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Title: Oeuvres de Champlain
Author: Champlain, Samuel de, 1567-1635
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Oeuvres de Champlain" ***


by the BNQ (Bibliothèque Nationale du Québec) in pdf format



[Illustration: Samuel de Champlain, Sam01.png]



                             OEUVRES
                               DE
                            CHAMPLAIN


                            PUBLIÉES
                       SOUS LE PATRONAGE
                     DE L'UNIVERSITÉ LAVAL

                              PAR
                L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
          PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
              ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ

                        SECONDE ÉDITION

                             TOME I


                             QUÉBEC
             Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS

                              1870



i           PRÉFACE

            Dès le moment que l'on commença à étudier plus intimement
            l'histoire du Canada, on sentit de suite la nécessité de
            recourir aux sources, et de s'appuyer sur des documents
            irréprochables. Naturellement, l'historien devait tout
            d'abord porter ses regards sur l'un des plus anciens, comme
            des plus fidèles témoins de nos origines canadiennes, sur
            celui que tout le pays peut à bon droit revendiquer comme
            son père et son fondateur, sur Champlain. La part immense
            qu'il prit aux premières fondations tant civiles que
            religieuses de ce pays, sa droiture, son intégrité,
            l'étendue et la variété de ses connaissances, la position
            avantageuse qu'il occupait vis-à-vis des personnages les
            plus influents de la cour de France, suffiraient sans doute
            pour donner à sa parole la plus haute autorité. Mais ce qui
            ajoute encore une valeur singulière aux écrits de Champlain,
            c'est qu'il est pour ainsi dire le seul de nos plus anciens
            auteurs que l'on puisse regarder comme source historique
            proprement dite. Que nous apprend Lescarbot, par exemple, en
ii          dehors de ce qui concerne l'Acadie? Presque tous les détails
            qu'il nous donne sur le fleuve Saint-Laurent, sur Québec et
            sur le reste du Canada, il les emprunte à Champlain, quand
            il ne cite pas Cartier. Sagard lui-même, à part les
            renseignements qu'il a pu recueillir de la bouche des
            religieux de son ordre, ne parle souvent que d'après le
            récit de Champlain, qu'il s'approprie sans lui en tenir
            compte. Sagard, d'ailleurs, ne fit que passer en Canada, par
            conséquent, dans bien des cas, il ne peut guères que parler
            sur le témoignage d'autrui, ce dont nous sommes loin, du
            reste, de lui faire un reproche.

            Tandis que Champlain est témoin oculaire de presque tout ce
            qu'il rapporte, et que son récit a l'immense avantage
            d'être comme un journal fidèle et régulier, où se trouvent
            consignées tour à tour les découvertes et les fondations, la
            narration pure et simple des événements, et l'appréciation
            des fautes ou des succès qui les accompagnèrent.

            La seule importance des ouvrages de Champlain suffisait donc
            pour en motiver une nouvelle édition. Mais à cette première
            raison venait s'en joindre une seconde: l'excessive rareté
            et par suite le prix exorbitant des éditions anciennes. On
            ne connaît qu'un seul exemplaire du Voyage de 1603, celui de
            la Bibliothèque Impériale de Paris. L'édition de 1613 est si
iii         rare, qu'à peine pourrait-on en trouver dix exemplaires dans
            tout le pays; encore n'y a-t-il que celui de la bibliothèque
            de l'Université Laval qui soit parfaitement complet, et qui
            renferme la grande carte de 1612, et les deux tirages de la
            petite carte. Nous avons nous-même, dans l'intérêt de la
            présente édition, payé cet exemplaire 500 fr. à Paris (somme
            que M. Desbarats a eu la générosité de nous rembourser plus
            tard). L'édition de 1619 est peut-être encore plus rare.
            Celle de 1632, que l'on trouve aussi très-difficilement, ne
            se vend pas moins de 200 fr., même sans la carte, et cette
            carte est si rare, qu'il n'y a, à notre connaissance, que
            l'exemplaire de la Bibliothèque Fédérale qui la renferme.

            Il devenait donc absolument nécessaire de rendre plus
            accessible une source aussi féconde. Mais comment trouver,
            en Canada, les moyens de reproduire dignement un travail
            si considérable, illustré de tant de dessins et de cartes?
            Pareille entreprise était, ce semble, réservée à quelque
            société littéraire ou scientifique. De fait, le président de
            la Société Littéraire et Historique de Montréal, M. l'abbé
            H. Verreau, Principal de l'école normale Jacques-Cartier,
            ami dévoué de notre histoire, admirateur sincère de
            Champlain, avait formé, à peu près en même temps que nous,
            le projet d'une publication qui fît honneur au père de la
iv          patrie. Mais il nous semblait que Québec devait se faire un
            devoir de publier les oeuvres de son fondateur, et la
            Société Historique de Montréal non-seulement n'y mit point
            d'obstacle, mais voulut même contribuer en quelque sorte à
            encourager cette entreprise, en nous permettant d'utiliser
            les matériaux qu'elle avait déjà commencé à réunir.

            C'était en 1858. Nous n'avions encore fait nous-même que
            quelques recherches préliminaires. Mais il était facile de
            prévoir dès lors deux difficultés, dont chacune pouvait à
            elle seule nous arrêter. Il fallait d'abord compter comme
            toujours avec les moyens pécuniaires; et, en second lieu,
            nous n'étions pas libre de disposer de tout le temps
            nécessaire à l'accomplissement d'une tâche aussi rude.

            Une pensée généreuse, due à l'un de ces hommes qui savent
            s'élever au-dessus des préjugés du vulgaire, pour ne
            chercher dans l'histoire que la pure et franche vérité, vint
            tout à coup aplanir les obstacles, et donner une nouvelle
            vie à toutes nos espérances. En 1864, M. John Langton,
            lauréat d'Oxford, président alors de la Société Littéraire
            et Historique de Québec, voulut lui aussi élever un monument
            à la mémoire de Champlain. La faiblesse des ressources que
            pouvait mettre à sa disposition la Société Historique, et
            plus encore peut-être un sentiment de délicatesse que nous
v           nous serions fait un reproche de n'avoir point apprécié,
            furent les seules causes, croyons-nous, qui empêchèrent M.
            Langton de réaliser le plan qu'il avait fort à coeur.
            Néanmoins, cette heureuse pensée ne fut pas perdue; elle
            fit naître au sein de la faculté des Arts de l'Université
            Laval la louable ambition de réaliser quelque chose de plus
            grand et de plus parfait. Il fut décidé que l'Université,
            secondée par le Séminaire de Québec, accorderait son
            patronage à la publication des oeuvres de Champlain telle
            que nous la méditions depuis plus de six ans.

            M. Geo.-E. Desbarats, qui avait déjà bien accueilli M.
            Langton, voulut dès lors ne rien épargner pour répondre à
            l'encouragement de l'Université. Obligé plus tard de quitter
            Québec, il poussa la libéralité jusqu'à laisser à notre
            disposition tout un matériel bien assorti de caractères
            antiques, avec le personnel nécessaire pour compléter
            l'oeuvre sous nos yeux. Enfin, la première édition était
            faite, les clichés transportés à Ottawa, l'impression
            presque terminée; lorsque un épouvantable incendie vint
            réduire en cendres l'atelier de M. Desbarats. Les seules
            épreuves tirées à Québec furent tout ce qui nous resta.

            Des pertes aussi sensibles étaient bien de nature à faire
            échouer complètement une entreprise qui paraissait devoir
vi          être si peu rémunérative. Mais voilà que tout à coup un
            redoublement de sympathie bien méritée vint ranimer le
            courage de M. Desbarats. Le 13 février 1869, il nous
            écrivait: «Cher monsieur, vos raisons et la conduite du
            Séminaire à mon égard, sont trop bonnes, pour que je ne
            cède pas, Champlain se réimprimera à Québec... Eh bien,
            Champlain m'aura coûté quelques trois mille louis» (60,000
            fr).»

            Pour nous, nous avions un tel sentiment des difficultés de
            notre travail, que nous n'étions pas fâché d'avoir à le
            refaire, ou du moins à le revoir en entier, heureux de
            pouvoir encore profiter des judicieuses remarques de
            plusieurs amis; heureux surtout d'avoir une occasion de
            réparer des inexactitudes ou des omissions qui avaient
            échappé à nos premiers efforts.

            Nous avons maintenant à expliquer au lecteur la marche que
            nous avons cru devoir suivre dans cette réimpression des
            oeuvres de Champlain.

            1° Après un examen attentif des diverses éditions des
            voyages de l'auteur, il nous a paru nécessaire de les
            publier toutes en entier, parce qu'elles se complètent et
            s'expliquent les unes les autres. C'est pour n'avoir pas eu
            sous les yeux les éditions complètes de Champlain, que bien
            des auteurs ne l'ont pas compris.

            2° Nous nous sommes fait une loi, nous pourrions dire un
vii         scrupule, de reproduire le texte absolument tel qu'il est
            dans les anciennes éditions, sans nous permettre même de
            supprimer les notes marginales, qui pourtant ne paraissent
            pas avoir toujours été faites par l'auteur, et notre
            fidélité sur ce point nous a porté à respecter jusqu'aux
            irrégularités d'orthographe et de typographie, parce que
            ces irrégularités mêmes jettent souvent du jour sur
            certaines questions qui peuvent avoir leur intérêt et leur
            importance.

            3° Chaque fois que nous avons constaté une faute, soit
            erreur typographique, soit méprise de l'auteur, nous avons
            jeté au bas de la page les notes nécessaires ou opportunes,
            en laissant le texte conforme à celui de l'édition
            originale. C'est ici la partie de notre travail qui nous
            a le plus coûté de temps et de recherches. Telle faute
            quelquefois sera facile à corriger; mais, que l'on tourne
            la page, il faudra, pour reprendre l'auteur, savoir
            non-seulement ce qu'il a voulu dire, mais encore où en était
            la science à son époque, si l'on ne veut pas s'exposer à
            être injuste. Il est vrai que nous n'avons point borné là
            notre tâche; nous nous sommes efforcé d'éclaircir certains
            passages obscurs, ou qui le sont devenus par le changement
            des circonstances et des temps. Rien de plus facile que de
            laisser passer inaperçues les difficultés de ce genre; mais
viii        approfondissez la question: il faut étudier les lieux,
            comparer les plans anciens et modernes, les concilier, les
            raccorder, recourir aux titres et aux documents primitifs;
            et, après un travail d'un grand mois, vous n'avez à mettre
            au bas de la page qu'une toute petite demi-ligne. Voilà,
            bien souvent, quels ont été la nature et le résultat de nos
            recherches.

            Qu'il nous soit maintenant permis d'offrir nos remerciements
            les plus sincères à un grand nombre d'amis qui ont bien
            voulu nous aider de leurs conseils, ou de leur puissant
            concours, en particulier à M. l'abbé Verreau, à M. J.-C.
            Taché, à M. l'abbé H.-R. Casgrain et à M. Ant. Gérin-Lajoie.

            Nous devons encore un large tribut de reconnaissance à la
            mémoire de deux personnes que nous avons bien des raisons
            particulières de regretter: M. l'abbé Ferland, sur les
            lumières et l'expérience duquel nous avions appris à
            compter, et M. l'abbé E.-G. Plante, qui a tant contribué à
            cette présente édition par la générosité avec laquelle il
            a toujours mis complètement à notre disposition sa riche
            collection d'ouvrages sur le Canada et l'Amérique.

ix


                          NOTICE BIOGRAPHIQUE
                                  DE
                              CHAMPLAIN

            On peut dire que la vie de Champlain est tout entière dans
            ses oeuvres. Il semblera donc peut-être superflu de mettre
            sa notice biographique en tête de ses ouvrages, surtout
            quand déjà tant d'écrivains de mérite lui ont consacré des
            pages remarquables.

            Cependant, comme ces auteurs n'avaient à en parler que d'une
            manière plus ou moins incidente, suivant le cadre qu'ils
            s'étaient prescrit, nous avons cru devoir essayer de
            compléter leurs observations, et même de les corriger au
            besoin, tout en résumant ici ce qui se trouve trop épars
            dans nos notes, et en y ajoutant des remarques que le temps
            ou l'espace ne pouvaient alors nous permettre.

            Champlain naquit en l'année 1567, si l'on en croit la
            Biographie Saintongeoise. Il est regrettable que cet ouvrage
            n'indique pas la source où cette date a été puisée; car,
            jusque aujourd'hui, les chercheurs les plus infatigables
x           n'ont encore pu réussir à trouver son acte de naissance.
            Une chose digne de remarque, c'est que notre auteur, dans le
            cours de toutes ses oeuvres, à travers le récit de tant
            d'événements divers, n'ait pas une seule fois trouvé
            l'occasion, ou jugé à propos de parler de son âge, même
            lorsqu'il était opportun de faire valoir ou de rappeler ses
            services passés. Cependant, si l'on n'a pas de preuve
            directe de l'exactitude de cette date donnée par la
            Biographie Saintongeoise, on peut établir d'une manière au
            moins approximative, qu'elle n'est pas loin de la vérité.

            Champlain nous apprend lui-même [1] qu'il était maréchal des
            logis dans l'armée de Bretagne, sous le maréchal d'Aumont,
            qui mourut au mois d'août 1595. De là on peut conclure, que,
            peu de temps auparavant, vers 1592 peut-être, il devait
            avoir vingt-cinq ans ou environ; puisqu'il occupait déjà
            un poste de confiance qui d'ordinaire ne se donne qu'à
            une personne de quelque expérience. Suivant ce calcul, sa
            naissance aurait donc eu lieu vers 1567.

[Note 1: Voyage aux Indes-Occidentales, p. 1.]

            La différence d'âge entre Pont-Gravé et Champlain, vient
            encore ajouter un certain degré de probabilité à la date
            assignée par le même ouvrage. Cette différence, quoiqu'elle
            ne soit nulle part donnée positivement, peut se déduire avec
            assez d'exactitude de plusieurs passages et entre autres de
            celui-ci: Pour le sieur du Pont, dit Champlain en 1619, son
            âge me le ferait respecter comme mon père. Cette manière de
            s'exprimer donne évidemment à entendre que Pont-Gravé avait
            au moins dix ou douze ans de plus que lui. Or, d'après
xi          Sagard, Pont-Gravé avait alors environ soixante-cinq ans.
            Si l'on suppose que Champlain avait douze ans de moins, on
            trouve qu'il était, en 1619, âgé de cinquante-deux ans
            environ, ce qui reporte sa naissance à 1567.

            Champlain naquit à Brouage en Saintonge. Suivant la même
            _Biographie Saintongeoise_, il était issu d'une famille de
            pêcheurs. Si cette assertion est fondée, il faut en conclure
            que ses parents réussirent, par leur mérite personnel ou
            par leur industrie, à s'élever au-dessus de leur humble
            profession; car, dans le contrat de mariage de Champlain,
            passé en 1610, son père, Antoine de Champlain, est qualifié
            _capitaine, de la marine_[2]. Le même document nous apprend
            que sa mère s'appelait Marguerite Le Roy. Il reçut au
            baptême le nom de Samuel [3]; du moins, c'est le seul qu'il
            prenne dans le titre de ses ouvrages, et les documents
            contemporains s'accordent à ne lui en point donner d'autre.

[Note 2: C'est là, suivant nous, toute la noblesse du père de
Champlain. L'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_
prétend que, si Henri IV anoblit le fils, il anoblit aussi le père; et,
pour le prouver, il invoque le passage suivant du même contrat de
mariage: _noble homme Samuel de Champlain... fils de feu Antoine de
Champlain vivant capitaine de la Marine_, qu'il cite comme suit: _homme
noble de Champlain, fils de Noble Antoine_. On remarquera que le texte
du contrat ne dit pas _homme noble_, mais _noble homme_. A peu près
toutes les familles du Canada, en recourant à leurs anciens titres,
pourront constater qu'elles descendent de même d'un _noble homme_ qui
ne reçut jamais de lettres de noblesse.]

[Note 3: De ce que le nom de Samuel, donné à Champlain, était,
parait-il, inusité alors chez les catholiques, et en honneur chez les
protestants, l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_
insinue que Champlain aurait bien pu naître calviniste. Il y avait, ce
semble, une insinuation plus naturelle à faire: c'est que, dans cette
hypothèse, le père et la mère de Champlain avaient dû apostasier, car
son père s'appelait Antoine, et sa mère Marguerite, deux noms tout à
fait catholiques.]

            Dès ses premières années, Champlain se sentit une vocation
            particulière pour la carrière aventureuse de la navigation.
            «C'est cet art,» dit-il dans une épître adressée à la reine
xii         régente, et imprimée au commencement de son édition de
            1613, «qui m'a dès mon bas âge attiré à l'aimer, et qui m'a
            provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes
            impétueuses de l'océan.» Ce qui ne l'empêcha pas de
            profiter des occasions de s'instruire, comme le prouvent
            suffisamment ses écrits. On y trouve en effet, presque à
            toutes les pages, des observations judicieuses, qui
            attestent à la fois et de la variété de ses connaissances,
            et de la rectitude de son jugement.

            La faveur constante dont il jouissait à la cour dès 1603;
            la pension et les grades dont le roi se plut à l'honorer,
            l'amitié et la protection d'hommes aussi distingués que le
            commandeur de Chaste, le comte de Boissons, le Prince de
            Condé, le duc de Montmorency, le duc de Ventadour, le
            cardinal de Richelieu et beaucoup d'autres, montrent assez
            que son mérite et ses services ne tardèrent pas à être
            hautement appréciés. Avant même que le maréchal d'Aumont fût
            mort, c'est-à-dire, vers 1594, il était déjà maréchal des
            logis, et il continua à occuper ce poste sous les maréchaux
            de Saint-Luc et de Brissac, jusqu'à la pacification de la
            Bretagne en 1598[4].

[Note 4: Voyage aux Indes-Occidentales, p. 1.]

            Se trouvant sans emploi, et dans un désoeuvrement qui
            n'allait guère à son âme active et aventurière, Champlain
            forma le projet de se rendre en Espagne, dans l'espérance
            d'y trouver l'occasion de faire un voyage aux
            Indes-Occidentales.

            Un de ses oncles, le capitaine Provençal, «tenu pour un des
xiii        bons mariniers de France, et qui pour cette raison avait
            été entretenu par le roi d'Espagne comme pilote général de
            ses armées de mer», se trouvait alors à Blavet, et venait
            de recevoir du maréchal de Brissac l'ordre de conduire en
            Espagne les navires qui devaient repasser la garnison que
            les Espagnols avaient alors dans cette place. Il résolut
            de l'y accompagner.

            La flotte étant arrivée en Espagne, le _Saint-Julien_,
            «reconnu comme fort navire et bon voilier», fut retenu
            au service du roi. Le capitaine Provençal en garda le
            commandement, et son neveu demeura avec lui.

            Les quelques mois que Champlain passa en Espagne ne furent
            point un temps perdu. Il avait déjà, dans le trajet, levé
            une carte soignée des lieux où la flotte avait fait escale,
            le cap Finisterre et le cap Saint-Vincent avec les environs,
            pendant son séjour à Cadix, il utilisa ses loisirs en
            traçant un plan exact de cette ville; ce qu'il fit également
            pour San-Lucar-de-Barameda, où il demeura trois mois.

            Pendant cet intervalle, le roi d'Espagne, ayant reçu avis
            que Porto-Rico était menacé par une flotte anglaise, ordonna
            une expédition de vingt vaisseaux, du nombre desquels devait
            être le _Saint-Julien_. Champlain, accompagnant son oncle,
            se voyait ainsi sur le point de pouvoir réaliser son projet;
            lorsque, au moment où la flotte allait faire voile, on reçut
            la nouvelle que Porto-Rico avait été pris par les Anglais.
            Il fallut donc attendre une autre occasion, pour faire le
            voyage des Indes.

            Dans le même temps, arriva à San-Lucar-de-Barameda le
xiv         général Dom Francisque Colombe, pour prendre le commandement
            des vaisseaux que le roi envoyait annuellement aux Indes.
            Voyant le _Saint-Julien_ tout appareillé, et connaissant ses
            excellentes qualités, il résolut de le prendre au fret
            ordinaire. Le capitaine Provençal, dont on requérait les
            services ailleurs, commit, de l'agrément du général, la
            charge de son vaisseau à Champlain. Le général espagnol en
            parut fort aise, il lui promit sa faveur, et n'y manqua
            point dans les occasions.

            Enfin au commencement de janvier 1599, Champlain partit pour
            l'Amérique espagnole.

            Le voyage dura deux ans et deux mois. Champlain dans cet
            intervalle, eut le loisir de visiter en détail les lieux
            les plus intéressants tant aux Antilles, qu'à la
            Nouvelle-Espagne.

            C'est ici que l'on commence à remarquer en notre auteur une
            qualité infiniment précieuse, celle d'observateur scrupuleux
            et intelligent, qui ne manque aucune occasion de servir la
            louable ambition de la science, aussi bien que les intérêts
            de la patrie. Non-seulement il tient journal comme s'il
            était déjà chef de l'expédition; mais encore il note sur son
            passage la position des lieux, les productions du pays, les
            moeurs et les coutumes des habitants. Le Mexique surtout
            paraît avoir captivé toutes ses affections. «Il ne se peut
            voir, dit-il, ni désirer un plus beau pays que ce royaume de
            la Nove-Espaigne: grandes campagnes unies à perte de vue,
            chargées d'infinis troupeaux de bestial, qui ont les pâtures
            toujours fraîches; décorées de fort beaux fleuves et
            rivières, qui traversent presque tout le royaume;
xv          diversifiées de belles forêts remplies des plus beaux arbres
            que l'on saurait souhaiter.

            Mais, ajoute-t-il, tous les contentements que j'avais eus à
            la vue de choses si agréables n'étaient que peu au regard
            de celui que je reçus, lorsque je vis cette belle ville de
            Mexique» (Mexico). Puis il fait une description détaillée de
            toutes les richesses naturelles de ce royaume. Le plan de
            Mexico (pris en 1599) n'est pas le moins intéressant des
            soixante et quelques dessins qui accompagnent le _Voyage aux
            Indes_.

            Champlain était de retour en Espagne vers le commencement
            de mars 1601. Le vaisseau dont il s'était chargé, dut être
            retenu encore quelque temps, avant de pouvoir faire voile
            pour un autre port. De manière qu'il ne rentra probablement
            en France que vers la fin de cette année, sinon au
            commencement de 1602.

            Le rapport consciencieux et fidèle de son voyage aux
            Indes-Occidentales, fut sans doute ce qui engagea le roi
            Henri IV à accorder une pension à Champlain [5], et ce fut
            peut-être aussi pour la même raison que le commandeur de
            Chaste jeta les yeux sur lui pour l'accomplissement des
            grands desseins qu'il avait formés, et «dont je pourrais,
            dit Champlain [6], rendre de bons témoignages, pour m'avoir
            fait l'honneur de m'en communiquer quelque chose.»

[Note 5: Il semble, en effet, qu'au moment de son départ pour
l'Espagne, il s'était décidé de lui-même sans alléguer aucun motif
d'obligation particulière pour le roi, comme il le fait quand il s'agit
d'entreprendre le voyage de 1603, mais simplement «pour ne demeurer
oisif, se trouvant sans aucune charge ni emploi.» Il est vrai qu'il
s'était proposé d'en «faire rapport au vrai à Sa Majesté»; mais ce
Pouvait être là précisément le moyen qui lui parût alors le plus propre
à obtenir quelque faveur de la cour.]

[Note 6: Édit. 1632, p. 45.]

xvi         Après la mort du sieur Chauvin, M. de Chaste, ayant obtenu
            une nouvelle commission, chargea Pont-Gravé de la conduite
            d'un premier voyage d'exploration, «pour en faire son
            rapport, et donner ordre ensuite à un second embarquement»,
            auquel il se joindrait lui-même en personne, décidé à
            consacrer le reste de ses jours à l'établissement d'une
            bonne colonie chrétienne dans cette partie du nouveau monde.

            «Sur ces entrefaites, dit Champlain, je me trouvai en cour,
            venu fraîchement des Indes-Occidentales [7]. Allant voir de
            fois à autre le sieur de Chaste, jugeant que je lui pouvais
            servir en son dessein, il me fit cette faveur, comme j'ai
            dit, de m'en communiquer quelque chose, et me demanda si
            j'aurais agréable de faire le voyage, pour voir ce pays, et
            ce que les entrepreneurs y feraient.»

[Note 7: M. de Chaste dut commencer à s'occuper de son entreprise
dès 1602, et Champlain ne fut probablement de retour en France que vers
le commencement de cette même année.]

            Pareille démarche, de la part d'un homme de l'âge et de
            l'expérience du commandeur de Chaste, était un témoignage
            bien flatteur de l'estime qu'il faisait de son mérite.

            A cette demande, Champlain, à qui le roi avait depuis
            peu assuré une pension, répondit au commandeur que cette
            commission lui serait très-agréable, pourvu que Sa Majesté
            y donnât son consentement, ce que M. de Chaste se chargea
            volontiers d'obtenir. M. de Gesvre, secrétaire des
            commandements du roi, lui expédia en forme une lettre
            d'autorisation, «avec lettre adressante à Pont-Gravé, pour
xvii        que celui-ci le reçût en son vaisseau, lui fît voir et
            reconnaître tout ce qu'il pourrait, et l'assistât de ce
            qui lui serait possible en cette entreprise.»

            «Me voilà expédié, dit-il, je pars de Paris, et m'embarque
            dans le vaisseau de du Pont, l'an 1603.» Le vaisseau partit
            de Honfleur le 15 de mars, et relâcha au Havre-de-Grâce,
            d'où il put remettre à la voile dès le lendemain. Le voyage
            fut heureux jusqu'à Tadoussac, comme s'exprime l'édition de
            1632, c'est-à-dire, que la traversée se fit sans accident ou
            sans malheur bien grave, car du reste elle fut passablement
            orageuse, et dura plus de deux mois, le vaisseau n'entra
            dans le havre de Tadoussac que le 24 de mai[8].

[Note 8: Édit. 1603, p. 1 et suivantes.]

            Quelques bandes de Montagnais et d'Algonquins, cabanes à la
            pointe aux Alouettes au bas d'un petit coteau, attendaient
            l'arrivée des Français. Pont-Gravé, dans un voyage
            précédent, avait emmené en France deux sauvages, et il
            les ramenait cette année, afin qu'ils fissent à leurs
            compatriotes le récit de tout ce qu'ils avaient vu au-delà
            du _grand lac_. Le lendemain, il alla, avec Champlain, les
            reconduire à la cabane du grand sagamo, Anadabijou.

            C'est ici que commence cette alliance que la plupart de nos
            historiens n'ont pas assez remarquée, alliance qui nous
            donne la clef d'une des grandes difficultés de notre
            histoire, et la raison véritable de l'intervention des armes
            françaises dans les démêlés des nations indigènes.

            «L'un des sauvages que nous avions amenés, dit Champlain,
            commença à faire sa harangue, de la bonne réception que leur
xviii       avait fait le Roi, et le bon traitement qu'ils avaient reçu
            en France, et qu'ils s'assurassent que sa dite Majesté leur
            voulait du bien, et désirait peupler leur terre, et faire
            paix avec leurs ennemis, qui sont les Iroquois, ou leur
            envoyer des forces pour les vaincre. Il fut entendu avec un
            silence si grand qu'il ne se peut dire de plus.»

            Jusqu'ici, on pourrait croire que l'orateur n'agit que comme
            simple particulier, et que ce silence profond n'est que
            l'effet d'une curiosité toute naturelle. Mais, que l'on pèse
            bien toutes les circonstances du récit de Champlain, et l'on
            y verra autre chose que des discours de bienvenue.

            «La harangue achevée, le grand sagamo, l'ayant attentivement
            ouï, commença à prendre du petun, et en donner à Pont-Gravé
            et à Champlain, et à quelques autres sagamos qui étaient
            auprès de lui. Ayant bien petuné, il fit sa harangue à
            tous,» dans laquelle il insista sur les grands avantages que
            leur apporteraient l'amitié et la protection du grand chef
            des Français. Tout se termina par un grand festin, ou
            _tabagie_ et des danses solennelles.

            Ces harangues prononcées devant une assemblée de mille
            personnes[9], cette cérémonie surtout de la présentation du
            calumet, suivant la coutume des sauvages, sont des preuves
            évidentes, que l'on entendait, de part et d'autre, s'engager
            à une alliance offensive et défensive que l'on regardait
            comme les préliminaires indispensables d'une tentative
            d'établissement comme le voulait faire le commandeur de
            Chaste.

[Note 9: Édit. 1603, p. 10.]

xix         Pont-Gravé et Champlain, avec quelques matelots, se jetèrent
            dans un petit bateau fort léger, et remontèrent le fleuve
            jusqu'au grand saut (Saint-Louis), afin d'examiner
            conjointement les lieux les plus favorables à une
            habitation, décidés à pousser leurs investigations, s'il
            était possible, jusqu'aux sources mêmes de la _grande,
            rivière de Canada_; ce qu'aucun européen n'avait encore pu
            exécuter.

            Malgré la résolution de nos voyageurs, leur esquif, si
            léger, qu'il fût, ne put franchir les bouillons impétueux du
            grand saut, et, il leur fallut mettre pied à terre pour
            en voir la fin. «Tout ce que nous pûmes faire, ajoute
            Champlain, en résumant lui-même ce voyage, fut de remarquer
            les difficultés, tout le pays, et le long de la dite
            rivière, avec le rapport des sauvages de ce qui était
            dans les terres, des peuples, des lieux, et origines
            des principales rivières, notamment du grand fleuve
            Saint-Laurent.»

            De retour à Tadoussac, comme la saison n'était pas encore
            bien avancée, Champlain voulut employer le temps qui lui
            restait, à explorer ce qu'il pourrait du bas du fleuve. En
            attendant que la traite fût terminée, il descendit à Gaspé,
            pour y recueillir quelques renseignements sur les mines
            de l'Acadie, et sur les différents postes de traite et de
            pêche. Ce petit voyage lui donna occasion de relever une
            bonne partie de la côte du nord depuis Moisie jusqu'au
            Saguenay.

            Enfin le 16 d'août, le vaisseau quitta le havre de
            Tadoussac, et arrêta à Gaspé, pour avoir le rapport du sieur
            Prévert, sur les mines qu'il s'était chargé d'aller examiner
            par lui-même.

xx          Arrivé à Honfleur, Champlain eut le chagrin d'apprendre la
            mort du commandeur de Chaste, dont les généreux desseins lui
            avaient donné de si belles espérances. «En cette entreprise,
            disait-il en 1632, avec son expérience de trente ans, je
            n'ai remarqué aucun défaut, pour avoir été bien commencée.»

            Il ne tarda pas à se rendre auprès du roi, pour lui
            présenter le rapport de son voyage, avec une carte, qui
            malheureusement ne se retrouve plus aujourd'hui. Henri IV
            l'accueillit fort bien, et lui promit non-seulement de ne
            point abandonner le Canada, mais encore de prendre l'affaire
            sous sa protection.

            Malheureusement, les jalousies et les rivalités menaçaient
            déjà, dès cette époque, de ruiner toute entreprise qui ne
            pourrait compter, pour se soutenir, que sur les profits de
            la traite. M. de Monts, successeur de M. de Chaste, fut le
            premier à en faire la triste expérience.

            Le voyage qu'il avait fait avec M. Chauvin dès 1599; les
            souffrances et les privations auxquelles avaient été
            condamnés les quelques malheureux qui avaient consenti à
            hiverner à Tadoussac, l'avaient décidé à chercher un climat
            moins rigoureux. Champlain, qui avait encore présentes à son
            souvenir toutes les beautés du Mexique et des Antilles,
            ne dut pas être loin d'approuver ses idées. «M. de Monts,
            dit-il, me demanda si j'aurais agréable de faire ce voyage
            avec lui. Le désir que j'avais eu au dernier, s'était accru
            en moi, ce qui me fit lui accorder, avec la licence que m'en
xxi         donnerait Sa Majesté, qui me le permit, pour toujours lui en
            faire fidèle rapport.»

            Au printemps de 1604, Champlain fut donc chargé de conduire
            la petite colonie vers des régions plus méridionales, et
            M. de Monts, pour mieux assurer son choix, voulut suivre
            l'expédition en personne. Le temps fut si favorable, qu'au
            bout d'un mois on était au cap de La Hève. Mais, M. de Monts
            n'ayant pas eu, comme M. de Chaste, la précaution de faire
            explorer les lieux à l'avance, la grande moitié de l'été se
            passa à chercher un lieu qui fût du goût de tout le monde.

            Enfin, après avoir parcouru avec l'auteur toutes les côtes
            d'Acadie, pénétré jusqu'au fond de la baie Française
            (Fundy), il s'arrêta à une petite île «qu'il jugea
            d'assiette forte et à proximité d'un terroir qui paraissait
            très-bon[10].» Mais le manque d'eau douce et les ravages
            du scorbut le firent bientôt changer de résolution, et
            transporter ses colons au port Royal, dont il avait déjà,
            avec l'auteur, remarqué les avantages et les beautés
            naturelles.

[Note 10: Cette île est située à quelques milles au-dessus de
l'embouchure de la rivière Scoudic. On donna le nom de Sainte-Croix tant
à l'île qu'à la rivière.]

            Pendant les trois années qu'il passa à l'Acadie, Champlain
            donna de nombreuses preuves de l'infatigable activité de son
            esprit. Dès l'automne de 1604, il avait visité, avec M. de
            Monts lui-même, la côte des Etchemins, c'est-à-dire, une
            bonne partie du littoral de la Nouvelle-Angleterre.
            Le printemps suivant, il continua cette exploration
            jusqu'au-delà du cap Cod. Mais, dans toute cette étendue de
xxii        pays, M. de Monts ne trouva rien de préférable au port
            Royal, où dès lors il résolut de transporter son habitation
            (1605). L'année suivante, Champlain recommença le même
            voyage avec M. de Poutrincourt, qui trouvait peut-être M. de
            Monts trop difficile, et qui voulait du reste pousser les
            découvertes encore plus loin. Cette fois, nos voyageurs
            doublèrent le cap de Malbarre, et s'en revinrent sans être
            guère plus avancés.

            L'hiver passé à Port-Royal fut beaucoup moins pénible, grâce
            aux précautions que l'on prit, et au bon ordre qui régna
            constamment dans l'habitation. «Nous passâmes, dit
            Champlain, cet hiver fort joyeusement, et fîmes bonne chère,
            par le moyen de l'ordre de Bon-Temps que j'y établis, que
            chacun trouva utile pour la santé, et plus profitable
            que toutes les médecines dont on eût pu user.» Cet ordre
            consistait à faire passer à tour de rôle par la charge de
            maître-d'hôtel tous ceux de la table de M. de Poutrincourt,
            ce qui ne manqua pas de créer une espèce d'émulation, à qui
            ferait à la compagnie le meilleur traitement.

            Malheureusement pour M. de Monts, les affaires n'allaient
            pas si bien de l'autre côté de l'Océan. Son privilège lui
            avait suscité un orage auquel il était moralement impossible
            de résister. Les Bretons et les Basques se répandirent en
            plaintes amères, prétendant qu'on allait ruiner le commerce
            et la navigation, amoindrir le revenu des douanes du
            royaume, et réduire à la mendicité un grand nombre de
            familles qui n'avaient point d'autre moyen de subsistance.
            «Le sieur de Monts ne sut si bien faire, que la volonté du
xxiii       roi ne fût détournée par quelques personnages qui étaient
            en crédit, qui lui avaient promis d'entretenir trois cents
            hommes au dit pays. Donc, en peu de temps, sa commission
            Fut révoquée, pour le prix de certaine somme qu'un certain
            personnage eut sans que Sa Majesté en sût rien.» Comme
            compensation de plus de cent mille livres qu'il avait
            dépensées depuis trois ans, et des peines infinies qu'il
            s'était données pour fonder un établissement solide et
            durable en Amérique, «il lui fut accordé six mille livres,
            à prendre sur les vaisseaux qui iraient trafiquer des
            pelleteries. C'était, remarque Champlain, lui donner la
            mer à boire, la dépense devant surmonter la recette. Hé,
            bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si
            tout se révoque de la façon, sans juger mûrement des
            affaires, premier que d'en venir là?»

            De retour en France en 1607, Champlain alla trouver M. de
            Monts, lui fit un rapport fidèle de ses voyages et de tout
            ce qui s'était passé à Port-Royal depuis son départ. Il
            avait pris un plan de l'habitation de Sainte-Croix, de celle
            de Port-Royal, et fait en même temps la carte de tous les
            lieux les plus remarquables qu'il avait visités, tant avec
            lui qu'avec M. de Poutrincourt: l'île Sainte-Croix, le port
            Royal, le port aux Mines (Havre-à-l'Avocat), l'entrée de
            la rivière Saint-Jean et du Kénébec, la baie de Saco, de
            Gloucester, de Plymouth, de Nauset et de Chatam, sans
            compter plusieurs havres de la côte d'Acadie, comme La Hève,
            le port au Mouton et le port Rossignol.

            Malgré toutes ses pertes et ses désappointements, M. de
xxiv        Monts ne se découragea point. Il fit part à Champlain des
            nouveaux desseins qu'il avait formés. Celui-ci, qui avait
            maintenant une juste idée de la position des lieux et des
            avantages qu'on pouvait y trouver, lui conseilla cette fois
            «de s'aller loger dans le grand fleuve Saint-Laurent, où le
            commerce et trafic pouvaient faire beaucoup mieux qu'en
            l'Acadie, mal aisée à conserver à cause du nombre infini de
            ses ports, qui ne se pouvaient garder que par de grandes
            forces; joint qu'il y a peu de sauvages, et que l'on ne
            pourrait, de ce côté, pénétrer jusque parmi les nations
            sédentaires qui sont dans l'intérieur du pays, comme on
            pourrait faire par le Saint-Laurent.»

            M. de Monts, reconnaissant la sagesse de cet avis, suivit le
            parti que lui proposait Champlain. Le privilège exclusif de
            la traite lui fut accordé de nouveau, quoique pour un
            an seulement, et, au printemps de 1608, il équipa deux
            vaisseaux.

            Pont-Gravé, «député pour les négociations avec les sauvages
            du pays, prit les devants pour aller à Tadoussac; Champlain,
            que M. de Monts honora de sa lieutenance, partit après lui
            avec toutes les choses nécessaires à une habitation.»

            Champlain arriva à Québec le 3 juillet; «où étant, dit-il,
            je cherchai lieu propre pour notre habitation; mais je n'en
            pus trouver de plus commode, ni de mieux situé, que la
            pointe de Québec [11], ainsi appelé des sauvages, laquelle
            était remplie de noyers.»

[Note 11: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_,
tome I, p. 125 et suivantes, prétend que «Champlain se fût
Probablement établi à Montréal en 1608, s'il en eût connu alors les
avantages.»--Sans doute, Champlain ne pouvait connaître à fond dès cette
époque, tous les avantages et la richesse naturelle de Montréal, ou du
Grand-Saut, comme on disait alors. Cependant nous croyons qu'il en
savait assez pour se décider sagement sur le choix qu'il avait à faire.
«L'air. dit-il entre autres choses des 1603, y est plus doux et tempéré,
et de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse vu.» Il est donc évident
que, s'il eût cherché avant tout un terroir uni et facile à cultiver,
il suffisait de remonter soixante lieues plus haut; mais, comme il
fallait tenir compte de bien D'autres difficultés, il jugea que Québec
était déjà assez loin de Tadoussac, et présentait d'ailleurs une
position unique pour s'y fortifier et s'y maintenir contre un coup de
main. Ces raisons seules étaient d'un grand poids, et Champlain en
avait peut-être encore bien d'autres que nous ne pouvons qu'entrevoir,
ou même que nous ne connaissons pas.]

xxv         Aussitôt une partie des ouvriers est employée à abattre les
            arbres pour y faire l'habitation, à scier le bois, à creuser
            les caves et les fossés; les autres furent envoyés
            à Tadoussac, pour en rapporter le reste des
            approvisionnements.

            Pendant qu'on jetait ainsi les fondations de la ville de
            Québec, un malheureux complot faillit étouffer la colonie
            dès son berceau. Un serrurier normand, nommé Jean Duval,
            mécontent de la nourriture et dégoûté du travail, forma le
            projet d'assassiner Champlain, et d'aller ensuite se
            donner «aux Basques ou Espagnols qui étaient pour lors à
            Tadoussac.» Il réussit à s'assurer le concours de quatre
            autres, «qui promirent chacun de faire en sorte d'attirer le
            reste à leur dévotion.» Ils en étaient à chercher l'occasion
            favorable, lorsqu'un des conjurés, Antoine Natel, découvrit
            toute la trame. On saisit les quatre coupables, Champlain
            institua une espèce de jury, composé de Pont-Gravé, du
            capitaine du vaisseau, du chirurgien, du maître, du
            contre-maître et de quelques autres. Le chef de la
            conspiration fut exécuté, pour servir d'exemple, et les
            autres renvoyés en France, pour y subir leur procès. «Depuis
            qu'ils furent hors, tout le reste se comporta sagement en
            son devoir.»

xxvi        Pont-Gravé reconduisit les vaisseaux en France, et Champlain
            demeura avec vingt-sept ou vingt-huit personnes pour
            continuer les travaux commencés.

            «Le site que choisit Champlain, dit M. l'abbé Ferland,
            convenait admirablement à son dessein de créer et
            d'organiser une France Nouvelle dans l'Amérique. Placé à
            cent trente lieues de l'embouchure du Saint-Laurent, Québec
            possède un havre magnifique, qui peut contenir les flottes
            les plus nombreuses, et où les plus gros vaisseaux peuvent
            arriver facilement de la mer. A ses pieds coule le grand
            fleuve, qui fournit une large voie pour pénétrer jusqu'au
            centre de l'Amérique Septentrionale. Sur ce point, le
            Saint-Laurent se rétrécit considérablement, n'ayant au plus
            qu'un mille de largeur; de sorte que les canons de la ville
            et de la citadelle peuvent foudroyer les vaisseaux qui
            tenteraient de franchir le passage. Québec est donc la clef
            de la vallée du grand fleuve, dont le cours est de près de
            huit cents lieues; il est la sentinelle avancée de l'immense
            empire français que rêva Louis XIV, et qui devait se
            prolonger depuis le détroit de Belle-Isle jusques au golfe
            du Mexique.»

            Québec avait encore une autre épreuve à subir. Le scorbut et
            la dissenterie lui enlevèrent, pendant l'hiver, les trois
            quarts de ses premiers fondateurs. Quand les vaisseaux
            revinrent au printemps, vingt personnes avaient succombé à
            cette cruelle maladie.

            Le 7 juin 1609, Champlain, laissant pour commander à sa
            place le sieur Desmarais, alla rejoindre Pont-Gravé à
            Tadoussac.

xxvii       Ce n'était pas tout d'avoir fondé, à plus de cent lieues
            dans le fleuve, une frêle habitation qu'un souffle pouvait
            anéantir; il fallait étudier le pays, lier de nouvelles
            connaissances avec les tribus environnantes, sans l'amitié
            ou le concours desquelles tout essai d'établissement était
            absurde et impossible. C'est pourquoi, dès l'arrivée des
            vaisseaux, Champlain ne voulut rien entreprendre sans avoir
            l'avis de Pont-Gravé, dont il connaissait mieux que
            personne la longue expérience. Il fut résolu qu'il
            suivrait, avec une chaloupe de vingt hommes, les Montagnais
            et les nations alliées jusqu'au pays des Iroquois, tant
            pour les assister contre ces ennemis irréconciliables, que
            pour continuer les découvertes commencées.

            Les Montagnais ne manquèrent pas de représenter à Champlain,
            qu'on leur avait promis solennellement (dès 1603) du secours
            contre les Iroquois. En 1608, il en avait été empêché par
            les travaux qu'il fallait surveiller; mais, cette année, les
            Algonquins et les Hurons se joignirent aux Montagnais pour
            lui rappeler que Pont-Gravé et lui leur avaient témoigné,
            il n'y avait pas encore dix lunes, le désir de les assister
            dans une guerre regardée comme indispensable. C'était
            en effet le moment ou de se concilier ces nombreuses et
            puissantes tribus, ou de se les aliéner peut-être pour
            toujours. Champlain les suivit donc avec ses quelques
xxviii      français [12]. La petite armée remonta la rivière des
            Iroquois (ou de Sorel), et s'avança avec précaution jusqu'à
            une assez grande distance dans le lac qui depuis a toujours
            porté le nom de Champlain.

[Note 12: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_
suppose à Champlain, dans cette expédition et les suivantes, des motifs
qu'on ne prêterait pas même à un marchand honnête. «On ne sera pas
étonné, dit-il, que l'intérêt des marchands l'ait détermine à s'armer
contre ces barbares, si l'on considère ce qu'il raconte lui-même à
l'occasion du vaisseau rochelois... qui se perdit, et _qui n'aurait pu
être pris_, dit Champlain, _qu'avec la perte de nombre d'hommes_. Si,
pour quelques pelleteries, on était résolu de verser le sang français,
il n'est pas étonnant que, dans l'espérance de s'assurer le commerce de
cette sorte de marchandise, Champlain n'ait pas craint de répandre le
sang des sauvages.» Puis, au lieu de résumer impartialement ces deux
expéditions, il n'en cite isolément que juste deux passages, qui,
séparés du contexte, sont de nature À laisser croire au lecteur, que
Champlain était allé à la guerre autant pour le plaisir cruel de
répandre le sang, que pour remplir un devoir envers les nations
alliées.--Nous avons relevé en son lieu (Édit. 1632, première partie, p.
239) l'injuste appréciation que cet auteur fait du passage dont il
s'appuie. Qu'il nous suffise ici de faire une comparaison qui, suivant
nous, ne manque pas de justesse. Le commandant de la _Canadienne_ est
chargé de croiser dans le golfe tout l'été pour y protéger nos
pêcheries; s'il attaque un vaisseau pris en flagrant délit, ou méprisant
son droit et son autorité, dira-t-on qu'il Est prêt à verser le sang
américain pour l'appât de quelques morues? Il est une chose, au reste,
qu'on ne devrait pas oublier, quand il s'agit des premières tentatives
d'établissement en Amérique: c'est que le commerce de la pêche et de la
traite des pelleteries était alors le seul moyen de soutenir de
pareilles entreprises. La France, à cette époque, ne s'occupait guère
plus du Canada, que le Canada lui-même ne se préoccupe aujourd'hui de
fonder une colonie à la baie d'Hudson; et, si l'on accorda des
commissions à M. Chauvin, à M. de Chaste, à M. de Monts, c'est
uniquement parce qu'ils le demandèrent.]

            Le soir du 29 juillet, sur les dix heures, on rencontra
            l'ennemi. Les Iroquois mirent à terre, et se barricadèrent
            de leur mieux, les alliés rangèrent leurs canots attachés
            les uns contre les autres, et gardèrent l'eau, à portée
            d'une flèche, jusqu'au lendemain matin. «La nuit se passa en
            danses et chansons, avec une infinité d'injures de part et
            d'autre.» Le jour venu, on prit terre, en cachant toujours
            soigneusement les français, pour ménager une surprise. Les
            Iroquois, au nombre de deux cents hommes forts et robustes,
            s'avancèrent avec assurance, au petit pas, trois des
            principaux chefs à leur tête. Les alliés, de leur côté,
            marchaient pareillement en bon ordre, ils comptaient avant
            tout sur l'effet foudroyant des armes à feu, dont les
            Iroquois n'avaient encore aucune idée. Champlain «leur
xxix        promit de faire ce qui serait en sa puissance, et de leur
            montrer, dans le combat, tout son courage et sa bonne
            volonté; qu'indubitablement ils les déferaient tous.»

            Quand les deux armées furent à la portée du trait, l'armée
            alliée ouvrit ses rangs. Champlain s'avança jusqu'à trente
            pas des ennemis, qui demeurèrent interdits à la vue d'un
            guerrier si étrange pour eux. Mais leur surprise fut au
            comble, quand, du premier coup d'arquebuse, ils virent
            tomber deux de leurs chefs, avec un autre de leurs
            compagnons grièvement blessé. Champlain n'avait pas encore
            rechargé, qu'un des français caché dans le bord du bois,
            tira un second coup, et les jeta dans une telle épouvante,
            qu'ils prirent la fuite en désordre. Les alliés firent dix à
            douze prisonniers, et n'eurent que quinze ou seize des leurs
            de blessés.

            M. de Monts avait écrit à Champlain toutes les difficultés
            que lui suscitaient les marchands bretons, basques,
            rochelois et normands; l'habitation, du reste, lui
            demeurait, par convention faite avec ses associés. Champlain
            crut donc à propos de repasser en France, et laissa à
            Québec, de l'avis de Pont-Gravé, «un honnête homme appelé
            le capitaine Pierre Chavin, de Dieppe, pour commander en sa
            place.»

            La commission de M. de Monts venait d'être une seconde fois
            révoquée. Cependant, il ne se rebuta pas encore, le rapport
            que lui fit Champlain de ses nouvelles découvertes, et des
            heureuses dispositions des sauvages, l'engagea à ne point
            renoncer à un si noble dessein. «Il se délibéra d'aller à
xxx         Rouen trouver ses associés, les sieurs Collier et Legendre,
            pour aviser à ce qu'ils avaient à faire l'année suivante.
            Ils résolurent de continuer l'habitation, et parachever de
            découvrir dans le grand fleuve Saint-Laurent, suivant les
            promesses des Ochatéguins (ou Hurons), à la charge qu'on
            les assisterait en leurs guerres, comme on leur avait
            promis.»

            M. de Monts s'en retourna à Paris avec Champlain, et essaya
            d'obtenir privilège au moins pour les «nouvelles découvertes
            que l'on venait de faire, où personne auparavant n'avait
            encore traité; ce qu'il ne put gagner, quoique les demandes
            et propositions fussent justes et raisonnables. Il ne laissa
            pas pourtant de poursuivre son dessein, pour le désir qu'il
            avait que toutes choses réussissent au bien et honneur de la
            France.»

            Avant de repartir pour le Canada, Champlain voulut savoir
            de M. de Monts s'il n'était point d'avis qu'il hivernât à
            Québec; celui-ci remit le tout à sa discrétion.

            Il s'embarqua à Honfleur dès le 7 de mars 1610, «avec
            quelque nombre d'artisans.» Les Montagnais l'attendaient à
            Tadoussac, impatients de savoir s'il les accompagnerait dans
            une nouvelle campagne contre les Iroquois. Il les assura
            qu'on était toujours dans la disposition de leur prêter
            main-forte, pourvu que de leur côté ils tinssent la parole
            qu'ils lui avaient donnée, «de le mener découvrir les
            Trois-Rivières, jusqu'à une grande mer dont ils lui avaient
            parlé, pour revenir par le Saguenay à Tadoussac.» Ils
            répondirent qu'ils avaient encore cette volonté, mais que ce
xxxi        voyage ne pouvait se faire que l'année suivante. Ce retard
            Contrariait Champlain. «Toutefois, dit-il, j'avais deux
            cordes à mon arc, les Algonquins et les Ochatéguins m'ayant
            aussi promis de me faire voir leur pays, le grand lac,
            quelques mines de cuivre et autres choses, si je consentais
            à les aider dans leurs guerres.»

            Il monta donc aux Trois-Rivières, où étaient déjà rendus les
            Montagnais. Un parti d'Algonquins devait venir les rejoindre
            à la rivière des Iroquois.

            Cette fois, on trouva les ennemis fortifiés, et entourés
            d'une barricade «faite de puissants arbres arrangés les
            uns sur les autres en rond.» La résistance fut longue et
            vigoureuse. Champlain, dès le commencement du combat, fut
            blessé d'un coup de flèche, qui lui fendit le bout de
            l'oreille, et pénétra dans le cou, ce qui ne l'empêcha
            pas cependant «de faire le devoir.» Enfin nos guerriers,
            encouragés par un renfort que leur amena le brave Des
            Prairies, parvinrent à rompre la barricade, tout fut tué,
            ou noyé dans la rivière, à la réserve de quinze, qui furent
            faits prisonniers[13].

[Note 13: Qui croirait qu'un auteur s'est bien donné la peine de
faire toute une dissertation pour prouver, ou du moins pour faire
semblant de prouver, «comment on peut justifier Champlain du meurtre
des Iroquois», dans ces deux premières expéditions?--Voir _Hist. de la
Colonie française en Canada_, tome I, p. 138 et suiv.]

            Les Algonquins consentirent à emmener avec eux un jeune
            français, à condition que Champlain accepterait en échange
            un jeune sauvage, nommé Savignon, pour lui faire voir la
            France.

            Après avoir fait achever la palissade de l'habitation,
            Champlain, qui avait appris la nouvelle des troubles arrivés
xxxii       à Brouage, et de la mort du roi (Henri IV), se décida à
            repasser la mer encore cette année. Du Parc, qui avait déjà
            hiverné avec le capitaine Pierre Chavin, demeura commandant
            de la place. Toute sa garnison se composait de seize hommes.

            Dans les derniers jours de l'année 1610, Champlain, engagé
            depuis plus de dix ans dans de longs voyages ou des
            expéditions aventureuses, conclut une alliance qui semble
            avoir été ménagée par le concours de M. de Monts. «Le 27
            décembre, il signa à Paris son contrat de mariage avec
            demoiselle Hélène Boullé, fille de Nicolas Boullé,
            secrétaire de la chambre du roi, et de dame Marguerite Alix.
            A cet acte assistèrent, comme témoins, le sieur de Monts,
            qui portait encore le titre de lieutenant-général du roi, et
            plusieurs membres de sa compagnie qui avaient contribué à la
            fondation de Québec. Le mariage se fit probablement vers le
            commencement de l'année 1611. Hélène Boullé n'avait encore
            que douze ans, et elle avait été élevée dans le calvinisme,
            tandis que Champlain était parvenu à un âge mûr, et se
            faisait gloire d'être catholique sincère; cette union
            fut cependant heureuse. Il instruisit lui-même la jeune
            personne, et eut le bonheur de la convertir à la foi
            catholique, à laquelle elle demeura toujours fermement
            attachée pendant le reste de sa vie. A cause de son extrême
            jeunesse, elle demeura à Paris auprès de ses parents, et
            ce ne fut que dix ans plus tard qu'elle suivit son mari au
            Canada»[14].

[Note 14: Ferland, cours d'Hist. du Canada.--Voir Pièces
justificatives, n. xxxi, et Chroniques de l'Ordre des Ursulines, Vie de
madame de Champlain.]

xxxiii      Dès le premier mars 1611, Champlain et Pont-Gravé
            repartirent pour le Canada. La traversée fut longue et
            périlleuse. En approchant du Grand-Banc, le vaisseau se
            trouva enveloppé de brumes épaisses, au milieu d'énormes
            banquises de glaces. Nos voyageurs furent ainsi entre la
            mort et la vie pendant plus de deux mois, et n'arrivèrent à
            Tadoussac que le 13 de mai.

            A Québec, Du Parc et ses compagnons avaient passé un fort
            bon hiver, sans maladie, ni accident.

            Champlain se rendit immédiatement au Grand-Saut, où il
            arriva le 28, ramenant avec lui Savignon. Les Algonquins
            devaient y être rendus dès le 20, mais n'arrivèrent que le
            13 de juin.

            Les traiteurs, qui, l'année précédente, étaient montés
            au-devant des sauvages, jusqu'au cap de la Victoire [15],
            se rendirent cette année (1611) jusqu'au Grand-Saut. Une des
            raisons qui les fit aller si loin, fut sans doute d'épargner
            à ceux qui descendaient à la traite les dangers d'un long
            voyage et les attaques des Iroquois; mais la rivalité des
            marchands était surtout ce qui les faisait courir à la
            rencontre de ces barbares, pour enlever plus tôt leurs
            riches pelleteries.

[Note 15: Ainsi a-t-on désigné longtemps l'une des pointes voisines
de Sorel du coté de l'ouest, et, par extension, les environs de Sorel.
C'était apparemment en mémoire de la victoire de 1610, remportée à une
Petite distance de l'entrée de la rivière.]

            En attendant l'arrivée des sauvages, Champlain s'occupa
            à faire une exploration plus complète des environs du
            Grand-Saut, «afin de trouver un lieu convenable pour la
            situation d'une habitation, et d'y préparer une place pour y
xxxiv       bâtir [16]. Je considérai, dit-il, fort particulièrement le
            pays; mais en tout ce que je vis, je ne trouvai point de
            lieu plus propre, qu'un petit endroit qui est jusques où les
            barques et chaloupes peuvent monter aisément, néanmoins avec
            un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant
            d'eau; car, plus haut que le dit lieu (qu'avons nommé la
            Place-Royale), y a quantité de petits rochers, et basses qui
            sont fort dangereuses... Ayant donc reconnu fort
            particulièrement et trouvé ce lieu un des plus beaux qui fût
            en cette rivière, je fis aussitôt couper et défricher le
            bois de la dite Place-Royale, pour la rendre unie et prête à
            y bâtir.»

[Note 16: Édit. 1613, p. 242.]

            Sans paraître regretter sa fondation première, Champlain
            prévoyait le moment où il deviendrait nécessaire d'établir
            de nouvelles habitations; et, en désignant d'avance
            l'emplacement de la florissante ville de Montréal, il ne
            montra pas moins de sagesse et de hauteur de vue que dans
            son premier choix. Malheureusement, l'état de dénuement dans
            lequel on le laissa pendant plus de vingt ans, ne lui permit
            pas de réaliser toute la grandeur de ses projets.

            L'affection et la confiance que lui témoignèrent, cette
            année, tous les sauvages qui vinrent à la traite, est une
            preuve frappante que la conduite qu'il avait tenue, était en
            effet le vrai moyen de s'attacher ces nations, et par
            suite de les amener insensiblement à la connaissance de
            l'évangile, et à la lumière de la civilisation.

            Aussitôt arrivé en France, Champlain se hâta d'aller trouver
xxxv        M de Monts, pour lui faire connaître les belles espérances
            qu'on pouvait se promettre des Algonquins et des Hurons,
            pourvu qu'on leur prêtât du secours dans leurs guerres,
            comme il leur avait été promis.

            Mais les associés, fatigués des dépenses, ne voulurent plus
            continuer l'association, parce que, sans privilège, le
            commerce devenait ruineux. «M. de Monts convint alors avec
            eux de ce qui restait en l'habitation de Québec, moyennant
            une somme de deniers qu'il leur donna pour la part qu'ils y
            avaient, et envoya quelques hommes pour la conservation de
            la place, en attendant qu'il pût obtenir une commission.
            Mais des affaires de conséquence lui firent abandonner
            sa poursuite,» et il remit la chose entre les mains de
            Champlain.

            Sur ces entrefaites, arrivèrent les vaisseaux de la
            Nouvelle-France (1612). Ils rapportèrent que les sauvages,
            cette année, étaient descendus au saut Saint-Louis au nombre
            de plus de deux cents, avec l'espérance d'y rencontrer
            l'auteur; qu'ils avaient paru fort contrariés de ne pas l'y
            voir, après les espérances qu'il leur avait données. On les
            avait assurés qu'il tiendrait sa promesse, et reviendrait
            l'année suivante, ce qu'il fit en effet. Mais certains
            traiteurs, poussés par la jalousie et l'esprit de lucre, ne
            manquèrent pas de profiter de cette circonstance, pour faire
            courir de faux bruits, et allèrent jusqu'à assurer à ces
            peuples que Champlain était mort, et qu'ils ne devaient plus
            compter sur son retour.

            Champlain, cependant, travaillait activement à remédier à
xxxvi       tous ces désordres. Il jugea que le plus sûr moyen de faire
            réussir une entreprise qui intéressait l'honneur de la
            religion et de la France, était de mettre la nouvelle
            colonie sous la protection de quelque personnage
            d'influence, et s'adressa au comte de Soissons, «prince
            pieux et affectionné en toutes saintes entreprises, lui
            remontrant l'importance de l'affaire, les moyens de la
            régler, et la ruine totale dont elle était menacée au grand
            déshonneur du nom français, si Dieu ne suscitait quelqu'un
            qui la voulût relever. Le comte promit, sous le bon plaisir
            du roi, d'en prendre la protection.»

            Champlain présenta, en conséquence, une requête au roi et à
            son conseil; et obtint que le comte de Soissons serait nommé
            gouverneur et lieutenant-général de la Nouvelle-France.
            Celui-ci reçut ses lettres de commission en date du 8
            octobre 1612[17], et, le 15 du même mois, l'auteur était
            nommé son lieutenant. Malheureusement, le comte de Soissons
            mourut quelques jours après, et le prince de Condé, qui lui
            succéda, était trop impliqué dans les troubles politiques,
            pour être bien utile à l'avancement de la colonie.

[Note 17: Moreau de Saint-Méry, Lettres du duc d'Anville. (Voir
Édit. 1613, p. 285, note I.)]

            De nouvelles difficultés, suscitées «par quelques
            brouillons, qui n'avaient cependant aucun intérêt en
            l'affaire,» retardèrent tellement la publication du
            privilège et des règlements de la nouvelle association,
            qu'il fut impossible à Champlain de rien faire encore cette
            année (1613) pour l'habitation de Québec, «dans laquelle il
xxxvii      désirait mettre des ouvriers pour la réparer et
            l'augmenter.» De sorte, qu'il fallut, pour le moment, se
            contenter de passeports, que le prince donna pour quatre
            vaisseaux prêts à faire voile, lesquels s'engageaient à
            fournir chacun quatre hommes pour la continuation des
            découvertes.

            Le voyage de 1613 fut pour l'auteur une déception, quoiqu'il
            n'ait pas été un des moins utiles. Champlain eut un moment
            l'espoir de trouver enfin le fameux passage du Nord-Ouest
            tant cherché par tous les navigateurs.

            Un de ceux qui étaient retournés du Canada en 1612, nommé
            Nicolas de Vignau, lui assura que le lac où l'Outaouais
            prenait sa source, se déchargeait dans la mer du Nord, sur
            le rivage de laquelle il disait avoir vu de ses propres yeux
            les débris d'un vaisseau et les chevelures de quatre-vingts
            anglais qui formaient l'équipage. Ce récit paraissait
            d'autant plus vraisemblable, que les Anglais avaient tout
            récemment poussé leurs courses aventureuses jusque dans les
            profondeurs de la baie d'Hudson. Le chancelier de Sillery,
            le maréchal de Brissac, le président Jeannin et autres
            personnes graves, furent d'avis que Champlain ne devait pas
            négliger de voir la chose en personne.

            Il partit donc de l'île Sainte-Hélène le 27 de mai 1613
            avec quatre français et un sauvage, et remonta l'Outaouais
            jusqu'à la résidence de Tessouat, chef des Algonquins de
            l'isle, c'est-à-dire jusqu'à l'île des Allumettes. Tessouat,
            qui avait déjà fait la connaissance de l'auteur les années
xxxviii     précédentes, reçut cette visite inattendue et inespérée
            avec toutes les marques de la plus vive satisfaction. Il
            prépara un grand festin, pour souhaiter la bienvenue à ces
            hôtes extraordinaires. Tous les principaux chefs devaient
            s'y trouver, et là Champlain leur ferait connaître ses
            intentions et le but de son voyage.

            Le repas fini, il fallut, suivant la coutume, fumer le
            calumet pendant une demi-heure, après quoi, Champlain leur
            exposa, qu'il était venu d'abord pour les visiter et lier
            avec eux une amitié encore plus durable, mais aussi
            pour leur demander ce qu'ils lui avaient déjà promis,
            c'est-à-dire, de lui faciliter le voyage de la mer du Nord,
            que de Vignau prétendait avoir vue l'année précédente.

            De Vignau, qui n'avait jamais été plus loin que la cabane de
            Tessouat, ne pouvait plus échapper à une conviction des plus
            humiliantes et des plus terribles. Tessouat et les autres
            capitaines, indignés d'une si impudente imposture,
            s'écrièrent «qu'il le fallait faire mourir, ou qu'il dît
            celui avec lequel il y avait été, et qu'il déclarât les
            lacs, rivières et chemins par lesquels il avait passé.» De
            Vignau n'avait garde d'accepter un pareil défi, il avait
            toujours compté que les difficultés incroyables d'un pareil
            voyage effraieraient Champlain, où qu'enfin quelque obstacle
            insurmontable finirait par lasser son courage, et qu'ainsi,
            après avoir fait sans dépense le voyage du Canada, il n'en
            toucherait pas moins la récompense promise à sa prétendue
            découverte.

xxxix       «Après avoir songé à lui,» il se jeta à genoux aux pieds de
            Champlain, et demanda son pardon. «Ainsi transporté de
            colère, dit l'auteur, je le fis retirer, ne le pouvant plus
            endurer devant moi.» Les Algonquins voulaient absolument en
            faire bonne justice, et, si Champlain ne leur eût défendu de
            lui faire aucun mal, ils l'eussent infailliblement mis en
            pièces.

            Cette expédition, quoique manquée dans son objet principal,
            eut néanmoins un excellent résultat. Tous ces peuples,
            l'année précédente, avaient été si mécontents des traiteurs,
            qu'ils avaient pris la résolution de ne plus descendre; et
            il fallut tout l'ascendant que Champlain avait sur eux pour
            les ramener à de meilleures dispositions.

            De retour en France, Champlain s'occupa de mener à bonne
            fin les négociations qui n'avaient pu se terminer avant
            le départ des vaisseaux, et réussit enfin à former une
            puissante compagnie, qui devait se composer des marchands de
            Saint-Malo, de Rouen et de la Rochelle; mais les Rochelois
            furent si longtemps à accepter les conditions, qu'on les
            laissa de côté; les Normands et les Bretons «prirent
            l'affaire moitié par moitié.»

            A peine cette société des marchands était-elle formée,
            que quelques malouins incommodes, fâchés de ne s'être pas
            présentés à temps, et ne pouvant contester les droits de
            la compagnie, eurent l'adresse de faire insérer «au cahier
            général des états» un article demandant que la traite fût
            libre pour toute la province. Champlain, voyant encore sur
            le point d'échouer un projet qui semblait promettre un
xl          meilleur avenir à sa chère colonie, alla trouver le prince
            de Condé, et lui représenta l'intérêt qu'il avait à ne
            point laisser annuler un privilège aussi nécessaire. Il
            plaida si bien la cause, que la société fut maintenue dans
            ses droits.

            Non content d'assurer le progrès matériel de la
            Nouvelle-France, Champlain s'occupait en même temps à lui
            procurer un bien encore plus précieux que tous les avantages
            temporels. Le spectacle de tant de peuples sans foi, ni loi,
            sans dieu et sans religion, comme il avait pu le constater
            dans tous ses voyages, avaient excité dans son âme une
            immense compassion pour ces pauvres et malheureux infidèles.
            «Je jugeai à part moi, dit-il, que ce serait faire une
            grande faute, si je ne m'employais à leur préparer quelque
            moyen pour les faire venir à la connaissance de Dieu.» Ce
            qui l'avait empêché jusque-là d'exécuter ce saint projet,
            «c'est qu'il fallait faire une dépense qui eût excédé ses
            moyens», et il comprenait mieux que personne la difficulté
            de pourvoir aux frais et à l'entretien d'une mission,
            surtout avec une compagnie dont plusieurs des membres
            étaient calvinistes.

            Ayant eu occasion de s'en ouvrir à plusieurs, et entre
            autres au sieur Houel, celui-ci lui suggéra de s'adressa aux
            Récollets, lui promettant son appui et toute l'influence
            qu'il pouvait avoir auprès du provincial, le P. du Verger.
            Afin de faciliter cette bonne oeuvre, Champlain alla
            lui-même trouver les cardinaux et les évêques qui s'étaient
            rendus à Paris pour la tenue des états généraux, et réussit
            à recueillir une somme de près de quinze cents livres pour
            l'achat des choses les plus nécessaires.

xli         Toute l'année 1614 fut ainsi employée à consolider les
            règlements de la compagnie des marchands, et à préparer
            les voies aux missionnaires. Enfin, au printemps de
            1615, Champlain repartit de France avec quatre religieux
            récollets: le P. Denis Jamay, commissaire, le P. Jean
            Dolbeau, le P. Joseph le Caron et un frère, nommé Pacifique
            du Plessis. Ils arrivèrent à Tadoussac le 25 de mai.

            Aussitôt que les barques furent prêtes, Champlain se rendit
            à Québec, où, de concert avec le P. Dolbeau, il détermina
            l'emplacement de la première église du pays, et du logement
            des Pères qui devaient la desservir.

            L'habitation occupait tout le milieu de la pointe de Québec,
            c'est-à-dire, le terrain renfermé entre la Place et les rues
            Notre-Dame, Sous-le-Fort et Saint-Pierre. Impossible de
            loger une chapelle dans l'enceinte; elle contenait déjà
            le magasin, trois corps de logis et quelques petites
            dépendances, et la plus petite bâtisse eût complètement
            absorbé tout l'espace qui servait de cour intérieure. Du
            côté du fleuve, il ne restait guères que la largeur de la
            rue Saint-Pierre, en arrière il fallait laisser un passage.
            Enfin du côté du Saut-au-Matelot, il n'y avait qu'une petite
            lisière de terre qui venait mourir au pied de la côte
            actuelle de la basse ville, une chapelle, placée de ce côté
            eût obstrué les défenses de la place, sans compter qu'elle
            eût été sérieusement exposée à nos trop fréquentes
            tempêtes de nord-est. Il n'y avait donc qu'un seul endroit
            convenable; Panse du Cul-de-Sac, dans le voisinage du jardin
xlii        de Champlain, offrait un assez joli fonds, retiré et
            solitaire, comme il convient à la maison de Dieu.

            Moins d'un mois après, le 25 de juin 1615, le P. Dolbeau y
            disait la première messe, et les offices continuèrent à s'y
            célébrer régulièrement tous les dimanches.

            Cette année enfin, après tant de retards et de
            désappointements, Champlain put réaliser et compléter
            ce qu'il n'avait pour ainsi dire qu'ébauché en 1613,
            l'exploration des pays de l'ouest, et un commencement de
            colonie chez les Hurons.

            Toutes ces entreprises, cependant, ne pouvaient être menées
            à bonne fin, que par le moyen et le concours des nations
            indigènes. Cette année, plus que jamais, les sauvages
            descendus à la traite, représentèrent vivement à Champlain,
            que, si on ne leur prêtait un secours efficace, il devenait
            de plus en plus impossible de quitter leur pays, pour
            venir de si loin s'exposer aux embûches que leur tendaient
            continuellement les Iroquois.

            «Sur quoi, dit l'auteur, le sieur du Pont et moi avisâmes
            qu'il était très-nécessaire de les assister, tant pour
            les obliger davantage à nous aimer, que pour moyenner la
            facilité de mes entreprises et découvertures, qui ne se
            pouvaient faire en apparence que par leur moyen, et aussi
            que cela leur serait comme un acheminement et préparation
            pour venir au christianisme [18].»

[Note 18: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_
a bien soin de tronquer ce texte, et d'en retrancher ce qui
non-seulement justifie Champlain, mais encore est tout à sa louange.
On conçoit qu'avec de pareils moyens, il est facile de tirer des
conclusions comme celle-ci: «Cette campagne avait été entreprise pour
un motif d'intérêt particulier, et elle tourna au grand désavantage
de la religion et à celui de la France» (t. I, p. 141); et cela,
suivant le même auteur, parce que «les Français étaient allés
attaquer les Iroquois avec des armes à feu, incendier leur village»
(jusqu'alors aucun village iroquois n'avait été incendié), «et
répandre le sang des Iroquois, sans que ceux-ci leur eussent jamais
fait aucun mal ni donné quelque juste sujet de plainte.» L'injustice
de cette remarque est trop palpable, pour qu'il soit nécessaire de
la réfuter.]

xliii       Le chemin à suivre pour éviter les embûches des Iroquois,
            était excessivement long et pénible. Il fallait remonter
            l'Outaouais avec ses rapides, passer par le lac Nipissing,
            pour prendre ensuite le cours de la rivière des Français. Le
            pays des Hurons était, comme on sait, situé au fond de la
            baie Géorgienne, à l'ouest du lac Simcoe.

            Champlain rejoignit au pays des Hurons les quelques français
            qui étaient partis un peu auparavant avec le P. le Caron.
            Pendant les longs préparatifs de l'expédition projetée
            contre les Iroquois, il parcourut toutes les bourgades
            huronnes, observant attentivement les beautés du pays et les
            moeurs et coutumes des habitants.

            L'armée partit de Cahiagué le premier de septembre, et prit
            la direction de la rivière Trent et de la baie de Quinte.
            Quand on eut traversé le lac des Entouoronon (le lac
            Ontario), on cacha soigneusement les canots. Après avoir
            fait, à travers le pays des Iroquois, environ une trentaine
            de lieues, les alliés arrivèrent enfin devant le fort des
            ennemis.

            Un corps de cinq cents guerriers carantouanais qui devait
            venir faire diversion par un autre côté, n'arriva que
            plusieurs jours après le temps convenu. L'attaque eut lieu
            cependant; mais les sauvages se ruèrent sur le fort sans
            aucun ordre, et Champlain ne put jamais réussir à se faire
            entendre dans la chaleur du combat; ce premier assaut fut
            inutile.

xliv        Le soir, dans un conseil, Champlain proposa de construire,
            pour le lendemain, un cavalier, du haut duquel les
            arquebusiers français auraient plus d'avantage à tirer, et
            une espèce de mantelet pour protéger les assaillants contre
            les flèches et les pierres lancées de dessus les palissades.

            Quelques-uns voulaient qu'on attendît le renfort des
            Carantouanais; mais l'auteur, voyant que l'armée alliée
            était assez forte pour emporter la place, craignant
            d'ailleurs qu'un retard ne donnât aux ennemis le temps de
            se fortifier davantage, fut d'avis qu'on livrât de suite un
            second assaut.

            L'indiscipline des sauvages fit tout manquer; il fallut
            songer à la retraite. Champlain avait reçu deux blessures à
            la jambe et au genou.

            Quand les alliés furent de retour au lac Ontario, Champlain
            demanda qu'on le reconduisît à Québec. Mais les Hurons, qui
            avaient intérêt à le garder avec eux, firent en sorte qu'il
            n'y eût point de canot disponible; et il dut se résigner à
            passer l'hiver en leur pays.

            L'armée fut de retour à Cahiagué dans les derniers jours de
            décembre. Champlain, après s'être reposé quelques jours chez
            son hôte Darontal (ou Atironta), se rendit à Carhagouha pour
            y revoir le P. le Caron. Ils partirent tous deux ensemble
            le 15 février, et allèrent visiter la nation du Petun (les
            Tionnontatés), qui demeuraient plus au sud-ouest. De là, ils
            poussèrent jusqu'au pays des Andatahouat ou Cheveux-Relevés,
            et, si on ne les en eût détournés, ils voulaient se rendre
            jusqu'à la nation Neutre (les Attiouandaronk).

xlv         Enfin, le printemps venu, Champlain, se fit reconduire à
            Québec, où l'on était fort inquiet sur son sort. Avant le
            départ des vaisseaux, il fit agrandir l'habitation de plus
            d'un tiers, et en augmenta les fortifications. «Nous fîmes,
            dit-il, le tout bien bâtir de chaux et sable, y en
            ayant trouvé de très-bonne en un lieu proche de la dite
            habitation.»[19]

[Note 19: Il est probable que le fourneau dont on se servit pour
cuire la chaux à cette époque, est le même que celui dont fait mention
un acte de concession du 20 septembre 1649 (Acte de conc. à Dame
Gagner). Ce fourneau paraît avoir été situé entre l'ancien cimetière
et le terrain actuel de la Chambre d'Assemblée.]

            Le prince de Condé venait d'être arrêté, le premier de
            Septembre 1616. Champlain se douta bien que les ennemis de
            la société profiteraient de sa détention, pour exciter de
            nouveaux troubles et faire annuler la commission. Il ne
            cessait de remontrer aux marchands, que, si l'on ne prenait
            les moyens d'augmenter et de fortifier Québec, la traite
            finirait par leur être enlevée de force. Les associés
            objectaient, que les dépenses annuelles étaient énormes,
            et que, dans un moment de trouble comme on était alors en
            France, la compagnie, d'une année à l'autre, pouvait avoir
            le même sort que celle de M. de Monts, et qu'ils en seraient
            pour leurs frais. Champlain leur représenta que les
            circonstances étaient bien changées: M. de Monts n'était
            qu'un simple «gentilhomme, qui n'avait pas assez d'autorité
            pour se maintenir en cour contre l'envie, dans le conseil de
            Sa Majesté, mais que maintenant ils avaient pour protecteur
            et vice-roi du pays un prince qui les pouvait protéger
            envers et contre tous sous le bon plaisir du roi.»

xlvi        Deux années se passèrent, sans qu'il se fît beaucoup de
            progrès.

            En 1617 et en 1618, Champlain revint au Canada. Mais le
            manque de secours laissait toujours l'habitation dans le
            même état de langueur.

            A force de persévérance, il obtint enfin, pour l'année 1619,
            quelques munitions de guerre, et des provisions de bouche;
            la compagnie s'engageait à envoyer quatre-vingts personnes,
            «y compris le chef, trois pères récollets, commis,
            officiers, ouvriers et laboureurs.»

            L'année 1619 s'écoula, et, de toutes ces promesses de
            secours et d'hommes, aucune ne fut tenue. Cependant, on
            se plaignait partout de la compagnie, qui, jouissant
            d'un privilège fort avantageux, ne remplissait point ses
            engagements envers la colonie. D'une autre part, la concorde
            était loin de régner parmi les associés. Les huguenots
            avaient à coeur de ne pas voir la religion catholique
            s'enraciner dans le Canada; tandis que les catholiques se
            réjouissaient des efforts qu'on faisait pour l'y établir. De
            là naissaient des divisions et des procès; chaque parti se
            défiait de l'autre, et entretenait son commis particulier,
            chargé d'examiner tout ce qui se passait à Tadoussac et à
            Québec [20].

[Note 20: Ferland, Cours d'Hist, du Canada.]

            Franc, loyal et honnête, Champlain ne leur ménageait aucun
            reproche, au sujet de leur conduite. Aussi voulurent-ils se
            délivrer d'un censeur incommode, en l'obligeant à s'occuper
            de découvertes, pendant que Pont-Gravé resterait à Québec,
            revêtu du commandement, et chargé de la traite. Ils
xlvii       espéraient que ce dernier serait plus souple et plus
            traitable.

            Champlain leur répondit que, comme lieutenant-général
            du vice-roi, il avait l'autorité sur tous les hommes de
            l'habitation; qu'il l'exerçait partout, excepté dans leur
            magasin, où était placé leur premier commis; que le sieur
            de Pont-Gravé était son ami, qu'il le respectait comme son
            père, à cause de son âge, mais qu'il ne lui céderait jamais
            aucun de ses droits[21]; «qu'il n'entendait faire le voyage
            qu'avec la même autorité qu'il avait eue auparavant,
            autrement, qu'il protestait tous dépens, dommages et
            intérêts contre eux, à cause de son retardement.»

[Note 21: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]

            La-dessus, il leur présenta une lettre dans laquelle le roi
            insistait sur l'exécution de ce qu'ils avaient promis, et
            leur marquait sa volonté expresse que la compagnie fournît
            à Champlain ce qui lui serait nécessaire, tant pour
            l'habitation, que pour les découvertes.

            Les marchands s'obstinèrent, et Champlain, qui s'était
            préparé à passer au Canada avec sa famille, se vit contraint
            de retourner à Paris, après avoir fait sa protestation.
            «Nous voilà à chicaner,» dit-il; et, avec son activité et
            son énergie ordinaires, il se rend à Tours, pour y suivre
            l'affaire devant le conseil. «Après avoir bien débattu,
            ajoute-t-il, j'obtiens un arrêt de messieurs du conseil,
            par lequel il était dit que je commanderais tant à Québec,
            qu'autres lieux de la Nouvelle-France, et défenses aux
xlviii      associés de me troubler ni empêcher en la fonction de ma
            charge; lequel arrêt je leur fais signifier en pleine
            bourse de Rouen.»

            Le prince de Condé ne pouvait guère s'occuper de la
            Nouvelle-France; il céda facilement tous ses titres au duc
            de Montmorency. Champlain, qui avait contribué à cette
            transaction [22], fut nommé son lieutenant, et se disposa
            à partir avec sa famille (1620). La compagnie, voyant ce
            changement d'un mauvais oeil, suscita encore de nouvelles
            tracasseries au sujet des pouvoirs qu'il devait exercer.
            Mais il n'eut qu'un mot à écrire au nouveau vice-roi; les
            associés reçurent un ordre formel et absolu du roi, de se
            désister de leurs poursuites.

[Note 22: Édit. 1632, première partie, p. 327.]

            Champlain partit enfin vers le 8 de mai, et arriva au moulin
            Baudé, après une traverse de deux mois. Son beau-frère,
            Eustache Boullé, fut agréablement surpris et étonné de voir
            que sa soeur avait eu le courage de braver les fureurs de
            l'Océan, pour venir se fixer dans un pays encore sauvage et
            dénué de tout.

            Le 11 juillet, Champlain partit de Tadoussac pour monter à
            Québec, où, en arrivant, il «se rendit à la chapelle, pour y
            rendre grâces à Dieu de l'avoir préservé, lui et sa famille,
            de tous les dangers d'un si long et si pénible voyage.» Le
            lendemain, après la messe, un des Pères fit une exhortation
            de circonstance, et, au sortir de la chapelle, on lut
            publiquement les lettres de commission royale, et celles du
            vice-roi. Chacun cria: _Vive le roi_; le canon fut tiré
            en signe d'allégresse, «et ainsi, dit Champlain, je pris
xlix        possession de l'habitation et du pays au nom de mon dit
            seigneur le vice-roi.»

            Champlain trouva de quoi exercer son zèle. «Je trouvai,
            dit-il, cette pauvre habitation si désolée et ruinée,
            qu'elle me faisait pitié. Il y pleuvait de toutes parts,
            l'air entrait par toutes les jointures du plancher; le
            magasin s'en allait tomber, la cour si sale et orde, que
            tout cela semblait une pauvre maison abandonnée aux champs
            où les soldats avaient passé.» En peu de temps, néanmoins,
            tout fut réparé, grâce à la diligence qu'il y mit.

            Un de ses premiers soins fut ensuite de faire commencer, sur
            le coteau qui dominait l'habitation, un petit fort, qu'il
            jugea plus que jamais nécessaire «pour éviter aux dangers
            qui peuvent advenir en un pays éloigné presque de tout
            secours. J'établis, dit-il, cette demeure en une situation
            très-bonne, sur une montagne qui commandait sur le travers
            du fleuve Saint-Laurent, qui est un des lieux des plus
            étroits de la rivière. Cette maison ainsi bâtie ne plaisait
            point à nos associés; mais pour cela il ne faut pas que je
            laisse d'effectuer le commandement de Mgr le Vice-roi; et
            ceci est le vrai moyen de ne point recevoir d'affront.»

            Le duc de Montmorency, voyant avec peine la mauvaise volonté
            de la compagnie des marchands, avait résolu de mettre un
            terme à un état de choses si préjudiciable aux intérêts de
            la colonie. Au printemps de 1621, on apprit, par le premier
            vaisseau, qu'il avait formé une compagnie nouvelle. M. Dolu,
            intendant des affaires du pays, fut chargé d'expédier à
l           Champlain copie des nouvelles commissions, pour le prévenir
            que le vice-roi avait remis entre les mains des sieurs de
            Caen la gestion de tout ce qui regardait la traite, et que
            c'était son désir qu'il ne se fît aucune innovation avant
            son arrivée.

            Malheureusement, le vaisseau de M. de Caen ne paraissait
            point. Les commis de l'ancienne société n'étaient pas
            d'humeur à lâcher prise si facilement, à moins que Champlain
            n'exhibât des ordres du roi; ce qu'il ne pouvait faire pour
            le moment. L'arrivée de Pont-Gravé et de plusieurs des
            anciens commis vint encore rendre la position plus critique.
            Il fallait agir avec une grande circonspection.

            Le petit fort que Champlain venait de commencer et qu'il se
            hâta de terminer de son mieux, fut en ce moment le salut
            de la patrie. Il y mit Dumais et son beau-frère avec seize
            hommes, et y jeta les armes et provisions nécessaires.
            «En cette façon, dit-il, nous pouvions parler à cheval.»
            Lui-même se chargea de la garde de l'habitation.

            Les commis de l'ancienne société furent contraints
            d'accepter un compromis, et d'attendre que M. de Caen fût
            arrivé. Enfin, après des allées et venues et des pourparlers
            qui durèrent jusqu'au mois d'août, Champlain, secondé par le
            P. George le Baillif, vint à bout de faire la paix entre les
            deux partis.

            Les habitants de Québec, alarmés d'un état de choses si
            déplorable, se réunirent dans une assemblée publique,
            Champlain à leur tête, pour signer et adresser au roi une
            humble pétition, afin que Sa Majesté voulût bien mettre un
            terme aux funestes divisions qui menaçaient de ruiner tout
li          le pays. Champlain ne pouvant s'absenter sans inconvénient
            et pour sa famille et pour l'intérêt de tous, on choisit
            pour cette mission le P. Georges le Baillif. Ce sage
            religieux vint à bout d'obtenir les principaux articles de
            son «cahier,» et un arrêt du conseil d'état réunit les
            deux compagnies en une seule (1622).

            Pendant les quatre ans que Champlain passa à Québec avec sa
            famille, son occupation principale fut de faire travailler à
            l'habitation, au fort et au château Saint-Louis; il saisit
            en même temps toutes les occasions de faire avec les
            Montagnais une alliance de plus en plus étroite.

            Un des moyens qui lui parût le plus propre à atteindre
            ce but, fut de conférer à quelqu'un de leurs capitaines
            certaines faveurs ou certains grades qui devaient
            naturellement les attacher aux Français.

            Le capitaine Miristou fut le premier à qui l'on accorda cet
            honneur. Il prit à cette occasion le nom de Mahigan-Atic
            (loup-cerf), pour donner à entendre, que, doux comme le
            cerf, il saurait, quand il serait nécessaire, avoir le
            courage et même la fureur du loup.

            Champlain, en 1624, se décida à reconduire sa femme en
            France. Accoutumée aux douceurs de la vie de Paris, elle
            avait dû souffrir beaucoup de la privation des choses
            considérées comme indispensables à son état. Son mari et son
            frère étant fort souvent absents, elle se trouvait ainsi
            exposée à bien des ennuis.

lii         L'année 1624 fut une époque d'améliorations pour Québec:
            Champlain ouvrit un chemin commode, conduisant du magasin au
            fort Saint-Louis sur la hauteur, afin de remplacer le
            sentier étroit et difficile dont on s'était servi
            jusqu'alors. Les ouvriers continuaient en même temps les
            travaux du fort. Reconnaissant le mauvais état de
            l'habitation, et désespérant de la pouvoir réparer
            convenablement, il entreprit d'en bâtir une nouvelle. Vers
            les premiers jours du mois de mai, il fit abattre tous les
            vieux bâtiments, à l'exception du magasin, et les fondations
            furent posées. Pour conserver la mémoire de cette
            reconstruction, l'on enfouit une pierre sur laquelle,
            étaient gravées les armes du roi, ainsi que celles du
            vice-roi, avec la date et le nom de Champlain, lieutenant du
            duc de Montmorency. Ces bâtiments devaient consister en un
            corps de logis, long de cent huit pieds, avec deux ailes de
            soixante pieds, et quatre petites tours aux quatre angles de
            l'édifice. Devant l'habitation et au bord du fleuve, était
            un ravelin, sur lequel on disposa des pièces de canon,
            le tout était environné de fossés, que traversaient des
            ponts-lévis[23].

[Note 23: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]

            Le sieur Émeric de Caen demeura à Québec pour y commander.
            Champlain en partit le 15 août, et arriva à Dieppe le
            premier octobre. Il se rendit de là à Paris, afin de donner
            au roi et à M. de Montmorency des détails sur ce qui s'était
            passé dans la Nouvelle-France depuis quatre ans.

            De nouvelles contestations entre les anciens et les nouveaux
            associés achevèrent de dégoûter le duc de Montmorency de sa
liii        charge de vice-roi, «qui lui rompait plus la tête, que ses
            affaires plus importantes.» Il la céda à son neveu Henri de
            Lévis, duc de Ventadour. Celui-ci continua Champlain dans sa
            charge de lieutenant, et lui en expédia les lettres le 13
            février 1625.

            Le nouveau vice-roi, plein de zèle pour les intérêts de la
            colonie et pour l'avancement des missions, voulut d'abord
            que Champlain demeurât cette année auprès de lui pour
            l'instruire plus particulièrement des besoins du pays
            dorénavant soumis à sa juridiction, puis il encouragea
            de toutes ses forces le projet qui venait de se former,
            d'envoyer des missionnaires jésuites au Canada, pour venir
            en aide aux premiers missionnaires, les Récollets.

            M. de Caen fut chargé du voyage de 1625. A son retour, il y
            eut contre lui des récriminations graves, qui entraînèrent
            un procès. Il sut néanmoins se tirer d'affaire assez
            bien, l'arrêt du conseil lui alloua «trente-six pour cent
            d'intérêt sur un fonds de soixante mille livres, mais à
            condition qu'il exécuterait tous les articles auxquels la
            société s'était obligée envers le roi; qu'il donnerait
            caution dans trois jours, et nommerait un catholique au
            commandement de la flotte du Canada.»

            Le printemps venu, M. de Caen ne s'étant pas conformé aux
            décisions de la cour, les anciens associés le protestèrent.
            Il les appelle une seconde fois devant le conseil, et un
            nouvel arrêt lui accorde encore gain de cause, à condition
            toutefois qu'il donnera caution dans Paris, et qu'il
            nommera, en l'absence du vice-roi, un amiral catholique,
            lui-même ne devant point faire le voyage.

liv         Les vaisseaux appareillèrent à Dieppe. Champlain s'y
            embarqua, avec le sieur Destouches et son beau-frère, nommé
            son lieutenant, à bord de la _Catherine_, vaisseau de cent
            cinquante tonneaux. Émeric de Caen était vice-amiral, et
            commandait la _Flèque_.

            Champlain n'arriva à Québec que le 5 de juillet. Tous les
            _hivernants_ se portaient bien, même Pont-Gravé, qui avait
            pensé mourir de la goutte pendant l'hiver.

            Quoiqu'il eût, avant son départ, laissé «nombre de matériaux
            prêts,» il ne trouva pas les logements si avancés qu'il se
            l'était promis. Le fort était encore au point où il l'avait
            quitté en 1624; le château, qui renfermait quelques ménages,
            n'avait pas été terminé, quoiqu'il y eût du bois d'assemblé
            depuis deux ans.

            Une des raisons qui retardaient les travaux du fort et de
            l'habitation, c'est que les ouvriers étaient employés, «aux
            plus beaux et longs jours de l'année,» à l'entretien du
            bétail. Il fallait aller faire les foins à près de dix
            lieues de Québec, aux prairies naturelles du cap Tourmente,
            ce qui prenait quelquefois jusqu'à deux mois et demi. Pour
            obvier à cet inconvénient, Champlain établit une habitation
            auprès du Petit-Cap, au lieu même où sont aujourd'hui les
            bâtisses de la Petite-Ferme. Comme on était déjà au mois de
            juillet, il employa tous les ouvriers à y construire deux
            logis et une étable de soixante pieds de long. A partir
            de ce moment, le soin des bestiaux ne demandait plus que
lv          quelques personnes. Au mois de septembre, Champlain y
            envoya le sieur Foucher avec cinq ou six hommes, une femme
            et une petite fille.

            Considérant, d'un autre côté, que le fort de Québec «était
            bien petit, pour y retirer, dans un besoin, tous les
            habitants de la place, il résolut de l'abattre et de
            l'agrandir; ce que je fis, dit-il, jusqu'au pied, pour
            suivre mieux le dessein que j'avais; auquel j'employai
            quelques hommes qui y mirent toute sorte de soin.» Il
            y ménagea, «selon l'assiette du lieu, deux petits
            demi-bastions bien flanqués. La ruine du petit fort servit
            en partie à refaire le plus grand.» Il se composait de
            fascines, et de terrassements, en attendant un jour qu'on le
            fît revêtir de murailles.

            Après les travaux du fort, les logements de l'habitation et
            le magasin réclamaient la plus large part de son attention.
            Il fit couvrir la moitié du grand corps de logis, commencé
            depuis si longtemps, et faire quelques menues réparations.

            L'hiver de 1626 à 1627 fut un des plus longs que l'auteur
            eût passés dans le pays, et il fut marqué par la perte du
            premier habitant de Québec, Louis Hébert, qui mourut des
            suites d'une chute.

            Pendant ce même hiver, quelque nation voisine des
            établissements Flamands, à laquelle les Iroquois avaient
            tué vingt-quatre hommes (sans compter cinq flamands), parce
            qu'elle n'avait pas voulu leur donner passage pour
            aller faire la guerre aux Loups, offrirent des présents
            considérables aux sauvages alliés pour les engager dans une
            grande coalition contre ces ennemis implacables. Plusieurs
lvi         chefs montagnais, algonquins et autres les avaient acceptés,
            et l'on était sur le point de rassembler les forces
            suffisantes.

            Champlain en témoigna son mécontentement à Mahigan-Atic, qui
            lui fit part de ce projet. Il lui dit qu'il lui savait bon
            gré de son avis, mais qu'il trouvait fort mauvais que le
            Réconcilié et autres chefs eussent accepté ces présents, et
            se fussent engagés dans cette guerre sans l'en prévenir, vu
            qu'il s'était lui-même entremêlé de faire la paix pour eux
            avec les Iroquois, qu'ils allaient rompre un traité qu'on
            avait eu tant de peine à conclure, juste au moment où l'on
            commençait à en ressentir les heureux effets, et qu'il
            regarderait comme ses ennemis tous ceux qui prendraient part
            à cette malheureuse expédition.

            Mahigan-Atic comprit qu'ils avaient fait une grande faute,
            et il conseilla d'envoyer quelqu'un aux Trois-Rivières pour
            arrêter le coup. Champlain chargea son beau-frère de cette
            mission délicate. Boullé était digne de cette confiance; il
            réussit à convaincre les sauvages de l'imprudence de leur
            démarche, et il fut convenu qu'on ne ferait rien jusqu'à ce
            que tous les vaisseaux fussent arrivés, et que les autres
            nations qui devaient descendre fussent toutes assemblées.

            Aussitôt qu'Émeric de Caen fut prêt à monter à la traite,
            Champlain lui recommanda de faire tous ses efforts pour
            achever l'oeuvre de pacification si bien commencée. «Mais,
            ajoute l'auteur, il ne sut tant faire, ni tous les sauvages
            qui étaient là, que neuf ou dix jeunes hommes écervelés
            n'entreprissent d'aller à la guerre.» Ils revinrent avec
lvii        deux iroquois, que l'on fit passer par tous les tourments
            ordinaires. Voilà la paix rompue.

            Émeric de Caen crut devoir en écrire aussitôt à Champlain,
            lui mandant que sa présence était nécessaire pour arrêter
            ces désordres, et en prévenir les fâcheuses conséquences.
            Celui-ci partit sur le champ avec Mahigan-Atic. Dès qu'il
            y fut arrivé, on assembla un grand conseil. Champlain leur
            représenta qu'ils venaient de faire, en compromettant ainsi
            la paix, une démarche qui pourrait leur coûter bien cher, si
            l'on n'y trouvait quelque remède. Il se ferait un devoir de
            les assister en frère, comme il l'avait déjà fait, lorsque
            les Iroquois leur feraient la guerre mal à propos; mais
            il ne pouvait approuver qu'on allât ainsi les attaquer en
            pleine paix sans qu'ils eussent rien entrepris contre eux.

            Après que chaque capitaine eut fait sa harangue, il fut
            résolu, d'un consentement unanime, que l'on renverrait l'un
            des prisonniers, avec le Réconcilié et deux autres sauvages,
            et, «afin de mieux faire valoir leur ambassade, ils
            demandèrent un français pour les accompagner.» Il s'en
            présenta deux ou trois, entre autres Pierre Magnan, qui fut
            agréé de part et d'autre.

            Quelques semaines après, un sauvage apporta la nouvelle que
            les ambassadeurs avaient été cruellement massacrés. On sut
            plus tard qu'un algonquin de l'isle, pour satisfaire une
            vengeance personnelle, avait malicieusement fait croire aux
            Iroquois que cette députation n'était que pour les mieux
            trahir.

            Les vaisseaux, à leur départ en 1627, laissèrent
lviii       l'habitation assez mal approvisionnée. Il demeura à Québec
            cette année cinquante-cinq personnes, tant hommes que
            femmes et enfants, «sans comprendre les habitants du pays.»
            Sur ce nombre, il n'y avait que dix-huit ouvriers.

            Il en fallait plus de la moitié pour les travaux du cap
            Tourmente; l'habitation de Québec n'était point achevée. La
            compagnie et M. de Caen avaient promis dix hommes pour faire
            travailler au fort; mais, pour eux, l'habitation devait
            passer avant tout, et Champlain se vit réduit à ne pouvoir
            employer aux fortifications que les hommes qui étaient pour
            ainsi dire de reste.

            «Je jugeai dès lors, dit l'auteur, que la plus grande part
            des associés ne s'en souciaient beaucoup, pourvu qu'on leur
            donnât d'intérêt les quarante pour cent.» Il en dit son
            sentiment à M. de la Ralde, qui se trouvait lié par ses
            engagements; «c'est en un mot, ajoute-t-il, que ceux qui
            gouvernent la bourse font et défont comme ils veulent.»
            Il en écrivit au vice-roi, et, en attendant, il continua
            d'employer au fort tous les hommes dont il put disposer,
            sans toutefois négliger l'habitation.

            Quelque temps après le départ des vaisseaux, deux français,
            Henri, domestique de Madame Hébert, et un autre nommé
            Dumoulin, auxquels Champlain avait donné commission d'amener
            par terre quelques bestiaux du cap Tourmente, furent
            lâchement assassinés par un montagnais à qui l'on avait
            refusé un morceau de pain. Un semblable meurtre avait été
            commis vers le cap Tourmente quelques années auparavant,
            sans qu'on eût pu faire justice rigoureuse.

lix         Cette fois, Champlain jugea que ce serait une faiblesse que
            de ne point sévir contre de pareils attentats. Il mande à
            l'habitation les principaux chefs, leur remontre l'atrocité
            du crime commis par un de leur nation, et leur déclare
            nettement qu'il exige qu'on lui livre les auteurs de
            l'assassinat; en attendant, on garderait comme otage un
            certain montagnais, sur lequel on avait des soupçons, et que
            dorénavant on serait obligé de se tenir en garde contre leur
            perfidie.

            Les sauvages parurent, en cette occasion, réellement
            chagrins et mortifiés d'un événement si fâcheux; mais il n'y
            eut pas moyen de constater au juste quel était le coupable.

            Avant de partir pour la chasse, les Montagnais voulurent
            donner à Champlain un témoignage singulier de leur estime.
            Ils envoyèrent Mécabau, appelé Martin par les Français,
            demander au P. le Caron quel présent il leur conseillait
            de faire. «Il me souvient, lui dit Mécabau, qu'autrefois
            monsieur de Champlain a eu désir d'avoir de nos filles pour
            mener en France, et les faire instruire en la loi de Dieu
            et aux bonnes moeurs; s'il voulait à présent, nous lui en
            donnerions quelqu'unes; n'en serais-tu pas bien content?» Le
            Père répondit que oui, et qu'il fallait lui en parler. «Ce
            que les sauvages firent de si bonne grâce, ajoute Sagard,
            que le sieur de Champlain, voulant être utile à quelque
            âme, en accepta trois. Plusieurs croyaient que les sauvages
            n'avaient donné ces filles au sieur de Champlain que pour
            s'en décharger, à cause du manquement de vivres; mais ils se
lx          trompaient, car Chomina même, à qui elles étaient parentes,
            désirait fort de les voir passer en France, non pour s'en
            décharger, mais pour obliger les Français et en particulier
            le sieur de Champlain.» [24]

[Note 24: Sagard, Hist. du Canada, p. 912-14.]

            On était rendu à la fin de juin 1628, et les vaisseaux ne
            paraissaient point. Les vivres commençaient à faillir, et ce
            qu'il y avait de plus embarrassant, c'est que le sieur de
            la Ralde n'avait laissé aucune barque à Québec; en outre
            l'habitation était sans matelot ni marinier. «De brai,
            voiles et cordages, dit Champlain, nous n'en avions point;
            ainsi étions dénués de toutes commodités, comme si l'on nous
            eût abandonnés.»

            Tel était, par le mauvais vouloir des marchands, l'état de
            gêne où se trouvait la colonie, quand une flotte anglaise,
            conduite par un renégat français, vint encore augmenter
            l'embarras de Champlain.

            Trois frères huguenots, David, Louis et Thomas Kertk, dont
            la famille avait quitté la France pour passer au service
            de l'Angleterre, s'étaient chargés de détruire les
            établissements français du Canada.

            Au moment où l'on préparait une petite embarcation pour
            aller à Tadoussac chercher une barque, avec laquelle on pût
            aller à Gaspé, deux hommes arrivèrent en toute hâte du cap
            Tourmente, et apportèrent la triste nouvelle que les Anglais
            y avaient détruit et ruiné de fond en comble l'habitation
            qu'on venait d'y fonder.

            Champlain, ainsi assuré de la présence de l'ennemi, fit
            réparer à la hâte les retranchements de l'habitation, et
lxi         dresser des barricades autour du fort, dont il n'avait pu
            terminer les remparts. Il distribua ensuite sa petite
            garnison aux quartiers les plus exposés, de façon que chacun
            connût son poste, et y accourût au besoin.

            Le lendemain, 10 juillet, sur les trois heures de
            l'après-midi, l'on aperçut dans la rade une voile
            qui faisait mine de vouloir entrer dans la rivière
            Saint-Charles. Quoique une chaloupe seule ne pût faire un
            grand exploit, Champlain ne négligea pas de surveiller ses
            mouvements, il envoya de suite quelques arquebusiers au
            rivage. On reconnut que c'étaient des basques, auxquels les
            Kertk avaient confié la charge de ramener à Québec le sieur
            Pivert avec sa femme et sa petite nièce, faits prisonniers
            au cap Tourmente. Ils étaient en même temps porteurs d'une
            lettre par laquelle David Kertk invitait le commandant du
            fort à lui livrer la place.

            Champlain lut cette lettre devant Pont-Gravé «et les
            principaux habitants.» La conclusion fut, dit notre auteur,
            que, si l'Anglais «avait envie de nous voir de plus près,
            il devait s'acheminer, et non menacer de si loin.» Quoique
            chacun fût réduit à une ration de sept onces de farine de
            pois par jour, et qu'il n'y eût pas cinquante livres de
            poudre au magasin, Champlain fit une réponse si fière, que
            les Kertk, croyant l'habitation mieux approvisionnée qu'elle
            ne l'était, jugèrent prudent de ne pas aller plus loin, et
            se retirèrent après avoir brûlé ou emmené toutes les barques
            qui avaient été laissées à Tadoussac.

lxii        Le Canada était sauvé, si les vaisseaux de la nouvelle
            compagnie [25] avaient su éviter la rencontre de la flotte
            anglaise. Malheureusement, M. de Roquemont, qui les
            conduisait, au lieu de se réfugier dans un des nombreux
            havres du golfe, où il pouvait attendre en sûreté que les
            Anglais fussent partis, remonta le fleuve, et se vit bientôt
            dans la nécessité de livrer un combat inégal, où il perdit
            du coup toute la ressource d'une colonie déjà prête à
            succomber.

[Note 25: Cette nouvelle compagnie, formée (1627) par le cardinal de
Richelieu, avait pris le titre de Compagnie de la Nouvelle-France; on
l'a appelée aussi compagnie des Cent-Associés. Fondée sur des bases plus
larges que les précédentes, cette puissante société donna, dès que le
Pays fut remis à la France, un nouvel élan à la colonisation, au
défrichement des terres, et à la conversion des sauvages. Champlain en
fit partie plus Tard. (Du Creux, _Hist. Canadensis._)]

            Cette défaite jeta Champlain dans une grande perplexité.
            Québec se voyait menacé de la plus cruelle famine; l'on ne
            pouvait maintenant espérer de secours que dans dix mois,
            et les sauvages avaient peine à suffire à leur propre
            subsistance. Cependant il ne se laissa point décourager.
            Il exhortait ses compagnons à la patience, et leur donnait
            lui-même l'exemple de l'abnégation, en se soumettant au même
            régime que les autres. Le peu de grain récolté par les Pères
            Récollets, par les Jésuites, par la famille Hébert, avec le
            produit de la pêche et de la chasse, procurèrent assez de
            vivres pour empêcher les habitants de mourir de faim pendant
            l'hiver. Afin que les pois et autres légumes pussent donner
            plus de nourriture, Champlain, ingénieux à profiter de tout,
            imagina de les faire piler dans des mortiers de bois.

            Le travail était long et pénible, pour des hommes exténués
lxiii       par la disette, il eut la pensée de faire construire un
            moulin à bras. Mais, comme il n'avait point de meule, celles
            de la compagnie étant restées à Tadoussac, il chargea le
            serrurier de l'habitation de chercher de la pierre propre à
            en faire; celui-ci fut assez heureux pour en trouver. Un
            menuisier entreprit de monter une moulange; «de sorte que,
            dit Champlain, cette nécessité nous fit trouver ce qu'en
            vingt ans l'on avait cru être impossible.»

            Voyant le soulagement qu'apportait déjà cette première
            invention, il résolut de faire bâtir un moulin plus
            considérable, et de le faire mouvoir par l'eau. Ce plan,
            tout en soulageant la main-d'oeuvre, devait avoir le bon
            effet d'encourager les habitants à faire de plus grosses
            semences, et de les accoutumer à compter davantage sur leur
            industrie et sur les produits de la terre.

            Au printemps (1629), un sauvage appelé Érouachit, qui
            arrivait du pays des Abenaquis, soumit à Champlain, de la
            part de ces peuples, un projet dont celui-ci n'eût pas
            manqué de profiter, si les munitions n'avaient pas été aussi
            rares que les vivres.

            Cette nation demandait le secours des armes françaises
            contre l'ennemi commun, les Iroquois. Il était inutile de
            songer à prêter main-forte aux autres, quand on était réduit
            à un pareil état de faiblesse. Champlain voulut cependant
            tirer tout le parti possible de l'amitié de ces peuples, et
            se décida à leur envoyer une ambassade. Son beau-frère était
            bien l'homme de confiance à charger de cette commission,
            mais le besoin qu'il avait de ses services, dans la
            prévision du retour des Anglais, l'engagea à le retenir
lxiv        auprès de lui. Celui qui fut délégué à sa place, devait
            assurer les Abenaquis qu'on les assisterait contre leurs
            ennemis dès que les vaisseaux auraient rapporté l'abondance,
            pourvu qu'en attendant ils voulussent bien donner aux
            Français quelques secours en vivres. Champlain lui avait en
            même temps recommandé de bien observer les lieux, la
            qualité des terres et la bonté du pays.

            Voyant la saison déjà passablement avancée, Champlain prit
            le parti d'envoyer son beau-frère à Gaspé avec une trentaine
            d'autres, vingt d'entre eux consentirent d'avance à demeurer
            là avec les sauvages, et les autres préférèrent courir leur
            risque. La barque, avant d'arriver à Gaspé, rencontra le
            vaisseau d'Émeric de Caen, qui venait chercher une partie
            des hommes de la compagnie destituée, et apportait en même
            temps des vivres pour l'habitation. Ainsi assuré d'un prompt
            secours, Boullé prit quelques provisions, et se remit en
            route pour Québec. Malheureusement, il tomba entre les mains
            des Anglais avant d'avoir passé Tadoussac.

            Les Kertk étaient revenus cette année avec six vaisseaux
            et deux pinasses, décidés à faire un dernier effort
            pour achever leur conquête. A force de questionner les
            prisonniers, ils ne tardèrent pas à connaître au juste le
            triste état où était réduit Québec.

            Pendant ce temps-là, Champlain était dans une mortelle
            inquiétude. Les vivres manquaient, la saison était déjà bien
            avancée, et l'on commençait à désespérer de voir arriver
            des vaisseaux. Les sauvages, depuis l'arrestation de
lxv         Mahigan-Atic-Ouche, soupçonné d'avoir commis le meurtre
            des deux français, se tenaient sur la réserve, et, à
            l'exception du fidèle Chomina, on ne pouvait guère
            compter sur eux en ce moment.

            Pont-Gravé, à cause de son âge et de ses infirmités, causait
            à Champlain beaucoup plus d'embarras, qu'il ne pouvait lui
            être de service. Comprenant lui-même la délicatesse de sa
            position, il avait pris la résolution de descendre comme il
            pourrait à Gaspé, pour y chercher un vaisseau et se faire
            repasser en France. Le voyage préparé, il demanda à l'auteur
            s'il aurait agréable qu'il fît lire la commission que lui
            avait donnée M. de Caen, afin que celui-ci ne pût lui
            contester ses gages. Champlain ne voulut pas lui refuser
            cette satisfaction; mais il crut devoir lui observer, que M.
            de Caen «s'attribuait des honneurs et commandements qui
            ne lui appartenaient pas, anticipant sur les charges de
            vice-roi; que, pour le commerce des pelleteries, les
            articles de Sa Majesté lui donnaient tout pouvoir;»
            mais que, pour le reste, les commissions royales ne lui
            permettaient pas de s'en mêler.

            «Le lendemain, qui était un dimanche, au sortir de la
            sainte messe, Champlain, devant tout le peuple assemblé, fit
            lire les commissions,» celle que Pont-Gravé tenait du sieur
            de Caen, et celle qu'il tenait lui-même du vice-roi, en
            expliquant à tous la différence qu'il fallait mettre «entre
            le pouvoir que pouvait donner le dit sieur de Caen, et celui
            qui lui était conféré à lui-même par les lettres royales.
            Je vous fais commandement, dit-il à ceux qui composaient
lxvi        l'assemblée, de par le Roi et Mgr le Vice-Roi, que vous ayez
            à faire tout ce que vous commandera le sieur du Pont, pour
            ce qui touche le trafic et commerce des marchandises,
            suivant les articles de Sa Majesté que je vous ai fait lire;
            et, du reste, de m'obéir en tout et partout en ce que je
            commanderai, et où il y aura de l'intérêt du Roi et de mon
            dit Seigneur.»--«Je vois bien, dit Pont-Gravé, que vous
            protestez ma commission de nullité.»--«Oui, en ce qui heurte
            l'autorité du Roi et de Mgr le Vice-Roi, pour ce qui est de
            votre traite et commerce, suivant les articles de Sa
            Majesté, à quoi il se faut tenir.»

            «Cela se passa ainsi,» dit Champlain.

            Un jour que la plupart des habitants de Québec étaient
            occupés les uns à la pêche et les autres à chercher des
            racines, on vit paraître des vaisseaux derrière la pointe
            Lévis. Sur le flot, une chaloupe s'avança avec un pavillon
            blanc. Champlain fit mettre au fort un drapeau de même
            couleur. La chaloupe aborde, et un gentilhomme anglais s'en
            vient courtoisement lui présenter une lettre des deux frères
            Louis et Thomas Kertk, qui le sommaient de rendre la place,
            lui offrant une composition honorable.

            Champlain répondit, que l'état d'abandon où il se trouvait
            ne lui permettait pas de faire la même résistance que
            l'année précédente; que cependant les vaisseaux fissent
            attention de n'approcher à la portée du canon que lorsque la
            capitulation serait entièrement réglée.

            Sur le soir, le capitaine Louis Kertk renvoya la chaloupe
lxvii       pour avoir les articles de la composition, qui portait, en
            résumé: qu'on donnerait aux Français un vaisseau pour
            repasser en France; que les officiers au service de la
            compagnie pourraient emporter leurs armes, leurs habits et
            leurs pelleteries; aux soldats l'on accordait leurs habits
            avec une robe de castor, et aux religieux leurs robes et
            leurs livres. Ces conditions, signées de Louis et de Thomas
            Kertk, furent acceptées le dix-neuf juillet par Champlain et
            Pont-Gravé, et approuvées ensuite à Tadoussac par l'amiral
            David Kertk [26].

[Note 26: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]

            Le capitaine Louis cependant avait mis une restriction, au
            sujet des petites sauvagesses que Champlain désirait
            emmener; le lendemain, les trois vaisseaux anglais étant
            entrés dans la rade, Champlain se rendit auprès de lui,
            anxieux de savoir pourquoi on ne voulait pas lui permettre
            de garder ces deux petites filles, qu'il instruisait avec
            soin depuis deux ans, et qui lui étaient fort attachées.
            Louis Kertk finit par lui accorder sa demande; ce que le
            général David cependant ne voulut jamais ratifier, quelque
            supplication que lui en fît l'auteur.

            Avant de livrer la place, Champlain demanda quelques soldats
            pour empêcher qu'on ne ravageât rien en la chapelle, chez
            les Pères Récollets, les Pères Jésuites, la veuve Hébert, et
            en quelques autres lieux; ce qui fut libéralement accordé.
            Le capitaine Louis descendit à terre avec cent cinquante
            hommes, et prit possession de l'habitation et du fort.
            «Voulant déloger de mon logis, dit Champlain, jamais il ne
lxviii      le voulut permettre, que je ne m'en allasse tout à fait hors
            de Québec, me rendant toutes les sortes de courtoisies qu'il
            pouvait s'imaginer.» Il lui permit encore de continuer à
            faire célébrer la sainte messe, et lui donna «un certificat
            de tout ce qui était tant au fort qu'à l'habitation.»

            Le dimanche, 22 juillet, le capitaine Louis «fit planter
            l'enseigne anglaise sur un des bastions, battre la caisse,
            et assembler ses soldats, qu'il mit en ordre sur les
            remparts, faisant tirer le canon des vaisseaux; après, il
            fit jouer toute l'escopetterie de ses soldats, le tout en
            signe de réjouissance.»

            «Depuis que les Anglais eurent pris possession de Québec,
            dit Champlain, les jours me semblaient des mois.» Louis
            Kertk lui permit de descendre à Tadoussac, en attendant le
            départ des vaisseaux. Il laissa au capitaine anglais une
            partie de son ameublement, et s'embarqua sur le vaisseau de
            Thomas Kertk.

            Au moment où Champlain allait partir, Guillaume Couillard,
            gendre de la veuve Hébert, et quelques autres qui avaient
            leur famille, voyant que les Anglais les traitaient bien et
            voulaient les engager à rester à Québec, vinrent le trouver
            pour lui demander son avis. Il leur représenta qu'ils
            devaient avant tout considérer l'intérêt et le salut de
            leurs âmes; que, pour cette année, cependant, s'il était à
            leur place, il ferait la cueillette des grains, et, après en
            avoir tiré le meilleur parti possible, il s'en reviendrait
            en France, si toutefois le Canada n'était rendu à ses
            premiers maîtres. «Ils me remercièrent, dit-il, du conseil
lxix        que je leur donnai; qu'ils le suivraient, espérant néanmoins
            nous revoir la prochaine année avec l'aide de Dieu.» [27]

[Note 27: Les familles qui restèrent à Québec étaient au nombre de cinq
(voir Édit. 1632, deuxième partie, p. 249, note 2). Ce sont ces familles
que l'auteur appelle quelquefois _habitants_, par opposition au
personnel de la traite, qui formait une population flottante et mobile.
Toutes les personnes qui n'étaient ici que pour le service de la
compagnie, retournèrent en France; les habitants demeurèrent.]

            Champlain quitta Québec le 24 juillet, avec Thomas Kertk. Le
            lendemain, comme on était par le travers de la Malbaie,
            on aperçut, du côté du nord, un vaisseau qui mettait
            sous voile, et tâchait de gagner le vent, pour éviter la
            rencontre. Il se trouva que c'était Émeric de Caen. Le
            capitaine anglais commanda d'approcher, pour le saluer de
            quelques canonnades, «qui lui furent aussitôt répondues par
            autres coups de meilleure amonition.» Comme il voulait en
            venir à l'abordage, il fit descendre Champlain et les autres
            français sous le tillac, et clouer les panneaux sur eux. Le
            vaisseau anglais aborda de bout, et cramponna une patte
            de son ancre à celui d'Émeric de Caen; de manière que les
            assaillants ne pouvaient entrer que par le beaupré, un à un,
            et ceux qui risquaient le passage étaient sûrs de se faire
            massacrer les uns après les autres. En attendant, l'équipage
            de Kertk se faisait foudroyer. Une partie de ses hommes se
            jetèrent au fond du vaisseau, et il se vit obligé de les
            faire remonter à coups de plat d'épée. Enfin Émeric de
            Caen, craignant peut-être de ne pouvoir conserver longtemps
            l'avantage de sa position, voyant d'ailleurs approcher les
            deux pataches anglaises, cria: Quartier! quartier! Thomas
            Kertk ne se fit pas prier; le combat cessa de part et
            d'autre.

lxx         Émeric de Caen, apprenant que Champlain était à bord du
            vaisseau anglais, demanda à lui parler. On fait ouvrir les
            panneaux, et Kertk, d'un ton un peu embarrassé, dit à
            l'auteur: «Assurez-vous que si l'on tire du vaisseau, vous
            mourrez. Dites-leur qu'ils se rendent; je leur ferai pareil
            traitement qu'à votre personne; autrement, ils ne peuvent
            éviter leur ruine, si les deux pataches arrivent plus tôt
            que la composition ne soit faite.»--«Il vous est facile,
            répondit Champlain, de me faire mourir en l'état que je
            suis. Vous n'y auriez pas d'honneur, en dérogeant à votre
            promesse et à celle de votre frère. Je ne puis commander à
            ces personnes-là, et ne peux empêcher qu'ils ne fassent leur
            devoir.» Il consentit néanmoins à les engager à accepter une
            composition équitable; ce qui se fit fort à propos, car, un
            moment après, les deux pataches arrivaient sur eux. Kertk
            leur fit défense de rien faire au vaisseau français.

            «L'exécution faite, dit l'auteur, nous nous en allâmes à
            la rade de Tadoussac, trouver le général Kertk.» Celui-ci,
            content de cette prise, fit à Champlain un fort bon accueil.

            Pendant son séjour à Tadoussac, Champlain eut occasion de
            faire de sévères remontrances aux perfides truchements
            Étienne Brûlé, Nicolas Marsollet et quelques autres, en
            particulier au traître Jacques Michel, qui s'était vendu aux
            Anglais, et s'était chargé de les piloter dans le fleuve.

            L'amiral David blâma fortement son frère Louis, d'avoir
            donné si facilement le certificat que lui avait demandé
            Champlain, et qui contenait l'inventaire de tout ce qui
lxxi        avait été trouvé à l'habitation de Québec, prétendant qu'il
            ne l'avait autorisé qu'à accepter les articles de la
            capitulation.

            La flotte anglaise quitta la rade de Tadoussac au mois de
            septembre, et repassa en France avec Champlain et tous
            ceux qui ne voulurent point rester à Québec, c'est-à-dire,
            Pont-Gravé et les employés de la traite, les religieux
            récollets et jésuites, et ceux qui, n'ayant point leur
            famille, n'avaient aucune raison de sympathiser avec de
            nouveaux maîtres.

            Le 27 octobre, Kertk était à Douvre, d'où Champlain écrivit
            à M. de Lauson pour le prévenir qu'il allait se rendre à
            Londres auprès de l'ambassadeur français, et qu'il prît des
            mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts de la
            société et du roi.

            En arrivant à Plymouth, l'amiral Kertk fut bien fâché
            d'apprendre que la paix avait été conclue entre la France et
            l'Angleterre avant la prise de Québec.

            Champlain demeura près de cinq semaines à Londres, auprès
            de l'ambassadeur. «Je donnai, dit-il, des mémoires, et
            le procès-verbal de ce qui s'était passé en ce voyage,
            l'original de la capitulation et une carte du pays pour
            faire voir aux Anglais les découvertures et possession
            qu'avions prise du dit pays de la Nouvelle-France premier
            que les Anglais.» Trouvant enfin que les négociations
            traînaient en longueur, il obtint de l'ambassadeur de
            pouvoir se rendre en France. M. de Châteauneuf le laissa
            partir avec l'assurance que le roi d'Angleterre consentirait
            à rendre le fort et l'habitation de Québec.

lxxii       Ce ne fut qu'au printemps de 1632, le 29 mars, que les
            difficultés furent définitivement réglées par le traité
            de Saint-Germain-en-Laye. Le temps que Champlain passa en
            France, fut employé à publier une nouvelle édition de tous
            ses Voyages, ou plutôt une histoire complète de tout ce
            qui s'était passé en Canada depuis la fondation de cette
            colonie.

            Comme la prise de Québec par les Anglais avait causé à M. de
            Caen de graves dommages, il semblait juste de lui fournir
            l'occasion de réparer ses pertes. En conséquence, le roi lui
            accorda la jouissance des revenus du pays pendant une année,
            après laquelle Champlain devait reprendre son ancienne
            charge. Émeric de Caen fut donc envoyé à Québec, comme
            commandant non-seulement de la flotte, mais encore de
            toute la colonie. Sous ses ordres fut placé le sieur
            du Plessis-Bochart, dont la présence était propre à
            contre-balancer les tendances calvinistes du chef[28].

[Note 28: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]

            Au moment où elle allait prendre la direction de la colonie,
            la compagnie des Cent-Associés crut devoir user de beaucoup
            de prudence dans le choix de celui qu'on enverrait pour la
            gouverner. Personne ne parut plus propre que Champlain à
            remplir cette charge importante. Il fut donc présenté
            par les associés au cardinal de Richelieu, qui, par une
            commission en date du premier mars 1633, le nomma son
            lieutenant «en toute l'étendue du fleuve Saint-Laurent et
            autres.»

            Champlain partit de Dieppe le 23 mars 1633, avec trois
lxxiii      vaisseaux bien équipés, le _Saint-Pierre_, le _Saint-Jean_
            et le _Don-de-Dieu_. La petite flotte portait près de deux
            cents personnes, tant mariniers que colons, les Pères
            Ennemond Massé et Jean de Brebeuf, une femme et deux petites
            filles. Au moment d'entrer dans le golfe, une violente
            tempête de nord-ouest l'obligea de relâcher à Sainte-Anne du
            Cap-Breton; peu après, une seconde bourrasque la contraignit
            d'aller chercher un refuge à l'île de Saint-Bonaventure.
            Enfin, au bout de deux mois jour pour jour, le vaisseau qui
            portait Champlain mouilla devant Québec, le 23 mai[29].

[Note 29: Mercure français, t. xix. La Relation de 1633 fait arriver
Champlain le 22.]

            La joie des habitants du pays fut grande quand ils virent
            arriver le fondateur de la colonie. «Ce jour, dit le P. le
            Jeune, nous a été l'un des bons jours de l'année.» Tous
            connaissaient sa sagesse, son expérience et son admirable
            dévouement. On voyait renaître toutes les espérances du
            passé. Aussi l'on peut dire que dès lors la Nouvelle-France,
            si cruellement éprouvée, prit comme une nouvelle naissance,
            et se trouva bientôt assez forte pour vivre de sa propre
            vie, au milieu de ces grandes forêts du Nouveau-Monde.

            Aussitôt que le _Saint-Jean_ eut mouillé l'ancre dans la
            rade, Champlain fit sommer le sieur Émeric de Caen de
            remettre le fort et l'habitation entre les mains de M. du
            Plessis-Bochard, en vertu du commandement qui lui était fait
            de la part du cardinal de Richelieu.

            L'après-midi, le sieur de Caen quitta le fort avec ses
            hommes, et M. du Plessis-Bochard y entra avec les siens. Le
lxxiv       jour suivant, 24 de mai, les clefs furent remises entre les
            mains de Champlain. M. du Plessis prit alors la charge
            d'amiral de la flotte.

            Champlain, en possession de son nouveau gouvernement,
            s'occupa d'abord des affaires de la traite, qui pressaient
            davantage. Il venait d'arriver des Trois-Rivières dix-huit
            canots algonquins, et l'on savait que les Anglais avaient
            trois vaisseaux à Tadoussac, d'où ils étaient même monté
            jusqu'au Pilier.

            Champlain, se doutant que les sauvages pourraient aller
            les trouver jusque là, tint conseil avec eux, et leur fit
            entendre, par la bouche de l'interprète Olivier le Tardif,
            qu'ils prissent bien garde à ce qu'ils avaient à faire:
            ces Anglais étaient des usurpateurs, qui ne faisaient que
            passer; tandis que les Français demeuraient au pays d'une
            manière permanente, et qu'il était de l'intérêt de tous que
            leur ancienne amitié continuât toujours.

            Le chef algonquin répondit par une harangue aussi fine et
            délicate, que pleine d'une mâle éloquence. «Tu ne veux pas,
            dit-il en finissant, que nous allions à l'Anglais: je vais
            dire à mes gens qu'on n'y aille point; si quelqu'un y va,
            il n'a pas d'esprit. Tu peux tout: mets des chaloupes aux
            avenues, et prends les castors de ceux qui iront.»

            Afin d'ôter aux sauvages d'en haut la pensée de descendre
            au-devant des Anglais, Champlain établit un nouveau poste,
            sur l'îlet de Richelieu, qui commande l'un des passages où
            le chenal du fleuve est le plus étroit; ce lieu avait en
            outre l'avantage d'être assez rapproché de Québec pour que
            l'on pût, au besoin, faire monter dans quelques heures les
            marchandises et les objets nécessaires à la traite.

lxxv        Non content de veiller aux intérêts de la compagnie,
            Champlain, dès son arrivée, déploya toute l'ardeur de son
            zèle pour l'honneur du culte et le progrès des missions. Il
            se donna une peine infinie pour décider les Hurons à emmener
            avec eux quelqu'un des Pères qui avaient déjà commencé à
            instruire leur nation.

            A peine la traite finie, il voulut accomplir un voeu qu'il
            avait fait depuis la prise de Québec par les Anglais. Il
            érigea, tout près de l'esplanade du fort, à l'endroit où est
            aujourd'hui le maître autel de Notre-Dame de Québec,
            une nouvelle chapelle, qui fut appelée _Notre-Dame de
            Recouvrance_, tant en mémoire du _recouvrement_ du pays, que
            parce qu'on y plaça un tableau _recouvré_ d'un naufrage.

            Se voyant secondé de plus en plus efficacement par les
            bonnes dispositions de la compagnie, il entreprit une autre
            fondation, où l'on se promettait que les missionnaires
            pourraient faire un grand fruit; il envoya le sieur La
            Violette aux Trois-Rivières, pour y établir une habitation
            et un fort; ce qui fut commencé le 4 juillet 1634. Le P. le
            Jeune et le P. Buteux allèrent y résider aussitôt que le
            logement fut prêt à les recevoir.

            Enfin, après avoir donné à sa chère colonie, de nombreux
            témoignages d'un dévouement sans bornes et d'une piété aussi
            ardente qu'éclairée, «Champlain, comme dit si bien le P. le
            Jeune, prit une nouvelle naissance au Ciel le jour même de
            la naissance de notre Sauveur en terre;» il mourut le jour
            de Noël, 25 décembre 1635, aimé et respecté de tous ceux qui
            l'avaient connu.

lxxvi       «Nous pouvons dire, continue le même Père, que sa mort a été
            remplie de bénédictions. Je crois que Dieu lui a fait cette
            faveur en considération des biens qu'il a procurés à la
            Nouvelle-France. Il avait vécu dans une grande justice et
            équité, dans une fidélité parfaite envers son roi et envers
            Messieurs de la Compagnie; mais, à la mort, il perfectionna
            ses vertus, avec des sentiments de piété si grands, qu'il
            nous étonna tous. Quel amour n'avait-il point pour
            les familles d'ici! disant qu'il les fallait secourir
            puissamment, et les soulager en tout ce qu'on pourrait en
            ces nouveaux commencements, et qu'il le ferait si Dieu lui
            donnait la santé. Il ne fut pas surpris dans les comptes
            qu'il devait rendre à Dieu: il avait préparé de longue-main
            une confession générale, qu'il fit avec une grande douleur
            au P. Lalemant, qu'il honorait de son amitié. Le Père le
            secourut en toute sa maladie, qui fut de deux mois et demi,
            ne l'abandonnant point jusques à la mort. On lui fit un
            convoi fort honorable, tant de la part du peuple, que des
            soldats, des capitaines et des gens d'église. Le P. Lalemant
            y officia, et l'on me chargea de l'oraison funèbre, où je ne
            manquai point de sujet. Ceux qu'il a laissés après lui ont
            occasion de se louer; que s'il est mort hors de France, son
            nom n'en sera pas moins glorieux à la postérité.»



