse chanson du
_Roi d’Yvetot_, un marchand de vin de la rue Saint-Honoré, près de la
rue, aujourd’hui disparue, de la Bibliothèque, tira de la chanson son
enseigne. Il commanda et exposa au-dessus de sa boutique un joli tableau
qu’il ne supposait pas certainement devoir prendre jamais un caractère
séditieux. C’est ce qui arriva cependant; on y vit, comme dans la
chanson, une critique des guerres continuelles de Napoléon, et la police
ordonna la disparition de l’enseigne. C’est alors que le rusé marchand
la plaça dans l’intérieur de sa boutique, où elle est encore, au numéro
182 de la rue Saint-Honoré. La police n’entendait pas raillerie en
matière d’enseignes.

[Illustration]

La conscription, en s’établissant révolutionnairement avec toutes ses
rigueurs, n’avait pas fait disparaître cependant les anciens bureaux de
racolage du quai de la Ferraille, où l’enseigne du _Racoleur_ attirait
nombreuse clientèle depuis plus d’un siècle. L’arrêt d’expulsion de ces
agents d’enrôlement volontaire se trouva formulé gaiement dans ce
refrain d’un couplet de M. de Piis, secrétaire général de la préfecture
de police:

    Enjoignons aux vieux ferrailleurs
    De vendre leur vieux fer ailleurs.

[Illustration]

Il y eut aussi, à cette époque, comme en tout temps, des querelles, des
altercations, des procès pour cause de contrefaçon d’enseigne. Le fameux
bureau de tabac de la _Civette_, place du Palais-Royal, fut en guerre
ouverte contre toutes sortes de _Civettes_, qui avaient l’audace de
dresser pavillon à peu de distance, sinon en face de l’enseigne
primordiale. La contrefaçon usait de ruse pour jouir impunément du
bénéfice de la concurrence.

Dans le nouveau passage Delorme, qui avait alors le privilège de
centraliser la promenade des flâneurs, un marchand nommé Mercier, ayant
placé sa boutique sous l’invocation du _Beau Dunois_, que la romance de
la reine Hortense venait de mettre à la mode, le locataire de la
boutique voisine fit peindre, pour son enseigne, un beau chien blanc
moucheté de brun, avec cette inscription: _Au Beau Danois_. Les rieurs
prolongèrent le débat des deux marchands, mais la police refusa
d’intervenir en faveur du héros de la romance.

La police de nos jours a été aussi prudente en restant neutre dans
l’exhibition d’une enseigne, des plus cocasses, qu’un écrivain public
avait apposée sur son échoppe, place de l’Hôtel-de-ville. Nous ne
pouvons mieux faire que de transcrire la note publiée, à cet égard, dans
le _Figaro_ du 1ᵉʳ décembre 1881: «Cette enseigne est un mascaron ou
tête d’homme, à face grimacière, à dents cassées, à chevelure abondante,
grosses lunettes, bonne plume d’oie derrière l’oreille, et une paire de
cornes magistrales sur lesquelles sont écrits en majuscules ces mots:
DEMANDES EN SÉPARATION, qui réjouiront le cœur de M. Naquet. Mais
pourquoi des cornes? C’est l’enseigne d’un écrivain public, qui, pour
bien indiquer sa spécialité aux aspirants au divorce, a arboré les
redoutables appendices que les épouses folâtres font pousser sur le
front des maris que vous savez.»



XVI

ENSEIGNES DE SAINTETÉ ET DE DÉVOTION


Nous ne reparlerons pas ici des images de saints et de saintes qui
ornaient autrefois les enseignes de la plupart des maisons et des
boutiques de Paris. Ces images multipliées témoignaient sans doute de la
dévotion, qui était alors homogène et générale dans toutes les classes
de la population parisienne; mais la plupart de ces bienheureuses images
représentaient les corporations, les confréries et les métiers.
Quelques-unes, il est vrai, rappelaient les noms de baptême des
propriétaires ou des locataires de la maison; d’autres avaient été sans
doute inaugurées par le fait d’une vénération spéciale à l’égard de tel
ou tel saint, ou par suite d’un vœu particulier en leur honneur. Quant
aux images de Notre-Dame, qui étaient si nombreuses dans les enseignes,
il faut les attribuer à cette dévotion si sincère, si touchante qu’on
avait pour la sainte Vierge Marie, pour la mère de Jésus, le fils de
Dieu et le rédempteur des hommes. La piété naïve du moyen âge rendait un
culte permanent de respect et d’adoration à ces innombrables Notre-Dame,
que les enseignes mettaient sous les yeux du peuple dans toutes les rues
de la ville.

Il y eut aussi, depuis le XIIᵉ siècle jusqu’au XVIᵉ, des statues de la
Vierge, dans des niches, à l’angle des rues, et quoique ces statues en
pierre ou en bois, souvent peintes ou dorées, ne fussent que des
enseignes, on leur rendait une espèce de culte public. Non seulement on
allumait, la nuit, une lampe devant la niche qui contenait la
Notre-Dame, mais encore on y suspendait des ex-voto et des médailles de
confréries, on y attachait des bouquets de fleurs, surtout aux grandes
fêtes de la sainte Vierge. Les passants saluaient et faisaient le signe
de la croix, sans s’arrêter, quand ils avaient à traverser la rue; les
femmes et les enfants s’agenouillaient et marmottaient une courte
prière, quoique cette Notre-Dame ne fût souvent qu’une simple enseigne
d’hôtellerie ou de cabaret. Ce n’étaient pas seulement les Notre-Dame
qui avaient droit à ces hommages de la part des bonnes gens du peuple.
Beaucoup d’images de saints et de saintes, qui n’étaient que des
enseignes aux portes des maisons et des boutiques, avaient aussi des
lampes qui brûlaient devant elles pendant la nuit. Ce pieux usage dura
jusqu’au milieu du XVIᵉ siècle. Vers cette époque, plusieurs statues ou
images de Notre-Dame furent l’objet d’outrages et de profanations qui
diminuèrent le nombre de ces enseignes vénérées. C’est à partir de ce
temps-là que les niches qui contenaient des statues de Notre-Dame
furent grillées, pour les préserver du fanatisme iconoclaste des
huguenots, qui les brisaient à coups de pierres. On a lieu de s’étonner
que quelques-unes de ces madones de la rue soient arrivées jusqu’à nous
à peu près intactes. Le protestant Agrippa d’Aubigné remarquait avec
quelque dépit qu’à la fin du XVIᵉ siècle il y avait encore dans toutes
les rues de Paris un saint ou une Vierge dans sa niche[185].

Nous pouvons nous faire une idée du nombre d’enseignes de dévotion qu’on
voyait dans les rues de Paris, en citant, d’après Berty, celles qui
pendaient aux maisons dans les quartiers de la Cité, du Louvre et du
bourg Saint-Germain.

CITÉ. RUE DE LA JUIVERIE, maison de l’_Annonciation Notre-Dame_ (1485).
RUE DE LA CALANDRE, maison du _Paradis_ (1345). RUE SAINT-CHRISTOPHE,
maison du _Couronnement de la Vierge_ (1450).

LOUVRE. RUE CHAMPFLEURY, maison du _Saint-Esprit_ (1489). RUE DU
CHANTRE, maison _ayant un Crucifix sur l’huis_ (1489), maison du _Nom de
Jésus_ (1687). RUE JEAN-SAINT-DENIS, maison du _Saint-Esprit_ (1575),
maison du _Bon Pasteur_ (1680). RUE SAINT-HONORÉ, maison de
l’_Annonciation Notre-Dame_ (1432), maison de l’_Enfant Jésus_ (1687),
maison du _Saint-Esprit_ (1575). RUE DU COQ, maison du _Nom de Jésus_
(1623).

BOURG SAINT-GERMAIN. RUE DES BOUCHERIES, maison de l’_Annonciation
Notre-Dame_ (1522), maison de la _Trinité_ (1527), maison du _Seygne_
(cygne) _de la croix_. RUE DE BUCY, maison de l’_Annonciation_ (1547).
RUE DU FOUR, maison de l’_Agnus Dei_, maison de la _Véronique_ (1595).
RUE DU PETIT-LION, maison de l’_Image Notre-Dame_ (1523). RUE DE SEINE,
maison de l’_Arche de Noé_ (1654). RUE DES CANETTES, maison du _Chef
Saint-Jean_ (1500).

C’étaient là des enseignes de maison, et non des enseignes de boutique,
qui furent beaucoup plus nombreuses et qui changèrent souvent, au XVIᵉ
siècle, quand la religion réformée fit la guerre aux images de la Vierge
et des saints; au XVIIᵉ siècle, quand l’influence des poètes athées de
l’école de Théophile, de Saint-Amant[186] et de Desbarreaux s’exerça
jusque sur les enseignes de dévotion, qui poursuivaient leurs regards
dans toutes les rues de Paris et qui leur adressaient une sorte de
reproche, même à la porte des cabarets; au XVIIIᵉ siècle, enfin, quand
l’action sarcastique des philosophes et des encyclopédistes répandit
dans les familles bourgeoises l’hérésie d’une nouvelle secte
d’iconoclastes irréligieux. Puis, vint la révolution de 93, qui n’eut
pas de peine à faire disparaître les dernières enseignes, dans
lesquelles s’était perpétuée une pieuse tradition de nos ancêtres. On ne
s’expliquerait pas que quelques-unes de ces vieilles enseignes aient pu
échapper à la fureur inquisitoriale de la persécution républicaine, si
l’on ne savait pas les miracles de courage, d’adresse et de dévouement
que la foi chrétienne a pu faire par l’entremise des simples et des
faibles. Les enseignes de cette espèce, qui ont traversé impunément une
époque terrible où elles étaient proscrites sous peine de mort, avaient
été sans doute enlevées de la place qu’elles occupaient et mises en
lieu sûr, sinon recouvertes de plâtre ou cachées derrière d’autres
enseignes indifférentes. Nous signalerons, parmi ces rares épaves du
grand naufrage des enseignes pieuses, deux enseignes sculptées du XVIIᵉ
siècle, _Au Caveau de la Vierge_, rue de Charonne, et _A
l’Annonciation_, rue Saint-Martin; une autre du XVIᵉ siècle, _Au Bon
Samaritain_, nº 15, rue de la Lingerie; une enseigne en fer forgé, _A
l’Enfant Jésus_, rue Saint-Honoré, etc. (voir ci-dessus, à la page 88).

[Illustration]

Ces enseignes furent peut-être respectées comme objets d’art, mais nous
ne croyons pas qu’on ait sauvé alors une seule des statues de la Vierge,
si multipliées dans l’ancien Paris, et qu’on voyait encore avant 1789 en
toutes les rues, la plupart dans des niches ou sur des piédestaux
extérieurs. Beaucoup de ces statues étaient honorées, depuis des
siècles, d’une sorte de culte muet, qui se traduisait par des
génuflexions

[Illustration]

et des signes de croix; quelques-unes, parmi ces

[Illustration]

statues, avaient même été sanctifiées dans la tradition locale, par des
récits de guérisons miraculeuses; quelques-unes aussi méritaient d’être
conservées, dans les musées, sous le rapport de la beauté ou de la
singularité de leur exécution artistique. La charmante statue de la
Vierge, en marbre, qui, jusqu’en 1844, servit d’enseigne à la
boulangerie Barassé, rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 186, provenait de
l’abbaye Saint-Antoine-des-Champs, et avait été achetée en 1790 à la
liquidation de l’abbaye. Elle appartient aujourd’hui à M. A. Barassé,
notaire à Crécy-en-Brie[187].

L’histoire de l’une de ces saintes images a été racontée par Tallemant
des Réaux[188] avec plus de malice que de naïveté: «Il y avoit sur le
pont Nostre-Dame une enseigne de Nostre-Dame, comme il y en a en
plusieurs lieux. Durant un grand vent, je ne sçay quels sots se mirent
dans la teste qu’ils avoient veu cette image aller d’un bout à l’autre
du fer où elle estoit pendue; chose qui ne se pouvoit naturellement, car
le vent peut bien faire aller une enseigne d’un costé et d’autre ou
l’arracher tout à fait, mais non pas la faire couler le long de ce fer.
Après cela ils s’imaginèrent qu’elle avoit pleuré et jetté du sang;
enfin, cela alla si loing, que Monsieur de Paris fut contraint de la
faire apporter, de peur qu’on n’en fît une Nostre-Dame à miracles. Pour
une bonne fois, il devroit défendre de mettre des choses saintes aux
enseignes, comme la _Trinité_ et autres semblables.»

L’enseigne du pont Notre-Dame, qui avait paru se mouvoir, qui avait
pleuré, qui avait jeté du sang, exaltait au plus haut degré la
superstition de la foule; mais il y eut de bons chrétiens qui
s’indignèrent de cette comédie pieuse, et les protestants se mirent de
la partie pour demander que les images de sainteté ne figurassent plus
dans les enseignes. La Notre-Dame qui avait causé tout ce bruit étant
remplacée par une nouvelle, qui, au sortir des mains de l’imagier,
n’avait fait encore aucun miracle, un quidam, resté inconnu, lui tira,
dit-on, un coup de pistolet, qui aurait blessé cette image si
réellement, que le sang sortait de la plaie. Tout Paris y courut pour
voir l’effet du miracle; par malheur, on ne pouvait reconnaître la
blessure faite à l’objet de la vénération publique que par les yeux de
la foi. On n’en fit pas moins une gravure qui eut beaucoup de
vogue[189]. Ce n’était pas la première fois que ces attentats
s’adressaient à des Notre-Dame exposées dans les rues de Paris. Le plus
sage eût été de les ôter, mais on n’osa pas chicaner et contrarier les
habitudes de la population bourgeoise et marchande. On continua donc de
laisser les symboles les plus vénérés de la religion figurer parfois de
la manière la plus indécente dans les enseignes.

Ce fut à ce sujet que le poète dramatique Edme Boursault écrivit au
commissaire Bizoton cette lettre très sensée, quoique très plaisante:
«N’est-ce pas une allusion grossière, mais criminelle, de faire peindre
un _cygne_ à une enseigne, avec une _croix_, pour faire une équivoque
sur le _signe de la croix_? Ne devroit-on pas condamner à une grosse
amende un misérable cabaretier qui met à son enseigne un _cerf_ et un
_mont_, pour faire une ridicule équivoque à _sermon_? Ce qui autorise
des ivrognes à dire qu’ils vont tous les jours au _sermon_, ou qu’ils en
viennent! Ne fait-il pas beau voir un cabaret avoir pour enseigne: _Au
Saint-Esprit_, pour faire une impertinente allusion au nom du Maître, et
quoique je le croie assez honnête homme pour n’y penser aucun mal, ne
sait-il pas que le cabaret, étant un lieu de débauche, ce n’est pas là
que le Saint-Esprit doit être placé? J’en dis autant de la _Trinité_, de
l’_Image Notre-Dame_, et de je ne sais combien de saints qui servent
d’enseignes de cabaret et qui enseignent peut-être encore pis. J’ai vu,
dans une fort petite rue, qui donne d’un bout dans la rue Saint-Honoré
et de l’autre dans celle de Richelieu, une de ces petites auberges ou
gargotes où l’on prend des repas à juste prix, et voici quelle enseigne
il y avoit: c’étoit Jésus-Christ que l’on prenoit au jardin des Oliviers
ou jardin des Olives, et pour inscription de l’enseigne: _Au juste
pris_, pour faire voir qu’on mangeoit là dedans à juste prix. Je fus si
indigné contre le marchand qui avoit trouvé cette odieuse équivoque, que
je ne pus retenir mon zèle, tout indiscret qu’il étoit. Je fis du bruit
et menaçai même d’aller chercher un de vos confrères pour la faire
abattre, et comme les commissaires sont plus craints de la populace
qu’ils n’en sont aimés, la menace que je fis eut son effet, et quand je
repassai l’enseigne n’y étoit plus[190].»

Tallemant des Réaux cite un autre trait de l’insolence impie des
cabaretiers de Paris: «Un fou de cabaretier de la rue Montmartre avoit
pris pour enseigne la _Teste-Dieu_; le feu curé de Saint-Eustache eut
bien de la peine à la luy faire oster; il fallut une condamnation pour
cela[191].» La police avait droit sans doute de faire décrocher les
enseignes indécentes qui blessaient les yeux ou la conscience du public,
mais une enseigne outrageante pour la religion devait certainement
amener devant les tribunaux l’auteur de l’impiété ou de l’hérésie qui
s’était produite, en pleine rue, de propos délibéré ou avec
préméditation. On doit supposer que, dans le cours du XVIᵉ siècle, le
Parlement eut à juger plus d’un procès de cette espèce. Il est avéré que
les images de saints, et surtout les statues de la sainte Vierge,
étaient, à cette époque, exposées à des insultes continuelles de la part
des protestants, et qu’il fallut souvent garantir par des grilles ou des
barreaux de fer ces statues et ces images contre les attaques nocturnes,
qui se renouvelaient fréquemment, malgré la terrible pénalité que
pouvaient entraîner de pareils attentats.

Lorsque les premiers imprimeurs furent venus d’Allemagne, de Hollande et
de Suisse pour s’établir à Paris, ils annoncèrent, par des enseignes ou
des marques mystiques accompagnées de citations de l’Écriture sainte,
leur industrie, qu’on regardait comme émanée d’une inspiration divine;
puis, quand les idées de réformation religieuse qui étaient entrées dans
les esprits depuis Wiclef ou Jean Huss prirent une forme et un corps de
doctrine sous l’influence de Luther, de Zwingle et de Mélanchthon, les
imprimeurs se trouvaient tout préparés à recevoir ces idées et à les
répandre; il en résulta que la Réforme se propagea rapidement dans
l’imprimerie et la librairie de Paris. On peut dire avec certitude que
libraires et imprimeurs devinrent la plupart sympathiques à ce mouvement
général du protestantisme, que les savants et les lettrés avaient si
puissamment encouragé à la cour de François Iᵉʳ. Voici quelques marques
ou enseignes typographiques dont les devises sont tirées de la Bible et
des Évangiles. Jean André, libraire: un cœur au milieu des flammes, avec
ce mot, _Christus_, et au-dessous, cette inscription: _Horum major
charitas_ (c’est-à-dire: le plus grand amour des vrais chrétiens);
Conrad Badius, libraire et imprimeur: un atelier d’imprimerie, avec ces
mots traduits de l’Écriture: _A la sueur de ton visage, tu mangeras ton
pain_; mais quand cet imprimeur se fut retiré à Genève pour se consacrer
à l’impression des ouvrages de Calvin, il adopta une autre marque,
représentant le Temps, qui fait sortir du fond d’une caverne la Vérité
nue, avec ce distique pour devise:

[Illustration]

    Des creux manoirs et pleins d’obscurité,
    Dieu, par le Temps, retire Vérité.

Gilles Corrozet, libraire, avait pris pour marque et pour enseigne: un
cœur, chargé d’une rose (rébus sur _Cor rozet_), avec ces paroles du
livre des Proverbes: _In corde prudentis requiescit patientia_; Nicole
de la Barre, imprimeur: un cœur, contenant son monogramme, surmonté de
signes hiéroglyphiques, avec cette sentence biblique: _Benedicite et
nolite maledicere, hæc dicit Dominus_ (Bénissez, et gardez-vous de
maudire, dit le Seigneur); Michel Fezandat, le libraire éditeur de
Rabelais: un serpent, au milieu d’un bûcher, s’élance sur une main qui
sort d’un nuage, et cherche à la mordre, avec ces mots: _Ne la mort, ne
le venin_; Alain Lotrian, libraire: un écusson, à son monogramme, entre
un évêque et un docteur, avec cette devise: _Nulluy ne peut Jésus-Christ
décevoir_, etc. Les libraires et les imprimeurs attachés sincèrement à
la religion catholique n’hésitaient pas à faire figurer le Christ dans
leurs marques et leurs enseignes: par exemple, le libraire Jean de Brie
avait dans sa marque saint Jean-Baptiste soutenant un écusson qui porte
l’Agnus Dei; Guillaume Du Puy faisait représenter dans son enseigne
Jésus et la Samaritaine s’entretenant auprès d’un puits.

Ce n’étaient pas là les derniers beaux jours de l’enseigne sacrée, qui
se maintint en honneur jusqu’en 1789, malgré l’opposition d’un grand
nombre de propriétaires, qui se refusaient à donner à leurs maisons le
caractère d’un établissement catholique ou protestant. Cependant on
conservait les anciennes enseignes de dévotion, et on en créait de
nouvelles dans les nouveaux quartiers de Paris. Ainsi, en 1628, un
propriétaire, qui fit bâtir dans la rue Mazarine quatre maisons, à la
place d’une seule, que le siège de Paris avait ruinée pendant la Ligue,
leur donna pour enseignes: le _Port de salut_, l’_Image Sainte
Geneviève_, l’_Image Sainte Catherine_ et la _Trinité_[192]. En cette
même rue, la même année 1628, le nommé Salomon Champin, qui avait fait
élever une maison neuve, au coin de la rue de Seine, lui donnait pour
enseigne le _Jugement de Salomon_, pour faire allusion à son propre nom
de baptême, car nous n’osons pas supposer que ce Salomon Champin était
juif. Ce n’est que de notre temps qu’une enseigne juive a pu, sans
aucune difficulté, être inaugurée au-dessus de la boutique d’un
cordonnier israélite de la rue Croix-des-Petits-Champs, enseigne peinte,
qui représentait Moïse, avec ses cornes de feu, descendant du mont Sinaï
et présentant les tables de la loi au peuple d’Israël[193].



XVII

ANECDOTES SUR QUELQUES ENSEIGNES


Nous n’avons jamais eu l’intention de rassembler ici toutes les
anecdotes relatives aux enseignes de Paris; ce serait un livre à faire,
plutôt qu’un chapitre de cet ouvrage. Une pareille entreprise exigerait
trop de temps et trop de recherches, car il faudrait feuilleter tous les
volumes d’histoire qui ont été écrits depuis qu’il y a des enseignes de
maison et de boutique, c’est-à-dire depuis le XIIᵉ ou le XIIIᵉ siècle.
Nous devons donc nous borner à réunir un petit nombre d’anecdotes
anciennes et modernes que nous n’avons pas eu l’occasion de citer dans
le cours de notre travail.

Nous ne sommes pas parvenu à découvrir quelle était l’enseigne de la
maison de Nicolas Flamel, dans la rue des Écrivains, au coin de la rue
Marivault, près de l’église Saint-Jacques de la Boucherie. Nous
supposons que cette enseigne était l’écritoire que Flamel avait adoptée
comme armes parlantes et qu’il avait fait sculpter au-dessous de son
monogramme N F, sur la petite porte de son église paroissiale
Saint-Jacques de la Boucherie. On voyait à la façade de sa maison de la
rue des Écrivains son image et celle de sa femme Perennelle, entaillées
dans la pierre; ces deux sculptures naïves, mais assez grossières,
subsistaient encore vers le milieu du dernier siècle[194]. L’emplacement
de cette maison du célèbre écrivain hermétique n’est plus
reconnaissable, depuis les démolitions qui ont permis d’ouvrir le square
de la Tour Saint-Jacques, mais on le trouve bien indiqué dans les
Comptes et ordinaires de la Prévôté de Paris en 1450: «Rue de la Pierre
au lait (nouvelle dénomination de la rue des Écrivains). Maison en
ladite rue, près de l’église Saint-Jacques de la Boucherie, à l’opposite
de la ruelle du porche Saint-Jacques, à l’enseigne du _Barillet_, tenant
d’une part à un hôtel de l’_Image Saint Nicolas_, qui fut à feu Nicolas
Flamel, et de présent à Ancel Chardon, et d’autre part à un hôtel où
pendoit l’enseigne du _Gril_[195].» Ces trois maisons nous paraissent
avoir appartenu à Nicolas Flamel; l’enseigne du _Barillet_ n’était autre
que celle de l’_Écritoire_; l’enseigne de _Saint Nicolas_ représentait
le patron de l’écrivain, et l’enseigne du _Gril_ faisait allusion au
_gril_ ou à la _grille_ que les secrétaires du roi et des grands
seigneurs mettaient au-devant de leur signature particulière. Toutes les
enseignes et tous les emblèmes que Nicolas Flamel avait fait sculpter ou
peindre sur les maisons qu’il possédait à Paris, en les accompagnant
d’inscriptions religieuses ou mystiques en vers, furent enlevées, à prix
d’argent, par les _souffleurs_ ou les alchimistes, qui croyaient y voir
le secret de la Pierre philosophale.

L’enseigne du _Cheval d’airain_, qui désignait en 1581 une maison de la
rue de Tournon, rappelait que cette maison, occupant l’emplacement du nº
27 actuel, avait été acquise, en 1531, pour le roi François Iᵉʳ, sous le
nom d’un certain Pierre Spine, qui y fit construire des bâtiments et des
hangars destinés à la fonte d’une statue équestre confiée au fondeur
florentin Jean Francisque. Pierre Spine était sans doute l’entrepreneur
de l’œuvre, puisqu’il dut fournir 10,000 livres de cuivre, dont six
milliers environ entrèrent dans la fonte du cheval, qu’on appela le
_Cheval de bronze_; mais il paraîtrait que la _statue_ qui devait être
sur ce cheval ne fut pas exécutée. Quant au statuaire, auteur du modèle
en terre, nous croyons que c’était un artiste français, nommé François
Roustien, qui touchait 1200 livres tournois de pension annuelle. On ne
sait quel était ce cheval de bronze, fondu par ordre de François Iᵉʳ, ni
quelle fut sa destinée. On avait cessé d’y travailler, au mois de
juillet 1539, lorsque, par lettres patentes délivrées sous cette date,
le roi fit don de la maison du _Cheval d’airain_ à l’illustre poète
Clément Marot, «pour ses bons, continuels et agréables services»[196].
Quelques historiens ont pensé que le _Cheval de bronze_ qui fut placé
sur le terre-plein du Pont-Neuf, avec la figure de Henri IV, fondue par
Jean de Bologne et son élève Tacca, n’était autre que le cheval d’airain
coulé en 1531 dans l’atelier de Pierre Spine, et resté jusque-là sans
destination dans les magasins de l’État. Le procès-verbal retrouvé dans
l’un des pieds du cheval[197], quand le monument fut démoli le 12 août
1792, est venu détruire cette opinion. Nous avons raconté ailleurs
l’histoire de cette statue, cheval et cavalier[198].

La maison des _Carneaux_, dans la rue des Bourdonnais, ne devait pas
avoir d’autre enseigne que les armes de la Trémoille, car c’était un
véritable _châtel_ à carneaux ou créneaux que cette maison seigneuriale,
«fief de la Trémoille, dit Sauval, dont relèvent quantité de maisons
tant de la rue des Bourdonnois que de celle de Béthisy[199]». De là le
nom de Carneaux, donné à tout le quartier qui entourait cet ancien
hôtel, dont il n’existait plus d’apparent qu’un beau donjon renfermant
un escalier à vis, quand les architectes de la ville le firent démolir,
en 1841, sous prétexte d’alignement. Cet hôtel, qu’il était facile de
restaurer de fond en comble et qui eût offert un admirable spécimen de
l’architecture du XIVᵉ siècle, avait été depuis bien des années envahi
par le commerce, qui y arbora l’enseigne de la _Couronne d’or_, en sorte
que l’hôtel de la Trémoille ne s’appelait plus que l’hôtel de la
_Couronne d’or_. Un marchand enrichi avait alors pris la place de
l’illustre Guy de la Trémoille, favori du duc de Bourgogne, ce vaillant
seigneur «entre les mains de qui Charles VI mit l’oriflamme en 1393» et
dont les actions éclatantes firent sortir sa famille de «l’obscurité du
Poitou».

Si une enseigne de marchand parvint à éclipser le nom d’une des plus
glorieuses familles de France, nous voyons d’un autre côté un grand
artiste, dont l’origine était certainement très vulgaire, se faire un
grand honneur de cette origine et ajouter à son nom de famille le nom de
l’enseigne qu’il ne rougissait pas d’avoir vu pendre à sa maison natale.
Le plus fameux architecte français du XVIᵉ siècle, «Jacques Androuet,
_Parisien_, comme l’a dit expressément La Croix du Maine dans sa
_Bibliothèque françoise_, fut surnommé du _Cerceau_, qui est à dire
_Cercle_, lequel nom il a retenu pour avoir un cerceau ou cercle pendu à
sa maison, pour la remarquer et y servir d’enseigne; ce que je dis, en
passant, pour ceux qui ignoreroient la cause de ce surnom.» Jacques
Androuet du Cerceau était né vers 1540, dans une maison du faubourg
Saint-Germain, où son père vendait du vin aromatisé et se trouvait ainsi
obligé de se conformer aux ordonnances qui prescrivaient aux marchands
de vin de sauge et de romarin, ou mélangés de substances aromatiques et
liquoreuses, de pendre un cerceau à la porte de leur boutique. Jacques
Androuet, dit du Cerceau, signa de son surnom les premières études
d’architecture qu’il grava et publia d’abord à Orléans, où il paraît
avoir passé sa jeunesse, sans doute parce que son père avait des
vignobles et des caves dans l’Orléanais. Quand il revint à Paris et
qu’il y recueillit les _Dessins et Portraits de la plupart des anciens
et modernes bâtimens et édifices_ de la capitale, il se préparait à
mettre au jour, sous les auspices de la reine mère Catherine de Médicis,
les deux grands volumes _Des plus excellents bâtimens de France_,
«dressés par Jacques Androuet, dit du Cerceau.» On rapporte même que cet
habile architecte, devenu l’architecte de la reine mère et du roi,
acheta une maison à l’entrée du petit Pré aux Clercs, à la porte de
Nesle, et qu’il donna pour enseigne à cette maison le _Cerceau_, qui
rappelait son origine et son surnom, «comme une espèce de titre
seigneurial[200]».

Pierre Costar, écrivain prétentieux de l’école de Balzac, n’avait ni
l’esprit ni le talent de Jacques Androuet du Cerceau; il fut poursuivi
toute sa vie par le souvenir de son père, qui était chapelier, sur le
pont Notre-Dame, à l’_Ane rayé_, c’est-à-dire au _Zèbre_. Cet honnête
chapelier n’avait pas épargné la dépense pour faire élever son fils
comme un savant; aussi le fils n’eut-il rien de plus à cœur que de
prouver qu’il n’était pas fait pour fabriquer et vendre des chapeaux. Il
commença par changer son nom de famille, qui était _Coustard_ et non
_Costar_, et, pour se dépayser encore davantage, il alla s’établir en
province, où il passa la plus grande partie de sa vie. Ami de Voiture et
de Chapelain, il eût été membre de l’Académie française, s’il avait
voulu résider à Paris, où il était né; mais l’_Ane rayé_ fut toujours
pour lui une sorte de spectre qui le poursuivait partout. Il affectait
de se croire et de se dire provincial; aussi Tallemant des Réaux
raconte-t-il que «quelqu’un lui dit poliment qu’il feroit tort à Paris
de lui ôter la gloire d’avoir produit un si honnête homme, et que, quand
même il le nieroit, Notre-Dame pourroit fournir de quoi le convaincre.»
Plaisante allusion à l’_Ane rayé_ du pont Notre-Dame.

Une curieuse anecdote, que nous puisons à une source quelque peu
suspecte, tendrait à faire admettre que le lieutenant de police, au
XVIIIᵉ siècle, avait l’œil ouvert sur les enseignes et qu’il ne les
regardait pas toujours avec indifférence. Voici ce qu’on lit dans les
_Mystères de la Police_[201], ouvrage anonyme, dont l’auteur n’est autre
que l’ardent journaliste de la Commune, Auguste Vermorel: «Une marchande
de modes avait fait peindre, avec assez de soin, dans son enseigne, un
abbé choisissant des bonnets et courtisant les filles de la boutique; on
lisait, sous cette enseigne: _A l’Abbé Coquet_. Hérault, lieutenant de
police en 1725, dévot et homme assez borné, voit cette peinture, la
trouve indécente et, de retour chez lui, ordonne à un exempt d’aller
enlever l’_Abbé Coquet_ et de le mener chez lui. L’exempt, accoutumé à
ces sortes de commissions, va chez un abbé de ce nom, le force à se
lever et le conduit à l’hôtel du lieutenant général de police.
«Monseigneur, lui dit-il, l’abbé Coquet est ici.--Eh bien! répond le
magistrat, qu’on le mette au grenier.» On obéit. L’abbé Coquet,
tourmenté par la faim, faisait de grands cris. Le lendemain:
«Monseigneur, lui dirent les exempts, nous ne savons plus que faire de
cet abbé Coquet, que vous nous avez fait mettre au grenier; il nous
embarrasse extrêmement.--Eh! brûlez-le, et laissez-moi tranquille!» Une
explication devenant nécessaire, la méprise cessa, et l’abbé se contenta
d’une invitation à dîner et de quelques excuses.» C’était l’enseigne de
la marchande de modes que le lieutenant général de police avait ordonné
de faire enlever et de mettre au grenier. Par bonheur, les exempts
n’allèrent pas jusqu’à brûler le pauvre abbé, comme on leur en donnait
l’ordre. Cette même anecdote est racontée plus longuement, et avec
beaucoup de bonne humeur, par Jules Janin, dans _Paris et Versailles il
y a cent ans_ (Paris, Firmin Didot, 1874, in-8º); mais il ne nous dit
pas d’où il a tiré son histoire.

Il est à regretter que les renseignements nous manquent tout à fait sur
les enseignes des marchandes de modes de Paris, car ces enseignes
devaient être inventées et peintes par les artistes élégants et gracieux
que Charles Blanc a caractérisés sous le nom de _peintres des fêtes
galantes_. Il est impossible que Lemoine, Natoire, Boucher, Eisen, et
leurs imitateurs, n’aient pas mis la main à ces enseignes qui
convenaient si bien à leur imagination accoutumée à s’égarer dans
l’Olympe des Amours et des Grâces. Nous possédons des adresses gravées
qui nous donnent une idée très avantageuse de ce que devaient être ces
enseignes. Nous savons que la marchande de modes de Mᵐᵉ du Barry avait
pour enseigne: _Aux traits galants_; mais nous ignorons absolument de
quelle manière l’artiste avait représenté ces _traits galants_. Nous
avons vu une estampe, faite d’après une enseigne, qui représentait des
Amours ou des Génies femelles coiffés de bonnets et de chapeaux, mais
armés d’arcs et de flèches qu’ils lançaient à droite et à gauche.
N’étaient-ce pas les _traits galants_ de la marchande de modes? Au
reste, une marchande, sous la Restauration, voulut imiter l’enseigne de
la protégée de Mᵐᵉ du Barry, et elle mit au-dessus de la porte de sa
boutique un tableau que l’histoire ne décrit pas, avec une inscription:
_A la Galanterie_. Les demoiselles du magasin ne s’accommodèrent pas de
cette inscription, qui semblait faite pour leur donner un renom suspect;
elles se révoltèrent contre la marchande de modes et de galanterie. Il y
eut même bataille de femmes, et l’enseigne disparut, pour l’honneur du
beau sexe.

Une enseigne qui pouvait être aussi impertinente que celle de la
_Galanterie_ porta malheur à son éditeur responsable. «Il y avait,
raconte M. E. de la Quérière, il y avait un éveillé de cordonnier, à la
rue Saint-Antoine, à l’enseigne du _Pantalon_, qui, quand il voyait
passer un arracheur de dents, faisait semblant d’avoir une dent gâtée,
puis le mordait très serré et criait _au renard_! Un arracheur de dents,
qui savait cela, cacha un petit pélican (pince de dentiste) dans sa main
et lui arracha la première dent qu’il put attraper; puis, il se mit à
crier _au renard_!» C’est Tallemant qui rapporte ce fait, dans le
chapitre des _Naïvetés et Bons Mots_[202]; mais il ne nous dit pas
quelle était cette enseigne du _Pantalon_. Un caleçon à pieds, un
haut-de-chausses avec les bas, ou bien le bouffon masqué, qui fut un des
personnages typiques de la Comédie italienne? Une enseigne analogue, _A
la Culotte_, osa se produire, en pleine Restauration, sous l’œil
pudibond de la Censure. Balzac nous apprend que cette enseigne s’étalait
impunément au-dessus de la boutique de M. Detry, bandagiste, bourrier,
gantier, culottier, rue du Four-Saint-Germain, nº 55: «L’enseigne
représente une main qui tient une culotte de peau de daim, dont on
faisait jadis usage, et au milieu de laquelle est placée une oie, oui,
une oie... Qu’est-ce que cela signifie? demande-t-on en ricanant. Eh!
messieurs, lisez la légende: _Prenez votre culotte et laissez tomber là
mon oie_. Entendez-vous? Pas si bête, M. Detry, pas si bête[203].»

Il y a, il y aura toujours des enseignes menteuses, comme des enseignes
trompeuses. L’hôtel du _Bon La Fontaine_, dans la rue de
Grenelle-Saint-Germain, a pour enseigne depuis plus de cent cinquante
ans un buste de La Fontaine, avec l’inscription: _Au Bon La Fontaine_,
et personne dans le quartier n’oserait soutenir que l’auteur des Fables
et des Contes n’a pas logé dans cet hôtel, auquel il aurait laissé son
nom. Horace Walpole y alla descendre, sous le règne de Louis XVI, pour
dire, à son retour en Angleterre, qu’il avait couché dans la maison même
du grand poète français La Fontaine. Or, ce fut un neveu du fabuliste
qui donna son nom à cet hôtel, en devenant propriétaire de l’immeuble,
au XVIIIᵉ siècle.

L’enseigne du _Fidèle Berger_, rue des Lombards, date du milieu du
XVIIIᵉ siècle; elle avait été peinte par un élève de Boucher, et le
confiseur qui tenait ce célèbre magasin de bonbons fut longtemps le
fournisseur obligé de la moitié des baptêmes de Paris. Le sujet de cette
enseigne, où l’on voyait une bergère en costume d’opéra-comique, la
houlette en main, assise au milieu de ses moutons et recevant de son
fidèle berger une boîte de dragées, n’était que la marque de fabrique de
cette maison de confiance. «Qui ne connaît ce riche et doux
établissement? écrivait Balzac en 1826[204]: c’est là que l’hypocondre
vient chercher des pistolets en chocolat; que le parrain court acheter
les dragées du baptême, et que l’auteur de vingtième ordre apporte ses
charades, ses énigmes et ses rébus. Afin de conserver son antique vogue,
M. Desrosiers place, au jour de l’an, des gendarmes à sa porte.» Nous ne
savons pas si M. Desrosiers était encore le patron du _Fidèle Berger_,
au jour de l’an 1838, mais le 6 janvier de cette année-là on représenta
pour la première fois, au théâtre de l’Opéra-Comique, une pièce en trois
actes, intitulée: _le Fidèle Berger_, dont Adam avait fait la musique.
Le poème, composé par Scribe et Saint-Georges, fut si mal reçu du
public, que la représentation se termina au milieu du tumulte et des
sifflets, et c’est à peine si le chanteur Chollet, qui s’était surpassé
dans son rôle, put nommer les auteurs. On accusa le propriétaire du
magasin et de l’enseigne du _Fidèle Berger_ d’avoir monté la cabale qui
fit tomber cette pièce, où la confiserie parisienne semblait tournée en
ridicule. Ce fut en vain qu’on essaya de la relever dans les
représentations suivantes: la cabale des confiseurs était toujours à son
poste, et le _Fidèle Berger_ dut disparaître de l’affiche de spectacle,
sans avoir porté atteinte à la vieille renommée de l’enseigne de la rue
des Lombards.

Je ne saurais mieux finir ce chapitre qu’en racontant les grandeurs et
les décadences de deux enseignes du Paris moderne, mais sans nommer le
bourreau et la victime, qui appartenaient à deux familles honorables. La
génération actuelle n’a pas gardé le souvenir de l’immense mystification
du _Chou colossal_. C’était, en 1836 ou 1837, une enseigne fort modeste
de la rue Saint-Honoré. Cette enseigne représentait seulement un chou,
d’assez belle venue et d’une couleur verte tout à fait réjouissante. La
boutique ne contenait rien que des caisses et des boîtes chinoises, plus
ou moins authentiques, assez semblables à celles qui figurent chez les
marchands de thé. Sur le comptoir, une balance de cuivre et des sacs de
papier de Chine. Au milieu de la boutique, un énorme vase en faïence
chinoise, d’où s’élevait un chou gigantesque, haut de six ou sept pieds,
ayant au moins quinze pieds de circonférence. Ce chou extraordinaire
était entièrement desséché et, pour en mieux assurer la conservation, on
l’avait soigneusement repeint et verni comme un tableau. M. X...,
l’inventeur du Chou colossal, avait fait annoncer dans tous les journaux
et sous toutes les formes de l’annonce que ce chou, originaire de la
Chine, n’était pas plus difficile à cultiver que le chou ordinaire et
arrivait aisément à une grosseur monstrueuse, qui lui donnait un poids
de 15 à 25 kilogrammes. M. X... avait compté sur la crédulité naïve de
tous les planteurs de choux de la France et de l’étranger. Ils
accoururent, en effet, de toutes parts, et ils achetèrent, au prix de 20
francs la livre et même davantage, des graines de chou ordinaire, que
leur vendait le plus sérieusement du monde l’auteur de cette prodigieuse
spéculation. Il s’était promis de faire sa fortune en moins d’une année,
et il l’aurait faite si la passion du jeu n’eût dérangé les plans de
son audacieuse escroquerie.

M. X... était marié, mais sa femme, une honnête et digne femme, n’avait
pas voulu s’associer aux faits et gestes de son mari; elle l’avait
abandonné aux inévitables conséquences de l’entreprise du _Chou
colossal_, et, en se séparant de lui, elle était allée, rue de
Richelieu, ouvrir un magasin de lingerie et occuper une superbe
boutique, décorée dans le style moyen âge avec des statuettes et des
inscriptions gothiques, à l’enseigne du _Sergent d’armes_. Cette dame
était fort ingénieuse et très habile, mais elle avait malheureusement
dépensé aux bagatelles de l’enseigne une partie des fonds que son jeune
frère avait mis à sa disposition. Le succès de la boutique moyen âge et
du _Sergent d’armes_ n’eut qu’un temps; les affaires de la lingerie ne
prospéraient déjà plus au moment où celles du _Chou colossal_ n’avaient
produit partout que de petits choux cabus et quelquefois même de petits
choux de Bruxelles. Notre escroc, ruiné par le jeu, ne ferma boutique
que pour échapper aux revendications de ses dupes et aux poursuites de
la justice. Il osa se présenter chez sa pauvre femme pour lui demander
une somme d’argent avec laquelle il pût quitter la France. Cette somme,
la pauvre lingère ne l’avait pas; elle n’avait même plus les moyens de
la trouver. Furieux, désespéré, le misérable tira un poignard et en
frappa sa femme, qui gisait mourante à ses pieds, lorsque le frère, qui
était près de là, dans l’appartement de sa sœur, accourut aux cris, un
pistolet à la main: «Scélérat! cria-t-il, en dirigeant son pistolet sur
l’assassin; fais-toi justice et sers-toi de ton poignard pour te
soustraire à l’échafaud!» Et, comme l’assassin, tremblant, ne savait
plus que répondre, il lui mit le pistolet dans la main et le força de se
brûler la cervelle. Le misérable tomba mort auprès de sa victime.
L’enseigne du _Sergent d’armes_ et celle du _Chou colossal_ disparurent
à la fois.



XVIII

ENSEIGNES ARMORIÉES


Nous avons lu quelque part que les armoiries de la noblesse ne sont pas
antérieures aux enseignes des artisans et des marchands, et que les
unes, comme les autres, furent inventées presque en même temps et dans
le même but, qui était de se distinguer et de se faire connaître. La
définition du mot ENSEIGNE, que nous avons déjà citée (voir p. 28),
d’après le _Dictionnaire étymologique de la langue françoise_, par
Ménage, donne raison, en effet, à ce rapprochement historique, qui n’a
pas été fait avec intention de rabaisser les armoiries de la noblesse:
«_Enseigne_, dit Ménage, c’est une marque qui, aidant à discerner
quelque personne, ou quelque chose, d’avec une autre, la fait connaître:
l’enseigne d’une maison, d’une hôtellerie, d’une compagnie de gens de
pied; une enseigne, qui se portoit autrefois au chapeau ou en quelque
autre endroit; l’enseigne d’un sergent ou d’un messager, qui est une
chose semblable à ce qui s’appelle l’_émail_, à l’égard des hérauts
d’armes; et de là cette façon de parler: _à telles enseignes_;
d’_insigne_ ou d’_insignium_.» L’un et l’autre mot latin étaient
employés, au moyen âge, pour désigner également l’écu armorié d’un noble
et l’enseigne d’une boutique. Il est donc tout naturel que, dès
l’origine, les enseignes des maisons et des marchands se soient
approprié les armoiries de la noblesse.

Ces armoiries, d’après l’opinion des historiens les plus judicieux, ne
remonteraient pas au-delà des croisades. On ne saurait pourtant
confondre les armoiries nobiliaires avec les emblèmes figurés et les
hiéroglyphes de fantaisie qui furent de tout temps représentés sur les
boucliers et les drapeaux (_insignia_) des gens de guerre, car il
fallait bien qu’un chef, couvert d’armes défensives qui lui cachaient le
visage, portât sur lui quelque insigne destiné à le faire reconnaître de
ses soldats dans la mêlée d’une bataille. Ce sont ces signes
caractéristiques et qualificatifs qui devinrent, à l’époque des
croisades, la marque distinctive de la noblesse militaire et qui
formèrent par la suite les armoiries héréditaires des familles nobles.
La première croisade date de 1090. Il est possible que les enseignes
proprement dites aient paru vers la même époque dans les villes, quoique
la première enseigne connue ne date que du commencement du XIIIᵉ siècle.
N’est-il pas permis de supposer que parmi les croisés qui avaient pris
l’enseigne de la Croix sur leurs vêtements il y en eût quelques-uns qui,
empêchés de partir pour la croisade, arborèrent sur leurs maisons la
croix, qu’ils s’honoraient d’avoir prise comme un vœu de faire tôt ou
tard le voyage de la terre sainte? Ce serait là une explication
rationnelle de l’usage multiplié et général du signe de la Croix dans
les enseignes de maisons et de boutiques, Croix rouges, Croix blanches,
Croix d’or ou d’argent, qui représentaient une espèce de croisade des
enseignes.

On ne saurait, d’ailleurs, méconnaître l’analogie singulière et
incontestable qui existe entre les figures de l’écu armorial et celles
des plus anciennes enseignes. On voit dans les enseignes, comme dans les
armoiries, les mêmes figures empruntées à tous les objets qui ont une
forme et un nom dans la création de Dieu et dans celle des hommes; bien
plus, par les enseignes, ces figures sont reproduites avec les couleurs
et les _émaux_ variés qu’elles ont dans les armoiries. Il n’y a de
différence que dans le champ ou le fond sur lequel les figures sont
peintes: la couleur ou le métal de ce champ n’a pas d’importance dans
une enseigne; il est, au contraire, un des caractères de l’armoirie. On
trouverait dans _l’Indice armorial_ (1635) de Louvan Geliot non
seulement la _sommaire explication de tous les mots utiles au blason des
armoiries_, mais encore presque tous les noms des figures que
représentaient les enseignes. Ici, ces figures appartiennent à la nature
humaine: le corps de l’homme, sa tête, son bras, sa main, sa jambe,
etc.; là, à la nature physique: le soleil, la lune, le croissant, les
étoiles, etc.; ici, à la nature animale: le lion, le cheval, le chien,
le loup, le serpent, le poisson, etc.; là, à la nature végétale:
l’arbre, la feuille, la fleur, le fruit, etc. Puis, viennent toutes les
figures des instruments, des ustensiles, des objets divers qui sont
l’œuvre de l’homme: dans les armoiries, on remarque de préférence
quantité d’objets matériels de la vie chevaleresque et nobiliaire; dans
les enseignes, beaucoup d’objets qui rappellent la vie bourgeoise et
marchande. En un mot, enseignes et armoiries offrent l’image diversifiée
de tout ce qui frappe les yeux et la pensée dans l’existence des
peuples. C’est en 1150 qu’on vit apparaître le Blason ou l’Art
héraldique, qui posa les règles de l’ordonnance des armoiries; ce fut
certainement vers ce temps-là que les enseignes, par la loi de
l’imitation, prirent au blason tout ce qu’elles pouvaient lui prendre.

M. Firmin Maillard, qui a fait une très bonne notice sur les
enseignes[205], n’a pas remarqué les rapports analogiques que nous
constatons entre les enseignes et les armoiries, à l’origine des unes et
des autres; mais il énumère cependant nombre d’enseignes de Paris, la
plupart très anciennes, qui auraient dû l’éclairer sur le rapprochement
naturel qu’on peut faire des armoiries et des enseignes, du moins à
leurs origines communes et simultanées. M. F. Maillard indique seulement
le blason comme une des sources où les faiseurs d’enseignes ont puisé:
«Les animaux, les astres, la religion, le blason, les ustensiles, les
outils, fournissaient aussi leur contingent aux enseignes; les animaux,
dans une grande proportion, et, chose curieuse, les outils dans la
moindre; ainsi nous trouvons le _Lion d’Or_, le _Lion d’Argent_, le
_Cheval_ de toutes les couleurs, le _Cygne_, le _Dauphin_, le _Mouton_,
les _Lévriers_, les _Coulons_ (pigeons), le _Paon_, le _Coq_, les
_Singes_, les _Connins_ (lapins), la _Limace_, les _Pourcelets_,
l’_Écrevisse_, le _Papegaut_ (perroquet), la _Hure de Sanglier_, le
_Pied de Biche_, la _Queue de Renard_, et la _Corne de Cerf_, qui est
une des plus anciennes et qui toujours a été employée; et pour les
outils, le _Maillet_, le _Rabot_, la _Navette_, les _Ciseaux_, la _Faux_
et la _Serpe_.» Comment M. Firmin Maillard ne s’est-il pas aperçu que la
plupart de ces enseignes étaient des emprunts faits aux armoiries? On
rencontrait jadis dans les vieilles enseignes de Paris d’autres
emprunts, encore plus caractérisés, qui accusaient davantage la
fréquente similitude de l’enseigne du blason et de l’enseigne de la rue.
Aussi, sans parler du _Signe de la Croix_, qui rattache sans doute aux
croisades les enseignes, nous aurions à signaler, parmi celles que Berty
a relevées et qui étaient les plus anciennes de la Cité et du quartier
du Louvre, la maison du _Heaume_, la maison de l’_Epée_, la maison de
l’_Epée rompue_, la maison de la _Housse_, etc.

On sait que les armoiries adoptèrent une foule d’animaux chimériques,
qui ne s’étaient montrés que dans les récits des voyageurs crédules ou
menteurs, qui, au retour de leurs voyages dans des pays lointains et
presque inconnus, ne manquaient pas de charger de contes et de détails
extraordinaires leurs récits, d’autant plus curieux qu’ils étaient
incroyables. Le blason et les enseignes firent leur profit de ces
inventions fantastiques. «Les _sauvages_, les _arbres secs_, les _singes
verts_ et autres merveilles des pays lointains, dit M. Alfred Maury[206]
avec beaucoup d’ingéniosité, étaient mis peut-être sur les enseignes des
auberges, par flatterie pour les voyageurs, comme échantillons des
souvenirs et surtout des belles vérités qu’ils rapportaient de loin.» En
effet, la description des animaux imaginaires défrayait alors les
relations des voyageurs. La licorne et le paon blanc étaient au nombre
de ces animaux, quoiqu’on eût apporté à Paris, au XIIIᵉ siècle, un paon
blanc et une prétendue licorne, qui laissèrent leurs noms à deux rues,
où on les montrait au public moyennant une modique redevance; on y avait
vu aussi plus d’une fois des hommes sauvages, d’une taille énorme, avec
de longs cheveux et une grosse barbe touffue; mais les singes verts, que
des voyageurs se vantaient d’avoir rencontrés en Afrique, on ne les vit
jamais que sur les enseignes et sur quelques écussons d’armoirie tout à
fait réfractaires aux lois du blason. Quant à l’Arbre sec, dont le
blason s’était emparé plus volontiers que des Singes verts, c’était,
nous l’avons dit, un arbre mystérieux, dont il est question dans les
anciens fabliaux et que les pèlerins qui revenaient de Jérusalem
assuraient être allés voir non loin de la vallée de Josaphat. Quelques
autres croyances fabuleuses, le Phénix, la Sirène, etc., avaient été
aussi consacrées par les armoiries et les enseignes.

Les hôtels construits ou habités par des familles nobles portaient comme
enseignes, au-dessus de la porte d’entrée, les armes sculptées ou
peintes de ces familles. Ces écussons nobiliaires excitèrent sans doute
la convoitise des marchands, qui voulurent aussi avoir des armoiries
pour enseignes, et qui placèrent leur industrie ou leur commerce sous la
protection de l’Écu de France ou d’un autre écu armorié de province ou
même d’abbaye. Personne n’y trouvait à redire, et l’on voyait de tous
côtés se multiplier ce genre d’enseigne. Nous croyons, cependant, que
l’Écu de France n’était pas à la libre disposition de tous les marchands
qui voulaient le prendre pour enseigne, et qu’il appartenait de
préférence aux fournisseurs privilégiés du roi et des princes du sang.
Les hôtelleries, qui payaient une forte redevance pour avoir droit de
logis public, et peut-être aussi comme droit d’enseigne, se trouvèrent
bien de la prise de possession d’un écusson royal ou princier, français
ou étranger. Voici, d’après Adolphe Berty, une petite liste des
anciennes maisons à écussons que cet archéologue avait rencontrées, à
différentes dates, dans quelques rues de la Cité, du quartier du Louvre
et du quartier Saint-Germain-des-Prés. On pourra, d’après cette
énumération, se faire une idée de la multitude d’enseignes du même genre
qui devaient exister aux mêmes époques dans les autres quartiers de
Paris.

CITÉ. RUE AUX FÈVES, maison de l’_Écu de France_ (1423-1600). RUE
SAINT-CHRISTOPHE, maison de l’_Écu d’Orléans_ (1425-1601), maison de
l’_Écu de Bretagne_ (1545-1575). RUE DE LA LICORNE, maison de l’_Écu de
Bourgogne_ (1633). RUE DE LA LANTERNE, maison de l’_Écu de Pologne_
(1575-1605).

QUARTIER DU LOUVRE. RUE DU CHANTRE, maison de l’_Écu de Bretagne_
(1700). C’était une hôtellerie qui avait eu tour à tour l’enseigne du
_Cheval rouge_ et celle du _Cheval blanc_; maison de l’_Écu de France_
(1489). RUE DU COQ, maison de l’_Écu_ (1687), maison de l’_Écu de
France_ (1399). RUE FROMENTEAU, maison de l’_Écu de France_ (1572-1655);
autre maison avec la même enseigne (1571). RUE SAINT-THOMAS-DU-LOUVRE,
maison de l’_Écu de Navarre_ (1531-1628); RUE SAINT-HONORÉ, maison de
l’_Écu de Navarre_ (1531). Elle devint, en 1640, maison de l’_Écu de
France_, après avoir été maison du _Cheval rouge_; ce devait être une
hôtellerie. Maison de l’_Écu de Pologne_ (1586-1640), maison de l’_Écu
vert_ (1624), maison de l’_Écu de Bretagne_ (1410).

QUARTIER DU BOURG SAINT-GERMAIN. RUE SAINT-JEAN-SAINT-DENIS, maison de
l’_Écu de Berry_ (1308). RUE DES BOUCHERIES, maison de l’_Écu de France_
(1405-1695). RUE-NEUVE-SAINT-LAMBERT, plus tard RUE DE CONDÉ, maison du
_Petit Écu de France_ (1517-1648).

Nous avons rencontré, dans les Comptes du Domaine de Paris pour l’année
1421[207], l’écu d’un prince de la maison de France, égaré dans une des
rues les plus malhonnêtes de la ville: «De Jean Jumault, etc. Pour les
rentes d’une maison, cour et estables, ainsi que tout se comporte,
scéant à Paris en la rue Grate..., près de Tire..., où pend l’enseigne
de l’_Écu de Bourgogne_, étant en la censive du roi». Cette maison, qui
devait être une hôtellerie mal famée, nous rappelle, à quatre siècles en
arrière, la fameuse chanson de Vatout intitulée: _l’Écu de France_.
Mathurin Régnier n’eût pas rougi de loger à cette enseigne, lui qui,
dans ses vers, envoie sa chambrière _jusques à l’Escu de Savoie_. Ces
enseignes à l’écu étaient encore en faveur au XVIIIᵉ siècle, mais elles
disparurent toutes pendant la Révolution, quand elles eurent été mises
hors la loi par la République. On raconte qu’une enseigne de cette
espèce, la dernière qui ait protesté contre les enseignes à la
_Guillotine_, fit trancher la tête à son imprudent défenseur, lequel osa
répondre devant le tribunal révolutionnaire que, pour témoigner de son
respect aux règlements de la police républicaine, il ferait peindre sur
son enseigne la France sans un écu.

Les artisans et les marchands avaient toujours été fiers de mettre un
écu armorié sur leur maison ou sur leur boutique. Ne pouvant se faire
anoblir individuellement, même à prix d’argent, ils demandèrent et
obtinrent, en juillet 1629, des armoiries pour cinq des six grands corps
de métiers, et cela, grâce à l’influence de Christophe Sanguin, seigneur
de Livry, prévôt des marchands[208]: il fut donc permis aux marchands
merciers, grossiers et joailliers de la ville de Paris de prendre pour
armoiries trois nefs d’argent à bannière de France, un soleil d’or à
huit rais en chef, entre deux nefs, sur champ de sinople; aux marchands
drapiers: un navire d’argent à bannière de France, flottant, un œil en
chef, sur champ d’azur; aux marchands épiciers et apothicaires: un coupé
d’or et d’azur, et sur l’azur une main d’argent tenant des balances
d’or, et sur l’or deux nefs flottantes, aux bannières de France,
accompagnées de deux étoiles à cinq pointes de gueules, avec la devise
en haut: _Lances et pondera servant_; aux marchands bonnetiers: cinq
nefs d’argent aux bannières de France, une étoile d’or à cinq pointes en
chef, sur champ violet pourpre; aux marchands de vin, qui avaient
remplacé les pelletiers dans les six corps: un navire d’argent à
bannière de France, flottant, avec six autres petites nefs d’argent à
l’entour, une grappe de raisin en chef, sur champ d’azur. Dieu sait si
les membres de ces cinq corps se firent faute d’exposer sur leurs
enseignes ces belles armoiries blasonnées par d’Hozier, juge d’armes de
France! Les orfèvres, qui n’avaient pas voulu recevoir d’armoiries
nouvelles, déclarèrent se contenter de celles qu’ils tenaient de saint
Louis: de gueules, à la croix denchée d’or, cantonnée au premier et au
quatrième d’une couronne d’or, et au second et au troisième d’un ciboire
couvert d’or; au chef d’azur semé de fleurs de lis d’or sans nombre,
avec cette devise: _In sacra inque coronas_. Plusieurs communautés,
envieuses de ces armoiries attribuées aux six corps, se donnèrent, de
leur propre autorité, des armes parlantes, dans un écu factice, où les
couleurs et les émaux n’étaient pas toujours conformes aux lois de la
science héraldique. Les perruquiers, qui faisaient remonter au règne de
saint Louis l’origine de leur corporation, se contentèrent d’un écusson
d’azur avec des fleurs de lis sans nombre. Tous ces inventeurs
d’armoiries marchandes eurent à payer, en guise d’amende, ou à titre de
confirmation, le droit d’armoiries, quand l’édit du roi de 1696 ordonna
de prélever, sans examen contradictoire, ce droit sur tous ceux qui
avaient des armoiries ou qui s’étaient targués d’en avoir. La vanité des
bourgeois et des marchands fut mise ainsi à contribution au profit du
roi. Ils y gagnèrent, toutefois, de n’avoir plus à craindre les
recherches et les vexations des juges d’armes, qui enregistrèrent
d’office, _ne varietur_, ces armoiries de métiers. Ce fut, en quelque
sorte, l’établissement de la noblesse marchande: «J’ai vu, dit Charles
Maurice[209], les boutiques des perruquiers de Paris peintes en bleu
d’azur sur toute leur étendue extérieure, et parsemées de fleurs de
lis. C’était un privilège de leur corporation.»

Les marchands, très friands de noblesse, parvenaient souvent à faire
souche de nobles. On sait que le duc de Villeroy descendait d’un
marchand de poissons enterré aux Innocents. Sous Louis XIII, Castille,
gendre d’un président du Parlement, était marchand à l’enseigne des
_Trois Visages_; il s’anoblit d’une étrange manière, en se faisant
passer pour le descendant d’un bâtard de Castille. Sa grande fortune fit
le reste, la fortune étant, comme on disait, la meilleure savonnette à
vilain. Un satirique du temps de Louis XIV[210] a raconté ainsi un de
ces anoblissements de marchands, et l’anecdote suivante vient à l’appui
de cette dédaigneuse révélation de Ménage: «Les armoiries des nouvelles
maisons sont, la plus grande partie, les insignes de leurs anciennes
enseignes.»

    L’enseigne de son père étoit un ladre vert:
    Aussitôt l’écusson d’argent se vit couvert,
    Un lion de sinople ensuite l’on applique
    Sur le champ argenté, mais lion magnifique,
    Mais lion lampassé, rampant, onglé, gueulé,
    Et qui sentoit beaucoup son noble signalé:
    Ensuite il prit le nom d’une maison illustre,
    Et par là prétendit mettre la sienne en lustre.
    Certain marquis en eut quelques milliers de louis,
    Marquis de qui les biens s’étoient évanouis,
    Noble, mais qui devoit jusques à sa chemise,
    Et, pour trancher le mot, gueux comme un rat d’église.
    Jamais homme ne fut ni plus fat ni plus vain,
    Que (déguisons son nom) ce Monsieur le vilain....
    Un de ces beaux messieurs, fils d’un vendeur de sarge,
    Devint un gros Monsieur, mais en fort peu de temps....

L’enseigne se mariait souvent avec l’écusson nobiliaire, qu’elle
redorait. Ainsi, en 1690, Fleuriau d’Armenonville ayant épousé la fille
de Gilbert, le marchand de draps à l’enseigne des _Rats_, on le
chansonna sur l’air de _Pierre Bagnolet_, alors fort à la mode, et les
Rats revenaient dans chaque couplet. Le seigneur d’Armenonville n’en fit
pas moins bonne figure avec la dot de sa femme, lorsqu’on chantait
autour de lui:

    Le roi fait deux présidents,
    Jean Gilbert et Montferrant;
    L’un jadis fut rat de ville,
    Et l’autre fut rat des champs[211].

Le contrôleur général Philibert Orry avait bravement arboré sur son écu
le _Lion grimpant_, enseigne du libraire Orry, son grand-père; et l’on a
prétendu que les mains apaumées du blason des Potiers, ducs de Gèvres,
etc., n’étaient autre chose que les _gants_ qui servaient d’enseigne à
leur aïeul le marchand pelletier.

Il ne faut pas oublier que l’enseigne a quelquefois fait le nom d’une
famille, qui s’est anoblie avec son sobriquet d’enseigne. Les Trudaine,
par exemple, qui s’élevèrent par la noblesse échevinale à la noblesse de
cour, et qui comptaient dans leur famille, au XVIIIᵉ siècle, un prévôt
des marchands, deux membres de l’Académie des sciences, un économiste,
ami de Turgot, et deux poètes, amis d’André Chénier, devaient leur nom à
l’enseigne d’un de leurs ancêtres. Cette enseigne, la _Truie qui daine_,
c’est-à-dire la Truie qui fait la _daine_ ou la _dame_, avait formé le
surnom de _Truie daine_, et ce surnom, en passant par la bouche du
peuple, laissa le nom de _Trudaine_[212] au marchand, qui le légua à ses
enfants avec sa fortune honorablement acquise et sa réputation d’honnête
homme, si dignement continuée par ses descendants.



XIX

ENSEIGNES EN RÉBUS


Ces sortes d’enseignes, qui ont eu un moment de vogue vers la fin du
XVIᵉ siècle, parmi le peuple de Paris, ne nous paraissent pas avoir
existé avant la première moitié de ce siècle-là. On trouve, en effet,
dans Rabelais, de véritables rébus, auxquels il ne manque que d’être
représentés en figures. Clément Marot, dans son épître du Coq-à-l’âne,
qui doit être de l’année 1536 ou 1537, a parlé le premier du rébus de
Picardie, et en a donné un spécimen, en disant:

    Car, en rébus de Picardie,
    Une estrille, une faux, un veau,
    Cela fait _estrille fauveau_.

Plusieurs enseignes de cette époque, en effet, avaient adopté ce rébus
de l’_Estrille fauveau_. Tabourot, dans ses _Bigarrures du Seigneur des
Accords_, dont le premier livre a paru d’abord en 1572, s’est donc
trompé, quand il ne fait remonter la mode des rébus qu’à l’année 1567 ou
1568. Voici comme il raconte l’origine de cette drôlerie plus amusante
que spirituelle[213]: «Sur toutes les folastres inventions du temps
passé, j’entends depuis environ trois ou quatre ans en ça, on avoit
trouvé une façon de devise par seules peintures, qu’on souloit appeler
de Rébus, laquelle se pouvoit ainsi définir, que ce sont peintures de
diverses choses ordinairement cognues, lesquelles, proférées de suite
sans article, font un certain langage; que ce sont équivoques de la
peinture à la parole. Est-ce pas dommage d’avoir surnommé une si
spirituelle invention de ce mot _rébus_, qui est général à toutes choses
et lequel signifie des choses...? Quant au surnom qu’on leur a donné de
Picardie, c’est à raison de ce que les Picards, de tous les François,
s’y sont infiniment plus adonnez et délectez.» Étienne Tabourot nous
offre ensuite de nombreux exemples des rébus de Picardie, qu’il va
chercher jusqu’en Italie; mais nous n’avons à nous en occuper qu’au
point de vue des enseignes de Paris.

«Je vay donc commencer, dit-il, à ce que j’ay remarqué, et premièrement
aux enseignes de Paris, car ce sont rébus équivoquaux sur le langage
usité en icelles, lequel, comme tesmoigne Glarean, _De opt. lat.
græcique sermonis pronontiat._, attribué par aucuns à Erasme, abhorre
les R R et ne les prononce sinon à demy, au lieu de S, comme _Jerus
Masia_.» Ainsi, pour les enseignes en rébus, on avait soin de reproduire
en quelque sorte le langage du peuple de Paris, avec sa prononciation,
dans les figures qu’on employait pour l’interpréter. Cette prononciation
populaire était représentée aussi exactement que possible dans une
enseigne que Sauval a citée, sans aucune observation[214], et qui n’a
pas été bien comprise depuis par ceux qui l’ont mentionnée d’après cette
citation. Cette enseigne, selon Tabourot, était placée «devant le logis
d’un invitateur pour les morts», c’est-à-dire d’un _clocheteur des
trépassés_, qui allait, de rue en rue, sonnant sa clochette, avertir les
parents et les amis de venir assister aux obsèques d’un mort. «Elle est
ainsi, dit Tabourot: un os, un sol neuf, des poulets morts, autrement
trespassez, qui se prononce, selon leur dialecte: _Os sou neu poulets
trespassez_, c’est-à-dire: _Aux sonneurs pour les trespassez_. Son
voisin, le reprenant, disoit qu’il devoit peindre de ces trinquebaleurs
de cloches, qui portent une robbe courte d’audience, allans par les rues
de Paris.»

Tabourot décrit, à la suite de cette enseigne, quatre autres enseignes,
qui étaient également parisiennes et du même _dialecte_ que la
précédente: une seule de ces enseignes était connue, comme la première;
c’est celle qui avait fourni le nom de la rue du _Bout-du-monde_ et qui
a subsisté jusqu’au milieu du siècle dernier. «Selon le mesme dialecte,
dit Tabourot, on a fait ceste-ci, d’un soldat qui appareille une poulle,
et y a au dessous: _Au compagnon pour la pareille_, quasi dicat: _Poule
appareille_.

«Un os, un bouc, un duc, un monde sont prins pour dire: _Au bout du
monde_.

«_Aux babillars_, pour dire un homme qui bat des billars.

«A la place Maubert est celle-ci: _Au poing d’or et moins d’argent_,
rapportée par un poing doré et une main argentée.»

Citons encore deux rébus d’enseigne, qui pourraient bien, surtout le
second, avoir figuré sur des enseignes de Paris. «Un G d’or et un G
d’argent signifie de mesme: J’ay d’or, j’ay d’argent, car on prononce
_jé_, au lieu de _j’ay_.

«_Aux Chassieux_, pour des chats qui scient un plat de bois, quasi: _Aux
chats sieurs_.»

Ces rébus de Picardie, qui s’étaient glissés jusque dans les armoiries,
avaient eu sans doute plein succès dans les enseignes, mais ces
enseignes ont bientôt disparu, et nous n’en retrouvons qu’un petit
nombre qui datent de l’origine du rébus. Les plus anciennes sont celles
des libraires; la plus compliquée est celle de Guillaume Godard, qui
demeurait sur le pont au Change, devant l’horloge du Palais, à
l’enseigne de l’_Homme sauvage_; voici la description de ce rébus, gravé
sur cinq lignes au verso du titre d’une édition des _Heures de
Nostre-Dame à l’usaige de Paris_, imprimée en 1513; 1ʳᵉ ligne: un
_salut_ d’or, monnaie du temps, un os, NS, la Vierge Marie à genoux
devant Jésus crucifié; ce qui signifiait: _Saluons Marie priant Jésus en
croix_; 2ᵐᵉ ligne: N, un os, le signe abréviatif de la syllabe _con_,
une scie, une anse, deux éperons, une _sappe_ ou prison, ce qui
signifiait: _En nos consciences espérons sa paix_; 3ᵉ ligne: le signe
abréviatif de _je_, A, Dieu le père, un monticule, un cœur, et la note
de musique _mi_, ce qui signifiait: _J’ay à Dieu mon cœur mis_; 4ᵉ
ligne: le signe abréviatif de _je_, une poire, un parc de chasse ou de
pêche en osier, A, X, ce qui signifiait: _J’espère paradis_; 5ᵉ ligne,
un loup, un ange, A, Dieu le père, C, ce qui signifiait: _Louange à Dieu
soit_. Le rébus de l’enseigne de Jean de Brie, gravée également sur le
titre d’un livre d’_Heures à l’usaige de Paris_, nous donne l’adresse du
libraire et de son associé Jean Bignon, demeurant

[Illustration]

rue Saint-Jacques en 1512: _In vico Sancti Jacobi, à la Limace, cy me
vend et achate_. Cette légende, moitié latine, moitié française, est
ainsi représentée: Ī, une vis, un coq, un saint Jacques en costume de
pèlerin, A, la note de musique la, une limace, une scie, ME, un van, EA,
une chatte. Un autre libraire, nommé Jehan de la Landre, dont nous
pouvons nous représenter l’enseigne en rébus, demeurait, en 1566, au
jeu de paume des _Rats bottés_, dans le faubourg Saint-Marceau[215].

Sauval cite quatre enseignes en rébus, sans nous apprendre dans quelles
rues elles se trouvaient: «Quant aux enseignes, dit-il, le ridicule qui
s’y trouve vient d’un mauvais rébus: _A la Roupie_, une pie et une roue;
_Tout en est bon_, c’est la _Femme sans tête_; la _Vieille Science_, une
vieille qui scie une anse; _Au Puissant Vin_, un puits dont on tire de
l’eau[216]».

L’enseigne du _Puits sans vin_, ou _Puissant Vin_, devait être assez
commune à Paris, puisque Berty nous indique une maison du _Puits sans
vin_, dans la rue Saint-Honoré, avec la date de 1713. Une autre
enseigne, sculptée en bas-relief et peinte, qu’on voit encore dans la
rue Mouffetard, à la porte d’un épicier qui y a fait ajouter, de chaque
côté, en pendentifs, deux pains de sucre, avec cette légende: _A la
bonne Source_, représente deux francs lurons qui tirent de l’eau d’un
puits et qui pourraient bien avoir figuré autrefois à la porte d’un
marchand de vin dans une enseigne du _Puits sans vin_. Berty a signalé
encore, sans le savoir, une enseigne en rébus, dans la rue Fromenteau,
où se trouvait la maison du _Mal assis_, en 1568: le _mal assis_ était
généralement un coq perché sur une patte. Quant à la maison du _Chat
lié_, dans la même rue, en 1671, cette enseigne en rébus faisait
allusion, nous l’avons dit, au nom de Robert Challier, qui avait été
propriétaire d’un hôtel voisin[217].

[Illustration]

Le _Signe de la Croix_, un cygne au pied d’une croix qu’il enlace avec
son cou, et le _Bon Coing_, avec ce fruit odorant, qui veut dire le _bon
coin_, se retrouvent encore sur beaucoup d’enseignes de Paris, sans
avoir changé de sens ni de caractère depuis des siècles. Nous avons
aussi, en plusieurs endroits, notamment rue Saint-Denis, rue des
Deux-Écus, et rue Vauvilliers, la fameuse enseigne du _Chat qui pelote_,
représentant un chat qui jongle avec des pelotes de fil ou de coton. Il
y avait aussi le _Chat qui pêche_ dans une ruelle qui descendait de la
rue de la Huchette jusqu’à la rivière, et qui avait pris le nom de cette
enseigne. Mais nous hésitons fort à reconnaître avec quelques érudits
un peu trop imaginatifs que toutes les enseignes _au Chat_ fussent des
rébus, lors même qu’on nous prouverait que le peuple voyait dans
l’enseigne du _Chat qui pelote_ cette équivoque assez difficile à en
tirer: _Chaque y pelote_, c’est-à-dire chacun y fait sa pelote. On a
voulu traduire aussi le _Chat qui pêche_ par cette légende
insignifiante: _Chaque y pêche_, c’est-à-dire chacun vient s’y fournir
de ce qu’il lui faut. Les rébus de nos pères, avec leurs assonances
approximatives, étaient plus intelligibles et plus ingénieux que les
nôtres.

L’enseigne en rébus: A _l’Assurance_ (un A sur une anse) remonterait au
XVIIᵉ siècle, quoique Sauval ne l’ait pas citée; celle du _Saint
Jean-Baptiste_ (singe en baptiste), représentant un singe avec une
collerette et des manchettes, nous paraît une invention plus bizarre que
spirituelle. Les rébus des enseignes modernes sont la plupart des
réminiscences du passé, et ce ne sont pas les plus curieux qui ont été
conservés ou remis en vogue. Dans tous les cas, on n’a pas gardé ceux
qui ne seraient plus compréhensibles, en raison de l’altération de la
langue, comme les _Gras scieurs_, dans lesquels il fallait voir les
_Gracieux_. Mais on rencontre encore aujourd’hui, dans les faubourgs,
des enseignes qui ont toujours le même attrait pour le populaire des
vieux quartiers de Paris, comme les suivantes: aux _Contents_ (au
comptant), à _l’Épi scié_ (à l’épicier), au _Verre galant_ (au vert
galant), au _Canon de la Bastille_ (place de la Bastille), au _Canon de
Bordeaux_, au _Grand I vert_ (au grand hiver), aux _Vieux par chemins_
(aux vieux parchemins), etc.[218]

[Illustration]

«L’enseigne de l’_Épi scié_, ou des _Épis sciés_ (épiciers), dit M. J.
Poignant, cette enseigne, qui jusqu’en 1855 a fleuri au-dessus d’un café
borgne du boulevard du Temple, servait peut-être au XVIIIᵉ siècle à
illustrer les officines de ces honorables industriels.» Nous avons vu ce
rébus de l’_épi scié_ (l’épicier) dans un livre de la fin du XVIᵉ
siècle. Quant à la fameuse enseigne de la _Femme sans tête_, il
appartenait à la galanterie française de lui faire réparation d’honneur,
en appliquant l’impertinente légende de _Tout en est bon_, non plus à
une femme décapitée, mais à un porc doré des pieds à la tête[219]. Enfin
nous avons recueilli, dans le quartier des Halles, au fameux _débit de
consolation_ de Paul Niquet, le dessin de son enseigne en rébus, peinte
sur le mur, avec beaucoup de talent, dans un cadre ornementé du meilleur
goût: elle représente une mappemonde portant écrit le mot POLE, un nid
avec trois petits oiseaux qui piaillent, un groupe de vaisseaux qui
élèvent leurs mâts derrière le quai d’un port, la lettre N avec
apostrophe dans une haie, des empreintes de pas, et un Maure assis, la
hache à la main. L’obscurité même du rébus fait le plus grand attrait de
l’enseigne, qu’il faut traduire tout bonnement par ces cinq mots: _Paul
Niquet n’est pas mort_.



XX

ENSEIGNES A INSCRIPTIONS, A PROVERBES, A DEVISES ET ENSEIGNES
IMAGINAIRES


Les enseignes avec inscriptions latines devaient être très nombreuses
aux XVᵉ et XVIᵉ siècles, mais ces enseignes pédantes n’étaient pas
faites pour le populaire. Nous ne parlerons pas ici des inscriptions
pieuses avec citations bibliques ou évangéliques: nous en avons parlé
dans les chapitres XI et XVI. Voilà longtemps que ces inscriptions ont
disparu, même dans le quartier de l’Université. Nous n’en citerons
qu’une, qui accompagnait le portrait d’un charlatan célèbre du XVIIᵉ
siècle, nommé Carmeline, lequel tenait ses assises sur le Pont-Neuf.
«Carmeline, qui étoit un fameux arracheur de dents et en remettoit
d’autres en leur place, avoit fait mettre, à côté de son portrait exposé
enveüe sur la fenestre de sa chambre, qui regarde le Cheval de bronze,
le mot de Virgile sur le Rameau d’or, au sixième livre de l’Énéide:

    Uno avulso non deficit alter,

et l’application en est heureuse[220].» La citation virgilienne pouvait
se traduire ainsi, en style de dentiste: «Une dent enlevée, une autre
dent ne manque pas de la remplacer.»

On voyait encore, il y a quelques années, une inscription latine gravée
sur la façade d’une maison fort ancienne, au coin des rues de la
Calandre et de la Cité, au-dessus de la boutique d’une lingère, qui ne
pouvait donner aucun renseignement sur cette inscription, que les
antiquaires cherchaient vainement à expliquer:

    Urbs me decolavit,
    Rex me restituit,
    Medicus amplificavit.

Ces trois lignes sont aisées à traduire: «La ville me décapita, le roi
me rétablit, un médecin m’augmenta.» Le bibliophile Jacob a donné une
explication ingénieuse de cette inscription énigmatique: «On pourrait
supposer, dit-il[221], que le voyer de Paris ayant fait abattre un ou
deux étages de cette maison, qui était trop haute, elle fut rétablie
dans son premier état, d’après les ordres du roi, et encore exhaussée
par un médecin qui la possédait; mais nous croyons plutôt qu’un crime
_détestable_ avait été commis dans une maison qui s’élevait à cet
endroit, laquelle fut démolie et la place laissée vide, en mémoire du
crime, par arrêt du Parlement. Le roi seul avait le droit d’infirmer un
arrêt de ce genre, en permettant de bâtir sur le terrain vague et
infâme.» Deux pages plus loin, le Bibliophile semble donner la preuve de
sa supposition: «Le samedi 24 janvier 1604, raconte Pierre de l’Estoile
dans son _Journal du règne de Henri IV_, un gentilhomme anglois tua, en
une maison de la rue de la Calandre, un élu de la ville, qui lui avoit
donné un soufflet, et eut sa grâce du roi, pource qu’il étoit Anglois.»

Les inscriptions étaient ordinairement plus intelligibles, et elles
servaient souvent à expliquer ce qu’il y avait d’obscur et d’inusité
dans les enseignes. Ainsi, il y a quelques années, on voyait dans le
quartier du Temple une enseigne représentant deux escargots qui se
faisaient amoureusement les cornes, avec cette légende: _A la
sympathie_. Il eût fallu certainement une inscription pour rappeler que
cette enseigne, assez étrange, avait été inaugurée vers 1851, à
l’occasion d’une des plus bizarres mystifications qui eussent jamais
préoccupé la société bourgeoise de Paris. Le poète romancier Méry, qui
eut le génie et presque le privilège de ces énormes mystifications
publiques, se prit à raconter dans les journaux qu’un savant
naturaliste, Jules Allix, qui devint plus tard membre de la Commune,
avait découvert qu’il existait une telle sympathie entre les escargots
mâles et femelles, qu’en séparant deux de ces mollusques, qu’on trouvait
collés l’un à l’autre pendant la saison de leurs amours, on pouvait les
employer en guise de télégraphe électrique, de telle sorte qu’ils
continuaient de communiquer ensemble à des distances incommensurables.
Par exemple, on gardait l’un en France, dûment mis en chartre privée, et
l’on envoyait l’autre en Amérique bien enfermé dans une boîte; alors,
grâce à la sympathie mystérieuse qui unissait les deux escargots, il
était facile d’établir entre eux un courant d’électricité, qui se
produisait simultanément de l’un à l’autre, en caressant légèrement avec
les barbes d’une plume l’extrémité des cornes de ces deux escargots. Le
professeur Allix était très sérieusement convaincu et personne ne douta
d’abord de la réalité de cette découverte, qui provoqua bientôt un
immense éclat de rire. Mais, deux ans après, l’enseigne des _Deux
Escargots_ survivait seule au souvenir du puff propagé par Méry et
Girardin pour mystifier _le bourgeois_. Nous croyons qu’une enseigne
qui, il y a peu d’années, se voyait à l’entrée de la rue Laffitte, chez
un gantier, était encore plus aisée à comprendre que celle des _Deux
Escargots_. Le gantier avait fait inscrire sur sa boutique: _Aux Deux
Sœurs_, et au dessous: _Nos peaux seules font nos gants_. Les deux sœurs
n’étaient autres que deux chèvres!

Les enseignes à proverbes et devises devaient être très nombreuses au
XVIᵉ siècle, mais il n’en reste peut-être pas une seule en place. Cette
espèce d’enseigne fut surtout appréciée de certains libraires et
imprimeurs de Paris, qui évitaient de donner un caractère religieux et
surtout protestant à leurs enseignes.

Voici, d’ailleurs, un petit spécimen de ces devises, en grec, en latin
et en français, joyeuses ou philosophiques, littéraires ou
professionnelles, qui étaient peintes sur des enseignes de libraires ou
d’imprimeurs, généralement au-dessous de leurs marques typographiques,
qu’on retrouvait gravées sur tous les livres sortant de leur imprimerie
ou de leur librairie: Jean Bignon portait autour de son écusson une
sorte de gibecière entre trois grenades: _Repos sans fin, sans fin
repos_.--Jean Barbier, au Palmier: _Honneur partout_.--Jean Bonfons, rue
Neuve-Notre-Dame, à l’enseigne Saint-Nicolas: une colombe sur un arbre
entouré d’un serpent: _Estote prudentes sicut serpentes, et simplices
sicut columbas_.--Gilles Couteau, un grand couteau et deux petits,
plantés au milieu d’arbustes: _Du grant aux petis_[222].--Simon de
Colines, le Temps qui fauche: _Hanc aciem sola retundit virtus_.--Galiot
du Pré, une galiote ou galée: _Vogue la galée_ (jeu de mots sur la
_galée_, espèce de cadre à rebord où le compositeur d’imprimerie met les
lignes à mesure qu’il les compose).--François Estienne, un cep de vigne
chargé de grappes de raisin: Πλέον έλαίου ἤ οἴνου. _Plus olei quam
vini._--Gilles de Gourmont, l’écu de ses armoiries soutenu par deux
cerfs ailés et ayant pour cimier saint Michel qui terrasse le démon (il
avait été anobli par le roi):

      Tost ou tard, près ou loing,
    A le fort du feble besoing.

Denis Janot, un chardon: _Nul ne s’y frotte_.--Pierre le Brodeux, à
l’Oranger, avec son écu d’armoiries: _Lege cum prudentia, stude cum
sapientia, metue cum patientia_.--Frédéric Morel, avec un arbre feuillu:
Πᾶν δέηδρον άγαθὁν χαρποὔς χαλους ποιεί.--Gérard Morrhy, la fée
Mélusine: _Nocet empta dolore voluptas_.--Denis Roce, son écu soutenu
par deux griffons: _A l’aventure tout vient à point qui peut
attendre_.--Geoffroy Tory, le Pot cassé, dans lequel poussent des
fleurs: _Non plus_, et au dessous: _Omnis tandem marcessit
flos_.--Pierre Vidoue, la Fortune: _Audentes juvo_.--Laurent Le Petit:
un écusson soutenu par deux licornes:

    Chascun soit content de ses biens:
    Qui n’a suffisance n’a rien.

[Illustration]

Il faut remarquer que la devise, qui se rapportait souvent à un emblème
ou à un rébus, pouvait n’avoir aucune analogie avec l’enseigne
proprement dite. Cette devise-là était généralement énigmatique, car
elle avait trait à quelque détail intime de la vie ou du caractère de
l’homme. Ainsi la devise de Geoffroy Tory était-elle aussi difficile à
comprendre que sa célèbre enseigne du _Pot cassé_. Geoffroy Tory prit
cette devise (_non plus_) et adopta cette enseigne (le Pot cassé), après
la perte qu’il avait faite d’une fille bien-aimée. Parfois, une enseigne
pouvait être aussi peu compréhensible qu’une devise. Pourquoi une maison
de la rue Saint-Antoine avait-elle en 1361 l’enseigne de l’_Ours_?
C’est que cette maison appartenait à l’abbaye d’Ours-champs[223]. Or,
nous retrouvons encore cette vieille enseigne de l’_Ours_ dans la rue du
faubourg Saint-Antoine. Pourquoi une maison de la rue du
Renard-Saint-Sauveur avait-elle pour enseigne, en 1382, un renard, qui
donna son nom à la rue? C’est que cette maison appartenait à maître
Robert Renard[224].

Ces enseignes analogiques furent peut-être l’origine des enseignes
imaginaires et des satires à l’enseigne qui eurent tant de vogue pendant
les XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, où elles amusaient alors la cour et la
ville. Ces enseignes imaginaires apparaissent, dès le commencement du
XVIᵉ siècle, dans le monologue en vers intitulé: _le Pèlerin passant_,
que nous avons analysé au chapitre des enseignes d’hôtelleries. Ce
monologue semble avoir été imité très ingénieusement dans l’envoi du
_Paysan françois_ à la reine Marie de Médicis, que l’auteur supplie de
lui donner bon gîte:

    Je logeai au _Dauphin_, à petit hostellage,
    Ne pouvant à l’_Escu_, pour y peu dépenser,
    Ni à la _Fleur de lys_, car il y fait trop cher:
    Hôtelleries des grands, non des gens de village.
    Je fus bien, toutesfois. «Puissé-je, dis-je alors,
    Trouver à me loger au _Dauphin_ toujours, lors
    Que dans la _Fleur de lys_, ou à l’_Escu de France_,
    Je ne pourrai loger.» Or, encores dit-on
    Que l’on est bien traitté et qu’en somme il fait bon
    A l’_Escu Médicis_, ou celuy _de Florence_[225].

Dans les _Logements de cour de Louis XIII_[226], l’auteur choisit ces
logements à différentes enseignes, comme s’il était le maréchal des
logis de la cour. Il marque le logis du roi à l’_Aigle impériale_; il
aurait désiré loger la reine _au Dauphin_, mais, faute de mieux, il la
loge à l’_Espérance_. Il retient trois logements, au lieu d’un, pour le
cardinal de Richelieu: la _Couronne ducale_, l’_Ancre_ et l’_Écu de
Bretagne_. Il loge assez malheureusement Monsieur, frère du roi, au
_Grand Serf_. Il marque l’_Homme d’Argent_, pour M. le prince de Condé;
la _Cage_, pour M. le comte de Soissons; mais les deux princes préfèrent
loger à la _Bannière de France_; Il loge M. de la Valette à l’_Épée
royale_; le chancelier, au _Cerf volant_; le général des galères
Pont-Courlay, au _Chameau_; le P. Joseph, au _Chapeau rouge_; le grand
maître de l’artillerie, à la _Harpe_; le surintendant des finances
Bullion, au _Mortier_; Bouthillier, autre financier, au _Bras d’Or_; le
trésorier du Houssay, au _Cheval bardé_; le président de la Chambre des
comptes, Cornuel, à la _Galère_; M. d’Émery, à l’_Écu de Savoie_; les
secrétaires, à la _Main d’Argent_; la nièce de Richelieu, Mᵐᵉ de
Combalet, qui voulait avoir l’_Écu de Bourbon_, et qui ne peut pas même
se loger à l’_Écu d’Orléans_, sera contrainte de prendre l’_Abbaye_.
L’_Écu de Milan_ est réservé à M. de Créqui; un grand prélat, qu’on ne
nomme pas, devra loger au _Moulin à vent_.

Sous le règne de Louis XIV, en 1677, les logements ont bien changé, avec
les personnes à loger; le duc de Mazarin loge à la _Seringue_, près les
Petites-Maisons; Madame de Bourbon, à la _Linotte_, rue du Moulinet;
Mademoiselle, à _l’Espérance_, rue Dauphine. Dans une _Mazarinade_ de
1649, le château de Saint-Germain étant occupé par la reine
d’Angleterre, force est de chercher dans la ville les logements de la
cour de France; voici quelles étaient les enseignes de ces logements:
«Nous choisîmes, pour le roy, le _Mouton_; Monsieur fut logé au
_Papillon_, et la reine, au _Chapeau rouge_; mais, parce que le logis et
principalement les chambres étoient mal accommodés, nous y logeâmes son
train, et sa personne eut pour elle le _Saucisson d’Italie_, bien qu’il
luy fût fort agréable pour la gentillesse; les filles furent logées à la
_Petite Vertu_; M. le cardinal fut logé à la _Harpe_, la _Couronne_ luy
ayant été desniée.»

Sous le règne de Louis XV, les enseignes imaginaires prêtèrent fort aux
épigrammes. Nous allons citer les meilleures que l’on en tira dans le
petit pamphlet intitulé: _Noms et demeures des principaux acteurs du
théâtre d’aujourd’hui_. «Le roi loge à la _Beauté couronnée_, rue des
Innocents; le cardinal de Fleury, à la _Cassette de Diamants_, rue des
Mauvaises-Paroles; le Moliniste, au _Fil retors_, rue d’Enfer; M.
Hérault loge à l’_Occasion_, rue Tirechape; le garde des sceaux
Chauvelin, à la _Petite Vertu_, rue Cloche-Perce; M. le chancelier
d’Aguesseau, à la _Casaque retournée_, rue de Judas; le cardinal de
Rohan, au _Bon Valet_, rue des Aveugles; la nouvelle Sorbonne, à la
_Carcasse_, rue des Aveugles; le peuple, à la _Besace_, rue des
Martyrs[227].»



XXI

ENSEIGNES SINGULIÈRES, GROTESQUES, RIDICULES


Il y eut de tout temps des enseignes bizarres, extravagantes,
saugrenues, qui n’en avaient pas moins de vogue et de célébrité.
Quelques-unes, comme celle de la _Truie qui file_, eurent une popularité
extraordinaire et furent reproduites dans toutes les villes de France,
au moyen âge, sans qu’on puisse bien se rendre compte de ce que
signifiaient ces figures caricaturales et sans doute satiriques qu’on
retrouvait sur les sculptures des chapiteaux de colonnes et de piliers,
dans la plupart des cathédrales gothiques, ainsi que sur les
encadrements fleuronnés des Heures manuscrites. Cette _Truie qui file_,
dont le type original est encore visible dans une enseigne sculptée de
la rue Saint-Antoine (voir chap. V, p. 92), se montre dans les tours de
pages en miniature des manuscrits liturgiques, comme dans les ornements
sculptés de l’architecture des XIIIᵉ et XIVᵉ siècles. Cette _Truie qui
file_ apparaît, dès l’année 1301, comme enseigne d’une maison de la
Halle-aux-Poirées, appartenant à l’Hôtel-Dieu, et cette maison portait
encore la même enseigne en 1654[228]. Il y avait une autre _Truie qui
file_, en 1389, dans la rue Grenier-Saint-Ladre[229]. Cette Truie qui
file, dans laquelle les savants ont voulu reconnaître la reine Pedauque,
c’est-à-dire la reine Berthe, femme du roi Robert, était, suivant
d’autres érudits, une création légendaire et fabuleuse des romans de la
Table ronde. On pourrait disserter à perte de vue sur cette tradition
fabuleuse du moyen âge. Rien n’était plus populaire que cette
enseigne-là; elle est citée dans les conteurs du XVIᵉ siècle, notamment
dans le _Moyen de parvenir_ de Béroalde de Verville; on la retrouve dans
le _Ballet de la Mi-Carême_, dansé à la cour sous le règne de Louis
XIII: deux fous vont visiter la Truie qui file, sans soupçonner que ce
soit une enseigne[230]. Devant cette petite sculpture en pierre, les
garçons de boutique, les apprentis, servantes et portefaix des halles se
livraient à toutes sortes de folies, le jour de la mi-carême. Cette
enseigne était assez connue pour qu’on y fît souvent allusion dans la
conversation. Lorsqu’au mois de juin 1593, le duc de Feria, ambassadeur
du roi d’Espagne, vint proposer aux États de la Ligue de faire nommer
par le roi, son maître, un prince français catholique qui monterait sur
le trône de France, le duc de Mayenne ne trouva pas bonne cette
proposition. Alors un des fougueux prédicateurs qui étaient à la solde
de l’Espagne monta en chaire, à Saint-Merry, pour _prêcher_ le duc de
Mayenne, et dit de lui «qu’une quenouille eut été plus propre qu’une
épée à ce gros pourceau,» et tout le monde comprit cette allusion à la
_Truie qui file_[231].