                               PRÉFACE
                       DE LA PREMIÈRE ÉDITION
                         du Voyage aux Indes

i/1         Il y a à peine quinze ans, on ignorait, en Canada,
            l'existence du manuscrit dont nous donnons aujourd'hui la
            première édition française. Dans une lettre, en date du
            15 décembre, 1855, M. de Puibusque racontait à feu le
            Commandeur Viger, comment il avait découvert, à Dieppe, cet
            écrit de Champlain, dont il n'avait jamais entendu parler
            auparavant.

            «Ce manuscrit, ajoute-t-il, est la propriété de M. Féret,
            le plus honnête républicain de France, ex-maire de 1848,
            antiquaire et poète, qui occupait, il y a un an à peine,
            la place de bibliothécaire de la ville, Quoique d'un abord
            assez froid et très-réservé avec les étrangers, comme le
            sont en général les Normands, M. Féret s'est montré d'une
            obligeance, extrême; il m'a confié son manuscrit, en
            m'autorisant à le copier, et à faire de ma copie tel usage
            que je voudrais. Informé par lui-même qu'un français et
            un américain avaient déjà joui d'un privilège semblable,
            j'aurais pu, sans indiscrétion, en user aussi; il m'a paru
ii/2        de meilleur goût de m'imposer la restriction qu'on ne
            m'imposait pas; je me suis borné à résumer la relation
            inédite, ne citant çà et là le texte de divers passages, que
            pour caractériser plus fidèlement la pensée et le style de
            Champlain.»

            C'est ce résumé qui fut envoyé alors au Commandeur Viger.
            M. l'abbé Verreau, devenu propriétaire de ce travail, l'a
            libéralement laissé à notre disposition tout le temps que
            nous avons voulu.

            Plein de sympathie pour tout ce qui était canadien, M.
            de Puibusque avait eu un instant l'espérance de faire
            l'acquisition du manuscrit de Dieppe, pour procurer à la
            ville de Québec un souvenir et comme une relique de son
            fondateur. «J'ai senti, dit-il en cette même lettre, qu'il y
            avait là une conquête inappréciable à faire pour le Canada,
            et j'ai osé l'entreprendre. D'abord, M. Féret semblait assez
            disposé à céder son manuscrit, qui n'a réellement aucun
            intérêt pour sa ville natale; je î'ai prié d'en fixer le
            prix, en m'engageant à le payer immédiatement de mes propres
            deniers, ou, s'il le préférait, à le mettre directement en
            rapport avec M. Faribault. Je promis en outre que, si mon
            offre était agréée, je ferais cession gratuite de mon
            acquisition à la ville de Québec. A mon grand étonnement, M.
            Féret, qui s'était avancé, recula; ses réponses évasives
            me firent soupçonner un obstacle caché; je ne me trompais
            pas...»

iii/3       L'analyse de M. de Puibusque était sans doute précieuse par
            elle-même; mais nous avons trop bien connu M. Viger pour
            croire qu'il approuvât complètement le motif de délicatesse
            qui ne lui valut qu'un résumé. Sous ce rapport, nous nous
            sentons l'âme un peu faite comme celle du Commandeur; nous
            aimons singulièrement les oeuvres complètes et les
            reproductions intégrales. Il nous en eût coûté beaucoup de
            ne publier qu'un compte-rendu, si bien fait qu'il puisse
            être, du premier voyage de Champlain, le seul peut-être qui
            ait échappé à la main d'un retoucheur.

            La providence se chargea d'arranger les choses.

            Une indisposition assez grave vint mettre notre ami M.
            l'abbé R. Casgrain dans une espèce de nécessité d'aller
            demander à l'Europe une distraction et un soulagement à
            sa santé délabrée. Il fut accueilli à Dieppe avec la même
            bienveillance que M. de Puibusque. M. Faret lui permit
            volontiers de copier non-seulement le texte, mais les
            soixante et quelques dessins dont il est illustré. Ici,
            nous ne savons auquel des deux nous devons plus de
            reconnaissance, ou à M. l'abbé Casgrain, qui n'a pas craint
            de s'exposer à aggraver ses souffrances, en s'astreignant à
            copier de sa main et à collationner avec un soin infini le
            précieux document, ou à M. Féret, qui a donné à notre ami et
            compatriote une pareille marque de confiance et un si beau
            témoignage de sa libéralité.

            Voici la description que M. de Puibusque fait du manuscrit:
iv/4        «Son format est in-quarto; il a 115 pages et 62 dessins
            faisant corps avec le texte, coloriés et encadrés de lignes
            bleues et jaunes. La couverture est en parchemin
            très-fatigué; le plat inférieur est déchiré, les derniers
            feuillets sont racornis, et la main d'un enfant y a tracé de
            gros caractères sans suite. L'écriture nette et bien rangée
            ressemble à celle des lettres conservées aux archives des
            Affaires Étrangères; cependant, ces dernières sont moins
            soignées, et il est aisé de remarquer la différence
            naturellement produite par l'âge après un intervalle de
            trente-cinq ans. Le manuscrit en effet est de 1601 à 1603.
            M. Féret en a fait l'acquisition, il y a longtemps et par
            hasard, d'une personne qu'il suppose descendant collatéral
            du Commandeur de Chaste.»

            L'original de cette lettre dont nous venons de donner
            quelques extraits, appartient aussi à M. l'abbé H. Verreau.

            L'excellente traduction que M. Alice Wilmere a faite du
            _Voyage aux Indes_, pour la Société Hakluyt, nous a été d'un
            grand secours, et nous avons abondamment puisé dans les
            curieuses et savantes notes de l'éditeur M. Norton Shaw.
            Le Canada doit savoir gré à cette société, d'avoir si bien
            apprécié le mérite de Champlain.

1/5

[Illustration]

                              BRIEF DISCOURS
                      DES CHOSES PLUS REMARQUABLES
                    QUE SAMMUEL CHAMPLAIN DE BROUAGE
                  A reconneues aux Indes Occidentalles

       _Au voiage qu'il en a faict en icelles en l'année mil vc
         iiij.xx xix. & en l'année mil vjc.j. [30] comme ensuit._


[Note 30: En l'année 1599 et en l'année 1601. Dans le manuscrit
original, ces deux dates, écrites d'une manière assez peu usitée, sont
presque illisibles. La traduction anglaise de la société Hakluyt porte:
_in the years one thousand five hundred and ninety-nine to one thousand
Six hundred and two_. Mais quiconque examinera le manuscrit avec
attention, se convaincra qu'il faut lire: 1599 et 1601, comme nous le
figurons ici dans le titre. Du reste, ce sont les seuls chiffres qui
s'accordent avec le texte.]


====================================================================


            Ayant esté employé en l'armée du Roy qui estoit en Bretaigne
            soubz messieurs le Mareschal d'Aumont[31], de St Luc [32], &
            Mareschal de Brissac[33], en qualité de Mareschal des logis
            de la dicte armée durant quelques années, & jusques à ce que
            Sa Majesté eust en l'année 1598, reduict en son obeissance
            ledict païs de Brestaigne, & licencié son armée, me voyant
            par ce moyen sans aucune charge ny employ, je me resolus,
            pour ne demeurer oysif, de trouver moyen de faire ung voiage
2/6         en Espaigne, y estant pratiquer & acquérir des cognoissances
            pour par leur faveur & entremise faire en sorte de pouvoir
            m'enbarquer dans quelqu'un des navires de la flotte que le
            Roy d'Espaigne envoye tous les ans aux Indes Occidentalles,
            affin d'y pouvoir m'y enbarquer[34] des particuliarités qui
            n'ont peu estre recongneues par aucuns Françoys, à cause
            qu'ils n'y ont nul accès libre, pour à mon retour en faire
            rapport au vray à Sa Majesté. Pour donc parvenir à mon
            desseing, je m'en allay à Blavet[35], où lors il y avoit
            garnison d'Espaignolz, auquel lieu je trouvay ung mien oncle
            nommé le Cappitainne Provençal, tenu pour ung des bons
            mariniers de France, & qui en ceste qualité avoit esté
            entretenu par le Roy d'Espaigne comme pillotte général en
            leurs armées de mer. Mon dict oncle ayant receu commandement
            de monsieur le Mareschal de Brissac de conduire les navires
            dans lesquels l'on feist embarquer les Espaignols de la
            garnison dudict Blavet, pour les repasser en Espaigne, ainsi
            qu'il leur avoit esté promis, je m'enbarquay avec luy dans
            ung grand navire du port de cinq cents thonneaux, nommé le
            St Julian, qui avoit esté pris & arresté pour ledict voiage,
            où estant partis dudict Blavet au commencement du moys
            d'aoust, nous arrivasmes dix jours après proche du cap
            Finneterre[36], que nous ne peusmes reconnoistre à cause
3/7         d'une grande brume qui s'éleva de la mer, au moyeu de
            laquelle tous nos vaisseaux se separerent, & mesme nostre
            admirande de La flotte se pensa perdre, ayant touché à une
            roche, & pris force eau, dans lequel navire & à toute la
            flotte commandoit le général Soubriago[37], qui avoit esté
            envoié par le Roy d'Espaigne à Blavet pour cest effect: le
            lendemain le temps s'estant esclarcy, tous nos mariniers se
            rejoignirent ensemble, & feusmes aux isles de Bayonne en
            Gallice, pour faire radouber ledict navire admiral qui
            s'estoit fort offensé.

[Note 31: Jean d'Aumont, né en 1522, et crée maréchal en 1579 par Henri
III; il périt d'un coup de mousqueton, le 19 août 1595.]

[Note 32: François d'Espinay de Saint-Luc, beau-frère du maréchal
d'Aumont. Il fut nommé, en 1596, grand-maître de l'artillerie, et fut
tué d'un boulet de canon le 8 septembre 1597.]

[Note 33: Charles de Cossé-Brissac, second du nom, maréchal de France,
auquel Louis XIII donna le titre de duc en 1612.]

[Note 34: Enquérir.]

[Note 35: Blavet, dernier poste occupé par les Espagnols en Bretagne,
fut rendu à la France par le traité de Vervins, en juin 1598. Cette
forteresse (aujourd'hui Port-Louis) était située à l'embouchure de la
rivière de Blavet. Ruinée pendant les guerres de la Ligue, elle fut
rebâtie avec les anciens matériaux, et fortifiée de nouveau par Louis
XIII, Qui lui donna son nom.]

[Note 36: Voir Planche I.]

[Note 37: Nom évidemment défiguré. (Note de M. de Puibusque.)]

            Ayant sejouré six jours auxdictes isles, feismes voille, &
            allasmes reconnoistre le cap de Sainct Vincent troys jours
            après: ledict cap est figuré en la page suivante[38].

            Le dict cap estant doublé nous allasmes au port de
            Callix[39], dans lequel estant entrés, les gens de guerre
            furent mis à terre, après laquelle descente les navires
            françoys qui avoient esté arrestés pour traict furent
            congédiez & renvoyez chacun en son lieu, hors mis ledict
            navire sainct Julian, qui ayant esté reconnu par ledict
            Soubriago général ung fort navire & bon de voille, fust par
            luy arresté pour faire service au Roy d'Espaigne, & par
            ainsy ledict cappitaine Provençal mon oncle demeura
            tousjours en iceluy, & sejournasmes audict lieu de Callis
            un moys entier, durant lequel j'eu le moyen de reconnoistre
            l'isle dudict Callis, dont la figure en suit [40].

[Note 38: Voir Planche II.]

[Note 39: Cadix.]

[Note 40: Voir Planche III.]

4/8         Partant dudict Callix nous fusmes à St Luc de Baramedo[41],
            qui est à l'entrée de la riviere de Siville, où nous
            demeurames troys moys, durant lesquels je feus à Siville,
            en pris le dessin, & de l'autre, que j'ay jugé à propos de
            representer au mieux qu'il m'a esté possible en ceste page &
            en la suivante[42].

[Note 41: San-Lucar de Barameda.]

[Note 42: Voir Planches. IV et V.]

            Pendant les troys moys que nous fusmes de sejour audict St
            Luc de Baramedo il y arriva une patache d'advis, venant de
            Portoricco, pour advertir le Roy d'Espaigne que l'armée
            d'Angleterre estoit en mer avec desseing d'aller prendre
            ledict Portoricco: sur lequel advis ledict Roy d'Espaigne,
            pour le secourir, fist dresser une armée du nombre de
            vingt vaisseaux & de deux mille hommes, tant soldats que
            mariniers, entre lesquels navires celuy nommé le St Julian
            fust reteneu, & fust commandé à mon oncle de faire le voiage
            en iceluy, dont je receus une extresme joye, me promettant
            par ce moien de satisfaire à mon desir, & pour ce je me
            resolus fort aisement d'aller avec luy, mais quelque
            diligence que l'on peut faire à radouber, avitaller &
            esquipper lesdicts vaisseaux, avant que pouvoir estre mis à
            la mer, & sur le point que nous debvions partir pour aller
            audict Portoricco, il arriva des nouvelles par une patache
            d'advis qu'il avoit esté pris des Anglois, au moien de quoy
            ledict voiage fust rompu à mon grand regret pour me voir
            frustré de mon esperance.

5/9         Or en mesme temps l'armée du Roy d'Espaigne, qui a
            accoustumé d'aller tous les ans aux Indes, s'appareilloit
            audict St Luc, il vint de la part dudict Roy ung seigneur
            nommé Domp Francisque Colombe, Chevalier de Malte, pour
            estre général de ladicte armée, lequel voiant nostre
            vaisseau appareillé & prest à servir, & sachant par le
            rapport qu'on luy avoit faict, qu'il estoit fort bon de
            voille pour son port, il resolut de s'en servir, & le
            prendre au fraict ordinaire, qui est ung escu pour Thonniau
            par mois, de sorte que j'eus occasion de me resjouir voiant
            naistre mon esperance, d'autant mesme que le Cappitaine
            Provençal mon oncle ayant esté reteneu par le général
            Soubriago pour servir ailleurs, & ne pouvant faire le
            voiage, me commist la charge dudict vaisseau pour avoir
            esgard à iceluy, que j'acceptay fort volontiers, & sur ce
            nous fusmes trouver ledict sieur général Colombe pour savoir
            s'il auroit agréable que je fisses le voiage, ce qu'il me
            promist librement, avec des tesmoignages d'en estre fort
            aise, m'ayant promis sa faveur & assistance, qu'il ne m'a
            depuis desniés aux occasions.

            La dicte armée fist à la voille au commencement du mois de
            janvier de l'an 1599, & trouvant tousjours le vent fort
            aigre, dans six jours nous reconusmes les illes Canaries.

            Partant desdictes illes Canaries nous allasmes passer par
            le goulphe de Las Damas, aiant vent en pouppe, qui nous
            continua de façon que deux mois six jours après nostre
            partement de St Luc nous eusmes la veue d'une ille nommée La
            Defeade, qui est la première ille qui faut que les pillottes
6/10        recognoissent nesessairement pour aller en toutes les autres
            illes & ports des Indes. Ceste ille est ronde, assez hault
            en mer, & contient en rond sept lieues, plaine de bois &
            inhabitée, mais il y a bonne radde à la bande de l'est.

            De la dicte Ille nous feusmes à une autre ille nommée
            La Gardalouppe, qui est fort montaigneuse, habitée de
            sauvages[43], en laquelle il y a quantité de bons ports, à
            l'un desquels nommé Nacou nous feusmes prendre de l'eau, &
            comme nous mettions pied à terre veismes plus de trois cents
            sauvaiges qui s'en fuirent dedans les montaignes sans qu'il
            fust à nostre puissance d'en attrapper un seul, estant plus
            disposts à la course que tous ceux des nostres qui les
            voulurent suivre. Ce que voiant, nous en retournasmes
            dans nos vaisseaux après avoir pris de l'eau & quelques
            refreschissements, comme chair & fruicts de plaisans goust:
            ceste ile contient environ vingt lieux de long & douze de
            large, dont la forme est telle que la figure suivante[44].

[Note 43: Le premier établissement à la Guadeloupe fut fait par les
Français en 1635, par les sieurs DuPlessis et Olive. (Note de l'éd. Soc.
Hakl.)]

[Note 44: Voir Planche VIII.]

            Apres avoir demeuré deux jours audict port de Nacou, le
            troisiesme jour nous nous remismes à la mer, & passasmes
            entre des iles que l'on nomme Las Virgines, qui sont en
            telle quantité que l'on n'en a peu dire le nombre au
            certain; mais bien qu'il y en a plus de huict cents
            descouvertes, elles sont toutes desertes & inhabitées,
            la terre fort haulte, plaine de bois, mesmes de palmes &
            ramasques qui y sont communes comme les chesnes & ormeaux
7/11        par deçà: il y a grande quantité de bons ports & havres
            entre lesdictes illes qui sont icy aucunement figurées[45].

[Note 45: Voir Planche IX.]

            D'icelles illes nous feusmes à l'isle de La Marguerite[46],
            où se peschent les perles: dans cette ile y a une bonne
            ville que l'on appelle du mesme nom La Marguerite. Elle est
            fort fertille en bleds & fruicts. Il sort tous les jours du
            port de ladicte ville plus de trois cents canaulx qui vont à
            une lieue à la mer pescher lesdictes perles à dix ou douze
            brasses d'eau. Ladicte pesche se faict par les naigres
            esclaves du Roy d'Espaigne, qui prennent ung petit panier
            soubs le bras, & avec iceluy plongent au fond de la mer,
            & l'enplissent d'ostrormes qui semblent d'huistres, puis
            remontent dans ledict port se descharger au lieu à
            ce destiné, où sont les officiers dudict Roy qui les
            reçoivent[47].

[Note 46: Voir Planche XI,]

[Note 47: Voir Planche X.]

            De ladicte ille nous allasmes à Portoricco [48], que nous
            trouvasmes fort desolé, tant la ville que le chatiau ou
            forteresse qui est fort bonne, & le port bien bon & à l'abry
            de tous vents fors de nordest qui donne droict dans ledict
            port. La ville est marchande: elle avoit esté puis peu de
            tems pillée des Anglois, qui avoient laissé des marques de
            leur veneue. La plus part des maisons estoient brûlées, & ne
            s'y trouva pas quatre personnes outre quelques naigres qui
            nous dirent que les marchands dudict [lieu] avoient esté la
            plus part enmenés prisonniers par les Anglois, & les autres
8/12        qui avoient peu s'estoient sauvés dans les montaignes, d'où
            ils n'avoient encor osé sortir pour la prehension qu'ils
            avoient du retour des Anglois, lesquels avoient chargé tous
            les douze navires dont leur armée estoit composée, de
            sucres, cuirs, Gingembre, or & argent, car nous trouvasmes
            encor en ladicte Ville quantité de sucres, gingembre,
            canisiste[49], miel de cannes[50] & conserve de gingembre
            que les Anglois n'avoient peu charger. Ils emportèrent aussy
            cinquante pièces d'artillerie de fonde qu'ils prindrent dans
            la forteresse en laquelle nous fusmes, & trouvasmes toute
            ruinée & les ranparts abbatus. Il y avoit quelques Indiens
            qui s'y estoient retirés, & qui commencoient à relever
            lesdicts ranparts: le général s'informa d'eux comme ceste
            place avoit esté prise en sy peu de temps. L'un d'iceux, qui
            parloit assez bon espaignol, luy dict que le gouverneur
            dudict chasteau de Portoricco ny les plus anciens du païs ne
            pensoient pas que à deux lieux de là y eust aucune descente,
            selon le rapport qui leur en avoit esté fait par les
            pillottes du lieu, qui asseuroient mesmes que à plus de six
            lieux du dict chasteau il n'y avoit aucun endrois où les
            ennemis peussent faire descente, ce qui fust cause que
            ledict gouverneur se tint moins sur ses gardes, en quoy il
            fust fort deceu, car demye lieue dudict chasteau, à la bande
            de l'est, il y a une descente où les Anglois mirent pied à
            terre fort commodément, laissant leurs vaisseaux qui
9/13        estoient du port de deux cents, cent cinquante & cent
            thonneaux en la radde en ce mesme lieu, & prindrent le temps
            sy à propos qu'ils vindrent de nuict à ladicte rade sans
            estre apperceus, à cause que l'on ne se doubtoit de cela.
            Ils mirent six cents hommes à terre avec dessainct de piller
            la ville seulement, n'ayant pas pensé de fere plus grand
            effet, tenant le chasteau plus fort & mieux gardé. Ils
            menèrent avec eux troys coulevreinnes pour batre les
            deffences de la ville, & se trouverent au point du jour à
            une portée de mousquet d'icelle, avec ung grand estonnement
            des habitans. Lesdicts Anglois mirent deux cents hommes à
            ung passage d'une petitte riviere qui est entre la ville &
            le chasteau, pour empescher, comme ils firent, que les
            soldats de la garde dudict château qui logeroient en la
            ville ny les habitans s'en fuiant n'entrassent en iceluy, &
            les autres quatre cents hommes donnèrent dans la ville, où
            ils trouverent aucune resistance[51] de façon que en moins
            de deux heures ils furent maistres de la ville: & ayant sceu
            qu'il n'y avoit aucuns soldats audict chasteau ny aucunne
            munition de vivre à l'occasion que le Gouverneur avoit
            envoyé celles qui y estoient par commandement du Roy
            d'Espaigne à Cartagenes, où l'on pensoit que l'ennemy feroit
            dessente, esperant en avoir d'autres d'Espaigne, estant le
            plus proche port où viennent les vaisseaux, les Anglois
            firent sommer le Gouverneur, & firent offrir bonne
10/14       composition s'il se vouloit rendre, sinon qu'ils luy
            feroient esprouver toutes les rigueurs de la guerre, dont
            ayant crainte ledict Gouverneur, il se rendict la vie sauve,
            & s'enbarqua avec lesdicts Anglois, n'osant retourner en
            Espaigne. Il n'y avoit que quinze jours que lesdicts Anglois
            estoient partis de Ladicte ville où ils avoient demeuré ung
            mois: après le Partement desquels, lesdicts Indiens
            s'estoient raliés, & S'eforçoient de reparer ladicte
            forteresse, attendant l'arrivée Dudict général, lequel fit
            faire une information du récit Desdicts Indiens, qu'il
            envoya au Roy d'Espaigne, & commanda Aux dicts Indiens qui
            portoient la parolle d'aller chercher Ceux qui s'estoient
            fuis aux montagnes, lesquels sur la parolle retournèrent en
            leurs maisons, recevant tel contentement de voir ledict
            général & d'estre delivrés des Anglois, qu'ils oublièrent
            leurs pertes passées. Ladicte ille de Portoricco est assez
            agréable combien qu'elle soit un peu montaigneuse, comme la
            figure suivante le montre[52].

[Note 48: Voir Planche XII.]

[Note 49: _Canijiste_, de _Caneficier_, nom donné, dans les Antilles, au
Cassia (_Cassia fistula_, LINN.) le _Keleti_ des Caraïbes, qui produit
le Cassia nigra du commerce. (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 50: La mélasse.]

[Note 51: La traduction de la Société Hakluyt rend ces mots «aucune
résistance» par _no résistance_, ce qui fait un contre-sens; car _aucune
résistance_, sans la négative ne, équivaut à quelque résistance, ou
certaine résistance. C'est ce qui explique pourquoi l'éditeur trouve
Champlain en contradiction avec d'autres auteurs. (_Narrative of
Champlain's Voyage to the Western Indies_, p. 10, note I.)]

[Note 52: Voir Planche XII.--«La ville de Porto-Rico fut fondée en 1510.
Elle fut attaquée par Drake et Hawkins en 1595, mais les Espagnols,
informés de leur approche, avaient fait de tels préparatifs, que Drake
fut forcé de se retirer, après avoir brûlé les vaisseaux espagnols qui
étaient Dans le havre. En 1598, George Clifford, comte de Cumberland,
fit une expédition, pour s'emparer de l'île. Il débarqua ses hommes
secrètement, et attaqua la ville; quand, suivant les rapports espagnols,
il rencontra de la part des habitants une vigoureuse résistance; le
rapport de Champlain D'après des Témoins oculaires qui en avaient été
les victimes, est bien différent. (Voir la note précédente.) «Mais en
peu de jours, la garnison de quatre cents hommes se rendit, et toute
l'île se soumit aux Anglais. La possession de l'île étant jugée de
grande importance, le comte adopta la Cruelle mesure d'exiler les
habitants à Carthagene, et, en dépit des protestations et remontrances
des malheureux Espagnols, le plan fut mis à exécution; il N'en échappa
que fort peu. Cependant les Anglais se trouvèrent bientôt dans
L'impossibilité de garder l'île; une griève maladie Emporta les trois
quarts des troupes. Cumberland, déçu dans ses espérances, retourna en
Angleterre, laissant le commandement à Sir John Berkeley. La mortalité,
faisant de jour en jour de plus grands ravages, força les Anglais à
évacuer l'île, et les Espagnols, bientôt après, reprirent possession de
leurs demeures.--Le rapport que fait Champlain de l'état De l'île après
le départ des Anglais, et de la couardise du gouverneur, est curieux; il
y a cependant quelque confusion dans ses dates, et relativement à la
durée de l'occupation de l'île par les Anglais.» (Ed. Soc. Hakl.)]

11/15       Ladicte ille est emplye de quantité de beaux arbres, comme
            cèdres, palmes, sappins, palmistes, & une manière d'autres
            arbre que l'on nomme sonbrade.[53], lequel comme il croit,
            le sommet de ses branches tombant à terre prend aussy tost
            racine, & faict d'autres branches qui tombent & prennent
            racine en la mesme sorte, & ay veu tel [de] ces arbres de
            telle estendue qu'il tenoit plus d'une lieue & quart: il
            n'apporte aucun fruict, mais il est fort agréable, ayant la
            feuille semblable à celle du laurier, un peu plus tendre.

[Note 53: De l'espagnol _sombra_, «ombre feuillue.» _Ficus americana
maxima_, le _Clusea rosea_ de Saint-Domingue, ou Figuier maudit marron,
(Ed. Soc. Hakl.)--Voir Planche XIII.]

            Il y a aussy en ladicte Ile quantité de bons fruicts, à
            sçavoir plantes[54], oranges, citrons d'estrange grosseur,
            citroulles de la terre qui sont très bonnes, algarobbes[55],
            pappittes[56], & un fruict nommé coraçon[57], à cause qu'il
            est en forme de coeur, de la grosseur du poing, de couleur
            jaulne & rouge, la peau fort delicatte, & quand on le presse
            il rend une humeur odoriferente, & ce qu'il y a de bon dans
            ledit fruict est comme de la bouillye, & a le goust comme de
            la crème sucrée. Il y a beaucoup d'autres fruicts dont ils
            ne font pas grand cas, encores qu'ils soient bons: il y a
            aussy d'une racine qui s'appelle cassave[58], que les
12/16       Indiens mangent en lieu de pain. Il ne croit ne blee ny vin
            dans toute ceste ile, en laquelle il y a grande quantité de
            caméléons, que l'on dict qu'ils vivent de l'air, ce que je
            ne puis asseurer, combien que j'en aye veu par plusieurs
            fois: il a la taiste assez pointue, le corps assez long pour
            sa grosseur assavoir ung pied & demy, & n'a que deux jambes
            qui sont devant, la queue fort pointue, meslée de couleurs
            grise jaunastre. Le dict cameleon est cy representé [59].

[Note 54: Fruit du Plantanier, appelé aux Canaries _Plantano_,--Voir
Planche XLII.]

[Note 55: _Algaroba_, ou _Algarova_, nom donné par les Espagnols à
certaine espèce d'Acacia du nouveau monde, à cause de sa ressemblance
avec l'algarobe, caroubier ou fève de Saint-Jean, dont la gousse fournit
une Excellente nourriture pour les bestiaux. (Ed. Soc. Hakl.)--Voir
Planche XXXVI.]

[Note 56: Pappitte--_Curica papaya_ (LINN.), papayer. (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 57: Coraçon. _Anona muricata_, ou Corassol, de l'espagnol
_corazon_, coeur, ainsi nommé de la forme du fruit. Quelques écrivains
font dériver ce nom de Curaçoa, supposant que la graine fut apportée par
les Danois. Le nom donné dans le pays était _memin_. (Ed. Soc. Hakl.)
Voir Planche XIV.]

[Note 58: Cassava.--_Jatropha Manihot_. (Ed. Soc. Hakl.)--Voir Planche
XXXIII.]

[Note 59: Voir Planche XV.]

            Les meilleures marchandises qui sont dans ladicte Ile sont
            sucres, gingembre, canisiste, miel de cannes, tabaco,
            quantité de cuirs, boeufs, vaches & moutons: l'air y est
            fort chaud, & y a de petits oyseaux qui resemblent à
            perroquets, que l'on nomme sus le lieu perriquites, de la
            grosseur d'un moineau, la queue ronde, que l'on apprend à
            parler, & y en a grande quantité en ceste ile[60]: laquelle
            ile contient environ soixante dix lieus de long, & de large
            quarante lieus, environnée de bons ports & havres, & gist
            est & ouest. Nous demeurâmes audict Portoricco environ un
            moys: le général y laissa environ troys cents soldats en
            garnison dans la forteresse, où il fist mestre quarante six
            pièces de fonte verte qui estoient à Blavet.

[Note 60: Voir Planche XVI.]

            Au partir dudict Portoricco nostre général separa nos
            galions en troys bandes: il en retint quatre avec luy, en
            envoya troys à Petronella & trois à la Neufve Espaigne,
            du nombre desquels estoit le navire où j'estois, & chacun
            galion avoit sa patache. Ledict général s'en alla à
13/17       Terre-Ferme, & nous costoyames toute l'ille de St Domingue
            de la bande du nord, & fusmes à ung port de ladicte ile
            nommé Porto Platte, pour prendre langue s'il y avoit en la
            coste aucuns vaesseaux estrangers, parce qu'il n'est permis
            à aucuns estrangers d'y traffiquer, & ceux qui y vont
            courent fortune d'estre pendus ou mis aux galleres & leurs
            vaisseaux confisqués: & pour les tenir en plus grande
            crainte d'aborder ladicte terre, le Roy d'Espaigne donne
            liberté aux naigres qui peuvent descouvrir ung vaisseau
            estranger, & en donner advis au général d'armée ou
            gouverneur, & y a tel naigre qui fera cents cinquante lieus
            à pied nuict & jour pour donner semblable advis & acquérir
            sa liberté.

            Nous mismes pied à terre audict Porto Platte, & fusmes
            environ une lieue dans la terre sans trouver aucune personne
            sinon un naigre qui se preparoit pour aller donner advis;
            mais nous rencontrant, il ne passa pas plus outre, & donna
            advis à nostre admirande qu'il y avoit deux vaisseaux
            françois au port de Mancenille, où ledict admirande se
            resolut d'aller, & pour ceste effect nous partismes du dict
            lieu de Porto Platte, qui est un bon port, à l'abry de tous
            vents, où il y a troys, quatre & cinq brasses d'eau, comme
            il est icy figuré [61].

[Note 61: Voir Planche XVII.]

            Du dict port de Platte, nous vinsmes au port de Mancenille,
            qui est icy representé [62], auquel port de Mancenille
            sceusmes que lesdicts deux vaisseaux estoient au port aux
            Mousquittes [63], près la Tortue, qui est une petitte isle
14/18       ainsy nommée qui est devant l'enboucheure dudict port,
            auquel estans arivés le lendemain sur les trois heures du
            soir, nous apperçumes les dicts deux vaisseaux qui mettoient
            à la mer pour fuir de nous, mais trop tard: ce qu'eux
            recognoissans, & Qu'ils n'avoient aucun moien de fuir, tous
            l'esquippage de L'un des vaisseaux qui estoit bien une lieue
            dans la mer, abandonnèrent leur dict vaisseau, & s'estant
            jetté dans leur bateau se sauverent à terre: l'autre navire
            alla donner du bout à terre & se brisa en plusieurs pièces,
            & en mesme temps l'esquippage se sauva à terre comme
            l'autre, & demeura seulement ung marinier qui ne s'estoit
            peu sauver à cause qu'il estoit boiteux & ung peu malade,
            lequel nous dit que les dicts vaisseaux perdeus estoient de
            Dieppe. Il y a fort belle entrée au dict port de Mousquitte
            de plus de deux mille pas de large, & y a ung banc de sable
            à ouvert, de façon qu'il faut ranger la grand terre du costé
            de l'est pour entrer audict port, auquel il y a bon
            ancreage: & y a une isle dedans où l'on se peut mettre à
            l'abry du vent qui frappe droict dans le dict port. Ce lieu
            est assez plaisant pour la quantité des arbres qui y sont:
            la terre est assez haulte; mais il y a telle quantitté de
            petites mouches, comme chesons ou coufins qui piquent de si
            estrange façon, que sy l'on s'endormoit & que l'on en fust
            picqué au visage, il esleveroit au lieu de la piqueure des
            bussolles enflés de couleur rouge, qui rendroient la
            personne difforme.

[Note 62: Voir Planche XVIII.]

[Note 63: Voir Planche XIX.]

            Ayans apprins de ce marinier boiteux pris dans ledict
            navire françois, qu'il y avoit traize grands vaisseaux tant
15/19       françois, anglois que flaments, armés moitye en guerre
            moitye en marchandise, nostre admiral se resolut de les
            aller prendre au port St Nicolas, où ils estoient, & pour ce
            se prépara avec trois galions du port de cinq cents
            thonneaux chacun & quatre pataches, & allasmes le soir
            mouiller l'ancre à une radde que l'on nomme Monte Cristo,
            qui est fort bonne & à l'abry du su, de l'est & de l'ouest,
            & est remarquée d'une montaigne qui est Droit devant ladicte
            radde, sy haulte que l'on la descouvre de quinze lieux à la
            mer: la dicte montaigne fort blanche & reluisante au soleil,
            & deux lieux autour dudict port est terre assez basse,
            couverte de quantité de bois, & y a fort bonne pescherye &
            ung bon port au dessoubs du dict Monte Cristo, qui est
            figuré en la page suivante[64].

[Note 64: Voir Planche XX.]

            Le lendemain matin nous feusmes au cap St Nicolas pour y
            trouver les dicts vaisseaux, & sur les trois heures nous
            arrivasmes dans la baye dudict cap, & mouillasmes l'ancre le
            plus près qu'il nous feust possible, ayant le vent contraire
            pour entrer dedans[65].

[Note 65: Voir Planche XXI.]

            Ayant mouillé l'ancré nous apperceusmes les vaisseaux
            desdicts marchands dont nostre admirante se pesiouit fort,
            s'asseurant de les prendre. Toutte la nuict nous fismes tout
            ce qu'il estoit possible pour essayer d'entrer dans ledict
            port, & le matin veneu l'admirante print conseil des
            cappitaines & pillottes de ce qui estoit à faire: ils luy
            dirent qu'il falloit juger au pire de ce que l'ennemy
            pouroit faire pour se sauver, qu'il estoit impossible de
16/20       fuir sinon à la faveur de la nuict, ayant le vent bon, ce
            qu'ils ne se hazarderoient pas de fere le jour, voiant les
            sept vaisseaux d'armes, & qu'aussy s'ils vouloient faire
            resistance Qu'ils se tiendroient à l'entrée dudict port,
            leurs navires Amarés devant & derrière, tous leurs canons
            d'une bande & leurs hauts bien pavoisés de cables & de
            cuirs, & que s'ils se voioient avoir du pire, ils
            abandonneroient leurs navires & se jetteroient en terre,
            pour à quoy remédier ledict admirante debvoit faire advancer
            ses vaisseaux le plus près du port qu'il pourroit pour les
            batre à coups de canon, & faire désendre cent des meilleurs
            soldats à terre pour empescher les ennemis de s'y sauver.
            Cela fust resolu, mais leurs ennemis ne firent pas ce que
            l'on avoit pensé: ains ils se préparèrent toute la nuict, &
            le matin veneu ils se mirent à la voille, vindrent pour nous
            gaigner le vent droict à nos vaisseaux, contre lesquels il
            leur falloit necessairement passer. Cette resolution fist
            changer de courage aux Espaignols & adoucir leurs
            rodomontades: ce fust donc à nous à lever l'ancre avec telle
            promptitude que dans le navire de l'admirande l'on couppa le
            câble sur les escubbiers, n'ayans loisir de lever leur
            ancre: ainsy nous fismes aussy à la voille, chargeants &
            estants chargés de canonnades. En fin ils nous gaignerent le
            vent, nous ne laissant pas de les suivre tout le jour & la
            nuict ensuivant jeusques au matin que nous les vismes à
            quatre lieux de nous: ce que voiant notre admirante il
            laissa ceste poursuitte pour continuer nostre route; mais il
            est bien certain que s'il eust voulu il les eust pris, ayant
17/21       de meilleurs vaisseaux, plus d'hommes & de munitions de
            guerre: & ne furent les vaisseaux estrangers preservez que
            par la faute de courage des Espaignols.

            Durant ceste chasse, il ariva vue chose digne de rizée qui
            mérite d'estre recitée. C'est que l'on vist une patache de
            quatre ou cinq thonneaux mellée parmy nos vaisseaux: l'on
            demanda plusieurs foys d'où elle estoit, avec commandement
            d'amener leurs voilles; mais l'on n'eust aucune responce,
            combien que l'on luy eust tiré des coups de canon, ains
            allans tousjours au gré du vent, ce qui meut nostre amirande
            de la faire chasser par deux de nos pataches, qui en
            moins de deux heures furent à elle & l'abordèrent, criant
            tousjours que l'on amenast leurs voilles sans avoir aucune
            response, ny sans que leurs soldats voulussent se jeter
            dedans, encores que l'on ne vist personne sur le tillac. En
            fin leur cappitainne de nos pataches, qui disoient que ce
            petit vaisseau estoit gouverné par ung diable, y firent
            entrer par menaces des soldats jusques à vingt, qui n'y
            trouverent rien, & prindrent seulement leurs voilles &
            laisserent le corps de ceste patache à la mercy de la mer.
            Ce rapport faict à l'admirante, & la prehension que les
            soldats avoient eu donna matière de rire à tous.

            Laissant ladicte Ille St Domingue, nous continuasmes nostre
            route à la Neufve Espaigne. Ladicte Isle sera figurée en la
            page suivante[66].

[Note 66: Voir Planche XXII.]

            La dicte isle de St Domingue est grande, ayant cent
            cinquante lieues de long & soixante de large, fort fertille
18/22       en fruicts, bestail & bonnes marchandizes, comme sucre,
            canisiste, gingenbre, miel de cannes, coton, cuir de boeuf &
            quelques foureures. Il y a quantité de bons ports & bonnes
            raddes, & seullement une seulle ville nommée
            l'Espaignolle[67], habitée d'Espaignolz; le reste du peuple
            sont Indiens, gens de bonne nature & qui ayment fort la
            nation françoise, avec laquelle ils trafficquent le plus
            souvent qu'ils peuvent en fere, toutesfois c'est à desçu des
            Espaignolz. C'est le lieu aussy ou les François traffiquent
            le plus en ces quartiers là, & là où ils ont le plus
            d'accès, quoy que peu libre.

[Note 67: Aujourd'hui Saint-Domingue.]

            Ceste terre est assez chaude, en partie montaigneuse; il n'y
            a aucunne mines d'or ny d'argent, mais seullement de cuivre
            [68].

[Note 68: Voir Planche XXIII.]

            Partant donc de ceste isle, nous allasmes costoyer l'isle de
            Cuba, à la bande du su, terre assez haulte. Nous allasmes
            reconnoistre de petites isles qui s'appellent les
            Caymanes[69], au nombre de six ou sept: en trois d'iscelles
            il y a trois bons ports, mais c'est ung dangereux passage,
            pour les basses & bancs qu'il y a, & ne faict bon s'y
            advanturer qui ne sçait bien la routte.

[Note 69: Voir Planche XXV.]

            Nous mouillasmes l'ancre entre les isles, & y fusmes ung
            jour: je mis pied à terre en deux d'icelles, & vis ung très
            beau havre fort agréable. Je cheminay une lieue dans la
            terre au travers des bois qui sont fort espais, & y prins
            des lappins[70] qui y sont en grande quantité, quelques
            oiseaux, & un lézard gros comme la cuisse, de couleurs grise
            & feuille morte.

[Note 70: Voir Planche XXIV.]

19/23       Ceste isle est fort unie, & toutes les autres de mesmes:
            nous feusmes aussy en terre en l'autre qui n'est pas sy
            agréable, mais nous en apportasmes de très bons fruicts, & y
            avoit telle quantité d'oiseaux, qu'à nostre entrée il s'en
            leva tel nombre qu'à plus de deux heures après l'air en
            estoit remply, & d'autres qui ne peuvent voller, de façon
            que nous en prenions assez aisement: ils sont gros comme une
            oye, la teste fort grosse, le bec fort large, bas sur les
            jambes, les pieds sont comme ceux d'une poulle d'eau. Quand
            les oyseaux sont plusmés, il n'y a pas plus gros de chair
            qu'une turtre, & est de fort mauvais goust[71]. Nous
            levasmes l'ancre le mesme jour au soir avec fort bon vent, &
            le lendemain sur les trois heures après midy nous arivasmes
            à ung lieu qui s'appelle La Sonde [72], lieu très dangereux,
            car à plus de cinq lieues de là ce ne sont que basses, fors
            ung canal qui contient... [73] lieues de long & trois de
            large. Quand nous fusmes au milieu du dict canal, nous
            mismes vent devant, & les mariniers jetterent leurs lignes
            hors pour pescher du poisson dont ils pescherent si grande
            quantité que les mariniers ne pouvoient fournir à mettre
            dans le bord des vaisseaux: ce poisson est de la grosseur
            d'une dorée [74], de couleur rouge, fort bon sy on le mange
            frais, car il ne se garde & saumure, & se pourit
            incontinent. Il faut avoir tousjours la sonde en la main en
            passant ce canal, à la sortye duquel l'une de nos pataches
20/24       se périt en la mer sans que nous en peussions sçavoir
            l'occasion: les soldats & mariniers se sauverent à la nage,
            les uns sur des planches, autres sur des advirons, autres
            comme ils pouvoient, & revindrent de plus de deux lieues
            [75] à nostre vaisseau, qu'il trouverent bien à propos, &
            les fimes recepvoir par nos bateaux qui alloient au devant
            d'eux.

[Note 71: Voir Planche XXIV.]

[Note 72: Voir Planche XXVI.]

[Note 73: Lacune dans le ms. D'après la carte de l'auteur, ce canal a
plus de trente lieues de long.]

[Note 74: _Sparus aurata_ (LINN.), Brame de mer. Celui de Bahama
s'appelle «porgy.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 75: M. de Puibusque et le traducteur de la Société Hakluyt ont
trouvé ici une lacune; la feuille du manuscrit original n'était que
repliée.]

            Huict jours après nous arivasmes à St Jean de Luz [76], qui
            est le premier port de la Neufve Espaigne, où les gallions
            du Roy d'Espaigne vont tous les ans pour charger l'or,
            l'argent, pierreries & la cochenille, pour porter en
            Espaigne. Ce dict port de St Jean de Luz est bien à quatre
            cents lieues de Portoricco. En ceste isle il y a une fort
            bonne forteresse, tant pour la situation que pour les bons
            ramparts, bien munie de tout ce qu'il luy est necessaire, &
            y a deux cents soldats en garnison, qui est assez pour le
            lieu. La forteresse comprend toute l'ille, qui est de six
            cents pas de long & de deux cents cinquante pas de large:
21/25       outre laquelle forteresse y a des maisons basties sur
            pilloties dans l'eau, & plus de six lieues à la mer, & ne
            sont que basses qui est cause que les vaisseaux ne peuvent
            entrer en ce port s'ils ne sçavent bien l'entrée du canal,
            pour laquelle entrée faut mettre le cap au surouest, mais
            est bien le plus dangereux port que l'on sçauroit trouver,
            qui n'est à aucun abry que de la forteresse du costé du
            nord, & y a aux muralles de la forteresse plusieurs boucles
            de bronze où l'on amare des vaisseaux qui sont quelque fois
            sy pressez les ungs contre les autres, que quand il vente
            quelque vent de nord, qui est fort dangereux, que les dicts
            vaisseaux se froissent, encor qu'ils soient amarés devant &
            derrière. Le dict port ne contient que deux cents pas de
            large & deux cents cinquante de long. Et ne tiennent ceste
            place que pour la commodité des gallions qui viennent comme
            dit est, d'Espaigne, pour charger les marchandises or &
            argent qui se tirent de la Neufve Espaigne.

[Note 76: Voir Planche XXVIII.--Évidemment, il est question du fort et
château de Saint-Jean d'Ulloa; mais portait-il ce nom quand Champlain y
alla, ou bien Champlain a-t-il confondu Saint-Jean de Luz avec San Juan
d'Ulloa? c'est un point contesté. Dans les cartes de Mercator et de
Hondius, Amsterdam 1628, 10e édition, Saint-Jean d'_Ulloa_ est placé sur
le vingt-sixième degré de latitude nord, à l'embouchure de la rivière De
_Lama_ (Rio del Norte). Villa-Rica est mis à la place actuelle de
Vera-Cruz; mais il n'y est fait aucune mention soit de Saint-Jean
d'Ulloa, Soit de Saint-Jean de Luz; et, dans le Voyage de Gage 1625,
cette ville est appelée San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz. «Le vrai
nom de la ville est San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz, de celui du
Vieux havre de Vera-Cruz, qui en est à six lieues. Mais le havre de
l'ancien Vera-Cruz, ayant été trouvé trop dangereux pour les vaisseaux,
à cause de La violence du vent de nort, fut entièrement abandonné par
les Espagnols, qui se retirèrent à San Juan d'Ulhua, où leurs navires
trouvèrent bon ancrage, grâce à un rocher qui sert de forte défense
contre les vents; et, pour perpétuer la mémoire de cet heureux
événement, qui arriva le Vendredi-Saint, ils ajoutèrent au nom de San
Juan d'Ulhua, celui de la Vraie-Croix, emprunté au premier havre, qui
fut découvert le Vendredi-Saint de l'année 1519.» (Gage, _Voy. Mexico_,
1625.)--Ed. Soc. Hakl.]

            Il y a de l'autre costé du chasteau, à deux mille pas
            d'iceluy en terre ferme, une petite ville nommée
            Bouteron[77], fort marchande. A quatre lieues du dict
            Bouteron il y a encores une autre ville qui s'appelle
            Verracrux[78], qui est en fort belle situation & à deux
            lieues de la mer.

[Note 77: Voir Planche XXV III.]

[Note 78: «Lavelle Croux,» dans la carte. Planche XXVII.]

            Quinze jours après nostre arrivée au dict St Jean de Luz,
            je m'en allay avec congé de nostre dict admiral, à Mechique
            [79], distant dudict lieu de cent lieux tousjours avant en
            terre. Il ne se peult veoir ny desirer ung plus beau païs
22/26       que ce royaulme de la Nove Espaigne, qui contient trois
            cents lieues de long & deux cents de large.

[Note 79: Mexico.]

            Faisant ceste traverse à Meschique, j'admirois les belles
            forests que l'on rencontre, remplie des plus beaux arbres
            que l'on sçauroit souhaitter, comme palmes, cèdres,
            lauriers, oranges, citronneles, palmistes, goujaviers,
            accoyates, bois d'ebene[80], Bresil[81], bois de
            campesche[82], qui sont tous arbres communs en ce pays là,
            avec une infinitté d'autres différentes sortes que je ne
            puis reciter pour la diversité, & qui donnent tel
            contentement à la veue qu'il n'est pas possible de plus,
            avec la quantité que l'on veoit dans les forests d'oiseaux
            de divers plumages. Apres l'on rencontre de grandes
            campaignes unies à perte veue, chargées de infinis
            trouppeaux de bestial, comme chevaux, mulets, boeufs,
            vaches, moutons & chevres, qui ont les pastures tousjours
            fraîches en toutes saisons, n'y ayant hiver, ains un air
23/27       fort tempéré, ny chaud ny froid: il n'y pleut tous les ans
            que deux fois, mais les rozées sont sy grandes la nuict que
            les plantes en sont suffisamment arrozées & nourries. Outre
            cela, tout ce pays là est décoré de fort beaux fleuves &
            rivieres, qui traversent presque tout le royaulme, & dont la
            pluspart portent batteaux. La terre y est fort fertille,
            rapportant le bled deux fois en l'an & en telle quantité que
            l'on sçauroit desirer, & en quelque saison que ce soit il se
            trouve tousjours du fruicts nouveaux très bons dans les
            arbres, car quand un fruict est à maturité, les autres
            viennent & se succedent ainsy les ungs aux autres, & ne sont
            jamais les arbres vuides de fruicts, & tousjours verds. Sy
            le Roy d'Espaigne vouloit permettre que l'on plantast de la
            vigne au dict royaulme, elle y fructiffiroit comme le bled,
            car j'ay veu des raizins provenans d'un cep que quelqu'un
            avoit planté pour plaisir, dont chacun grain estoit aussy
            gros qu'un pruniau, & long comme la moitye du poulce, & de
            beaucoup meilleurs que ceux d'Espaigne. Tous les
            contentements que j'avois eus à la veue des choses sy
            agréables n'estoient que peu de chose au regard de celuy que
            je receus lors que je vie ceste belle ville de Mechique, que
            je ne croiois sy superbement bastye de beaux temples,
            pallais & belles maisons, & les rues fort bien compassées,
            où l'on veroit de belles & grandes boutiques de marchands,
            plaines de toutes sortes de marchandises très riches. Je
            crois, à ce que j'ay peu juger, qu'il y a en ladicte ville
            douze à quinze mil Espaignols habitans, & six fois autant
            d'Indiens, qui sont crestiens aussy habitans, outre grand
            nombre de naigres esclaves. Ceste ville est environnée d'un
24/28       estang presque de tous costés, hors mis en ung endroit qui
            peut contenir viron trois cents pas de long, que l'on
            pourroit bien coupper & fortiffier, n'ayant à craindre que
            de ce costé, car de tous les autres il y a plus d'une lieue
            jusques aux bords dudict estang, dans lequel il tombent
            quatres grandes rivieres qui sont fort avant dans la terre,
            & portent batteaux: l'une s'appelle riviere de Terre-Ferme,
            une autre riviere de Chille, l'autre riviere de Caiou, & la
            quatriesme riviere de Mechique, dans laquelle se pesche
            grande quantité de poissons de mesmes especes que nous avons
            par deçà, & fort bon. Il y a le long de ceste riviere grande
            quantité de beaux jardins & beaucoup de terres labourables
            fort fretille[83].

[Note 80: Voir, plus loin. Planche LVI. Le traducteur de la Société
Hakluyt a rendu par _good Bresil_ ces mots _bois d'ebene Bresil_. Il a
lu sans doute _bois de bon Bresil_.]

[Note 81: Coesalpinia. Il y a deux espèces de bois de Brésil employés
dans la teinture: _Coes. Echinata_ (LAMARCK), et _Coes. Sappan_ (LINN.)
Le premier est le Brésil, ou Brasillette de Pernambouc, grand arbre qui
Croît naturellement dans l'Amérique du Sud, employé dans le commerce
pour la teinture rouge. Le second se retrouve dans l'Inde, où l'on s'en
sert pour le même usage, et il est connu dans le commerce sous le nom de
Brasillette des Indes, ou bois de Sappan. Plusieurs auteurs ont avancé
que le nom de Brésil a été donné à ce bois de teinture parce qu'il vient
du Brésil; malheureusement pour cette théorie, ce mot était employé bien
avant la découverte du pays qui porte le même nom. «Le Brésil, dit
Barros, porta d'abord le nom de Sainte-Croix, à cause de la croix qui y
fut érigée; mais le démon, qui perd, par cet étendard de la croix,
L'empire qu'il a sur nous et qui lui avait été enlevé par les mérites de
Jésus-Christ, détruisit la croix, et fit appeler ce pays Brésil du nom
d'un bois de couleur rouge. Ce nom a passé dans toutes les bouches, et
celui de la sainte croix s'est perdu, comme s'il était plus important
qu'un nom vînt d'un bois de teinture, plutôt que de ce bois qui donne la
vertu à tous les sacrements, instruments de notre salut, parce qu'il fut
teint du sang de Jésus-Christ qui y fut répandu.» Il est donc évident
que le nom de Brésil fut donné au pays par les Portugais, après la
découverte de Cabrai, à cause de la quantité de bois rouge qui y abonde.
(Ed. Soc. Hakl. En substance.)]

[Note 82: Hoematoxyllum Campechianum. (LINN.) Ed. Soc. Hakl.]

[Note 83: Voir Planche XXIX.]

            A deux lieues dudict Mexique il y a des mines d'argent que
            le Roy d'Espaigne a affermés à cinq millions d'or par an, &
            s'est reservé d'y emploier ung grand nombre d'esclaves pour
            tirer à son proffis tous ce qu'ils pouront des mines, &
            outre tire le dixiesme de tout ce que tirent les fermiers,
            par ainsy ces mines font de très bon revenu audict Roy
            d'Espaigne [84].

[Note 84: Voir Planche XXX.]

            L'on receulle audict païs quantité de cochenille qui croist
            dans les champs, comme font les pois de deçà, & vient d'un
            fruict gros comme une nois, qui est plain de graine par
            dedans. On le laisse venir à maturité jusques à ce que
            ladicte graine soit seche, & lors on la couppe comme du
            bled, & puis on la bat pour avoir la graine, dont ils
25/29       resement après pour en avoir d'autre. Il n'y a que le Roy
            d'Espaigne qui puisse faire servir & receullir ladicte
            cochenille, & faut que les marchands l'achaptent de ses
            officiers à ce commis, car c'est marchandise de grand prix
            & a l'estime de l'or & de l'argent.

            J'ay faict: icy une figure de la plante qui apporte la dicte
            cochenille [85].

[Note 85: Planche XXXI.--«_Cactus Opuntia_. La croyance que la
cochenille était la graine d'une plante subsistait encore longtemps
après la conquête du Mexique. Dans le dessin que Champlain nous donne de
cette plante, les graines sont figurées exactement comme les insectes
s'attachent aux feuilles pour s'en nourrir. La jalousie du gouvernement
espagnol, et le sévère monopole qu'il faisait de ce produit, empêchèrent
qu'on en connût la vraie nature et son mode de propagation, et donnèrent
naissance à diverses fables et conjectures.» (Ed. Soc. Hakl.)]

            Il y a ung arbre au dict pays que l'on talle comme la vigne,
            & par l'endroit où il est tallé il distille une huille qui
            est une espece de baume, appellée huille de Canime, du
            nom de l'arbre qui se nomme ainsy [86]. Ceste huille est
            singulliere pour toutes playes & couppures, & pour oster les
            douleurs, principallement des gouttes. Ce bois a l'odeur du
            bois de sappin. L'once de la dicte huille vault en ce pays
            là deux escus. Le dict arbre est icy figuré[87].

[Note 86: _Canimé_, ou _Animé_. Johnston en distingue deux espèces:
l'_animé Oriental_, et l'_animé Occidental_, appelé, dit-il, par les
Espagnols _Canimé_, Moquin-Tandon (Botanique Médicale) en distingue
aussi deux espèces: 1° le Courbaril diphylle, _Hymenoea Courbaril_
(LINN.), qui fournit une grande quantité de résine transparente, appelée
_résine animé occidentale_, ou _Copal d'Amérique_; 2° le Courbaril
verruqueux, _Hymenoea verrucosa_ (GAERTN.), _résine animé orientale_,
vulgairement appelée _Copal d'Orient_.]

[Note 87: Planche XXXII.]

            Il y a ung autre arbre que l'on nomme cacou, dont le fruict
            est fort bon & utille à beaucoup de choses, & mesmes sert
            de monnoye entre les Indiens, qui donnent soixante pour une
            realle. Chacun fruict est de grosseur d'un pinon & de la
26/30       mesme forme, mais il n'a pas la cocque sy dure: plus il est
            vieux & milleur est. Quand l'on veut achapter des vivres,
            comme pain, chairs, fruicts, poissons ou herbes, ceste
            monnoye peult servir, voire pour cinq ou six pièces l'on
            peult avoir de la marchandise pour vivre des Indiens
            seulement, car il n'a point cours entre les Espaignols, ny
            pour achapter marchandise autre que des fruicts. Quand l'on
            veult user de ce fruict, l'on le reduict en pouldre, puis
            l'on en faict une paste que l'on destrempe en eau chaude, où
            l'on mesle du miel qui vient du mesme arbre, & quelque peu
            d'espice, puis le tout estant cuit ensemble, l'on en boit au
            matin, estant chauffé, comme les mariniers de deçà prennent
            de l'eau de vye, & se trouvent sy bien après avoir beu de
            ceste eau, qu'ils se pourroient passer tout ung jour de
            manger sans avoir grand appétit. Cest arbre a quantité
            d'espinnes qui sont fort pointues, que quand on les arrache
            il vient ung fil, l'escorche du dict arbre, lequel l'on file
            sy delyé que l'on veult, & de ceste espine & du fil qui y
            est attaché, l'on peult coudre aussi proprement que d'une
            esguille & d'autre fil; les Indiens en font du fil fort
            beau & fort delyé, & neantmoins sy fort, qu'un homme n'en
            pourroit pas rompre deux brins ensemble, encores qu'ils
            soient delyés comme cheveux. La livre de ce fil, nommé fil
            de pitte[88], vaut en Espaigne huict escus la livre, &
            en font des dantelles & autres ouvrages: d'avantage de
            l'escorche dudict arbre l'on faict du vinaigre fort comme
            celuy de vin, & prenant du coeur de l'arbre qui est
27/31       mouelleux, & le pressant, il en fort du tresbon miel, puis
            faisant seicher la mouelle ainsi esprainte au soleil, elle
            sert pour allumer le feu. Outre plus pressant les feuilles
            de cest arbre, qui sont comme celles de l'olivier, il en
            sort du jut dont les Indiens font un breuvage. Ledict arbre
            est de la Grandeur d'un olivier, dont vous en verrez icy la
            figure [89].

[Note 88: Champlain décrit ici évidemment le Cacao et le _Metl_, ou
_Maguey_ (_Aloes Pitta, Aloes disticha, Agave Americana_), auquel se
rapporte presque toute la dernière partie de sa description, excepté
«les feuilles qui sont comme celles de l'olivier.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 89: Planche XXXIII.]

            J'ay cy devant parlé d'un arbre qui s'appelle gouiave[90],
            qui croist fort communement audict pays, qui rend ung fruict
            que l'on nomme aussy gouiave, qui est de la grosseur d'une
            pomme de capendu [91], de couleur jaulne, & le dedans
            semblable aux figues verdes; le jut en est assez bon. Ce
            fruict a telle propriété, que sy une personne avoit ung flux
            de ventre, & qu'il mangeast dudict fruict sans la peau, il
            seroit guery dans deux heures, & au contraire à ung homme
            qui seroit constipé, mangeant l'escorche seulle sans le
            dedans du fruict, il luy lâchera incontinent le ventre, sans
            qu'il soit besoing d'autre médecine.

            Figure du dict arbre [92].

[Note 90: «_Psidium_ (LINN.) Sa qualité est de resserrer le ventre,
estant mangé vert, dont aussi plusieurs s'en servent contre le flux de
sang; mais estant mangé meur il a un effet tout contraire.»--De
Rochefort, _Hist. des Antilles_, etc., 1658. (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 91: «Espèce de pomme commune en Normandie, principalement au
pays de Caux.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 92: Planche XXXIV]

            Il y a aussy ung fruict qui s'appelle accoiates[93], de la
            grosseur de grosses poires d'hiver, fort verd par dessus,
            & comme l'on a levé la peau, l'on trouve de la chair fort
            espaisse que l'on mange avec du sel, & a le goust de
28/32       cherneaux, ou nois vertes: il y a ung noyau dedans de la
            grosseur d'une nois, dont le dedans est amer. L'arbre où
            croit ledict fruict est icy figuré, ensemble ledict
            fruict[94].

[Note 93: «_Ahuacahuitl_, nom indigène, dont on a fait par
corruption _Agouacat_, l'Avogade ou _Avogada_ des Espagnols.» (Ed. Soc.
Hakl.)]

[Note 94: Planche XXXV.]

            Aussy il y a d'un fruict que l'on nomme algarobe[95], de la
            grosseur de prunes Dabtes, long comme cosses de febves, qui
            a une coque plus dure que celle de la casse, de couleur de
            chataigner. L'on trouve dedans ung petit fruict comme une
            grosse febve verte, qui a ung noiau, & est fort bon. Il est
            icy figuré [96]. J'ay veu ung autre fruict qui s'appelle
            carreau [97], de la grosseur du poing, dont la peau est fort
            tendre & orengée, & le dedans est rouge comme sang, & la
            chair comme de prunes, & tache où il touche comme les
            meures, il est de fort bon goust, & dit-on qu'il est tresbon
            pour guérir les morceures de bestes venimeuses[98].

[Note 95: Voir plus haut, page 11, note 3.]

[Note 96: Planche XXXVI.]

[Note 97: Le fruit d'une des variétés du _Cactus Opuntia_, le Nuchtli
des Mexicains, appelé par les Français _raquette_, à cause de la forme
de ses feuilles. «Ce que nos François appellent _raquette_ à cause de la
figure de ses feuilles: sur quelques-unes de ces feuilles, longues &
herissées, croist un fruict de la grosseur d'une prune-datte; quand il
est meur, il est rouge dedans, & dehors comme de vermillon. Il a ceste
propriété, qu'il teint l'urine en couleur de fang aussi tost qu'on en a
mangé, de sorte que ceux qui ne savent pas ce secret, craignent de
s'estre rompu une veine, & il s'en est trouvé qui, aians apperceu ce
changement, se sont mis au lit, & ont creu estre dangereusement
malades.»--De Rochefort, _Voyage aux Antilles_, etc., 1658. (Ed. Soc.
Hakl.)]

[Note 98: Planche XXXVII.]

            Il y a encore d'un autre fruict qui se nomme serolles [99],
            de la grosseur d'une prune, & est fort jaulne, & le goust
            comme de poires muscades [100].

[Note 99: De l'espagnol Ciruela, prune. (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 100: Planche XXXVIII.]

            J'ay aussy parlé d'un arbre que l'on nomme palmiste, que je
29/33       representeray icy [101], qui a vingt pas de hault, de la
            grosseur d'un homme, & neantmoins sy tendre que d'un bon
            coup d'espée on le peut couper tout à travers, parce que le
            dessus est tendre comme un pied de chou, & le dedans plain
            de mouelle qui est très bonne, & tient plus que le reste de
            l'arbre, & a le goust comme du succre, aussy doux &
            meilleur: les Indiens en font du breuvage meslé avec de
            l'eau, qui est fort bon.

[Note 101: Planche XXXIX.--«Au temps de Champlain, il n'y avait de
connues que deux espèces de Palmistes (excepté le cocotier, que l'on
appelait Palmiste par excellence): le Palmiste franc, _Areca oleracea_
(LINN.), et le Palmiste épineux, _Areca spinosa_ (LINN.)» (Ed. Soc.
Hakl.)]

            J'ay veu d'un autre fruict que l'on nomme cocques[102], de
            la grosseur d'une nois d'Inde, qui a la figure approchant de
            la teste d'un homme, car il y a deux troux qui representent
            les deux yeux, & ce qui s'avance entre ces deux troux
            semblent de nez, au dessoubs duquel il y a ung trou ung peu
            fendu que l'on peult prendre pour la bouche, & le hault
            dudict fruict est tout crespé comme cheveux frisez: par
            lesdicts troux il sort d'une eau dont ils se servent à
            quelque médecine. Ce fruict n'est pas bon à manger; quand
            ils l'ont cueilly, ils le laissent seicher & en font comme
            de petittes bouteilles ou tasses comme de nois d'Inde qui
            viennent du palmé[103].

[Note 102: «Le _Cocos lapidea_ de GAERTNER, dont le fruit est plus
petit que le coco ordinaire, et dont on fait de petits vases ou tasses,
etc.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 103: Planche XL.]

            Puisque j'ay parlé de palmes [104], encor que ce soit ung
            arbre assez commun, j'en representeray icy une figure [105].
            C'est un des plus haults & droicts arbres qui se voient, son
            fruict, que l'on appelle nois d'Inde, vient tous au plus
            hault de l'arbre, & sont grosses comme la teste d'un homme,
            & y a une grosse escorce verte sur la dicte nois, laquelle
30/34       escorce ostée, se trouve la nois, de la grosseur de deux
            poings ou environ: ce qui est dedans est fort bon à manger,
            & a le goust de cerneaux, il en sort une eau qui sert de
            fart Aux dames [106].

[Note 104: «_Cocos nucifera_.» (Ed. Soc, Hakl.)]

[Note 105: Planche XLI.]

[Note 106: «C'est ceste eau qui, entre ses autres vertus, a la
propriété d'effacer toutes les rides du visage, & de luy donner une
couleur blanche & vermeille, pourveu qu'on l'en lave aussi-tost que le
fruict est tombé de l'arbre.»--(De Rochefort.)]

            Il y a un autre fruict qui s'appelle plante [107], dont
            l'arbre peult avoir de hault vingt ou vingt cinq pieds, qui
            a la feuille sy large qu'un homme s'en pourroit couvrir. Il
            vient une racine dudict arbre où sont en quantité desdictes
            plantes, chacun desquelles est de la grosseur du bras,
            longue d'un pied & demy, de couleur jaulne & verd, de très
            bon goust, & sy sain que l'on en peult manger tant que l'on
            veult sans qu'il face mal [108].

[Note 107: La Banane.]

[Note 108: Planche XLII.]

            Les Indiens se servent d'une espece de bled qu'ils nomment
            mammaix[109], qui est de la grosseur d'un poys, jaulne &
            rouge, & quand ils le veulent manger, ils prennent une
            pierre cavée comme ung mortier, & une autre ronde en forme
            de pillon, & après que le dict bled a trempé une heure, ils
            le meullent & reduisent en farine en ladicte pierre, puis
            le petrissent & le font cuire en ceste manière: ils ont une
            platine de fer ou de pierre qu'ils font chauffer sur le feu,
            & comme elle est bien chaude, ils prennent leur paste &
            l'estendent dessus assez tenue, comme tourteaux, & l'ayant
            fait ainsy cuire, le mangent tout chaud, car il ne vault
            rien froid ny gardé[110].

[Note 109: Ou Maïs.]

[Note 110: Planche XLIII.]

31/35       Ils ont aussy d'une autre racine qu'ils nomment cassave,
            dont ils se servent pour faire du pain, mais sy quelqu'un en
            mangeoit de cru, il mourroit[111].

[Note 111: Planche XLIV--Voir, ci-dessus, p. 11, note 6.--«Pour faire la
Cassave, qui est le pain ordinaire du pays, après avoir arraché le
Manyoc, on ratisse ses racines comme on fait les naveaux, lorsqu'on les
veut mettre au pot; puis on esgruge toutes ses racines sur des râpes de
cuivre percées... & attachées sur des planches dont on met le bas dans
un vaisseau; & appuyant le haut contre l'estomac, l'on frotte à deux
mains la racine dessus la râpe, & tout le marc tombe dans le vaisseau…
Quand tout est égrugé ou rapé, on le met à la presse dans des sacs de
toile, & on en exprime tout le suc, en sorte qu'il ne demeure que la
farine toute seiche... Le suc qui en sort est estimé du poison par tous
les habitans, & mesme par tous les autheurs qui en ont écrit...» (Du
Tertre, _Hist. des Antilles_.)]

            Il y a d'une gomme qui se nomme copal[112], qui sort d'un
            arbre qui est comme le pin; ceste gomme est fort bonne pour
            les goustes & douleurs [113].

[Note 112: «_Rhus Copallinum_ (LINN.) Les Mexicains donnaient le nom
de _copal_ à toutes les résines et gommes odoriférantes. Le Copal par
excellence est une résine blanche et transparente, qui coule d'un arbre
dont la feuille ressemble à celle du chêne, quoique plus longue; cet
arbre s'appelle _copal-quahuitl_, ou arbre qui porte le copal. Ils ont
aussi le _copal-quahuitl-petlahuae_, dont les feuilles sont les plus
grandes de l'espèce, et semblables à celles du sumac, le
_copal-quauhxiotl_, à feuilles longues et étroites; le
_tepecopulli-quahuitl_, ou copal des montagnes, dont la résine est comme
l'encens du vieux monde appelé par les Espagnols _incensio de las
Indias_, et quelques autres espèces inférieures.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 113: Planche XLIV.]

            Il y a aussy d'une racine que l'on nomme patates [114], que
            l'on fait cuire comme des poires au feu, & a semblable goust
            aux chastaignes [115].

[Note 114: «Il y a huit ou dix sortes de patates, différentes en
goust, en couleur & en feuilles. Pour ce qui regarde les feuilles, la
différence est petite; car elles ont presque toutes la forme de coeur…
Il suffit d'en nommer les plus communes, qui font les _Patates vertes,
les Patates à l'oignon, les Patates marbrées, les Patates blanches, les
Patates rouges, Les Patates orangées, les Patates à suif, les Patates
souffrées_...» (Du Tertre, _Hist. des Antilles_.)]

[Note 115: Planche XLIV.]

            Il y a audict pays nombre de melons d'estrange grosseur, qui
            sont très bons, la chair en est fort orangée, & y en a d'une
            autre sorte qui ont la chair blanche, mais ils ne sont de sy
            bon goust que les autres. Il y a aussy quantité de cocombres
32/36       très bons, des artichauts, de bonnes lettues, qui sont
            comme celles que l'on nomme rommainnes, choux à pome, &
            force autres herbes potagères, aussy des citrouilles qui ont
            la chair orengée comme les melons.

            Il y a des pomes qui ne sont pas beaucoup bonnes, & des
            poires d'assez bon goust, qui sont creues naturellement à la
            terre. Je croy que qui voudroit prendre la paine d'y planter
            des bons fruittiers de par deçà, ils y viendroient fort
            bien[116].

[Note 116: Planche XLV.]

            Par toute la Nove Espaigne il y a d'une espece de couleuvres
            [117], qui sont de la longeur d'une picque & grosse comme le
            bras, la teste grosse comme ung oeuf de poulle, sur laquelle
            elles ont deux plumes. Au bout de la queue elles ont une
            sonnette qui faict du bruit quand elles se traînent: elles
            sont fort dangereuses de la dent & de la queue, néantmoins
            les Indiens les mangent, leur ayant osté les deux extrémités
            [118].

[Note 117: «Champlain parle évidemment da Serpent à sonnettes
(_Crotulus_); mais il paraît l'avoir confondu avec le serpent à cornes
(_horned snake_), à cause des _plumes de la tête_.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 118: Planche XLVI.]

            Il y a aussy des dragons d'estrange figure, ayants la teste
            approchante de celle d'un aigle, les ailles comme une
            chauvesouris, le corps comme ung lézard, & n'a que deux
            pieds assez gros, la queue assez escailleuse, & est gros
            comme ung mouton: ils ne sont pas dangereux, & ne font mal
            à personne, combien qu'à les voir l'on diroit le contraire
            [119].

[Note 119: Planche XLVII.]

            J'ai veu ung lézard de sy estrange grosseur, que s'il m'eust
            esté recité par ung autre, je ne l'eusse pas creu, car je
33/37          vous asseures qu'ils sont gros comme ung quart de pippe.
            Ils sont comme ceux que nous voions icy quand à la forme, de
            couleur de verd brun, & vert jaulne sous le ventre; ils
            courent fort viste, sifflent en courant; ils ne sont poinct
            mauvais aux hommes, encore qu'ils ne fuient pas d'eux sy on
            ne les poursuit. Les Indiens les mangent & les trouvent fort
            bons[120].

[Note 120: Planche XLVIII.--«Probablement _Lacerta Iguana_ (LINN.)»
(Ed. Soc. Hakl.)]

            J'ay veu aussy par plusieurs fois, en ce païs là, des
            animaux qu'ils appellent des caymans, qui sont, je croy, une
            espece de cocodrille, sy grands, que tels des dicts caymans
            a vingt cinq & trente pieds de long, & est fort dangereux,
            car s'il trouvoit ung homme à son advantaige, sans doute
            il le devoreroit: il a le dessoubs du ventre jaulne
            blanchastre, le dessus armé de fortes escailles de couleur
            de verd brun, ayant la teste fort longue, les dents
            estrangement aiguës, la geulle fort fendue, les yeux rouges,
            fort flamboiant: sur la teste il a une manière de coronne.
            Il a quatre jambes fort courtes, le corps de la grosseur
            d'une barique: il y en a aussy de moindres. L'on tire de
            dessoubs les cuisses de derrière du musq excelent, ils
            vivent dans les estangs & mares, & dans les rivieres d'eau
            doulce. Les Indiens les mangent[121].

[Note 121: Planche XLIX.]

            J'ay aussy veu des tortues d'esmerveillable grosseur, &
            telle que deux chevaux auroient affaire à en traîner une. Il
            y en a qui sont sy grosses, que dedans l'escaille qui les
            couvre trois hommes se pourroient mettre & y nager comme
            dedans ung batteau: elles se peschent à la mer, la chair en
34/38       est très bonne, & resemblent à chair de boeuf. Il y en a
            fort grande quantité en toutes les Indes: l'on en voit
            souvent qui vont paistre dans les bois[122].

[Note 122: Planche L.]

            Il y a aussy quantité de tigres [123], des fourreures
            desquels l'on faict grand estat: ils ne se jettent poinct
            aux hommes sy on ne les poursuit.

[Note 123: Planche LII.--«_Tigris Americana_ (LINN.)--Jaguar.»
(Ed. Soc. Hakl.)]

            Il se void aussy au dict pays quelques sivettes [124] qui
            viennent du Pérou, où il y en a quantité. Elles sont
            meschantes & furieuses, & combien que l'on en voye icy
            ordinairement, je ne laisse pas d'en faire icy une figure
            [125].

[Note 124: «_Viverra Civetta_ (LINN.) Le _Gato de Algalia_
des Espagnols.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 125: Planche LI.]

            Il vient du Pérou à la Nove Espaigne une certainne espece de
            moutons, qui portent fardeaux comme chevaux, plus de quatre
            cents livres à journée. Ils sont de la grandeur d'un asne,
            le col fort long, la teste menue, la laine fort longue, &
            qui resemble plus à du poil comme à celuy des chevres qu'à
            de la layne: ils n'ont point de cornes comme les moutons de
            deçà. Ils sont fort bons à manger, mais ils n'ont pas la
            chair sy delicatte comme les nostres [126].

[Note 126: Planche LIII.--Le _Llama_.]

            Le pays est fort peuplé de cerfs, biches, chevreux,
            sangliers, renars, lievres, lappains, & autres animaux que
            nous avons par deçà, dont ils ne sont aucunement différends
            [127].

[Note 127: Planche LIV.]

            Il y a d'une sorte de petits animaux [128] gros comme des
35/39       barbots, qui voilent de nuict, & font telle clarté en l'air,
            que l'on diroit que ce sont autant de petittes chandelles.
            Sy l'on avoit trois ou quatres de ces petits animaux, qui ne
            sont pas plus gros que des noisettes, l'on pourroit aussy
            bien lire de nuict qu'avec une bougie.

[Note 128: «_Fulgora suternaria_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)]

            Il se voict dans les bois & dans les campaignes grand nombre
            de chancres [129], semblables à ceux qui se trouvent en la
            mer, & sont aussy communément dans le païs comme à la mer de
            deçà.

[Note 129: «_Gecarcinus, Cancer ruricolor_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)]

            Il y a une autre petite espece d'animaulx faicts comme des
            escrevisses, hors mis qu'ils ont le derrière devestu de
            coquilles, mais ils ont ceste proprietté de chercher des
            coquilles de limassons vuides, & logent dedans ce qu'ils ont
            de descouvert, traisnant tousjours ceste coquille après soy,
            & n'en délogent poinct que par force [130]. Les pescheurs
            vont receullir ces petittes bestes par les bois, & s'en
            servent pour pescher, & quand ils veulent prendre le
            poisson, ayant tiré ce petit animal de dedans sa coque, ils
            l'attachent par le travers du corps à leur lingne au lieu
            d'ameçon, puis le jette à la mer, & comme les poissons les
            pensent engloutir, ils pinsent les poissons des deux
            maistresses pattes, & ne les quitte point: & par ce moien
            les pescheurs prennent le poisson mesme de la pesanteur de
            cinq ou six livres.

[Note 130: «_Pagurus streblany_ (LEACH); _Pagurus Bernardus_.
(FABRICIUS); _Cancellus marinus et terrestris_; Bernard l'hermite;
_Caracol soldada_ des Espagnols.» (Ed. Soc. Hakl.)]

            J'ay veu ung oyseau qui se nomme pacho del ciello [131],
36/40       c'est à dire oyseau du ciel, lequel nom luy est donné parce
            qu'il est ordinairement en l'air sans jamais venir à terre
            que quand il tombe mort. Il est de la grosseur d'un moyneau:
            il a la teste fort petite, le bec court, partye du corps de
            couleur vert brun, le reste roux, & a la queue de plus de
            deux piez de long, & sont presque comme celle d'une
            aigrette, & grosse estrangement au respect du corps: il n'a
            point de piedz. L'on dict que la femelle pont ung oeuf
            seulement sur le dos du malle, par la chaleur duquel ledict
            oeuf s'esclot, & comme l'oyseau est sorty de la coque, il
            demeure en l'air, dont il vit comme les autres de ceste
            espece: je n'en ay veu qu'un que nostre général achepta cent
            cinquante escus. On dît que l'on les prend vers la coste de
            Chille, qui est un contient de terre ferme, qui tient depuis
            le Pérou jusques au destrois de Magelano, que les Espaignols
            vont descouvrant & ont guerre avec les sauvages du pays,
            auquel l'on dit que l'on descouvre Des mines d'or &
            d'argent. J'ay mis icy la figure du dict oyseau[132].

[Note 131: «_Pacho del ciello.--Paradisia_, Oiseau du Paradis. On a
cru longtemps que cet oiseau vivait constamment en l'air, et n'avait
point de pieds. Les spécimens envoyés en Europe sont ordinairement
dépouillés des pattes, le corps et la queue étant les seules parties
employées à former les plumets et les aigrettes; de là la croyance que
ces oiseaux n'ont point de pieds.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 132: Planche LV.]

            J'ay pensé qu'il n'est pas hors de propos de dire que le
            bois d'ebene vient d'un arbre fort hault comme le chesne; il
            a le dessus de l'escorche comme blanchastre, & le coeur fort
            noir, comme vous le verrez de l'autre part representé[133].

[Note 133: Planche LVI.]

            Le bresil est arbre fort gros au respect du bois d'ebene,
            & de mesme hauteur, mais il n'est sy dur. Le dict arbre de
            bresil porte comme une manière de nois qui croissent à la
37/41       grosseur des nois de galle, qui viennent dedans des ormeaux.
            Apres avoir parlé des arbres, plantes & animaux, il faut que
            je face ung petit récit des Indiens & de leur nature, moeurs
            & créance. La plus part desdicts Indiens, qui ne sont point
            soubs la domination des Espaignols, adorent la lune comme
            leur dieu, & quand ils veulent faire leurs cérémonies,
            ils s'assemblent tant grands que petits au milieu de leur
            village & se mettent, en rond, & ceux qui ont quelque chose
            à manger l'apportent, & mettent toutes les vivres ensemble
            au milieu d'eux, & font la milleure chère qui leur est
            possible. Apres qu'ils sont bien rasassiés, ils se prennent
            tous par la main, & se mettent à danser, avec des cris
            grands & estranges, leur chant n'ayant aucun ordre ny
            suitte. Apres qu'ils ont bien chanté & dansé, ils se
            mettent le visage en terre, & tout à ung coup tous ensemble
            commencent à crier & pleurer en disant: O puissante & claire
            lune, fay que nous puissions vaincre nos ennemis, & que les
            puissions manger, à cette fin que ne tombions entre leurs
            mains, & que mourans nous puissions aller avec nos parents
            nous resjouir. Apres avoir faict ceste prière, il se
            relevent & se mettent à danser tous en rond & dure leur
            feste ainsy dansans, pryans & chantans environ six heures.
            Voila ce que j'ay appris de cérémonies & créances de ces
            pauvres peuples, privés de la raison, que j'ay icy figurés
            [134].

[Note 134: Planche LIX.]

            Quant aux autres Indiens qui sont soubs la domination du Roy
            d'Espaigne, s'il n'y donnoit ordre, ils seroient en aussy
            barbare créance comme les autres. Au commencement de ses
38/42       conquestes, il avoit establi l'inquisition entre eux, & les
            rendoit esclaves ou faisoit cruellement mourir en sy grand
            nombre, que le récit seulement en faict pityé. Ce mauvais
            traittement estoit cause que les pauvres Indiens, pour la
            prehension d'iceluy, s'enfuioient aux montaignes comme
            desesperés, & d'autant d'Espaignols qu'ils attrapoient, ils
            les mangeoient; & pour ceste occasion lesdicts Espaignols
            furent contraints leur oster ladicte inquisition, & leur
            donner liberté de leur personne, leur donnant une reigle de
            vivre plus doulce & tolerable, pour les faire venir à la
            cognoissance de Dieu & la créance de la saincte Eglise: car
            s'ils les vouloient encor chatier selon la rigeur de ladicte
            inquisition, ils les feroient tous mourir par le feu.
            L'ordre dont ils usent maintenant est que en chacun
            estance[135] qui sont comme vilages, il y a ung prestre qui
            les instruict ordinerement, ayant le prestre ung rolle de
            noms & surnoms de tous les Indiens qui habitent au village
            soubs sa charge. Il y a aussy ung Indien qui est comme
            procureur du village, qui a ung autre pareil rolle, & le
            dimanche, quand le prestre veult dire la messe, tous
            lesdicts Indiens sont teneus se presenter pour l'ouir, &
            avant que le prestre la Commence, il prend son rolle, & les
            appelle tous par leur nom & surnom, & sy quelqu'un deffault,
            il est marqué sur Ledict rolle, puis la messe dite, le
            prestre donne charge à l'Indien qui sert de procureur de
            s'informer particullierement où sont les defaillans, & qui
            les face revenir à l'église, où estant devant ledict
39/43       prestre, il leur demande l'occasion pour lequel ils ne sont
            pas veneus au service divin, dont ils allèguent quelques
            excuses s'ils peuvent en trouver, & sy elles ne sont trouvés
            véritables ou raisonnables, ledict prestre commande audict
            procureur Indien qui aye à donner hors l'eglise, devant tout
            le peuple, trente ou quarante coups de baston aux
            défaillants. Voilla l'ordre que l'on tien à les maintenir en
            la religion, en laquelle ils vivent partye pour crainte
            d'estre battus: il est bien vray que s'ils ont quelque juste
            occasion qui les empesche de venir à la messe, ils sont
            excusés.

[Note 135: De l'espagnol estancia, demeure.]

            Tous ces Indiens sont d'une humeur fort melancholique, & ont
            neantmoins l'esprit fort vif, & comprennent en peu de temps
            ce qu'on leur montre, & ne s'ennuient poinct pour quelque
            chose ou injure qu'on leur face ou dye. J'ay figuré, en
            ceste page & la suivante, ce qui se peult bien representer
            de ce que j'en ay discouru cy dessus[136].

[Note 136: Planche LX et LXI.]

            La pluspart des dicts Indiens ont leur logement estrange,
            & sans aucun arrest, car ils ont une manière de coches qui
            sont couvertes d'escorche d'arbres, attelés de chevaux,
            mulets ou boeufs, & ont leurs femmes & enfants dedans
            lesdicts coches, & sont ung mois ou deux en ung endroict
            [du] païs, puis s'en vont en ung autre lieu, & sont
            continuellement ainsy errans parmy le pays.

            Il y a une manière d'Indiens qui vivent & font leurs
            demeures en certains villages qui appartiennent aux
            seigneurs ou marchands, & cultivent les terres [137].

[Note 137: Planche LXII.]

40/44       Or pour revenir au discours de mon voiage, après avoir
            demeuré ung mois entier à Mechique, je retournay à St Jean
            de Luz, auquel lieu je m'enbarquay dans une patache qui
            alloit à Portovella[138], où il y a quatre cents ou cinq
            cents lieues. Nous feusmes trois sepmaines sur la mer avant
            que d'ariver au dict lieu de Portovella, où je trouvay bien
            changement de contrée, car au lieu d'une très bonne &
            fertille terre que j'avois trouvé en la Nove Espaigne, comme
            j'ay recité cy dessus, je rencontray bien une mauvaise
            terre, estant ce lieu de Portovella, la plus meschante &
            malsaine demeure qui soit au monde: il y pleut presque
            tousjours, & sy la pluye cesse une heure, il y faict sy
            grande chaleur que l'eau en demeure toute infectée, & rend
            l'air contagieux, de telle sorte que la pluspart des soldats
            ou mariniers nouveaux venneus y meurent. Le pays est fort
            montaigneux, remply de bois de sappins, & où il y a sy
            grande quantité de singes, que c'est chose estrange à voir.
            Neantmoins ledict port de Portovella est très bon; il y a
            deux chasteaux à l'entrée qui sont assez forts, dans
            lesquels il y a trois cents soldats en garnison. Joignant
            ledict port, où sont les forteresses, il y en a ung autre
            qui n'en est aucunement commandé, & où une armée pourroit
            descendre seurement. Le Roy d'Espaigne tient ce port pour
            une place de consequence, estant proche du Pérou, car il n'y
            a que dix sept lieues jusque à Bahama, qui est à la bande du
            sur.

[Note 138: Porto-Bello.]

41/45       Ce port de Panama, qui est sur la mer du [139], est très
            bon, & y a bonne radde, & la ville fort marchande, dont la
            figure ensuit [140].

[Note 139: Lacune dans l'original.]

[Note 140: A partir d'ici, l'auteur annonce des figures qui
manquent dans l'original.]

            En ce lieu de Panama s'assemble tout l'or & l'argent qui
            vient du Pérou, où l'on les charges, & toutes les autres
            richesses sur une petite riviere qui vient des montaignes,
            & qui descend à Portovella, laquelle est à quatre lieues de
            Panama, dont il faut porter l'or, l'argent & marchandises
            sur mulets: & estans enbarqué sur ladicte riviere, il y a
            encor dix huict lieues jusques à Portovella.

            L'on peult juger que sy ces quatre lieues de terre qu'il y a
            de Panama à ceste riviere estoient couppés, l'on pourroit
            venir de la mer du su en celle de deçà, & par ainsy l'on
            accourciroit le chemin de plus de quinze cents lieues[141];
            & depuis Panama jusques au destroit de Magellan ce seroit
            une isle, & de Panama jusques aux Terres noeusves une autre
            isle, de sorte que toute l'Americque seroit en deux isles.

[Note 141: «La jonction de l'océan Atlantique et de l'océan Pacifique à
travers l'isthme de Panama, n'est pas, comme on voit, une idée moderne.
Champlain a peut-être le mérite de l'avoir émise le premier.» (Ed. Soc.
Hakl.)]

            Sy ung ennemy du Roy d'Espaigne tenoit ledict Portovella,
            il empescheroit qu'il ne sortist rien du Pérou, qu'à grande
            difficulté & risque, & plus de despens qu'il ne reviendroit
            de proffit. Drac [142] fust au dict Portovella pour le
            surprendre, mais il faillit son entreprise, ayant esté
42/46       descouvert, dont il mourut de desplaisir, & commanda en
            mourant qu'on le mist en ung tombeau, & qu'on le jettast
            entre une isle & le dict Portovella. Ensuit la figure de
            ladicte riviere & plan du pays[143].

[Note 142: «Sir Francis Drake, après son infructueuse tentative sur
Porto-Rico, poursuivit son voyage à Nombre-de-Dios, où, ayant débarqué
ses hommes, il essaya de s'avancer jusqu'à Panama, dans le dessein de
ravager la place, ou, s'il trouvait la chose praticable, la garder et
la fortifier; mais il n'y rencontra pas les mêmes facilités que dans ses
premières entreprises. Les Espagnols avaient fortifié les passages, et
posté, dans les bois, des troupes qui incommodaient tellement les
Anglais par des escarmouches et des alarmes continuelles, que ceux-ci
furent contraints de s'en retourner sans rien faire. Drake lui-même, par
suite des intempéries du climat, des fatigues du voyage, et des chagrins
du désappointement, fut saisi d'une indisposition dont il mourut peu
après. (Voir Hume's _Hist. of England_, ann. 1597. Drake mourut le 30
décembre 1596, vieux style, ou le 9 janvier 1597, style neuf.) L'on
disposa de son corps de la manière mentionnée par Champlain.» (Ed. Soc.
Hakl.)]

[Note 143: Cette figure manque dans l'original.]

            Ayant demeuré ung moys audict Portovella, je m'en revins
            à St Jean de Luz, où nous sejournasmes quinze jours, en
            attendant que l'on fist donner carenne à nos vaisseaux pour
            aller à la Havanne, au rendez vous des armées & flottes. Et
            estants partis pour cest effect dudict St Jean de Luz, comme
            nous feusmes vingt lieues en mer, ung houracan nous prist de
            telle furye d'un vent de nord, que nous nous pensasmes tous
            perdre, & feusmes tellement escartés les ungs des autres,
            que nous ne nous peusmes rallier que à la Havanne; d'autre
            part nostre vaineau faisoit telle quantité d'eau, que nous
            ne pensions pas eviter ce péril, car sy nous avions une
            demye heure de repos sans tirer l'eau, il falloit travaller
            deux heures sans relache, & sans la rencontre que nous
            fismes d'une patache, qui nous remist à nostre route, nous
            allions nous perdre à la coste de Campesche, en laquelle
            coste de Campesche il y a quantité de sel qui se faict &
            engendre sans art, par retenue d'eau qui demeure après les
            grandes marés, & se congele au soleil. Nostre pillotte avoit
            perdu toute la cognoissance de la navigation, mais par la
            grâce de Dieu, [qui] nous envoya rencontre de ceste patache,
43/47       nous nous rendismes à la Havanne, dont avant que de parler
            je reprefenteray icy ladicte coste de Campesche [144].

[Note 144: Cette carte manque également dans l'original.]

            Arivames à la Havanne, nous y trouvasmes nostre général,
            mais nostre admirante n'y estoit pas encores arrivé, qui
            nous faisoit croire qu'il estoit perdu; toutesfoys il se
            rendict bien tost après avec le reste de ses vaisseaux. Dix
            huict jours après nostre arrivée audict lieu de la Havanne,
            je m'enbarquay en ung vaisseau qui alloit à Cartage[145], &
            feusmes quinze jours à faire ledict voiage. Ce lieu est ung
            très bon port, où il y a belle entrée, à l'abry de tous
            vents, fors du nord norouest, qui frape dans ledict port,
            dans lequel il y a troys isles: le Roy d'Espaigne y
            entretient deux galleres. Ledict lieu est en païs que l'on
            appelle terre ferme, qui est très bon, bien fretille, tant
            en bledz, fruict, que autres choses necessaires à la vye,
            mais non pas en telle abondance qu'en la Neufve Espaigne, &
            en recompense, il se tire aussy plus grand nombre d'argent
            audict lieu de terre ferme. Je demeuray ung mois & demy
            audict lieu de Cartagenes, & pris ung portraict de la ville
            & du port que j'ay icy raporté [146].

[Note 145: Carthagènes.]

[Note 146: Le plan manque dans l'original.]

            Partant dudict lieu de Cartagene, je m'en retournay à la
            Havanne trouver nostre général, qui me fist fort bonne
            reception, pour avoir veu par son commandement les lieux où
            j'avois esté. Ledict port de la Havanne est l'un des plus
            beaux que j'aye veu en toutes les Indes, il a l'entrée
            fort estroitte, très bonnes, & bien munies de ce qui est
44/48       necessaire pour le conserver, & d'un fort à l'autre il
            y a une chaine de fer qui traverse l'entrée du port. La
            garnison desdictes forteresses est de six cents soldats: à
            sçavoir, en l'une nommée le More, du costé de l'est, quatre
            cents, & en l'autre forteresse, qui s'appelle le fort neuf,
            & en la ville deux cents. Au dedans dudict port il y a une
            baye qui contient en rondeur plus de six lieues, ayant
            une lieue de large, où l'on peult mouller l'ancre en tous
            endroicts, à troys, quatre, six, huict, dix, quinze &
            saize brasses d'eau, & y peuvent demeurer grand nombre de
            vaisseaux: il y a une très bonne ville & fort marchande,
            laquelle est figurée en la page suivante [147].

[Note 147: Le plan manque dans l'original.]

            L'isle en laquelle sont ledict port & la ville de la Havanne
            s'appelle Cuba, & est fort montaigneuse, il n'y a aucune
            mine d'or ou d'argent, mais plusieurs mines de mestail,
            dont ils font des pièces d'artillerye en [148] la ville de
            la Havanne. Il ne croist ny bled ny vin dans ladicte isle:
            celuy qu'ils mangent vient de la Neufve Espaigne, de façon
            que quelque fois il y est fort cher.

[Note 148: Le manuscrit porte _et_, ou quelque chose de semblable;
pour former un sens raisonnable, nous avons cru pouvoir mettre _en_. Le
traducteur de la Société Hakluyt a rendu ce petit mot par _for_, pour.]

            Il y a en ladicte isle quantité de fruicts fort bons,
            entre autres ung qui s'appelle pines [149], qui ressemble
            parfaidement aux pins de par deçà. Ils ostent l'escorche,
            puis le couppent par la moityé, comme pommes, & a ung très
            bon goust, fort doux, come sucre.

[Note 149: Pina de Indias (espagnol), l'ananas. «Nos habitans, dit
le P. du Tertre (Hist. des Antilles), en distinguent de trois sortes,
ausquelles se peuvent rapporter toutes les autres: à sçavoir, le gros
Ananas blanc, le pain de sucre, & la pomme de rainette. Le premier a
Quelquefois huit ou dix pouces de diamettre, & quinze ou seize pouces
de haut... Quoy qu'il toit plus gros & plus beau que les autres, son
goust n'est pas si excellent; aussi n'est-il pas tant estimé... Le
second porte le nom de sa forme, parce qu'il est tout semblable à un
pain de sucre... Le troisième est le plus petit; mais c'est le plus
excellent... Tous conviennent en ce qu'ils croissent d'une mesme façon,
portent tous le bouquet de feuilles ou la couronne sur la teste, & ont
l'escorce en forme de pomme de pin, laquelle se leve pourtant & se
coupe comme celle d'un melon.»]

45/49       Il y a quantité de bestial, comme boeufs, vaches &
            pourceaux, qui est la milleure viande de toutes les autres
            en ce pays-là. En toutes ces Indes, ils tiennent grande
            quantité de boeufs, plus pour en avoir les cuirs que pour
            les chairs. Pour les prendre ils ont des naigres qui courent
            à cheval après ces boeufs, & avec des astes[150], où il y a
            un croissant au bout fort tranchant, couppent les jarets des
            boeufs, qui sont aussy tost escorchés, & la chair sy tost
            consommé, que vingt quatre heures après l'on n'y en
            recognoist, estant devoré de grand nombre de chiens sauvages
            qui sont audict pays, & autres animaux de proye.

[Note 150: _Hastes_, lances ou piques.]

            Nous feusmes quatre mois à la Havanne, & partant de là, avec
            toute la flotte des Indes qui s'y estoit assemblée de toutes
            parts, nous allâmes pour passer le canal de Bahan[151],
            qui est un passage de consequence, par lequel il faut
            necessairement passer en retournant des Indes. A l'un des
            costés d'iceluy passage, au nord, gist la terre de la
            Floride, & au su la Havanne: la mer court dans ledict canal
            de grande impetuosité. Ledict canal a quatre vingt lieues de
            long, & de large huict lieues, comme il est cy après figuré,
            ensemble ladicte terre de la Flouride, au moins ce que l'on
            recognoist de la coste[152].

[Note 151: Bahama.]

[Note 152: Cette carte manque dans l'original.]

46/50       En sortant dudict canal l'on va recognoistre la Bermude,
            qui est une isle montaigneuse, de laquelle il faict
            mauvais approcher, à cause des dangers qui sont autour
            d'icelle: il y pleut presque tousjours, & y tonne sy
            souvent, qu'il semble que le ciel & la terre se doibvent
            assembler; la mer est fort tempestueuse au tour de la dicte
            isle, & les vagues haultes comme les montaignes. Ladicte
            isle est icy figurée [153].

[Note 153: Cette figure manque également dans l'original.]

            Ayant passé le travers de ladicte isle, nous vismes telles
            quantité de poissons vollants [154], que c'est chose
            estrange: nous en primes quelques uns qui vindrent sur nos
            vaisseaux, ils ont la forme comme ung harents, les ailles
            plus grandes, & sont très bons à manger.

[Note 154: «_Exocetus volitans_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)]

            Il y a certains poissons qui sont gros comme bariques, que
            l'on appelle tribons[155], qui courent après lesdicts
            poissons vollants pour les manger; & quand lesdicts poissons
            vollants voient qu'ils ne peuvent fuir autrement, ils se
            lancent sur l'eau, & vollent environ cinq cents pas, & par
            ce moien ils se guarantissent dudict tribon, qui est cy
            dessoubs figuré[156].

[Note 155: «_Tiburon_ (esp.) requin, confondu probablement avec le
 _bonito_, lequel, avec la dorade (_Sparus aurata_), est l'ennemi mortel
du poisson volant.» (Ed. Soc. Hakl.)]

[Note 156: La figure manque dans l'original.]

            Il faut que je dye encore qu'à costé dudict canal de Bahan,
            au sudsuest, l'on voict l'isle St Domingue, dont j'ay
            parlé cy dessus, qui est fort bonne & marchande en cuirs,
            gingembre & caffé, tabac, que l'on nomme autrement petung,
            ou herbe à la Royne, que l'on faict seicher, puis l'on en
47/51       faict des petits tourteaux. Les mariniers, mesme les
            Anglois, & autres personnes en usent & prennent la fumée
            d'iceluy à l'imitation des sauvaiges, encores que j'aye cy
            dessus representé ladicte isle de St Domingue, je figureray
            neantmoins icy la coste d'icelle vers le canal de
            Bahan[157].

[Note 157: Cette carte manque dans l'original.]

            J'ay parlé cy dessus de la terre de Flouride: je diray
            encores icy que c'est l'une des bonnes terres que l'on
            sçauroit desirer, estant très fretille sy elle estoit
            cultivée; mais le Roy d'Espaigne n'en fait pas d'estat,
            pour ce qu'il n'y a point de mines d'or ou d'argent. Il y a
            grande quantité de sauvaiges, lesquels font la guerre aux
            Espaignols, lesquels ont ung fort sur la pointe de ladicte
            terre, où il y a ung bon port. Ceste terre basse, la plus
            part, est fort agréable.

            Quatre jours après que nous eusmes passé la Bermude, nous
            eusmes une sy grande tourmente, que toute nostre armée fust
            plus de six jours sans se pouvoir rallier. Apres lesdicts
            six jours passés, le temps estant devenu plus beau, & la mer
            plus tranquille, nous nous rassemblasmes tous, & eusmes le
            vent fort à propos, jusques à la recognoissance des Essores
            mesme l'isle Terciere [158] cy figuré [159].

[Note 158: Terceire, ou Tercère, l'une des Açores.]

[Note 159: La figure manque dans l'original.]

            Il faut necessairement que tous les vaisseaux qui s'en
            reviennent des Indes recognoissent lesdictes isles des
            Essores, pour prendre là leur hauteur, autrement ils ne
            pourroient seurement parachever leur routte.

48/52       Ayants passé lesdictes isles des Essores, nous feusmes
            recognoistre le cap St Vincent, où nous prismes deux
            vaisseaux Anglois qui estoient en guerre, que nous menames
            en la riviere de Seville, d'où nous estions partis, & où
            fust l'achevement de nostre voiage, Auquel je demeuray
            depuis nostre partement de Seville, tant sur mer que sur
            terre, deux ans[160] deux mois.

[Note 160: A compter du départ de la flotte, qui fit voile de San
Lucar de Barameda dans les premiers jours de janvier 1599, l'auteur
aurait été de retour vers le commencement de mars 1601. Cependant, les
détails de l'expédition ne permettent guère de supposer que le voyage
ait duré plus de deux ans; et alors il faut admettre que Champlain fait
entrer en ligne de compte le temps qui s'écoula entre son départ de
Séville et le départ de la flotte. Dans tous les cas, nous ne voyons
pas comment le traducteur de la Société Hakluyt peut justifier la
correction qu'il fait au texte dans ce passage, en mettant _trois ans
et deux mois_, au lieu de _deux ans deux mois_ que porte l'original;
si ce n'est qu'il fallait mettre le texte en harmonie avec le titre
tel qu'il l'avait lu.]

                             FIN du Tome I.

49/53

[Illustrations: Planches N° I à LXII.]

(La prochaine page est 54, qui est la page titre du Tome II).



ii/54                          OEUVRES
                                 DE
                              CHAMPLAIN


                              PUBLIÉES
                          SOUS LE PATRONAGE
                       DE L'UNIVERSITÉ LAVAL
                 PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
            PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
                 ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ

                          SECONDE ÉDITION

                              TOME II

                              QUÉBEC

             Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS

                               1870



iii/55      _La première édition du_ Voyage de 1603 _est d'une excessive
            rareté. Il n'y en a, jusqu'à ce jour, qu'un seul exemplaire
            de connu; c'est celui de la Bibliothèque Impériale de Paris.
            Nous devons à l'extrême obligeance de M. l'abbé Verreau, la
            copie qui a servi à cette présente édition._

            Des Sauvages: _tel est le titre que l'auteur donna à sa
            première publication; tandis que ses autres relations sont
            intitulées_ Voyages. _L'auteur a-t-il choisi ces mots
            uniquement pour piquer la curiosité du lecteur, à une époque
            ou l'on n'avait encore sur les sauvages que quelques récits
            plus ou moins fabuleux? ou bien a-t-il voulu donner à
            entendre par là, qu'il ne publiait cet opuscule que comme un
            épisode d'un voyage dont il n'avait pas le commandement
            en chef? Cette dernière supposition expliquerait un peu
            pourquoi le nom de Pont-Gravé ne figure ni dans le titre, ni
            dans les préliminaires, bien qu'il fût officiellement chargé
iv/56       de la conduite de l'expédition. Quoiqu'il en soit, il semble
            Que la chose ait été remarquée dans le temps; car la
            Chronologie Septénaire, qui reproduit ce voyage, a presque
            l'air de vouloir tirer une petite vengeance en ne
            mentionnant que le nom de Pont-Gravé, sans dire même que la
            relation fût de Champlain.

            L'auteur, dans son édition de 1632, a peut-être voulu
            réparer cette omission, qui était de nature à blesser un peu
            la susceptibilité de celui_ qu'il respectait comme son père.
            _«Après la mort du sieur Chauvin, dit-il, le Commandeur
            de Chaste obtint nouvelle commission de Sa Majesté, et,
            d'autant que la dépense était fort grande, il fit une
            société avec plusieurs gentilshommes et principaux marchands
            de Rouen et d'autres lieux... Le dit Pont-Gravé, avec
            commission de Sa Majesté (comme personne qui avait déjà fait
            le voyage, et reconnu les défauts du passé), fut élu pour
            aller à Tadoussac, et promet d'aller jusques au saut
            Saint-Louis, le découvrir et passer outre, pour en faire
            son rapport à son retour, et donner ordre à un second
            embarquement.»

            C'était donc Pont-Gravé qui était commissionné pour ce
            voyage, et ce n'était que justice de le mentionner._


(Il n'y a pas de page 57)

ii/58                              DES
                                SAUVAGES
                                   OU
                            VOYAGE DE SAMUEL
                         CHAMPLAIN DE BROUAGE,
                      FAIT EN LA FRANCE NOUVELLE,
                       L'an mil six cens trois:

                               Contenant:

            Les moeurs, façon de vivre, mariages, guerres & habitation
            des Sauvages de Canadas.

            De la descouverte de plus de quatre cens cinquante lieues
            dans le païs des Sauvages. Quels peuples y habitent; des
            animaux qui s'y trouvent; des rivieres, lacs, isles &
            terres, & quels arbres & fruicts elles produisent.

            De la coste d'Arcadie, des terres que l'on y a descouvertes,
            & de plusieurs mines qui y sont, selon le rapport des
            Sauvages.


            A PARIS,

            Chez CLAUDE DE MONSTR'OEIL, tenant sa boutique en la cour du
            Palais au nom de Jésus.

            =================================================



            _Avec privilége du Roy._


iii/59                             EPISTRE

            TRES NOBLE HAUT & PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE CHARLES
            DE MONTMORENCY, Chevalier des Ordres du Roy, Seigneur
            d'Ampville & de Meru, Comte de Secondigny, Vicomte de
            Meleun, Baron de Chateauneuf & de Gonnort, admiral de France
            & de Bretagne.

            _Monseigneur,

            Bien que plusieurs ayent escript quelque chose du pays de
            Canadas, je n'ay voulu pourtant m'arrester à leur dire, & ay
            expressement esté sur les lieux pour pouvoir rendre fidèle
            tesmoignage de la vérité, laquelle vous verrez (s'il vous
            plaît) au petit discours que je vous adresse, lequel je
iv/60       vous supplie d'avoir pour agreable, & ce faisant, je
            prieray Dieu, Monseigneur, pour votre grandeur & prosperité,
            & demeureray toute ma vie_

            Votre très humble &
            obeïssant serviteur
            S. CHAMPLAIN.



v/61                      LE SIEUR DE LA FRANCHISE
                                AU DISCOURS
                            DU SIEUR CHAMPLAIN.

              Muses, si vous chantez, vraiment ije vous conseille
              Que vous louiez Champlain, pour estre courageux:
              Sans crainte des hasards, il a veu tant de lieux,
              Que ses relations nous contentent l'oreille.
              Il a veu le Pérou [1], Mexique & la Merveille
              Du Vulcan infernal qui vomit tant de feux,
              Et les saults Mocosans [2], qui offensent les yeux
              De ceux qui osent voir leur cheute nonpareille.
              Il nous promet encor de passer plus avant,
              Réduire les Gentils, & trouver le Levant,
              Par le Nort, ou le Su, pour aller à la Chine.
              C'est charitablement tout pour l'amour de Dieu.
              Sy des lasches poltrons qui ne bougent d'un lieu!
              Leur vie, sans mentir, me paroist trop mesquine._

                                                 DE LA FRANCHISE.

[Note 1: Champlain a bien été jusqu'à Mexico, comme on peut le voir
dans son Voyage aux Indes Occidentales; mais il ne s'est pas rendu au
Pérou, que nous sachions.]

[Note 2: Mocosa est le nom ancien de la Virginie. Cette expression,
_saults Mocosans_, semble donner à entendre que, dès 1603 au moins,
l'on avait quelque connaissance de la grande chute de Niagara.]



vi/62                   EXTRAICT DU PRIVILEGE.

            Par privilege du Roy donné à Paris le 15 de novembre 1603,
            signé Brigard.

            Il est permis au Sieur de Champlain de faire imprimer par
            tel imprimeur que bon luy semblera un livre par luy composé,
            intitulé. _Des Sauvages, ou Voyage du Sieur de Champlain,
            fait en l'an 1603_, & sont faictes deffenses à tous
            libraires & imprimeurs de ce Royaume, de n'imprimer, vendre
            & distribuer ledict livre, si ce n'est du consentement de
            celuy qu'il aura nommé & esleu, à peine de cinquante escus
            d'amende, de confiscation & de tous despens, ainsi qu'il est
            plus amplement contenu audit privilege.

            Ledict Sieur de Champlain, suivant son dit privilege,
            a esleu & permis à Claude de Monstr'oeil, libraire en
            l'université de Paris, d'imprimer le susdict livre, & luy a
            cédé & transporté son dit privilege, sans que nul autre le
            puisse imprimer, ou faire imprimer, vendre & distribuer,
            durant le temps de cinq années, sinon du consentement dudict
            Monstr'oeil, sur les peines contenues audit privilege.



vii/63                       TABLE DE CHAPITRES.

            Bref du discours, où est contenu le Voyage depuis Honfleur
            en Normandie jusques au port de Tadousac en Canadas. Chap.
            I.

            Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo des
            Sauvages de Canada, leurs festins & dances, la guerre qu'ils
            ont avec les Irocois, la façon & de quoy sont faicts leurs
            canots & cabanes: avec la description de la poincte de
            Sainct Mathieu. Chap. II.

            La rejouissance que font les Sauvages après qu'ils ont eu
            victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs; endurent la faim,
            sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions; parlent
            aux diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges,
            avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement de leurs
            morts. Chap. III.

            Riviere du Saguenay, & son origine. Chap. IV.

            Partement de Tadousac pour aller au Sault; la description
            des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans & de plusieurs
            autres isles, & de nostre arrivée à Québec. Chap. V.

            De la poincte Saincte Croix, de la riviere de Batiscan, des
            rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes
            & beaux pays qui sont depuis Québec jusques aux
            Trois-Rivieres. Chap. VI.

            Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui
            entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on
            voit dans le pays de la riviere des Irocois, & de la
            forteresse des Sauvages qui leur font la guerre. Chap. VII.

            Arrivée au Sault, sa description, & ce qui s'y void de
            remarquable, avec le rapport des Sauvages de la fin de la
            grande riviere. Chap. VIII.

            Retour du Sault à Tadousac, avec la confrontation du rapport
            de plusieurs sauvages touchant la longueur & commencement de
            la riviere de Canadas; du nombre des saults & lacs qu'elle
            traverse. Chap. IX.

            Voyage de Tadousac en l'isle Percée; description de la baye
            des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la baye de
            Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouvent
            plusieurs sortes de mines. Chap. X.

            Retour de l'isle Percée à Tadousac, avec la description des
            anses, ports, rivieres, isles, rochers, saults, bayes &
            basses, qui sont le long de la coste du Nort. Chap. XI.

viii/64     Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à la
            guerre: Des Sauvages Almouchicois & de leurs monstrueuses
            formes. Discours du sieur Prevert de Sainct Malo, sur la
            descouverture de la coste d'Arcadie, quelles mines il y a, &
            de la bonté & fertilité du pays. Chap. XII.

            D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent
            Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France. Chap.
            XIII.



1/65                         DES SAUVAGES
                                  ou
                     VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN
                         faict en l'an 1603.



            _Bref discours où est contenu le voyage depuis Honfleur en
            Normandie, jusques au port de Tadousac en Canadas._

                           CHAPITRE PREMIER.

            Nous partismes de Honfleur le 15e jour de mars 1603. Ce dit
            jour, nous relaschasmes à la rade du Havre de Grace, pour
            n'avoir le vent favorable. Le dimanche ensuyvant, 16e jour
            dudit mois, nous mismes à la voille pour faire nostre route.
            Le 17 ensuyvant, nous eusmes en veue D'orgny & Grenesey [3],
            qui sont des isles entre la coste de Normandie & Angleterre.
            Le 18 dudit mois, eusmes la congnoissance de la coste de
            Bretagne. Le 19 nous faisions estat, à 7 heures du soir
            estre le travers de Ouessans. Le 21, à 17 heures[4] du
            matin, nous rencontrasmes 7 vaisseaux flamans, qui, à nostre
2/66        jugement, venoient des Indes. Le jour de Pasques, 30
            dudit mois, fusmes contrariez d'une grande tourmente, qui
            paroissoit estre plustost foudre que vent, qui dura l'espace
            de dix-sept jours, mais non si grande qu'elle avoit faict
            les deux premiers jours, & durant cedict temps, nous eusmes
            plus de déchet que d'advancement. Le 16e jour d'apvril, le
            temps commença à s'adoucir, & la mer plus belle qu'elle
            n'avoit esté, avec contentement d'un chacun; de façon que
            continuans nostre dicte route jusques au 28e jour dudit
            mois, que rencontrasmes une glace fort haulte. Le lendemain,
            nous eusmes congnoissance d'un banc de glace qui duroit plus
            de 8 lieues de long, avec une infinité d'autres moindres,
            qui fut l'occasion que nous ne pusmes passer; & à l'estime
            du pilote les dittes glaces estoient à quelque 100 ou 120
            lieues de la terre de Canadas, & estions par les 45 degrez
            2/3, & vinsmes trouver passage par les 44.

[Note 3: Avrigny et Guernesey.]

[Note 4: Il est évident qu'il faut lire «7 heures,» vu qu'il n'est
point question d'une observation astronomique; d'ailleurs, même dans son
Traité de la Marine, Champlain sépare le jour en deux fois douze
heures.]

            Le 2 de may, nous entrasmes sur le Banc à unze heures du
            jour par les 44. degrez 2/3. Le 6 dudict mois, nous vinsmes
            si proche de terre, que nous oyons la mer battre à la coste;
            mais nous ne la peusmes recongnoistre pour l'espaisseur de
            la brume dont ces dittes costes sont subjectes, qui fut
            cause que nous mismes à la mer encores quelques lieues,
            jusques au lendemain matin, que nous eusmes congnoissance de
            terre, d'un temps assez beau, qui estoit le cap de Saincte
            Marie [5].

[Note 5: Jean Alphonse mentionne ce nom, de même que celui des îles
Saint-Pierre, dès l'année 1545, dans sa Cosmographie. (Biblioth.
impériale, _ms. fr. 676._)]

3/67        Le 12e jour ensuyvant, nous fusmes surprins d'un grand coup
            de vent, qui dura deux jours. Le 15 dudict mois, nous eusmes
            congnoissance des isles de Sainct Pierre. Le 17 ensuyvant,
            nous rencontrasmes un banc de glace, prés du cap de Raie,
            qui contenoit six lieues, qui fut occasion que nous
            amenasmes toute la nuict, pour éviter le danger où nous
            pouvions courir. Le lendemain, nous mismes à la voille, &
            eusmes congnoissance du cap de Raye, & isles de Sainct Paul,
            & cap de Sainct Laurens[6], qui est terre ferme à la bande
            du Su; & dudict cap de Sainct Laurens jusques audict cap de
            Raie il y a dix-huict lieues, qui est la largeur de l'entrée
            de la grande baie de Canadas [7]. Ce dict jour, sur les dix
            heures du matin, nous rencontrasmes une autre glace qui
            contenoit plus de huict lieues de long. Le 20 dudict
            mois, nous eusmes congnoissance d'une isle qui a quelque
            vingt-cinq ou trente lieues de long, qui s'appelle
            Anticosty[8], qui est l'entrée de la riviere de Canadas [9].
4/68        Le lendemain, eusmes congnoissance de Gachepé[10], terre
            fort haulte, & commençasmes à entrer dans la dicte riviere
            de Canadas, en rangeant la bande du Su jusques à
            Mantanne[11], où il y a, dudict Gachepé, soixante-cinq
            lieues. Dudict Mantanne, nous vinsmes prendre congnoissance
            du Pic [12], où il y a vingt lieues, qui est à laditte bande
            du Su; dudict Pic, nous traversasmes la riviere jusques à
            Tadousac, où il y a quinze lieues. Toutes ces dittes terres
            sont fort haultes élevées, qui sont sterilles, n'apportant
            aucune commodité.

[Note 6: Rigoureusement, le point du Cap-Breton le plus rapproché
du cap de Raie, est le cap de Nord, dont le cap Saint-Laurent est
éloigné de deux lieues.]

[Note 7: Cette expression «baie de Canada», pour désigner le golfe
Saint-Laurent, montre que pendant longtemps les deux noms ont été
employés simultanément; car on voit, par la carte de Thévet, que le
golfe Saint-Laurent portait, dès 1575, le même nom qu'aujourd'hui.
Cependant, ce que les auteurs de ce temps se sont accordés à appeler
communément _la Grande-Baie_, est cette partie du golfe comprise entre
la côte du Labrador et la côte occidentale de Terre-Neuve.]

[Note 8: L'île d'Anticosti a cinquante lieues de long. Ce nom
d'Anticosti, de même que ceux de Gaspé, de Matane, de Tadoussac et
autres, était déjà suffisamment connu à cette époque, pour que Champlain
se dispense de faire ici aucune remarque. En effet, dès l'année 1586,
Thévet, dans son Grand Insulaire, dit «que les sauvages du pays
L'appellent _Naticousti_»; ce que confirme Lescarbot du temps même de
Champlain: «Cette ile est appellée, dit-il, par les Sauvages du païs
 _Anticosti_.» D'un autre côté, Hakluyt (vers 1600), sur la foi sans
doute des voyageurs qu'il cite, l'appelle _Natiscotec_, et Jean de Lact
adopte, sans dire pourquoi, l'orthographe de Hakluyt. «Elle est nommée,
dit-il, en langage des sauvages _Natiscotec_.» Ce dernier nom se
rapproche davantage de celui de _Natascoueh_ (où l'on prend l'ours), que
lui donnent aujourd'hui les Montagnais. Jacques Cartier, en 1535, lui
donna le nom d'_Ile de l'Assomption_. Soit erreur, soit antipathie pour
le navigateur malouin, M. de Roberval et son pilote Jean Alphonse
l'appellent _Ile de l'Ascension_. Thévet la mentionne, dans sa
Cosmographie universelle, sous le nom de _Laisple_, et, dans son Grand
Insulaire, il l'appelle, comme Cartier, «Isle de l'Assomption, laquelle,
ajoute-t-il, d'autres nomment _de Laisple_.»]

[Note 9: Le fleuve Saint-Laurent.]

[Note 10: Ou Gaspé. Suivant M. l'abbé J.-A. Maurault, ce nom serait
une contraction du mot abenaquis «_Katsepisi_, qui est séparément, qui
est séparé de l'autre terre.» On sait, en effet, que le Forillon,
aujourd'hui miné par la violence des vagues, était un rocher remarquable
séparé du cap de Gaspé.]

[Note 11: Ou Matane. Jean Alphonse l'appelle rivière de Caën.]

[Note 12: Le Bic. Au temps de Jean Alphonse, on l'appelait Cap de
Marbre. Jacques Cartier, en 1535, avait donné au havre du Bic le nom
d'Isleaux Saint-Jean, parce qu'il y était entré le jour de la
Décollation de saint Jean.]

            Le 24 dudict mois, nous vinsmes mouiller l'ancre devant
            Tadousac [13], & le 26 nous entrasmes dans le dict port
            qui est faict comme une anse, à l'entrée de la riviere du
            Sagenay, où il y a un courant d'eau & marée fort estrange
            pour sa vitesse & profondité, où quelques fois il vient des
            vents impétueux [14] à cause de la froidure qu'ils amènent
            avec eux. L'on tient que laditte riviere a quelque
5/69        quarante-cinq ou cinquante lieues jusques au premier sault,
            & vient du costé du Nort-Norouest. Ledict port de Tadousac
            est petit, où il ne pourroit[15] que dix ou douze vaisseaux;
            mais il y a de l'eau assés à l'Est, à l'abry de la ditte
            riviere de Sagenay, le long d'une petite montaigne qui est
            Presque coupée de la mer. Le reste, ce sont montagnes
            Haultes élevées, où il y a peu de terre, sinon rochers &
            Sable remplis de bois de pins, cyprez[16], sapins, &
            quelques manières d'arbres de peu. Il y a un petit estang
            proche dudit port, renfermé de montaignes couvertes de bois.
            A l'entrée dudict port, il y a deux poinctes: l'une, du
            costé de Ouest, contenant une lieue en mer, qui s'appelle la
            poincte de Sainct Matthieu[17]; & l'autre, du costé de
            Su-Est, contenant un quart de lieue, qui s'appelle la
            poincte de tous les Diables [18]. Les vents du Su & Su-Suest
            & Su-Sorouest frappent dedans ledict port. Mais, de la
            pointe de Sainct Matthieu jusques à la pointe de tous les
            Diables, il y a prés d'une lieue, l'une & l'autre pointe
            asseche de basse mer.

[Note 13: Le P. Jérôme Lalemant (Relation 1646) dit que les sauvages
appelaient Tadoussac _Sadilege_; d'un autre côté, Thévet, dans son Grand
Insulaire, affirme que les sauvages de son temps appelaient le Saguenay
_Thadoyseau_. Il est probable qu'à ces diverses époques, comme encore
aujourd'hui, on prenait souvent l'un pour l'autre. Ce qui est sûr, c'est
que ces deux noms sont sauvages: _Tadoussac_ ou _Tadouchac_, veut dire
_mamelons_, (du mot _totouchac_, qui en montagnais veut dire
_mamelles_), et Saguenay signifie _eau qui sort_ (du montagnais
_saki-nip_).]

[Note 14: La copie originale portait probablement «importuns».
Lescarbot, qui reproduit ce voyage à peu près textuellement, a mis: «des
vents impétueux lesquels amènent avec eux de grandes froidures.»]

[Note 15: Le verbe _pouvoir_ s'employait alors activement, en parlant
de la capacité des objets.]

[Note 16: Comme il n'y a pas de vrai cyprès en Canada, on pourrait
croire d'abord que Champlain veut parler ici du pin gris, que nos
Canadiens appellent vulgairement cyprès, et que l'on trouve surtout dans
les environs du Saguenay, mais, outre que Champlain mentionne ici le pin
d'une manière générale, si l'on compare les différents endroits où il
parle du cyprès, on en viendra à la conclusion qu'il a voulu par ce
terme désigner notre cèdre (_thuja_), qui est un arbre très-commun dans
toutes les parties du pays; tandis que le pin gris ne s'y rencontre pas
partout. La chose devient évidente, si l'on fait attention que les
feuilles du thuja ont beaucoup de ressemblance avec celles du cyprès.
«Ses feuilles, dit Du Hamel, en parlant du _thuja_ (Traité des Arbres et
Arbustes), sont petites, comme articulées les unes aux autres, et elles
ressemblent à celles du cyprès.»]

[Note 17: Dans l'édition de 1613, Champlain l'appelle encore pointe
Saint-Matthieu, «ou autrement aux Alouettes.» Aujourd'hui elle n'est
plus connue que sous ce dernier nom.]

[Note 18: Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Cette pointe a changé de
nom du vivant même de l'auteur. Dans l'édition de 1632, elle est appelée
_pointe aux roches_; mais il nous semble évident que ce dernier nom doit
être attribué à l'inadvertance de l'imprimeur: car Sagard, qui publiait,
cette année-là même, son Grand Voyage au pays des Hurons, mentionne
cette pointe à plusieurs reprises, et l'appelle absolument comme nous
l'appelons aujourd'hui, la pointe aux Vaches. D'ailleurs la ressemblance
que peuvent avoir, dans un manuscrit, les deux mots _roches_ et
_vaches_, rend l'erreur tout à fait vraisemblable.]



6/70        _Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo
            des Sauvages de Canadas, leurs festins & danses, la guerre
            qu'ils ont avec les Iroquois, la façon & de quoy sont faits
            leurs canots & cabannes: avec la description de la poincte
            de Sainct Matthieu._

                                    CHAPITRE II.

            LE 27e jour, nous fusmes trouver les Sauvages à la poincte
            de Sainct Matthieu, qui est à une lieue de Tadousac, avec
            les deux sauvages que mena le Sieur du Pont, pour faire le
            rapport de ce qu'ils avoient veu en France, & de la bonne
            réception que leur avoit fait le Roy. Ayans mis pied à
            terre, nous fusmes à la cabanne de leur grand Sagamo [19],
            qui s'appelle Anadabijou, où nous le trouvasmes avec quelque
            quatre-vingts ou cent de ses compagnons qui faisoient
            tabagie (qui veut dire festin), lequel nous receut fort bien
            selon la coustume du pays, & nous feit asseoir auprés de
            luy, & tous les sauvages arrangez les uns auprés des autres
            des deux costez de la ditte cabanne. L'un des sauvages que
            nous avions amené commença à faire sa harangue de la bonne
            réception que leur avoit fait le Roy, & le bon traictement
            qu'ils avoient receu en France, & qu'ils s'asseurassent que
7/71        saditte Majesté leur voulloit du bien, & desiroit peupler
            leur terre, & faire paix avec leurs ennemis (qui sont les
            Irocois), ou leur envoyer des forces pour les vaincre: en
            leur comptant aussy les beaux chasteaux, palais, maisons &
            peuples qu'ils avoient veus, & nostre façon de vivre. Il fut
            entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de
            plus. Or, après qu'il eut achevé sa harangue, ledict grand
            Sagamo Anadabijou l'ayant attentivement ouy, il commença à
            prendre du Petun, & en donner audict Sieur du Pont-Gravé de
            Sainct Malo & à moy, & à quelques autres Sagamos qui
            estoient auprés de luy. Avant bien petunné, il commença à
            faire sa harangue à tous, parlant pozément, s'arrestant
            quelquefois un peu, & puis reprenoit sa parolle en leur
            disant, que véritablement ils devoient estre fort contents
            d'avoir saditte Majesté pour grand amy. Ils respondirent
            tous d'une voix: _Ho, ho, ho,_ qui est à dire _ouy, ouy_.
            Luy, continuant tousjours saditte harangue, dict qu'il
            estoit fort aise que saditte Majesté peuplast leur terre, &
            fist la guerre à leurs ennemis; qu'il n'y avoit nation au
            monde à qui ils voullussent plus de bien qu'aux François.
            Enfin il leur fit entendre à tous le bien & l'utilité qu'ils
            pourroient recevoir de saditte Majesté.

            Après qu'il eut achevé sa harangue, nous sortismes de sa
            cabanne, & eux commencèrent à faire leur tabagie ou festin,
            qu'ils font avec des chairs d'orignac, qui est comme boeuf,
            d'ours, de loups marins & castors, qui sont les viandes les
            plus ordinaires qu'ils ont, & du gibier en quantité. Ils
            avoient huict ou dix chaudieres pleines de viandes, au
8/72        milieu de laditte cabanne, & estoient esloignées les unes
            des autres quelques six pas, & chacune a son feu. Ils sont
            assis des deux costez (comme j'ay dict cy-dessus), avec
            chascun son escuelle d'escorce d'arbre: & lorsque la viande
            est cuitte, il y en a un qui fait les partages à chascun
            dans lesdittes escuelles, où ils mangent fort salement; car,
            quand ils ont les mains grasses, ils les frottent à leurs
            cheveux ou bien au poil de leurs chiens, dont ils ont
            quantité pour la chasse. Premier que leur viande fust
            cuitte, il y en eut un qui se leva, & print un chien, & s'en
            alla saulter autour desdittes chaudières d'un bout de la
            cabanne à l'autre. Estant devant le grand Sagamo, il jetta
            son chien à terre de force, & puis tous d'une voix ils
            s'escrierent: _Ho, ho, ho_: ce qu'ayant faict, s'en alla
            asseoir à sa place. En mesme instant, un autre se leva, &
            feit le semblable, continuant tousjours jusques à ce que la
            viande fut cuitte. Or, après avoir achevé leur tabagie, ils
            commencèrent à danser, en prenant les testes de leurs
            ennemis, qui leur pendoient par derrière, en signe de
            resjouïssance. Il y en a un ou deux qui chantent en
            accordant leurs voix par la mesure de leurs mains, qu'ils
            frappent sur leurs genoux; puis ils s'arrestent quelquefois
            en s'escriant: _Ho, Ho, ho_, & recommencent à danser, en
            tournant comme un homme qui est hors d'haleine. Ils
            faisoient cette resjouïssance pour la victoire par eux
            obtenue sur les Irocois, dont ils avoient tué quelque cent,
            aux quels ils coupèrent les testes qu'ils avoient avec eux
            pour leur cérémonie. Ils estoient trois nations quand ils
            furent à la guerre, les Estechemins, Algoumequins &
9/73        Montagnez [20], au nombre de mille, qui allèrent faire la
            guerre auxdicts Irocois, qu'ils rencontrèrent à l'entrée de
            la riviere desdicts Irocois [21], & en assommerent une
            centaine. La guerre qu'ils font n'est que par surprise; car
            autrement ils auroient peur, & craignent trop lesdicts
            Irocois, qui sont en plus grand nombre que lesdicts
            Montagnés, Estechemins & Algoumequins.

[Note 19: Sagamo veut dire en montagnais grand chef. D'après Mgr
Laflèche, ce mot est composé de _tchi_, grand (pour _kitchi_), et de
_okimau_, chef; _tchi okinau_, grand chef.]