Le vieux Paris pouvait alors montrer plusieurs enseignes du même genre,
qui n’avaient pas autant de notoriété, mais qui ne devaient pas être
moins plaisantes: _l’Ane qui viole_, un âne qui jouait de la viole; _la
Nonnain qui ferre l’oue_ (l’oie), près de la chapelle de Braque[232];
_la Pie aux Piats_ (ses petits); _la Vieille qui bat le cabas_,
c’est-à-dire qui cherche à tromper le monde; _l’Étrille Fauveau_,
allusion au vieux roman de _Fauvel_, etc. Plusieurs de ces enseignes
n’ont pas pour nous un sens appréciable. C’étaient des équivoques, des
_entend-trois_ ou des amphibologies, des énigmes, des _contrepeteries_,
etc. Nous avons remarqué deux ou trois maisons à l’enseigne du _Bastoy_,
c’est-à-dire du _Battoir_: n’était-ce pas des lavoirs, où les
lavandières exposaient en écriteau leur devise professionnelle,
qu’Étienne Tabourot a consignée dans les _Bigarrures du Seigneur des
Accords_: «Les lavandières ont un proverbe ordinaire: _Si vous l’avez,
ne le prestez pas; si vous ne l’avez pas, prestez-le-moy_, qui s’entend
d’une palette ou battoir propre à laver les draps?» L’équivoque consiste
dans le mot _lavez_ ou _l’avez_. Les équivoques des enseignes n’étaient
pas plus décentes au XVIIIᵉ siècle qu’au XVIᵉ, témoin l’enseigne du
serrurier Ledru: «Au-dessus du petit portail de la Foire Saint-Germain,
qui fait face à la rue des Quatre-Vents, écrivait Auguste Poullain de
Saint-Foix en 1805, on lisait encore, l’année dernière, cette
inscription:

    Ledru, qui a inventé la manière
    De poser les sonnettes dans le cul
    De sac à côté.

«Cette inscription a, dit-on, fait la fortune du serrurier qui en est
l’auteur; elle a existé pendant longtemps. L’équivoque, au reste, ne
provenait que de la façon dont les mots étaient écrits.» Cette enseigne
que tout Paris alla voir était donc une de celles qui, d’après l’opinion
candide du neveu de l’auteur des _Essais historiques sur Paris_, «ne
font point d’honneur au goût des Français». Il en cite une autre, qui
était un chef-d’œuvre d’absurdité, quoique ce fût l’enseigne d’un habile
ingénieur opticien: «Dans la rue Saint-Antoine, en face de la rue
Geoffroy-Lasnier, on découvre un aigle assez mal figuré. Cet aigle tient
dans son bec un mouton qui n’a pas la dixième partie de la grosseur de
l’oiseau; à peine le voit-on. Au-dessous, cette inscription: «Avec mes
ailes je coupe les vents, et le baromètre sous moi annonce les
changements de temps[233].» Il y a eu d’ancienne date, il y aura
toujours des sots, même en matière d’enseignes. On a vu longtemps, rue
Mouffetard, nº 108, un marchand d’habits, qui s’était donné cette
enseigne: _A l’Asticot_. Le tableau représentait un pêcheur à la ligne,
qui, croyant avoir pris un goujon, tirait de l’eau une culotte.

[Illustration]

Les sages-femmes ont eu, de tout temps, la spécialité des enseignes
équivoques et gaillardes, qui faisaient une partie de leur notoriété.
Balzac décrit deux de ces enseignes dans son _Petit Dictionnaire_, et
nous n’avons pas négligé de les reproduire dans notre chapitre XXIV,
parce qu’elles sont accompagnées de vers. Nous citerons ici une autre
enseigne de sage-femme et la plus réjouissante de toutes, avec une
plaisante inscription: _J’ouvre la porte à tout le monde_. Cette
enseigne facétieuse a longtemps amusé les flâneurs sur le quai
Saint-Paul.

Certaines enseignes ont constamment mis en éveil la curiosité des
passants, qui ne les comprenaient pas et qui cherchaient à en trouver le
sens. Telle fut l’enseigne à l’_Y_. Le sieur de Blegny, sous le
pseudonyme d’Abraham du Pradel, cite dans son _Livre commode des
Adresses de Paris_, en 1692, une de ces mystérieuses enseignes à l’_Y_:
«Les aiguilles et les épingles, dit-il, se vendent en gros, près la
Croix du Tiroir, à la _Loupe d’Or_, et, rue de la Huchette, à l’_Y_.» Le
commentaire que j’ai joint à mon édition du _Livre commode_[234]
présente une assez amusante étymologie: «Cette dernière enseigne a
besoin d’être expliquée, ai-je dit. Autrefois on appelait le
haut-de-chausses: _grègues_, _grèques_, à cause de la ressemblance avec
les courtes et larges culottes des Grecs. Le nœud de ruban, que les
merciers vendaient pour l’attacher au pourpoint, se nommait
_lie-grèques_. Or, c’est de ce mot, un peu modifié, que vient notre
enseigne. De _lie-grèques_, en forçant légèrement la prononciation, on
eut l’Y, et la fameuse lettre fut ainsi acquise aux merciers. Elle a,
d’ailleurs, la forme d’une culotte, les jambes en l’air, et par là
convient d’autant mieux, comme armes parlantes, à ces marchands de
culottes et de caleçons.» Adolphe Berty nous avait appris que l’_Y
grégeois_ existait dès 1527 dans les enseignes de Paris. Était-ce la
même enseigne que celle signalée par le sieur de Blegny? Était-ce la
même que celle que l’on voyait encore, en 1854, quai Saint-Michel, et
que relevait cette inscription: _Maison fondée en 1690_? Était-ce la
même que celle qui a été sculptée sur la façade de la maison qui porte
le nº 14 dans la rue de la Huchette? (Voir chap. III, p. 41-43.)
Question peu importante, mais difficile à résoudre. Dans tous les cas,
les enseignes à l’_Y_ sont encore fréquentes chez les merciers de
province, qui ne connaissent pas, à coup sûr, l’origine de leurs
enseignes.

Alfred Bougy avait imaginé une autre interprétation de l’Y des
enseignes, et nous l’aurions adoptée sans doute, si son auteur n’eût pas
attribué ces enseignes aux bonnetiers, tandis qu’elles ont toujours
appartenu exclusivement aux merciers; or, merciers et bonnetiers
formaient deux corps d’état absolument distincts et différents. Mais
l’explication proposée par Alfred Bougy est assez ingénieuse pour qu’on
n’y renonce pas sans regret, la voici: «On se demande souvent pourquoi
les bonnetiers mettent, de très ancienne date, sur leurs devantures, un
Y et quelquefois plusieurs. J’ai toujours pensé, quant à moi, que les
marchands de bas ont trouvé original de s’annoncer au moyen d’un
caractère muni de deux jambes et figurant assez bien un saltimbanque qui
fait l’arbre fourchu. Ce même caractère convient également aux marchands
de chemises et de camisoles de tricot, car ils peuvent dire que l’Y est
pourvu de deux bras qu’il lève théâtralement vers le ciel pour implorer
la faveur d’une bonne et nombreuse clientèle[235].»

Le comte de Laborde, qui avait trouvé l’Y grégeois dans les inventaires
de bijoux du XIVᵉ siècle, n’a pas songé à le chercher sur les enseignes
des merciers; il s’est contenté de faire observer que cet Y, sur des
fermails ou des anneaux d’or, pouvait représenter la forme d’une croix
ou plutôt du Christ crucifié[236]. Nous y voyons plus volontiers, comme
sur quelques marques et enseignes de libraires, l’emblème symbolique du
libre arbitre: la route aboutissant à deux voies inégales, _via lata,
via arcta_.

Il est une autre lettre de l’alphabet, le _V_, auquel on avait donné, en
le colorant de vert, un sens fixe, qui se représentait invariablement
dans les enseignes à rébus. Ainsi le comte de Laborde, dans son
_Glossaire des émaux et bijoux du Musée_, décrit, d’après un inventaire
des ducs de Bourgogne, un annel d’or, émaillé de W verts, sous la date
de 1399[237]. Ces W verts voulaient dire: Vertus. Nous devons avouer ne
pas comprendre cette interprétation généralement admise. Ainsi Tabourot,
dans ses _Bigarrures du Seigneur des Accords_, nous présente cette
devise: _Pensées en vertu sont nettes_, dans un rébus qui pourrait bien
avoir figuré sur l’enseigne d’un fabricant de sonnettes: un V vert, dans
lequel sont implantées une tige de pensées et deux sonnettes. La
première édition des _Mémoires de Sully_, imprimée en deux volumes
in-folio, au château de Sully, en 1638, à l’enseigne des _Trois V
verts_, c’est-à-dire des Vertus, offre ces V peints en vert, avec la
légende: _Foy, Espérance, Charité_. La lettre S, traversée par une
barre, a dû sans doute figurer aussi en rébus sur des enseignes, comme
à la fin des lettres d’amour et d’amitié, car Tabourot n’a pas oublié
cette lettre-rébus, qu’il explique ainsi: «Une S fermée par un traict,
pour dire fermesse, au lieu de _fermeté_.» Le sens de ce rébus était si
bien hors d’usage, que les savants de notre temps, qui ne lisent pas les
_Bigarrures du Seigneur des Accords_, s’étaient mis en quête de cette
explication et se sont disputé l’honneur de l’avoir trouvée, sans
l’avoir cherchée sur les enseignes.



XXII

LES ENSEIGNES-ADRESSES DES MARCHANDS


Le savant M. Louis Courajod, dans l’excellente étude qu’il a consacrée à
la Curiosité, en tête du _Livre-Journal_ de Lazare Duvaux[238], n’a pas
oublié de mentionner ces adresses gravées, qui sont ordinairement la
reproduction fidèle des enseignes des marchands. «Ces marchands, dit-il
en parlant de ceux qui composaient l’état-major de la bijouterie au
XVIIIᵉ siècle, outre leurs enseignes dont Watteau nous a laissé un
spécimen remarquable[239], avaient encore des adresses, c’est-à-dire
qu’ils faisaient graver des planches de cuivre indiquant leur demeure,
le symbole sous lequel ils avaient établi leurs boutiques, énumérant les
différents objets qu’ils offraient aux acquéreurs, et figurant les
principaux attributs de leur commerce. Comme ils commandaient fort
souvent ces adresses aux plus habiles dessinateurs et aux meilleurs
graveurs de leurs contemporains, on composerait une jolie collection en
rapprochant les gracieux cartouches qui contiennent leurs noms, leurs
demeures et les ingénieux symboles qui personnifiaient leur industrie.»
M. Courajod ne parle que des enseignes-adresses ou adresses-enseignes
les plus intéressantes, pour le dessin et la gravure, que les
marchands-bijoutiers du XVIIIᵉ siècle avaient fait exécuter, et qui leur
servaient non seulement d’annonces et de prospectus, mais encore de
factures de leurs marchandises.

Ces gravures, dont l’usage remonte certainement aux premières années du
XVIIᵉ siècle, nous font connaître le sujet et la disposition d’un
certain nombre d’enseignes qu’il serait impossible d’apprécier sur une
simple désignation. Ainsi, au XVIIIᵉ siècle, l’enseigne d’une boutique
où se vendaient des objets de mode et de luxe était entourée
généralement d’ornements dans le style rococo, avec des attributs et des
emblèmes peints ou dorés. Nous n’avons découvert aucune de ces
adresses-enseignes avant l’année 1660 environ, mais nous attribuons à
leur invention et à leur emploi dans le commerce de Paris une date
antérieure au plus ancien spécimen connu, qu’on ne saurait considérer
comme l’essai d’un nouveau système d’annonce marchande. Nous devons donc
nous borner à passer en revue chronologiquement les enseignes-adresses
que nous avons vues et dont la plupart nous sont communiquées par un
célèbre amateur[240]; ce sera la meilleure manière de mettre sous les
yeux du lecteur les principales enseignes de Paris pendant plus d’un
siècle.

Nous ne devons pourtant pas négliger de mentionner une espèce
d’affiche-enseigne que M. Alfred Bonnardot a trouvée dans un recueil de
pièces concernant la vente de l’hôtel de _Bourgogne_, en 1543, et qui
servait à indiquer des places de terrain à vendre, _selon les
pourtraicts et figures qui auroient esté faicts et attachez sur des
tableaux de bois, ès portes desdits hostels, ès portes du palais du
Chastelet et autres lieux_. «Ce détail est curieux relativement aux
ventes d’immeubles, nous fait observer M. Bonnardot; il s’agit
probablement ici d’une affiche peinte[241].»

Il y a, dans l’œuvre d’Abraham Bosse, au Cabinet des Estampes de la
Bibliothèque nationale, quatre ou cinq adresses-enseignes gravées de
marchands, qui ne portent pas de date, mais qu’on peut placer sous
l’année 1660, à l’époque où l’artiste, ayant perdu beaucoup de sa
réputation, était forcé d’accepter des travaux presque indignes de lui.
Ces adresses-enseignes, dessinées et gravées par Abraham Bosse, devaient
être plus nombreuses que celles qui nous ont été conservées, car
Mariette, dans ses notes manuscrites, en mentionne trois autres que la
Bibliothèque nationale ne possède pas. La plupart de ces
adresses-enseignes devaient servir de passe-partout, en quelque sorte,
pour tous les marchands, qui pouvaient y ajouter à la plume leurs noms
et des détails relatifs à leur commerce car elles laissaient en blanc la
place de l’enseigne et du nom du marchand; ainsi trois des
adresses-enseignes que nous avons sous les yeux représentent trois
femmes, avec les attributs de la Fidélité, de la Renommée et du Commerce
soutenant un écriteau sur lequel on lit: Nº AU, et un espace blanc
réservé pour l’addition manuscrite. Comme les armoiries de la ville de
Tours sont au bas de la page, on doit supposer qu’elles ont été faites
pour des marchands de la ville de Tours, la ville natale d’Abraham
Bosse, qui s’y retira et qui y mourut. Sur une de ces
adresses-enseignes, les armoiries de Tours ont été remplacées par ces
mots: _Fabrique de Isaac Chardon_. Toutes ces gravures sont anonymes.
Celle qui pourrait avoir été faite pour un marchand de Paris offre
l’Agneau pascal portant une croix avec une oriflamme; on lit au bas:
_Gans de l’Agneau Pascal_. Cette pièce a 80 millimètres de haut sur 108
de large. Nous croyons que l’_Agneau Pascal_ était une enseigne de
Paris, et Pascal le nom du marchand[242].

La plus ancienne de ces enseignes-adresses, avec des noms de marchands
de Paris, c’est-à-dire la première de cette espèce que nous ayons pu
découvrir, est celle de deux marchands d’étoffes de soie: c’est une
eau-forte, format in-4º, qui ne porte pas de date, mais Hennin l’a
placée, sous la date de 1682, dans sa grande collection d’estampes
historiques[243]. La voici:

«_A la Teste noire._ Verdier et Dumazelle, marchands, rue des
Bourdonnois, à la _Teste noire_, vendent toutes sortes d’étoffes de
soye, de draps d’or et d’argent, des taffetas, popeline, moires, ras de
Saint-Maur, grisettes, et généralement toute sorte de soyerie, en gros
et en détail.»

Il y a, dans la collection alphabétique des Portraits, à la Bibliothèque
nationale, une autre eau-forte, de format in-8º, sans date, mais signée
par Ertinger, né à Colmar en 1640, ce qui nous permettrait de reporter
cette pièce à l’année 1676 ou 1678; en voici la description:

«_Au Buste de Monseigneur._ A la rue Dauphine, vis-à-vis la rue d’Anjou,
à Paris, M. Savin peint, à l’huile, à fresque, à détrempe et en
miniature, des Tableaux d’Histoire sainte, grecque et latine,
Métamorphoses, Portraits, etc.; dessine et peint Médailles, Devises,
Emblèmes, Blason, Perspective, Architecture civile et militaire,
décorations pour les Églises et les Spectacles, ornemens pour les
Maisons religieuses et séculières, desseings pour les graveurs et pour
ouvrages en broderie sur satin, moire et taffetas, rehaussés d’or et
d’argent, etc. Il enseigne à dessiner et à peindre avec facilité, et a
plus de 200 tableaux à vendre sur toute sorte de sujets et en
miniature.»

La troisième enseigne-adresse connue est de la plus grande beauté et
porte une date certaine; elle est de format in-folio, dessinée dans le
goût de Lebrun et admirablement gravée par Antoine Dieu; si elle
reproduit fidèlement l’enseigne de la boutique de ce peintre, elle nous
donne une grande idée de ce que pouvaient être les enseignes à cette
époque.

«_Au Grand Monarque._ Le sieur Dieu, Mᵉ peintre, à Paris, sur le
Petit-Pont, proche la porte de l’Hostel-Dieu, fait et vend toutes sortes
de tableaux, tant d’histoire que de dévotion et autres; tous les
Portraits de la Cour, grands et petits, en bordures ovalles et quarrées;
bordures tant dorées que d’autres façons, pieds de pendules, pieds de
porcelaines, crucifix sur velours et autres ouvrages de sculpture et
dorure, images de vélin, de cole de poisson et roche de toutes façons,
et généralement toute sorte d’ouvrages de peinture, sculpture, dorure,
et le tout à prix raisonnable et en tient magazin en gros et en
détaille. 1698.--_Ant. Dieu inv. et sculps._»

Cette adresse est surmontée du portrait de Louis XIV, en buste, couvert
d’une armure, dans un cadre ovale, soutenu par deux Renommées;
au-dessous, à droite, la France, sous les traits d’une nymphe couronnée
de lauriers, tenant une pique à la main, foule aux pieds la Discorde
vaincue.

Citons encore une gravure, de même format, plus naïve et moins finement
exécutée, qui paraît être du même temps, mais qui n’a pas de date. Ce
n’est plus un peintre, c’est un simple perruquier suisse:

«_Aux Treize Cantons suisses._ Le Petit Suisse, marchand perruquier,
fait et vend toutes sortes de perruques et des plus à la mode, vend
aussi toutes sortes de cheveux de France, d’Angleterre, de Hollande,
Flandre, Allemagne et d’autres des plus beaux, en gros et en détail:
demeurant à Paris, sur le quay de l’Orloge du Palais, entre les deux
grosses tours. _Ladame scul._»

[Illustration]

Au-dessous de l’inscription de l’enseigne, dans un encadrement formé des
armes des treize cantons, est représenté le portrait d’un personnage, en
tête à perruque, posée sur un tapis fleurdelisé, avec cette légende: _C.
Patu, autrement renommé le Petit Suisse_. Ce Patu, qui devait être
fameux pour les perruques, comme les grands perruquiers Binet et Pascal,
n’est pourtant pas nommé dans le _Livre commode_ d’Abraham du Pradel
(Nicolas de Blegny).

Voici encore une petite adresse-enseigne des dernières années du règne
de Louis XIV:

«_Au Perroquet_, rue Petite-Truanderie, proche les Halles, la veuve
Beltemont, marchande teinturière, vend toutes sortes de fils, etc.
Paris, 1711.»

Nous abordons la régence du duc d’Orléans avec une enseigne-adresse qui
n’a pas de date, mais dont les équivoques du texte et de la gravure
annoncent que l’esprit gaulois veut reprendre tous ses droits, au risque
d’effaroucher les derniers représentants du règne de Mᵐᵉ de Maintenon:
_A la Vice d’Or couronnée_. C’est une vis de forme assez étrange, qui
est représentée, sous une couronne, au-dessus du cadre ornementé, où
figurent tous les instruments et outils de la coutellerie.

«_A la Vice couronnée._ Hebert, maître coutellier à Paris, rue de
l’Arbre-Scec, à la _Vice d’Or couronnée_, fait de bons razoirs,
lancettes, couteaux, cizeaux, trépans et toutes sortes d’instrumens
servans aux chirurgiens et barbiers, et vend de très bonnes pierres à
razoirs, comme aussi de bons cuirs.»

Au-dessous, de chaque côté, deux Amours assis, tenant l’un une serpette,
et l’autre une sorte de cisaille, qui affectent des formes inusitées,
lesquelles avaient leur raison d’être sous la Régence.

C’est encore une enseigne-adresse de coutelier qui nous offrira la date
de 1715, mais sans jouer sur les mots, comme la pièce précédente; les
instruments de la coutellerie sont également représentés au-dessous du
nom de l’enseigne:

«_Au Pied de Biche._ Jacques Aumounin, maître coutellier, à Paris,
demeurant rue du Mail, à l’enseigne du _Pied de Biche_, etc., 1715.»

Nous sommes en pleine Régence, avec l’enseigne des _Trois Pucelles_,
qui, néanmoins, n’a pas de date. Cette enseigne, surmontée de la
couronne royale, est agrémentée dans le style rococo, avec des éventails
de toute espèce.

«_Aux Trois Pucelles_, rue Saint-Denis, entre la Fontaine des
Saints-Innocents et la Picardie, Prevoteau vend toutes sortes
d’éventails de nacre, yvoire, baleine, montés en peau, papier et
taffetas, des plus à la mode; tient aussi magasin de dentelle noire,
blonde de soye, taffetas pour mantelets; le tout en gros et en détail. A
Paris.»

Puis viennent deux enseignes-adresses de joailliers, qui n’ont pas de
date, mais qui sont du même temps, c’est-à-dire du commencement du règne
de Louis XV; ces deux joailliers ont la même enseigne et la même
adresse, l’un ayant succédé à l’autre:

«_A la Gerbe d’Or_, rue Saint-Antoine, vis-à-vis la vieille rue du
Temple, Dessemet, marchand orfèvre, joaillier, fait, vend et achète
toutes sortes d’ouvrages d’orfèvrerie, tant en or qu’en argent, achète
les galons brûlés ou non brûlés et les vieilles vaisselles; il vend et
achète toutes sortes de jettons. Le tout à juste prix.»

L’enseigne est dans un ovale rococo, terminé en corne d’abondance, d’où
s’échappent quantité de menus bijoux, et tout à l’entour figurent les
objets d’argenterie qui composent le commerce de l’orfèvre.

L’adresse-enseigne de La Chambre, marchand orfèvre _joyailler_, est
tout à fait semblable à celle de Dessemet; on n’y a changé que le nom du
marchand.

Deux enseignes-adresses de doreurs, datées, dont l’une offre ces jeux de
mots qui témoignaient du caractère jovial et de l’esprit facétieux de
certains marchands de Paris:

«_Au Coq lié de Perles_, rue de la Verrerie, vis-à-vis les murs de
l’église Saint-Mery, Collié, maistre marchand doreur, argenteur sur
métaux, etc. 1726.»

Ce _Collié_ ou _Coq lié_ eût sans doute mieux réussi, avec son
calembour, au XVIᵉ siècle qu’au XVIIIᵉ. Son confrère Passevin avait une
enseigne plus simple et moins bizarre.

«_A la Providence_, rue de la Verrerie, au coin de la rue des Coquilles,
Passevin, maistre et marchand doreur. Paris, 1725.»

Son enseigne-adresse, sans image, avait été imprimée par P. Gissey, rue
de la Vieille-Boucherie, à l’_Arbre de Jessé_.

On mettait sans façon sur des adresses comme sur les enseignes les
portraits des princes morts et vivants, et lors même que ces portraits
étaient horriblement peints, personne n’y trouvait à redire, car le
marchand ne songeait qu’à placer son commerce sous une bonne
recommandation, en cherchant sa clientèle parmi les gens de cour.

«_Au Duc de Bourgogne_, quay de Gesvres, maison de la _Coquille d’Or_,
Boucard fait et vend toutes sortes de bonnes éguilles, épingles
d’Angleterre et de Paris, cire d’Espagne, cure-dents, fers à coëffer,
dez à coudre de Blois et de Paris, et toutes sortes d’aiguilles à
tapisseries de Langres et de Blois, etc. 1728.»

«_Au Prince de Condé_, Bruno, doreur ordinaire des équipages et
vennerie de Monseigneur le Duc, qui demeuroit cy devant rue des
Prouvaires, près Saint-Eustache, demeure présentement rue des
Mauvais-Garçons, faubourg Saint-Germain, au _Prince de Condé_. Paris,
1733.»

Nous avons, pour les années 1735 et 1737, un tabletier, un fondeur et
deux quincailliers, avec de bien singulières enseignes[244]:

«_Au Singe verd_, rue des Arsis, proche Saint-Mery, Auxerre, tabletier,
etc. 1735.»

Ce singe vert est représenté jouant seul au trictrac.

«_A la Renommée des Trois Chandeliers_, rue des Arcis, du côté de la rue
de la Haute-Vannerie, La Vache, fondeur, etc., 1737.»

L’enseigne représente une Renommée, sonnant de la trompette, au milieu
d’une quantité d’objets d’église et de luxe mondain, parmi lesquels sont
trois chandeliers de différentes formes.

«_Au Mulet chargé._ La Mulle et Doublet, marchands, rue de la Monnoie,
près le Pont-Neuf, vendent et achètent toutes sortes d’armes et de
marchandises de clinquaillerie, etc. 1737.»

Le mulet chargé de l’enseigne rappelait au client que les deux marchands
La Mulle et Doublet portaient une double charge dans leur commerce et
demandaient un peu d’aide.

Mais les enseignes-adresses avaient produit de si heureux résultats pour
les marchands qui y avaient recours, que chacun s’ingéniait à faire
mieux que son voisin. Gersaint, qui avait eu la bonne fortune de
recommander son magasin par une enseigne peinte de la main de Watteau,
voulut avoir une adresse-enseigne dessinée et gravée par Boucher. Cette
adresse est ainsi décrite par M. Louis Courajod: «Un Chinois ou un
Japonais, la tête et les épaules couvertes d’une épaisse fourrure qu’il
soulève, et tenant une pagode à la main, est assis sur un cabinet de
vernis de la Chine. Il semble contempler au-dessous de lui divers objets
disposés au pied d’une console, sur laquelle est posé le cabinet de la
Chine. Ce sont les principaux meubles vendus par les marchands de
curiosités, entre autres des tableaux, un coq de porcelaine, un miroir
des Indes, des éventails, des manchettes, des rouleaux d’estampes, un
cabaret, des coquillages, des pièces de minéralogie, une guitare,
etc[245].» L’adresse est gravée au bas de l’estampe:

«_A la Pagode_, Gersaint, marchand jouailler, sur le pont Notre-Dame,
vend toute sorte de clinquaillerie nouvelle et de goût, bijoux, glaces,
tableaux de cabinet, pagodes, vernis et porcelaines du Japon,
coquillages et autres morceaux d’histoire naturelle, cailloux, agathes
et généralement toutes marchandises curieuses et étrangères, à Paris,
1740.»

Toutes les adresses-enseignes n’étaient pas aussi intéressantes, et bien
souvent le marchand ne faisait pas des frais de gravure pour son
enseigne, qu’il se contentait d’indiquer sur ses adresses, comme dans
celle-ci:

«_A la Belle Teste_, Pevèrie, maître-tourneur, demeurant rue aux Ours,
au coin de la rue Quinquempoix, fait et vend toutes sortes d’ouvrages au
tour, savoir: fauteuils et chaises des plus à la mode, bidet, double
bidet et chaises à deux dos, chaises fauteuils et angloises en verd pour
les jardins, rouets à filer des plus fins; montre à filer, sans
intérêts; dévidoir, quenouille, guéridon, porte-écran à la mode, testes
à coëffer pour les dames, des plus parfaites, testes à perruques,
métiers à broder et à travailler en tapisserie, jeux de quilles de Siam,
et autres, boëtes, fiolles, poulies à puits, bâtons à perroquets et
bâtons à faire le chocolat, le tout à juste prix, à Paris, 1739.»

Le luxe augmente, et aussi l’amour de la dépense: les dames de la cour
donnent le ton, et toute la bourgeoisie riche s’efforce de les surpasser
en prodigalités et en folies. Une enseigne-adresse, gravée avec un goût
exquis, de la grandeur d’une carte à jouer, par un artiste nommé Le
Villain, qui l’avait encadrée de roses, invitait ainsi les femmes du
monde à venir chez le bijoutier dépenser l’argent de leurs maris et de
leurs amants:

«_A la Tabatière d’Or_, Tellier, marchand joailler bijoutier, vend des
bijoux d’or et d’argent, sacs à ouvrage, éventails, nœuds d’épée, et
tout ce qui concerne la bijouterie; revend aussi des ouvrages en
pierreries du plus nouveau goût, donne à ses pierres l’éclat et le jeu
du diamant, rend les couleurs et nuances à celles qui lui sont
présentées; il vend des bagues et doublets qui imitent le feu, vend les
parfums, fait les envois dans tout le royaume et chez l’étranger. A
Paris.»

Les hommes ne restent pas en arrière, quand il s’agit de briller à la
cour et à la ville; on sème l’or à pleines mains, pour acheter tout ce
qui se fait en or et en argent, pour la toilette, le mobilier et les
équipages. Nous avons sous les yeux cette jolie vignette
d’enseigne-adresse gravée par Bellanger et dans laquelle le _Soleil
d’Or_ est tout encadré de roses:

«_Au Soleil d’Or_, Vieille Rue du Temple, au coin de la rue Barbette,
vis-à-vis l’hôtel de Soubise, ci-devant rue Saint-Denis. Vᵉ Gallot tient
magasin de galons or et argent fin, filés or et argent, paillettes or et
argent, tout ce qui concerne l’ornement d’église tant en galons d’or et
d’argent, tant fin que faux et en soie, tout ce qui concerne le meuble
en crette de soie, cordons, glands, franges or et argent, tant fin que
faux, tout ce qui concerne la voiture tant or et argent qu’en soie,
guides et tresses, tout ce qui concerne la broderie en or et argent, le
tout à juste prix. A Paris.»

Ce n’est plus Louis XV qui règne, c’est Mᵐᵉ de Pompadour ou la Dubarry.
L’enseigne-adresse, qui est devenue une délicieuse gravure signée Eisen
ou Marillier, pénètre dans tous les boudoirs, et les femmes ne sortent
plus que pour aller à des rendez-vous dans les petites-maisons des
grands seigneurs et des financiers, ou pour faire des emplettes.

Ici on va chercher des étoffes et des chiffons:

«_Au lever de la Reine_, Bellehure tient magasin de gazes et de
dentelles, linons, taffetas de toutes qualités, satin, rubans gros grain
et autres, coiffure de marli brodé, vraie soie d’Angleterre à filet, et
fil anglois à filet, cordons de montres et bourses à cheveux; il tient
aussi des modes et des plumes dans tous les genres, garnit les robes et
fait des commissions pour la province, 1770.»

Là, on ne trouve que des fleurs artificielles, qui font déjà tort aux
fleurs naturelles et qui se vendent à des prix extraordinaires:

«_A la Gloire du Zéphire_, rue Bourbon-Villeneuve, au coin de la rue
Saint-Claude. Wenzel tient fabrique et magasin de fleurs. A Paris.»

Une femme à la mode a chez elle une collection d’éventails, et cette
collection s’accroît tous les jours:

«_A l’Éventail des Quatre-Saisons_, à Paris, rue Greneta, Josse, l’aîné,
tient fabrique d’éventails de toutes sortes de goûts et de prix, en gros
et en détail, pour la France et les pays étrangers. Il se charge de
faire traiter toutes sortes de sujets; il les raccommode, fournit les
feuilles et les bois séparément, le tout à juste prix.»

Dans cette jolie enseigne-adresse, le cadre qui la contient est surmonté
d’un éventail ouvert, et dans le bas, un paon déploie sa queue en
éventail de plumes.

Une autre enseigne-adresse, renfermée dans son cadre couronné d’une
guirlande de roses, est un tableau représentant le port de Dunkerque,
sur lequel retombe à demi un rideau portant cette légende:

«_Au Petit Dunkerque_, quai de Conti, au coin de la rue Dauphine,
Granchez tient le grand magasin curieux de marchandises françoises et
étrangères, en tout ce que les arts produisent de plus nouveau, et vend,
sans surfaire, en gros et en détail.»

Cette belle enseigne du _Petit Dunkerque_ décorait la maison qui fait le
coin du quai Conti et de la rue Dauphine; il y avait, en ce magasin, un
amas d’objets d’art et de curiosité, venus des quatre points du monde,
et tous les jours, de midi à cinq heures, la file de voitures de
maîtres s’étendait au-delà du collège Mazarin[246]. Il en était de même
dans vingt endroits de Paris, où des boutiques, bien connues par leurs
enseignes, voyaient affluer les acheteurs et surtout les acheteuses.
Mais la Révolution approche, précédée de trois ou quatre années de
stériles agitations politiques, et quand aura sonné le tocsin de 89, les
équipages cesseront de se croiser dans les rues, les boutiques les mieux
achalandées seront tout à l’heure désertes, et bientôt les plus belles
enseignes, qui faisaient l’orgueil des marchands, auront disparu, avec
ces coquettes et gracieuses images que l’art du dessin et de la gravure
se plaisait à reproduire avec tant de variétés sur les adresses de
l’aristocratie du commerce parisien.



XXIII

LE JEU DES ENSEIGNES DE PARIS.


Les cartes du jeu de piquet et le tableau du jeu de l’oie ont été le
point de départ d’une foule d’imitations plus ou moins ingénieuses, dans
lesquelles on ne changeait rien à la marche du jeu primitif, en
changeant seulement les figures. On ne peut donc s’étonner que les
enseignes aient fourni matière à un nouveau jeu de l’oie et à un nouveau
jeu de cartes.

Malheureusement, nous ne pouvons parler du jeu de l’oie des enseignes
que d’après des souvenirs un peu confus qui datent de notre première
jeunesse. Quant au jeu de cartes des enseignes de Paris, nous n’en
possédons que quelques cartes, qui serviront du moins de spécimens pour
constater l’existence de ce jeu, qui doit avoir été composé et mis en
vente vers 1820, à l’époque où les enseignes étaient à l’apogée de leur
gloire.

Le jeu de l’oie des enseignes ne différait du jeu de l’oie ordinaire que
par les cent sujets représentés que les joueurs avaient à parcourir,
selon la chance des nombres amenés à chaque coup de dés. Le jeu,
dessiné, gravé et colorié sur une feuille de papier, à l’instar du jeu
de l’oie ordinaire, se composait de cent cases numérotées, dont chacune
d’elles offrait une enseigne, prise au hasard d’après la fantaisie du
dessinateur. Il y avait, comme dans le jeu de l’oie, les bons et les
mauvais numéros, caractérisés par des enseignes de bon ou de mauvais
augure, qui rapportaient au joueur un gain préfixe ou bien qui lui
faisaient payer une amende: on restait enfermé, à l’enseigne des
_Barreaux noirs_, jusqu’à ce qu’on fût délivré par un autre joueur,
lequel prenait la place du premier, si le nombre apporté par le jet des
dés l’amenait au même point; à l’enseigne de l’_Ange gardien_, on était
payé par tout le monde; à l’enseigne du _Bon Puits_, on avait deux coups
à jouer l’un après l’autre; à l’enseigne de la _Tête de Mort_, on
quittait la partie, en laissant son enjeu; à l’enseigne de
l’_Écrevisse_, on reculait de dix cases en arrière; à l’enseigne de la
_Victoire_, on sautait dix cases en avant; à l’enseigne de la _Boule de
Neige_, le coup était nul; enfin, après avoir parcouru les cent cases du
jeu avec plus ou moins de vicissitudes, on gagnait la partie, en
arrivant au nº 100, qui portait l’enseigne du _Paradis_. Il fallait,
pour ne pas perdre toute espèce de chance favorable, passer par-dessus
les enseignes de l’_Enfer_ et du _Purgatoire_. Nous croyons que ce jeu
de hasard avait été inventé vers 1804, au moment de la réouverture des
églises et du rétablissement du culte, car, de dix numéros en dix
numéros, on rencontrait une enseigne religieuse, comme les enseignes de
l’_Église_, de la _Chapelle_, du _Couvent_, etc. Sous la Restauration,
ce jeu fut renouvelé et appliqué plus exactement aux enseignes en vogue
de Paris, dont il représentait fidèlement les sujets en quatre-vingt-dix
petits tableaux numérotés, avec indication de la spécialité et de
l’adresse des commerçants. La disposition est toujours celle du jeu de
l’oie; mais celui-ci ne se jouait pas avec des dés; c’est une espèce de
loto qui se tire par billets et rappelle les combinaisons de la loterie
royale, ayant, comme elle, quatre-vingt-dix numéros. Les enseignes sont
gravées avec un certain soin et non coloriées, du moins dans
l’exemplaire unique que nous avons vu à la Bibliothèque de la ville. En
voici le titre, inscrit au centre de la spirale, avec la règle du jeu:
«LE JEU DE PARIS EN MINIATURE, _dans lequel sont représentés les
enseignes, décors, magasins, boutiques des principaux marchands de
Paris, leurs rues et numéros_. Éditeur, Mᵐᵉ veuve Chéreau, rue
Saint-Jacques, nº 10.»

Quatre-vingt-dix enseignes y sont figurées, depuis _la Famille des
Jobards_ (marchand de tabac, rue du Faubourg-du-Temple, nº 19), portant
le nº 1, jusqu’au _Retour d’Astrée_ (magasin de nouveautés, boulevard
des Panoramas, nº 12), représenté dans la case triomphale nº 90, tenant
d’une main la corne d’abondance et de l’autre la branche de lis, qui
date cette estampe des environs de 1815. Les numéros gagnants sont: 13,
_la Toison d’Or_.--20, _la Vestale_.--26, _Cendrillon_.--40, _la Corne
d’Abondance_.--54, _les Trois Lurons_.--59, _la Chaste Suzanne_.--77,
_le Diable à quatre_.--80, _Gargantua_.--84, _le Grand Orient_, et 90,
_le Retour d’Astrée_. Les perdants sont: 1, _la Famille des
Jobards_.--7, _la Fille mal gardée_.--32, _Ma Tante Aurore_.--39, _les
Forges de Vulcain_.--44, _le Panier percé_.--64, _le Ci-devant Jeune
Homme_.--69, _les Trois Innocents_.--73, _les Deux Magots_.--88, _le
Gastronome_, et 89, _la Barque à Caron_. La plupart de ces enseignes ne
figurent plus dans le _Dictionnaire anecdotique_ de Balzac, publié dix
ans plus tard.

Nous avons vu aussi à la bibliothèque Carnavalet une suite de seize
vignettes assez finement gravées et coloriées, sous la rubrique commune
_Enseignes de Paris_. Ce sont des enveloppes destinées à ces grands
bonbons plats et carrés dont on garnissait jadis le dessus des boîtes de
jour de l’an. Le certificat du dépôt porte la date de 1826, la même que
celle du _Petit Dictionnaire des Enseignes_, auquel ces vignettes
pourraient servir d’illustration. Nous y remarquons: les _Deux Magots_,
le _Coin de rue_, le _Pauvre Diable_, le _Gastronome_, les _Forges de
Vulcain_, le _Soldat laboureur_, la _Fille mal gardée_, le _Banquet
d’Anacréon_, qui ont fleuri jusqu’à nos jours. Tout cela sent fort la
publicité payante, qui commençait dès lors à se faire la dent.

Le jeu de cartes des enseignes était, au contraire, tout à fait
inoffensif et simple. Il n’avait pas même été imaginé comme moyen
d’annonce et de réclame, au profit des marchands, auxquels on empruntait
leurs enseignes, sans daigner les nommer. Nous ignorons aussi de combien
de cartes se composait ce jeu innocent, qui devait faire le passe-temps
des arrière-boutiques. On le jouait sans doute à deux, à quatre, à six,
et toujours par nombre pair, car les joueurs devaient tous avoir le
même nombre de cartes. Ces cartes se divisaient en deux catégories
distinctes: les cartes à demandes et les cartes à réponses, placées un
peu au hasard sous les auspices de telle ou telle enseigne. Chaque
carte, entièrement gravée, offrait le dessin d’une boutique surmontée de
son enseigne, le tout assez joliment colorié; au-dessous de cette image,
on lisait soit la description de l’enseigne, soit une réflexion
philosophique ou humoristique à son sujet; puis, au bas, sur deux
colonnes, une double Demande ou une double Réponse, que les joueurs
échangeaient entre eux. C’était là un simple jeu de questions, plus
décent que beaucoup d’autres du même genre.

Citons, comme échantillon, quelques légendes de ces cartes, avec les
demandes ou les réponses, qui en émanent plus ou moins naturellement.

_Au Pauvre Diable._ «Une jeune demoiselle, touchée de la situation d’un
mendiant, lui offre avec grâce de quoi apaiser sa faim. Le malheureux
paraît transporté de reconnaissance, en voyant tant d’humanité dans une
aussi jolie personne.» Balzac, dans son _Petit Dictionnaire_[247],
mentionne la même enseigne, qui était celle d’un marchand de nouveautés,
rue Montesquieu, au coin de la rue Croix-des-Petits-Champs, et la décrit
autrement: «Un jeune homme, dans la figure duquel on aperçoit une sorte
de distinction, bien qu’il soit sous la livrée de l’indigence, paraît
supplier une jeune fille. Que lui demande-t-il? Ses faveurs? Non, non,
mais sa bienveillance.»

Voici les deux demandes en rimes qui se lisent au-dessous de la carte du
jeu des enseignes:

    D. Par le masque de la folie,
      Peut-on déplaire à son amie?
    D. Voulez-vous, avec une bourse,
      Attraper l’amour à la course?

Voici maintenant deux réponses, à l’enseigne de la _Pèlerine_, avec une
légende assez gaillarde, qui a la prétention d’être instructive: «Il est
d’usage, en Espagne comme en Italie, de faire des pèlerinages, les
demoiselles pour obtenir des maris, les dames pour devenir mères. Les
jeunes gens fréquentent souvent ces lieux, pour éviter aux dames la
fatigue de recommencer le voyage.» Balzac nous apprend que cette
enseigne était celle d’un magasin de mercerie, rue Saint-Honoré, nº 275,
et que la propriétaire de ce magasin l’avait adoptée, d’après une
romance en vogue qui courait les rues de Paris[248]. Les réponses qui
suivent cette enseigne s’en rapprochent tant bien que mal.

    R. D’accord! Mais pourquoi tant le dire?
    R. De rester près de vous, d’admirer vos attraits.

Passons à l’enseigne de _Jean de Paris_ et à ses demandes. La légende
nous donne le sujet de cette enseigne: «Le roi, surnommé Jean de Paris,
vivement épris de la fille d’un pêcheur, afin de gagner le cœur de sa
belle, ne dédaigne pas de prendre le costume de cette profession. Le
père le surprend aux genoux de sa fille et devient furieux. Le roi, pour
se soustraire à sa juste indignation, est forcé de se faire
reconnaître.»--Balzac critique fort cette enseigne d’un magasin de
soieries, rue du Bac, nº 4. «Quoi! la princesse de Navarre se laisse
baiser la main par Jean de Paris! s’écrie le grand sénéchal, avec un
étonnement tout à fait comique. Eh bien! oui, l’indifférente princesse
connaît enfin les délices de l’amour. Sur l’enseigne de la rue du Bac,
c’est comme dans l’opéra, si ce n’est cependant que dans la pièce la
princesse a l’air noble et la mise élégante, tandis que sur le tableau
elle ressemble à une cuisinière endimanchée, et Jean de Paris à un
conscrit. N’oublions pas de dire que le peintre, infiniment ingénieux, a
mis un chêne centenaire, tout entier, dans la tête de l’héroïne et que
cela produit un effet... Et le sénéchal donc, il est sublime comme un
intendant[249].»

    D. N’avez-vous pas l’âme interdite
      Par quelque émotion subite?
    D. D’amour attirant l’étincelle,
      Pensez-vous à la bagatelle?

_Au Diable boiteux._ «Le Diable boiteux, dit la légende du jeu de
cartes, délivré du pouvoir magique qui le retenait dans une bouteille,
voulant marquer sa reconnaissance à son libérateur, lui fait remarquer
l’intérieur des maisons et lui fait connaître les mœurs, les différents
quartiers et les vices de toutes les classes de la société.» Dans
Balzac, «le Diable boiteux est l’enseigne d’un magasin de nouveautés,
rue de la Monnaie, nº 23, et c’est une demoiselle qu’il prend sous sa
protection, et le petit bonhomme à béquilles suffit pour la préserver
des séductions d’une légion de diables qui ont un comptoir pour champ
d’honneur et pour arme une demi-aune[250].»

    R. Je ne saurais rien révéler,
      Mon état est de tout cacher.
    R. Je ne veux rien vous accuser!
      D’un aveu l’on peut abuser!

_A la Blanche Marguerite._ «Une jolie demoiselle, éprise d’un page,
interroge une fleurette que l’on nomme marguerite, en l’effeuillant pour
savoir si elle est aimée _un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout_.
Elle en était à la troisième fleur qui lui ôtait toute espérance,
lorsque son amant, caché dans un arbre, s’empresse de la désabuser.»
Balzac n’a pas décrit cette enseigne.

    D. Ne craignez-vous pas qu’on abuse
      D’une bonté que rien n’excuse?
    D. Quand un objet parle à notre âme?

_A la Belle Anglaise._ «Les Anglaises sont belles et fières; on les dit
sages, mais, pour l’amabilité, la finesse, l’esprit, la beauté et le
plaisir, on préfère les Françaises.» Balzac fait l’éloge de cette
enseigne d’un magasin de soieries, rue Saint-Denis, nº 94: «Le dessin de
cette enseigne est assez artistement entendu; le peintre avait
probablement un modèle. Ah! si c’était la maîtresse de la maison! Mais
pourquoi pas[251]?»

    R. Être accueilli de vous, et mes vœux sont comblés!
    R. Qu’à vos désirs vous imposiez la loi.

_A la Balayeuse._ «Par leurs jolies balayeuses, depuis nombre d’années
les marchands de lingerie attirent les chalands.» Silence de Balzac sur
la _Balayeuse_, qui était une sorte de falbala garnissant le bas de la
robe des femmes et qu’on a remis à la mode il y a trois ou quatre ans.

    D. Que désirez-vous de moi? Je suis tout à vous.
    D. A quoi pensez-vous maintenant?

_A la Pie voleuse._ «Une servante du village de Palezo (_sic_), accusée,
jugée et exécutée pour un prétendu vol, a été reconnue innocente, après
son exécution, par la découverte d’une pie, qui était l’auteur du vol.»
Rien de Balzac sur _la Pie voleuse_.

    R. Une réponse compromet
       Ceux que l’amour tient au secret.
    R. Sans charades ni calembours,
       Mon silence répond toujours.

Voilà tout ce que nous possédons de ce beau jeu des _Enseignes de Paris_
sous la Restauration... Mais j’oublie qu’il en reste encore une carte, à
l’_Ange gardien_, dont la Réponse pouvait bien annoncer la fin du jeu:
«La Providence, pour sauver un jeune enfant près de tomber dans un
précipice, se sert de la tendre sollicitude de l’Ange gardien.» Balzac a
connu cette enseigne d’un magasin de lingeries, rue Saint-Honoré, et il
lui consacre quelques lignes du dernier galant: «Ce magasin doit, en
effet, être bien gardé par son enseigne, car il n’est voleur qu’elle ne
puisse effrayer. Il est vrai de dire que les dames des lingeries sont
fort attrayantes, et qu’il faudrait n’avoir pas le sou pour ne pas
acheter cravates, mouchoirs de poche, etc., etc.» Cet _et cætera_ en dit
plus qu’il n’est gros, et la Demande du jeu promet tout ce que la
Réponse devait tenir:

    D. Eh bien! comment suis-je à vos yeux?
    D. Que feriez-vous si je vous disais oui?

Hélas! le jeu s’arrête là, au plus bel endroit, et les enseignes se
taisent sur le reste.



XXIV

ENSEIGNES AVEC INSCRIPTIONS EN VERS


Les enseignes, accompagnées d’inscriptions en vers français, même en
vers grecs et latins, devaient être nombreuses au XVIᵉ siècle, alors que
le goût et la mode des inscriptions étaient si généralement répandus,
qu’on alla jusqu’à attribuer au roi François Iᵉʳ ce quatrain[252] en
l’honneur d’Agnès Sorel, qu’il aurait composé quand il visita, à Loches,
le tombeau de cette maîtresse de Charles VII.

    Gentille Agnès, plus de los tu mérite,
    La cause estant de France recouvrer,
    Que tout ce que en un cloître peut ouvrer
    Close nonnain, ni en désert hermite.

Le sentiment de cette inscription célèbre était meilleur que le style du
roi chevalier, qui, ayant fait rétablir la tombe de la belle Laure, à
Avignon, voulut en composer lui-même l’épitaphe, qui fut gravée sur le
monument et qui ne fera pas mauvaise figure au milieu de cette poésie
d’enseignes:

    En petit lieu comprins, vous pouvez veoir
    Ce qui comprend beaucoup de renommée:
    Plume, labeur, la langue, le devoir
    Furent vaincus par l’Amant de l’Aimée.
    O gentille Ame, estant tant estimée,
    Qui te pourra louer, qu’en se taisant?
    Car la parole est toujours réprimée,
    Quand le sujet surmonte le disant.

François Iᵉʳ voulut aussi que son poète valet de chambre, Clément Marot,
consacrât quelques vers à la mémoire de la muse bien-aimée de
Pétrarque[253]. L’exemple de François Iᵉʳ fut généralement suivi sous
son règne, et jusqu’à la fin du siècle on faisait composer, par les
poètes les plus renommés, des épitaphes en vers, qui étaient gravées sur
les tombeaux[254]. La poésie était en honneur; les distiques grecs,
latins et français illustraient aux jours de fêtes publiques les arcs de
triomphe en toile peinte, les fontaines en torchis et les décors de
l’Hôtel de ville. Il est tout naturel que les inscriptions en vers
soient descendues de ces monuments d’apparat sur les enseignes.

Malheureusement, ces enseignes enlevées ou détruites, on n’en a pas
conservé les vers, si ce n’est dans quelques marques typographiques de
libraires et d’imprimeurs[255]. On sait que ces marques n’étaient
souvent que la représentation de leurs enseignes, qui sont ordinairement
indiquées dans l’adresse même du libraire ou de l’imprimeur[256]. La
plupart des marques typographiques datent du XVIᵉ siècle, et, comme nous
l’avons déjà dit (voir chap. XVI, ENSEIGNES DE SAINTETÉ ET DE DÉVOTION),
elles ne laissent pas douter qu’un certain nombre des libraires de Paris
ne fussent secrètement attachés à la réformation luthérienne ou
calviniste.

Nous citerons seulement quelques distiques et quelques quatrains, gravés
autour de ces marques ou imprimés au dessous. La marque de Conrad
Badius, qui, après avoir exercé l’imprimerie à Paris, transporta ses
presses à Genève, pour pouvoir professer librement la religion nouvelle,
représente le Temps qui retire du puits la Vérité; ce distique est
imprimé à droite et à gauche du sujet qu’il interprète:

    Des creux manoirs et pleins d’obscurité,
    Dieu, par le Temps, retire Vérité.

Le libraire Jean Trepperel, qui fit paraître un grand nombre de vieux
romans de chevalerie en prose, avait mis ce distique autour de son
enseigne à l’_Écu de France_:

    En provoquant ta grant miséricorde,
      Octroie-nous charité et concorde.

Gilles de Gourmond, imprimeur privilégié du roi, avait ajouté ce
distique à ses armoiries, soutenues par deux licornes, sous les auspices
de saint Georges:

      Tost ou tard, près ou loing,
    A le fort du feble besoing.

L’imprimeur Le Petit Laurens, qui avait aussi dans sa marque deux
licornes soutenant un cercueil couvert d’un poèle de deuil, avec ce nom:
_la Blanche_, ne nous explique pas un sujet aussi lugubre dans ce
distique philosophique:

    Chascun soit content de ses biens.
    Qui n’a suffisance n’a rien.

Voici maintenant des quatrains qui expriment tous la dévotion,
catholique ou protestante. Le libraire Jean Denis, dont la marque
représente un docteur enseignant un berger, avec l’image du Christ dans
une sphère, fait parler ainsi son berger:

    Enseigne-moy, mon Dieu,
    Que ton vouloir je face,
    Tant que au céleste lieu
    Je puisse veoir ta face.

Le fameux libraire des rois Louis XII et François Iᵉʳ, Antoine Vérard,
qui fut à la fois dessinateur et graveur sur bois, avait fait inscrire
ces quatre vers, chargés de fautes grammaticales et d’abréviations,
autour de sa marque, représentant un cœur, avec ses initiales, soutenu
par deux aiglons et protégé par les armes de France:

    Pour provoquer, Jésus, ta grant miséricorde,
      De tous pécheurs faire grâce et pardon,
    Anthoine Vérard humblement te recorde
      Ce qu’il a il tient de toy par don.

Jean Bouyer et Guillaume Bouchet, libraires et imprimeurs, qui avaient
affronté un bœuf et un mouton héraldiques au-dessus de leurs initiales,
faisaient cette prière à Dieu, dans leur enseigne:

    En la parfin de l’œuvre, louer Dieu
    Chacun de nous doit, pour avoir sa grâce.
    A luy doncques, pource qu’il luy a pleu
    Nous donner temps de ce faire et espace.

Cette inscription, assez pauvrement rimée, inscrite en lettres gothiques
autour de la marque, était heureusement presque illisible. Les cinq vers
suivants, gravés autour de l’enseigne de Guillaume Nyverd, laquelle
représentait l’Annonciation, n’étaient pas beaucoup plus faciles à
déchiffrer, quoique ces vers fussent sans le moindre doute empruntés à
quelque poète du temps, qui avait voulu représenter par des images
allégoriques l’Incarnation de Jésus-Christ:

    Tout ainsi que descend en la fleur la rosée,
    La face au mirouer, et au cœur la pensée,
    Le soleil en voirrière sans estre entamée,
    La voix en la maison sans estre defformée,
    Entre le Filz de Dieu en la Vierge honorée.

Michel et Philippe Lenoir, père et fils, libraires et imprimeurs, en
faisant soutenir par deux nègres un écusson d’armoiries, pour faire
allusion à leur nom, se plaisaient à répéter ce petit quatrain autour de
leur enseigne emblématique:

    C’est mon désir
    De Dieu servir,
    Pour acquérir
    Son doux plaisir.

Enfin, André Bocard, libraire et imprimeur, qui avait placé dans sa
marque l’écusson de l’Université et celui de la Ville de Paris,
au-dessous de l’écu de France, avait fait inscrire autour de son
enseigne le quatrain suivant, qui s’adressait moins à Dieu qu’à ses
saints:

    Honneur au Roy et à la Court!
    Salut à l’Université,
    Dont nostre bien procède et sourt!
    Dieu gard de Paris la cité!

C’est assez pour faire connaître les enseignes poétiques des libraires
et des imprimeurs parisiens du XVIᵉ siècle.

Nous rapprocherons de ces enseignes une inscription d’une date plus
récente (sans doute du siècle suivant), qui était gravée au-dessus de la
porte d’un passage conduisant de l’ancien cimetière de Saint-Séverin à
la rue de la Parcheminerie. Il est probable que cette inscription
édifiante, en jeux de mots, était surmontée de quelque peinture funèbre,
comme celle qui existait autrefois à l’entrée du charnier de l’église
Saint-Paul:

    Passant, penses-tu pas passer par ce passage
              Où, pensant, j’ai passé?
    Si tu n’y penses pas, Passant, tu n’es pas sage,
    Car, en n’y pensant pas, tu te verras passé[257].

Vers le même temps on avait placé un buste de Henri IV, avec un distique
latin, sur la façade du nº 3 de la rue Saint-Honoré, maison devant
laquelle ce roi fut assassiné par Ravaillac, et qui a été démolie vers
1869, quand on a fait passer par là la large rue des Halles. Ce buste
avait fini par devenir une enseigne, dont ces deux mauvais vers
faisaient la légende:

    Henrici Magni recreat presentia cives,
    Quos illi æterno fœdere junxit amor.

Ce qui signifie mot à mot: «La présence de Henri le Grand réjouit les
citoyens, que l’amour a joints à lui par un pacte éternel.» En dernier
lieu le buste et l’inscription servaient d’enseigne à un marchand de
draps. Nous comprendrions, pour un tailleur, l’enseigne du roi Dagobert;
mais Henri IV? L’inscription seule, gravée en lettres d’or sur une
plaque de marbre noir, se retrouve encore aujourd’hui au musée
Carnavalet. Quant au buste de Molière, qu’Alexandre Lenoir avait fait
poser, sous les Piliers des Halles, devant la maison où l’on croyait que
notre grand comique était né, ce buste était devenu aussi une enseigne
pour un marchand revendeur de vieilles étoffes, mais on avait eu la
pudeur de le peindre en noir, en l’appelant _la Tête noire_, et Molière
n’y était pas nommé, ni en prose ni en vers. Au surplus, les enseignes à
la _Tête noire_ étaient alors assez communes à Paris, mais elles
n’avaient pas le même type. Celle d’un marchand de meubles, dans la rue
du Faubourg-Saint-Antoine, offre un type de nègre coiffé d’un turban,
qu’on nommera peut-être un jour Othello ou Toussaint-Louverture.

[Illustration]

Nous avons lu dans les poètes du XVIIIᵉ siècle différentes inscriptions
en vers pour des cadrans solaires, mais comme nous ne savons point où
ces cadrans solaires étaient posés, peut-être dans des cours d’hôtels
aristocratiques, nous nous bornerons à citer une inscription de ce
genre, qui avait été demandée à Voltaire dans sa jeunesse, et qui fut,
dit-on, longtemps visible sur l’enseigne d’un horloger du quartier
Saint-Gervais:

    Vous qui vivez dans ces demeures,
    Êtes-vous bien, tenez-vous y,
    Et n’allez pas chercher midi
        A quatorze heures.

Si cette inscription eût été signée du nom de son auteur, l’enseigne
aurait fait la fortune de l’horloger et de ses successeurs. Les vers
d’enseigne, en effet, n’étaient pas toujours faits par des poètes. Ainsi
l’enseigne d’un boulanger, qu’on voyait encore, il y a peu d’années,
entre la rue Saint-Paul et l’église Saint-Paul-Saint-Louis, représentait
deux mitrons en costume à qui le maître boulanger montrait un de ses
pains, et l’on ne pouvait guère attribuer les vers suivants qu’à un
boulanger ou à un mitron:

    Plus léger et plus blanc, meilleur et davantage,
    D’un système nouveau voilà le résultat
    Qu’un ancien boulanger présente à votre usage:
    Voyez la vérité, vous êtes de l’état.

Si les boulangers se mêlaient de faire des vers pour leurs enseignes,
les _artistes décrotteurs_, comme ils se qualifiaient depuis le
Directoire, rimaient aussi pour attirer le client. Voici un échantillon
de leur poésie, tel qu’on l’admirait, en 1804, sur l’enseigne de leur
boutique du passage des Panoramas:

    O vous qui redoutez les taches et la crotte,
    Amateurs de journaux, de propreté, de vers,
        Entrez ici, qu’on vous décrotte,
    Et livrez à nos soins la botte et les revers[258].

Les enseignes avec inscriptions en vers, à Paris, étaient encore au
nombre de dix à douze, en 1826. C’est Balzac qui a pris la peine de les
recueillir lui-même, pour les faire passer à la postérité, dans son
curieux _Petit Dictionnaire des Enseignes_[259]. On sait combien Balzac
s’intéressait aux enseignes et avec quel soin il les mentionnait dans
ses romans, quand il les jugeait dignes d’y figurer. Nous n’avons donc
plus qu’à faire ici quelques emprunts à la monographie alphabétique
publiée par Balzac.

Il y avait alors, en 1826, un artiste en cheveux, c’est-à-dire un
coiffeur, qui, pour s’assurer la clientèle des étudiants en droit et en
médecine, avait fait peindre, sur la devanture de sa boutique de la rue
Saint-Jacques, nº 121, deux vers grecs, que Balzac n’a pas cités, et
deux vers latins, qui ne prouvent pas que le patron, M. Chatelet, avait
fait ses humanités:

    Hic fingit solers hodierno more capillos,
    Dexteraque manu novos addit ars honores.

Ce qui a la prétention de vouloir dire: «Ici un art ingénieux façonne
les cheveux à la mode du jour, et d’une main habile y ajoute de nouveaux
agréments.» Cet affreux latin était mis là pour justifier l’enseigne:
_Au savant Perruquier_; l’une et l’autre inscription, la grecque et la
latine, se voyaient encore vers 1840. Deux autres coiffeurs avaient fait
aussi un touchant appel, en vers, aux dames et aux messieurs. Lambert,
qui s’intitulait perruquier-coiffeur, rue Notre-Dame-de-Nazareth, nº 28,
était certainement l’auteur de ce double distique, écrit des deux côtés
de sa boutique; ici, côté des hommes:

    Vous satisfaire est ma loi,
    Pour vous attirer chez moi.

Là, de l’autre côté, côté des dames:

    Aux dames, par mon talent,
    Je veux être un aimant.

«C’est une chose convenue, dit Balzac, qu’en fait de poésie il n’y a que
les coiffeurs, et nous n’hésitons pas à dire qu’en fait de vers M.
Lacroix a mis le sceau à la réputation du corps.» Lacroix,
perruquier-coiffeur, rue Basse, Porte Saint-Denis, nº 8, avait mis ce
quatrain au bas de son tableau d’enseigne représentant Absalon pendu par
les cheveux aux branches d’un arbre:

    Passans, contemplez la douleur
    D’Absalon pendu par la nuque.
    Il eût évité ce malheur,
      S’il eût porté perruque.

Balzac a oublié un coiffeur de ce temps-là, Michalon, père du peintre de
ce nom, demeurant alors rue Feydeau et faisant des vers enragés de
coiffeur, qu’il exposait en tableaux à tous les coins de ses salons de
coiffure.

Le _Petit Dictionnaire des Enseignes de Paris_ cite trois magasins de
nouveautés (non pas des livres, mais des chiffons), avec des enseignes
en vers:

Primo: _Au Nœud gordien_, Palais-Royal, galerie de pierre, nº 233:

      Du nœud gordien vous connaissez l’histoire:
        Un conquérant sut le trancher.
    Bien plus adroit que lui, vous aurez plus de gloire,
          Si vous savez le former.

C’est là ce que dit la demoiselle de magasin, peinte sur l’enseigne, à
un élégant jeune homme qui achète une cravate et qui ne répond pas en
vers.

Secundo. _Au Soldat cultivateur._ M. Marchandon, marchand de nouveautés,
faubourg Saint-Antoine, nº 77, avait fait faire à prix réduit, dans
l’atelier du peintre Vigneron, la copie de son tableau du _Soldat
laboureur_, dans lequel le soldat est représenté bêchant son champ et
faisant sortir de terre des débris d’armes et d’ossements qui annoncent
que l’agriculture a repris possession d’un ancien champ de bataille. Les
vers explicatifs sont pris dans les _Géorgiques_ de Virgile, traduites
par Delille:

    Un jour, le laboureur, dans ces mêmes sillons
    Où dorment les débris de tant de bataillons,
    Heurtant avec le soc leur antique dépouille,
    Trouvera sous ses pas des dards rongés de rouille,
    Entendra résonner les casques des héros,
    Et d’un œil étonné contemplera leurs os.

C’était peu réjouissant pour les demoiselles du faubourg, qui allaient
acheter manchettes, cols et foulards.

Tertio. _A la Pèlerine._ Magasin de mercerie, rue Saint-Honoré, nº 275,
avec ces petits vers imités d’une chanson en vogue:

    Allez au magasin
    Faire un pèlerinage:
    Une fillette sage
    Sourit au pèlerin.

Enfin, Balzac avait découvert deux sages-femmes, outre la _fillette
sage_ de la Pèlerine, lesquelles osaient appliquer chacune deux vers à
leur délicate profession. La première, qui ne se nommait pas sur son
enseigne, demeurait rue Jean-Jacques-Rousseau, nº 23: cette enseigne
représentait une belle accouchée et son _accoucheuse_ très élégante et
fort jeune; puis, le papa tout fier de sa progéniture, et le petit frère
caressant le nouveau-né. La morale de cette scène intime est exprimée
dans ces deux vers inscrits en tête du tableau:

    Grâce à l’art, ô mon fils, enfin tu vois le jour;
    Nos vœux sont exaucés, je dois bénir l’amour.

Chez la seconde sage-femme, Mᵐᵉ Vachée, rue de Buci, nº 2, on restait
interdit devant une enseigne dont la description ne saurait être plus
complète qu’elle l’est dans le _Petit Dictionnaire_ de Balzac: «Cette
dame, dit-il, voit s’échapper d’une machine qu’on ne peut mieux comparer
qu’à un four, une nuée d’enfants habillés des costumes de différents
états, et elle leur adresse ces vers:

    Sortez, mes chers enfants, et d’une ardeur commune,
    Par des chemins divers, courez à la Fortune.

«Dans le lointain, la déesse elle-même, un pied sur une roue, emblème de
sa mobilité, semble inviter à la suivre la foule des jeunes mortels
auxquels Mᵐᵉ Vachée vient de donner la lumière. Mais des juifs, des
usuriers, des nymphes folâtres les séparent.» Nous avons donné plus haut
(p. 292), le dessin à peu près semblable, d’une autre enseigne de
sage-femme.

Une des dernières enseignes en vers qu’on ait vues à Paris était celle
d’un tailleur, au coin de la rue d’Ulm et de la rue des Postes; mais
nous ne savons pas si le peintre était venu en aide à la poésie, car
nous n’en connaissons que ce quatrain, qui vaut tout un poème:

    Accourez tous à l’abordage!
    Je fais tous les raccommodages;
    J’apporte grand soin aux coutures,
    Aux accrocs, comme aux déchirures.

Nous regrettons de n’avoir pas parlé des écriteaux poétiques, qui sont
de véritables enseignes sans figures: ainsi toute la jeunesse du
quartier latin a connu ce facétieux brocanteur de la rue de
l’École-de-médecine, qui, chaque matin, apposait sur les objets
hétéroclites de son commerce les plus étranges annonces en prose et en
vers; la prose était de sa façon, les vers sortaient de la fabrique d’un
poète crotté, qui ne manquait pas d’originalité et qui trouvait les plus
incroyables drôleries relatives à l’origine des marchandises d’occasion.

Les contemporains de la révolution de 1830 se rappellent aussi les
affiches en vers que le marquis de Chabannes, pair de France,
chansonnier, journaliste et rimeur politique, improvisait tous les jours
pour annoncer ses brochures, ses chansons, ses prospectus, qu’il
distribuait et vendait lui-même, au Palais-Royal, dans sa boutique de la
galerie d’Orléans, que la police eut tant de peine à faire fermer, après
avoir cent fois saisi, enlevé et déchiré les affiches, au milieu des
éclats de rire des spectateurs.

Enfin, en faisant appel à nos souvenirs personnels, nous revoyons
encore, vers 1840, rue Neuve Saint-Augustin, non loin de la place de la
Bourse, une boutique mystérieuse qui étalait au-dessus de son vitrage
dépoli un grand tableau représentant un monsieur mis à la dernière mode,
prenant vivement congé d’une dame non moins élégante. Au bas, se lisait
ce distique révélateur:

    Ah! ah! Madame, il faut que je vous dise adieu.
    Certain besoin pressant m’appelle en certain lieu!



XXV

ENSEIGNES RELATIVES A DES PIÈCES DE THÉATRE


Cette espèce d’enseignes est tout à fait moderne, car elle ne date que
de l’époque où les grandes enseignes, peintes comme des tableaux et
quelquefois rivalisant avec eux, furent adoptées par la mode avec une
sorte de passion essentiellement parisienne. On peut fixer une date
précise pour le commencement des enseignes qui reproduisirent quelque
scène de la pièce en vogue. Ce fut seulement sous l’Empire que parurent
les premiers essais de ce genre nouveau d’enseignes, qui ont attiré
presque exclusivement l’attention des curieux de ce qu’on appela dès
lors le _Musée des rues_. Il n’y a que les pièces de théâtre, à grand
succès, qui aient mérité la consécration de l’enseigne. C’étaient donc,
chaque année, quatre ou cinq enseignes nouvelles, qui rappelaient au
public les grands succès récents. Le type de l’enseigne devenait ainsi
populaire, et la vogue de la pièce profitait à l’industriel qui l’avait
adopté. Les enseignes théâtrales firent fureur pendant plus de cinquante
ans; elles s’étaient, pour ainsi dire, emparées de la ville entière, et
le succès d’une pièce de théâtre n’était jamais mieux constaté que par
l’apparition d’une enseigne qui en portait le nom.

On peut affirmer que l’idée de faire des enseignes de ce genre n’était
jamais venue à l’esprit des marchands avant le Directoire; du moins n’en
connaissons-nous qu’une seule, l’enseigne du _Huron_, consacrant, en
1769, le succès d’un opéra-comique de Grétry, et dont nous parlerons
plus loin, au chapitre XXIX. Les succès les plus extraordinaires, comme
celui de _Jeannot, ou les Battus paient l’amende_, le
proverbe-comédie-parade de Dorvigny, représenté trois cents fois de
suite chez Nicolet, ou comme celui du _Mariage de Figaro_, qui fit
autant de bruit qu’une révolution, ces succès ne donnèrent pas lieu à la
création d’une seule enseigne. Le moment n’était pas venu, quoique
depuis 1761 les enseignes, appliquées contre le mur des maisons, au lieu
d’être suspendues à des potences en fer dans des cadres mobiles, se
prêtassent mieux à l’exposition de tableaux. On comprend que le goût du
spectacle, si décidé et si général chez les habitants de Paris, se soit
traduit par cette innovation dans le système des enseignes, en un temps
où le nombre des théâtres avait triplé. Il faut dire aussi qu’avant ce
temps-là les marchands menaient une vie très retirée et très
parcimonieuse, sans songer à imiter les habitudes des autres classes de
la société, qui ne se faisaient pas faute d’aller à la comédie. Les
enseignes des boutiques ne subirent l’influence du théâtre que quand les
boutiquiers commencèrent à se montrer et à s’acclimater dans les salles
de spectacle.

Nous trouvons cependant que les ballets de cour eurent, dans la première
moitié du XVIIᵉ siècle, certaines analogies avec plusieurs enseignes de
Paris. Ainsi l’enseigne primitive du _Cherche-Midi_, qui a précédé celle
dont nous avons parlé plus haut, page 84, était sans doute bien
antérieure au ballet des _Chercheurs de midi à quatorze heures_, ballet
qui fut dansé, au Louvre, en présence du roi, le 29 janvier 1620. Ce
ballet[260], que nous ne connaissons que par un petit programme en vers
très libres, a peu de rapport avec l’enseigne qui représentait des gens
de diverses conditions, cherchant l’heure de midi sur un cadran dont les
aiguilles marquaient quatorze heures, comme dans les horloges d’Italie.
Les chercheurs de midi à quatorze heures, qu’on appelait des
_cherche-midi_, étaient de pauvres hères faméliques en quête du dîner,
qu’ils ne trouvaient pas à quatorze heures, car on dînait partout à
midi. Un roman picaresque d’Oudin, sieur de Préfontaine[261], nous
apprend le véritable rôle d’un cherche-midi, que le ballet mit en scène
sous les traits du joueur de gobelets, du batteur de fusil, du ramoneur,
du vendeur de lunettes: «La grande nécessité où j’estois m’ayant pourveu
d’un office de _cherche-midy_, j’allois parfois en des couvents, mais
j’y trouvois petite chance, au moins pour moy, car, pour les moynes, ils
faisoient une telle chère, que, si la fumée de leurs bons morceaux qui
me passoient devant le nez avoit esté rassasiante, cela m’auroit bien
nourry.» Un autre ballet de cour, qui a pour titre _la Fontaine de
Jouvence_[262], imprimé en 1643 et par conséquent dansé cette année-là
au château de Saint-Germain, pourrait bien avoir été inspiré par la
jolie enseigne du XVIᵉ siècle dont nous avons parlé et qui attirait tous
les regards dans la rue du Four-Saint-Germain. Enfin, dans un ballet du
roi, à la naissance du Dauphin, en 1643, les Enseignes de Paris
faisaient leur entrée sous la figure d’une femme qui se plaignait des
dégâts que les grands vents lui avaient causés dans les derniers orages.
Voici deux strophes que Dassoucy avait mises dans la bouche de cette fée
des enseignes[263]:

        Je suis cette aimable Syrène,
        Qui, des orages précédents,
        Vient faire une plainte à la Reyne,
        Contre l’insolence des vents,
        Afin que leur Dieu se retire,
    Et qu’il trouble les flots plutôt que mon empire:
          Ce monstre, plein d’insolence,
        A causé, par nostre débris,
        Que l’on trouve plus d’assurance
          A Saint-Germain qu’à Paris.
        Aussi, pour éviter sa rage,
    Nous nous rendons ici à l’abry de l’orage.

A partir de là, comme si toutes les enseignes de Paris avaient été
décrochées et brisées par l’ouragan, elles ne reparaissent plus au
théâtre que dans deux chétifs vaudevilles: l’un, de Martainville:
_Pataquès, ou le Barbouilleur d’enseignes_, joué en 1803; l’autre, de
Brazier, Moreau et La Fortelle, _Tout pour l’enseigne_, représenté le 18
avril 1815. Ces deux petites pièces ne réussirent pas. C’est que les
marchands et leurs commis ne souffraient pas qu’on se gaussât de leurs
enseignes. Scribe et Saint-Georges l’apprirent à leurs dépens, quand
leur opéra-comique, en trois actes, _le Fidèle Berger_, dont Adolphe
Adam avait fait la musique, fut outrageusement sifflé, à la première
représentation, le 11 janvier 1838. Les auteurs n’avaient pas trop
ménagé la confiserie parisienne, mise en scène sous la bannière de la
vieille enseigne du _Fidèle Berger_: on se battit au parterre, et les
perturbateurs qui furent arrêtés étaient tous des confiseurs: «Ces
gaillards-là, dit Scribe, seraient capables de m’empoisonner avec leurs
dragées de baptême.» Il ne fit pas imprimer sa pièce, qui n’a paru que
dans la dernière édition de ses _Œuvres complètes_; le musicien essaya
de la faire jouer à Bruxelles, où elle fut traitée en douceur[264]. Les
confiseurs du _Fidèle Berger_ n’étaient plus là. Marchands à enseignes
et auteurs dramatiques furent depuis en parfaite intelligence, lorsque
les enseignes des premiers contribuèrent grandement à la renommée des
seconds.

Il est impossible d’entrer ici dans quelques détails sur les pièces de
théâtre auxquelles on accorda les honneurs de l’enseigne depuis
cinquante ou soixante ans; nous nous bornerons donc à citer, d’après le
_Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de Paris_,
celles de ces enseignes inaugurées sous les titres mêmes des pièces de
différents genres, aux succès desquelles les marchands avaient attaché
celui de leur commerce. Il suffit de rappeler que ces pièces étaient
encore très connues en 1826, bien que quelques-unes remontassent aux
premières années de l’Empire; plusieurs, d’une date plus ancienne, comme
_le Diable à quatre_ de Sedaine, _les Trois Sultanes_ de Favart, et _la
Partie de chasse de Henri IV_, par Collé, avaient été reprises avec
éclat et étaient restées au répertoire.

Les tableaux dont on faisait des enseignes furent souvent composés et
exécutés par de véritables peintres. Nous parlerons, dans le chapitre
XXIX, _Musée des enseignes_, de ceux qui sortaient de l’atelier des
meilleurs artistes.

L’Académie royale de musique reconnaissait des opéras et des ballets de
son répertoire dans les enseignes suivantes: _Aux Bayadères_, boulevard
des Italiens, nº 9, Nouveautés. _Les Bayadères_, opéra en trois actes,
paroles de Jouy, musique de Catel, représenté le 8 août 1810.--_A la
Vestale_, rue Montmartre, au coin de la rue de Cléry, Nouveautés. _La
Vestale_, tragédie lyrique de Jouy, musique de Spontini, fut représentée
le 11 décembre 1807.--_A la Lampe merveilleuse_, Demarais, lampiste,
illuminateur du Gouvernement. _Aladin, ou la Lampe merveilleuse_,
opéra-féerie en cinq actes, par Étienne, musique de Nicolo et de
Benincori, fut représenté le 6 février 1822.--_Au Triomphe de Trajan_,
M. Payen, tailleur, rue de Richelieu, nº 77. Le _Triomphe de Trajan_,
tragédie lyrique en trois actes, par Esmenard, musique de Lesueur et de
Pertuis, fut représenté le 23 octobre 1807.

Passons au Théâtre-Français, qui avait vu, en plein Directoire,
apparaître l’enseigne des _Trois Sultanes_, un des plus beaux tableaux
d’enseigne de Paris, pour annoncer le magasin de mesdames Delatour,
lingères, rue Vivienne, au coin de la rue Colbert.--_A Marie Stuart_,
Nouveautés, rue Saint-Denis, nº 392. _Marie Stuart_, tragédie de Pierre
Lebrun, représentée en 1820.--_Aux Templiers_, rue Feydeau, nº 16,
Michalon, coiffeur. _Les Templiers_, tragédie de Raynouard, représentée
en 1805.--_A la Fille d’honneur_, rue de la Monnaie, au coin de la rue
Boucher. _La Fille d’honneur_, comédie en cinq actes et en vers, par
Alexandre Duval, représentée en 1819.--_A Valérie_, rue Saint-Denis, nº
309, magasin de nouveautés. _Valérie_, comédie, en trois actes et en
prose, par Scribe et Melesville, représentée en 1822.--_Aux Deux
Cousines_, magasin de nouveautés, rue Coquillière. _L’Éducation, ou les
Deux Cousines_, comédie en cinq actes et en vers, par Casimir Bonjour,
fut représentée en 1824.

Le théâtre de la porte Saint-Martin avait fourni, à lui seul, deux fois
plus d’enseignes que l’Opéra et le Théâtre-Français: _Au Vampire_,
magasin de nouveautés, rue Saint-Antoine.--_Au Bourgmestre de Saardam_,
Grisard, drapier, rue Saint-Honoré, nº 53.--_Aux Petites Danaïdes_,
Potier, confiseur, boulevard Saint-Martin, nº 57. (Il ne faudrait pas
confondre l’acteur avec le confiseur, malgré la similitude du nom: le
fameux comédien Potier avait créé le rôle du Père Sournois, dans _les
Petites Danaïdes_, de Gentil et de Désaugiers.)--_Au Solitaire_, Malard,
marchand de nouveautés, rue du Faubourg-Saint-Denis, nº 68.--_A Joko, ou
le Singe du Brésil._--_A Polichinel_ (sic) _vampire_.--_A la Fille mal
gardée._--_Aux Ramoneurs._--_Au Déserteur_, etc.

[Illustration]

Les enseignes drôlatiques se rapportaient surtout à des pièces du
théâtre des Variétés, dans lesquelles avaient figuré les premiers
acteurs de ce théâtre, Brunet, Potier, Odry, Vernet, Bouffé, etc., comme
_le Désespoir de Jocrisse_, _le Ci-devant Jeune Homme_, etc. Le théâtre
du Vaudeville inspirait des sujets d’enseignes gaies et plaisantes, sans
être bouffonnes, comme _les Deux Gaspard_ du faubourg Saint-Denis, dont
nous avons donné la figure page 197, _les Deux Edmond_, _le Petit
Matelot_, _Monsieur Dumolet_, _Monsieur Pigeon_ (le héros d’_Une Nuit de
la Garde nationale_), dans la rue de Seine, etc. Il y avait aussi les
enseignes patriotiques, ou chauvinesques, que le Vaudeville, les
Variétés, le Cirque Olympique, et même le Gymnase, auraient dû fournir
en plus grande quantité, mais que la crainte de la Censure interdisait
souvent aux commerçants les plus paisibles; nous en pourrions néanmoins
citer une vingtaine, entre autres, _les Deux Sergents_, dans la rue
Saint-Honoré, en face la rue du Coq, aujourd’hui Marengo; _Fanfan la
Tulipe_, _Michel et Christine_, _le Soldat laboureur_, _le Chien du
Régiment_, _François les Bas-bleus_, à l’angle du faubourg Montmartre et
de la rue Fléchier, etc.

[Illustration]

Presque tous les grands succès du Gymnase dramatique, dus la plupart à
l’infatigable fécondité du talent de Scribe, furent signalés par
l’apparition de nouvelles enseignes, qui augmentaient et prolongeaient
la vogue de _Malvina, ou le Mariage d’inclination_, du _Mariage
enfantin_, de _la Carotte d’Or_, du _Gamin de Paris_, du _Comédien
d’Étampes_, etc.[265].

[Illustration]

Les spectacles du boulevard du Temple, la Gaîté,

[Illustration]

l’Ambigu-Comique, le Cirque Olympique, les Funambules, etc., avaient eu
aussi de grands succès populaires, et, par conséquent, ces succès
s’étaient affirmés par un grand nombre d’enseignes boutiquières, qui
duraient beaucoup plus longtemps que ces pièces de différents genres,

[Illustration]

telles que _l’Oiseau bleu_, _les Deux Pierrots_, qui sont toujours en
place, au coin de la rue Saint-Jacques et de la rue de la Huchette (voir
figure p. 349), _les Innocents_, _les Quatre Sergents de la Rochelle_,
du boulevard Beaumarchais, etc. Mais, comme tout passe ici-bas, les plus
beaux drames, les plus merveilleuses féeries, les plus amusantes
pantomimes, les mimodrames les plus éblouissants n’avaient qu’un temps,
et, après cent ou deux cents représentations, étaient absolument
oubliés, en sorte que les enseignes nées de leur vogue pouvaient à peine
leur survivre. Voilà comment la plupart des enseignes qui rappelaient à
la foule les mélodrames de Guilbert de Pixérécourt disparurent avant le
célèbre auteur de _la Femme à deux maris_, de _Cœlina, ou l’Enfant du
Mystère_, du _Chien de Montargis_ et de _Latude_.

[Illustration]

Les pièces en musique, les opéras-comiques, dont les airs deviennent si
populaires, quand l’orgue de Barbarie les propage, multiplièrent les
enseignes peintes d’après nature, avec les portraits des plus célèbres
chanteurs et chanteuses du théâtre de l’Opéra-Comique: _A la Clochette_,
_Au Chaperon rouge_, _A Joconde_, _A la Somnambule_, _A la Dame
blanche_, etc.

[Illustration]

La révolution du 24 février 1848 marqua le déclin du règne de ces sortes
d’enseignes à Paris. Les marchands conservèrent celles qui avaient fait
la réputation de leurs maisons de commerce; mais il fallut bien
reconnaître, petit à petit, que les enseignes en tableaux étaient
démodées; puis, certains propriétaires trouvèrent à redire à ces
enseignes, qui pouvaient parfois diminuer la valeur d’un immeuble. On
avait aussi constaté qu’une enseigne peinte à l’huile, étant toujours
exposée à l’air, subissait à son détriment les variations de la
température; on devait donc, de temps à autre, la faire revernir ou même
la soumettre à de plus sérieuses réparations. Bien d’autres raisons
achevèrent de discréditer ce genre d’enseignes. On avait pourtant évité
avec soin, malgré le succès énorme de certaines pièces de théâtre,
telles que _la Vie d’un joueur_, _l’Auberge des Adrets_, _le Faussaire_,
_Cartouche_, etc., de donner à tel ou tel magasin une enseigne qui
pouvait prêter à des allusions ou à des rapprochements désagréables. On
vit donc peu à peu disparaître les enseignes empruntées à des pièces de
théâtre, sous prétexte qu’une ancienne pièce n’avait plus de sens aux
yeux d’une génération nouvelle. La suppression de ces enseignes, souvent
fort coûteuses, gagna de proche en proche, et le public n’eut pas l’air
de s’en apercevoir. Ce fut le commencement de la décadence de toutes les
enseignes peintes. On s’était convaincu, par expérience, que si les
annonces de la quatrième page des grands journaux politiques, inaugurées
en 1837 par Emile de Girardin et Dutacq, coûtaient plus cher que les
plus belles enseignes, elles rapportaient dix fois davantage. L’annonce
et la réclame, qui détrônaient décidément l’enseigne, finirent pourtant
par avoir la leur, au nº 31 de la rue Croix-des-Petits-Champs, où
s’étale en belle place une assez pauvre figure d’une _Renommée_
gigantesque, en mosaïque grisaille sur fond d’or, avec cette légende
éloquente: _Ars famæ_[266].

Il existe encore, ainsi qu’on a pu le voir au cours de cet ouvrage, un
assez grand nombre d’anciennes enseignes peintes, mais on n’en fait plus
guère de nouvelles, bien que, devenant plus rares, on doive peut-être
les remarquer davantage. Nous n’avons pas à faire l’histoire de ces
enseignes de la dernière heure, quoique plusieurs soient encore des
signes de la tradition; nous n’en citerons qu’une, qui produisit tout
l’effet de curiosité qu’on pouvait attendre d’une enseigne: _Aux
Mystères de Paris_, ancienne maison Bourdillot, 6, rue du Temple,
Guibert, spécialité de blanc et lingerie. Le succès des _Mystères de
Paris_, d’Eugène Sue, valait bien une enseigne. Il est bon de rappeler
que le _Juif errant_, dont le succès fut encore plus grand, avait été
accueilli au théâtre avec la même faveur que le roman parmi les
lecteurs, mais pas un marchand n’osa s’attribuer une aussi fâcheuse
enseigne, sous peine d’être montré au doigt, comme un juif dénoncé par
son enseigne.

Nous ne pouvons cependant oublier cette enseigne, plus moderne, d’un
chapelier du boulevard de Sébastopol, nº 28 bis, qui aurait pu figurer
dans le chapitre consacré aux enseignes singulières: _A l’Hérissé_,
figure d’un homme à crinière de porc-épic, s’élevant d’un demi-mètre
au-dessus de sa tête, et difficile à coiffer, assurément, pour tout
autre que l’ingénieux industriel qui l’arbore au-dessus de sa boutique
depuis une vingtaine d’années[267].



XXVI

LES ENSEIGNES PENDANT LA RÉVOLUTION


La Révolution commence en 1789, et l’on peut dire, avec Colnet[268], que
l’enseigne va parcourir toutes les phases de cette révolution. «Au lieu
de rester, comme nous l’avons vue jusqu’ici, dit M. Amédée Berger,
tantôt patronale, c’est-à-dire portant l’effigie du saint, protecteur de
la corporation, tantôt parlante et représentant les outils du métier, ou
enfin imaginaire avec des figures capricieuses et insignifiantes, nous
allons la voir devenir politique[269].» Il y avait eu sans doute, et
peut-être de tout temps, des enseignes politiques, mais ce n’était
qu’une exception, au lieu d’être une généralité. Ainsi l’avénement de
Louis XVI au trône avait été signalé par l’enseigne de la _Poule au
pot_, accompagnée de ces vers satiriques:

    Enfin la _Poule au pot_ sera donc bientôt mise:
        On doit du moins le présumer,
    Car, depuis deux cents ans qu’on nous l’avait promise,
        On n’a cessé de la plumer.

Colnet remarque très judicieusement que les enseignes, à partir de cette
époque, semblent faites pour retracer les mœurs du jour et les
révolutions des idées. En 1789, après le 14 Juillet, «tout est à la
_Bastille_, dit M. Amédée Berger: l’image de la vieille prison est
représentée de cent façons diverses; on la voit sur tous les murs; les
hommes portent, sur leurs habits, des boutons représentant les
différents épisodes de la journée du 14 Juillet, et les femmes se
coiffent avec des bonnets garnis de deux rangs de _créneaux_ en dentelle
noire. Pendant l’année 1790, tout devient à la _Fédération_, et en 1791,
c’est le tour de _Monsieur Veto_.»

L’enseigne suivait le mouvement des esprits: «Il y en avait de
révolutionnaires, dit M. J. Poignant[270], il y en avait de
contre-révolutionnaires, et comme le Parisien est essentiellement de
l’Opposition, ces dernières étaient les mieux achalandées; il y en avait
de gaies, il y en avait de tristes, il y en avait d’indifférentes.» Les
hôtels garnis, dont le nombre augmentait sans cesse avec la population
flottante de Paris, avaient changé leurs enseignes pour se disputer les
voyageurs qui arrivaient de la province plutôt que de l’étranger; un de
ces hôtels, dans la rue de Richelieu, prenait l’enseigne des
_États-Généraux_; un autre, celle de l’_Assemblée nationale_, un autre
celle du _Grand Necker_.

Le plus somptueux d’entre eux existe encore; c’est le grand hôtel
_Mirabeau_ de la rue de la Paix. L’histoire de son enseigne est assez
piquante, et nous a été contée par le petit-fils du fondateur. Ce brave
homme, originaire du village du Lys, aux environs de Senlis, était venu,
comme tant d’autres, chercher fortune à Paris vers 1789. Il avait ouvert
à la Chaussée-d’Antin, qui n’était encore qu’un élégant faubourg, un
modeste hôtel meublé qu’il baptisa _Hôtel du Lys_. Vinrent les premiers
troubles de la Révolution, qui dépopularisèrent la fleur de lis à tel
point, que l’enseigne du _Lys_, toute géographique qu’elle était,
devenait compromettante. Mirabeau venait de mourir dans un hôtel de la
Chaussée-d’Antin, voisin de l’hôtel garni; il n’avait pas dédaigné de
venir s’asseoir à la table d’hôte avec des amis politiques, la rue de la
Chaussée-d’Antin avait reçu son nom par acclamation populaire; l’hôtel
adopta aussi cet illustre patronage, sous lequel il traversa vaillamment
les mauvais jours de la Terreur, l’Empire et, ce qui est plus
surprenant, la Restauration, que tous les hôteliers de Paris
accueillirent avec enthousiasme. Le petit hôtel avait grandi; de la rue
du Mont-Blanc, il était passé rue du Helder, puis rue Napoléon, dès son
ouverture en 1806. A la rentrée des Bourbons, il conserva fièrement son
enseigne, tandis que la rue abdiquait piteusement son nom pour prendre
celui de rue de la Paix. Il ne paraît pas disposé à l’abandonner.

On reconnaît bientôt l’affaiblissement du respect des choses religieuses
par la disparition successive des images de saints qui avaient été les
premiers patrons de l’enseigne, et qui n’étaient pas moins fêtés dans
les rues de la capitale que dans le calendrier. On fait enlever, sans
bruit et sans scandale, certaines enseignes trop royalistes; on efface
certaines inscriptions trop favorables à l’ancien régime: par exemple,
le meilleur confiseur de la rue des Lombards, qui recommandait sa maison
par l’enseigne du _Grand Monarque_, corrige cette enseigne en
l’intitulant: _Au Grand Vainqueur_; mais les royalistes lui gardent
rancune d’avoir débaptisé cette enseigne renommée, et ils lui tournent
le dos pour donner leur clientèle aux magasins du _Fidèle Berger_ et des
_Deux Amis_, deux boutiques voisines dont les enseignes n’ont rien à
démêler avec la politique.

Après l’arrestation du roi et de la famille royale à Varennes (juin
1791), l’Assemblée nationale rend un décret qui ordonne d’effacer
partout les emblèmes de la royauté. Ce décret s’attaque surtout aux
enseignes sur lesquelles figurent les armes royales et les insignes
royaux. Quelquefois le commerçant, irrité de la guerre tyrannique faite
à son enseigne, résistait autant que possible à ces misérables
tracasseries, exercées contre lui au nom du peuple. Un restaurateur, à
l’enseigne du _Tigre royal_, ayant été sommé par la municipalité de
supprimer l’épithète de _royal_, la remplaça par celle de _national_ et
eut l’audace de faire inscrire, à la porte de son établissement: _Au
Tigre national_[271]. Le frontispice d’un Almanach de 1792 représente
des ouvriers enlevant des enseignes qui portaient le nom ou les armes
du roi, ainsi que les symboles du gouvernement monarchique.

Depuis que l’armée des princes se formait à Coblentz dans le but de
venir délivrer Louis XVI, prisonnier de l’Assemblée nationale, les
bureaux des racoleurs fonctionnaient à Paris avec une fiévreuse activité
pour donner des hommes à l’armée royale, qui avait besoin de nouvelles
recrues en prévision d’une guerre d’invasion. D’autre part, ces bureaux
s’étaient multipliés depuis que le ministère payait la prime
d’engagement, et leurs enseignes, exclusivement militaires et
patriotiques, avaient remplacé partout des enseignes bachiques et
affriolantes, qui eurent toujours tant d’empire sur les pauvres dupes du
racolage. De cette époque datent certaines enseignes qui ont subsisté
jusqu’à nos jours, et qui faisaient appel à la bonne volonté des
remplaçants, dont la conscription autorisait légalement le trafic, comme
une espèce de marché de chair humaine. Il n’y a pas longtemps que nous
avons vu disparaître le _Petit Tambour_, au coin de la rue de Bièvre; le
_Grenadier_, rue Corneille, etc.; l’_Ancien Tambour_, quai de la
Tournelle, existe même encore, ainsi que les _Deux Sapeurs_ de la rue
Jean-Jacques-Rousseau.

C’est en 1793, après le 10 Août, que la fermeture des églises porta le
dernier coup aux statues de piété que la dévotion de nos aïeux avait
érigées au coin des rues et sur la façade des maisons. On ne fit pas
grâce à celles que le zèle de quelques courageux propriétaires
s’efforçait encore de protéger. C’est alors que le buste de Marat
remplaça la statue de la Vierge dans la rue aux Ours et qu’un
restaurateur de la rue Saint-Honoré inaugura l’enseigne du _Grand
Marat_, avec une double inscription; savoir, d’un côté: _Il

[Illustration]

fut l’ami du peuple et observateur profond_, et de l’autre côté:

[Illustration]

_Ne pouvant le corrompre, ils l’ont assassiné._ «En même temps, ajoute
M. Amédée Berger, comme le comique a toujours chez nous sa place à côté
des plus lugubres souvenirs, un marchand de la rue Saint-Eustache
placarda l’enseigne suivante au-dessus de sa porte: _Aux cols,
brassières et ceintures nationales_, avec cette incroyable inscription:
«Les hommes étant convenus de porter la cocarde aux trois couleurs,
comme signe de patriotisme, il est étonnant que les femmes ne soient
décorées, ni pour elles ni pour leurs enfants, de rien qui puisse
prouver leur civisme. C’est pour faciliter ce moyen qu’on vient de
fabriquer des ceintures et des brassières aux trois couleurs, qui ne
laissent aucun doute sur les principes de ceux qui les porteront.»