[Note 20: Les Etchemins, appelés plus tard Malécites, habitaient
principalement le pays situé entre la rivière Saint-Jean et celle de
Pentagouet ou Pénobscot. Les Algonquins qui se trouvaient en ce moment à
Tadoussac, y étaient descendus probablement pour la traite; car leur
Pays était situé sur l'Outaouais et au-delà. Les Montagnais, à
proprement parler, étaient chez eux; car ils habitaient surtout le
Saguenay et les pays environnants.]

[Note 21: La rivière de Sorel.]

            Le 28e jour dudict mois, ils se vindrent cabanner audict
            port de Tadousac, où estoit nostre vaisseau. A la poincte du
            jour, leur dict grand Sagamo sortit de sa cabanne, allant
            autour de toutes les autres cabannes, en criant à haulte
            voix, qu'ils eussent à desloger pour aller à Tadousac, où
            estoient leurs bons amis. Tout aussy tost un chascun d'eux
            deffit sa cabanne en moins d'un rien, & ledict grand
            capitaine le premier commença à prendre son canot, & le
            porter à la mer, où il embarqua sa femme & ses enfants, &
            quantité de fourreures, & se meirent ainsy prés de deux
            cents canots, qui vont estrangement; car encore que nostre
            chalouppe fust bien armée, si alloient-ils plus vite que
            nous. Il n'y a que deux personnes qui travaillent à la nage,
            l'homme & la femme. Leurs canots ont quelques huict ou neuf
            pas de long, & large comme d'un pas ou pas & demy par le
            milieu, & vont tousjours en amoindrissant par les deux
10/74       bouts. Ils sont fort subjects à tourner si on ne les sçait
            bien gouverner, car ils sont faicts  d'escorce d'arbres
            appellée bouille[22], renforcez par le dedans de petits
            cercles de bois bien & proprement faicts, & sont si légers
            qu'un homme en porte un aisément, & chaqu'un canot peut
            porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser
            la terre, pour aller à quelque riviere où ils ont affaire,
            ils les portent avec eux.

[Note 22: Écorce de bouleau.]

            Leurs cabannes sont basses, faictes comme des tentes,
            couvertes de laditte escorce d'arbre, & laissent tout le
            haut descouvert comme d'un pied, d'où le jour leur vient, &
            font plusieurs feux droit au millieu de leur cabanne, où ils
            sont quelques fois dix mesnages ensemble. Ils couchent sur
            des peaux, les uns parmy les autres, les chiens avec eux.

            Ils estoient au nombre de mille personnes, tant hommes que
            femmes & enfans. Le lieu de la poincte de Sainct Matthieu,
            où ils estoient premièrement cabannez, est assez plaisant.
            Ils estoient au bas d'un petit costeau plein d'arbres, de
            sapins & cyprès. A laditte poincte, il y a une petite
            place unie, qui descouvre de fort loin; & au dessus dudict
            costeau, est une terre unie, contenant une lieue de long,
            demye de large, couverte d'arbres; la terre est fort
            sablonneuse, où il y a de bons pasturages. Tout le reste, ce
            ne sont que montaignes de rochers fort mauvais. La mer bat
            autour dudict costeau, qui asseiche prés d'une grande demy
            lieue de basse eau.



11/75       _La resjouïssance que font les Sauvages après qu'ils ont
            eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs, endurent la
            faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions,
            parlent aux Diables; leurs habits, & comme ils vont sur les
            neiges; avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement
            de leurs morts._

                                    CHAPITRE III.

            LE 9e jour de Juin, les Sauvages commencèrent à se resjouïr
            tous ensemble & faire leur tabagie, comme j'ay dict
            cy-dessus, & danser, pour laditte victoire qu'ils avoient
            obtenue contre leurs ennemis. Or, aprés avoir faict bonne
            chère, les Algoumequins, une des trois nations, sortirent
            de leurs cabannes, & se retirèrent à part dans une place
            publique, feirent arranger toutes leurs femmes & filles les
            unes prés des autres, & eux se meirent derrière, chantant
            tous d'une voix comme j'ay dict cy devant. Aussi tost toutes
            les femmes & filles commencèrent à quitter leurs robbes de
            peaux, & se meirent toutes nues, monstrans leur nature,
            neantmoins parées de matachias, qui sont patenoftres &
            cordons entrelacez, faicts de poil de porc-espic, qu'ils
            teignent de diverses couleurs. Après avoir achevé leurs
            chants, ils dirent tous d'une voix, _ho, ho, ho_; à mesme
            instant, toutes les femmes & filles se couvroient de leurs
            robbes, car elles sont à leurs pieds, & s'arrestent quelque
            peu, & puis aussi tost recommençans à chanter, ils laissent
12/76       aller leurs robbes comme auparavant. Ils ne bougent d'un
            lieu en dansant, & font quelques gestes & mouvemens du
            corps, levans un pied, & puis l'autre, en frappant contre
            terre. Or, en faisant ceste danse, le Sagamo des
            Algoumequins, qui s'appelle Besouat[23], estoit assis devant
            lesdittes femmes & filles, au millieu de deux bastons où
            estoient les testes de leurs ennemis pendues; quelques fois
            il se levoit, & s'en alloit haranguant & disant aux
            Montagnés & Estechemins: «Voyez comme nous nous resjouïssons
            de la victoire que nous avons obtenue sur nos ennemis: il
            faut que vous en fassiez autant, affin que nous soyons
            contens.» Puis tous ensemble disoient, _ho, ho, ho_.
            Retourné qu'il fut en sa place, le grand Sagamo avecque tous
            ses compaignons despouillerent leurs robbes, estans tous
            nuds hormis leur nature, qui est couverte d'une petite peau,
            & prindrent chascun ce que bon leur sembla, comme matachias,
            haches, espées, chauldrons, graisses, chair d'orignac,
            loup-marin, bref chascun avoit un present, qu'ils allèrent
            donner aux Algoumequins. Aprés toutes ces cérémonies, la
            danse cessa, & lesdicts Algoumequins, hommes & femmes,
            emportèrent leurs presens dans leurs cabannes. Ils feirent
            encore mettre deux hommes de chacune nation des plus dispos,
            qu'ils feirent courir, & celuy qui fut le plus viste à la
            course eut un present.

[Note 23: Probablement le même que Tessouat, grand sagamo des
Algonquins de l'Isle ou Kichesipirini. Quelques années plus tard, en
1613, ce chef accueille l'auteur comme une vieille connaissance; et
cependant ils n'avaient pas dû se rencontrer depuis 1603; car on ne voit
pas que Tessouat ait pris part aux expéditions contre les Iroquois, ni
qu'il soit descendu à la traite en 1611. D'ailleurs, dans un manuscrit,
_tesouat_ peut très-bien se prendre pour _besouat_.]

13/77       Tous ces peuples sont tous d'une humeur assez joyeuse; ils
            rient le plus souvent; toutes fois ils sont quelque peu
            saturniens. Ils parlent fort pozément, comme se voullant
            bien faire entendre, & s'arrestent aussi tost, en songeant
            une grande espace de temps, puis reprennent leur parolle.
            Ils usent bien souvent de ceste façon de faire parmy leurs
            harangues au conseil, où il n'y a que les plus principaux,
            qui sont les anciens, les femmes & enfants n'y assistent
            poinct.

            Tous ces peuples patissent tant quelques fois, qu'ils sont
            presque constraints de se manger les uns les autres, pour
            les grandes froidures & neiges, car les animaux & gibier
            dequoy ils vivent se retirent aux pays plus chauts. Je
            tiens que qui leur monstreroit à vivre, & enseigneroit le
            labourage des terres & autres choses, ils l'apprendroient
            fort bien; car je vous asseure qu'il s'en trouve assez qui
            ont bon jugement, & respondent assez bien à propos sur ce
            que l'on leur pourroit demander. Ils ont une meschanceté en
            eux, qui est user de vengeance, & estre grands menteurs,
            gens en qui il ne fait pas trop bon s'asseurer, sinon
            qu'avec raison & la force à la main; promettent assez, &
            tiennent peu.

            Ce font la plus part gens qui n'ont point de loy, selon que
            j'ay pu veoir & m'informer audict grand Sagamo, lequel me
            dict qu'ils croyoient véritablement qu'il y a un Dieu, qui a
            créé toutes choses. Et lors je luy dy: Puisqu'ils croyoient
            à un seul Dieu, comment est-ce qu'il les avoit mis au monde,
            & d'où ils estoient venus? Il me respondit: «Aprés que Dieu
            eut fait toutes choses, il print quantité de flesches, & les
64/78       meit en terre; d'où il sortit hommes & femmes, qui ont
            multiplié au monde jusques à prêtent, & sont venus de ceste
            façon.» le luy respondy, que ce qu'il disoit estoit faux;
            mais que véritablement il y avoit un seul Dieu, qui avoit
            créé toutes choses en la terre & aux cieux. Voyant toutes
            ces choses si parfaictes, sans qu'il y eust personne qui
            gouvernast en ce bas monde, il print du limon de la terre, &
            en créa Adam nostre premier père. Comme Adam sommeilloit,
            Dieu print une coste dudict Adam, & en forma Eve, qu'il luy
            donna pour compagnie, & que c'estoit la vérité qu'eux & nous
            estions venus de ceste façon, & non de flesches comme ils
            croyent. Il ne me dict rien sinon, qu'il advoüoit plustost
            ce que je luy disois, que ce qu'il me disoit. Je luy
            demandis aussi, s'ils ne croyoient point qu'il y eust autre
            qu'un seul Dieu. Il me dict que leur croyance estoit, qu'il
            y avoit un Dieu, un Fils, une Mère & le Soleil, qu'estoient
            quatre; neantmoins que Dieu estoit par dessus tous, mais que
            le fils estoit bon, & le Soleil, à cause du bien qu'ils
            recevoient; mais la mère ne valloit rien, & les mangeoit, &
            que le père n'estoit pas trop bon. Je luy remonstray son
            erreur selon nostre foy, enquoy il adjousta quelque peu de
            créance. Je luy demandis, s'ils n'avoient point veu ou ouy
            dire à leurs ancestres que Dieu fust venu au monde. Il me
            dict qu'il ne l'avoit point veu; mais qu'anciennement il y
            eut cinq hommes qui s'en allèrent vers le soleil couchant,
            qui rencontrèrent Dieu, qui leur demanda: «Ou allez-vous?»
            Ils dirent: «Nous allons chercher nostre vie.» Dieu leur
15/79       respondit: «Vous la trouverez icy.» Ils passèrent plus
            outre, sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dict,
            lequel print une pierre, & en toucha deux, qui furent
            transmuez en pierre, & dict de rechef aux trois autres: «Où
            allez-vous?» Et ils respondirent comme à la première fois, &
            Dieu leur dit de rechef: «Ne passez plus outre: vous la
            trouverez icy.» Et voyant qu'il ne leur venoit rien, ils
            passerent outre, & Dieu print deux bastons, & il en toucha
            les deux premiers, qui furent transmuez en bastons, & le
            cinquiesme s'arresta, ne voullant passer plus outre. Et Dieu
            lui demanda de rechef: «Où vas-tu?»--«Je vais chercher ma
            vie.»--«Demeure, & tu la trouveras.» Il demeura sans passer
            plus outre, & Dieu luy donna de la viande, & en mangea.
            Après avoir faict bonne chère, il retourna avecque les
            autres sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.

            Il me dict aussy qu'une autre fois il y avoit un homme
            qui avoit quantité de tabac (qui est une herbe dequoy ils
            prennent la fumée), & que Dieu vint à cet homme, & luy
            demanda où estoit son petunoir; l'homme print son petunoir,
            & le donna à Dieu, qui petuna beaucoup. Après avoir bien
            petuné, Dieu rompit ledict petunoir en plusieurs pièces, &
            l'homme luy demanda: «Pourquoy as-tu rompu mon petunoir? eh
            tu vois bien que je n'en ay point d'autre.» Et Dieu en print
            un qu'il avoit, & le luy donna, luy disant: «En voilà un que
            je te donne, porte-le à ton grand Sagamo, qu'il le garde,
            & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose
16/80       quelconque, ny tous ses compagnons.» Le dict homme print le
            petunoir, qu'il donna à son grand Sagamo; lequel tandis
            qu'il l'eut, les sauvages ne manquèrent de rien du monde;
            mais que du depuis le dict Sagamo avoit perdu ce petunoir,
            qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelques
            fois parmy eux. Je luy demandis s'il croyoit tout cela; il
            me dict qu'ouy, & que c'estoit vérité. Or je croy que voilà
            pourquoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon. Mais je luy
            repliquay, & luy dis, Que Dieu estoit tout bon, & que sans
            doubte c'estoit le Diable qui s'estoit montré à ces
            hommes-là, & que s'ils croyoient comme nous en Dieu, ils ne
            manqueroient de ce qu'ils auraient besoing; que le soleil
            qu'ils voyaient, la lune & les estoilles, avoient esté créez
            de ce grand Dieu, qui a faict le ciel & la terre, & n'ont
            nulle puissance que celle que Dieu leur a donnée; que nous
            croyons en ce grand Dieu, qui par sa bonté nous avoit envoyé
            son cher fils, lequel, conceu du Sainct Esprit, print chair
            humaine dans le ventre virginal de la Vierge Marie, ayant
            esté trente-trois ans en terre, faisant une infinité de
            miracles, ressuscitant les morts, guerissant les malades,
            chassant les Diables, illuminant les aveugles, enseignant
            aux hommes la volonté de Dieu son père, pour le servir,
            honorer & adorer, a espandu son sang, & souffert mort &
            passion pour nous & pour nos péchez, & rachepté le genre
            humain, estant ensevely est ressuscité, descendu aux enfers,
            & monté au ciel, où il est assis à la dextre de Dieu son
17/81       pere[24]. Que c'estoit là la croyance de tous les
            chrestiens, qui croyent au Père, au Fils & au Saint Esprit,
            qui ne sont pourtant trois dieux, ains un mesme & un seul
            dieu, & une trinité en laquelle il n'y a point de plus tost
            ou d'après, rien de plus grand ne de plus petit; que la
            Vierge Marie, mère du fils de Dieu, & tous les hommes &
            femmes qui ont vescu en ce monde faisans les commandemens de
            Dieu, & enduré martyre pour son nom, & qui par la permission
            de Dieu ont faict des miracles & sont saincts au ciel en son
            paradis, prient tous pour nous ceste grande majesté divine
            de nous pardonner nos fautes & nos péchez que nous faisons
            contre sa loy & ses commandemens. Et ainsi, par les prières
            des saincts au ciel & par nos prières que nous faisons à sa
            divine majesté, ils nous donne ce que nous avons besoing, &
            le Diable n'a nulle puissance sur nous, & ne peut faire de
            mal; que s'ils avoient ceste croyance, qu'ils feroient comme
            nous, que le Diable ne leur pourroit plus faire de mal & ne
            manqueroient de ce qu'ils auroient besoing.

[Note 24: Lescarbot fait sur ce passage la remarque suivante: «Je ne
croy point que cette théologie se puisse expliquer à ces peuples, quand
même on sçauroit parfaitement leur langue.» Il nous semble cependant que
cette théologie n'a rien qui soit beaucoup plus difficile à entendre que
la fable rapportée par le sagamo, puisque Champlain ne fait guère que
lui raconter des faits historiques qui ont au moins en leur faveur le
mérite de la vraisemblance. Supposé, au reste, que ce discours ne fût
pas tout à fait à la portée de son interlocuteur, il n'en serait pas
moins une preuve du zèle et des bonnes intentions de Champlain.]

            Alors ledict Sagamo me dict qu'il advouoit ce que je disois.
            Je luy demandis de quelle cérémonie ils usoient à prier
            leur Dieu. Il me dict, qu'ils n'usoient point autrement de
            cérémonies, sinon qu'un chascun prioit en son coeur comme il
18/82       voulloit. Voilà pourquoy je croy qu'il n'y a aucune loy
            parmy eux, ne sçavent que c'est d'adorer & prier Dieu, &
            vivent la plus part comme bestes brutes, & croy que
            promptement ils seroient reduicts bons chrestiens, si l'on
            habitoit leur terre; ce qu'ils desireroient la plus part.

            Ils ont parmy eux quelques sauvages, qu'ils appellent
            Pilotoua [25], qui parlent au Diable visiblement; & leur
            dict ce qu'il faut qu'ils fassent tant pour la guerre que
            pour autres choses, & que s'il leur commandoit qu'ils
            allassent mettre en exécution quelque entreprise, ou tuer un
            François, ou un autre de leur nation, ils obeïroient aussi
            tost à son commandement.

[Note 25: Quoique Champlain ait pu tenir des sauvages le mot
_pilotoua_ ou _piletois_, il paraît cependant qu'il leur est venu de la
langue des Basques; c'est du moins ce que dit le P. Biard (Relat. de la
Nouv. Fr., édit. 1858, p. 17), en parlant de l'_aoutmoin_, «que les
Basques, dit-il, appellent Pilotois, c'est-à-dire, sorcier.»]

            Aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font sont
            véritables; & de faict il y en a beaucoup qui disent aveoir
            veu & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais, pour
            en parler avec vérité, ce sont visions du Diable, qui
            les trompe & seduict. Voilà toute la créance que j'ay pu
            apprendre d'eux, qui est bestiale.

            Tous ces peuples, ce sont gens bien proportionnez de leurs
            corps, sans aucune difformité; ils sont dispos, & les femmes
            bien formées, remplies & potelées, de couleur basanée, pour
            la quantité de certaine peinture dont ils se frottent, qui
            les faict devenir olivastres. Ils sont habillez de peaux;
            une partie de leur corps est couverte, & l'autre partie
            descouverte. Mais l'hyver ils remédient à tout, car ils sont
19/83       habillez de bonnes fourrures, comme d'orignac, loutre,
            castors, ours-marins, cerfs biches qu'ils ont en quantité.
            L'hyver, quand les neiges sont grandes, ils font une manière
            de raquette qui est grande deux ou trois fois comme celles
            de France, qu'ils attachent à leurs pieds, & vont ainsi dans
            les neiges sans enfoncer, car autrement ils ne pourroient
            chasser, ny aller en beaucoup de lieux.

            Ils ont aussi une forme de mariage, qui est que quand une
            fille est en l'aage de quatorze ou quinze ans, elle aura
            plusieurs serviteurs & amis, & aura compagnie avec tous ceux
            que bon luy semblera; puis au bout de quelques cinq ou six
            ans, elle prendra lequel il luy plaira pour son mary, &
            vivront ainsi ensemble jusques à la fin de leur vie, si ce
            n'est qu'après avoir esté quelque temps ensemble ils n'ont
            enfans, l'homme se pourra desmarier & prendre autre femme
            disant que la sienne ne vaut rien. Pour ainsi les filles
            sont plus libres que les femmes; or, despuis qu'elles sont
            mariées, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart
            jaloux, lesquels donnent des presens au père ou parens de
            la fille qu'ils auront espousée. Voilà la cérémonie & façon
            qu'ils usent en leurs mariages.

            Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou
            femme meurt, ils font une fosse, ou ils mettent tout le bien
            qu'ils auront, comme chaudrons, fourrures, haches, arcs &
            flesches, robbes & autres choses; & puis ils mettent le
            corps dedans la fosse, & le couvrent de terre, où ils
            mettent quantité de grosses pièces de bois dessus, & un bois
20/84       debout qu'ils peignent de rouge par le haut. Ils croyent
            l'immortalité des âmes & disent qu'ils vont se resjouïr en
            d'autres pays avec leurs parents & amis, quand ils sont
            morts.



            _Riviere du Saguenay & son origine._

                               CHAPITRE IV.

            Le 11e jour de juin, je fus à quelques douze ou quinze
            lieues dans le Saguenay, qui est une belle riviere, & a une
            profondeur incroyable: car je croy, selon que j'ay entendu
            deviser d'où elle procède, que c'est d'un lieu fort
            hault, d'où il descend un torrent d'eau [26] d'une grande
            impetuosité; mais l'eau qui en procède n'est point capable
            de faire un tel fleuve comme celuy-là, qui néantmoins ne
            tient que depuis cedict torrent d'eau, où est le premier
            sault, jusques au port de Tadousac, qui est l'entrée de la
            ditte riviere du Saguenay, où il y a quelques quarante-cinq
            ou cinquante lieues, & une bonne lieue & demye de large au
            plus, & un quart au plus estroict; qui faict qu'il y a grand
            courant d'eau. Toute la terre que j'ay veu, ce ne sont que
            montaignes de rochers la pluspart couvertes de bois de
            sapins, cyprez & boulle, terre fort malplaisante, où je n'ay
            point trouvé une lieue de terre plaine tant d'un costé que
            d'autre. Il y a quelques montagnes de sable & isles en
21/85       laditte riviere, qui sont haultes eslevées. Enfin ce sont de
            vrais deserts inhabitables d'animaux & d'oiseaux; car je
            vous asseure qu'allant chasser par les lieux qui me
            sembloient les plus plaisans, je ne trouvay rien qui soit
            sinon de petits oiseaux, qui sont comme rossignols &
            airondelles, lesquelles viennent en esté, car autrement je
            croy qu'il n'y en a point, à cause de l'excessif froid
            qu'il y faict, ceste riviere venant de devers le Norouest.

[Note 26: On serait porté à croire d'abord qu'il est ici question de
la décharge du lac Saint-Jean; mais le contexte indique assez que les
sauvages lui ont décrit la route ordinaire des voyageurs, c'est-à-dire,
la rivière Chicoutimi, les lacs Kinogomi, Kinogomichiche et la
Belle-Rivière; et alors il est tout naturel que Champlain n'ait pas
trouvé de proportion entre la Décharge et le Saguenay.]

            Ils me firent rapport qu'ayant passé le premier sault, d'où
            vient ce torrent d'eau, ils passent huict autres saults, &
            puis vont une journée sans en trouver aucun, puis passent
            autres dix saults, & viennent dedans un lac[27], où ils sont
            deux jours à rapasser; en chasque jour ils peuvent faire à
            leur aise quelques douze à quinze lieues. Audict bout du
            lac, il y a des peuples qui sont cabannez[28], puis on
            entre dans trois autres rivieres, quelques trois ou quatre
            journées dans chascune; ou, au bout desdittes rivieres, il
            y a deux ou trois manières de lacs, d'où prend la source du
            Saguenay, de laquelle source jusques audict port de Tadousac
            il y a dix journées de leurs canots [29]. Au bord desdittes
22/86       rivieres, il y a quantité de cabannes, où il vient d'autres
            nations du costé du Nort, trocquer avec lesdicts Montagnés
            des peaux de castor & martre, avec autres marchandises que
            donnent les vaisseaux françois aux dicts Montagnés. Lesdicts
            sauvages du Nort disent qu'ils voyent une mer qui est salée.
            Je tiens que si cela est, que c'est quelque goulfe de ceste
            mer qui desgorge par la partie du Nort dans les terres [30];
            & de vérité il ne peut estre autre chose. Voylà ce que j'ay
            apprins de la riviere du Saguenay.

[Note 27: Le lac Saint-Jean, que les sauvages appelaient
_Piécouagami_.]

[Note 28: La nation du Porc-Épic (ou des Kakouchaki) demeurait au lac
Saint-Jean probablement dès ce temps-là.]

[Note 29: «Voilà,» dit Lescarbot (liv. III, ch. IX) «ce qu'a écrit
Champlain dés l'an six cens cinq» (lisez mil six cent trois) «de la
rivière de Saguenay. Mais depuis il dit en sa dernière relation que du
port de Tadoussac jusques à la mer que les Sauvages de Saguenay
descouvrent au nort, il y a quarante à cinquante journées; ce qui est
bien éloigné des dix que maintenant il a dit.»

Si Lescarbot avait examiné les choses plus attentivement, il aurait
remarqué que Champlain ne dit pas qu'il y ait dix journées de Tadoussac
à cette mer du nord qui est salée, c'est-à-dire, à la baie d'Hudson,
mais bien seulement de Tadoussac à la source du Saguenay; ce qui est
tout différent.]

[Note 30: La bonne foi avec laquelle Champlain consulte les sauvages
pour en apprendre ce qu'il ne pouvait reconnaître de ses yeux, contraste
singulièrement avec l'incrédulité de Lescarbot. Champlain, sur le simple
récit des sauvages, avait assez bien compris la position de la baie
d'Hudson, et Lescarbot, plusieurs années après la découverte faite,
disait encore: «Toutesfois je ne voudrois aisément croire lesdits
Anglois disans qu'il se trouve une mer dans les terres au cinquantième
degré: car il y a longtemps qu'elle seroit découverte, étant si voisine
de Tadoussac, & en même élévation» (liv. III, ch. IX).]



            _Partement de Tadousac pour aller au Sault, la description
            des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans, & de plusieurs
            autres isles & de nostre arrivée à Quebec._

                                    CHAPITRE V.

            Le mercredy, dix-huictiesme jour de juin, nous partismes de
            Tadousac, pour aller au Sault[31]. Nous passasmes prés d'une
            isle qui s'appelle l'Isle au Lievre[32] qui peut estre à
            deux lieues de la terre de la bande du Nort, & à quelques
            sept lieues dudict Tadousac, & à cinq lieues [33] de la
            terre du Su.

[Note 31: Le saut Saint-Louis.]

[Note 32: Cette île fut ainsi appelée par Jacques Cartier, parce que,
à son retour en 1536, il y trouva quantité de lièvres. Elle porte encore
le même nom aujourd'hui.]

[Note 33: Environ deux lieues et demie. La côte du sud, beaucoup moins
élevée que celle du nord, paraît être à une bien plus grande distance
qu'elle n'est réellement.]

23/87       De l'Isle au Lievre, nous rangeasmes la coste du Nort
            environ demye lieue [34], jusques à une poincte qui advance
            à la mer, où il faut prendre plus au large. Laditte poincte
            est à une lieue d'une isle qui s'appelle L'Isle au Coudre,
            qui peut tenir environ deux lieues de large, & de laditte
            isle à la terre du Nort, il y a une lieue. Laditte isle
            est quelque peu unie, venant en amoindrissant par les
            deux bouts, au bout de l'Ouest, il y a des prairies [35]
            & poinctes de rochers qui advancent quelque peu dans la
            riviere. Laditte isle est quelque peu agréable pour les bois
            qui l'environnent. Il y a force ardoise, & la terre quelque
            peu graveleuse; au bout de laquelle il y a un rocher qui
            advance à la mer environ demye lieue. Nous passasmes au
            Nort de laditte isle, distante de l'Isle au Lievre de douze
            lieues.

[Note 34: Par ce qui suit, on voit qu'il faut lire ici dix ou douze
lieues: car cette pointe, qui avance à la mer et qui est à une lieue, ou
un peu plus, de l'île aux Coudres, ne peut être que le cap aux Oies.]

[Note 35: Cette partie de l'île s'appelle encore aujourd'hui les
Prairies.]

            Le jeudy suyvant, nous en partismes, & vinsmes mouiller
            l'ancre à une anse dangereuse du costé du Nort, où il y a
            quelques prairies & une petite riviere[36] où les sauvages
            cabannent quelques-fois. Cedict jour, rangeant tousjours
            laditte coste du Nort jusques à un lieu où nous relaschasmes
            pour les vents qui nous estoient contraires, où il y avoit
            force rochers & lieux fort dangereux, nous fusmes trois
            jours en attendant le beau temps. Toute ceste coste n'est
            que montaignes tant du costé du Su, que du costé du Nort, la
            pluspart ressemblant à celle du Saguenay.

[Note 36: La Petite-Rivière a toujours gardé son nom depuis.]

24/88       Le dimanche, vingt-deuxiesme jour dudict mois, nous en
            partismes pour aller à l'isle d'Orléans [37], où il y a
            quantité d'isles à la bande du Su, lesquelles sont basses &
            couvertes d'arbres, semblans estre fort agréables, contenans
            (selon ce que j'ay pu juger) les unes deux lieues & une
            lieue, & autres demye; autour de ces isles ce ne sont que
            rochers & basses fort dangereux à passer, & sont esloignées
            quelques deux lieues de la grand'terre du Su. Et de là,
            vinsmes ranger à l'isle d'Orléans, du costé du Su. Elle est
            à une lieue de la terre du Nord, fort plaisante & unie,
            contenant de long huict lieues [38]. Le costé de la terre du
            Su est terre basse, quelques deux lieues avant en terre;
            lesdittes terres commencent à estre basses à l'endroict de
            laditte isle, qui peut estre à deux lieues de la terre du
            Su. A passer du costé du Nort, il y faict fort dangereux
            pour les bancs de sables, rochers qui sont entre laditte
            isle & la grand'terre, & asseiche presque toute de basse
            mer.

[Note 37: Cette île, suivant Thévet (Grand Insulaire), était appelée par
les sauvages _Minigo_ (peut-être _Ouinigo_, de l'Algonquin _Ouindigo_,
ensorcelé). «J'avois oublié à vous dire, que une isle nommée des
françoys Orléans & des sauvages _Minigo_, est l'endroit où la rivière
est la plus estroicte...... L'isle de Minigo sert de retraite au peuple
de ce pays, pour se retirer lorsqu'ils sont poursuivis de leurs
ennemis...... Les François,» ajoute-t-il plus loin, «la nommèrent Isle
d'Orléans, en l'honneur d'un fils de France, qui lors vivoit, & se
nommoit lors de Valois, Duc D'Orléans, fils de ce grand Roy Françoys de
Valois, premier du nom.» Si ce nom d'Orléans remonte, comme l'affirme
Thévet, à un fils de François I, ce ne peut être que Henri II, qui porta
le titre de Duc d'Orléans jusqu'à la mort de son frère aîné François,
c'est-à-dire, jusqu'à l'année 1536; car, cette année-là même, Jacques
Cartier, en retournant de son second voyage, dit «vinsmes poser au bas
de l'isle d'Orléans, environ douze lieues de Saincte Croix.» Il faut
donc supposer ou bien que le nom de _Bacchus_, donné à cette île par
Cartier lui-même l'automne précédent, aura été changé pendant l'hiver
que les Français passèrent ici, ou bien que cette île avait déjà reçu
son nom de quelque voyageur inconnu; ce qui n'est guère probable,
puisque alors Cartier, qui devait le savoir aussi bien en remontant le
fleuve qu'en descendant, ne pouvait, sans inconvenance, substituer un
nom assez indifférent en lui-même, à celui d'un fils de France, du fils
de son bienfaiteur.]

[Note 38: Sept lieues.]

25/89       Au bout de laditte isle, je vy un torrent d'eau [39], qui
            desbordoit de dessus une grande montaigne[40] de laditte
            riviere de Canadas, & dessus laditte montaigne est terre
            unie & plaisante à veoir, bien que dedans lesdittes terres
            l'on voit de haultes montaignes, qui peuvent estre à
            quelques vingt ou vingt-cinq lieues dans les terres [41],
            qui sont proches du premier sault du Saguenay.

[Note 39: L'auteur donna plus tard à ce torrent d'eau le nom de
Montmorency, qu'il porte encore aujourd'hui. Dans la carte des environs
de Québec qu'il publia en 1613, il l'appelle «le grand sault de
Montmorency.» Dans l'édition de 1632, il ajoute: «Que j'ay nommé le
sault de Montmorency.»]

[Note 40: C'est-à-dire, un côteau très-escarpé, haut d'environ 300
pieds.]

[Note 41: Ces montagnes, qui forment la chaîne des Laurentides, ne sont
pas aussi éloignées; mais elles s'étendent en effet jusqu'au bassin du
Saguenay.]

            Nous vinsmes mouiller l'ancre à Québec [42], qui est un
            destroict de laditte riviere de Canadas, qui a quelque trois
            cens pas de large [43]. Il y a à ce destroict, du costé du
            Nort, une montaigne assez haulte, qui va en abaissant des
26/90       deux costez; tout le reste est pays uny & beau, où il y a de
            bonnes terres pleines d'arbres, comme chesnes, cyprès,
            boulles, sapins & trembles, & autres arbres fruictiers
            sauvages, & vignes, qui faict u'à mon opinion, si elles
            estoient cultivées, elles seroient bonnes comme les nostres.
            Il y a, le long de la coste dudict Québec, des diamants dans
            des rochers d'ardoyse, qui sont meilleurs que ceux
            d'Alençon. Dudict Québec jusques à l'isle au Coudre, il y a
            29 lieues [44].

[Note 42: C'est ici la première fois que l'on rencontre le nom de
Québec, pour désigner ce que Jacques Cartier appelle tantôt Stadaconé,
tantôt Canada. Tous ces noms, sans se contredire ou s'exclure,
expriment, suivant la langue et le génie des sauvages, comme une
nuance particulière du tableau pittoresque que présente le site de
Québec. Stadaconé était bâti sur l'_aile_ que forme la pointe du cap
aux Diamants; or, suivant Mgr Laflèche, _stadaconé_, dans le dialecte
cris ou algonquin, veut dire _aile_, quoique d'autres linguistes
prétendent reconnaître dans ce mot une origine huronne (voir _Hist. de
la Colonie française en Canada_, I, 532, note **). Le mot Canada, dont
Cartier nous donne lui-même la signification («ils appellent une ville
canada»), semble avoir désigné l'importance relative que devait avoir
Stadaconé par l'avantage même de sa position. Enfin, il est naturel de
supposer que les sauvages, après la disparition ou le déplacement de
Stadaconé, n'aient pas trouvé, pour désigner le même lieu, d'expression
plus juste que celle de Kébec ou Québec, qui veut dire, comme le
remarque ici Champlain, _détroit, rétrécissement_, et même quelque chose
de plus expressif, _c'est bouché_. Ce passage resserré entre deux côtes
escarpées, est peut-être ce qui frappe davantage le voyageur qui remonte
le Saint-Laurent, jusque là si large et si majestueux. Or les sauvages
du bas du fleuve, et les Micmacs en particulier, se servent encore
actuellement du même mot _Kebec_, pour signifier un lieu _ou l'eau se
rétrécit ou se referme_. Inutile de réfuter ici les opinions plus ou
moins ingénieuses, qui Veulent trouver l'origine du nom de Québec dans
l'exclamation d'un matelot normand, _quel bec!_ c'est-à-dire, quel cap!
ou dans les armes de certain comte ou seigneur de Normandie. En face de
toutes ces suppositions, il y a toujours les témoignages imposants de
Champlain et de Lescarbot, qui affirment que ce mot est sauvage. (Voir
le Cours d'Histoire de M. Ferland, I, 90, note 3.)]

[Note 43: Le fleuve, devant Québec, a un quart de lieue de large.]

[Note 44: Ce chiffre est de beaucoup trop fort; la copie originale
portait probablement 19. Il y a environ 18 lieues.]



            _De la poincte Sainte Croix, de la riviere de Batiscan; des
            rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes
            & beaux pays qui sont depuis Quebec, jusques aux Trois
            Rivieres._

                                   CHAPITRE VI.

            Le lundy, 23. dudict mois, nous partismes de Québec, ou la
            riviere commence à s'élargir quelques-fois d'une lieue, puis
            de lieue & demye ou deux lieues au plus. Le pays va de plus
            en plus en embellissant; ce sont toutes terres basses,
            sans rochers, que fort peu. Le costé du Nort est remply de
            rochers & bancs de sable, il faut prendre celuy du Su comme
            d'une demy lieue de terre. Il y a quelques petites rivieres
            qui ne sont point navigables, si ce n'est pour les canots
            des sauvages, auxquelles il y a quantité de saults. Nous
            vinsmes mouiller l'ancre jusques à Saincte Croix [45],
27/91       distante de Québec de quinze lieues; c'est une poincte
            basse, qui va en haulsant des deux costez. Le pays est beau
            & uny, & les terres meilleures qu'en lieu que j'eusse veu,
            avec quantité de bois, mais fort peu de sapins & cyprès.
            Il s'y trouve en quantité des vignes, poires, noysettes,
            cerises, groiselles rouges & vertes, & de certaines petites
            racines de la grosseur d'une petite noix ressemblant
            au goust comme truffes, qui sont très-bonnes rôties &
            bouillies. Toute ceste terre est noire, sans aucuns rochers,
            sinon qu'il y a grande quantité d'ardoise; elle est fort
            tendre, & si elle estoit bien cultivée, elle seroit de bon
            rapport.

[Note 45: Champlain nous fait connaître lui-même (édit. 1613, liv, II,
ch. IV) l'origine de ce nom de Sainte-Croix. «Dés la première fois,»
dit-il, «qu'on me dit qu'il (Cartier) avoit habité en ce lieu, cela
m'estonna fort.... Ce que l'on appelle aujourd'huy Saincte Croix
s'appeloit lors Achelacy, destroit de la riviere fort courant &
dangereux... Or en toute ceste riviere, n'y a destroit depuis Quebecq
jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle Saincte
Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre...» D'où l'on voit
1° que les navigateurs qui ont précédé Champlain croyaient que c'était
en ce lieu qu'avait hiverné Cartier de 1535 à 1536; 2° que c'est ce qui
leur a fait donner à ce même lieu le nom de Sainte-Croix. La cause
probable de cette erreur est la ressemblance qu'on a cru voir entre le
rapide du Richelieu, et ce «destroict dudict fleuve fort courant &
parfond» dont parle Cartier, et qu'il faut entendre de Québec.]

            Du costé du Nort, il y a une riviere qui s'appelle Batiscan,
            qui va fort avant en terre, par où quelques-fois les
            Algoumequins viennent; & une autre [46] du mesme costé, à
            trois lieues dudict Saincte Croix sur le chemin de Québec,
            qui est celle où fut Jacques Cartier au commencement de la
            descouverture qu'il en feit, & ne passa point plus outre
            [47]. Laditte riviere est plaisante, & va assez avant dans
            les terres. Tout ce costé du Nort est fort uny & aggreable.

[Note 46: La rivière Jacques-Cartier, qui en effet se jette dans le
fleuve à trois lieues environ de ce qu'on appelait alors la _pointe de
Sainte-Croix_, aujourd'hui le Platon.]

[Note 47: L'auteur, qui probablement n'avait point encore vu les
relations de Cartier, parle ici d'après les traditions ou les idées de
ceux qui le pilotaient, et vraisemblablement de Pont-Gravé en
particulier; car la Chronologie Septénaire, qui semble prendre les
intérêts de celui-ci, enchérit encore sur ce passage, et ajoute: «ny
autre après luy qu'en ce voyage.» Mais Champlain était trop bon
observateur pour ne pas concevoir quelques doutes sur la vérité de ces
faits, «ne voyant, comme il dit, apparence de riviere pour mettre
vaisseaux» (édit. 1613, liv. II, ch. IV). Aussi prouve-t-il, au même
endroit, que Cartier n'a pu hiverner ailleurs que dans la rivière
Saint-Charles. Au reste il n'a pas pu s'imaginer qu'il était le premier
à remonter le fleuve au-dessus de Sainte-Croix, comme l'insinue
Lescarbot, puisqu'il était avec Pont-Gravé, qui connaissait les
Trois-Rivières depuis au moins cinq ou six ans.]

28/92       Le mercredy, 24e jour[48] dudict mois, nous partismes dudict
            Saincte Croix, où nous retardasmes une marée & demye, pour
            le lendemain pouvoir passer de jour, à cause de la grande
            quantité de rochers qui sont au travers de laditte riviere,
            (chose estrange à veoir) qui asseiche presque toute de
            basse mer. Mais à demy flot, l'on peut commencer à passer
            librement; toutesfois il faut y prendre bien garde, avec la
            sonde à la main. La mer y croist prés de trois brasses &
            demye.

[Note 48: Le 24 était un mardi, et le contexte fait voir suffisamment
qu'on était au mardi.]

            Plus nous allions en avant, & plus le pays est beau. Nous
            fusmes à quelques cinq lieues & demye mouiller l'ancre à
            la bande du Nort. Le mercredy ensuyvant, nous partismes de
            cedict lieu, qui est pays plus plat que celuy de devant,
            plein de grande quantité d'arbres, comme à Saincte Croix.
            Nous passasmes prés d'une petite isle, qui estoit remplye de
            vignes, & vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Su, prés
            d'un petit costeau; mais, estant dessus, ce sont terres
            unies. Il y a une autre petite isle [49], à trois lieues de
            Saincte Croix, proche de la terre du Su. Nous partismes
            le jeudi ensuyvant dudict costeau, & passasmes prés d'une
29/93       petite isle, qui est proche de la bande du Nort, où je fus,
            à quelques six petites rivieres, dont il y en a deux qui
            peuvent porter bateau assez avant, & une autre[50] qui a
            quelques trois cens pas de large, à son entrée il y a
            quelques isles; elle va fort avant dans la terre, est la
            plus creuse de toutes les autres; lesquelles sont fort
            plaisantes à veoir, les terres estans pleines d'arbres qui
            ressemblent à des noyers, & en ont la mesme odeur, mais je
            n'y ay point veu de fruict, ce qui me met en doubte. Les
            sauvages m'ont dict qu'il porte son fruict comme les
            nostres.

[Note 49: Cette île ne peut être que celle à laquelle il donna plus tard
le nom de Richelieu, et que l'on a appelée simplement île de
Sainte-Croix jusqu'en 1633. «Ce mesme jour» (3 juin 1633), dit le
Mercure français, t. XIX, p. 822, «le sieur de Champlain partit pour
aller à Saincte Croix faire porter des commoditez, pour édifier une
cabanne à faire la traitte, y arriva le jour ensuyvant, & le dimanche 5
de juin alla recognoistre l'isle dés le soir... Le lundy 6, ledit sieur
envoya des hommes à terre pour commencer à faire la cabanne pour la
traitte.» Et un peu plus loin: «Les ouvriers qui sont icy sont employez
aux habitations & fortifications qu'il faut faire à l'isle de Richelieu
& Trois Rivieres.» Suivant le P. Le Jeune (Rel. 1635, p. 13, édit.
1858), les sauvages appelaient cette île, _Ka ouapassiniskakhi_.]

[Note 50: La rivière de Sainte-Anne, dont il dit, dans son édit. de
1613, liv. II, ch. VII, «& l'avons nommée la riviere Saincte-Marie.»]

            Passant plus outre, nous rencontrasmes une isle qui
            s'appelle Sainct Eloy[51], & une autre petite isle, laquelle
            est tout proche de la terre du Nort. Nous passasmes entre
            laditte isle & laditte terre du Nort, où il y a de l'un à
            l'autre quelques cent cinquante pas. De laditte isle jusques
            à la bande du Su une lieue & demye, passasmes proche d'une
            riviere où peuvent aller les canots. Toute ceste coste
            du Nort est assez bonne; l'on y peut aller librement,
            néantmoins la sonde à la main, pour esviter certaines
            poinctes. Toute ceste coste que nous rangeasmes est sable
            mouvant; mais, entrant quelque peu dans les bois, la terre
            est bonne.

[Note 51: La Chronologie Septénaire, dit: «qu'ils appellerent
Sainct-Eloy.» Cette île, située en face de l'église actuelle de
Batiscan, n'est plus guère connue sous ce nom; mais le petit chenal qui
la sépare de la terre ferme porte encore aujourd'hui le nom de
Saint-Éloi.]

            Le vendredy ensuyvant, nous partismes de ceste isle,
30/94       costoyant tousjours la bande du Nort tout proche terre, qui
            est basse & pleine de tous bons arbres, & en quantité,
            jusques aux Trois Rivieres, où il commence d'y avoir
            température de temps quelque peu dissemblable à celuy de
            Saincte Croix, d'autant que les arbres y sont plus advancez
            qu'en aucun lieu que j'eusse encores veu. Des Trois
            Rivieres jusques à Saincte Croix il y a quinze lieues. En
            cette riviere[52], il y a six isles, trois desquelles sont
            fort petites, & les autres de quelques cinq à six cens pas
            de long, fort plaisantes, & fertilles pour le peu qu'elles
            contiennent. Il y en a une au milieu de laditte riviere
            qui regarde le passage de celle de Canadas, & commande aux
            autres esloignées de la terre, tant d'un costé que d'autre
            de quatre à cinq cens pas. Elle est eslevée du costé du Su,
            & va quelque peu en baissant du costé du Nort. Ce seroit
            à mon jugement un lieu propre à habiter, & pourroit-on le
            fortifier promptement, car sa scituation est forte de soy, &
            proche d'un grand lac [53] qui n'en est qu'à quelques quatre
            lieues; lequel joinct presque la riviere de Saguenay[54],
            selon le rapport des sauvages, qui vont prés de cent lieues
31/95       au Nort, & passent nombre de saults, puis vont par terre
            quelques cinq ou six lieues, & entrent dedans un lac[55],
            d'où ledict Saguenay prend la meilleure part de sa source, &
            lesdicts sauvages viennent dudict lac à Tadousac. Aussi que
            l'habitation des Trois Rivieres seroit un bien pour la
            liberté de quelques nations, qui n'osent venir par là, à
            cause desdicts Irocois leurs ennemis, qui tiennent, toute
            laditte riviere de Canadas bordée, mais, estant habitée, on
            pourroit rendre lesdicts Irocois & autres sauvages amis, ou
            à tout le moins, sous la faveur de laditte habitation,
            lesdicts sauvages viendroient librement sans crainte &
            danger, d'autant que ledict lieu des Trois Rivieres est un
            passage. Toute la terre que je vis à la terre du Nort est
            sablonneuse. Nous entrasmes environ une lieue dans laditte
            riviere, & ne pusmes passer plus outre à cause du grand
            courant d'eau. Avec un esquif, nous fusmes pour veoir plus
            avant, mais nous ne feismes pas plus d'une lieue, que nous
            rencontrasmes un sault d'eau fort estroict, comme de douze
            pas, ce qui fut occasion que nous ne peusmes passer plus
            outre. Toute la terre que je veis aux bords de laditte
            riviere, va en haussant de plus en plus, qui est remplie de
            quantité de sapins & cyprez, & fort peu d'autres arbres.

[Note 52: Le Saint-Maurice, auquel les auteurs ont le plus souvent
donné le nom de Trois-Rivières, parce que les deux îles principales qui
se trouvent à son embouchure le séparent en trois branches, appelées les
_Chenaux_. «Nous nommasmes icelle riviere,» dit Jacques Cartier,
«_riviere de Fouez_,» et Lescarbot ajoute entre parenthèses: «Je croy
qu'il veut dire Foix» (Lesc., liv. III, ch. XVIII). Comme poste de
traite, les Trois-Rivières étaient déjà connues, sous ce nom, depuis au
moins 1598: car, en 1599, lorsque M. Chauvin voulut s'établir à
Tadoussac, Pont-Gravé «remonstra audit sieur Chauvin plusieurs fois
qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus commode à
habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux Trois Rivieres pour
trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux» (édit. 1632, liv. I,
ch. VI). Le nom sauvage des Trois-Rivières était _Metaberoutin_.]

[Note 53: Le lac Saint-Pierre.]

[Note 54: Le Saint-Maurice a sa source sur les mêmes hauteurs que
plusieurs des rivières qui se déchargent dans le lac Saint-Jean,
considéré comme la source du Saguenay.]

[Note 55: Le lac Saint-Jean.]



32/96       _Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui
            entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on
            void dans le pays, de la riviere des Irocois, & de la
            forteresse des sauvages qui leur font la guerre._

                                  CHAPITRE VII.

            Le samedy ensuyvant, nous partismes des Trois Rivieres, &
            vinsmes mouiller l'ancre à un lac, où il y a quatre lieues.
            Tout ce pays depuis les Trois Rivieres jusques à l'entrée
            dudict lac, est terre à fleur d'eau, & du costé du Su
            quelque peu plus haulte. Laditte terre est très bonne, & la
            plus plaisante que nous eussions encores veuë. Les bois y
            sont assez clairs, qui faict que l'on pourroit y traverser
            aisément.

            Le lendemain, 29 de juin[56], nous entrasmes dans le lac, qui
            a quelques quinze lieues de long [57], & quelques sept ou
            huict lieues de large. A son entrée du costé du Su environ
            une lieue, il y a une riviere [58] qui est assez grande, & va
            dans les terres quelques soixante ou quatre-vingts lieues, &
            continuant du mesme costé, il y a une autre petite riviere
            qui entre environ deux lieues en terre, & fort de dedans
            un autre petit lac [59] qui peut contenir quelques trois ou
33/97       quatre lieues. Du costé du Nort, où la terre y paroist fort
            haulte, on void jusques à quelques vingt lieues; mais peu à
            peu les montaignes viennent en diminuant vers l'Ouest comme
            païs plat.

            Les sauvages disent que la pluspart de ces montaignes sont
            mauvaises terres. Ledict lac a quelques trois brasses d'eau
            par où nous passasmes, qui fut presque au millieu. La
            longueur gist d'Est & Ouest, & de la largeur du Nort au Su.
            Je croy qu'il ne laisseroit d'y avoir de bons poissons,
            comme les especes que nous avons par deçà. Nous le
            traversasmes ce mesme jour, & vinsmes mouiller l'ancre
            environ deux lieues dans la riviere qui va au hault, à
            l'entrée de laquelle il y a trente petites isles[60]. Selon
            ce que j'ay pu veoir, les unes sont de deux lieues, d'autres
            de lieue & demye, & quelques unes moindres, lesquelles sont
            remplies de quantité de noyers, qui ne sont gueres differens
            des nostres, & croy que les noix en sont bonnes à leur
            saison; j'en veis en quantité sous les arbres, qui estoient
            de deux façons, les unes petites, & les autres longues comme
            d'un pouce; mais elles estoient pourries. Il y a aussi
            quantité de vignes sur le bord desdittes isles; mais quand
            les eaux sont grandes, la pluspart d'icelles sont couvertes
            d'eau. Et ce païs est encores meilleur qu'aucun autre que
            j'eusse veu.

[Note 56: Le jour de la Saint-Pierre. C'est pour cette raison sans
doute que ce lac a été appelé lac Saint-Pierre. Il avait porté
précédemment le nom d'Angoulême (Thévet, Cosmographie Universelle, t.
II).]

[Note 57: Dans sa plus grande longueur il n'a que neuf ou dix
lieues.]

[Note 58: Probablement la rivière de Nicolet; mais elle ne va pas si
loin dans les terres.]

[Note 59: Il semble ici que l'auteur parle de ce que nous appelons
aujourd'hui baie de La Valière.]

[Note 60: Les îles de Sorel, que l'on a appelées aussi îles de
Richelieu.]

            Le dernier de juin, nous en partismes, & vinsmes passer à
            l'entrée de la riviere des Iroquois, où estoient cabannez &
            fortifiez les sauvages qui leur alloient faire la guerre.
            Leur forteresse est faicte de quantité de bastons fort
34/98       pressez les uns contre les autres, laquelle vient joindre
            d'un costé sur le bord de la grande riviere, & l'autre sur
            le bord de la riviere des Iroquois, & leurs canots arrangez
            les uns contre les autres sur le bord pour pouvoir
            promptement fuyr, si d'adventure ils sont surprins des
            Iroquois: car leur forteresse est couverte d'escorces de
            chesnes, & ne leur sert que pour avoir le temps de
            s'embarquer.

            Nous fusmes dans la riviere des Iroquois quelques cinq ou
            six lieues [61], & ne peusmes passer plus outre avec nostre
            barque, à cause du grand cours d'eau qui descend, & aussi
            que l'on ne peut aller par terre, & tirer la barque, pour la
            quantité d'arbres qui sont sur le bord. Voyans ne pouvoir
            advancer davantage, nous prinsmes nostre esquif, pour veoir
            si le courant estoit plus adoucy; mais, allant à quelques
            deux lieues, il estoit encores plus fort, & ne peusmes
            advancer plus avant. Ne pouvant faire autre chose, nous nous
            en retournasmes en notre barque. Toute cette riviere est
            large de quelques trois à quatre cens pas, fort saine. Nous
            y veismes cinq isles, distantes les unes des autres d'un
            quart ou demye lieue ou d'une lieue au plus, une desquelles
            contient une lieue, qui est la plus proche, & les autres
            sont fort petites.

[Note 61: Champlain aurait donc, dès cette année 1603, remonté la
rivière de Chambly jusqu'au-delà de l'endroit où l'on a construit la
dame de Saint-Ours, laquelle a fait disparaître les rapides que
Champlain trouva plus haut.]

            Toutes ces terres sont couvertes d'arbres, & terres basses
            comme celles que j'avois veuës auparavant; mais il y a plus
            de sapins & de cyprez qu'aux autres lieux. La terre ne
            laisse d'y estre bonne, bien qu'elle soit quelque peu
            sablonneuse. Ceste riviere va comme au Sorouest[62].

[Note 62: Il faudrait: comme au Sud.]

35/99       Les sauvages disent qu'à quelques quinze lieues d'où nous
            avions esté, il y a un sault [63] qui vient de fort hault,
            où ils portent leurs canots pour le passer environ un quart
            de lieue, & entrent dedans un lac [64], où à l'entrée il y a
            trois isles, & estans dedans, ils en rencontrent encores
            quelques unes. Il peut contenir quelques quarante ou
            cinquante lieues de long, & de large quelques vingt-cinq
            lieues, dans lequel descendent quantité de rivieres, jusques
            au nombre de dix, lesquelles portent canots assez avant.
            Puis, venant à la fin dudict lac, il y a un autre sault, &
            rentrent dedans un autre lac [65], qui est de la grandeur
            dudict premier [66], au bout duquel sont cabannez les
            Iroquois. Ils disent aussi qu'il y a une riviere[67] qui va
            rendre à la coste de la Floride, d'où il y peut aveoir
            dudict dernier lac quelques cent ou cent quarante lieues.
            Tout le pays des Iroquois est quelque peu montagneux,
            neantmoins païs très bon, tempéré, sans beaucoup d'hyver,
            que fort peu.

[Note 63: Le rapide de Chambly.]

[Note 64: Champlain découvrit lui-même ce lac six ans plus tard, et
lui donna son nom.]

[Note 65: Les Iroquois l'appelaient _Andiatarocté (là où le lac se
ferme)_. Le P. Jogues le nomma _Saint-Sacrement_ en 1646; il est connu
aujourd'hui sous le nom de lac George.]

[Note 66: Les Sauvages qui donnaient à Champlain ces renseignements
s'étaient exagéré la grandeur de ce lac; car le lac Champlain a quarante
lieues de long, et le lac George n'en a que onze.]

[Note 67: L'Hudson, qui a à peu près cent vingt lieues de long.
C'était en effet la meilleure route à suivre pour aller à la côte de la
Floride, qui alors était regardée comme voisine du Canada.]



36/100      _Arrivée au Sault, sa description, & ce qu'on y void de
            remarquable, avec le rapport des sauvages de la fin de la
            grande riviere._

                                 CHAPITRE VIII.

            Partant de la riviere des Iroquois, nous fusmes mouiller
            l'ancre à trois lieues de là, à la bande du Nort. Tout ce
            pays est une terre basse, remplie de toutes les sortes
            d'arbres que j'ay dict cy-dessus.

            Le premier jour de juillet, nous costoyasmes la bande du
            Nort, où le bois y est fort clair, plus qu'en aucun lieu que
            nous eussions encore veu auparavant, & toute bonne terre
            pour cultiver. Je me meis dans un canot à la bande du Su, où
            je veis quantité d'isles, lesquelles sont fort fertilles en
            fruicts, comme vignes, noix, noysettes, & une manière de
            fruict qui semble à des chastaignes, cerises, chesnes,
            trembles, pible [68], houblon, fresne, érable, hestre,
            cyprez, fort peu de pins & sapins. Il y a aussi d'autres
            arbres que je ne cognois point, lesquels sont fort
            aggreables. Il s'y trouve quantité de fraises, framboises,
            groizelles rouges, vertes & bleues, avec force petits
            fruicts qui y croissent parmy grande quantité d'herbages. Il
            y a aussi plusieurs bestes sauvages comme orignas, cerfs,
            biches, dains, ours, porcs-espics, lapins, regnards,
            castors, loutres, rats musquets, & quelques autres sortes
            d'animaux que je ne cognois point, lesquels sont bons à
            manger, & dequoy vivent les sauvages.

[Note 68: Ce mot n'est, sans doute, qu'une contraction de _piboule_,
qui désigne une variété du peuplier.]

37/101      Nous passasmes contre une isle qui est fort aggreable, &
            contient quelques quatre lieues de long, & environ demye de
            large [69]. Je veis à la bande du Su deux hautes montaignes,
            qui paroissoient comme à quelques vingt lieues dans les
            terres, les sauvages me dirent que c'estoit le premier sault
            de laditte riviere des Iroquois.

[Note 69: L'auteur semble avoir pris ici pour une seule île les îles
de Verchères.]

            Le mercredy ensuyvant, nous partismes de ce lieu, & feismes
            quelques cinq ou six lieues. Nous veismes quantité d'isles,
            la terre y est fort basse, & sont couvertes de bois ainsi
            que celles de la riviere des Iroquois. Le jour ensuyvant,
            nous feismes quelques lieues, & passasmes aussi par quantité
            d'autres isles qui sont très bonnes & plaisantes, pour la
            quantité des prairies qu'il y a, tant du costé de terre
            ferme que des autres isles; & tous les bois y sont fort
            petits, au regard de ceux que nous avions passé.

            Enfin nous arrivasmes cedict jour à l'entrée du sault, avec
            vent en poupe, & rencontrasmes une isle [70] qui est presque
            au milieu de laditte entrée, laquelle contient un quart de
            lieue de long, & passasmes à la bande du Su de laditte isle,
            où il n'y avoit que de trois à quatre ou cinq pieds d'eau, &
            aucunes fois une brasse ou deux; & puis tout à un coup n'en
            trouvions que trois ou quatre pieds. Il y a force rochers
            & petites isles où il n'y a point de bois, & sont à fleur
            d'eau. Du commencement de la susditte isle, qui est au
            milieu de laditte entrée, l'eau commence à venir de grande
            force; bien que nous eussions le vent fort bon, si ne
38/102      peusmes-nous, en toute nostre puissance, beaucoup advancer;
            toutesfois nous passasmes laditte isle qui est à l'entrée
            dudict sault. Voyant que nous ne pouvions avancer, nou
            vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Nort, contre une
            petite isle[71] qui est fertille en la pluspart des fruicts
            que j'ay dict cy-dessus. Nous appareillasmes aussi tost
            nostre esquif, que l'on avoit fait faire exprés pour passer
            ledict sault, dans lequel nous entrasmes ledict Sieur du
            Pont & moy, avec quelques autres sauvages que nous avions
            menez pour nous montrer le chemin. Partant de nostre barque,
            nous ne fusmes pas à trois cens pas, qu'il nous fallut
            descendre, & quelques matelots se mettre à l'eau pour passer
            nostre esquif. Le canot des sauvages passoit aysément. Nous
            rencontrasmes une infinité de petits rochers, qui estoient à
            fleur d'eau, où nous touschions souventes fois.

[Note 70: L'île qu'il appela lui-même plus tard Sainte-Hélène, du nom
d'Hélène Boullé, sa femme.]

[Note 71: Cette petite île, située dans le port de Montréal, est
maintenant réunie à la terre ferme par des quais.]

            Il y a deux grandes isles: une du costé du Nort [72],
            laquelle contient quelques quinze lieues de long, & presque
            autant de large, commence à quelque douze lieues dans la
            riviere de Canada, allant vers la riviere des Iroquois, &
            vient tomber par delà le Sault, l'isle qui est à la bande du
            Su a quelques quatre lieues de long, & demye de large [73].
            Il y a encore une autre isle[74] qui est proche de celle du
            Nort, laquelle peut tenir quelque demye lieue de long, & un
39/103      quart de large, & une autre petite isle, qui est entre celle
            du Nort, & l'autre plus proche du Su, par où nous passasmes
            l'entrée du Sault[75]. Estant passé, il y a une manière de
            lac, où sont toutes ces isles, lequel peut contenir quelques
            cinq lieues de long, & presque autant de large, où il y a
            quantité de petites isles, qui sont rochers. Il y a, proche
            dudict Sault, une montagne [76] qui descouvre assez loing
            dans lesdittes terres, & une petite riviere [77] qui vient
            de laditte montaigne tomber dans le lac. L'on void du costé
            du Su, quelques trois ou quatre montaignes, qui paroissent
            comme à quinze ou seize lieues dans les terres. Il y a aussi
            deux rivieres: l'une [78] qui va au premier lac de la
            riviere des Iroquois, par où quelquefois les Algoumequins
            leur vont faire la guerre; & l'autre [79] qui est proche du
            Sault, qui va quelques pas dans les terres.

[Note 72: Il paraît bien évident que Champlain veut ici parler de
l'île de Montréal, qui cependant n'a que dix lieues de long, et environ
trois lieues de large.]

[Note 73: L'île Perrot, qui n'a pas tout à fait les dimensions que lui
donne l'auteur, est située rigoureusement au sud de l'île de Montréal.]

[Note 74: L'île Saint-Paul.]

[Note 75: C'est-à-dire, «qui est entre l'île de Montréal et l'île
Sainte-Hélène par où nous passâmes l'entrée du saut.» Cette petite île
est l'île Ronde.]

[Note 76: La Montagne que Jacques Cartier appela Mont-Royal
(Montréal).]

[Note 77: La petite rivière de Saint-Pierre.]

[Note 78: La rivière de Saint-Lambert. De cette rivière, on tombe
dans celle de Montréal, qui se jette dans le bassin de Chambly; c'est ce
bassin que l'auteur appelle «premier lac de la rivière des Iroquois.»]

[Note 79: La rivière de la Tortue.]

            Venans à approcher dudict Sault avecq nostre petit esquif &
            le canot, je vous asseure que jamais je ne veis un torrent
            d'eau desborder avec une telle impetuosité comme il faict,
            bien qu'il ne soit pas beaucoup haut, n'estant en d'aucuns
            lieux que d'une brasse ou de deux, & au plus de trois. Il
            descend comme de degré en degré, & en chasque lieu où il y
            a quelque peu de hauteur, il s'y fait un esbouillonnement
            estrange de la force & roideur que va l'eau en traversant
40/104      ledict Sault, qui peut contenir une lieue. Il y a force
            rochers de large, & environ le millieu, il y a des isles qui
            sont fort estroittes & fort longues, où il y a sault tant du
            costé desdittes isles qui sont au Su, comme du costé du
            Nort, où il fait si dangereux, qu'il est hors de la
            puissance d'homme d'y passer un bateau, pour petit qu'il
            soit. Nous fusmes par terre dans les bois, pour en veoir la
            fin, où il y a une lieue, & où l'on ne voit plus de rochers,
            ny de saults; mais l'eau y va si viste, qu'il est impossible
            de plus; & ce courant contient quelques trois ou quatre
            lieues; de façon que c'est en vain de s'imaginer que l'on
            peust faire passer aucuns bateaux par lesdicts saults. Mais
            qui les voudroit passer, il se faudroit accommoder des
            canots des sauvages, qu'un homme peut porter aisément: car
            de porter bateau, c'est chose laquelle ne se peut faire en
            si bref temps comme il le faudroit pour pouvoir s'en
            retourner en France, si l'on y hyvernoit. Et en outre ce
            sault premier, il y en a dix autres, la plus part difficiles
            à passer; de façon que ce seroit de grandes peines & travaux
            pour pouvoir voir & faire ce que l'on pourroit se promettre
            par bateau, si ce n'estoit à grand frais & despens, & encore
            en danger de travailler en vain. Mais avec les canots des
            sauvages l'on peut aller librement & promptement en toutes
            les terres, tant aux petites rivieres comme aux grandes. Si
            bien qu'en se gouvernant par le moyen desdicts sauvages & de
            leurs canots, l'on pourra veoir tout ce qui se peut, bon &
            mauvais, dans un an ou deux.

            Tout ce peu de païs du costé dudict sault que nous
            traversasmes par terre, est bois fort clair, où l'on peut
41/105      aller aysément avecque armes, sans beaucoup de peines, l'air
            y est plus doux & tempéré; & de meilleure terre qu'en lieu
            que j'eusse veu, où il y a quantité de bois & fruicts, comme
            en tous les autres lieux cy dessus, & est par les 45. degrez
            & quelques minutes.

            Voyans que nous ne pouvions faire davantage, nous en
            retournasmes en nostre barque, où nous interrogeasmes les
            sauvages que nous avions, de la fin de la riviere, que
            je leur feis figurer de leurs mains, & de quelle partie
            procedoit sa source. Ils nous dirent que passé le premier
            sault que nous avions veu, ils faisoient quelques dix ou
            quinze lieues [80] avec leurs canots dedans la riviere, où
            il y a une riviere qui va en la demeure des Algoumequins
            [81], qui sont à quelques soixante lieues esloignez de la
            grand'riviere, & puis ils venoient à passer cinq saults[82],
            lesquels peuvent contenir du premier au dernier huict lieues
            [83], desquels il y en a deux où ils portent leurs canots
            pour les passer. Chasque sault peut tenir quelque demy quart
            de lieue, ou un quart au plus, & puis ils viennent dedans un
            lac [84], qui peut tenir quelques quinze ou seize lieues de
            long. Delà ils rentrent dedans une riviere [85] qui peut
            contenir une lieue de large, & font quelques lieues dedans;
            & puis rentrent dans un autre lac [86] de quelques quatre ou
42/106      cinq lieues de long, venant au bout duquel, ils passent cinq
            autres saults, distans du premier au dernier quelque
            vingt-cinq ou trente lieues [87], dont il y en a trois où
            ils portent leurs canots pour les passer, & les autres deux,
            il ne les font que traisner dedans l'eau, d'autant que le
            cours n'y est si fort ne mauvais comme aux autres. De tous
            ces saults, aucun n'est si difficile à passer, comme celuy
            que nous avons veu. Et puis ils viennent dedans un lac [88]
            qui peut tenir quelques 80 lieues de long, où il y a
            quantité d'isles; & que au bout d'iceluy l'eau y est salubre
            & l'hyver doux. A la fin dudit lac, ils passent un sault[89]
            qui est quelque peu élevé, où il y a peu d'eau, laquelle
            descend. Là, ils portent leurs canots par terre environ un
            quart de lieue pour passer ce sault; de là entrent dans un
            autre lac [90] qui peut tenir quelques soixante lieues de
            long, & que l'eau en est fort salubre. Estant à la fin ils
            viennent à un destroict[91] qui contient deux lieues de
            large, & va assez avant dans les terres. Qu'ils n'avoient
            point passé plus outre, & n'avoient veu la fin d'un lac [92]
            qui est à quelques quinze ou seize lieues d'où ils sont
            esté, ny que ceux qui leur avoient dict eussent veu homme
            qui le l'eust veu; d'autant qu'il est si grand, qu'ils ne se
            bazarderont pas de se mettre au large, de peur que quelque
            tourmente ou coup de vent ne les surprinst. Disent qu'en
43/107      esté le soleil se couche au nord dudict lac, & en l'hyver il
            se couche comme au milieu, que l'eau y est très mauvaise,
            comme celle de ceste mer.

[Note 80: Cinq ou six lieues, c'est-à-dire, la longueur du lac
Saint-Louis.]

[Note 81: C'est pour cette raison même qu'elle a été longtemps appelée
la rivière des Algonquins; plus tard, pour une raison analogue, on lui a
donné le nom d'Outaouais.]

[Note 82: Ce sont les Cascades, les Cèdres, et les rapides du
Côteau-du-Lac, qui se subdivisent en deux ou trois, suivant le chemin
que l'on prend.]

[Note 83: Du pied des Cascades au Côteau-du-Lac, il y a cinq ou six
lieues.]

[Note 84: Le lac Saint-François, qui a environ douze lieues de long.]

[Note 85: Le Long-Saut.]

[Note 86: C'est-à-dire, un espace où le fleuve est tranquille et sans
rapide.]

[Note 87: Depuis le rapide aux Citrons, ou les rapides Plats, jusqu'aux
Gallots, il y a en effet cinq rapides; mais cette distance de vingt-cinq
à trente lieues doit s'entendre de tout le trajet jusqu'au lac Ontario.]

[Note 88: Le lac des Entouhoronons, ou Ontario.]

[Note 89: La chute de Niagara.]

[Note 90: Le lac Erié, ou des Eriehoronons (nation du Chat).]

[Note 91: La rivière du Détroit, qui est une partie du Saint-Laurent.]

[Note 92: Le lac Huron, ou mer Douce.]

            Je leur demandis si depuis cedict lac dernier qu'ils avoient
            veu, si l'eau descendoit tousjours dans la riviere venant à
            Gaschepay: ils me dirent que non; que depuis le troisiesme
            lac elle descendoit seulement, venant audict Gaschepay; mais
            que depuis le dernier sault, qui est quelque peu hault,
            comme j'ay dict, que l'eau estoit presque pacifique, & que
            ledict lac pouvoit prendre cours par autres rivieres,
            lesquelles vont dedans les terres, soit au Su, ou au Nort,
            dont il y en a quantité qui y refluent, & dont ils ne voyent
            point la fin. Or, à mon jugement, il faudroit que si tant de
            rivieres desbordent dedans ce lac, n'ayant que si peu de
            cours audict sault, qu'il faut par necessité qu'il refflue
            dedans quelque grandissime riviere. Mais ce qui me faict
            croire qu'il n'y a point de riviere par où cedict lac
            refflue, veu le nombre de toutes les autres rivieres qui
            reffluent dedans, c'est que les sauvages n'ont vu aucune
            riviere qui prinst son cours par dedans les terres, qu'au
            lieu où ils ont esté: ce qui me faict croire que c'est la
            mer du Su, estant sallée[93], comme ils disent. Toutesfois
            il n'y faut pas tant adjouster de foy, que ce soit avec
            raisons apparentes, bien qu'il y en aye quelque peu.

[Note 93: Eau mauvaise ou salée était la même chose pour les
sauvages.]

            Voylà au certain tout ce que j'ay veu cy-dessus, & ouy dire
            aux sauvages sur ce que nous les avons interrogez.



44/108      _Retour du Sault à Tadoussac, avec la confrontation du
            rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & le
            commencement de la grande riviere de Canadas, du nombre des
            saults & lacs qu'elle traverse._

                                    CHAPITRE IX.

            Nous partismes dudict sault, le Vendredy, quatriesme jour de
            Juin [94], & revinsmes cedict jour à la riviere des Irocois.
            Le Dimanche, sixiesme jour de juin, nous en partismes &
            vinsmes mouiller l'ancre au lac. Le Lundy ensuyvant, nous
            fusmes mouiller l'ancre au Trois Rivieres. Cedict jour nous
            feismes quelques quatre lieues par delà lesdictes Trois
            Rivieres. Le Mardy ensuyvant, nous vinsmes à Québec, & le
            lendemain, nous fusmes au bout de l'isle d'Orléans, où les
            sauvages vindrent à nous, qui estoient cabannez à la
            grande terre du Nort. Nous interrogeasmes deux ou trois
            Algoumequins, pour sçavoir s'ils se conformeroient avec ceux
            que nous avions interrogez touchant la fin & le commencement
            de ladicte riviere de Canadas.

[Note 94: Dans cette phrase et la suivante, l'édition originale met,
par inadvertance, le mois de juin au lieu dejuillet.]

            Ils dirent comme ils l'ont figuré, que, passé le sault que
            nous avions veu, environ deux ou trois lieues, il y a une
            riviere en leur demeure, qui est en la bande du Nort,
            continuant le chemin dans ladicte grande riviere, ils
            passent un sault, où ils portent leurs canots, & viennent
            à passer cinq autres saults, lesquels peuvent contenir
            du premier au dernier quelques neuf ou dix lieues, & que
45/109      lesdicts saults ne sont point difficiles à passer, & ne font
            que traîner leurs canots en la pluspart desdicts saults,
            hormis à deux, où ils les portent. De là, viennent à entrer
            dedans une riviere qui est comme une manière de lac,
            laquelle peut contenir comme six ou sept lieues; & puis
            passent cinq autres saults, où ils traînent leurs canots
            comme auxdicts premiers, hormis à deux, où ils les portent
            comme aux premiers, & que du premier au dernier il y a
            quelques vingt ou vingt-cinq lieues. Puis viennent dedans un
            lac qui contient quelque cent cinquante lieues de long [95];
            & quelques quatre ou cinq lieues à l'entrée dudict lac, il y
            a une riviere [96] qui va aux Algoumequins vers le Nort, &
            une autre [97] qui va aux Irocois; par où lesdicts
            Algoumequins & Irocois se font la guerre. Et un peu plus
            haut à la bande du Su dudict lac, il y a une autre
            riviere[98] qui va aux Irocois; puis venant à la fin dudict
            lac, ils rencontrent un autre sault, où ils portent leurs
            canots, delà ils entrent dedans un autre très grand lac, qui
            peut contenir autant comme le premier. Ils n'y ont esté que
            fort peu dans ce dernier, & ont ouy dire qu'à la fin dudict
            lac, il y a une mer dont ils n'ont veu la fin, ne ouy dire
            qu'aucun l'aye veu; mais que là où ils ont esté, l'eau n'est
            point mauvaise, d'autant qu'ils n'ont point advancé plus
            haut; & que le cours de l'eau vient du costé du soleil
46/110      couchant venant à l'Orient, & ne sçavent si passé le dits
            lacs qu'ils ont veu il y a autre cours d'eau qui aille du
            costé de l'Occident; que le soleil se couche à main droite
            dudict lac, qui est, selon mon jugement, au Norouest peu
            plus ou moins; & qu'au premier lac l'eau ne gelle point, ce
            qui me fait juger que le temps y est tempéré. Et que toutes
            les terres des Algoumequins est terre basse, remplie de fort
            peu de bois; & du costé des Irocois est terre montaigneuse;
            neantmoins elles sont très bonnes & fertiles, & meilleures
            qu'en aucun endroict qu'ils ayent veu. Les Irocois se
            tiennent à quelque cinquante ou soixante lieues dudict grand
            lac. Voilà au certain ce qu'ils m'ont dist avoir veu, qui ne
            diffère de bien peu au rapport des premiers.

[Note 95: Jusqu'ici, ce second rapport s'accorde passablement avec le
premier, sauf les distances, qui diffèrent un peu.]

[Note 96: La rivière Trent et la baie de Quinte.]

[Note 97: La rivière Noire.]

[Note 98: La rivière de Cliouaguen, ou Oswego,]

            Cedict jour, nous fusmes proche de l'isle aux Coudres, comme
            environ trois lieues. Le Jeudy dudict mois, nous vinsmes à
            quelque lieue & demye de l'isle au Lievre, du costé du Nort,
            où il vint d'autres sauvages en notre barque, entre lesquels
            il y avoit un jeune homme Algoumequin, qui avoit fort
            voyagé dedans ledict grand lac: nous l'interrogeasmes fort
            particulièrement comme nous avions fait les autres sauvages.
            Il nous dict que, passé ledict sault que nous avions veu,
            qu'à quelques deux ou trois lieues il y a une riviere qui va
            ausdicts Algoumequins, où ils sont cabannez; & qu'allant
            en ladicte grande riviere, il y a cinq saults, qui peuvent
            contenir du premier au dernier quelque huict ou neuf lieues,
            dont il y en a trois où ils portent leurs canots, & deux
            autres où ils les traînent, que chascun desdicts saults peut
            tenir un quart de lieue de long. Puis viennent dedans un lac
            qui peut contenir quelque quinze lieues. Puis ils passent
47/111      cinq autres saults, qui peuvent contenir du premier au
            dernier quelques vingt à vingt-cinq lieues, où il n'y a que
            deux desdicts saults qu'ils passent avec leurs canots; aux
            autres trois ils ne les font que traîner. Delà ils entrent
            dedans un grandissime lac qui peut contenir quelques trois
            cents lieues de long[99]. Advançant quelque cent lieues
            dedans ledict lac, ils rencontrent une isle qui est fort
            grande, où, audelà de ladicte isle, l'eau est salubre; mais
            que passant quelques cent lieues plus avant, l'eau est
            encore plus mauvaise; arrivant à la fin dudict lac, l'eau
            est du tout salée. Qu'il y a un sault qui peut contenir une
            lieue de large, d'où il descend un grandissime courant d'eau
            dans le dict lac[100]; que passé ce sault, on ne voit plus
            de terre ny d'un costé, ne d'autre, sinon une mer si grande
            qu'ils n'en n'ont point veu la fin, ny ouy dire qu'aucun
            l'aye veu. Que le soleil se couche à main droite dudict lac,
            & qu'à son entrée il y a une riviere qui va aux
            Algoumequins, & l'autre aux Irocois, par où ils se font la
            guerre. Que la terre des Irocois est quelque peu
            montaigneuse, neantmoins fort fertile, où il y a quantité de
            bled d'Inde, & autres fruicts qu'ils n'ont point en leur
            terre. Que la terre des Algoumequins est basse & fertile.

[Note 99: Quelque trois cents lieues de tour, et encore ce serait
beaucoup.]

[Note 100: Malgré les inexactitudes qui précèdent, on ne peut
s'empêcher de reconnaître ici la chute de Niagara.]

            Je leur demandis s'ils n'avoient point cognoissance de
            quelques mines. Ils nous dirent qu'il y a une nation qu'on
            appelle les bons Irocois [101], qui viennent pour troquer
48/112      des marchandises que les vaisseaux françois donnent aux
            Algoumequins; lesquels disent qu'il y a à la partie du Nort
            une mine de franc cuivre, dont ils nous en ont montré
            quelques bracelets qu'ils avoient eu desdicts bons Irocois.
            Que si l'on y voulloit aller, ils y meneroient ceux qui
            seroient depputez pour cest effect.

[Note 101: Les bons Iroquois étaient sans doute les Hurons, qui
parlaient un dialecte de la même langue.]

            Voilà tout ce que j'ay pu apprendre des uns & des autres, ne
            se differant que bien peu, sinon que les seconds qui furent
            interrogez, dirent n'avoir point beu de l'eau salée, aussi
            ils n'ont pas esté si loing dans ledict lac comme les
            autres, & different quelque peu du chemin, les uns le
            faisant plus court, & les autres plus long: de façon que
            selon leur rapport, du sault où nous avons esté, il y a
            jusques à la mer salée, qui peut estre celle du Su, quelques
            quatre cents lieues. Sans doubte, suyvant leur rapport, ce
            ne doibt estre autre chose que la mer du Su, le soleil se
            couchant où ils disent.

            Le Vendredy, dixiesme [102] dudict mois, nous fusmes de
            retour à Tadousac, où estoit nostre vaisseau.

[Note 102: Le vendredi était le 11 du mois de juillet.]



            _Voyage de Tadousac en l'isle Percée, description de la baye
            des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la Baye de
            Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouve
            plusieurs sortes de mines._

                                    CHAPITRE X.

            Aussitost que nous fusmes arrivez à Tadousac, nous nous
            embarquasmes pour aller à Gachepay, qui est distant dudict
            Tadousac environ cent lieues. Le treiziesme jour dudict
49/113      mois, nous rencontrasmes une troupe de sauvages qui estoient
            cabannez du costé du Su, presque au milieu du chemin de
            Tadousac à Gachepay. Leur Sagamo qui les menoit s'appelle
            Armouchides, qui est tenu pour l'un des plus advisez &
            hardis qui soit entre les sauvages. Il s'en alloit à
            Tadousac pour troquer des flesches, & chairs d'orignac,
            qu'ils ont pour des castors & martres des autres sauvages
            Montaignes, Estechemains & Algoumequins.

            Le 15e jour dudict mois, nous arrivasmes à Gachepay, qui est
            dans une baye, comme à une lieue & demye du costé du
            Nort[103]; laquelle baye contient quelque sept ou huict
            lieues de long, & à son entrée quatre lieues de large. Il y
            a une riviere qui va quelques trente lieues dans les terres;
            puis nous vismes une autre baye, que l'on appelle la Baye
            des Moluës[104], laquelle peut tenir quelques trois lieues
            de long, autant de large à son entrée. De là l'on vient à
            l'Isle Percée, qui est comme un rocher fort haut, eslevée
            des deux costez, où il y a un trou par où les chaloupes &
            basteaux peuvent passer de haute mer; & de base mer, l'on
            peut aller de la grand'terre à laditte isle, qui n'en est
            qu'à quelques quatre ou cinq cens pas. Plus il y a une autre
            isle, comme au suest de l'isle Percée environ une lieue, qui
            s'appelle l'isle de Bonne-adventure, & peut tenir de long
50/114      une demye lieuë. Tous cesdits lieux de Gachepay, Baye des
            Moluës & Isle Percée, sont les lieux où il se fait la pesche
            du poisson sec & verd.

[Note 103: C'est-à-dire, comme à une lieue et demie du côté du nord de
la baie.]

[Note 104: Cette baie est au sud de celle de Gaspé; on l'appelle
aujourd'hui la Malbaie. Ce mot paraît être une corruption de
l'expression anglaise _Molue Bay_. Dès 1545, Jean Alphonse parle de la
baie des Molues et de toute cette côte, comme d'un lieu fréquenté depuis
longues années pour l'abondance et l'excellente qualité de la pêche. «Et
se est le poisson, dit-il, bien meilleur que celui de la dicte terre
neufve.» (Cosmogr. univ.)]

            Passant l'Isle Percée, il y a une baye qui s'appelle la Baye
            de Chaleurs [105], qui va comme à l'ouest-sorouest quelques
            quatre vingts lieues [106] dedans les terres, contenant de
            large en son entrée quelques quinze lieues. Les sauvages
            Canadiens disent qu'à la grande riviere de Canadas, environ
            quelques soixante lieues rangeant la coste du Su, il y a une
            petite riviere qui s'appelle Mantanne, laquelle va quelques
            dix huict lieues dans les terres, & estans au bout d'icelle,
            ils portent leurs canots environ une lieue par terre, & se
            viennent rendre à laditte baye de Chaleurs, par où ils vont
            quelquefois à l'isle Percée. Aussi ils vont de laditte baye
            à Tregate [107] & à Misamichy [108].

[Note 105: Ainsi nommée par Jacques Cartier en 1534. «Nous nommâmes
laditte baye, la Baye de Chaleurs.» (Prem. Voy. de Cartier, Relat.
originale, Paris, 1867.)]

[Note 106: Environ trente lieues.]

[Note 107: Tregaté, ou Tracadie. Ce lieu, qu'il ne faut pas confondre
avec celui qui porte le même nom dans la Nouvelle-Écosse, est situé à
mi-chemin environ entre la baie des Chaleurs et celle de Miramichi.]

[Note 108: Aujourd'hui, on dit _Miramichi_.]

            Continuant ladicte coste, on range quantité de rivieres,
            & vient-on à un lieu où il y a une riviere qui s'appelle
            Souricoua[109], où le sieur Prevert a esté pour descouvrir
            une mine de cuivre. Ils vont avec leurs canots dans cette
            riviere deux ou trois jours, puis ils traversent quelque
            deux ou trois lieues de terre, jusques à laditte mine, qui
            est sur le bord de la mer du costé du Su. A l'entrée de
            laditte riviere, on trouve une isle [110] environ une lieue
51/115      dans la mer; de laditte isle jusqu'à l'Isle Percée, il y a
            quelque soixante ou septante lieues. Puis continuant laditte
            coste, qui va devers l'Est, on rencontre un destroict qui
            peut tenir deux lieues de large & vingt-cinq de long[111].
            Du costé de l'Est est une isle qui s'appelle Sainct Laurens
            [112], où est le Cap-Breton, & où une nation de sauvages
            appelez les Souricois hyvernent. Passant le destroit de
            l'isle de Sainct Laurens, costoyant la coste d'Arcadie[113],
            on vient dedans une baye [114] qui vient joindre laditte
            mine de cuivre. Allant plus outre, on trouve une riviere
            [115] qui va quelques soixante ou quatre vingts lieues
            dedans les terres, laquelle va proche du lac des Irocois,
            par où lesdicts sauvages de la coste d'Arcadie leur vont
            faire la guerre. Ce serait un grand bien, qui pourroit
            trouver à la coste de la Floride quelque passage qui allast
            donner proche du susdict grand lac, où l'eau est salée, tant
            pour la navigation des vaisseaux, lesquels ne seroient
            subjects à tant de périls, comme ils sont en Canada, que
52/116      pour l'accourcissement du chemin de plus de trois cens
            lieues. Et est très certain qu'il y a des rivieres en la
            coste de la Floride que l'on n'a point encore descouvertes;
            lesquelles vont dans les terres, où le pays y est très bon &
            fertille, & de fort bons ports. Le pays & coste de la
            Floride peut avoir une autre température de temps, plus
            fertille en quantité de fruicts & autres choses, que celuy
            que j'ay veu; mais il ne peut y avoir des terres plus unies
            ny meilleures que celles que nous avons veuës.

[Note 109: Vraisemblablement, la rivière de Gédaïc, ou _Chédiac_. On
l'appelait alors Souricoua, sans doute parce que c'était le chemin des
Souriquois.]

[Note 110: L'île de Chédiac.]

[Note 111: Par le contexte, on voit que l'auteur parle du détroit de
Canseau, qui n'a cependant ni autant de longueur, ni autant de largeur.]

[Note 112: Le nom de Cap-Breton a prévalu.]

[Note 113: Acadie. Il est possible que Champlain ait cru retrouver, dans
ce mot, un nom de la vieille Europe; mais il ne tarda pas à revenir de
cette idée, si toutefois ce n'est point ici une simple faute de
typographie. La commission de M. de Monts, qui est du 8 novembre de
cette année 1603, renferme, entre autres, le passage suivant: «Nous
étans dés long temps a, informez de la situation & condition des païs &
territoire de la Cadie...» On lit, dans Jean de Laet, en tête d'un
chapitre de sa Description des Indes Occidentales: «_Contrées de la
Nouvelle-France qui regardent le Sud, lesquelles les François appellent
Cadie ou Acadie._» Si nous tenons ce nom des premiers voyageurs
français, il est très-probable qu'ils le tenaient eux-mêmes des sauvages
du pays: car ce mot se retrouve dans plusieurs noms de l'endroit ou des
environs, comme Tracadie, Choubenacadie, qui sont certainement d'origine
sauvage.]

[Note 114: La baie Française, aujourd'hui la baie de Fundy.]

[Note 115: La rivière Saint-Jean, que les sauvages appelaient
_Ouigoudi_. (Voir édit. 1613, ch. III).]

            Les sauvages disent qu'en laditte grande baye de Chaleurs il
            y a une riviere qui a quelques vingt lieues dans les terres,
            où au bout est un lac[116] qui peut contenir quelques vingt
            lieues, auquel y a fort peu d'eau; qu'en esté il asseiche,
            auquel ils trouvent dans la terre environ un pied ou un pied
            & demy, une manière de metail qui ressemble à de l'argent
            que je leur avois monstré; & qu'en un autre lieu proche
            dudict lac, il y a une mine de cuivre.

            Voilà ce que j'ay appris desdicts sauvages.

[Note 116: Probablement le lac Métapédiac. (Voir la carte de 1612.)]



            _Retour de l'Isle Percée à Tadousac, avec la description
            des ances, ports, rivieres, isles, rochers, ponts, bayes &
            basses qui sont le long de la coste du Nort._

                                  CHAPITRE XI.

            Nous partismes de l'Isle Percée le dix neuf jour du dict
            mois pour retourner à Tadousac. Comme nous fusmes à quelques
            trois lieues du Cap l'Evesque [117], nous fusmes contrariez
53/117      d'une tourmente, laquelle dura deux jours, qui nous feist
            relascher dedans une grande anse, en attendant le beau
            temps. Le lendemain, nous en partismes, & fusmes encores
            contrariez d'une autre tourmente. Ne voullant relascher, &
            pensant gaigner chemin, nous fusmes à la coste du Nort, le
            28e jour de juillet, mouiller l'ancre à une anse qui est
            fort mauvaise à cause des bancs de rochers qu'il y a. Cette
            anse[118] est par les 51e degré & quelques minutes [119].

[Note 117: La tradition, relativement à ce cap, ne paraît pas s'être
bien conservée; on ne le trouve même pas mentionné dans la plupart de
nos cartes modernes. Parmi les anciens géographes, les uns le placent à
peu près à mi-chemin entre le cap des Rosiers et Matane, et les autres à
quinze ou vingt lieues environ à l'est du cap Chate.]

[Note 118: Vraisemblablement la baie Moisie, à l'ouest de laquelle il y
a un banc de rochers très-dangereux.]

[Note 119: Cette hauteur, qui est celle du détroit de Belle-Isle, est
évidemment trop forte. Suivant Bayfield, le fond de la baie Moisie est à
50° 17'.]

            Le lendemain nous vinsmes mouiller l'ancre proche d'une
            riviere qui s'appelle Saincte Marguerite, où il y a de
            pleine mer quelques trois brasses d'eau, & brasse & demye de
            basse mer; elle va assez avant. A ce que j'ai vu dans terre
            du costé de l'Est, il y a un sault d'eau qui entre dans
            ladicte riviere, & vient de quelque cinquante ou soixante
            brasses de haut; d'où procède la plus grand part de l'eau
            qui descend dedans. A son entrée, il y a un banc de sable,
            où il peut avoir de basse eau demy brasse. Toute la coste du
            costé de l'Est est sable mouvant; où il y a une poincte à
            quelque demy lieue [120] de ladicte riviere qui advance une
            demie lieue en la mer, & du costé de l'Ouest, il y a une
            petite isle. Cedict lieu est par les 50 degrez. Toutes ces
            terres sont très mauvaises, remplies de sapins. La terre y
            est quelque peu haute, mais non tant que celle du Su.

[Note 120: «A quelques deux lieues,» se trouve la pointe à la Croix.
Il y a tout lieu de croire que le manuscrit portait _deux lieues_, et
que le typographe aura lu _demy lieue_.]

54/118      A quelques trois lieues, nous passasmes proche d'une autre
            riviere [121], laquelle sembloit estre fort grande, barrée
            neantmoins la pluspart de rochers. A quelques 8 lieues [122]
            de là, il y a une pointe [123] qui advance une lieue & demye
            à la mer, où il n'y a que brasse & demye d'eau. Passé cette
            poincte, il s'en trouve une autre [124] à quelque 4 lieues,
            où il y a assez d'eau. Toute cette coste est terre basse &
            sablonneuse.

[Note 121: La rivière des Rochers, qui se jette dans la baie du même
nom.]

[Note 122: «Dix-huit lieues.» (Voir la note suivante).]

[Note 123: Cette pointe doit être la pointe des Monts, qui est à
environ dix-huit lieues de la baie des Rochers; car, dans tous ces
parages, il n'y a pas d'autre pointe aussi considérable, et où il y ait
si peu d'eau. Peut-être ne faut-il voir ici qu'une faute de typographie;
cependant, il est possible aussi que l'auteur ait été trompé par les
courants. Au bas de la pointe des Monts, il se fait, du côté du nord,
comme un immense remous; de sorte que le vaisseau était porté sur la
pointe, lorsque l'on croyait avoir à lutter contre la marée.]

[Note 124: Le cap Saint-Nicolas.]

            A quelque 4 lieues de là, il y a une anse où entre une
            riviere [125]. Il y peut aller beaucoup de vaisseaux du
            costé de l'Ouest. C'est une poincte basse qui advance
            environ d'une lieue en la mer. Il faut ranger la terre de
            l'Est[126] comme de trois cents pas pour pouvoir entrer
            dedans. Voilà le meilleur port qui est en toute la coste du
            Nort; mais il y faict fort dangereux y aller, pour les
            basses & bancs de sable qu'il y en a en la plupart de la
            coste prés de deux lieues en mer.

[Note 125: La rivière de Manicouagan.]

[Note 126: Par rapport à la baie, ou à l'entrée de larivière, il
faudrait dire: «la terre du Nord.» Mais, par rapport au cours de la
rivière même, l'expression est juste.]

            On trouve, à quelques six lieues de là une baye [127] où il
            y a une isle de sable. Toute laditte baye est fort
            batturiere, si ce n'est du costé de l'Est, où il peut avoir
            quelque 4 brasses d'eau. Dans le canal qui entre dans
            laditte baye, à quelque 4 lieues de là, il y a une belle
55/119      anse, où entre une riviere. Toute cette coste est basse &
            sablonneuse. Il y descend un sault d'eau qui est grand. A
            quelques cinq lieues de là[128], il y a une poincte qui
            advance environ demy lieue en la mer, où il y a une
            ance[129]; & d'une poincte à l'autre, il y a trois lieues,
            mais ce n'est que battures où il y a peu d'eau.

[Note 127: La baie des Outardes.]

[Note 128: Une partie de ces cinq lieues doit se prendre dans l'entrée
de la rivière aux Outardes; car, comme l'auteur le remarque un peu plus
loin, la pointe aux Outardes et celle des Betsiamis ne sont guère qu'à
trois lieues l'une de l'autre.]

[Note 129: La pointe, l'anse et la rivière portent le nomde Betsiamis.]

            A quelque deux lieues, il y a une plage où il y a un bon
            port & une petite riviere, où il y a trois isles[130], & où
            des vaisseaux se pourroient mettre à l'abry.

[Note 130: Les îlets de Jérémie.]

            A quelque trois lieues de là, il y a une poincte de sable
            qui advance environ une lieue, où au bout il y a un petit
            islet [131]. Puis, allant à l'Esquemin[132], vous rencontrez
            deux petites isles basses & un petit rocher à terre. Ces
            dictes isles sont environ à demy lieue de Lesquemin, qui est
            un fort mauvais port entouré de rochers & asseche de basse
            mer. Et faut variser pour entrer dedans au derrière d'une
            petite poincte de rocher, où il n'y peut qu'un vaisseau. Un
            peu plus haut, il y a une riviere qui va quelque peu dans
            les terres, c'est le lieu où les Basques font la pesche des
            ballaines [133]. Pour dire vérité, le port ne vaut du tout
            rien.

[Note 131: Cette description ne peut guère convenir qu'à la pointe à
Mille-Vaches, quoiqu'elle soit à environ neuf lieues des îlets de
Jérémie. Comme il est difficile d'admettre que Champlain ait pu ne voir
que trois lieues là où il y en avait neuf, il faut supposer ou bien
qu'il y a eu quelque chose de passé dans le texte, ou bien que le
manuscrit Portait un 9, que le typographe aura pu prendre pour un 3.]

[Note 132: Aujourd'hui, on dit: les Escoumins.]

[Note 133: Environ une lieue plus haut que les Escoumins, se trouve
l'anse aux Basques.]

            Nous vinsmes de là audict port de Tadousac, le troisiesme
56/120      d'aoust. Toutes ces dictes terres cy-dessus sont basses à la
            coste, & dans les terres fort hautes. Ils ne sont si
            plaisantes ny fertilles que celles du Su, bien qu'elles
            soient plus basses.

            Voylà au certain tout ce que j'ay veu de cette ditte coste
            du Nort.



            _Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à
            la guerre. Des sauvages Almouchicois & de leur monstrueuse
            forme. Discours du sieur de Prevert de Sainct-Malo sur la
            descouverture de la coste d'Arcadie; quelles mines il y a, &
            de la bonté & fertilité du pays._

                                    CHAPITRE XII.

            Arrivant à Tadousac, nous trouvasmes les sauvages que nous
            avions rencontrez en la riviere des Irocois, qui avoient
            faict rencontre au premier lac, de trois canots irocois,
            lesquels se battirent contre dix autres de Montaignez, &
            apportèrent les testes des Irocois à Tadousac, & n'y eut
            qu'un Montaignez blessé au bras d'un coup de flèche, lequel
            songeant quelque chose, il falloit que tous les 10 autres le
            meissent à exécution pour le rendre content, croyant aussi
            que sa playe s'en doit mieux porter. Si ce dict sauvage
            meurt, ses parents vengeront sa mort soit sur leur nation,
            ou sur d'autres, ou bien il faut que les capitaines facent
            des presents aux parents du deffunct, affin qu'ils soyent
            contens, ou autrement, comme j'ay dict, ils useroient de
            vengeance, qui est une grande meschanceté entre eux.

57/121      Premier que lesdicts Montaignez partissent pour aller à la
            guerre, ils s'assemblerent tous, avec leurs plus riches
            habits de fourrures, castors & autres peaux, parez de
            patenostres & cordons de diverses couleurs, & s'assemblerent
            dedans une grand place publique, où il y avoit au devant
            d'eux un Sagamo qui s'appeloit Begourat, qui les menoit à la
            guerre; & estoient les uns derrière les autres, avec leurs
            arcs & flesches, massues & rondelles, de quoi ils se parent
            pour se battre, & alloient sautant les uns après les autres,
            en faisant plusieurs gestes de leurs corps, ils faisoient
            maints tours de limaçon. Après, ils commencèrent à danser à
            la façon accoustumée, comme j'ay dict cy-dessus, puis ils
            firent leur tabagie, & après l'avoir faict, les femmes se
            despouillerent toutes nues, parées de leurs plus beaux
            matachias, & se meirent dedans leurs canots ainsi nues en
            dansant, & puis elles se vindrent mettre à l'eau en se
            battant à coups de leurs avirons, se jettant quantité d'eau
            les unes sur les autres. Toutesfois elles ne se faisoient
            point de mal, car elles se paroient des coups qu'elles
            s'entre-ruoient. Après avoir faict toutes ces cérémonies,
            elles se retirèrent en leurs cabanes, & les sauvages s'en
            allèrent à la guerre contre les Irocois.

            Le seiziesme jour d'aoust, nous partismes de Tadousac, &
            le 18 dudict mois arrivasmes à l'isle Percée, où nous
            trouvasmes le sieur Prevert, de Sainct Malo, qui venoit de
58/122      la mine où il avoit esté[134] avec beaucoup de peine, pour
            la crainte que les sauvages avoient de faire rencontre de
            leurs ennemis, qui sont les Armouchicois, lesquels sont
            hommes sauvages du tout monstrueux pour la forme qu'ils
            ont[135]; car leur teste est petite, & le corps court, les
            bras menus comme d'un schelet, & les cuisses semblablement,
            les jambes grosses & longues, qui sont toutes d'une venue; &
            quand ils sont assis sur leurs talons, les genoux leur
            passent plus d'un demy pied par dessus la teste, qui est
            chose estrange, & semblent estre hors de nature. Ils sont
            neantmoins fort dispos & déterminez, & sont aux meilleures
            terres de toute la coste d'Arcadie[136]: aussi les Souricois
            les craignent fort. Mais, avec l'asseurance que ledict sieur
            de Prevert leur donna, il les mena jusqu'à laditte mine, où
            les sauvages le guidèrent [137]. C'est une fort haute
            montaigne advançant quelque peu sur la mer, qui est fort
            reluisante au soleil, où il y a quantité de verd de gris,
            qui procède de laditte mine de cuivre;_____.

[Note 134: Le sieur Prévert n'avait point vu par lui-même ce qu'il
rapporte ici à Champlain; il s'était contenté d'envoyer deux ou trois de
ses hommes, avec quelques sauvages, à la recherche des mines. Il ne faut
donc pas s'attendre à trouver beaucoup d'exactitude dans tout ce récit.
«Il nous faut,» dit Lescarbot, liv. III, ch. XXVIII, «retourner quérir
Samuel Champlein... afin qu'il nous dise quelques nouvelles de ce qu'il
aura veu & ouï parmi les sauvages... Et afin qu'il ait un plus beau
champ pour réjouir ses auditeurs, je voy le sieur Prevert de Sainct Malo
qui l'attend à l'isle Percée, en intention de lui en bailler d'une; &
s'il ne se contente de cela, lui bailler encore avec la fable des
Armouchiquois la plaisante histoire du _Gougou_, qui fait peur aux
petits Enfans, afin que par après l'Historiographe Cayet soit aussi de
la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy.» Il n'y a là-dessus
qu'une remarque à faire: il était beaucoup plus facile à Lescarbot, cinq
ou six ans plus tard, de tourner en ridicule la crédulité de Champlain,
qu'à celui-ci de bien discerner du premier coup ce qu'il pouvait y avoir
de vrai ou de faux dans les récits d'un homme dont il n'avait peut-être
pas de raison alors de soupçonner la véracité.]

[Note 135: Les Souriquois étaient sans doute intéressés à donner au
sieur Prévert une aussi mauvaise idée que possible de leurs ennemis; et,
d'ailleurs, le sieur Prévert était assez disposé à en inventer au
besoin, comme Champlain put bientôt le constater par lui-même. «Les
Armouchicois,» dit Lescarbot, «sont aussi beaux hommes (souz ce mot je
comprens aussi les femmes) que nous, bien composés & dispos...» (Liv.
III, ch. XXIX.)]

[Note 136: Ce passage donnerait à entendre que, dans l'origine, on
comprenait sous ce nom d'Acadie une bien plus grande étendue de côtes,
puisque le pays des Armouchiquois ne commençait qu'au-delà du Kénébec;
c'est du moins ce que nous assurent Champlain et le P. Biard, qui tous
deux visitèrent les lieux. (Voir 1613, p. 39.)]

[Note 137: Champlain parle ici sur le rapport de Prévert.]

59/123      Au pied de laditte montaigne, il dit que de basse eau il y
            avoit en quantité de morceaux de cuivre, comme il nous en a
            monstré, lequel tombe du hault de la montaigne. Passant
            trois ou quatre lieues plus outre, tirant à la coste
            d'Arcadie, il y a une autre mine, & une petite riviere qui
            va quelque peu dans les terres, tirant au Su, où il y a une
            montaigne qui est d'une peinture noire, de quoy se peignent
            les sauvages. Puis, à quelques six lieues de la seconde
            mine, en tirant à la mer environ une lieue proche de la
            coste d'Arcadie, il y a une isle où se trouve une manière de
            metail qui est comme brun obscur, le coupant il est blanc,
            dont anciennement ils usoient pour leurs flesches &
            cousteaux, qu'ils battoient avec des pierres; ce qui me fait
            croire que ce n'est estain ny plomb, estant si dur comme il
            est; & leur ayant monstré de l'argent, ils dirent que celuy
            de ladicte isle est semblable; lequel ils trouvent dedans la
            terre comme à un pied ou deux. Ledict sieur Prevert a
            donné aux sauvages des coins & ciseaux, & d'autres choses
            necessaires pour tirer de ladicte mine, ce qu'ils ont promis
            de faire, & l'année qu'il vient d'en apporter, & le donner
            audict sieur Prevert.

            Ils disent aussi qu'à quelques cent ou 120 lieues il y a
            d'autres mines, mais ils n'osent y aller, s'il n'y a des
            françois parmy eux pour faire la guerre à leurs ennemis, qui
            les tiennent en leur possession.

            Cedict lieu où est la mine, qui est par les 44 degrez &
            quelques minutes [138] proche de ladicte coste de l'Arcadie
60/124      comme de cinq ou six lieues, c'est une manière de baye qui
            en son entrée peut tenir quelques lieues de large, & quelque
            peu davantage de long, où il y a trois rivieres qui viennent
            tomber en la grand'Baye proche de l'isle de Sainct
            Jean[139], qui a quelque trente ou trente-cinq lieues de
            long, & à quelque six lieues de la terre du Su. Il y a aussi
            une autre petite riviere qui va tomber comme à moitié chemin
            de celle par où revint ledict sieur Prevert, où sont comme
            deux manières de lacs en cette dicte riviere. Plus y a aussi
            une autre petite riviere qui va à la painture. Toutes ces
            rivieres tombent en laditte Baye au Su-Est environ de
            laditte isle que lesdicts sauvages disent y avoir ceste mine
            blanche. Au costé du Nort de laditte Baye [140] sont les
            mines de cuivre, où il y a bon port pour des vaisseaux, &
            une petite isle à l'entrée du port. Le fonds est vase &
            sable, où l'on peut eschouer les vaisseaux.

[Note 138: Si la description faite par le sieur Prévert, ou plutôt par
ses hommes, se rapporte au bassin des Mines, comme le comprit Champlain
lui-même (voir édit. 1613, ch. III), cette latitude est beaucoup trop
faible; le bassin des Mines est tout entier au-delà du
quarante-cinquième degré.]

[Note 139: Aujourd'hui l'île du Prince-Edouard.]

[Note 140: On croit reconnaître ici, avec Champlain (édit. 1613, ch.
III), l'entrée ou le canal du bassin des Mines, l'île Haute, et le port
ou havre à L'Avocat, où «le fonds est vaseux & sablonneux, & les
vaisseaux y peuvent eschouer.»]

            De ladicte mine jusques au commencement de l'entrée
            desdittes rivieres, il y a quelques 60 ou 80 lieues par
            terre. Mais du costé de la mer, selon mon jugement, depuis
            la sortie de l'isle de Sainct Laurent & terre ferme [141],
            il peut y avoir plus de 50 ou 60 lieues jusques à la ditte
            mine.

[Note 141: De cette sortie, qui est évidemment le détroit de Canseau,
jusqu'au bassin des Mines, il y a, par mer, environ cent soixante
lieues.]

            Tout ce païs est très beau & plat, où il y a de toutes les
            sortes d'arbres que nous avons veus allant au premier sault
            de la grande riviere de Canadas, fort peu de sapins &
            cyprez.

61/125      Voylà au certain ce que j'ay apprins & ouy dire audict sieur
            Prevert.



            _D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent
            Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France.

                                  CHAPITRE XIII.

            Il y a encore une chose estrange, digne de reciter, que
            plusieurs sauvages m'ont asseuré estre vray[142]: c'est que,
            proche de la Baye de Chaleurs, tirant au Su, est une isle où
            faict residence un monstre espouvantable que les sauvages
            appellent Gougou, & m'ont dict qu'il avoit la forme d'une
            femme, mais fort effroyable, & d'une telle grandeur, qu'ils
            me disoient que le bout des mats de nostre vaisseau ne luy
62/126      fust pas venu jusques à la ceinture, tant ils le peignent
            grand; & que souvent il a devoré & devore beaucoup de
            sauvages; lesquels ils met dedans une grande poche, quand il
            les peut attraper, & puis les mange; & disoient ceux qui
            avoient esvité le péril de ceste malheureuse beste, que sa
            poche estoit si grande, qu'il y eust pu mettre nostre
            vaisseau. Ce monstre faict des bruits horribles dedans ceste
            isle, que les sauvages appellent le Gougou; & quand ils en
            parlent, ce n'est que avec une peur si estrange qu'il ne se
            peut dire plus, & m'ont asseuré plusieurs l'avoir veu. Mesme
            ledict sieur Prevert de Sainct Malo, en allant à la
            descouverture des mines, ainsi que nous avons dict au
            chapitre précèdent, m'a dict avoir passé si proche de la
            demeure de ceste effroyable beste, que luy & tous ceux de
            son vaisseau entendoient des sifflements estranges du bruit
            qu'elle faisoit, & que les sauvages qu'il avoit avec luy,
            luy dirent que c'estoit la mesme beste, & avoient une telle
            peur qu'ils se cachoient de toute part, craignant qu'elle
            fust venue à eux pour les emporter & qu'il me faict croire
            ce qu'ils disent, c'est que tous les sauvages en général la
            craignent & en parlent si estrangement, que si je mettois
            tout ce qu'ils en disent, l'on le tiendroit pour fables;
            mais je tiens que ce soit la residence de quelque diable qui
            les tourmente de la façon.

            Voylà ce que j'ay appris de ce Gougou.

[Note 142: Les premiers voyageurs qui abordèrent aux côtes du nouveau
monde étaient bien disposés à y trouver un ordre de choses tout
différent de celui du monde ancien; et Champlain tout le premier, en
parcourant des régions encore à peu près inexplorées, pouvait croire
trop facilement à l'existence de monstres fabuleux. Cependant, si l'on
considère ce récit dans son ensemble, on verra qu'il ne fait guère que
rapporter textuellement ce que les sauvages et le sieur Prévert étaient
unanimes à raconter. Mais, de ce qu'il admettait volontiers l'existence
du fait, il ne s'ensuit pas qu'il ait cru tout ce qu'on disait de ce
prétendu monstre. C'est ce que prouve assez la réflexion par laquelle il
termine: «Mais je tiens que ce soit (qu'il faut que ce soit) la
residence de quelque diable qui les tourmente de la façon.» Et Lescarbot
lui-même, après avoir employé plus de deux pages à expliquer _les causes
des fausses visions & imaginations_, et à prouver que le Gougou, _c'est
proprement le remord de la conscience_, finit aussi par dire: «Et n'est
pas incroyable que le diable possédant ces peuples ne leur donne
beaucoup d'illusions. Mais proprement, & à dire la vérité, ce qui a
fortifié l'opinion du Gougou a été le rapport dudit Prevert, lequel
contoit un jour au sieur de Poutrincourt une fable de même aloy, disant
qu'il avoit veu un Sauvage jouer à la croce contre un diable, & qu'il
voyoit bien la croce du diable jouer, mais quant à Monsieur le diable il
ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt qui prenoit plaisir à
l'entendre, faisoit semblant de le croire, pour lui en faire dire
d'autres... Or si ledit Champlein a été credule, un sçavant personnage
que j'honore beaucoup pour sa grande literature, est encore en plus
grand'faute, ayant mis en sa Chronologie septenaire de l'histoire de la
paix imprimée l'an mille six cens cinq, tout le discours dudit Champlein
sans nommer son autheur, & ayant baillé les fables des Armouchiquois &
du Gougou pour bonne monnoye. Je croy que si le conte du diable jouant à
la croce eût aussi été imprimé, il l'eût creu, & mis par escrit, comme
le reste.»]

            Premier que partir de Tadousac pour nous en retourner en
            France, un des Sagamo des Montagnez, nommé Bechourat[143],
63/127      donna son fils au sieur du Pont, pour l'emmener en France, &
            lui fut fort recommandé par le grand Sagamo Anadabijou, le
            priant de le bien traiter & de lui faire veoir ce que les
            autres deux sauvages que nous avions remenez, avoient veu.
            Nous leur demandasmes une femme des Irocois qu'ils vouloient
            manger, laquelle ils nous donnèrent, & l'avons aussi amenée
            avec ledict sauvage. Le sieur de Prevert a aussi amené
            quatre sauvages: un homme qui est de la coste d'Arcadie, une
            femme & deux enfans des Canadiens.

[Note 143: Très-probablement le même que Begourat mentionné plus haut.
On sait que dans certaines écritures de l'époque de Champlain les deux
lettres _ch_ avaient beaucoup de ressemblance avec le _g_.]

            Le 24e jour d'aoust, nous partismes de Gachepay, le vaisseau
            dudict sieur Prevert & le nostre. Le 2e jour de septembre,
            nous faisons estat d'estre aussi avant que le cap de Rase.
            Le cinquième jours dudict nous entrâmes sur le banc où se
            fait la pesche du poisson. Le 16 dudict mois nous estions à
            la sonde qui peut estre à quelques 50 lieues d'Ouessant Le
            20 dudict mois, nous arrivasmes, par la grâce de Dieu, avec
            contentement d'un chascun, & tousjours le vent favorable, au
            port du Havre-de-Grace.

                                 FIN.

Fin du Tome II.

(La page suivante est la page 130 qui est la page couverture du
Tome III.)



130

                               OEUVRES
                                 DE
                              CHAMPLAIN

                               PUBLIÉES
                          SOUS LE PATRONAGE
                        DE L'UNIVERSITÉ LAVAL

                  PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
              PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
                   ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ

                           SECONDE ÉDITION

                              TOME III


                               QUÉBEC

               Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS

                                 1870


131      _L'édition de 1613, qui fait suite à celle de 1603, est
         peut-être la plus intéressante et la plus utile de toutes
         celles que publia Champlain. Les faits y sont racontés dans
         l'ordre, quoique simplement; les descriptions de lieux y sont à
         leur place; le texte est partout accompagné de cartes ou de
         dessins, qui jettent toujours beaucoup de lumière sur des
         événements si éloignés de nous_.

         _Bien des personnes, sans en avoir fait un examen assez
         attentif, ont cru que l'édition de 1632 pouvait y suppléer,
         parce quelle la reproduit en grande partie. Mais, quand elles
         voudront approfondir les choses, et s'en rendre exactement
         compte, elles s'apercevront bien vite que cette réimpression de
         1632 est tellement tronquée parfois, qu'il est impossible de
         s'y reconnaître, et elles se verront forcées de revenir à
         l'édition première, surtout pour ce qui concerne l'Acadie, et
         les cotes de la Nouvelle-Angleterre_.


132

                              LES VOYAGES
                         DU SIEUR DE CHAMPLAIN
                        XAINTONGEOIS, CAPITAINE

                         ordinaire pour le Roy,
                             en la marine.

                         DIVISEZ EN DEUX LIVRES.

                                  ou,

         _JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és descouvertures
         de la nouvelle France: tant en la description des terres,
         costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs
         déclinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des peuples,
         leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer: enrichi de
         quantité de figures_.

         Ensemble deux cartes geografiques: la première servant à la
         navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur
         lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien,
         avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le
         voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de
         Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en
         l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la
         Chine.


         A PARIS,

         Chez JEAN BERJON, rue S. Jean de Beauvais, au Cheval
         volant, & en sa boutique au Palais, à la gallerie
         des prisonniers.


                              MDCXIII.

                       AVEC PRIVILEGE DU ROY.

iii/135

         [Illustration]

         AU ROY.

         _SIRE, Vostre Majesté peut avoir assez de
         cognoissance des descouvertures, faites pour son service de la
         nouvelle France (dicte Canada) par les escripts que certains
         Capitaines & Pilotes en ont fait, des voyages & descouvertures,
         qui y ont esté faites, depuis quatre vingts ans, mais ils n'ont
         rien rendu de si recommandable en vostre Royaume, ny si
         profitable pour le service de vostre Majesté & de ses subjects;
         comme peuvent estre les cartes des costes, havres, rivieres, &
         de la situation des lieux lesquelles seront representées par ce
         petit traicté, que je prens la hardiesse d'adresser à vostre
         Majesté, intitulé Journalier des voyages & descouvertures que
         j'ay faites avec le sieur de Mons, vostre Lieutenant, en la
         nouvelle France: & me voyant poussé d'une juste recognoissance
         de l'honneur que j'ay reçeu depuis dix ans, des commandements,
         tant de vostre Majesté, Sire, que du feu Roy, Henry le Grand,
         d'heureuse mémoire, qui me commanda de faire les recherches &
         descouvertures les plus exactes qu'il me seroit possible: Ce
         que j'ay fait avec les augmentations, representées par les
         cartes, contenues en ce petit livre, auquel il se trouvera une
iv/136   remarque particulière des perils, qu'on pourrait encourir s'ils
         n'estoyent evitez: ce que les subjects de vostre Majesté, qu'il
         luy plaira employer cy aprés, pour la conservation desdictes
         descouvertures pourront eviter selon la cognoissance que leur
         en donneront les cartes contenues en ce traicté, qui servira
         d'exemplaire en vostre Royaume, pour servir à vostre Majesté, à
         l'augmentation de sa gloire, au bien de ses subjects, & à
         l'honneur du service tres-humble que doit à l'heureux
         accroissement de vos jours._

         SIRE.

         Vostre tres-humble, tres-obeissant
         & tres-fidele serviteur & subject.

         CHAMPLAIN.

v/137

         [Illustration:]

                                  A
                          LA ROYNE REGENTE
                            MERE DU ROY.

         MADAME, Entre tous les arts les plus utiles & excellens, celuy
         de naviguer m'a tousjours semblé tenir le premier lieu: Car
         d'autant plus qu'il est hazardeux & accompagné de mille périls
         & naufrages, d'autant plus aussi est-il estimé & relevé par
         dessus tous, n'estant aucunement convenable à ceux qui manquent
         de courage & asseurance. Par cet art nous avons la cognoissance
         de diverses terres, régions, & Royaumes. Par iceluy nous
         attirons & apportons en nos terres toutes sortes de richesses,
         par iceluy l'idolâtrie du Paganisme est renversé, & le
         Christianisme annoncé par tous les endroits de la terre. C'est
         cet art qui m'a dés mon bas aage attiré à l'aimer, & qui m'a
         provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes impetueuses
         de l'Océan, & qui m'a fait naviger & costoyer une partie des
         terres de l'Amérique & principalement de la Nouvelle France, où
         j'ay tousjours en desir d'y faire fleurir le Lys avec l'unique
         Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce que je croy à
         present faire avec l'aide de Dieu, estant assisté de la faveur
         de vostre Majesté, laquelle je supplie tres-humblement de
         continuer à nous maintenir, afin que tout reussisse à l'honneur
vi/138   de Dieu, au bien de la France & splendeur de vostre Regne, pour
         la grandeur & prosperité duquel, je prierai Dieu, de vous
         assister tousjours de mille benedictions & demeureray.

         MADAME,

         _Vostre tres-humble, tres-obeissant
         & tres-fidele serviteur & subject._

         CHAMPLAIN.

vii/139

                        AUX FRANÇOIS, SUR LES
                    voyages du sieur de Champlain.

                               STANCES.


           _La France estant un jour à bon droit irritée_
             _De voir des estrangers l'audace tant vantée,_
             _Voulans comme ranger la mer à leur merci,_
             _Et rendre injustement Neptune tributaire_
             _Estant commun à tous; ardente de cholere_
             _Appella ses enfans, & les tançoit ainsi._

         2

           _Enfans, mon cher soucy, le doux soin de mon ame,_
             _Quoy? l'honneur qui espoint d'une si douce flamme,_
             _Ne touche point vos coeurs? Si l'honneur de mon nom_
             _Rend le vostre pareil d'éternelle memoire,_
             _Si le bruit de mon los redonde à vostre gloire,_
             _Chers enfans, pouvés vous trahir vostre renom?_

         3

           _Je voy de l'estranger l'insolente arrogance,_
             _Entreprenant par trop, prendre la jouissance_
             _De ce grand Océan, qui languit aprés vous,_
             _Et pourquoy le desir d'une belle entreprise_
             _Vos coeurs comme autresfois n'espoinçonne & n'attise?_
             _Tousjours un brave coeur de l'honneur est jaloux._

         4

           _Apprenés qu'on a veu les Françoises armées_
             _De leur nombre couvrir les pleines Idumées,_
             _L'Afrique quelquefois a veu vos devanciers,_
             _L'Europe en a tremblé, & la fertile Asie_
             _En a esté souvent d'effroy toute saisie,_
             _Ces peuples sont tesmoins de leurs actes guerriers._

         5

           _Ainsi moy vostre mere en armes si féconde_
             _J'ay fait trembler soubs moy les trois parts de ce monde._
viii/140     _La quarte seulement mes armes n'a gousté._
             _C'est ce monde nouveau dont l'Espagne rostie._
             _Jalouse de mon los, seule se glorifie,_
             _Mon nom plus que le sien y doit estre planté._

         6

           _Peut estre direz vous que mon ventre vous donne_
             _Ce que pour estre bien, Nature vous ordonne,_
             _Que vous avez le Ciel clément & gracieux,_
             _Que de chercher ailleurs se rendre à la fortune,_
             _Et plus se confier à une traistre Neptune,_
             _Ce seroit s'hazarder sans espoir d'avoir mieux._

         7

           _Si les autres avoyent leurs terres cultivées,_
             _De fleuves & ruisseaux plaisamment abbreuvées_
             _Et que l'air y fut doux: sans doute ils n'auroyent pas_
             _Dans ce pays lointain porté leur renommée_
             _Que foible on la verroit dans leurs murs enfermée_
             _Mais pour vaincre la faim, on ne craint le trespas._

         8

           _Il est vray chers enfans, mais ne faites vous compte_
             _De l'honneur, qui le temps & sa force surmonte?_
             _Qui seul peut faire vivre en immortalité?_
             _Ha! je sçay que luy seul vous plaist pour recompense,_
             _Allés donc courageux, ne souffrez, ceste offense,_
             _De souffrir tels affrons, ce serait lascheté._

         9

           _Je n'en sentirois pas la passion si forte,_
             _Si nature n'ouvroit à ce dessein la porte,_
             _Car puis qu'elle a voulu me bagner les costés_
             _De deux si larges mers: c'est pour vous faire entendre_
             _Que guerriers il vous faut mes limites estendre_
             _Et rendre des deux parts les peuples surmontés._

         10

           _C'est trop, c'est trop long temps se priver de l'usage,_
             _D'un bien que par le Ciel vous eustes en partage,_
ix/141       _Allés donc courageux, faites bruire mon los,_
             _Que mes armes par vous en ce lieu soyent portées_
             _Rendés par la vertu les peines surmontées_
             _L'honneur est tant plus grand que moindre est le repos._

         11

           _Ainsi parla la France: & les uns approuverent_
             _Son discours, par les cris qu'au Ciel ils eslevèrent,_
             _D'autres faisoient semblant de louer son dessein,_
             _Mais nul ne s'efforçait de la rendre contente,_
             _Quand Champlain luy donna le fruit de son attente._
             _Un coeur fort généreux ne peut rien faire en vain._

         12

           _Ce dessein qui portait tant de peines diverses,_
             _De dangers, de travaux, d'espines de traversés,_
             _Luy servit pour monstrer qu'une entière vertu_
             _Peut rompre tous efforts par sa perseverance_
             _Emporter, vaincre tout: un coeur plein de vaillance_
             _Se monstre tant plus grande plus il est combattu._

         13

           _François, chers compagnons, qu'un beau desir de gloire_
             _Espoinçonnant vos coeurs, rende vostre mémoire_
            _Illustrée à jamais; venez braves guerriers,_
             _Non non ce ne sont point des esperances vaines._
             _Champlain a surmonté les dangers & les peines:_
             _Venés pour recueillir mille & mille lauriers._

         14

           _HENRY mon grand Henry à qui la destinée_
             _Impiteuse a trop tost la carrière bornée,_
             _Si le Ciel t'eust laissé plus long temps icy bas,_
             _Tu nous eusses assemblé la France avec la Chine :_
             _Tu ne méritais moins que la ronde machine,_
             _Et l'eussions veu courber sous l'effort de ton bras._

         15

           _Et toy sacré fleuron, digne fils d'un tel Prince,_
             _Qui luit comme un soleil aux yeux de ta Province,_
x/142        _Le Ciel qui te reserve à un si haut dessein,_
             _Face un jour qu'arrivant l'effect de mon envie,_
             _Je verse en t'y servant & le sang, & la vie,_
             _Je ne quiers autre honneur si tel est mon destin._

         16

           _Tes armes ô mon Roy, ô mon grand Alexandre!_
             _Iront de tes vertus un bon odeur espandre_
             _Au couchant & levant. Champlain tout glorieux_
             _D'un desir si hautain ayant l'ame eschauffée_
             _Aux fins de l'Océan plantera ton trophée,_
             _La grandeur d'un tel Roy doit voler jusqu'aux Cieux._


                                             L'ANGE Paris.


xi/143


         A MONSIEUR DE CHAMPLAIN Sur son livre & ses cartes marines.

                           ODE.

       _Que desire tu voir encore_
             _Curieuse témérité:_
             _Tu cognois l'un & l'autre More,_
             _En ton cours est-il limité?_
             _En quelle coste reculée_
             _N'es-tu pas sans frayeur allée?_
             _Et ne sers tu pas de raison?_
             _Que l'ame est un feu qui nous pousse,_
             _Qui nous agite et se courouce_
             _D'estre en ce corps comme en prison?_

       _Tu ne trouves rien d'impossible,_
             _Et mesme le chemin des Cieux_
             _À peine reste inaccessible_
             _A ton courage ambitieux._
             _Encore un fugitif Dédale,_
             _Esbranlant son aisle inégale_
             _Eut l'audace d'en approcher,_
             _Et ce guerrier qui de la nue_
             _Vid la jeune Andromede nue_
             _Preste à mourir sur le rocher._

        _Que n'ay je leur aisle asseurée,_
             _Ou celle du vent plus léger,_
             _Ou celles des fils de Borée_
             _Ou l'Hippogriphe de Roger._
             _Que ne puis-je par characteres_
             _Parfums & magiques mysteres_
             _Courir l'un & l'autre Element._
             _Et quand je voudrais l'entreprendre_
             _Aussi-tost qu'un daimon me rendre_
             _Au bout du monde en un moment._

        _Non point qu'alors je me promette_
             _D'aller au sejour eslevé_
             _Qu'avec une longue lunette_
             _On a dans la lune trouvé;_
             _Ny d'apprendre si les lumières_
             _D'esclairer au ciel coustumieres,_
xii/144      _Et qui sont nos biens & nos maux,_
             _D'humides vapeurs sont nourries,_
             _Comme icy bas dans les prairies_
             _D'herbe on nourit les animaux._

        _Mais pour aller en asseurance_
             _Visiter ces peuples tous nuds_
             _Que la bien heureuse ignorance_
             _En long repos a maintenus._
             _Telle estoit la gent fortunée_
             _Au monde la première née,_
             _Quand le miel en ruisseaux fondoit_
             _Au sein de la terre fleurie_
             _Et telle se voit l'Hetrurie_
             _Lors que Saturne y commandoit._

        _Quels honneurs & quelles louanges_
             _Champlain ne doit point esperer,_
             _Qui de ces grands pays estranges_
             _Nous a sçeu le plan figurer_
             _Ayant neuf fois tenu la sonde_
             _Et porté dans ce nouveau monde_
             _Son courage aveugle aux dangers,_
             _Sans craindre des vents les haleines_
             _Ny les monstrueuses Baleines_
             _Le butin des Basques légers._

        _Esprit plus grand que la fortune_
             _Patient & laborieux._
             _Tousjours soit propice Neptune_
             _A tes voyages glorieux._
             _Puisses tu d'aage en aage vivre,_
             _Par l'heureux effort de ton livre:_
             _Et que la mesme éternité_
             _Donne tes chartes renommées_
             _D'huile de cèdre perfumées_
             _En garde à l'immortalité._


                                              Motin.


xiii/145

                        SOMMAIRES DES CHAPITRES

         LIVRE PREMIER

         _Auquel sont descrites les descouvertures de la coste d'Acadie
         & de la Floride._

         L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à recercher un
         chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs
         voyages qui n'ont point réussi. Resolution des François à cet
         effect. Entreprise du sieur de Mons. Sa commission, &
         revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de
         Mons. Chap. I.

         Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton, de la Heve: Du
         port au Mouton: Du port du cap Negre: Du cap & Baye de Sable:
         De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle longue: De
         la baye saincte Marie: Du port saincte Marguerite, & de toutes
         les choses remarquables qui sont le long de ceste coste. Chap.
         II.

         Description du port Royal & des particularitez d'iceluy. De
         l'isle haute. Du port aux Misnes. De la grande baye Françoise.
         De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis
         le port aux Misnes jusques à icelle. De l'isle appellée par les
         Sauvages Methane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs
         belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres
         choses remarquables d'icelle coste. Chap. III.

         Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour
         faire une demeure arrestée, que l'isle de saincte Croix, la
         fortifie & y fait des logemens. Retour des vaisseaux en France,
         & de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre
         ordre à quelques affaires. Chap. IV.

         De la coste, peuples & rivieres de Norembeque, & de tout ce qui
         s'est passé durant les descouvertures d'icelle. Chap. V.

         Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes &
         femmes Sauvages passent le temps durant l'hyver: & tout ce qui
         se passe en l'habitation durant l'hyvernement. Chap. VI.

         Descouvertures de la coste des Almouchiquois, jusques au 42e
         degré de latitude: & des particularités de ce voyage. Chap.
         VII.

         Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
         & de ce que nous y avons remarqué de particulier. Chap. VIII.

         Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois. Chap.
         IX.

         L'habitation qui estoit en l'isle de saincte Croix transportée
         au port Royal, & pourquoy. Chap. X.

         Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusques à
         ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit
         promis, on partit du port Royal pour retourner en France. Chap.
         XI.

         Partement du Port Royal, pour retourner en France. Rencontre de
         Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrousser chemin. Chap. XII.

         Le sieur de Poitrincourt part du port Royal, pour faire des
         descouvertures. Tout ce que l'on y vit, & ce qui y arriva
         jusques à Malebarre. Chap. XIII.

         Continuation des susdites descouvertures, & ce qui y fut
         remarqué de singulier. Chap. XIV.

         L'incommodité du temps, ne permettant pour lors, de faire
         d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en
         l'habitation: & ce qui nous arriva jusques à icelle. Chap. XV.

xiv/146  Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant
         l'hyvernement. Chap. XVI.

         Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de
         Poitrincourt & de tous ses gens. Chap. XVII.

         LIVRE SECOND

         _Auquel sont descrits les voyages faits au grand fleuve sainct
         Laurens, far le sieur de Champlain._

         Resolution du sieur de Mons, pour faire les descouvertures
         par dedans les terres: sa commission & enfrainte d'icelle, par
         des Basques, qui desarmerent le vaisseau de Pont-gravé; &
         l'accord qu'ils firent après entre eux. Chap. I.

         De la riviere de Saguenay, & des Sauvages, qui nous y vindrent
         abborder. De l'isle d'Orléans, & de tout ce que nous y avons
         remarqué de singulier. Chap. II.