Sous le règne de la Terreur, il n’est pas prudent de jouer avec les
enseignes, et le plus sage est de les ôter tout à fait plutôt que d’en
modifier le sujet et le titre. Aussi faut-il être notoirement
républicain pour oser se donner le luxe d’une enseigne nouvelle, car
tout était matière à suspicion et à dénonciation. Un cabaretier de
Sèvres, qui avait de longue date une belle enseigne: _Au rendez-vous des
marins d’eau douce_, s’imagina que le tutoiement révolutionnaire n’était
pas suffisamment observé dans le mot _rendez-vous_, qu’il changea en
_rends-toi_, et l’on put lire sur cette enseigne: _Au rends-toi des
marins d’eau douce_. Malheur à qui eût osé conserver sur son enseigne
une croix, une couronne, ou un écusson d’armoiries!

Le moment était si lugubre et si redoutable, que personne n’avait le
cœur d’être plaisant, même sur une enseigne; mais du moins la
plaisanterie pouvait cacher la peur. Ainsi un marchand, nommé Basset,
avait joué sur son nom en se donnant un chien pour enseigne et en
l’intitulant: _Au Basset_[272]. Un autre, qui demeurait sur la place
Vendôme, avait cru se faire de son enseigne un paratonnerre politique en
y inscrivant une phrase de Robespierre relative à l’Être suprême[273].
La police, à cette époque terrible, trouvait le temps d’éplucher les
enseignes et de les mettre toutes au diapason de la circonstance. Après
la création du Calendrier républicain, adopté par la Convention le 24
novembre 1792, un arrêté du Bureau central de Paris enjoignit aux
cabaretiers de substituer, sur leurs enseignes, aux mots: _bière de
mars_, ceux-ci: _bière de germinal_[274].

M. Firmin Maillard a caractérisé ainsi les enseignes de la Terreur:
«Brutus, Spartacus et quelques autres martyrs de la liberté deviennent
des héros d’enseignes. C’est à la _Lanterne nationale_ ou à la
_Carmagnole_ que vont se désaltérer les garçons bouchers: ils arrivent
au cabaret, drapeau déployé, drapeau sur lequel il y a un énorme couteau
et ces six mots écrits au bas: «_Tremblez, aristocrates, voici les
garçons bouchers!_» Voilà leur enseigne! mais rien ne peut égaler celle
du libraire Tisset, «coopérateur des succès de la République française.»
L’abominable homme restait rue de la Barillerie, nº 13, et il avait
au-dessus de sa porte une guillotine enluminée entre les montants de
laquelle se trouvaient inscrits les noms des personnes qui devaient être
exécutées dans la journée. Du reste, cet aimable personnage éditait une
liste de condamnés qu’il appelait: _Compte rendu aux Sans-Culottes, par
très haute, très puissante et très expéditive dame Guillotine_, rédigé
et présenté aux _amis de ses prouesses_, par Tisset.»

[Illustration: AU LION D’ARGENT.]

Alors on pouvait dire qu’au-dessus de la France, il y avait une enseigne
terrible, sur laquelle flamboyaient ces trois mots, qui depuis ont pris
quelque chose de solennel: _A la Terreur!_ Puis, tout finit avec des
_Notre-Dame-de-Thermidor_, hommage ridicule, mais honnête, rendu à Mᵐᵉ
Tallien, qui eut assez d’empire sur son mari pour le forcer à jouer sa
tête en décidant la Convention à mettre fin au règne sanglant des
Jacobins, par la révolution du 9 Thermidor.

[Illustration: AU LION FERRÉ.]

Toutes les enseignes n’ont pas disparu pendant la Révolution; ainsi
qu’on a pu le voir par celles que nous avons citées, beaucoup de figures
en pierre ou en bois trouvèrent grâce devant le vandalisme brutal de la
populace, quand elles n’avaient aucun sens politique, comme le _Lion
d’Argent_, charmant détail de la maison nº 1 de la rue des Prouvaires,
dont la gracieuse ornementation est un des rares spécimens intacts du
style Louis XV; le _Lion ferré_, de la rue Saint-Martin, le _Vieux
Satyre_, de la rue Montfaucon, et surtout comme l’_Hercule_, de la rue
Grégoire-de-Tours, alors rue des Mauvais-Garçons-Saint-Germain, que les
républicains du quartier avaient pris sous leur sauvegarde, en le
surnommant le _Vieux Sans-Culotte_, et qui, comme les trois qui
précèdent, existe encore aujourd’hui.

[Illustration]

On vit renaître les enseignes non politiques et inoffensives sous le
Directoire, mais d’abord en très petit nombre. La Terreur avait donné
des leçons de prudence et de réserve aux plus aventureux[275]; on
hésita quelque temps, avant de se remettre à vivre au dehors, pour ainsi
dire. Dans les premiers jours de défiance et de trouble qui suivirent la
grande délivrance de Thermidor (27 juillet 1794), on avait eu l’idée de
faire inscrire sur les portes des maisons les noms des personnes qui
habitaient ces maisons; on renonça bientôt à

[Illustration]

cette inquisition intolérable. La Révolution avait tué l’industrie des
peintres d’enseignes; on ne les vit renaître de leurs cendres qu’au
milieu du Directoire. En attendant, on avait remplacé les enseignes
comme on avait pu. Mercier, dans la description qu’il fait du
Palais-Égalité, ci-devant Palais-Royal, en 1799, nous fournit à ce sujet
un détail bien singulier: «Les tableaux sortis des cabinets curieux, les
gravures libertines, les romans érotiques, servent d’enseignes

[Illustration]

à une foule de prostituées logées aux mansardes[276].» On ne faisait
alors aucun cas des meilleurs tableaux anciens, qui pourrissaient dans
la boue chez les marchands de bric-à-brac. Sébastien Mercier, dans un
autre endroit du même ouvrage, raconte qu’un savetier avait pris, pour
en faire l’auvent de son échoppe, un superbe tableau de maître,
représentant la Cène.

[Illustration]

Les premières enseignes peintes qui reparurent à Paris furent celles des
restaurants, des cafés, des marchands de comestibles: c’est de ce
temps-là que datent l’enseigne de l’hôtel des Américains, rue
Saint-Honoré, près de l’Oratoire; la _Flotte Sainte-Barbe_, rue
Saint-Martin; le _Gourmand_, de Corcellet; le _Bœuf à la Mode_, de la
rue de Valois; le _Veau qui tette_, de la place du Châtelet, aujourd’hui
rue des Halles; l’enseigne des _Trois Frères provençaux_, etc. Après les
établissements de gastronomie, les débits de tabac eurent des enseignes,
telles que la _Bonne Prise_, encore à sa place au nº 7 de la rue
Saint-Jacques, la _Civette_, de la place du Palais-Royal et la _Grosse
Carotte_. «Saint-Germain-l’Auxerrois[277], respecté, disent les frères
de Goncourt, a tout à côté de lui une renommée nouvelle, une enseigne
fameuse: la _Grosse Carotte_, ce débit de tabac qui rivalise avec la
célèbre _Carotte américaine_ des Halles.» Le jardin Turc, dont la vogue
commençait à se prononcer au boulevard du Temple, n’avait trouvé rien de
mieux, pour remplacer une enseigne peinte, que d’avoir à sa porte des
Turcs, de vrais Turcs, en costume, qui fumaient indolemment leur pipe,
de midi à minuit[278]. C’était le premier essai des tableaux vivants.



XXVII

LES ENSEIGNES AU XIXᵉ SIÈCLE


A la fin du Directoire, il y eut comme une renaissance des enseignes, à
Paris. Beaucoup de celles qu’on avait mises au grenier, au début de la
Révolution et surtout pendant la Terreur, reprenaient leur ancienne
place sur les boutiques, sans aucun changement ou avec de légères
modifications exigées par l’état social et politique. Ce fut bientôt une
mode, une fureur, une folie. On ne souffrait plus qu’une boutique qui
avait acquis une clientèle respectable fût dépourvue d’enseigne. Il
fallait donc en faire peindre de nouvelles, en toute hâte, et les
peintres en lettres, qui venaient de traverser la Révolution, n’y
avaient pas gagné du côté de l’art et de l’orthographe. Ces enseignes
improvisées, qui semblèrent sortir de terre pour se répandre dans tous
les quartiers et toutes les rues, ne faisaient pas honneur à la peinture
française, à l’esprit français et à la langue française. C’était un
affreux désordre d’enseignes horribles, ou ridicules, de toutes formes
et de toutes grandeurs, qui se disputaient le terrain et qui
n’obéissaient qu’à la loi du plus fort ou du plus effronté. On avait
commencé, pour leur faire place, par effacer l’odieuse inscription:
_Liberté, Égalité, Fraternité, ou la Mort_, qui s’était imposée, comme
une épitaphe sépulcrale, sur tous les murs et sur toutes les portes, en
guise d’enseigne révolutionnaire.

«Le Consulat, dit M. Amédée Berger, à qui nous laissons la parole, faute
de pouvoir mieux dire, le Consulat eut beaucoup à faire pour nettoyer
les murailles de Paris, qui s’étaient singulièrement illustrées depuis
la Révolution: les reliefs et les massifs se balançaient de plus belle
au-dessus des passants alarmés; et en présence des inscriptions les plus
grossières, le besoin d’un nouveau Caritidès se faisait de nouveau
sentir.» La réforme fut radicale, et une ordonnance de Bureau central du
canton de Paris, en date du 1ᵉʳ frimaire an VIII (novembre 1799),
obligea tous les boutiquiers à supprimer les enseignes pendantes, à les
remplacer par des tableaux incrustés dans les murs, enfin «à corriger
dans les enseignes tout ce qui pouvait s’y rencontrer de contraire aux
lois, aux mœurs et à la langue française». Pour prévenir tout abus, on
devait soumettre d’avance à l’autorité la copie des inscriptions que
l’on avait l’intention de placer au-dessus des boutiques, et il était
interdit de modifier le texte approuvé par l’administration[279]. Cette
intrusion pédantesque de la police dans la liberté des enseignes ne plut
pas à tout le monde. «En attendant que l’on s’occupe de la restauration
des lettres, disait avec dédain le dramaturge Arnault dans une note de
journal, on procède à la correction des enseignes. Nos édiles ont pris,
en effet, un arrêté excellent sous plusieurs rapports. Des magistrats
qui savent lire ne veulent plus que des écrivains ne sachent pas
écrire[280].» On lisait, le 1ᵉʳ décembre 1810, dans le _Mercure de
France_, une autre note, qui doit être de Jouy, puisqu’il l’a intercalée
depuis dans son _Hermite de la Chaussée d’Antin_: «M. Caritidès
(personnage des _Fâcheux_ de Molière) voulait, avec raison, qu’on
réformât la détestable orthographe des enseignes, et l’on vient de faire
droit, en 1810, au placet qu’Éraste fut chargé, par lui, de présenter à
Louis XIV, en 1661. Tant de grossières absurdités vont enfin
disparaître, et il ne restera plus à désirer aux beaux esprits les plus
minutieux que de voir s’établir une sorte d’analogie entre les enseignes
et les professions. Ce défaut était moins choquant autrefois qu’il ne
l’est aujourd’hui; il y avait quelque raison pour qu’un cordonnier fût à
l’_Image de saint Crépin_, un tabletier au _Singe d’ivoire_, un marchand
de tabac à la _Civette_. Mais quelle espèce de rapport peut-on établir
entre le _Masque de fer_ et des bonnets de coton, entre _Jocrisse_ et un
joaillier, la _Vestale_ et une lingère, le _Petit Candide_ et un bureau
de loterie, la _Bonne foi_ et un tailleur? Nous ne manquons pas de
mauvais plaisants tout prêts à trouver là des sujets d’épigrammes.»
L’orgueilleux Étienne de Jouy ne pardonnait pas à la lingère qui lui
avait emprunté une scène de son opéra de la _Vestale_ pour en faire une
enseigne. «Sous l’Empire, dit Amédée Berger, une révolution s’était
opérée dans l’aspect des rues marchandes de Paris: le magasin avait
supprimé la vieille boutique, et alors avait commencé une curieuse lutte
de façades, d’étalages et d’enseignes. Chacun voulait avoir son
enseigne, et un marchand du faubourg Saint-Denis, ne sachant à quel
saint se vouer, écrivit au-dessus de sa boutique: _A n’importe quoi_.»
M. Auguste Luchet complète cette description dans un chapitre sur les
_Magasins de Paris_[281], où il étudie la métamorphose de la boutique en
magasin: «On perdit deux cents, trois cents aunes d’étoffe en guirlandes
d’étalage. On n’eut point d’enseignes, on eut des tableaux, des tableaux
à l’huile, peints sur toile, que l’on payait jusqu’à mille écus: luxe
inouï, incroyable, qui pendant dix ans donna un aspect fantastique aux
rues Saint-Honoré, Saint-Denis, Neuve-des-Petits-Champs, et commença la
pompe merveilleuse des boulevards de Paris.»

La monomanie d’enseignes peintes avait pourtant donné lieu à bien des
critiques dès l’année 1810; on lisait dans la Chronique du _Mercure de
France_, le 29 décembre de cette année-là: «Les calembours, bannis du
théâtre, semblent vouloir se réfugier sur les enseignes. Un marchand
gainier, nommé Aymon, a trouvé très spirituel de prendre pour enseigne:
_Aux Quatre Fils Aymon_. Un marchand de tableaux du passage du Panorama,
du nom de Pierre Legrand, a fait peindre au-dessus de sa porte le
portrait du Czar; au-dessous est écrit: _Au Czar, Pierre Legrand,
marchand_ _de tableaux_. Enfin, un libraire connu a joué sur son nom
plus agréablement encore, en l’inscrivant ainsi: _A la Sagesse de
Charron, libraire_. C’est à présent qu’on peut dire avec vérité que
l’esprit court les rues; on s’en aperçoit quand on le retrouve dans les
salons[282].»

Lady Morgan, ci-devant miss Owenson, qui visitait la France en 1816, a
formulé des critiques analogues sur les enseignes de Paris[283]: «Je ne
connais véritablement rien de plus amusant, à Paris, que les allusions
classiques et les devises sentimentales qu’on trouve dans les enseignes,
et l’absurdité de leur application ajoute beaucoup au ridicule de leur
effet. Je remarquai au-dessus de la porte d’un boucher, dans la rue
Saint-Denis, une enseigne représentant un bouquet d’œillets fanés, avec
ces mots: _Au Tendre Souvenir_. La _Tentation de saint Antoine_, en
relief, est suspendue à côté de la _Fille mal gardée_, et les _Trois
Pucelles_ figurent sur les fenêtres d’un tailleur pour l’armée, qui,
pour attirer des pratiques, s’intitule _Tailleur civil et militaire_,
tandis que _saint Augustin_ promet de «reblanchir à neuf les vieilles
plumes». _L’Ange gardien_ s’annonce pour «faire des envois à
l’étranger», et la _Religieuse_ offre son «magasin de nouveautés, au
plus juste prix». Au _Bienvenu_, au _Revenant_, aux _Bons Enfants_, aux
_Amis de la Paix_, sont des enseignes arborées bien souvent pour attirer
le chaland. La _Belle Hélène_ et les _Trois Sultanes_ étalent leurs
charmes dans tous les quartiers pour séduire les gens et intéresser le
goût ou le sentiment du passant imprudent. La morale même est appelée à
l’aide du sentiment, et les marchandises les plus chères sont achetées
au _Gagne-Petit_ ou mises en vente à la _Conscience_.» Les observations
critiques de Lady Morgan sont moins justes quand elle suppose que les
enseignes des boutiques pourront un jour fournir des armoiries aux
futurs parvenus; que la noblesse s’élèvera du comptoir à la pairie, et
que ces nouveaux mystères héraldiques défieront la sagacité des Œdipes
du blason: «Le plus habile généalogiste n’expliquera pas aisément un
écusson portant sur champ d’argent une Vache habillée à la mode de 1816,
ou sur champ de gueules deux Mandarins se donnant la main en signe de
fraternité. Comment devinera-t-on, en voyant ces étranges armoiries, que
les ancêtres de la nouvelle noblesse vendaient du bœuf à la mode, à
l’enseigne de la _Vache parée_, rue du Lycée, et des cachemires de
l’Inde, à l’enseigne des _Deux Magots_, rue de Seine?»

En 1825, les enseignes étaient parvenues au plus haut point de leur
splendeur et de leur prospérité. Le moment parut bon à Balzac pour faire
la nomenclature et la description des plus remarquables, en rassemblant
ainsi les matériaux de leur histoire sous la Restauration. Son _Petit
Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de Paris_, volume
in-32, de 160 pages, est devenu fort rare, quoiqu’il ait été tiré et
vendu à un grand nombre d’exemplaires. On l’a réimprimé intégralement
dans la dernière édition des Œuvres complètes de Balzac. Nous ne jugeons
donc pas utile de l’analyser et d’en extraire les passages les plus
piquants, après l’avoir souvent cité dans le cours de notre travail.
C’est pourtant le répertoire le plus considérable qu’il y ait des
enseignes de Paris, en 1826. Il nous a semblé, toutefois, nécessaire et
intéressant de donner une simple liste des enseignes qui y sont
décrites, et de classer ces enseignes par ordre de profession et de
commerce, pour faire ressortir autant que possible les analogies plus ou
moins bizarres qui peuvent exister entre les différents corps d’état et
leurs enseignes.

Commençons par les marchands de nouveautés, qui, comme Balzac le fait
remarquer, ont la plus grande part dans cette longue liste de tableaux
d’enseignes.


MAGASINS OU MARCHANDS DE NOUVEAUTÉS.

A l’_Assomption_, rue Saint-Honoré, nº 375.

Aux _Bayadères_, boulevard des Italiens, nº 9.

A la _Belle Ferronnière_, rue du Faubourg-Saint-Antoine.

A la _Belle Jardinière_, rue de la Lanterne, nº 13.

Aux _Bonnes d’Enfants_, rue Saint-Honoré, nº 279.

Au _Coin de Rue_, au coin de la rue des Bons-Enfants.

A la _Clochette_, place de l’École.

Au _Croissant_, rue Dauphine, nº 44.

Au _Château d’Eau_, boulevard Saint-Martin, nº 27.

A la _Caravane_, rue de Richelieu, nº 82.

Au _Chaperon rouge_, rue Saint-Honoré, nº 326.

A la _Curieuse_, rue de la Monnaie, au coin de la rue Baillet.

Au _Drapeau libérateur_, rue du Petit-Carreau, nº 26.

Au _Diable boiteux_, rue de la Monnaie, nº 23.

Aux _Deux Magots_, à l’angle des rues de Seine et de Buci.

Aux _Deux Cousines_, rue Coquillière.

Aux _Dames françaises_, rue de Buci, nº 2.

A la _Dame du Lac_, rue Saint-Martin, nº 257.

A l’_Éclipse de 1820_.

A la _Fille d’honneur_, rue de la Monnaie, au coin de la rue Boucher.

A la _Frileuse_, rue Saint-Denis, nº 370.

Au _Gagne-Denier_, rue Saint-Antoine, nº 219.

Au _Général Foy_, rue Poissonnière, nº 44.

Au _Grand saint Michel_, rue de la Vieille-Bouclerie, nº 9.

A la _Fontaine de Jouvence_, rue des Moineaux, nº 3.

A _Jean Bart_, rue Royale, marché Saint-Martin, nº 20.

A _Joconde_, rue Saint-Denis, nº 191.

Au _Lien des Nations_, rue du Faubourg-Montmartre, nº 87.

Au _Mariage enfantin_, rue Sainte-Anne, nº 55.

Au _Nœud gordien_, Palais-Royal, galerie de pierre, nº 233.

Au _Pauvre Diable_, rue Montesquieu, au coin du Passage.

Au _Petit Matelot_, quai et île Saint-Louis.

A la _Petite Jeannette_, boulevard des Italiens, nº 3.

Au _Polichinel vampire_, rue Saint-Martin, en face le Conservatoire.

A _Monsieur Pigeon_, rue de Seine.

A _Pygmalion_, rue Saint-Denis, au coin de la rue de la Heaumerie.

A la _Pucelle d’Orléans_, rue Saint-Honoré.

A _Saint-Denis de la Châtre_, rue de la Juiverie, nº 21.

Au _Serment_, rue Saint-Denis, nº 408.

Au _Soldat cultivateur_, rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 77.

Au _Soldat laboureur_, rue Saint-Denis, nº 110.

Au _Solitaire_, rue du Faubourg-Saint-Denis, nº 68.

A _Valérie_, rue Saint-Denis, nº 309.

Au _Vampire_, rue Saint-Antoine.

Aux _Vêpres siciliennes_, rue Saint-Denis.

A la _Vestale_, rue Montmartre, au coin de la rue de Cléry.

Au _Zodiaque de Paris_, rue du Temple, nº 47.

Combien en reste-t-il aujourd’hui de ces magasins qui ont dû leur
renommée et leur vogue à des enseignes habilement peintes, empruntées la
plupart à des pièces de théâtre, dont l’immense succès avait coïncidé
avec l’ouverture des maisons qu’elles recommandaient au public?

LINGÈRES. A l’_Ange gardien_, rue Saint-Honoré, nº 359.

A la _Baigneuse_, rue Montesquieu, nº 5.

A la _Bonne Ouvrière_, rue du Faubourg-Saint-Denis, nº 1.

Au _Frère de la Charité_, rue Saint-Denis, nº 171.

A la _Négresse_, rue Saint-Honoré, nº 285.

Au _Paysage_, rue Saint-Martin, nº 144.

A la _Parisienne_, rue Saint-Denis, nº 289.

A la _Religieuse_, rue Saint-Lazare, nº 72.

A la _Somnambule_, rue Saint-Honoré, nº 242.

Aux _Trois Sultanes_, au coin des rues Vivienne et Colbert.

BONNETIERS. A la _Barque à Caron_, rue du Bac.

Au _Bon Fabricant_, au coin des rues de la Calandre et de la Barillerie.

Au _Bon Henri_, rue Neuve-des-Petits-Champs, nº 30.

Au _Cotonnier_, rue Neuve-des-Petits-Champs, nº 67.

A _Monsieur Dumolet_, rue Montesquieu.

Au _Grand Mogol_, rue Saint-Martin, nº 287.

A la _Mère de Famille_, rue du Faubourg-Saint-Denis, nº 8.

Au _Moine saint Martin_, marché Saint-Martin.

Au _Saint Nom de Jésus_, rue Vieille-du-Temple, nº 62.

Au _Sabot fourré_, rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 51.

Au _Tableau des Samoïèdes_, rue des Deux-Ponts, nº 22.

MAGASINS DE SOIERIES ET D’ÉTOFFES. A la _Belle Anglaise_, rue
Saint-Denis, nº 94.

Au _Grand Turc_, rue Saint-Honoré, nº 248.

A l’_Irlandaise_, rue Vivienne, nº 17.

A la _Perle_, rue Neuve-des-Petits-Champs, nº 35.

A la _Reine Mathilde_, rue Feydeau, nº 17.

A _Jean de Paris_, rue du Bac, nº 4.

A la _Toison de Cachemire_, rue Vivienne, nº 14.

DRAPIERS. Au _Bourgmestre de Saardam_, rue Saint-Honoré, nº 53.

Au _Buste de Henri IV_, rue Saint-Honoré, nº 3.

Aux _Deux Frères_, rue Montesquieu, nº 5.

Aux _Deux Edmond_, rue Saint-Denis, nº 220.

A l’_Invariable_, rue Dauphine, près de la rue d’Anjou.

Aux _Médecins français_, rue Saint-Martin, nº 262.

Aux _Montagnes russes_, rue Neuve-des-Petits-Champs, au coin du Perron.

MERCIERS. A la _Barbe bleue_, rue du Four-Saint-Germain, près l’Abbaye.

Aux _Décorations françaises_, rue Saint-Denis, nº 8.

A la _Fileuse_, rue Saint-Denis, nº 80.

A la _Gasconne_, rue Saint-Honoré, nº 21.

A la _Lilliputienne_, rue Montmartre, nº 104.

A l’_Oiseau bleu_, rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 69.

A la _Pèlerine_, rue Saint-Honoré, nº 275.

Au _Petit Petro_, rue Saint-Denis, nº 150.

A la _Villageoise_, rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 27.

FOURREURS. Au _Grand Hercule_, rue des Fourreurs, nº 18.

Au _Manteau d’Hermine_, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, nº 17.

Au _Renard_, rue des Fourreurs, nº 19.

Au _Roi de Danemarck_, rue Saint-Honoré, nº 213.

MARCHAND DE TULLES. Au _Roi d’Angleterre_, rue Vivienne, nº 11.

MARCHANDE DE MODES. A la _Glaneuse_, Palais-Royal, galerie de bois, nº
225.

BOUTIQUES DE CORSETS. Aux _Deux Sœurs_, boulevard des Panoramas, nº 13.

A _Ninon_, boulevard Poissonnière, nº 14.

PLUMASSIERS. A l’_Autruche_, rue Saint-Denis, nº 354.

Au _Lever de l’Aurore_, rue Saint-Denis, nº 293.

TAILLEURS. Au _Triomphe de Trajan_, rue de Richelieu, nº 72.

Au _Roi de Cœur_, rue du Temple.

CHAPELIERS. Aux _Architectes canadiens_, rue Dauphine, nº 3.

Au _Chapeau sans pareil_, boulevard Bonne-Nouvelle, nº 11.

A l’_Ermite de la chaussée d’Antin_, rue Caumartin, au coin de la rue
Neuve-des-Mathurins.

A l’_Observateur des Modes_, boulevard des Italiens, nº 11.

Aux _Véritables Chasseurs canadiens_, rue Dauphine, nº 63.

CORDONNIERS, BOTTIERS. A la _Belle Indécise_, boulevard Bonne-Nouvelle,
nº 33.

A la _Botte sans couture_, Palais-Royal, galerie de pierre.

A l’_Hortensia_, boulevard Bonne-Nouvelle, nº 15.

A la _Pantoufle verte_, rue de Richelieu, en face le Théâtre-Français.

A _Saint Crépin_, rue Saint-Honoré, nº 242.

COIFFEURS. A _Absalon_, rue Basse, Porte Saint-Denis, nº 8.

Au _Savant Perruquier_, rue Saint-Jacques, nº 121.

Aux _Templiers_, rue Feydeau, nº 16.

A la _Toilette Psyché_, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, nº 5.

BIJOUTIERS. A la _Belle Anglaise_, Palais-Royal, nº 156.

Au _Cheval indien_, Palais-Royal, galerie de pierre, nº 146.

A la _Juste Balance_, rue Saint-Martin, nº 196.

Au _Mouton blanc_, quai Lepelletier, nº 10.

Aux _Trois Agneaux d’Or_, quai Lepelletier, nº 5.

BIJOUX FAUX. A l’_Écrin_, rue Notre-Dame-de-Nazareth, nº 15.

QUINCAILLIERS. A _Charles VII_, rue de l’École-de-médecine, nº 35.

Au _Cheval d’Or_, rue Saint-Denis, nº 371.

A l’_Espérance_, rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 11.

A la _Flotte d’Angleterre_, rue de la Barillerie, nº 5.

Aux _Forges de Vulcain_, au coin de la rue de la Barillerie et du Marché
aux fleurs.

Au _Pilote_, rue de Seine, nº 79.

Au _Vaisseau marchand_, rue Saint-Martin, nº 186.

ORNEMENTS D’ÉGLISE. A _Fénelon_.

ARMURIER. _Au Faisceau_, rue de Richelieu, nº 64.

SELLIERS. Au _Courrier français_, rue de Grenelle-Saint-Honoré, nº 63.

Aux _Jockeis_, boulevard Montmartre, nº 14.

Aux _Courses de Newmarket_, boulevard de la Madeleine, nº 15.

A la _Renommée_, rue du Bac, nº 28.

EPINGLIER. Au _Désir de la France, la Paix_, rue Saint-Denis, nº 298.

OPTICIEN. A la _Longue vue_, place des Victoires.

BUREAU DE LOTERIE. A la _Clef du bonheur_, rue de Richelieu, nº 87.

PAPIERS PEINTS. Au _Comédien d’Étampes_, rue de Grenelle-Saint-Germain,
nº 5.

Aux _Deux Chinois_, boulevard Saint-Martin, nº 8.

Aux _Deux Indiens_, boulevard Bonne-Nouvelle, nº 47.

Aux _Innocents_, boulevard Bonne-Nouvelle, nº 7.

Aux _Orientaux_, boulevard des Italiens, nº 15[284].

Aux _Quatre Saisons_, rue Saint-Denis, nº 126.

MARCHANDS DE MEUBLES. A la _Borne d’Or_, Faubourg-Saint-Antoine, nº 20.

Au _Griffon_, rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 26.

FAÏENCIERS. Aux _Chiens de fayence_, rue du Petit-Lion Saint-Sulpice, nº
22.

Au _Désespoir de Jocrisse_, rue du Bac, nº 33.

Au _Petit Poucet_, rue Montfaucon, nº 4.

CHAUDRONNIER. Au _Mouton d’Or_, rue de Saintonge, nº 8.

LAMPISTE. A la _Lampe merveilleuse_, rue Vendôme, nº 25.

TOURNEUR SUR MÉTAUX. A la _Tête d’Archimède_, rue de Ménilmontant, nº
54.

TEINTURIER. Au _Grand saint Maurice_, quai du Marché-Palu.

BANDAGISTE. A la _Culotte_, rue du Four-Saint-Germain, nº 55.

AUBERGISTE. A la _Conquête de la Toison d’or_, rue du
Faubourg-Saint-Antoine, nº 66.

OISELIER. A l’_Arche de Noé_, boulevard du Temple, nº 47.

MARCHAND DE CHIENS. _Au Chien fidèle_, boulevard des Italiens, au coin
de la rue de la Grange-Batelière.

HORLOGER EN BOIS. _Au Petit Moulin à vent_, rue des Coquilles, nº 10.

MARCHAND DE PARAPLUIES. A l’_Ombrelle à Jocko_, rue de la
Chaussée-d’Antin, nº 4.

IMPRIMEUR. A la _Presse royale_, rue Saint-Denis, nº 317.

CARTIER. Au _Roi Salomon_, rue Sainte-Anne, nº 39.

SAGES-FEMMES. A l’_Accouchée_, rue Jean-Jacques-Rousseau, nº 23.

A la _Fortune des Enfants_, rue de Buci, nº 2.

PHARMACIENS. Au _Mortier d’Or_, rue des Lombards.

Au _Polygone_, rue du Four-Saint-Germain, nº 37.

PARFUMEUR. A la _Belle Athénienne_, rue Saint-Honoré, nº 198.

DÉBITS DE TABAC. Aux _Bons Bretons_, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie,
nº 13.

A la _Civette_, rue Saint-Honoré, au coin de la galerie de Nemours.

A la _Carotte d’Or_, quai Saint-Michel, nº 44.

Au _Diable à quatre_, rue Saint-Denis, nº 381.

Au _Fumeur sans pareil_, rue du Temple, nº 61.

GRAINETIERS. Au _Capousta ou Chou de Sibérie_, boulevard des Capucines,
nº 13.

A la _Renommée des bonnes semences_, rue de Sèvres, nº 1.

BOULANGER. A la _Providence_, rue du Faubourg-Saint-Honoré, nº 40.

ÉPICIERS. Aux _Trois Maures_, rue de la Harpe, nº 27.

A la _Truie qui file_, marché aux Poirées, nº 24.

A la _Providence_, rue d’Enfer, au coin de la rue Saint-Dominique.

SOUDE ET POTASSE. A la _Dame Jeanne_, rue Boucherat, nº 10.

DISTILLATEUR. A la _Maison gothique_, rue Saint-Martin, nº 40.

ESTAMINETS. Au _Jardin des Épiciers_, Faubourg-Saint-Denis.

Au _Jardin de l’Écu_, même rue.

Au _Jardin du Cheval blanc_, même rue.

CHARCUTIERS. Au _Grand saint Antoine_, Porte Saint-Denis.

A la _Hure d’Or_, rue des Boucheries-Saint-Germain, nº 5.

A l’_Homme de la roche de Lyon_, rue Neuve-des-Petits-Champs, nº 5.

A _Ypsilanti_, rue du Gros-Caillou, nº 27.

MARCHANDS DE COMESTIBLES. Au _Bon Vivant_, rue de Richelieu, nº 15.

Aux _Deux Perdrix rouges_, place de la Pointe-Saint-Eustache, nº 13.

Aux _Deux Gastronomes_, boulevard Poissonnière, nº 9.

Au _Gourmand_, Palais-Royal, galerie du Lycée.

Au _Pique-Assiette_, rue du Bac, nº 15.

A _Sainte Geneviève_, place de la Pointe-Saint-Eustache, nº 2.

CONFISEURS. A la _Belle Angélique_, boulevard des Italiens, nº 23.

A la _Belle Marraine_, boulevard du Temple, nº 47.

Au _Cacaotier_, boulevard des Italiens, nº 20.

Au _Chat noir_, rue Saint-Denis, au coin de la rue de La Reynie.

Au _Chocolatier_, passage de l’Ancre.

Au _Fidèle Berger_, rue des Lombards.

A la _Fidélité_, rue de la Paix, nº 5.

Au _Paradis terrestre_, rue Montorgueil, nº 21.

A la _Petite Gourmande_, rue Neuve-Saint-Augustin, nº 13.

Aux _Petites Danaïdes_, boulevard Saint-Martin, nº 57.

A _Vert-Vert_, rue Neuve-des-Petits-Champs, nº 91.

RESTAURATEURS. A l’_Amiral Coligny_, rue Béthisy, nº 18.

Au _Bœuf à la Mode_, rue du Lycée, près du Palais-Royal.

Au _Banquet d’Anacréon_, boulevard Saint-Martin, nº 53.

Au _Cadran bleu_, boulevard du Temple, au coin de la rue Charlot.

Au _Capucin_, rue des Fossés-du-Temple, au coin de la rue d’Angoulême.

A la _Flotte de commerce_, rue Saint-Denis, nº 271.

Au _Réveil-Matin_, rue des Cordiers, nº 9.

Au _Veau qui tette_, rue de la Vrillière, place du Châtelet.

MARCHANDS DE VIN. A la _Bonne Fontaine_, rue de Charonne, nº 1.

Aux _Bons Enfants_, place de Grève, nº 2.

Au _Cocher_, quai des Célestins.

Aux _Contents_, place du Palais-de-Justice, nº 8.

A la _Côte d’Or_, rue du Faubourg-Saint-Denis, nº 86.

Au _Cardinal_, rue Vieille-du-Temple, nº 94.

A l’_Épi scié_, boulevard du Temple, nº 4.

A la _Fontaine de l’Éléphant_, rue Saint-Antoine, au coin de la rue du
Petit-Musc.

Au _Grenadier français_, rue de la Ferme, nº 7.

Au _Jocko de la Montagne_, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, nº 33.

Au _Lion d’Or_, rue Saint-Denis, nº 371.

Au _Mât de Cocagne_, rue du Maure, nº 44.

Au _Mont Blanc_, rue Saint-Lazare, en face de la rue de la
Chaussée-d’Antin.

A la _Partie de chasse de Henri IV_, rue de Saintonge, au coin du
boulevard.

Au _Père Noé_, rue Mandar, nº 6.

Au _Port Saint-Paul_, rue des Barrés, nº 4.

A la _Porte Saint-Honoré_.

A la _Pucelle d’Orléans_, rue du Faubourg-Saint-Martin, nº 3.

A la _Renommée de la Bonne Friture_, rue de Charonne, nº 4.

_Au Rocher_, rue Basse-Saint-Denis, nº 22.

Au _Roi Clovis_, rue Descartes, au coin de la rue Saint-Victor.

Au _Tambour-Major_, rue du Faubourg-Saint-Denis, nº 36.

Au _Temple de Bacchus_, rue d’Ulm, nº 4.

Aux _Trois Lurons_, rue Bourbon-Villeneuve, nº 18.

Aux _Vignes de Tonnerre_, rue Saint-Jacques, nº 145.

A _Xantippe_, rue de l’Oursine, nº 294.

Cette nomenclature, classée par ordre systématique, des plus notables
enseignes de Paris en 1826, permettra d’établir les rapports plus ou
moins éloignés qui existaient entre le sujet de l’enseigne et le
commerce du marchand qui l’avait choisi. Un très petit nombre de ces
enseignes était antérieur à la Révolution; quelques-unes dataient du
Directoire. Souvent le titre de l’enseigne ne donnait aucune idée du
sujet représenté: ainsi l’_Invariable_ était Atlas portant le globe du
monde; la _Dame Jeanne_ n’était qu’une cruche de

[Illustration]

grès, destinée à contenir de l’eau de Javelle; la _Belle Indécise_
laissait flotter son indécision entre deux paires de souliers; le
_Réveil-Matin_ était tout simplement un coq annonçant le point du jour;
la _Belle Angélique_, pour faire un rébus digne d’un confiseur,
attendait Médor à côté d’un beau pied d’angélique, qui ne figure pas
dans le poème de l’Arioste; le _Lien des Nations_, c’était le commerce
qui réunissait des marchands venus des quatre parties du monde; les
_Architectes canadiens_, c’étaient des castors construisant leur
habitation aquatique; le _Bon Fabricant_, c’était un capucin tissant au
métier une paire de bas. Quant aux enseignes des magasins de nouveautés,
ces enseignes, les plus belles, les mieux peintes et les plus agréables
à voir, n’offraient aucune analogie avec le genre de commerce qu’elles
recommandaient aux chalands, puisqu’elles étaient empruntées la plupart
à des pièces de théâtre qui avaient eu la vogue et dont le souvenir
n’était pas encore effacé.

Balzac n’a pas manqué de signaler, dans son _Petit Dictionnaire_, celles
de ces enseignes qui se distinguaient par un mérite d’exécution
artistique et qui pouvaient être considérées comme de bons tableaux
décoratifs. L’_Assomption_ passait pour une véritable peinture de
maître: on la laissait couverte d’un rideau, lorsqu’on croyait devoir la
préserver des intempéries de l’air, soit de la pluie, soit du soleil. Le
_Banquet d’Anacréon_ n’avait aucun caractère d’imitation de l’art
antique, mais les femmes qui entouraient le vieux poète de Téos étaient
représentées avec tout l’éclat du coloris de l’école de Girodet et
semblaient avoir été peintes, à moitié ivres, d’après nature, dans un
souper au Rocher de Cancale. La _Barque à Caron_ était une très bonne
toile, où l’on reconnaissait aussi le pinceau d’un élève de Girodet.
L’enseigne des _Bayadères_ offrait un groupe gracieux de trois jolies
personnes, que l’artiste avait très habilement costumées à l’orientale.
L’enseigne du _Château d’Eau_ était un charmant paysage qui avait
peut-être figuré au Salon et qui dans tous les cas y eût été remarqué.
L’enseigne du _Général Foy_ exposait un portrait fort ressemblant de
l’illustre orateur que le parti libéral avait perdu l’année précédente.
Quant aux _Forges de Vulcain_, c’était «un beau tableau d’enseigne, dit
Balzac; la figure de Vulcain ne manque ni d’expression ni de _chaleur_.»
Le _Grand saint Michel_ était une copie convenable du chef-d’œuvre de
Raphaël, que les jeunes peintres ne se lassaient pas de copier au musée
du Louvre, et le _Soldat laboureur_ pouvait passer pour une ingénieuse
réminiscence d’un tableau de Vigneron, reproduit partout en gravure, en
lithographie, et même en peinture de devant de cheminée.

Cinq ans avant la publication du _Petit Dictionnaire des Enseignes_,
Dufey de l’Yonne[285] avait donné une assez triste idée de celles qu’on
voyait alors dans les faubourgs de Paris. «La réforme, disait-il, qui
s’opère depuis quelques années dans le choix et l’exécution des sujets
d’enseigne, ne s’est pas encore étendue au faubourg Saint-Antoine. On
n’y trouve pas même le facile mérite de la variété. Les _Têtes noires_
et les _Boules blanches_ y sont souvent répétées, et il doit en résulter
de singuliers quiproquos pour les marchands qui se sont partagé
l’honneur d’en bigarrer leurs boutiques. Il n’y a pas de quartier où les
enseignes soient plus multipliées. Elles présentent parfois d’assez
bizarres rapprochements: j’ai vu au-dessus du tableau d’une sage-femme
un _Ours dansant_.» Dufey s’étonne plus loin de rencontrer, dans la même
rue du Faubourg-Saint-Antoine, nº 11, un magasin de bustes et de figures
en pied, coloriés, ayant pour enseigne: _Au Grand Frédéric_. «Ces
figures coloriées, dit-il, pourraient être fort prisées à Berlin, mais
j’aime à retrouver le goût français dans l’atelier du nº 7; point de
couleur sur les plâtres; un meilleur choix dans les objets exposés en
montre, et pour enseigne: _Au Rendez-vous des artistes_.»

[Illustration: AU COQ HARDI]

La rue Saint-Antoine avait sa _Truie qui file_, sculptée en relief,
comme celle du marché aux Poirées, mais à cette époque, paraît-il,
rehaussée d’or et de couleurs. «Quel est, disait Dufey, ce grand
écusson, tout éclatant de dorure, qui décore un magasin, à main gauche,
en descendant la rue Saint-Antoine? J’approche, et je distingue la
_Truie qui file_[286]. C’est l’enseigne la plus riche et la plus bizarre
de ce quartier. Les monstruosités ont été longtemps à la mode pour les
sujets d’enseigne.»

On essaya alors de revenir aux enseignes sculptées, statuettes ou
bas-reliefs, dans le genre du _Pêcheur_, du _Galant Jardinier_ et du
_Coq hardi_, qui décorent encore trois boutiques du quai de la
Mégisserie; comme celles du _Saint Michel_, de l’_Homme armé_ et de
l’_Arbre sec_, qui avaient donné leur nom à des rues. On voit paraître
successivement le _Nègre_, du boulevard Saint-Martin, et le _Chinois_,
de la rue Lafayette, dont les abdomens renferment des horloges, et, plus
tard, le _Vélocipède_, du boulevard de Sébastopol. Mais les enseignes
peintes gardèrent longtemps la préférence. «Cette fureur, dit Amédée
Berger[287], dura jusqu’à 1830 et au delà; on changea d’enseigne selon
la vogue du moment, et les héros de la mode, les lions du jour, virent
tous leur image reproduite sur les murailles de la ville. Les _Montagnes
russes_, _Jocko_, _Cadet Roussel_, _Jocrisse_, la _Girafe_, firent
fureur tour à tour, et chaque marchand les adopta. C’est de cette époque
(l’Empire et la Restauration) que datent les enseignes artistiques et
théâtrales, qui, prenant le titre des tableaux célèbres et des pièces
applaudies, reproduisirent les scènes fameuses et retracèrent le costume
et jusqu’aux traits des artistes aimés du public. L’opéra, la tragédie,
le drame, le vaudeville, le roman, toute notre littérature, en un mot,
sont représentés dans cette immense galerie, qui n’a fait que
s’accroître, chaque jour, depuis le commencement du siècle.» De ce
temps-là aussi date l’enseigne du _Grand Condé_, de la rue de Seine, au
coin de l’ancienne rue des Boucheries, aujourd’hui absorbée par le
boulevard Saint-Germain, enseigne qui va disparaître à son tour.

Les causes principales qui amenèrent la décadence des enseignes en
tableaux peints furent l’augmentation prodigieuse du nombre des omnibus
et des voitures de toute sorte; puis les révolutions de la rue, 1830,
1832, 1848, etc. Les enseignes n’avaient pas été ménagées dans ces
commotions révolutionnaires, qui, dans l’espace de dix-huit ans, avaient
si souvent changé les rues en champ de bataille.

[Illustration]

Beaucoup d’enseignes avaient été mutilées par les balles, et l’émeute
populaire s’était acharnée sur quelques-unes, dans lesquelles on voulait
détruire les emblèmes et les souvenirs de la royauté déchue. C’était une
dépense assez forte à supporter, que de faire restaurer une belle
enseigne ou de la remplacer par une nouvelle. Aussi bien, le passage
des lourdes voitures, omnibus, chariots et messageries, dans les rues
étroites, affectées au commerce, empêchait les passants de s’arrêter
pour regarder les enseignes; c’eût été s’exposer à se faire écraser dans
un moment de distraction et d’imprudence. On jugea, d’ailleurs, que le
public qui va dans un magasin qu’il connaît, ne songe pas à en admirer
l’enseigne. Il y avait économie bien entendue à supprimer une dépense
inutile, en renonçant à ces enseignes coûteuses, qui ne produisaient pas
autant d’effet sur la vente des marchandises qu’une simple annonce de
journal. On vit encore quelques nouvelles enseignes peintes, de
véritables tableaux, comme celle des _Mystères de Paris_, dont nous
parlions tout à l’heure, ou bien des enseignes excentriques, comme celle
d’un tailleur de la rue des Petits-Champs, qui avait figuré les lettres
de son nom avec des os de mort, attirer, occuper un instant les
flâneurs; mais le nombre des enseignes allait diminuant, et la plupart
des marchands finirent par se persuader que le titre seul de l’enseigne,
sans aucune représentation peinte ou plastique, suffisait pour
accompagner l’adresse d’une boutique en lui servant de raison
commerciale, et la recommander aux clients qui avaient été satisfaits de
leurs achats.



XXVIII

IMAGIERS ET PEINTRES D’ENSEIGNES


On peut dire avec assurance qu’il n’y a pas eu d’imagiers et de peintres
d’enseignes proprement dits avant le XVIIIᵉ siècle. Jusque-là les
artistes sculpteurs et peintres formaient des corporations dans
lesquelles tous les membres avaient les mêmes droits de confrérie,
vis-à-vis les uns les autres, sans jamais prétendre à l’égalité de
talents. Le meilleur peintre était compagnon avec le plus exécrable
barbouilleur, et chacun se rendait justice et prenait son rang, selon le
mérite et la qualité de ses œuvres, dans l’exercice de sa profession et
de son métier. L’Académie de Saint-Luc comprenait donc, sans distinction
de personnes, les peintres en bâtiments et les peintres d’histoire, des
statuaires de premier ordre et des fabricants de figures décoratives en
plâtre. La différence des travaux n’était constatée que par la
différence des prix demandés et payés. La création de l’Académie royale
de peinture en 1648 n’eut pas d’autre but que de faire un choix entre
les artistes, à la suite d’un concours où chaque candidat donnait la
mesure de son savoir-faire. Il y eut encore, sans doute, quelques
académiciens qui ne dédaignèrent pas d’exécuter des enseignes, lorsque
l’œuvre était payée à sa valeur; mais, généralement, les enseignes
n’étaient plus peintes ou sculptées que par les derniers élèves de
l’Académie de Saint-Luc et par les plus pauvres membres de la
corporation des peintres et des imagiers.