         Arrivée à Québec, où nous fismes nos logemens. Sa situation.
         Conspiration contre le service du Roy, & ma vie, par aucuns de
         nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa
         en cet affaire. Chap. III.

         Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement,
         & du lieu où sejourna Jaques Quartier en l'an 1535. Chap. IV.

         Semences & vignes plantées à Québec. Commencement de l'yver &
         des glaces. Extresme necessité de certains sauvages. Chap. V.

         Maladie de la terre à Québec. Le suject de l'hyvernement.
         Description dudit lieu. Arrivée du sieur de Marais, gendre de
         Pont-gravé, audit Québec Chap. VI.

         Partement de Québec jusques à l'isle saincte Esloy, & de la
         rencontre que j'y fis des sauvages Algoumequins, & Ochatequins.
         Chap. VII.

         Retour à Québec: & depuis continuation avec les sauvages
         jusques au saut de la riviere des Yroquois. Chap. VIII.

         Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un
         grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit
         lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer
         les Yroquois. Chap. IX.

         Retour de la Bataille & ce qui se passa par le chemin. Chap. X.

         Retour en France & ce qui se passa jusques au rembarquement.
         Chap. XI.


                          SECOND VOYAGE DU SIEUR
                              de Champlain.

         Partement de France pour retourner en la nouvelle France: & ce
         qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation. Chap. I.

         Partement de Québec pour aller assister nos sauvages alliez à
         la guerre contre les Yroquois leurs ennemis & tout ce qui se
         passa jusques à nostre retour en l'habitation. Chap. II.

         Retour en France. Rencontre d'une Baleine & de la façon qu'on
         les prent Chap. III.



xv/147                    LE TROISIESME VOYAGE DU
                    sieur de Champlain en l'année 1611.

         Partement de France pour retourner en la Nouvelle France. Les
         dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation.
         Chap. I.

         Descente à Quebec pour faire raccommoder la barque. Partement
         dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages &
         recognoistre un lieu propre pour une habitation. Chap. II.

         Deux cens sauvages rameinent le François qu'on leur avoit
         baillé, & remmenèrent leur sauvage qui estoit retourné de
         France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. III.

         Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de
         Mons & ses associés les sieurs Colier & le gendre de Rouen.
         Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la
         nouvelle France. Chap. IV.

         Intelligence des deux cartes Geografiques de la nouvelle
         France.

xvi/148  Plus est adjouté le voyage à la petite carte du destroit
         qu'ont trouvé les Anglois au dessus de Labrador depuis le 53e
         degré de latitude, jusques au 63e qu'ils ont descouvert en
         ceste presente année 1612. pour trouver un passage d'aller à la
         Chine par le Nort, s'il leur est possible: & ont hyverné au
         lieu où est ceste marque, Q. Ce ne fut pas sans avoir beaucoup
         enduré de froidures, & furent contraincts de retourner en
         Angleterre: ayans laissé leur chef dans les terres du Nort, &
         depuis six mois, trois autres vaisseaux sont partis pour
         pénétrer plus avant, s'ils peuvent, & par mesmes moyens voir
         s'ils trouveront les hommes qui ont esté delaissez audict pays.


                             EXTRAIT DU PRIVILEGE.

         Par lettres patentes du Roy données à Paris, le 9 de janvier,
         1613. & de nostre règne le 3, par le Roy en son conseil
         PERREAU: & scellées en cire jaune sur simple queue, il est
         permis à JEAN BERJON, Imprimeur & Libraire en ceste ville de
         Paris, imprimer ou faire imprimer par qui bon luy semblera un
         livre intitulé. _Les Voyages de Samuel de Champlain
         Xainctongeois, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine,
         etc._ pour le temps & terme de six ans entiers & consecutifs à
         commencer du jour que ledit livre aura esté achevé d'imprimer,
         jusques audit temps de six ans. Estant semblablement fait
         deffenses par les mesmes lettres, à tous Imprimeurs, marchans
         Libraires, & autres quelconques, d'imprimer, ou faire imprimer,
         vendre ou distribuer ledit livre durant ledit temps, sans
         l'exprès contentement dudit BERJON, ou de celuy à qui il en
         aura donné permission, sur peine de confiscation desdicts
         livres la part qu'ils seront trouvez, & d'amende arbitraire,
         comme plus à plein est déclaré esdictes lettres.


1/149

         [Illustration:]

                              LES VOYAGES
                        DU SIEUR DE CHAMPLAIN
                       XAINTONGEOIS, CAPITAINE
                        ordinaire pour le Roy,
                             en la marine.

         _OU JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és
         descouvertures de la nouvelle France: tant en la description
         des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, &
         plusieurs declinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des
         peuples, leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer:
         enrichi de quantité de figures._

         Ensemble deux cartes géographiques: la première servant à la
         navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur
         lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien,
         avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le
         voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de
         Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en
         l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la
         Chine.



                             LIVRE PREMIER



         _L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à rechercher
         un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux.
         Plusieurs voyages qui n'ont pas reussy. Resolution des François
         à cet effect. Entreprise du sieur de Mons: sa commission,
         revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons
         pour continuer son entreprise._

                               CHAPITRE I.

         Selon la diversité des humeurs les inclinations sont
         différentes: & chacun en sa vacation a une fin particuliere.
         Les uns tirent au proffit, les autres à la gloire, & aucuns au
2/150    bien public. Le plus grand est au commerce, & principalement
         celuy qui se faict sur la mer. De là vient le grand soulagement
         du peuple, l'opulence & l'ornement des republiques. C'est ce
         qui a eslevé l'ancienne Rome à la Seigneurie & domination de
         tout le monde. Les Vénitiens à une grandeur esgale à celle des
         puissans Roys. De tout temps il a fait foisonner en richesses
         les villes maritimes, dont Alexandrie & Tyr sont si célèbres: &
         une infinité d'autres, lesquelles remplissent le profond des
         terres aprés que les nations estrangeres leur ont envoyé ce
         qu'elles ont de beau & de singulier. C'est pourquoy plusieurs
         Princes se sont efforcez de trouver par le Nort, le chemin de
         la Chine, afin de faciliter le commerce avec les Orientaux,
         esperans que ceste route seroit plus brieve & moins perilleuse.

         En l'an 1496, le Roy d'Angleterre commit à ceste recherche Jean
         Chabot[1] & Sebastien son fils. Environ le mesme temps Dom
         Emanuel Roy de Portugal y envoya Gaspar Cortereal, qui retourna
         sans avoir trouvé ce qu'il pretendoit: & l'année d'après
         reprenant les mesmes erres, ils mourut en l'entreprise, comme
         fit Michel son frère qui la continuoit obstinément. Es années
         1534. & 1535, Jacques Quartier [2] eut pareille commission du
3/151    Roy François I, mais il fut arresté en sa course. Six ans après
         le sieur de Roberval l'ayant renouvelée, envoya Jean Alfonce
         Xaintongeois plus au Nort le long de la coste de Labrador, qui
         en revint aussi sçavant que les autres. Es années 1576, 1577 &
         1578 Messire Martin Forbicher[3] Anglois fit trois voyages
         suivant les costes du Nort. Sept ans après Hunfrey Gilbert [4]
         aussi Anglois partit avec cinq navires, & s'en alla perdre sur
         l'isle de Sable, où demeurèrent trois de ses vaisseaux. En la
         mesme année [5], & és deux suivantes Jean Davis Anglois fit
         trois voyages pour mesme subject, & pénétra soubs les 72
         degrez, & ne passa pas un destroit qui est appelé aujourdhui de
         son nom. Et depuis luy le Capitaine Georges en fit aussi un en
         l'an 1590, qui fut contraint à cause des glaces, de retourner
         sans avoir rien descouvert. Quant aux Holandois ils n'en ont
         pas eu plus certaine cognoissance à la nouvelle Zemble.

[Note 1: La commission fut donnée nommément à Jean Cabot et à ses fils
Louis, Sébastien et Sanche, et à leurs héritiers et ayans cause:
«_Dilectis nobis Ioanni Caboto, civi Venetiarum, Ludovico, Sebastiano &
Sancio filiis dicti Ioannis, & eorum ac cujuslibet eorum haeredibus ac
deputatis..._» (Mémoires des Commissaires, t. II, p. 409). Cette
commission est datée du 5 mars de la onzième année du règne de Henri
VII. Or Henri fut couronné le 30 octobre 1485. La commission est donc du
5 mars 1496, suivant le style nouveau, et 1495 suivant l'ancien style,
Pâques tombant cette année le 1er avril.]

[Note 2: L'auteur, dans la relation de son voyage de 1603, écrit Jacques
Cartier. Il semble que, dans celle-ci, il ait adopté l'orthographe de
Lescarbot; cependant le capitaine malouin signait Cartier, comme en font
foi les registres de Saint-Malo.]

[Note 3: Sir Martin Frobisher, natif de Doncaster, dans le comté d'York.
On peut voir la relation de ses voyages dans Hakluyt, tome III, et la
traduction française dans les _Voyages au Nord._]

[Note 4: Sir Humphrey Gilbert obtint une commission de la reine
d'Angleterre, dès l'année 1578. Mais le premier voyage qu'il entreprit
cette année manqua complètement, tant par la désertion d'un grand nombre
de ses associés, que par suite d'une violente tempête, qui le força de
retourner en Angleterre. En vertu de la même commission, il réalisa
enfin, cinq ans plus tard (1583), un voyage aux côtes de l'Amérique, où
il périt lui et tous ses compagnons.]

[Note 5: Le premier voyage de Davis eut lieu en 1585.]

         Tant de navigations & descouvertures vainement entreprises avec
         beaucoup de travaux & despences, ont fait resoudre noz François
         en ces dernières années, à essayer de faire une demeure
         arrestée és terres que nous disons la Nouvelle France, esperans
         parvenir plus facilement à la perfection de ceste entreprise,
4/152    la Navigation commençeant en la terre d'outre l'Océan, le long
         de laquelle se fait la recherche du passage desiré: Ce qui
         avoit meu le Marquis de la Roche en l'an 1598,[6] de prendre
         commission du Roy pour habiter ladite terre. A cet effect il
         deschargea des hommes & munitions en l'Isle de Sable: mais les
         conditions qui luy avoient esté accordées par sa Majesté lui
         ayant esté déniées, il fut contraint de quitter son entreprise,
         & laisser là ses gens. Un an aprez le Capitaine Chauvin en prit
         une autre pour y conduire d'autres hommes: & peu aprez estant
         aussi revocquée[7], il ne poursuit pas davantage.

         Aprez ceux cy[8], nonobstant toutes ces variations &
         incertitudes, le sieur de Mons voulut tenter une chose
         desesperée: & en demanda commission à sa Majesté: recognoissant
         que ce qui avoit ruiné les entreprinses précédentes, estait
         faute d'avoir assisté les entrepreneurs, qui, en un an, ny
5/153    deux, n'ont peu recognoistre les terres & les peuples qui y
         sont: ny trouver des ports propres à une habitation. Il proposa
         à sa Majesté un moyen pour supporter ces frais sans rien tirer
         des deniers Royaux, asçavoir, de lui octroyer privativement à
         tous autres la traitte de peleterie d'icelle terre. Ce que luy
         ayant esté accordé, il se mit en grande & excessive despence: &
         mena avec luy bon nombre d'hommes de diverses conditions: & y
         fit bastir des logemens necessaires pour ses gens: laquelle
         despence il continua trois années consecutives, aprez
         lesquelles, par l'envie & importunité de certains marchans
         Basques & Bretons, ce qui luy avoit esté octroyé, fut revocqué
         par le Conseil, au grand prejudice d'iceluy sieur de Mons:
         lequel par telle revocation fut contraint d'abbandonner tout,
         avec perte de ses travaux & de tous les utensilles dont il
         avoit garny son habitation.

[Note 6: «Lescarbot et Champlain,» dit M. Ferland, en parlant de
l'entreprise du marquis de la Roche (Cours d'Histoire du Canada, I, p.
60), «tenaient leurs renseignements du sieur de Poutrincourt. Nous
préférons suivre Bergeron, qui écrivait vers le même temps, parce que la
vérité de son récit est confirmée par une notice sur le marquis de La
Roche, insérée dans la Biographie Générale des Hommes Illustres de la
Bretagne.» Voici ce que dit Bergeron à ce sujet: «Le Marquis de la Roche
donc étant allé, suivant sa première commission» (1578), «dés le temps
de Henri III, en l'ile de Sable, & voulant découvrir davantage, il fut
rejeté par la violence du vent en moins de douze jours jusqu'en
Bretagne, où il fut retenu prisonnier cinq ans» (ou plus de sept,
suivant M. Pol de Courcy) «par le duc de Mercoeur. Cependant les gens
qu'il avoit laissé en l'île de Sable, ne vécurent tout ce temps-là que
de pèche, & de quelques vaches & autres bêtes provenant de celles que
dés l'an 1518 le baron de Lery y avoit laissées. Enfin le marquis étant
délivré de prison, comme il eut conté au Roy son adventure, le pilote
_Chef-d'hotel_ eut commandement allant aux terres neuves, de recueillir
ces pauvres gens; ce qu'il fit, & n'en trouva que douze de reste, qu'il
ramena en France. Mais le Marquis aiant obtenu sa seconde commission»
(1598) «ne peut continuer ces voyages, prévenu de mort bientôt après.»
(Traité de la Navigation, ch. XX.)]

[Note 7: Suivant l'édition de 1632, le sieur Chauvin fit de suite un
second voyage, «qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire
un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure longtemps sans estre
saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.» (Première partie, ch,
VI.)]

[Note 8: En 1603, après la mort du commandeur de Chastes.]

         Mais comme il eut fait raport au Roy de la fertilité de la
         terre; & moy du moyen de trouver le passage de la Chine[9],
         sans les incommoditez des glaces du Nort, ny les ardeurs de la
         Zone torride, soubs laquelle nos mariniers passent deux fois en
         allant & deux fois en retournant, avec des travaux & périls
         incroyables, sa Majesté commanda [10] au sieur de Mons de faire
         nouvel équipage & renvoyer des hommes pour continuer ce qu'il
         avoit commencé. Il le fit. Et pour l'incertitude de sa
         commission il changea de lieu, afin d'oster aux envieux
6/154    l'ombrage qu'il leur avoit apporté; meu aussi de l'esperance
         d'avoir plus d'utilité au dedans des terres où les peuples sont
         civilisez, & est plus facile de planter la foy Chrestienne &
         establir un ordre comme il est necessaire pour la conservation
         d'un païs, que le long des rives de la mer, où habitent
         ordinairement les sauvages: & ainsi faire que le Roy en puisse
         tirer un proffit inestimable: Car il est aisé à croire que les
         peuples de l'Europe rechercheront plustost cette facilité que
         non pas les humeurs envieuses & farouches qui suivent les
         costes & les barbares.

[Note 9: L'auteur, à cette époque, n'avait encore «sur la fin de la
grande riviere de Canada» que les renseignements qu'il avait pu obtenir
de quelques sauvages.]

[Note 10: Il s'agit ici de la commission de 1608.]



         _Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton; De la Héve; Du
         port au Mouton; Du port du Cap Negre: Du cap & baye de Sable:
         De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle Longue: De
         la baye saincte Marie: Du port de saincte Marguerite: & de
         toutes les choses remarcables qui sont le long de cette coste._

                                  CHAPITRE II.

         Le sieur de Mons, en vertu de sa commission [11], ayant par
         tous les ports & havres de ce Royaume fait publier les defences
         de la traitte de pelleterie à luy accordée par sa Majesté,
7/155    amassa environ 120 artisans, qu'il fit embarquer [12] en deux
         vaisseaux: l'un du port de 120 tonneaux, dans lequel commandoit
         le sieur de Pont-gravé: & l'autre de 150, où il se mit avec
         plusieurs gentilshommes.

[Note 11: Cette première commission de M. de Mons est du 8 novembre
1603. Elle est citée par Lescarbot, liv. IV, ch. I.]

[Note 12: Lescarbot donne, sur cet embarquement, quelques détails de
plus: «Le sieur de Monts,» dit-il, liv. IV, ch. II, «fit équipper deux
navires, l'un souz la conduite du Capitaine Timothée du Havre de Grâce,
l'autre du Capitaine Morel de Honfleur. Dans le premier il se mit avec
bon nombre de gens de qualité tant gentils-hommes qu'autres... Et le
sieur de Poutrincourt s'embarqua avec ledit sieur de Monts, & quant &
lui fit porter quantité d'armes & munitions de guerre.»]

         Le septiesme d'Avril mil six cens quatre, nous partismes du
         Havre de grace, & Pont-gravé le 10, qui avoit le rendes-vous à
         Canceau[13] 20 lieues du cap Breton [14]. Mais comme nous
         fusmes en pleine mer le sieur de Mons changea d'advis & prit sa
         route vers le port au Mouton, à cause qu'il est plus au midy, &
         aussi plus commode pour aborder, que non pas Canceau.

[Note 13: Ce mot, que les Anglois écrivent _Canso_, est d'origine
sauvage, suivant Lescarbot.]

[Note 14: Il s'agit ici du cap qui a donné son nom à l'île du
Cap-Breton. «En cette terre,» dit Thévet (Grand Insulaire), «il y a une
province nommée Campestre de Berge, qui tire au Sud-Est: en ceste
province gist à l'est le cap ou promontoire de Lorraine, ainsi par nous
nommé; & autres lui ont donné le nom de _Cap des Bretons_, à cause que
c'est là que les Bretons, Biscains & Normands vont & costoyent allans en
terre-neuve pour pescher des moluës.»]

         Le premier de May nous eusmes cognoissance de l'isle de Sable,
         où nous courusmes risque d'estre perduz par la faute de nos
         pilotes qui s'estoient trompez en l'estime qu'ils firent plus
         de l'avant que nous n'estions de 40 lieues.

         Ceste isle est esloignée de la terre du cap Breton de 30
         lieues, nort & su, & contient environ 15 lieues. Il y a un
         petit lac. L'isle est fort sablonneuse & ny a point de bois de
         haute futaie, se ne sont que taillis & herbages que pasturent
         des boeufz & des vaches que les Portugais y portèrent il y a
         plus de 60 ans, qui servirent beaucoup aux gens du Marquis de
         la Roche: qui en plusieurs années qu'ils y sejournerent prirent
         grande quantité de fort beaux renards noirs, dont ils
         conserverent bien soigneusesment les peaux. Il y a force loups
8/156    marins de la peau desquels ils s'abillerent ayans tout discipé
         leurs vestemens. Par ordonnance de la Cour de Parlement de
         Rouan il y fut envoié un vaisseau pour les requérir: les
         conducteurs firent la pèche de mollues en lieu proche de ceste
         isle qui est toute batturiere és environs.

         Le 8 du mesme mois nous eusmes cognoissance du Cap de la Héve,
         à l'est duquel il y a une Baye[15] où sont plusieurs Isles
         couvertes de sapins; & à la grande terre de chesnes, ormeaux &
         bouleaux. Il est joignant la coste d'Accadie par les 44 degrez
         & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de
         declinaison de la guide-aimant, distant à l'est nordest du Cap
         Breton 85 lieues, dont nous parlerons cy aprez.

[Note 15: Cette baie est formée par l'embouchure de la rivière de La
Hève.]

         Le 12 de May nous entrasmes dans un autre port, à 5 lieues du
         cap de la Héve, où nous primes un vaisseau qui faisoit traitte
         de peleterie contre les defences du Roy. Le chef s'appeloit
         Rossignol,[16] dont le nom en demeura au port, qui est par les
         44 degrez & un quart de latitude.

[Note 16: Le port Rossignol porte aujourd'hui le nom de Liverpool.]

         Le 13 de May nous arrivasmes à un très-beau port, où il y a
         deux petites rivieres, appelé le port au Mouton [17], qui est à
         sept lieues de celuy du Rossignol. Le terroir est fort
         pierreux, rempli de taillis & bruyères. Il y a grand nombre de
         lappins, & quantité de gibier à cause des estangs qui y sont.
         Aussi tost que nous fusmes desembarquez, chacun commença à
9/157    faire des cabannes selon sa fantaisie, sur une pointe à
         l'entrée du port auprès de deux estangs d'eau douce. Le sieur
         de Mons en mesme temps depescha une chalouppe, dans laquelle il
         envoya avec des lettres un des nostres, guidé d'aucuns
         sauvages, le long de la coste d'Accadie, chercher Pont-gravé,
         qui avoit une partie des commoditez necessaires pour nostre
         hyvernement. Il le trouva à la Baye de Toutes-isles fort en
         peine de nous (car il ne sçavoit point qu'on eut changé
         d'advis) & luy presenta ses lettres. Incontinent qu'il les eut
         leuës, il s'en retourna vers son navire à Canceau, où il saisit
         quelques vaisseaux Basques qui faisoyent traitte de pelleterie,
         nonobstant les defences de sa Majesté; & en envoya les chefs au
         sieur de Mons: Lequel ce pendant me donna la charge d'aller
         recognoistre la coste, & les ports propres pour la seureté de
         nostre vaisseau.

[Note 17: Lequel ils appelèrent ainsi, dit Lescarbot, «à l'occasion d'un
mouton qui s'étant noyé revint à bord, & fut mangé de bonne guerre.» Il
n'est qu'à trois petites lieues du port du Rossignol.]

156b

[Illustration: Port de la Haie]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le lieu où les vaisseaux mouillent l'ancre.
B Une petite riviere (1) qui asseche de basse mer.
C Les lieux où les sauvages cabannent(2).
D Une basse à l'entrée du port(3).
E Une petite isle couverte de bois.
F Le Cap de la Héve (4).
G Une baye où il y a quantité d'isles couvertes de bois.
H Une riviere qui va dans les terres 6 ou 7, lieues, avec peu d'eau.
I Un estang proche de la mer.

(1) La petite rivière de _Chachippé_, ou simplement La Petite-Rivière.
Quelques auteurs ont étendu ce nom au port lui-même, et, d'après une
lettre du P. Biard, La Hève aurait encore été appelé port
Saint-Jean.--(2) Cette lettre C manque dans la carte; mais le dessin des
cabanes y supplée.--(3) La lettre D manque; mais la basse est
suffisamment reconnaissable.--(4) Cette lettre, dont le graveur a fait
un E, doit être à la pointe de l'île la plus avancée du côté du large,
au moins suivant la tradition; mais, comme l'auteur place le port de la
Hève à l'entrée de la Petite-Rivière, il semble que ce qu'il appelle cap
La Hève est la pointe la plus rapprochée de l'entrée de ce port.


156c

[Illustration: Port du Rossignol]

_Les chifres montrent les brasses d'eau_.
A Riviere qui va 25 lieues dans les terres.
B Le lieu où ancrent les vaisseaux.
C Place à la grande terre où les sauvages font leur logement.
D La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre en attendant la marée.
E L'endroit où les sauvages cabannent dans l'isle.
F Achenal qui asseche de basse mer.
G La coste de la grande terre.
Ce qui est piquoté démontre les basses.



         Desirant accomplir sa volonté je partis du port au Mouton le 19
         de May, dans une barque de huict tonneaux, accompaigné du sieur
         Raleau son Secrétaire, & de dix hommes. Allant le long de la
         coste nous abordâmes à un port très-bon pour les vaisseaux, où
         il y a au fonds une petite riviere qui entre assez avant dans
         les terres, que j'ay appelé le port du cap Negre, à cause d'un
         rocher qui de loing en a la semblance, lequel est eslevé sur
         l'eau proche d'un cap où nous passames le mesme jour, qui en
         est à quatre lieues, & à dix du port au Mouton. Ce cap est fort
         dangereux à raison des rochers qui jettent à la mer. Les costes
         que je vis jusques là sont fort basses couvertes de pareil bois
         qu'au cap de la Héve, & les isles toutes remplies de gibier.
10/158   Tirant plus outre nous fusmes passer la nuict à la Baye de
         Sable [18], où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre sans
         aucune crainte de danger.

         Le lendemain nous allâmes au cap de Sable, qui est aussi fort
         dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent
         presque une lieue à la mer. Il est à deux lieues de la baye de
         Sable, où nous passames la nuict précédente. De là nous fusmes
         en l'isle aux Cormorans [19], qui en est à une lieue, ainsi
         appelée à cause du nombre infini qu'il y a de ces oyseaux, où
         nous primes plein une barrique de leurs oeufs. Et de ceste isle
         nous fismes l'ouest environ six lieues travarsant une baye [20]
         qui fuit au Nort deux ou trois lieues: puis rencontrasmes
         plusieurs isles[21] qui jettent 2 ou trois lieues à la mer,
         lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois
         lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont
         la pluspart fort dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à
         cause des grandes marées, & des rochers qui sont à fleur d'eau.
         Ces isles sont remplies de pins, sapins, boulleaux & de
         trembles, un peu plus outre, il y en a encore quatre. En l'une
         nous vismes si grande quantité d'oiseaux appelez tangueux[22],
         que nous les tuyons aisement à coups de baston. En une autre
         nous trouvâmes le rivage tout couvert de loups marins, desquels
         nous primes autant que bon nous sembla. Aux deux autres il y a
11/159   une telle abondance d'oiseaux de différentes especes, qu'on ne
         pourroit se l'imaginer si l'on ne l'avoit veu, comme Cormorans,
         Canards de trois sortes, Oyees, Marmettes Outardes, Perroquets
         de mer, Beccacines, Vaultours, & autres Oyseaux de proye:
         Mauves, Allouettes de mer de deux ou trois especes; Hérons,
         Goillans, Courlieux, Pyes de mer, Plongeons, Huats[23],
         Appoils[24], Corbeaux, Grues, & autres sortes que je ne cognois
         point, lesquels y font leurs nyds. Nous les avons nommées,
         isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez
         & demy de latitude, distantes de la terre ferme ou Cap de Sable
         de quatre à cinq lieues. Après y avoir passé quelque temps au
         plaisir de la chasse (& non pas sans prendre force gibier) nous
         abordâmes à un cap qu'avons nommé le port Fourchu [25];
         d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups
         marins cinq à six lieues. Ce port est fort bon pour les
         vaisseaux en son entrée: mais au fonds il asseche presque tout
         de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, toute
         environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez aggreable. La
         pesche de morues y est bonne auprès du port. Partant de là nous
         fismes le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour
         les vaisseaux, sinon quantité d'ances ou playes tresbelles,
         dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois
         y sont tres-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sappins.
         Ceste coste est fort seine, sans isles, rochers ne basses: de
12/160   sorte que selon nostre jugement les vaisseaux y peuvent aller
         en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste,
         nous fusmes à une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui git
         nort nordest, & sur surouest, laquelle faict passage pour aller
         dedans la grande baye Françoise [26], ainsi nommée par le sieur
         de Mons.

[Note 18: Aujourd'hui baie de Barrington.]

[Note 19: Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de Shag
Island.]

[Note 20: Cette baie est appelée un peu plus loin la baie Courante, et
ce que l'auteur dit ici, en parlant des îles de Tousquet, nous donne la
raison qui a fait donner ce nom à la baie: c'est qu'elle est «dangereuse
aux grands vaisseaux à cause des grandes marées,» et de la violence des
courants. Elle porte aujourd'hui le nom de baie de Townsend.]

[Note 21: Les îles de Tousquet.]

[Note 22: De là le nom d'_île aux Tangueux_ que lui donne l'auteur dans
la carte de 1632.]

[Note 23: Pour Huars, Huards.]

[Note 24: Suivant Vieillot, Apoa est une espèce de canard.]

[Note 25: Le cap Fourchu.]

[Note 26: Aujourd'hui la baie de Fundy. Cette baie paraît avoir porté le
nom de Norembègue, comme nous verrons plus loin, p. 31 note 4. «On ne
peut deviner,» dit M. Ferland (Cours d'Histoire, I, p. 65, note 2)
«pourquoi les Anglais l'ont nommée baie de Fundy. Auraient-ils traduit
par _Bay of Fundy_ les mots que portent d''anciennes cartes: _Fond de la
Baie?_»]

         Ceste isle est de six lieues de long: & a en quelques endroicts
         prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement.
         Elle est remplie de quantité de bois, comme pins & boulleaux.
         Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux: & n'y a
         point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle
         quelques petites retraites pour des chalouppes, & trois ou
         quatre islets de rochers, où les sauvages prennent force loups
         marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit
         passage de l'isle, qui est tort dangereux pour les vaisseaux
         s'ils vouloyent se mettre au hasard de le passer.

         Du passage de l'isle Longue fismes le nordest deux lieues, puis
         trouvâmes une ance où les vaisseaux peuvent ancrer en seureté,
         laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds
         n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de
         rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent
         tresbonne, selon le raport du mineur maistre Simon, qui estoit
         avec moy. A quelques lieues plus outre est aussi une petite
         riviere, nommée du Boulay, où la mer monte demy lieue dans les
13/161   terres à l'entrée de laquelle il y peut librement surgir des
         navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle,
         il y a un port bon pour les vaisseaux où nous trouvâmes une
         mine de fer que nostre mineur jugea rendre cinquante pour
         cent[27]. Tirant trois lieux plus outre au nordest, nous vismes
         une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a
         une riviere environnée de belles & aggreables prairies. Le
         terroir d'allentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus
         avant il y a encore une autre riviere qui asseche de basse mer,
         horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port
         Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi
         de basse mer, autour duquel y a nombre de prez & de bonnes
         terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantité de beaux
         arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Cette baye
         peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds quelque six
         lieues. Toute la coste des mines est terre assez haute,
         decouppée par caps, qui paroissent ronds, advançans un peu à la
         mer. De l'autre costé de la baye au suest, les terres sont
         basses & bonnes, où il y a un fort bon port, & en son entrée un
         banc par où il faut passer, qui a de basse mer brasse & demye
         d'eau, & l'ayant passé on en trouve trois & bon fonds. Entre
         les deux pointes du port il y a un islet de caillons qui couvre
         de plaine mer. Ce lieu va demye lieue dans les terres. La mer y
         baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moulles
         coques & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu.
14/162   J'ay nommé ce port, le port saincte Marguerite [28]. Toute
         ceste coste du suest est terre beaucoups plus basse que celle
         des mines qui ne sont qu'à une lieue & demye de la coste du
         port de saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle
         a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce lieu, &
         la trouvé par les 45 degrez & demy, & un peu plus de
         latitude[29], & 17 degrez 16 minuttes de declinaison de la
         guide-aymant.

[Note 27: «Il y a de la mine de fer & d'argent,» dit Lescarbot; «mais
elle n'est point abondante, selon l'épreuve qu'on en a fait par delà &
en France.» (Liv. IV, ch. III.)]

[Note 28: Dans sa carte de 1632, l'auteur indique le port de
Sainte-Marguerite à peu près en face du Petit-Passage de l'île Longue.
Il lui donna ce nom parce qu'il y entra probablement le 10 de juin, jour
de la fête de sainte Marguerite.]

[Note 29: Le fond de la baie Sainte-Marie n'est guère au-delà de 44° et
demi, même suivant la grande carte de l'auteur.]

         Après avoir recogneu le plus particulierement qu'il me fut
         possible les costes ports & havres, je m'en retourné au passage
         de l'isle Longue sans passer plus outre, d'où je revins par le
         dehors de toutes les isles, pour remarquer s'il y avoit point
         quelques dangers vers l'eau: mais nous n'en trouvâmes point,
         sinon aucuns rochers qui sont à prés de demye lieue des isles
         aux loups marins, que l'on peut esviter facilement: d'autant
         que la mer brise par dessus. Continuant nostre voyage, nous
         fusmes surpris d'un grand coup de vent qui nous contraignit
         d'eschouer nostre barque à la coste, où nous courusmes risque
         de la perdre: ce qui nous eut mis en une extresme peine. La
         tourmente estant cessée nous nous remismes en la mer: & le
         lendemain [30] nous arrivasmes au port du Mouton, où le sieur
15/163   de Mons nous attendoit de jour en jour ne sachant que penser de
         nostre sejour, sinon qu'il nous fust arrivé quelque fortune. Je
         lui fis relation de tout nostre voyage & où nos vaisseaux
         pouvoyent aller en seureté. Cependant je consideré fort
         particulièrement ce lieu, lequel est par les 44 degrez de
         latitude.

[Note 30: C'était vers la mi-juin. «En ce port,» dit Lescarbot, «ilz
attendirent un mois.» Or on était arrivé au port au Mouton le 13 de mai.
«Tandis,» ajoute-t-il, «on envoya Champlein avec une chaloupe plus avant
chercher un lieu propre pour la retraite, & tant demeura en cette
expédition, que sur la délibération du retour, on le pensa abandonner.»
(Liv. IV, ch. II.)]

162b

[Illustration: Port au mouton.]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Les lieux où posent les vaisseaux.
B Le lieu où nous fismes nos logemens.
C Un estang.
D Une isle à l'entrée du port, couverte de bois.
E Une rivière qui est assez basse d'eau.
F Un estang(l).
G Ruisseau assez grand qui vient de l'estang f.
H 6 Petites isles qui sont dans le port.
L Campagne où il n'y a que des taillis & bruyères fort petites(2).
M La coste du costé de la mer.

(1) Dans la carte la lettre F est remplacée par f.--(2) La lettre L
manque dans la carte; mais le dessin y supplée, l'auteur y ayant
représenté des roseaux.

         Le lendemain le sieur de Mons fit lever les ancres pour aller à
         la baye saincte Marie, lieu qu'avions recogneu propre pour
         nostre vaisseau, attendant que nous en eussions trouvé un autre
         plus commode pour nostre demeure. Rengeant la coste nous
         passames proche du cap de Sable & des isles aux loups marins,
         où le sieur de Mons se délibéra d'aller dans une chalouppe voir
         quelques isles dont nous luy avions faict récit, & du nombre
         infini d'oiseaux qu'il y avoit. Il s'y mit donc accompagné du
         sieur de Poitrincourt & de plusieurs autres gentilshommes en
         intention d'aller en l'isle aux Tangueux, où nous avions
         auparavant tué quantité de ces oyseaux à coups de baston.
         Estant un peu loing de nostre navire il fut hors de nostre
         puissance de la gaigner, & encore moins nostre vaisseau: car la
         marée estoit si forte que nous fusmes contrains de relascher en
         un petit islet, pour y passer celle nuict, auquel y avoit grand
         nombre de Gibier. J'y tué quelques oyseaux de riviere, qui nous
         servirent bien: d'autant que nous n'avions pris qu'un peu de
         biscuit, croyans retourner ce mesme jour. Le lendemain nous
         fusmes au cap Fourchu, distant de là, demye lieue. Rengeant la
         coste nous fusmes trouver nostre vaisseau qui estoit en la baye
         saincte Marie. Nos gens furent fort en peine de nous l'espace
         de deux jours, craignant qu'il nous fust arrivé quelque
16/164   malheur: mais quand ils nous virent en lieu de seureté, cela
         leur donna beaucoup de resjouissance.

         Deux ou trois jours [31] après nostre arrivée, un de nos
         prestres, appelle mesire Aubry [32], de la ville de Paris,
         s'esgara si bien dans un bois en allant chercher son espée
         laquelle il y avoit oublyée, qu'il ne peut retrouver le
         vaisseau: & fut 17 jours [33] ainsi sans aucune chose pour se
         substanter que quelques herbes seures & aigrettes comme de
         l'oseille, & des petits fruits de peu de substance, gros comme
         groiselles, qui viennent rempant sur la terre. Estant au bout
         de son rollet, sans esperance de nous revoir jamais, foible &
         débile, il se trouva du costé de la baye Françoise, ainsi
         nommée par le sieur de Mons, proche de l'isle Longue, où il
         n'en pouvoit plus, quand l'une de nos chalouppes allant à la
         pesche du poisson [34], l'advisa, qui ne pouvant appeller leur
         faisoit signe avec une gaule au bout de laquelle il avoit mis
         son chappeau, qu'on l'allast requérir: ce qu'ils firent aussi
         tost & l'ammenerent. Le sieur de Mons l'avoit faict chercher,
         tant par les siens que des sauvages du païs, qui coururent tout
17/165   le bois & n'en apportèrent aucunes nouvelles. Le tenant pour
         mort, on le voit revenir dans la chalouppe au grand
         contentement d'un chacun: Et fut un long temps à se remettre en
         son premier estat.

[Note 31: Lescarbot dit:«Après avoir sejourné douze ou treze jours.»
Mais, si Messire Nicolas Aubry se perdit pendant qu'on était à la baie
Sainte-Marie, et que M. de Monts le fit chercher lui-même, comme le dit
l'auteur quelques lignes plus loin, ce ne pouvait être que deux ou trois
jours après l'arrivée en cette baie; puisque M. de Monts en partit le l6
de juin, avec la barque (voir ci-après, p. 17), et qu'on ne dut pas y
arriver avant le 12 ou le 13, suivant Lescarbot lui-même.]

[Note 32: Nicolas Aubry, «jeune homme d'Église, parisien de bonne
famille,» à qui il avait pris envie de faire le voyage avec le sieur de
Mons, «& ce, dit-on, contre le gré de ses parents, lesquels envoyèrent
exprés à Honfleur pour le divertir & r'amener à Paris.» (Lescarbot, liv.
IV, ch. II, et IV.)]

[Note 33: Seize jours, suivant Lescarbot, liv. IV, ch. III.]

[Note 34: Suivant Lescarbot, «comme on étoit après déserter l'ile» (de
Sainte-Croix), «Champdoré fut renvoyé à la baie Sainte-Marie avec un
maître de mines qu'on y avoit mené pour tirer de la mine d'argent & de
fer: ce qu'ilz firent... là où après quelque sejour, allans pécher,
ledit Aubri les apperceut...» (Liv. IV, ch. IV.)]



         _Description du Port Royal & des particularités, d'iceluy. De
         l'isle Haute. Du port aux mines. De la grande baye Françoise.
         De la riviere S. Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le
         port aux mines jusques à icelle. De l'isle appelée par les
         sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs
         belles isles qui y sont. De l'isle de S. Croix: & autres choses
         remarquables d'icelle coste._

                                CHAPITRE III.

         A Quelques jours de là le sieur de Mons se délibéra d'aller
         descouvrir les costes de la baye Françoise: & pour cet effect
         partit du vaisseau le 16 de May [35] & passâmes par le destroit
         de l'isle Longue. N'ayant trouvé en la baye S. Marie aucun lieu
         pour nous fortiffier qu'avec beaucoup de temps, cela nous fit
         resoudre de voir si à l'autre il n'y en auroit point de plus
         propre. Mettant le cap au nordest 6 lieux, il y a une ance où
         les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à 4, 5, 6, & 7 brasses
         d'eau. Le fonds est Sable. Ce lieu n'est que comme une rade.
         Continuant au mesme vent deux lieux, nous entrasmes en l'un des
         beaux ports que j'eusse veu en toutes ces costes, où il
18/166   pourroit deux mille vaisseaux en seureté. L'entrée est large de
         huict cens pas: puis on entre dedans un port qui a deux lieux
         de long & une lieue de large, que j'ay nommé [36] port Royal,
         où dessendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande,
         tirant à l'est, appellée la riviere de l'Equille, qui est un
         petit poisson de la grandeur d'un Esplan, qui s'y pesche en
         quantité, comme aussi on fait du Harang, & plusieurs autres
         sortes de poisson qui y sont en abondance en leurs saisons.
         Ceste riviere a prés d'un quart de lieue de large en son
         entrée, où il y a une isle[37], laquelle peut contenir demye
         lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du
         terroir, comme pins, sapins, pruches, boulleaux, trambles, &
         quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit
         nombre. Il y a deux entrées en ladite riviere l'une du costé du
         nort[38]: l'autre au su de l'isle [39]. Celle du nort est la
         meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry
         de l'isle à 5, 6, 7, 8 & 9 brasses d'eau; mais il faut se
         donner garde de quelques basses qui sont tenant à l'isle, & à
         la grand terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal.

[Note 35: On devait être au mois de juin, comme le prouve du reste le
nom de Saint-Jean donné à la rivière Ouigoudi. (Voir plus loin, p. 23.)]

[Note 36: «Ledit port pour sa beauté,» dit Lescarbot, «fut appelé LE
PORT ROYAL, non par le choix de Champlein, comme il se vante en la
relation de ses voyages, mais par le sieur de Monts, Lieutenant du Roy.»
(Liv. IV, ch. III.)--N'en déplaise à Lescarbot, le témoignage de
Champlain, qui était du voyage, vaut, pour le moins, autant que le sien.
Il y a plus: Champlain, dans son édition de 1632, a conservé ce passage
tel qu'il était, malgré la remarque de Lescarbot. Du reste, notre auteur
ne manque jamais de rendre justice aux autres en pareille matière: c'est
ainsi, par exemple, qu'il fait remarquer à plusieurs reprises que la
baie Française a reçu son nom de M. de Monts. (Voir ci-dessus, pp. 12 et
16.)]

[Note 37: Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de
Biencourville. Elle a été appelée plus tard l'île aux Chèvres.]

[Note 38: La Bonne-Passe.]

[Note 39: La Passe-aux-Fous.]


167b


[Illustration: Port-Royal]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Le lieu de l'habitation.
B Jardin du sieur de Champlain.
C Allée au travers les bois que fit faire le sieur de Poitrincourt.
D Isle à l'entrée de la riviere de l'Equille (1).
E Entrée du port Royal.
F Basses qui assechent de basse mer.
G Riviere sainct Antoine (2).
H Lieu du labourage où on seme le blé.
I Moulin que fit faire le sieur de Poitrincourt.
L Prairies qui sont innondées des eaux aux grandes marées.
M Riviere de l'Equille.
N La coste de la mer du port Royal.
O Costes de montaignes.
P Isle proche de la riviere sainct Antoine.
Q (3) Ruisseau de la Roche (4).
R Autre Ruisseau.
S Riviere du moulin.
T Petit lac.
V Le lieu où les sauvages peschent le harang en la saison.
X Ruisseau de la truitiere.
Y Allée que fit faire le sieur de Champlain.

(1) Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de
Biencourville.--(2) Lescarbot l'appelle rivière Hébert.--(3) _q_, dans
la carte.--(4) Ou rivière de l'Orignac, d'après la carte de Lescarbot.

19/167

         Nous fusmes quelques 14 ou 15 lieux où la mer monte, & ne va
         pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter basteaux:
         En ce lieu elle contient 60 pas de large, & environ brasse &
         demye d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force
         chesnes, fresnes & autres bois. De l'entrée de la riviere
         jusques au lieu où nous fusmes y a nombre de preries, mais
         elles sont innondées aux grandes marées, y ayant quantité de
         petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où
         des chalouppes & batteaux peuvent aller de pleine mer. Ce lieu
         estoit le plus propre & plaisant pour habiter que nous eussions
         veu. Dedans le port y a une autre isle[40], distante de la
         première prés de deux lieues, où il y a une autre petite
         riviere [41] qui va assez avant dans les terres, que nous avons
         nommée la riviere sainct Antoine. Son entrée est distante du
         fonds de la baye saincte Marie de quelque quatre lieux, par le
         travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere ce n'est
         qu'un ruisseau remply de rochers, où on ne peut monter en
         aucune façon que ce soit pour le peu d'eau: & a esté nommée, le
         ruisseau de la roche. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez
         de latitude [42] & 17 degrez 8 minuttes de declinaison de la
         guide-ayment.

[Note 40: Ile d'Hébert. Le sieur Bellin l'appelle île d'Imbert, et les
Anglais en ont fait _Bear_ Island.]

[Note 41: Cette rivière, appelée ici Saint-Antoine, a pris le nom
d'Hébert dès le temps même de l'auteur, comme l'attestent les cartes de
Lescarbot. Mais ce dernier nom a eu le même sort que celui de l'île qui
est à son embouchure, et les Anglais l'appellent aujourd'hui _Bear_
River.]

[Note 42: Cette première habitation, qui était au nord du port Royal, à
peu près en face du Port-Royal établi plus tard par M. d'Aulnay de
Charnisé, était à 44° et trois quarts de latitude. Comme on le voit,
c'est ce dernier Port-Royal qui a pris le nom d'Annapolis, et non pas le
premier.]

         Après avoir recogneu ce port, nous en partismes pour aller plus
20/168   avant dans la baye Françoise, & voir si nous ne trouverions
         point la mine de cuivre qui avoit esté descouverte l'année
         précédente [43]. Mettant le cap au nordest huict ou dix lieux
         rengeant la coste du port Royal, nous traversames une partie de
         la baye comme de quelque cinq ou six lieues; jusques à un lieu
         qu'avons nommé le cap des deux bayes [44]: & passames par une
         isle[45] qui en est à une lieue, laquelle contient autant de
         circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut: toute entourée de
         gros rochers, hors-mis en un endroit qui est en talus, au pied
         duquel y a un estang d'eau sallée, qui vient par dessoubs une
         poincte de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de
         l'isle est plat, couvert d'arbres avec une fort belle source
         d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là nous fusmes à
         un port [46] qui en est à une lieue & demye, où jugeâmes
         qu'estoit la mine de cuivre qu'un nommé Prevert de sainct Maslo
         avoit descouverte par le moyen des sauvages du païs. Ce port
         est soubs les 45 degrez deux tiers de latitude, lequel asseche
         de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer &
         recognoistre une batture de Sable qui est à l'entrée, laquelle
         va rengeant un canal suivant l'autre costé de terre ferme: puis
         on entre dans une baye qui contient prés d'une lieue de long, &
         demye de large. En quelques endroits le fonds est vaseux &
         sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.

[Note 43: Voir la relation de 1603, chapitres X et XII.]

[Note 44: Ce cap s'appelait encore ainsi à l'époque où le sieur Denis
publia sa Description des Côtes de l'Amérique, en 1672. Aujourd'hui il
est connu sous le nom de cap Chignectou.]

[Note 45: L'île Haute.]

[Note 46: Ce havre, que l'auteur appelle plus loin le port aux Mines,
porte aujourd'hui le nom de Havre à l'Avocat. Il est à 45° 25' de
latitude.]


168b

[Illustration: Port des Mines]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Le lieu où les vaisseaux peuvent eschouer.
B Une petite rivière.
C Une langue de terre qui est de Sable.
D Une pointe de gros cailloux qui est comme une moule.
E Le lieu où est la mine de cuivre qui couvre de mer deux fois le jour.
F Une isle qui est derrière le cap des mines.
G La rade où les vaisseaux posent l'ancre attendant la marée.
I Lachenal.
H L'isle haute qui est à une lieue & demye du Port aux mines.
L Le Petit Ruisseau.
M Costeau de montaignes le long de la coste du cap aux mines.


21/169   La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Nous y mismes pied à
         terre pour voir si nous verrions les mines que Preverd nous
         avoit dit. Et ayant faict environ un quart de lieue le long de
         certaines montagnes, nous ne trouvasmes aucune d'icelles, ny ne
         recognusmes nulle apparence de la description du port selon
         qu'il nous l'avoit figuré: Aussi n'y avoit il pas esté: mais
         bien deux ou trois des siens guidés de quelques sauvages,
         partie par terre & partie par de petites rivieres, qu'il
         attendit dans sa chalouppe en la baie sainct Laurens[47], à
         l'entrée d'une petite riviere: lesquels à leur retour luy
         apportèrent plusieurs petits morceaux de cuivre, qu'il nous
         monstra au retour de son voyage. Toutesfois nous trouvasmes en
         ce port deux mines de cuivre non en nature, mais par apparence,
         selon le rapport du mineur qui les jugea estre tresbonnes.

[Note 47: La plupart des géographes anciens faisaient une distinction
entre _baie Saint-Laurent_ et _golfe Saint-Laurent_. La _baie
Saint-Laurent_ comprenait toute la partie méridionale du golfe, depuis
le cap des Rosiers jusqu'au port de Canseau, avec les îles du
Prince-Edouard, du Cap-Breton, de La Madeleine et autres. (Voir Denis,
vol. I, chapitres VII et VIII.)]

         Le fonds de la baye Françoise que nous traversames entre quinze
         lieux dans les terres. Tout le païs que nous avons veu depuis
         le petit partage de l'isle Longue rangeant la coste, ne sont
         que rochers, où il n'y a aucun endroit où les vaisseaux se
         puissent mettre en seureté, sinon le port Royal. Le païs est
         remply de quantité de pins & boulleaux, & à mon advis n'est pas
         trop bon.

         Le 20 de May[48] nous partismes du port aux mines pour chercher
         un lieu propre à faire une demeure arrestée afin de ne perdre
22/170   point de temps: pour puis après y revenir veoir si nous
         pourrions descouvrir la mine de cuivre franc que les gens de
         Preverd avoient trouvée par le moyen des sauvages. Nous fismes
         l'ouest deux lieux jusques au cap des deux bayes: puis le nort
         cinq ou six lieux: & traversames l'autre baye[49], où nous
         jugions estre ceste mine de cuivre, dont nous avons desja
         parlé: d'autant qu'il y a deux rivieres: l'une venant de devers
         le cap Breton: & l'autre du costé de Gaspé ou de Tregatté,
         proche de la grande riviere de sainct Laurens. Faisant l'ouest
         quelques six lieues nous fusmes à une petite riviere, à
         l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui advance à la
         mer: & un peu dans les terres une montaigne qui a la forme d'un
         chappeau de Cardinal. En ce lieu nous trouvasmes une mine de
         fer. Il n'y a ancrage que pour des chalouppes. A quatre lieux à
         l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui avance un peu
         vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort
         dangereuses. Proche de la pointe nous vismes une ance qui a
         environ demye lieue de circuit, en laquelle trouvasmes une
         autre mine de fer, qui est aussi tresbonne. A quatre lieux
         encore plus de l'advant y a une belle baye qui entre dans les
         terres, où au fonds y a trois isles & un rocher: dont deux sont
         à une lieue du cap tirant à l'ouest: & l'autre est à
         l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes
         qu'eussions encore veues, que nommasmes la riviere S. Jean:
         pource que ce fut ce jour là que nous y arrivasmes: & des
23/171   sauvages elle est appelée Ouygoudy. Ceste riviere est
         dangereuse si on ne recognoist bien certaines pointes & rochers
         qui sont des deux costez. Elle est estroicte en son entrée,
         puis vient à s'eslargir: & ayant doublé une pointe elle
         estrecit de rechef, & fait comme un saut entre deux grands
         rochers, où l'eau y court d'une si grande vitesse, que y
         jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit on plus. Mais
         attendant le pleine mer, l'on peut passer fort aisement ce
         destroict: & lors elle s'eslargit comme d'une lieue par aucuns
         endroicts, où il y a trois isles. Nous ne la recogneusmes pas
         plus avant: Toutesfois Ralleau Secrétaire du sieur de Mons y
         fut quelque temps après trouver un sauvage appellé Secondon[50]
         chef de ladicte riviere, lequel nous raporta qu'elle estoit
         belle, grande & spacieuse: y ayant quantité de preries & beaux
         bois, comme chesnes, hestres, noyers & lambruches de vignes
         sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques
         à Tadoussac, qui est dans la grande riviere de sainct Laurens:
         & ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere
         sainct Jean jusques à Tadoussac y a 65 lieues [51]. A l'entrée
         d'icelle, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers [52],
         y a une mine de fer.

[Note 48: Juin.]

[Note 49: Beau-Bassin, aujourd'hui la baie de Chignectou ou Chiganectou.
D'après Laët, elle s'est appelée aussi baie de Germes.]

[Note 50: Lescarbot l'appelle Chkoudun.]

[Note 51: Si l'auteur veut indiquer la distance qu'il peut y avoir
depuis l'endroit où l'on quitte la rivière Saint-Jean, jusqu'à
Tadoussac, ce chiffre est beaucoup trop fort. Si, au contraire, il parle
de la distance qu'il y a de l'embouchure de cette rivière jusqu'au même
lieu, le chiffre est trop faible; car, de l'embouchure de la rivière
Saint-Jean à Tadoussac, il y a, en ligne droite, à peu près cent
lieues.]

[Note 52: L'embouchure de la rivière Saint-Jean est par les 45° et un
tiers.]

171b

[Illustration: R. St. Jean]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Trois isles qui sont par delà le saut.
B Montaignes qui paraissent par dessus les terres deux lieues au su de
  la riviere.
C Le saut de la riviere.
D Basses quand la mer est perdue, où vaisseaux peuvent eschouer.
E Cabanne où se fortifient les sauvages.
F (1) Une pointe de cailloux, où y a une croix.
G Une isle qui est à l'entrée de la riviere.
H Petit ruisseau qui vient d'un petit estang.
I Bras de mer qui asseche de basse mer.
L Deux petits islets de rocher.
M Un petit estang.
N Deux Ruisseaux.
O Basses fort dangereuses le long de la coste qui assechent de basse
  mer.
P Chemin par où les sauvages portent leurs canaux quand ils veulent
  passer le sault.
Q Le lieu où peuvent mouiller l'ancre où la riviere a grand cours.

(1) De cette lettre le graveur a fait un P.


         De la riviere sainct Jean nous fusmes à quatre isles, en l'une
         desquelles nous mismes pied à terre, & y trouvasmes grande
24/172   quantité d'oiseaux appellez Margos, dont nous prismes force
         petits, qui sont aussi bons que pigeonneaux. Le sieur de
         Poitrincourt s'y pensa esgarer: Mais en fin il revint à nostre
         barque comme nous l'allions cerchant autour de isle, qui est
         esloignée de la terre ferme trois lieues. Plus à l'ouest y a
         d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui
         s'appelle des sauvages Manthane[53], au su de laquelle il y a
         entre les isles plusieurs ports bons pour les vaisseaux. Des
         isles aux Margos nous fusmes à une riviere en la grande terre,
         qui s'appelle la riviere des Estechemins[54], nation de
         sauvages ainsi nommée en leur païs: & passames par si grande
         quantité d'isles, que n'en avons peu sçavoir le nombre, assez
         belles; contenant les unes deux lieues les autres trois, les
         autres plus ou moins. Toutes ces isles sont en un cu de sac
         [55], qui contient à mon jugement plus de quinze lieux de
         circuit: y ayant plusieurs endrois bons pour y mettre tel
         nombre de vaisseaux que l'on voudra, lesquels en leur saison
         sont abondans en poisson, comme mollues, saulmons, bars,
         harangs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant
         l'ouest norouest trois lieux par les isles, nous entrasmes dans
         une riviere qui a presque demye lieue de large en son entrée,
         où ayans faict une lieue ou deux, nous y trouvasmes deux isles:
         l'une fort petite proche de la terre de l'ouest: & l'autre au
         milieu, qui peut avoir huict ou neuf cens pas de circuit,
         eslevée de tous costez de trois à quatre toises de rochers,
25/173   fors un petit endroict d'une poincte de Sable & terre grasse,
         laquelle peut servir à faire briques, & autres choses
         necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour mettre des
         vaisseaux de quatre vingt à cent tonneaux: mais il asseche de
         basse mer. L'isle est remplie de sapins, boulleaux, esrables &
         chesnes. De soy elle est en fort bonne situation, & n'y a qu'un
         costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé à
         fortifier, les costes de la terre ferme en estans des deux
         costez esloignées de quelques neuf cens à mille pas. Il y a des
         vaisseaux qui ne pourroyent passer sur la riviere qu'à la mercy
         du canon d'icelle Qui est le lieu que nous jugeâmes le
         meilleur: tant pour la situation, bon pays, que pour la
         communication que nous prétendions avec les sauvages de ces
         costes & du dedans des terres, estans au millieu d'eux:
         Lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les
         guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer à
         l'advenir du service: & les réduire à la foy Chrestienne. Ce
         lieu est nommé par le sieur de Mons l'isle saincte Croix[56].
         Passant plus outre on voit une grande baye en laquelle y a deux
         isles: l'une haute & l'autre platte: & trois rivieres, deux
         médiocres, dont l'une tire vers l'Orient & l'autre au nord: &
         la troisiesme grande, qui va vers l'Occident.

[Note 53: _Menane_. L'auteur corrige la faute lui-même un peu plus loin,
p. 46, de même que dans l'édition de 1632.]

[Note 54: La rivière _Scoudic_, ou de Sainte-Croix.]

[Note 55: La baie de Passamaquoddi.]

[Note 56: «Et d'autant qu'à deux lieues au dessus il y a des ruisseaux
qui viennent comme en croix se décharger dans ce large bras de mer,
cette ile de la retraite des François fut appellée SAINTE CROIX.»
(Lescarbot, liv. IV, ch. IV.) «L'île de Sainte-Croix, ou l'île Neutre
(Neutral Island), dit Williamson, est située dans la rivière (Scoudic,
ou Sainte-Croix) en face de la ligne de division entre Calais et
Robbinstown, où elle fait angle avec le bord de l'eau. Elle contient
douze ou quinze acres, et est droit au milieu de la rivière Scoudic,
quoique le passage des vaisseaux soit d'ordinaire du côté de l'est...
C'est ici que De Monts, en 1604, érigea un fort, et passa l'hiver; c'est
ici que les Commissaires nommés en vertu du traité de 1783, trouvèrent,
en 1798, les restes d'une fortification très-ancienne, et décidèrent
ensuite que cette rivière était vraiment celle de Sainte-Croix.»
(_History of Maine, Introduction._)]

26/174   C'est celle des Etechemins, dequoy nous avons parlé cy dessus.
         Allans dedans icelle deux lieux il y a un sault d'eau, où les
         sauvages portent leurs cannaux par terre quelque 500 pas, puis
         rentrent dedans icelle, d'où en après en traversant un peu de
         terre on va dans la riviere de Norembegue[57] & de sainct Jean,
         en ce lieu du sault que les vaisseaux ne peuvent passer à cause
         que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que quatre à cinq
         pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de
         harangs & bars que l'on y en pourroit charger des vaisseaux. Le
         terroir est des plus beaux, & y a quinze ou vingt arpens de
         terre deffrichée, où le sieur de Mons fit semer du froment, qui
         y vint fort beau. Les sauvages s'y retirent quelquesfois cinq
         ou six sepmaines durant la pesche. Tout le reste du païs sont
         forests fort espoisses. Si les terres estoient deffrichées les
         grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de
         45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minuttes de
         declinaison de la guide-ayment.

[Note 57: La rivière de Pénobscot.]



         _Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour
         faire une demeure arrestée que l'isle de S. Croix, la fortifie
         & y faict des logements. Retour des vaisseaux en France & de
         Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à
         quelques affaires._

174b


[Illustration: Isle de saincte Croix.]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Le plan de l'habitation.
B Jardinages.
C Petit islet servant de platte forme à mettre le canon.
D Platte forme où on mettoit du canon.
E Le cimetière.
F La chappelle.
G Basses de rochers autour de l'isle saincte Croix.
H Un petit islet.
I Le lieu où le sieur de Mons avoit fait commencer un moulin à eau.
L Place où l'on faisoit le charbon.
M Jardinages à la grande terre de l'Ouest.
N Autres jardinages à la grande terre de l'Est.
O Grande montaigne fort haute dans la terre.
P Riviere des Etechemins passant au tour de l'isle saincte Croix.



                                CHAPITRE IV.

         N'ayant trouvé lieu plus propre que ceste Isle, nous
         commençâmes à faire une barricade sur un petit islet un peu
27/175   separé de l'isle, qui servoit de platte-forme pour mettre
         nostre canon. Chacun s'y employa si vertueusement qu'en peu de
         temps elle fut rendue en defence, bien que les mousquittes (qui
         sont petites mouches) nous apportassent beaucoup d'incommodité
         au travail: car il y eust plusieurs de nos gens qui eurent le
         visage si enflé par leur piqueure qu'ils ne pouvoient presque
         voir. La barricade estant achevée, le sieur de Mons envoya sa
         barque pour advertir le reste de nos gens qui estoient avec
         nostre vaisseau en la baye saincte Marie, qu'ils vinssent à
         saincte Croix. Ce qui fut promptement fait: Et en les attendant
         nous passames le temps assez joyeusement.

         Quelques jours après nos vaisseaux estans arrivez, & ayant
         mouillé l'ancre, un chacun descendit à terre: puis sans perdre
         temps le sieur de Mons commança à employer les ouvriers à
         bastir des maisons pour nostre demeure, & me permit de faire
         l'ordonnance de nostre logement. Aprez que le sieur de Mons eut
         prins la place du Magazin qui contient neuf thoises de long,
         trois de large & douze pieds de haut, il print le plan de son
         logis, qu'il fit promptement bastir par de bons ouvriers, puis
         après donna à chacun sa place: & aussi tost on commença à
         s'assembler cinq à cinq & six à six, selon que l'on desiroit.
         Alors tous se mirent à deffricher l'isle, aller au bois,
         charpenter, porter de la terre & autres choses necessaires pour
         les bastimens.

         Cependant que nous bastissions nos logis, le sieur de Mons
         depescha le Capitaine Fouques dans le vaisseau de Rossignol,
28/176   pour aller trouver Pontgravé à Canceau, afin d'avoir ce qui
         restoit des commoditez pour nostre habitation.

         Quelque temps après qu'il fut parti, il arriva une petite
         barque du port de huict tonneaux, où estoit du Glas de Honfleur
         pilotte du vaisseau de Pontgravé, qui amena avec luy les
         Maistres des navires Basques qui avoient esté prins par ledit
         Pont en faisant la traicte de peleterie, comme nous avons dit.
         Le sieur de Mons les receut humainement & les renvoya par ledit
         du Glas au Pont avec commission de luy dire qu'il emmenast à la
         Rochelle les vaisseaux qu'il avoit prins, afin que justice en
         fut faicte. Cependant on travailloit fort & ferme aux logemens:
         les charpentiers au magazin & logis du sieur de Mons, & tous
         les autres chacun au sien; comme moy au mien, que je fis avec
         l'aide de quelques serviteurs que le sieur d'Orville & moy
         avions; qui fut incontinent achevé: où depuis le sieur de Mons
         se logea attendant que le sien le fut. L'on fit aussi un four,
         & un moulin à bras pour moudre nos bleds, qui donna beaucoup de
         peine & travail à la pluspart, pour estre chose pénible. L'on
         fit après quelques jardinages, tant à la grand terre que dedans
         l'isle, où on sema plusieurs sortes de graines, qui y vindrent
         fort bien, horsmis en l'isle; d'autant que ce n'estoit que
         Sable qui brusloit tout, lors que le soleil donnoit, encore
         qu'on prist beaucoup de peine à les arrouser.

176b

[Illustration: Habitation de l'isle S. Croix]

A Logis du sieur de Mons.
B Maison publique où l'on passait le temps durant la pluie.
C Le magasin.
D Logement des suisses.
E La forge.
F Logement des charpentiers.
G Le puis.
H Le four où l'on faisoit le pain.
I La cuisine.
L Jardinages.
M Autres jardins.
N La place où au milieu y a un arbre.
O Palissade.
P Logis des sieurs d'Orville, Champlain & Chandoré.
Q Logis du sieur Boulay, & autres artisans.
R Logis où logeoient les sieurs de Geneston, Sourin & autres artisans.
T Logis des sieurs de Beaumont, la Motte Bourioli & Fougeray.
V Logement de nostre curé.
X Autres jardinages.
Y La riviere qui entoure l'isle.


         Quelques jours après le sieur de Mons se délibéra de sçavoir où
         estoit la mine de cuivre franc qu'avions tant cherchée: Et pour
         cest effect: m'envoya avec un sauvage appellé Messamouet, qui
29/177   disoit en sçavoir bien le lieu. Je party dans une petite barque
         du port de cinq à six tonneaux, & neuf matelots avec moy. A
         quelque huict lieues de l'isle, tirant à la riviere S. Jean, en
         trouvasmes une de cuivre, qui n'estoit pas pur, neantmoins
         bonne selon le rapport du mineur, lequel disoit que l'on en
         pourroit tirer 18 pour cent. Plus outre nous en trouvasmes
         d'autres moindres que ceste cy. Quand nous fusmes au lieu où
         nous prétendions que fut celle que nous cherchions le sauvage
         ne la peut trouver: de sorte qu'il fallut nous en revenir,
         laissant ceste recerche pour une autre fois.

         Comme je fus de retour de ce voyage, le sieur de Mons resolut
         de renvoyer ses vaisseaux en France, & aussi le sieur de
         Poitrincourt qui n'y estoit venu que pour son plaisir, & pour
         recognoistre de païs & les lieux propres pour y habiter, selon
         le desir qu'il en avoit: c'est pourquoy il demanda au sieur de
         Mons le port Royal, qu'il luy donna suivant le pouvoir &
         commission qu'il avoit du Roy. Il renvoya aussi Ralleau son
         Secrétaire pour mettre ordre à quelques affaires touchant le
         voyage; lesquels partirent de l'isle S. Croix le dernier jour
         d'Aoust audict an 1604.



         _De la coste, peuples & riviere de Norembeque, & de tout ce qui
         s'est passé durant les descouvertures d'icelle._

                              CHAPITRE V.

         Aprés le partement des vaisseaux, le sieur de Mons se
         délibéra d'envoyer descouvrir le long de la coste de
         Norembegue, pour ne perdre temps: & me commit ceste charge, que
         j'eus fort aggreable.


30/178   Et pour ce faire je partis de S. Croix le 2 de Septembre avec
         une pattache de 17 à 18 tonneaux, douze matelots, & deux
         sauvages pour nous servir de guides aux lieux de leur
         cognoissance. Ce jour nous trouvasmes les vaisseaux où estoit
         le sieur de Poitrincourt, qui estoient ancrés à l'amboucheure
         de la riviere sainte Croix, à cause du mauvais temps duquel
         lieu ne pusmes partir que le 5 dudict mois: & estans deux ou
         trois lieux vers l'eau la brume s'esleva si forte que nous
         perdimes aussi tost leurs vaisseaux de veue. Continuant nostre
         route le long des costes nous fismes ce jour là quelque 25
         lieux: & passames par grande quantité d'isles, bancs, battures
         & rochers qui jettent plus de quatre lieux à la mer par
         endroicts. Nous avons nommé les isles, les isles rangées, la
         plus part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres
         meschants bois. Parmy ces isles y a force beaux & bons ports,
         mais malaggreables pour y demeurer. Ce mesme jour nous passames
         aussi proche d'une isle qui contient environ 4 ou cinq lieux de
         long, auprès laquelle nous nous cuidames perdre sur un petit
         rocher à fleur d'eau, qui fit une ouverture à nostre barque
         proche de la quille. De ceste isle jusques au nord de la terre
         ferme [58] il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute
         couppée par endroicts, qui paroissent, estant en la mer, comme
         sept ou huit montagnes rangées les unes proches des autres. Le
         sommet de la plus part d'icelles est desgarny d'arbres; parce
         que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins &
         boulleaux.

[Note 58: Lisez: «De ceste isle jusques au nord _à la terre ferme_.» Cet
étroit passage porte encore aujourd'hui, comme l'île, le nom de
Monts-Déserts (_Mount Desert narrows_).]

31/179   Je l'ay nommée l'isle des Monts-deserts[59]. La hauteur est par
         les 44 degrez & demy de latitude.

[Note 59: Suivant le P. Biard (Relation de la Nouvelle France, ch.
XXIII), les sauvages appelaient cette île _Pemetiq_, c'est-à-dire,
d'après M. l'abbé Maurault, _celle qui est à la tête_.]

         Le lendemain 6 du mois fismes deux lieux: & aperçeumes une
         fumée dedans une ance qui estoit au pied des montaignes cy
         dessus: & vismes deux canaux conduits par des sauvages, qui
         nous vindrent recognoistre à la portée du mousquet. J'envoyé
         les deux nostres dans un canau pour les asseurer de nostre
         amitié. La crainte qu'ils eurent de nous les fit retourner. Le
         lendemain matin ils revindrent au bort de nostre barque, &
         parlementerent avec nos sauvages. Je leur fis donner du
         biscuit, petum, & quelques autres petites bagatelles. Ces
         sauvages estoient venus à la chasse des Castors & à la pesches
         du poisson, duquel ils nous donnèrent. Ayant fait alliance avec
         eux, ils nous guidèrent en leur riviere de Peimtegoüet[60]
         ainsi d'eux appelée, où il nous dirent qu'estoit leur Capitaine
         nommé Bessabez [61] chef d'icelle. Je croy que ceste riviere
         est celle que plusieurs pilottes & Historiens appellent
32/190   Norembegue[62]: & que la plus part ont escript estre grande &
         spacieuse, avec quantité d'isles: & son entrée par la hauteur
         de 43° & 43° & demy: & d'autres par les 44 degrez, plus ou
         moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy
         parler à personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville
         fort peuplée de sauvages adroits & habilles, ayans du fil de
         cotton. Je m'asseure que la pluspart de ceux qui en font
         mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à
         gens qui n'en sçavoyent pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y
         en a qui ont peu en avoir veu l'embouchure, à cause qu'en effet
         il y a quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44
         degrez de latitude en son entrée, comme ils disent: Mais
         qu'aucun y ait jamais entré il n'y a point d'apparence: car ils
         l'eussent descripte d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de
         gens de ceste doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay
         reconeu & veu depuis le commencement jusques où j'ay esté.

[Note 60: Ce mot, tel que l'écrit ici Champlain, semble venir de
_Pemetigouek (ceux de Pemetiq). Cependant, suivant M. l'abbé Maurault,
Pentagouet n'est autre chose que Pontegouit_, qui signifie _endroit
d'une, rivière où il y a des rapides_. Les Anglais ont toujours de
préférence désigné cette rivière sous le nom de _Pénobscot
(Penabobsket_, là où la terre est couverte de pierre. Hist. des
Abenaquis, p. 5).]

[Note 61: Le P. Biard dit qu'il était sagamo de Kadesquit. (Relation de
la Nouvelle France, ch. XXXIV.)]

[Note 62: Malgré le respect que nous avons pour Champlain et pour un
grand nombre d'auteurs qui semblent avoir adopté son opinion, nous osons
croire que la grande rivière de Norembegue n'est autre chose que la baie
Française, aujourd'hui la baie de Fundy. Pour ne point parler de Thévet
ni de Belleforest, qui sont fort peu explicites sur ce point, qu'il nous
suffise de citer le témoignage de Jean Alphonse, dont l'exactitude est
étonnante pour l'époque où il vivait: «Je dictz que le cap de sainct
Jehan, dict Cap à Breton, & le cap de la Franciscane, sont nordest &
surouest, & prennent un quart de l'est & ouest, & y a en la route cent
quarente lieues, & icy faict ung cap appellé le cap de Norembegue...
Ladicte coste est toute sableuse, terre basse, sans nulle montaigne. Au
delà du cap de Norembegue, descend la riviere dudict Norembegue, environ
vingt & cinq lieues du cap» (c'est précisément la largeur de l'Acadie).
«La dicte riviere est large de plus de quarente lieues de latitude en
son entrée, & va ceste largeur au dedans bien trente ou quarente
lieues...» Il est évident que Jean Alphonse décrit ici la côte sud-est
de l'Acadie (qu'il appelle Franciscane), le cap de Sable et la baie de
Fundy, qui a réellement une embouchure de près de quarante lieues si
l'on compte depuis le cap de Sable ou Norembègue jusques vers la sortie
du Pénobscot.]

         Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de
         la terre ferme 10 ou 12 lieues qui sont par la hauteur de 44
         degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de
         la guide-ayment. L'isle des Monts-deserts fait une des pointes
         de l'emboucheure, tirant à l'est: & l'autre est une terre basse
         appelée des sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle,
33/181   distantes l'un de l'autre neuf ou dix lieues. Et presque au
         milieu à la mer y a une autre isle fort haute & remarquable,
         laquelle pour ceste raison j'ay nommée l'isle haute. Tout
         autour il y en a un nombre infini de plusieurs grandeurs &
         largeurs: mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La
         pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne: comme
         aussi la chasse du gibier. A quelques deux ou trois lieues de
         la poincte de Bedabedec, rengeant la grande terre au nort, qui
         va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui
         paroissent à la mer en beau temps 12 à 15 lieues. Venant au su
         de l'isle haute, en la rengeant comme d'un quart de lieue où il
         y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap à
         l'ouest jusques à ce que l'on ouvre toutes les montaignes qui
         sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en
         voyant les huict ou neuf decouppées de l'isle des Monts-deserts
         & celle de Bedabedec, l'on sera le travers de la riviere de
         Norembegue: & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort,
         qui est sur les plus hautes montaignes dudict Bedabedec: & ne
         verrez aucunes isles devant vous: & pouvez entrer seurement y
         ayant assez d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles &
         rochers à l'est & ouest de vous. Il faut les esviter la sonde
         en la main pour plus grande seureté: Et croy à ce que j'en ay
         peu juger, que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par
         autre endroict, sinon avec des petits vaisseaux ou chalouppes:
         Car comme j'ay dit cy-dessus la quantité des isles, rochers,
         basses, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte que
         c'est chose estrange à voir.

34/182   Or pour revenir à la continuation de nostre routte: Entrant
         dans la riviere il y a de belles isles, qui sont fort
         aggreables, avec de belles prairies. Nous fusmes jusques à un
         lieu où les sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy
         quart de lieue de large: Et à quelques deux cens pas de la
         terre de l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est
         dangereux. De là à l'isle haute y a quinze lieues. Et depuis ce
         lieu estroict, (qui est la moindre largeur que nous eussions
         trouvée,) après avoir faict quelque 7 ou 8 lieues, nous
         rencontrasmes une petite riviere, où auprès il fallut mouiller
         l'ancre: d'autant que devant nous y vismes quantité de rochers
         qui descouvrent de basse mer: & aussi que quand eussions voulu
         passer, plus avant nous n'eussions pas peu faire demye lieue: à
         cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque
         7 à 8 pieds, que je vis allant dedans un canau avec les
         sauvages que nous avions: & n'y trouvasmes de l'eau que pour un
         canau: Mais passé le sault, qui a quelques deux cens pas de
         large, la riviere est belle, & continue jusques au lieu où nous
         avions mouillé l'ancre. Je mis pied à terre pour veoir le païs:
         & allant à la chasse je le trouvé fort plaisant & aggreable en
         ce que j'y fis de chemin. Il semble que les chesnes qui y sont
         ayent esté plantez par plaisir. J'y vis peu de sapins, mais
         bien quelques pins à un costé de la riviere: Tous chesnes à
         l'autre: & quelques bois taillis qui s'estendent fort avant
         dans les terres. Et diray que depuis l'entrée où nous fusmes,
         qui sont environ 25 lieux, nous ne vismes aucune ville ny
         village, ny apparence d'y en avoir eu: mais bien une ou deux
35/183   cabannes de sauvages où il n'y avoit personne, lesquelles
         estoient faites de mesme façon que celles des Souriquois
         couvertes d'escorce d'arbres: Et à ce qu'avons peu juger il y a
         peu de sauvages en icelle riviere qu'on appele aussi
         Etechemins. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que
         quelques mois en esté durant la pesche du poisson & chasse du
         gibier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de
         retraicte arrestée à ce que j'ay recogneu & apris d'eux: car
         ils yvernent tantost en un lieu & tantost à un autre, où ils
         voient que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent
         quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour
         subvenir aux disettes qui sont grandes quelquesfois.

         Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de
         Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que nous
         avons costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy
         dessus dictes, que celle de Quinibequy, qui est presque en
         mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part il ne
         peut y en avoir qui entrent avant dans les terres: d'autant que
         la grande riviere saint Laurens costoye la coste d'Accadie & de
         Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre
         de 45 lieues, ou 60 au plus large, comme il se pourra veoir par
         ma carte Géographique.

         Or je laisseray ce discours pour retourner aux sauvages qui
         m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue,
         lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres
         sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir
         aussi le leur, nommé Cabahis, & lui donner advis de nostre
         arrivée.

36/184   Le 16 du mois il vint à nous quelque trente sauvages sur
         l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de
         guide. Vint aussi ledict Bessabez nous trouver ce mesme jour
         avec six canaux. Aussi tost que les sauvages qui estoient à
         terre le virent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer &
         sauter, jusques à ce qu'il eut mis pied à terre: puis après
         s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume
         lors qu'ils veulent faire quelque harangue ou festin. Cabahis
         l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses
         compagnons, qui se retirent apart, & se rejouirent fort de nous
         veoir: d'autant que c'estoit la première fois qu'ils avoient
         veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre avec
         deux de mes compagnons & deux de nos sauvages, qui nous
         servoient de truchement: & donné charge à ceux de nostre barque
         d'approcher prés des sauvages, & tenir leurs armes prestes pour
         faire leur devoir s'ils aperçevoient quelque esmotion de ces
         peuples contre nous. Bessabez nous voyant à terre nous fit
         asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons, comme ils
         font ordinairement auparavant que faire leurs discours. Ils
         nous firent present de venaison & de gibier.

         Je dy à nostre truchement, qu'il dist à nos sauvages qu'ils
         fissent entendre à Bessabez, Cabahis & à leurs compagnons, que
         le sieur de Mons m'avoit envoyé par devers eux pour les voir &
         leur pays aussi: & qu'il vouloit les tenir en amitié, & les
         mettre d'accord avec les Souriquois & Canadiens leurs ennemis:
         Et d'avantage qu'il desiroit habiter leur terre, & leur montrer
         à la cultiver, afin qu'ils ne trainassent plus une vie si
37/185   miserable qu'ils faisoient, & quelques autres propos à ce
         subjet. Ce que nos sauvages leur firent entendre, dont ils
         demonstrerent estre fort contens, disant qu'il ne leur pouvoit
         arriver plus grand bien que d'avoir nostre amitié: & desiroyent
         que l'on habitast leur terre, & vivre en paix avec leur
         ennemis: afin qu'à l'advenir ils allassent à la chasse aux
         Castors plus qu'ils n'avoient jamais faict, pour nous en faire
         part, en les accommodant de choses necessaires pour leur usage.
         Apres qu'il eut achevé sa harangue, je leur fis present de
         haches, patinostres, bonnets, cousteaux & autres petites
         jolivetés: aprez nous nous separasmes les uns des autres. Tout
         le reste de ce jour, & la nuict suivante, ils ne firent que
         dancer, chanter & faire bonne chère, attendans le jour auquel
         nous trectasmes quelque nombre de Castors: & aprez chacun s'en
         retourna, Bessabez avec ses compagnons de son costé, & nous du
         nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples.

         Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez & 25.
         minuttes de latitude: Ce faict nous partismes pour aller à une
         autre riviere appelée Quinibequy, distante de ce lieu de trente
         cinq lieux, & prés de 20 de Bedabedec[63]. Ceste nation de
38/186   sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins[64], aussi bien que
         ceux de Norembegue.

[Note 63: Quoique cette phrase donne à entendre que Champlain quitte la
rivière de Pénobscot, ce jour-là même, 17 de septembre, il est certain
que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Rendu au point où il prend
hauteur, c'est-à-dire, à vingt-cinq ou trente lieues de l'embouchure de
cette rivière, suivant son calcul; ayant bien constaté qu'il n'y avait
pas même de trace d'aucune ville ou habitation considérable, l'auteur
considère l'exploration de cette rivière comme finie, et part pour venir
rejoindre la barque, qui était à l'ancré à une quinzaine de lieues de
l'embouchure, et continuer ensuite le voyage de découverte. La preuve
qu'il ne part pas directement pour le Kénébec, c'est que, trois jours
après, le 20 du mois, on en est encore à ranger la côte de l'ouest, et à
passer les montagnes de Bedabedec, ou hauteurs de Pénobscot, où l'on
mouille l'ancre, pour reconnaître, le même jour, l'entrée de la
rivière.]

[Note 64: C'est sans doute cette phrase qui a fait dire au P. F. Martin
(Appendice de sa trad. du P. Bressani) que Champlain donne au Kénébec le
nom de _rivière des Etchemins_. Cependant notre auteur, comme on le
voit, dit seulement que les sauvages du Kénébec étaient des Etchemins,
comme ceux de Pentagouet ou Pénobscot. Et ici Champlain est d'accord
avec le P. Biard, qui, dans le dénombrement approximatif qu'il fait des
nations sauvages dont il avait connaissance, assigne aux _Eteminquois_
ou Etchemins toute la côte comprise entre le pays des Souriquois et
Chouacouet, «J'ay trouvé, dit-il, par la relation des Sauvages mesmes,
que dans l'enclos de la grande riviere, dés les terres neuves jusques à
Chouacoët, on ne sauroit trouver plus de neuf à dix milles ames... Tous
les Souriquois 3000 ou 3500. Les Eteminquois jusques à Pentegoët, 2500;
dés Pentegoët jusques à Kinibequi, & de Kinibequi jusques à Chouacoët,
3000.» (Relat. de la Nouv. Fr., ch. VI.) Lescarbot prétend, il est vrai,
que «depuis Kinibeki, jusques à Malebarre, & plus outre, ilz s'appellent
Armouchiquois» (liv. IV, ch. VII); mais les témoignages de Champlain et
du P. Biard semblent avoir plus de poids, puisque ces auteurs ont visité
eux-mêmes les lieux et les nations dont ils parlent.]

         Le 18 du mois nous passames prés d'une petite riviere où estoit
         Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque quelque douze
         lieues: Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de
         Norembegue, il me dit qu'elle passé le sault dont j'ay faict cy
         dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle on
         entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de S. Croix,
         d'où ils vont quelque peu par terre, puis entrent dans la
         riviere des Etechemins. Plus au lac descent une autre riviere
         par où ils vont quelques jours, en après entrent en un autre
         lac, & passent par le millieu, puis estans parvenus au bout,
         ils font encore quelque chemin par terre, après entrent dans
         une autre petite riviere [65] qui vient se descharger à une
         lieue de Québec, qui est sur le grand fleuve S. Laurens. Tous
         ces peuples de Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux
         de castors & autres fourrures, comme les sauvages Cannadiens &
         Souriquois: & ont mesme façon de vivre.

[Note 65: Comme on le voit, c'est précisément parce que les Etchemins
suivaient cette rivière pour venir à Québec, qu'on l'a appelée rivière
des Etchemins.]

39/187   Le 20 du mois rangeasmes la coste de l'ouest, & passâmes les
         montaignes de Bedabedec, où nous mouillasmes l'ancre: Et le
         mesme jour recogneusmes l'entrée de la riviere, où il peut
         aborder de grands vaisseaux: mais dedans il y a quelques
         battures qu'il faut esviter la sonde en la main. Nos sauvages
         nous quittèrent, d'autant qu'ils ne vollurent venir à
         Quinibequy: parceque les sauvages du lieu leur sont grands
         ennemis [66]. Nous fismes quelque 8 lieux rangeant la coste de
         l'ouest jusques à une isle distante de Quinibequy 10 lieux, où
         fusmes contraincts de relascher pour le mauvais temps & vent
         contraire. En une partye du chemin que nous fimes nous passames
         par une quantité d'isles & brisans qui jettent à la mer
         quelques lieues fort dangereux. Et voyant que le mauvais temps
         nous contrarioit si fort, nous ne passâmes pas plus outre que
         trois ou 4 lieues. Toutes ces isles & terres sont remplies de
         quantité de pareil bois que j'ay dit cy dessus aux autres
         costes. Et considerant le peu de vivres que nous avions, nous
         resolusmes de retourner à nostre habitation, attendans l'année
         suivante où nous esperions y revenir pour recognoistre plus
         amplement. Nous y rabroussames donc chemin le 23 Septembre &
         arrivasmes en nostre habitation le 2 Octobre ensuivant.

[Note 66: C'est peut-être cette circonstance qui a fait croire à
Lescarbot que le territoire des Almouchiquois s'étendait jusqu'au
Kénébec.]

         Voila au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes,
         peuples que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles
         qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal
         aggreable en yver que celuy de nostre habitation, dont nous
         fusmes bien desceus.

40/188

         _Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes &
         femmes sauvages passent le temps durant l'yver. Et tout ce qui
         se passa en l'habitation pendant l'hyvernement._

                               CHAPITRE VI.

         Comme nous arrivasmes à l'isle S. Croix chacun achevoit de se
         loger. L'yver nous surprit plustost que n'esperions, & nous
         empescha de faire beaucoup de choses que nous nous estions
         proposées. Neantmoins le sieur de Mons ne laissa de faire faire
         des jardinages dans l'isle. Beaucoup commancerent à deffricher
         chacun le sien; & moy aussi le mien, qui estoit assez grand, où
         je semay quantité de graines, comme firent, aussi ceux qui en
         avoient, qui vindrent assez bien. Mais comme l'isle n'estoit
         que Sable tout y brusloit presque lors que le soleil y donnoit:
         & n'avions point d'eau pour les arrouser, sinon de celle de
         pluye, qui n'estoit pas souvent.

         Le sieur de Mons fit aussi deffricher à la grande terre pour y
         faire des jardinages, & aux saults il fit labourer à trois
         lieues de nostre habitation, & y fit semer du bled qui y vint
         tresbeau & à maturité. Autour de nostre habitation il y a de
         basse mer quantité de coquillages, comme coques, moulles,
         ourcins & bregaux, qui faisoyent grand bien à chacun.

         Les neges commencèrent le 6 du mois d'Octobre. Le 3 de Décembre
         nous vismes passer des glasses qui venoyent de quelque riviere
         qui estoit gellée. Les froidures furent aspres & plus
41/189   excessives qu'en France, & beaucoup plus de durée: & n'y pleust
         presque point cest yver. Je croy que cela provient des vents du
         nord & norouest, qui passent par dessus de hautes montaignes
         qui sont tousjours couvertes de neges, que nous eusmes de trois
         à quatre pieds de haut, jusques à la fin du mois d'Avril; &
         aussi qu'elle se concerve beaucoup plus qu'elle ne feroit si le
         païs estoit labouré.

         Durant l'yver il se mit une certaine maladie entre plusieurs de
         nos gens, appelée mal de la terre, autrement Scurbut, à ce que
         j'ay ouy dire depuis à des hommes doctes. Il s'engendroit en la
         bouche de ceux qui l'avoient de gros morceaux de chair
         superflue & baveuse (qui causoit une grande putréfaction)
         laquelle surmontoit tellement, qu'ils ne pouvoient presque
         prendre aucune chose, sinon que bien liquide. Les dents ne leur
         tenoient presque point, & les pouvoit on arracher avec les
         doits sans leur faire douleur. L'on leur coupoit souvent la
         superfluité de cette chair, qui leur faisoit jetter force sang
         par la bouche. Apres il leur prenoit une grande douleur de bras
         & de jambes, lesquelles leur demeurèrent grosses & fort dures,
         toutes tachetés comme de morsures de puces, & ne peuvoient
         marcher à cause de la contraction des nerfs: de sorte qu'ils
         demeuroient presque sans force, & sentoient des douleurs
         intolérables. Ils avoient aussi douleur de reins, d'estomach &
         de ventre; une thoux fort mauvaise, & courte haleine: bref ils
         estoient en tel estat, que la pluspart des malades ne pouvoient
         se lever ny remuer, & mesme ne les pouvoit on tenir debout,
42/190   qu'ils ne tombassent en syncope: de façon que de 79 que nous
         estions, il en moururent 35 & plus de 20. qui en furent bien
         prés: La plus part de ceux qui resterent sains, se plaignoient
         de quelques petites douleurs & courte haleine. Nous ne pusmes
         trouver aucun remède pour la curation de ces maladies. L'on en
         fit ouverture de plusieurs pour recognoistre la cause de leur
         maladie.

         L'on trouva à beaucoup les parties intérieures gastées, comme
         le poulmon, qui estoit tellement altéré, qu'il ne s'y pouvoit
         recognoistre aucune humeur radicalle: la ratte cereuse &
         enflée: le foye fort legueux & tachetté, n'ayant sa couleur
         naturelle: la vaine cave, ascendante & descendante remplye de
         gros sang agulé & noir: le fiel gasté: Toutesfois il se trouva
         quantité d'artères, tant dans le ventre moyen qu'inférieur,
         d'assez bonne disposition. L'on donna à quelques uns des coups
         de rasoüer dessus les cuisses à l'endroit des taches pourprées
         qu'ils avoient, d'où il sortoit un sang caille fort noir. C'est
         ce que l'on a peu recognoistre aux corps infectés de ceste
         maladie.

         Nos chirurgiens ne peurent si bien faire pour eux mesmes qu'ils
         n'y soient demeurez comme les autres. Ceux qui y resterent
         malades furent guéris au printemps, lequel commence en ces pays
         là est en May[67]. Cela nous fit croire que le changement de
         saison leur rendit plustost la santé que les remèdes qu'on leur
         avoit ordonnés.

[Note 67: Pour ne pas nous exposer à faire dire à Champlain ce qu'il ne
voulait pas dire, nous laissons subsister ici une faute évidente, mais
dont on peut, ce semble, deviner la cause. L'auteur, encore sous
l'impression fâcheuse de ce malheureux hiver passé à l'île de
Sainte-Croix, aura mis d'abord dans son manuscrit que le printemps n'y
_commençait_ qu'en mai; réflexion faite, il se sera aperçu que ce
n'était pas rendre justice à la Nouvelle-France, que de la juger sur un
fait qui pouvait être exceptionnel, et il aura mis, que le printemps
_est_ en mai; enfin le typographe, pour contenter l'auteur, aura jugé à
propos de mettre les deux.]

43/191   Durant cet yver nos boissons gelèrent toutes, horsmis le vin
         d'Espagne. On donnoit le cidre à la livre. La cause de ceste
         parte fut qu'il n'y avoit point de caves au magazin: & que
         l'air qui entroit par des fentes y estoit plus aspre que celuy
         de dehors. Nous estions contraints d'user de tresmauvaises
         eaux, & boire de la nege fondue, pour n'avoir ny fontaines ny
         ruisseaux: car il n'estoit pas possible d'aller en la grand
         terre, à cause des grandes glaces que le flus & reflus
         charioit, qui est de trois brasses de basse & haute mer. Le
         travail du moulin à bras estoit fort pénible: d'autant que la
         plus part estans mal couchez, avec l'incommodité du chauffage
         que nous ne pouvions avoir à cause des glaces, n'avoient quasi
         point de force, & aussi qu'on ne mangeoit que chair salée &
         légumes durant l'yver, qui engendrent de mauvais sang: ce qui à
         mon opinion causoit en partie ces facheuses maladies. Tout cela
         donna du mescontentement au sieur de Mons & autres de
         l'habitation.

         Il estoit mal-aisé de recognoistre ce pays sans y avoir yverné,
         car y arrivant en été tout y est fort aggreable, à cause des
         bois, beaux pays & bonnes pescheries de poisson de plusieurs
         sortes que nous y trouvasmes. Il y a six mois d'yver en ce
         pays.

         Les sauvages qui y habitent sont en petite quantité. Durant
         l'yver au fort de neges ils vont chasser aux eslans & autres
         bestes: de quoy ils vivent la pluspart du temps. Et si les
         neges ne sont grandes ils ne font guerres bien leur proffit:
         d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime
         travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort.

44/192   Lors qu'ils ne vont à la chasse ils vivent d'un coquillage qui
         s'appelle coque. Ils se vestent l'yver de bonnes fourrures de
         castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non
         pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessous des
         aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux
         accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent de
         certaines raquettes, deux fois aussi grandes que celles de
         pardeçà, qu'ils s'attachent soubs les pieds, & vont ainsi sur
         la neige sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les
         hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant
         trouvée ils la suivent jusques à ce qu'ils apercoivent la
         beste: & lors ils tirent dessus avec leur arcs, ou la tuent à
         coups d'espées emmanchées au bout d'une demye pique, ce qui se
         fait fort aisement; d'autant que ces animaux ne peuvent aller
         sur les neges sans enfoncer dedans: Et lors les femmes & enfans
         y viennent, & là cabannent & se donnent curée: Apres ils
         retournent voir s'ils en trouveront d'autres, & passent ainsi
         l'yver. Au mois de Mars ensuivant il vint quelques sauvages qui
         nous firent part de leur chasse en leur donnant du pain &
         autres choses en eschange. Voila la façon de vivre en yver de
         ces gens là, qui me semble estre bien miserable.

         Nous attendions nos vaisseaux à la fin d'Avril lequel estant
         passé chacun commença à avoir mauvaise opinion, craignant qu'il
         ne leur fust arrivé quelque fortune, qui fut occasion que le 15
         de May le sieur de Mons délibéra de faire accommoder une barque
         du port de 15 tonneaux, & un autre de 7 afin de nous en aller à
45/193   la fin du mois de Juin à Gaspé, chercher des vaisseaux pour
         retourner en France, si cependant les nostres ne venoient: mais
         Dieu nous assista mieux que nous n'esperions: car le 15 de Juin
         ensuivant estans en garde environ sur les onze heures du soir,
         le Pont Capitaine de l'un des vaisseaux du sieur de Mons arriva
         dans une chalouppe, lequel nous dit que son navire estoit ancré
         à six lieues de nostre habitation, & fut le bien venu au
         contentement d'un chacun.

         Le lendemain le vaisseau arriva [68], & vint mouiller l'ancre
         proche de nostre habitation. Le pont nous fit entendre qu'il
         venoit après luy un vaisseau de S. Maslo, appelé le S.
         Estienne, pour nous apporter des vivres & commoditez.

[Note 68: «Avec une compagnie de quelques quarante hommes,» dit
Lescarbot, liv. IV, ch. VIII, «& canonnades ne manquèrent à l'abord,
selon la coutume, ni l'éclat des trompetes.»]

         Le 17 du mois le sieur de Mons se délibéra d'aller chercher un
         lieu plus propre pour habiter & de meilleure température que la
         nostre: Pour cest effect il fit équiper la barque dedans
         laquelle il avoit pensé aller à Gaspé.



         _Descouvertures de la coste des Almouchiquois jusques au 42e
         degré de latitude: & des particularités de ce voyage._

                                CHAPITRE VII.

         Le 18 du mois de Juin 1605, le sieur de Mons partit de l'isle
         saincte Croix avec quelques gentilshommes, vingt matelots & un
46/194   sauvage nommé Panounias [69] & sa femme, qu'il ne voulut
         laisser, que menasmes avec nous pour nous guider au pays des
         Almouchiquois, en esperance de recognoistre & entendre plus
         particulierement par leur moyen ce qui en estoit de ce pays:
         d'autant qu'elle en estoit native.

[Note 69: Lescarbot l'appelle Panmiac.]

         Et rangeant la coste entre Menane, qui est une isle à trois
         lieues de la grande terre, nous vinsmes aux isles rangées par
         le dehors, où mouillasmes l'ancre en l'une d'icelles, où il y
         avoit une grande multitude de corneilles, dont nos gens
         prindrent en quantité; & l'avons nommée l'isle aux corneilles.
         De là fusmes à l'isle des Monts deserts qui est à l'entrée de
         la riviere de Norembegue, comme j'ay dit cy dessus, & fismes
         cinq ou six lieues parmy plusieurs isles, où il vint à nous
         trois sauvages dans un canau de la poincte de Bedabedec où
         estoit leur Capitaine; & après leur avoir tenu quelques
         discours ils s'en retournèrent le mesme jour.

         Le vendredy premier de Juillet nous partismes d'une des isles
         qui est à l'amboucheure de la riviere, où il y a un port assez
         bon pour des vaisseaux de cent & cent cinquante tonneaux. Ce
         jour fismes quelques 25 lieues entre la pointe de Bedabedec &
         quantité d'isles & rochers, que nous recogneusmes jusques à la
         riviere de Quinibequy, où à l'ouvert d'icelle il y a une isle
         assez haute, qu'avons nommée la tortue, & entre icelle & la
         grand terre quelques rochers esparts, qui couvrent de pleine
         mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus.
         L'isle de la tortue & la riviere sont su suest & nort norouest.
         Comme l'on y entre, il y a deux moyenes isles, qui sont
47/195   l'entrée, l'une d'un costé & l'autre de l'autre, & à quelques
         300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de
         bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'ancre à 300
         pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Estans en ce lieu
         nous fusmes surprins de brumes qui nous firent resoudre
         d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere & les sauvages
         qui y habitent; & partismes pour cet effect le 5 du mois. Ayans
         fait quelques lieues nostre barque pença se perdre sur un
         rocher que nous frayames en passant. Plus outre rencontrasmes
         deux canaux qui estoient venus à la chasse aux oiseaux, qui la
         pluspart muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostames
         ces sauvages par le moyen du nostre, qui les fut trouver avec
         sa femme, qui leur fit entendre le subject de nostre venue.
         Nous fismes amitié avec eux & les sauvages d'icelle
         riviere[70], qui nous servirent de guide: Et allant plus avant
         pour veoir leur Capitaine appelé Manthoumermer, comme nous
         eusmes fait 7 à 8 lieux, nous passames par quelques isles,
         destroits & ruisseaux, qui s'espandent le long de la riviere,
         où vismes de belles prairies: & costoyant une isle qui a
         quelque quatre lieux de long [71] ils nous menèrent où estoit
         leur chef, avec 25 ou 30 sauvages, lequel aussitost que nous
         eusmes mouillé l'ancre vint à nous dedans un canau un peu
         separé de dix autres, où estoient ceux qui l'accompaignoient:
48/196   Aprochant prés de nostre barque, il fit une harangue, où il
         faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous veoir, & qu'il
         desiroit avoir nostre alliance & faire paix avec leurs ennemis
         par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit à deux
         autres Capitaines sauvages qui estoient dedans les terres, l'un
         appelé Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de
         Quinibequy. Le sieur de Mons leur fit donner des gallettes &
         des poix, dont ils furent fort contens. Le lendemain ils nous
         guidèrent en dessendant la riviere par un autre chemin que
         n'estions venus [72], pour aller à un lac: & partant par des
         isles, ils laisserent chacun une flèche proche d'un cap par où
         tous les sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoyent
         il leur arriveroit du malheur, à ce que leur persuade le
         Diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en
         beaucoup d'autres. Par de là ce cap nous passames un sault
         d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficulté,
         car bien qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions
         porter dans nos voilles le plus qu'il nous fut possible, si ne
         le peusme nous passer de la façon, & fusmes contraints
         d'attacher à terre une haussiere à des arbres, & y tirer tous:
         ainsi nous fismes tant à force de bras avec l'aide du vent qui
         nous favorisoit que le passames. Les sauvages qui estoient avec
         nous portèrent leurs canaux par terre ne les pouvant passer à
         la rame. Apres avoir franchi ce sault nous vismes de belles
         prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant
49/197   avec la marée nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous
         la trouvasmes contraire, & après l'avoir passé elle descendoit
         comme auparavant, qui nous donna grand contentement.
         Poursuivant nostre routte nous vinsmes au lac[73], qui a trois à
         quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descent
         deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, &
         l'autre du norouest, par où devoient venir Marchim & Sasinou,
         qu'ayant attendu tout ce jour & voyant qu'ils ne venoient
         point, nous resolusmes d'employer le temps: Nous levasmes donc
         l'ancre, & vint avec nous deux sauvages de ce lac pour nous
         guider, & ce jour vinsmes mouiller l'ancre à l'amboucheure de
         la riviere, où nous peschasmes quantité de plusieurs sortes de
         bons poissons: cependant nos sauvages allèrent à la chasse,
         mais ils n'en revindrent point. Le chemin par où nous
         descendismes ladicte riviere est beaucoup plus seur & meilleur
         que celuy par où nous avions esté. L'isle de la tortue qui est
         devant l'entrée de lad. riviere, est par la hauteur de 44
         degrez de latitude & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la
         guide-aymant. L'on va par ceste riviere au travers des terres
         jusques à Québec quelque 50 lieues sans passer qu'un trajet de
         terre de deux lieues: puis on entre dedans une autre petite
         riviere [74] qui vient descendre dedans le grand fleuve S.
         Laurens. Ceste riviere de Quinibequy est fort dangereuse pour
         les vaisseaux à demye lieue au dedans, pour le peu d'eau,
50/198   grandes marées, rochers & basses qu'il y a, tant dehors que
         dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit
         bien recogneu. Si peu de pays que j'ay veu le long des rivages
         est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts.
         Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres
         labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les
         autres rivieres cy dessus dictes. Les peuples vivent comme ceux
         de nostre habitation, & nous dirent, que les sauvages qui
         semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, &
         qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes pour la
         guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre.
         Voila ce que j'ay peu aprendre de ce lieu, lequel je croy
         n'estre meilleur que les autres.

[Note 70: Ici, Champlain n'est pas précisément, dans la rivière de
Kénébec, dont le capitaine était Sasinou, mais dans celle de Chipscot
_(Sheepscott)_, où était le capitaine de ces sauvages, Manthoumermer.]

[Note 71: L'île de Jérémysquam, qui sépare la baie de Monsouic, ou
_Monseag_, du chenal de la rivière de Chipscot.]

[Note 72: Ce passage est une nouvelle preuve que Champlain, en montant,
était passé par le côté oriental de l'île de Jérémysquam, et, par
conséquent, dans la rivière de Chipscot: car les sauvages, qui
connaissaient bien les lieux, durent conduire les français par le plus
court chemin pour aller au lac ou à la baie de Merry-Meeting.]

[Note 73: Ce lac, appelé la baie de Merry-Meeting, est formé par la
jonction des eaux du Kénébec, au nord, et de la rivière de Sagadahok ou
Amouchcoghin, dont on a fait Androscoggin.]

[Note 74: La rivière Chaudière.]


198a

[Illustration: Qui ni be guy]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Le cours de la riviere.
B 2 Isles qui sont à l'antré de la riviere.
C Deux rochers qui sont dans la riviere fort dangereux.
D Islets & rochers qui sont le long de la coste.
E Basses où de plaine mer vaisseaux du port de 60 tonneaux peuvent
  eschouer.
F Le lieu où les sauvages cabannent quand ils viennent à la pesche du
  poisson.
G Basses de sable qui sont le long de la coste.
H Un estang d'eau douce.
I Un ruisseau où des chaloupes peuvent entrer à demy flot.
L Isles au nombre de 4 qui sont dans la riviere comme l'on est entré
  dedans.


         Le 8 du mois partismes de l'emboucheure d'icelle riviere ce que
         ne peusmes faire plustost à cause des brumes que nous eusmes.
         Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une
         baye[75] où il y a quantité d'isles, & voit on d'icelle de
         grandes montaignes à l'ouest, où est la demeure d'un Capitaine
         sauvage appelé Aneda, qui se tient proche de la riviere de
         Quinibequy. Je me parsuaday par ce nom que c'estoit un de sa
         race qui avoit trouvé l'herbe appelée Aneda[76] que Jacques
51/199   Quartier a dict avoir tant de puissance contre la maladie
         appelée Scurbut, dont nous avons desja parlé, qui tourmenta
         ses gens aussi bien que les nostres, lors qu'ils yvernerent en
         Canada. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne
         sçavent que c'est, bien que ledit sauvage en porte le nom. Le
         lendemain fismes huit lieues. Costoyant la coste nous
         apperçeusmes deux fumées que nous faisoient des sauvages, vers
         lesquelles nous fusmes mouiller l'ancre derrière un petit islet
         proche de la grande terre, où nous vismes plus de quatre vingts
         sauvages qui accouroyent le long de la coste pour nous voir,
         dansant & faisant signe de la resjouissance qu'ils en avoient.
         Le sieur de Mons envoya deux hommes avec nostre sauvage[77]
         pour les aller trouver: & après qu'ils eurent parlé quelque
         temps à eux, & les eurent asseurez de nostre amitié nous leur
         laissames un de nos gens, & eux nous baillèrent un de leurs
         compagnons en ostage: Cependant le sieur de Mons fut visiter
         une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de
         beaux chesnes & noyers, la terre deffrichée & force vignes, qui
         aportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers
         qu'eussions veu en toutes ces costes depuis le cap de la Héve:
52/200   Nous la nommasmes l'isle de Bacchus[78]. Estans de pleine mer
         nous levasmes l'ancre, & entrasmes dedans une petite riviere,
         où nous ne peusmes plustost: d'autant que c'est un havre de
         barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine
         mer brasse & demie, & du grand de l'eau deux brasses; quand on
         est dedans il y en a trois, quatre, cinq & six. Comme nous
         eusmes mouillé l'ancre il vint à nous quantité de sauvages sur
         le bort de la riviere, qui commencèrent à dancer: Leur
         Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appeloient
         Honemechin[79]: il arriva environ deux ou trois heures après
         avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de
         nostre barque. Nostre sauvage ne pouvoit entendre que quelques
         mots, d'autant que la langue Almouchiquoise, comme s'appelle
         ceste nation, diffère du tout de celle des Souriquois &
         Etechemins. Ces peuples demonstroient estre fort contens: leur
         chef estoit de bonne façon, jeune & bien dispost: l'on envoya
         quelque marchandise à terre pour traicter avec eux, mais ils
         n'avoient rien que leurs robbes, qu'ils changèrent, car ils ne
         font aucune provision de pelleterie que pour se vestir. Le
         sieur de Mons fit donner à leur chef quelques commoditez, dont
         il fut fort satisfait, & vint plusieurs fois à nostre bort pour
         nous veoir. Ces sauvages se rasent le poil de dessus le crasne
         assez haut, & portent le reste fort longs, qu'ils peignent &
53/201   tortillent par derrière en plusieurs façons fort proprement,
         avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se
         peindent le visage de noir & rouge comme les autres sauvages
         qu'avons veus. Ce sont gens disposts bien formez de leur corps:
         leurs armes sont piques, massues, arcs & flèches, au bout
         desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appelé
         Signoc[80], d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont
         toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que
         n'avions encores veu. Au lieu de charuës ils ont un instrument
         de bois fort dur, faict en façon d'une besche. Ceste riviere
         s'appelle des habitans du pays Chouacoet[81].

[Note 75: La baie de Casco. Ce mot, parait-il, n'est qu'une contraction
de l'ancien nom Acocisco. (Williamson, _Hist. of Maine, Introd._, sect.
II.)]

[Note 76: Cette phrase nous fait connaître quelques-unes des causes qui
ont empêché les Français de retrouver, en Acadie, le remède que les
sauvages du Canada avaient enseigné à Cartier pour guérir ses gens du
scorbut. D'abord, on avait défiguré un peu le nom de la plante: les
trois manuscrits qui existent du second voyage de Cartier sont unanimes
à l'appeler _amedda_, d'après M. d'Avezac (réimpression figurée de
l'édit. de 1545, publiée en 1863); tandis que Lescarbot écrit _annedda_,
et Champlain _aneda_. En second lieu, cette plante n'était pas une
herbe, mais bien un arbre de bonne taille; c'était probablement ce que
l'on a toujours appelé, en Canada, _l'épinette_. Voici ce qu'en dit le
capitaine malouin: «Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes avecq le
capitaine pour en quérir: lesquelz en apportèrent neuf ou dix rameaulx,
& nous monstrerent comme il failloit piler l'escorce & les fueilles
dudict boys, & mettre tout bouillir en eaue, puis en boire de deux jours
l'un, & mettre le marcq sur les jambes enflées & malades, & que de toute
maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur
langaige Ameda... Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent
l'advantage... Apres ce avoir veu & cogneu, y a eu telle presse ladicte
médecine, que on si vouloit tuer, à qui premier en auroit. De sorte que
ung arbre aussi gros & aussi grand que je viz jamais arbre a esté
employé en moins de huit jours: lequel a faict telle opération, que si
tous les médecins de Louvain & de Montpellyer y eussent esté avec toutes
les drogues de Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant faict en ung an,
que ledict arbre a faict en six jours.»]

[Note 77: Panounias, allié par sa femme à la nation almouchiquoise.
(Voir ci-dessus, p. 4.) Ce sauvage fut, quelque temps après, assassiné
par les Almouchiquois, et sa mort fut la cause d'une guerre sanglante
entre cette nation et celles des Souriquois et des Etchemins.]


[Note 78: Cette île, suivant la carte de 1632, est située vers le nord
de la baie de Saco ou Chouacouet. C'est probablement celle que l'on
trouve indiquée, dans les cartes anglaises, sous les noms de _Richmond_
et de _Richman's island_.]

[Note 79: Lescarbot l'appelle _Olmechin_. Il fut tué l'année suivante
par un parti d'Etchemins. (Voir ci-après, ch. XVI, et Lescarbot, _Muses
de la Nouvelle-France_.)]

[Note 80: L'auteur donne, un peu plus loin (chapitre VIII), la
description du _signoc_ ou _siguenoc_.]

[Note 81: Le nom de _Saco_, que porte aujourd'hui cette rivière, de même
que la baie où elle se jette, vient évidemment de ce nom sauvage
_Chouacouet_, ou, si l'on veut, de _Sawahquatok_, comme on le trouve
dans les auteurs anglais. De _Souacouet_, on a fait _Sacouet,_ et enfin
Saco.]

         Le lendemain le sieur de Mons fut à terre pour veoir leur
         labourage sur le bord de la riviere, & moy avec luy, & vismes
         leur bleds qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages,
         semant trois ou quatre grains en un lieu, après ils assemblent
         tout autour avec des escailles du susdit signoc quantité de
         terre: Puis à trois pieds delà en sement encore autant; & ainsi
         consecutivement. Parmy ce bled à chasque tourteau ils plantent
         3 ou 4 febves du Bresil, qui viennent de diverses couleurs.
         Estans grandes elles s'entrelassent au tour dudict bled qui
         leve de la hauteur de cinq à six pieds: & tiennent le champ
         fort net de mauvaises herbes. Nous y vismes force citrouilles,
         courges & petum, qu'ils cultivent aussi[82].

[Note 82: Toutes ces plantes, le _petun_, ou tabac, les courges et
citrouilles, les fèves, le maïs, sont-elles indigènes dans les contrée
que parcourt ici Champlain? M. Asa Gray et le Dr. Harris, qui ont étudié
cette question, prétendent qu'elles ne le sont pas à une latitude plus
au nord que le Mexique, et, par conséquent, que la culture de ces
plantes a dû être transmise aux sauvages de la Nouvelle-Angleterre,
comme à ceux de la Nouvelle-France, par les nations plus méridionales.]

54/202   Le bled d'Inde que nous y vismes pour lors estoit de deux pieds
         de haut, il y en avoit aussi de trois. Pour les febves elles
         commençoient à entrer en fleur, comme faisoyent les courges &
         citrouilles. Ils sement leur bled en May, & le recueillent en
         Septembre. Nous y vismes grande quantité de noix, qui sont
         petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point
         encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessoubs, qui
         estoient de l'année précédente. Nous vismes aussi force vignes,
         ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de
         tresbon verjust, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle
         de Bacchus, distante d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur
         demeure arrestée, le labourage, & les beaux arbres, nous firent
         juger que l'air y est plus tempéré & meilleur que celuy où nous
         yvernasmes ny que les autres lieux de la coste: Mais que je
         croye qu'il n'y face un peu de froit, bien que ce soit par la
         hauteur de 43 degrez 3 quarts de latitude, non. Les forests
         dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de
         chesnes, hestres fresnes & ormeaux: Dans les lieux aquatiques
         il y a quantité de saules. Les sauvages se tiennent tousjours
         en ce lieu, & ont une grande Cabanne entourée de pallissades,
         faictes d'assez gros arbres rengés les uns contre les autres,
         où ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire
         la guerre. Ils couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce
         lieu est fort plaisant & aussi aggreable que lieu que l'on
55/203   puisse voir. La riviere est fort abondante en poisson,
         environnée de prairies. A l'entrée y a un islet capable d'y
         faire une bonne forteresse, où l'on seroit en seureté.


202b

[Illustration: Chouacoit-R]

_Les chifres montrent les brases d'eau._

A La riviere.
B Le lieu où ils ont leur forteresse.
C Les cabannes qui sont parmy les champs où auprès ils cultivent
  la terre & sement du bled d'Inde.
D Grande compaigne sablonneuse, neantmoins remplie d'herbages.
E Autre lieu où ils font leurs logemens tous en gros sans estre
  separez après la semence de leurs bleds estre faite.
F (1) Marais où il y a de bons pasturages.
G Source d'eau vive.
H Grande pointe de terre toute deffrichée horsmis quelques arbres
  fruitiers & vignes sauvages.
I Petit islet à l'entrée de la riviere.
L Autre islet (2).
M Deux isles où vesseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry d'icelles
  avec bon fons.
N Pointe de terre deffrichée ou nous vint trouver Marchim.
O (3) Quatre isles.
P Petit ruisseau qui asseche de basse mer.
Q (4) Basses le long de la coste.
R La rade où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre attendant le flot.

(1) f, dans la carte.--(2) Cet îlet est marqué I. Des deux qui sont
marqués de la même lettre, celui-ci est le plus éloigné de l'entrée de
la rivière.--(3) Des quatre O qui désignaient les quatre îles, le
graveur a fait quatre îles plus petites. Les quatre îles sont au
nord-ouest de la pointe H.--(4.) Dans la carte, c'est une lettre
minuscule.


         Le dimanche 12 [83] du mois nous partismes de la riviere
         appelée Chouacoët, & rengeant la coste aprés avoir fait quelque
         6 ou 7 lieues le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller
         l'ancre & mettre pied à terre, où nous vismes deux prairies,
         chacune desquelles contenoit environ une lieue de long, & demie
         de large. Nous y aperceusmes deux sauvages que pensions à
         l'abbord estre de gros oiseaux qui sont en ce pays là, appelés
         outardes, qui nous ayans advisés, prindrent la fuite dans les
         bois, & ne parurent plus. Depuis Chouacoet jusques en ce lieu
         où vismes de petits oiseaux[84], qui ont le chant comme merles,
         noirs horsmis le bout des ailles, qui sont orangés, il y a
         quantité de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la
         pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous
         retournasmes deux ou trois lieux devers Chouacoet jusques à un
         cap qu'avons nommé le port aux isles[85], bon pour des
         vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles. Mettant
56/204   le cap au nordest quart du nort proche de ce lieu, l'on entre
         en un autre port[86] où il n'y a aucun passage (bien que ce
         soient isles) que celluy par où on entre, où à l'entrée y a
         quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y
         a tant de groiselles rouges que l'on ne voit autre chose en la
         pluspart, & un nombre infini de tourtes [87], dont nous en
         prismes bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de
         43 degrez 25 minutes de latitude.

[Note 83: Le 12 de juillet était un mardi. Comme M. de Monts et l'auteur
semblent avoir visité ce lieu assez en détail, et qu'ils mirent à terre
le 10, il est probable qu'on ne repartit de Chouacouet que le 12.]

[Note 84: On donne à cet oiseau le nom de Commandeur (_Agelaius
Phoeniceus_, VIEILLOT). En Canada, on l'appelle Étourneau, parce qu'il a
avec ce dernier une certaine conformité de couleur et d'habitudes.]

[Note 85: Il ne faut pas confondre ce cap du Port-aux-Iles avec celui
que l'auteur appelle, un peu plus loin, le Cap-aux-Iles. Ce dernier
porte aujourd'hui le nom de cap Anne, et le premier celui de cap
Porpoise (cap au Marsouin). Williamson parle du cap Porpoise à peu près
dans les mêmes termes que Champlain. «Le cap Porpoise, dit-il, est un
havre étroit et de difficile accès.» Le nom de _Mousom_, que l'on a
donné à la rivière du cap Porpoise, est vraisemblablement une corruption
du mot _marsouin_; car il est impossible qu'il soit dérivé du nom
sauvage _Meguncouk_.]

[Note 86: Ce doit être l'entrée de la rivière Kenebunk, «qui est un bon
havre pour les petits vaisseaux,» dit Williamson. _(Hist. of Maine.)_]

[Note 87: Tourtres, ou Pigeons de passage (_Ectopistes migratoria_,
AUDUBON).]

         Le 15 dudit mois fismes 12 lieues. Costoyans la coste nous
         apperçeusmes une fumée sur le rivage de la mer, dont nous
         approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne vismes aucun
         sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuys. Le
         soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous
         loger icelle nuict, à cause que la coste estoit platte, &
         sablonneuse. Mettant le cap au su pour nous esloigner, afin de
         mouiller l'ancre, ayant fait environ deux lieues nous
         apperçeusmes un cap [88] à la grande terre au su quart du suest
         de nous, où il pouvoit avoir quelque six lieues: à l'est deux
         lieues apperçeusmes trois ou quatre isles assez hautes[89], & à
         l'ouest un grand cu de sac[90]. La coste de ce cul de sac toute
         rengée jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu où
57/205   nous estions environ quatre lieues: il en a deux de large nort
         & su[91] & trois en son entrée: Et ne recognoissant aucun lieu
         propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap cy
         dessus à petites voilles une partie de la nuict, & en
         aprochasmes à 16 brasses d'eaue où nous mouillasmes l'ancre
         attendant le poinct du jour.

[Note 88: Le cap Anne.]

[Note 89: Les îles appelées _Isles of Shoals_ (îles de Battures.) «Ces
îles constituent le groupe auquel le célèbre capitaine John Smith donna
son propre nom; mais l'ingratitude de l'homme a refusé à sa mémoire ce
faible honneur.» _(Dict. of Am.)_]

[Note 90: On voit, par ce qui suit, que ce grand cul-de-sac désigne
évidemment la grande baie que forme la côte au nord du cap Anne. C'est
ce même cul-de-sac que l'auteur appelle ailleurs baie Longue. Les cartes
modernes ne lui assignent aucun nom particulier.]

[Note 91: A rigoureusement parler, la largeur de cette baie n'est pas
dans le sens nord et sud; mais il est évident que l'auteur ne prétend
point en donner ici une description mathématique, puisqu'il ne la décrit
que de loin et selon l'apparence qu'elle présente à la distance de
plusieurs lieues.]

         Le lendemain nous fusmes au susdict cap, où il y a trois isles
         proches de la grand terre, pleines de bois de diferentes
         sortes, comme à Chouacoet & par toute la coste: & une autre
         platte, où la mer brise, qui jette un peu plus à la mer que les
         autres, où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux
         isles [92], proche duquel apperçeusmes un canau, où il y avoit
         5 ou 6 sauvages, qui vindrent à nous, lesquels estans prés de
         nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Le sieur de
         Mons m'envoya à terre pour les veoir, & leur donner à chacun un
         cousteau & du biscuit, ce qui fut cause qu'ils redanserent
         mieux qu'auparavant. Cela fait je leur fis entendre le mieux
         qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la
         coste. Apres leur avoir dépeint avec un charbon la baye [93] &
         le cap aux isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le
58/206   mesme creon, une autre baye [94] qu'ils representoient fort
         grande, où ils mirent six cailloux d'esgalle distance, me
         donnant par là à entendre que chacune des marques estoit autant
         de chefs & peuplades [95]: puis figurèrent dedans ladicte baye
         une riviere que nous avions passée [96], qui s'estent fort
         loing, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des
         vignes en quantité, dont le verjust estoit un peu plus gros que
         des poix, & force noyers, où les noix n'estoient pas plus
         grosses que des balles d'arquebuse. Ces sauvages nous dirent,
         que tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient &
         ensemensoient la terre, comme les autres qu'avions veu
         auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez, & quelque
         minutes [97] de latitude. Ayant fait demie lieue nous
         apperçeusmes plusieurs sauvages sur la pointe d'un rocher, qui
         couroient le long de la coste, en dansant, vers leurs
         compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayant
         monstré le quartier de leur demeure, ils firent signal de
         fumées pour nous monstrer l'endroit de leur habitation. Nous
59/207   fusmes mouiller l'ancre proche d'un petit islet, où l'on envoya
         nostre canau pour porter quelques cousteaux & gallettes aux
         sauvages; & apperçeusmes à la quantité qu'ils estoient que ces
         lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus.
         Après avoir arresté quelques deux heures pour considerer ces
         peuples, qui ont leurs canaux faicts d'escorce de boulleau,
         comme les Canadiens, Souriquois & Etechemins, nous levasmes
         l'ancre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes à la
         voille. Poursuivant nostre routte à l'ouest surouest, nous y
         vismes plusieurs isles à l'un & l'autre bort. Ayant fait 7 à 8
         lieues nous mouillasmes l'ancre proche d'une isle où
         apperçeusmes force fumées tout le long de la coste, & beaucoup
         de sauvages qui accouroient pour nous voir. Le sieur de Mons
         envoya deux ou trois hommes vers eux dedans un canau, ausquels
         il bailla des cousteaux & patenostres pour leur presenter, dont
         ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement.
         Nous ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous
         n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a
         quantité de terre deffrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays
         est fort plaisant & aggreable: neantmoins il ne laisse d'y
         avoir force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux
         faicts tout d'une pièce, fort subjets à tourner, si on n'est
         bien adroit à les gouverner: & n'en avions point encore veu de
         ceste façon. Voicy comme ils les font. Apres avoir eu beaucoup
         de peine, & esté long temps à abbatre un arbre le plus gros &
         le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre
60/208   (car ils n'en ont point d'autres, si ce n'est que quelques uns
         d'eux en recouvrent par le moyen des sauvages de la coste
         d'Accadie, ausquels on en porte pour traicter de peleterie) ils
         ostent l'escorce & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils
         mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce: & prennent
         quelques fois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent
         aussi dessus: & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent
         avec un peu d'eau, non pas du tout, mais de peur que le bord du
         canau ne brusle. Estant assez creux à leur fantasie, ils le
         raclent de toutes parts avec des pierres, dont ils se servent
         au lieu de cousteaux. Les cailloux dequoy ils font leurs
         trenchans sont semblables à nos pierres à fusil.

[Note 92: Les Anglais lui ont donné le nom de la reine Anne.]

[Note 93: La baie dont l'auteur vient de parler, c'est-à-dire, la baie
Longue.]

[Note 94: La baie de Massachusets, au fond de laquelle est la baie de
Boston. En comparant le récit des auteurs anglais sur les sauvages
appelés Massachusets, avec ce que Champlain et les français de son temps
disent des Almouchiquois, on demeure convaincu que les uns et les autres
ont désigné par ces deux mots, en apparence si différents, une seule et
même nation, ou qu'ils ont étendu ce nom à toutes les tribus qui
faisaient cause commune avec ces sauvages contre les nations des côtes
d'Acadie. «Les Massachusets, dit Gookin, demeuraient principalement vers
cet endroit de la baie de Massachusets, où les Anglais sont maintenant
établis. Ils formaient un peuple grand et nombreux. Leur principal chef
avait autorité sur plusieurs capitaines subalternes... Cette nation
pouvait autrefois mettre sur pied environ trois mille hommes de guerre,
au rapport des vieux sauvages.» _(Collect. of the Mass. Hist. Soc._,
première série, vol. I.) Suivant le même auteur, les Massachusets
avaient pour alliés les Patoukets, qui demeuraient plus au nord. D'où
l'on voit que les peuples qui habitaient la plus grande partie des côtes
de la Nouvelle-Angleterre, étaient les Massachusets et leurs alliés. Or
ce sont précisément ces mêmes nations que les voyageurs français
comprenaient sous le nom d'Almouchiquois. Ce qu'il y a de certain, c'est
que les Français appelaient Almouchiquois plusieurs peuples ou tribus
que les Anglais comprenaient sous le nom de Massachusets, et, quelle que
soit la vraie signification de ces deux mots, on ne peut nier qu'ils
n'aient entre eux un certain air de parenté (_al-moussicoua-set_).]

[Note 95: C'étaient, d'après Gookin, les chefs de Weechagaskas, de
Neponsitt, de Punkapaog, de Nonantum, de Nashaway, et d'une partie des
Nipmucks, suivant le rapport des anciens.]

[Note 96: Le Merrimack.]

[Note 97: La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.]

         Le lendemain 17 dudict mois levasmes l'ancre pour aller à un
         cap, que nous avions veu le jour précèdent, qui nous demeuroit
         comme au su surouest[98]. Ce jour ne peusmes faire que 5
         lieues, & passames par quelques isles remplies de bois. Je
         recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les sauvages
         au cap des isles. Poursuivant nostre route il en vint à nous
         grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la
         terre ferme. Nous fusmes ancrer à une lieue du cap, qu'avons
         nommé S. Loys[99], où nous apperçeusmes plusieurs fumées: y
         voulant aller nostre barque eschoua sur une roche, où nous
         fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement
         remédié, elle eut bouleversé dans la mer, qui perdoit tout à
         l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau: mais Dieu nous
61/209   preserva, & fusmes mouiller l'ancre proche du susdict cap, où
         il vint quinze ou seize canaux de sauvages, & en tel y en avoit
         15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de
         resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que
         nous n'entendions nullement. Le sieur de Mons envoya trois ou
         quatre hommes à terre dans nostre canau, tant pour avoir de
         l'eau, que pour voir leur chef nommé Honabetha, qui eut
         quelques cousteaux, & autres jolivetés, que le sieur de Mons
         luy donna, lequel nous vint voir jusques en nostre bort, avec
         nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive,
         que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, &
         luy fit-on bonne chère: & y ayant esté quelque espace de
         temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoyés devers
         eux, nous apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du
         poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui
         sont tresbonnes; & du pourpié[100], qui vient en quantité parmy
         le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de
         mauvaises herbes. Nous vismes en ce lieu grande quantité de
         petites maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement
         leur bled d'Inde.

[Note 98: Ce cap, appelé plus loin cap Saint-Louis, leur «demeurait
comme au sud-sud-ouest» dans la journée du 16.]

[Note 99: La pointe Brandt. On ne la désigne ordinairement que comme
pointe, parce que, suivant l'expression même de Champlain, c'est «une
terre médiocrement basse.»]

[Note 100: _Portulaca oleracea_. «Ce pourpier,» dit Miller (Dict. des
Jardiniers), «croît naturellement en Amérique et dans les parties les
plus chaudes du globe.» Il est assez probable que cette plante se sera
propagée jusqu'à cette latitude avec la culture du tabac.]

         Plus y a en icelle baye [101] une riviere qui est fort
         spatieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas [102], qui,
         à mon jugement, va rendre vers les Yroquois, nation qui a
         guerre ouverte avec les montaignars qui sont en la grande
         riviere S. Lorans.

[Note 101: Dans la baie de Boston.]

[Note 102: Du nom de M. de Monts, Pierre Du Gas. C'est probablement la
rivière Charles; mais elle vient du sud-ouest, plutôt que du côté des
Iroquois.]


62/210
         _Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
         & de ce qu'y avons remarqué de particulier._

                              CHAPITRE VIII.

         Le lendemain doublasmes le cap S. Louys, ainsi nommé par le
         sieur de Mons, terre médiocrement basse, soubs la hauteur de 42
         degrez 3 quarts de latitude[103]; & fismes ce jour deux lieues
         de coste sablonneuse, & passant le long d'icelle, nous y vismes
         quantité de cabannes & jardinages. Le vent nous estans
         contraire, nous entrasmes dedans un petit cu de sac, pour
         attendre le temps propre à faire nostre routte. Il vint à nous
         2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche de morue, & autres
         poissons, qui sont là en quantité, qu'ils peschent avec des
         aims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os
         qu'ils forment en façon de harpon, & lient fort proprement, de
         peur qu'il ne sorte: le tout estant en forme d'un petit
         crochet: la corde qui y est attachée est d'escorce d'arbre. Ils
         m'en donnèrent un, que je prins par curiosité, où l'os estoit
         attaché de chanvre, à mon opinion, comme celuy de France, & me
         dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la
         cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds.
         Ledict canau s'en retourna à terre avertir ceux de son
         habitation, qui nous firent des fumées, & apperçeusmes 18 ou 20
         sauvages, qui vindrent sur le bort de la coste, & se mirent à
         danser. Nostre canau fut à terre pour leur donner quelques
63/211   bagatelles, dont ils furent fort contens. Il en vint aucuns
         devers nous qui nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous
         levasmes l'ancre pour ce faire, mais nous n'y peusmes entrer à
         cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de basse mer, &
         fusmes contraincts de mouiller l'ancre à l'entrée d'icelle. Je
         descendis à terre, où j'en vis quantité d'autres qui nous
         reçeurent fort gratieusement: & fus recognoistre la riviere, où
         n'y vey autre chose qu'un bras d'eau qui s'estant quelque peu
         dans les terres, qui sont en partie desertées; dedans lequel il
         n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter basteaux, sinon de
         pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit. En l'une
         des entrées duquel y a une manière d'icelle couverte de bois, &
         principalement de pins, qui tient d'un costé à des dunes de
         sable, qui sont assez longues: l'autre costé est une terre
         assez haute. Il y a deux islets dans ladicte baye, qu'on ne
         voit point si l'on n'est dedans, où autour la mer asseche
         presque toute de basse mer. Ce lieu est fort remarquable de la
         mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de
         l'entrée de la baye, qu'avons nommé, le port du cap sainct
         Louys[104], distant dudict cap deux lieues, & dix du cap aux
         isles. Il est environ par la hauteur du cap S. Louys.