La sculpture et la peinture des enseignes de Paris avaient de quoi
occuper alors une grande quantité d’artistes, et malgré la modicité du
prix de ces ouvrages, on peut estimer que la multitude des labeurs de
cette espèce représentait tous les ans une dépense considérable, car,
chaque année, on exécutait à Paris quinze cents à deux mille enseignes,
et le nombre des membres de la corporation des peintres et des imagiers
ne s’élevait pas à plus de 250. Il faut rappeler aussi qu’avant le
XVIIIᵉ siècle, un artiste, quel que fût son talent, acceptait
communément tous les travaux qui lui étaient offerts et en réglait
l’exécution d’après la destination de ces travaux. Ainsi, au XVIᵉ
siècle, les plus grands sculpteurs, les plus grands peintres, attachés à
la Maison du roi, ne se croyaient pas déshonorés pour avoir décoré des
appartements et des galères, sculpté des corniches et des chambranles,
peint à la détrempe des lambris et des battants de portes, des coffres
et des tentures. Il y avait donc, en ce temps-là, parmi les enseignes,
d’excellents tableaux peints sur bois, d’admirables bas-reliefs,
modelés en plâtre ou en terre cuite, de superbes statues taillées en
pierre. Nicolas de Blegny dit expressément, dans son _Livre commode des
Adresses de Paris_: «Il est difficile de mettre les prix justes aux
ouvrages de la sculpture et peinture, particulièrement aux tableaux et
statues; c’est suivant les maîtres qui y sont employés que le prix doit
être réglé, parce que c’est la beauté qui en règle la valeur; aussi, les
curieux qui voudront avoir du beau de l’un des deux arts, doivent
s’informer des bons maîtres, qui ne laissent rien sortir de leurs mains
que de bien fini.» Le sieur de Blegny, à la suite de ces sages
observations, n’indique aucun prix d’estimation pour les peintures, mais
il nous apprend que si une figure de pierre de saint Luc, grande comme
nature, vaut 75 livres, une pareille figure, faite par un habile homme
et bien finie, vaut au moins 300 livres.

On préférait autrefois les enseignes sculptées aux enseignes peintes,
parce qu’elles duraient longtemps et qu’elles n’étaient pas sujettes,
comme les secondes, à des détériorations résultant des intempéries de
l’air et des saisons. On peut dire même que, dans l’origine et jusqu’au
milieu du XVᵉ siècle, il n’y avait que des enseignes de pierre sculptées
en ronde bosse. La plus ancienne qui s’était conservée, et qui datait
probablement de cette époque, était la fameuse _Truie qui file_, petit
bas-relief plaisant et naïf, qui se trouvait au nº 24 du marché aux
Poirées, au coin de la rue de la Cossonnerie. On comptait encore plus de
cinq à six cents enseignes sculptées, dans Paris, au commencement du
siècle; aujourd’hui, le nombre en a beaucoup diminué. La plupart d’entre
elles étaient grossièrement travaillées et d’après un mauvais modèle;
mais plusieurs pouvaient être considérées comme de bons ouvrages d’art.
Ainsi, la _Fontaine de Jouvence_, rue du Four-Saint-Germain, que nous
avons décrite ailleurs (chap. V), était une fort jolie sculpture du XVIᵉ
siècle, qui a subi de regrettables mutilations. On citait naguère, avec
éloge, parmi ces enseignes sculptées, le bas-relief de la _Chaste
Suzanne_, rue aux Fèves, dans la Cité. «Ce bas-relief, que la perfection
de son style, dit E. de La Quérière, avait fait attribuer à Jean Goujon,
fut acheté, à un prix très élevé, par un amateur, et aujourd’hui un
moulage en plâtre occupe sa place.» Dans la même rue, auprès de la
maison où était l’enseigne de la _Chaste Suzanne_, on voyait un autre
bas-relief, en ronde bosse, sculpté dans le mur de façade d’une maison
voisine, au-dessus de la porte: c’était l’enseigne de la _Gerbe d’Or_,
ayant de chaque côté une brebis dressée sur ses pattes de derrière, dans
un cadre de feuillage; au-dessous de cette sculpture du XVIᵉ siècle, une
console en pierre, formant piédestal, était ornée d’une sculpture
bizarre: une tête d’homme à moustaches, laquelle se terminait en gaine
avec des ornements. Le travail de cette sculpture était commun et
grossier. L’enseigne de la _Petite Hotte_, dans la rue des Prêcheurs, nº
30, offrait un meilleur travail de la même époque: «Dans une niche en
pierre, dit E. de La Quérière, on voit une petite hotte, supportée par
un cul-de-lampe orné de feuilles d’eau et surmontée d’un dais également
sculpté. La hotte est remplie de fruits à pépins et nous paraît avoir
servi d’enseigne à un marchand fruitier.» Près de la place Maubert, rue
de Bièvre, nº 12, est encore un saint Michel, en pierre, haut de 75
centimètres; c’est une sculpture assez bizarre de la fin du XVᵉ
siècle[288]. L’enseigne du _Puits d’Amour_, que nous avons déjà citée en
racontant la vieille légende qui s’y rattache, était certainement bien
postérieure à cette légende; elle se trouvait au nº 15 de la grande
Truanderie, mais le boulanger, ayant transporté son four à l’angle de la
rue de la petite Truanderie, avait fait enlever l’enseigne pour la
replacer sur sa nouvelle demeure[289]. Citons encore celle du _Cheval
blanc_, avec la date de 1618, qui était au nº 19 de la rue de
l’Arbre-Sec; le _Chien rouge_, de la rue de la Ferronnerie, sculpture
peinte; l’_Étoile dans les nuages_, au nº 19 de la rue Greneta,
enseignes aujourd’hui disparues.

[Illustration]

Il reste encore quelques bonnes enseignes en pierre du XVIIᵉ siècle;
entre autres, celle des _Quatre Vents_, rue du Faubourg-Saint-Denis;
celle du _Cherche-Midi_, au nº 19 de la rue qui porte ce nom, en beau
style académique de la fin du siècle; celle du _Centaure_, au coin de la
rue Saint-Denis et de la rue des Lombards, grand bas-relief d’exécution
magistrale; celle de l’_Annonciation_, de la rue Saint-Martin,

[Illustration]

etc. Voici des enseignes qui paraissent appartenir à la première moitié
du XVIIIᵉ siècle: le _Gagne-Petit_, de la

[Illustration]

rue des Moineaux, tout récemment transporté Avenue de l’Opéra; un autre
_Gagne-Petit_, tout à fait différent et fort curieux pour les détails du
costume et de l’attirail, rue des Nonnains-d’Yères; la _Barbe d’Or_, au
nº 21 de la rue des Bourdonnais, très élégante sculpture d’ornement; le
_Petit Maure_, au nº 26 de la rue de Seine, médaillon un peu lourd; une
_Renommée_, au nº 31 de la rue de la Ferronnerie, jolie statuette dorée;
le _Panier fleuri_, quai Saint-Michel, sculpture d’artisan; le _Chat
noir_, au nº 32 de la rue Saint-Denis, figurine en haut-relief,
reproduite à chacune des encoignures de la maison et peinte en noir
(voir figure page 346); enfin, le _Repos d’Hercule_, sculpture en
demi-bosse, qu’on voyait, il y a vingt ans, au nº 100 de la même rue,
entre les fenêtres du second étage de la maison. Nous

[Illustration]

ne rappellerons pas ici quelques autres enseignes sculptées, d’un assez
bon travail, que nous avons déjà décrites ailleurs (notamment chapitre
V), mais nous ne devons point oublier un beau mascaron du XVIIIᵉ siècle,
représentant une tête de satyre chargée d’un panier de fruits et formant
le claveau d’une voussure de porte, à l’angle d’une maison de la rue
Montfaucon. Le marchand qui a fait de cette porte architecturale
l’entrée de sa boutique, s’est approprié comme enseigne la sculpture
décorative, en la baptisant: _Au Vieux Satyre_. Mentionnons aussi la
_Flotte d’Angleterre_, tableau en relief, représentant trois vaisseaux,
assez bien sculptés, au-dessus d’un magasin de quincaillerie déjà
établi en 1750 rue de la Barillerie, nº 15, et qui s’est transporté au
nº 24 du boulevard de Sébastopol, lors des démolitions effectuées dans
la Cité en 1857. Tout près de ce magasin étaient les _Forges de
Vulcain_, dont nous avons déjà parlé et qu’on retrouvera plus loin. Ce
n’est pas un bon sculpteur, mais un simple praticien imagier, qui a fait
l’enseigne assez connue des _Trois Canettes_, puisqu’elle a donné son
nom à la rue des Canettes: elle représente, au nº 18 de cette rue, trois
canettes barbotant dans l’eau, sous les yeux de la mère cane. Cette
naïve sculpture, assez gracieuse (voir figure page 214), avait remplacé
sans doute au XVIIIᵉ siècle l’enseigne primitive, qui datait du XVᵉ; ce
petit bas-relief entouré d’un cartouche rococo, avec une tête de Minerve
en pendentif, était peint, comme l’enseigne des _Trois Poissons_, fort
habilement sculptés au milieu des roseaux, dans un médaillon de forme
ovale, au nº 14 de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois[290].

On est en droit de supposer que ceux de ces bas-reliefs, de ces
médaillons, de ces statues en pierre qui ont survécu jusqu’à nos jours,
durent leur conservation au mérite de l’œuvre ou à la singularité de la
composition. Mais combien d’autres enseignes, sculptées par des imagiers
de médiocre talent, ont été détruites, à la restauration ou à la
reconstruction des anciennes maisons, dans les vieilles rues de Paris!
Ces imagiers n’étaient pas plus habiles que la plupart des peintres
d’enseigne, qui leur succédèrent à partir du XVIᵉ siècle et dont la
profession finit par tomber, après le XVIIIᵉ, dans un mépris devenu
proverbial. Les peintres qui s’adonnaient à ce genre de travail
n’étaient plus guère alors, en effet, que des apprentis, de pauvres
élèves d’ateliers, ou des artistes déclassés par la débauche et la
misère. La plus cruelle injure qu’on pouvait adresser à un artiste,
c’était de l’appeler _peintre d’enseigne_.

La chanson, la satire, le théâtre ont ridiculisé les peintres
d’enseignes, surtout au XVIIIᵉ siècle. Il y en eut un, nommé Jérôme, qui
devint, dès 1760, le type de ces peintres de bas étage. Favart, dans
l’_Écosseuse_, parodie de l’_Écossaise_, de Voltaire, avait fait rire le
public de l’Opéra-Comique aux dépens de ce Jérôme. C’est le
contrebandier La Rose, qui demande à Marianne quel était son âge quand
elle fut séparée de ses parents: Marianne répond qu’elle avait cinq ans,
«au départ de son père, et dix à la mort de sa mère.» La Rose s’écrie:
«Comme tout ça s’arrange!» Puis, il chante en aparté:

    Montrons-lui ce portrait
    Que feu Monsieur Jérôme,
    Grand peintre en jeux de paume,
    Nous fit au cabaret.

Il déploie alors un portrait à la silhouette (dessin fait sur l’ombre du
visage, placé de profil); ce qui fait beaucoup rire le gros public[291].
Jérôme, peintre d’enseignes de jeu de paume, fut dès lors le
représentant caractéristique de son métier. Charles-Nicolas Cochin, dans
une de ses brochures satiriques sur le Salon de 1769, le fit reparaître,
avec les qualités de _râpeur de tabac_ et _riboteur_. Cette spirituelle
critique est intitulée: _Lettre sur les peintures, gravures et
sculptures qui ont été exposées en cette année au Louvre par M. Raphaël,
peintre de l’Académie de Saint-Luc, entrepreneur général des enseignes
de la ville, faubourgs et banlieue de Paris, à M. Jérosme, son ami,
râpeur de tabac et riboteur_ (Paris, Delalain, 1769, in-8º de 49 pages).
Il publia ensuite la _Réponse de M. Jérosme, râpeur de tabac et
riboteur, à M. Raphaël_, etc. (Paris, Joubert, 1769, in-8º de 33 pages).
L’Académie de Saint-Luc, que l’Académie royale de peinture poursuivait
de ses dédains et de sa jalousie, était ainsi représentée comme la
pépinière des peintres d’enseignes. Aucune injure n’était épargnée à ces
malheureux peintres, et lorsque le suisse Denker exécuta une suite
d’estampes pour le _Tableau de Paris_, de Sébastien Mercier, il grava un
atelier de peintre d’enseigne dans lequel figurent diverses enseignes
burlesques avec leur orthographe traditionnelle. J.-B. Pujoulx, qui
avait été peintre avant de se faire écrivain d’art et de théâtre, prend
vivement la défense des peintres d’enseignes, ce qui fait supposer qu’il
avait plus d’un de ces ouvrages sur la conscience: «Si vous conseillez,
dit-il, à un peintre qui meurt de faim, de faire quelque tableau de
fantaisie, en attendant un amateur qui l’achète, il vous répondra qu’on
ne vit pas d’espérance; si vous lui commandez une enseigne, fût-ce une
_Rose rouge_ ou un _Lion d’Or_, il la fera sans difficulté, car il faut
vivre, et dans le fond, même en consultant son amour-propre, quel
déshonneur y a-t-il de faire une enseigne[292]?»

Nous montrerons bien, dans le chapitre suivant, que les plus grands
peintres se sont rendus coupables d’une ou de plusieurs enseignes.

Il est à regretter qu’on n’ait pas recueilli des documents sur les
meilleurs peintres d’enseignes, qui ne seraient pas indignes de figurer
dans l’histoire de la peinture, non seulement à cause de leur talent, si
dévoyé qu’il fût, mais en raison de leur originalité. Un de ces
artistes, nommé Davignon, mourut, en 1842, des suites d’un accident qui
devait être assez fréquent dans les travaux des peintres d’enseignes.
Nous lisons dans le _Bulletin de l’Alliance des arts_[293]: «Le peintre
en lettres Davignon, qui s’était fait une réputation par son talent, son
insouciance et sa prodigalité tout artistique, est mort à l’Hôtel-Dieu.
Depuis deux jours Davignon travaillait à l’enseigne d’un marchand de
vin, place du Châtelet; le troisième jour, au matin, l’artiste ayant
fait, à ce qu’il paraît, des libations plus abondantes que de coutume,
monta à l’échelle, mais arrivé à la hauteur du premier étage la tête lui
tourna, il perdit l’équilibre et tomba sur le pavé! Relevé à l’instant
même, tous les secours lui furent prodigués; puis, sur sa demande, on le
transporta à l’Hôtel-Dieu, où, après plusieurs jours de souffrance, il
expira. Davignon était un autre Lantara; il travaillait pour boire, il
buvait pour travailler, et il s’est tué à la porte d’un marchand de
vin.»

Les peintres en lettres étaient aussi peintres d’enseignes et surtout
peintres des tableaux de foire, qui sont de véritables enseignes,
faisant ainsi concurrence à certains saltimbanques qui se chargent
d’exécuter eux-mêmes les étonnantes et mirobolantes _bagatelles de la
porte_, qu’ils exposent devant la baraque de leur théâtre en plein vent.
«O matrones de Rubens! s’écrie Jean de Paris, un de nos plus brillants
feuilletonistes; ô soldats gigantesques! Crocodiles épouvantables!
femmes à barbe, qui montrez avec tant de grâce votre jambe dodue! vous
faites mon bonheur. Cependant vous m’intéressez moins que ceux qui ont
peinturluré vos épaules puissantes, vos râteliers redoutables et vos
charmes rebondis. Les signatures les plus fréquentes au bas de ces
compositions criardes sont celles d’Auclair, dont l’atelier est situé
sur la montagne Sainte-Geneviève; de Cocural, qui opère sur les hauteurs
de Belleville; d’Abel Trinocq, et de Desmaret, qui de sa fenêtre voit
les Buttes-Chaumont.» Nous sommes surpris de ne pas retrouver parmi les
noms de ces maîtres de l’enseigne peinte celui de David, qu’on ne
confondra pas avec le grand peintre Jacques-Louis David, mais qui
cependant, à un degré très inférieur sans doute, avait acquis une espèce
de célébrité par ses ouvrages de peinture, destinés exclusivement à
l’exposition permanente du _Salon de la rue_.

Combien de peintres habiles, sinon éminents, qui s’étaient distingués
dans deux ou trois expositions de peinture, sont tombés par degrés dans
la triste catégorie des peintres d’enseignes! Il faut se rappeler un
temps peu éloigné, où les peintres, ne pouvant pas vendre leurs
tableaux, mouraient de faim. C’est dans ce temps-là qu’un artiste, qui
n’était pas sans mérite, avait fait un tableau à la fois comique et
navrant, tableau qui représentait sans doute son propre intérieur peint
d’après nature, et qui n’était pas destiné à devenir l’enseigne d’un
éditeur d’estampes de la rue Saint-Jacques, avec cette légende
douloureuse: _Au Peintre dans son ménage_.

[Illustration]

Ne pourrait-on pas dire que le Français, _né malin_, comme dit Boileau,
dans l’_Art poétique_, naquit aussi peintre d’enseignes? Voici ce qu’on
écrivait de Gallipoli, en juin 1854, au _Morning Chronicle_, journal
anglais de Londres: «Un marchand au détail, qui était venu s’établir
ici, a fait une grande fortune qu’il doit au talent artistique d’un
capitaine d’état-major français. Il avait besoin d’une enseigne: le
capitaine auquel il s’adressa lui peignit un zouave et un highlander,
tous deux en grand uniforme, se donnant la main et trinquant
cordialement. Ce tableau, quoique fait à la hâte et négligé dans
plusieurs détails, a eu le succès le plus complet dans les deux armées,
et y a fait plus de sensation que tous les chefs-d’œuvre du Louvre ou de
la Galerie nationale. Des pachas turcs, des officiers anglais, des
négociants arméniens, ont offert de l’acheter à un prix très élevé, mais
le marchand a obstinément refusé de le vendre, et il a déclaré qu’il
l’emporterait partout avec lui, comme un trophée et l’origine de sa
fortune.» Ainsi le dernier épisode de la guerre de Crimée aura été le
triomphe de l’enseigne d’un marchand de vin et liqueurs!



XXIX

MUSÉE DES ENSEIGNES


Il y a longtemps qu’un autre a dit avant moi: «S’il était possible de
réunir les plus belles enseignes qui ont été peintes par de grands
maîtres et de bons artistes, pour les marchands de Paris, on aurait une
des collections de peinture les plus intéressantes et les plus
curieuses: ce qu’on appelle le _Salon de la rue_ deviendrait alors le
_Musée des Enseignes_.» C’est un coin de ce musée que nous allons
décrire par ordre chronologique, sans avoir sous les yeux,
malheureusement, tous les originaux qui sont aujourd’hui égarés, ou
perdus, ou détruits.

Jean Lepautre (né à Paris en 1617 et mort en 1682), qui fut dessinateur
et graveur plutôt que peintre, avait peint l’enseigne d’un armurier ou
d’un fourbisseur, lequel demeurait sur le pont au Change. Cette
enseigne, _A la Valeur_, représentait un combat à l’arme blanche très
mouvementé et très finement dessiné. Ce joli tableau fut acheté par un
riche financier. Nous n’en possédons plus que la gravure. Jean Lepautre
avait gravé aussi son adresse, qui pouvait

[Illustration]

bien être l’enseigne de sa boutique ou de son atelier. Les graveurs
marchands d’estampes avaient tous des enseignes peintes. Nous en avons
vu une, très curieuse en ce genre, chez notre vieil ami Paul Lacroix:
elle représente un portrait d’homme, sans doute celui de l’artiste,
attaché aux quatre coins sur un carton, comme pour servir de modèle à la
gravure; d’un côté, un médaillon de Louis XV jeune; de l’autre, plumes,
crayons et tous les attributs du graveur, avec une inscription à moitié
oblitérée, sur laquelle on ne peut lire que les mots: MARCHAND
D’ESTAMPLES (_sic_).

[Illustration]

La superbe enseigne due au talent de Ant. Watteau et faite pour
Gersaint, son ami, a figuré longtemps à l’entrée de la boutique de ce
marchand de tableaux et d’objets d’art, sur le pont de Notre-Dame. Par
la suite, elle fut achetée par M. de Julienne, qui lui donna une place
honorable dans sa galerie, après l’avoir fait réparer, et qui la fit
plus tard graver par P. Adeline. On a cru longtemps que cette charmante
peinture, qui représentait l’intérieur de la boutique de Gersaint,
toute garnie de tableaux et remplie d’amateurs des deux sexes, regardant
et achetant des objets d’art, était absolument perdue, mais elle n’était
qu’égarée. M. Edmond de Goncourt découvrit qu’une partie de la toile qui
composait ce grand tableau, haut de cinq pieds sur neuf, avait passé
dans le cabinet d’un abbé Guillaume, à la mort duquel ce fragment de
l’original avait été acquis par la Prusse, en 1769. «J’écrivais alors en
Allemagne, dit M. Edmond de Goncourt[294], et j’apprenais que ce morceau
de l’enseigne n’était pas perdu, mais qu’il avait été complété par
l’achat du second fragment, fait je ne sais à quelle époque et dans
quelle vente; en sorte que l’enseigne, tout entière, mais encadrée dans
deux cadres, est aujourd’hui dans le vieux palais de Berlin (chambre
d’Élisabeth, chambre rouge).» Voilà une enseigne qui a eu des aventures,
avant de se compléter et de trouver un asile définitif dans un musée
impérial! On suppose que le second fragment, séparé du premier pendant
un siècle et demi, s’était retrouvé par hasard dans l’atelier d’un
peintre, nommé Auguste, élève d’Ingres, et premier prix de Rome, lequel
mourut à Paris vers 1848. M. Edmond de Goncourt avait vu ce fragment
d’enseigne chez le baron de Schwiter, mais, selon lui, c’était «une
peinture bien grosse et ne donnant aucune idée d’un travail où Watteau
avait mis sa dernière fièvre».

Gersaint ne s’était pas contenté d’une enseigne peinte par Watteau; il
avait fait, en outre, dessiner son adresse par Boucher, et cette
adresse, dont il n’existe qu’une seule épreuve à la Bibliothèque
nationale, aurait été gravée par le comte de Caylus, en 1740. Elle
représente un Chinois ou un Japonais, la tête et les épaules couvertes
d’une épaisse fourrure, tenant une pagode à la main, assis sur un
cabinet de vernis de la Chine, et qui semble contempler, au-dessous de
lui, tous les objets qu’un marchand de curiosités entassait alors dans
son magasin. Il serait très possible que le dessin de Boucher eût fourni
le modèle d’une enseigne peinte, que Gersaint avait fait exécuter, après
avoir cédé sa première enseigne à M. de Julienne. Les amateurs ne
dédaignaient pas, comme on le voit, de chercher, parmi les enseignes,
quelques bons tableaux pour leur galerie. L’enseigne du _Petit
Dunkerque_, à la descente du Pont-Neuf, entre la rue de Nevers et la rue
Dauphine, qui datait de 1767, représentait le port de Dunkerque avec
l’arrivage des vaisseaux, qui apportaient de l’Inde et de la Chine la
plupart des curiosités qu’on recherchait avec passion pour l’ornement
des appartements et que vendait là Granchez, l’heureux propriétaire du
célèbre magasin[295]. Cette enseigne, longtemps admirée, était de Joseph
Vernet, selon les uns; de La Croix, de Marseille, selon les autres: elle
fut acquise enfin, aux approches de la Révolution, et remplacée par un
simple vaisseau en fer assez finement forgé, qui sert aujourd’hui
d’enseigne à un marchand de vin, mais qui rappelle au moins l’ancienne
marine qui l’avait précédé.

Une bonne peinture d’enseigne avait été souvent le coup d’essai d’un
jeune peintre. Siméon Chardin, élève de Coypel, dut à une enseigne son
premier succès. Cette ovation de l’enseigne est ainsi racontée par
Haillet de Courenne dans son Éloge de Chardin[296]: «Un chirurgien, ami
de son père, demanda au jeune homme de lui faire un plafond ou enseigne
pour mettre au-dessus de sa boutique; il y voulait des instruments de
son art: bistouris, trépans et autres. Ce n’était pas ce que Chardin se
proposait: il peignit une nombreuse composition de figures. Le sujet
était un homme, blessé d’un coup d’épée, qu’on avait apporté dans la
boutique d’un chirurgien qui visitait sa plaie pour le panser. Le
commissaire, le guet, des femmes et autres figures remplissaient la
scène: tout y était plein de feu, de remuement et d’intérêt. Le tableau
n’était que heurté, mais traité avec goût. L’effet en était
singulièrement piquant. Un jour, bien avant que personne fût levé dans
la maison du chirurgien, il le fait poser en place. Le chirurgien voit
de sa fenêtre la foule des passants qui s’arrêtaient devant sa porte, ce
qui l’excite à demander de quoi il est question. Il voit ce plafond. Il
fut tenté de se fâcher, n’y retrouvant plus rien des idées qu’il se
souvenait d’avoir confiées à son peintre, mais les éloges du public
pacifièrent un peu son humeur: il ne se plaignit que très modérément. On
juge bien que le tableau fit du bruit; on s’empressa d’aller en juger.
Toute l’Académie connut les talents du jeune Chardin.» Ce tableau, de
neuf ou dix pieds de long, passa de la boutique du chirurgien dans la
collection du graveur Lebas, mais on ne sait pas ce qu’il est devenu
depuis.

[Illustration]

Si Chardin débuta par une enseigne, Greuze en fit une lorsqu’il était
déjà en possession de toute sa renommée. Ce fut après la brillante
réussite de l’opéra-comique du _Huron_, composé par Marmontel et mis en
musique par Grétry. La représentation de cette pièce en deux actes, qui
eut lieu à la Comédie italienne le 20 août 1769, fut un véritable
triomphe pour le musicien et le point de départ de sa réputation
musicale. Peu de jours après, Greuze, qui s’était pris d’amitié pour
Grétry, alla le trouver et lui dit: «Viens avec moi; je veux te faire
voir une peinture qui te fera grand plaisir.» Il le conduisit près de la
Comédie italienne et lui indiqua du doigt une enseigne fraîchement
peinte: _Au Huron, Nicolle, marchand de tabac_. Grétry entra tout ému
dans la boutique et acheta une livre de tabac. «Quel bon tabac!»
disait-il plus tard[297]. On ne sait ce qu’est devenue l’enseigne du
_Huron_.

[Illustration]

Nous serions en peine de dire à quelle époque l’hôtel de Villette, quai
Voltaire, au coin de la rue de Beaune, fut décoré d’une enseigne en
l’honneur de Voltaire, mort, le 30 mai 1778, au premier étage de cet
hôtel, où il avait pris domicile lors de son arrivée de Ferney, trois
mois auparavant. Il est probable que cette enseigne commémorative ne put
être placée sur la maison mortuaire qu’à la suite de la révolution de
1789, car, antérieurement, le nom de Voltaire était à l’index, et ce
n’est qu’en 1792 qu’on donna ce nom au quai des Théatins, sur lequel se
trouvait l’hôtel du marquis de Villette. L’enseigne _A Voltaire_, la
seule que le propriétaire de l’hôtel ait tolérée sur son immeuble, peut
dater de la même époque. Mais elle a été remplacée, de nos jours, par
une véritable peinture d’enseigne, un portrait forain plus prétentieux
que réussi.

[Illustration]

Une autre enseigne, un peu moins ancienne, contemporaine de la
fabrication du similor, qui prêta un brillant trompe-l’œil aux faux
bijoux du Directoire, portait ce titre: _A l’Impossible_, et
représentait un _Merveilleux_ s’élançant dans les airs pour prendre la
lune. C’était un très joli tableau, très bien exécuté, dans le genre de
Boilly: le similor lui a survécu, et le tableau méritait de survivre au
similor. On le retrouverait peut-être dans l’œuvre de Boilly.

L’_Incroyable_ figure encore sur une enseigne de Gautier, chemisier, rue
de Rivoli, vis-à-vis de la place Lobau; ce tableau, assez bien peint, a
précédé les _incroyables_ si populaires de la _Fille de Madame Angot_.

Carle Vernet, qui excellait dans la caricature, peignit plusieurs
enseignes; on en a gravé une, dans le _Musée des Familles_, en 1866. Une
enseigne peinte par un bon peintre ne reste pas longtemps l’ornement de
la rue et va tôt ou tard figurer dans le cabinet d’un amateur.
Cependant, nous avons vu celle du _Bœuf à la Mode_, qui date du
Directoire, garder sa place jusqu’à présent, à l’entrée d’un restaurant
fameux de la rue de Valois; elle n’a rien d’agréable, il est vrai, pour
faire un tableau de cabinet, quoiqu’elle soit très bien peinte par
Swagers. Il en existe d’ailleurs une bonne gravure par S.-C. Ruotte.

Le premier tableau de Prudhon avait été une enseigne, celle d’un
chapelier, «ornée d’un bonhomme prodigieux», disait un journaliste, le
20 janvier 1874, en annonçant l’ouverture de l’exposition de toutes les
œuvres de Prudhon, à l’École des beaux-arts.

De Géricault il y eut aussi une enseigne, qui annonçait encore, en 1841,
la forge d’un maréchal ferrant, non pas à Paris, mais sur la route de
Saint-Germain en Laye, au coin de la grande rue du village de
Roquencourt. Plusieurs autres enseignes, représentant un cheval ou
plusieurs chevaux, furent attribuées aussi, avec plus ou moins de
probabilité, à Géricault, comme le célèbre _Cheval blanc_ de l’auberge
de Montmorency.

On attribuait également à Horace Vernet l’_Hirondelle_, assez bien
peinte, qu’on voyait représentée volant à tire-d’aile sur le plafond du
café de Foy, au Palais-Royal. On racontait qu’un ouvrier maladroit,
chargé de repeindre ce plafond, y avait fait une tache qu’il essayait
vainement de faire disparaître. Horace Vernet, âgé de vingt ans, aurait
alors pris des mains de l’ouvrier le pinceau et la palette et, grimpant
à l’échelle, se serait amusé à transformer la tache qui déshonorait le
plafond en un charmant oiseau que le café de Foy a conservé jusqu’à la
fin de son règne. Cette hirondelle n’était pas indigne du talent preste
et vif d’Horace Vernet, mais ce grand artiste, qui ne rougissait pas
d’avoir fait des caricatures plaisantes et satiriques, se montrait
blessé de ce qu’on lui attribuât cette peinture anonyme.

Au contraire, Abel de Pujol ne désavouait pas le moins du monde les
enseignes qu’il avait faites, et il en gardait soigneusement les croquis
dans ses cartons, lors même qu’il fut membre de l’Académie des
beaux-arts. Ces croquis spirituels, on les vit parmi ses compositions, à
la vente de ses dessins, en décembre 1861, et ils ne manquèrent pas
d’amateurs. La _Chronique des Arts_, du 15 décembre, enregistrait le
fait: «Les projets, les croquis se sont pieusement distribués entre
quelques amis du mort. Nous citerons, comme curiosité, huit compositions
d’enseignes, et particulièrement celle de _Monsieur et Madame Denis_
s’offrant cette prise de tabac qui fit tant rire nos pères et tant
rougir nos mères, et celle de la _Fille mal gardée_, magasin situé jadis
dans la rue de la Monnaie. N’est-ce pas une note curieuse dans
l’histoire d’un académicien?» Où sont-elles à présent, ces enseignes qui
étaient de vrais tableaux décoratifs?

Il ne faut pas oublier un très bon tableau d’enseigne qui date du
Directoire, ou plutôt du Consulat; le nom de l’artiste, qui peignait ce
tableau vers 1801, n’est pas connu, mais la maison Corcellet, qui
rivalise avec la maison Chevet, depuis près d’un siècle, pour la vente
des comestibles, a toujours conservé son enseigne: _Au Gourmand_[298].
«Un bon gros vivant, costumé comme on l’était encore sous la
Restauration: ailes de pigeon, queue de rat, culotte courte, bas chinés,
souliers à boucles, est assis devant une table et travaille à faire
envie à Gargantua. Il y a beaucoup d’esprit et une grande justesse de
mouvement dans cette figure.» M. Poignant[299], à qui nous empruntons la
description et l’éloge de cette plaisante enseigne, ne paraît pas avoir
soupçonné que ce gourmand n’était autre que Grimod de la Reynière, peint
d’après nature, à l’époque du Consulat, lorsqu’il allait publier son
fameux _Almanach des Gourmands_, en tête duquel il est représenté tel
qu’il l’était sur l’enseigne de Corcellet.

C’est M. Poignant qui nous fournit encore la description d’une autre
enseigne gastronomique, dont l’auteur était aussi un assez bon peintre
qui n’a pas signé son œuvre et ne s’est pas fait connaître: «Un autre
tableau, également bien exécuté et reproduisant le même sujet: _Au
Gourmet_, sert d’enseigne à un charcutier, place de l’Ecole. Celui-ci a
joui un instant d’une notoriété publique, quand il fut mis en place,
vers 1820. On voulut voir, dans ce personnage attablé, une ressemblance
avec le roi Louis XVIII. Les passions politiques s’en mêlèrent. Les
partis opposés se donnaient rendez-vous sur la petite place de l’Ecole;
des rassemblements se formaient, des horions pleuvaient. Si l’on avait
su quel était le peintre de l’enseigne, on lui aurait fait un mauvais
parti.» C’était un fâcheux renom, pour un peintre d’histoire, que d’être
cité comme peintre d’enseigne! Il y en eut plus d’un, cependant, qui fut
peintre d’enseigne malgré lui. Un peintre, nommé Marcel, qui n’était pas
sans talent, eut un grand tableau deux fois refusé au Salon, la première
fois sous le titre de _Passage de la Bérésina_, et la seconde fois sous
celui de _Passage de la mer Rouge_. Cette toile finit par être vendue
comme enseigne à un marchand qui l’intitula: _Au port de Marseille_.

Gavarni, dont le coquet et gracieux talent s’essaya d’abord à dessiner
des modes, n’était pas peintre, mais il était excellent dessinateur.
Après avoir dessiné des cartes d’adresse de marchands, entre autres
celles de Mesler, graveur sur métaux, il consentit, vers 1836, à peindre
une enseigne: _Aux deux Pierrots_, au bas de la rue Saint-Jacques, et le
succès de cette enseigne faillit le décider à faire de la peinture.
«Combien d’enseignes valent mieux que des tableaux!» L’enseigne des
_Deux Pierrots_ avait été criblée de balles pendant l’insurrection de
juin 1848; elle fut depuis restaurée, mais en même temps défigurée,
puisqu’elle ne donne plus qu’une idée très imparfaite de ce qu’était
l’œuvre primitive; au reste, Gavarni avait pris soin de la reproduire
lui-même en lithographie[300].

Champmartin, dont les tableaux d’histoire et surtout les portraits
avaient été fort remarqués aux Salons antérieurs à la révolution de
Juillet, voulut prouver qu’il n’était pas un peintre incorrigiblement
royaliste; il peignit, pour un magasin de la rue Saint-Nicaise, au coin
de la rue de Rivoli, une enseigne qu’il aurait pu signer: _Au Tambour de
Juillet_. Cette enseigne représentait un ouvrier en costume de travail,
les bras nus, battant la charge sur une barricade, au milieu de la fumée
des fusillades. Quelquefois un peintre en vogue ne dédaignait pas de
vendre la copie d’un de ses tableaux pour en faire une enseigne, et
cette copie était peinte dans son atelier par un de ses élèves. Telle
était l’enseigne d’un cordonnier de la rue du Bac: _A la Grâce de Dieu!_
Cette enseigne n’était autre qu’une copie fidèle d’un tableau que
Steuben avait exposé en 1827: _Pierre Iᵉʳ enfant, poursuivi par les
Strélitz jusqu’aux pieds de la statue de la Vierge_. «Le tableau n’était
pas bien bon, dit M. Poignant; l’enseigne ressemble au tableau[301].»

Nous avons entendu dire que plus d’un peintre de l’école romantique
s’était donné le plaisir de faire une enseigne et de chercher un succès
populaire en dehors des concours et des académies. On nommait, parmi ces
essayeurs du Salon de la rue, Eugène Delacroix, Poterlet, Jeanron et
d’autres. Il faut se rappeler que les tableaux d’Eugène Delacroix,
envoyés à l’Exposition de peinture, étaient alors refusés par le jury
académique[302]. Quoi qu’il en soit, on pourrait citer quelques
enseignes peintes par des jeunes gens qui, comme Nanteuil et Baron,
suivaient avec passion les

[Illustration]

errements de l’école romantique. Il en est une surtout, _A Maître
Albert_, au nº 56 du boulevard Saint-Germain, près de la rue de Bièvre,
qu’on attribuait à Delacroix, et qui offre, en effet, des analogies avec
la composition, le style et la couleur des ouvrages de ce grand peintre.

[Illustration]

Cette belle enseigne représente le célèbre philosophe Albert le Grand
expliquant les livres d’Aristote aux écoliers de l’Université de Paris,
en 1215. Une pareille enseigne est bien là à sa place, à deux pas de la
vieille rue du Feurre ou du Fouarre, où se tenaient les écoles au moyen
âge[303].

On admirait beaucoup, à l’angle de la rue de la Barillerie et du quai
aux Fleurs, l’enseigne des _Forges de Vulcain_. Cette peinture, très
éclatante en couleur, n’était pas sans mérite, comme le déclarait Eugène
Delacroix, qui s’arrêtait toujours pour la regarder. On y voyait Vénus,
entièrement nue, s’appuyant sur l’épaule de Vulcain.

En 1860, tout ce côté de la rue de la Barillerie disparut pour faire
place au tribunal de commerce. Le magasin de quincaillerie, exproprié,
transporta son matériel et son enseigne place du Châtelet, à l’entrée de
la rue Saint-Denis, nº 3. Mais la vieille peinture ne parut plus digne
des splendeurs du nouveau quartier, le propriétaire la fit reproduire,
en faïence émaillée, par l’un de nos plus illustres peintres céramistes
modernes, M. A. Jean. C’est une œuvre vraiment remarquable, la plus
grande composition de ce genre qui existe à Paris. La reproduction du
nu, d’une teinte uniforme, dans ces proportions qui exigent un grand
nombre de carreaux de rapport, offrait une difficulté dont l’artiste n’a
pu triompher qu’en donnant aux chairs un ton sensiblement jaune, qui
traduit mal l’éclat de la blonde Vénus.



XXX

ORTHOGRAPHE DES ENSEIGNES


Depuis l’origine des enseignes de Paris, il est permis d’affirmer, même
en l’absence de toute espèce de preuve, que leurs inscriptions
laissaient beaucoup à désirer sous le rapport de la langue et de
l’orthographe, d’autant plus que la langue était à peine formée au XVᵉ
siècle et que l’orthographe ne fut pas établie avant la fin du siècle
suivant. Il n’y avait, à cette époque, que bien peu d’écrivains, poètes
ou prosateurs, qui sussent écrire grammaticalement, et si l’orthographe
était déjà perfectionnée dans les bonnes éditions de Henri Estienne et
de Michel Vascosan, elle pouvait passer pour inconnue dans l’usage de la
vie ordinaire. Il est donc aisé d’imaginer quelle était alors la
barbarie des légendes de la plupart des enseignes, dans un temps où la
grande majorité des Français ne savait ni lire ni écrire; quant à leur
orthographe, elle devait être des plus fantaisistes, puisque les
personnes même de la cour, les plus distinguées par la culture de leur
esprit, ne rougissaient pas d’accuser à cet égard une ignorance complète
dans leurs lettres particulières. On n’avait généralement aucune idée de
la bonne orthographe, et la plupart des femmes de la haute société, par
exemple, n’étant point là-dessus plus instruites que les femmes et les
filles des marchands, il n’y avait pas lieu d’exiger des peintres
d’enseignes qu’ils respectassent davantage les lois de la grammaire et
de l’orthographe.

Ce fut sans doute, de la part de Molière, une grande audace que d’oser
faire paraître, dans sa comédie des Fâcheux, et cela en présence de la
cour de Louis XIV, le personnage de Caritidès, qui avait l’impertinence
de vouloir présenter un placet au roi pour la réforme de l’orthographe
des enseignes. Voici quel était le commencement de ce placet, qui
s’attaquait indirectement à la plupart des nobles spectateurs, assistant
alors (1661) à la première représentation de cette comédie, au château
de Vaux, chez le surintendant Fouquet:

«Sire,

«Votre très humble, très obéissant, très fidèle et très savant sujet et
serviteur, Caritidès, Français de nation, Grec de profession, ayant
considéré les grands et notables abus qui se commettent aux inscriptions
des enseignes des maisons, des boutiques, cabarets, jeux de boule et
autres lieux de votre bonne ville de Paris, en ce que certains
ignorants, compositeurs desdites inscriptions, renversent, par une
barbare, pernicieuse et détestable orthographe, toute sorte de sens et
de raison, sans aucun égard d’étymologie, analogie, énergie ni allégorie
quelconque, au grand scandale de la république des lettres et de la
nation française, qui se décrie et se déshonore par lesdits abus et
fautes grossières envers les étrangers, et notamment envers les
Allemands, curieux lecteurs et spectateurs desdites inscriptions:

»Supplie humblement Votre Majesté de créer, pour le bien de son État et
la gloire de son empire, une charge de contrôleur, intendant,
correcteur, reviseur et restaurateur général desdites inscriptions.»

Les éclats de rire qui accueillirent cet étrange placet cachaient
peut-être un certain embarras de la part des grands seigneurs, qui
auraient été fort en peine de signaler les abus d’orthographe qu’il
fallait corriger sur les enseignes. On pourrait supposer aussi que le
placet du sieur Caritidès existait réellement, et avait été fourni à
Molière par le jeune roi, pour faire honte à ses courtisans de leur
mauvaise orthographe. Ce Caritidès pourrait bien être le type de Jean de
Soudier, sieur de Richesource, qui tenait chez lui une école de
philosophes orateurs et qui prétendait prouver que tous les écrivains,
même les plus célèbres, outrageaient, dans leurs écrits, les principes
de la langue française[304]. Il est très probable que quelque
intraitable puriste avait adressé au lieutenant de police, sinon au
roi, une supplique pour la réformation de l’orthographe des enseignes.

«Les enseignes n’ont jamais brillé par l’orthographe,» dit M. Firmin
Maillard dans son étude sur les enseignes[305]. Il est donc avéré que le
projet du sieur Caritidès a été bien des fois renouvelé, sans plus de
succès; car nous rencontrons jusqu’à nos jours les mêmes protestations
contre l’orthographe des enseignes, sans que jamais l’édilité parisienne
se soit décidée, avant l’époque du Directoire, à contrarier la liberté
individuelle à propos d’orthographe, d’autant plus que ces protestations
indignées ne venaient pas en ligne directe de l’Académie française. Nous
avons rappelé plus haut (page 367) l’ordonnance du Bureau central du
Canton de Paris, en date du 1ᵉʳ frimaire an VIII (novembre 1799),
obligeant les boutiquiers à diverses modifications dans le mode
d’application de leurs enseignes, et à y corriger «tout ce qui pouvait
s’y rencontrer de contraire aux lois, aux mœurs et à la langue
française.» Nous rencontrons une phrase à ce sujet dans l’ouvrage
d’Henrion, intitulé: _Encore un Tableau de Paris_ (Paris, Favre, an
VIII, in-12): «Le Département a sagement proscrit les enseignes
grotesques et leur orthographe vicieuse.» Il paraîtrait que la
Révolution du 18 Brumaire, en créant le Consulat, accorda une sorte de
répit aux enseignes condamnées; huit ou neuf ans plus tard, elles
n’avaient pas encore été corrigées administrativement, selon le bon
plaisir des Caritidès du Directoire, car l’auteur-éditeur du _Cicérone
parisien_, le libraire A.-G. Debray, fulminait ainsi contre ces
enseignes déshonorantes, dans son _Indicateur_, imprimé en 1808: «Rien
de plus grotesque que le style et l’orthographe de la plupart des
écriteaux et des enseignes de Paris; on peut dire que, sous ce rapport,
la langue n’est nullement ailleurs aussi grièvement insultée que dans la
capitale, et cela est véritablement honteux. Mais combien ces fautes
grossières contre la langue ne sont-elles pas plus ridicules encore
lorsqu’elles se rencontrent dans des inscriptions faites par ordre de
l’autorité! On vient de terminer un nouveau numérotage des rues, et je
vis dernièrement écrit en beaux caractères, à trois endroits différents:
_Carfour de l’Odéon_. Cela fait vraiment pitié. Quand donc nommera-t-on
un censeur des écriteaux? Et quelle opinion veut-on que l’étranger
prenne des habitants de la grande ville, lorsqu’il voit partout
l’ignorance et la sottise étalées sur les murs?» Le censeur des
écriteaux n’avait pas été nommé, et les enseignes sans orthographe
continuaient à blesser les yeux des bons Français, amis de la grammaire.

Les libraires semblaient s’être entendus pour faire une levée de
boucliers contre les enseignes saugrenues et mal orthographiées. Ce
n’était pas l’honnête Debray qui avait commencé l’attaque, c’était le
fameux éditeur des _Révolutions de Paris_, le révolutionnaire Louis
Prudhomme, qui, après avoir publié les _Crimes des Reines de
France_ et les _Crimes de Marie-Antoinette_, dénonça les crimes
anti-orthographiques des enseignes, dans son _Miroir de l’ancien et du
nouveau Paris_ (1805, 2 vol. in-18, t. II, p. 208-10). J.-B. Salgues,
qui n’était pas libraire, mais qui travaillait sans cesse pour les
libraires, traita aussi _ex professo_ la question de l’orthographe des
enseignes dans un recueil intitulé: _De Paris, des mœurs, de la
littérature et de la philosophie_ (Paris, J.-G. Dentu, 1813, in-8º).
Salgues, pour mieux dire leur fait aux barbouilleurs d’enseignes
fautives et condamnables, a écrit la lettre d’un peintre d’enseigne à un
commissaire de police. «J’avais cru, dit-il dans cette lettre, qui
ressemble à une pétition pour obtenir la place à créer d’inspecteur et
censeur des enseignes de Paris, j’avais cru que ma science me ferait
remarquer; que, loin d’être confondu avec ces barbouilleurs de
carrefours qui insultent Vaugelas et outragent Ronsard, on citerait mes
ouvrages et mon nom avec estime et reconnaissance; que la renommée
publierait mes chefs-d’œuvre et m’inscrirait avantageusement parmi les
hommes qui s’élèvent au-dessus du commun de leurs confrères et honorent
leur profession; mais, monsieur, rien de tout cela n’est arrivé, et
quoique j’aie peint plusieurs fois la Renommée, pour annoncer la _bière
au pot_ et le _riz au lait_, l’ingrate m’a laissé dans l’oubli. Je vois
chaque jour l’ignorance de mes confrères triompher, et les règles de
l’orthographe indignement profanées par des mains barbares et
sacrilèges. Comment, monsieur, dans une ville telle que Paris, au milieu
d’une foule d’Académies, de Lycées et d’Athénées, ne s’élève-t-il pas un
homme courageux qui dénonce tant de scandales?»

L’homme courageux, c’était lui, c’était J.-B. Salgues, qui aspirait à
être désigné comme inspecteur et correcteur des enseignes de Paris, car
la création de cette place était à l’ordre du jour. Il donna ensuite, à
l’appui de ses justes critiques, l’indication de quelques enseignes
monstrueuses qu’il avait relevées dans Paris et contre lesquelles les
grammairiens criaient vengeance. «Croiriez-vous, monsieur, que, sur la
porte d’un savant instituteur, je lus, en grosses lettres: COURS
D’ARITEMÉTIQUE ET DE GÉOMETERIE? Plus loin, une marchande de modes
annonçait qu’elle vendait de _bonnes piques_; c’étaient des bonnets
piqués qu’elle voulait dire. J’ai remarqué, au-dessus d’une porte
d’auberge, qu’on y donnait _à mangé à l’Ange gardien_. Et, pour peindre
d’un seul trait tous les désordres de ce genre, j’ai vu, il y a quelques
années, dans un chef-lieu de canton, ces mots écrits sur le cabinet d’un
fonctionnaire public: BURO DU JUGE DE PET.» Le peintre d’enseigne dans
la peau duquel s’était mis le bonhomme Salgues finissait par déclarer
que «toutes les inscriptions devaient être revues par un écrivain-juré.»
Malgré ses offres de service, Salgues ne fut pas choisi pour remplir la
place à laquelle il aspirait. On institua un inspecteur vérificateur des
épitaphes dans les cimetières de Paris, mais on ne créa pas cette place
de censeur des enseignes, qui avait donné l’éveil à de modestes
ambitions.

Il eût fallu alors un volume entier pour recueillir les inscriptions
d’enseignes qui auraient offert matière à la censure des descendants du
sieur Caritidès. L’opinion publique, on doit le reconnaître, a eu plus
d’autorité que ne pouvait en avoir un agent officiel de la police pour
mettre à l’index et faire disparaître, en fort peu de temps, ces
incongruités orthographiques. A mesure que se répandirent la
connaissance et la pratique de l’orthographe, les inscriptions qui
prêtaient à la critique ne tardèrent pas à être corrigées ou effacées.
Cependant Dufey de l’Yonne, constatait, en 1820[306], qu’un peintre
d’enseigne, chargé de restaurer, rue du Faubourg-Saint-Antoine, une
ancienne inscription, y avait ajouté, de son chef, une magnifique faute
d’orthographe, en écrivant: _Boulangerie générale des Marchées_. «C’est
sur le dernier mot, dit Dufey, de l’Yonne, que se trouve la correction,
encore toute fraîche.» Il signalait aussi, dans la même rue, cette
inscription, qui datait de plus de cent ans, et qu’on avait laissée
intacte au-dessus d’un hôtel garni qui portait le nº 58: _Hotelle du Bel
Air_. Beaucoup d’enseignes de la même époque s’étaient conservées
jusqu’à nos jours avec l’ancienne orthographe traditionnelle, à la porte
des cabarets et des marchands de vin: Un tel, _fait nopces et festins_.

Quand le Pont-Neuf était d’un bout à l’autre le rendez-vous des
décrotteurs et des tondeurs de chiens, chacun de ces industriels se
constituait un écriteau plus ou moins naïf et bizarre, dont il était
l’inventeur; ces inscriptions étaient émaillées des fautes d’orthographe
les plus originales. Balzac a pourtant passé sous silence ces
chefs-d’œuvre de l’enseigne en plein vent. Il ne cite, dans son _Petit
Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de Paris_, qu’une
seule inscription de cette catégorie: «_Au Chien fidèle_, Beilliard,
marchand de chiens, boulevard des Italiens, au coin de la rue de
Grammont. _Tond chiens et chats, châtre les uns, coupe les autres. Vat
en ville, et sa femme aussi, et prend des pensionnaires._» Toutes les
enseignes de tondeurs de chiens portaient alors cette expression
sacramentelle et encourageante: _Vat en ville_. On voyait, en ce
temps-là, rue de l’Hôpital-Saint-Louis, cette belle et engageante
inscription: N..., _jardinier, terassier, entrepran jardint, terrases,
et se charge aussi de les rambleyères_. Enfin, le chef-d’œuvre de
l’orthographe d’enseigne se trouvait, sur la route d’Ivry, à cent pas de
la barrière d’Italie: _A la bote d’hoillegnons_.

Au XVIIIᵉ siècle, l’orthographe fantastique et phénoménale affligeait
tellement la vue des passants, qu’un digne prêtre, nommé Teisserenc,
bachelier et théologien, imagina de rendre les enseignes utiles et
intéressantes, au moyen d’un nouveau système d’inscriptions, lequel
serait appliqué sous la direction de l’autorité; il voulait d’abord
«fixer, à chaque espèce d’écriteau et d’enseigne qui regarderait le même
métier et la même matière, une forme et une couleur particulière, pour
les distinguer des autres: ce qui formerait une variété la plus agréable
et la plus utile.» On voit que le style du réformateur des enseignes
aurait eu besoin de subir une réforme académique pour être intelligible
et grammatical.

Puis, «comme la première utilité qu’on doit tirer des enseignes, c’est
celle du maître de l’enseigne et de sa profession», il faudrait, dit-il,
«faire un nombre d’écriteaux suffisants qui portassent les principaux
outils, ouvrages, ou marchandises de la même profession, etc., et le
nombre fixé pour chaque profession.

»Dans les écriteaux qui marqueraient un fait historique, ajouter l’année
en laquelle ce fait est arrivé, comme: _A la Bataille de Fontenoy_,
1745, chez un tel, marchand.» L’inscription serait nécessairement
correcte sous la surveillance de l’autorité. Cet écriteau n’empêcherait
pas le marchand d’y ajouter la peinture qu’il voudrait et l’explication
détaillée du fait lui-même.

Enfin, outre les écriteaux explicatifs, les enseignes pourraient offrir
le portrait et les noms du roi, des princes et des autres seigneurs,
les portraits des grands hommes, tous les ordres de chevalerie et toutes
les espèces de monnaies françaises et étrangères. Ce système ingénieux
correspondait à celui que l’auteur avait projeté pour les noms des rues,
auxquels il proposait d’ajouter des noms de pays et de ville, avec plus
ou moins de détails géographiques et historiques. L’ouvrage que l’abbé
Teisserenc avait consacré à son projet est intitulé: _Géographie
parisienne, en forme de dictionnaire, contenant l’explication de Paris
ou de son plan, mis en carte géographique du royaume de France_, pour
servir d’introduction à la Géographie générale (Paris, chez la veuve
Robinot, 1754, in-12). Les feuilles périodiques parlèrent de cet ouvrage
comme de l’œuvre d’un fou, mais ce fou, docte et intelligent, fut comblé
d’éloges par un autre fou, plus ardent et plus violent, qui s’étonna
qu’une idée si neuve et si originale n’eût pas été mise aussitôt à
exécution pour l’instruction du peuple.

Aujourd’hui le public est devenu difficile et fait lui-même la police de
ses enseignes. Il n’y eut qu’un cri d’indignation, dans le quartier de
l’Hôtel de ville, quand un marchand de chaussures ouvrant sa boutique,
lors de la visite de Nasser-ed-Din à Paris, en 1873, écrivit au-dessous
d’un fulgurant portrait du Schah, en grand uniforme, _avec tous ses
diamants_: AU CHAH DE PERSE. Le commissaire de police intervint et
enjoignit au cordonnier philologue de corriger la chose. Mais celui-ci
lui démontra, Littré en main, que le nom du souverain persan s’écrivait
indifféremment _Chah_ ou _Schah_, et que, par conséquent, il avait bien
le droit de faire l’économie d’une lettre sur son enseigne. L’affaire
fit scandale, les journaux s’en mêlèrent; mais, en fin de compte, le
malin cordonnier trouva moyen de satisfaire l’autorité et de réaliser en
même temps l’économie d’une lettre, en adoptant une troisième
orthographe; il fit peindre sur sa boutique: _Au Shah de Perse_,
inscription qui subsiste, quoique le portrait ait disparu depuis peu.
Nasser-ed-Din fut enchanté, paraît-il, de sa popularité et de sa
ressemblance, quand on lui fit remarquer l’enseigne en question, dans
une de ses tournées à travers Paris, où il n’admira franchement que deux
choses, ainsi que son Journal de voyage en fait foi, les exercices du
Cirque et la belle prestance de M. le préfet de la Seine. L’ingrat
personnage ne mentionne pas le portrait-enseigne de la rue de Rivoli.



XXXI

DÉCHÉANCE DES ENSEIGNES ET RÈGNE DES AFFICHES


Depuis la révolution du 4 Septembre 1870, la dernière heure des
enseignes de Paris paraît avoir sonné. Le jour même où cette révolution
s’accomplissait, sans émeute et sans résistance, les enseignes furent
plus compromises que les hommes; on s’attaqua de préférence à celles
dont le sujet semblait avoir quelque complicité avec l’Empire et porter
plus ou moins le cachet napoléonien; on ne fit pas même grâce aux
souvenirs militaires de l’armée française; tout ce qui rappelait ou
pouvait rappeler, de près ou de loin, la première ou la seconde époque
impériale, fut condamné sans forme de procès et proscrit sans rémission.
Dans l’espace de vingt-quatre heures, on enleva ces enseignes maudites
et vouées à la haine des bons républicains, et l’on effaça
consciencieusement toutes les inscriptions qui les concernaient. Il y
avait pourtant un progrès sensible dans les mœurs de la populace, qui ne
s’attaqua point matériellement aux enseignes et qui se contenta de les
voir disparaître. A peine si quelques-unes furent insultées et
maltraitées avant leur enlèvement.

C’était la cinquième fois, depuis 1814, que la politique prenait à parti
ces pauvres enseignes, que la chute d’un gouvernement rendait tout à
coup compromettantes et coupables; non seulement les plus beaux magasins
perdaient avec leurs enseignes le fleuron de leur couronne, mais encore
une foule d’industriels, qui avaient attaché à leurs marques de fabrique
les emblèmes de l’Empire, de la Royauté ou de la République,
reconnaissaient que ces emblèmes, après leur avoir été favorables,
pouvaient tout à coup leur devenir dangereux et nuisibles. Il y avait
toujours eu, à Paris, deux ou trois cents enseignes que la réaction
mettait hors la loi chaque fois que le gouvernement venait à changer en
France; il y avait aussi mille ou douze cents boutiques qui, au moment
d’un cataclysme révolutionnaire, se trouvaient plus ou moins menacées
pour avoir appelé la protection du gouvernement déchu, en acceptant
comme un honneur l’étiquette impériale, royale ou républicaine. Cet état
de choses, toujours identique dans ses résultats, donna donc à réfléchir
aux marchands les plus naïfs, et chacun jugea prudent de s’abstenir
désormais, dans son enseigne, de toute manifestation politique. Or,
comme on peut voir de la politique dans ce qui lui ressemble le moins,
on en vint tout naturellement à supprimer l’enseigne. On se souvenait en
effet que, selon le temps et les circonstances, l’enseigne avait été
une forme caractérisée d’opposition, de protestation ou de flagornerie.

Les enseignes ne se relevèrent guère de cette proscription vague et
indistincte. Nous avons indiqué déjà, dans les chapitres précédents, les
autres raisons qui les firent abandonner peu à peu par un grand nombre
de commerçants, et nous n’y reviendrons pas ici. Signalons seulement la
grande part que prirent naturellement à la disparition des anciennes
enseignes, dont beaucoup étaient si intéressantes, les démolitions
opérées à Paris dans ces vingt-cinq dernières années. Les anciennes
enseignes n’ayant été remplacées presque nulle part, et ce genre
d’annonce commerciale tendant à passer de mode, on comprend que la
rareté des enseignes se soit faite de jour en jour. Aussi peut-on
prévoir que celles qui existent encore finiront par disparaître à leur
tour, quoique, même parmi les plus récentes, quelques-unes soient
vraiment jolies: telles, par exemple, la _Petite Fermière_, de la rue
Lepic; la _Fraternité_, au nº 54 de la rue Monge, etc., tableaux
ingénieux et assez bien peints.

Peut-être l’enseigne sculptée survivra-t-elle cependant, mais plus
artistique et par conséquent plus rare, si l’on peut considérer comme
durable l’espèce de résurrection qu’elle a subie depuis une dizaine
d’années en entrant comme motif d’architecture dans la décoration
générale de la maison, transformation dont nous avons donné déjà des
exemples et dont nous reparlerons tout à l’heure.

En tout cas, nous demandons grâce pour quelques-unes des anciennes
enseignes qui subsistent encore, qu’on doit regarder comme de véritables
œuvres d’art, et qui présentent un curieux spécimen de ce que furent les
enseignes sculptées dans leur beau temps; par exemple, il serait très
regrettable de voir détruire l’enseigne du _Griffon_, rue du
Faubourg-Saint-Antoine, sculpture très fine et très élégante du XVIIIᵉ
siècle, dans un médaillon d’architecture; le _Vieux Satyre_, au coin des
rues du Four et Montfaucon; l’enseigne du _Cherche-Midi_, celle de la
cour du _Dragon_, le

[Illustration]

_Centaure_, de la rue des Lombards, le _Soleil d’Or_, de la rue
Saint-Sauveur, la _Truie qui file_, de la rue Saint-Antoine, l’_Arbre de
Jessé_, au coin de la rue des Prêcheurs, les _Trois Canettes_,
l’_Hercule_, rue Grégoire-de-Tours, le _Lion d’Argent_, rue des
Prouvaires, enseignes dont nous avons reproduit les figures.

Il y a des enseignes, comme plusieurs de celles que nous venons de
citer, qui dureront aussi longtemps que les maisons sur lesquelles
l’artiste les a taillées dans la pierre de la façade; comme aussi le
_Croissant_, de la rue Montorgueil, nº 9; une enseigne d’architecte, au
nº 57 de la même rue; le _Mouton_, de la rue du Four; un curieux et très
bon bas-relief, grandeur nature, non signé, mais daté de 1868,
représentant deux ouvriers prenant des mesures

[Illustration]

sur une pierre de taille, et divers attributs du métier, au nº 12 de la
rue Monge, indiquant sans doute que la maison est celle d’un
entrepreneur ou d’un architecte. Mais vienne à passer par là le tracé
d’une nouvelle voie, et voilà tout à bas, sans que peut-être on songe à
porter l’enseigne intéressante ou curieuse au musée Carnavalet, gardien
naturel de tout ce qui se rattache à l’histoire de Paris.

Ainsi, hélas! qu’a-t-on fait du _Pélican_, qu’on voyait encore, en 1862,
déchirant ses flancs pour nourrir ses petits, sur le quai du
Marché-Neuf, presque en face de la Morgue; du _Petit Saint-Antoine_, de
la rue Saint-Sauveur, au coin de la rue Montorgueil, sculpture
grossière, mais

[Illustration]

originale et intéressante par son caractère archaïque, bien que ne
remontant pas au delà du XVIIᵉ siècle? Que sont devenus la _Bouteille
d’Or_, grand bas-relief de la rue de la

[Illustration]

Cité, et le _Puits_, de la rue Saint-Honoré, tableau peint dans un cadre
de sculpture fleuronnée d’assez bon style; et tant d’autres enseignes
curieuses? Pauvres enseignes, à peine reste-t-il de vous un souvenir!

En renonçant à l’enseigne, on en a conservé cependant le titre, comme
une espèce de raison commerciale, et ce titre est resté en inscription
sur la boutique, aussi bien que sur les factures et les prospectus des
marchands. Cette enseigne nominative est une sérieuse propriété que le
commerçant a le droit de défendre vis-à-vis des contrefacteurs. Aussi la
plupart des maisons de commerce en vogue se distinguent-elles par leurs
enseignes nominales, inscrites en grosses lettres au frontispice des
magasins. Le possesseur

[Illustration]

titulaire d’une enseigne se montre très jaloux de son droit acquis,
lorsque la concurrence essaye de le lui disputer: de là des procès qui
ont souvent donné lieu à des dommages-intérêts considérables.
Quelques-unes de ces enseignes sont devenues des fiefs, que leurs
propriétaires n’échangeraient pas contre des duchés-pairies, s’il en
était encore. C’est à la _nouveauté_ que revient la palme dans ce genre
d’illustration: le _Louvre_, le _Bon Marché_, le _Printemps_, etc.,
remplissent l’univers de leurs noms,--c’est-à-dire de leurs
enseignes,--et vous pouvez être certain que, pour une femme, ce grand
nom historique: le Louvre, n’éveille plus aujourd’hui l’idée du royal
palais ni du merveilleux musée, mais celle du magasin «le plus vaste du
monde». D’autres, comme _Pygmalion_, les _Statues de Saint-Jacques_, le
_Gagne-Petit_, relevés en façade sur les grandes rues nouvelles, ont
ressuscité l’enseigne sculptée, en la faisant concourir à la décoration
générale de la maison; ce sont quelquefois de véritables œuvres d’art.
Le magasin de _Pygmalion_ expose en cariatides, de chaque côté de son
entrée principale, un Pygmalion et une Galathée fort habilement modelés.
Les _Statues de Saint-Jacques_ sont d’anciennes statues, retrouvées sur
l’emplacement de Saint-Jacques de l’Hôpital. Les frères Saint, jouant
sur leur nom de famille, ont décoré la façade de leur magasin de
toilerie, rue du Pont-Neuf, des statues fort bien exécutées des saints
patrons des quatre frères. D’autres encore que des magasins de
nouveautés ont également adopté l’enseigne décorative. Le journal _le
Figaro_ s’est installé, en 1874, dans un très élégant hôtel qu’il a fait
construire, rue Drouot, avec une façade des plus luxueuses, au milieu de
laquelle son patron tient tout naturellement la place d’honneur, parmi
de nombreux ornements présentant partout les armes de la maison, un F et
une plume croisés. La statue, qui est en bronze, est l’œuvre très
réussie de MM. Amy et Boisseau[307]. Enfin, rue des Écoles, on voit,
non loin du square Monge, une maison couverte de sculptures dorées, plus
riches que de bon goût, mais surmontée du buste de l’illustre
mathématicien, qui est bien à sa place tout près de l’École
polytechnique, dont il fut l’un des fondateurs. Signalons encore, dans
la rue Bergère, l’ornementation de l’hôtel du _Comptoir d’escompte_,
bâti vers 1880, où figurent, avec les statues du Commerce et de
l’Industrie, des médaillons en mosaïque sur fond d’or représentant les
cinq parties du monde. Mais ce sont là, jusqu’à présent, des exceptions
et nous craignons bien que les enseignes matérielles et décoratives, qui
semblaient être naguère l’accessoire obligé des boutiques, ne reprennent
jamais entièrement possession de leurs antiques prérogatives.

On a cherché, néanmoins, à les remplacer de différentes manières et même
à plus grands frais. On inventa des tableaux mécaniques, qui n’étaient,
à vrai dire, que des enseignes en ronde bosse, compliquées et
ingénieuses; mais si ces enseignes mouvantes avaient le privilège
d’attirer beaucoup de spectateurs émerveillés et tenus en contemplation,
ces spectateurs n’étaient que des curieux qui fournissaient bien peu de
chalands. On inventa ensuite les enseignes lumineuses, qui produisirent
d’abord beaucoup d’effet et qui, le soir, encombraient de badauds
immobiles les boulevards et les rues où elles étaient offertes en
spectacle aux passants. On n’a pas oublié celles d’un magasin de
toilettes de femme, boulevard Saint-Denis, au coin de la rue du
Faubourg-Saint-Martin: il y a quinze ou vingt ans, dès que la nuit était
assez obscure, les dix fenêtres de l’entresol de ce magasin se
changeaient en transparents, où l’on voyait successivement les portraits
en pied de Rachel dans tous ses rôles et dans tous ses costumes.

On tenta aussi de remettre à la mode un genre d’enseigne vivante, qui
avait eu grand succès, sous le Directoire, lorsqu’on installa aux portes
du _Jardin turc_, sur le boulevard du Temple, de véritables Turcs, en
chair et en os, choisis parmi les plus beaux hommes qu’on avait pu
trouver pour ce rôle fatigant et stationnaire, que les belles-de-nuit se
plaisaient à rendre difficile. On avait tenté depuis un essai analogue,
au Palais-Royal, dans le café des _Mille Colonnes_, où l’on exhibait à
la porte les monstrueuses nudités de la Vénus hottentote, que l’on peut
aller voir en squelette, dans la salle des monstres humains, au Cabinet
d’histoire naturelle du Jardin des Plantes.

Mais ce qui devait contribuer le plus à la décadence des enseignes, ce
furent les affiches illustrées, qui n’étaient qu’un nouveau procédé de
publicité commerciale, imité des toiles peintes que les bateleurs
exposent dans les foires pour attirer les curieux, par la représentation
figurée des animaux rares et extraordinaires qu’on voit au naturel dans
leurs baraques. Ces affiches parlantes, avec des figures dessinées ou
peintes, ont existé dans l’ancienne Rome; on en voit encore
quelques-unes à Pompéi, et ces affiches étaient réellement des
enseignes, quand l’image de deux serpents peints en noir sur une
muraille défendait au passant de s’y arrêter pour satisfaire un besoin
naturel. Nous trouvons à chaque pas, dans nos rues, des inscriptions
municipales qui expriment la même défense que les deux serpents de
l’antiquité romaine. Les affiches illustrées, qui n’ont reparu que de
nos jours, n’ont pas tardé à ressusciter l’enseigne à l’état éphémère,
mais sans cesse renouvelable avec des variantes continuelles. Ce n’est
plus l’enseigne à demeure, immobilisée au-dessus d’une boutique: c’est
l’enseigne qui se multiplie à l’infini et s’étale à la fois sur tous les
murs de Paris; c’est l’enseigne qui se montre à tout le monde, dans
toutes les rues de la capitale et qui ne disparaît, au bout de quelques
jours, que pour reparaître bientôt sous une nouvelle forme, avec de
nouvelles promesses et de nouvelles couleurs.

On avait d’abord imité, dans ces enseignes murales, les proportions
gigantesques des anciennes enseignes de Paris au XVIIIᵉ siècle, alors
qu’on voyait pendre à la boutique d’un marchand de vin une bouteille
grosse comme celles que Rabelais a mises dans les mains de Gargantua, et
à la boutique d’un cordonnier une botte énorme, telle qu’en portaient
les ogres des contes de fées. On aperçoit encore, sur quelques grands
murs nus, qui attendent le moment où ils seront cachés par de hautes
constructions, les derniers échantillons de ces immenses affiches: _A la
Redingote grise_, avec l’image grandiose de la fameuse redingote du
Petit Caporal, c’est un marchand d’habits; _A la Vigne de la Terre
promise_, avec un cep de vigne chargé de grappes de raisin qui
donneraient chacune de quoi remplir un litre, c’est un marchand de vin;
_Au Chapeau rouge_, avec le modèle de ce chapeau à larges bords qui
coifferait bien une des statues assises de la place de la Concorde,
c’est un chapelier. Cette bigarrure d’affiches peintes d’une façon
presque indélébile, à des hauteurs prodigieuses, partout où un mur nu
leur a permis de se déployer, aurait bientôt fait de Paris la ville des
enseignes colossales, si l’affiche illustrée, de petite dimension, en
noir et en couleurs, n’était venue mettre les annonces des marchands à
la portée des yeux du passant, dans toutes les rues où la paroi d’une
muraille libre pouvait être conquise et louée par l’afficheur.

Il y a bien cinquante ans que ce système d’affiches marchandes a été
inauguré à Paris, d’abord avec une extrême réserve, et surtout au profit
de la librairie, qui annonçait ainsi ce qu’elle nommait des
_nouveautés_. La plupart des affiches étaient en noir, avec des gravures
sur bois; plus tard, les dessins dont elles étaient ornées furent
coloriés au pinceau, et, à une époque plus rapprochée, ce coloriage se
fit avec des tampons d’imprimeur; puis, enfin, avec le secours de la
lithographie en couleurs.

Aujourd’hui, ces chromo-lithographies qu’on affiche sur les murs sont de
véritables enseignes qui ont l’apparence de gouaches et d’aquarelles.

Nous ne saurions mieux faire apprécier l’intérêt et la curiosité de ces
tableaux de papier peint qu’en décrivant, d’après un article de journal
(_le Petit Parisien_, 20 janvier 1883), la singulière et splendide
collection d’affiches illustrées que M. Dessolier est parvenu à réunir
dans vingt volumes in-folio maximo, contenant plus de 7 000 pièces,
divisées en trois séries: la première comprend les affiches relatives
aux publications de librairie; la seconde, les affiches des théâtres,
bals et concerts; la troisième, qui n’est pas la moins intéressante, les
affiches-enseignes du commerce et de l’industrie. On peut imaginer les
efforts d’intelligence, de patience et d’adresse qu’il a fallu mettre en
œuvre pour rassembler, depuis quarante ans, une pareille collection,
qui, nous l’espérons, viendra un jour prendre sa retraite à la
bibliothèque de la Ville.

«Les premières affiches illustrées, dit le _Petit Parisien_,
collectionnées par notre héroïque amateur, ne remontent pas au delà de
1830. Il possède les affiches dessinées par Raffet, pour le _Némésis_ et
le _Napoléon en Égypte_, de Barthélemy et Méry; pour le _Compagnon du
tour de France_, de George Sand; pour une _Bible_, pour l’_Algérie
ancienne et moderne_. Il y a des affiches, dessinées par Tony Johannot,
par Meissonier (avec grandissement, par Gavarni); par Célestin Nanteuil,
pour _Robert Macaire_ et _Don César de Bazan_; par Manet, par Félix
Braquemont, ainsi que toutes les ravissantes fantaisies de Chéret,
aujourd’hui le maître triomphant de l’affiche d’art, illustrée et
coloriée.

»Cette collection, où la Confiturerie Saint-James et les Machines à
coudre coudoient les plus délicieuses excentricités de Chéret et de
Grévin, donne d’innombrables renseignements sur les mœurs, les costumes,
les voyages, les succès d’un jour, les spectacles, les modes, les
plaisirs, les préoccupations, les caprices quotidiens, les folies
sociales et politiques de Paris depuis un demi-siècle.»

Le journaliste, dans la piquante énumération de ces affiches, n’a oublié
que les enseignes des marchands, qui figurent aussi avec éclat dans la
précieuse et originale collection de M. Dessolier.

Quant aux enseignes de Paris, peintes ou sculptées, que les démolitions
successives de tant de vieilles maisons ont fait recueillir,
quelques-unes ont été transportées au musée Carnavalet. Notre ami M.
Jules Cousin a bien voulu en faire pour nous un petit catalogue
descriptif et raisonné, qui formera l’Appendice naturel de l’_Histoire
des Enseignes de Paris_.



APPENDICE

LES ENSEIGNES DU MUSÉE CARNAVALET


Après le _Musée des enseignes_, qui fait l’objet de notre vingt-neuvième
chapitre, venons aux enseignes des musées.

Aujourd’hui que le goût des choses du passé s’est largement développé,
par un sentiment général de réaction contre le vandalisme aveugle qui a
promené à travers Paris la pioche municipale d’abord et ensuite la
flamme de la Commune,--à peu près aussi criminelles l’une que l’autre
aux yeux de l’archéologue et du vrai Parisien,--il n’est si vulgaire
souvenir d’autrefois qui ne passe à l’état de relique et n’excite
l’intérêt des curieux. Le nouveau musée Carnavalet, spécialement
consacré à l’histoire de Paris, ne pouvait négliger les anciennes
enseignes, malheureusement bien rares déjà quand on commença à le
former. Les démolisseurs de la noble cité se préoccupaient médiocrement
de ces pauvres enseignes et même des monuments historiques plus
importants; pourvu que les grandes voies stratégiques s’ouvrissent et
que les millions vinssent remplir la caisse des spéculateurs, tout était
pour le mieux dans le nouveau Paris uniforme et maussade qu’ils avaient
rêvé, et qu’ils ont malheureusement réalisé. Pardonnons-leur, mes
frères, car ils n’ont jamais su ce qu’ils faisaient!

Le principal instigateur de ce grand massacre du passé eut pourtant un
semblant de remords, inspiré sans doute par les lamentations de ces
_nomades_ de Parisiens et par les observations des quelques athéniens
égarés dans son entourage, auxquelles d’ailleurs il ne comprenait rien.
«Les gens de qualité s’intéressent-ils à ces petites drôleries?
demanda-t-il entre deux adjudications.--Oui, monsieur le baron.--Je m’y
intéresserai donc.» Et c’est ainsi que fut institué le musée historique
municipal, destiné à recueillir les épaves de la grande dévastation.

Ce musée--assez mal dirigé d’ailleurs à ses débuts, et que MM. Ferdinand
Duval et Hérold durent ramener dans la bonne voie par un vigoureux coup
de balai--recueillit de 1867 à 1870, dans le chaos des démolitions,
quelques enseignes curieuses.

Deux ou trois seulement avaient auparavant trouvé asile à l’hôtel de
Cluny. Ce sont:

La _Truie qui file_, de la rue de la Cossonnerie, petit bas-relief du
XVIᵉ siècle en pierre peinte, et les _Trois Barbeaux_, de la rue
Saint-Germain-l’Auxerrois, belle enseigne du XVIIᵉ siècle, dont nous
avons déjà parlé ci-dessus, p. 392 et 397.

Nous ne savons de quelle maison provient une autre enseigne en fer
repoussé, donnée au même musée par M. Mathieu Meusnier; elle représente,
dans un encadrement formé de rinceaux et de figures chimériques, les
outils du tonnelier.

La collection d’enseignes conservées à Carnavalet est beaucoup plus
riche.

Nous avons déjà mentionné et représenté la _Fontaine de Jouvence_ (p.
41), le _Chapeau fort_ (p. 223), le _Chat noir_, de la rue Saint-Denis,
enseigne de la maison où, dit-on, est né Eugène Scribe, souvenir qui lui
donne plus de prix que la renommée de sa confiserie.

Une autre très jolie enseigne de la rue Saint-Denis, nº 77, vient d’être
offerte au musée par le propriétaire, M. Faynaud, en train de
reconstruire sa maison; c’est l’_Éducation de la Vierge_, charmant
bas-relief de la fin du XVIᵉ ou du commencement du XVIIᵉ siècle, qui
décorait le trumeau central du premier étage, entre les deux fenêtres de
l’étroite façade. La Vierge enfant, malheureusement décapitée, épelle
sur un livre tenu par sainte Anne, sa mère.

L’enseigne du _Puits de Rome_, jadis rue Phélipeaux, se voit à l’entrée
de la bibliothèque; le puits et l’inscription sont tracés en or sur une
plaque de marbre noir:

    1666. CE CAREFOUR EST VULGAIREMENT APELÉ
               LE PUIS DE ROME

Dans l’escalier de dégagement de l’ancien Bureau des Drapiers, réédifié
au fond du jardin, ont été groupées les autres enseignes, presque toutes
en fer repoussé. Il est regrettable que l’on n’ait pas pris note de la
provenance en temps utile; il serait aujourd’hui fort difficile de la
constater, à moins de faire appel aux souvenirs de ceux qui ont pu les
voir en place il y a quelque vingt ans. Avis aux visiteurs du musée.

[Illustration]

Voici d’abord quatre enseignes de serruriers particulièrement soignées,
car le maître forgeait son enseigne lui-même, et tenait à donner par là
un échantillon avantageux de son talent:

1º Très belle potence fleuronnée, formée de rinceaux sortant d’une corne
d’abondance, mêlés de feuillages et de cartouches très compliqués; une
grande clef, également ornée, pend à l’extrémité de la tige.

2º Une autre clef suspendue à une potence, dans le même genre, mais plus
simple et plus petite.

3º Deux clefs passées en sautoir et surmontées d’une couronne de fleurs
de lis.

4º Enfin deux clefs dorées ordinaires.

Ces quatre enseignes paraissent dater du XVIIIᵉ siècle.

Serait-ce encore un serrurier qui aurait pris pour enseigne ce grand
cadran d’horloge en fer forgé et ajouré, au-dessous duquel flambe un
cœur couronné? La devise devait être: _A l’Exactitude_. L’exactitude est
de tous les métiers; et ce grossier cadran de fer qui n’offre aucune
trace de dorure ne conviendrait guère à un horloger. Il paraît être du
XVIIᵉ siècle.

Du même temps serait ce casque largement empanaché qui rappelle celui de
l’ancienne statue de Louis XIII, sur la place Royale, et les galantes
coiffures des Romains du carrousel de 1662 ou des héros d’opéra. Cette
enseigne de heaumier armurier pourrait bien être contemporaine du _Grand
Cyrus_; mais nous doutons fort qu’elle provienne de Paris, où nous
l’aurions certainement remarquée avant sa mise au rebut.

Nous reconnaissons, par exemple, les _Trois Rats_ (p. 90), et le profil
du _Grand Necker_ coiffé de la perruque dite à queue de rat. Loin de
nous la pensée malséante d’établir une comparaison quelconque entre ces
rongeurs et le ministre populaire des beaux jours de 89. Nous trouvons
même assez irrévérencieux que cette illustre tête ait servi d’enseigne à
un perruquier.

Nous préférons de beaucoup pour cet usage la _Perruque à marteaux_
peinte sur une plaque de tôle qui figure tout à côté. Le sens n’est pas
douteux et le modèle est plus rare, la simple peinture ne résistant pas,
comme le relief, aux intempéries de la rue.

Voici un _grand éperon_ à chaîne, du XVIIᵉ siècle, propre à figurer, à
côté du casque ci-dessus mentionné, à la porte d’un éperonnier; nous
doutons aussi de son origine parisienne; il nous paraît trop remarquable
pour n’avoir pas attiré l’attention sur place.

[Illustration]

Autant en dirai-je de cette enseigne classique en forme de bannière,
suspendue à sa belle potence fleuronnée du commencement du XVIIᵉ siècle.
La bordure est élégamment ajourée dans le goût flamand, elle représente
d’un côté, en peinture sur fond d’or, saint Jean-Baptiste accompagné de
l’agneau pascal; de l’autre, les outils du métier de foulon: une cuve,
une presse à drap et un fouloir. Cette belle enseigne aurait été,
dit-on, retrouvée dans un grenier; mais on ne peut désigner la maison.
Je la croirais plutôt sortie de la boutique d’un marchand de
bric-à-brac, qui aura eu la bonne fortune de la récolter dans quelque
tournée de province.

Je reconnais, au contraire, sans qu’il soit besoin d’en préciser
l’origine, les enseignes ordinaires de nos marchands de vin:

[Illustration]

Ici le _Bon Coing_ doré et appétissant; là le _Gros Raisin_ ou la _Belle
Grappe_ enclos dans une couronne de pampres.

Voici la _Fontaine de Bacchus_: trois futailles superposées coulant
vermeil dans une large cuve; le tout se détache sur un fond composé de
deux flèches en sautoir, enguirlandées de pampres et surmontées d’une
tête de Silène. Jolie composition en fer repoussé et colorié.

Un peu plus haut, ce petit Bacchus en bois ou en plâtre doré, à cheval
sur un baril, est tout moderne. Il provient du fameux cabaret du _Lapin
blanc_ de la rue aux Fèves, illustré par Eugène Sue, ou plutôt d’après
Eugène Sue; car il est constant qu’à l’époque de la publication des
_Mystères de Paris_ la rue aux Fèves, si elle recélait plusieurs
_tapis-francs_, n’en possédait aucun à l’enseigne du _Lapin blanc_. Un
Méridional, le père Mauras, eut l’idée d’exploiter la popularité du
roman, et fonda après coup, dans ladite rue, un cabaret du _Lapin
blanc_, auquel il ne fallut pas dix ans d’existence pour devenir
authentique. Le cabaretier montrait jusqu’à la cave où _s’étaient
passées_ les scènes les plus palpitantes de la chronique du prince
Rodolphe et de la tendre Goualeuse. La clientèle y croyait et les
étrangers y venaient voir. Il ne fallut rien moins que la démolition de
toute la Cité, en 1860, pour démolir en même temps la légende devenue
authentique; le père Mauras essaya vainement de la transplanter, avec
ses tables et son comptoir, dans le quartier Sainte-Geneviève, où elle
ne put reprendre racine. M. Heuzey, ancien acteur des Variétés, qui
avait connu les êtres, a raconté la chose par le menu dans son _Histoire
de la Cité_. Elle valait la peine d’être notée ici.

Voici encore la _Gerbe d’Or_, accostée de deux bouquets d’épis. Nous en
avons parlé plus haut; elle a toujours de nombreux similaires dans
différents quartiers de Paris, non seulement chez les boulangers, mais
chez les orfèvres, joailliers, etc.

Le _Petit Moine_ et le _Petit Lion_ se valent comme plastique; l’un n’a
pas l’air moins rébarbatif que l’autre; le premier égrène dévotement son
chapelet, le second passe fièrement, la tête de face, _léopardé_ en
terme de blason.

Voici le _Bras d’Or_ commun; un vigoureux biceps tendu horizontalement.

Puis une autre paire de bras plus intimes, rentrant dans la catégorie
des enseignes en _rébus: Aux Bras croisés_; un bras d’homme habillé et
un bras de femme découvert, croisés en sautoir.

[Illustration]

Nous aurons terminé cette rapide revue quand nous aurons indiqué, dans
la salle de la Révolution, un navire en fer repoussé, sur champ de
gueules, qui pourrait bien être une enseigne des _Armes de Paris_
(XVIIIᵉ siècle); et un fort curieux poteau du XVIᵉ siècle, en chêne
sculpté, provenant d’une maison du faubourg Saint-Honoré.

Est-ce une enseigne ou un simple blason de communauté? Ce poteau carré
était-il primitivement à l’extérieur ou à l’intérieur du bâtiment?

Quoi qu’il en soit, il nous appartient de droit, car la sculpture, fort
élégante et du plus pur style Henri II, représente, soutenu par un
enlacement de lauriers, un écusson chargé d’une paire de ciseaux
ouverts, cantonnée en chef d’une fleur de marguerite, en flanc et en
pointe de trois croissants. Ce sont, à très peu près, les armoiries des
_tailleurs de robes_ de la ville et faubourgs de Paris, et il n’est pas
téméraire de supposer qu’à un moment cette galante corporation,
parisienne entre toutes, ait remplacé les simples houppettes de
passements qui accompagnaient les ciseaux ouverts de ses armoiries[308]
par les croissants du Roi et la fleur symbolique de la princesse
Marguerite.


FIN



TABLE DES MATIÈRES


                                                                   Pages.
Introduction

Origine des enseignes dans l’antiquité                                 1

I. Jurisprudence et police des enseignes à Paris                      11

II. Origines des enseignes en France, inscriptions et monogrammes,
enseignes des maisons et des hôtels                                   27

III. Enseignes des marchands, du XIIIᵉ au XVIᵉ siècle                 47

IV. Noms des rues, provenant de leurs enseignes                       66

V. Enseignes sculptées, forgées, émaillées; enseignes en
pierre, en bois, en plomb, en fer, en terre cuite, en
émaux ou faïence                                                      79

VI. Enseignes d’encoignure, ou poteaux corniers                      100

VII. Enseignes des corporations, des confréries et des métiers       107

VIII. Enseignes des hôtelleries et des auberges                      121

IX. Enseignes des cabarets et des marchands de vin                   138

X. Enseignes des barbiers, des étuvistes, des chirurgiens,
des apothicaires et des médecins                                     151

XI. Enseignes des imprimeurs et des libraires                        162

XII. Enseignes des académies, des théâtres, des lieux publics,
des tripots et des mauvais lieux                                     180

XIII. Les vieilles enseignes                                         191

XIV. Enseignes historiques et commémoratives                         201

XV. Enseignes satiriques et épigrammatiques                          218

XVI. Enseignes de sainteté et de dévotion                            229

XVII. Anecdotes sur quelques enseignes                               242

XVIII. Enseignes armoriées                                           256

XIX. Enseignes en rébus                                              269

XX. Enseignes à inscriptions, à proverbes, à devises et enseignes
imaginaires                                                          279

XXI. Enseignes singulières, grotesques, ridicules                    288

XXII. Les enseignes-adresses des marchands                           297

XXIII. Le jeu des enseignes de Paris                                 313

XXIV. Enseignes avec inscriptions en vers                            323

XXV. Enseignes relatives à des pièces de théâtre                     337

XXVI. Les enseignes pendant la Révolution                            352

XXVII. Les enseignes au XIXᵉ siècle                                  366

XXVIII. Imagiers et peintres d’enseignes                             390

XXIX. Musée des enseignes                                            404

XXX. Orthographe des enseignes                                       421

XXXI. Déchéance des enseignes et règne des affiches                  432

Appendice.

Les enseignes du Musée Carnavalet                                    447


              PARIS.--IMPRIMERIE CHAIX (S.-O.).--14040-4.



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              PARIS, IMPRIMERIE CHAIX (S.-O.).--14414-4.


FOOTNOTES:

[1] _Ferienschriften_ (Écrits rédigés pendant les vacances). Fribourg,
1826.

[2] 23ᵉ question du livre V des _Symposiaques_, ou Propos de table.

[3] _Voyage en Grèce_, par Pierre Lebrun, 1824, in-8º.

[4] _Histoire des hôtelleries, cabarets, etc._, par Francisque Michel
et Édouard Fournier. Paris, 1854, gr. in-8º, t. Iᵉʳ, p. 49.

[5] _Dictionnaire des Antiquités romaines_, par Antony Rich, traduit
par Cheruel. Paris, Firmin Didot, 1861, verbo _Insigne_.

[6] Rutilius Numantianus, _Itinerarium_.

[7] Ferussac, _Bulletin des sciences historiques_, t. XVIII, 1831, p.
348.

[8] _Historia naturalis_, lib. XXXV, cap. 37.

[9] Cicero, _de Oratore_, lib. II, 66.

[10] Horat., _Satir._, lib. II, 7.

[11] Quintil., _Inst. orat._, VI.--Dezobry, _Rome au siècle d’Auguste_,
3ᵉ édit., 1870, t. Iᵉʳ, p. 169.

[12] Grævius, t. III, 30, et XII, 396.--Aringhi, _Roma subterranea_,
II, 19.--Galsano Volpi, Vetus Latium, VI, 160.

[13] Mariæ Turgii, _Notæ ad inscriptionem Ursi togati_.

[14] Dom Martin, _la Religion des Gaulois_, liv. Iᵉʳ.

[15] _Miscellanea eruditæ antiquitatis_, cura et studio J. Sponii.
Lugduno, 1685, in-fol., p. 199.

[16] Breton, _Pompeia_.--Mazois, _les Ruines de Pompéi_, in-fol., t.
II.--_Recherches historiques sur les enseignes_, par de La Querrière.
Rouen, 1852, in-8º, p. 2 et 3.

[17] Persius, satir. I.--_Dict. des Antiquités romaines et grecques_,
par Rich, trad. par Cheruel, au mot _Anguis_.

[18] Voy., outre les ouvrages cités:--_Dictionnaire des arrêts_,
par P.-J. Brillon. Paris, 1727, in-fol., t. III, au mot
_Enseigne_.--_Dictionnaire universel de police_, par Des Essarts.
Paris, 1787, in-4º, t. III, au même mot.

[19] _Inventaire sommaire des Archives hospitalières_, 1870, in-4º, p.
171, nº 2577.

[20] Levasseur, _Histoire des Classes ouvrières en France_. Paris,
Guillaumin, 1859, t. II, p. 35.

[21] _Le bon François, au véritable Mazarin déguisé sous le nom de
Franc bourgeois de Paris._ Paris, Nicolas Vivenay, 1651, in-4º. Voyez
la _Bibliographie des Mazarinades_, par Moreau. Paris, Renouard, 1850,
3 vol. in-8º, t. Iᵉʳ, p. 180, nº 586.

[22] _Lettres de Guy Patin_, édit. de Reveillé-Parise. Paris,
Baillière, 1846, 3 vol. in-8º, t. III, p. 625.

[23] Lettre du 2 novembre 1669.

[24] Levasseur, _Histoire des Classes ouvrières en France_, t. II, p.
33.

[25] Et, au contraire, une ordonnance de Henri II, de 1556,
prescrivait--pour la confusion des hérétiques--qu’au lieu d’enseigne,
chaque propriétaire mettrait sur le portail de sa maison l’image d’un
saint.

[26] De la Mare, _Traité de la Police_, continué par Lecler de Brillet,
t. IV, p. 332-37.

[27] _Dictionnaire universel de Commerce_, etc., par Jacq. Savary des
Brullons. Paris, Estienne, 1723, 2 vol. in-fol., article _Enseignes_.

[28] _Traité de la Police_, continué par Lecler de Brillet, t. IV, p.
422.

[29] _Voyage de Lister à Paris en 1698_, traduit pour la première fois,
publié et annoté par la Société des Bibliophiles français. Paris, 1872,
gr. in-8º, p. 30.

[30] _Chronique de la Régence et du règne de Louis XV, ou Journal de
Barbier_, première édition complète. Paris, Charpentier, 1857, in-12,
t. VII, p. 416.

[31] Voir le chapitre LXVI, t. Iᵉʳ du _Tableau de
Paris_, de Mercier.

[32] La Poix de Freminville, _Dictionnaire ou Traité de Police
générale_. Paris, 1769, in-4º, p. 304 et 305.

[33] _Institutiones oratoriæ_, VI, 3, 28.

[34] _Le Livre des Proverbes français_, par Le Roux de Lincy. Paris,
Ad. Delahays, 1859, 2 vol. in-12, t. II, p. 166.

[35] Publié par H. Géraud, dans la collection des _Documents inédits_.
Paris, Imp. royale, 1837, in-4º.

[36] Plusieurs archéologues ont cru pourtant reconnaître la désignation
d’une enseigne de maison dans cette mention que la _Taille de 1392_ a
faite d’une petite marchande: «Agnès de la Lanterne, regratière.» On
sait, en effet, qu’en 1411 il y avait une _maison de la Lanterne_ dans
la rue des Marmousets.

[37] Publié, par Buchon, dans la _Collection des Chroniques nationales
françaises_, t. IX.

[38] _Revue archéologique_ (livraisons du 1ᵉʳ avril et du 1ᵉʳ juin
1860).

[39] Dans la collection de Documents sur l’histoire de Paris, publiée
sous les auspices du Conseil municipal. _Région du Louvre et des
Tuileries_, t. Iᵉʳ. Paris, Impr. impér., 1866, in-4.

[40] Ad. Berty, _Topographie historique du vieux Paris_, t. Iᵉʳ, p. 47
et suiv.

[41] Voir ci-après le chapitre III.

[42] Ces renseignements sont tirés d’une savante notice, encore
inédite, de M. le docteur Chéreau, sur Jacques Coictier et sa famille.

[43] _Description historique de la ville de Paris_, par Piganiol de la
Force, 1765, t. VII, p. 64.

[44] _Le Philologue_, par J.-B. Gail. Paris, Gail neveu, 1819, t. VI,
p. 96 et 97.--Le même, t. IX, p. 101 et suiv., p. 119.

[45] Œuvres de Brantôme, _les Dames illustres_, édit. de la Haye, 1740,
t. Iᵉʳ, p. 60 et suiv.

[46] Voir, à ce sujet, les _Enigmes des rues de Paris_. Paris, E.
Dentu, in-18, 1860, p. 280-285, et _l’Esprit dans l’histoire_, 5ᵉ
édit., p. 158.