[Note 103: La latitude de la pointe Brandt est d'environ 42° 6'.]

[Note 104: Ce port Saint-Louis est précisément le lieu où abordaient,
quinze ans plus tard, les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre, appelés
les Pèlerins (Pilgrim Fathers). Ils lui donnèrent le nom de Plymouth, en
mémoire de la ville d'où ils étaient partis pour l'Amérique. (_Holme's
Annals, an. 1620._)]


211a

[Illustration: Port St-Louis]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Monstre le lieu où posent les vaisseaux.
B L'achenal.
C Deux Isles.
D Dunes de sable
E Basses.
F Cabannes où les sauvages labourent la terre.
G Le lieu où nous fusmes eschouer nostre barque.
H Une manière d'isle remplie de bois tenant aux dunes de sable.
I Promontoire assez haut qui paroist de 4 à 5 lieux à la mer.


         Le 19 du mois nous partismes de ce lieu. Rengeant la coste
         comme au su, nous fismes 4 à 5 lieues, & passames proche d'un
         rocher qui est à fleur d'eau. Continuant nostre route nous
64/212   apperçeusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans
         plus prés nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous
         demeuroit au nord nordouest, qui estoit le cap d'une grande
         baye contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous
         engouffrasmes tellement, qu'il nous falut mettre à l'autre bort
         pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap
         blanc[105], pour ce que c'estoient sables & dunes, qui
         paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu:
         car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettés à la
         coste. Cette baye est fort seine, pourveu qu'on n'approche la
         terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers
         que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui
         entre assez avant dans les terres, que nommasmes saincte
         suzanne du cap blanc [106], d'où jusques au cap S. Louis y a
         dix lieues de traverse. Le cap blanc est une pointe de sable
         qui va en tournoyant vers le su quelque six lieues. Ceste coste
         est assez haute eslevée de sables, qui sont fort remarquables
         venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de 15 ou 18
         lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau jusques à ce
         qu'on vienne à 10 brasses en approchant de la terre, qui est
         très seine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur
         le bort de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont
         fort aggreables & plaisans à voir. Nous mouillasmes l'ancre à
65/213   la coste, & vismes quelques sauvages, vers lesquels furent
         quatre de nos gens, qui cheminant sur une dune de sable,
         advisèrent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout
         à l'entour. Estans environ une lieue & demye de nous, il vint à
         eux tout dansant (à ce qu'ils nous ont raporté) un sauvage qui
         estoit descendu de la haute coste, lequel s'en retourna peu
         après donner advis de nostre venue à ceux de son habitation.

[Note 105: Sans aucun doute, l'auteur n'avait pas eu connaissance du
voyage du capitaine Gosnold, qui, un peu plus de deux ans auparavant,
s'était comme lui engouffré dans la même baie, et qui avait, dès 1602,
donné à ce cap le nom de cap Cod, parce qu'on y avait pris grande
quantité de morue (cod).]

[Note 106: Ce que l'auteur appelle la rivière de Sainte-Suzanne du cap
Blanc, est probablement la baie de Wellfleet, à l'entrée de laquelle se
trouve la batture de Billingsgate.]

         Le lendemain 20 du mois fusmes en ce lieu que nos gens avoient
         aperçeu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause
         des basses & bancs, où nous voiyons briser de toutes parts. Il
         estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y
         avoit que quatre pieds d'eau par la passée du nort; de haute
         mer il y a deux brasses. Comme nous fusmes dedans nous vismes
         ce lieu assez spatieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de
         circuit, tout entouré de maisonnettes, à l'entour desquelles
         chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa
         nourriture. Il y descend une petite riviere, qui est assez
         belle, où de basse mer y a quelque trois pieds & demy d'eau. Il
         y a deux ou trois ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est
         tresbeau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, &
         trouvé 42 degrez de latitude & 18 degrez 40 minuttes de
         declinaison[107] de la guide-aymant. Il vint à nous quantité de
         sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes
         parts en dansant. Nous avons nommé ce lieu le port de
         Mallebarre[108].

[Note 107: La déclinaison aujourd'hui n'y est que de 7° environ.]

[Note 108: Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41°
50'.]

66/214   Le lendemain 21 du mois le sieur de Mons prit resolution
         d'aller voir leur habitation, & l'accompaignasmes neuf ou dix
         avec nos armes: le reste demeura pour garder la barque. Nous
         fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que
         d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé
         de bled d'Inde à la façon que nous avons dit cy dessus. Le bled
         estoit en fleur de la hauteur de 5 pieds & demy. Il y en avoit
         d'autre moins avancé qu'ils sement plus tart. Nous vismes force
         febves du Bresil, & force citrouilles de plusieurs grosseurs,
         bonnes à manger, du petun & des racines, qu'ils cultivent,
         lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de
         chesnes noyers & de tresbeaux cyprès, qui sont rougeastres &
         ont fort bonne odeur [109]. Il y avoit aussi plusieurs champs
         qui n'estoient point cultivez: d'autant qu'ils laissent reposer
         les terres. Quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans
         les herbes, & puis labourent avec leurs bêches de bois. Leurs
         cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes, faictes de
         roseaux, & par enhaut il y a au milieu environ un pied & demy
         de descouvert, par où sort la fumée du feu qu'ils y font. Nous
         leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrestée en ce
         lieu, & s'il y negeoit beaucoup; ce que ne peusmes bien
         sçavoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y
         efforçassent par signe, en prenant du sable en leur main, puis
         l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de
         nos rabats, & qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un
67/215   pied: & d'autres nous monstroient moins, nous donnant aussi à
         entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes
         sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je tiens neantmoins
         que le pays est tempéré, & que l'yver ny est pas rude. Pendant
         le temps que nous y fusmes, il fit une tourmente de vent de
         nordest, qui dura 4 jours, avec le temps si couvert que le
         soleil n'aparoissoit presque point. Il y faisoit fort froid: ce
         qui nous fit prendre nos cappots, que nous avions delaissez du
         tout: neantmoins je croy que c'estoit par accident, comme l'on
         void souvent arriver en d'autres lieux hors de saison.

[Note 109: La couleur rougeâtre et l'odeur de l'arbre mentionné en cet
endroit, font voir que l'auteur parle du cèdre rouge (_juniperus
virginiana_). C'est une nouvelle preuve que ce qu'il appelle cyprès dans
son voyage de 1603, n'est rien autre chose que notre cèdre ordinaire
_(thuja)_.]


         Le 23 dudict mois de Juillet, quatre ou cinq mariniers estans
         allés à terre avec quelques chaudières, pour quérir de l'eau
         douce, qui estoit dedans des dunes de sable, un peu esloignée
         de nostre barque, quelques sauvages desirans en avoir aucunes,
         espierent l'heure que nos gens y alloyent, & en prirent une de
         force entre les mains d'un matelot, qui avoit puisé le premier,
         lequel n'avoit nulles armes: Un de ses compagnons voulant
         courir après, s'en revint tout court, pour ne l'avoir peu
         atteindre, d'autant qu'il estoit plus viste à la cource que
         luy. Les autres sauvages voyans que nos matelos accouroient à
         nostre barque en nous criant que nous tirassions quelques coups
         de mousquets sur eux, qui estoient en grand nombre, ils se
         mirent à fuir. Pour lors y en avoit quelques uns dans nostre
         barque qui se jetterent à la mer, & n'en peusmes saisir qu'un.
         Ceux en terre qui s'en estoient fuis les appercevant nager,
68/216   retournèrent droit au matelot [110] à qui ils avoient osté la
         chaudière, & luy tirèrent plusieurs coups de flèches par
         derrière & l'abbatirent, ce que voyant ils coururent aussitost
         sur luy & l'acheverent à coups de cousteau. Cependant on fit
         diligence d'aller à terre, & tira on des coups d'arquebuse de
         nostre barque, dont la mienne creva entre mes mains & me pença
         perdre. Les sauvages oyans cette escopeterie se remirent à la
         fuite, qu'ils doublèrent quand ils virent que nous estions à
         terre: d'autant qu'ils avoient peur nous voyans courir après
         eux. Il n'y avoit point d'apparence de les attraper: car ils
         sont vistes comme des chevaux. L'on apporta le mort qui fut
         enterré quelques heures après: Cependant nous tenions tousjours
         le prisonnier attaché par les pieds & par les mains au bort de
         nostre barque, creignant qu'il ne s'enfuist. Le Sieur de Mons
         se resolut de le laisser aller, se persuadant qu'il n'y avoit
         point de sa faute, & qu'il ne sçavoit rien de ce qui s'estoit
         passé, ny mesme ceux qui estoient pour lors dedans & autour de
         nostre barque. Quelques heures après il vint des sauvages vers
         nous, faisant des excuses par signes & demonstrations, que ce
         n'estoit pas eux qui avoient fait ceste meschanceté, mais
         d'autres plus esloignez dans les terres. On ne leur voulut
         point faire de mal, bien qu'il fut en nostre puissance de nous
         venger.

[Note 110: C'était, suivant Lescarbot, un charpentier malouin. (Liv. IV,
ch. VII.)]

         Tous ces sauvages depuis le cap des isles ne portent point de
         robbes, ny de fourrures, que fort rarement, encore les robbes
         sont faites d'herbes & de chanvre, qui à peine leur couvrent le
         corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la
69/217   nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur
         descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière; tout le
         reste du corps est nud. Lors que les femmes nous venoient voir,
         elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes
         se coupent le poil dessus la teste comme ceux de la riviere de
         Chouacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez
         proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par
         dessus de petites patenôtres de porceline: une partie de ses
         cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entrelassé de
         diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge,
         noir, & jaune. Ils n'ont presque point de barbe, & se
         l'arrachent à mesure qu'elle croist. Ils sont bien
         proportionnez de leurs corps. Je ne sçay quelle loy ils
         tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent à leurs voisins,
         qui n'en ont point du tout. Ils ne sçavent qu'adorer ny prier.
         Ils ont bien quelques superstitions comme les autres, que je
         descriray en leur lieu. Pour armes, ils n'ont que des picques,
         massues, arcs & flèches. Il semble à les voir qu'ils soient de
         bon naturel, & meilleurs que ceux du nort: mais tous à bien
         parler ne vallent pas grande chose. Si peu de fréquentation que
         l'on ait avec eux, les fait incontinent cognoistre. Ils sont
         grands larrons; & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils
         y taschent avec les pieds, comme nous l'avons esprouvé
         souventefois. J'estime que s'ils avoient dequoy eschanger avec
         nous, qu'ils ne s'adonneroient au larrecin. Ils nous troquèrent
         leurs arcs, flèches & carquois, pour des espingles & des
         boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur ils en
70/218   eussent fait autant. Il se faut donner garde de ces peuples, &
         vivre en mesfiance avec eux toutefois sans leur faire
         apperçevoir. Ils nous donnèrent quantité de petum, qu'ils font
         secher, & puis le reduisent en poudre[111]. Quand ils mangent
         le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre
         qu'ils font d'autre manière que nous [112]. Ils le pilent aussi
         dans des mortiers de bois & le reduisent en farine, puis en
         font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du Pérou.

[Note 111: Il n'y a aucun doute que les Almouchiquois préparaient leur
tabac, ou petun, comme les sauvages du Canada, c'est-à-dire, qu'après
l'avoir fait sécher, comme, dit Champlain, ils le broyaient assez menu
pour pouvoir en charger commodément leurs pipes ou petunoirs, mais non
pas si fin que le tabac râpé. C'est ce que prouvent du reste les
intéressantes découvertes que vient de faire monsieur J. C. Taché. Le
riche musée d'antiquités huronnes que l'université Laval doit à la
générosité de cet infatigable antiquaire, renferme des échantillons
parfaitement conservés de pipes qui ont été trouvées encore toutes
chargées de leur tabac, et par lesquelles on peut constater que cette
espèce de poudre que les sauvages mettaient dans leurs calumets n'était
guère plus fine que notre tabac haché.]

[Note 112: Ces vases de terre n'étaient point faits au tour, comme les
poteries européennes, ni cuits au four, mais à feu libre. Voici, d'après
Sagard, comment les femmes huronnes, et sans doute aussi les femmes
almouchiquoises, s'y prenaient pour fabriquer leur poterie: «Elles ont
l'industrie de faire de bons pots de terre, qu'elles cuisent dans leur
foyer fort proprement, & sont si forts qu'ils ne se cassent point au feu
sans eau comme les nostres, mais ils ne peuvent aussi souffrir longtemps
l'humidité ny l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & ne se cassent au
moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent beaucoup. Les
Sauvagesses les font prenans de la terre propre, laquelle elles
nettoyent & petrissent très bien entre leurs mains, & y mestent, je ne
sçay par quelle science, un peu de grais pillé parmy; puis la masse
estant réduite comme une boulle, elles y font un trou au milieu avec le
poing, qu'elles agrandisent tousjours en frappant par dehors avec une
petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour
les parfaire: ces pots sont de diverses grandeurs, sans pieds & sans
ances, & tous ronds comme une boulle, excepté la gueulle qui sort un peu
dehors.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. XIII.) L'université Laval doit
encore au même monsieur J. C. Taché le plus bel échantillon que l'on
connaisse de cette ancienne poterie huronne.]


218a

[Illustration: Malle Baiye]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Les deux entrées du port.
B Dunes de sable où les sauvages tuèrent un Matelot de la barque du
  sieur de Mons.
C Les lieux où fut la barque du sieur de Mons audit port.
D Fontaine sur le bort du port.
E Une riviere descendant audit port.
F Ruisseau.
G Petite riviere où on prend cantité de poisson.
H Dunes de sable où il y a un petit bois & force vignes.
I Isle à la pointe des dunes.
L Les maisons & habitations des sauvages qui cultivent la terre.
M Basses & bancs de sable tant à l'entrée que dedans ledit port.
O Dunes de sable.
P La coste de la mer.
q La barque du sieur de Poitrincourt quand il y fut deux aprés le sieur
  de Mons.
R Dessente des gens du sieur de Poitrincourt.


         En ce lieu, & en toute la coste, depuis Quinibequi, il y a
         quantité de figuenocs[113], qui est un poisson portant une
71/219   escaille sur le dos, comme la tortue: mais diferente pourtant;
         laquelle a au milieu une rangée de petits piquants de couleur
         de fueille morte, ainsi que le reste du poisson: Au bout de
         laquelle escaille il y en a une autre plus petite, qui est
         bordée d'esguillons fort piquans. La queue est longue selon
         qu'ils sont grands ou petits du bout de laquelle ces peuples
         ferrent leurs flèches, ayant aussi une rangée d'esguillons
         comme la grande escaille sur laquelle sont les yeux. Il a huict
         petits pieds comme ceux d'un cancre, & derrière deux plus longs
         & plats, desquels il se sert à nager. Il en a aussi deux autres
         fort petits devant, avec quoy il mange: quand il chemine ils
         sont tous cachez, excepté les deux de derrière qui paroissent
         un peu. Soubs la petite escaille il y a des membranes qui
         s'enflent, & ont un battement comme la gorge des grenouilles, &
         sont les unes sur les autres en façon des facettes d'un
         pourpoint. Le plus grand que j'aye veu, a un pied de large, &
         pied & demy de long.

[Note 113. C'est le Limule Polyphène (_limulus poltphemus_, LAMARCK). La
femelle, qui est plus grande que le mâle, a ordinairement une vingtaine
de pouces de longueur, et un peu moins de dix pouces de large. «Cette
espèce, commune dans nos parages», dit M. James-E. De Kay (_New-York
Fauna_), «est connue ici sous le nom vulgaire de pied-de-cheval
(horse-foot), à cause de sa forme, et retient encore dans quelques
districts le nom de king-crab que lui donnaient les premiers colons
anglais.» Jean de Laët fait aussi de ce singulier crustacé, une
description détaillée et accompagnée d'une figure.]

         Nous vismes aussi un oiseau marin [114] qui a le bec noir, le
         haut un peu aquilin, & long de quatre poulces, fait en forme de
         lancette, sçavoir la partie inférieure representant le manche &
         la superieure la lame qui est tenue, trenchante des deux costez
         & plus courte d'un tiers que l'autre, qui donne de
         l'estonnement à beaucoup de personnes, qui ne peuvent
72/220   comprendre comme il est possible que cet oiseau puisse manger
         avec un tel bec[115]. Il est de la grosseur d'un pigeon, les
         ailles fort longues à proportion du corps, la queue courte &
         les jambes aussi, qui sont rouges, les pieds petits & plats: Le
         plumage par dessus est gris brun, & par dessous fort blanc. Il
         va tousjours en troupe sur le rivage de la mer, comme font les
         pigeons pardeçà.

[Note 114: Le Bec-en-ciseaux ou Coupeur-d'eau _(rhynchops nigra_,
LATHAM). La singularité de ses habitudes et l'étrange conformation de
son bec, lui ont valu différents noms populaires surtout chez les
navigateurs anglais, comme ceux de _cutwater, shearwater, razorbill,
black skimmer, flood gull, skippang_ et autres. Il a le bec noir à
l'extrémité, et tirant sur le rouge près de la tête. Cependant l'on
rencontre des individus qui ont le bec entièrement noir, comme celui
dont parle ici l'auteur; mais ce n'est probablement qu'une variété
d'âge. Il se trouve principalement sur les rivages de la Caroline du
Sud, et du Texas, et quelquefois par volées immenses.]

[Note 115: Avec un bec en apparence si incommode, cet oiseau sait fort
bien trouver sa vie. Quand il veut pêcher, il rase lentement la surface
de la mer, et, coupant l'eau avec la partie inférieure de son bec, il
saisit en dessous le poisson, qui fait sa nourriture habituelle.]

         Les sauvages en toutes ces costes où nous avons esté, disent
         qu'il vient d'autres oiseaux quand leur bled est à maturité,
         qui sont fort gros; & nous contrefaisoient leur chant semblable
         à celuy du cocq d'Inde. Ils nous en montrèrent des plumes en
         plusieurs lieux, dequoy ils empannent leurs flèches & en
         mettent sur leurs testes pour parade, & aussi une manière de
         poil qu'ils ont soubs la gorge, comme ceux qu'avons en France:
         & disent qu'ils leur tumbe une creste rouge sur le bec. Ils
         nous les figurèrent aussi gros qu'une outarde, qui est une
         espece d'oye; ayant le col plus long & deux fois plus gros que
         celles de pardeça. Toutes ces demonstrations nous firent juger
         que c'estoient cocqs d'Inde. Nous eussions bien desiré voir de
         ces oiseaux, aussi bien que de la plume, pour plus grande
         certitude. Auparavant que j'eusse veu les plumes & le petit
         boquet de poil qu'ils ont soubs la gorge; & que j'eusse oy
         contrefaire leur chant, je croiyois que ce fussent de certains
         oiseaux [116], qui se trouvent en quelques endroits du Perou en
73/221   forme de cocqs d'Inde, le long du rivage de la mer, mangeans
         les charongnes autres choses mortes, comme font les corbeaux:
         mais ils ne sont pas si gros, & n'ont pas la barbe si longue,
         ny le chant semblable aux vrais coqs d'Inde, & ne sont pas bons
         à manger comme sont ceux que les sauvages disent qui viennent
         en troupe en esté; & au commencement de l'yver s'en vont aux
         pays plus chauts, où est leur demeure naturelle.

[Note 116: L'oiseau dont parle ici Champlain, est vraisemblablement
l'Aura (_vultur aura_, LINNÉE), appelé Ouroua par les Brésiliens, et
Suyuntu par les Péruviens, «se nourrissant plutôt de chair morte et de
vidanges, que de chair vivante», suivant Buffon.]



         _Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois._

                               CHAPITRE IX.

         Ayant demeuré plus de cinq sepmaines à eslever trois degrez
         de latitude, nous ne peusmes estre plus de six sepmaines en
         nostre voyage; car nous n'avions porté des vivres que pour ce
         temps là. Et aussi ne pouvans passer à cause des brumes &
         tempestes que jusques à Mallebarre, où fusmes quelques jours
         attendans le temps propre pour sortir, & nous voyans pressez
         par la necessité des vivres, le sieur de Mons délibéra de s'en
         retourner à l'isle de saincte Croix, afin de trouver autre lieu
         plus propre pour nostre habitation: ce que ne peusmes faire en
         toutes les costes que nous descouvrismes en ce voyage.

         Et partismes de ce port, pour voir ailleurs, le 25 du mois de
         Juillet, où au sortir courusmes risque de nous pardre sur la
         barre qui y est à l'entrée, par la faute de nos pilottes
         appelez Cramolet & Champdoré [117] Maistres de la barque, qui
74/222   avoient mal ballizé l'entrée de l'achenal du costé du su, par
         où nous devions passer. Ayans evité ce péril nous mismes le cap
         au nordest six lieues jusques au cap blanc: & de là jusques au
         cap des isles continuant 15 lieues au mesme vent: puis misme le
         cap à l'est nordest 16 lieues jusques à Chouacoet, où nous
         vismes le Capitaine sauvage Marchim, que nous avions esperé
         voir au lac de Quinibequy[118], lequel avoit la réputation
         d'estre l'un des vaillans hommes de son pays: aussi avoit il la
         façon belle, où tous ses gestes paroissoient graves, quelque
         sauvage qu'il fut. Le sieur de Mons luy fit present de beaucoup
         de choses, dont il fut fort satisfait, & en recompense donna un
         jeune garçon Etechemin, qu'il avoit prins en guerre, que nous
         emmenasmes avec nous, & partismes de ce lieu ensemblement bons
         amis, & mismes le cap au nordest quart de l'est 15 lieues,
         jusques à Quinibequy, où nous arrivasmes le 29 du mois, & où
         pensions trouver un sauvage appelé Sasinou, dont j'ay parlé cy
         dessus, que nous attendismes quelque temps, pensant qu'il deust
         venir, afin de retirer de luy un jeune homme & une jeune fille
         Etechemins, qu'il tenoit prisoniers. En l'attendant il vint à
         nous un capitaine appelé Anassou pour nous voir, lequel traicta
         quelque peu de pelleterie, & fismes allience avec luy. Il nous
75/223   dit qu'il y avoit un vaisseau [119] à dix lieues du port, qui
         faisoit pesche de poisson, & que ceux de dedans avoient tué
         cinq sauvages d'icelle riviere, soubs ombre d'amitié: & selon
         la façon qu'il nous despeignoit les gens du vaisseau, nous les
         jugeasmes estre Anglois, & nommasmes l'isle où ils estoient la
         nef: pour ce que de loing elle en avoit le semblance. Voyant
         que ledict Sasinou ne venoit point nous mismes le cap à l'est
         suest 20 lieues jusques à l'isle haute où mouillasmes l'ancre
         attendant le jour.

[Note 117: Pierre Angibaut dit Champdoré. (Lescarbot, Muses de la Nouv.
France, p. 48.)]

[Note 118: Voir ci-dessus p. 49, note 1.]

[Note 119: Les différentes circonstances de ce récit prouvent que le
vaisseau dont parle Anassou, était celui du capitaine Waymouth. 1°
_C'était un vaisseau anglais_, d'après la description qu'en fait le
capitaine sauvage. Or il ne paraît pas qu'il soit venu aux côtes du
Maine, en 1605, d'autre vaisseau anglais que l'_Arkangel, commandé par
George Waymouth. Il est vrai que ce vaisseau était reparti dès le 26 de
juin (nouveau style), c'est-à-dire, depuis plus d'un mois; mais Anassou
pouvait croire qu'il était encore dans ces parages, vu que le capitaine
anglais, avant de reprendre directement la route de l'Angleterre, était
retourné à son havre de la _Pentecôte_, situé en face de l'île de
Monahigan. Il est possible, en outre, qu'Anassou n'ait pas dit autre
chose sinon que les Anglais s'étaient retirés à cette île, et que les
Français aient compris qu'ils y étaient encore. 2° _A dix lieues du
port_. Précisément à dix lieues du port ou était mouillée la barque de
M. de Monts, se trouve cette île remarquable, appelée Monahigan, qui est
celle où, suivant les critiques anglais, a dû mouiller l'_Arkangel_ à
son arrivée, et non loin de laquelle Waymouth jeta l'ancre encore avant
que de repartir; c'est cette île que Champlain appelle la Nef. 3° _Qui
faisait pêche de poisson_. Quoique ce ne fut pas là le but principal du
voyage de Waymouth, l'équipage employa effectivement une bonne partie du
temps à faire la pêche soit à la ligne, soit à la seine. 4° _Que ceux de
dedans avaient tué cinq sauvages_. Le capitaine Waymouth, ayant de
bonnes raisons de croire que les sauvages voulaient le surprendre
traîtreusement, résolut de les devancer, et en fit saisir cinq d'entre
eux: Sassacomouet, Maneddo, Skitouarros, Amohouet, et un sagamo du nom
de Tahanedo. Anassou pouvait croire qu'on les avait tués; cependant le
capitaine anglais au contraire les traita si bien, qu'ils parurent
ensuite contents de leur sort. «Quoique, au moment de la surprise, dit
Rosier, ils aient résisté de leur mieux, ne sachant point nos vues, ni
ce que nous étions, ou ce que nous en prétendions faire; cependant, dès
qu'ils virent, par nos bons traitements que nous ne leur voulions point
de mal, ils ne parurent pas depuis mécontents de nous.» (Rap. du voy. de
Waymouth par Rosier, Coll. de la Soc. Hist. de Mass. 3e série, vol.
VIII.) 5° _Sauvages d'icelle rivière_. Ces sauvages étaient donc du
Kénébec. Cette circonstance vient à l'appui de l'ingénieuse dissertation
que M. John McKeen a publiée en 1867, dans le cinquième volume des
Collections de la Société Historique du Maine, et dans laquelle l'auteur
prouve aussi bien qu'il est possible de le faire, suivant nous, que
Waymouth a visité, non pas le Pénobscot, comme le prétend Belknap et
quelques autres auteurs, mais bien le Kénébec. 6° _Sous ombre d'amitié_.
L'intention de Waymouth n'était pas d'abord d'user de ruse ou de
trahison avec ces sauvages. «Ayant trouvé, dit Rosier, que ce lieu
répondait parfaitement au motif de notre voyage de découverte, savoir,
qu'on y pouvait faire un bon établissement, nous traitâmes ces gens avec
toute la bonté qu'il nous fut possible d'imaginer, ou dont nous les
croyions capables.» Cependant, il n'est pas surprenant qu'Anassou et les
autres sauvages aient attribue la conduite des Anglais à un motif qui
leur paraissait assez naturel. Ainsi, le vaisseau dont parle Anassou,
est évidemment celui de George Waymouth.]


         Le lendemain premier d'Aoust nous le mismes à l'est quelque 20
         lieues jusques au cap Corneille [120] où nous passâmes la nuit.
76/224   Le 2 du mois le mettant au nordest 7 lieues vinsmes à l'entrée
         de la riviere S. Croix du costé de l'ouest. Ayant mouillé
         l'ancre entre les deux premières isles, le sieur de Mons
         s'embarqua dans un canau à six lieues de l'habitation S. Croix,
         où le lendemain nous arrivasmes avec nostre barque. Nous y
         trouvasmes le sieur des Antons de sainct Maslo, qui estoit venu
         en l'un des vaisseaux du sieur de Mons, pour apporter des
         vivres, & autres commoditez pour ceux qui devoient yverner en
         ce pays.

[Note 120: La carte de 1612 et les distances données ici par l'auteur,
permettent de croire que ce cap est dans _Cross Island_ (ou _Crow's
Island?_)]



         _L'habitation qui estoit en l'isle de. S. Croix transportée au
         port Royal, & pourquoy._

                                 CHAPITRE X.

         Le sieur de Mons se délibéra de changer de lieu & faire une
         autre habitation pour esviter aux froidures & mauvais yver
         qu'avions eu en l'isle saincte Croix. N'ayant trouvé aucun port
         qui nous fut propre pour lors, & le peu de temps que nous
         avions à nous loger & bastir des maisons à cest effect, nous
         fit équipper deux barques, que l'on chargea de la charpenterie
         des maisons de saincte Croix, pour la porter au port Royal, à
         25 lieues de là, où l'on jugeoit y estre la demeure beaucoup
         plus douce & tempérée. Le Pont & moy partismes pour y aller, où
         estans arrivez cerchasmes un lieu propre pour la situation de
         nostre logement & à l'abry du norouest, que nous redoutions
         pour en avoir esté fort tourmentez.

77/225   Apres avoir bien cerché d'un costé & d'autre, nous n'en
         trouvasmes point de plus propre & mieux scitué qu'en un lieu
         qui est un peu eslevé, autour duquel y a quelques marescages &
         bonnes sources d'eau.

         Ce lieu est devant l'isle qui est à l'entrée de la riviere de
         la Guille[121]: Et au nord de nous comme à une lieue, il y a un
         costau de montagnes, qui dure prés de dix lieues nordest &
         surouest. Tout le pays est rempli de forests tres-espoisses
         ainsi que j'ay dit cy dessus, horsmis une pointe qui est à une
         lieue & demie dans la riviere, où il y a quelques chesnes qui y
         sont fort clairs, & quantité de lambruches, que l'on pourroit
         deserter aisement, & mettre en labourage, neantmoins maigres &
         sablonneuses. Nous fusmes presque en resolution d'y bastir:
         mais nous considerasmes qu'eussions esté trop engouffrez dans
         le port & riviere: ce qui nous fit changer d'advis.

[Note 121: Rivière de l'Equille. «On choisit la demeure,» dit Lescarbot,
«vis-à-vis de l'île qui est à l'entrée de la rivière de l'Equille, dite
aujourd'hui la rivière du Dauphin, laquelle fut appelée _l'Équille_,
parce que le premier poisson qu'on y print fut une Équille.» (Liv. IV,
ch. VIII et ch. III.)]

         Ayant donc recogneu l'assiette de nostre habitation estre
         bonne, on commença à défricher le lieu, qui estoit plein
         d'arbres; & dresser les maisons au plustost qu'il fut possible:
         un chacun s'y employa. Apres que tout fut mis en ordre, & la
         pluspart des logemens faits, le sieur de Mons se délibéra de
         retourner en France pour faire vers sa Majesté qu'il peust
         avoir ce qui seroit de besoin pour son entreprise. Et pour
         commander audit lieu en son absence, il avoit volonté d'y
         laisser le sieur d'Orville: mais la maladie de terre, dont il
         estoit atteint, ne luy peut permettre de pouvoir satisfaire au
         desir dudit sieur de Mons: qui fut occasion d'en parler au
78/226   Pont-gravé, & luy donner ceste charge; ce qu'il eut pour
         aggreable: & fit parachever de bastir ce peu qui restoit en
         l'habitation [122]. Et moy en pareil temps je pris resolution
         d'y demeurer aussi, sur l'esperance que j'avois de faire de
         nouvelles descouvertures vers la Floride: ce que le sieur de
         Mons trouva fort bon.

[Note 122: «A tant, dit Lescarbot, on met la voile au vent, & demeure
ledit sieur du Pont pour lieutenant par delà, lequel ne manque de
promptitude (selon son naturel) à faire & parfaire ce qui estoit requis
pour loger soy & les tiens: qui est tout ce qui se peut faire pour cette
année en ce pais la. Car de s'éloigner du parc durant l'hiver, mêmes
après un si long harassement: il n'y avoit point d'apparence. Et quant
au labourage de la terrer je croy qu'ils n'eurent le temps commode pour
y vacquer: car ledit sieur du Pont n'etoit pas homme pour demeurer en
repos, ni pour laisser ses gens oisifs s'il y eût eu moyen de ce faire.»
(Liv. IV, ch. VIII.)]



         _Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusqu'à
         ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit
         promis, on partist du port Royal pour retourner en France._

                                CHAPITRE XI.

         Aussi tost que ledit sieur de Mons fut party, de 40 ou 45 qui
         resterent, une partie commença à faire des jardins. J'en fis
         aussi un pour éviter oisiveté, entouré de fossez plains d'eau,
         esquels y avoit de fort belles truites que j'y avois mises, &
         où descendoient trois ruisseaux de fort belle eaue courante,
         dont la pluspart de nostre habitation se fournissoit. J'y fis
         une petite escluse contre le bort de la mer, pour escouler
         l'eau quand je voulois. Ce lieu estoit tout environné des
         prairies, où j'accomoday un cabinet avec de beaux arbres, pour
         y aller prendre de la fraischeur. J'y fis aussi un petit
79/227   reservoir pour y mettre du poisson d'eau sallée, que nous
         prenions quand nous en avions besoin. J'y semay quelques
         graines, qui proffiterent bien: & y prenois un singulier
         plaisir: mais auparavant il y avoit bien fallu travailler. Nous
         y allons souvent passer le temps: & sembloit que les petits
         oiseaux d'alentour en eussent du contentement: car ils s'y
         amassoient en quantité, & y faisoient un ramage & gasouillis si
         aggreable, que je ne pense pas jamais en avoir ouy de
         semblable.

         Le plan de l'habitation estoit de 10 toises de long, & 8 de
         large, qui font trentesix de circuit. Du costé de l'orient est
         un magazin de la largeur d'icelle, & une fort belle cave de 5 à
         6 pieds de haut. Du costé du Nord est le logis du sieur de Mons
         eslevé d'assez belle charpenterie [123]. Au tour de la basse
         court sont les logemens des ouvriers. A un coing du costé de
         l'occident y a une platte forme, où on mit quatre pièces de
         canon, & à l'autre coing vers l'orient est une palissade en
         façon de platte forme: comme on peut veoir par la figure
         suivante[124].

[Note 123: C'est le logis qui correspond aux lettres N, N, dans
l'_abitation du port royal_, dont l'auteur nous a conservé une vue.
Autant qu'on peut en juger par le dessin, ce logis devait avoir environ
quarante pieds de long.]

[Note 124: Dans la première édition, la figure de l'habitation était
intercalée dans le texte.]


227a

[Illustration: Habitation du Port Royal]

A Logemens des artisans.
B Plate forme où estoit le canon.
C Le magasin.
D Logement du sieur de Pontgravé & Champlain.
E La forge.
F Palissade de pieux.
G Le four,
H La cuisine.
0 Petite maisonnette où l'on retiroit les utansiles de nos barques;
  que depuis le sieur de Poitrincourt fit rebastir, & y logea le sieur
  Boulay quand le sieur du Pont s'en revint en France.
P (1) La porte de l'abitation.
Q (2) Le cemetiere.
R (3) La riviere.

(1) Cette lettre manque dans le dessin; mais la porte est bien
reconnaissable tant par sa figure que par l'avenue qui y aboutit--(2) K,
dans le dessin--(3) L, dans le dessin.


         Quelques jours après que les bastiments furent achevez, je fus
         à la riviere S. Jean, pour chercher le sauvage appellé
         Secondon, lequel avoit mené les gens de Preverd à la mine de
         cuivre, que j'avois desja esté chercher avec le sieur de Mons,
         quand nous fusmes au port aux mines, & y perdismes nostre
         temps. L'ayant trouvé, je le priay d'y venir avec nous: ce
80/228   qu'il m'accorda fort librement: & nous la vint monstrer. Nous y
         trouvasmes quelques petits morceaux de cuivre de l'espoisseur
         d'un sold; & d'autres plus, enchassez dans des rochers
         grisastres & rouges. Le mineur qui estoit avec nous, appellé
         Maistre Jaques, natif d'Esclavonie, homme bien entendu à la
         recherche des minéraux, fut tout au tour des costaux voir s'il
         trouveroit de la gangue; mais il n'en vid point: Bien trouva
         il à quelques pas d'où nous avions prins les morceaux de cuivre
         susdit, une manière de mine qui en approchoit aucunement. Il
         dit que par l'apparence du terrouer, elle pourroit estre bonne
         si on y travailloit, & qu'il n'estoit croyable que dessus la
         terre il y eut du cuivre pur, sans qu'au fonds il n'y en eut en
         quantité. La vérité est, que si la mer ne couvroit deux fois le
         jour les mines, & qu'elles ne fussent en rochers si durs, on en
         espereroit quelque chose.

         Apres l'avoir recogneue, nous nous en retournasmes à nostre
         habitation, où nous trouvasmes de nos gens malades du mal de la
         terre, mais non si griefvement qu'en l'isle S. Croix, bien que
         de 45 que nous estions il en mourut 12 dont le mineur fut du
         nombre, & cinq malades, qui guérirent le printemps venant.
         Nostre chirurgien appelle des Champs, de Honfleur, homme expert
         en son art, fit ouverture de quelques corps, pour veoir s'il
         recognoistroit mieux la cause des maladies, que n'avoient fait
         ceux de l'année précédente. Il trouva les parties du corps
         offencées comme ceux qui furent ouverts en l'isle S. Croix, &
         ne peut on trouver remède pour les guérir non plus que les
         autres.

81/229   Le 20 Decembre il commença à neger: & passa quelques glaces par
         devant nostre habitation. L'yver ne fut si aspre qu'il avoit
         esté l'année d'auparavant, ny les neges si grandes, ny de si
         longue durée. Il fit entre autres choses un si grand coup de
         vent le 20 de Fevrier 1605 [125] qu'il abbattit une grande
         quantité d'arbres avec leurs racines, & beaucoup qu'il brisa.
         C'estoit chose estrange à veoir. Les pluyes furent assez
         ordinaires, qui fut occasion du peu d'yver, au regard du passé,
         bien que du port Royal à S. Croix, n'y ait que 25 lieues.

[Note 125: Février 1606. C'est peut-être par inadvertance, plutôt que
par un reste de l'ancienne coutume de commencer l'année à Pâques, que
Champlain met ici 1605: car on peut voir plus loin, au chapitre XVI,
que, dès l'année suivante, il compte exactement comme nous.]

         Le premier jour de Mars, Pont-gravé fit accommoder une barque
         du port de 17 à 18 tonneaux, qui fut preste au 15 pour aller
         descouvrir le long de la coste de la Floride.

         Pour cet effect nous partismes le 16 ensuivant, & fusmes
         contraints de relascher à une isle au su de Menasne, & ce jour
         fismes 18 lieues, & mouillasmes l'ancre dans une ance de sable,
         à l'ouvert de la mer, où le vent de su donnoit, qui se renforça
         la nuit d'une telle impetuosité que ne peusmes tenir à l'ancre,
         & fallut par force aller à la coste, à la mercy de Dieu & des
         ondes, qui estoient si furieuses & mauvaises, que comme nous
         appareillions le bourcet sur l'ancre, pour après coupper le
         câble sur l'escubier, il ne nous en donna le loisir car
         aussitost il se rompit sans coup frapper. A la ressaque le vent
         & la mer nous jetterent sur un petit rocher, & n'attendions que
         l'heure de voir briser nostre barque, pour nous sauver sur
82/230   quelques esclats d'icelle, si eussions peu. En ce desespoir il
         vint un coup de mer si grand & favorable, après en avoir receu
         plusieurs autres, qu'il nous fit franchir le rocher, & nous
         jetta en une petite playe de sable, qui nous guarentit pour
         ceste fois de naufrage.

         La barque estant eschouée, l'on commença promptement à
         descharger ce qu'il y avoit dedans, pour voir où elle estoit
         offencée, qui ne fut pas tant que nous croyons. Elle fut
         racoustrée promptement par la diligence de Champdoré Maistre
         d'icelle. Estant bien en estat on la rechargea en attendant le
         beau temps, & que la fureur de la mer s'apaisast, qui ne fut
         qu'au bout de quatre jours, sçavoir le 21 Mars, auquel
         sortismes de ce malheureux lieu, & fusmes au port aux
         Coquilles, à 7 ou 8 lieues de là, qui est à l'entrée de la
         riviere saincte Croix, où y avoit grande quantité de neges.
         Nous y arrestasmes jusques au 29 dudit mois, pour les brumes &
         vents contraires, qui sont ordinaires en ces saisons, que le
         Pont-gravé print resolution de relascher au port Royal, pour
         voir en quel estat estoient nos compagnons, que nous y avions
         laissez malades. Y estans arrivés le Pont fut atteint d'un mal
         de coeur, qui nous fit retarder jusques au 8 d'Avril.

         Et le 9 du mesme mois il s'embarqua, bien qu'il se trouvast
         encores maldisposé, pour le desir qu'il avoit de voir la coste
         de la Floride, & croyant que le changement d'air luy rendroit
         la santé. Ce jour fusmes mouiller l'ancre & passer la nuit à
         l'entrée du port, distant de nostre habitation deux lieues. Le
         lendemain devant le jour Champdoré vint demander au Pont-gravé
83/231   s'il desiroit faire lever l'ancre, lequel luy respondit que
         s'il jugeoit le temps propre, qu'il partist. Sur ce propos
         Champdoré fit à l'instant lever l'ancre & mettre le bourcet au
         vent, qui estoit nort nordest, selon son rapport. Le temps
         estoit fort obscur, pluvieux & plain de brumes, avec plus
         d'aparence de mauvais que de beau temps. Comme l'on vouloit
         sortir de l'emboucheure du port, nous fusmes tout à un coup
         transportez par les marées hors du passage, & fusmes plustost
         sur les rochers du costé de l'est norouest, que nous ne les
         eusmes apperceus. Le Pont & moy qui estions couchez,
         entendismes les matelots s'escrians & disans, Nous sommes
         perdus: ce qui me fit bien tost jetter sur pieds, pour voir ce
         que c'estoit. Du Pont estoit encores malade, qui l'empescha de
         se lever si promptement qu'il desiroit. Je ne fus pas sitost
         sur le tillac, que la barque fut jettée à la coste & le vent se
         trouva nort, qui nous poussoit sur une pointe. Nous
         deffrelasmes la grande voille, que l'on mit au vent, & la
         haussa l'on le plus qu'il fut possible pour nous pousser
         tousjours sur les rochers, de peur que le ressac de la marée,
         qui perdoit de bonne fortune, ne nous attirast dedans, d'où il
         eust esté impossible de nous sauver. Du premier coup que nostre
         barque donna sur les rochers le gouvernail fut rompu, une
         partie de la quille, & trois ou quatre planches enfoncées, avec
         quelques membres brisez, qui nous donna estonnement: car nostre
         barque s'emplit incontinent; & ce que nous peusmes faire, fut
         d'attendre que la mer se retirast de dessoubs, pour mettre pied
         à terre: car autrement nous courions risque de la vie, à cause
84/232   de la houlle qui estoit fort grande & furieuse au tour de nous.
         La mer estant donc retirée nous descendismes à terre par le
         temps qu'il faisoit, où promptement on deschargea la barque de
         ce qu'il y avoit, & sauvasmes une bonne partie des commoditez
         qui y estoient, à l'aide du Capitaine sauvage Secondon, & de
         ses compagnons, qui vindrent à nous avec leurs canots, pour
         reporter en nostre habitation ce que nous avions sauvé de
         nostre barque, laquelle toute fracassée s'en alla au retour de
         la mer en plusieurs pièces: & nous bien heureux d'avoir la vie
         sauve retournasmes en nostre habitation avec nos pauvres
         sauvages, qui y demeurèrent presque une bonne partie de l'yver,
         où nous louasmes Dieu de nous avoir preservez de ce naufrage,
         dont n'esperions sortir à si bon marché.

         La perte de nostre barque nous fit un grand desplaisir, pour
         nous voir, à faute de vaisseau, hors d'esperance de parfaire le
         voyage que nous avions entreprins, & de n'en pouvoir fabriquer
         un autre, car le temps nous pressoit, bien qu'il y eust encore
         une barque sur les chantiers: mais elle eut esté trop long
         temps à mettre en estat, & ne nous en eussions peu servir qu'au
         retour des vaisseaux de France, qu'attendions de jour en autre.

         Ce fut une grande disgrace, & faute de prevoyance au Maistre,
         qui estoit opiniastre & peu entendu au fait de la marine, qui
         ne croioit que sa teste. Il estoit bon Charpentier, adroit à
         fabriquer des vaisseaux, & soigneux de les accommoder de choses
         necessaires: mais il n'estoit nullement propre à les conduire.
         Le Pont estant à l'habitation, fit informer à l'encontre de
85/233   Champdoré, qui estoit accusé d'avoir malicieusement mis nostre
         barque à la coste; & sur ses informations fut emprisonné &
         emmenotté, d'autant qu'on le vouloit mener en France pour le
         mettre entre les mains du sieur de Mons, & en requérir justice.

         Le 15 de Juin le Pont voyant que les vaisseaux de France ne
         revenoient point, fit desemmenotter Champdoré pour parachever
         la barque qui estoit sur les chantiers, lequel s'aquitta fort
         bien de son devoir.

         Et le 16 juillet, qui estoit le temps que nous nous devions
         retirer, au cas que les vaisseaux ne fussent revenus, ainsi
         qu'il estoit porté par la commission qu'avoit donnée le sieur
         de Monts au Pont, nous partismes de nostre habitation pour
         aller au cap Breton ou à Gaspé, chercher le moyen de retourner
         en France, puis que nous n'en n'avions aucunes nouvelles.

         Il y eust deux de nos hommes[126] qui demeurèrent de leur propre
         volonté pour prendre garde à ce qui restoit des commoditez en
         l'habitation, à chacun desquels le Pont promit cinquante escus
         en argent, & cinquante autres qu'il devoit faire valoir leur
         practique, en les venant requérir l'année suivante.

[Note 126: Lescarbot nous a conservé les noms de ces deux braves: l'un
s'appelait La Taille, et l'autre Miquelet. «Je ne puis que je ne loue,
dit-il, le gentil courage de ces deux hommes... & méritent bien d'être
ici enchassées, pour avoir exposé si librement leurs vies à la
conservation du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pont n'ayant
qu'une barque & une patache, pour venir chercher vers la Terre-neuve des
navires de France, ne pouvoit se charger de tant de meubles, blez,
farines & marchandises, qui etoient par-delà, léquels il eût fallu
jetter dans la mer (ce qui eût été à notre grand prejudice, & en avions
bien peur) si ces deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer là
pour la conservation de ces choses. Ce qu'ilz firent volontairement, &
de gayeté de coeur.» (Liv. IV, ch. XII.)]

86/234   Il y eut un Capitaine des sauvages appellé Mabretou[127] qui
         promit de les maintenir, & qu'ils n'auroient non plus de
         deplaisir que s'ils estoient ses propres enfans. Nous l'avions
         recogneu pour bon sauvage en tout le temps que nous y fusmes,
         bien qu'il eust le renom d'estre le plus meschant & traistre
         qui fut entre ceux de sa nation.

[Note 127: Lescarbot et le P. Biard écrivent _Membertou_.]



         _Partement du port Royal pour retourner en France. Rencontre de
         Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrouser chemin._

                               CHAPITRE XII.

         LE 17 du mois, suivant la resolution que nous avions prise,
         nous partismes de l'emboucheure du port Royal avec deux
         barques, l'une du port de 18 tonneaux, & l'autre de 7 à 8 pour
         parfaire la routte du cap Breton ou de Campseau & vinsmes
         mouiller l'ancre au destroit de l'isle Longue, où la nuit
         nostre câble rompit & courusmes risque de nous perdre par les
         grandes marées qui jettent sur plusieurs pointes de rochers,
         qui sont dans & à la sortie de ce lieu: Mais par la diligence
         d'un chacun on y remédia & fit on en sorte qu'on en sortit pour
         ceste fois.

         Le 21 du mois il vint un grand coup de vent qui rompit les
         ferremens de nostre gouvernail entre l'isle Longue & le cap
         fourchu, & nous mit en telle peine, que nous ne sçavions de
         quel bois faire flesches: car d'aborder la terre, la furie de
         la mer ne le permettoit pas, par ce qu'elle brisoit haute comme
87/235   des montaignes le long de la coste: de façon que nous
         resolusmes plustost mourir à la mer, que d'aborder la terre,
         sur l'esperance que le vent & la tourmente s'appaiseroit, pour
         puis après ayant le vent en pouppe aller eschouer en quelque
         playe de sable. Comme chacun pensoit à part soy à ce qui seroit
         de faire pour nostre seureté, un matelot dit, qu'une quantité
         de cordages attachez au derrière de la barque, & traînant en
         l'eau, nous pourroit aucunement servir pour gouverner nostre
         vaisseau, mais ce fut si peu que rien, & vismes bien que si
         Dieu ne nous aidoit d'autres moyens, celuy là ne nous eust
         guarentis du naufrage. Comme nous estions pensifs à ce qu'on
         pourroit faire pour nostre seureté, Champdoré, qu'on avoit de
         rechef emmenotté, dit à quelques uns de nous, que si le Pont
         vouloit qu'il trouveroit moyen de faire gouverner nostre
         barque: ce que nous rapportasmes au Pont, quine refusa pas
         cette offre, & les autres encore moins. Il fut donc
         desemmenotté pour la seconde fois, & quant & quant prist un
         câble qu'il coupa, & en accommoda fort dextrement le
         gouvernail & le fit aussi bien gouverner que jamais il avoit
         fait: & par ce moyen repare les fautes qu'il avoit commises à
         la première barque qui fut perdue: & fut libéré de ce dont il
         avoit esté accusé, par les prières que nous en fismes au
         Pont-gravé qui eut un peu de peine à s'y resoudre.

         Ce jour mesme fusmes mouiller l'ancre prez la baye courante, à
         deux lieues du cap fourchu, & là fut racommodée la barque.

         Le 23 du mois de Juillet fusmes proche du cap de Sable.

88/236   Le 24 du dit mois sur les deux heures du soir nous apperçeusmes
         une chalouppe, proche de l'isle aux cormorans, qui venoit du
         cap de Sable, qu'aucuns jugeoient estre des sauvages qui se
         retiroient du cap Breton, ou de l'isle de Campseau: D'autres
         disoient que ce pouvoit estre des chalouppes qu'on envoyoit de
         Campseau pour sçavoir de nos nouvelles. Enfin approchant plus
         prez on vid que c'estoient François, ce qui nous resjouit fort:
         Et comme elle nous eust presque joints, nous recogneusmes
         Ralleau Secrétaire du sieur de Mons, ce qui nous redoubla le
         contentement. Il nous fit entendre que le sieur de Mons
         envoyoit un vaisseau de six vingts tonneaux [128], & que le
         sieur de Poitrincourt y commandoit, & estoit venu pour
         Lieutenant général, & demeurer au pays avec cinquante hommes: &
         qu'il avoit mis pied à terre à Campseau, d'où ledit vaisseau
         avoit pris la plaine mer, pour voir s'il ne nous descouvriroit
         point, cependant que luy s'en venoit le long de la coste dans
         une chalouppe pour nous rencontrer au cas qu'y fussions en
         chemin, croyans que serions partis du port Royal, comme il
         estoit bien vray: Et en cela firent fort sagement. Toutes ces
         nouvelles nous firent rebrousser chemin; & arrivasmes au port
         Royal le 25 [129] du mois, où nous trouvasmes ledict vaisseau,
         & le sieur de Poitrincourt, ce qui nous apporta beaucoup de
89/237   resjouissance, pour voir renaistre ce qui estoit hors
         d'esperance. Il nous dit que ce qui avoit causé son retardement
         estoit un accident qui estoit survenu au vaisseau, au sortir de
         la chaine de la Rochelle, d'où il estoit party, & avoit esté
         contrarié du mauvais temps sur son voyage [130].

[Note 128: C'était le _Jonas_, où se trouvait Lescarbot.]

[Note 129: Le 31 juillet, qui était un lundi. Pour que Pont-Gravé et
Champlain eussent pu retourner au port Royal dans l'espace d'environ
vingt-quatre heures, il eût fallu un concours de circonstances si
exceptionnelles, que l'auteur n'aurait pas manqué de le faire observer.
En outre, quand ils arrivèrent à Port-Royal, le vaisseau et M. de
Poutrincourt y étaient déjà rendus: or, suivant Lescarbot, qui, en cet
endroit, donne toutes les dates de ces diverses circonstances, le
vaisseau entra dans le port le jeudi 27 de juillet, et Pont-Gravé arriva
«le lundi dernier jour de juillet.» (Liv. IV, ch. XIII.)]

[Note 130: Toutes ces circonstances sont rapportées en détail dans
Lescarbot, liv. IV, chapitres IX-XIII.]

         Le lendemain le sieur de Poitrincourt commença à discourir de
         ce qu'il devoit faire, & avec l'advis d'un chacun se resolut de
         demeurer au port Royal pour ceste année, d'autant que l'on
         n'avoit descouvert aucune chose depuis le sieur de Mons, & que
         quatre mois qu'il y avoit jusques à l'yver n'estoit assez pour
         chercher & faire une autre habitation: encore avec un grand
         vaisseau, qui n'est pas comme une barque, qui tire peu d'eau,
         furette par tout, & trouve des lieux à souhait pour faire des
         demeures: mais que durant ce temps on iroit seulement
         recognoistre quelque endroit plus commode pour nous loger[131].

[Note 131: Tout en décidant qu'on hivernerait encore à Port-Royal, parce
qu'on n'avait pu, jusqu'ici, trouver de lieu plus commode, M. de
Poutrincourt devait suivre les instructions que lui avait données M. de
Monts, à son départ de France. «Le sieur de Monts, dit Lescarbot, ayant
desiré de s'élever au su tant qu'il pourroit & chercher un lieu bien
habitable par delà Malebarre, avoit prié le sieur de Poutrincourt de
passer plus loin qu'il n'avoit été, & chercher un port convenable en
bonne température d'air, ne faisant plus de cas de Port-Royal que de
sainte Croix, pour ce qui regarde la santé. A quoy voulant obtempérer le
dit sieur de Poutrincourt, il ne voulut attendre le printemps, sachant
qu'il auroit d'autres exercices à s'occuper.»]

         Sur ceste resolution le sieur de Poitrincourt envoya aussitost
         quelques gens de travail au labourage de la terre, en un lieu
         qu'il jugea propre, qui est dedans la riviere, à une lieue &
         demie de l'habitation du port Royal, où nous pensames faire
90/238   nostre demeure [132], & y fit semer du bled, seigle, chanvre, &
         plusieurs autres graines, pour voir ce qu'il en reussiroit. Le
         22 d'Aoust, on advisa une petite barque qui tiroit vers nostre
         habitation. C'estoit des Antons de S. Maslo, qui venoit de
         Campseau, où estoit son vaisseau[133], à la pesche du poisson,
         pour nous donner advis qu'il y avoit quelques vaisseaux au tour
         du cap Breton qui traittoient de pelleterie[144], & que si on
         vouloit envoyer nostre navire, il les prendroit en s'en
         retournant en France: ce qui fut resolu après qu'il seroit
         deschargé des commodités qui estoient dedans.

[Note 132: Voir ci-dessus p. 77. C'est précisément le lieu où est
maintenant Annapolis, au sud de la rivière de l'Équille (aujourd'hui
rivière d'Annapolis), et près de l'endroit où la rivière du Moulin se
jette dans celle de l'Équille.]

[Note 133: _Le Saint-Étienne_.]

[Note 134: «Quant au sieur du Pont, dit Lescarbot, il deliberoit en
passant d'attaquer un marchand de Rouen nommé Boyer (lequel contre les
deffenses du Roy étoit allé par delà troquer avec les Sauvages, après
avoir été délivré des prisons de la Rochelle par le consentement du
sieur de Poutrincourt, & souz promesse qu'il n'iroit point) mais il
étoit ja parti.» (Liv. IV, ch. XIII.)]

         Ce qu'estant fait, du Pont-gravé s'enbarqua dedans avec le
         reste de ses compagnons qui avoient demeuré l'yver avec luy au
         port Royal, horsmis quelques uns, qui fut Champdoré & Foulgere
         de Vitré. J'y demeuray aussi avec le sieur de Poitrincourt,
         pour moyennant l'aide de Dieu, parfaire la carte des costes &
         pays que j'avois commencé. Toutes choses mises en ordre en
         l'habitation, le sieur de Poitrincourt fit charger des vivres
         pour nostre voyage de la coste de la Floride.

         Et le 29 d'Aoust partismes du port Royal quant & Pont-gravé, &
         des Antons qui alloient au cap Breton & à Campseau pour se
         saisir des vaisseaux qui fesoient traitte de pelleterie, comme
         j'ay dit cy dessus. Estans à la mer nous fusmes contraints de
         relascher au port pour le mauvais vent qu'allions. Le grand
         vaisseau tint tousjours sa route & bientost le perdismes de
         veue.


91/239
         _Le sieur de Poitrincourt part du port Royal pour faire des
         descouvertures. Tout ce que l'on y vid: & ce qui y arriva
         jusques à Male-barre._

                              CHAPITRE XIII.

         Le 5 Septembre nous partismes de rechef du port Royal [135].

[Note 135: D'après Lescarbot, M. de Poutrincourt relâcha par deux fois.
«Quant au sieur de Poutrincourt, dit-il, il print la volte de l'ile
sainte Croix première demeure des François, ayant Champdoré pour maître
& conducteur de sa barque, mais contrarié du vent, & pour ce que sa
barque faisoit eau, il fut contraint de relâcher par deux fois.»]

         Le 7 nous fusmes à rentrée de la riviere S. Croix, où
         trouvasmes quantité de sauvages, entre autres Secondon &
         Messamouet. Nous nous y pensames perdre contre un islet de
         rochers, par l'opiniastreté de Champdoré, à quoy il estoit fort
         subject.

         Le lendemain fusmes dedans une chalouppe à l'isle de S. Croix,
         où le sieur de Mons avoit yverné, voir si nous trouverions
         quelques espics du bled, & autres graines qu'il y avoit fait
         semer. Nous trouvasmes du bled qui estoit tombé en terre, &
         estoit venu aussi beau qu'on eut sceu desirer[136], & quantité
         d'herbes potagères qui estoient venues belles & grandes: cela
         nous resjouit infiniment, pour voir que la terre y estoit bonne
         & fertile.

[Note 136: Monsieur de Poutrincourt «nous en envoya au Port Royal, dit
Lescarbot, où j'étois demeuré, ayant été de ce prié pour avoir l'oeil à
la maison, & maintenir ce qui y restoit de gens en concorde. A quoy
j'avoy condescendu (encores que cela eust été laissé à ma volonté) pour
l'asseurance que nous nous donnions que l'an suivant l'habitation se
seroit en païs plus chaut par delà Malebarre, & que nous irions tous de
compagnie avec ceux qu'on nous envoyeroit de France. Pendant ce temps je
me mis à préparer de la terre, & faire des clôtures & compartimens de
jardins pour y semer des légumes, & herbes de ménage. Nous fimes aussi
faire un fossé tout à l'entour du Fort, lequel étoit bien necessaire
pour recevoir les eaux & humidités qui paravant decouloient par dessouz
les logemens parmi les racines des arbres qu'on y avoit défrichez: ce
qui paraventure rendoit le lieu mal sain.» (Liv. IV, ch. XIII.)]

92/240   Apres avoir visité l'isle, nous retournasmes à nostre barque,
         qui estoit du port de 18 tonneaux, & en chemin prismes quantité
         de maquereaux, qui y sont en abondance en ce temps là; & se
         resolut on de continuer le voyage le long de la coste, ce qui
         ne fut pas trop bien consideré: d'autant que nous perdismes
         beaucoup de temps à repasser sur les descouvertures que le
         sieur de Mons avoit faites jusques au port de Malebarre, & eut
         esté plus à propos, selon mon opinion, de traverser du lieu où
         nous estions jusques audict Malebarre, dont on sçavoit le
         chemin, & puis employer le temps jusques au 40° degré, ou plus
         su, & au retour revoir toute la coste à son plaisir.

         Après ceste resolution nous prismes avec nous Secondon &
         Messamouet, qui vindrent jusques à Chouacoet dedans une
         chalouppe, où ils vouloient aller faire amitié avec ceux du
         pays en leur faisant quelques presens.

         Le 12 de Septembre nous partismes de la riviere saincte Croix.

93/241   Le 21[137] arrivasmes à Chouacoet, où nous vismes Onemechin
         chef de la riviere, & Marchin, lesquels avoient fait la
         cueillette de leur bleds. Nous vismes des raisins à l'isle de
         Bacchus qui estoient meurs, & assez bons: & d'autres qui ne
         l'estoient pas, qui avoient le grain aussi beau que ceux de
         France, & m'asseure que s'ils estoient cultivez, on en feroit
         de bon vin.

[Note 137: Lescarbot nous donne sur cette navigation de Sainte-Croix à
Chouacouet, quelques détails que Champlain omet sans doute parce qu'il
était ennuyé de suivre le même chemin, et qu'il avait déjà décrit tous
ces lieux, «Revenons au sieur de Poutrincourt, dit-il, lequel nous avons
laissé en l'ile Sainte-Croix. Apres avoir là fait une reveue, & caressé
les Sauvages qui y étoient, il s'en alla en quatre jours à _Pemptegoet_,
qui est ce lieu tant renommé souz le nom de _Norombega_. Et ne falloit
un si long temps pour y parvenir, mais il s'arrêta sur la route à faire
racoutrer sa barque: car à cette fin il avoit mené un serrurier & un
charpentier, & quantité d'ais. Il traversa les iles qui sont à
l'embouchure de la rivière, & vint à _Kinibeki_, là où sa barque fut en
péril à-cause des grans courans d'eaux que la nature du lieu y fait.
C'est pourquoy il ne s'y arrêta point, ains passa outre à la Baye de
_Marchin_, qui est le nom d'un Capitaine Sauvage, lequel à l'arrivée
dudit sieur commença à crier hautement _Hé, hé_: A quoy on lui répondit
de même. Il répliqua demandant en son langage: Qui êtes-vous? On lui dit
que c'étoient amis. Et là dessus à l'approcher le sieur de Poutrincourt
traita amitié avec lui, & lui fit des presens de couteaux, haches, &
_Matachiaz_, c'est à dire écharpes, carquans, & brasselets faits de
patenôtres, ou de tuyaux de verre blanc & bleu, dont il fut fort aise,
même de la confédération que ledit sieur de Poutrincourt faisoit avec
lui, reconnoissant bien que cela lui feroit beaucoup de support. Il
distribua à quelques uns d'un grand nombre de peuple qu'il avoit autour
de soy, les presens dudit sieur de Poutrincourt, auquel il apporta force
chairs d'Orignac, ou Ellan (car les Basques appellent un Cerf, ou Ellan,
Orignac) pour refraichir de vivres la compagnie. Cela fait, on tendit
les voiles vers _Chouakoet_.» (Liv. IV, ch. XIV.)]

         En ce lieu le sieur de Poitrincourt retira un prisonnier
         qu'avoit Onemechin, auquel Messamouet fit des presens de
         chaudières, haches, cousteaux, & autres choses[138]. Onemechin
         luy en fit au réciproque, de bled d'Inde, cytrouilles, febves
         du Bresil: ce qui ne contenta pas beaucoup ledit Messamouet,
         qui partit d'avec eux fort mal content, pour ne l'avoir pas
         bien recogneu, de ce qu'il leur avoit donné, en dessein de leur
94/242   faire la guerre en peu de temps: car ces nations ne donnent
         qu'en donnant, si ce n'est à personnes qui les ayent bien
         obligez, comme de les avoir assistez en leurs guerres.

[Note 138: «Messamouet, capitaine en la rivière du port de la Heve, sur
lequel on avoit pris ce prisonier,» & Secondon «avoient force
marchandises troquées avec les François, léquelles ilz venoient là
débiter, sçavoir chaudières grandes, moyennes, & petites, haches,
couteaux, robbes, capots, camisoles rouges, pois, fèves, biscuit, &
autres choses. Sur ce voici arriver douze ou quinze bateaux pleins de
Sauvages de la sujetion d'_Olmechin, iceux en bon ordre, tous peinturés
à la face, selon leur coutume, quand ilz veulent être beaux, ayans
l'arc, & la flèche en main, & le carquois auprès d'eux, léquels ilz
mirent bas à bord. A l'heure _Messamoet_ commence à haranguer devant les
Sauvages, leur remontrant comme par le passé ils avoient eu souvent de
l'amitié ensemble; & qu'ilz pourroient facilement domter leurs ennemis
s'ils se vouloient entendre, & se servir de l'amitié des François,
léquels ils voyoient là presens pour reconoitre leur pais, à fin de leur
porter des commodités à l'avenir, & les secourir de leurs forces,
léquelles il sçavoit, & les leur representoit d'autant mieux, que lui
qui parloit étoit autrefois venu en France, & y avoit demeuré en la
maison du sieur de Grandmont Gouverneur de Bayonne. Somme, il fut prés
d'une heure à parler avec beaucoup de véhémence & d'affection, & avec un
contournement de corps & de bras tel qu'il est requis en un bon Orateur.
Et à la fin jetta toutes ses marchandises (qui valoient plus de trois
cens escus rendues en ce païs-là) dans le bateau d'_Olmechin_, comme lui
faisant present de cela en asseurance de l'amitié qu'il lui vouloit
témoigner. Cela fait la nuit s'approchoit, & chacun se retira.»
(Lescarbot, liv, IV, ch. XIV.)]

         Continuant nostre routte, nous allasmes au cap aux isles, où
         fusmes un peu contrariez du mauvais temps & des brumes; & ne
         trouvasmes pas beaucoup d'apparence de passer la nuit: d'autant
         que le lieu n'y estoit pas propre. Comme nous estions en ceste
         peine, il me resouvint, que rengeant la coste avec le sieur de
         Mons, j'avois, à une lieue de là, remarqué en ma carte un lieu,
         qui avoit apparence d'estre bon pour vaisseaux, ou n'entrasmes
         point à cause que nous avions le vent propre à faire nostre
         routte, lors que nous y passames. Ce lieu estoit derrière nous,
         qui fut occasion que je dis au sieur de Poitrincourt qu'il
         faloit relascher à une pointe que nous y voiyons, où estoit le
         lieu dont il estoit question, lequel me sembloit estre propre
         pour y passer la nuit. Nous fusmes mouiller l'ancre à l'entrée,
         & le lendemain entrasmes dedans.

         Le sieur de Poitrincourt y mit pied à terre avec huit ou dix de
         nos compagnons. Nous vismes de fort beaux raisins qui estoient
         à maturité, pois du Bresil, courges, cytrouilles, & des racines
         qui sont bonnes, tirant sur le goust de cardes, que les
         sauvages cultivent. Il nous en firent quelques presens en
         contr'eschange d'autres petites bagatelles qu'on leur donna.
         Ils avoient desja fait leur moisson. Nous vismes 200 sauvages
         en ce lieu, qui est assez aggreable, & y a quantité de noyers,
         cyprès, sasafras, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont
         tresbeaux. Le chef de ce lieu s'appelle Quiouhamenec, qui nous
95/243   vint voir avec un autre sien voisin nommé Cohouepech, à qui
         nous fismes bonne chère. Onemechin chef de Chouacoet nous y
         vint aussi voir, à qui on donna un habit qu'il ne garda pas
         long temps, & en fit present à un autre, à cause qu'estant
         gesné dedans il ne s'en pouvoit accommoder. Nous vismes aussi
         en ce lieu un sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit
         tant de sang, qu'il en tomba en syncope, autour duquel en vint
         nombre d'autres chantans un espace de temps devant que de luy
         toucher: après firent quelques gestes des pieds & des mains, &
         luy secouerent la teste, puis le soufflant il revint à luy.
         Nostre chirurgien le pensa, & ne laissa après de s'en aller
         gayement.

         Le lendemain comme on calfeustroit nostre chalouppe, le sieur
         de Poitrincourt apperceut dans le bois quantité de sauvages,
         qui venoyent en intention de nous faire quelque desplaisir, se
         rende à un petit ruisseau qui est sur le destroit d'une
         chaussée, qui va à la grande terre, où de nos gens
         blanchissoient du linge. Comme je me pourmenois le long
         d'icelle chaussée ces sauvages m'apperçeurent, & pour faire
         bonne mine, à cause qu'ils virent bien que je les avois
         descouvers en pareil temps, ils commancerent à s'escrier & se
         mettre à danser: puis s'en vindrent à moy avec leurs arcs,
         flesches, carquois & autres armes. Et d'autant qu'il y avoit
         une prairie entre eux & moy, je leur fis signe qu'ils
         redansassent; ce qu'ils firent en rond, mettant toutes leurs
         armes au milieu d'eux. Ils ne faisoient presque que commencer,
         qu'ils adviserent le sieur de Poitrincourt dedans le bois avec
96/244   huit arquebusiers, ce qui les estonna: toutesfois ne laisserent
         d'achever leur danse, laquelle estant finie, ils se retirèrent
         d'un costé & d'autre, avec apprehention qu'on ne leur fit
         quelque mauvais party: Nous ne leur dismes pourtant rien, & ne
         leur fismes que toutes demonstrations de resjouinance; puis
         nous revinsmes à nostre chalouppe pour la mettre à l'eaue, &
         nous en aller. Ils nous prièrent de retarder un jour, disans
         qu'il viendroit plus de deux mil hommes pour nous voir: mais ne
         pouvans perdre temps, nous ne voulusmes diferer d'avantage. Je
         croy que ce qu'ils en fesoient estoit pour nous surprendre. Il
         y a quelques terres desfrichées, & en desfrichoient tous les
         jours: en voicy la façon. Ils couppent les arbres à la hauteur
         de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur
         le tronc, & sement leur bled entre ces bois couppez: & par
         succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles
         prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port est tresbeau
         & bon, où il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & où on se
         peut mettre à l'abry derrière des isles. Il est par la hauteur
         de 43 degrez de latitude; & l'avons nommé le Beau-port [139].

[Note 139: Aujourd'hui _Gloucester_.]


244a

[Illustration: Le beau port.]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Le lieu où estoit nostre barque.
B Prairies.
C Petite isle.
D Cap de rocher.
E Le lieu où l'on faisoit calfeutrer nostre chalouppe.
F [f] Petit islet de rochers assez haut à la coste.
G Cabanes des sauvages, & où ils labourent la terre.
H Petite riviere où il y a des prairies.
I Ruisseau.
L Langue de terre plaine de bois où il y a quantité de safrans, noyers &
  vignes.
M La mer d'un cul de sac en tournant le cap aux isles.
N Petite riviere.
0 Petit ruisseau venant des preries.
P Autre petit ruisseau où l'on blanchissoit le linge.
Q Troupe de sauvages venant pour nous surprendre.
R Playe de sable.
S La coste de la mer.
T Le sieur de Poitrincourt en embuscade avec quelque 7 ou 8
   arquebusiers.
V Le sieur de Champlain apersevant les sauvages.


         Le dernier de Septembre nous partismes du beau port, & passâmes
         par le cap S. Louys, & fismes porter toute la nuit pour gaigner
         le cap blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous
         trouvasmes à vau le vent du cap blanc en la baye blanche à
         huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, où nous
         mouillasmes l'ancre, pour n'en approcher de plus prés, en
97/245   attendant le jour; & voir comme nous estions de la marée.
         Cependant envoyasmes sonder avec nostre chalouppe, & ne trouva
         on plus de huit pieds d'eau: de façon qu'il fallut délibérer
         attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua
         jusques à cinq pieds, & nostre barque talonnoit quelquefois sur
         le sable: toutesfois sans s'offencer ny faire aucun dommage:
         Car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de trois pieds
         d'eau soubs nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous
         donna beaucoup d'esperance.

         Le jour estant venu nous apperceusmes une coste de sable fort
         basse, où nous estions le travers plus à vau le vent, & d'où on
         envoya la chalouppe pour sonder vers un terrouer, qui est assez
         haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau; & de fait on y en
         trouva sept brasses. Nous y fusmes mouiller l'ancre, &
         aussitost appareillasmes la chalouppe avec neuf ou dix hommes,
         pour aller à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau &
         bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fut eslevé plus
         grand qu'il n'estoit. Estant recogneu nous y entrasmes à 2, 3 &
         4 brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5
         & 6. Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que
         n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres
         [140]: & est par la hauteur de 42 degrez [141] de latitude. Il
         y vint à nous trois canots de sauvages. Ce jour le vent nous
         vint favorable, qui fut cause que nous levasmes l'ancre pour
98/246   aller au Cap blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au Nord un
         quart du Nordest, & le doublasmes.

[Note 140: La baie de Barnstable. Il semble qu'elle ait légué son ancien
nom à une baie plus petite qu'elle renferme et que l'on appelle baie aux
Huîtres (Oysters Bay).]

[Note 141: L'entrée du port aux Huîtres est par les 41° 45'.]

         Le lendemain 2 d'Octobre arrivasmes devant Malebarre, où
         sejournasmes quelque temps pour le mauvais vent qu'il faisoit,
         durant lequel, le sieur de Poitrincourt avec la chalouppe
         accompagné de 12 à 15 hommes, fut visiter le port, où il vint
         au-devant de luy quelque 150 sauvages, en chantant & dansant,
         selon leur coustume. Apres avoir veu ce lieu nous nous en
         retournasmes en nostre vaisseau, où le vent venant bon, fismes
         voille le long de la coste courant au Su.



         _Continuation des susdites descouvertures: & ce qui y fut
         remarqué de singulier._

                                CHAPITRE XIV.

         Comme nous fusmes à quelque six lieues de Malebarre, nous
         mouillasmes l'ancre proche de la coste, d'autant que n'avions
         bon vent. Le long d'icelle nous advisames des fumées que
         faisoient les sauvages: ce qui nous fit délibérer de les aller
         voir: pour cet effect on esquipa la chalouppe: Mais quand nous
         fusmes proches de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes
         l'aborder: car la houlle estoit trop grande: ce que voyant les
         sauvages, ils mirent un canot à la mer, & vindrent à nous 8 ou
         9 en chantans, & faisans signes de la joye qu'ils avoient de
         nous voir, & nous monstrerent que plus bas il y avoit un port,
         où nous pourrions mettre nostre barque en seureté.

99/247   Ne pouvant mettre pied à terre, la chalouppe s'en revint à la
         barque, & les sauvages retournèrent à terre, qu'on avoit
         traicté humainement.

         Le lendemain le vent estant favorable nous continuasmes notre
         routte au Nord[142] 5 lieues, & n'eusmes pas plustost fait ce
         chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau estans
         esloignez une lieue & demie de la coste: Et allans un peu de
         l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demye &
         deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehention, voyant la
         mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel
         nous pussions retourner sur nostre chemin: car le vent y estoit
         entièrement contraire.

[Note 142: Il faut lire au sud, comme le prouve assez cette expression
_continuasmes notre routte;_ c'est, du reste, ce que donne à entendre
tout le contexte.]

         De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable,
         il fallut passer au hasart, selon que l'on pouvoit juger y
         avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que quatre
         pieds au plus: & vinsmes parmy ces brisans jusques à 4 pieds &
         demy: Enfin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous
         passames par dessus une pointe de sable, qui jette prés de
         trois lieues à la mer, au Su Suest, lieu fort dangereux.
         Doublant ce cap que nous nommasmes le cap batturier, qui est à
         12 ou 13 lieues de Malebarre[143], nous mouillasmes l'ancre à
         deux brasses & demye d'eau, d'autant que nous nous voiyons
         entournez de toutes parts de brisans & battures, reservé en
         quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On
         envoya la chalouppe pour trouver en achenal, à fin d'aller à un
100/248  lieu que jugions estre celuy que les sauvages nous avoient
         donné à entendre: & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere,
         où pourrions estre en seureté.

[Note 143: La tête de Sankaty _(Sankaty Head)_, qui fait la pointe
sud-est la plus avancée de l'île Nantucket.]

         Nostre chalouppe y estant, nos gens mirent pied à terre, &
         considererent le lieu, puis réunirent avec un sauvage qu'ils
         amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions
         entrer, ce qui fut resolu, & aussitost levasmes l'ancre, &
         fusmes par la conduite du sauvage, qui nous pilotta, mouiller
         l'ancre à une rade qui est devant le port, à six brasses d'eau
         & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la
         nuit nous surprint.

         Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc
         de sable qui est à l'embouchure du port: puis la plaine mer
         venant y entrasmes à deux brasses d'eau. Comme nous y fusmes,
         nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre
         gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des
         cordages, & craignions que parmy ces basses & fortes marées il
         ne rompist de rechef, qui eut esté cause de nostre perte.
         Dedans ce port il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer
         deux brasses, à l'Est y a une baye qui refuit au Nort quelque
         trois lieues, dans laquelle y a une isle & deux autres petits
         culs de sac, qui décorent le pays, où il y a beaucoup de terres
         défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage
         de bled & autres grains, dont ils vivent. Il y a aussi de
         tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprès, & peu
         de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du
         labourage & font provision de bled d'Inde pour l'yver, lequel
         ils conservent en la façon qui ensuit.

101/249  Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le sable
         quelque cinq à six pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds
         & autres grains qu'ils mettent dans de grands tacs d'herbe,
         qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de sable
         trois ou quatre pieds par dessus le superfice de la terre, pour
         en prendre à leur besoin, & ce conserve aussi bien qu'il
         sçauroit faire en nos greniers.

         Nous vismes en ce lieu quelque cinq à six cens sauvages, qui
         estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une
         petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes le sont
         aussi, qui couvrent la leur comme les hommes de peaux ou de
         fueillages. Ils ont les cheveux bien peignez & entrelassez en
         plusieurs façons, tant hommes que femmes, à la manière de ceux
         de Chouacoet; & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans
         le teinct olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de
         porceline, & autres jolivetés qu'ils accommodent fort
         proprement en façon de broderie. Ils ont pour armes des arcs,
         flesches & massues. Ils ne sont pas si grands chasseurs comme
         bons pescheurs & laboureurs.

         Pour ce qui est de leur police, gouvernement & créance, nous
         n'en avons peu juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que
         nos sauvages Souriquois, & Canadiens, lesquels n'adorent ny la
         lune ny le soleil, ny aucune chose, & ne prient non plus que
         les bestes: Bien ont ils parmy eux quelques gens qu'ils disent
         avoir intelligence avec le Diable, à qui ils ont grande
         croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir,
         où ils mentent le plus souvent: Quelques fois ils peuvent bien
102/250  rencontrer, & leur dire des choses semblables à celles qui leur
         arrivent; c'est pourquoy ils ont croyance en eux, comme s'ils
         estoient Prophètes, & ce ne sont que canailles qui les
         enjaulent comme les Aegyptiens & Bohémiens font les bonnes gens
         de vilage. Ils ont des chefs à qui ils obeissent en ce qui est
         de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne
         tiennent non plus de rang que leurs compagnons. Chacun n'a de
         terre que ce qui luy en faut pour sa nourriture.

         Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres
         que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond,
         couverts de natte faite de senne ou fueille de bled d'Inde,
         garnis seulement d'un lict ou deux, eslevés un pied de terre,
         faicts avec quantité de petits bois qui sont pressez les uns
         contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la
         façon d'Espaigne (qui est une manière de natte espoisse de deux
         ou trois doits) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre
         de pulces en esté, mesme parmy les champs: Un jour en nous
         allant pourmener nous en prismes telle quantité, que nous
         fusmes contraints de changer d'habits.

         Tous les ports, bayes & costes depuis Chouacoet sont remplis de
         toutes sortes de poisson, semblable à celuy que nous avons
         devers nos habitations; & en telle abondance, que je puis
         asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne vissions &
         entendissions passer aux costez de nostre barque, plus de mille
         marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi
         quantité de plusieurs especes de coquillages, & principalement
         d'huistres. La chasse des oyseaux y est fort abondante.

103/251   Ce seroit un lieu fort propre pour y bastir & jetter les
         fondemens d'une republique si le port estoit un peu plus
         profond & l'entrée plus seure qu'elle n'est.

         Devant que sortir du port l'on accommoda nostre gouvernail, &
         fit on faire du pain de farines qu'avions apportées pour vivre,
         quand nostre biscuit nous manqueroit. Cependant on envoya la
         chalouppe avec cinq ou six hommes & un sauvage, pour voir si on
         pourroit trouver un passage plus propre pour sortir, que celuy
         par où nous estions venus.

         Ayant fait cinq ou six lieues & abbordant la terre, le sauvage
         s'en fuit, qui avoit eu crainte que l'on ne l'emmenast à
         d'autres sauvages plus au midy, qui sont leurs ennemis, à ce
         qu'il donna à entendre à ceux qui estoient dans la chalouppe,
         lesquels estans de retour, nous firent rapport que jusques où
         ils avoient esté il y avoit au moins trois brasses d'eau, & que
         plus outre il n'y avoit ny basses ny battures.

         On fit donc diligence d'accommoder nostre barque & faire du
         pain pour quinze jours. Cependant le sieur de Poitrincourt
         accompagné de dix ou douze arquebusiers visita tout le pays
         circonvoisin, d'où nous estions, lequel est fort beau, comme
         j'ay dit cy dessus, où nous vimes quantité de maisonnettes ça &
         la.

         Quelque 8 ou 9 jours après le sieur de Poitrincourt s'allant
         pourmener, comme il avoit fait auparavant, nous apperceusmes
         que les sauvages abbatoient leurs cabannes & envoyoient dans
         les bois leurs femmes, enfans & provisions, & autres choses qui
         leur estoient necessaires pour leur vie, qui nous donna soubçon
104/252  de quelque mauvaise intention, & qu'ils vouloyent entreprendre
         sur nos gens qui travailloient à terre, & où ils demeuroient
         toutes les nuits, pour conserver ce qui ne se pouvoit embarquer
         le soir qu'avec beaucoup de peine, ce qui estoit bien vray: car
         ils resolurent entre eux, qu'après que toutes leurs commoditez
         seroient en seureté, il les viendroient surprendre à terre à
         leur advantage le mieux qu'il leur seroit possible, & enlever
         tout ce qu'ils avoient. Que si d'aventure ils les trouvoient
         sur leurs gardes, ils viendroient en signe d'amitié comme ils
         vouloient faire, en quittant leurs arcs & flesches.

         Or sur ce que le sieur de Poitrincourt avoit veu, & l'ordre
         qu'on luy dit qu'ils tenoient quand ils avoient envie de jouer
         quelque mauvais tour, nous passames par des cabannes, où il y
         avoit quantité de femmes, à qui on avoit donné des bracelets, &
         bagues pour les tenir en paix, & sans crainte, & à la plus part
         des hommes apparens & antiens des haches, cousteaux, & autres
         choses, dont ils avoient besoing: ce qui les contentoit fort,
         payant le tout en danses & gambades, avec des harangues que
         nous n'entendions point. Nous passames partout sans qu'ils
         eussent asseurance de nous rien dire: ce qui nous resjouist
         fort, les voyans si simples en apparence comme ils montroient.

         Nous revinmes tout doucement à nostre barque, accompagnez de
         quelques sauvages. Sur le chemin nous en rencontrasmes
         plusieurs petites trouppes qui s'amassoient peu à peu avec
         leurs armes, & estoient fort estonnez de nous voir si avant
105/253  dans le pays; & ne pensoient pas que vinssions de faire une
         ronde de prés de 4 à 5 lieues de circuit au tour de leur terre,
         & passans prés de nous ils tremblotent de crainte que on ne
         leur fist desplaisir, comme il estoit en nostre pouvoir; mais
         nous ne le fismes pas, bien que cognussions leur mauvaise
         volonté. Estans arrivez où nos ouvriers travailloient, le sieur
         de Poitrincourt demanda si toutes choses estoient en estat pour
         s'opposer aux desseins de ces canailles.

         Il commanda de faire embarquer tout ce qui estoit à terre: ce
         qui fut fait, horsmis celuy qui faisoit le pain qui demeura
         pour achever une fournée, qui restoit, & deux autres hommes
         avec luy. On leur dit que les sauvages avoient quelque mauvaise
         intention & qu'ils fissent diligence, afin de s'embarquer le
         soir ensuivant, scachans qu'ils ne mettoient en exécution leur
         volonté que la nuit, ou au point du jour, qui est l'heure de
         leur surprinse en la pluspart de leurs desseins.

         Le soir estant venu, le sieur de Poitrincourt commanda qu'on
         envoyast la chalouppe à terre pour quérir les hommes qui
         restoient: ce qui fut fait aussitost, que la marée le peut
         permettre, & dit on à ceux qui estoient à terre, qu'ils eussent
         à s'embarquer pour le subject dont l'on les avoit advertis, ce
         qu'ils refuserent, quelques remonstrances qu'on leur peust
         faire, & des risques où ils se mettoient, & de la desobeissance
         qu'ils portoient à leur chef. Ils n'en feirent aucun estat,
         horsmis un serviteur du sieur de Poitrincourt, qui s'embarqua,
         mais deux autres se desembarquerent de la chalouppe qui furent
         trouver les trois autres, qui estoient à terre, lesquels
106/254  estoient demeurez pour manger des galettes qu'ils prindrent sur
         le pain, que l'on avoit fait. Ne voulans donc faire ce qu'on
         leur disoit, la chalouppe s'en revint à bort sans le dire au
         sieur de Poitrincourt qui reposoit & pensoit qu'ils fussent
         tous dedans le vaisseau.

         Le lendemain au matin 15 d'Octobre les sauvages ne faillirent
         de venir voir en quel estat estoient nos gens, qu'ils
         trouverent endormis, horsmis un qui estoit auprès du feu. Les
         voyans en cet estat ils vindrent doucement par dessus un petit
         costau au nombre de 400 & leur firent une telle salve de
         flesches, qu'ils ne leur donnèrent pas le loisir de se relever,
         sans estre frappez à mort: & se sauvant le mieux qu'ils
         pouvoient vers nostre barque, crians, à l'ayde on nous tue, une
         partie tomba morte en l'eau: les autres estoient tout lardez de
         coups de flesches, dont l'un mourut quelque temps après. Ces
         sauvages menoient un bruit desesperé, avec des hurlemens tels
         que c'estoit chose espouvantable à ouir.

         Sur ce bruit, & celuy de nos gens, la sentinelle qui estoit en
         nostre vaisseau s'escria, aux armes l'on tue nos gens: Ce qui
         fit que chacun se saisit promptement des tiennes, & quant &
         quant nous nous embarquasmes en la chalouppe quelque 15 ou 16
         pour aller à terre: Mais ne pouvans l'abborder à cause d'un
         banc de sable qu'il y avoit entre la terre & nous, nous nous
         jettasmes en l'eau & passames à gay de ce banc à la grand terre
         la portée d'un mousquet. Aussitost que nous y fusmes, ces
         sauvages nous voyans à un trait d'arc, prirent la fuitte dans
         les terres: De les poursuivre c'estoit en vain, car ils sont
107/255  merveilleusement vistes. Tout ce que nous peusmes faire, fut de
         retirer les corps morts & les enterrer auprès d'une croix qu'on
         avoit plantée le jour d'auparavant, puis d'aller d'un costé &
         d'autre voir si nous n'en verrions point quelques uns, mais
         nous perdismes nostre temps: Quoy voyans, nous nous en
         retournasmes. Trois heures après ils revindrent à nous sur le
         bord de la mer. Nous leur tirasmes plusieurs coups de petits
         espoirs de fonte verte: & comme ils entendoient le bruit ils se
         tapissoient en terre pour éviter le coup. En derision de nous
         ils abbatirent la croix, & desenterrerent les corps: ce qui
         nous donna un grand desplaisir, & fit que nous fusmes à eux
         pour la seconde fois: mais ils s'en fuirent comme ils avoient
         fait auparavant. Nous redressasmes la croix & renterrasmes les
         morts qu'ils avoient jettés ça & la parmy des bruieres, où ils
         mirent le feu pour les brusler, & nous en revinsmes sans faire
         aucun effect comme nous avions esté l'autre fois[144], voyans
         bien qu'il n'y avoit gueres d'apparence de s'en venger pour ce
         coup, & qu'il failloit remettre la partie quand il plairoit à
         Dieu.

[Note 144: D'autres exemplaires portent: «sans avoir rien fait contre
eux non plus que l'autre fois.»]

         Le 16 du mois nous partismes du port Fortuné [145] qu'avions
         nommé de ce nom pour le malheur qui nous y arriva. Ce lieu est
         par la haulteur de 41 degré & un tiers de latitude, & à quelque
         12 ou 13 lieues de Malebarre.

[Note 145: Le port Fortuné est bien évidemment le port de Chatham, à en
juger soit par la description que l'auteur en fait ici, soit par la
place qu'il lui assigne dans sa grande carte de 1632. Cependant, il
n'est pas à plus de sept ou huit lieues de Mallebarre, même par eau, et
sa latitude est de 41 degrés et deux tiers.]

255a

[Illustration: Port fortune.]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Estang d'eau sallée.
B Les cabannes des sauvages & leurs terres où ils labourent.
C Prairies où il y a deux petis ruisseaux.
C Prairies à l'isle qui couvrent à toutes les marées.
D Petis costaux de montaignes en l'isle remplis de bois, vignes &
  pruniers.
E Estang d'eau douce, où il y a quantité de gibier.
F Manières de prairies en l'isle.
G Isle remplie de bois dedans un grand cul de sac.
H Manière d'estang d'eau salée & où il y a force coquillages,
  entre autres quantité d'huîtres.
I Dunes de sable sur une lenguette de terre.
L Cul de sac.
M Rade où mouillasmes l'ancre devant le port.
N Entrée du port.
O Le port & lieu où estoit nostre barque.
P La croix que l'on planta.
Q Petis ruisseau.
R Montaigne qui descouvre de fort loin.
S La coste de la mer.
T Petite riviere.
V Chemin que nous fismes en leur pais autour de leurs logement, il est
   pointé de petits points.
X Bans & baze.
Y Petite montagne qui paroit dans les terres.
Z Petits ruisseaux.
9 L'endroit où nos gens furent tués par les sauvages prés la Croix.



108/256  _L'incommodité du temps ne nous permettant, pour lors, de faire
         d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en
         l'habitation. Et ce qui nous arriva jusques en icelle._

                             CHAPITRE XV.

         Comme nous eusmes fait quelques six ou sept lieues nous
         eusmes cognoissance d'une isle que nous nommasmes la
         soupçonneuse [146], pour avoir eu plusieurs fois croyance de
         loing que ce fut autre chose qu'une isle, puis le vent nous
         vint contraire, qui nous fit relascher au lieu d'où nous
         estions partis, auquel nous fusmes deux ou trois jours sans que
         durant ce temps il vint aucun sauvage se presenter à nous.

[Note 146: Dans l'édition de 1632, l'auteur dit qu'elle est «à une lieue
vers l'eau.» C'est donc vraisemblablement l'île qui porte aujourd'hui le
nom de Martha's Vineyard.]

         Le 20 partismes de rechef, & rengeant la coste au Surouest prés
         de 12 lieues, où passames proche d'une riviere qui est petite &
         de difficile abord, à cause des basses & rochers qui sont à
         l'entrée, que j'ay nommée de mon nom [147]. Ce que nous vismes
         de ces costes sont terres basses & sablonneuses. Le vent nous
         vint de rechef contraire, & fort impétueux, qui nous fit mettre
         vers l'eau, ne pouvans gaigner ny d'un costé ny d'autre, lequel
         enfin s'apaisa un peu, & nous fut favorable: mais ce ne fut que
109/257  pour relascher encore au port Fortuné, dont la coste, bien
         qu'elle soit basse, ne laisse d'estre belle & bonne, toutesfois
         de difficile abbord, n'ayant aucunes retraites, les lieux fort
         batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus
         que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses 7 à 8
         brasses, encore cela ne duroit que la longueur du cable,
         aussitost l'on revenoit à 2 ou 3 brasses, & ne s'y fie qui
         voudra qu'il ne l'aye bien recogneue la sonde à la main.

[Note 147: L'auteur, dans sa grande carte de 1632, la marque comme
venant du nord-ouest. Or, dans l'espace d'environ douze lieues à l'ouest
du port Fortuné, il n'y a, croyons-nous, qu'une seule rivière qui suive
cette direction: c'est celle qui traverse le district de _Machpee_ et se
jette dans la baie de _Popponesset_, La plupart des cartes ne lui
assignent aucun nom.]

         Estant relaschez au port, quelques heures après le fils de
         Pontgravé appelé Robert, perdit une main en tirant un mousquet
         qui se creva en plusieurs pièces sans offencer aucun de ceux
         qui estoient auprès de luy.

         Or voyant tousjours le vent contraire & ne nous pouvans mettre
         en la mer, nous resolumes cependant d'avoir quelques sauvages
         de ce lieu pour les emmener en nostre habitation & leur faire
         moudre du bled à un moulin à bras, pour punition de l'assacinat
         qu'ils avoient commis en la personne de cinq ou six de nos
         gens: mais que cela se peust faire les armes en la main, il
         estoit fort malaysé, d'autant que quand on alloit à eux en
         délibération de se battre, ils prenoient la fuite, & s'en
         alloient dans les bois, où on ne les pouvoit attraper. Il
         fallut donc avoir recours aux finesses: & voicy comme nous
         advisames. Qu'il failloit lors qu'ils viendroient pour
         rechercher amitié avec nous les amadouer en leur montrant des
         patinostres & autres bagatelles, & les asseurer plusieurs fois:
         puis prendre la chalouppe bien armée, & des plus robustes &
110/258  forts hommes qu'eussions, avec chacun une chaîne de patinostres
         & une brasse de mèche au bras, & les mener à terre, où estans,
         & en faisant semblant de petuner avec eux (chacun ayant un bout
         de sa mèche allumé, pour ne leur donner soupçon, estant
         l'ordinaire de porter du feu au bout d'une corde pour allumer
         le petum) les amadoueroient par douces paroles pour les attirer
         dans la chalouppe; & que s'ils n'y vouloient entrer, que s'en
         approchant chacun choisiroit son homme, & en luy mettant les
         patinostres au col, luy mettroit aussi en mesme temps la corde
         pour les y tirer par force: Que s'ils tempestoient trop, &
         qu'on n'en peust venir à bout; tenant bien la corde on les
         poignarderoit: Et que si d'aventure il en eschapoit quelques
         uns, il y auroit des hommes à terre pour charger à coups
         d'espée sur eux: Cependant en nostre barque on tiendroit
         prestes les petites pièces pour tirer sur leurs compagnons, au
         cas qu'il en vint les secourir; à la faveur desquelles la
         chalouppe se pourroit retirer en asseurance. Ce qui fut fort
         bien exécuté ainsi qu'on l'avoit proposé.


258a

[Illustration]

A Le lieu où estoient les François faisans le pain.
B Les sauvages surprenans les François en tirant sur eux à coups de
  flesches.
C François bruslez par les sauvages.
D François s'enfuians à la barque tout lardés de flesches.
E Trouppes de sauvages faisans brusler les François qu'ils avoient tués.
F Montaigne sur le port.
G Cabannes des sauvages.
H François à terre chargeans les sauvages.
I Sauvages desfaicts par les François.
L Chalouppe où estoient les François.
M Sauvages autour de la chalouppe qui furent surpris par nos gens.
N Barque du sieur de Poitrincourt.
O Le port.
P Petit ruisseau.
Q François tombez morts dans l'eau pensans se sauver à la barque.
R Ruisseau venant de certins marescages.
S Bois par où les sauvages venoient à couvert.


         Quelques jours après que ces choses furent passées, il vint des
         sauvages trois à trois, quatre à quatre sur le bort de la mer,
         faisans signe que nous allassions à eux: mais nous voiyons bien
         leur gros qui estoit en embuscade au dessoubs d'un costau
         derrière des buissons, & croy qu'ils ne desiroient que de nous
         attraper en la chalouppe pour descocher un nombre de flesches
         sur nous, & puis s'en fuir: toutesfois le sieur de Poitrincourt
         ne laissa pas d'y aller avec dix de nous autres, bien équipez &
         en resolution de les combattre si l'occasion se presentoit.
111/259  Nous fusmes dessendre par un endroit que jugions estre hors de
         leur embuscade, où ils ne nous pouvoient surprendre. Nous y
         mismes trois ou quatre pied à terre avec le sieur de
         Poitrincourt: le reste ne bougea de la chalouppe pour la
         conserver & tenir preste à un besoin. Nous fusmes sur une butte
         & autour des bois pour voir si nous descouvririons plus à plain
         ladite embuscade. Comme ils nous virent aller si librement à
         eux ils leverent le siege & furent en autres lieux, que ne
         peusmes descouvrir, & des quatre sauvages n'en vismes plus que
         deux, qui s'en alloient tout doucement. En se retirant ils nous
         faisoient signe qu'eussions à mener nostre chalouppe en autre
         lieu, jugeant qu'elle n'estoit pas à propos pour leur dessein.
         Et nous voyans aussi qu'ils n'avoient pas envie de venir à
         nous, nous nous rembarquasmes & allasmes où ils nous
         monstroient, qui estoit la seconde embuscade qu'ils avoient
         faite, taschant de nous attirer en signe d'amitié à eux, sans
         armes: ce qui pour lors ne nous estoit permis: neantmoins nous
         fusmes assez proches d'eux sans voir ceste embuscade, qui n'en
         estoit pas esloignée, à nostre jugement. Comme nostre chalouppe
         approcha de terre, ils se mirent en fuite, & ceux de
         l'embuscade aussi, après qui nous tirasmes quelques coups de
         mousquets, voyant que leur intention ne tendoit qu'à nous
         decevoir par caresses, en quoy ils se trompoient: car nous
         recognoissions bien quelle estoit leur volonté, qui ne tendoit
         qu'à mauvaise fin. Nous nous retirasmes à nostre barque après
         avoir fait ce qu'il nous fut possible.

         Ce jour le sieur de Poitrincourt resolut de s'en retourner à
112/260  nostre habitation pour le subject de 4 ou 5 mallades & blessez,
         à qui les playes empiroient à faute d'onguens, car nostre
         Chirurgien n'en avoit aporté que bien peu, qui fut grande faute
         à luy, & desplaisir aux malades & à nous aussi: d'autant que
         l'infection de leurs blesseures estoit si grande en un petit
         vaisseau comme le nostre, qu'on ne pouvoit presque durer: &
         craignions qu'ils engendrassent des maladies: & aussi que
         n'avions plus de vivres que pour faire 8 ou 10 journées de
         l'advant, quelque retranchement que l'on fist, & ne sçachans
         pas si le retour pourroit estre aussi long que l'aller, qui fut
         prés de deux mois.

         Pour le moins nostre délibération estant prinse, nous ne nous
         retirasmes qu'avec le contentement que Dieu n'avoit laissé
         impuny le mesfait de ces barbares. Nous ne fusmes que jusques
         au 41 degré & demy, qui ne fut que demy degré plus que n'avoit
         fait le sieur de Mons à sa descouverture. Nous partismes donc
         de ce port.

         Et le lendemain vinsmes mouiller l'ancre proche de Mallebarre,
         où nous fusmes jusques au 28 du mois que nous mismes à la
         voile. Ce jour l'air estoit assez froid, & fit un peu de neige.
         Nous prismes la traverse pour aller à Norambegue, ou à l'isle
         Haute. Mettant le cap à l'Est Nordest fusmes deux jours sur la
         mer sans voir terre, contrariez du mauvais temps. La nuict
         ensuivant eusmes cognoissance des isles qui sont entre
         Quinibequi & Norembegue. Le vent estoit si grand que fusmes
         contraincts de nous mettre à la mer, pour attendre le jour, où
         nous nous esloignasmes si bien de la terre, quelque peu de
113/261  voiles qu'eussions, que ne la peusmes revoir que jusques au
         lendemain, que nous vismes le travers de l'isle Haute.

         Ce jour dernier d'Octobre, entre l'isle des Monts-deserts, & le
         cap de Corneille, nostre gouvernail se rompit en plusieurs
         pièces, sans sçavoir le subject. Chacun en disoit son opinion.
         La nuit venant avec beau frais, nous estions parmy quantité
         d'isles & rochers, où le vent nous jettoit, & resolumes de nous
         sauver, s'il estoit possible, à la première terre que
         rencontrerions.

         Nous fusmes quelque temps au gré du vent & de la mer, avec
         seulement le bourcet de devant: mais le pis fut que la nuit
         estoit obscure & ne sçavions où nous allions: car nostre barque
         ne gouvernoit nullement, bien que l'on fit ce qu'on pouvoit,
         tenant les escouttes du bourcet à la main, qui quelquefois la
         faisoient un peu gouverner. Tousjours on sondoit si l'on
         pourroit trouver fonds pour mouiller l'ancre & se préparer à ce
         qui pourroit subvenir. Nous n'en trouvasmes point; enfin allant
         plus viste que ne desirions, l'on advisa de mettre un aviron
         par derrière avec des hommes pour faire gouverner à une isle
         que nous apperceusmes, afin de nous mettre à l'abry du vent. On
         mit aussi deux autres avirons sur les costés au derrière de la
         barque, pour ayder à ceux qui gouvernoient, à fin de faire
         arriver le vaisseau d'un costé & d'autre. Ceste invention nous
         servit si bien que mettions le cap où desirions, & fusmes
         derrière la pointe de l'isle qu'avions apperceue, mouiller
         l'ancre à 21 brasses d'eau attendant le jour, pour nous
         recognoistre & aller chercher un endroit pour faire un autre
         gouvernail.

114/262  Le vent s'appaisa. Le jour estant venu nous nous trouvasmes
         proches des isles Rangées, tout environnés de brisans; &
         louasmes Dieu de nous avoir conservés si miraculeusement parmy
         tant de périls.

         Le premier de Novembre nous allasmes en un lieu que nous
         jugeasmes propre pour eschouer nostre vaisseau & refaire nostre
         timon. Ce jour je fus à terre, & y vey de la glace espoisse de
         deux poulces, & pouvoit y avoir huit ou dix jours qu'il y avoit
         gelé, & vy bien que la température du lieu differoit de
         beaucoup à celle de Malebarre & port Fortuné: car les fueilles
         des arbres n'estoient pas encores mortes ny du tout tombées
         quand nous en partismes, & en ce lieu elles estoient toutes
         tombées, & y faisoit beaucoup plus de froid qu'au port Fortuné.

         Le lendemain comme on alloit eschouer la barque, il vint un
         canot où y avoit des sauvages Etechemins qui dirent à celuy que
         nous avions en nostre barque, qui estoit Secondon, que
         Jouaniscou avec ses compagnons avoit tué quelques autres
         sauvages & emmené des femmes prisonnieres, & que proche des
         isles des Montsdeserts ils avoient fait leur exécution.

         Le neufiesme du mois nous partismes d'auprès du cap de
         Corneille & le mesme jour vinsmes mouiller l'ancre au petit
         passage[148] de la riviere saincte Croix.

[Note 148: C'est le passage de l'ouest.]

         Le lendemain au matin mismes nostre sauvage à terre avec
         quelques commoditez qu'on luy donna, qui fut tres-aise &
         satisfait d'avoir fait ce voyage avec nous, & emporta quelques
         testes des sauvages qui avoient esté tuez au port Fortuné.
115/263  Ledict jour allasmes mouiller l'ancre en une fort belle ance au
         Su de l'isle de Menasne.

         Le 12 du mois fismes voile, & en chemin la chalouppe que nous
         traisnions derrière nostre barque y donna un si grand & si rude
         coup qu'elle fit ouverture & brisa tout le haut de la barque: &
         de rechef au resac rompit les ferremens de nostre gouvernail, &
         croiyons du commencement qu'au premier coup qu'elle avoit
         donné, qu'elle eut enfoncé quelques planches d'embas, qui nous
         eut fait submerger: car le vent estoit si eslevé, que ce que
         pouvions faire estoit de porter nostre misanne: Mais après
         avoir veu le dommage qui estoit petit, & qu'il n'y avoit aucun
         péril, on fit en sorte qu'avec des cordages on accommoda le
         gouvernail le mieux qu'on peut, pour parachever de nous
         conduire, qui ne fut que jusques au 14 de Novembre, où à
         l'entrée du port Royal pensames nous perdre sur une pointe:
         mais Dieu nous delivra tant de ce péril que de beaucoup
         d'autres qu'avions courus.



         _Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant
         l'hyvernement._

                             CHAPITRE XVI.

         A Nostre arrivée l'Escarbot qui estoit demeuré en l'habitation
         nous fit quelques gaillardises avec les gens qui y estoient
         restez pour nous resjouir[149].

[Note 149: «Le sieur de Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzième
de Novembre, où nous le receumes joyeusement & avec une solennité toute
nouvelle par delà. Car sur le point que nous attendions son retour avec
grand desir, (& ce d'autant plus, que si mal lui fût arrivé nous
eussions été en danger d'avoir de la confusion) je m'avisay de
representer quelque gaillardise en allant audevant de lui, comme nous
fîmes. Et d'autant que cela fut en rhimes Françoises faites à la hâte,
je l'ay mis avec _Les Muses de la Nouvelle-France_ souz le tiltre de
THEATRE DE NEPTUNE, où je renvoyé mon Lecteur. Au surplus pour honorer
davantage le retour de nôtre action, nous avions mis au dessus de la
porte de notre Fort les armes de France, environnées de couronnes de
lauriers (dont il y a là grande quantité au long des rives des bois)
avec la devise du Roy, DUO PROTEGIT UNUS. Et au dessous celles du sieur
de Monts avec cette inscription, DABIT DEUS HIS QUOQUE FINEM: & celle-du
sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription, INVIA VIRTUTI NULLA
EST VIA, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers.» (Lescarbot,
liv. IV, ch. XV.)]

116/264  Estans à terre, & ayans repris halaine chacun commença à faire
         de petits jardins, & moy d'entretenir le mien, attendant le
         printemps, pour y semer plusieurs sortes de graines, qu'on
         avoit apportées de France, qui vindrent fort bien en tous les
         jardins.

         Le sieur de Poitrincourt, d'autre part fit faire un moulin à
         eau à prés d'une lieue & demie de nostre habitation, proche de
         la pointe où on avoit semé du bled. Le moulin estoit basty
         auprès d'un saut d'eau, qui vient d'une petite riviere qui
         n'est point navigable pour la quantité de rochers qui y sont,
         laquelle se va rendre dans un petit lac. En ce lieu il y a une
         telle abbondance de harens en sa saison, qu'on pourroit en
         charger des chalouppes, si on vouloit en prendre la peine, & y
         apporter l'invention qui y seroit requise. Aussi les sauvages
         de ces pays y viennent quelquesfois faire la pesche. On fit
         aussi quantité de charbon pour la forge. Et l'yver pour ne
         demeurer oisifs j'entreprins de faire un chemin sur le bort du
         bois pour aller à une petite riviere qui est comme un ruisseau,
         que nommasmes la truittiere[150], à cause qu'il y en avoit
         beaucoup. Je demanday deux ou trois hommes au sieur de
         Poitrincourt, qu'il me donna pour m'ayder à y faire une allée.
117/265  Je fis si bien qu'en peu de temps je la rendy nette. Elle va
         jusques à la truittiere, & contient prés de deux mille pas,
         laquelle servoit pour nous pourmener à l'ombre des arbres, que
         j'avois laisse d'un costé & d'autre. Cela fit prendre
         resolution au sieur de Poitrincourt d'en faire une autre au
         travers des bois, pour traverser droit à l'emboucheure du port
         Royal, où il y a prés de trois lieues & demie par terre de
         nostre habitation, & la fit commencer de la truittiere environ
         demie lieue, mais il ne l'ascheva pas pour estre trop pénible,
         & s'occupa à d'autres choses plus necessaires pour lors.
         Quelque temps après nostre arrivée, nous apperceusmes une
         chalouppe, où il y avoit des sauvages, qui nous dirent que du
         lieu d'où ils venoient, qui estoit Norembegue, on avoit tué un
         sauvage qui estoit de nos amis, en vengeance de ce que
         Jouaniscou aussi sauvage, & les siens avoient tué de ceux de
         Norembegue, & de Quinibequi, comme j'ay dit cy dessus, & que
         des Etechemins l'avoient dit au sauvage Secondon qui estoit
         pour lors avec nous.

[Note 150: Ce ruisseau était du côté de l'ouest de l'habitation, comme
le marque l'auteur dans sa carte du port Royal, tandis que son jardin
était du côté de l'est.]

         Celuy qui commandoit en la chalouppe estoit le sauvage appelle
         Ouagimou[151], qui avoit familiarité avec Bessabes chef de la
         riviere de Norembegue, à qui il demanda le corps de Panounia
         qui avoit esté tué: ce qu'il luy octroya, le priant de dire à
         ses amis qu'il estoit bien fasché de sa mort, luy asseurant que
         c'estoit sans son sçeu qu'il avoit esté tué, & que n'y ayant de
         sa faute, il le prioit de leur dire qu'il desiroit qu'ils
         demeurassent amis comme auparavant: ce que Ouagimou luy promit
         faire quand il seroit de retour. Il nous dit qu'il luy ennuya
118/266  fort qu'il n'estoit hors de leur compagnie, quelque amitié
         qu'on luy monstrast, comme estans subjects au changement,
         craignant qu'ils ne luy en fissent autant comme au deffunct:
         aussi n'y arresta il pas beaucoup après sa despeche. Il emmena
         le corps en sa chalouppe depuis Norembegue jusques à nostre
         habitation, d'où il y a 50 lieues.

[Note 151: Lescarbot écrit _Oagimont._]

         Aussi tost que le corps fut à terre ses parens & amis
         commencèrent à crier au prés de luy, s'estans peints tout le
         visage de noir, qui est la façon de leur dueil. Après avoir
         bien pleuré, ils prindrent quantité de petum, & deux ou trois
         chiens, & autres choses qui estoient au deffunct, qu'ils firent
         brusler à quelque mille pas de nostre habitation sur le bort de
         la mer. Leurs cris continuèrent jusques à ce qu'ils fussent de
         retour en leur cabanne.

         Le lendemain ils prindrent le corps du deffunct, &
         l'envelopperent dedans une catalongue rouge, que Mabretou chef
         de ces lieux m'inportuna fort de luy donner, d'autant qu'elle
         estoit belle & grande, laquelle il donna aux parens dudict
         deffunct, qui m'en remercièrent bien fort. Après donc avoir
         emmaillotté le corps, ils le parèrent de plusieurs sortes de
         _matachiats_, qui sont patinostres & bracelets de diverses
         couleurs, luy peinrent le visage, & sur la teste luy mirent
         plusieurs plumes & autres choses qu'ils avoient de plus beau,
         puis mirent le corps à genoux au milieu de deux bastons, & un
         autre qui le soustenoit soubs les bras: & au tour du corps y
         avoit sa mère, sa femme & autres de ses parens & amis, tant
         femmes que filles, qui hurloient comme chiens.

119/267  Cependant que les femmes & filles crioient le sauvage appelé
         Mabretou, faisoit une harangue à ses compagnons sur la mort du
         deffunct, en incitant un chacun d'avoir vengeance de la
         meschanceté & trahison commise par les subjects de Bessabes, &
         leur faire la guerre le plus promptement que faire se pourroit.
         Tous luy accordèrent de la faire au printemps.

         La harange faitte & les cris cessez, ils emportèrent le corps
         du deffunct en une autre cabanne. Après avoir petuné, le
         renveloperent dans une peau d'Eslan, & le lièrent fort bien, &
         le conserverent jusques à ce qu'il y eust plus grande compagnie
         de sauvages, de chacun desquels le frère du defunct esperoit
         avoir des presens, comme c'est leur coustume d'en donner à ceux
         qui ont perdu leurs pères, mères, femmes, frères, ou soeurs.

         La nuit du 26. Décembre il fist un vent de Surest, qui abbatit
         plusieurs arbres.

         Le dernier Décembre il commença à neger, & cela dura jusqu'au
         lendemain matin.

         Le 16. janvier ensuivant 1607, le sieur de Poitrincourt voulant
         aller au haut de la riviere de l'Equille la trouva scelée de
         glaces à quelque deux lieues de nostre habitation, qui le fit
         retourner pour ne pouvoir passer.

         Le 8 Fevrier il commença à descendre quelques glaces du haut de
         la riviere dans le port qui ne gele que le long de la coste.

         Le 10 de May ensuivant, il negea toute la nuict, & sur la fin
         du mois faisoit de fortes gelées blanches, qui durèrent jusques
         au 10 & 12 de Juin, que tous les arbres estoient couverts de
         fueilles, horsmis les chesnes qui ne jettent les leurs que vers
         le 15.

120/268  L'yver ne fut si grand que les années précédentes, ny les neges
         aussi ne furent si long temps sur la terre. Il pleust assez
         souvent, qui fut occasion que les sauvages eurent une grande
         famine, pour y avoir peu de neges. Le sieur de Poitrincourt
         nourrist une partie de ceux qui estoient avec nous, sçavoir
         Mabretou, sa femme & ses enfans, & quelques autres.

         Nous passames cest yver fort joyeusement, & fismes bonne chère,
         par le moyen de l'ordre de bontemps que j'y establis, qu'un
         chacun trouva utile pour la santé, & plus profitable que toutes
         sortes de medicines, dont on eust peu user. Ceste ordre estoit
         une chaine que nous mettions avec quelques petites cérémonies
         au col d'un de nos gens, luy donnant la charge pour ce jour
         d'aller chasser: le lendemain on la bailloit à un autre, &
         ainsi consecutivement: tous lesquels s'efforçoient à l'envy à
         qui feroit le mieux & aporteroit la plus belle chasse: Nous ne
         nous en trouvasmes pas mal, ny les sauvages qui estoient avec
         nous[152].

[Note 152: Lescarbot donne quelques détails de plus sur ce sujet: «Je
diray que pour nous tenir joyeusement & nettement, quant aux vivres, fut
établi un Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui fut nommé
L'ORDRE DE BON-TEMPS, mis premièrement en avant par Champlein, suivant
lequel ceux d'icelle table étoient Maitres-d'hotel chacun à son tour,
qui étoit en quinze jours une fois. Or avoit-il le soin de faire que
nous fussions bien & honorablement traités. Ce qui fut si bien observé,
que (quoy que les gourmans de deçà nous disent souvent que là nous
n'avions point la rue aux Ours de Paris) nous y avons fait ordinairement
aussi bonne chère que nous sçaurions faire en cette rue aux Ours, & à
moins de frais. Car il n'y avoit celui qui deux jours devant que son
tour vint ne fût soigneux d'aller à la chasse, ou à la pêcherie, &
n'apportât quelque chose de rare, outre ce qui étoit de notre ordinaire.
Si bien que jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupiquets de
chair ou de poisson: & au repas de midi & du soir encor moins: car
c'étoit le grand festin, là où l'Architriclin, ou Maitre-d'hotel (que
les Sauvages appellent _Atoctegic_) ayant fait préparer toutes choses au
cuisinier, marchoit la serviete sur l'épaule, le bâton d'office en main,
le collier de l'Ordre au col, & tous ceux d'icelui Ordre après lui
portant chacun son plat. Le même étoit au dessert, non toutefois avec
tant de suite. Et au soir avant rendre grâce à Dieu, il resignoit le
collier de l'Ordre, avec un verre de vin à son successeur en la charge,
& buvoient l'un à l'autre.» (Liv. IV, ch. XVI.)]


121/269  Il y eut de la maladie de la terre parmy nos gens, mais non si
         aspre qu'elle avoit esté aux années précédentes: Neantmoins il
         ne laissa d'en mourir sept; & un autre d'un coup de flesche
         qu'il avoit receu des sauvages au port Fortuné.

         Nostre chirurgien appelé maistre Estienne, fit ouverture de
         quelques corps, & trouva presque toutes les parties de dedans
         offencées, comme on avoit fait aux autres les années
         précédentes. Il y en eut 8 ou 10 de malades qui guérirent au
         printemps.

         Au commencement de Mars & d'Avril, chacun se mit à préparer les
         jardins pour y semer des graines en May, qui est le vray temps,
         lesquelles vindrent aussi bien qu'elles eussent peu faire en
         France, mais quelque peu plus tardives: & trouve que la France
         est au plus un mois & demy plus advancée: & comme j'ay dit, le
         temps est de semer en May, bien qu'on peut semer quelquefois en
         Avril, mais ces semences n'advancent pas plus que celles qui
         sont semées en May, & lors qu'il n'y a plus de froidures qui
         puisse offencer les herbes, sinon celles qui sont fort tendres,
         comme il y en a beaucoup qui ne peuvent resister aux gelées
         blanches, si ce n'est avec un grand soin & travail.

         Le 24 de May apperceusmes une petite barque du port de 6 à 7
         tonneaux qu'on envoya recognoistre, & trouva on que c'estoit un
         jeune homme de sainct Maslo appelé Chevalier qui apporta
         lettres du sieur de Mons au sieur de Poitrincourt, par
         lesquelles il luy mandoit de ramener ses compagnons en
122/270  France[153], & nous dit la naissance de Monseigneur le Duc
         d'Orléans [154], qui nous apporta de la resjouissance, & en
         fismes les feu de joye, & chantasmes le _Te deum_.

[Note 153: Lescarbot ajoute encore ici plusieurs autres détails, qui ne
manquent pas d'intérêt «Le soleil commençoit à échauffer la terre, &
oeillader sa maitresse d'un regard amoureux, quand le _Sagamos
Membertou_ (apres noz prières solennellement faites à Dieu, & le
desjeuner distribué au peuple, selon la coutume) nous vint avertir qu'il
avoit veu une voile sur le lac, c'est à dire dans le port, qui venoit
vers notre Fort. A cette joyeuse nouvelle chacun va voir, mais encore ne
se trouvoit-il persone qui eût si bonne veue que lui, quoy qu'il soit
âgé de plus de cent ans. Neantmoins on découvrit bientôt ce qui en
étoit. Le sieur de Poutrincourt fit en diligence apprêter la petite
barque pour aller reconoitre. Champ-doré & Daniel Hay y allèrent & par
le signal qu'ils nous donnèrent étans certains que c'étoient amis,
incontinent fimes charger quatre canons, & une douzaine de fauconneaux,
pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin. Eux de leur part ne
manquèrent à commencer la fête, & décharger leurs pièces, auxquels fut
rendu le réciproque avec usure. C'étoit tant seulement une petite barque
marchant souz la charge d'un jeune homme de saint-Malo nommé Chevalier,
lequel arrivé au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrincourt,
léquelles furent leuës publiquement. On lui mandoit que pour ayder à
sauver les frais du voyage, le navire (qui étoit encor le JONAS)
s'arreteroit au port de Campseau pour y faire pêcherie de Morues, les
marchans associez du sieur de Monts ne sachans pas qu'il y eût pêcherie
plus loin que ce lieu: toutefois que s'il étoit necessaire il fit venir
ledit navire au Port Royal. Au reste, que la societé étoit rompue,
d'autant que contre l'honnêteté & devoir les Holandois (qui ont tant
d'obligations à la France) conduits par un traitre François nommé La
Jeunesse, avoient l'an précèdent enlevé les Castors & autres pelleteries
de la Grande Rivière de Canada: chose qui tournoit au Grand detriement
de la societé, laquelle partant ne pouvoit plus fournir aux frais de
l'habitation de delà, comme elle avoit fait par le passé. Joint qu'au
Conseil du Roy (pour ruiner cet affaire) on avoit nouvellement révoqué
le privilège octroyé pour dix ans au sieur de Monts pour la traicte des
Castors, chose que l'on n'eût jamais esperé. Et pour cette cause
n'envoyoient persone pour demeurer là après nous. Si nous eûmes de la
joye de voir nôtre secours asseuré, nous eûmes aussi une grande
tristesse de voir une si belle & si sainte entreprise rompue; que tant
de travaux & de périls passez ne servissent de rien: & que l'esperance
de planter là le nom de Dieu, & la Foy Catholique, s'en allât evanouie.»
(Liv. IV, ch. XVII.)]

[Note 154: Il ne faut pas confondre ce duc d'Orléans, second fils de
Henri IV, avec son frère Gaston, qui ne prit le titre de duc d'Orléans
qu'après la mort de celui dont il est ici question. Ce second fils de
Henri IV mourut, sans être nommé, à Saint-Germain-en-Laye, le 17
novembre 1611. Il était né le 16 avril de cette année 1607. (Hist.
généalogique de la France, t. I, p. 146.)]

         Depuis le commencement de Juin jusqu'au 20 du mois,
         s'assemblerent en ce lieu quelque 30 ou 40 [155] sauvages, pour
         s'en aller faire la guerre aux Almouchiquois, & venger la mort
         de Panounia, qui fut enterré par les sauvages selon leur
123/271  coustume, lesquels donnèrent en aprés quantité de pelleterie à
         un sien frere. Les presens faicts, ils partirent tous de ce
         lieu le 29 de Juin pour aller à la guerre à Chouacoet, qui est
         le pays des Almouchiquois.

[Note 155: Environ quatre cents, d'après Lescarbot. «Au commencement de
Juin,» dit-il, liv. IV, ch. XVII, «les Sauvages, au nombre d'environ
quatre cens, partirent de la cabanne que le _Sagamos Membertou_ avoit
façonné de nouveau en forme de ville environnée de hautes palissades,
pour aller à la guerre contre les Almouchiquois... Les Sauvages furent
prés de deux mois à s'assembler là. Membertou le grand Sagamos les avoit
fait avertir durant & avant l'hiver, leur ayant envoyé hommes exprés,
qui étoient ses deux fils _Actaudin & Actauddinech_, pour leur donner là
le rendez-vous.» (Liv. IV, ch. XVII.)]

         Quelques jours après l'arrivée dudict Chevalier, le sieur de
         Poitrincourt l'envoya à la riviere S. Jean & saincte Croix pour
         traicter quelque pelleterie: mais il ne le laissa pas aller
         sans gens pour ramener la barque, d'autant que quelques uns
         avoient raporté qu'il desiroit s'en retourner en France avec le
         vaisseau où il estoit venu, & nous laisser en nostre
         habitation. L'Escarbot estoit de ceux qui l'accompagnèrent,
         lequel n'avoit encores sorty du port Royal: c'est le plus loin
         qu'il ayt esté, qui sont seulement 14 à 15 lieues plus avant
         que ledit port Royal [156].

[Note 156: «Je ne sçay, dit Lescarbot, à quel propos Champlein en la
relation de ses voyages imprimés l'an mil six cens treize, s'amuse à
écrire que je n'ay point été plus loin que Sainte-Croix, veu que je ne
di pas le contraire. Mais il est peu memoratif de ce qu'il fait, disant
là même, p. 151» (anc. édit.) «que dudit Sainte-Croix au port Royal n'y
a que quatorze lieues, & en la page 95» (p. 76 de cette édit.) «il avoit
dit qu'il y en a 25. Et si on regarde sa charte géographique, il s'en
trouvera pour le moins quarante.» (Liv. IV, ch. XVII.)--Il ne faut pas
faire un crime à Lescarbot d'avoir été piqué de la remarque de
Champlain; mais il est évident que la mauvaise humeur lui fait voir des
contradictions là où il n'y en a point. Champlain ne dit pas précisément
qu'il y ait quatorze lieues de Port-Royal à Sainte-Croix, mais seulement
que Lescarbot ne fut pas plus loin que quatorze ou quinze lieues au-delà
de Port-Royal; ce qui n'est point exact, il est vrai, si l'auteur veut
parler de la distance à Sainte-Croix; mais il est visible que Champlain,
dans cette phrase, reporte sa pensée sur la rivière Saint-Jean, où
Chevalier se rendait directement, et qui est en effet à quatorze ou
quinze lieues de Port-Royal. Quant aux distances marquées dans les
cartes de Champlain, il est impossible, avec toute la bonne volonté du
monde, de trouver même trente lieues de Sainte-Croix à Port-Royal. Ce
qui a trompé Lescarbot, sans doute, c'est que, dans les cartes de
Champlain, les chiffres de ses échelles, au lieu d'être marqués au bout
de chacune des divisions, sont placés au milieu de l'espace qui les
sépare.]

         Attendant le retour dudit Chevalier, le sieur de Poitrincourt
         fut au fonds de la baye Françoise dans une chalouppe avec 7 à 8
         hommes. Sortant du port & mettant le cap au Nordest quart de
124/272  l'Est le de la coste quelque 25 lieues, fusmes à un cap, où le
         sieur de Poitrincourt voulut monter sur un rocher de plus de 30
         thoises de haut, où il courut fortune de sa vie: d'autant
         qu'estant sur le rocher, qui est fort estroit, où il avoit
         monté avec assez de difficulté, le sommet trembloit soubs luy:
         le subject estoit que par succession de temps il s'y estoit
         amassé de la mousse de 4 à 5 pieds d'espois laquelle n'estant
         solide, trembloit quand on estoit dessus, & bien souvent quand
         on mettoit le pied sur une pierre il en tomboit 3 ou 4 autres:
         de sorte que s'il y monta avec peine, il descendit avec plus
         grande difficulté, encore que quelques matelots, qui sont gens
         assez adroits à grimper, luy eussent porté une haussiere (qui
         est une corde de moyenne grosseur) par le moyen de laquelle il
         descendit. Ce lieu fut nommé le cap de Poitrincourt [157], qui
         est par la hauteur de 45 degrez deux tiers de latitude.

[Note 157: Ce cap a été appelé depuis cap Fendu _(Cape Split)_. Sa
latitude est de 45° 22'.]

         Nous fusmes au fonds d'icelle baye [158], & ne vismes autre
         chose que certaines pierres blanches à faire de la chaux: Mais
         en petite quantité, & force mauves, qui sont oiseaux, qui
         estoient dans des isles: Nous en prismes à nostre volonté, &
         fismes le tour de la baye pour aller au port aux mines, où
         j'avois esté auparavant, & y menay le sieur de Poitrincourt,
         qui y print quelques petits morceaux de cuivre, qu'il eut avec
         bien grand peine. Toute ceste baye peut contenir quelque 20
         lieues de circuit, où il y a au fonds une petite riviere, qui
125/273  est fort platte & peu d'eau. Il y a quantité d'autres petits
         ruisseaux & quelques endroits, où il y a de bons ports, mais
         c'est de plaine mer, où l'eau monte de cinq brasses. En l'un de
         ces ports [159] 3 à 4 lieues au Nort du cap de Poitrincourt
         trouvasmes une Croix qui estoit fort vieille, toute couverte de
         mousse & presque toute pourrie, qui monstroit un signe evident
         qu'autrefois il y avoit esté des Chrestiens. Toutes ces terres
         sont forests tres-espoisses, où le pays n'est pas trop
         aggreable, sinon en quelques endroits.

[Note 158: Le bassin des Mines.]

[Note 159: Probablement la baie de Greville.]

         Estant au port aux mines nous retournasmes à nostre habitation.
         Dedans icelle baye y a de grands transports de marée qui
         portent au Surouest.

         Le 12 de Juillet arriva Ralleau secretaire du sieur de Mons,
         luy quatriesme dedans une chalouppe, qui venoit d'un lieu
         appelé Niganis[160], distant du port Royal de quelque 160 ou
         170 lieues, qui confirma au sieur de Poitrincourt ce que
         Chevalier lui avoit raporté.

[Note 160: Ou Niganiche, dans l'île du Cap-Breton, à six ou sept lieues
au sud du cap de Nord.]

         Le 3 Juillet [161] on fit équiper trois barques pour envoyer
         les hommes & commoditez qui estoient à nostre habitation pour
         aller à Campseau, distant de 115 lieues de nostre habitation, &
         à 45 degrez & un tiers de latitude, où estoit le vaisseau[162]
         qui faisoit pesche de poisson, qui nous devoit repasser en
         France.

[Note 161: Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait le 30
juillet, ce qui s'accorderait assez bien avec le récit de Lescarbot.
Voici comment celui-ci rapporte les circonstances du départ. «Sur le
point qu'il falut dire adieu au Port Royal, le sieur de Poutrincourt
envoya son peuple les uns après les autres trouver le navire, à
Campseau... Nous avions une grande barque, deux petites & une chaloupe.
Dans l'une des petites barques on mit quelques gens que l'on envoya
devant. Et le trentième de Juillet partirent les deux autres. J'étois
dans la grande, conduite par Champ-doré». (Liv. IV, ch. XVIII.)]

[Note 162: C'était le _Jonas_, par lequel était retourné Pont-Gravé.
(Lescarbot, liv. IV, ch. XVII.)]

126/274  Le sieur de Poitrincourt renvoya tous ses compagnons, & demeura
         luy neufieme en l'habitation pour emporter en France quelques
         bleds qui n'estoient pas bien à maturité.

         Le 10 d'Aoust arriva de la guerre Mabretou, lequel nous dit
         avoir esté à Chouacoet, & avoir tué 20 sauvages & 10 ou 12 de
         blessez, & que Onemechin chef de ce lieu, Marchin, & un autre
         avoient esté tués par Sasinou chef de la riviere de Quinibequi,
         lequel depuis fut tué par les compagnons d'Onemechin & Marchin.
         Toute ceste guerre ne fut que pour le subject de Panounia
         sauvage de nos amis, lequel, comme j'ay dict cy dessus avoit
         esté tué à Norembegue par les gens dudit Onemechin & Marchin.

         Les chefs qui sont pour le jourd'huy en la place d'Onemechin,
         Marchin, & Sasinou, sont leurs fils, sçavoir pour Sasinou,
         Pememen: Abriou pour Marchin son père: & pour Onemechin
         Queconsicq. Les deux derniers furent blessez par les gens de
         Mabretou, qui les attrapèrent soubs apparence d'amitié, comme
         est leur coustume, de quoy on se doit donner garde, tant des
         uns que des autres.



         _Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de
         Poitrincourt & de tous ses gens._

                            CHAPITRE XVII.

         L'Onsieme du mois d'Aoust partismes de nostre habitation dans
         une chalouppe, & rengeasmes la coste jusques au cap Fourchu, où
127/275  j'avois esté auparavant.

         Continuant nostre routte le long de la coste jusques au cap de
         la Héve (où fut le premier abort avec le sieur de Mons, le 8 de
         May 1604.) nous recogneusmes la coste depuis ce lieu jusques à
         Campseau, d'où il y a prés de 60 lieues: ce que n'avois encor
         fait, & la vis lors fort particulièrement, & en fis la carte
         comme du reste.

         Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre, qui est une isle
         ainsi appelée par quelques Mallouins[163], distante de la Héve
         de 15 lieues. En ce chemin y a quantité d'isles qu'avions
         nommées les Martyres pour y avoir eu des françois autrefois
         tués par les sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac
         & bayes: En une desquelles y a une riviere appelée saincte
         Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la
         hauteur de 44 degrez & 23 minuttes de latitude. Les isles &
         costes sont remplies de quantité de pins, sapins, boulleaux, &
         autres meschants bois. La pesche du poisson y est abbondante,
         comme aussi la chasse des oiseaux.

[Note 163: En souvenir d'une petite île du même nom qui est en face de
Saint-Malo. De Sésambre, on a fait S. Sambre, et les navigateurs
anglais, qui ne sont pas fort dévots aux saints, l'ont appelée
simplement Sambro.]

         De Sesambre passames une baye fort saine[164] contenant sept à
         huit lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au
         fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau
         [165], & fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues
         mettant le cap au Nordest quart d'Est, qui est assez bon pour
         des vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son
128/276  entrée y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la
         grande terre. Nous avons nommé ce lieu, le port saincte Helaine
         [166], qui est par la hauteur de 44 degrez 40 minuttes peu plus
         ou moins de latitude.

[Note 164: Cette baie Saine était appelée par les sauvages _Chibouctou_.
C'est la baie d'Halifax.]

[Note 165: C'est, sans doute, pour cette raison que l'auteur l'appelle
rivière Flatte, dans son édition de 1632.]

[Note 166: Le port de Sainte-Hélène est probablement celui qu'on a
appelé plus tard baie de Théodore, et dont on a fait _Jeddore_.]

         De ce lieu fusmes à une baye appelée la baye de toutes isles
         [167], qui peut contenir quelques 14 à 15 lieues: lieux qui
         sont dangereux à cause des bancs, basses & battures qu'il y a.
         Le pays est tresmauvais à voir, rempli de mesmes bois que j'ay
         dict cy dessus. En ce lieu fusmes contrariez de mauvais temps.

[Note 167: Ce qu'on a appelé, et ce qu'on appelle encore baie de
_Toutes-Iles_, n'est pas à proprement parler une baie. Dès les premiers
temps, on désignait sous ce nom tout l'archipel qui s'étend depuis la
chaîne de la rivière Théodore, jusqu'à quelques lieues en deçà de la
rivière Sainte-Marie; ce qui pouvait faire quatorze à quinze lieues,
comme dit Champlain. Aujourd'hui, ce que l'on appelle _baie des Iles_,
ne s'étend que du havre au Castor jusqu'à celui de Liscomb; c'est-à-dire
que la _baie des Iles_ d'aujourd'hui n'est pas même la moitié de la
_baie de Toutes-Iles_ d'autrefois.]

         De là passames proche d'une riviere qui en est distante de six
         lieues qui s'appelle la riviere de l'isle verte [168], pour y
         en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes
         est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue
         à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez
         un quart de latitude.

[Note 168: Denys, dans sa Description de l'Amérique, t. I, p. 116, dit
que la rivière de l'île Verte «a elle nommée Sainte-Marie par La
Giraudière, qui s'y est venu habiter.» Près de l'entrée de cette
rivière, il y a une île appelée Pierre-à-Fusil _(Wedge Island)_, qui
doit avoir porté le nom d'île Verte, que l'on donne aujourd'hui à une
autre île, située à l'entrée du port Sandwich ou _Country harbour_; et
une des raisons qui viennent à l'appui de cet avancé, c'est l'expression
dont se sert ici Champlain, _pour y en avoir une en son entrée_. En
effet cette île est seule à l'entrée de la rivière de Sainte-Marie;
tandis que celle qu'on appelle aujourd'hui île Verte ou _Green island_,
est la plus petite des trois qui sont situées à l'entrée du «cul-de-sac»
dont parle l'auteur un peu plus loin.]

129/277  De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac [169], & deux ou
         trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte
         trois lieux. Nous passames aussi par plusieurs isles qui sont
         rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles
         rangées[170], distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En
         après passames par une autre baye [171], où il y a plusieurs
         isles, & fusmes jusque à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui
         faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu
         esloignées de la terre, distantes des isles rangées quatre
130/278  lieues, & nommasmes [172] ce lieu le port de Savalette, qui
         estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche qui estoit
         Basque, lequel nous fit bonne chère, & fut tres-aise de nous
         voir: d'autant qu'il y avoit des sauvages qui luy vouloient
         faire quelque desplaisir: ce que nous empeschasmes.

[Note 169: Ce cul-de-sac, à l'entrée duquel il y a trois îles, était
appelé autrefois Mocodome. Aujourd'hui il est connu sous le nom de
Country harbour. Le cap qui ferme le port du côté de l'ouest a seul
retenu le nom ancien.]

[Note 170: Ces îles sont près de la terre ferme, à l'est de l'entrée de
la rivière Sainte-Catherine.]

[Note 171: Cette baie est évidemment celle qui porte maintenant le nom
de _Tor bay_.]

[Note 172: Quand l'auteur emploie cette expression _nommâmes_, il veut
dire simplement que le nom a été donné ou suggéré par quelqu'un de la
troupe. Cette fois ce fut à Lescarbot. «Nous arrivâmes, dit-il, à quatre
lieues de Campseau, à un Port où faisoit sa pêcherie un bon vieillart de
Saint-Jean de Lus nommé le Capitaine Savalet, lequel nous receut avec
toutes les courtoisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui est
petit, mais tres-beau) n'a point de nom, je l'ay qualifié sur ma Charte
géographique du nom de Savalet. Ce bon personnage nous dit que ce voyage
étoit le quarante-deuxième qu'il faisoit pardela, & toutefois les
Terreneuviers n'en font tous les ans qu'un. Il étoit merveilleusement
content de sa pêcherie, & nous disoit qu'il faisoit tous les jours pour
cinquante écus de Morues: & que son voyage vaudroit dix mille francs. Il
avoit seze hommes à ses gages: & son vaisseau étoit de quatre vints
tonneaux, qui pouvoit porter cent milliers de morues seches. Il étoit
quelquefois inquiété des Sauvages là cabannez, léquelz trop privément &
impudemment alloient dans son navire, & lui cmportoient ce qu'ilz
vouloient. Et pour éviter cela il les menaçoit que nous viendrions & les
mettrions tous au fil de l'épée s'ilz lui faisoient tort. Cela les
intimidoit, & ne lui faisoient pas tout le mal qu'autrement ilz eussent
fait. Neantmoins toutes les fois que les pécheurs arrivoient avec leurs
chaloupes pleines de poissons, ces Sauvages choisissoient ce que bon
leur sembloit, & ne s'amusoient point au Morues, ains prenoient des
Merlus, Bars, & Flétans qui vaudroient ici à Paris quatre écus, ou plus.
Car c'est un merveilleusement bon manger, quand principalement ilz sont
grands & épais de six doits, comme ceux qui se péchoient là. Et eût été
difficile de les empêcher en cette insolence, d'autant qu'il eût
toujours fallu avoir les armes en main, & la besogne fût demeurée. Or
l'honnêteté de cet homme ne s'étendit pas seulement envers nous, mais
aussi envers tous les nôtres qui passerent à son Port, car c'étoit le
passage pour aller & venir au Port-Royal. Mais il y en eut quelques uns
de ceux qui nous vindrent querir, qui faisoient pis que les Sauvages, &
se gouvernoient envers lui comme fait ici le gend'arme chez le bon
homme: chose que j'ouy fort à regret.» Plusieurs raisons nous font
croire que le port de Savalette est celui qu'on appelle aujourd'hui
_White haven_. Il est à environ quatre lieues des îles Rangées, et à six
de Canseau, comme l'auteur le remarque plus loin. Il est vrai que
Lescarbot le met à quatre lieues seulement de Canseau; mais rien, dans
son récit, ne vient confirmer son avancé: tandis que notre auteur marque
séparément la distance du port de Savalette aux îles Rangées et à
Canseau, et que ces deux distances réunies donnent exactement le nombre
de lieues qu'il y a des îles Rangées à Canseau. De plus, à l'entrée de
ce port, il y a plusieurs îles _qui sont un peu éloignées de la terre_;
et, dans le port même, certains noms que l'on y retrouve, semblent
rappeler la mémoire du vieux voyageur basque, comme l'île du Pêcheur, la
pointe au Pilote.]

         Partant de ce lieu arrivasmes à Campseau le 27 du mois, distant
         du port de Savalette six lieues, ou passames par quantité
         d'isles jusques audit Campseau, où trouvasmes les trois barques
         arrivées à port de salut. Champdoré & l'Escarbot vindrent
         audevant de nous pour nous recevoir. Aussi trouvasmes le
         vaisseau prest à faire voile qui avoit fait sa pesche, &
         n'attendoit plus que le temps pour s'en retourner: cependant
         nous nous donnasmes du plaisir parmy ces isles, où il y avoit
         telle quantité de framboises qu'il ne se peut dire plus.

         Toutes les costes que nous rengeasmes depuis le cap de Sable
         jusques en ce lieu sont terres médiocrement hautes, & costes de
         rochers, en la pluspart des endroits bordées de nombres d'isles
         & brisans qui jettent à la mer par endroits prés de deux
         lieues, qui sont fort mauvais pour l'abort des vaisseaux:
         Neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & raddes le
         long des costes Seines, s'ils estoient descouverts. Pour ce qui
         est de la terre elle est plus mauvaise & mal aggreable, qu'en
         autres lieux qu'eussions veus; si ce ne sont en quelques
         rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez plaisant: & ne faut
         doubter qu'en ces lieux l'yver n'y soit froid, y durant prés de
         six à sept mois.

131/279  Ce port de Campseau [173] est un lieu entre des isles qui est
         de fort mauvais abord, si ce n'est de beau-temps, pour les
         rochers & brisans qui sont au tour. Il s'y fait pesche de
         poisson vert & sec.

[Note 173: Ce nom de Campseau ou Canseau, que les Anglais écrivent
_Canso_, est sauvage, suivant Lescarbot (page 221 de la 3e édition). Le
P. F. Martin (App. de sa trad. du P. Bressani, p. 320), après avoir
mentionné Lescarbot, au sujet de ce mot, ajoute: «Thévet, dans un
manuscrit de 1586, dit qu'il vient de celui d'un navigateur français
nommé «Canse.» Le passage du manuscrit de 1586 est extrait mot pour mot
de la Cosmographie Universelle de Thévet. Or, en cet endroit l'auteur
parle des Antilles, et non du Canada; et, en second lieu, il n'écrit pas
Canse, mais Cause. Voici le passage en entier: «Quant à l'isle de
Virgengorde & celle de Ricque» (Porto-Rico), «basse & sablonneuse, il
vous faut tirer à celle de Sainct Domingue, & conduire les vaisseaux
droit à la poincte de la Gouade» (del Aguada) «qui est au bout de
l'isle» (de Porto-Rico), «puis à celle de Mona, premièrement que venir
aborder & mouiller l'ancre à l'isle Espagnole. Passé qu'avez, & doublé
la haulteur de laditte isle, vous apparoist la terre de Cause, qui prend
son nom de l'un des vaillans Capitaines pilotes, natif d'une certaine
villette, nommée Cause» (Cozes), «en Xainctonge, une lieue de maison de
Madion.» (Cosm. Universelle, verso du fol. 993.) Thévet ne parle donc
point de Canseau, dans ce passage, et son témoignage n'infirme en rien
celui de Lescarbot.]

         De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton qui est par la
         hauteur de 45 degrez trois quars[174] de latitude & 14 degrez
         50 minuttes[175] de declinaison de l'aimant y a huit lieues, &
         jusques au cap Breton 25, où entre les deux y a une grande baye
         [176] qui entre quelque 9 ou 10 lieues dans les terres & fait
         passage entre l'isle du cap Breton & la grand terre qui va
         rendre en la grand baye sainct Laurens, par où on va à Gaspé &
         isle parcée, où se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle
         du cap Breton est fort estroit: Les grands vaisseaux n'y
         passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des
         grands courans & transports de marée qui y sont: & avons nommé
         ce lieu le passage courant [177], qui est par la hauteur de 45
         degrez trois quarts de latitude.

[Note 174: L'extrémité la plus méridionale de l'île du Cap-Breton est à
45° 34', et la latitude du cap Breton lui-même est de 45° 57' environ.]

[Note 175: Il est assez probable qu'il faut lire 24° 50'. Aujourd'hui la
variation de l'aiguille au cap Breton est de prés de 24° de déclinaison
occidentale.]

[Note 176: La baie de Chédabouctou, que l'on a appelée quelque temps
baie de Milford.]

[Note 177: Le passage Courant a pris plus tard le nom de Fronsac, et
aujourd'hui on l'appelle passage ou détroit de Canseau.]

132/280  Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a
         quelque 80 lieues de circuit, & est la pluspart terre
         montagneuse: Neantmoins en quelques endroits fort aggreable. Au
         milieu d'icelle y a une manière de lac[178], où la mer entre
         par le costé du Nord quart du Nordouest, & du Su quart du Suest
         [179]: & y a quantité d'isles remplies de grand nombre de
         gibier, & coquillages de plusieurs sortes: entre autres des
         huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a deux
         ports, où l'on fait pesche de poisson: sçavoir le port aux
         Anglois[180], distant du cap Breton quelque 2 à 3 lieues: &
         l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues au Nord quart du Nordouest.
         Les Portuguais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y
         passèrent un yver: mais la rigueur du temps & les froidures
         leur firent abandonner leur habitation.

[Note 178: Le Bras-d'or, ou Labrador, dont le nom sauvage était
Bideauboch, d'après Bellin.]

[Note 179: L'auteur, dans sa carte de 1613, indique en effet une
communication entre le Bras-d'Or et les eaux du golfe vers le
nord-quart-de-nord-ouest; mais il n'en marque aucune du côté du sud-est.
On sait que le Bras-d'Or ne communique avec la mer que du côté de l'est
par la Grande et la Petite Entrées.]

[Note 180: Le port de Louisbourg.]

          Le 3 Septembre partismes de Campseau [181].

[Note 181: «Nous levâmes les ancres, dit Lescarbot, & avec beaucoup de
difficultez sortimes hors les brisans qui sont aux environs dudit
_Campseau_. Ce que nos mariniers firent avec deux chaloupes qui
portoient les ancres bien avant en mer pour soutenir notre vaisseau, à
fin qu'il n'allât donner contre les rochers. En fin étans en mer on
laissa à l'abandon l'une dédites chaloupes, & l'autre fut tirée dans le
Jonas, lequel outre notre charge portoit cent milliers de Morues, que
seches que vertes. Nous eûmes assez bon vent jusques à ce que nous
approchâmes les terres de l'Europe.» (Liv. IV, ch. XVIII.)]

         Le 4 estions le travers de l'isle de Sable.

         Le 6 Arrivasmes sur le grand banc, où se fait la pesche du
         poisson vert, par la hauteur de 45 degrez & demy de latitude.

         Le 26 entrasmes sur la Sonde proche des costes de Bretagne &
         Angleterre, à 65 brasses d'eau, & par la hauteur de 49 degrez &
         demy de latitude.

133/281  Et le 28, relachasmes à Roscou[182] en basse Bretagne, ou
         fusmes contrariés du mauvais temps jusqu'au dernier de
         Septembre, que le vent venant favorable nous nous mismes à la
         mer pour parachever nostre routte jusques à sainct Maslo[183],
         qui fut la fin de ces voyages [184], où Dieu nous conduit sans
         naufrage ny péril.

[Note 182: «Nous demeurâmes» à Roscou, dit Lescarbot, «deux jours & demi
à nous rafraîchir. Nous avions un sauvage qui se trouvoit assez étonné
de voir les batimens, clochers & moulins à vent de France: même les
femmes qu'il n'avoit onques veu vêtues à notre mode.»]

[Note 183: «En quoy je ne puis que je ne loue,» ajoute Lescarbot, «la
prévoyante vigilance de notre maître de navire Nicolas Martin, de nous
avoir si dextrement conduit en une telle navigation, & parmi tant
d'écueils & capharées rochers dont est remplie la cote d'entre le cap
d'Ouessans & ledit Saint Malo. Que si cetui ci est louable en ce qu'il a
fait, le capitaine Foulques ne l'est moins de nous avoir mené parmi tant
de vents contraires en des terres inconues où nous nous sommes efforcés
de jetter les premiers fondemens de la Nouvelle France.»]

[Note 184: Le vaisseau de Chevalier, qui était de Saint-Malo, était
rendu à sa destination. Champlain dut prendre de là le chemin de la
Saintonge. Messieurs de Poutrincourt, de Biencourt et Lescarbot, y
demeurèrent encore quelques jours, pendant lesquels ils visitèrent le
Mont-Saint-Michel et les pêcheries de Cancale; puis ils se mirent dans
une barque qui les conduisit à Honfleur. «En cette navigation,» dit
Lescarbot, «nous servit beaucoup l'expérience du sieur de Poutrincourt,
lequel voyant que nos conducteurs étoient au bout de leur latin, quand
il se virent entre les iles de Jersey & Sart» (Serck) «... il print sa
Charte marine en main, & fit le maitre de navire, de manière que nous
passames le Raz-Blanchart (passage dangereux à des petites barques) &
vinmes à l'aise suivant la côte de Normandie audit Honfleur.» (Liv. IV,
ch. XVIII.)]

         _Fin des voyages depuis l'an 1604, jusques en 1608._



135/283
[Illustration: Frise.]

                             LES VOYAGES
                        FAITS AV GRAND FLEUVE
                        SAINCT LAURENS PAR LE
                sieur de Champlain Capitaine ordinaire
                   pour le Roy en la marine, depuis
                    l'année 1608. jusques en 1612.


                            LIVRE SECOND.



         _Resolution du sieur de Mons pour faire les descouvertures par
         dedans les terres; sa commission, & enfrainte d'icelle par des
         Basques qui désarmèrent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accort
         qu'ils firent après entre eux._

                             CHAPITRE I.

         Estant de retour en France après avoir sejourné trois ans au
         pays de la nouvelle France, je fus trouver le sieur de Mons,
         auquel je recitay les choses les plus singulieres que j'y
         eusse veues depuis son partement, & luy donnay la carte & plan
         des costes & ports les plus remarquables qui y soient.

         Quelque temps après ledit sieur de Mons se delibera de
         continuer ses dessins, & parachever de descouvrir dans les
         terres par le grand fleuve S. Laurens, où j'avois esté par le
         commandement du feu Roy HENRY LE GRAND en l'an 1603. quelque
136/284  180 lieues, commençant par la hauteur 48 degrez deux tiers de
         latitude, qui est Gaspé entrée dudit fleuve jusques au grand
         saut, qui est sur la hauteur de 45 degrez & quelques minuttes
         de latitude, où finist nostre descouverture, & où les batteaux
         ne pouvoient passer à nostre jugement pour lors: d'autant que
         nous ne l'avions pas bien recogneue comme depuis nous avons
         fait.

         Or après que par plusieurs fois le sieur de Mons m'eust
         discouru de son intention touchant les descouvertures, print
         resolution de continuer une si genereuse, & vertueuse
         entreprinse, quelques peines & travaux qu'il y eust eu par le
         passé. Il m'honora de sa lieutenance pour le voyage: & pour
         cest effect fit equipper deux vaisseaux, où en l'un commandoit
         du Pont-gravé, qui estoit député pour les negotiations, avec
         les sauvages du pays, & ramener avec luy les vaisseaux: & moy
         pour hyverner audict pays.

         Le sieur de Mons pour en supporter la despence obtint lettres
         de sa Majesté pour un an, où il estoit interdict à toutes
         personnes de ne trafficquer de pelleterie avec les sauvages,
         sur les peines portées par la commission qui ensuit.

          «HENRY PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, _A
         nos amez & féaux Conseillers, les officiers de nostre Admirauté
         de Normandie, Bretaigne & Guienne, Baillifs, Seneschaux,
         Prevosts, Juges ou leurs Lieutenans, & à chacun d'eux endroict
         soy, en l'estendue de leurs ressorts, Jurisdictions &
         destroits, Salut: Sur l'advis qui nous a esté donné par ceux
         qui sont venus de la nouvelle France, de la bonté, fertilité
         des terres dudit pays, & que les peuples d'iceluy sont disposez
         à recevoir la cognoissance de Dieu, Nous avons resolu de faire
         continuer l'habitation qui avoit esté cy devant commencée audit
         pays, à fin que nos subjects y puissent aller librement
         trafficquer. Et sur l'offre que le sieur de Monts Gentil-homme
         ordinaire de nostre chambre, & nostre Lieutenant General audit
         pays, nous aurait proposée de faire ladite habitation, en luy
137/285  donnant quelque moyen & commodité d'en supporter la despence:
         Nous avons eu aggreable de luy promettre & asseurer qu'il ne
         serait permis à aucuns de nos subjects qu'à luy de trafficquer
         de pelleteries & autres marchandises, durant le temps d'un an
         seulement, és terres, pays, ports, rivieres & advenues de
         l'estendue de sa charge: Ce que voulons avoir lieu. Nous pour
         ces causes & autres considerations, à ce nous mouvans, vous
         mandons & ordonnons que vous ayez chacun de vous en l'estendue
         de vos pouvoirs, jurisdictions & destroicts, à faire de nostre
         part, comme nous faisons tres-expressement inhibitions &
         deffences à tous marchands, maistres & Capitaines de navires,
         matelots, & autres nos subjects, de quelque qualité & condition
         qu'ils soient, d'equipper aucuns vaisseaux, & en iceux aller ou
         envoyer faire traffic, ou trocque de Pelleteries, & autres
         choses avec les Sauvages de la nouvelle France, fréquenter,
         negotier, & communiquer durant ledit temps d'un an en
         l'estendue du pouvoir dudit sieur de Monts, à peine de
         desobeyssance, de confiscation entière de leurs vaisseaux,
         vivres, armes, & marchandises, au proffit dudit sieur de Monts
         & pour asseurance de la punition de leur desobeissance: Vous
         permettrez, comme nous avons permis & permettons audict sieur
         de Monts ou ses lieutenans, de saisir, appréhender, & arrester
         tous les contrevenans à nostre présente deffence & ordonnance,
         & leurs vaisseaux, marchandises, armes, vivres, & vituailles,
         pour les amener y remettre és mains de la Justice, & estre
         procedé, tant contre les personnes que contre les biens des
         desobeyssans, ainsi qu'il appartiendra. Ce que nous voulons, &
         vous mandons faire incontinent lire & publier par tous les
         lieux & endroicts publics de vosdits pouvoirs & jurisdictions,
         où vous jugerez, besoin estre, par le premier nostre Huissier
         ou Sergent sur ce requis, en vertu de ces presentes, ou coppie
         d'icelles, deuement collationnées pour une fois seulement, par
         l'un de nos amez & féaux Conseillers, Notaires & Secrétaires,
         ausquelles voulons foy estre adjoustée comme au present
         original, afin qu'aucuns de nosdits subjects n'en prétendent
         cause d'ignorance, ains que chacun obeysse & se conforme sur ce
         à nostre volonté. Mandons en outre à tous Capitaines de
         navires, maistres d'iceux, contre-maistres, matelots, & autres
         estans dans vaisseaux ou navires au port & havres dudit pays,
         de permettre, comme nous avons permis audit sieur de Monts, &
         autres ayant pouvoir & charge de luy, de visiter dans leursdits
         vaisseaux qui auront traicté de laditte Pelleterie, aprés que
         les presentes deffences leur auront esté signifiées. Nous
         voulons qu'à la requeste dudit sieur de Monts, ses lieutenans,
         & autres ayans charge, vous procédiez contre les desobeyssans &
         contrevenans, ainsi qu'il appartiendra: De ce faire vous
         donnons pouvoir, authorité, commission, & mandement special,
         nonobstant l'Arrest de nostre Conseil du 17e jour de Juillet
         dernier, clameur de haro, chartre normande, prise à-partie,
         oppositions, ou appellations quelsconques: Pour lesquelles, &
         sans prejudice d'icelles, ne voulons estre differé, & dont si
         aucune interviennent, nous en avons retenu & reservé à nous & à
         nostre Conseil la cognoissance, privativement à tous autres
         juges, & icelle interdite & défendue à toutes nos Cours &
         Juges: Car tel est nostre plaisir. Donné a Paris le septiesme
         jour de Janvier l'an de grâce, mil six cents huict. Et de
         nostre règne le dix-neufiesme. Signé, HENRY. Et plus bas. Par
         le Roy, Delomenie.

         Et seellé sur simple queue du grand seel de cire jaulne,_

         Collationné à l'original par moy Conseiller, Notaire &
         Secrétaire du Roy.»

138/286  Je fus à Honnefleur pour m'embarquer, où je trouvay le vaisseau
         de Pontgravé prest, qui partit du port, le 5 d'Avril; & moy le
         13 & arrivay sur le grand banc le 15 de May, par la hauteur de
         45 degrez & un quart de latitude, & le 26 eusmes cognoissance
         du cap saincte Marie, qui est par la hauteur de 46 degrez trois
         quarts [185] de latitude, tenant à l'isle de terreneufve. Le 27
         du mois eusmes la veue du cap sainct Laurens tenant à la terre
         du cap Breton & isle de sainct Paul, distante du cap de saincte
         Marie 83 lieues. Le 30 du mois eusmes cognoissance de l'isle
         percée, & de Gaspé qui est soubs la hauteur de 48 degrez deux
         tiers de latitude, distant du cap de sainct Laurens, 70 à 75
         lieues.

[Note 185: 46° 51'.]

         Le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac[186], distant de Gaspé
         80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'ancre à la radde du port [187]
         de Tadoussac, qui est à une lieue du port, lequel est comme une
         ance à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée
         fort estrange pour sa vistesse, où quelquesfois il vient des
         vents impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient
         que ceste riviere a quelque 45 ou 50 lieues du port de
         Tadoussac jusques au premier saut, qui vient du Nort Norouest.
         Ce port est petit, & n'y pourroit que quelque 20 vaisseaux: Il
         y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de Saguenay &
         d'une petite isle de rochers qui est presque coupée de la mer.

[Note 186: Ce que l'auteur dit ici de Tadoussac, est emprunté presque
mot pour mot au Voyage de 1603, p. 4-22.]

[Note 187: La rade du port de Tadoussac est le mouillage du
Moulin-Baude.]

139/287  Le reste sont montaignes hautes eslevées, où il y a peu de
         terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sappins &
         bouleaux[188]. Il y a un petit estanc proche du port renfermé
         de montagnes couvertes de bois. A l'entrée y a deux pointes
         l'une du costé du Surouest, contenant prés d'une lieue en la
         mer, qui s'appelle la pointe sainct Matthieu, ou autrement aux
         Allouettes, & l'autre du costé du Nordouest contenant demy
         quart de lieue, qui s'appele la pointe de tous les
         Diables[189], pour le grand danger qu'il y a. Les vents du Su
         Suest frappent dans le port, qui ne sont point à craindre: mais
         bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées
         assechent de basse mer: nostre vaisseau ne peust entrer dans le
         port pour n'avoir le vent & marée propre. Je fis aussitost
         mettre nostre basteau hors du vaisseau pour aller au port voir
         si Pont-gravé estoit arrivé. Comme j'estois en chemin, je
         rencontray une chalouppe & le pilotte de Pont-gravé & un
         Basque, qui me venoit advertir de ce qui leur estoit survenu
         pour avoir voulu faire quelques deffences aux vaisseaux Basques
         de ne traicter suivant la commission que le sieur de Mons avoit
         obtenue de sa majesté, Qu'aucuns vaisseaux ne pourroient
         traicter sans la permission du sieur de Monts, comme il estoit
         porté par icelle.

[Note 188: L'auteur avait dit, en 1603, «pins, cyprez, sapins & quelques
manières d'arbres de peu.» Il semble avoir reconnu que ce qu'il appelait
cyprès n'en était pas réellement.]

[Note 189: Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Voir 1603, note 2 de la
page 6.]

         Et que nonobstant les significations que peust faire Pont-gravé
         de la part de sa Majesté, ils ne laissoient de traicter la
140/288  force en la main, & qu'ils s'estoient mis en armes & se
         maintenoient si bien dans leur vaisseau, que faisant jouer
         touts leurs canons sur celuy de Pont-gravé, & tirant force
         coups de mousquets, il fut fort blessé, & trois des siens, dont
         il y en eust un qui en mourut, sans que le Pont fit aucune
         resistance: Car dés la première salve de mousquets qu'ils
         tirèrent il fut abbatu par terre. Les Basques vindrent à bort
         du vaisseau & enleverent tout le canon & les armes qui estoient
         dedans, disans qu'ils traicteroient nonobstant les deffences du
         Roy, & que quand ils seroient prés de partir pour aller en
         France il luy rendroient son canon & son amonition, & que ce
         qu'ils en faisoient estoit pour estre en seureté. Entendant
         toutes ces nouvelles, cela me fascha fort, pour le commencement
         d'une affaire, dont nous nous fussions bien passez.

         Or après avoir ouy du pilotte toutes ces choses je luy demanday
         qu'estoit venu faire le Basque au bort de nostre vaisseau, il
         me dit qu'il venoit à moy de la part de leur maistre appelé
         Darache, & de ses compagnons, pour tirer asseurance de moy, Que
         je ne leur ferois aucun desplaisir, lors que nostre vaisseau
         seroit dans le port.

         Je fis responce que je ne le pouvois faire, que premier je
         n'eusse veu le Pont. Le Basque dit que si j'avois affaire de
         tout ce qui despendoit de leur puissance qu'ils m'en
         assisteroient. Ce qui leur faisoit tenir ce langage, n'estoit
         que la cognoissance qu'ils avoient d'avoir failly comme ils
         confessoient, & la crainte qu'on ne leur laissast faire la
         pesche de balene.

141/289  Après avoir assez parlé je fus à terre voir le Pont pour
         prendre délibération de ce qu'aurions affaire, & le trouvay
         fort mal. Il me conta particulièrement tout ce qui s'estoit
         passé. Nous considerasmes que ne pouvions entrer audit port que
         par force, & que l'habitation ne fut pardue pour cette année,
         de sorte que nous advisasmes pour le mieux, (afin d'une juste
         cause n'en faire une mauvaise & ainsi se ruiner) qu'il failloit
         leur donner asseurance de ma part tant que je serois là & que
         le Pont n'entreprendroit aucune chose contre eux, mais qu'en
         France la justice se feroit & vuideroit le différent qu'ils
         avoient entr'eux.

         Darache maistre du vaisseau me pria d'aller à son bort, où il
         me fit bonne réception. Après plusieurs discours je fis
         l'accord entre le Pont & luy, & luy fis promettre qu'il
         n'entreprendroit aucune chose sur Pont-gravé ny au prejudice du
         Roy & du sieur de Mons. Que s'ils faisoient le contraire je
         tiendrois ma parole pour nulle: Ce qui fut accordé & signé d'un
         chacun.

         En ce lieu y avoit nombre de sauvages qui y estoient venus pour
         la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre
         vaisseau avec leurs canots[190], qui sont de 8 ou 9 pas de
         long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, &
         vont en diminuant par les deux bouts. Il sont fort subjects à
         tourner si on ne les sçay bien gouverner, & sont faicts
         d'escorce de boulleau, renforcez par le dedans de petits
         cercles de cèdre blanc, bien proprement arrangez: & sont si
142/290  légers qu'un homme en porte aysement un. Chacun peut porter la
         pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour
         aller en quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent
         avec eux. Depuis Chouacoet le long de la coste jusques au port
         de Tadoussac ils sont tous semblables.

[Note 190: Ce qui est dit ici du canot sauvage, est emprunté au Voyage
de 1603, p. 9 et 10.]



         _De la riviere du Saguenay, & des sauvages qui nous y vindrent
         abborder. De l'isle d'Orléans; & de tout ce que nous y avons
         remarqué de singulier._

                              CHAPITRE II.

         Aprés cest accord fait, je fis mettre des charpentiers à
         accommoder une petite barque du port de 12 à 14 tonneaux, pour
         porter tout ce qui nous seroit necessaire pour nostre
         habitation, & ne peut estre plustost preste qu'au dernier de
         Juin.

         Cependant j'eu moyen de visiter quelques endroits de la riviere
         du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une profondeur
         incroyable, comme 150 & 200 brasses[191]. A quelque cinquante
         lieues de l'entrée du port, comme dit est, y a un grand saut
         d'eau, qui descend d'un fort haut lieu & de grande impetuosité.
         Il y a quelques isles dedans icelle riviere qui sont fort
         desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins &
         bruieres. Elle contient de large demie lieue en des endroits, &
143/291  un quart en son entrée, où il y a un courant si grand qu'il est
         trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle porte
         encore hors. Toute la terre que j'y ay veue ne sont que
         montaignes & promontoires de rochers, la pluspart couverts de
         sapins & boulleaux, terre fort mal plaisante, tant d'un costé
         que d'autre: enfin ce sont de vrays deserts inhabités d'animaux
         & oyseaux: car allant chasser par les lieux qui me sembloient
         les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets,
         comme arondelles, & quelques oyseaux de riviere, qui y viennent
         en esté, autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure
         qu'il y fait. Ceste riviere vient du Norouest[192].

[Note 191: L'auteur donne ici au Saguenay une trop grande profondeur;
les plus forts sondages y sont de 150 brasses environ. Aussi
corrige-t-il cette erreur dans sa dernière édition.]

[Note 192: Ce que l'auteur dit ici du Saguenay, et de ce que lui ont
rapporté les sauvages, est du Voyage de 1603, avec quelques
corrections.]

         Les sauvages m'ont fait rapport qu'ayant passé le premier saut
         ils en passent huit autres, puis vont une journée sans en
         trouver, & de rechef en passent dix autres, & vont dans un lac,
         où ils font trois journées [193], & en chacune ils peuvent
         faire à leur aise dix lieues en montant: Au bout du lac y a des
         peuples qui vivent errans, & trois rivieres qui se deschargent
         dans ce lac, l'une venant du Nord [194], fort proche de la mer,
         qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les
144/292  autres deux[195] d'autres costes par dedans les terres, où il y
         a des peuples sauvages errans qui ne vivent aussi que de la
         chasse, & est le lieu où nos sauvages vont porter les
         marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures
         qu'ils ont, comme castors, martres, loups serviers, & loutres,
         qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos
         vaisseaux. Ces peuples septentrionaux disent aux nostres qu'ils
         voient la mer salée[196]; & si cela est, comme je le tiens pour
         certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les
         terres par les parties du Nort. Les sauvages disent qu'il peut
         y avoir de la mer du Nort au port de Tadoussac 40 à 50[197]
         journées à cause de la difficulté des chemins, rivieres & pays
         qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année y a
         des neges. Voyla au certain ce que j'ay appris de ce fleuve.
         J'ay desiré souvent faire ceste descouverture, mais je n'ay peu
         sans les sauvages, qui n'ont voulu que j'allasses avec eux ny
         aucuns de nos gens: Toutesfois ils me l'ont promis. Ceste
         descouverture ne seroit point mauvaise, pour oster beaucoup de
         personnes qui sont en doubte de ceste mer du Nort, par où l'on
         tient que les Anglois ont esté en ces dernières années pour
         trouver le chemin de la Chine.

[Note 193: Dans le Voyage de 1603, l'auteur avait dit «où ils sont deux
jours à rapasser; en chasque jour, ils peuvent faire à leur aise
quelques douze à quinze lieues»; ce qui était moins près de la réalité.
Le lac Saint-Jean a dix ou onze lieues de long; mais il est à remarquer
que, si les sauvages mettent deux ou trois jours à le passer, c'est
parce qu'ils ne se hasardent guère à le traverser, et qu'ils en font à
moitié le tour pour venir prendre l'une de ces grandes rivières dont
l'auteur parle un peu plus loin.]

[Note 194: La rivière Mistassini (grosse pierre), ou des Mistassins, qui
est le chemin de la baie d'Hudson. On l'a appelée aussi rivière des
Sables.]

[Note 195: Ces deux autres rivières sont: le Chomouchouan
(_Achouabmoussouan_, guet à l'orignal), qui vient du nord-ouest, et le
Péribauca (rivière Percée), qui vient du nord-est.]

[Note 196: La baie d'Hudson. Elle fut découverte en 1610 par Henry
Hudson, anglais de naissance, qui y passa l'hiver, et y périt
misérablement l'année suivante 1611. Voir le 4e vol. de Purchas et
_Belknap's Biog._ I, 394-407.]

[Note 197: Voir 1603, note 3 de la page 21.]


292a

[Illustration: R du Saguenay]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Une montaigne ronde sur le bort de la riviere du Saguenay.
B Le port de Tadoussac.
C Petit ruisseau d'eau douce.
D Le lieu où cabannent les sauvages quand ils viennent pour la traicte.
E Manière d'isle qui clost une partie du port de la riviere du Saguenay.
F (1) La pointe de tous les Diables.
G La riviere du Saguenay.
H La pointe aux allouettes (2).
I Montaignes fort mauvaises, remplies de sapins & boulleaux.
L Le moulin Bode.
M La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre attendant le vent & la
  marée.
N Petit estang proche du port.
O Petit ruisseau sortant de l'estang, qui descharge dans le Saguenay.
P Place sur la pointe sans arbres, où il y a quantité d'herbages.

(1) _f_, dans la carte. Cette pointe s'appelle aujourd'hui la pointe aux
Vaches.--(2) La lettre H est placée plutôt sur la batture que sur la
pointe aux Alouettes.


         Je party de Tadoussac le dernier du mois [198] pour aller à
         Quebecq, & passames prés d'une isle qui s'apelle l'isle aux
145/293  lievres, distante de six lieues dudict port, & est à deux
         lieues de la terre du Nort, & à prés de 4 lieues [199] de la
         terre du Su. De l'isle au lievres, nous fusmes à une petite
         riviere, qui asseche de basse mer, où à quelque 700 à 800 pas
         dedans y a deux sauts d'eau: Nous la nommasmes la riviere aux
         Saulmons[200], à cause que nous y en prismes. Costoyant la
         coste du Nort nous fusmes à une pointe qui advance à la mer,
         qu'avons nommé le cap Dauphin [201], distant de la riviere aux
         Saulmons 3 lieues. De là fusmes à un autre cap que nommasmes le
         cap à l'Aigle[202], distant du cap Daulphin 8 lieues: entre les
         deux y a une grande ance, où au fonds y a une petite riviere
         qui asseche de basse mer[203]. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle
         aux couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir
         environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant
         en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des
         prairies [204] & pointes de rochers, qui advancent quelque peu
         dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort
         batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui
146/294  l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie
         lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant
         dedans les terres, & l'avons nommée la riviere du gouffre[205],
         d'autant que le travers d'icelle la marée y court
         merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours
         fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la
         riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour
         d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste fusmes à un
         cap, que nous avons nommé le cap de tourmente[206], qui en est
         à cinq lieues, & l'avons ainsi nommé, d'autant que pour pe
         qu'il face de vent la mer y esleve comme si elle estoit plaine.
         En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes à l'isle
         d'Orléans, où il y a deux lieues, en laquelle du costé du Su y
         a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort
         aggreables, remplies de grandes prayries, & force gibier,
         contenant à ce que j'ay peu juger les unes deux lieux, & les
         autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers &
         basses fort dangereuses à passer qui sont esloignés de quelques
         deux lieues de la grand terre du Su. Toute ceste coste, tant du
         Nord que du Su, depuis Tadoussac jusques à l'isle d'Orléans,
         est terre montueuse & fort mauvaise, où il n'y a que des pins,
147/295  sappins, & boulleaux, & des rochers tresmauvais, où on ne
         sçauroit aller en la plus part des endroits.

[Note 198: Le 30 de juin.]

[Note 199: La côte du sud n'est qu'à environ 3 lieues; mais le peu
d'élévation qu'elle a, comparativement à celle du nord, la fait paraître
plus éloignée qu'elle n'est.]

[Note 200: Suivant toutes les apparences, cette rivière aux Saumons est
celle qui se jette dans le port à l'Équille, que l'on a appelé aussi
port aux Quilles (Skittles port). Son embouchure est à trois lieues du
cap au Saumon, et il n'y a point dans les environs d'autre rivière dont
la position réponde aussi bien à ce qu'en dit l'auteur. Il ne faut pas
la confondre avec le cap au Saumon.]

[Note 201: Ce nom a complètement disparu. Le cap Dauphin doit être le
même que le cap au Saumon. La pointe à l'Homme, sur laquelle il est
situé, avance à la mer d'une manière très-remarquable.]

[Note 202: Le cap aux Oies, qui est à près de deux lieues de l'île aux
Coudres. Ici la tradition est évidemment en défaut: car le cap à l'Aigle
d'aujourd'hui est bien à six lieues plus bas que celui auquel Champlain
a donné ce nom.]

[Note 203: Dans sa grande carte de 1632, l'auteur la désigne, par le
chiffre 4, sous le nom de rivière Platte. C'est celle de la Malbaie.
(Voir la note 2 de la page suivante.)]

[Note 204: Cette partie de l'île aux Coudres s'appelle encore Les
Prairies, ou Côte-des-Prairies.]

[Note 205: La rivière du Gouffre a gardé fidèlement son nom, malgré une
erreur qui s'est glissée dans l'édition de 1632. On y a reproduit tout
ce passage, en appliquant à la rivière du Gouffre une addition que
l'auteur destinait évidemment à celle de la Malbaie, comme le prouve
surabondamment la légende de la grande carte, où se trouvent ïndiquées
séparément la baie du Gouffre (la baie Saint-Paul, qui forme l'entrée de
la rivière du Gouffre) et la rivière Flatte ou Malbaie.]

[Note 206: Le cap Tourmente est à environ huit lieues de l'île aux
Coudres. La grande hauteur des Caps fait paraître les distances beaucoup
moindres.]

         Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du Su, distante de
         la grand terre une lieue & demie: & du costé du Nort demie
         lieue, contenant de long 6 lieues, & de large une lieue, ou
         lieue & demie, par endroits. Du costé du Nort elle est fort
         plaisante pour la quantité des bois & prayries qu'il y a: mais
         il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de pointes &
         rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où il y a
         quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits; &
         à l'embucheure[207] des vignes & autres bois comme nous avons
         en France. Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la
         grande riviere, où il y a de son entrée 120.[208] Au bout de
         l'isle y a un torent d'eau[209] du costé du Nort, qui vient
         d'un lac[210] qui est quelque dix lieues dedans les terres, &
         descend de dessus une coste qui a prés de 25 thoises[211] de
         haut, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante à
         voir bien que dans le pays on voye de hautes montaignes, qui
         paroissent de 15 à 20 lieues.

[Note 207: Ou _embuchure_. Ce mot, qui ne paraît pas avoir été fort en
usage, doit signifier ici entrée du bois, et la phrase revient à
celle-ci: «et, _à l'entrée du bois_, (il y a) des vignes, et autres
bois comme en France.» Notre vigne sauvage, en effet, se rencontre
ordinairement le long des rivières ou à l'entrée des bois.]

[Note 208: Cent vingt lieues.]

[Note 209: Au chapitre suivant, dans la carte des environs de Québec,
l'auteur l'indique, à la lettre H, sous le nom de Montmorency, et dans
l'édition de 1632, il ajoute ces mots, «que j'ay nommé le sault de
Montmorency.» Il est assez probable que ce fut à ce voyage de 1608 que
Champlain lui donna ce nom, en l'honneur du duc de Montmorency, à qui il
avait dédié son Voyage de 1603.]

[Note 210: Le lac des Neiges.]

[Note 211: Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.]



148/296  _Arrivée à Quebecq, où nous fismes nos logemens, sa situation.
         Conspiration contre, le service du Roy, & ma vie, par aucuns de
         nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa
         en cet affaire._

                             CHAPITRE III.

         De l'isle d'Orléans jusques à Quebecq, y a une lieue, & y
         arrivay le 3 Juillet: où estant, je cherchay lieu propre pour
         nostre habitation, mais je n'en peu trouver de plus commode, ny
         mieux situé que la pointe de Quebecq, ainsi appellé des
         sauvages[212], laquelle estoit remplie de noyers. Aussitost
         j'emploiay une partie de nos ouvriers à les abbatre pour y
         faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre
         fouiller la cave & faire des fossez: & l'autre à aller quérir
         nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose
         que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à
         couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun,
         & le soin que j'en eu.

[Note 212: Par ces mots «ainsi appelé des Sauvages» l'auteur veut dire,
suivant nous, que le mot _Québec_ est sauvage, et c'est ainsi que
Lescarbot l'a compris. Dans les différents dialectes de la langue
algonquine, le mot _kebec_ ou _kepac_ signifie rétrécissement. «_Kébec_,
en micmac,» dit un de nos missionnaires qui ont le mieux connu cette
langue (M. Bellanger), «veut dire _rétrécissement des eaux_ formé par
deux langues ou pointes de terre qui se croisent. Dans les premiers
temps que j'étais dans les missions, je descendais de Riscigouche à
Carleton; les deux sauvages qui me menoient en canot répétant souvent le
mot kebec, je leur demandai s'ils se préparaient à aller bientôt à
Québec Ils me repondirent: Non; regarde les deux pointes, et l'eau, qui
est resserrée en dedans: on appelle cela _kébec_ en notre langue.»
(Cours d'Hist. de M. Ferland, I, p. 90.) Cette pointe de Québec, où est
maintenant l'église de la basse ville, n'est presque plus reconnaissable
par suite de la disparution du Cul-de-Sac, à la place duquel on a fait
le marché Champlain.]


296a

[Illustration: Quebec]

_Les chifres montrent les brasses d'eau._

A Le lieu où l'habitation est bastie (1).
B Terre deffrichée où l'on seme du bled & autres grains (2).
C Les jardinages (3).
D Petit ruisseau qui vient de dedans des marescages (4).
E Riviere (5) où hyverna Jaques Quartier, qui de son temps la nomma
  saincte Croix, que l'on a transféré à 15 lieues audessus de Québec.
F Ruisseau des marais (6).
G Le lieu où l'on amassoit les herbages pour le bestail que l'on y avoit
  mené (7).
H Le grand saut de Montmorency qui descent de plus de 25 brasses de haut
  dans la riviere (8).
I Bout de l'isle d'Orléans.
L Pointe fort estroite (9) du costé de l'orient de Quebecq.
M Riviere bruyante, qui va aux Etechemains.
N La grande riviere S. Laurens.
O Lac de la riviere bruyante.
P Montaignes qui sont dans les terres; baye que j'ay nommé la nouvelle
  Bisquaye.
Q Lac du grand saut de Montmorency (10).
R Ruisseau de lours (11).
S Ruisseau du Gendre (12).
T Prairies qui sont inondées des eaux à toutes les marées.
V Mont du Gas (13) fort haut, sur le bort de la riviere.
X Ruiseau courant, propre à faire toutes sortes de moulins.
Y Coste de gravier, où il se trouve quantité de diamants un peu
  meilleurs que ceux d'Alanson.
Z La pointe aux diamants.
9 (14) Lieux où souvent cabannent les sauvages.

(1)C'est là proprement la pointe de Québec, qui comprenait l'espace
renfermé aujourd'hui entre la Place, la rue Notre-Dame et le
fleuve.--(2)Ce premier défrichement a dû être ce qu'on a appelé plus
tard _l'Esplanade du fort_, ou la _Grand-Place_, ou peut-être l'un et
l'autre. La Grand-Place devint en 1658 le fort des Hurons; c'était
l'espace compris entre la Côte de la basse ville et la rue du
Fort.--(3)Un peu au-dessus des jardinages, sur le penchant de la côte du
Saut-au-Matelot, on distingue une croix, qui semble indiquer que dès
lors le cimetière était où on le trouve quelques années après mentionné
pour la première fois.--(4)D'après les anciens plans de Québec, ces
marécages auraient été à l'ouest du Mont-Carmel et au pied des glacis de
la Citadelle. Le ruisseau venait passer à l'est du terrain des Ursulines
et des Jésuites, suivait quelque temps la rue de la Fabrique, jusqu'à la
clôture de l'Hôtel-Dieu, à l'est de laquelle il se jetait en bas du
côteau vers le pied de la côte de la Canoterie.--(5)La rivière
Saint-Charles. La lettre E n'indique pas précisément le lieu où hiverna
Jacques Cartier, mais seulement l'embouchure de la rivière (voir p.
156).--(6)A en juger par les contours du rivage, ce ruisseau, qui venait
du sud-ouest, se jetait dans le havre du Palais, vers l'extrémité ouest
du Parc.--(7)C'est probablement ce qu'on appela plus tard la grange de
Messieurs de la Compagnie, ou simplement la Grange, qui paraît avoir été
quelque part sur l'allée du Mont-Carmel.--(8)Le saut Montmorency a 40
brasses de haut, ou 240 pieds français, et même davantage.--(9)On voit
qu'en 1613, cette pointe n'avait pas encore de nom; en 1629, Champlain
l'appelle cap de Lévis: on peut donc conclure que cette pointe tire son
nom de celui du duc de Ventadour, Henri de Lévis, et qu'elle dut être
ainsi appelée entre les années 1625 et 1627, époque où il fut
vice-roi.--(10)Le lac des Neiges est la source de la branche ouest de la
rivière du Saut.--(11)La rivière de Beauport, qu'on appelle aussi la
Distillerie.--(12)Appelé plus tard ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers,
rivière Chalifour, et enfin rivière des Fous, à cause du nouvel asile
des Aliénés, sur l'emplacement duquel il passe
aujourd'hui.--(13)Élévation où est maintenant le bastion du Roi à la
Citadelle. Ce nom lui fut donné sans doute en souvenir de M. de Monts,
Pierre du Gas.--(14)Ce chiffre se retrouve non-seulement à la pointe du
cap Diamant, mais encore le long de la côte de Beauport et au bout de
l'île d'Orléans.


         Quelques jours après que je fus audit Quebecq, il y eut un
149/297  serrurier qui conspira contre le service du Roy; qui estoit
         m'ayant fait mourir, & s'estant rendu maistre de nostre fort,
         le mettre entre les mains des Basques ou Espagnols[213], qui
         estoient pour lors à Tadoussac, où vaisseaux ne peuvent passer
         plus outre pour n'avoir la cognoissance du partage ny des bancs
         & rochers qu'il y a en chemin [214].

[Note 213: Lescarbot prétend encore ici trouver Champlain en défaut,
parce que «les conspirateurs (qui dévoient exécuter leur entreprise dans
quatre jours) avoient proposé de livrer la place aux Hespagnols,
laquelle toutefois n'étoit à peine commencée à bâtir.» (Liv. V, ch. II.)
Il suffit de considérer les différentes circonstances du récit de
Champlain, pour voir qu'il n'y a pas l'ombre de contradiction. Quand le
complot fut formé, il n'était point question de livrer aux Espagnols un
fort déjà construit, puisque Duval «les avoit induits à telle trahison,
dés qu'ils partirent de France,» comme le déposent les témoins (voir
ci-après, p. 154). Le complot consistait donc à choisir le moment
opportun pour s'emparer de tout, que le fort fût achevé ou non. Or,
comme l'auteur le remarque plus loin (p. 150), les conjurés n'eussent pu
venir à bout de leur dessein une fois les barques arrivées de
Tadoussac.]

[Note 214: Dans un temps où l'on n'avait encore pu faire que des
observations incomplètes, c'eût été une vraie imprudence que de risquer
à monter plus haut un vaisseau de gros tonnage, puisque, de nos jours
même, avec des études spéciales, avec le secours des cartes marines si
exactes de l'Amirauté, nos pilotes canadiens, qui certes n'ont pourtant
pas dégénéré de leurs ancêtres, regardent encore la Traverse comme la
partie la plus difficile de la navigation du fleuve. (Voir Bayfield, I,
partie II, ch. XI.)]

         Pour exécuter son malheureux dessin, sur l'esperance d'ainsi
         faire sa fortune, il suborna quatre[215] de ceux qu'il croyoit
         estre des plus mauvais garçons, leur faisant entendre mille
         faulcetez & esperances d'acquérir du bien.

[Note 215: «Champlain racontant ce fait,» dit Lescarbot, «se met au
nombre des juges & dit que du Val en débaucha quatre, comme ainsi soit
que par son discours il ne s'en trouve que trois.» (Liv. V, ch. II.) Si
Champlain, après avoir affirmé que Duval en avait débauché quatre,
disait ensuite qu'il n'en débaucha que trois la contradiction sauterait
aux yeux; mais il n'en est rien. L'auteur dit bien que Duval en débaucha
quatre, ce qui faisait cinq conjurés; mais, de ces cinq, il n'en restait
plus que quatre, dès que Champlain eut accordé le pardon à Natel;
c'est-à-dire, qu'il n'y en eut que quatre qui subirent leur procès, et
qui furent condamnés.]

         Après que ces quatre hommes furent gaignez, ils promirent
         chacun de faire en sorte que d'attirer le reste à leur
         devotion, & que pour lors je n'avois personne avec moy en qui
         j'eusse fiance: ce qui leur donnoit encore plus d'esperance de
         faire reussir leur dessin: d'autant que quatre ou cinq de mes
150/298  compagnons, en qui ils sçavoient que je me fiois, estoient
         dedans les barques pour avoir esgard à conserver les vivres &
         commoditez qui nous estoient necessaires pour nostre
         habitation.

         Enfin ils sceurent si bien faire leurs menées avec ceux qui
         restoient, qu'ils devoient les attirer tous à leur devotion, &
         mesme mon laquay, leur promettant beaucoup de choses qu'ils
         n'eussent sceu accomplir.

         Estant donc tous d'accord, ils estoient de jour en autre en
         diverses resolutions comment ils me feroient mourir, pour n'en
         pouvoir estre accusez, ce qu'ils tenoient difficile: mais le
         Diable leur bandant à tous les yeux: & leur ostant la raison &
         toute la difficulté qu'ils pouvoient avoir, ils arresterent de
         me prendre à despourveu d'armes & m'estouffer, ou donner la
         nuit une fauce alarme, & comme je sortirois tirer sur moy, &
         que par ce moyen ils auroient plustost fait qu'autrement: tous
         promirent les uns aux autres de ne se descouvrir, sur peine que
         le premier qui en ouvriroit la bouche, seroit poignardé: & dans
         quatre jours ils devoient exécuter leur entreprise, devant que
         nos barques fussent arrivées: car autrement ils n'eussent peu
         venir à bout de leur dessin.

         Ce mesme jour arriva l'une de nos barques, où estoit nostre
         pilotte appelé le Capitaine Testu, homme fort discret. Après
         que la barque fut deschargée & preste à s'en retourner à
         Tadoussac, il vint à luy un serrurier appelé Natel, compagnon
         de Jean du Val chef de la traison, qui luy dit, qu'il avoit
151/299  promis aux autres de faire tout ainsi qu'eux: mais qu'en effect
         il n'en desiroit l'exécution, & qu'il n'osoit s'en déclarer, &
         ce qui l'en avoit empesché, estoit la crainte qu'il avoit qu'il
         ne le poignardassent.

         Après qu'Antoine Natel eust fait promettre audit pilotte de ne
         rien déclarer de ce qu'il diroit, d'autant que si ses
         compagnons le descouvroient, ils le feroient mourir. Le pilotte
         l'asseura de toutes choses, & qu'il luy declarast le fait de
         l'entreprinse qu'ils desiroient faire: ce que Natel fit tout au
         long: lequel pilotte luy dist, Mon amy vous avez bien fait de
         descouvrir un dessin si pernicieux, & montrez que vous estes
         homme de bien, & conduit du S. Esprit. Mais ces choses ne
         peuvent passer sans que le sieur de Champlain le scache pour y
         remedier, & vous promets de faire tant envers luy, qu'il vous
         pardonnera & à d'autres: & de ce pas, dit le pilotte, je le
         vays trouver sans faire semblant de rien, & vous, allez faire
         vostre besoigne, & entendez tousjours ce qu'ils diront, & ne
         vous souciez du reste. Aussitost le pilotte me vint trouver en
         un jardin que je faisois accommoder, & me dit qu'il desiroit
         parler à moy en lieu secret, où il n'y eust que nous deux. Je
         luy dis que je le voulois bien. Nous allasmes dans le bois, où
         il me conta toute l'affaire. Je luy demanday qui luy avoit dit.
         Il me pria de pardonner à celuy qui luy avoit déclaré: ce que
         je luy accorday bien qu'il devoit s'adresser à moy. Il
         croignoit dit-il qu'eussiez entré en cholere, & que l'eussiez
         offencé. Je luy dis que je sçavois mieux me gouverner que cela
         en telles affaires, & qu'il le fit venir, pour l'oyr parler. Il
152/300  y fut, & l'amena tout tremblant de crainte qu'il avoit que luy
         fisse quelque desplaisir. Je l'asseuray, & luy dy qu'il n'eust
         point de peur & qu'il estoit en lieu de seureté, & que je luy
         pardonnois tout ce qu'il avoit fait avec les autres, pourveu
         qu'il dist entièrement la vérité de toutes chose, & le subjet
         qui les y avoit meuz, Rien, dit-il, sinon que ils s'estoient
         imaginez que rendant la place entre les mains des Basques ou
         Espaignols, ils seroient tout riches, & qu'ils ne desiroient
         plus aller en France, & me conta le surplus de leur
         entreprinse.

         Après l'avoir entendu & interrogé, je luy dis qu'il s'en allast
         à ses affaires: Cependant je commanday au pilotte qu'il fist:
         approcher sa chalouppe: ce qu'il fit; & après donnay deux
         bouteilles de vin à un jeune homme, & qu'il dit à ces quatre
         galants principaux de l'entreprinse, que c'estoit du vin de
         present que ses amis de Tadoussac luy avoient donné & qu'il
         leur en vouloit faire part: ce qu'ils ne réfuserent, & furent
         sur le soir en la Barque, où il leur devoit donner la
         collation: je ne tarday pas beaucoup après à y aller, & les fis
         prendre & arrester attendant le lendemain.

         Voyla donc mes galants bien estonnez. Aussitost je fis lever un
         chacun (car c'estoit sur les dix heures du soir) & leur
         pardonnay à tous, pourveu qu'ils me disent la vérité de tout ce
         qui s'estoit passé, ce qu'ils firent, & après les fis retirer.

         Le lendemain je prins toutes leurs depositions les unes après
         les autres devant le pilotte & les mariniers du vaisseau,
         lesquelles je fis coucher par escript, & furent fort aises à ce
         qu'ils dirent, d'autant qu'ils ne vivoient qu'en crainte, pour
153/301  la peur qu'ils avoient les uns des autres, & principalement de
         ces quatre coquins qui les avoient ceduits; & depuis vesquirent
         en paix, se contentans du traictement qu'ils avoient receu,
         comme ils déposerent.

         Ce jour fis faire six paires de menottes pour les autheurs de
         la cedition, une pour nostre Chirurgien appelé Bonnerme, une
         pour un autre appelé la Taille que les quatre ceditieux avoient
         chargez, ce qui se trouva neantmoins faux, qui fut occasion de
         leur donner liberté.

         Ces choses estans faites, j'emmenay mes galants à Tadoussac, &
         priay le Pont de me faire ce bien de les garder, d'autant que
         je n'avois encores lieu de seureté pour les mettre, &
         qu'estions empeschez à édifier nos logemens, & aussi pour
         prendre resolution de luy & d'autres du vaisseau, de ce
         qu'aurions à faire là dessus. Nous advisames qu'après qu'il
         auroit fait ses affaires à Tadoussac, il s'en viendroit à
         Ouebecq avec les prisonniers, où les ferions confronter devant
         leurs tesmoins: & après les avoir ouis, ordonner que la justice
         en fut faite selon le délict qu'ils auroient commis.

         Je m'en retournay le lendemain à Quebecq pour faire diligence
         de parachever nostre magazin, pour retirer nos vivres qui
         avoient esté abandonnez de tous ces belistres, qui
         n'espargnoient rien, sans considerer où ils en pourroient
         trouver d'autres quand ceux là manqueroient: car je n'y pouvois
         donner remède que le magazin ne fut fait & fermé.

         Le Pont-gravé arriva quelque temps après moy, avec les
         prisonniers, ce qui apporta du mescontentement aux ouvriers qui
154/302  restoient, craignant que je leur eusse pardonné, & qu'ils
         n'usassent de vengeance envers eux, pour avoir déclaré leur
         mauvais dessin.

         Nous les fismes confronter les uns aux autres, où ils leur
         maintindrent tout ce qu'ils avoient déclaré dans leur
         dépositions, sans que les prisonniers leur deniassent le
         contraire, s'accusans d'avoir meschament fait, & mérité
         punition, si on n'usoit de misericorde envers eux, en
         maudissant Jean du Val, comme le premier qui les avoit induits
         à telle trahison, dés qu'ils partirent de France. Ledit du Val
         ne sceut que dire, sinon qu'il meritoit la mort, & que tout le
         contenu és informations estoit véritable, & qu'on eust pitié de
         luy, & des autres qui avoient adhéré à ses pernicieuses
         vollontez.

         Après que le Pont & moy, avec le Capitaine du vaisseau, le
         Chirurgien, maistre, contre maistre, & autres mariniers eusmes
         ouy leurs dépositions & confrontations, Nous advisames que ce
         seroit assez de faire mourir le dit du Val, comme le motif de
         l'entreprinse, & aussi pour servir d'exemple à ceux qui
         restoient, de se comporter sagement à l'advenir en leur devoir,
         & afin que les Espagnols & Basques qui estoient en quantité au
         pays n'en fissent trophée: & les trois autres condamnez d'estre
         pendus, & cependant les remmener en France entre les mains du
         sieur de Mons, pour leur estre fait plus ample justice, selon
         qu'il adviseroit, avec toutes les informations, & la sentence,
         tant dudict Jean du Val qui fut pendu & estranglé audit
         Quebecq, & sa teste mise au bout d'une pique pour estre plantée
         au lieu le plus eminent de nostre fort & les autres trois
         renvoyez en France.



155/303  _Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement
         & du lieu ou sejourna Jaques Quartier en l'an 1535._

                               CHAPITRE IV.

         Aprés que toutes ces choses furent passées le Pont partit de
         Quebecq le 18 Septembre pour s'en retourner en France avec les
         trois prisonniers. Depuis qu'ils furent hors tout le reste se
         comporta sagement en son devoir.

         Je fis continuer nostre logement, qui estoit de trois corps de
         logis à deux estages. Chacun contenoit trois thoises de long &
         deux & demie de large. Le magazin[216] six & trois de large,
         avec une belle cave de six pieds de haut. Tout autour de nos
         logemens je fis faire une galerie par dehors au second estage,
         qui estoit fort commode, avec des fossés de 15 pieds de large &
         six de profond: & au dehors des fossés, je fis plusieurs
         pointes d'esperons[217] qui enfermoient une partie du logement,
156/304  là où nous mismes nos pièces de canon: & devant le bastiment y
         a une place [218] de quatre thoises de large, & six ou sept de
         long, qui donne sur le bort de la riviere. Autour du logement y
         a des jardins qui sont très-bons, & une place de costé de
         Septemptrion qui a quelque cent ou six vingts pas de long, 50
         ou 60 de large [219]. Plus proche dudit Quebecq, y a une petite
         riviere [220] qui vient dedans les terres d'un lac distant de
         nostre habitation de six à sept lieues. Je tiens que dans cette
         riviere qui est au Nort & un quart du Norouest de nostre
         habitation, ce fut le lieu où Jaques Quartier yverna, d'autant
         qu'il y a encores à une lieue [221] dans la riviere des
         vestiges comme d'une cheminée, dont on a trouvé le fondement, &
         apparence d'y avoir eu des fossez autour de leur logement, qui
         estoit petit. Nous trouvasmes aussi de grandes pièces de bois
         escarrées, vermoulues, & quelques 3 ou 4 balles de canon.
         Toutes ces choses monstrent evidemment que c'a esté une
157/305  habitation, laquelle a esté fondée par des Chrestiens: & ce qui
         me fait dire & croire que c'est Jaques Quartier, c'est qu'il ne
         se trouve point qu'aucun aye yverné ny basty en ces lieux que
         ledit Jaques Quartier au temps de ses descouvertures, &
         failloit, à mon jugement, que ce lieu s'appelast sainte Croix,
         comme il l'avoit nommé, que l'on a transféré depuis à un autre
         lieu qui est 15 lieues de nostre habitation à l'Ouest, & n'y a
         pas d'apparence qu'il eust yverné en ce lieu que maintenant on
         appelle saincte Croix, ny en d'autres: d'autant qu'en ce chemin
         il n'y a riviere ny autres lieux capables de tenir vaisseaux,
         si ce n'est la grande riviere ou celle dont j'ay parlé cy
         dessus, où de basse mer y a demie brasse d'eau, force rochers &
         un banc à son entrée: Car de tenir des vaisseaux dans la grande
         riviere, où il y a de grands courans, marées & glaces qui
         charient en hyver, ils courroient risque de se perdre, aussi
         qu'il y a une pointe de sable qui advance sur la riviere, qui
         est remplie de rochers, parmy lesquels nous avons trouvé depuis
         trois ans un partage [222] qui n'avoit point encore esté
         descouvert: mais pour le passer il faut bien prendre son temps,
         à cause des pointes & dangers qui y sont. Ce lieu est à
         descouvert des vents de Norouest, & la riviere y court comme si
         c'estoit un saut d'eau, & y pert de deux brasses & demie. Il ne
         s'y voit aucune apparence de bastimens ny qu'un homme de
         jugement voulust s'establir en cest endroit, y en ayant
         beaucoup d'autres meilleurs quand on seroit forcé de demeurer,
158/306  J'ay bien voulu traicter de cecy, d'autant qu'il y en a
         beaucoup qui croyent que ce lieu fust la residence dudit Jaques
         Quartier[223]: ce que je ne croy pas pour les raisons cy
         dessus: car ledit Quartier en eust aussi bien fait le discours
         pour le laisser à la posterité comme il l'a fait de tout ce
         qu'il a veu & descouvert: & soustiens que mon dire est
         véritable: ce qui se peut prouver par l'histoire qu'il en a
         escrite.

[Note 216: Suivant toutes les apparences, ce premier magasin de Québec
était situé à angle droit avec les longs pans de l'église de la basse
ville, à peu près à l'endroit où est la chapelle latérale, et, comme ce
terrain continua d'appartenir au gouvernement jusqu'à ce qu'on y bâtit,
l'église, il y a tout lieu de croire que la limite de cette enceinte, du
côté du sud-ouest, était l'alignement du mur auquel est adossé le
maître-autel, avec l'encoignure des rues Saint-Pierre et Sous-le-Fort.]

[Note 217: Les deux corps de logis les plus rapprochés du fleuve
devaient faire entre eux un angle correspondant à celui que fait, un peu
plus en arrière, la rue Notre-Dame; par conséquent les deux pointes
d'éperons que figurent l'auteur dans la vue de ce premier logement,
enfermaient quelque peu l'habitation de ce côté. Cependant il semble
que, s'il n'y en avait eu que deux, Champlain n'aurait pas dit
plusieurs; en outre on remarque, dans ce dessin, la prolongation d'une
des faces de l'enceinte au-delà de l'angle oriental de l'habitation; ce
qui autorise à croire qu'il y avait une troisième pointe d'éperon du
côté du nord-est. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que ce côté
était plus exposé à une attaque.]

[Note 218: Cette place forme aujourd'hui une partie de la rue
Saint-Pierre, dont la direction s'est trouvée déterminée sans doute par
la position du corps de logis qui était le plus à l'est, comme semble
l'indiquer le dessin que nous en a conservé l'auteur.]

[Note 219: La largeur de la rue Notre-Dame, avec les emplacements qui la
bordent du côté du Nord, forment en effet une profondeur d'une
cinquantaine de pas.]

[Note 220: Cette _Petite Rivière_ (car les habitants de Québec
l'appellent encore ainsi) vient du lac Saint-Charles, qui n'est qu'à
environ quatre lieues de Québec. Les Montagnais, au rapport du Frère
Sagard, l'appelaient _Cabirecoubat_, «à raison, dit-il, qu'elle tourne
et fait plusieurs pointes.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. V.) Jacques
Cartier lui donna le nom de Sainte-Croix, parce qu'il y arriva le jour
de l'Exaltation de la sainte Croix, 14 septembre 1535; et enfin les
Récollets lui imposèrent le nom qu'elle porte généralement aujourd'hui,
et l'appelèrent rivière Saint-Charles, en mémoire du grand vicaire de
Pontoise, Charles Des Boues. (P. Chrestien LeClercq, Prem. établiss. de
la foi, vol I, p. 157.)]

[Note 221: Suivant l'auteur lui-même (édit. 1632, liv. I, ch. II),
Jacques Cartier hiverna à l'endroit où les PP. Jésuites fixèrent leur
demeure, «Or, dit M. Ferland (I, p. 26), les Jésuites bâtirent leur
première maison, ainsi que leur chapelle de Notre-Dame des Anges, à la
pointe formée par les rivières Saint-Charles et Lairet. C'est donc à
l'embouchure de la rivière Lairet, et vis-à-vis la pointe aux Lièvres,
que furent placés pour l'hiver la Grande et la Petite Hermine.» Il est
vrai que l'embouchure de la rivière Lairet n'est qu'à environ une
demi-lieue dans la Petite-Rivière; mais il est probable que Champlain
compte la distance depuis _l'habitation_.]

[Note 222: Le chenal du Richelieu. On sait combien il est difficile de
faire, dans un courant aussi rapide, des observations régulières et des
sondages suivis.]

[Note 223: Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, un siècle plus tard,
Charlevoix, qui avait connaissance des relations et de Champlain et de
Cartier, soutienne encore une opinion si dénuée de vraisemblance. (Voir
Hist. gén. de la Nouv. France, liv I.)]


303a

[Illustration: Abitation de Quebecq]

A Le magazin.
B Colombier.
C Corps de logis où sont nos armes, & pour loger les ouvriers.
D Autre corps de logis pour les ouvriers.
E Cadran.
F Autre corps de logis où est la forge, & artisans logés.
G Galleries tout au tour des logemens.
H Logis du sieur de Champlain.
I La porte de l'habitation, où il y a pont-levis.
L Promenoir autour de l'habitation contenant 10 pieds de large jusques
  sur le bort du fossé.
M Fossés tout autour de l'habitation.
N Plattes formes, en façon de tenailles pour mettre le canon.
O Jardin du sieur de Champlain.
P La cuisine.
Q Place devant l'habitation sur le bort de la riviere.
R La grande riviere de sainct Lorens.


         Et pour monstrer encore que ce lieu que maintenant on appelle
         saincte Croix n'est le lieu où yverna Jaques Quartier, comme la
         pluspart estiment, voicy ce qu'il en dit en des descouvertures,
         extrait de son histoire, asçavoir, Qu'il arriva à l'isle aux
         Coudres le 5 Decembre[224] en l'an 1535. qu'il appella de ce
         nom pour y en avoir, auquel lieu y a grand courant de marée, &
         dit qu'elle contient 3 lieues de long, mais quand on contera
         lieue & demie c'est beaucoup [225].

[Note 224: Le 6 septembre. (Voir le second Voyage de Cartier.)]

[Note 225: L'île aux Coudres a deux lieues de long, et une lieue de
large.]

         Et le 7 du mois jour de nostre dame [226], il partit d'icelle
         pour aller à mont le fleuve, où il vit 14 isles distantes de
         l'isle aux Coudres de 7 à 8 lieues du Su. En ce compte il
         s'esgare un peu, car il n'y en a pas plus de trois [227]: & dit
         que le lieu où sont les isles susd. est le commencement de la
159/307  terre ou province de Canada, & qu'il arriva à une isle de 10
         lieues de long & cinq de large, où il se fait grande pescherie
         de poisson, comme de fait elle est fort abondante,
         principalement en Esturgeon: mais de ce qui est de sa longueur
         elle n'a pas plus de six lieues & deux de large, chose
         maintenant assez cogneue. Il dit aussi qu'il mouilla l'ancre
         entre icelle isle & la terre du Nort, qui est le plus petit
         passage & dangereux, & là mit deux sauvages à terre qu'il avoit
         amenez en France, & qu'après avoir arresté en ce lieu quelque
         temps avec les peuples du pays il fit admener ses barques, &
         passa outre à mont ledict fleuve avec le flot pour cercher
         havre & lieu de seureté pour mettre les navires, & qu'ils
         furent outre le fleuve costoyant ladite isle contenant 10
         lieues comme il met, où au bout ils trouverent un affour d'eau
         fort beau & plaisant, auquel y a une petite riviere & havre de
         barre, qu'ils trouverent fort propre pour mettre leurs
         vaisseaux à couvert, & le nommèrent saincte Croix [228], pour y
         estre arrivez ce jour là lequel lieu s'appeloit au temps, &
         voyage dudit Quartier Stadaca[229], que maintenant nous
         appelons Quebecq, & qu'après qu'il eust recogneu ce lieu, il
         retourna quérir ses vaisseaux pour y yverner.

[Note 226: Champlain cite ici fidèlement; mais le 7 de septembre était,
comme aujourd'hui, la veille, et non le jour, de la Nativité de
Notre-Dame. Aussi Ramusio met-il: _la vigilia della Madona_; et Hakluyt:
_being our Ladies even_.]

[Note 227: L'auteur eût mieux fait, ce semble, de ne pas reprendre ici
le capitaine malouin, qui, au fond, est plus exact que lui. Il est bien
vrai que ces quatorze îles sont environ trois lieues plus haut, dans le
fleuve, que ne l'est l'île aux Coudres; mais celle-ci est
très-rapprochée de la côte du nord; tandis que les autres sont du côté
du sud. En sorte que, de l'île aux Coudres au point le plus rapproché de
l'île aux Oies, il n'y a guère moins de cinq lieues; et même, pour
entrer dans cet archipel, qui ne commence sensiblement qu'au haut de
l'île aux Grues, il faut faire pour le moins sept ou huit lieues en
ligne droite.]

[Note 228: Voir la note 3 de la page 156.]

[Note 229: Stadaconé (Second Voyage de Cartier).]

         Or est il donc à juger que de l'isle aux Coudres jusques à
         l'isle d'Orléans, il n'y a que 5 lieues, au bout de laquelle
         vers l'Occidant la riviere est fort spacieuse, & n'y a audit
160/308  affour, comme l'appelle Quartier, aucune riviere que celle
         qu'il nomma saincte Croix, distante de l'isle d'Orléans d'une
         bonne lieue, où de basse mer n'y a que demie brasse d'eau, &
         est fort dangereuse en son entrée pour vaisseaux, y ayant
         quantité d'esprons, qui sont rochers espars par cy par là, &
         faut balisser pour entrer dedans, où de plaine mer, comme j'ay
         dict, il y a 3 brasses d'eau, & aux grandes marées 4 brasses, &
         4 & demie ordinairement à plain flot, & n'est qu'à 1500 pas de
         nostre habitation, qui est plus à mont dans ladite riviere, &
         n'y a autre riviere, comme j'ay dit, depuis le lieu que
         maintenant on appelle saincte Croix, où on puisse mettre aucuns
         vaisseaux: Ce ne sont que de petits ruisseaux. Les costes son
         plattes & dangereuses, dont Quartier ne fait aucune mention que
         jusques à ce qu'il partit du lieu de saincte Croix appelé
         maintenant Quebecq, où il laissa ses vaisseaux, & y fit édifier
         son habitation comme on peut voir ainsi qu'il s'ensuit.

         Le 19 Septembre il partit de saincte Croix où estoient ses
         vaisseaux, & fit voile pour aller avec la marée à mont ledit
         fleuve qu'ils trouverent fort aggreable, tant pour les bois,
         vignes & habitations qu'il y avoit de son temps, qu'autres
         choses: & furent poser l'ancre à vingt cinq lieues de l'entrée
161/309  de la terre de Canada [230], qui est au bout de l'isle
         d'Orléans du costé de l'oriant ainsi appelée par ledit
         Quartier. Ce qu'on appelle aujourd'huy S. Croix s'appeloit lors
         Achelacy[231], destroit de la riviere, fort courant &
         dangereux, tant pour les rochers qu'autres choses, & où on ne
         peut passer que de flot, distant de Quebecq & de la riviere où
         yverna ledit Quartier 15 lieues.

[Note 230: «Charlevoix,» dit M. Ferland (I, p. 24), «croit que Cartier
s'est trompé en restreignant le nom de Canada à une très-petite partie
du pays... Cependant, nonobstant la haute autorité de Charlevoix, il est
permis de croire que Cartier, dans ses rapports avec les sauvages
pendant les deux hivers qu'il a passés près de Stadaconé, a dû apprendre
les noms des différentes parties du pays. Il s'explique fort clairement
sur les divisions territoriales reconnues par les nations qui habitaient
les bords du grand fleuve; et, d'après leur témoignage, il établit
l'existence des royaumes de Saguenay, de Canada et de Hochelaga, chacun
desquels était soumis à un chef principal. Donnacona, dont la résidence
ordinaire était à Stadaconé et dont l'autorité ne s'étendait pas au-delà
de quelques lieues autour de sa bourgade, est toujours désigné comme roi
de Canada. Cartier lui-même, le routier de Jean-Alphonse et l'auteur du
voyage de Roberval, donnent le nom de Canada à Stadaconé et à la pointe
de terre sur laquelle était ce village. Ce fut plus tard que le nom de
rivière de Canada fut assigné par les Français au fleuve qui traverse le
pays.»]

[Note 231: L'auteur suit, pour ce mot, l'orthographe de Lescarbot; mais
les trois relations manuscrites du Second Voyage de Cartier, portent
_Achelaiy_ ou _Achelayy_, et l'édition de 1545 _Ochelay_.]

         Or en toute ceste riviere n'y a destroit depuis Quebecq jusques
         au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle saincte
         Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre qui est
         fort dangereux, comme j'ay descript: & appert fort clairement
         par son discours, que ce n'est point le lieu de son
         habitation, comme dit est, & que ce fut proche de Quebecq &
         qu'aucun n'avoit encore recerché ceste particularité, sinon ce
         que j'ay fait en mes voyages: Car dés la première fois qu'on
         me dit qu'il avoit habité en ce lieu, cela m'estonna fort, ne
         voyant apparence de riviere pour mettre vaisseaux, comme il
         descrit. Ce fut ce qui m'en fit faire exacte recerche pour en
         lever le soubçon & doubte à beaucoup.

         Pendant que les Charpentiers, scieurs d'aix & autres ouvriers
         travailloient à nostre logement, je fis mettre tout le reste à
         desfricher au tour de l'habitation, afin de faire des
         jardinages pour y semer des grains & grennes pour voir comme
         le tout succederoit, d'autant que la terre parroissoit fort
         bonne.

162/310  Cependant quantité des sauvages estoient cabannés proche de
         nous, qui faisoient pesche d'anguilles qui commencent à venir
         comme au 15 de Septembre, & finit au 13 Octobre. En ce temps
         tous les sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font
         secher pour l'yver jusques au mois de Fevrier, que les neiges
         sont grandes comme de 2 pieds & demy, & 3 pieds pour le plus,
         qui est le temps que quand leurs anguilles & autres choses
         qu'ils font checher, sont accommodées, ils vont chasser aux
         Castors, où ils sont jusques au commencement de Janvier. Comme
         ils y furent, ils nous laisserent en garde toutes leurs
         anguilles & autres choses jusques à leur retour, qui fut au 15
         Décembre, & ne firent pas grand chasse de Castors pour les
         eaux estre trop grandes, & les rivieres desbordées, ainsi
         qu'ils nous dirent. Je leur rendis toutes leurs vituailles qui
         ne leur durèrent que jusques au 20 de Janvier. Quand leurs
         anguilles leur faillent ils ont recours à chasser aux Eslans &
         autres bestes sauvages, qu'ils peuvent trouver en attendant le
         printemps, où j'eu moyen de les entretenir de plusieurs
         choses. Je consideray fort particulièrement leurs
         coustumes[232].

[Note 232: L'auteur répète ici, avec quelques corrections, ce qu'il dit
dans son Voyage de 1603, ch. III.]

         Tous ces peuples patissent tant, que quelquesfois ils sont
         contraincts de vivre de certains coquillages, & manger leurs
         chiens & peaux dequoy ils se couvrent contre le froid. Je tiens
         que qui leur monstreroit à vivre, & leur enseigneroit le
         labourage des terres, & autres choses, ils apprendroient fort
         bien: car ils s'en trouve assez qui ont bon jugement &
163/311  respondent à propos sur ce qu'on leur demande. Ils ont une
         meschanceté en eux, qui est d'user de vengeance, & d'estre
         grands menteurs, gens ausquels il ne se faut pas trop
         asseurer, sinon avec raison, & la force en la main. Ils
         promettent assez, mais ils tiennent peu. Ce sont gens dont la
         pluspart n'ont point de loy, selon que j'ay peu voir, avec
         tout plain d'autres fauces croyances. Je leur demanday de
         quelle sorte de cérémonies ils usoient à prier leur Dieu, ils
         me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un
         chacun le prioit en son coeur, comme il vouloit. Voila
         pourquoy il n'y a aucune loy parmy eux, & ne sçavent que c'est
         d'adorer & prier Dieu, vivans comme bestes bruttes, & croy que
         bien tost ils seroient réduits bons Chrestiens si on habitoit
         leur terre, ce qu'ils désirent la pluspart. Ils ont parmy eux
         quelques sauvages qu'ils appellent Pillotois, qu'ils croient
         parler au Diable visiblement, leur disant ce qu'il faut qu'ils
         facent, tant pour la guerre que pour autres choses, & s'ils
         leur commandoit qu'ils allassent mettre en exécution quelque
         entreprinse, ils obeiroient aussitost à son commandement:
         Comme aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font, sont
         véritables: & de fait, il y en a beaucoup qui disent avoir veu
         & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais pour en
         parler avec vérité, ce sont visions Diabolique qui les trompe
         & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre de leur
         croyance bestialle. Tous ces peuples sont gens bien
         proportionnez de leurs corps, sans difformité, & sont dispos.
164/312  Les femmes sont aussi bien formées, potelées & de couleur
         bazannée, à cause de certaines peintures dont elles se
         frotent, qui les fait demeurer olivastres. Ils sont habillez
         de peaux: une partie de leur corps est couverte & l'autre
         partie descouverte: mais l'yver ils remédient à tout: car ils
         sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux d'Eslan,
         Loustres, Castors, Ours, Loups marins, Cerfs & Biches qu'ils
         ont en quantité. L'yver quand les neges sont grandes ils font
         une manière de raquettes qui sont grandes deux ou trois fois
         plus que celles de France, qu'ils attachent à leurs pieds, &
         vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car autrement ils ne
         pourroient chasser ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont
         aussi une façon de mariage, qui est, Que quand une fille est
         en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs serviteurs
         elle a compagnie avec tous ceux que bon luy semble: puis au
         bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy plaist pour son
         mary, & vivent ensemble jusques à la fin de leur vie: sinon
         qu'après avoir demeuré quelque temps ensemble, & elles n'ont
         point enfans, l'homme se peut desmarier & prendre une autre
         femme, disant que la sienne ne vaut rien: Par ainsi les filles
         sont plus libres que les femmes.

         Depuis qu'elles sont mariés, elles sont chastes, & leurs maris
         sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens aux
         pères ou parens des filles qu'ils ont espousez. Voila les
         cérémonies & façons dont ils usent en leurs mariages. Pour ce
         qui est de leurs enterremens: Quand un homme, ou une femme
         meurt, ils font une fosse, où ils mettent tout le bien qu'ils
         ont, comme chaudières, fourrures, haches, arcs, flèches,
165/313  robbes & autres choses: puis ils mettent le corps dans la
         fosse & le couvrent de terre, & mettent quantité de grosses
         pièces de bois dessus, & une autre debout qu'ils peindent de
         rouge par enhaut. Ils croyent l'immortalité des âmes, & disent
         qu'ils vont se rejouir en d'autres pays, avec leurs parens &
         amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou autres ayans
         quelque créance, ils vont après leur mort, trois fois l'année
         faire un festin, chantans & dançans sur leur fosse.

         Tout le temps qu'ils furent avec nous, qui estoit le lieu le
         plus de seureté pour eux, ils ne laissoient d'aprehender
         tellement leurs ennemis, qu'ils prenoient souvent des alarmes
         la nuit en songeant, & envoyoient leurs femmes & enfans à
         nostre fort, où je leur faisois ouvrir les portes, & les
         hommes demeurer autour dudict: fort, sans permettre qu'ils
         entrassent dedans, car ils estoient autant en seureté de leurs
         personnes comme s'ils y eussent esté, & faisois sortir cinq ou
         six de nos compagnons pour leur donner courage, & aller
         descouvrir parmy les bois s'ils verroient rien pour les
         contenter. Ils sont fort craintifs & aprehendent infiniment
         leurs ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque
         lieu qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours
         de ce qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire
         comme nous, sçavoir veiller une partie, tandis que les autres
         dormiront, & chacun avoir ses armes prestes comme celuy qui
         fait le guet, & ne tenir les songes pour vérité, sur quoy ils
         se reposent: d'autant que la pluspart ne sont que menteries,
         avec autres propos sur ce subject: mais peu leur servoient ces
166/314  remonstrances, & disoient que nous sçavions mieux nous garder
         de toutes choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions
         leur pays, ils le pourroient apprendre.



         _Semences & vignes plantées a Quebecq. Commencement de l'hiver
         & des glaces. Extresme necessité de certains sauvages._

                               CHAPITRE V.

         Le premier Octobre, je fis semer du bled, & au 15 du seigle.

         Le 3 du mois il fit quelques gelées blanches, & les feuilles
         des arbres commencèrent à tomber au 15.

         Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent
         fort belles: Mais après que je fus party de l'habitation pour
         venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soing,
         qui m'affligea beaucoup à mon retour.

         Le 18 de Novembre tomba quantité de neges, mais elles ne
         durèrent que deux jours sur la terre, & fit en ce temps un
         grand coup de vent. Il mourut en ce mois un matelot & nostre
         serrurier[233], de la dissenterie, comme firent plusieurs
         sauvages à force de manger des anguilles mal cuites, selon mon
         advis.

[Note 233: Antoine Natel (voir ci-dessus, p. 150).]

         Le 5 Fevrier il negea fort, & fit un grand vent qui dura deux
         jours.

         Le 20 du mois il apparut à nous quelques sauvages qui estoient
         de dela la riviere, qui crioyent que nous les allassions
167/315  secourir, mais il estoit hors de nostre puissance, à cause de
         la riviere qui charioit un grand nombre de glaces, car la faim
         pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne sçachans que
         faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans,
         ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que
         je les assisterois en leur extresme necessité. Ayant donc
         prins ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs
         enfans, & se mirent en leurs canaux, pensant gaigner nostre
         coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faitte:
         mais ils ne furent sitost au milieu de la riviere, que leurs
         canaux furent prins & brisez entre les glaces en mille pièces.
         Ils firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans que
         les femmes portoient sur leur dos, dessus un grand glaçon.
         Comme ils estoient là dessus, on les entendoit crier, tant que
         c'estoit grand pitié, n'esperans pas moins que de mourir: Mais
         l'heur en voulut tant à ces pauvres miserables, qu'une grande
         glace vint choquer par le costé de celle où ils estoient, si
         rudement qu'elle les jetta à terre. Eux voyant ce coup si
         favorable furent à terre avec autant de joye que jamais ils en
         receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en
         vindrent à nostre habitation si maigres & deffaits, qu'ils
         sembloyent des anathomies, la pluspart ne pouvans se
         soubstenir. Je m'estonnay de les voir, & de la façon qu'ils
         avoient passé, veu qu'ils estoient si foibles & debilles. Je
         leur fis donner du pain & des feves. Ils n'eurent pas la
         patience qu'elles fussent cuites pour les manger. Je leur
         pretay aussi quelques escorces d'arbres, que d'autres sauvages
168/316  m'avoient donné pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se
         cabannoient, ils adviserent une charongne qu'il y avoit prés de
         deux mois que j'avois fait jetter pour attirer des regnards,
         dont nous en prenions de noirs & roux, comme ceux de France,
         mais beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une
         truye & un chien qui avoient enduré toutes les rigueurs du
         temps chaut & froit. Quand le temps s'adoulcissoit, elles puoit
         si fort que l'on ne pouvoit durer auprès: neantmoins ils ne
         laisserent de la prendre & emporter en leur cabanne, où
         aussitost ils la devorerent à demy cuite, & jamais viande ne
         leur sembla de meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes
         les advertir qu'ils n'en mengeassent point s'ils ne vouloient
         mourir: comme ils approchèrent de leur cabanne, ils sentirent
         une telle puanteur de ceste charongne à demy eschauffée, dont
         ils avoient chacun une pièce en la main, qu'ils pencerent
         rendre gorge, qui fit qu'ils n'y arresterent gueres. Ces
         pauvres miserables acheverent leur festin. Je ne laissay
         pourtant de les accommoder selon ma puissance, mais c'estoit
         peu pour la quantité qu'ils estoient: & dans un mois ils
         eussent bien mangé tous nos vivres, s'ils les eussent eu en
         leur pouvoir, tant ils sont gloutons: Car quand ils en ont, ils
         ne mettent rien en reserve, & en font chère entière jour &
         nuit, puis après ils meurent de faim. Ils firent encore une
         autre chose aussi miserable que la première. J'avois fait
         mettre une chienne au haut d'un arbre, qui servoit d'appas aux
         martres & oiseaux de proye, où je prenois plaisir, d'autant
         qu'ordinairement ceste charongne en estoit assaillie: Ces
169/317  sauvages furent à l'arbre & ne pouvans monter dessus à cause de
         leur foiblesse, ils l'abbatirent, & aussitost enleverent le
         chien, où il n'y avoit que la peau & les os, & la teste puante
         & infaicte, qui fut incontinent devoré.

         Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en yver: Car en
         esté ils ont assez de quoy se maintenir & faire des provisions,
         pour n'estre assaillis de ces extresmes necessitez, les
         rivieres abbondantes en poisson & chasse d'oiseaux & austres
         bestes sauvages. La terre est fort propre & bonne au labourage,
         s'ils vouloient prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde,
         comme font tous leurs voisins Algommequins, Ochastaiguins[234]
         & Yroquois, qui ne sont attaquez d'un si cruel assaut de famine
         pour y sçavoir remédier par le soin & prevoyance qu'ils ont,
         qui fait qu'ils vivent heureusement au pris de ces Montaignets,
         Canadiens [235] & Souriquois qui sont le long des costes de la
         mer. Voila la pluspart de leur vie miserable. Les neiges & les
         glaces y sont trois mois sur la terre, qui est depuis le mois
         de Janvier jusques vers le huictiesme d'Avril, qu'elles sont
         presque toutes fondues: Et au plus à la fin dudict mois il ne
         s'en voit que rarement au lieu de nostre habitation. C'est
         chose estrange, que tant de neiges & glaces qu'il y a espoisses
         de deux à trois brasses sur la riviere soient en moins de 12
         jours toutes fondues. Depuis Tadoussac jusques à Gaspé, cap
170/318  Breton, isle de terre neufve & grand baye, les glaces & neges y
         sont encores en la pluspart des endroits jusques à la fin de
         May: auquel temps toute l'entrée de la grande riviere est
         scelée de glaces: mais à Quebecq il n'y en a point: qui montre
         une estrange différence pour 120 lieues de chemin en
         longitude[236]: car l'entrée de la riviere est par les 49, 50 &
         51 degré de latitude, & nostre habitation par les 46. & deux
         tiers [237].

[Note 234: C'est ainsi que Champlain a d'abord appelé les Hurons, du nom
d'Ochateguin, l'un de leurs chefs.]

[Note 235: A cette époque on comprenait sous le nom de _Canadiens_ les
sauvages qui demeuraient plus bas que le Saguenay, sur les bords de la
_grande rivière de Canada_. «Au costé gauche de ce fleuve» (du
Saguenay), dit Laët, «commence la province des Sauvages appelles
vulgairement _Canadiens_.» (Description des Indes Occidentales, liv. II,
ch. VIII.)]

[Note 236: Champlain n'ignorait pas que c'est surtout la différence de
latitude qui fait la différence des climats; mais ce qui paraît le
surprendre, c'est que, à une si petite distance dans le fleuve, il y ait
une si grande différence de température, lorsque la latitude ne diffère
que de trois ou quatre degrés.]

[Note 237: D'après le capitaine Bayfield, la latitude de Québec est de
46° 49' 8", au bastion de l'Observatoire.]



         _Maladies de la terre, à Quebecq. Le suject de l'yvernement.
         Description dudit lieu. Arrivée du sieur des Marais gendre de
         Pont-gravé, audit Quebecq._

                               CHAPITRE VI.

         Les maladies de la terre commencèrent à prendre fort tart, qui
         fut en Fevrier jusqu'à la my Avril. Il en fut frappé 18 & en
         mourut dix, & cinq autres de la disenterie. Je fis faire
         ouverture de quelques uns, pour voir s'ils estoient offencez
         comme ceux que j'avois veus és autres habitations: on trouva le
         mesme. Quelque temps après nostre Chirurgien [238] mourut. Tout
         cela nous donna beaucoup de desplaisir, pour la peine que nous
         avions à penser les malades. Cy dessus J'ay descript la forme
         de ces maladies.

[Note 238: Il s'appelait Bonnerme (voir, ci-dessus, p. 153).]

171/319  Or je tiens qu'elles ne proviennent que de manger trop de
         salures & légumes, qui eschaufent le sang, & gastent les
         parties intérieures. L'yver aussi en est en partie cause, qui
         reserre la chaleur naturelle qui cause plus grande corruption
         de sang: Et aussi la terre quand elle est ouverte il en sort de
         certaines vapeurs qui y sont encloses lesquelles infectent
         l'air: ce que l'on a veu par expérience en ceux qui ont esté
         aux autres habitations après la première année que le soleil
         eut donné sur ce qui estoit deserté, tant de nostre logement
         qu'autres lieux, où l'air y estoit beaucoup meilleur & les
         maladies non si aspres comme devant. Pour ce qui est du pays,
         il est beau & plaisant, & apporte toutes sortes de grains &
         grennes à maturité, y ayant de toutes les especes d'arbres que
         nous avons en nos forests par deçà, & quantité de fruits, bien
         qu'ils soient sauvages pour n'estre cultivez: comme Noyers,
         Serisiers, Pruniers, Vignes, Framboises, Fraizes, Groiselles
         verdes & rouges, & plusieurs autres petits fruits qui y sont
         assez bons. Aussi y a il plusieurs sortes de bonnes herbes &
         racines. La pesche de poisson y est en abondance dans les
         rivieres, où il y a quantité de prairies & gibier, qui est en
         nombre infiny. Depuis le mois d'Avril jusques au 13 de Décembre
         l'air y est si sain & bon, qu'on ne sent en soy aucune mauvaise
         disposition: Mais Janvier Fevrier & Mars sont dangereux pour
         les maladies qui prennent plustost en ce temps qu'en esté, pour
         les raisons cy dessus dittes: Car pour le traitement, tous ceux
         qui estoient avec moy estoient bien vestus, & couchez dans de
172/320  bons licts, & bien chauffez & nourris, s'entend des viandes
         salées que nous avions, qui à mon opinion les offensoient
         beaucoup, comme j'ay dict cy dessus: & à ce que j'ay veu, la
         maladie s'attacque aussi bien à un qui se tient délicatement, &
         qui aura bien soin de soy, comme à celuy qui fera le plus
         miserable. Nous croiyons au commencement qu'il n'y eust que les
         gens de travail qui fussent prins de ces maladies: mais nous
         avons veu le contraire. Ceux qui navigent aux Indes Orientalles
         & plusieurs autres régions, comme vers l'Allemaigne &
         l'Angleterre, en sont aussi bien frappez qu'en la nouvelle
         France. Depuis quelque temps en ça les Flamans en estans
         attacquez en leurs voyages des Indes, ont trouvé un remède fort
         singulier contre ceste maladie, qui nous pourroit bien servir:
         mais nous n'en avons point la cognoissance pour ne l'avoir
         recherché. Toutesfois je tiens pour asseuré qu'ayant de bon
         pain & viandes fraîches, qu'on n'y feroit point subject.

         Le 8 d'Avril les neges estoient toutes fondues, & neantmoins
         l'air estoit encores assez froit jusques en Avril[239], que les
         arbres commencent à jetter leurs fueilles.

[Note 239: En mai. L'auteur corrige lui-même dans l'édition de 1632.]

         Quelques uns de ceux qui estoient malades du mal de la terre,
         furent guéris venant le printemps, qui en est le temps de
         guerison. J'avois un sauvage du pays qui yverna avec moy, qui
         fut atteint de ce mal, pour avoir changé sa nourriture en
         salée, lequel en mourut: Ce qui montre evidemment que les
         saleures ne valent rien, & y sont du tout contraires.

173/321  Le 5 Juin arriva une chalouppe à nostre habitation, où estoit
         le sieur des Marais, gendre du Pont-gravé, qui nous aportoit
         nouvelles que son beau père estoit arrivé à Tadoussac le 28 de
         May. Ceste nouvelle m'apporta beaucoup de contentement pour le
         soulagement que nous en esperions avoir. Il ne restoit plus que
         huit de 28 que nous estions, encores la moitié de ce qui
         restoit esttoit mal disposée.

         Le 7 de Juin je party de Quebecq, pour aller à Tadoussac
         communiquer quelques affaires, & priay le sieur des Marais de
         demeurer en ma place jusques à mon retour: ce qu'il fit.

         Aussitost que j'y fus arrivé le Pont-gravé & moy discourusmes
         ensemble sur le subject de quelques descouvertures que je
         devois faire dans les terres, où les sauvages m'avoient promis
         de nous guider. Nous resolusmes que j'y irois dans une
         chalouppe avec vingt hommes, & que Pont-gravé demeureroit à
         Tadoussac pour donner ordre aux affaires de nostre habitation,
         ainsi qu'il avoit esté resolu, il fut fait & y yverna: d'autant
         que je devois m'en retourner en France selon le commandement du
         sieur de Mons, qui me l'avoit escrit, pour le rendre certain
         des choses que je pouvois avoir faites, & des descouvertures
         dudit pays. Après avoir prins ceste resolution je party
         aussitost de Tadoussac, & m'en retournay à Quebecq, où je fis
         accommoder une chalouppe de tout ce qui estoit necessaire pour
         faire les descouvertures du pays des Yroquois, où je devois
         aller avec les Montagnets nos alliez.


174/322
         _Partement de Quebecq jusques à l'isle saincte Esloy, & de la
         rencontre que j'y fis des sauvages Algomequins & Ochataiguins._

                              CHAPITRE VII.

         Et pour cest effect je partis le 18 dudit mois, où la riviere
         commence à s'eslargir, quelque fois d'une lieue & lieue & demie
         en tels endroits. Le pays va de plus en plus en embellisant. Ce
         sont costaux en partie le long de la riviere & terres unies
         sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle est dangereuse
         en beaucoup d'endroits, à cause des bancs & rochers qui sont
         dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce n'est la sonde à la
         main. La riviere est fort abondante en plusieurs sortes de
         poisson, tant de ceux qu'avons pardeça, comme d'autres que
         n'avons pas. Le pays est tout couvert de grandes & hautes
         forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre habitation. Il y
         a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur le bort de la
         riviere, & quantité de petits ruisseaux & rivieres, qui ne sont
         navigables qu'avec des canaux. Nous passames proche de la
         pointe Ste. Croix, où beaucoup tiennent (comme j'ay dit
         ailleurs) estre la demeure où yverna Jacques Quartier. Ceste
         pointe est de sable, qui advance quelque peu dans la riviere, à
         l'ouvert du Norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prayries,
         mais elles sont innondées des eaues à toutes les fois que vient
         la plaine mer, qui pert de prés de deux brasses & demie. Ce
         passage est fort dangereux à passer pour quantité de rochers
175/323  qui sont au travers de la riviere, bien qu'il y aye bon
         achenal, lequel est fort tortu, où la riviere court comme un
         ras, & faut bien prendre le temps à propos pour le passer. Ce
         lieu a tenu beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le
         pouvoir passer que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal:
         maintenant nous avons trouvé le contraire: car pour descendre
         du haut en bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il
         seroit mal-aisé, si ce n'estoit avec un grand vent, à cause du
         grand courant d'eau, & faut par necessité attendre un tiers de
         flot pour le passer, où il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12,
         15 brasses d'eau en l'achenal.

         Continuant nostre chemin, nous fusmes à une riviere qui est
         fort aggreable, distante du lieu de saincte Croix, de neuf
         lieues, & de Quebecq, 24 & l'avons nommée la riviere saincte
         Marie [240]. Toute ceste riviere [241] depuis saincte Croix est
         fort plaisante & aggreable.

[Note 240: Aujourd'hui rivière Sainte-Anne de La Pérade. Elle est à
environ neuf lieues de l'église actuelle de Sainte-Croix, et à une
vingtaine de lieues de Québec.]

[Note 241: Le fleuve Saint-Laurent,]

         Continuant nostre routte, je fis rencontre de quelques deux ou
         trois cens sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite
         isle, appelée S. Esloy[242], distant de S. Marie d'une lieue &
         demie, & là les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit
         des nations de sauvages appelez Ochateguins & Algoumequins qui
         venoient à Quebecq, pour nous assister aux descouvertures du
         pays des Yroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle,
         n'espargnant aucune chose qui toit à eux.

[Note 242: Voir le Voyage de 1603, p. 29.]

176/324  Après les avoir recogneus, je fus à terre pour les voir, &
         m'enquis qui estoit leur chef: Ils me dirent qu'il y en avoit
         deux, l'un appelé Yroquet & l'autre Ochasteguin qu'ils me
         montrèrent: & fus en leur cabanne, où ils me firent bonne
         réception, selon leur coustume.

         Je commençay à leur faire entendre le subjet de mon voyage,
         dont ils furent fort resjouis: & après plusieurs discours je me
         retiray: & quelque temps après ils vindrent à ma chalouppe, où
         ils me firent present de quelque pelleterie, en me monstrant
         plusieurs signes de resjouissance: & de là s'en retournèrent à
         terre.

         Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, où ils
         furent une espace de temps sans dire mot, en songeant &
         petunant tousjours. Après avoir bien pensé, ils commencèrent à
         haranguer hautement à tous leurs compagnons, qui estoient sur
         le bort du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort
         ententivement ce que leurs chefs leur disoient, sçavoir.

         Qu'il y avoit prés de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le
         fils d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne
         réception, & déclaré que le Pont & moy desirions les assister
         contre leurs ennemis, avec lesquels ils avoient, dés longtemps,
         la guerre, pour beaucoup de cruautés qu'ils avoient exercées
         contre leur nation, soubs prétexte d'amitié: Et qu'ayant
         tousjours depuis desiré la vengeance, ils avoient solicité tous
         les sauvages que je voyois sur le bort de la riviere, de venir
         à nous, pour faire alliance avec nous, & qu'ils n'avoient
177/325  jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit aussi meus de nous
         venir voir: & que d'eux & de leurs compagnons j'en ferois tout
         ainsi que je voudrois; & qu'ils n'avoient point d'enfans avec
         eux, mais gens qui sçavoient faire la guerre, & plains de
         courage, sçachans le pays & les rivieres qui sont au pays des
         Yroquois; & que maintenant ils me prioyent de retourner en
         nostre habitation, pour voir nos maisons, & que trois jours
         après nous retournerions à la guerre tous ensemble, & que pour
         signe de grande amitié & resjouissance je feisse tirer des
         mousquets & arquebuses, & qu'ils seroient fort satisfaits: ce
         que je fis. Ils jetterent de grands cris avec estonnement, &
         principalement ceux qui jamais n'en avoient ouy ny veus.

         Après les avoir ouis, je leur fis responce, Que pour leur
         plaire, je desirois bien m'en retourner à nostre habitation
         pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger
         que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne
         portant avec nous que des armes, & non des marchandises pour
         traicter, comme on leur avoit donné à entendre, & que mon desir
         n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si
         j'eusse sceu qu'on leur eut raporté quelque chose de mal, que
         je tenois ceux là pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me
         dirent qu'ils n'en croioyent rien, & que jamais ils n'en
         avoient ouy parler; neantmoins c'estoit le contraire: car il y
         avoit eu quelques sauvages qui le dirent au nostres: Je me
         contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir montrer par
         effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy.



178/326  _Retour à Quebecq, et depuis continuation avec les sauvages
         jusques au saut de la riviere des Yroquois.

                              CHAPITRE VIII.

         Le lendemain [243] nous partismes tous ensemble, pour aller à
         nostre habitation, où ils se resjouirent quelques 5 ou 6 jours,
         qui se passerent en dances & festins, pour le desir qu'ils
         avoient que nous fussions à la guerre.

[Note 243: Probablement le 22 de juin.]

         Le Pont vint aussitost de Tadoussac avec deux petites barques
         plaines d'hommes, suivant une lettre où je le priois de venir
         le plus promptement qu'il luy seroit possible.

         Les sauvages le voyant arriver se resjouirent encores plus que
         devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens
         pour les assister, & que peut estre nous yrions ensemble.

         Le 28 du mois [244] nous esquipasmes des barques pour assister
         ces sauvages: le Pont se mit dans l'une & moy dans l'autre, &
         partismes tous ensemble. Le premier Juin[245] arrivasmes à
         saincte Croix, distant de Quebecq de 15 lieues, où estant, nous
         advisames ensemble, le Pont & moy, que pour certaines
         considerations je m'en yrois avec les sauvages, & luy à nostre
         habitation & à Tadoussac. La resolution estant prise,
         j'embarqué dans ma chalouppe tout ce qui estoit necessaire avec
         neuf hommes, des Marais, & la Routte nostre pilotte, & moy.

[Note 244: Le 28 de juin.]

[Note 245: Le premier juillet.]

179/327  Je party de saincte Croix, le de Juin[246] avec tous les
         sauvages, & passames par les trois rivieres, qui est un fort
         beau pays, remply de quantité de beaux arbres. De ce lieu à
         saincte Croix y a 15 lieues. A l'entrée d'icelle riviere y a
         six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de
         quelque 15 à 1600. pas de long, qui sont fort plaisantes à
         voir. Et proches du lac sainct Pierre[247], faisant quelque
         deux lieues dans la riviere[248] y a un petit saut d'eau, qui
         n'est pas beaucoup dificile à passer. Ce lieu est par la
         hauteur de 46 degrez quelques minuttes moins de latitude. Les
         sauvages du pays nous donnèrent à entendre, qu'à quelques
         journées il y a un lac par où passe la riviere, qui a dix
         journées, & puis on passe quelques sauts, & après encore trois
         ou quatre autres lacs de 5 ou 6 journées: & estans parvenus au
         bout, ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent de rechef
         dans un autre lac [249], ou le Sacqué [250] prend la meilleure
         part de sa source. Les sauvages viennent dudit lac à Tadoussac.
         Les trois rivieres vont 40 journées des sauvages: & disent
         qu'au bout d'icelle riviere il y a des peuples [251] qui sont
         grands chasseurs, n'ayans de demeure arrestée, & qu'ils voyent
         la mer du Nort en moins de six journées. Ce peu de terre que
180/238  j'ay veu est sablonneuse, assez eslevée en costaux, chargée de
         quantité de pins & sapins, sur le bort de la riviere, mais
         entrant dans la terre quelque quart de lieue, les bois y sont
         tresbeaux & clairs, & le pays uny.

[Note 246: Le 3 juillet.]

[Note 247: C'est la première fois qu'on trouve le nom de Saint-Pierre
donné à ce lac. En 1603, Champlain y entra le jour de la Saint-Pierre,
29 juin, et c'est là probablement l'origine de ce nom. Thévet et
Wytfliet l'appellent lac d'Angoulême.]

[Note 248: Dans le Saint-Maurice. (Voir le Voyage de 1603, p. 31.)]

[Note 249: Le lac Saint-Jean.]

[Note 250: Sagné, pour Saguenay.]

[Note 251: Probablement les _Atticamègues_ ou Poissons-Blancs, qui
étaient en effet plus chasseurs que guerriers, et qui avaient des
rapports avec cinq ou six nations situées encore plus au nord qu'eux.
(Voir Relat. 1641, p. 32, éd. 1858.)]

         Continuant nostre routte jusques à l'entrée du lac sainct
         Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le
         lac à 2, 3, & 4 brasses d'eau, lequel peut contenir de long
         quelque 8 lieues, & de large 4. Du costé du Nort nous vismes
         une riviere qui est fort aggreable, qui va dans les terres
         quelques 20 lieues, & l'ay nommée saincte Suzanne[252]: & du
         costé du Su, il y en a deux, l'une appelée la riviere du
         Pont[253],& l'autre de Gennes[254], qui sont tresbelles & en
         beau & bon pays. L'eau est presque dormante dans le lac, qui
         est fort poissonneux. Du costé du Nort, il parroist des terres
         à quelque douze ou quinze lieues du lac, qui sont un peu
         montueuses. L'ayant traversé, nous passames par un grand nombre
         d'isles, qui sont de plusieurs grandeurs, où il y a quantité de
         noyers & vignes, & de belles prayries avec force gibier &
         animaux sauvages, qui vont de la grand terre ausdites isles. La
         pescherie du poisson y est plus abondante qu'en aucun autre
         lieu de la riviere qu'eussions veu. De ces isles fusmes à
         l'entrée de la riviere des Yroquois, où nous sejournasmes deux
         jours & nous rafraichismes de bonnes venaisons, oiseaux, &
181/329  poissons, que nous donnoient les sauvages, & où il s'esmeut
         entre eux quelque différent sur le subject de la guerre, qui
         fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent
         de venir avec moy, & les autres s'en retournèrent en leur pays
         avec leurs femmes & marchandises qu'ils avoient traictées.

[Note 252: Elle porte maintenant le nom de rivière du Loup.]

[Note 253: La rivière de Nicolet (voir la grande carte de 1612). Il est
probable que c'est par inadvertance que l'auteur l'indique sous le nom
de rivière du Gast, dans la grande carte de l'édition de 1632; puisque,
dans le texte, il reproduit le même passage en y laissant le nom de Du
Pont. Il est possible aussi que le graveur ait mis sur cette rivière le
chiffre que l'auteur destinait à la rivière dont il parle ci-dessus, p.
61, et à laquelle il avait donné le nom de Du Gast ou Du Gua.]

[Note 254: Probablement, la rivière d'Yamaska.]

         Partant de ceste entrée de riviere (qui a quelque 4. à 500. pas
         de large, & qui est fort belle, courant au Su) nous arrivasmes
         à un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez[255] de latitude
         à 22 ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere
         depuis son entrée jusques au premier saut, où il y a 15 lieues,
         est fort platte & environnée de bois, comme sont tous les
         autres lieux cy dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a 9
         ou 10 belles isles jusques au premier saut des Yroquois,
         lesquelles tiennent quelque lieue, ou lieue & demie, remplies
         de quantité de chesnes & noyers. La riviere tient en des
         endroits prés de demie lieue de large, qui est fort
         poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau.
         L'entrée du saut est une manière de lac[256], où l'eau descend,
         qui contient quelque trois lieues de circuit, & y a quelques
         prairies où il n'y habite aucuns sauvages, pour le subject des
         guerres. Il y a fort peu d'eau au saut qui court d'une grande
         vistesse, & quantité de rochers & cailloux, qui font que les
         sauvages ne les peuvent surmonter par eau: mais au retour ils
         les descendent fort bien. Tout cedict pays est fort uny, remply
         de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient
182/330  encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes
         assez de peine à monter la riviere à la rame.

[Note 255: Les rapides de Chambly sont à environ 45° 30' de latitude.]

[Note 256: Le bassin de Chambly.]

         Aussitost que nous fusmes arrivez au saut, des Marais, la
         Routte & moy, & cinq hommes fusmes à terre, voir si nous
         pourrions passer ce lieu, & fismes quelque lieue & demie sans
         en voir aucune apparence, sinon une eau courante d'une
         grandissime roideur, où d'un costé & d'autre y avoit quantité
         de pierres, qui sont fort dangereuses & avec peu d'eau. Le saut
         peut contenir quelque 600 pas de large. Et voyant qu'il estoit
         impossible coupper les bois & faire un chemin avec si peu
         d'hommes que j'avois, je me resolus avec le conseil d'un
         chacun, de faire autre chose que ce que nous nous estions
         promis, d'autant que les sauvages m'avoient asseuré que les
         chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le contraire,
         comme j'ay dit cy dessus, qui fut l'occasion que nous en
         retournasmes en nostre chalouppe, où j'avois laissé quelques
         hommes pour la garder & donner à entendre aux sauvages quand
         ils seroient arrivez, que nous estions allez descouvrir le long
         du dit saut.

         Après avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en
         retournant nous fismes rencontre de quelques sauvages, qui
         venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous
         dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez à nostre
         chalouppe où nous les trouvasmes fort contans & satisfaits de
         ce que nous allions de la façon sans guide, sinon que par le
         raport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait.

183/331  Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de
         passer le saut avec nostre chalouppe, cela m'affligea, & me
         donna beaucoup de desplaisir, de m'en retourner sans avoir veu
         un grandicime lac, remply de belles isles, & quantité de beau
         pays, qui borne le lac, où habitent leurs ennemis, comme ils me
         l'avoient figuré. Après avoir bien pensé en moy mesme, je me
         resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que
         j'avois: & m'embarquay avec les sauvages dans leurs canots, &
         prins avec moy deux hommes de bonne volonté. Après avoir
         proposé mon dessein à des Marais, & autres de la chalouppe, je
         priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre habitation
         avec le reste de nos gens soubs l'esperance qu'en brief, avec
         la grâce de Dieu, je les reverrois.

         Aussitost je fus parler aux Capitaines des sauvages & leur
         donnay à entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce
         que j'avois veu au saut, sçavoir, qu'il estoit hors nostre
         puissance d'y pouvoir passer avec la chalouppe: toutesfois que
         cela ne m'empecheroit de les assister comme je leur avois
         promis. Ceste nouvelle les attrista fort & voulurent prendre
         une autre resolution: mais je leur dis & les y sollicitay,
         qu'ils eussent à continuer leurs premier dessin, & que moy
         troisieme, je m'en irois à la guerre avec eux dans leurs canots
         pour leur monstrer que quant à moy je ne voulois manquer de
         parole en leur, endroit, bien que fusse seul, & que pour lors
         je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer,
         sinon ceux qui en auroient la volonté, dont j'en avois trouvé
         deux, que je menerois avec moy.

184/332  Ils furent fort contens de ce que je leur dis, & d'entendre la
         resolution que j'avois, me promettant tousjours de me faire
         voir choses belles.



         _Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un
         grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audict
         lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attacquer
         les Yroquois._

                              CHAPITRE IX.

         Je party donc dudit saut de la riviere des Yroquois, le 2.
         Juillet[257]. Tous les sauvages commencèrent à apporter leurs
         canots, armes & bagages par terre quelque demie lieue, pour
         passer l'impetuosité & la force du saut, ce qui fut promptement
         fait.

[Note 257: Probablement le 12 juillet. Si les dates de l'arrivée de
Pont-Gravé à Tadoussac, et de Desmarais à Québec, sont exactes, la
petite flottille dut partir de Québec dans les derniers jours de juin,
et, par conséquent, arriver à Sainte-Croix, non le premier de juin, mais
le premier de juillet, comme nous l'avons remarqué ci-dessus. Elle en
repart le 3 du même mois: elle ne pouvait donc pas avoir passé le saut
de la rivière des Iroquois le 2 de juillet. Mais, si l'on suit
attentivement la marche de cette petite armée depuis Sainte-Croix
jusqu'au saut, c'est-à-dire, jusqu'aux rapides de Chambly, et depuis ce
lieu jusqu'à celui où elle rencontra l'ennemi, le 29, on en viendra à la
conclusion qu'elle devait avoir passé le saut vers le 12. Or il est
assez vraisemblable que le typographe, au lieu du 12, ait mis le 2.]

         Aussitost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en chacun
         avec leur bagage, & firent aller un des hommes de chasque
         canot, par terre quelque trois lieues, que peut contenir ledit
         saut, mais non si impétueux comme à l'entrée, sinon en quelques
         endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est pas plus
         large de 3. à 400 pas. Après que nous eusmes passé le saut, qui
         ne fut sans peine, tous les sauvages qui estoient allez par
185/333  terre, par un chemin assez beau & pays uny, bien qu'il y aye
         quantité de bois, se rembarquèrent dans leurs canots. Les
         hommes que j'avois furent aussi par terre, & moy par eau,
         dedans un canot. Ils firent reveue de tous leurs gens, & se
         trouva vingt quatre canots, où il y avoit soixante hommes.
         Après avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin
         jusques à une isle[258] qui tient trois lieues de long, remplye
         des plus beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la
         chasse & y prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus
         outre environ trois lieues de là, nous y logeasmes pour prendre
         le repos la nuit ensuivant.

[Note 258: L'île Sainte-Thérèse.]

         Incontinent un chacun d'eux commença, l'un à coupper du bois,
         les autres à prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs
         cabannes, pour se mettre à couvert: les autres à abbatre de
         gros arbres pour se barricader sur le bort de la riviere au
         tour de leurs cabannes, ce qu'ils sçavent si promptement faire,
         qu'en moins de deux heures, cinq cens de leurs ennemis auroient
         bien de la peine à les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup
         mourir. Ils ne barricadent point le costé de la riviere où sont
         leurs canots arrengez, pour s'embarquer si l'occasion le
         requeroit. Après qu'ils furent logez, ils envoyerent trois
         canots avec neuf bons hommes, comme est leur coustume, à tous
         leurs logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils
         n'appercevront rien, qui après se retirent. Toute la nuit ils
         se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est
         une tresmauvaise coustume en eux: car quelque fois ils sont
         surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans
186/334  qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour leur
         defendre. Recognoissant cela je leur remonstrois la faute
         qu'ils faisoient,& qu'ils devoient veiller, comme ils nous
         avoient veu faire toutes les nuits, & avoir des hommes aux
         agguets, pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien, & ne
         point vivre de la façon comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne
         pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour à la
         chasse: d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent
         leurs troupes en trois, sçavoir, une partie pour la chasse
         separée en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros,
         qui sont tousjours sur leurs armes; & l'autre partie en
         avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne
         verront point quelque marque ou signal par où ayent passé leurs
         ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines
         marques que les chefs se donnent d'une nation à l'autre, qui ne
         sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps
         quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si sont
         amis ou ennemis qui ont passé. Les chasseurs ne chassent jamais
         de l'advant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne donner
         d'allarmes ny de désordre, mais sur la retraicte & du costé
         qu'ils n'aprehendent leurs ennemis: & continuent ainsi jusques
         à ce qu'ils soient à deux ou trois journées de leurs ennemis,
         qu'ils vont de nuit à la desrobée, tous en corps, horsmis les
         coureurs, & le jour se retirent dans le fort des bois, où ils
         reposent, sans s'esgarer ny mener bruit, ny faire aucun feu,
         afin de n'estre apperceuz, si par fortune leurs ennemis
         passoient; ny pour ce qui est de leur manger durant ce temps.

187/335  Ils ne font du feu que pour petuner, qui est si peu que rien.
         Ils mangent de la farine de bled d'Inde cuite, qu'ils
         destrempent avec de l'eau, comme bouillie. Ils conservent ces
         farines pour leur necessité, & quand ils sont proches de leurs
         ennemis, ou quand ils font retraite aprés leurs charges, qu'ils
         ne s'amusent à chasser, se retirant promptement.

         A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois ou Ostemoy[259],
         qui sont manières de gens, qui sont les devins, en qui ces
         peuples ont créance, lequel fait une cabanne, entourée de petis
         bois, & la couvre de sa robbe: Aprés qu'elle est faitte, il se
         met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune façon, puis
         prend un des piliers de sa cabanne & la fait bransler,
         marmotant certaines paroles entre ses dens par lesquelles il
         dit qu'il invoque le Diable, & qu'il s'apparoist à luy en forme
         de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs ennemis, & s'ils en
         tueront beaucoup. Ce Pilotois est prosterné en terre, sans
         remuer, ne faisant que parler au diable, & puis aussitost se
         leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant d'une telle
         façon, qu'il est tout en eau, bien qu'il toit nud. Tout le
         peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul comme des
         singes. Ils me disoient souvent que le branlement que je voyois
         de la cabanne, estoit le Diable qui la faisoit mouvoir, & non
         celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le contraire: car
188/336  c'estoit, comme j'ay dit cy dessus, le Pilotois qui prenoit un
         des bastons de sa cabanne, & la faisoit ainsi mouvoir. Ils me
         dirent aussi que je verrois sortir du feu par le haut: ce que
         je ne vey point. Ces drosles contrefont aussi leur voix grosse
         & claire, parlant en langage inconneu aux autres sauvages. Et
         quand ils la representent cassée, ils croyent que c'est le
         Diable qui parle, & qui dit ce qui doit arriver en leur guerre,
         & ce qu'il faut qu'ils facent.

[Note 259: Ces deux mots étaient employés en Acadie, pour désigner le
jongleur ou sorcier. Le mot _pilotais_, suivant le P. Biard (Rel. 1611,
p. 17), venait des Basques, et les Souriquois se servaient du mot
_autmoin_, que Lescarbot écrit _aoutmoin_, et Champlain _ostemoy_. Le P.
Lejeune, dans la Relation, de 1636 (p. 13), nous apprend que les
Montagnais appelaient leurs sorciers _manitousiouekhi_, et, d'après le
P. Brebeuf (Rel. 1635, p. 35), les Hurons désignaient les leurs par le
nom de _arendiouane_.]

         Neantmoins tous ces garniments qui sont les devins, de cent
         paroles n'en disent pas deux véritables, & vont abusans ces
         pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer
         quelque denrée du peuple, ainsi que sont ces galants. Je leur
         remonstrois souvent que tout ce qu'ils faisoient n'estoit que
         folie, & qu'ils ne devoient y adjouster foy.

         Or après qu'ils ont sceu de leurs devins ce qu'il leur doit
         succeder, les chefs prennent des bastons de la longueur d'un
         pied autant en nombre qu'ils sont, & signallent par d'autres un
         peu plus grands, leurs chefs: Puis vont dans le bois &
         esplanadent une place de 5 ou 6 pieds en quarré, où le chef,
         comme sergent major, met par ordre tous ces bastons comme bon
         luy semble: puis appelle tous ses compagnons, qui viennent tous
         armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir lors
         qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces sauvages
         regardent attentivement, remarquant la figure que leur chef a
         faite avec ces bastons: & aprés se retirent de là, & commencent
         de se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdicts bastons:
189/337  puis se mettent les uns parmy les autres, & retournent de
         rechef en leur ordre, continuant deux ou trois fois, & à tous
         leurs logemens sans qu'il soit besoin de sergent pour leur
         faire tenir leurs rangs, qu'ils sçavent fort bien garder, sans
         se mettre en confusion. Voila la reigle qu'ils tiennent à leur
         guerre.

         Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la
         riviere jusques à l'entrée du lac. En icelle y a nombre de
         belles isles, qui sont basses remplies de tres-beaux bois &
         prairies, où il y a quantité de gibier & chasse d'animaux,
         comme Cerfs, Daims, Faons, Chevreuls, Ours, & autres sortes
         d'animaux qui viennent de la grand terre ausdictes isles. Nous
         y en prismes quantité. Il y a aussi grand nombre de Castors,
         tant en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent
         tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns
         sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le subject de leurs
         guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au
         profont des terres, afin de n'estre si tost surprins.

         Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estandue
         comme de 80 ou 100 lieues[260], où j'y vis quatre belles isles,
         contenant 10, 12 & 15 lieues de long[261], qui autres fois ont
         esté habitées par les sauvages, comme aussi la riviere des
         Yroquois: mais elles ont esté abandonnées depuis qu'ils ont eu
         guerre les uns contre les autres: aussi y a il plusieurs
         rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environnées de
190/338  nombre de beaux arbres, de mesmes especes nous avons en France,
         avec force vignes plus belles qu'en aucun lieu que j'eusse veu:
         force chastaigners, & n'en avois encores point veu que dessus
         le bort de ce lac, où il y a grande abondance de poisson de
         plusieurs especes: Entre autres y en a un, appelé des sauvages
         du pays _Chaousarou_[262], qui est de plusieurs longueurs: mais
         les plus grands contiennent, à ce que m'ont dict ces peuples, 8
         à 10 pieds. J'en ay veu qui en contenoyent 5 qui estoient de la
         grosseur de la cuisse, & avoient la teste grosse comme les deux
         points, avec un bec de deux pieds & demy de long, & à double
         rang de dents fort agues & dangereuses. Il a toute la forme du
         corps tirant au brochet, mais il est armé d'escailles si fortes
         qu'un coup de poignard ne les sçauroit percer, & de couleur de
         gris argenté. Il a aussi l'extrémité du bec comme un cochon. Ce
         poisson fait la guerre à tous les autres qui sont dans ces
         lacs, & rivieres: & a une industrie merveilleuse, à ce que
         m'ont asseuré ces peuples, qui est, quand il veut prendre
         quelques oyseaux, il va dedans des joncs ou roseaux, qui sont
         sur les rives du lac en plusieurs endroits, & met le bec hors
         l'eau sans se bouger: de façon que lors que les oiseaux
191/339  viennent se reposer sur le bec, pensans que ce soit un tronc de
         bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient
         entr'ouvert, ils les tire par les pieds soubs l'eau. Les
         sauvages m'en donnèrent une teste, dont ils font grand estat,
         disans que lors qu'ils ont mal à la teste, ils se seignent avec
         les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur qui se passe
         soudain.

[Note 260: Il était bien difficile de se faire ainsi, à première vue,
une idée exacte des dimensions d'un lac aussi étendu que celui de
Champlain. Aussi l'auteur lui donne-t-il presque trois fois la longueur
qu'il a réellement.]

[Note 261: Ces quatre îles sont sans doute celles de Contrecoeur (l'île
Longue et la Grande-Ile), l'île La Motte, et celle de Valcour. Elles ne
sont pas tout à fait aussi grandes que l'a cru notre auteur.]

[Note 262: Nous rapprocherons de cette description du Chaousarou celle
qu'en fait Sagard dans son Histoire du Canada (liv. ni, p. 765): «Au
lieu nommé par les Hurons Onthrandéen, & par nous le Cap de Victoire,...
je vis en la cabane d'un montagnais un certain poisson, que quelques-uns
appellent _Chaousarou_, gros comme un grand brochet. Il n'estoit qu'un
des médiocres, car il s'en voit de beaucoup plus grands, & qui ont
jusqu'à 8, 9 & 10 pieds, à ce qu'on dit. Il avoit un bec d'environ un
pied & demy de long, fait à peu prés comme celuy d'une becasse, sinon
qu'il a l'extrémité mousse & non si pointu, gros à proportion du corps.
Il a double rang de dens fort aiguës & dangereuses,... & la forme du
corps tirant au brochet, mais armé de très-fortes & dures escailles, de
couleur gris argenté, & difficile à percer.» D'après cette description,
ce poisson doit appartenir au genre des _Lépisostées_ de Lacépède. Mais
les individus décrits par les Ichtyologistes n'ont pas d'aussi grandes
proportions.]