[47] _Histoire et Recherches des Antiquités de la ville de Paris_, par
Henri Sauval, 1733, 3 vol. in-fol., t. II, p. 358.

[48] _Revue universelle des Arts_, publiée par Paul Lacroix
(bibliophile Jacob). Paris et Bruxelles, 1855, t. Iᵉʳ, gr. in-8º, p.
390-91.--Une notice explicative imprimée chez Lahure fut affichée sur
la maison même en 1855. Elle est reproduite _in extenso_ dans la _Revue
d’architecture_ de César Daly, t. XIII, col. 202.

[49] Voir un article de M. Firmin Maillard, intitulé: _les Enseignes_,
qui a paru dans le _Journal de Paris_, nº du 1ᵉʳ octobre 1869.

[50] Voir ci-après les chapitres VIII et
IX.

[51] Voir ci-après le chapitre VII.

[52] _Revue archéologique_, nº du 1ᵉʳ avril 1860, p. 203 et suiv., et
du 1ᵉʳ juin, p. 66 et suiv.

[53] _Topographie du vieux Paris_, par Ad. Berty. Quartier du Louvre.
Paris, Imp. impériale, 1866, grand in-4º, t. Iᵉʳ, p. 18 et suiv.

[54] Outre les deux feuilles du Louvre et le fragment des trois îlots
de la Cité, Ad. Berty a laissé à peu près achevées deux feuilles de son
admirable plan archéologique de Paris antérieur au XVIᵉ
siècle, dans lesquelles sont indiquées toutes les enseignes de la
partie centrale de la Cité et de l’Université. Il serait monotone
de les détailler ici rue par rue; nous en donnerons en appendice
l’inventaire général alphabétique.

[55] Voir ci-après le chapitre XVIII.

[56] _Bibliographie artistique, historique et littéraire de Paris avant
1789_, par l’abbé Valentin Dufour. Paris, A. Laporte, 1882, in-8,
p. 290.--Ajoutons que les balanciers n’ont pas encore déserté ces
parages et qu’un peu plus haut, dans la même rue, existe un magasin
à l’enseigne du _P couronné_ qui, toutefois, est moins ancienne, ne
datant que de 1779.

[57] Cette pièce, sans lieu ni date, se compose de huit feuillets petit
in-8º gothique. Elle a été mise en langage plus moderne, mais avec
bien des fautes, dans une réimpression faite, à Rouen, en 1630. Dans
l’analyse détaillée que nous allons en faire, nous rajeunirons le texte
et l’orthographe, pour faire mieux comprendre les noms des enseignes
et la place qu’elles occupaient dans les rues de Paris, à la fin du
XVᵉ siècle.

[58] La Bibliothèque nationale possède un ancien manuscrit (nº 4681),
dont le titre est différent de l’imprimé; voici ce titre: _Cy
ensuit un esbatement du mariage des IIII fils Hémon, où les
enseignes de plusieurs hôtels de la ville de Paris sont nommées_. C’est
le texte de ce manuscrit que A. Jubinal a reproduit dans les _Mystères
inédits du quinzième siècle_ (Paris, Techener, 1837, in-8º, t. 1ᵉʳ, p.
369).

[59] «La plupart des enseignes que nous venons de citer d’après le
fabliau des Fils Hémon, dit Amédée Berger, se retrouvent dans les
Comptes de la Prévôté de Paris, des années 1399 à 1573, recueillis et
publiés par Sauval, à la fin de son dernier volume.» _Recherches sur
les Enseignes_ (_Journal des Débats_ du 25 mai 1858).

[60] _Traité de la Police_, in-folio, t. IV (1738), p. 347.

[61] Nous empruntons cette nomenclature au _Dictionnaire historique de
la Ville de Paris_, par Hurtaut et Magny, qui l’ont eux-mêmes extraite
de Jaillot. Paris, Moutard, 1779, 4 vol. in-8º, t. IV, de la page 259
à la page 499. Nous avons marqué seulement d’un astérisque les noms de
rue qui subsistent encore depuis la dernière classification des voies
publiques de la capitale.

[62] _Dictionnaire topographique, historique et étymologique des Rues
de Paris_, par J. de La Tynna, deuxième édition. Paris, Smith, 1816,
in-12.

[63] _Histoire et Recherches des Antiquités de Paris_, par Henri
Sauval. Paris, 1724, in-folio, t. Iᵉʳ, p. 126.

[64] Sauval, _Histoire et Recherches des Antiquités de Paris_, 1724,
in-folio, t. Iᵉʳ, p. 285.

[65] _Histoire et Recherches des Antiquités de Paris_, par H. Sauval,
1724, t. III, p. 372.

[66] _Recherches critiques, historiques et topographiques sur la Ville
de Paris_, par J.-B.-M. Jaillot, 1772-75, quartier de l’Université.

[67] _Les Enseignes de Paris_, feuilleton de la _Presse_ du 21 juillet
1856.

[68] _Dictionnaire étymologique de la Langue françoise_, 1669,
in-folio, au mot Calandre.

[69] _Histoire et Recherches des Antiquités de Paris_, 1724, t. Iᵉʳ, p.
121.

[70] _Recherches sur les Enseignes de Paris_, par Amédée Begrer, dans
le _Journal des Débats_, 25 mai 1858.

[71] Voir ci-dessus, chap. II, p. 41, où cette enseigne est représentée.

[72] _Topographie historique du vieux Paris_, par A. Berty. Région du
faubourg Saint-Germain. Imprimerie nationale, 1876, in-4º, p. 164, où
l’on trouve la reproduction de l’enseigne, d’après une photographie.

[73] De l’autre côté de la Seine, au nº 70 du quai de l’Hôtel-de-ville,
se trouve une enseigne d’un genre particulier et que nous croyons
unique à Paris; c’est celle du _Loup botté_: un de ces animaux,
_empaillé_ et énorme, et chaussé de bottes, monte la garde devant la
boutique d’un cordonnier.

[74] Voir chap. XVII, Anecdotes sur les enseignes.

[75] _Les Enseignes de Paris_, par l’Homme qui lit, 2ᵉ article dans le
_Gaulois_ du 8 juillet 1877.

[76] _Journal de Jean Heroard, sur l’enfance et la jeunesse de Louis
XIII_, publ. par Eud. Soulié et Ed. de Barthélemy. Paris, Firmin Didot,
1868, t. Iᵉʳ, p. 190.

[77] _Recherches sur Molière et sa famille_, par Eud. Soulié. Paris,
Hachette, 1863, in-8º, p. 12.

[78] _Histoire de la vie et des œuvres de Molière_, par J. Taschereau,
troisième édition. Paris, J. Hetzel, 1844, in-12, p. 206.

[79] _Le Roman de Molière_, par Édouard Fournier. Paris, E. Dentu,
1863, in-12, p. 174.

[80] Manuscrits de Beffara, à la Bibliothèque nationale, t. III,
p. 144. Voir, sur ce poteau cornier, les articles 219 et 220 de
l’_Iconographie moliéresque_, par Paul Lacroix. Paris, Fontaine, 1876,
in-8º, p. 62 et 63.

[81] _Dictionnaire raisonné de l’Architecture française._ Paris, Morel,
1864, gr. in-8º, t. VII, p. 475.

[82] _Les Rues et les Cris de Paris au XIIIᵉ siècle_,
précédé d’une étude sur les rues de Paris au XIIIᵉ
siècle, par Alfred Franklin. Paris, Léon Wilhem, 1874, in-12, pp. 38 et
suiv.

[83] Le _Dit des Rues de Paris_ (1300), par Guillot de Paris, avec
préface, notes et glossaire, par Edgard Mareuse. Paris, Librairie
générale, 1875, in-12.

[84] _Le Calendrier des Confréries de Paris_, par S.-B. Le Masson, avec
des notes, par l’abbé Valentin Dufour. Paris, Léon Willem, 1875, in-12,
pp. XXVI et suiv.

[85] _Topographie historique du vieux Paris_, par Adolphe Berty. Région
du Louvre et des Tuileries. Paris, Imprimerie impériale, 1866, in-4º,
t. Iᵉʳ.--Continuée par H. Legrand. _Ibid._, _id._, 1868, in-4º, t.
II.--Région du faubourg Saint-Germain, par A. Berty; complétée par
L.-M. Tisserand. Paris, Imprimerie nationale, 1876, in-4º.

[86] _Revue archéologique_, livraisons des 1ᵉʳ avril et 1ᵉʳ juin 1860.

[87] _Histoire des Antiquités de la ville de Paris_, 1724, t. III, p.
57.

[88] La _Truie qui file_, des Halles, qui est citée dans le _Mariage
des quatre fils Hémon et des filles de Damp Simon_ (voir ci-dessus,
p. 63), était certainement le type le plus ancien de cette enseigne
légendaire. Il y avait à Paris plusieurs autres enseignes sculptées
analogues, entre autres rue Saint-Antoine. Nous avons donné le dessin
de cette dernière, qu’on voit encore à sa place et qui doit reproduire
assez exactement l’enseigne primitive du marché aux Poirées, quoique la
sculpture soit de la fin du XVIᵉ siècle.

[89] Cette enseigne en rébus est représentée par une gravure en bois,
dans la plupart des éditions des _Bigarrures du seigneur des Accords_
(Étienne Tabourot).

[90] Les mêmes _Antiquités de Paris_, t. III, p. 309, 347, 367.

[91] Sauval, t. II, p. 619.

[92] _Tableau de Paris_, nouvelle édition augmentée. Hambourg et
Neuchâtel, 1782, in-12, t. Iᵉʳ, p. 118.

[93] Rappelons, à ce propos, les figures colossales, non plus à poste
fixe, mais roulantes, qu’on a vues depuis une vingtaine d’années
circuler dans les rues de Paris, représentant qui un chapeau, qui une
botte, une marmite, ou un homme, dans le ventre duquel est installé
le siège du cocher, etc. Certaines sont même éclairées à l’intérieur
pour la nuit. Rue de Rivoli, près la rue du Pont-Neuf, on voit un
gigantesque planteur américain coiffé d’un large chapeau de paille, qui
sert d’enseigne à la porte d’un marchand de ce genre de coiffures.

[94] _Les Enseignes de Paris_, par Amédée Berger (_Journal des Débats_,
1ᵉʳ juin 1858).

[95] _Histoire des Hôtelleries_, _Cabarets_, etc., par Francisque
Michel et Édouard Fournier. Paris, 1854, 2 vol. gr. in-8º, t. II, p.
224.

[96] Voir Sauval, La Tynna, Lacurne de Sainte-Palaye.

[97] Tome Iᵉʳ de l’édition gothique de Verard, sans date, _les
Chroniques de France, d’Angleterre et de Bourgogne_, chap.
CXV, CLXXVII, etc.

[98] _Histoire des Antiquités de Paris_, par H. Sauval, t. III, p. 284.

[99] Tome IV, chap. XXIV de l’édition gothique, sans
date.

[100] _Histoire des Antiquités de Paris_, t. II, p. 92 et 93.

[101] _Registre criminel du Châtelet de Paris_, du 6 septembre 1389
au 18 mai 1392, publié pour la première fois par la Société des
Bibliophiles français. Paris, 1861-62, 2 vol. gr. in-8º.

[102] Voir, à la suite des Poésies de François Villon, _le Recueil des
histoires de repues franches_, composé par un de ses élèves.

[103] _Histoire des Antiquités de Paris_, par Sauval, t. Iᵉʳ, p. 126.

[104] _Histoire des Français des divers États_, par A.-A. Monteil.
Paris, Victor Lecou, 1833, in-12, t. IV, p. 94.

[105] Ce monologue, qui fait partie d’un manuscrit du
XVIᵉ siècle décrit dans le Catalogue du duc de la
Vallière, sous le nº 3304 (aujourd’hui à la Bibliothèque nationale), a
été publié, par Francisque Michel et Leroux de Lincy, dans le _Recueil
de farces, moralités, sermons joyeux_, etc. Paris, Techener, 1831-37, 4
vol. pet. in-8º.

[106] _Histoire des Hôtelleries, Cabarets_, etc., par Francisque Michel
et Édouard Fournier. Paris, 1854, gr. in-8º, t. Iᵉʳ, p. 263.

[107] Voir ses Mémoires, p. 71 et 72, dans la collection des _Mémoires
pour servir à l’histoire de France_, publiés par Michaud et Poujoulat.

[108] _Journal d’un Voyage à Paris en 1657-58_, publié par A.-P.
Faugère. Paris, Benjamin Duprat, 1862, in-8º, p. 30 et suiv.

[109] _Voyage de Lister à Paris, en 1698_, trad. de l’anglais. Paris,
pour la Société des Bibliophiles, 1873, gr. in-8º, p. 30.

[110] _Le Livre commode des Adresses de Paris_, par Abraham du Pradel.
Nous nous servons à la fois des deux éditions de 1691 et de 1692,
qui présentent quelques différences, qu’il nous paraît inutile de
rapporter, à la première ou à la seconde édition, sans tenir compte des
suppressions que l’auteur, Nicolas de Blegny, a cru devoir faire dans
la réimpression de son livre. Voir notre édition, 2 vol. in-18, Paris,
P. Daffis, 1878-1879.

[111] _Séjour à Paris, c’est-à-dire Instructions fidèles pour les
voyageurs de condition_, par le sʳ J.-C. Nemeitz. Leide, Jean van
Abcoude, 1727, 2 vol. in-12.

[112] _Des Formes du mariage_, par Duméril, p. 52 et 78.

[113] Voir le _Dictionnaire de la Langue françoise_, de Furetière, au
mot Bouchon.

[114] Du Cange, _Glossarium ad scriptores mediæ et infimæ latinitatis_,
1678; au mot Buffetagium.

[115] _Revue archéologique_, t. VI, p. 384.

[116] _Contes et Discours d’Eutrapel._ Paris, 1732, 2 vol. in-12; t.
Iᵉʳ, pp. 235, 254.

[117] _Les Comédies facétieuses_ de Pierre de l’Arrivey, Champenois.
Rouen, Raphaël du Petit-Val, 1611, in-12, p. 150.

[118] _Le Parnasse satyrique_ du sieur Théophile, 1660, pet. in-12, pp.
139 et 218.

[119] _Les Visions admirables du Pèlerin du Parnasse, ou Divertissement
des bonnes compagnies et des esprits curieux_, par un des beaux esprits
de ce temps. Paris, chez Jean Gesselin, sur le Pont-Neuf, 1635, in-8º,
pp. 204 et suiv.

[120] Satire, dans le _Parnasse satyrique_ du sieur Théophile, 1660,
pet. in-12, p. 129.

[121] IIIᵉ livre des _Chansons pour dancer et pour boire_, par Pierre
Ballard. Paris, 1628, in-fol.

[122] Cette pièce anonyme a été imprimée, à Paris, chez Toussaint
Quinet, 1640, in-12.

[123] _Poésies diverses_ de M. Colletet. Paris, 1636, in-12, p. 410.

[124] _Poésies et Lettres_ de M. Dassoucy. Paris, 1653, in-12, p. 96.

[125] _Histoire des Hôtelleries, Cabarets, Hôtels garnis, Restaurants
et Cafés, et des anciennes Communautés et Confréries d’hôteliers, de
marchands de vin_, etc., par Francisque Michel et Édouard Fournier.
Paris, Seré, 1855, 2 vol. gr. in-8º.

[126] France. _Dictionnaire encyclopédique_, par Ph. Le Bas. Paris,
Firmin Didot, 1840, t. II, p. 121, article Barbiers.
Excellent article et très complet, qui doit être de Ch. Louandre.

[127] _L’Improvisateur Français_, par Salentin (de l’Oise). Paris,
Gousin, 1804, in-12, t. II, p. 384.

[128] Quatrième édition. Paris, Victor Lecou, 1853, in-12, t. II, p.
305.

[129] _Paris sous Philippe le Bel_, d’après les documents originaux,
par H. Géraud. Paris, imp. de Crapelet, 1837, in-4º, p. 486.

[130] _Œuvres de Clément Marot_, édition de Lenglet du Fresnoy. La
Haye, P. Gosse et J. Neaulme, 1731, in-12, t. VI, p. 257.

[131] _Dictionnaire de la Langue françoise ancienne et moderne_,
de Pierre Richelet. Lyon, Bruyset, 1728, 3 vol. in-fol., au mot
Barbiers.

[132] Santolii _Opera_, 1698, 2ᵉ part., in-12, p. 178.

[133] _Marques typographiques ou Recueil des monogrammes, chiffres,
enseignes, etc., des libraires et des imprimeurs qui ont exercé en
France de 1470 jusqu’à la fin du XVIᵉ siècle._ Paris,
1867, 2 vol. petit in-4º.

[134] _Mélanges historiques et philologiques._ Paris, Tilliard, 1754, 2
vol. in-12, t. II, p. 365.

[135] M. le baron J. Pichon, président de la Société des Bibliophiles
français, et, sans contredit, le premier bibliophile que l’érudition
française s’honore de posséder, a bien voulu nous confier un exemplaire
de l’_Histoire de l’Imprimerie et de la Librairie_, de La Caille
(Paris, Jean de La Caille, 1689, in-4º), tout chargé de notes, de
différentes mains, et parmi ces notes, celles de M. le baron Pichon
ne sont pas les moins importantes. C’est dans ce précieux exemplaire
que nous avons trouvé la suite presque complète des enseignes des
imprimeurs et des libraires qui ont imprimé et publié des livres à
Paris jusqu’en 1688.

[136] _Historia Universitatis parisiensis_, a Cæs. Egass. Bulæo. Paris,
1665-75, in-fol., t. IV, cap. Librariis.

[137] _Dictionnaire historique de la ville de Paris_, par Hurtaut et
Magny. Paris, Moutard, 1779, in-8º, t. III, pp. 352 et suiv., d’après
la _Bibliothèque des Artistes_, t. II, chap. VI.

[138] _Le Livre commode des Adresses de Paris pour 1692_, par Abraham
du Pradel (Nicolas de Blegny), suivi d’appendices, précédé d’une
introduction et annoté par Édouard Fournier. Paris, Paul Daffis,
éditeur-propriétaire de la _Bibliothèque elzévirienne_, 1878-80, 2 vol.
in-12.

[139] _Recherches sur l’histoire de la corporation des ménétriers
et joueurs d’instruments de la ville de Paris_, par B. Bernhard.
Bibliothèque de l’École des Chartes, 1843-44, t. V, pp. 266 et suiv.

[140] _Paris démoli_, nouvelle édition, revue et augmentée. Paris, E.
Dentu, 1882, in-16, p. 236.

[141] _Histoire des Antiquités de la ville de Paris_, par Henri Sauval,
1733, t. III, p. 82.

[142] Sauval, t. Iᵉʳ, p. 117.

[143] Sauval, t. III, p. 115 et 136.

[144] Sauval, t. II, p. 650.

[145] Nouvelle édition, revue, corrigée et considérablement augmentée.
Paris, Libraires associés, 1765, t. VIII, p. 339.

[146] _Tableau de Paris._ Nouvelle édition, augmentée. Amsterdam, 1783,
in-12, t. V, p. 109.

[147] Voir, sur le prince de Pons, une curieuse notice dans l’_Histoire
des Mystificateurs et des Mystifiés_, par Paul Lacroix (bibliophile
Jacob). Bruxelles et Leipzig, Aug. Schenée, 1856, in-16, t. Iᵉʳ, p. 151
et suiv.

[148] Feuilleton du _Gaulois_, 5 juillet 1877.

[149] Celle-ci existe encore rue Saint-Denis.

[150] Cette curieuse enseigne appartient aujourd’hui à M. E. Dentu,
notre éditeur.

[151] Voir _Dictionnaire critique de biographie et d’histoire_, par A.
Jal. Paris, Plon, 1872, gr. in-8º, p. 1279.

[152] _Histoire et Recherches des Antiquités de la ville de Paris_, par
Henry Sauval, 1733, t. II, p. 182.

[153] Voir, sur divers hôtels de la _reine Blanche_, nos _Chroniques et
Légendes des rues de Paris_. Paris, E. Dentu, 1864, in-18, p. 370.

[154] _Les Enseignes de Paris_, par J. Poignant, feuilleton du
_Gaulois_, 5 juillet 1877.

[155] _Contes et Discours d’Eutrapel_, par Noël du Faïl, seigneur de la
Herissaye. S. N. (Paris), 1732, 2 vol. in-12, t. II, p. 98.

[156] Voir plus haut, p. 90, chap. V.

[157] _Journal d’un voyage à Paris en 1657-1658_, publié par A.-P.
Faugère. Paris, Duprat, 1862, in-8º, p. 79.

[158] Même _Journal d’un voyage à Paris_, p. 27.

[159] _Archives hospitalières_: Quinze-Vingts, p. 156.

[160] _Recherches historiques sur les Enseignes_, par E. de la
Quérière, 1852, p. 14.

[161] _Magasin pittoresque_ (1854), t. XXII, p. 136.

[162] _Bibliographie des Mazarinades_, par Moreau, t. III, p. 150.

[163] _Œuvres de Monsieur de Fontenelle_, nouv. édit. Paris, Saillant,
1677, 11 vol. in-12, t. V, p. 502.

[164] Voir nos _Énigmes des rues de Paris_. Paris, E. Dentu, 1860,
in-18, p. 147.

[165] _Mémorial parisien, ou Paris tel qu’il fut, tel qu’il est_, par
P.-F.-S. Dufey (de l’Yonne). Paris, Dalibon, 1821, in-12, p. 213.

[166] _Revue archéologique_, t. IV, p. 213, et t. VI, p. 376.

[167] Bibliothèque nationale, manuscrits du Roi, nº 8292, in-fol.

[168] Voir ci-dessus, p. 77.

[169] _Essais historiques sur Paris_, par de Saint-Foix, 3ᵉ édition,
Paris, Duchesne, 1763, in-12, t. Iᵉʳ, p. 322 et suiv.

[170] _Histoire et Recherches des Antiquités de la ville de Paris_, par
Henry Sauval. Paris, 1733, in-fol., t. Iᵉʳ, p. 183.

[171] _Curiosités du vieux Paris_, par P.-L. Jacob. Paris, Delahays,
1858, in-12, p. 77.

[172] Tome V, première partie, p. 157. Voir aussi nos _Chroniques et
Légendes des rues de Paris_. Paris, E. Dentu, 1864, in-18, p. 364 à 368.

[173] Voir nos _Énigmes des rues de Paris_, p. 57 à 64, et notre
_Vieux-Neuf_, Paris, E. Dentu, 3 vol. in-18, t. II, p. 44.

[174] Voir le _Recueil A. B. C._, vol. C., p. 57 et suiv.

[175] _Histoire physique, civile et morale de Paris_, par Dulaure, 2ᵉ
édition, augmentée. Paris, Guillaume, 1828, 10 vol. in-8º, t. VIII, p.
83.

[176] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, par un Batteur de pavé. Paris, chez les Marchands de nouveautés
(Imprimerie de H. Balzac), 1826, in-32, p. 63 et suiv.

[177] _Charcuterie ancienne et moderne, traité historique et pratique_,
par L.-F. Dronne, charcutier. Paris, 1869, 1 vol. in-8º.

[178] Voir l’article Cugnière (Pierre de), dans la
_Nouvelle Biographie générale_ de Firmin Didot, et l’_Histoire
physique, civile et morale de Paris_, par J.-A. Dulaure. Paris,
Guillaume, 1821, t. II, p. 596.

[179] Articles du _Journal des Débats_, des 25 mai et 1ᵉʳ juin 1858.

[180] _Variétés historiques et littéraires_, revues et annotées par
Edouard Fournier. Paris, P. Jannet, 1855, t. III, in-12, p. 156.

[181] Articles du _Journal des Débats_, cités plus haut.

[182] Les _Historiettes de Tallemant des Réaux_, édit. de Monmerqué.
Paris, Delloye, 1840, 10 vol. in-12, t. X, p. 143.

[183] Les _Historiettes de Tallemant des Réaux_, seconde édition,
annotée par Monmerqué. Paris, Delloye, 1840, 10 vol. in-12, t. X, p. 42.

[184] _Mélanges d’histoire et de littérature_, recueillis par M.
Vigneul-Marville. Amsterdam, Elie Yvans, 1700, 3 vol. in-12, t. II, p.
45.

[185] _Histoire universelle_, par Théodore Agrippa d’Aubigné. Maillé,
Jean Mousset, 1616-20, 3 vol. in-fol., liv. IV, chap. VI.

[186] Il mourut dans la rue de Seine, chez Monglas, son hôte du _Petit
Maure_, dont nous avons reproduit l’enseigne ci-dessus, p. 145. (Voir
_Énigmes des rues de Paris_, p. 177.)

[187] _Bulletin de la Société de l’histoire de Paris_, 1883, p. 52.
Notice par M. Hipp. Bonnardot.

[188] Les _Historiettes de Tallemant des Réaux_, 3ᵉ édition, publiée
par Monmerqué et Paulin Pâris. Paris, Techener, 1855, 9 vol. in-8º, t.
IV, p. 151.

[189] _Mémoires_ de Michel de Marolles. Paris, Ant. de Sommaville,
1656, pet. in-fol., p. 153.

[190] Nous avons déjà cité cette curieuse lettre dans l’_Histoire des
Hôtelleries et des Cabarets_, 1851, t. II, p. 297.

[191] _Historiettes de Tallemant des Réaux_, 3ᵉ édition de Monmerqué et
Paulin Pâris. Paris, Techener, 1855, t. IV, p. 151.

[192] _Topographie historique du vieux Paris_, par Berty et Tisserand:
Bourg Saint-Germain. Paris, Imprimerie nationale, 1876, in-4º, p. 211.

[193] _Les Enseignes de Paris_, par Alfred de Bougy, feuilleton de _la
Presse_ du lundi 21 juillet 1856.

[194] _Dictionnaire des termes du vieux françois, ou Trésor de
recherches et antiquités gauloises_, par Borel; nouvelle édition,
augmentée. Paris, Brisson, 1750, in-fol., p. 80.

[195] _Histoire et Recherches des Antiquités de Paris_, par H. Sauval,
1733, t. III, p. 348.

[196] _Topographie du vieux Paris._ Bourg Saint-Germain, par Berty et
Tisserand. Paris, Impr. nationale, 1876, in-4º, p. 83 et 84.

[197] Lafolie, _Mémoires historiques relatifs à la statue de Henri IV_,
1819, in-8º, p. 76, et _appendice_ 263.

[198] Voir notre _Histoire du Pont-Neuf_. Paris, première partie, E.
Dentu, 2 vol. in-18, p. 131.

[199] _Histoire et Recherches des Antiquités de Paris_, par Sauval,
1733, t. II, p. 125.

[200] _Recherches historiques sur les Enseignes des maisons
particulières_, par E. de la Quérière, 1852, p. 13.

[201] Paris, Librairie centrale, 1864, in-12, p. 37.

[202] Les _Historiettes de Tallemant des Réaux_, seconde édition,
in-12, publiée par Monmerqué, chap. CCXCIII.

[203] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, par un Batteur de pavé. (A bon vin point d’enseigne.) Paris,
chez les Marchands de nouveautés, 1826, in-32, p. 127.

[204] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, 1826, nº 32, p. 51.

[205] Voir le feuilleton du _Journal de Paris_, 1ᵉʳ octobre 1859.

[206] _Histoire des forêts de la Gaule et de l’ancienne France_,
précédée de recherches sur l’histoire des forêts de l’Angleterre, de
l’Allemagne, etc. Paris, Leleux, 1850, in-8º, p. 20.

[207] _Antiquités de Paris_, par Sauval, 1733, t. III, p. 275.

[208] Sauval, t. II, p. 471 et suiv.

[209] _Histoire anecdotique du théâtre, de la littérature, etc., tirée
du coffre d’un journaliste_, par Charles Maurice. Paris, Plon, 1856, 2
vol. in-8º, t. Iᵉʳ, p. 46.

[210] _Discours satyriques et moraux, ou Satyres générales_ (par Louis
le Petit). Rouen, Richard Lallemand, 1686, in-12, p. 24.

[211] Recueil de Maurepas, à la Bibliothèque nationale, manuscrit, t.
VII, p. 43 et 44.

[212] _Revue rétrospective_, livraison du 30 octobre 1836, p. 35.--Il
est à remarquer néanmoins que les Trudaine portent dans leurs armes
_trois daims_, qui rappellent et symbolisent plus noblement leur nom
patronymique.

[213] _Les Bigarrures et Touches du Seigneur des Accords_, par Étienne
Tabourot, dernière édit., revue et de beaucoup augmentée. Rouen, David
Geoffroy, 1621, in-12, folio 4 et suivants.

[214] Sauval, t. III, p. 157.

[215] Note communiquée par M. le baron Pichon, qui l’avait prise dans
les archives d’un notaire de Paris.

[216] Sauval, t. III, p. 57.

[217] A. Berty, _Topographie du vieux Paris_, quartier du Louvre, 1869,
t. Iᵉʳ, p. 41. Voir, plus haut, p. 34 et 222.

[218] Voir les notices sur les Enseignes, par Firmin Maillard, J.
Poignant et Amédée Berger, publiées dans le _Journal des Débats_, le
_Gaulois_ et le _Journal de Paris_.

[219] _Les Enseignes de Paris_, par Amédée Berger, feuilletons du
_Journal des Débats_, 15 mai et 1ᵉʳ juin 1851.

[220] _Chevræana, ou Pensées d’histoire, de littérature_, etc.
Amsterdam, 1700, 2 vol. in-12, t. Iᵉʳ, p. 142, et notre _Histoire du
Pont-Neuf_, première partie, p. 208.

[221] _Curiosités de l’histoire du vieux Paris_, par P.-L. Jacob,
bibliophile. Paris, Ad. Delahays, 1858, in-12, p. 62.

[222] Voir la figure, p. 175.

[223] _Archives hospitalières de Paris_, in-4º, p. 152.

[224] _Dictionnaire topographique, historique et étymologique des Rues
de Paris_, par J. de la Tynna, 2ᵉ édit. Paris, Smith, 1817, in-12, p.
508.

[225] _Le Paysan françois_, sans nom de lieu, 1609, in-8º.

[226] Pièce inédite tirée des Manuscrits de Conrart, à la Bibliothèque
de l’Arsenal, t. X, p. 225 et suiv.

[227] _Mélanges historiques, satyriques et anecdotiques de
Boisjourdain_, sur la fin du règne de Louis XIV et la Régence. Paris,
Chèvre et Chauson, 1807, 3 vol. in-8º.

[228] _Inventaire sommaire des Archives hospitalières_, réimprimé par
M. Michel Moring. Paris, Picard, 1882, in-4º, nᵒˢ 2253 et 2450.

[229] _Registre du Châtelet_, publié par la Société des Bibliophiles,
t. II, p. 502.

[230] Victor Fournel, _les Contemporains de Molière_. Paris, Firmin
Didot, 1866, in-8º, t. III, p. 335.

[231] _Mémoires pour servir à l’histoire de France_ (extrait des
Journaux de l’Estoile). Cologne, chez les Héritiers de Herman Demen,
1719, 2 vol. in-8º, t. II, p. 127.

[232] _Histoire de la ville de Paris_, par l’abbé Lebeuf, édition de
Cocheris, t. Iᵉʳ, p. 368.

[233] _Essais historiques sur Paris_, pour faire suite aux Essais de M.
Poullain de Saint-Foix, par Aug. Poullain de Saint-Foix. Paris, Debray,
an XIII (1805), 2 vol. in-12, t. Iᵉʳ, p. 194-195.

[234] Cette édition fait partie de la _Bibliothèque elzévirienne_,
1878, 2 vol. in-12.

[235] _Les Enseignes de Paris_, feuilleton de la _Presse_, du lundi 21
juillet 1856.

[236] _Notice des émaux, bijoux et objets divers du Musée du Louvre_,
par de Laborde. Documents et Glossaire. Paris, Vinchon, 1853, in-12, p.
131.

[237] Même Notice, p. 131.

[238] _Livre-Journal de Lazare Duvaux, marchand bijoutier ordinaire du
Roy._ Paris, pour la Société des Bibliophiles, 1873, 2 vol. in-8º, fig.
L’étude de M. Courajod ne remplit pas moins de 221 pages.

[239] Voir notre chapitre XXVIII, sur les imagiers et
les peintres d’enseignes.

[240] C’est dans la collection iconographique de M. le baron Pichon,
président de la Société des Bibliophiles français, que nous avons
trouvé ces vingt et une adresses-enseignes gravées, dont quelques-unes
sont d’une grande importance et d’une insigne rareté. Mon vieil ami
Paul Lacroix avait publié, avant nous, dans son _Dix-huitième Siècle_
(Paris, Firmin Didot, 1875, gr. in-8º), quelques pièces de ce genre,
très remarquables au point de vue de la gravure, empruntées également à
la précieuse collection de M. le baron Pichon.

[241] _Histoire artistique et archéologique de la Gravure en France_,
par Alfred Bonnardot. Paris, Deflorenne, 1849, in-8º.

[242] _Abraham Bosse_, Catalogue de son œuvre, par Georges Duplessis
(_Revue univers. des Arts_, publiée par Paul Lacroix (bibliophile
Jacob). Paris, Renouard, 1857, in-8º, t. VI, p. 337.)

[243] Tome LIX de la collection d’estampes léguée à la Bibliothèque
nationale par ce savant iconographe.

[244] _Revue des Documents historiques_, publ. par Étienne Charavay,
quatrième année. Paris, A. Lemerre, 1876, p. 58.

[245] Cette eau-forte de Boucher, restée absolument inconnue, a été
signalée par M. Courajod, qui l’a fait graver en fac-simile par L.
Gaucherel, pour mettre ce fac-simile en tête du _Livre-Journal_ de
Lazare Duvaux.

[246] Voir notre _Histoire du Pont-Neuf_, première partie, p. 272 à 275.

[247] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, 1825, p. 83.--Cette enseigne du _Pauvre Diable_ a subsisté
jusqu’à l’année 1878.

[248] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, p. 84.

[249] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, p. 133.

[250] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, p. 41.

[251] Ibidem, p. 21.

[252] Voir notre _Esprit dans l’histoire_, Paris, E. Dentu, 1883, in-18
elzévir, p. 122-124. Ce quatrain a eu bien des variantes.

[253] Voir, dans les _Œuvres de Clément Marot_, édition de Lenglet du
Fresnoy, la Haye, 1731, t. II, à la page 71, le huitain intitulé: _Du
Roy et de Laure_, et à la page 13 l’épigramme: _A soy-mesme_, de Madame
Laure.

[254] Clément Marot et tous les poètes de cour jusqu’à Ronsard ont
fait un grand nombre de ces épitaphes, qu’on appelait des _tombeaux_
et qu’on aurait pu qualifier d’_enseignes de la mort_, puisqu’elles
étaient gravées sur les marbres ou les pierres des sépultures.

[255] _Manuel du Libraire et de l’Amateur de livres_, par Jacques
Brunet, 5ᵉ édition. Paris, Firmin Didot, 1864, 6 vol. gr. in-8º.
Voir, dans le tome V, aux pages 1694-1707, la liste alphabétique des
libraires et imprimeurs dont les marques typographiques sont figurées
dans cette cinquième édition.

[256] Il en est à peu près de même pour les marques de commerce, qui
sont généralement la reproduction très réduite de l’enseigne. Cependant
quelques magasins, qui n’ont pas d’enseignes proprement dites, ont des
marques spéciales; le magasin du Louvre, par exemple, a pour marque un
lion appuyé contre un L majuscule.

[257] _Histoire physique, civile et morale de Paris_, par J.-A.
Dulaure. Paris, Guillaume, 1821, in-8º, t. Iᵉʳ, p. 77.

[258] _Souvenirs de Paris en 1804_, par Auguste Kotzebue, traduits de
l’allemand (par Guilbert de Pixérécourt). Paris, Barba, 1805, 2 vol.
in-12, t. II, p. 340.

[259] _Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de
Paris_, par un batteur de pavé, avec cette épigraphe: «Au bon vin pas
d’enseigne.» Paris, chez les Marchands de nouveautés, au Palais-Royal.
Imprimerie de H. Balzac, rue des Marais Saint-Germain, nº 17. 1826,
in-32.

[260] _Ballets et Mascarades de Cour, sous Henri IV et Louis XIII_,
recueillis par Paul Lacroix. Genève, J. Gay, 1868-70, in-12, t. II, p.
213.

[261] _L’Orphelin infortuné._ Paris, 1660, in-8º, p. 243-44.

[262] _Ballets et Mascarades de Cour_, t. VI, p. 73.

[263] _Poésies et Lettres_ de M. Dassoucy. Paris, J.-B. Loyson, 1653,
pet. in-12, p. 96.

[264] A. Pougin, _Adolphe Adam, sa Vie et ses Œuvres_.

[265] Puisque nous reparlons ici d’Eugène Scribe, rappelons qu’il
est né, en 1791, rue Saint-Denis, où son père tenait un magasin de
soieries, au _Chat noir_ (Lefeuve, _les Anciennes Maisons de Paris_, t.
III, p. 58). Cette enseigne abrite aujourd’hui, au nº 32, une boutique
de confiseur.

[266] A propos de l’emploi de la mosaïque, assez rare dans les
enseignes de Paris, mentionnons l’ornementation en mosaïque polychrome,
figurant des attributs guerriers, qui entoure la façade monumentale du
Panorama construit, depuis trois ou quatre ans, rue Saint-Honoré, nº
251, sur l’emplacement de la salle Valentino. (_Note de l’éditeur._)

[267] On lit dans le _Figaro_ du 27 février 1884: «Il y a encore des
enseignes amusantes. Hier, nous en avons remarqué une assez drôle,
dans le haut de la rue Pigalle. Cette œuvre d’art, due au pinceau d’un
illustre inconnu, a pour but d’attirer l’attention des passants sur
les mérites des escargots de Bourgogne, débités par un marchand de
vin restaurateur. L’artiste a ainsi conçu son œuvre: dans le haut du
tableau, le Père éternel et le bon saint Pierre émergent des nuages
et conversent ensemble, en regardant au-dessous d’eux une bande de
terrain sur laquelle se promène allégrement un escargot d’appétissante
apparence. Une légende traduit ainsi les paroles des personnages
célestes: «Pierre, tire le cordon. Il faut que j’aille voir de plus
près sur la terre cette bête que je ne connais pas et que je ne me
souviens pas d’avoir créée.--Ne vous dérangez pas, Seigneur, c’est un
excellent escargot de Bourgogne qui voyage comme échantillon pour la
maison X..., de la rue Pigalle.» Et le bon Dieu semble dire à saint
Pierre: «Merci du renseignement; on apprend à tout âge.» (_Note de
l’éditeur._)

[268] _L’Hermite du faubourg Saint-Germain_, par Ch. Colnet. Paris,
Pillet, 1825, 2 vol. in-12.

[269] _Étude sur les Enseignes de Paris_ (_Journal des Débats_, 25 mai
et 1ᵉʳ juin 1848).

[270] _Les Enseignes de Paris_, feuilleton du _Gaulois_, 7 juillet 1877.

[271] _Les Enseignes_, par Firmin Maillard, feuilleton du _Journal de
Paris_. 1ᵉʳ octobre 1859.

[272] _Histoire de la Société française pendant la Révolution_, par les
frères de Goncourt. Paris, E. Dentu, 1854, in-8º, p. 269.

[273] Voir la _Feuille du jour_, nº 177.

[274] Réimpression du _Moniteur universel_, in-4º, t. XIX, p. 266.

[275] _Journal littéraire_ de Clément, 1795, t. II, p. 19.--Un peu plus
tard reparurent quelques enseignes de dévotion (voir notre chapitre
XVI), telles que l’_Image Notre-Dame_, sous l’invocation
de laquelle s’était mis, dès 1701, un commerce de droguerie de la rue
des Lombards, transféré aujourd’hui boulevard de Sébastopol, nº 14.

[276] _Le Nouveau Paris_, par le citoyen Mercier. Brunswick, 1800, 6
vol. in-12, t. III, p. 94.

[277] Au sujet d’une sculpture assez bizarre qui décore la partie
supérieure du chevet de cette église, et qui peut passer pour une
véritable enseigne en rébus, voir nos _Enigmes des rues de Paris_, p.
301.

[278] _Histoire de la Société française sous le Directoire_, par Edmond
et Jules de Goncourt. Paris, E. Dentu, 1855, in-8º, p. 88 et 93.

[279] _Étude sur les Enseignes de Paris_, par Amédée Berger (_Journal
des Débats_, 25 mai et 1ᵉʳ juin 1858).

[280] _Œuvres_ de A.-V. Arnault. Paris, Bossange, 1827, t. VIII, p. 120.

[281] _Le Livre des Cent et un._ Paris, Ladvocat, 1834, in-8º, t. XV,
p. 243.

[282] Le _Mercure de France_, t. XLV, p. 482.

[283] _La France_, par Lady Morgan. Paris, Treuttel et Wurtz, 1817, 2
vol. in-8º, t. II, p. 57.

[284] Cette maison, faisant l’angle de la rue de Grammont, et remplacée
par l’hôtel du Crédit lyonnais, appartenait alors à M. Pérès, maître
serrurier, auquel on doit la belle grille du Palais de justice. (_Note
de l’éditeur._)

[285] _Mémorial parisien, ou Paris tel qu’il est_, etc. Paris, Dalibon,
1821, in-12, pages 4, 31, 35 et 214.

[286] Voir la figure page 92.--Mentionnons dans la même rue, plus près
de la Bastille, l’enseigne du _Chat botté_, assez jolie statuette en
bois colorié qui décore la boutique d’un cordonnier.

[287] _Étude sur les Enseignes de Paris_ (_Journal des Débats_, 25 mai
et 1ᵉʳ juin 1858).

[288] Cette sculpture décorait l’entrée du collège de Saint-Michel,
fondé au XIVᵉ siècle par l’évêque de Paris Guillaume de
Chanac et doté en 1510 par Antoine de Pompadour. C’est dans ce collège
qu’avait été admis comme domestique-élève le futur cardinal Dubois
(Lefeuve, _Anciennes Maisons de Paris_, t. Iᵉʳ, p. 397-400).--Rappelons
en passant que cette rue de Bièvre avait eu pour habitant Dante pendant
son séjour à Paris, et qu’il allait suivre les cours des professeurs de
la rue du Feurre ou Fouarre, tout près de là.

[289] _Recherches historiques sur les Enseignes des maisons
particulières_, suivies de quelques inscriptions murales, par E. de La
Quérière. Rouen, François, 1852, in-8º, p. 53 et suiv.

[290] Aujourd’hui au musée de Cluny.

[291] _Mémoires et Correspondance littéraire, dramatique et
anecdotique_ de C.-S. Favart. Paris, Léopold Collin, 1808, 3 vol.
in-8º, t. Iᵉʳ, p. 94.

[292] _Paris à la fin du XVIIIᵉ siècle, ou Esquisse
historique et morale des monuments et des ruines de cette capitale_,
etc., par J.-B. Pujoulx. Paris, Mathé, 1801, in-8º, p. 14.

[293] Livraison du 10 septembre 1842, p. 38; Bulletin publié sous la
direction de Paul Lacroix (bibliophile Jacob).

[294] _Catalogue raisonné de l’œuvre, peint, dessiné et gravé,
d’Antoine Watteau_, par Edmond de Goncourt. Paris, Rapilly, 1875,
in-8º, p. 88 à 90.

[295] Voir notre _Histoire du Pont-Neuf_. E. Dentu, édit., 1862, 2 vol.
in-18; t. Iᵉʳ, p. 270-274.

[296] _Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de
l’Académie royale de peinture et de sculpture_, publiés par L.
Dussieux, E. Soulié, Ph. de Chennevières, etc. Paris, Dumoulin, 1854, 2
vol. in-8º, t. II, p. 421.

[297] _Grétry_, par Arsène Houssaye, dans la _Revue de Paris_, numéro
du 4 juillet 1841.

[298] Voir ci-dessus, à la page 363, cette enseigne, la seule peut-être
qui n’ait pas quitté sa place depuis le Directoire, sauf qu’elle est
maintenant à l’intérieur du magasin au lieu d’être au dehors.

[299] _Les Enseignes de Paris_, par M. Poignant, feuilleton du
_Gaulois_, 7 juillet 1877.

[300] Voir la remarquable monographie d’Edmond de Goncourt, intitulée:
_Gavarni_, p. 404.--Voir ci-dessus, page 349, la reproduction de
cette enseigne, qui existe encore au coin des rues de la Huchette et
Saint-Jacques.

[301] _Les Enseignes de Paris_, feuilleton du _Gaulois_, 8 juillet 1877.

[302] A propos d’Eugène Delacroix, mentionnons, boulevard du
Montparnasse, à quelques pas du boulevard des Invalides, au-dessus d’un
magasin de meubles, une copie de son beau tableau représentant Dante
conduit par Virgile au séjour des Damnés. Cette enseigne, qui n’a pas
d’inscription, est en assez mauvais état, mais on peut voir encore
qu’elle a été peinte par un artiste de quelque talent, sans doute un
élève du maître.

[303] Voir plus haut, p. 394, une note à ce sujet.--Cette enseigne, qui
était telle que nous la dépeignons quand nous en avons fait prendre
copie, aurait aujourd’hui bon besoin d’être restaurée; à peine en
reconnaît-on le dessin.

[304] Ce Richesource, qui se posa en défenseur de la langue écrite
et parlée pendant trente-cinq ans, publia, en 1680, le _Camouflet
des auteurs négligents en faveur des jeunes orateurs_, in-12, et il
ne ménagea pas plus les auteurs en renom que s’il avait eu à leur
reprocher les monstrueux abus orthographiques et grammaticaux des
enseignes de Paris.

[305] _Journal de Paris_, feuilleton du 1ᵉʳ octobre 1859.

[306] _Mémorial parisien, ou Paris tel qu’il fut, tel qu’il est._
Paris, Dalibon, 1821, in-12, p. 31.

[307] Tout récemment, en février 1884, le journal _la France_ a
inauguré un hôtel somptueux, élevé par l’architecte Ferdinand Bal, sur
l’emplacement de l’ancien marché Saint-Joseph. L’angle, en pan coupé,
sur la rue du Croissant et la rue Montmartre, est décoré au sommet
d’un génie, placé devant un exemplaire typique du journal et montrant
au public une pièce de 10 centimes, prix du numéro. Au-dessous, dans
un médaillon lauré, est le buste d’Émile de Girardin, fondateur du
journal, et plus bas, un bras de bronze, sortant de la muraille, dépose
son bulletin dans une urne électorale.--Le _Petit Journal_ montre,
au-dessus de l’immeuble où il est installé depuis plus de vingt ans,
rue Lafayette, nº 61, une énorme pièce de 5 centimes, entourée de
lauriers et autres attributs; encore l’annonce du prix du numéro du
journal. (_Note de l’éditeur._)

[308] A. Forgeais, _Plombs historiés trouvés dans la Seine_; 1ʳᵉ série.
Méreaux des corporations d’arts et métiers. Paris, 1862, in-8º, p. 125.




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