         Continuant nostre route dans ce lac du costé de l'Occident,
         considérant le pays, je veis du costé de l'Orient de fort
         hautes montagnes, où sur le sommet y avoit de la neige. Je
         m'enquis aux sauvages si ces lieux estoient habitez, ils me
         dirent que ouy, & que c'estoient Yroquois[263], & qu'en ces
         lieux y avoit de belles vallées, & campagnes fertiles en bleds,
         comme j'en ay mangé audit pays, avec infinité d'autres fruits:
         & que le lac alloit proche des montagnes, qui pouvoient estre
         esloignées de nous, à mon jugement, de vingt cinq[264] lieues.
         J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes que les
         premières, horsmis qu'il n'y avoit point de neige. Les sauvages
         me dirent que c'estoit où nous devions aller trouver leurs
         ennemis, & qu'elles estoient fort peuplées & qu'il falloit
         passer par un saut d'eau[265] que je vis depuis: & de là entrer
         dans un autre lac[266] qui contient quelque 9 ou 10 lieues de
192/340  long, & qu'estant parvenus au bout d'iceluy, il falloit faire
         quelque deux lieues de chemin par terre, & passer une
         riviere[267], qui va tomber en la coste de Norembegue, tenant à
         celle de la Floride[268], & qu'ils n'estoient que deux jours à
         y aller avec leurs canots, comme je l'ay sçeu depuis par
         quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent fort
         particulièrement de tout ce qu'ils en avoyent cognoissance, par
         le moien de quelques truchemens Algoumequins, qui sçavoient la
         langue des Yroquois.

[Note 263: Si ce rapport des sauvages est exact, il faut croire que la
guerre entre les Mahingans et les Agniers, eut pour effet de rapprocher
ceux-ci des autres tribus iroquoises, et de les faire émigrer au côté
occidental du lac. Peut-être aussi les Montagnais qui accompagnaient
Champlain traitaient-ils d'iroquois les Mahingans eux-mêmes, qui alors
pouvaient être les alliés de la nation iroquoise: car le P. Jérôme
Lalemant, en parlant de ce qu'avaient été autrefois les Loups ou
Mahingans, dit (Rel. 1646, 3) i «Les Iroquois Annierronnons les ayans
domtez, ils se sont jettez de leur party.»]

[Note 264: L'édition de 1632 porte 15.]

[Note 265: Ticonderoga.]

[Note 266: Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George.]

[Note 267: La rivière Hudson.]

[Note 268: Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait: «tirant
à celle de la Floride»; car Champlain ne devait pas ignorer qu'entre la
côte de Norembegue et la Floride, se trouvait la côte de la Virginie ou
les Virgines, comme il dit lui-même (Table de sa grande carte, édit.
1632).]

         Or comme nous commençasmes à approcher à quelques deux ou trois
         journées de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus
         que la nuit, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne
         laissoient de faire tousjours leurs superstitions accoustumées
         pour sçavoir ce qui leur pourroit succeder de leurs
         entreprises; & souvent me venoient demander si j'avois songé, &
         avois veu leurs ennemis: le leur disois que non: Neantmoins ne
         laissois de leur donner du courage, & bonne esperance. La nuit
         venue nous nous mismes en chemin jusques au lendemain, que nous
         nous retirasmes dans le fort du bois, pour y passer le reste du
         jour. Sur les dix ou onze heures, après m'estre quelque peu
         proumené au tour de nostre logement, je fus me reposer, & en
         dormant, je songay que je voyois les Yroquois nos ennemis,
         dedans le lac, proche d'une montaigne, qui se noyoient à nostre
193/341  veue, & les voulans secourir, nos sauvages alliez me disoient
         qu'il les falloit tous laisser mourir & qu'ils ne valoient
         rien. Estant esveillé, ils ne faillirent comme à l'acoustumée
         de me demander si j'avois songé quelque chose: je leur dis en
         effect ce que j'avois veu en songe: Cela leur apporta une telle
         créance qu'ils ne doutèrent plus de ce qui leur devoit advenir
         pour leur bien.

         Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canots pour
         continuer nostre chemin, & comme nous allions fort doucement, &
         sans mener bruit, le 29 du mois, nous fismes rencontre des
         Yroquois sur les dix heures du soir au bout d'un cap [269] qui
         advance dans le lac du costé de l'occident, lesquels venoient à
         la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter de grands cris,
         chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau,
         & les Yroquois mirent pied à terre, & arrangèrent tous leurs
         canots les uns contre les autres, & commencèrent à abbatre du
         bois avec des meschantes haches qu'ils gaignent quelquesfois à
         la guerre, & d'autres de pierre, & se barricadèrent fort bien.

[Note 269: Ce cap, ou cette pointe, qui s'avance dans le lac, non loin
de la décharge du lac George, comme l'indique la carte de 1632, nous
paraît correspondre à la pointe Saint-Frédéric (Crown point).]

         Aussi les nostres tindrent toute la nuit leurs canots arrangez
         les uns contre les autres attachez à des perches pour ne
         s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin;
         & estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de
         leurs barricades. Et comme ils furent armez, & mis en ordre,
         ils envoyerent deux canots separez de la trouppe, pour sçavoir
         de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels
194/342  respondirent qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour
         l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit
         attendre le jour pour se cognoistre: & qu'aussitost que le
         soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut
         accordé par les nostres: & en attendant toute la nuit se passa
         en danses & chantons, tant d'un costé, que d'autre, avec une
         infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage
         qu'ils avoient, avec le peu d'effet & resistance contre leurs
         armes, & que le jour venant, ils le sentiroyent à leur ruine.
         Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils
         verroient des effets d'armes que jamais ils n'avoient veu, &
         tout plain d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege
         de ville. Après avoir bien chanté, dansé & parlementé les uns
         aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions
         tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent,
         preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans
         toutesfois separez, chacun en un des canots des sauvages
         montagnars. Après que nous fusmes armez d'armes légères, nous
         prismes chacun une arquebuse & descendismes à terre. Je vey
         sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200
         hommes forts & robustes à les voir, qui venoient au petit pas
         audevant de nous, avec une gravité & asseurance qui me contenta
         fort à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi
         alloient en mesme ordre & me dirent que ceux qui avoient trois
         grands pannaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que
         ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes, qui estoient
         beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je
195/343  feisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de
         faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien fasché
         qu'ils ne me pouvoient bien entendre pour leur donner l'ordre &
         façon d'attaquer leurs ennemis, & que indubitablement nous les
         desferions tous; mais qu'il n'y avoit remède, que j'estois
         tres-aise de leur monstrer le courage & bonne volonté qui
         estoit en moy quand ferions au combat.

         Aussitost que fusmes à terre, ils commencèrent à courir quelque
         deux cens pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, &
         n'avoient encores aperçeu mes compagnons, qui s'en allèrent
         dans le bois avec quelques sauvages. Les nostres commencèrent à
         m'appeller à grands cris: & pour me donner passage ils
         s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant quelque 20
         pas devant, jusqu'à ce que je fusse à quelque 30 pas des
         ennemis, où aussitost ils m'aperceurent, & firent alte en me
         contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer
         sur nous, je couchay mon arquebuse en joue, visay droit à un
         des trois chefs, & de ce coup il en tomba deux par terre, & un
         de leurs compagnons qui fut blessé, qui quelque temps après en
         mourut. J'avois mis quatre balles dedans mon arquebuse. Comme
         les nostres virent ce coup si favorable pour eux, ils
         commencèrent à jetter de si grands cris qu'on n'eust pas ouy
         tonner; & cependant les flesches ne manquoyent de costé &
         d'autre. Les Yroquois furent fort estonnez, que si promptement
         deux hommes avoyent esté tuez, bien qu'ils fussent armez
         d'armes tissues de fil de cotton, & de bois à l'espreuve de
196/344  leurs flesches; Cela leur donna une grande apprehension. Comme
         je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans
         le bois, qui les estonna derechef de telle façon, voyant leurs
         chefs morts, qu'ils perdirent courage, & se mirent en fuite, &
         abandonnèrent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le
         profond des bois, où les poursuivans, j'en fis demeurer encores
         d'autres. Nos sauvages en tuèrent aussi plusieurs, & en
         prindrent 10 ou 12 prisonniers: Le reste se sauva avec les
         blessez. Il y en eut des nostres 15 ou 16 de blessez de coups
         de flesches, qui furent promptement guéris.

         Après que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre
         force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & de leurs armes,
         qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Après avoir fait
         bonne chère, dansé & chanté, trois heures après nous en
         retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu où se fit ceste
         charge est par les 43 degrez & quelques minutes [270] de
         latitude, & fut nommé le lac de Champlain.

[Note 270: La décharge du lac George est environ à 44°.]


344a

[Illustration]

_Desfaite des Yroquois au Lac Champlain._

A (1) Le fort des Yroquois.
B Les ennemis.
C Les Canots des ennemis faits d'escorce de chesne, qui peuvent tenir
  chacun 10, 15, & 18 hommes.
D. E. Deux chefs tués, & un blessé d'un coup d'arquebuse par le sieur
  de Champlain.
F (2) Le sieur de Champlain.
G (3) Deux Arquebusiers du sieur de Champlain.
H (4) Montaignets, Ochastaiguins, Algoumequins.
I Canots de nos sauvages aliés faits d'escorce de bouleau.
K (5) Les bois.

(1) Cette lettre manque dans le dessin.--(2) La lettre manque; mais il
est facile de reconnaître Champlain posté seul entre les
combattants.--(3) Cette lettre manque dans le dessin, mais on reconnaît
aisément les deux arquebusiers sur la lisière du bois.--(4) La lettre H
a été mise par inadvertance sur les canots des alliés, où il y a déjà la
lettre I.--(5) Cette lettre, qui manque aussi, est facile à suppléer.



         _Retour de la bataille, & ce qui se passa par le chemin._

                               CHAPITRE X.

         Aprés avoir fait quelque 8 lieues, sur le soir, ils prindrent
         un des prisonniers, à qui ils firent une harangue des cruautez
         que luy & les siens avoyent exercées en leur endroit, sans
197/345  avoir eu aucun esgard, & qu'au semblable il devoit se resoudre
         d'en recevoir autant, & luy commandèrent de chanter s'il avoit
         du courage, ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste à
         ouyr.

         Cependant les nostres allumèrent un feu, & comme il fut bien
         embrasé ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce
         pauvre miserable peu à peu pour luy faire souffrir plus de
         tourmens. Ils le laissoient quelques fois, luy jettant de l'eau
         sur le dos: puis luy arrachèrent les ongles, & luy mirent du
         feu sur les extremitez des doigts & de son membre. Après ils
         luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent dégoutter
         dessus certaine gomme toute chaude: puis luy percèrent les bras
         prés des poignets, & avec des bastons tiroyent les nerfs & les
         arrachoyent à force: & comme ils voioyent qu'ils ne les
         pouvoyent avoir, ils les couppoyent. Ce pauvre miserable
         jettoit des cris estranges, & me faisois pitié de le voir
         traitter de la façon, toutesfois avec une telle constance,
         qu'on eust dit quelquesfois qu'il ne sentoit presque point de
         mal. Ils me sollicitoyent fort de prendre du feu pour faire de
         mesme eux. Je leur remonstrois que nous n'usions point de ces
         cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que
         s'ils vouloyent que je luy donnasse un coup d'arquebuze, j'en
         serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point
         de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasché de voir tant de
         cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils virent que
         je n'en estois contant, ils m'appelèrent & me dirent que je luy
         donnasse un coup d'arquebuse: ce que je fis, sans qu'il en vist
         rien; & luy fis passer tous les tourmens qu'il devoit souffrir,
198/346  d'un coup, plustost que de le voir tyranniser. Après qu'il fut
         mort ils ne se contentèrent pas, il luy ouvrirent le ventre, &
         jetterent ses entrailles dedans le lac: après ils luy
         coupperent la teste, les bras & les jambes, qu'ils separerent
         d'un costé & d'autre, & reserverent la peau de la teste, qu'ils
         avoient escorchée, comme ils avoient fait de tous les autres
         qu'ils avoient tuez à la charge. Ils firent encores une
         meschanceté, qui fut, de prendre le coeur qu'ils coupperent en
         plusieurs pièces & le donnèrent à manger à un sien frère, &
         autres de ses compagnons qui estoient prisonniers, lesquels le
         prindrent & le mirent en leur bouche, mais ils ne le voulurent
         avaller: quelques sauvages Algoumequins, qui les avoient en
         garde le firent recracher à aucuns, & le jetterent dans l'eau.
         Voila comme ces peuples se gouvernent à l'endroit de ceux
         qu'ils prennent en guerre: & mieux vaudroit pour eux mourir en
         combatant, ou se faire tuer à la chaude, comme il y en a
         beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de
         leurs ennemis. Après ceste exécution faite, nous nous mismes en
         chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers,
         qui alloient tousjours chantans, sans autre esperance que celuy
         qui avoit esté ainsi mal traicté. Estans aux sauts de la
         riviere des Yroquois les Algoumequins s'en retournèrent en leur
         pays, & aussi les Ochatequins[271] avec une partie des
         prisonniers, fort contens de ce qui s'estoit passé en la
         guerre, & de ce que librement j'estois allé avec eux. Nous nous
         departismes donc comme cela, avec de grandes protestations
199/347  d'amitié, les uns & les autres, & me dirent si je ne desirois
         pas aller en leur pays pour les asister tousjours comme freres:
         je leur promis.

[Note 271: Ochateguins, ou Hurons.]

         Je m'en revins avec les Montagnets. Après m'estre informé des
         prisonniers de leurs pays, & de ce qu'il pouvoit y en avoir,
         nous ployames bagage pour nous en revenir, ce qui fut avec
         telle diligence, que chacun jour nous faisions 25 & 30 lieues
         dans leurs dicts canots, qui est l'ordinaire. Comme nous fusmes
         à l'entrée de la riviere des Yroquois, il y eut quelques
         sauvages qui songerent que leurs ennemis les poursuivoient: ce
         songe les fit aussitost lever le siege, encores que celle nuit
         fut fort mauvaise à cause des vents & de la pluye qu'il
         faisoit; & furent passer la nuit dedans de grands roseaux, qui
         sont dans le lac sainct Pierre, jusqu'au lendemain, pour la
         crainte qu'ils avoient de leurs ennemis. Deux jours après
         arrivasmes à nostre habitation, où je leur fis donner du pain &
         quelques poix, & des patinostres, qu'ils me demandèrent pour
         parer la teste de leurs ennemis, qui les portent pour faire des
         resjouissances à leur arrivée. Le lendemain je feu avec eux
         dans leurs canots à Tadoussac, pour voir leurs cérémonies.
         Aprochans de la terre, ils prindrent chacun un baston, où au
         bout ils pendirent les testes de leurs ennemis tués avec
         quelques patinostres, chantants les uns & les autres: & comme
         ils en furent prests, les femmes se despouillerent toutes nues,
         & se jetterent en l'eau, allant au devant des canots pour
         prendre les testes de leurs ennemis qui estoient au bout de
         longs bastons devant leurs batteaux, pour après les pendre à
200/348  leur col comme si c'eust esté quelque chaîne precieuse, & ainsi
         chanter & danser. Quelques jours après ils me rirent present
         d'une de ces testes, comme chose bien precieuse, & d'une paire
         d'armes de leurs ennemis, pour les conserver, affin de les
         montrer au Roy: ce que je leur promis pour leur faire plaisir.

         Quelques jours après je fus à Quebecq, où il vint quelques
         sauvages Algoumequins, qui me firent entendre le desplaisir
         qu'ils avoient de ne s'estre trouvez à la deffaite de leurs
         ennemis, & me firent present de quelques fourrures, en
         consideration de ce que j'y avois esté & assisté leurs amis.

         Quelques jours après qu'ils furent partis pour s'en aller en
         leur pays, distant de nostre habitation de 120 lieues, je fus à
         Tadoussac voir si le Pont seroit de retour de Gaspé, où il
         avoit esté. Il n'y arriva que le lendemain, & me dit qu'il
         avoit délibéré de retourner en France. Nous resolusmes de
         laisser un honneste homme appelé le Capitaine Pierre Chavin, de
         Dieppe, pour commander à Quebecq, où il demeura jusques à ce
         que le sieur de Mons en eust ordonné.



         Retour en France, & ce qui s'y passa jusques au rembarquement.

                               CHAPITRE XI.

         Ceste resolution prinse nous fusmes à Quebecq pour l'establir,
         & luy laisser toutes les choses requises & necessaires à une
         habitation, avec quinze hommes. Toutes choses estant en estat
201/349  nous en partismes le premier jour de Septembre pour aller à
         Tadoussac, faire appareiller nostre vaisseau, à fin de nous en
         revenir en France.

         Nous partismes donc de ce lieu le 5 du mois, & le 8 nous fusmes
         mouiller l'ancre à l'isle Percée.

         Le jeudy dixiesme partismes de ce lieu, & le mardy ensuivant
         18[272] du mois arrivasmes sur le grand banc.

[Note 272: Le mardi était le 15.]

         Le 2 d'Octobre, nous eusmes la sonde. Le 8 mouillasmes l'ancre
         au Conquet en basse Bretagne. Le Samedy 10 du mois partismes de
         ce lieu, & arrivasmes à Honfleur le 13.

         Estans desembarqués, je n'y fis pas long sejour que je ne
         prinse la poste pour aller trouver le sieur de Mons, qui estoit
         pour lors à Fontaine-belau où estoit sa Majesté, & luy
         representay fort particulièrement tout ce qui s'estoit passé,
         tant en mon yvernement, que des nouvelles descouvertures, &
         l'esperance de ce qu'il y avoit à faire à l'advenir touchant
         les promesses des sauvages appelez Ochateguins, qui sont bons
         Yroquois. Les autres Yroquois leurs ennemis sont plus au midy.
         Les premiers entendent, & ne diferent pas beaucoup de langage
         aux peuples descouverts de nouveau, &qui nous avoient esté
         incogneus cy devant.

         Aussitost je fus trouver sa Majesté, à qui je fis le discours
         de mon voyage, à quoy il print plaisir & contentement.

         J'avois une ceinture faite de poils de porc-espic, qui estoit
         fort bien tissue, selon le pays, laquelle sa Majesté eut pour
202/350  aggreable, avec deux petits oiseaux gros comme des merles, qui
         estoient incarnats [273], & aussi la teste d'un certain poisson
         qui fut prins dans le grand lac des Yroquois, qui avoit un becq
         fort long avec deux ou trois rangées de dents fort aiguës. La
         figure de ce poisson est dans le grand lac de ma carte
         Géographique [274].

[Note 273: Cette description convient au _Pyranga rubra_, AUD.]

[Note 274: La grande carte de 1612. Voir plus haut, p. 190, la
description de ce poisson.]

         Ayant fait avec sa Majesté, le sieur de Mons se délibéra
         d'aller à Rouen trouver ses associez les sieurs Collier & le
         Gendre marchands de Rouen, pour adviser à ce qu'ils avoient à
         faire l'année ensuivant. Ils resolurent de continuer
         l'habitation, & parachever de descouvrir dedans le grand fleuve
         S. Laurens, suivant les promesses des Ochateguins, à la charge
         qu'on les assisteroit en leurs guerres comme nous leur avions
         promis.

         Le Pont fut destiné pour aller à Tadoussac tant pour la traicte
         que pour faire quelque autre chose qui pourroit apporter de la
         commodité pour subvenir aux frais de la despence.

         Et le sieur Lucas le Gendre de Rouen, l'un des associez,
         ordonné pour avoir soin de faire tant l'achat des marchandises
         que vivres, & de la frette des vaisseaux, esquipages & autres
         choses necessaires pour le voyage.

         Après ces choses resolues le sieur de Mons s'en retourna à
         Paris, & moy avec luy, où je fus jusques à la fin de Fevrier:
         durant lequel temps le sieur de Mons chercha moyen d'avoir
         nouvelle commission pour les traictes des nouvelles
         descouvertures, que nous avions faites, où auparavant personne
203/351  n'avoit traicté: Ce qu'il ne peut obtenir, bien que les
         demandes & propositions fussent justes & raisonnables.

         Et se voyant hors d'esperance d'obtenir icelle commission, il
         ne laissa de poursuivre son dessin, pour le desir qu'il avoit
         que toutes choses reussissent au bien & honneur de la France.

         Pendant ce temps, le sieur de Mons ne m'avoit dit encores sa
         volonté pour mon particulier, jusques à ce que je luy eus dit
         qu'on m'avoit raporté qu'il ne devroit que j'yvernasse en
         Canadas, ce qui n'estoit pas, car il remit le tout à ma
         volonté.

         Je m'esquipay des choses propres & necessaires pour hyverner à
         nostre habitation de Quebecq, & pour cest effet party de Paris
         le dernier jour de Fevrier ensuivant, & fus à Honfleur, où se
         devoit faire l'embarquement. Je passay par Rouen, où je
         sejournay deux jours: & de là fus à Honfleur, où je trouvay le
         Pont, & le Gendre, qui me dirent avoir fait embarquer les
         choses necessaires pour l'habitation. Je fus fort aise de nous
         voir prests à faire voile: toutesfois incertain si les vivres
         estoient bons & suffisans pour la demeure & yvernement.

205/353


[Illustration]

                          SECOND VOYAGE[275]
                       DU SIEUR DE CHAMPLAIN
                  fait en la Nouvelle France en
                          l'année 1610.


[Note 275: Ce voyage est le second que l'auteur ait fait dans la
Nouvelle-France avec une commission expresse et personnelle de fonder un
établissement permanent. Dans les deux voyages précédents, il n'avait
fait qu'accompagner M. de Monts ou ses lieutenants pour faire un rapport
fidèle des avantages que pouvaient offrir les pays nouvellement
découverts.]



         Partement de France pour retourner en la Nouvelle France, & ce
         qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation.

                              CHAPITRE I

         Le temps venant favorable je m'enbarquay à Honfleur avec
         quelque nombre d'artisans le 7 du mois de Mars, & fusmes
         contrariez de mauvais temps en la Manche, & contraincts de
         relascher en Angleterre, à un lieu appelé Porlan[276], où
         fusmes quelques jours à la radde: & levasmes l'ancre pour aller
         à l'isle d'Huy[277], qui est proche de la coste d'Angleterre,
         d'autant que nous trouvions la radde de Porlan fort mauvaise.
         Estans proches d'icelle isle, la brume s'esleva si fort que
         nous fusmes contraincts de relascher à la Houque.

[Note 276: Portland.]

[Note 277: L'île de Wight.]

206/354  Depuis le partement de Honfleur, je fus persecuté d'une fort
         grande maladie, qui m'ostoit l'esperance de faire le voyage, &
         m'estois embarqué dans un batteau pour me faire reporter en
         France au Havre, & là me faire traicter, estant fort mal au
         vaisseau: Et faisois estat recouvrant ma santé, que je me
         rembarquerois dans un autre, qui n'estoit party de Honfleur, où
         devoit s'embarquer des Marests, gendre de Pont-gravé: mais je
         me fis porter à Honfleur, tousjours fort mal, où le 15 de Mars
         le vaisseau d'où j'estois sorty relascha, pour y prendre du
         l'aist, qui luy manquoit, pour estre bien en assiete. Il fut en
         ce lieu jusques au 8 d'Avril. Durant ce temps je me remis en
         assez bon estat: toutesfois encore que foible & débile, je ne
         laissay pas de me rembarquer.

         Nous partismes derechef le 18[278] d'Avril, & arrivasmes sur le
         grand banc le 19 du mois, & eusmes cognoissance des isles S.
         Pierre le 22. Estans le travers de Menthane nous rencontrasmes
207/355  un vaisseau de S. Maslo, où il y avoit un jeune homme, qui
         beuvant à la santé de Pont-gravé, ne se peut si bien tenir, que
         par l'esbranlement du vaisseau il ne tombast en la mer, & se
         noya sans y pouvoir donner remède, à cause que le vent estoit
         trop impétueux.

[Note 278: Le 8, ou, comme portait peut-être le manuscrit, le _dit
huit_, que l'on aura pris pour _dix-huit_, et traduit en chiffres.
Lescarbot n'a pas vu d'autre moyen de corriger ce passage que de faire
arriver Champlain le _26 de mai_, au lieu du _26 du mois_. Ce qui nous
surprend, c'est que M. Ferland, qui d'ordinaire est si exact, ait adopté
la supposition de Lescarbot, sans essayer lui-même de concilier ces
dates. Mais il est à remarquer premièrement, que la correction que nous
faisons, est motivée par les circonstances mêmes du récit de l'auteur,
puisque le vaisseau «fut en ce lieu jusqu'au 8», et que, dans
l'intervalle, Champlain se rétablit assez bien pour pouvoir se
rembarquer. En second lieu, cette seule correction obvie à toutes les
difficultés, tandis que celle de Lescarbot en laisse subsister d'assez
graves: comment Champlain serait-il parti le dix-huit, quand il vient de
dire que le vaisseau ne resta que jusqu'au huit? qu'aurait fait le
vaisseau dans l'intervalle? Champlain n'aurait-il pas mentionné la
raison de ce nouveau retard comme celle du premier? Enfin comment croire
que «depuis plus de soixante ans» on n'eût pas vu les vaisseaux arriver
à Tadoussac avant le 18 de mai, puisque la flotte du Canada partait
ordinairement aux grandes mers de mars? (Fournier, Hydrogr., liv. III,
ch. XLIX.) D'ailleurs, comme le vaisseau de Champlain avait d'abord fait
voile au commencement de mars, il est extrêmement probable que les
vaisseaux de traite, qui tenaient à n'être pas devancés, partirent aussi
dans la première moitié du même mois; alors, rien d'étonnant qu'ils
aient été rendus à Tadoussac dès le 18 d'avril. Champlain aurait donc
fait la traversée en dix-huit jours; ce qui n'est point incroyable,
puisqu'on a vu des traversées encore plus courtes. Il y a d'ailleurs
raison de croire que le même vent qui amena si tôt les vaisseaux de
traite à Tadoussac, dut favoriser également le vaisseau de Champlain.]

         Le 26 du mois arrivasmes à Tadoussac, où il y avoit des
         vaisseaux qui y estoient arrivez dés le 18, ce qui ne s'estoit
         veu il y avoit plus de 60. ans[279], à ce que disoient les
         vieux mariniers qui voguent ordinairement audit pays. C'estoit
         le peu d'yver qu'il y avoit fait, & le peu de glaces [280], qui
         n'empescherent point l'entrée desdicts vaisseaux. Nous sçeusmes
         par un jeune Gentilhomme appelé le sieur du Parc qui avoit
         yverné à nostre habitation, que tous ses compagnons se
         portoient bien, & qu'il n'y en avoit eu que quelques uns de
         malades, encore fort peu, & nous asseura qu'il n'y avoit fait
         presque point d'yver, & avoient eu ordinairement de la viande
         fraische tout l'yver, & que le plus grand de leur travail
         estoit de se donner du bon temps.

[Note 79: «Cette remarque,» dit M. Ferland, «prouve que depuis le
dernier voyage de M. de Roberval en 1649, les Basques, les Normands et
les Bretons avaient continué de faire le trafic des pelleteries à
Tadoussac.» (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 157, note i.)]

[Note 280: Champlain, en indiquant cette raison, se contente de
mentionner un fait, sans prétendre le généraliser, et il reste dans le
vrai. Lescarbot, moins scrupuleux, tire de suite la conclusion que, si
l'entrée du golfe est obstruée de glaces à la fin de mai, elle doit
l'être à plus forte raison au commencement du même mois ou dans le mois
d'avril; ce qui cependant est contraire aux faits. «Là, dit-il, ilz
trouvèrent des vaisseaux arrivez dés huit jours auparavant, chose qui ne
s'étoit veue il y avoit plus de soixante ans, à ce que disoient les
vieux mariniers. Car d'ordinaire les entrées du golfe de Canada sont
seelées de glaces jusques à la fin de May.» (Liv. v, ch. v.)]

         Cest yver monstre comme se doivent comporter à l'advenir ceux
         qui auront telles entreprises, estant bien malaisé de faire une
         nouvelle habitation sans travail, & courir la première année
         mauvaise fortune, comme il s'est trouvé en toutes nos premières
208/356  habitations. Et à la vérité en ostant les salures, & ayant de
         la viande fraische, la santé y est aussi bonne qu'en France.

         Les sauvages[281] nous attendoient de jour en autre pour aller
         à la guerre avec eux. Comme ils sceurent que le Pont & moy
         estions arrivez ensemble, il se resjouirent fort, & vindrent
         parler à nous. Je fus à terre, pour leur asseurer que nous
         irions avec eux, suivant les promesses qu'ils m'avoient faites,
         Qu'après le retour de leur guerre, il me meneroient descouvrir
         les trois rivieres, jusques en un lieu où il y a une si grande
         mer[282] qu'ils n'en voyent point le bout, & nous en revenir
         par le Saguenay audit Tadoussac: & leur demanday s'ils avoient
         encore ceste mesme volonté: Ils me dirent qu'ouy: mais que ce
         ne pouvoit estre que l'année suivante: ce qui m'aporta du
         plaisir[283]: Toutesfois j'avois promis aux Algoumequins &
         Ochateguins de les assister aussi en leurs guerres, lesquels
         m'avoient promis de me faire voir leur pays, & le grand lac
         [284], & quelques mines de cuivre & autres choses qu'ils
         m'avoient donné à entendre: si bien que j'avois deux cordes à
         mon arc: de façon que si l'une failloit, l'autre pouvoit
         reussir.

[Note 281: Les Montagnais, comme la suite le fait voir.]

[Note 282: La Baie d'Hudson.]

[Note 283: Le contexte prouve assez qu'il faut «du desplaisir.»]

[Note 284: C'est-à-dire, leur grand lac, le lac Huron.]

         Le 28 dudit mois je party de Tadoussac, pour aller à Quebecq,
         où je trouvay le Capitaine Pierre[285] qui y commandoit, & tous
         ses compagnons en bon estat; & avec eux un Capitaine sauvage
209/357  appelé Batiscan, & aucuns de ses compagnons, qui nous y
         attendoient, lesquels furent fort resjouys de ma venue, & se
         mirent à chanter & danser tout le soir. Je leur fis festin ce
         qu'ils eurent fort aggreable, & firent bonne chère, dont ils ne
         furent point ingrats, & me convierent moy huictiesme qui n'est
         pas petite faveur parmy eux, où nous portasmes chacun nostre
         escuelle, comme est la coustume, & de la remporter chacun
         plaine de viande, que nous donnions à qui bon nous sembloit.

[Note 285: Pierre Chavin. (Voir plus haut, p. 200.)]

         Quelques jours après que je fus party de Tadoussac, les
         Montagnets arriverent à Quebecq au nombre de 60 bons hommes,
         pour s'acheminer à la guerre. Ils y sejournerent quelques
         jours, s'y donnant du bon temps, & n'estoit pas sans souvent
         m'importuner, sçavoir si je ne manquerois point à ce que je
         leur avois promis. Je les asseuray, & promis de rechef, leur
         demandant s'ils m'avoient trouvé menteur par le passé. Ils se
         resjouirent fort lors que je leur reiteray mes promesses.

         Et me disoient voila beaucoup de Basques & Mistigoches (ainsi
         appelent ils les Normans & Maslouins) qui disent qu'ils
         viendront à la guerre avec nous, que t'en semble? disent ils
         vérité? Je leur respondis que non, & que je sçavois bien ce
         qu'ils avoient au coeur, & que ce qu'ils en disoient n'estoient
         que pour avoir & attirer leurs commoditez. Ils me disoient tu
         as dit vray, ce sont femmes, & ne veulent faire la guerre qu'à
         nos Castors: avec plusieurs autres discours facetieux, & de
         l'estat & ordre d'aller à la guerre.

         Ils se resolurent de partir, & m'aller attendre aux trois
210/358  rivieres 30 lieues plus haut que Quebecq, où je leur avois
         promis de les aller trouver, & quatre barques chargées de
         marchandises, pour traicter de pelleterie, entre autres avec
         les Ochateguins, qui me devoient venir attendre à l'entrée de
         la riviere des Yroquois, comme ils m'avoient promis l'année
         précédente, & y amener jusques à 400 hommes, pour aller à la
         guerre.



         _Partement de Quebecq pour aller assister nos sauvages aliez à
         la guerre contre les Yroquois leurs ennemis, & tout ce qui se
         passa jusques à nostre retour en l'habitation._

                                CHAPITRE II.

         JE party de Quebecq le 14 Juin pour aller trouver les
         Montagnets, Algoumequins & Ochateguins qui se devoient trouver
         à l'entrée de la riviere des Yroquois. Comme je fus à 8 lieues
         de Quebecq, je rencontray un canot, où il y avoit deux
         sauvages, l'un Algoumequin, & l'autre Montagnet, qui me
         venoient prier de m'advancer le plus viste qu'il me feroit
         possible, & que les Algoumequins & Ochateguins seroient dans
         deux jours au rendes-vous au nombre de 200 & 200 autres qui
         devoient venir un peu après, avec Yroquet un de leurs chefs; &
         me demandèrent si j'estois content de la venue de ces sauvages:
         je leur dy que je n'en pouvois estre fasché, puis qu'ils
         avoient tenu leur promesse. Ils se mirent dedans ma barque, où
         je leur fis fort bonne chère. Peu de temps aprés avoir devisé
         avec eux de plusieurs choses touchant leurs guerres, le sauvage
211/359  Algoumequin, qui estoit un de leurs chefs, tira d'un sac une
         pièce de cuivre de la longueur d'un pied, qu'il me donna,
         lequel estoit fort beau & bien franc, me donnant à entendre
         qu'il y en avoit en quantité là où il l'avoit pris, qui estoit
         sur le bort d'une riviere proche d'un grand lac, & qu'ils le
         prenoient par morceaux, & le faisant fondre le mettoient en
         lames, & avec des pierres le rendoient uny. Je fus fort ayse de
         ce present, encores qu'il fut de peu de valleur.

         Arrivant aux trois rivieres, je trouvay tous les Montagnets qui
         m'attendoient, & quatre barques, comme j'ay dit cy dessus, qui
         y estoient allées pour traicter avec eux.

         Les sauvages furent resjouis de me voir. Je fus à terre parler
         à eux. Ils me prièrent, qu'allant à la guerre je ne
         m'embarquasse point, ny mes compagnons aussi, en d'autres
         canots que les leurs; & qu'ils estoient nos antiens amis: ce
         que je leur promis, leur disant que je voulois partir tout à
         l'heure, d'autant que le vent estoit bon, & que ma barque
         n'estoit point si aisée que leurs canots, & que pour cela je
         voulois prendre l'advant. Ils me prièrent instamment d'attendre
         au lendemain matin, que nous irions tous ensemble, & qu'ils ne
         feroient pas plus de chemin que moy; Enfin pour les contenter,
         je leurs promis, dont ils furent fort joyeux.

         Le jour ensuivant nous partismes tous ensemble vogans jusques
         au lendemain matin 19e jour dudit mois, qu'arrivasmes à une
         isle devant ladite riviere des Yroquois, en attendant les
         Algoumequins qui devoient y venir ce mesme jour. Comme les
212/360  Montagnets couppoient des arbres pour faire place pour danser &
         se mettre en ordre à l'arrivée desdits Algoumequins, voicy un
         canot Algoumequin qu'on aperceut venir en diligence advertir
         que les Algoumequins avoient fait rencontre des Yroquois, qui
         estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien
         barricadez, & qu'il seroit malaisé de les emporter, s'ils ne
         venoient promptement, & les Matigoches avec eux (ainsi nous
         appelent ils.)

         Aussitost l'alarme commença parmy eux, & chacun se mit en son
         canot avec ses armes. Ils furent promptement en estat, mais
         avec confusion: car ils se precipitoient si fort que au lieu
         d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent à nostre barque, &
         aux autres, me priant d'aller avec eux dans leurs canots, & mes
         compagnons aussi, & me presserent si fort que je m'y embarquay
         moy cinquiesme. Je priay la Routte qui estoit nostre pilotte,
         de demeurer en la barque, & m'envoyer encores quelque 4 ou 5 de
         mes compagnons, si les autres barques envoyoient quelques
         chalouppes avec hommes pour nous donner secours: Car aucunes
         des barques n'y voulut aller avec les sauvages, horsmis le
         Capitaine Thibaut qui vint avec moy, qui avoit là une barque.
         Les sauvages crioyent à ceux qui restoient qu'ils avoient coeur
         de femmes, & ne sçavoient faire autre chose que la guerre à
         leurs pelleteries.

         Cependant après avoir fait quelque demie lieue, en traversant
         la riviere tous les sauvages mirent pied à terre, & abandonnant
         leurs canots prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues
         & espées, qu'ils amanchent au bout de grands bastons, &
213/361  commencèrent à prendre leur course dans les bois, de telle
         façon que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous
         laisserent cinq que nous estions sans guides. Cela nous apporta
         du desplaisir: neantmoins voyant tousjours leurs brisées nous
         les suivions; mais souvent nous nous abusions. Comme nous
         eusmes fait environ demie lieue par l'espois des bois, dans des
         pallus & marescages, tousjours l'eau jusques aux genoux, armez
         chacun d'un corcelet de piquier qui nous importunoit beaucoup,
         & aussi la quantité des mousquites, qui estoient si espoisses
         qu'elles ne nous permettoient point presque de reprendre nostre
         halaine, tant elles nous persecutoient, & si cruellement que
         c'estoit chose estrange, nous ne sçavions plus où nous estions
         sans deux sauvages que nous apperceusmes traversans le bois,
         lesquels nous appelasmes, & leur dy qu'il estoit necessaire
         qu'ils fussent avec nous pour nous guider & conduire où
         estoient les Yroquois, & qu'autrement nous n'y pourrions aller,
         & que nous nous esgarerions dans les bois. Ils demeurèrent pour
         nous conduire. Ayant fait un peu de chemin, nous apperceusmes
         un sauvage qui venoit en diligence nous chercher pour nous
         faire advancer le plus promptement qu'il seroit possible,
         lequel me fit entendre que les Algoumequins & Montagnets
         avoient voulu forcer la barricade des Yroquois & qu'ils avoient
         esté repoussés, & qu'il y avoit eu de meilleurs hommes
         Montagnets tuez, & plusieurs autres blessez, & qu'ils
         s'estoient retirez en nous attendant, & que leur esperance
         estoit du tout en nous. Nous n'eusmes pas fait demy quart de
         lieue avec ce sauvage qui estoit Capitaine Algoumequin, que
214/362  nous entendions les hurlemens & cris des uns & des autres, qui
         s'entre disoient des injures, escarmouchans tousjours
         légèrement en nous attendant. Aussitost que les sauvages nous
         apperçeurent ils commencèrent à s'escrier de telle façon, qu'on
         n'eust pas entendu tonner. Je donnay charge à mes compagnons de
         me suivre tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de
         la barricade des ennemis pour, la recognoistre. Elle estoit
         faite de puissants arbres, arrangez les uns sur les autres en
         rond, qui est la forme ordinaire de leurs forteresses. Tous les
         Montagnets & Algoumequins s'approchèrent aussi de ladite
         barricade. Lors nous commençasmes à tirer force coups
         d'arquebuse à travers les fueillards, d'autant que nous ne les
         pouvions voir comme eux nous. Je fus blessé en tirant le
         premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de
         flesche qui me fendit le bout de l'oreille & entra dans le col.
         Je prins la flesche qui me tenoit encores au col & l'arachay:
         elle estoit ferrée par le bout d'une pierre bien aiguë. Un
         autre de mes compagnons en mesme temps fut aussi blessé au bras
         d'une autre flesche que je luy arrachay. Neantmoins ma
         blesseure ne m'empescha de faire le devoir, & nos sauvages
         aussi de leur part, & pareillement les ennemis, tellement qu'on
         voyoit voler les flesches d'une part & d'autre, menu comme
         gresle: Les Yroquois s'estonnoient du bruit de nos arquebuses,
         & principalement de ce que les balles persoient mieux que leurs
         flesches; & eurent tellement l'espouvante de l'effet qu'elles
         faisoient, voyant plusieurs de leurs compaignons tombez morts,
         & blessez, que de crainte qu'ils avoient, croyans ces coups
215/363  estre sans remède ils se jettoient par terre, quand ils
         entendoient le bruit: aussi ne tirions gueres à faute, & deux
         ou trois balles à chacun coup, & avions la pluspart du temps
         nos arquebuses appuyées sur le bord de leur barricade. Comme je
         vy que nos munitions commençoient à manquer, je dy à tous les
         sauvages, qu'il les falloit emporter de force & rompre leurs
         barricades, & pour ce faire prendre leurs rondaches & s'en
         couvrir, & ainsi s'en aprocher de si prés que l'on peust lier
         de bonnes cordes aux pilliers qui les soustenoient, & à force
         de bras tirer tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y
         faire ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort: & que
         cependant nous à coups d'arquebuses repousserions les ennemis
         qui viendroient se presenter pour les en empescher: & aussi
         qu'ils eussent à se mettre quelque quantité après de grands
         arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les
         renverser dessus pour les accabler, que d'autres couvriroient
         de leurs rondaches pour empescher que les ennemis ne les
         endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme on
         estoit en train de parachever, les barques qui estoient à une
         lieue & demie de nous nous entendoient battre par l'equo de nos
         arquebusades qui resonnoit jusques à eux, qui fit qu'un jeune
         homme de sainct Maslo plein de courage, appelé des Prairies,
         qui avoit sa barque comme les autres pour la traite de
         pelleterie, dit à tous ceux qui restoient, que c'estoit une
         grande honte à eux de me voir battre de la façon avec des
         sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il
         avoit trop l'honneur en recommandation, & qu'il ne vouloit
216/364  point qu'on luy peut faire ce reproche: & sur cela se délibéra
         de me venir trouver dans une chalouppe avec quelques siens
         compagnons, & des miens qu'il amena avec luy. Aussitost qu'il
         fut arrivé il alla vers le fort des Yroquois, qui estoit sur le
         bort de la riviere, où il mit pied à terre, & me vint chercher.
         Comme je le vis, je fis cesser nos sauvages qui rompoient la
         forteresse, afin que les nouveaux venus eussent leur part du
         plaisir. Je priay le sieur des Prayries & ses compagnons de
         faire quelque salve d'arquebusades, auparavant que nos sauvages
         les emportassent de force, comme ils avoient délibéré: ce
         qu'ils firent, & tirèrent plusieurs coups, où chacun d'eux se
         comporta bien en son devoir. Et après avoir assez tiré, je
         m'adresse à nos sauvages & les incitay de parachever: Aussitost
         s'aprochans de ladite barricade comme ils avoient fait
         auparavant, & nous à leurs aisles pour tirer sur ceux qui les
         voudroient empescher de la rompre. Ils firent si bien &
         vertueusement qu'à la faveur de nos arquebusades ils y firent
         ouverture, neantmoins difficile à passer, car il y avoit
         encores la hauteur d'un homme pour entrer dedans, & des
         branchages d'arbres abbatus, qui nuisoient fort: Toutesfois
         quand je vey l'entrée assez raisonnable, je dy qu'on ne tirast
         plus: ce qui fut fait: Au mesme instant quelque vingt ou
         trente, tant des sauvages que de nous autres, entrasmes dedans
         l'espée en la main, sans trouver beaucoup de resistance.
         Aussitost ce qui restoit sain commença à prendre la fuitte:
         mais ils n'alloient pas loing, car ils estoient défaits par
         ceux qui estoient à l'entour de ladite baricade: & ceux qui
217/365  eschaperent se noyèrent dans la riviere. Nous prismes quelques
         quinze prisonniers, le reste tué à coups d'arquebuse, de
         flesches & d'espée. Quand ce fut fait, il vint une autre
         chalouppe & quelques uns de nos compagnons dedans, qui fut trop
         tart: toutesfois assez à temps pour la despouille du butin, qui
         n'estoit pas grand chose: il n'y avoit que des robes de castor,
         des morts, plains de sang, que les sauvages ne vouloient
         prendre la peine de despouiller, & se moquoient de ceux qui le
         faisoient, qui furent ceux de la dernière chalouppe: Car les
         autres ne se mirent en ce villain devoir. Voila donc avec la
         grâce de Dieu la victoire obtenue, dont ils nous donnèrent
         beaucoup de louange.

364a

[Illustration] _Fort des Yroquois._

A Le fort des Yroquois.
B Yroquois se jettans en la riviere pour se sauver poursuivis par les
  Montaignets & Algoumequins se jettant après eux pour les tuer.
D Le sieur de Champlain & 5 des siens.
E Tous nos sauvages amis.
F Le sieur des Prairies de S. Maslo avec ses compagnons.
G Chalouppe dudit sieur des Prairies.
H Grands arbres couppés pour ruiner le fort des Yroquois.


         Ces sauvages escorcherent les testes de ceux qui estoient
         morts, ainsi qu'ils ont accoustumé de faire pour trophée de
         leur victoire, & les emportent. Ils s'en retournèrent avec
         cinquante blessez des leurs, & trois hommes morts desdicts
         Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs prisonniers
         avec eux. Ayant les testes pendues à des bastons devant leurs
         canots & un corps mort couppé par quartiers, pour le manger par
         vengeance, à ce qu'ils disoient, & vindrent en ceste façon
         jusques où estoient nos barques audevant de ladite riviere des
         Yroquois.

         Et mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chalouppe,
         où je me fis penser de ma blesseure par le chirurgien de Boyer
         de Rouen qui y estoit venu aussi pour la traicte. Tout ce jour
         se passa avec les sauvages en danses & chançons.

         Le lendemain ledit sieur du Pont arriva avec une autre
         chalouppe chargée de quelques marchandises & une autre qu'il
218/366  avoit laissée derrière où estoit le Capitaine Pierre qui ne
         pouvoit venir qu'avec peine, estant ladite barque un peu lourde
         & malaisée à nager.

         Cedit jour on traicta quelque pelleterie, mais les autres
         barques emportèrent la meilleure part du butin. C'estoit leur
         avoir fait un grand plaisir de leur estre allé chercher des
         nations étrangères, pour après emporter le profit sans aucune
         risque ny hazard.

         Ce jour je demanday aux sauvages un prisonnier Yroquois qu'ils
         avoient, lequel ils me donnèrent. Je ne fis pas peu pour luy,
         car je le sauvay de plusieurs tourmens qu'il luy eust fallu
         souffrir avec ses compagnons prisonniers, ausquels ils
         arrachoient les ongles, puis leur couppoient les doits, & les
         brusloient en plusieurs endroits. Ils en firent mourir ledit
         jour deux ou trois, & pour leur faire souffrir plus de tourmens
         ils en usent ainsi.

         Ils prindrent leurs prisonniers & les emmenèrent sur le bort de
         l'eau & les attachèrent tous droits à un baston, puis chacun
         venoit avec un flambeau d'escorce de bouleau, les brullans
         tantost sur une partie tantost sur l'autre: & les pauvres
         miserables sentans ce feu faisoient des cris si haut que
         c'estoit chose estrange à ouyr, & des cruautez dont ces
         barbares usent les uns envers les autres. Après les avoir bien
         fait languir de la façon, & les brullans avec ladite escorce,
         ils prenoient de l'eau & leur jettoient sur le corps pour les
         faire languir d'avantage: puis leur remettoient de rechef le
         feu de telle façon, que la peau tomboit de leurs corps, &
         continuoyent avec grands cris & exclamations, dansant jusques à
219/367  ce que ces pauvres miserables tombassent morts sur la place.

         Aussi tost qu'il tomboit un corps mort à terre, ils frappoient
         dessus à grands coups de baston, puis luy coupoient les bras &
         les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour
         homme de bien entr'eux celuy qui ne couppoit un morceau de sa
         chair & ne la donnoit aux chiens. Voila la courtoisie que
         reçoivent les prisonniers. Mais neantmoins ils endurent si
         constamment tous les tourmens qu'on leur fait, que ceux qui les
         voyent en demeurent estonnez.

         Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux
         Algoumequins que Montagnets, furent conservez pour les faire
         mourir par les mains de leurs femmes & filles, qui en cela ne
         se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, encores elles
         les surpassent de beaucoup en cruauté: car par leur subtilité
         elles inventent des supplices plus cruels, & y prennent
         plaisir, les faisant ainsi finir leur vie en douleurs
         extresmes.

         Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet & un autre Ochatagin,
         qui avoient quelques 80 hommes, qui estoient bien faschez de ne
         s'estre trouvez à la deffaite. En toutes ces nations il y avoit
         bien prés de 200 hommes qui n'avoient jamais veu de Chrestiens
         qu'alors, dont ils firent de grandes admirations.

         Nous fusmes quelques trois jours ensemble à une isle[286] le
220/368  travers de la riviere des Yroquois, & puis chacune des nations
         s'en retourna en son pays. J'avois un jeune garçon, qui avoit
         desja yverné deux ans à Quebecq, lequel avoit desir d'aller
         avec les Algoumequins, pour apprendre la langue. Pont-gravé &
         moy advisasmes que s'il en avoit envie que ce seroit mieux fait
         de l'envoyer là qu'ailleurs, pour sçavoir quel estoit leur
         pays, voir le grand lac, remarquer les rivieres, quels peuples
         y habitent; ensemble descouvrir les mines & choses les plus
         rares de ces lieux & peuples, afin qu'à son retour nous
         peussions estre informez de la vérité. Nous luy demandasmes
         s'il l'avoit aggreable: car de l'y forcer ce n'estoit ma
         volonté: mais aussi tost la demande faite, il accepta le voyage
         très-volontiers.

[Note 286: L'île de Saint-Ignace. Les sauvages, pour éviter les
surprises, ayant pour habitude de camper dans les îles, on peut
raisonnablement supposer que cette île était proprement le lieu de la
traite, quoiqu'on désignât ce lieu sous le nom de cap au Massacre, ou
cap de la Victoire, à cause de la proximité de ce dernier. Sans aucun
doute, le cap de la Victoire a dû son nom à la victoire remportée sur
les Iroquois dans cette expédition de 1610. «Ce lieu du Cap de la
Victoire ou de Massacre,» écrit Sagard en 1632 (Grand Voyage, p. 60),
est à douze ou quinze lieues au deçà de la Riviere des Prairies... La
riviere en cet endroit n'a environ que demye lieue de large, & dés
l'entrée se voyent tout d'un rang 6 ou 7 isles fort agréables &
couvertes de beaux bois.--A l'issue du lac,» ajoute le même auteur dans
son Histoire du Canada, «nous entrasmes peu après au port du Cap de la
Victoire... On voit du port six ou sept isles toutes de front,... qui
couvrent le lac S. Pierre & la riviere des Ignerhonons (nation
hyroquoyse) qui se descharge icy dans le grand fleuve, vis à vis du
port, beau, large & fort spacieux.» Plus loin, p. 765, il parle encore
du même lieu, «nommé, dit-il, par les Hurons Onthrandéen, & par nous cap
de la Victoire.» Un passage de Nicolas Perrot nous apprend d'une manière
un peu plus précise la position du cap de la Victoire: «Les Outaoüas,
dit-il, & toutes les autres nations qui commerçoient avec les
François... s'imaginoient que l'Irroquois estoit embusqué partout. Ils
n'en trouverent cependant qu'au cap Massacre, qui est l'endroit des
dernières concessions au bas de Saint-Ours.» (Mémoire de Nicolas Perrot,
édit. du P. Tailhan, p. 93.) Or on sait que la concession de Saint-Ours
finissait, sur le fleuve, à une lieue et demie au-dessus de Sorel. Enfin
la Relation de 1646 (p. 10) dit que «le cap nommé de Massacre était à
une lieue plus haut que Richelieu,» ou Sorel.]

         Je fus trouver le Capitaine Yroquet qui m'estoit fort
         affectionné, auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune
         garçon avec luy en son pays pour y yverner, & le ramener au
         printemps: Il me promit le faire, & le tenir comme son fils, &
         qu'il en estoit tres-content. Il le va dire à tous les
         Algoumequins, qui n'en furent pas trop contens, pour la crainte
         que quelque accident ne luy arriva: & que pour cela nous leur
221/369  fissions la guerre. Ce doubte refroidit Yroquet, & me vint dire
         que tous ses compagnons ne le trouvoient pas bon: Cependant
         toutes les barques s'en estoient allées, horsmis celle du Pont,
         qui ayant quelque affaire pressée, à ce qu'il me dit, s'en alla
         aussi: & moy je demeuray avec la mienne, pour voir ce qui
         reussiroit du voyage de ce garçon que j'avois envie qu'il fit.
         Je fus donc à terre & demanday à parler aux Capitaines,
         lesquels vindrent à moy, & nous assismes avec beaucoup d'autres
         sauvages anciens de leurs trouppes; puis je leur demanday
         pourquoy le Capitaine Yroquet que je tenois pour mon amy, avoit
         refusé d'emmener mon garçon avec luy. Que ce n'estoit pas comme
         frère ou amy, de me dernier une chose qu'il m'avoit promis,
         laquelle ne leur pouvoit apporter que du bien; & que en
         emmenant ce garçon, c'estoit pour contracter plus d'amitié avec
         eux & leurs voisins, que n'avions encores fait, & que leur
         difficulté me faisoit avoir mauvaise opinion d'eux; & que s'ils
         ne vouloient emmener ce garçon, ce que le Capitaine Yroquet
         m'avoit promis, je n'aurois jamais d'amitié avec eux, car ils
         n'estoient pas enfans pour rejetter ceste promesse. Alors ils
         me dirent qu'ils en estoient bien contens, mais que changeant
         de nourriture, ils craignoient que n'estant si bien noury comme
         il avoit accoustumé, il ne luy arriva quelque mal dont je
         pourrois estre fasché, & que c'estoit la seule cause de leur
         refus.

         Je leur fis responce que pour la vie qu'ils faisoient & des
         vivres dont ils usoient, ledit garçon s'y sçauroit bien
         accommoder, & que si par maladie ou fortune de guerre il luy
222/370  survenoit quelque mal, cela ne m'empescheroit de leur vouloir
         du bien, & que nous estions tous subjects aux accidens, qu'il
         failloit prendre en patience: Mais que s'ils le traitoyent mal,
         & qu'il luy arriva quelque fortune par leur faute, qu'à la
         vérité j'en serois mal content; ce que je n'esperois de leur
         part, ains tout bien.

         Ils me dirent, puis donc que tu as ce desir, nous l'emmenerons
         & le tiendrons comme nous autres: Mais tu prendras aussi un
         jeune homme en sa place, qui ira en France: Nous serons bien
         aise qu'il nous rapporte ce qu'il aura veu de beau. Je
         l'acceptay volontiers, & le prins[287]. Il estoit de la nation
         des Ochateguins, & fut aussi fort aise de venir avec moy. Cela
         donna plus de subject de mieux traicter mon garçon, lequel
         j'esquippay de ce qui luy estoit necessaire, & promismes les
         uns aux autres de nous revoir à la fin de Juin.

[Note 287: «J'ay vu souvent, dit Lescarbot, ce sauvage de Champlein
nommé Savignon, à Paris, gros garson & robuste, lequel se mocquoit
voyant quelquefois deux hommes se quereller sans se battre, ou tuer,
disant que ce n'étoient que des femmes, & n'avoient point de courage.»
(Liv. v, ch. v.)]

         Nous nous separasmes avec force promesses d'amitié. Ils s'en
         allèrent donc du costé du grand saut de la riviere de Canadas,
         & moy, je m'en retournay à Quebecq. En allant je rencontray le
         Pont-gravé, dedans le lac sainct Pierre, qui m'attendoit avec
         une grande pattache qu'il avoit rencontrée audit lac, qui
         n'avoit peu faire diligence de venir jusques où estoient les
         sauvages, pour estre trop lourde de nage. Nous nous en
         retournasmes tous ensemble à Quebecq: puis ledit Pont-gravé
         s'en alla à Tadoussac, pour mettre ordre à quelques affaires
223/371  que nous avions en ces quartiers là; & moy je demeuray à
         Quebecq pour faire redifier quelques palissades au tour de
         nostre habitation, attendant le retour dudit Pont-gravé, pour
         adviser ensemblement à ce qui seroit necessaire de faire.

         Le 4 de Juin[288] des Marests arriva à Quebecq, qui nous
         resjouit fort: car nous doubtions qu'il luy fut arrivé quelque
         accident sur la mer.

[Note 288: Il est probable qu'il faut lire: le 4 de juillet.]

         Quelques jours après un prisonnier Yroquois que j'y faisois
         garder, par la trop grande liberté que je luy donnois s'en fuit
         & se sauva, pour la crainte & apprehension qu'il avoit:
         nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa
         nation que nous avions en nostre habitation.

         Peu de jours après, le Pont-gravé m'escrivit qu'il estoit en
         délibération d'yverner en l'habitation, pour beaucoup de
         considerations qui le mouvoient à ce faire. Je luy rescrivy,
         que s'il croyoit mieux faire que ce que j'avois fait par le
         passé qu'il seroit bien.

         Il fit donc diligence de faire apporter les commoditez
         necessaires pour ladite habitation.

         Après que j'eu fait parachever la palissade autour de nostre
         habitation, & remis toutes choses en estat, le Capitaine Pierre
         revint dans une barque qui estoit allé à Tadoussac voir de ses
         amis: & moy j'y fus aussi pour voir ce qui reussiroit de la
         seconde traite & quelques autres affaires particulières, que
         j'y avois. Où estant je trouvay ledit Pont-gravé qui me
         communiqua fort particulièrement son dessin, & ce qui
         l'occasionnoit d'yverner. Je luy dis sainement ce qu'il m'en
224/372  sembloit, qui estoit, que je croyois qu'il n'y proffiteroit pas
         beaucoup, selon les apparences certaines qui se pouvoient voir.

         Il délibéra donc changer de resolution, & despescha une barque,
         & manda au Capitaine Pierre qu'il revint de Quebecq pour
         quelques affaires qu'il avoit avec luy: & aussi que quelques
         vaisseaux, qui estoient venus de Brouage apportèrent nouvelles,
         que monsieur de sainct Luc estoit venu en poste de Paris, &
         avoit chassé ceux de la Religion, hors de Brouage, & renforcé
         la garnison de soldats, & s'en estoit retourné en Court; & que
         le Roy avoit esté tué, & deux ou trois jours aprés luy, le duc
         de Suilly, & deux autres seigneurs dont on ne sçavoit le
         nom[289].

[Note 289: Henri IV avait en effet été assassiné le 14 de mai; mais ni
le duc de Sully ni aucun autre Seigneur ne l'avaient été.]

         Toutes ces nouvelles apportèrent un grand desplaisir aux vrais
         François, qui estoient lors en ces quartiers là: Pour moy, il
         m'estoit fortmalaisé de le croire, pour les divers discours
         qu'on en faisoit, qui n'avoient pas beaucoup d'apparence de
         vérité: & toutesfois bien affligé d'entendre de si mauvaises
         nouvelles.

         Or après avoir sejourné trois ou quatre jours à Tadoussac, &
         veu la perte que firent beaucoup de marchans qui avoient chargé
         grande quantité de marchandises & équipé bon nombre de
         vaisseaux, esperant faire leurs affaires en la traite de
         Pelleterie, qui fut si miserable pour la quantité de vaiseaux,
         que plusieurs se souviendront long temps de la perte qu'ils
         firent en ceste année[290].

[Note 290: Lescarbot nous fait connaître la cause de cette affluence de
vaisseaux de traite. «Cette année, dit-il, le refus fait au sieur de
Monts de lui continuer son privilège, ayant été divulgué par les ports
de mer, l'avidité des Merchens pour les Castors fut si grande, que les
trois parts cuidans aller conquérir la toison d'or sans coup férir, ne
conquirent pas seulement des toisons de laine, tant étoit grand le
nombre des conquerans.» (Liv. v, ch. v.)]

225/373  Ledit sieur de Pont-gravé & moy, nous nous embarquasmes chacun
         dans une barque, & laissasmes ledit Capitaine Pierre au
         vaisseau & emmenasmes le Parc à Quebecq, où nous parachevasmes
         de mettre ordre à ce qui restoit de l'habitation. Après que
         toutes choses furent en bon estat, nous resolusmes que ledit du
         Parc qui avoit yverné avec le Capitaine Pierre y demeuroit
         derechef, & que le Capitaine Pierre reviendroit aussi en
         France, pour quelques affaires qu'il y avoit, & l'y
         appelloient.

         Nous laissasmes donc ledit du Parc, pour y commander, avec
         seize hommes, ausquels nous fismes une remonstrance, de vivre
         tous sagement en la crainte de Dieu, & avec toute l'obeissance
         qu'ils devoient porter audit du Parc, qu'on leur laissoit pour
         chef & conducteur, comme si l'un de nous y demeuroit; ce qu'ils
         promirent tous de faire, & de vivre en paix les uns avec les
         autres.

         Quand aux jardins nous les laissasmes bien garnis d'herbes
         potagères de toutes sortes, avec de fort beau bled d'Inde, & du
         froument, seigle & orge, qu'on avoit semé, & des vignes que j'y
         avois fait planter durant mon yvernement (qu'ils ne firent
         aucun estat de conserver: car à mon retour, je les trouvay
         toutes rompues, ce qui m'aporta beaucoup de desplaisir, pour le
         peu de soin qu'ils avoient eu à la conservation d'un si bon &
         beau plan, dont je m'estois promis qu'il en reussiroit quelque
         chose de bon.)

         Après avoir veu toutes choses en bon estat, nous partismes de
         Quebecq, le 8 du mois d'Aoust, pour aller à Tadoussac, afin de
         faire apareiller nostre vaisseau, ce qui fut promptement fait.



226/374  _Retour en France. Rencontre d'une balaine, & de la façon qu'on
         les prent._

                            CHAPITRE III.

         LE 13. dudit mois nous partismes de Tadoussac, & arrivasmes à
         l'isle Percée le lendemain, où nous trouvasmes quantité de
         vaisseaux faisant pesche de poisson sec & vert,

         Le 18 dudit mois, nous partismes de l'isle Percée & passames
         par la hauteur de 42 degrez de latitude, sans avoir aucune
         cognoissance du grand banc, où se fait la pesche du poisson
         vert, pour ledit lieu estre trop estroit en ceste hauteur.

         Estant comme à demy traversé, nous rencontrasmes une balaine
         qui estoit endormie, & le vaisseau passant par dessus, luy fit
         une fort grande ouverture proche de la queue, qui la fit bien
         tost resveiller sans que nostre vaisseau en fut endomagé, &
         jetta grande abbondance de sang.

         Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire icy une petite
         description de la pesche des balaines, que plusieurs n'ont
         veue, & croyent qu'elles se prennent à coups de canon, d'autant
         qu'il y a de si impudens menteurs qui l'afferment à ceux qui
         n'en sçavent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinement sur
         ces faux raports.

         Ceux donc qui sont plus adroits à cette pesche sont les
         Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un
         port de seureté, ou proche de là où ils jugent y avoir quantité
         de ballaines, & équipent plusieurs chalouppes garnies de bons
227/375  hommes & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur
         chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longeur pour le moins
         cent cinquante brasses, & ont force pertusanes longues de demie
         pique qui ont le fer large de six pouces, d'autres d'un pied &
         demy & deux de long, bien tranchantes. Ils ont en chacune
         chalouppe un harponneur, qui est un homme des plus dispos &
         adroits d'entre eux; aussi tire il les plus grands salaires
         après les maistres, d'autant que c'est l'office le plus
         hazardeux. Ladite chalouppe estant hors du port, ils regardent
         de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir quelque
         balaine, allant à la borde d'un costé & d'autre: & ne voyant
         rien, ils vont à terre & se mettent sur un promontoire, le plus
         haut qu'ils trouvent pour descouvrir de plus loing, où ils
         mettent un homme en sentinelle, qui apercevant la balaine,
         qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par l'eau qu'elle
         jette par les esvans, qui est plus d'un poinçon à la fois, & de
         la hauteur de deux lances; & à ceste eau qu'elle jette, ils
         jugent ce qu'elle peut rendre d'huille. Il y en a telle d'où
         l'on en peut tirer jusques à six vingts poinçons, d'autres
         moins. Or voyant cet espouvantable poisson, ils s'embarquent
         promptement dans leurs chalouppes, & à force de rames ou de
         vent, vont jusques à ce qu'ils soient dessus. La voyant entre
         deux eaues, à mesme instant l'harponneur est au devant de la
         chalouppe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds &
         demy de large par le bas, emmanché en un baston de la longueur
         d'une demie pique, où au milieu il y a un trou où s'attache la
228/376  haussiere, & aussi tost que ledit harponneur voit son temps, il
         jette son harpon sur la balaine, lequel entre fort avant, &
         incontinent qu'elle se sent blessée, elle va au fonds de l'eau.
         Et si d'adventure en se retournant quelque fois, avec sa queue
         elle rencontre la chalouppe, ou les hommes, elle les brise
         aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard qu'ils
         courent d'estre tuez en la harponnant: Mais aussitost qu'ils
         ont jetté le harpon dessus, ils laissent filer leur haussiere,
         jusques à ce que la balaine soit au fonds: & quelque fois comme
         elle n'y va pas droit, elle entraine la chalouppe plus de huit
         ou neuf lieues, & va aussi viste comme un cheval, & sont le
         plus souvent contraints de coupper leur haussiere, craignant
         que la balaine ne les attire soubs l'eau: Mais aussi quand elle
         va au fonds tout droit, elle y repose quelque peu, & puis
         revient tout doucement sur l'eau: & à mesure qu'elle monte, ils
         rembarquent leur haussiere peu à peu & puis comme elle est
         dessus, ils se mettent deux ou trois chalouppes autour avec
         leurs pertusanes, desquelles ils luy donnent plusieurs coups, &
         se sentant frappée, elle descend de rechef soubs l'eau en
         perdant son sang, & s'affoiblit de telle façon, qu'elle n'a
         plus de force ne vigueur, & revenant sur l'eau ils achevent de
         la tuer: & quand elle est morte, elle ne va plus au fonds de
         l'eau, lors ils l'attachent avec de bonnes cordes, & la
         traînent à terre, au lieu où ils font leur degrat, qui est
         l'endroit où ils font fondre le lard de ladite balaine, pour en
         avoir l'huille. Voila la façon que elles se peschent, & non à
         coups de canon, ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy
         dessus. Pour reprendre le fil de mon discours, Après la
229/377  blessure de la balaine cy devant, nous prismes quantité de
         marsouins, que nostre contre maistre harponna, dont nous
         receusmes du plaisir & contentement.

         Aussi prismes nous quantité de poisson à la grand oreille avec
         une ligne & un aim, où nous attachions un petit poisson
         ressemblant au hareng, & la laissions traîner derrière le
         vaisseau, & la grand oreille pensant en effect que ce fut un
         poisson vif, venoit pour l'engloutir, & se trouvoit aussitost
         prins à l'aim qui estoit passé dans le corps du petit poisson.
         Il est tresbon, & a de certaines aigrettes qui sont fort
         belles, & aggreables comme celles qu'on porte aux pennaches.

         Le 22 de Septembre, nous arrivasmes sur la sonde, & advisasmes
         vingt vaisseaux qui estoient à quelque quatre lieux à l'Ouest
         de nous, que nous jugions estre Flamans à les voir de nostre
         vaisseau.

         Et le 25 dudit mois nous eusmes la veue de l'isle de Grenezé,
         après avoir eu un grand coup de vent, qui dura jusques sur le
         midy.

         Le 27 dudit mois arrivasmes à Honfleur.



231/379

[Illustration:]

                              LE TROISIESME
                            VOYAGE DU SIEUR DE
                        Champlain en l'année 1611.



         _Partement de France pour retourner en la nouvelle France. Les
         dangers & autres choses qui arriverent jusques en
         l'habitation._

                            CHAPITRE I.

         Nous partismes de Honfleur, le premier jour de Mars avec vent
         favorable jusques au huictiesme dudit mois, & depuis fusmes
         contrariés du vent de Su Surouest & Ouest Norouest qui nous fit
         aller jusques à la hauteur de 42 degrez de latitude, sans
         pouvoir eslever Su, pour nous mettre au droit chemin de
         nostre routte. Après donc avoir eu plusieurs coups de vent, &
         esté contrariés de mauvais temps: Et neantmoins, avec tant de
         peines & travaux, à force de tenir à un bort & à l'autre, nous
         fismes en sorte que nous arrivasmes à quelque 80 lieux du grand
         banc où se fait la pesche du poisson vert, où nous
         rencontrasmes des glaces de plus de trente à quarante brasses
         de haut, qui nous fit bien penser à ce que nous devions faire,
         craignant d'en rencontrer d'autres la nuit, & que le vent
232/380  venant à changer, nous poussast contre, jugeant bien que ce
         ne feroit les dernières, d'autant que nous estions partis de
         trop bonne heure de France. Navigeant donc le long de cedit
         jour à basse voile au plus prés du vent que nous pouvions, la
         nuit estant venue, il se leva une brume si espoisse, & Ci
         obscure, qu'à peine voyons nous la longueur du vaisseau.
         Environ sur les onze heures de nuit les matelots adviserent
         d'autres glaces qui nous donnèrent de l'apprehension, mais
         enfin nous fismes tant avec la diligence des mariniers, que
         nous les esvitasmes. Pensant avoir passé les dangers nous
         vinsmes à en rencontrer une devant nostre vaisseau que les
         matelots apperceurent, & non si tost que nous fusmes presques
         portez dessus. Et comme un chacun se recommendoit à Dieu, ne
         pensant jamais esviter le danger de ceste glace qui estoit
         soubs nostre beau pré, l'on crioit au gouverneur qu'il fit
         porter: Car ladite glace, qui estoit fort grande drivoit au
         vent d'une telle façon qu'elle passa contre le bord de nostre
         vaisseau, qui demeura court comme s'il n'eust bougé pour la
         laisser passer, sans toutesfois l'offencer: Et bien que nous
         fussions hors du danger: si est ce que le sang d'un chacun ne
         fut si promptement rassis, pour l'apprehention qu'on en avoit
         eue, & louasmes Dieu de nous avoir delivrez de ce péril. Après
         cestuy là passé, ceste mesme nuit nous en passames deux ou
         trois autres, non moins dangereux que les premiers, avec une
         brume pluvieuse & froide au possible, & de telle façon que l'on
         ne se pouvoit presque réchauffer. Le lendemain continuant
         nostre routte nous rencontrasmes plusieurs autres grandes &
         fort hautes glaces, qui sembloient des isles à les voir de
233/391  loin, toutes lesquelles evitasmes, jusques à ce que nous
         arrivasmes sur ledit grand banc, où nous fusmes fort contrariez
         de mauvais temps l'espace de six jours: Et le vent venant à
         estre un peu plus doux & assez favorable, nous desbanquasmes
         par la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, qui fut le plus
         Su que peusmes aller. Après avoir fait quelque 60 lieues à
         l'Ouest-norouest nous apperceusmes un vaisseau qui venoit nous
         recognoistre, & puis fit porter à l'Est-nordest, pour esviter
         un grand banc de glace contenant toute l'estandue de nostre
         veue. Et jugeans qu'il pouvoit avoir panage par le milieu de ce
         grand banc, qui estoit separé en deux, pour parfaire nostre
         dite routte nous entrasmes dedans & y fismes quelque 10 lieues
         sans voir autre apparence que de beau partage jusques au soir,
         que nous trouvasmes ledit banc seelé, qui nous donna bien à
         penser ce que nous avions à faire, la nuit venant, & au défaut
         de la lune, qui nous ostoit tout moien de pouvoir retourner
         d'où nous estions venus: & neantmoins après avoir bien pensé,
         il fut resolu de rechercher nostre entrée à quoy nous nous
         mismes en devoir: Mais la nuict venant avec brumes, pluye &
         nege & un vent si impetueux que nous ne pouvions presque porter
         nostre grand papefi[291], nous osta toute cognoissance de
         nostre chemin. Car comme nous croyons esviter lesdites glaces
         pour passer, le vent avoit desja fermé le passage, de façon que
         nous fusmes contraincts de retourner à l'autre bord, & n'avions
         loisir d'estre un quart d'heure sur un bord amurés, pour
         r'amurer sur l'autre, afin d'esviter milles glaces qui estoient
234/382  de tous costez: & plus de 20 fois ne pensions sortir nos vies
         sauves.

[Note 291: _Pacfi_, ou simplement _pafi_; c'est la plus basse voile du
grand mât.]

         Toute la nuict se passa en peines & travaux: & jamais ne fut
         mieux fait le quart, car parsonne n'avoit envie de reposer,
         mais bien de s'esvertuer de sortir des glaces & périls. Le
         froid estoit si grand que tous les maneuvres dudit vaisseau
         estoient si gelez & pleins de gros glaçons, que l'on ne pouvoit
         manouvrer, ny se tenir sur le Tillac dudit vaisseau. Après donc
         avoir bien couru d'un costé & d'autre, attendant le jour, qui
         nous donnoit quelque esperance: lequel venu avec une brume,
         voyant que le travail & fatigue ne pouvoit nous servir, nous
         resolusmes d'aller à un banc de glace, où nous pourrions estre
         à l'abri du grand vent qu'il faisoit, & amener tout bas, & nous
         laisser driver comme lesdites glaces, afin que quand nous les
         aurions quelque peu esloignées nous remissions à la voile, pour
         aller retrouver ledit banc, & faire comme auparavant, attendant
         que la brume fut passée, pour pouvoir sortir le plus
         promptement que nous pourrions. Nous fusmes ainsi tout le jour
         jusques au lendemain matin, où nous mismes à la voille, allant
         tantost d'un costé & d'autre, & n'allions en aucun endroit que
         ne nous trouvassions enfermez en de grands bancs de glaces,
         comme en des estangs qui sont en terre. Le soir apperceusmes un
         vaisseau, qui estoit de l'autre costé d'un desdicts bancs de
         glace, qui, je m'asseure, n'estoit point moins en soing que
         nous, & fusmes quatre ou cinq jours en ce péril en extrêmes
         peines, jusques à ce qu'à un matin jettans la veue de tous
         costez nous n'apperceusmes aucun passage, sinon à un endroit où
235/383  l'on jugea que la glace n'estoit espoisse, & que facillement
         nous la pourrions passer. Nous nous mismes en devoir & passames
         par quantité de bourguignons, qui sont morceaux de glace
         separez des grands bancs par la violance des vents. Estans
         parvenus audit banc de glasse, les matelots commencèrent à
         s'armer de grands avirons, & autres bois pour repousser les
         bourguignons que pourrions rencontrer, & ainsi passasmes ledit
         banc, qui ne fut pas sans bien aborder des morceaux de glace
         qui ne firent nul bien à nostre vaisseau, toutesfois sans nous
         faire dommage qui peust nous offencer. Estant hors nous
         louasmes Dieu de nous avoir delivrez. Continuans nostre routte
         le lendemain, nous en rencontrasmes d'autres, & nous
         engageasmes de telle façon dedans, que nous nous trouvasmes
         environés de tous costés, sinon par où nous estions venus, qui
         fut occasion qu'il nous fallut retourner sur nos brisées pour
         essayer de doubler la pointe du costé du Su: ce que ne peusmes
         faire que le deuxiesme jour, passant par plusieurs petits
         glaçons separez dudit grand banc, qui estoit par la hauteur de
         44 degrez & demy, & singlasmes jusques au lendemain matin,
         faisant le Norouest & Nor-nor-ouest, que nous rencontrasmes un
         autre grand banc de glace, tant que nostre veue se pouvoit
         estendre devers l'Est & l'Ouest, lequel quand l'on l'apperceut
         l'on croioit que ce fut terre: car ledit banc estoit si uny que
         l'on eust dit proprement que cela avoit esté ainsi fait exprés,
         & avoit plus de dixhuit pieds de haut, & deux fois autant soubs
         l'eau, & faisions estat de n'estre qu'à quelque quinze lieues
236/384  du cap Breton, qui estoit le vingtsixiesme jour dudit mois. Ces
         rencontres de glaces si souvent nous apportoient beaucoup de
         desplaisir: croyant aussi que le passage dudit cap Breton & cap
         de Raye seroit fermé, & qu'il nous faudroit tenir la mer
         longtemps devant que de trouver passage. Ne pouvans donc rien
         faire nous fumes contraincts de nous remettre à la mer quelque
         quatre ou cinq lieues pour doubler une autre pointe dudit grand
         banc, qui nous demeuroit à l'Ouest-surouest, & après
         retournâmes à l'autre bord au Norouest, pour doubler ladite
         pointe, & singlasmes quelques sept lieues, & puis fismes le
         Nor-norouest quelque trois lieues, où nous apperçusmes derechef
         un autre banc de glace. La nuit s'approchoit, & la brume se
         levoit, qui nous fit mettre à la mer pour passer le reste de la
         nuit attendant le jour, pour retourner recognoistre lesdites
         glaces. Le vintseptiesme jour dudit mois, nous advisasmes terre
         à l'Ouest-norouest de nous, & ne vismes aucunes glaces qui nous
         peuvent demeurer au Nor-nordest: Nous approchasmes de plus prés
         pour la mieux recognoistre, & vismes que c'estoit Campseau, qui
         nous fit porter au Nort pour aller à l'isle du cap Breton, nous
         n'eusmes pas plustost fait deux lieues que rencontrasmes un
         banc de glace qui fuioit au Nordest. La nuit venant nous fusmes
         contraincts de nous mettre à la mer jusques au lendemain, que
         fismes le Nordest, & rencontrasmes une autre glace qui nous
         demeuroit à l'Est & Est-suest, & la costoyasmes, mettant le cap
         au Nordest & au Nor plus de quinze lieux: En fin fusmes
         contraincts de refaire l'Ouest, qui nous donna beaucoup de
         desplaisir, voyant que ne pouvions trouver passage, & fusmes
237/385  contraincts de nous en retirer & retourner sur nos brisées: &
         le mal pour nous que le calme nous prit de telle façon que la
         houle nous pensa jetter sur la coste dudit banc de glace, &
         fusmes prests de mettre nostre batteau hors, pour nous servir
         au besoin. Quand nous nous fussions sauvez sur lesdites glaces
         il ne nous eut servy que de nous faire languir, & mourir tous
         miserables. Comme nous estions donc en deliberation de mettre
         nostre dit batteau hors, une petite fraischeur se leva, qui
         nous fit grand plaisir, & par ainsi évitasmes lesdites glaces.
         Comme nous eusmes fait deux lieues, la nuit venoit avec une
         brume fort espoisse, qui fut occasion que nous amenasmes pour
         ne pouvoir voir: & aussi qu'il y avoit plusieurs grandes glaces
         en nostre routte, que craignions abborder: & demeurasmes ainsi
         toute la nuit jusques au lendemain vingtneufiesme jour dudit
         mois, que la brume renforça de telle façon, qu'à peine pouvoit
         on voir la longueur du vaisseau, & faisoit fort peu de vent:
         neantmoins nous ne laissasmes de nous appareiller pour esviter
         lesdites glaces: mais pensans nous desgager, nous nous y
         trouvasmes si embarrassez, que nous ne sçavions de quel bort
         amurer: & derechef fusmes contraints d'amener, & nous laisser
         driver jusques à ce que lesdites glaces nous fissent
         appareiller, & fismes cent bordées d'un costé & d'autre, &
         pensasmes nous perdre par plusieurs fois: & le plus asseuré y
         perdroit tout jugement, ce qu'eust aussi bien fait le plus
         grand astrologue du monde. Ce qui nous donnoit du desplaisir
         d'avantage, c'estoit le peu de veue, & la nuit qui venoit, &
238/386  n'avions refuite d'un quart de lieue sans trouver banc ou
         glaces, & quantité de bourguignons, que le moindre eust esté
         suffisant de faire perdre quelque vaisseau que ce fust. Or
         comme nous estions tousjours costoyans au tour des glaces, il
         s'esleva un vent si impétueux qu'en peu de temps il separa la
         brume, & fit faire veue, & en moins d'un rien rendit l'air
         clair, & beau soleil. Regardant au tour de nous, nous nous
         vismes enfermez dedans un petit estang, qui ne contenoit pas
         lieue & demie en rondeur, & apperçeusmes l'isle dudit cap
         Breton, qui nous demeuroit au Nort, presque à quatre lieues, &
         jugeasmes que le partage estoit encore fermé jusques audit cap
         Breton. Nous apperçeusmes aussi un petit banc de glace au
         derrière de nostre dit vaisseau, & la grand mer qui paroissoit
         au delà, qui nous fit prendre resolution de passer
         par dessus ledit banc, qui estoit rompu: ce que nous fismes
         dextrement sans offencer nostredit vaisseau, & nous nous mismes
         à la mer toute la nuit, & fismes le Suest desdites glaces. Et
         comme nous jugeasmes que nous pouvions doubler ledit banc de
         glace, nous fismes l'est-nordest quelques quinze lieues, &
         apperçeusmes seulement une petite glace, & la nuit amenasmes
         jusques au lendemain, que nous apperçeusmes un autre banc de
         glace au Nord de nous, qui continuoit tant que nostre veue se
         pouvoit estendre, & avions drivé à demy lieue prés, & mismes
         les voiles haut, cottoyant tousjours ladite glace pour en
         trouver l'extrémité. Ainsi que nous singlions nous avisasmes un
         vaisseau le premier jour de May qui estoit parmy les glaces,
         qui avoit bien eu de la peine d'en sortir aussi bien que nous,
239/387  & mismes vent devant pour attendre ledit vaisseau qui faisoit
         large sur nous, d'autant que desirons sçavoir s'il n'avoit
         point veu d'autres glaces. Quand il fut proche, nous
         apperçeusmes que c'estoit le fils du sieur de Poitrincourt qui
         alloit trouver son père qui estoit à l'habitation du port
         Royal; & y avoit trois mois qu'il estoit party de France (je
         crois que ce ne fut pas sans beaucoup de peine) & s'ils [292]
         estoient encore à prés de cent quarante lieues dudit port
         Royal, bien à l'escart de leur routte. Nous leur dismes que
         nous avions eu cognoissance des isles de Campseau, qui à mon
         opinion les asseura beaucoup, d'autant qu'ils n'avoient point
         encore eu cognoissance d'aucune terre, & s'en alloient donner
         droit entre le cap S. Laurens, & cap de Raye, par où ils
         n'eussent pas trouvé ledit port Royal, si ce n'eust esté en
         traversant les terres. Après avoir quelque peu parlé ensemble,
         nous nous departismes chacun suivant sa routte. Le lendemain
         nous eusmes cognoissance des isles sainct Pierre, sans trouver
         glace aucune: & continuant nostre routte, le lendemain
         troisiesme jour du mois eusmes cognoissance du cap de Raye,
         sans aussi trouver glaces. Le quatriesme dudit mois eusmes
         cognoissance de l'isle sainct Paul, & cap sainct Laurens; &
         estions à quelques huit lieues au Nord dudit cap S. Laurens. Le
         lendemain eusmes cognoissance de Gaspé. Le septiesme jour dudit
         mois fusmes contrariez du vent de Norouest, qui nous fit driver
         prés de trente cinq lieues de chemin, puis le vent se vint à
         calmer, & en beauture, qui nous fut favorable jusques à
         Tadoussac, qui fut le tresiesme jour dudit mois de May, où nous
240/388  fismes tirer un coup de canon pour advertir les sauvages, afin
         de sçavoir des nouvelles des gens de nostre habitation de
         Quebecq. Tout le pays estoit encore presque couvert de neige.
         Il vint à nous quelques canots, qui nous dirent qu'il y avoit
         une de nos pattaches qui estoit au port il y avoit un mois, &
         trois vaisseaux qui y estoient arrivez depuis huit jours. Nous
         mismes nostre batteau hors, & fusmes trouver lesdicts sauvages,
         qui estoient assez miserables, & n'avoient à traicter que pour
         avoir seulement des rafraichissemens, qui estoit fort peu de
         chose: encore voulurent ils attendre qu'il vint plusieurs
         vaisseaux ensemble, afin d'avoir meilleur marché des
         marchandises: & par ainsi ceux s'abusent qui pensent faire
         leurs affaires pour arriver des premiers: car ces peuples sont
         maintenant trop fins & subtils.

[Note 292: _Et si_, pour _et cependant_.]

         Le dixseptiesme jour dudit mois je partis de Tadoussac pour
         aller au grand saut trouver les sauvages Algoumequins & autres
         nations qui m'avoient promis l'année précédente de s'y trouver
         avec mon garçon que je leur avois baillé, pour apprendre de luy
         ce qu'il auroit veu en son yvernement dans les terres. Ceux qui
         estoient dans ledit port, qui se doutoient bien, où je devois
         aller, suivant les promesses que j'avois faites aux sauvages,
         comme j'ay dit cy dessus, commencèrent à faire bastir plusieurs
         petites barques pour me suivre le plus promptement qu'ils
         pouroient: Et plusieurs, à ce que j'appris devant que partir de
         France, firent equipper des navires & pattaches sur
         l'entreprise de nostre voyage, pensant en revenir riches comme
         d'un voyage des Indes.

241/389  Le Pont demeura audit Tadoussac sur l'esperance que s'il n'y
         faisoit rien, de prendre une pattache, & me venir trouver au
         dit saut. Entre Tadoussac & Quebecq nostre barque faisoit grand
         eau, qui me contraignit de retarder à Quebecq pour l'estancher,
         qui fut le 21e jour de May.



         _Descente à Quebecq pour faire racommoder la barque, Partement
         dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages &
         recognoistre un lieu propre pour une habitation._

                              CHAPITRE II.

         Estans à terre je trouvay le sieur du Parc qui avoit yverné en
         ladite habitation, & tous ses compagnons, qui se portoient fort
         bien, sans avoir eu aucune maladie. La chasse & gibier ne leur
         manqua aucunement en tout leur yvernement, à ce qu'ils me
         dirent. Je trouvay le Capitaine sauvage appelé Batiscan &
         quelques Algoumequins, qui disoient m'attendre, ne voulant
         retourner à Tadoussac qu'ils ne m'eussent veu. Je leur fis
         quelque proposition de mener un de nos gens aux trois rivieres
         pour les recognoistre, & ne peu obtenir aucune chose d'eux pour
         ceste année, me remettant à l'autre: neantmoins je ne laissay
         de m'informer particulièrement de l'origine & des peuples qui y
         habitent: ce qu'ils me dirent exactement. Je leur demanday un
         de leurs canots, mais ils ne s'en voulurent desfaire en aucune
         façon que ce fut pour la necessité qu'ils en avoient: car
         j'estois délibéré d'envoyer deux ou trois hommes descouvrir
         dedans lesdites trois rivieres voir ce qu'il y auroit: ce que
242/390  je ne peu faire, à mon grand regret, remettant la partie à la
         première occasion qui se presenteroit.

         Je fis cependant diligeance de faire accommoder nostredicte
         barque. Et comme elle fut preste, un jeune homme de la Rochelle
         appelé Trefart, me pria que je luy permisse de me faire
         compagnie audit saut, ce que je luy refusay, disant que j'avois
         des dessins particuliers, & que je ne desirois estre conducteur
         de personne à mon prejudice, & qu'il y avoit d'autres
         compaignies que la mienne pour lors, & que je ne desirois
         ouvrir le chemin & servir de guide, & qu'il le trouveroit assés
         aisement sans moy. Ce mesme jour je partis de Quebecq, &
         arrivay audit grand saut le vingthuictiesme de May, où je ne
         trouvay aucun des sauvages qui m'avoient promis d'y estre au
         vingtiessme dudit mois. Aussitost je fus dans un meschant canot
         avec le sauvage que j'avois mené en France, & un de nos gens.
         Après avoir visité d'un costé & d'autre, tant dans les bois que
         le long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la
         scituation d'une habitation, & y préparer une place pour y
         bastir, je fis quelques huit lieues par terre cottoyant le
         grand saut par des bois qui sont assez clairs, & fus jusques à
         un lac[293], où nostre sauvage me mena; où je consideray fort
         particulièrement le pays; Mais en tout ce que je vy, je n'en
         trouvay point de lieu plus propre qu'un petit endroit, qui est
         jusques où les barques & chalouppes peuvent monter aisement:
         neantmoins avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand
         courant d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nommé la
243/391  place Royalle) à une lieue du mont Royal, y a quantité de
         petits rochers & basses, qui sont fort dangereuses. Et proches
         de ladite place Royalle y a une petite riviere[294] qui va
         assez avant dedans les terres, tout le long de laquelle y a
         plus de 60 arpens de terre desertés qui sont comme prairies, où
         l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages.
         Autresfois des sauvages[295] y ont labouré, mais ils les ont
         quitées pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a
         aussi grande quantité d'autres belles prairies pour nourrir tel
         nombre de bestail que l'on voudra: & de toutes les sortes de
         bois qu'avons en nos forests de pardeça: avec quantité de
244/392  vignes, noyers, prunes, serizes, fraises, & autres sortes qui
         sont très-bonnes à manger, entre autres une qui est fort
         excellente, qui a le goût sucrain, tirans à celuy des
         plantaines (qui est un fruit des Indes) & est aussi blanche que
         neige, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des
         arbres & de la terre, comme le lierre. La pesche du poisson y
         est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en
         France, & de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont
         très-bons: comme aussi la chasse des oiseaux aussi de
         diferentes especes: & celle des Cerfs, Daims, Chevreuls,
         Caribous, Lapins, Loups-serviers, Ours, Castors, & autres
         petites bestes qui y sont en telle quantité, que durant que
         nous fusmes audit saut, nous n'en manquasmes aucunement.

[Note 293: Le lac des Deux-Montagnes.]

[Note 294: La petite rivière Saint-Pierre.]

[Note 295: Les sauvages qui avaient cultivé ces terres étaient
évidemment ceux que Cartier y avait trouvés en 1535, dans sa visite à
Hochelaga et au Mont-Royal. «Commençasmes, dit-il, à trouver les terres
labourées, & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre,
qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent
ainsi comme nous faisons de fourment; & au parmy d'icelles champaignes
est située la ville de Hochelaga, prés & joignant une montaigne qui est
à l'entour d'icelle, labourée & fort fertile.» (Second Voyage, fol. 23
_b_.) Or, selon toutes les apparences, les habitants d'Hochelaga étaient
les mêmes que ceux auxquels plus tard on a donné le nom d'Iroquois.
D'abord ils étaient sédentaires; ce qui était propre à la grande famille
huronne-iroquoise; leurs villages, leurs cabanes avaient absolument la
disposition et la forme qu'ont toujours eu les villages et les cabanes
des Hurons et des Iroquois; tous les mots qui nous ont été conservés de
leur langue par les relations de Cartier, se retrouvent encore dans la
langue iroquoise; enfin les traditions qu'ont pu recueillir les
missionnaires et les premiers voyageurs, attestent que les environs de
Montréal et même de Québec étaient le pays des Iroquois. Nicolas Perrot,
si bien instruit des traditions et de l'histoire des sauvages, dit que
«le pays des Iroquois estoit autrefois le Montréal & les Trois
Rivieres,» et qu'ils s'en éloignèrent par suite d'un démêlé survenu
entre eux et les Algonquins (Mémoire de Nicolas Perrot, édit. du P.
Tailhan, p. 9); ce qui, explique pourquoi ceux-ci revendiquaient aussi
l'île de Montréal comme le pays de leurs ancêtres (Relations 1642, p.
38, et 1646, p. 34, édit. 1858). Le témoignage du P. Lafitau confirme
encore celui de Perrot: «Les Iroquois Agniers, dit-il, assurent qu'ils
errèrent longtemps sous la conduite d'une femme nommée Gaihonariosk;
cette femme les promena dans tout le nord de l'Amérique, & les fit
passer au lieu où est située maintenant la ville de Québec... C'est ce
que les Agniés racontent de leur origine.» (Moeurs des sauvages, t. I,
p. 101, 102.) Ce qu'il paraît y avoir de plus vraisemblable, c'est que
les iroquois ou hurons de Hochelaga furent d'abord contraints de laisser
leur pays aux Algonquins, qui alors avaient l'avantage sur eux; mais
qu'ensuite les Iroquois, s'étant aguerris, finirent par en chasser les
Algonquins, sans toutefois y revenir eux-mêmes, parce que leur nouveau
pays leur offrait autant d'avantages et plus de sécurité. (Voir Histoire
de la colonie française en Canada, t. I, p. 524 et s.)]

         Ayant donc recogneu fort particulièrement & trouvé ce lieu un
         des plus beaux qui fut en ceste riviere, je fis aussitost
         coupper & deffricher le bois de ladite place Royalle[296] pour
         la rendre unie, & preste à y bastir, & peut on faire passer
         l'eau au tour aisement, & en faire une petite isle, & s'y
         establir comme l'on voudra.

[Note 296: Cette place Royale que Champlain fit défricher, était sur la
pointe à laquelle on donna depuis le nom de Callières. (Voir la lettre A
de la carte du saut Saint-Louis.)]

         Il y a un petit islet à quelque 20 thoises de ladite place
         Royalle, qui a quelques cent pas de long, où l'on peut faire
         une bonne & forte habitation. Il y a aussi quantité de prairies
         de très-bonne terre grasse à potier, tant pour bricque que pour
         bastir, qui est une grande commodité. J'en fis accommoder une
         partie & y fis une mouraille de quatre pieds d'espoisseur & 3 à
245/393  4 de haut, & 10 toises de long pour voir comme elle se
         conserveroit durant l'yver quand les eaux descenderoient, qui à
         mon opinion ne sçauroit parvenir jusques à lad. muraille,
         d'autant que le terroir est de douze pieds eslevé dessus ladite
         riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une isle
         d'environ trois quarts de lieues de circuit, capable d'y bastir
         une bonne & forte ville, & l'avons nommée l'isle de saincte
         Elaine[297]. Ce saut descend en manière de lac, où il y a deux
         ou trois isles & de belles prairies.

[Note 297: L'auteur paraît avoir nommé ainsi cette île à l'occasion du
mariage qu'il venait de contracter, un peu avant son départ de France,
avec Demoiselle Hélène Boullé, fille de Nicolas Boullé, secrétaire de la
chambre du roi.]

         Le premier jour de Juin le Pont arriva audit saut, qui n'avoit
         rien sceu faire à Tadoussac; & bonne compagnie le suivirent &
         vindrent après luy pour y aller au butin, car sans ceste
         esperance ils estoient bien de l'arriére.

         Or attendant les sauvages, je fis faire deux jardins, l'un dans
         les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le
         deuxiesme jour de juin j'y semay quelques graines, qui
         sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui
         demonstre la bonté de la terre.

         Nous resolusmes d'envoyer Savignon nostre sauvage avec un
         autre, pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les
         faire haster de venir, & se délibèrent d'aller dans nostre
         canot, qu'ils doubtoient, d'autant qu'il ne valoit pas
         beaucoup.

         Ils partirent le cinquiesme jour dudit mois. Le lendemain
         arriva quatre ou cinq barques (c'estoit pour nous faire
         escorte) d'autant qu'ils ne pouvoient rien faire audit
         Tadoussac.

         Le septiesme jour je fus recognoistre une petite riviere par où
246/394  vont quelques fois les sauvages à la guerre, qui se va rendre
         au saut de la riviere des Yroquois[298]: elle est fort
         plaisante, y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies,
         & force terres, qui se peuvent labourer: elle est à une lieue
         du grand saut, & lieu & demie de la place Royalle.

[Note 298: En remontant la rivière Saint-Lambert, et en suivant celle de
Montréal, on arrive effectivement au bassin de Chambly, c'est-à-dire, au
pied du saut de la rivière des Iroquois.]

         Le neufiesme jour nostre sauvage arriva, qui fut quelque peu
         pardela le lac qui a quelque dix lieues de long, lequel j'avois
         veu auparavant[299], où il ne fit rencontre d'aucune chose, &
         ne purent passer plus loin à cause de leur dit canot qui leur
         manqua; & furent contraints de s'en revenir. Ils nous
         rapportèrent que passant le saut ils virent une isle où il y
         avoit si grande quantité de hérons, que l'air en estoit tout
         couvert. Il y eust un jeune homme qui estoit au sieur de Mons
         appelé Louys, qui estoit fort amateur de la chasse, lequel
         entendant cela, voulut y aller contenter sa curiosité, & pria
         fort instamment nostredit sauvage de l'y mener: ce que le
         sauvage luy accorda avec un Capitaine sauvage Montagnet fort
         gentil personnage, appelé Outetoucos. Dés le matin led. Louys
         fut appeler les deux sauvages pour s'en aller à ladite isle des
         hérons. Ils s'embarquèrent dans un canot & y furent. Ceste isle
         est au milieu du saut[300], où ils prirent telle quantité de
         heronneaux & autres oyseaux qu'ils voulurent, & se
247/395  rembarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volonté de
         l'autre sauvage & de l'instance qu'il peut faire voulut passer
         par un endroit fort dangereux, où l'eau tomboit prés de trois
         pieds de haut, disant que d'autresfois il y avoit passé, ce qui
         estoit faux, il fut long temps à debatre contre nostre sauvage
         qui le voulut mener du costé du Su le long de la grand
         Tibie[301], par où le plus souvent ils ont accoustumé de
         passer, ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit
         point de danger. Comme nostre sauvage le vit opiniastre, il
         condescendit à sa volonté: mais il luy dit qu'à tout le moins
         on deschargeast le canot d'une partie des oyseaux qui estoient
         dedans, d'autant qu'il estoit trop chargé, ou
         qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce
         qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez à temps s'ils
         voyoient qu'il y eut du péril pour eux. Ils se laisserent donc
         driver dans le courant. Et comme ils furent dans la cheute du
         saut, ils en voulurent sortir & jetter leurs charges, mais il
         n'estoit plus temps, car la vitesse de l'eau les maistrisoit
         ainsi qu'elle vouloit, & emplirent aussitost dans les boullons
         du saut, qui leur faisoient faire mille tours haut & bas. Ils
         ne l'abandonnèrent de long temps: Enfin la roideur de l'eau les
         lassa de telle façon, que ce pauvre Louys qui ne sçavoit nager
         en aucune façon perdit tout jugement & le canot estant au fonds
         de l'eau il fut contraint de l'abandonner: & revenant au haut
         les deux autres qui le tenoient tousjours ne virent plus nostre
248/396  Louys, & ainsi mourut miserablement[302]. Les deux autres
         tenoient tousjours ledit canot: mais comme ils furent hors du
         saut, ledit Outetoucos estant nud, & se fiant en son nager,
         l'abandonna, pensant gaigner la terre, bien que l'eau y courust
         encore de grande vitesse, & se noya: car il estoit si fatigué &
         rompu de la peine qu'il avoit eue, qu'il estoit impossible
         qu'il se peust sauver ayant abandonné le canot, que nostre
         sauvage Savignon mieux advisé tint tousjours fermement, jusques
         à ce qu'il fut dans un remoul, où le courant l'avoit porté, &
         sceut si bien faire, quelque peine & fatigue qu'il eut eue,
         qu'il vint tout doucement à terre, où estant arrivé il jetta
         l'eau du canot, & s'en revint avec grande apprehention qu'on ne
         se vangeast sur luy, comme ils font entre eux, & nous conta ces
         tristes nouvelles, qui nous apportèrent du desplaisir.

[Note 299: Le lac des Deux-Montagnes. (_Conf_. p. 242, ci-dessus.)]

[Note 300: Cette expression _au milieu du saut_ tranche une difficulté
qui se rencontre dans la carte du Saut St. Louis, où manque la lettre Q,
tandis que la lettre P s'y trouve deux fois: l'île aux Hérons est celle
qui y est marquée R, et l'île au Diable, située au sud-ouest de la
première, devrait porter la lettre R. Nous regrettons d'être, sur ce
point, en désaccord avec l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française
en Canada_; mais nous avons du moins la consolation d'être d'accord avec
la tradition.]

[Note 301: La _grand Tibie_ n'est rien autre chose que la grand Terre.
C'est une faute typographique, que l'auteur a corrigée lui-même dans
l'édition de 1632.]

[Note 302: C'est sans doute en mémoire de la mort de ce jeune Louis, que
l'on donna au Grand-Saut le nom de Saint-Louis, qu'il a toujours porté
depuis.]


396a

[Illustration: Le grand saut St Louis]

A Petite place que je fis deffricher.
B Petit estang.
G Petit islet où je fis faire une muraille de pierre.
D Petit ruisseau où se tiennent les barques.
E Prairies où se mettent les sauvages quand ils viennent en ce pays.
F Montaignes qui paroissent dans les terres.
G Petit estang.
H (1) Mont Royal.
I Petit ruisseau.
L Le saut.
M Le lieu où les sauvages passent leurs canots, par terre du costé du
  Nort.
N Endroit où un de nos gens & un sauvage se noyèrent.
O Petit islet de rochers.
P (2) Autre islet où les oyseaux font leurs nids.
Q (3) L'isle aux hérons.
R (4) Autre isle dans le saut.
S Petit islet.
T Petit islet rond.
V Autre islet demy couvert d'eau.
X (5) Autre islet ou il y a force oyseaux de riviere.
Y Prairies.
Z Petite riviere.
2 (6) Isles assez grandes & belles.
3 Lieux qui descouvrent quand le eaux baissent, où il se fait grands
  bouillonnements, comme aussi fait audit saut.
4 Prairies plaines d'eaux.
5 Lieux fort bas & peu de fonds
6 Autre petit islet.
7 Petis rochers.
8 Isle sainct Helaine.
9 Petit islet desgarny d'arbres.
oo Marescages qui s'escoulent dan le grand saut.

(1) La lettre H se trouve en double; l'une sur la montagne, et c'est là
sa place; l'autre au bas de 1 îlot Normandie. Cette dernière n'est
probablement que le chiffre 11, dont le graveur aura fait une lettre.
(2) La lettre P est en double. Evidemment, cet autre islet est entre N
et 0. (3) La lettre Q ne se trouve pas dans la carte. C'est la lettre H
qui est à sa place (voir note 3 de la page 246). (4) Cette lettre
devrait être à la place de celui des deux F qui désigne l'île au Diable,
c'est-à dire, cette _autre île dans le saut_ qui est au sud-ouest de
l'île aux Hérons. (5) _x_ dans la carte. (6) Ce chiffre 2 se trouve
tellement placé auprès de l'île Saint-Paul, qu'on le prendrait pour la
lettre N.

         Le lendemain [303] je fus dans un autre canot audit saut avec
         le sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit où ils
         s'estoient perdus: & aussi si nous trouverions les corps, &
         vous asseure que quand il me monstra le lieu les cheveux me
         herisserent en la teste, de voir ce lieu si espouvantable, &
         m'estonnois comme les deffuncts avoient esté si hors de
         jugement de passer un lieu si effroiable, pouvant aller par
         ailleurs: car il est impossible d'y passer pour avoir sept à
         huit cheutes d'eau qui descendent de degré en degré, le moindre
         de trois pieds de haut, où il se faisoit un train &
         bouillonnement estrange, & une partie dudit saut estoit toute
         blanche d'escume, qui montroit le lieu le plus effroyable, avec
249/397  un bruit si grand que l'on eut dit que c'estoit un tonnerre,
         comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Après
         avoir veu & consideré particulièrement ce lieu & cherché le
         long du rivage lesdicts corps, cependant qu'une chalouppe assez
         légère estoit allée d'un autre costé, nous nous en revinsmes
         sans rien trouver.

[Note 303: Le 11 de juin. Nos trois chasseurs étaient partis le 10 au
matin, et vraisemblablement l'accident arriva le même jour.]



         _Deux cens sauvages ramènent le François qu'on leur avoit
         baillé, & remmenerent leur sauvage qui estoit retourné, de
         France. Plusieurs discours de part & d'autre._

                             CHAPITRE III.

         LE treisiesme jour dudit mois[304] deux cens sauvages
         Charioquois[305], avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet &
         Tregouaroti frère de nostre sauvage amenèrent mon garçon. Nous
         fusmes fort contens de les voir, je fus au devant d'eux avec un
         canot & nostre sauvage, & cependant qu'ils approchoient
         doucement en ordre, les nostres s'apareillerent de leur faire
         une escopeterie d'arquebuses & mousquets, & quelques petites
         pièces. Comme ils approchoient, ils commencèrent à crier tous
         ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, où
         ils nous louoient fort, & nous tenant pour véritables, de ce
         que je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les
         venir trouver audit saut. Après avoir fait trois autres cris,
250/398  l'escopeterie tira par deux fois de 13 barques ou pattaches qui
         y estoient, qui les estonna de telle façon qu'ils me prièrent
         de dire que l'on ne tirast plus, & qu'il y en avoit la plus
         grand part, qui n'avoient jamais veu de Chrestiens, ny ouy des
         tonnerres de la façon, & craignoient qu'il ne leur fit mal, &
         furent fort contans de voir nostredit sauvage sain, qu'ils
         pensoient mort, sur des rapports que leur avoient fait quelques
         Algoumequins qui l'avoient ouy dire à des sauvages Montagnets.
         Le sauvage me loua du traictement que je luy avois fait en
         France, & des singularitez qu'il avoit veues, dont ils
         entrèrent tous en admiration, & s'en allèrent cabaner dans le
         bois assez légèrement attendant le lendemain, que je leur
         monstrasse le lieu où je desirois qu'ils se logassent. Aussi je
         vis mon garçon qui vint habillé à la sauvage, qui se loua du
         traistement des sauvages, selon leur pays, & me fit entendre
         tout ce qu'il avoit veu en son yvernement, & ce qu'il avoit
         apris desdicts sauvages.

[Note 304: Le 13 de juin.]

[Note 305: Ce nom, que l'auteur remplace par celui de Hurons, dans son
édition de 1632, était probablement celui d'un chef de cette nation, de
même que celui d'Ochateguins.]

         Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner,
         où les antiens & principaux deviserent fort ensemble: Et après
         avoir esté un long temps en cest estat, ils me firent appeler
         seul avec mon garçon, qui avoit fort bien apris leur langue, &
         luy dirent qu'ils desiroient faire une estroite amitié avec
         moy, & estoient faschez de voir toutes ces chalouppes ensemble,
         & que nostre sauvage leur avoit dit qu'il ne les cognoissoit
         point, ny ce qu'ils avoient dans l'âme, & qu'ils voyoient bien
         qu'il n'y avoit que le gain & l'avarice qui les y amenoit, &
         que quand ils auroient besoin de leur assistance qu'ils ne leur
251/399  donneroient aucun secours, & ne seroient comme moy qui
         m'offrois avec mes compagnons d'aller env leur pays, & les
         assister, & que je leur en avois monstré des tesmoignages par
         le passé, en se louant tousjours du traictement que j'avois
         fait à nostre sauvage comme à mon frère, & que cela les
         oubligeoit tellement à me vouloir du bien, que tout ce que je
         desirerois d'eux, ils assayeroient à me satisfaire, &
         craignoient que les autres pattaches ne leur fissent du
         desplaisir. Je leur asseuray que non feroient, & que nous
         estions tous soubs un Roy, que nostredit sauvage avoit veu, &
         d'une mesme nation, (mais pour ce qui estoit des affaires,
         qu'elles estoient particulières) & ne devoient point avoir
         peur, estant aussi asseurez comme s'ils eussent esté dans leur
         pays. Après plusieurs discours, ils me firent un present de 100
         castors. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de
         marchandise, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 sauvages qui
         devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardés, fut
         un prisonnier Yroquois qui estoit à moy, qui s'estoit eschappé
         & s'en estoit allé en son pays, & qu'il avoit donné à entendre
         que je luy avois donné liberté & des marchandises, & que je
         devois aller audit saut avec 600 Yroquois attendre les
         Algoumequins, & les tuer tous: Que la crainte de ces nouvelles
         les avoit arrestés, & que sans cela qu'ils fussent venus. Je
         leur fis response que le prisonnier s'estoit desrobé sans que
         je luy eusse donné congé, & que nostredit sauvage sçavoit bien
         de quelle façon il s'en estoit allé, & qu'il n'y avoit aucune
         apparence de laisser leur amitié comme ils avoient ouy dire,
         ayant esté à la guerre avec eux, & envoyé mon garçon en leur
252/400  pays pour entretenir leur amitié; & que la promesse que je leur
         avois si fidèlement tenue le confirmoit encore. Ils me
         respondirent que pour eux ils ne l'avoient aussi jamais pensé,
         & qu'ils recognoissoient bien que tous ces discours estoient
         esloignez de la vérité; & que s'ils eussent creu autrement,
         qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les autres qui
         avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de François que mon
         garçon. Ils me dirent aussi qu'il viendroit trois cens
         Algoumequins dans cinq ou six jours, si on les vouloit
         attendre, pour aller à la guerre avec eux contre les Yroquois,
         & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans la faire.
         Je les entretins fort sur le subjet de la source de la grande
         riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort
         particulièrement, tant des rivieres, sauts, lacs, & terres, que
         des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre
         d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort
         esloignée de leur pays, & le chemin difficile, tant à cause des
         guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils
         me dirent aussi que l'yver précédant il estoit venu quelques
         sauvages du costé de la Floride par derrière le pays des
         Yroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amitié avec
         lesdicts sauvages: Enfin ils m'en discoururent fort exactement,
         me demonstrant par figures tous les lieux où ils avoient esté,
         prenant plaisir à m'en discourir: & moy je ne m'ennuiois pas à
         les entendre, pour estre fait certain des choses dont j'avois
         esté en doute jusques à ce qu'ils m'en eurent esclarcis. Après
         tous ces discours finis, je leur dis qu'ils traictassent ce peu
253/401  de commodités qu'ils avoient, ce qu'ils firent le lendemain,
         dont chacune des barques emporta sa pièce: nous toute la peine
         & advanture, les autres qui ne se soucioient d'aucunes
         descouvertures, la proye, qui est la seule cause qui les meut,
         sans rien employer ny hazarder.

         Le lendemain après avoir traité tout ce qu'ils avoient, qui
         estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de leur
         logement du costé du bois, & en partie du costé de nos
         pattaches, & disoient que c'estoit pour leur seureté, afin
         d'esviter la surprinse de leurs ennemis: ce que nous prismes
         pour argent content. La nuit venue ils appellerent nostre
         sauvage qui couchoit à ma pattache, & mon garçon, qui les
         furent trouver: Après avoir tenu plusieurs discours, ils me
         firent aussi appeler environ sur la minuit. Estant en leurs
         cabannes, je les trouvay tous assis en conseil, où ils me
         firent assoir prés d'eux, disans que leur coustume estoit que
         quand ils vouloient s'assembler pour proposer quelque chose,
         qu'ils le faisoient la nuit, afin de n'estre divertis par
         l'aspect d'aucune chose, & que l'on ne pensoit qu'à escouter, &
         que le jour divertissoit l'esprit par les objects: mais à mon
         opinion ils me vouloient dire leur volonté en cachette, se
         fians en moy. Et d'ailleurs ils craignoient les autres
         pattaches, comme ils me donnèrent à entendre depuis. Car ils me
         dirent qu'ils estoient faschez de voir tant de François, qui
         n'estoient pas bien unis ensemble, & qu'ils eussent bien desiré
         me voir seul: Que quelques uns d'entre eux avoient esté battuz:
         Qu'ils me vouloient autant de bien qu'à leurs enfans, ayant
         telle fiance en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient,
254/402  mais qu'ils se mesfioient fort des autres: Que si je
         retournois, que j'amenasse telle quantité de gens que je
         voudrois, pourveu qu'ils fussent soubs la conduite d'un chef: &
         qu'ils m'envoyoient quérir pour m'asseurer d'avantage de leur
         amitié, qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point
         faché contre eux: & que sçachans que j'avois pris deliberation
         de voir leur pays, ils me le feroient voir au péril de leurs
         vies, m'assistant d'un bon nombre d'hommes qui pourroient
         passer par tout. Et qu'à l'advenir nous devions esperer d'eux
         comme ils faisoient de nous. Aussitost ils firent venir 50
         castors & 4 carquans de leurs porcelaines (qu'ils estiment
         entre eux comme nous faisons les chaisnes d'or) & que j'en
         fisse participant mon frère (ils entendoient Pont-gravé
         d'autant que nous estions ensemble) & que ces presens estoient
         d'autres Capitaines qui ne m'avoient jamais veu, qui me les
         envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis:
         mais que s'il y avoit quelques François qui voulussent aller
         avec eux, qu'ils en eussent esté fort contens, & plus que
         jamais, pour entretenir une ferme amitié. Après plusieurs
         discours faits, je leur proposay, Qu'ayant la volonté de me
         faire voir leur pays, que je supplirois sa Majesté de nous
         assister jusques à 40 ou 30 hommes armez de choses necessaires
         pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, à la
         charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin
         pour nostre vivre durant ledit voyage, & que je leur
         apporterois dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans
         les pays par où nous passerions, puis nous nous en reviendrions
255/403  yverner en nostre habitation: & que si je recognoissois le pays
         bon & fertile, l'on y feroit plusieurs habitations; & que par
         ce moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans
         heureusement à l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur
         feroit cognoistre. Ils furent fort contens de ceste
         proposition, & me prièrent d'y tenir la main, disans qu'ils
         feroient de leur part tout ce qu'il leur seroit possible pour
         en venir au bout: & que pour ce qui estoit des vivres, nous
         n'en manquerions non plus que eux mesmes, m'asseurans de
         rechef, de me faire voir ce que je desirois: & la dessus je
         pris congé d'eux au point du jour, en les remerciant de la
         volonté qu'ils avoient de favoriser mon desir, les priant de
         tousjours continuer.

         Le lendemain 17e jour dud. mois ils dirent qu'ils s'en alloient
         à la chasse des castors, & qu'ils retourneroient tous. Le matin
         venu ils acheverent de traicter ce peu qu'il leur restoit, &
         puis s'embarquèrent en leurs canots, nous prians de ne toucher
         à leurs logements pour les deffaire, ce que nous leur
         promismes: & se separerent les uns des autres, faignant aller
         chasser en plusieurs endroits, & laisserent nostre sauvage avec
         moy pour nous donner moins de mesfience d'eux: & neantmoins ils
         s'estoient donnez le randez-vous par de là le saut, où ils
         jugeoient bien que nous ne pourrions aller avec nos barques:
         cependant nous les attandions comme ils nous avoient dit.

         Le lendemain il vint deux sauvages, l'un estoit Yroquet, &
         l'autre le frère de nostre Savignon, qui le venoient requérir,
         & me prier de la part de tous leurs compagnons que j'allasse
256/404  seul avec mon garçon, où ils estoient cabannez, pour me dire
         quelque chose de consequence, qu'ils ne desiroient communiquer
         devant aucuns François: le leur promis d'y aller.

         Le jour venu je donnay quelques bagatelles à Sauvignon qui
         partit fort content, me faisant entendre qu'il s'en alloit
         prendre une vie bien pénible aux prix de celle qu'il avoit eue
         en France; & ainsi se separa avec grand regret, & moy bien aise
         d'en estre deschargé. Les deux Capitaines me dirent que le
         lendemain au matin ils m'envoyeroient quérir, ce qu'ils firent.
         Je m'enbarquay & mon garçon avec ceux qui vinrent. Estant au
         saut, nous fusmes dans le bois quelques huit lieues, où ils
         estoient cabannez sur le bort d'un lac, où j'avois esté
         auparavant. Comme ils me virent ils furent fort contens, &
         commencèrent à s'escrier selon leur coustume, & nostre sauvage
         s'en vint audevant de moy me prier d'aller en la cabanne de son
         frère, où aussi tost il fit mettre de la cher & du poisson sur
         le feu, pour me festoyer. Durant que je fus là il se fit un
         festin, où tous les principaux furent invitez: je n'y fus
         oubligé[306], bien que j'eusse desja pris ma refection
         honnestement, mais pour ne rompre la coustume du pays j'y fus.
         Après avoir repeu, ils s'en allèrent dans les bois, tenir leur
         Conseil, & cependant je m'amusay à contempler le paisage de ce
         lieu, qui est fort aggreable. Quelque temps après ils
         m'envoyerent appeler pour me communiquer ce qu'ils avoient
         resolu entre eux. J'y fus avec mon garçon. Estant assis auprès
         d'eux ils me dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, &
257/405  n'avoir point manqué à ma parolle de ce que je leur avois
         promis, & qu'ils recognoissoient de plus en plus mon affection,
         qui estoit à leur continuer mon amitié, & que devant que
         partir, ils desiroient prendre congé de moy, & qu'ils eussent
         eu trop de desplaisir s'ils s'en fussent allez sans me voir,
         croyant qu'autrement je leur eusse voulu du mal: & que ce qui
         leur avoit faict dire qu'ils alloient à la chasse, & la
         barricade qu'ils avoient faite, ce n'estoit la crainte de
         leurs ennemis, ny le desir de la chasse, mais la crainte qu'ils
         avoient de toutes les autres pattaches qui estoient avec moy à
         cause qu'ils avoient ouy dire que la nuit qu'ils m'envoyerent
         appeler qu'on les devoit tous tuer, & que je ne les pourrois
         deffendre contre les autres, estans beaucoup plus que moy, &
         que pour se desrober, ils userent de ceste finesse: mais que
         s'il n'y eust eu que nos deux pattaches qu'ils eussent tardé
         quelques jours d'avantage qu'ils n'avoient fait; & me prièrent
         que revenant avec mes compagnons je n'en amenasse point
         d'autres. Je leur dis que je ne les amenois pas, ains qu'ils me
         suivoient sans leur dire, & qu'à l'advenir j'yrois d'autre
         façon que je n'avois fait, laquelle je leur declaray, dont ils
         furent fort contens.

[Note 306: Oublié.]

         Et derechef ils me commencèrent à reciter ce qu'ils m'avoient
         promis touchant les descouvertures des terres, & moy je leur
         fis promesse d'accomplir, moyennant la grâce de Dieu, ce que je
         leur avois dit. Ils me prièrent encore de rechef de leur donner
         un homme: je leur dis que s'il y en avoit parmy nous qui y
         voulussent aller que j'en serois fort content.

258/406  Ils me dirent qu'il y avoit un marchand appelé Bouvier qui
         commandoit en une pattache, qui les avoit priés d'emmener un
         jeune garçon, ce qu'ils ne luy avoient voulu accorder
         qu'auparavant ils n'eussent sçeu de moy si j'en estois content,
         ne sçachant si nous estions amis, d'autant qu'il estoit venu en
         ma compagnie traicter avec eux; & qu'ils ne luy avoient point
         d'obligation en aucune façon: mais qu'il s'offroit de leur
         faire de grands presens.

         Je leur fis response que nous n'estions point ennemis, & qu'ils
         nous avoient veu converser souvent ensemble: mais pour ce qui
         estoit du trafic, chacun faisoit ce qu'il pouvoit, & que ledit
         Bouyer peut estre desiroit envoyer ce garçon, comme l'avois
         fait le mien pensant esperer à l'advenir, ce que je pouvois
         aussi prétendre d'eux: Toutesfois qu'ils avoient à juger auquel
         ils avoient le plus d'obligation, & de qui ils devoient plus
         esperer.

         Ils me dirent qu'il n'y avoit point de comparaison des
         obligations de l'un à l'autre, tant des assistances que je leur
         avois faites en leurs guerres contre leurs ennemis, que de
         l'offre que je leur faisois de ma personne pour l'advenir, où
         tousjours ils m'avoient trouvé véritable, & que le tout
         despendoit de ma volonté: & que ce qui leur en faisoit parler
         estoit lesdicts presens qu'il leur avoit offert: & que quand
         bien ledit garçon iroit avec eux, que cela ne les pouvoit
         obliger envers ledit Bouvier comme ils estoient envers moy, &
         que cela n'importeroit de rien à l'advenir, veu que ce n'estoit
         que pour avoir lesdicts presens dudit Bouvier.

         Je leur fis response qu'il m'estoit indifferent qu'ils le
259/407  prinssent ou non, & qu'à la vérité s'ils le prenoient avec peu
         de chose, que j'en serois fasché, mais en leur faisant de bons
         presens que j'en serois content, pourveu qu'il demourast avec
         Yroquet: ce qu'ils me promirent. Et après m'avoir fait entendre
         leur volonté pour la dernière fois, & moy à eux la mienne, il y
         eut un sauvage qui avoit esté prisonnier par trois fois des
         Yroquois, & s'estoit sauvé fort heureusement, qui resolut
         d'aller à la guerre luy dixiesme, pour se venger des cruautez
         que ses ennemis luy avoient fait souffrir. Tous les Capitaines
         me prièrent de l'en destourner si je pouvois d'autant qu'il
         estoit fort vaillant, & craignoient qu'il ne s'engageast si
         avant parmy les ennemis avec si petite trouppe, qu'il n'en
         revint jamais. Je le fis pour les contenter, par toutes les
         raisons que je luy peus alléguer, lesquelles luy servirent peu,
         me monstrant une partie de ses doigts couppez, & de grandes
         taillades & bruslures qu'il avoit sur le corps, comme ils
         l'avoient tourmanté, & qu'il luy estoit impossible de vivre,
         s'il ne faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit vengeance,
         & que son coeur luy disoit qu'il failloit qu'il partist au
         plustost qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit fort délibéré
         de bien faire.

         Après avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre
         pattache: pour ce faire ils equipperent 8 canots pour passer
         ledit saut & se despouillerent tous nuds, & me firent mettre en
         chemise: car souvant il arrive que d'aucuns se perdent en le
         passant, partant se tiennent les uns prés des autres pour se
         secourir promptement si quelque canot arrivoit à renverser. Ils
         me disoient si par malheur le tien venoit à tourner, ne sachant
260/408  point nager, ne l'abandonne en aucune façon, & te tiens bien à
         de petits bastons qui y sont par le milieu, car nous te
         sauverons aysement: le vous asseure que ceux qui n'ont pas veu
         ny passé ledit endroit en des petits batteaux comme ils ont, ne
         le pouroient pas sans grande apprehension mesmes le plus
         asseuré du monde. Mais ces nations sont si addextres à paner
         les sauts, que cela leur est facile: Je le passay avec eux, ce
         que je n'avois jamais fait, ny autre Chrétien, horsmis mondit
         garçon: & vinsmes à nos barques, où j'en logay une bonne
         partie, & j'eus quelques paroles avec ledit Bouvier pour la
         crainte qu'il avoit que je n'empeschasse que son garçon
         n'allast avec lesdits sauvages, qui le lendemain s'en
         retournèrent avec ledit garçon, lequel cousta bon à son
         maistre, qui avoit l'esperance à mon opinion, de recouvrir la
         perte de son voyage qu'il fit assés notable, comme firent
         plusieurs autres.

         Il y eut un jeune homme des nostres qui se délibéra d'aller
         avec lesdicts sauvages, qui sont Charioquois esloignez du saut
         de quelques cent cinquante lieues; & fut avec le frère de
         Savignon, qui estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy
         faire voir tout ce qu'il pourroit: Et celuy de Bouvier fut avec
         ledit Yroquet Algoumequin, qui est à quelque quatre-vingts
         lieues dudit saut. Ils s'en allèrent fort contens &
         satisfaicts.

         Après que les susdicts sauvages furent partis, nous attendîmes
         encore les 300 autres que l'on nous avoit dit qui devoient
         venir sur la promesse que je leur avois faite. Voyant qu'ils ne
         venoient point, toutes les pattaches resolurent d'inciter
261/409  quelques sauvages Algoumequins, qui estoient venus de
         Tadoussac, d'aller audevant d'eux moyennant quelque chose qu'on
         leur donneroit quand ils seroyent de retour, qui devoit estre
         au plus tard dans neuf jours, afin d'estre asseurés de leur
         venue ou non, pour nous en retourner à Tadoussac: ce qu'ils
         accordèrent, & pour cest effect partit un canot.

         Le cinquiesme jour de Juillet arriva un canot des Algoumequins
         de ceux qui devoient venir au nombre de trois cens, qui nous
         dit que le canot qui estoit party d'avec nous estoit arrivé en
         leur pays, & que leurs compagnons estans lassez du chemin
         qu'ils avoient fait de rafraischissoient, & qu'ils viendroient
         bien tost effectuer la promesse qu'ils avoient faite, & que
         pour le plus ils ne tarderoient pas plus de huit jours, mais
         qu'il n'y auroit que 24 canots: d'autant qu'il estoit mort un
         de leurs Capitaines & beaucoup de leurs compagnons, d'une
         fievre qui s'estoit mise parmy eux: & aussi qu'ils en avoyent
         envoyé plusieurs à la guerre, & que c'estoit ce qui les avoit
         empeschez de venir. Nous resolusmes de les attendre.

         Voyant que ce temps estoit passé, & qu'ils ne venoyent point:
         Pontgravé partit du saut le 11e jour dudit mois, pour mettre
         ordre à quelques affaires qu'il avoit à Thadoussac, & moy je
         demeuray pour attendre lesdits sauvages.

         Cedit jour arriva une pattache, qui apporta du rafraichissement
         à beaucoup de barques que nous estions: Car il y avoit quelques
         jours que le pain, vin, viande & le citre nous estoient
         faillis, & n'avions recours qu'à la pesche du poisson, & à la
262/410  belle eau de la riviere, & à quelques racines qui sont au pays,
         qui ne nous manquerent en aucune façon que ce fust: & sans cela
         il nous en eust falu retourner. Ce mesme jour arriva un canot
         Algoumequin qui nous assura que le lendemain lesdits
         vingtquatre canots devoyent venir, dont il y en avoit douze
         pour la guerre.

         Le 12 dudit mois arriverent lesdits Algoumequins avec quelque
         peu de marchandise. Premier que traicter ils firent un present
         à un sauvage Montagnet, qui estoit fils d'Annadabigeau[307]
         dernier mort, pour l'appaiser & defascher de la mort de sondit
         père. Peu de temps après ils se resolurent de faire quelques
         presents à tous les Capitaines des pattaches. Ils donnèrent à
         chacun dix Castors: & en les donnant, ils dirent qu'ils
         estoyent bien marris de n'en avoir beaucoup, mais que la guerre
         (où la plus part alloyent) en estoit cause: toutesfois que l'on
         prist ce qu'ils offroyent de bon coeur, & qu'ils estoyent tous
         nos amis, & à moy qui estois assis auprès d'eux, par dessus
         tous les autres, qui ne leur vouloyent du bien que pour leurs
         Castors: ne faisant pas comme moy qui les avois tousjours
         assistez, & ne m'avoient jamais trouvé en deux parolles comme
         les autres. Je leur fis response que tous ceux qu'ils voioyent
         assemblez estoyent de leurs amis, & que peust-estre que quand
         il se presenteroit quelque occasion, ils ne laisseroyent de
         faire leur devoir, & que nous estions tous amis, & qu'ils
         continuassent à nous vouloir du bien, & que nous leur ferions
         des presens au reciprocque de ce qu'ils nous donnoyent, &
         qu'ils traitassent paisiblement: ce qu'ils firent, & chacun en
         emporta ce qu'il peut.

[Note 307: Ou _Anadabijou_. (Voir le Voyage de 1603, p. 7.)]

263/411  Le lendemain ils m'apportèrent, comme en cachette quarante
         Castors, en m'asseurant de leur amitié, & qu'ils estoient
         tres-aises de la deliberation que j'avois prinse avec les
         sauvages qui s'en estoyent allez, & que l'on faisoit une
         habitation au saut, ce que je leur asseuray, & leur fis quelque
         present en eschange.

         Après toutes choses passées, ils se delibererent d'aller querir
         le corps d'Outetoucos qui s'estoit noyé au saut, comme nous
         avons dit cy dessus. Ils furent où il estoit, le desenterrerent
         & le portèrent en l'isle sainte Helaine, où ils firent leurs
         cérémonies accoustumées, qui est de chanter & danser sur la
         fosse, suivies de festins & banquets. Je leur demanday pourquoy
         ils desenterroyent ce corps: Ils me respondirent que si leurs
         ennemis avoyent trouvé la fosse, qu'ils le feroyent, & le
         mettroient en plusieurs pièces, qu'ils pendroyent à des arbres
         pour leur faire du desplaisir, & pour ce subject ils le
         transportoyent en lieu escarté du chemin & le plus secrettement
         qu'ils pouvoyent.

         Le 15e jour du mois arriverent quatorze canots, dont le chef
         s'appelloit Tecouehata. A leur arrivée tous les autres sauvages
         se mirent en armes, & firent quelques tours de limasson. Après
         avoir assez tourné & dansé, les autres qui estoyent en leurs
         canots commencèrent aussi à danser en faisant plusieurs
         mouvemens de leurs corps. Le chant fini, ils descendirent à
         terre avec quelque peu de fourrures, & firent de pareils
         presens que les autres avoyent faict. On leur en fit d'autres
         au réciproque selon la valeur. Le lendemain ils traitterent ce
264/412  peu qu'ils avoyent, & me firent present encore particulièrement
         de trente Castors, dont je les recompensay. Ils me prièrent que
         je continuasse à leur vouloir du bien, ce que je leur promis.
         Ils me discoururent fort particulièrement sur quelques
         descouvertures du costé du Nord, qui pouvoyent apporter de
         l'utilité: Et sur ce subject ils me dirent que s'il y avoit
         quelqu'un de mes compagnons qui voulut aller avec eux, qu'ils
         luy feroyent voir chose qui m'apporteroit du contentement, &
         qu'ils le traiteroyent comme un de leurs enfans. Je leur promis
         de leur donner un jeune garçon, dont ils furent fort contens.
         Quand il prit congé de moy pour aller avec eux, je luy baillay
         un mémoire fort particulier des choses qu'il devoit observer
         estant parmi eux. Après qu'ils eurent traicté tout le peu
         qu'ils avoyent, ils se separerent en trois: les uns pour la
         guerre, les autres par ledit grand saut, & les autres par une
         petitte riviere qui va rendre en celle dudit grand saut: &
         partirent le dixhuictiesme jour dudit mois, & nous aussi le
         mesme jour.

         Cedit jour fismes trente lieues qu'il y a dudit saut aux trois
         rivieres, & le dixneufiesme arrivasmes à Québec, où il y a
         aussi trente lieues desdites trois rivieres. Je disposay la
         plus part d'un chacun à demeurer en laditte habitation, puis y
         fis faire quelques réparations & planter des rosiers, & fis
         charger du chesne de fente pour faire l'espreuve en France,
         tant pour le marrin lambris que fenestrages: Et le lendemain 20
         dudit mois de juillet en partis. Le 23, j'arrivay à Tadoussac,
         où estant je me resoulus de revenir en France, avec l'advis de
         Pont-gravé.

265/413  Après avoir mis ordre à ce qui despandoit de nostre habitation,
         suivant la charge que ledit sieur de Monts m'avoit donnée, je
         m'enbarquay dedans le vaisseau du capitaine Tibaut de la
         Rochelle, l'onziesme d'Aoust. Sur nostre traverse nous ne
         manquasme de poisson, comme d'Orades, Grande-oreille, & de
         Pilotes qui sont comme harangs, qui se mettent autour de
         certains aix chargez de poulse-pied, qui est une sorte de
         coquillage qui s'y attache, & y croist par succession de temps.
         Il y a quelquesfois une si grande quantité de ces petits
         poissons, que c'est chose estrange à voir. Nous prismes aussi
         des marsouins & autres especes. Nous eusmes assés beau temps
         jusques à Belle-isle[308], où les brumes nous prirent, qui
         durèrent 3 ou 4 jours: puis le temps venant beau, nous eusmes
         cognoissance d'Alvert[309], & arrivasmes à la Rochelle le
         dixsiesme Septembre 1611.

[Note 308: Belle-Ile, en Bretagne, ou Belle-Ile-en-Mer.]

[Note 309: Ou _Arvert_.]



         _Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de
         Mons & ses associez, les sieurs Colier & le Gendre de Rouen,
         Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la
         nouvelle France._

                               CHAPITRE IV.

         Estans arrivés à la Rochelle je fus trouver le sieur de Mons à
         Pont en Xintonge, pour luy donner advis de tout ce qui s'estoit
         passe au voyage, & de la promesse que les sauvages Ochateguins
         & Algoumequins m'avoient faitte, pourveu qu'on les assistast en
266/414  leurs guerres, comme je leur avois promis. Le sieur de Mons
         ayant le tout entendu, se délibéra d'aller en Cour pour mettre
         ordre à ceste affaire. Je prins le devant pour y aller aussi:
         mais en chemain je fus arresté par un mal'heureux cheval qui
         tomba sur moy & me pensa tuer. Ceste cheute me retarda
         beaucoup: mais aussi tost que je me trouvay en assés bonne
         disposition, je me mis en chemin, pour parfaire mon voyage &
         aller trouver ledit sieur de Mons à Fontaine-Bleau, lequel
         estant retourné à Paris parla à ses associez, qui ne voulurent
         plus continuer en l'association pour n'avoir point de
         commission qui peut empescher un chacun d'aller en nos
         nouvelles descouvertures negotier avec les habitans du pays. Ce
         que voyant ledit sieur de Mons, il convint avec eux de ce qui
         restoit en l'habitation de Québec, moyennant une somme de
         deniers qui leur donna pour la part qu'ils y avoyent: & envoya
         quelques hommes pour conserver ladite habitation, sur
         l'esperance d'obtenir une commission de sa Majesté. Mais comme
         il estoit en ceste poursuitte, quelques affaires de consequence
         luy survindrent, qui la luy firent quitter, & me laissa la
         charge d'en rechercher les moyens: Et ainsi que j'estois après
         à y mettre ordre, les vaisseaux arriverent de la nouvelle
         France, & par mesme moyen des gens de nostre habitation, de
         ceux que j'avois envoyé dans les terres avec les sauvages, qui
         m'aporterent d'assez bonnes nouvelles, disans que plus de deux
         cents sauvages estoient venus, pensans me trouver au grand saut
         S. Louys, où je leur avois donné le rendez-vous, en intention
         de les assister en ce qu'ils m'avoient supplié: mais voyans que
267/415  je n'avois pas tenu ma promesse, cela les fascha fort:
         toutesfois nos gens leur firent quelques excuses qu'ils prirent
         pour argent comptant, les assurant pour l'année suivante ou
         bien jamais, & qu'ils ne menquassent point de venir: ce qu'ils
         promirent de leur part. Mais plusieurs autres qui avoient
         quitté Tadoussac, traffic encien, vindrent audit saut avec
         quantité de petites barques, pour voir s'ils y pourroient faire
         leurs affaires avec ces peuples, qu'ils asseuroient de ma mort,
         quoy que peussent dire nos gens, qui affermoyent le contraire.
         Voila comme l'envie se glisse dans les mauvais naturels contre
         les choses vertueuses; & ne leur faudroit que des gens qui se
         hasardassent en mille dangers pour descouvrir des peuples &
         terres, afin qu'ils en eussent la dépouille, & les autres la
         peine. Il n'est pas raisonnable qu'ayant pris la brebis, les
         autres ayent la toison. S'ils vouloient participer en nos
         descouvertures, employer de leurs moyens, & hasarder leurs
         personnes, ils monstreroyent avoir de l'honneur & de la gloire:
         mais au contraire ils monstrent evidemment qu'ils sont poussez
         d'une pure malice de vouloir esgalement jouir du fruict de nos
         labeurs. Ce fruict me fera encore dire quelque chose pour
         monstrer comme plusieurs taschent à destourner de louables
         dessins, comme ceux de sainct Maslo & d'autres, qui disent, que
         la jouyssance de ces descouvertures leur appartient, pour ce
         que Jaques Quartier estoit de leur ville, qui fut le premier
         audit pays de Canada & aux isles de Terre-neufve: comme si la
         ville avoit contribué aux frais des dittes descouvertures de
         Jaques Quartier, qui y fut par commendement, & aux despens du
268/416  Roy François premier és année 1534 & 1535 descouvrir ces terres
         aujourd'huy appelées nouvelle France? Si donc ledit Quartier a
         descouvert quelque chose aux despens de sa Majesté, tous ses
         sujets peuvent y avoir autant de droit & de liberté que ceux de
         S. Maslo, qui ne peuvent empescher que si aucuns descouvrent
         autre chose à leurs despens, comme l'on fait paroistre par les
         descouvertures cy dessus descriptes, qu'ils n'en jouissent
         paisiblement: Donc ils ne doivent pas s'attribuer aucun droict,
         si eux mesmes ne contribuent. Leurs raisons sont foibles &
         débiles, de ce costé. Et pour monstrer encore à ceux qui
         voudroient soustenir ceste cause, qu'ils sont mal fondez,
         posons le cas qu'un Espagnol ou autre estranger ait descouvert
         quelques terres & richesses aux despens du Roy de France,
         sçavoir si les Espagnols ou autres estrangers s'attribueroient
         les descouvertures & richesses pour estre l'entrepreneur
         Espagnol ou estranger: non, il n'y a pas de raison, elles
         seroient tousjours de France: de sorte que ceux de S. Maslo ne
         peuvent se l'attribuer, ainsi que dit est, pour estre ledit
         Quartier de leur ville: mais seulement à cause qu'il en est
         sorty, ils en doivent faire estat, & luy donner la louange qui
         lui est deue. Davantage ledit Quartier au voyage qu'il a fait
         ne passa jamais ledit grand saut S. Louys, & ne descouvrit rien
         Nort ny Su, dans les terres du fleuve S. Laurens: ses relations
         n'en donnent aucun tesmoignage, & n'y est parlé que de la
         riviere du Saguenay, des trois rivieres & sainte Croix, où il
         hyverna en un fort proche de nostre habitation: car il ne
         l'eust obmis non plus que ce qu'il a descrit, qui monstre qu'il
269/417  a laissé tout le haut du fleuve S. Laurens, depuis Tadoussac
         jusques au 1611. grand saut, difficile à descouvrir les terres,
         & qu'il ne s'est voulu hasarder ny laisser ses barques pour s'y
         adventurer: de sorte que cela est tousjours demeuré inutile,
         sinon depuis quatre ans que nous y avons fait nostre habitation
         de Québec, où après l'avoir faite édifier, je me mis au hazard
         de passer ledit saut pour assister les sauvages en leurs
         guerres, y envoyer des hommes pour cognoistre les peuples,
         leurs façon de vivres & que c'est que de leurs terres. Nous y
         estans si bien employez, n'est-il pas raison que nous
         jouissions du fruit de nos labeurs, sa Majesté n'ayant donné
         aucun moyen pour assister les entrepreneurs de ces dessins
         jusques à present? J'espere, que Dieu luy fera la grâce un jour
         de faire tant pour le service de Dieu, de sa grandeur & bien de
         ses subjets, que d'amener plusieurs pauvres peuples à la
         cognoissance de nostre foy, pour jouir un jour du Royaume
         celeste.



270/418  _INTELLIGENCE DES DEUX cartes Geograffiques de la nouvelle
         France._

         IL m'a semblé bon de traicter aussi quelque chose touchant les
         deux cartes geografiques, pour en donner l'intelligence: car
         bien que l'une represente l'autre, en ce qui est des ports,
         bayes, caps, promontoires, & rivieres qui entrent dans les
         terres, elles sont toutesfois différentes en ce qui est des
         situations. La plus petite est en son vray méridien, suivant ce
         que le sieur de Castelfranc [310] le demonstre en son livre de
         la mecometrie de la guide-aymant, où j'en ay observé plusieurs
         declinaisons, qui m'ont beaucoup servi, comme il se verra en
         ladite carte, avec toutes les hauteurs, latitudes & longitudes,
         depuis le quarante uniesme degré de latitude, jusques au
         cinquante uniesme, tirant au pole artique, qui sont les confins
         de Canada ou grande Baye [311], où se faict le plus souvent la
         pesche de balaine, par les Basques & Espagnols. Je l'ay aussi
         observé en certains endroits dans le grand fleuve de S. Laurens
         sous la hauteur de quarante cinq degrez de latitude jusques à
         vingt ung degré de declinaison de la guide-aymant, qui est la
         plus grande que j'aye veue: & de ceste petite carte, l'on se
         pourra fort bien servir à la navigation, pourveu qu'on scache
271/419  appliquer l'aiguille à la rose des vents du compas: Comme par
         exemple, je desire m'en servir, il est donc de besoin, pour
         plus de facilité, de prendre une rose, où les trentedeux vents
         soyent marquez egalement, & faire mettre la pointe de la
         guide-aymant à 12, 15 ou 16 degrez de la fleur de lis, du costé
         du nortouest, qui est prés d'un quart & demy de vent, comme au
         Nort un quart du norouest, ou un peu plus de la fleur de lis de
         laditte rose des vents, & appliquer la rose dans le compas,
         quand l'on sera sur le grand banc, où se fait la pesche du
         poisson vert, par ce moyen l'on pourra aller cercher fort
         asseurement toutes les hauteurs des caps, ports & rivieres. Je
         sçay qu'il y en aura beaucoup qui ne s'en voudront servir, &
         courront plustost à la grande, d'autant qu'elle est fabriquée
         sur le compas de France, où la guide-aymant nordeste, d'autant
         qu'ils ont si bien prins ceste routine, qu'il est mal aisé de
         leur faire changer. C'est pourquoy j'ay dressé la grande carte
         en ceste façon, pour le soulagement de la plus-part des pilotes
         & navigateurs des parties de la nouvelle France, craignant que
         si je ne l'eusse ainsi fait, ils m'eussent attribué une faute,
         qu'ils n'eussent sceu dire d'où elle procedoit. Car les petits
         cartrons ou cartes des terres neufves, pour la pluspart sont
         presque toutes diverses en tous les gisemens & hauteurs des
         terres. Et s'il y en a quelques uns qui ayent quelques petits
         eschantillons assez bons, ils les tiennent si précieux qu'ils
         n'en donnent l'intelligence à leur patrie, qui en pourroit
         tirer de l'utilité. Or la fabrique des cartaux est d'une telle
         façon, qu'ils font du Nor-nordest leur ligne méridienne, & de
         l'Ouest-norouest, l'Ouest, chose contraire au vray méridien de
272/420  ce lieu, de l'appeler Nort-nordest pour le Nort: Car au lieu
         que l'aiguille doit norouester elle nordeste, comme si c'estoit
         en France. Qui a fait que l'erreur s'en est ensuivy &
         s'ensuivra, d'autant qu'ils ont cette vieille coustume
         d'ancienneté, qu'ils retiennent, encores qu'ils tombent en de
         grands erreurs. Ils se servent aussi d'un compas touché Nort &
         Su, qui est mettre la poincte de la guide-aymant droit sous la
         fleur de lis. Sur ce compas beaucoup forment leurs petites
         cartes, ce qui me semble le meilleur, & approcher plus prés du
         vray méridien de la Nouvelle France, que non pas les compas de
         la France Orientale qui nordestent. Il s'est doncques ensuivy
         en ceste façon, que les premiers navigateurs qui ont navigué
         aux parties de la nouvelle France Occidentale croioyent
         n'engendrer non plus d'erreur d'aller en ces parties que
         d'aller aux Essores[312], ou autres lieux proches de France, où
         l'erreur est presque insensible en la navigation, dont les
         pilotes n'ont autres compas que ceux de France, qui nordestent,
         & representent le vray méridien. Et naviguant tousjours à
         l'Ouest, voulant aller trouver une hauteur certaine, faisoient
         la routte droit à l'Ouest de leur compas, pensant marcher sur
         une paralelle où ils vouloient aller. Et allant tousjours
         droictement en plat, & non circulairement, comme sont toutes
         les paralelles sur le globe de la terre, après avoir faict une
         quantité de chemin, prés de venir à la veüe de la terre, ils se
         trouvoient quelquesfois trois, quatre ou cinq degrés plus Su
         qu'il n'estoit de besoing: & par ainsi se trouvoient desceus de
273/421  leur hauteur & estime. Toutesfois il est bien vray que quand le
         beau temps paroissoit, & que le soleil estoit beau, ils se
         redressoient de leur hauteur: mais ce n'estoit sans s'estonner
         d'où procedoit que la routte estoit fausse; qui estoit qu'au
         lieu d'aller circulairement selon ladicte paralelle, ils
         alloient droictement en plat; & que changeant de méridien, ils
         changeoient aussi d'airs de vent du compas: & par ainsi de
         routte. C'est donc une chose fort necessaire de scavoir le
         méridien & declinaison de la guide-aymant: car cela peut servir
         pour tous pilotes qui voyagent par le monde, d'autant que ne la
         sachant point, & principalement au Nort & au Su où il se fait
         de plus grandes variations de la guide-aymant: aussi que les
         cercles de longitude sont plus petits, & par ainsi l'erreur
         seroit plus grand à faute de ne scavoir ladicte declinaison de
         la guideaymant. C'est donques pourquoy laditte erreur s'est
         ensuivie, que les voyageurs ne l'ayant voulu ou ne le sçachant
         corriger, ils l'ont laissé en la façon que maintenant elle est:
         de sorte qu'il est mal aisé d'oster ceste dicte façon
         accoustumée de naviguer en cesdits lieux de la nouvelle France.
         C'est ce qui m'a fait faire ceste grande carte, tant pour estre
         plus particulière que la petite, que pour le contentement des
         naviguans qui pourront naviguer, comme si c'estoit sur leurs
         petits cartrons ou cartes: & m'excuseront si je ne les ay mieux
         faites & particularisées, d'autant que l'aage d'un homme ne
         pourroit suffire à recognoistre si exactement les choses, qu'à
         la fin du temps il ne se trouvast quelque chose d'obmis, qui
         sera que toutes personnes curieuses & laborieuses pourront
274/422  remarquer en voyageant des choses qui ne seront en ladicte
         carte & les y adapter: tellement qu'avec le temps on ne
         doutera d'aucunes choses de cesdicts lieux. Pour le moins il me
         semble que j'ay fait mon devoir en ce que j'ay peu, où je n'ay
         oublié rien de ce que j'ay veu à mettre en madicte carte, &
         donner une cognoissance particulière au public, qui n'avoit
         jamais esté descripte, ny descouverte si particulièrement comme
         j'ay fait, bien que quelque autre par le passé en ayt escript,
         mais c'estoit bien peu de chose au respect de ce que nous avons
         descouvert depuis dix ans en ça.

[Note 310: Guillaume de Nautonier, sieur de Castelfranc. Son ouvrage est
ainsi intitulé: «Mécométrie de l'eymant, c'est à dire la maniere de
mesurer les longitudes par le moyen de l'eymant, etc.» Champlain semble
avoir adopté le système du sieur de Castelfranc sur le moyen de
déterminer la longitude des lieux.]

[Note 311: Ce qu'on appelait autrefois la Grande-Baie est cette partie
du golfe Saint-Laurent qui aboutit au détroit de Belle-Isle, et qui
forme en effet comme une grande baie entre la côte occidentale de
Terreneuve et le Labrador.]

[Note 312: Açores.]

[Illustration:]

         Moyen de prendre la ligne Méridienne.

         Prenez une planchette fort unie, & au milieu posez une esguille
         C, de trois pousses de haut, qui soit droictement à plomb, & le
         posez au Soleil devant Midy, à 8 ou 9 heures, où l'ombre de
         l'esguille C, arrivera, soit marqué avec un compas, lequel fera
         ouvert, sçavoir une poincte sur C, & l'autre sur l'ombre B, &
         puis trasserez un demy cercle A, B, laissant le tout
         jusqu'aprés midy, qu'y verrez l'ombre parvenir sur le bort du
         demy cercle A. Puis partirez le demy cercle A. B. par la
         moitié, & aussi tost prendrez une reigle que poserez sur le
         poinct C. & l'autre sur le poinct D. & trasserez une ligne tant
         qu'elle pourra courir le long de ladicte planchette, qu'il ne
         faut bouger que l'observation ne soit faicte, & la ligne sera
         la Méridienne du lieu où vous serez.

         Et pour sçavoir la declinaison du lieu où vous ferez sur la
         ligne Méridienne, posez un quadran qui soit quarré, comme
         demonstre la figure cy dessus le long de la ligne Méridienne, &
         au fonds dudit quadran y aura un cercle divisé en 360. degrez,
         & partissez ledit cercle par entredeux lignes diamétrales, dont
         l'une est representée pour le septentrion, & l'autre pour le
         midy, comme monstrera E. F. & 1 autre ligne represente l'Orient
         & l'Occident, comme monstre G. H. & alors regardez l'aiguille
         de la guide-aymant, qui est au fonds du quadran, sur le pivot,
         laquelle verrez où elle décline de la ligne Méridienne fixe,
         qui est au fonds du quadran, & combien de degrez elle Nordeste
         ou Noroueste.

422a--Illustration--carte a

422b--Illustration--carte b



275/423

                           TABLE DES MATIERES.
         A

         Algoumequins. 261.

         Almouchiquois n'adorent aucune chose. 69. Ont des
         superstitions. 69. Leur naturel 69. ont un langage différent à
         celuy des Souriquois & Etechemins 52. vont tous nuds, hommes &
         femmes hormis leur nature 101. portent quelquesfois des robbes
         faictes d'herbes 68. ne font provision de pelleterie que pour
         se vestir 52. sont bien proportionnez de leurs corps 101. ont
         le tein olivastre 101. comment portent leurs cheveux 52, 69. se
         parent de plumes, de patenostres de porcelines & autres
         jolivetez 101. se peindent de noir rouge & jaune 69.
         s'arrachent le poil de la barbe 69. leurs logemens 66. 102. ont
         grande quantité de puces, mesmes parmy les champs 102. comment
         se comportent quand ils ont quelque mauvais dessein 103. 104.
         leurs armes 101. n'ont point de police, gouvernement, ny
         créance. 101. font entreprise sur les François. 104. voyez
         François. Amateurs du labourage 100. comment labourent les
         terres. 66. ont autant de terre qu'il est necessaire pour leur
         nourriture. 65. comment font leurs bleds d'Inde. 53. comment
         ils en conservent leur provision pour l'hyver. 101. comment
         l'accommodent pour le manger. 70. cultivent de certaines
         racines 66. sont fort vistes 107. voyez Sauvages.

         Aneda herbe recommandée par Jaques Quartier. 50.

         Aubry Prestre esgaré dixsept jours dans des bois. 16. 17.

         B

         Balaines comment se peschent 226. 227. 228.

         Basques pris faisant traitte de pelleterie. 28.

         Basques traitent la force en la main & leur violence contre le
         vaisseau de Pont-gravé.139. 140.141. Barque eschouée sur une
         roche miraculeusement sauvée. 60.

         Baye Françoise. 19, 21.

         Baye sainct Laurens. 21.

         Baye saincte Marie. 15. 17.

         Baye de toutes isles. 128.

         Bedabedec, pointe ainsi appelée des sauvages. 32. 33.

         C

         Cap de la Héve. 8.

         Cap Negre. 9.

         Cap de Sable. 10.

         Cap Fourchu. 11.

         Cap des deux Bayes. 20.

         Cap aux isles. 57.

         Cap sainct Louys. 60.

         Cap Blanc. 64.

         Cap Breton. 169.

         Cap Batturier. 99.

         Cap Dauphin. 145.

         Cap de l'Aigle. 145.

         Cap de tourmente. 146.

         Campseau. 130.

         Canada. 160.

         Canadiens ne font point de provision pour l'hyver. 169.

         Canots des sauvages. 59. 60. 141. 142.

         Champdoré pilote. 84. emmenoté, libéré. 87.

         Champ semé de bled d'Inde. 66.

         Chanvre. 62.

         Charioquois. 260.

         Chasse des sauvages. 43. 44,

         Chouacoet. 123.

         Chouassarou poisson. 190. 191.

         Citrouilles, 66.

         Commission du sieur de Mons. 136.

         Conspiration contre ma personne. 148. descouverte 150.
         conspirateurs pris 152 Procédures en leur procès. 152. 153.
         154.

         Corde faite d'escorce d'arbre. 62.

         Coste de Norembegue. 29. 30. 31. 32. 33. 34-35. 36. 37-38. 39.

         Coste des Almouchiquois. 45.

         Croix fort ancienne marque de Chrestiens. 125.

         Cul de sac où il y a plusieurs isles & beaucoup d'endrois pour
         mettre nombre de vaisseaux. 24

         D

         Danger proche de naufrage. 30. autre 81. autre 83. autre. 86.

         Première Defaite des Yroquois. 195. 196.

         Seconde Defaite des Yroquois. 216.

         E

         Espouvante des Montagnets à la riviere des Yroquois. 109.

         Equille poisson. 18.

         Etechemins n'ont point de demeure arrestée. 35.

         Habitent quelquefois la riviere de Quinibequi. 37.

276/424
         F

         Les Femmes sont un peu plus long habillées que les hommes 68.
         69. sont tous les vestemens 44. surpassent en cruauté les
         hommes. 219.

         François assistent les sauvages leurs alliés à la guerre contre
         leurs ennemis. 194. 195. 210. jusques à 217. Surpris par les
         Almouchiquois. 67. 68. 106, s'en vengent. 110.

         G Gaspé. 169.

         Gelées fort grandes. 43.

         Grande-oreille, poisson qui porte des égrettes. 229.

         H

         Habitation de l'isle saincte Croix. 26.

         Habitation du port Royal. 79.

         Habitation de Québec. 155.

         Harangue de Mantoumermer sauvage. 47-8.

         Hyver fort court. 207.

         J

         Jaques Quartier, & de son Hyvernement. 156. jusques à 161.

         I

         Isle de Sable. 7.

         Isle aux Cormorans. 10.

         Isles aux oyseaux. 10. 11. 15.

         Isles fort dangereuses. 10.

         Isles aux Loups-marins, 1l.

         Isle Longue. 12. 13.

         Isle Haute. 20. [autre du même nom] 33.

         Isle aux Margots. 24.

         Isle appelée des sauvages Menane. 24. 46.

         Isle saincte Croix. 25. 91. appelée autrefois des sauvages
         Achelacy.[313] 157. 159. 160. 161.

[Note 313: _L'Île de Sainte-Croix n'a jamais porté le nom d'Achelacy,
mais bien la pointe de Sainte-Croix, aujourd'hui le Platon, a environ
douze lieues au-dessus de Québec._]

         Isles rangées. 30. [autres à la côte d'Acadie]. 129.

         Isles des monts-deserts. 31.

         Isles aux Corneilles. 46.

         Isle de la tortue. 46.

         Isle de Bacchus. 51. 52.

         Isles Martyres. 127,

         Isle Percée. 131.

         Isle du cap Breton. 131. 132.

         Isle aux coudres. 145. 158. 159. plusieurs Isles fort agréables
         environnées de rochers & basses fort dangereuses. 146. 147.

         Isle d'Orléans. 146. 147. ainsi appelée par Jacques Cartier.
         161.

         Isle sainct Esloy. 17 5.

         Isle aux Hérons. 246.

         L

         Lac de trois à quatre lieues de long. 49.

         Lac sainct Pierre. 180.

         Lac des Yroquois. 189.

         Lac de Champlain. 196.

         Lac. 143.

         M

         Mal de la terre, voyés Scurbut.

         Mauves oyseaux. 124.

         Maslouins appelez Mistigoches par les Sauvages. 209.

         Mine d'argent. 12,

         Mines de cuivre. 20. 2l. 28. 29. 79. 80.

         Mines de fer. 13-22. 23.

         Montagnets vont demy nuds. 162. l'hyver se couvrent de bonnes
         fourrures. 162.164, sont bien proportionnez & les femmes aussi,
         qui se frottent de peinture, qui les rend basannées. 163. quand
         peschent les anguilles qu'ils font secher pour l'hyver. 162.
         quand vont à la chasse aux castors. 162. vont à la chasse aux
         eslans & autres bestes sauvages, lors que leurs anguilles leur
         manquent. 162. ont quelquefois de grandes famines, mangent
         leurs chiens & les peaux de quoy ils se couvrent. 162. pressez
         d'une extresme necessité. 166. jusques à 170. ne font point de
         provisions. 168. 169.

         Montagnets croyent l'immortalité de l'âme. 165. Disent qu'après
         leur mort ils se vont resjouir en d'autres païs. 165. croyent
         que tous les songes qu'ils font sont véritables. 163. n'ont
         point ny foy, ny loy. 163. sont fort meschans, grands menteurs,
         & vindicatifs. 163. n'entreprennent rien sans consulter leur
         Pilotois. 163. leurs cérémonies quand ils arrivent à leur pays
         au retour de la guerre. 199. 217. leurs mariages. 164. leurs
         enterremens. 164. 165. dansent trois fois l'année sur la fosse
         de leurs amis. 165. ont fort craintifs & redoutent fort leurs
         ennemis. 165.

         Miraculeusement sauvez d'un naufrage. 167. ont bon jugement.
         162.

         Mouches fort fascheuses. 27.

         N

         Normands appelés Mistigoches par les sauvages. 209.

277/425  O

         Ordre de bon temps, 120.

         Outarde oyseau. 72.

         Oyseau qui a le bec en façon de lancette. 71,72.

         Oyseaux comme coqs d'Indes. 72. 73.

         Oyseaux incarnats. 202.

         P

         Pierres à faire de la chaux. 124.

         Pilotois devineurs de bonne & mauvaise fortune. 163. leurs
         diableries & simagrées. 93.

         Place Royale. 242. 243. 244. 245.

         Pointe sainct Mathieu, autrement aux Allouettes. 139.

         Pointe de tous les Diables. 139.

         Poisson avec trois rangs de dens. 202.

         Port au Mouton. 8.

         Port saincte Marguerite. 13.

         Port Royal. 17. 18.

         Port aux mines. 20. 2l.

         Port aux isles. 55. 56.

         Port du cap sainct Louys. 63.

         Port de Malebarre. 65. 66.

         Beau Port. 94. 95. 96.

         Port aux huistres. 97.

         Port fortuné. 100.

         Port sainct Helaine. 127. 128.

         Port de Savalette. 129. 130.

         Port aux Anglois. 132.

         Port Niganis. 132.

         Q

         Quebecq. 145. 148. 155 170. 173. 264.

         R

         Racines que les sauvages cultivent. 66.

         Rencontre des Yroquois à qui nous allions faire la guerre. 193.

         Riviere du Boulay. 12.

         Riviere de l'Equille. 18. 19.

         Riviere sainct Antoine. 19.

         Riviere sainct Jean appelée des sauvages Ouygoudy. 22. 23.

         Riviere des Etechemins. 25. 26.

         Riviere de Pimptegouet appelée de plusieurs pilotes &
         historiens Norembegue. 31. 32. 33. 34. 35. 37. 38.

         Riviere de Quinibequi. 46. 49. 50.

         Riviere [lisez isle] de la tortue[314]. 46. 49.

[Note 314: _La Tortue était une île. Ce qui a donné occasion à la
méprise que nous corrigeons ici, est ce passage de la page_ 46: «L'isle
de la tortue & la riviere sont su suresst & nort norouest.» _Il va sans
dire que la_ rivière, _c'est le_ Quinibéqui. _A nos yeux, cela seul
suffit pour prouver que cette table n'a pas été faite par Champlain._]

         Riviere de Chouacoet. 53. 55.

         Riviere saincte Marguerite. 127.

         Riviere de l'isle verte. 128.

         Riviere de Saguenay. 142. 143. 144.

         Riviere aux saumons. 145.

         Grande Riviere de sainct Laurens. 170. 174. 175. 176. 177.

         Riviere saincte Marie. 175.

         Les trois Rivieres. 179.

         Riviere des Yroquois. 181. 184. 189.

         Saincte croix, nom transféré de lieu à autre. 156. 157. 158.
         159. 160. 161.

         Saincte Susanne du cap blanc. 64.

         Sault d'eau. 34.

         Grand Sault. 248. 249.

         Sauvages quand sont mal disposez, se tirent du sang avec les
         dents d'un poisson appelé Couaffarou. 191. Leur dueil. 118.
         Leurs cérémonies aux enterremens. 118. en leurs harangues. 36.
         Quand ils veulent délibérer de quelque affaire, font leurs
         assemblées la nuit. 253. Comment ils content les temps. 176.
         Leur façon de vivre en hyver. 44. en hyver ne peuvent chasser,
         si les neiges ne sont grandes. 43. attachent des raquettes
         soubs leurs pieds, quand ils vont chasser en temps de neige.
         44. 164. comment peschent le poisson. 62. vivent de coquillage;
         quand ils ne peuvent chasser, 44. comment desfrichent les
         terres. 96. Danssent & monstrent signes de resjouissance, quand
         ils voyent arriver des vaisseaux de France. 51. Font de grandes
         admirations quand ils voyent premièrement des Chrestiens. 219.
         Ont des gens parmi eux qui disent la bonne avanture ausquels
         ils adjoustent foy. 101. voyez Pilotois. Croyent les songes
         véritables. 192. 193. Quand ils entendent des coups de canon se
         couchent contre terre. 107.

         Sauvages quand vont à la guerre separent leurs troupes en
         trois, pour la chasse en avantcoureurs & le gros. 186. Font des
         marques, par où ils passent, par lesquelles ceux qui viennent
         après reconoissent si ce sont amis ou ennemis qui ont passé.
         186. Leurs chasseurs ne chassent jamais de l'avant du gros.
278/426  186. Envoyent descouvrir si on n'apercevra point d'ennemis.
         185. Toute la nuict se reposent sur la reveue des
         avantcoureurs. 185. Aprochans des terres de leurs ennemis ne
         cheminent plus que la nuict. 192. Leurs retranchemens. 185. Ont
         des chefs à qui ils obeissent, en ce qui est du faict de la
         guerre seulement. 188. Comment les chefs monstrent à leurs gens
         le rang & l'ordre qu'ils doivent tenir au combat. 188.
         Exécutent leurs desseins la nuict & non le jour. 105. Quand
         sont poursuivis se sauvent dans les bois. 109. Escorchent la
         teste de leurs ennemis tuez pour trophée de leur victoire. 217.
         comment traittent leurs prisonniers. 196. 197. 198. 2l8. 219.

         Sauvages alliez vont à la guerre contre les Yroquois leurs
         ennemis. 210. jusques à 217. voyez Algoumequins & Montagnets.

         Scurbut, ou maladie de la terre. 41. 80. 121. 175. Sa cause.
         170. 207. plusieurs régions en sont frappées. 172.

         Siguenoc. 70, 71.

         Superstition des Sauvages. 4.8.

         T

         Tadoussac. 138. 169.

         Température fort différente, pour 120 lieues. 170.

         Terres desertées où le sieur de Mons fit semer du froment. 26.
         autres terres défrichées. 63.

         Terre ensemencée par le sieur de Poitrincourt. 89. 90.

         Terres bonnes & fertiles. 91.

         Terres couvertes la plus part de l'année. 144.

         Terres couvertes de neiges jusques à la fin de May. 170.

         Terre neufve. 170.

         Traitte de pelleterie défendue. 139.

         V

         Vignes qui portent de tresbons raisins. 54.

         Y

         Yroquois. 191. desfaicts en guerre. 195. 196.



                                 FIN.

279/427


                             QUATRIESME
                              VOYAGE DE
                           S. DE CHAMPLAIN
                      CAPITAINE ORDINAIRE POUR
                       LE ROY EN LA MARINE, ET
                    Lieutenant de Monseigneur le
           Prince de Condé en la Nouvelle France, fait en
                            l'année 1613.



281/429

[Illustration]


                            A TRES-HAUT,
                   TRES-PUISSANT ET TRES-EXCELLENT
                       HENRY DE BOURBON PRINCE
              de Condé, premier Prince du Sang, premier
             Pair de France, Gouverneur & Lieutenant de
                        Sa Majesté en Guyenne.



         MONSEIGNEUR

         _L'honneur que j'ay reçeu de vostre grandeur en la charge des
         descouvertures de la nouvelle France, m'a augmenté l'affection
         de poursuivre avec plus de soing & diligence que jamais, la
         recherche de la mer du Nord. Pour cet effect en ceste année
         1613, j'y ay fait un voyage sur le rapport d'un homme que j'y
         avois envoyé, lequel m'asseuroit l'avoir veue, ainsi que vous
         pourrez voir en ce petit discours, que j'ose offrir à vostre
         excellence, où toutes les peines & travaux que j'y ay eus sont
         particulièrement d'escrits; desquels il ne me reste que le
         regret d'avoir perdu ceste année, mais non pas l'esperance au
         premier voiage d'en avoir des nouvelles plus asseurées par le
         moyen des Sauvages qui m'ont fait relation de plusieurs lacs &
         rivieres tirant vers le Nord, par lesquelles, outre
         l'asseurance qu'ils me donnent d'avoir la cognoissance de ceste
282/430  mer, il me semble qu'on peut aisément tirer conjecture des
         cartes, qu'elle ne doit pas estre loing des dernières
         descouvertures que j'ay cy devant faites. En attendant le temps
         propre & la commodité de continuer ces desseins, je prieray le
         Créateur qu'il vous conserve. Prince bien-heureux, en toutes
         sortes de félicités, oú se terminent les voeux que je fais à
         vostre grandeur, en qualité de son

         Tres-humble & tres-affectionné serviteur

         SAMUEL. DE CHAMPLAIN.

283/431


                       QUATRIESME VOYAGE DU SIEUR
                 DE CHAMPLAIN, CAPITAINE ORDINAIRE POUR
      le Roy en la marine, & Lieutenant de Monseigneur le Prince de
                         Condé en la Nouvelle
                      France, fait en l'an 1613.



         _Ce qui m'a occasionné de recercher un reglement. Commission
         obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par
         tous les ports de France._

                              CHAPITRE I.

         LE desir que j'ay tousjours eu de faire nouvelles
         descouvertures en la Nouvelle France, au bien, utilité & gloire
         du nom François: ensemble d'amener ces pauvres peuples à la
         cognoissance de Dieu, m'a fait chercher de plus en plus la
         facilité de ceste entreprise, qui ne peut estre que par le
         moyen d'un bon règlement: d'autant que chacun voulant cueillir
         les fruits de mon labeur, sans contribuer aux frais & grandes
         despences qu'il convient faire à l'entretien des habitations
         necessaires pour amener ces desseins à une bonne fin, ruine ce
         commerce par l'avidité de gaigner, qui est si grande, qu'elle
         fait partir les marchans devant la saison, & se précipiter non
         seulement dans les glaces, en esperance d'arriver des premiers
284/432  en ce païs; mais aussi dans leur propre ruine: car traictans
         avec les sauvages à la desrobée, & donnant à l'envie l'un de
         l'autre de la marchandise plus qu'il n'est requis, sur-achetent
         les danrées; & par ainsi pensant tromper leurs compagnons se
         trompent le plus souvent eux mesmes.

         C'est pourquoy estant de retour en France le 10. Septembre 1611
         j'en parlay à monsieur de Monts, qui trouva bon ce que je luy
         en dis: mais ses affaires ne luy permettant d'en faire la
         poursuitte en Cour, m'en laissa toute la charge [315].

[Note 315: Voir, ci-dessus, chapitre IV du Troisième Voyage, p. 265.]

         Deslors j'en dressay des mémoires, que je monstray à Monsieur
         le President Jeannin, lequel (comme il est desireux de voir
         fructifier les bonnes entreprises) loua mon dessein, &
         m'encouragea à la poursuitte d'iceluy.

         Et m'asseurant que ceux qui ayment à pescher en eau trouble
         trouveroient ce règlement fascheux, & rechercheroyent les
         moyens de l'empescher, il me sembla à propos de me jetter entre
         les bras de quelque grand, l'authorité duquel peust servir
         contre leur envie.

         Or cognoissant Monseigneur le Comte de Soissons [316] Prince
         pieux & affectionné en toutes sainctes entreprises, par
         l'entremise du sieur de Beaulieu, Conseiller & aumosnier
         ordinaire du Roy, je m'adressay à luy, & luy remonstray
         l'importance de l'affaire, les moyens de la régler, le mal que
         le desordre avoit par cy devant apporté, & la ruine totale dont
285/433  elle estoit menacée, au grand des-honneur du nom François, si
         Dieu ne suscitoit quelqu'sn qui la voulust relever, & qui
         donnast esperance de faire un jour réunir ce que l'on a peu
         esperer d'elle. Comme il fut instruict de toutes les
         particularités de la chose, & qu'il eust veu la Carte du
         pays que j'avois faicte, il me promit, sous le bon plaisir du
         Roy, d'en prendre la protection.

[Note 316: Charles de Bourbon, comte de Soissons, alors gouverneur de
Dauphiné et de Normandie. (Hist. généalogique, etc., par le P. Anselme,
t. I, p. 350.)]

         Aussi tost après je presentay à sa Majesté, & à Nosseigneurs de
         son Conseil une requeste avec des articles, tendans à ce qu'il
         luy pleust vouloir apporter un règlement en cet affaire, sans
         lequel, ainsi que j'ay dict, elle s'en alloit perdue, & pource
         sa Majesté en donna la direction & gouvernement à mondit
         Seigneur le Comte [317], lequel deslors m'honora de sa
         Lieutenance[318].

[Note 317: La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612,
comme le prouve l'extrait suivant des lettres du duc d'Anville,
rapportées par Moreau de Saint-Méry, et reproduites dans les Mémoires et
Documents de la Société Historique de Montréal, page 110: «Voulant de
toute notre affection continuer le même dessein que les défunts Rois
Henri le Grand notre aïeul, et Louis XIII notre très-honoré Seigneur et
Père, avaient de favoriser la bonne intention de ceux qui avaient
entrepris de rechercher et découvrir ès pays de l'Amérique, des terres,
contrées, et lieux propres et commodes pour faire des habitations
capables d'établir des Colonies, afin d'essayer, avec l'assistance de
Dieu, d'amener les peuples qui en habitent les terres à sa connaissance,
et les faire policer et instruire à la Foi et Religion Catholique,
Apostolique et Romaine, et par ce moyen y établir notre autorité, et
introduire quelque commerce qui puisse apporter de l'utilité à nos
sujets: ayant été informé que par les voyages faits le long des Côtes et
Isles, desquelles nos prédécesseurs en auraient fait habiter
quelques-unes, il a été reconnu plusieurs Ports, Havres, et lieux
propres et bien commodes pour y aborder, habiter et donner un bon et
grand commencement pour l'entier accomplissement de ce dessein, et aussi
pour y découvrir et chercher chemin facile pour aller au pays de la
Chine, de Monoa et royaume des Incas, par dedans les Rivières et Terres
fermes du dit pays, avec assistance des habitants d'icelles; pour
faciliter laquelle entreprise ils auraient, par Lettres-Patentes du 8
Octobre 1612, donné la charge d'icelle à feu notre très-cher et bien amé
Cousin le Comte de Soissons, et icelui fait Gouverneur et notre
Lieutenant-Général du dit pays pour y représenter notre personne et
amener les peuples d'icelui pays à la connaissance de Dieu, et les faire
instruire à la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, ainsi
qu'il est plus au long porté par les dites Lettres...»]

[Note 318: Dans l'édition de 1632, l'auteur rapporte lui-même cette
commission, qui est datée du 15 Octobre 1612.]

         Or comme je me preparois à faire publier la Commission du Roy
286/434  par tous les ports & havres de France, la maladie de
         Monseigneur le Comte arriva, & sa mort[319] tant regrettée, qui
         recula un peu ceste affaire: Mais sa Majesté aussi tost en
         remit la direction à Monseigneur le Prince [320], qui la remit
         dessus: & mondit Seigneur m'ayant honoré pareillement de sa
         Lieutenance[321], feit que je poursuivis la publication de
         ladite commission, qui ne fut si tost faicte, que quelques
         brouillons, qui n'avoyent aucun interest: en l'affaire,
         l'importunerent de la faire casser, luy faisant entendre le
         pretendu interest de tous les marchans de France, qui n'avoient
         aucun subject de se plaindre, attendu qu'un chacun estoit reçeu
         en l'association, & par ainsi aucun ne pouvoit justement
         s'offencer: c'est pourquoy leur malice estant recogneuë furent
         rejettées, avec permission seulement d'entrer en l'association.

[Note 319: Le comte de Soissons mourut le premier novembre 1612. (Hist.
généalogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)]

[Note 320: Henri de Bourbon, second du nom, auquel l'auteur dédie ce
Quatrième Voyage.]

[Note 321: Cette nouvelle commission est du 22 novembre 1612, comme on
peut le voir par celle que le duc de Ventadour donne à l'auteur le 15
février 1625, et qui est rapportée ci-après, liv. II de l'édit. 1632,
ch. I.]

         Pendant ces altercations, il me fut impossible de rien faire
         pour l'habitation de Quebeq, dans laquelle je desirois mettre
         des ouvriers pour la reparer & augmenter, d'autant que le temps
         de partir nous pressoit fort. Ainsi se fallut contenter pour
         cette année d'y aller sans autre association, avec les
         passeports de Monseigneur le Prince, qui furent donnés pour
         quatre vaisseaux, lesquels estoient ja préparés pour faire le
         voyage; sçavoir trois de Rouen & un de la Rochelle, à condition
         que chacun fourniroit quatre hommes pour m'assister, tant en
287/435  mes descouvertures qu'à la guerre, à cause que je voulois tenir
         la promesse que j'avois faicte aux sauvages Ochataiguins en
         l'année 1611. de les assister en leurs guerres au premier
         voiage.

         Et ainsi que je me preparois pour partir, je fus adverti que la
         Cour de Parlement de Rouen n'avoit voulu permettre qu'on
         publiast la Commission du Roy, à cause que sa Majesté se
         reservoit, & à son Conseil la seule cognoissance des différents
         qui pourroient survenir en cet affaire: joint aussi que les
         marchans de S. Maslo s'y opposerent; ce qui me traversa fort, &
         me contraignit de faire trois voyages à Rouen, avec Jussions de
         sa Majesté, en faveur desquelles la Cour se déporta de ses
         empeschemens, & débouta les opposans de leurs prétentions: &
         fut la Commission publiée par tous les ports de Normandie.



         _Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre
         arrivée au Saut.

                               CHAPITRE II.

         JE partis de Rouen le 5 Mars pour aller à Honfleur, & le sieur
         l'Ange avec moy, pour m'assister aux descouvertures, & à la
         guerre si l'occasion s'en presentoit.

         Le lendemain 6. du moys nous nous embarquasmes dans le vaisseau
         du sieur de Pont-gravé, où aussi tost nous mismes les voiles au
         vent, qui estoit lors assés favorable.

288/436  Le 10 Avril nous eusmes cognoissance du grand Banc, où l'on mit
         plusieurs fois les lignes hors sans rien prendre.

         Le 15, nous eusmes un grand coup de vent, accompagné de pluye &
         gresle, suivi d'un autre, qui dura 48 heures, si impétueux,
         qu'il fit périr plusieurs vaisseaux à l'isle du cap Breton.

         Le 21, nous eusmes cognoissance de l'isle & Cap de Raye.

         Le 29, les Sauvages Montagnais de la pointe de tous les Diables
         [322] nous apercevans, se jetterent dans leurs canots, &
         vindrent au devant de nous, si maigres & hideux, que je les
         mescognoissois. A l'abord ils commencèrent à crier du pain,
         disans, qu'ils mouroient de faim. Cela nous fit juger que
         l'hyver n'avoit pas esté grand, & par consequent, la chasse
         mauvaise: de cecy nous en avons parlé aux voyages precedens.

[Note 322: La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)]

         Quand ils furent dans nostre vaisseau ils regardoient chacun au
         visage, & comme je ne paroissois point, ils demandèrent où
         estoit monsieur de Champlain, on leur fit response que j'estois
         demeuré en France: ce que ne croyans du tout, il y eut un
         vieillard qui vint à moy en un coin, où je me promenois, ne
         desirant encor estre cognu, & me prenant l'oreille (car il se
         doutoyent qui j'estois) vid la cicatrice du coup de flèche que
         je reçeus à la deffaicte des Yroquois: alors il s'escria, &
         tous les autres après luy, avec grandes demonstrations de joye,
         disans, Tes gens sont au port de Tadoussac qui t'attendent.

289/437  Ce mesme jour bien que nous fussions partis des derniers nous
         arrivasmes pourtant les premiers audit Tadoussac, & de la mesme
         marée le sieur Boyer de Rouen. Par là l'on cognoist que partir
         avant la saison, ne sert qu'à se précipiter dans les glaces.
         Ayans mouillé l'ancre nos gens nous vindrent trouver, & après
         nous avoir déclaré comme tout se portoit en l'habitation, se
         mirent à habiller trois outardes & deux lapins, qu'ils avoient
         apportés, & en jetterent les tripailles à bort, sur lesquelles
         se ruèrent ces pauvres sauvages, & ainsi que bestes affamées
         les devorerent sans les vuider, & racloient avec les ongles la
         graisse dont on avoit suivé nostre vaisseau, & la mangeoient
         gloutonnement comme s'ils y eussent trouvé quelque grand goust.

         Le lendemain [323] arriverent deux vaisseaux de S. Malo qui
         estoient partis avant que les oppositions fussent vuidées, &
         que la Commission fut publiée en Normandie. Je fus à bort
         d'eux, accompagné de l'Ange: Les sieurs de la Moinerie & la
         Tremblaye y commandoient, ausquels je fis lecture de la
         Commission du Roy, & des deffences d'y contrevenir sur les
         peines portées par icelles. Ils firent response qu'ils estoient
         subjects & fidelles serviteurs de sa Majesté, & qu'ils
         obeiroient à ses commandemens; & deslors je fis attacher sur le
         port à un poteau les armes & Commissions de sa Majesté, afin
         qu'on n'en pretendist cause d'ignorance.

[Note 323: Le 30 avril.]

         Le 2 May voyant deux chalouppes equippées pour aller au Saut,
         je m'embarquay avec ledict l'Ange dans l'une. Nous fusmes
         contrariés de fort mauvais temps, en sorte que le mats de
290/438  nostre chalouppe se rompit, & si Dieu ne nous eust preservés,
         nous nous fussions perdus, comme fit devant nos yeux une
         chalouppe de S. Maslo qui alloit à l'isle d'Orléans, de
         laquelle les hommes se sauverent.

         Le 7 nous arrivasmes à Québec, où trouvasmes ceux qui y avoient
         hyverné en bonne disposition, sans avoir esté malades, lesquels
         nous dirent que l'hyver n'avoit point esté grand, & que la
         riviere n'avoit point gelé. Les arbres commençoient aussi à se
         revestir de feuilles, & les champs à s'esmailler de fleurs.

         Le 13, nous partismes de Québec pour aller au Saut S. Louys, où
         nous arrivasmes le 21. & y trouvasmes l'une de nos barques qui
         estoit partie depuis nous de Tadoussac, laquelle avoit traicté
         quelque peu de marchandises, avec une petite troupe
         d'Algoumequins, qui venoyent de la guerre des Yroquois, &
         avoient avec eux deux prisonniers. Ceux de la barque leur
         firent entendre que j'estois venu avec nombre d'hommes pour les
         assister en leurs guerres, suivant la promesse que je leur
         avois faite les années précédentes; & de plus, que je desirois
         aller en leur pays, & faire amitié avec tous leurs amis; dequoy
         ils furent fort joyeux: Et d'autant qu'ils vouloient retourner
         en leur pays pour asseurer leurs amis de leur victoire, voir
         leurs femmes, & faire mourir leurs prisonniers en une
         solemnelle Tabagie. Pour gages de leur retour, qu'ils
         promettoient estre avant le milieu de la première lune (ainsi
         qu'ils content) ils laisserent leurs rondaches, faictes de bois
         & de cuir d'Elland, & partie de leurs arcs & flesches. Ce me
         fut un grand desplaisir de ne m'estre trouvé à propos pour m'en
         aller avec eux en leur pays.

291/439  Trois jours après arriverent trois canots d'Algoumequins qui
         venoient du dedans des terres, chargés de quelque peu de
         marchandises, qu'ils traictèrent, lesquels me dirent que le
         mauvais traitement qu'avoient reçeus les Sauvages l'année
         précédente, les avoit dégoûtés de venir plus, & qu'ils ne
         croyoient pas que je deusse retourner jamais en leurs pays,
         pour les mauvaises impressions que mes envieux leur avoient
         données de moy; & pource 1200. hommes estoyent allez à la
         guerre, n'ayans plus d'esperance aux François, lesquels ils ne
         croyoient pas vouloir plus retourner en leur pays.

         Ces nouvelles attristerent fort les marchans, car ils avoient
         fait grande emplette de marchandises, sous esperance que les
         sauvages viendroient comme ils avoient accoustumé: ce qui me
         fit resoudre en faisant mes descouvertures, de passer en leur
         pays, pour encourager ceux qui estoyent restés, du bon
         traictement qu'ils recevroyent, & de la quantité de bonnes
         marchandises qui estoyent au Saut, & pareillement de
         l'affection que j'avois de les assister à la guerre: Et pour ce
         faire, je leur fis demander trois canots & trois Sauvages pour
         nous guider, & avec beaucoup de peine j'en obtins deux, & un
         sauvage seulement, & ce moyennant quelques presens qui leur
         furent faits.



292/440  _Partement pour descouvrir la mer du Nort, sur le rapport qui
         m'en avoit este faict. Description de plusieurs rivieres, lacs,
         isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts._

                               CHAPITRE III.

         OR n'ayant que deux Canots, je ne pouvois mener avec moy que
         quatre hommes, entre lesquels estoit un nommé Nicolas de Vignau
         le plus impudent menteur qui se soit veu de long temps, comme
         la suitte de ce discours le fera voir, lequel autresfois avoit
         hyverné avec les Sauvages, & que j'avois envoyé aux
         descouvertures les années précédentes. Il me r'apporta à son
         retour à Paris en l'année 1612. qu'il avoit veu la Mer du Nort,
         que la riviere des Algoumequins[324] sortoit d'un lac qui s'y
         deschargeoit, & qu'en 17 journées l'on pouvoit aller & venir du
         Saut S. Louys à ladite mer: qu'il avoit veu le bris & fracas
         d'un vaisseau Anglois qui s'estoit perdu à la coste, où il y
         avoit 80 hommes qui s'estoient sauvés à terre, que les Sauvages
         tuèrent à cause que lesdits Anglois leur vouloyent prendre
         leurs bleds d'Inde & autres vivres par force, & qu'il en avoit
         veu les testes qu'iceux Sauvages avoient escorchés (selon leur
         coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir, ensemble me
         donner un jeune garçon Anglois qu'ils m'avoient gardé. Ceste
         nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir trouvé bien prés
         ce que je cherchois bien loing: ainsi je le conjuray de me dire
293/441  la vérité, afin d'en advertir le Roy, & luy remonstray que s'il
         donnoit quelque mensonge à entendre, il se mettoit la corde au
         col, aussi que si sa relation estoit vraye, il se pouvoit
         asseurer d'estre bien recompensé: Il me l'asseura encor avec
         sermens plus grands que jamais. Et pour mieux jouer son roole,
         il me bailla une relation du païs qu'il disoit avoir faicte, au
         mieux qu'il luy avoit esté possible. L'asseurance donc que je
         voyois en luy, la simplicité de laquelle je le jugeois plain,
         la relation qu'il avoit dressée, le bris & fracas du vaisseau,
         & les choses cy devant dictes, avoyent grande apparence, avec
         le voyage des Anglois vers Labrador, en l'année 1612.[325] où
         ils ont trouvé un destroit[326] qu'ils ont couru jusques par le
         63e degré de latitude, & 290 de longitude[327], & ont hyverné
         par le 53e degré, & perdu quelques vaisseaux[328], comme leur
         relation en faict foy. Ces choses me faisant croire son dire
         véritable, j'en fis deslors rapport à Monsieur le Chancelier
         [329] je fis voir à Messieurs le Mareschal de Brissac, &
         President Jeannin, & autres Seigneurs de la Cour, lesquels me
         dirent qu'il me falloit voir la chose en personne. Cela fut
         cause que je priay le sieur Georges, marchant de la Rochelle,
294/242  de luy donner passage dans son vaisseau, ce qu'il feit
         volontiers; ou estant l'interrogea pourquoy il faisoit ce
         voyage: & d'autant qu'il luy estoit inutile, luy demanda s'il
         esperoit quelque salaire, lequel feit response que non, & qu'il
         n'en pretendoit d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le
         voyage que pour me monstrer la mer du Nord, qu'il avoit veue, &
         luy en fit à la Rochelle une déclaration par devant deux
         Notaires.

[Note 324: Aujourd'hui, l'Outaouais.]

[Note 325: La relation du dernier voyage de Henry Hudson fut publiée en
1612; mais le voyage avait eu lieu en 1610 et 1611. Les détails de cette
expédition du navigateur anglais se trouvent dans le tome IV du recueil
de Purchas, et ont été extraits des journaux d'Hudson. (Voir Biog.
univ., art. HUDSON.)]

[Note 326: Le détroit d'Hudson.]

[Note 327: Au temps de Champlain les géographes, surtout en France,
faisaient encore passer le premier méridien pour l'île de Fer, et
comptaient toujours les longitudes de l'ouest à l'est jusqu'à 360
degrés. De manière que 290° d'alors, répondent à 90° ouest de Paris; ce
qui donne à peu près la longitude des côtes occidentales de la baie
d'Hudson.]

[Note 328: Hudson, dans ce voyage, n'avait qu'un seul vaisseau.]

[Note 329: Nicolas Brûlart de Sillery.]

         Or comme je prenois congé de tous les Chefs, le jour de la
         Pentecoste[330], aux prières desquels je me recommandois, & de
         tous en général, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il
         avoit cy devant dict: n'estoit vray, qu'il ne me donnast la
         peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire il falloit
         courir plusieurs dangers. Il asseura encore derechef tout ce
         qu'il avoit dict au péril de sa vie.

[Note 330: Le jour de la Pentecôte tombait, cette année, le 26 de mai.]

         Ainsi nos Canots chargés de quelques vivres, de nos armes &
         marchandises pour faire presens aux Sauvages, je partis le
         lundy 27 May de l'isle saincte Helaine avec 4 François & un
         Sauvage, & me fut donné un adieu avec quelques coups de petites
         pièces, & ne fusmes ce jour qu'au Saut S. Louys, qui n'est
         qu'une lieue au dessus, à cause du mauvais temps qui ne nous
         permit de passer plus outre.

         Le 29, nous le passasmes, partie par terre, partie par eau, où
         il nous fallut porter nos Canots, hardes, vivres & armes sur
         nos espaules, qui n'est pas petite peine à ceux qui n'y sont
         accoustumés: & après l'avoir esloigné deux lieues, nous
         entrasmes dans un lac[331] qui a de circuit environ 12 lieues,
295/443  où se deschargent trois rivieres, l'une venant de l'ouest[332],
         du costé des Ochataiguins esloignés du grand Saut de 150 ou 200
         lieues; l'autre[333] du Sud pays des Yroquois, de pareille
         distance[334]; & l'autre [335] vers le Nord, qui vient des
         Algoumequins, & Nebicerini[336], aussi à peu prés de semblable
         distance. Cette riviere du Nord, suivant le rapport des
         Sauvages, vient de plus loing[337], & passe par des peuples qui
         leur sont incogneus, distans environ de 300 lieues d'eux.

[Note 331: Le lac Saint-Louis. Ici, Lescarbot fait encore à Champlain un
reproche de contradiction qui est assez mal fondé. «En trois endroicts
il (Champlain) dit que le lac au dessus du saut de la grande rivière de
Canada est à huit lieues de là, & par après il dit qu'il n'y a que deux
lieues, & ne le fait que de douze lieues de circuit, comme ainsi soit
que sur sa charte il le face de quinze journées de long.» (Hist. de la
Nouv. France, p. 647.) D'abord, Champlain ne dit nulle part que le lac
Saint-Louis soit à huit lieues du Saut. Au chapitre III de son Troisième
Voyage (voir ci-dessus, p. 256), il dit avoir été «dans le bois,
quelques huit lieues sur le bord d'un lac (probablement le lac des
Deux-Montagnes, et non le lac Saint-Louis) où il avait été auparavant»:
et ici, il dit où donne à entendre que le lac (Saint-Louis) n'est qu'à
deux lieues du saut; ce qui n'est pas très-inexacte. En second lieu, à
quiconque sait un peu la géographie du pays, il suffit de jeter un coup
d'oeil sur la grande carte de 1613 pour voir que le lac auquel Champlain
marque 15 journées n'est rien autre chose que le lac Ontario, décrit
évidemment sur le récit des sauvages, mais très-reconnaissable du reste,
et que par conséquent il n'y a pas l'ombre de contradiction.]

[Note 332: C'est le Saint-Laurent même, qui vient plutôt du sud-ouest;
mais, en entrant dans le lac Saint-Louis, il paraît effectivement avoir
cette direction.]

[Note 333: L'auteur semble désigner ici la rivière de Châteauguay.]

[Note 334: Le pays des Iroquois n'était qu'à environ la moitié de cette
distance.]

[Note 335: Cette rivière s'appelait dès lors rivière des Algoumequins,
et l'on en voit ici la raison. Plus tard, et pour une raison analogue,
on lui donna le nom de Rivière des Outaouais. Cette rivière ne vient pas
du Nord; mais elle se décharge dans le lac Saint-Louis, du côté du
nord.]

[Note 336: Ou Nipissirini. C'est le nom algonquin de la nation des
Sorciers, qui demeurait au lac Nipissing. Les Hurons leur donnaient un
nom équivalent dans leur langue, _Askiquanéronon_, c'est-à-dire, les
Sorciers. «Les François appellent ordinairement les Ebicerinys le peuple
sorcier, non qu'ils le soient tous, mais pourceque c'est une nation qui
faict particulière profession de consulter le diable en leur necessité.»
(Sagard, Hist. du Canada, p. 193.)]

[Note 337: L'Outaouais, comme on sait, prend sa source une cinquantaine
de lieues plus au nord que le lac Nipissing.]

         Ce lac est rempli de belles & grandes isles, qui ne sont que
         prairies, où il y a plaisir de chasser, la venaison & le gibier
         y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le païs qui
         l'environne est rempli de grandes forests. Nous fusmes coucher
296/444  à l'entrée dudict lac, & fismes des barricades, à cause des
         Yroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs
         ennemis, & m'asseure que s'il nous tenoient, ils nous feroient
         aussi bonne chère qu'à eux, & pource toute la nuict fismes bon
         quart. Le lendemain je prins la hauteur de ce lieu, qui est par
         les 45 degrez 18 minutes de latitude[338]. Sur les trois heures
         du soir nous entrasmes dans la riviere qui vient du Nord, &
         passasmes un petit Saut[339] par terre pour soulager nos
         canots, & fusmes à une isle le reste de la nuict en attendant
         le jour.

[Note 338: Cette hauteur est un peu faible; l'entrée du lac est vers les
45° 25'.]

[Note 339: Ce saut paraît être celui qui sépare l'île Perrot et l'île de
Montréal. Il est appelé, dans quelques cartes, rapide de Brussi.]

         Le dernier May nous passasmes par un autre lac [340] qui a 7 ou
         8 lieues de long, & trois de large, où il y a quelques isles:
         Le païs d'alentour est fort uni, horsmis en quelques endroits,
         où il y a des costaux couverts de pins. Nous passasmes un Saut
         qui est appelé de ceux du païs Quenechouan[341] qui est rempli
         de pierres & rochers, où l'eau y court de grand vistesse: il
         nous falut mettre en l'eau & traisner nos Canots bort à bort de
         terre avec une corde: à demi lieue de là nous en passasmes un
         autre petit à force d'avirons, ce qui ne se faict sans suer, &
297/445  y a une grande dextérité à passer ces Sauts pour eviter les
         bouillons & brisants qui les traversent, ce que les Sauvages
         sont d'une telle adresse, qu'il est impossible de plus,
         cherchans les destours & lieux plus aysés qu'ils cognoissent à
         l'oeil.

[Note 340: Le lac des Deux-Montagnes, que l'auteur appelle lac de
Soissons, dans sa carte de 1632.]

[Note 341: «Plusieurs des noms employés par les sauvages» dit M.
Ferland, «se conservent encore. Ainsi, Quenechouan, nom d'un rapide à
l'entrée de l'Outaouais, se retrouve dans celui de Quinchien, donné à un
gros ruisseau et à une pointe de terre qui sont dans le voisinage... Le
nom de Quinchien fournit l'occasion de remarquer qu'en général il faut
se défier des étymologies que l'imagination va chercher bien loin, quand
elles se trouvent dans les langues des aborigènes. On a dit, pour
expliquer l'origine du nom de Quinchien, que les quinze premiers
habitants de ce lieu, normands renforcés, étaient sans cesse en procès,
et que de là on avait nommé leur village Quinzechiens. Comme on le voit,
tout cet échafaudage tombe devant le mot sauvage de Quenechouan.» (Cours
d'Hist. du Canada, I, p. 163, note 2.) Ce saut et les trois ou quatre
suivants dont parle ici l'auteur, forment ce que l'on a appelé, depuis,
le Long-Saut.]

         Le samedy 1er de Juin nous passasmes encor deux autres Sauts:
         le premier contenant demie lieue de long, & le second une
         lieue, où nous eusmes bien de la peine; car la rapidité du
         courant est si grande, qu'elle faict un bruict effroyable, &
         descendant de degré en degré, faict une escume si blanche par
         tout, que l'eau ne paroist aucunement: ce Saut est parsemé de
         rochers & quelques isles qui sont ça & là, couvertes de pins &
         cèdres blancs: Ce fut là, où nous eusmes de la peine: car ne
         pouvans porter nos Canots par terre à cause de l'espaisseur du
         bois, il nous les failloit tirer dans l'eau avec des cordes, &
         en tirant le mien, je me pensay perdre, à cause qu'il traversa
         dans un des bouillons; & si je ne fusse tombé favorablement
         entre deux rochers, le Canot m'entraisnoit; d'autant que je ne
         peus deffaire assez à temps la corde qui estoit entortillée à
         l'entour de ma main, qui me l'offença fort, & me la pensa
         coupper. En ce danger je m'escriay à Dieu, & commençay à tirer
         mon Canot, qui me fut renvoyé par le remouil de l'eau qui se
         faict en ces Sauts, & lors estant eschappé je louay Dieu, le
         priant nous preserver. Nostre Sauvage vint après pour me
         secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner
         si j'estois curieux de conserver nostre Canot: car s'il eut
         esté perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que
298/446  quelques Sauvages passassent par là, qui est une pauvre attente
         à ceux qui n'ont de quoy disner, & qui ne sont accoustumés à
         telle fatigue. Pour nos François ils n'en eurent pas meilleur
         marché, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la
         Divine bonté nous preserva tous. Le reste de la journée nous
         nous reposasmes, ayans assés travaillé.

         Nous rencontrasmes le lendemain 15 Canots de Sauvages appellés
         Quenongebin [342], dans une riviere, ayant passé un petit lac
         [343] long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient esté
         advertis de ma venue par ceux qui avoient passé au Saut S.
         Louys venans de la guerre des Yroquois: je fus fort aise de
         leur rencontre, & eux aussi, qui s'estonnoient de me voir avec
         si peu de gens en ce païs, & avec un seul Sauvage. Ainsi après
         nous estre salués à la mode du païs, je les priay de ne passer
         outre pour leur déclarer ma volonté, ce qu'ils firent, & fusmes
         cabaner dans une isle.

[Note 342: Ou Kinounchepirini, nation algonquine, dont le pays était
situé «au sud de l'Isle» (Relat. 1640, ch. x), c'est-à-dire, au sud de
l'île des Allumettes.]

[Note 343: Au-dessus du Long-Saut, le cours de l'Outaouais est
tranquille, et parfois la rivière s'élargit et forme comme une suite de
lacs qui ont jusqu'à une lieue, une lieue et demie de largeur. Celui
dont parle ici Champlain paraît répondre à ce bassin qui est au-dessus
de la pointe à l'Orignal, et qui a près de deux lieues de large
vis-à-vis la baie des Atocas.]

         Le lendemain je leur fis entendre que j'estois allé en leurs
         pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je
         leur avois par cy devant faicte; & que s'ils estoient resolus
         d'aller à la guerre, cela m'agreroit fort, d'autant que j'avois
         amené des gens à ceste intention, dequoy ils furent fort
         satisfaits: & leur ayant dict que je voulois passer outre pour
         advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner,
299/447  disans, qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions
         rien veu jusques alors; & pource je les priay de me donner un
         de leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme Canot, & aussi
         pour nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus
         rien: ils le firent volontiers, & en recompense je leur fis un
         present, & leur baillay un de nos François, le moins
         necessaire, lequel je renvoyois au Saut avec une feuille de
         tablette, dans laquelle, à faute de papier, je faisois sçavoir
         de mes nouvelles.

         Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre route à mont
         ladicte riviere, en trouvasmes une autre fort belle &
         spatieuse, qui vient d'une nation appelée Ouescharini[344],
         lesquels se tiennent au Nord d'icelle, & à 4 journées de
         l'entrée. Ceste riviere est fort plaisante, à cause des belles
         isles qu'elle contient, & des terres garnies de beaux bois
         clairs qui la bordent, la terre est bonne pour le labourage.

         Le quatriesme nous passasmes proche d'une autre riviere[345]
         qui vient du Nord, où se tiennent des peuples appelles
         Algoumequins, laquelle va tomber dans le grand fleuve sainct
         Laurens 3 lieues aval le Saut S. Louys[346], qui faict une
300/448  grande isle contenant prés de 40 lieues, laquelle[347] n'est
         pas large, mais remplie d'un nombre infini de Sauts, qui sont
         fort difficiles à passer: Et quelquesfois ces peuples passent
         par ceste riviere pour éviter les rencontres de leurs ennemis,
         sçachans qu'ils ne les recherchent en lieux de si difficile
         accès.

[Note 344: Ou Ouaouiechkaïrini. C'est le nom algonquin de ceux qu'on a
appelés, quelques années plus tard, la Petite Nation des Algonquins
(Relations des Jésuites); ce qui explique pourquoi la rivière s'appelle,
encore aujourd'hui, rivière de la Petite-Nation.]

[Note 345: Ce que l'auteur dit un peu plus loin, prouve évidemment qu'il
parle ici de la Gatineau.]

[Note 346: La petite et la grande cartes que l'auteur publia à cette
époque-là même, prouvent qu'il avait assez bien compris le rapport que
les sauvages lui faisaient de cette rivière. Mais alors comment faut-il
entendre ce passage? Suivant nous, voici ce qu'a voulu dire Champlain:
«laquelle (la Gatineau) _va joindre dans les terres une autre riviere_
(le Saint-Maurice), _qui_ va tomber 30 lieues (et non pas 3) aval le
faut S. Louys.» Et il est tout à fait probable que le typographe aura
passé les mots que nous mettons en italiques, ou quelque chose
d'équivalent. La phrase ainsi rétablie, tout devient clair ou du moins
explicable. D'abord, la Gatineau et le Saint-Maurice entourent, avec le
Saint-Laurent une étendue de terre qui forme comme une grande île de
quarante lieues ou un peu plus. En second lieu, les sauvages, en suivant
cette route, evitaient réellement «les rencontres de leurs ennemis»:
tandis que, en reprenant le fleuve trois lieues au-dessous du saut, ils
avaient encore à passer les endroits les plus dangereux, l'entrée de la
rivière des Iroquois et le lac Saint-Pierre.]

[Note 347: Laquelle rivière, c'est-à-dire, la Gatineau.]

         A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre [348] qui vient du
         Sud, où à son entrée il y a une cheute d'eau admirable: car
         elle tombe d'une telle impetuosité de 20. ou 25 brasses[349]
         de haut, qu'elle faict une arcade, ayant de largeur prés de 400
         pas. Les sauvages passent dessoubs par plaisir sans se mouiller
         que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle au milieu
         de la dicte riviere, qui est comme tout le terroir d'alentour,
         remplie de pins & cèdres blancs: Quand les Sauvages veulent
         entrer dans la riviere, ils montent la montagne en portant
         leurs Canots, & font demye lieue par terre. Les terres des
         environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui faict que
         les Sauvages s'y arrestent plus tost, les Yroquois y viennent
         aussi quelquesfois les surprendre au passage.

[Note 348: La rivière Rideau.]

[Note 349: Il s'en faut de beaucoup que cette chute soit aussi haute.
Peut-être l'auteur a-t-il voulu dire 20 ou 25 pieds; ce qui serait plus
proche de la réalité, puisqu'elle a 34 pieds anglais, ou un peu plus de
30 pieds français. (Smith's Canadian Gazetteer.)]

         Nous passasmes un Saut à une lieue de là, qui est large de
         demie lieue, & descend de 6 à 7 brasses de haut. Il y a
301/449  quantité de petites isles qui ne sont que rochers aspres &
         difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe à un
         endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé
         par succession de temps un large & profond bassin: si bien que
         l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant
         de gros bouillons, a faict que les Sauvages l'appellent
         Asticou, qui veut dire chaudière. Ceste cheute d'eau meine un
         tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux
         lieues. Les Sauvages passants par là, font une cérémonie que
         nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine à monter
         contre un grand courant, à force de rames, pour parvenir au
         pied dudict Saut, où les Sauvages prirent les Canots, & nos
         François & moy, nos armes, vivres & autres commodités pour
         passer par l'aspreté des rochers environ un quart de lieue que
         contient le Saut, & aussi tost nous fallut embarquer, puis
         derechef mettre pied à terre pour passer par des taillis
         environ 300 pas, après se mettre en l'eau pour faire passer nos
         Canots par dessus les rochers aigus, avec autant de peine que
         l'on sçauroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu & trouvay
         45 degrés 38 minutes, de latitude [350].

[Note 350: Le saut de la Chaudière est à environ 45° 12'.]

         Après midy nous entrasmes dans un lac ayant 5 lieues de long, &
         2 de large, où il y a de fort belles isles remplies de vignes,
         noyers & autres arbres aggreables, 10 ou 12 lieues de là amont
         la riviere nous passasmes par quelques isles remplies de Pins;
         La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui teint en
         couleur cramoysie, de laquelle les Sauvages se peindent le
302/450  visage, & de petits affiquets à leur usage. Il y a aussi une
         coste de montagnes du long de cette riviere, & le païs des
         environs semble ânes fascheux. Le reste du jour nous le
         passasmes dans une isle fort aggreable.

         Le lendemain [351] nous continuasmes nostre chemin jusques à un
         grand Saut[352], qui contient prés de 3 lieues de large, où
         l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, &
         faict un merveilleux bruit. Il est rempli d'une infinité
         d'isles, couvertes de Pins & de Cèdres: & pour le passer il
         nous fallut resoudre de quitter nostre Maïs ou bled d'Inde, &
         peu d'autres vivres que nous avions, avec les hardes moins
         necessaires, reservans seulement nos armes & filets, pour nous
         donner à vivre selon les lieux & l'heur de la chasse. Ainsi
         allégés nous passasmes tant à l'aviron, que par terre, en
         portant nos Canots & armes par ledict Saut, qui a une lieue &
         demie de long, où nos Sauvages qui sont infatigables à ce
         travail, & accoustumés à endurer telles necessités, nous
         soulagerent beaucoup.

[Note 351: Le 5 de juin.]

[Note 352: Ce saut et les deux autres qui sont mentionnés plus loin,
forment ce qu'on appelle le rapide des Chats.]

         Poursuivans nostre route nous passasmes deux autres Sauts, l'un
         par terre, l'autre à la rame & avec des perches en déboutant,
         puis entrasmes dans un lac [353] ayant 6 ou 7 lieues de long,
         où se descharge une riviere[354] venant du Sud, où à cinq
         journées de l'autre riviere [355] il y a des peuples qui y
         habitent appelés Matou-ouescarini. Les terres d'environ ledit
303/451  lac sont sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont esté
         presque tous bruslés par les sauvages. Il y a quelques isles,
         dans l'une desquelles nous reposames, & vismes plusieurs beaux
         cyprès rouges, les premiers que j'eusse veus en ce païs,
         desquels je fis une croix, que je plantay à un bout de l'isle,
         en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme
         j'ay faict aux autres lieux où nous avions posé. Je nommay
         ceste isle, l'isle saincte Croix.

[Note 353: Le lac des Chats.]

[Note 354: La rivière de Madaouaska, ou des Madaouaskairini.]

[Note 355: C'est-à-dire, le Saint-Laurent.]

         Le 6, nous partismes de ceste isle saincte croix, où la riviere
         est large d'une lieue & demie, & ayant faict 8 ou 10 lieues,
         nous passasmes un petit Saut à la rame, & quantité d'isles de
         différentes grandeurs. Icy nos sauvages laisserent leurs sacs
         avec leurs vivres, & les choses moins necessaires afin d'estre
         plus légers pour aller par terre, & eviter plusieurs Sauts
         qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre
         nos sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit
         aucun danger par les Sauts, & qu'il y falloit passer: Nos
         sauvages luy disoient tu es lassé de vivre; & à moy, que je ne
         le devois croire, & qu'il ne disoit pas vérité. Ainsi ayant
         remarqué plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance
         desdits lieux, je suivis l'advis des sauvages, dont bien il
         m'en prit, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou
         pour me dégoûter de l'entreprise, comme il a confessé depuis
         (dequoy fera parlé cy après.) Nous traversames donc à l'ouest
         la riviere qui couroit au Nord, & pris la hauteur de ce lieu
         qui estoit par 46 2/3[356] de latitude. Nous eusmes beaucoup de
304/452  peine à faire ce chemin par terre, estant chargé seulement pour
         ma part de trois arquebuses, autant d'avirons, de mon capot, &
         quelques petites bagatelles; j'encourageois nos gens qui
         estoient quelque peu plus chargés, & plus grevés des mousquites
         que de leur charges. Ainsi après avoir passé 4 petits estangs,
         & cheminé deux lieues & demie, nous estions tant fatigués qu'il
         nous estoit impossible de passer outre, à cause qu'il y avoit
         prés de 24 heures que n'avions mangé qu'un peu de poisson
         rosti, sans autre sauce, car nous avions laissé nos vivres,
         comme j'ay dit cy dessus. Ainsi nous posasmes sur le bort d'un
         estang, qui estoit assez aggreable, & fismes du feu pour
         chasser les Mousquites qui nous molestoient fort, l'importunité
         desquelles est si estrange qu'il est impossible d'en pouvoir
         faire la description. Nous tendismes nos filets pour prendre
         quelques poissons.

[Note 356: L'on ne pouvait pas être à une si grande hauteur, puisque
l'on venait de passer les Chenaux, et que l'on n'était tout au plus
qu'au portage du Fort, dont la latitude est d'environ 45° 36'.]

         Le lendemain nous passasmes cet estang qui pouvoit contenir une
         lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3 lieues par des
         païs difficiles plus que n'avions encor veu, à cause que les
         vents avoient abatu des pins, les uns sur les autres, qui n'est
         pas petite incommodité, car il faut passer tantost dessus &
         tantost dessous ces arbres, ainsi nous parvinsmes à un
         lac[357], ayant 6 lieues de long, & 2 de large, fort abondant
         en poisson, aussi les peuples des environs y font leur
         pescherie. Prés de ce lac y a une habitation de Sauvages qui
         cultivent la terre, & recueillent du Maïs: le chef se nomme
305/453  Nibachis, lequel nous vint voir avec sa troupe, esmerveillé
         comment nous avions peu passer les Sauts & mauvais chemins
         qu'il y avoit pour parvenir à eux. Et après nous avoir presenté
         du petun selon leur mode, il commença à haranguer ses
         compagnons, leur disant, Qu'il falloit que fussions tombés des
         nues, ne sachant comment nous avions peu passer, & qu'eux
         demeurans au païs avoient beaucoup de peine à traverser ces
         mauvais passages, leur faisant entendre que je venois à bout de
         tout ce que mon esprit vouloit: bref qu'il croyoit de moy ce
         que les autres sauvages luy en avoient dict. Et scachans que
         nous avions faim, ils nous donnèrent du poisson, que nous
         mangeasmes, & après disné je leur fis entendre par Thomas mon
         truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrés, que
         j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que
         je desirois aller plus avant voir quelques autres capitaines
         pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent
         assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, où il
         y avoit du Maïs. Leur terroir est sablonneux, & pource
         s'adonnent plus à la chasse qu'au labour, au contraire des
         Ochataiguins. Quand ils veulent rendre un terroir labourable,
         ils bruslent les arbres, & ce fort aysément, car ce ne sont que
         pins chargés de resine. Le bois bruslé ils remuent un peu la
         terre, & plantent leur Maïs grain à grain, comme ceux de la
         Floride: il n'avoit pour lors que 4 doigts de haut.

[Note 357: Le lac du Rat-Musqué; mais les dimensions que l'auteur donne
à ce lac sont un peu trop fortes.]

306/454

         _Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me
         feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4
         Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les refusent.
         Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me
         remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés.
         Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où
         il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse
         de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur
         convaincu de mensonge, & sa confession._

                               CHAPITRE IV.

         Nibachis feit equipper deux Canots pour me mener voir un autre
         Capitaine nommé Tessouat, qui demeuroit à 8 lieues de luy, sur
         le bort d'un grand lac, par où passe la riviere que nous avions
         laissée qui refuit au Nord; ainsi nous traversasmes le lac à
         l'Ouest Nord-ouest, prés de 7 lieuës[358], où ayans mis pied à
         terre fismes une lieue au Nort-est parmy d'assés beaux païs, où
         il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer
         aysément, & arrivasmes sur le bort de ce lac [359], où estoit
         l'habitation de Tessouat[360], qui estoit avec un autre chef
         sien voisin, tout estonné de me voir, & nous dit qu'il pensoit
         que je fusse un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit.
307/455  De là nous passasmes en une isle[361], où leurs Cabanes sont
         assez mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de
         chesnes, pins & ormeaux, & n'est subjette aux innondations des
         eaux, comme sont les autres isles du lac.

[Note 358: Pour faire sept lieues au nord-ouest, il fallait
non-seulement traverser le lac du Rat-Musqué, mais descendre une partie
de la décharge, ou rivière du Rat-Musqué.]

[Note 359: Le lac des Allumettes.]

[Note 360: Probablement le même qu'il avait vu à Tadoussac en 1603.
(Voir 1603, p. 12.)]

[Note 361: L'île des Allumettes. Cette île occupe une place importante
dans l'histoire des nations sauvages du Canada; si bien que, dans les
Relations, on l'appelle simplement l'Ile, et l'on disait les Sauvages de
l'Ile, pour désigner la nation qui y demeurait, et dont le nom algonquin
était _Kichesipirini_, hommes de la Grande-Rivière. «Les sauvages qui
l'habitent,» dit le P. Le Jeune (Relat. 1636), «sont extrêmement
superbes... Ces insulaires voudroient bien que les Hurons ne vinssent
point aux François, & que les François n'allassent point aux Hurons,
afin d'emporter eux seuls tout le trafic... C'est chose estrange que
quoy que les Hurons soient dix contre un seul insulaire, si est-ce
qu'ils ne passeront pas si un seul insulaire s'y oppose.» «Ce peuple,»
dit Sagard (Hist. du Canada, p. 810), «est malicieux jusques là, que de
ne laisser passer par leurs terres au temps de la traite, un ou deux
canots seulement, mais veulent qu'ils s'attendent l'un l'autre, &
passent tous à la fois, pour avoir leurs bleds & farines à meilleur
prix, qui leur contraignent de traiter pour des pelleteries.»]

         Ceste isle est forte de situation: car aux deux bouts d'icelle,
         & à l'endroit où la riviere se jette dans le lac, il y a des
         Sauts fascheux, & l'aspreté d'iceux la rendent forte; & s'y
         sont logés pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle est
         par les 47. [362] degrés de latitude, comme est le lac, qui a
         20 lieues de long[363], & 3 ou 4 de large, abondant en poisson,
         mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne.

[Note 362: Si l'on part de la supposition que cette latitude est exacte,
sans se donner la peine de concilier ce chiffre avec tous les autres
détails du récit de Champlain, on pourra, comme ont fait quelques-uns de
nos historiens, conclure que l'auteur est rendu au lac Témiscaming.
Mais, si l'on a suivi nos voyageurs pas à pas et la carte à la main, il
est impossible de ne pas reconnaître ici le lac et l'île des Allumettes,
qui cependant n'atteignent pas même le quarante-sixième parallèle. La
carte même de l'auteur en fournit une double preuve. D'abord l'île des
Allumettes y est figurée de la manière la plus claire, et la table des
renvois lui assigne le nom d'Ile de Tessouat. En second lieu, Champlain,
dans cette carte, met l'île des Allumettes au quarante-septième degré,
suivant la hauteur qu'il trouve ici. «Pareille erreur,» remarque à cette
occasion M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, p. 164), «n'a rien qui
doive surprendre, dans une expédition où il lui devait être difficile de
faire des observations exactes.»]

[Note 363: Telle est la longueur que l'auteur donne au lac des
Allumettes, dans la carte de 1632; cependant le lac des Allumettes
proprement dit n'a qu'une dizaine de lieues de long, et c'est aussi la
longueur qu'il lui donne dans le texte de l'édition de 1632.]

         Ainsi comme je visitois l'isle j'apperceus leurs cimetières, où
         je fus ravi en admiration, voyant des sepulchres de forme
308/456  semblable aux chasses, fais de pièces de bois, croisées par en
         haut & fichées en terre, à la distance de 3 pieds ou environ:
         sur les croisées en haut ils y mettent une grosse pièce de
         bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est
         gravé grossierement (comme il est bien croyable) la figure de
         celuy ou celle qui y est enterré. Si c'est un homme ils y
         mettent une rondache, une espée amanchée à leur mode, une
         masse, un arc & des flesches; S'il est Capitaine, il aura un
         panache sur la teste, & quelque autre matachia ou enjoliveure;
         si un enfant, ils luy baillent un arc & une flesche, si une
         femme, ou fille, une chaudière, un pot de terre, une cueillier
         de bois & un aviron; Tout le tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds
         pour le plus grand, & de largeur 4 les autres moings. Ils sont
         peints de jaune & rouge, avec plusieurs ouvrages aussi délicats
         que la sculpture. Le mort est enseveli dans sa robe de castor
         ou d'autres peaux, desquelles il se servoit en sa vie, & luy
         mettent toutes ses richesses auprès de luy, comme haches,
         couteaux, chaudières & aleines, affin que ces choses luy
         servent au pays où il va: car ils croyent l'immortalité de
         l'âme, comme j'ay dict autre part[364]. Ces sepulchres gravé ne
         se font qu'aux guerriers, car aux autres ils n'y mettent non
         plus qu'ils font aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en
         retrouve il peu entr'eux.

[Note 364: Ci-dessus, page 165, et aussi Voyage de 1603, pages 19, 20.]

         Aprés avoir consideré la pauvreté de ceste terre, je leur
         demanday comment ils s'amusoient à cultiver un si mauvais païs,
         veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoyent
309/457  desert & abandonné, comme le Saut S. Louys. Ils me respondirent
         qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en seureté, & que
         l'aspreté des lieux leur servoit de boulevart contre leurs
         ennemis: Mais que si je voulois faire une habitation de
         François au Saut S. Louys, comme j'avois promis, qu'ils
         quitteroyent leur demeure pour se venir loger prés de nous,
         estans asseuré que leurs ennemis ne leur feroyent point de mal
         pendant que nous serions avec eux. Je leur dis que ceste année
         nous ferions les préparatifs de bois & pierres pour l'année
         suivante faire un fort, & labourer ceste terre: Ce qu'ayant
         entendu ils firent un grand cry en signe d'applaudissement. Ces
         propos finis, je priay tous les Chefs & principaux d'entr'eux,
         de se trouver le lendemain en la grand terre, en la cabane de
         Tessouat, lequel me vouloit faire Tabagie, & que là je leur
         dirois mes intentions, ce qu'ils me promirent; & deslors
         envoyerent convier leurs voisins pour s'y trouver.

         Le lendemain tous les conviés vindrent avec chacun son escuelle
         de bois, & sa cueillier[365], lesquels sans ordre, ny cérémonie
         s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat, qui leur
         distribuast une manière de bouillie, faite de Maïs, escrasé
         entre deux pierres, avec de la chair & du poisson, coupés par
         petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils avoyent
         aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson bouilli
         à part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard, d'autant que
         je ne voulois point de leur bouillie, à cause qu'ils cuisinent
310/458  fort salement, je leur demanday du poisson & de la chair, pour
         l'accommoder à ma mode; ils m'en donnèrent. Pour le boire nous
         avions de belle eau claire. Tessouat qui faisoit la Tabagie
         nous entretenoit sans manger suivant leur coustume.

[Note 365: La cuiller de bois s'appelle, en algonquin, _micouanne_, mot
qui a été adopté par les Canadiens.]

         La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux
         harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent à la porte
         des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient
         demeurés commença à garnir son petunoir, & m'en presenterent
         les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure à
         cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume.

         Après avoir parmi un si long silence amplement petuné, je leur
         fis entendre par mon Truchement que le subject de mon voyage
         n'estoit autre que pour les asseurer de mon affection, & du
         desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme
         j'avois auparavant faict Que ce qui m'avoit empesché l'année
         dernière de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que
         le Roy m'avoit occuppé en d'autres guerres, mais que maintenant
         il m'avoit commandé de les visiter, & les asseurer de ces
         choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au Saut
         S. Louys, & que je m'estois venu promener en leur païs pour
         recognoistre la fertilité de la terre, les lacs, rivieres, &
         mer qu'ils m'avoyent dict estre en leur pays: & que je desirois
         voir une nation distant de 6 journées d'eux, nommée Nebicerini,
         pour les convier aussi à la guerre; & pource je les priay de me
         donner 4 Canots, avec huict sauvages pour me conduire esdictes
311/459  terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas grands
         amis des Nebicerini[366], ils sembloyent m'escouter avec plus
         grande attention.

[Note 366: Ces Nipissirini étaient eux-mêmes algonquins; mais, en leur
qualité de sorciers, ils étaient ou redoutés ou mal vus des autres
nations même algonquines, suivant la remarque de Tessouat, qui les
accuse, un peu plus loin, «d'avoir fait mourir beaucoup de leurs gens
par sort et empoisonnements.»]

         Mon discours achevé, ils commencèrent derechef à petuner, & à
         deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis
         Tessouat pour tous prit la parole & dict, Qu'ils m'avoient
         tousjours recognu plus affectionné en leur endroit, qu'aucun
         autre François qu'ils eussent veu, que les preuves qu'ils en
         avoient eues le passé, leur facilitoyent la créance pour
         l'advenir; de plus, que je monstrois estre bien leur amy, en ce
         que j'avois passé tant de hazards pour les venir voir, & pour
         les convier à la guerre, & que toutes ces choses les
         obligeoyent à me vouloir du bien, comme à leurs enfans propres;
         Que toutesfois l'année dernière je leur avois manqué de
         promesse, & que 2000 sauvages estoient venus au Saut en
         intention de me trouver, pour aller à la guerre, & me faire des
         presens, & ne m'ayant trouvé, furent fort attristez, croyant
         que je fusse mort, comme quelques uns leur avoyent dict: aussi
         que les François qui estoient au Saut ne les voulurent assister
         à leurs guerres, & qu'ils furent mal traictés par aucuns, de
         sorte qu'ils avoyent resolu entr'eux de ne plus venir au Saut,
         & que cela les avoit occasionnés (n'esperans plus me voir)
         d'aller à la guerre seuls, & de fait que 1200 des leurs y
         estoyent allés. Et d'autant que la pluspart des guerriers
         estoyent absens, ils me prioient de remettre la partie à
312/460  l'année suivante, & qu'ils feroient sçavoir cela à tous ceux de
         la contrée. Pour ce qui estoit des 4 Canots que je demandois,
         ils me les accordèrent, mais avec grandes difficultés, me
         disans qu'il leur desplaisoit fort de telle entreprise, pour
         les peines que j'y endurerois; que ces peuples estoient
         sorciers, & qu'ils avoient faict mourir beaucoup de leurs gens
         par sort & empoisonnemens, & que pour cela ils n'estoient amis:
         au surplus que pour la guerre je n'avois affaire d'eux,
         d'autant qu'ils estoyent de petit coeur, me voulans destourner
         avec plusieurs autres propos sur ce subject.

         Moy d'autrepart qui n'avois autre desir que de voir ces
         peuples, & faire amitié avec eux, pour voir la mer du Nord,
         facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas
         loing jusques en leurs païs; que pour les mauvais passages, ils
         ne pouvoyent estre plus fascheux que ceux que j'avois passé par
         cy devant; & pour le regard de leurs sortileges qu'ils
         n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu
         m'en preserveroit; que je cognoissois aussi leurs herbes, & par
         ainsi je me garderois d'en manger; que je les voulois rendre
         ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect,
         m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces
         raisons ils m'accordèrent, comme j'ay dict, ces 4 Canots,
         dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines passées,
         sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desirée.

         Pour passer le reste du jour, je me fus promener par leurs
         jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles,
         phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent à cultiver, où
313/461  Thomas mon truchement, qui entend fort bien la langue, me vint
         trouver, pour m'advertir que ces sauvages, après que je les eus
         quittés, avoient songé que si t'entreprends ce voyage, que je
         mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces
         Canots promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entreux qui me
         voulut conduire; mais que je remisse ce voyage à l'année
         prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon equippage, pour se
         deffendre d'iceux, s'il leur vouloient mal faire, pource qu'ils
         sont mauvais.

         Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les
         trouver, & leur dis, que je les avois jusques à ce jour estimés
         hommes, & véritables, & que maintenant ils se monstroyent
         enfans, & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs
         promesses, ils ne me feroient paroistre leur amitié; toutesfois
         que s'ils se sentoient incommodés de 4 Canots, qu'ils ne m'en
         baillassent que 2 & 4 sauvages seulement.

         Ils me representerent derechef la difficulté des partages, le
         nombre des Sauts, la meschanceté de ces peuples, & que c'estoit
         pour crainte qu'ils avoyent de me perdre qu'ils me faisoient ce
         refus.

         Je leur fis response, que j'estois fasché de ce qu'ils se
         monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais creu;
         que j'avois un garçon, (leur monstrant mon imposteur) qui avoit
         esté dans leur pays, & n'avoit recognu toutes les difficultés
         qu'ils faisoient, ny trouvé ces peuples si mauvais qu'ils
         disoient. Alors ils commencèrent à le regarder, & specialement
         Tessoüat vieux Capitaine, avec lequel il avoit hyverné, &
         l'appelant par son nom, luy dict en son langage, Nicolas est il
314/462  vray que tu as dit avoir esté aux Nebicerini? Il fut long temps
         sans parler, puis il leur dict en leur langue, qu'il parle
         aucunement, Ouy j'y ay esté. Aussi tost ils le regardèrent de
         travers, & se jettans sur luy, comme s'ils l'eussent voulu
         manger ou deschirer, firent de grands cris, & Tessoüat luy
         dict, tu es un asseuré menteur, tu sçais bien que tous les
         soirs tu couchois à mes costés avec mes enfans, & tous les
         matins tu t'y levois, si tu as esté vers ces peuples, ça esté
         en dormant, comment as tu esté si impudent d'avoir donné à
         entendre à ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir
         hazarder sa vie parmi tant de dangers? tu es un homme perdu, il
         te devroit faire mourir plus cruellement que nous ne faisons
         nos ennemis: je ne m'estonnois pas[367] s'il nous importunoit
         tant sur l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis
         qu'il eust à respondre à ces peuples, & puis qu'il avoit esté
         en ces terres qu'il en donnast des enseignemens pour me le
         faire croire, & me tirer de la peine où il m'avoit mis, mais il
         demeura muet & tout esperdu.

[Note 367: Il faudrait: _je ne m'estonne pas_.]

         A l'heure je le tiray à l'escart des sauvages, & le conjuray de
         me déclarer la vérité du faict: que s'il avoit veu ceste mer,
         que je luy ferois donner la recompense que je luy avois
         promise, & s'il ne l'avoit veue, qu'il eut à me le dire sans me
         donner d'avantage de peine: Derechef avec juremens il afferma
         tout ce qu'il avoit par cy devant dict, & qu'il me le feroit
         voir, si ces sauvages vouloient bailler des Canots.

         Sur ces discours Thomas me vint advertir que les sauvages de
         l'isle envoyoient secrettement un Canot aux Nebicerini, pour
         les advertir de mon arrivée.

315/463  Et lors pour me servir de l'occasion, je fus trouver lesdits
         sauvages, pour leur dire que j'avois songé ceste nuict qu'ils
         vouloyent envoyer un Canot aux Nebicerini sans m'en advertir,
         dequoy j'estois estonné, veu qu'ils sçavoyent que j'avois
         volonté d'y aller: à quoy ils me firent response, disans, que
         je les offençois fort, en ce que je me fiois plus à un menteur,
         qui me vouloit faire mourir, qu'à tant de braves Capitaines qui
         estoient mes amys, & qui avoyent ma vie chère: je leur
         repliquay, que mon homme (parlant de nostre imposteur) avoit
         esté en ceste contrée avec un des parens de Tessoüat, & avoit
         veu la Mer, le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, ensemble 80
         testes que les sauvages avoient, & un jeune garçon Anglois
         qu'ils tenoient prisonnier, dequoy ils me vouloient faire
         present.

         Ils s'escrierent plus que devant, entendant parler de la Mer,
         des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il
         estoit un menteur, & ainsi le nommèrent-ils depuis, comme la
         plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous
         ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy
         avec lequel il y avoit esté, & qu'il declarast les lacs,
         rivieres & chemins par lesquels il avoit passé; à quoy il fit
         response asseurement qu'il avoit oublié le nom du sauvage,
         combien qu'il me l'eust nommé plus de vingt fois, & mesme le
         jour de devant. Pour les particularitez du païs, il les avoit
         descriptes dans un papier qu'il m'avoit baillé. Alors je
         presentay la carte, & la fis interpréter aux sauvages, qui
         l'interrogèrent sur icelle, à quoy il ne fit response, ains par
         son morne silence manifesta sa meschanceté.

316/464  Mon esprit vogant en incertitude, je me retiray à part, & me
         representay les particularités du voyage des Anglois cy devant
         dictes, & les discours de nostre menteur estre assés conformes,
         aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce garçon eust inventé
         tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage, mais
         qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que
         son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations
         des sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est
         véritable, il faut que la mer du Nord ne soit pas esloignée de
         ces terres de plus de 100 lieues de latitude, car j'estois sous
         la hauteur de 47 degrés [368] de latitude, & 296. de longitude
         [369]: mais il se peut faire que la difficulté de passer les
         Sauts, l'aspreté des montagnes remplies de neiges, soit cause
         que ces peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer; bien
         m'ont-ils toujours dict, que du païs des Ochataiguins il n'y a
         que 35 ou 40 journées jusques à la mer qu'ils voyent en 3
         endroits: ce qu'ils m'ont encores asseuré ceste année: mais
         aucun ne m'a parlé de ceste mer du Nord, que ce menteur, qui
         m'avoit fort resjouy à cause de la briefveté du chemin.

[Note 368: 46°. (Voir la note 2 de la page 307)]

[Note 369: L'auteur n'était pas rendu tout à fait à 296°. Suivant sa
carte de 1632, il était à environ 297° 30', et encore, dans cette carte,
l'île des Allumettes est-elle trop à l'ouest d'environ deux degrés et
demi: car la pointe occidentale de cette île est à peu près 300° à l'est
du méridien de l'île de Fer. (Voir la note 3 de la page 293.)]

         Or comme ce Canot s'apprestoit, je le fis appeler devant ses
         compagnons; & en luy representant tout ce qui s'estoit passé,
         je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il
         falloit dire s'il avoit veu les choses dictes, ou non; que je
317/465  voulois prendre la commodité qui se presentoit; que j'avois
         oublié tout ce qui s'estoit passé: Mais que si je passois plus
         outre, je le ferois pendre & estrangler sans luy faire autre
         merci. Après avoir songé à luy, il se jetta à genoux & me
         demanda pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dict, tant en
         France qu'en ce païs, touchant ceste mer, estoit faux; qu'il ne
         l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas esté plus avant que le
         village de Tessoüat; qu'il avoit dict ces choses pour retourner
         en Canada. Ainsi transporté de cholere je le fis retirer, ne le
         pouvant plus endurer devant moy, donnant charge à Thomas de
         s'enquérir de tout particulièrement; auquel il poursuivit de
         dire qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage,
         à cause des dangers, croyant que quelque difficulté je pourroit
         presenter qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces
         sauvages, qui ne me vouloient bailler des Canots: ainsi que
         l'on remettroit le voyage à une autre année, & qu'estant en
         France, il auroit recompense pour sa descouverture: & que si se
         le voulois laisser en ce pays, qu'il yroit tant qu'il la
         trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui
         me furent rapportées par Thomas, & ne me contentèrent pas
         beaucoup, estant esmerveillé de l'effronterie & meschanceté de
         ce menteur: & ne me puis imaginer comment il avoit forgé ceste
         imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy
         mentionné; & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense,
         comme il a dict, il ait eu la témérité de mettre cela en avant.

         Peu de temps après je fus advertir les sauvages, à mon grand
318/466  regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confessé la
         vérité, dequoy ils furent joyeux, me reprochant le peu de
         confiance que j'avois en eux, qui estoyent Capitaines, mes
         amis, & qui parloient tousjours vérité, & qu'il falloit faire
         mourir ce menteur qui estoit grandement malitieux, me disant,
         Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir, donne le nous, &
         nous te promettons qu'il ne mentira plus. Et à cause qu'ils
         estoient tous après luy crians, & leurs enfans encores plus, je
         leur deffendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher
         leurs enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au
         Saut pour le faire voir à ces Messieurs, ausquels il devoit
         porter de l'eaue salée; & qu'estant là j'adviserois à ce qu'on
         en feroit.

         Mon voyage estant achevé par ceste voye, & sans aucune
         esperance de voir la mer de ce costé là, sinon par conjecture,
         le regret de n'avoir mieux employé le temps m'est demeuré, avec
         les peines & travaux qu'il m'a fallu neantmoins tolérer
         patiemment. Si je me fusse transporté d'un autre costé, suivant
         la relation des sauvages, j'eusse esbauché une affaire qu'il
         faut remettre à une autre fois. N'ayant pour l'heure autre
         desir que de m'en revenir, je conviay les sauvages de venir au
         Saut S. Louys, où il y avoit quatre vaisseaux fournis de toutes
         sortes de marchandises, & où ils recevroient bon traitement; ce
         qu'ils firent sçavoir à tous leurs voisins. Et avant que
         partir, je fis une croix de cèdre blanc, laquelle je plantay
         sur le bort du lac en un lieu eminent, avec les armes de
         France, & priay les sauvages la vouloir conserver, comme aussi
319/467  celles qu'ils trouveroient du long des chemins où nous avions
         passé; & que s'ils les rompoient, que mal leur arriveroit; &
         les conservant, ils ne seroient assaillis de leurs ennemis. Ils
         me promirent ainsi le faire, & que je les retrouverois quand je
         retournerois vers eux.



         _Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la
         chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs.
         Et nostre retour en France._

                                CHAPITRE V.

         LE 10 Juin je prins congé de Tessoüat, bon vieux Capitaine, &
         luy fis quelques presens, & luy promis, si Dieu me preservoit
         en santé, de venir l'année prochaine, en equippage pour aller à
         la guerre; & luy me promit d'assembler grand peuple pour ce
         temps là, disant, que je ne verrois que, sauvages, & armes qui
         me donneroyent contentement, & me bailla son fils pour me faire
         compagnie. Ainsi nous partismes avec 40 Canots, & passasmes par
         la riviere que nous avions laissée, qui court au Nord[370], où
         nous mismes pied à terre pour traverser des lacs [371]. En
         chemin nous rencontrasmes 9 grands Canots de Ouescharini, avec
         40 hommes forts & puissants qui venoient aux nouvelles qu'ils
         avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient
320/468  ensemble 60 Canots, & 20 autres qui estoient partis devant
         nous, ayans chacun assés de marchandises.

[Note 370: _Qui court au Nord_, à l'endroit où Champlain l'avait
laissée.]

[Note 371: Par cette expression _traverser des lacs_, l'auteur veut dire
sans doute _traverser d'un lac à un autre_. Entre les six ou sept
rapides qu'il y a depuis les Allumettes jusqu'au bas du Grand-Calumet,
la rivière forme comme autant de lacs, séparés les uns des autres par
des rapides, où il faut «mettre pied à terre» et faire _portage_, «pour
_ensuite_ traverser ces lacs.»]

         Nous passasmes 6 ou 7 Sauts depuis l'isle des Algoumequins[372]
         jusques au petit Saut[373], païs fort desagreable. Je recogneus
         bien que si nous fussions venus par là que nous eussions eu
         beaucoup plus de peine, & malaisément eussions nous passé: & ce
         n'estoit sans raison que les sauvages contestoient contre
         nostre menteur, qui ne cerchoit qu'à me perdre.

[Note 372: Ou île de Tessouat, c'est-à-dire, celle des Allumettes. On
voit ici pourquoi, plus tard, Champlain appelle le lac des Allumettes,
lac des Algonquins.]

[Note 373: Au-dessous du lac Coulonge, le premier et le plus
considérable des sauts que l'on ait à passer, est le Grand-Calumet, où
le Grand-Saut des pierres à calumet. Il semble que c'est le dernier de
cette suite de rapides, celui du Portage-du-Fort, que Champlain appelle
le, Petit-Saut.]

         Continuant nostre chemin 10 ou 12 lieues au dessous l'isle des
         Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agréable,
         remplie de vignes & noyers, où nous fismes pescherie de beau
         poisson. Sur la minuict arriva deux Canots qui venoient de la
         pesche plus loing, lesquels rapportèrent avoir veu 4 Canots de
         leurs ennemis. Aussi tost on despescha 3 Canots pour les
         recognoistre, mais ils retournèrent sans avoir rien veu. En
         ceste asseurance chacun prit le repos, excepté les femmes qui
         se resolurent de passer la nuict dans leurs Canots, ne se
         trouvans asseurées à terre. Une heure avant le jour un sauvage
         songeant que les ennemis le chargeoyent se leva en sursaut, &
         se prit à courir vers l'eau pour se sauver, criant, On me tue.
         Ceux de sa bande s'esveillerent tous estourdis, & croyans estre
         poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme feit
321/469  un de nos François, qui croyoit qu'on l'assommast. A ce grand
         bruit nous autres qui estions éloignés, fusmes aussi tost
         esveillés, & sans plus s'enquérir accourusmes vers eux: mais
         les voyans en l'eau errans ça & là, estions fort estonnés, ne
         les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se
         deffendre, quand cela eust esté, mais seulement de se perdre.
         Après que j'eus enquis nostre François de la cause de ceste
         esmotion, il me dict qu'un sauvage avoit songé, & luy avec les
         autres pour se sauver, s'estoit jetté en l'eau, croyant avoir
         esté frappé. Ainsi ayant recognu ce que c'estoit, tout se passa
         en risée.

         En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au Saut de la
         chaudière, où les sauvages firent la cérémonie accoustumée, qui
         est telle. Après avoir porté leurs Canots au bas du Saut, ils
         s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois
         va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau
         de petun; la queste faicte, le plat est mis au milieu de la
         troupe, & tous dansent à l'entour, en chantant à leur mode,
         puis un des Capitaines faict une harangue, remonstrant que dés
         long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que
         par ce moyen ils sont garantis de leurs ennemis, qu'autrement
         il leur arriveroit du malheur, ainsi que leur persuade le
         diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs
         autres, comme nous avons dict en d'autres lieux. Cela faict, le
         harangueur prent le plat, & va jetter le petun au milieu de la
         chaudière, & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens
         sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon
         voyage, s'ils n'avoient faict ceste cérémonie en ce lieu,
322/470  d'autant que leurs ennemis les attendent à ce passage, n'osans
         pas aller plus avant, à cause des mauvais chemins, & les
         surprennent là: ce qu'ils ont quelquesfois faict.

         Le lendemain nous arrivasmes à une isle, qui est à l'entrée du
         lac, distante du grand Saut S. Louys de 7 à 8 lieues, où
         reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages
         croyans avoir veu des Canots de leurs ennemis: ce qui leur fit
         faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre, leur
         remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, sçavoir,
         qu'au lieu de se cacher il se manifestoient.

         Le 17. Juin nous arrivasmes au Saut S. Louys, où je trouvay
         l'Ange qui estoit venu au devant de moy dans un Canot, pour
         m'advertir que le sieur de Maison-neufve de S. Maslo avoit
         apporté un passeport de Monseigneur le Prince pour trois
         vaisseaux. En attendant que je l'eusse veu, je fis assembler
         tous les sauvages pour leur faire entendre que je ne desirois
         pas qu'ils traictassent aucunes marchandises, que je ne leur
         eusse permis: & que pour des vivres je leur en ferois bailler
         si tost que serions arrivés; ce qu'ils me promirent, disans,
         qu'ils estoient mes amis. Ainsi poursuivant nostre chemin, nous
         arrivasmes aux barques, & fusmes salués de quelques canonades,
         dequoy quelques uns de nos sauvages estoient joyeux, & d'autres
         fort estonnés, n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied
         à terre, Maison-neufve me vint trouver avec le passeport de
         Monseigneur le Prince: & aussi tost que l'eus veu, je le
         laissay jouir, & les siens, du bénéfice d'iceluy, comme nous
         autres, & fis dire aux sauvages qu'ils pouvoyent traicter le
         lendemain.

323/471  Ayans veu tous les Chefs, & déduit les particularités de mon
         voyage, & la malice de nostre menteur, dequoy ils furent fort
         estonnés, je les priay de s'assembler, afin qu'en leur
         presence, des sauvages & de ses compagnons, il declarast sa
         meschanceté; ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans
         assemblés, ils le firent venir, & l'interrogèrent, pourquoy il
         ne m'avoit monstré la mer du Nord, comme il m'avoit promis à
         son départ: Il leur fit response qu'il avoit promis une chose
         impossible à luy, d'autant qu'il n'avoit jamais veu ceste mer,
         & que le desir de faire le voyage luy avoit fait dire cela,
         aussi qu'il ne croyoit que je le deusse entreprendre, & les
         prioit luy vouloir pardonner, comme il fit à moy derechef,
         confessant avoir grandement failly: mais que si je le voulois
         laisser au pays, qu'il feroit tant par son labeur, qu'il
         repareroit la faute, & verroit ceste mer, & en rapporteroit
         certaines nouvelles l'année suivante: & pour quelques
         considerations je luy pardonnay à ceste condition.

         Après leur avoir déduit par le menu le bon traictement que
         j'avois reçeu dans les demeures de ces sauvages, & mon
         occupation journaliere, je m'enquis aussi de ce qu'ils avoyent
         faict pendant mon absence, & de leurs exercices, lesquels
         estoient la chasse, où ils avoient faict tel progrès, que le
         plus souvent ils apportoient six cerfs. Une fois entre autres
         le jour de la S. Barnabé, le sieur du Parc y estant avec deux
         autres, en tua 9. Ils ne sont pas du tout semblables aux
324/472  nostres, & y en a de différentes especes[374], les uns plus
         grands, les autres plus petits, approchant fort de nos dains.
         Ils avoient aussi si grande quantité de Palombes [375]
         qu'impossible estoit de plus, ils n'avoient pas moins de
         poisson, comme Brochets, Carpes, Esturgeons, Aloses, Barbeaux,
         Tortues, Bars, & autres qui nous sont incognus, desquels ils
         disnoient & souppoient tous les jours, aussi estoyent-ils tous
         en meilleur point que moy, qui estois atténué par le travail &
         la fascherie que j'avois eue, & n'avois mangé le plus souvent
         qu'une fois le jour de poisson mal cuit, & à demy rosti.

[Note 374: Les espèces de cerfs du Canada sont 1° l'Orignal ou Élan
_(Cervus alces)_, que nos sauvages appellent _Moussou_, d'où les Anglais
ont fait _Moose-Deer_. Suivant Lescarbot, le nom d'_orignal_, ou
orignac, nous vient des Basques, et les Souriquois l'appelaient
_Aptaptou_. Voici la description qu'il en fait. «C'est un animal le plus
haut qui toit après le Dromadaire & le Chameau, car il est plus haut que
le cheval. Il a le poil ordinairement grison, & quelquefois fauve, long
quasi comme les doigts de la main. Sa tête est fort longue, & a un fort
long ordre de dents, qui paroissent doubles pour recompenser le défaut
de la mâchoire superieure, qui n'en a point. Il porte son bois double
comme le cerf, mais large comme une planche, & long de trois piedz,
garni de cornichons d'un costé & au-dessus. Le pied en est fourchu comme
du cerf, mais beaucoup plus plantureux. La chair en est courte & fort
délicate. Il paît aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des
arbres. C'est la plus abondante chasse qu'ayent nos sauvages après le
poisson.» (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) 2° Le Caribou. Les
naturalistes distinguent aujourd'hui le _caribou_ des régions arctiques
_(Tarandus arcticus)_, et le caribou ordinaire _(Tarandus bastalis)_,
qui habite principalement le Bas-Canada. 3° Le cerf de Virginie _(Cervus
Virginianus)_, qui ne se retrouve que dans le Haut-Canada. 4° Une
quatrième espèce, le Wapiti _(Elaphus Canadensis)_, qu'on trouvait en
Canada au temps de Champlain, paraît avoir émigré vers les pays de
l'ouest. (Voir The Canadian Naturalist, vol. I.)]

[Note 375: Ou _tourtes_, comme nous disons aujourd'hui en Canada
_(Ectopistes migratoria)_.]

         Le 22 Juin Sur les 8 heures du Soir les sauvages nous donnèrent
         une alarme, à cause qu'un des leurs avoit songé qu'il avoit veu
         les Yroquois: pour les contenter chacun prit ses armes, &
         quelques-uns furent envoyés vers leurs cabanes pour les
         asseurer, & aux advenues pour descouvrir: si bien qu'ayant
         recognu que c'estoit une fausse alarme, l'on se contenta de
         tirer quelques 200 mousquetades & harquebusades, puis on posa
         les armes en laissant la garde ordinaire. Cela les asseura
325/473  fort, & furent bien contens de voir les François qui se
         préparèrent pour les secourir.

         Après que les sauvages eurent traicté leurs marchandises, &
         qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener
         avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amitié, leur
         faire voir le païs & les obliger à les ramener, dont ils firent
         grande difficulté, me representant la peine que m'avoit donné
         nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux rapports,
         comme il avoit faict. Je leur fis response qu'ils estoient gens
         de bien & véritables, & que s'ils ne les vouloient emmener, ils
         n'estoyent pas mes amys, & pource ils s'y resolurent. Pour
         nostre menteur aucun de ces sauvages n'en voulust, pour prière
         que je leur feit, & le laissasmes à la garde de Dieu.

         Voyant n'avoir plus rien affaire en ce pays, je me resolus de
         passer dans le premier vaisseau qui retourneroit en France. Le
         sieur de Maison-neufve ayant le sien prest m'offrit le passage,
         lequel j'acceptay, & le 27 Juin avec le sieur l'Ange nous
         partismes du Saut, où nous laissasmes les autres vaisseaux, qui
         attendoyent que les sauvages qui estoient à la guerre fussent
         de retour, & arrivasmes à Tadoussac le 6 Juillet.

         Le 8 Aoust[376] le temps se trouva propre qui nous en feit
         partir.

[Note 376: Le 8 juillet; car 1° comment Champlain, «qui n'avait plus
rien à faire en ce pays», et qui voulait prendre «le premier vaisseau
qui retournerait en France», aurait-il pu se résigner à passer un mois
et deux jours à Tadoussac? 2° Est-il croyable que, dans la belle saison
de l'année, il eût fallu attendre plus d'un mois, avant que «le temps se
trouvât propre» pour partir? Et l'expression qu'emploie ici l'auteur
marque bien que le vaisseau de Maison-Neuve n'attendait en effet qu'un
temps favorable pour mettre à la voile.]

326/474  Le 18, sortismes de Gaspé à l'isle percée.

         Le 28, nous estions sur le grand banc, où se faict la pesche de
         poisson vert, où l'on prit du poisson tant que l'on voulut.

         Le 26 Aoust arrivasmes à S. Maslo, où je vis les Marchans,
         ausquels je remonstray combien il estoit facile de faire une
         bonne association pour l'advenir, à quoy ils se sont resolus,
         comme ont faict ceux de Rouen, & de la Rochelle après qu'ils
         ont recognu ce règlement estre necessaire, & sans lequel il est
         impossible d'esperer quelque fruict de ces terres. Dieu par sa
         grâce face prosperer ceste entreprise à son honneur, à sa
         gloire, à la conversion de ces pauvres aveugles, & au bien &
         honneur de la France.

                                      FIN.


327/475


                            TABLE DES CHAPITRES DU
                               QUATRIESME VOYAGE.


         Ce qui m'a occasionné de recercher un règlement. Commission
         obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par
         tous les ports de France. Chap. I. p. 283

         Partement de France: Et ce qui se passa jusques à nostre
         arrivée au Saut. Chap. II. p. 287

         Partement pour descouvrir la mer du Nord, sur le rapport qui
         m'en avoit esté faict. Description de plusieurs rivieres, lacs,
         isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts. Chap. III. p.
         292

         Continuation. Arrivée vers Tessoüat, & le bon accueil qu'il me
         feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4
         Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les réfutent.
         Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me
         remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés.
         Tessoüat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il
         disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de
         me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu
         de mensonge, & sa confession. Chap. IV. p. 306

         Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la
         chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs.
         Et nostre retour en France. Chap. V. p. 319



478
                                OEUVRES
                                  DE
                               CHAMPLAIN


                               PUBLIÉES
                          SOUS LE PATRONAGE
                        DE L'UNIVERSITÉ LAVAL

                                 PAR
                   L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
             PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
                 ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ

                           SECONDE ÉDITION

                               TOME IV


                                QUÉBEC
             Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS

                                 1870



i/479    _Le recueil des Voyages de Champlain publié en 1619, est la
         continuation des volumes imprimés en 1603 et 1613. Ce qui le
         recommande surtout, c'est qu'il est beaucoup plus complet que
         la reproduction qui en a été faite 1632. On y trouve en effet,
         sur l'arrivée des Récollets et sur leurs travaux, des détails
         ou des faits intéressants, dont la suppression en 1632 ne peut
         guère s'expliquer sans l'intervention d'une main étrangère,
         comme nous le remarquerons en son lieu.

         Il y a eu plusieurs éditions, ou pour mieux dire, plusieurs
         tirages de ce volume de 1619, entre autres ceux de 1620 et de
         1627, que nous avons pu consulter. Ce dernier porte, dans le
         titre._ Seconde édition; _cependant, à part quelques passages,
         que nous avons signalés dans l'occasion, le texte n'a pas été
         recomposé, comme le prouve, évidemment l'identité des détails
         et des fautes typographiques._

480

[Carte géographique]

ii/481

                                   VOYAGES
                             ET DESCOUVERTURES
                           FAITES EN LA NOUVELLE
                   France, depuis l'année 1615. jusques
                        à la fin de l'année 1618.
             _Par le Sieur de Champlain Cappitaine ordinaire
                     pour le Roy en la Mer du Ponant._

         Où sont descrits les moeurs, coustumes, habits, façons de
         guerroyer, chasses, dances, festins, & enterrements de divers
         peuples Sauvages, & de plusieurs choses remarquables qui luy
         sont arrivées audit païs, avec une description de la beauté,
         fertilité & temperature d'iceluy.


         A PARIS,

         Chez CLAUDE COLLET, au Palais, en la gallerie des Prisonniers.

         M. D. C. XIX.

         Avec privilège du Roy.



iii/483


         AU ROY.

         Sire,

         Voicy un troisiesme livre contenant le discours de ce qui s'est
         passé de plus remarquable aux voyages par moy faits en la
         nouvelle France, à la lecture duquel j'estime que V. M. prendra
         un plus grand plaisir qu'aux précédents, d'autant qu'iceux ne
         designent rien que les ports, havres, scituations,
         déclinaisons, & autres matières plus propres aux Nautonniers, &
         Mariniers, que non pas aux autres. En celuy-cy vous y pourrez
         remarquer plus particulièrement les moeurs & façons de vivre de
         ces peuples, tant en particulier que générale leurs guerres,
         munitions, façons d'assaillir, & se desfendre, leurs
         expéditions, retraicte en plusieurs particularités, servant à
         contenter un esprit curieux; Et comme ils ne sont point tant
         sauvages, qu'avec le temps, & la fréquentation d'un peuple
         civilizé, ils ne puissent estre rendus polis: Vous y verrés
         pareillement quelle & combien grande est l'esperance que nous
         avons de tant de longs & pénibles travaux que depuis quinze ans
         nous soustenons, pour planter en ce pais l'estendart de la
         Croix, & leur enseigner la cognoissance de Dieu, & gloire de
         son Sainct Nom, estant nostre desir d'augmenter la Charité
         envers ses miserables Créatures, qui nous convient supporter
iv/484   patiemment plus qu'aucune autre chose, & encore que plusieurs
         n'ayent pas pareil dessein, ains que l'on puisse dire que le
         desir du gain est ce qui les y pousse: Neantmoins on peut
         probablement croire que ce sont des moyens dont Dieu se sert
         pour plus faciliter le sainct desir des autres: Que si les
         fruicts que les arbres portent sont de Dieu, à celuy qui est
         Seigneur du Sol, ou ils sont plantez, & qui les a arrousez, &
         entretenus, avec un soing particulier, V. M. se peut dire
         légitime Seigneur de nos travaux, & du bien qui en reussira,
         non seulement pour ce que la terre vous en appartient, mais
         aussi pour nous avoir protegé contre tant de sortes de
         personnes qui n'avoyent autre desseing qu'en nous troublant
         empescher qu'une si saincte délibération ne peust reussir, &
         nous ostant la permission de pouvoir librement negotier, en
         partie de ses païs, & mettre le tout en confusion, qui seroit
         en un mot tracer le chemin pour tout perdre, au prejudice de
         vostre estat, vos sujects ayant employé à cet effect tous les
         artifices dont il se sont peu adviser, & tous les moyens qu'ils
         ont creu nous y pouvoir nuire, qui tous ont esté loués par V.
         M. assistée de son prudent Conseil, nous authorisant de son
         nom, & soustenants par ses arrests qu'elle a rendus à nostre
         faveur. Cest un occasion pour accroistre en nous le desir
         qu'avons dés long-temps d'envoyer des peuplades & colonnies par
         delà, pour leur enseigner avec la cognoissance de Dieu, la
         gloire & les triomphes de V. M. de faire en sorte qu'avec la
         langue Françoise ils consoivent aussi un coeur, & courage
         françois, lequel ne respirera rien tant aprés la crainte de
         Dieu, que le desir qu'ils auront de vous servir: Que si nostre
         desseing reussit, la gloire en sera premièrement à Dieu, puis à
         V. M. qui outre mille benedictions quelle en recevra du Ciel,
v/485    en recompense de tant d'âmes ausquelles elle en donnera par ce
         moyen l'entrée, son nom en sera immortalisé pour avoir porté la
         gloire, & le sceptre des François, autant en Occident que vos
         devanciers l'ont estendu en Orrient, & par toute la terre
         habitable: ce fera augmenter la qualité de Tres-Chrestien qui
         vous appartient par dessus tous les Rois de la terre, & montrer
         qu'elle vous est autant deue par mérite, comme elle vous est
         propre de droit, ayant esté transmise par vos predecesseurs
         depuis qu'ils se l'acquirent par leurs vertus, d'avoir voulu
         embrasser avec tant d'autres importans affaires le soing de
         celle-cy grandement négligée par cy-devant, estant une grâce
         specialle de Dieu d'avoir voulu reserver sous vostre regne
         l'ouverture de la prédication de son Evangille, & la
         cognoissance de son Saint Nom à tant de nations qui n'en
         avoient jamais ouy parler, qu'un jour Dieu leur fera la grace,
         comme nous, de le prier incessamment qu'il accroisse son
         empire, & donne mille benedictions à vostre Majesté._

         SIRE

         Vostre tres-humble, tres-fidelle & obéissant serviteur &
         subject,_

         CHAMPLAIN.



vii/487

         [Illustration]

                                  PREFACE.

         Tout ainsi qu'en la diversité des affaires du Monde chacune
         chose tend à sa perfection, & à la conservation de son estre,
         aussi d'autrepart l'homme se plaist aux choses différentes des
         autres pour quelque subject, ou pour le bien public, ou pour
         acquérir (en cet eslongnement du commun) une louange &
         réputation avec quelque proffict. C'est pourquoy plusieurs ont
         frayé ceste voye, mais quant à moy j'ay faict eslection du plus
         fascheux & pénible chemin, qui est la perilleuse navigation des
         Mers, à dessein toutesfois, non d'y acquérir tant de biens, que
         d'honneur, & gloire de Dieu, pour le service de mon Roy, & de
         ma patrie, & apporter par mes labeurs quelque utilité au
         public, protestant de n'estre tenté d'aucune autre ambition,
         comme il se peut assez recognoistre, tant par mes deportements
         du passé, que par le discours de mes voyages, faits par le
         commandement de sa Majesté en la nouvelle France, contenus en
         mon premier & second livre, ainsi qu'il se verra par celuy-cy:
         Que si Dieu benist nostre desseing, qui ne tend qu'à sa gloire,
         & de nos découvertures & laborieux travaux il me reussit
         quelque fruict je luy en renderay l'action de grâces, & à sa
         Majesté, pour sa protection & assistance une continuation de
         prières pour l'augmentation & accroissement de son regne.

viii/488

                         EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY.

         Par grâce & Privilege du Roy, il est permis à CLAUDE COLLET,
         Marchand Libraire en nostre ville de Paris, d'Imprimer ou faire
         Imprimer par tel Imprimeur que bon luy semblera, un livre
         intitulé. _Les voyages & descouvertures faites en la nouvelle
         France, depuis l'année 1615 jusques à la fin de l'année 1618.
         par le Sieur de Champlain, Cappitaine ordinaire pour le Roy, en
         la Mer du Ponant._ Et sont faites deffences à tous Libraires &
         Imprimeurs de nostre Royaume, d'Imprimer ny faire Imprimer,
         vendre ny débiter ledit livre, si ce n'est du contentement
         dudit Collet, & ce pour le temps & terme de six ans, à
         commencer du jour que ledit livre sera achevé d'Imprimer, sur
         peine de confiscation des exemplaires, & de quatre cens livres
         d'amende, moitié à nous applicable, & l'autre audit exposant.
         Voulans en oultre quoy fesant, mettre ledit Privilege au
         commencement ou à la fin dudit livre. Car tel est nostre
         plaisir.

         Donné à Paris, le 18e jour de May, 1619.

         Et de nostre règne le dixiesme.

         Par le Conseil.

         DE CESCAUD.

1/489

[Illustration]

                            VOYAGE DU SIEUR
                  DE CHAMPLAIN, EN LA NOUVELLE FRANCE,


         L'extrême affection que j'ay tousjours eue aux descouvertures
         de la nouvelle France, m'a rendu desireux de plus en plus à
         traverser les terres, pour en fin avoir une parfaicte
         cognoissance du pays, par le moyen des fleuves, lacs, &
         rivieres, qui y sont en grand nombre, & aussi recognoistre les
         peuples qui y habitent, à dessein de les amener à la
         cognoissance de Dieu. A quoy j'ay travaillé continuellement
         depuis quatorze à quinze ans[1] sans pouvoir avancer que fort
         peu de mes desseins, pour n'avoir esté assisté comme il eust
         esté necessaire à une telle entreprise. Neantmoins ne perdant
         courage, je n'ay laissé de poursuivre, & fréquenter plusieurs
         nations de ces peuples sauvages, & familiarisant avec eux, j'ay
         recogneu, & jugé, tant par leurs discours, que par la
         cognoissance des-jà acquise; qu'il n'y avoit autre ny meilleur
         moyen, que de patienter, laissant passer tous les orages &
         difficultez, qui se presenteroient jusques à ce que sa Majesté
2/490    y apportast l'ordre requise, & en attendant continuer, tant
         les descouvertures audit pays, qu'à apprendre leur langue, &
         contracter des habitudes, & amitiez, avec les principaux des
         Villages, & des Nations, pour jetter les fondements d'un
         édifice perpétuel, tant pour la gloire de Dieu, que pour la
         renommée des François.

[Note 1: Champlain livrait ceci à l'impression au commencement de
l'année 1619, comme on peut le voir par l'extrait du privilège qui se
trouve en tête de cette relation.]

         Et depuis sa Majesté ayant remis, & disposé la surintendance de
         ceste affaire entre les mains de Monseigneur le Prince de
         Condé, pour y apporter l'ordre, & que ledit Sieur soubs
         l'auctorité de sa Majesté, nous maintenoit contre toutes sortes
         d'envies, & altérations, qui provenoient d'aucuns mal
         vueillants. Cela, dis-je, m'a comme animé & redoublé le courage
         en la continuation de mes labeurs aux descouvertures de ladite
         nouvelle France, & en augmentant icelles je poussay ce dessein
         jusques dans les terres fermes & plus avant que je n'avois
         point encores fait par le passé, comme il sera dit cy-aprés, en
         l'ordre & suite de ce discours.

         Mais auparavant il est à propos de dire, qu'ayant recogneu aux
         voyages précédents, qu'il y avoit en quelques endroicts des
         peuples arrestez, & amateurs du labourage de la terre, n'ayans
         ny foy ny loy, vivans sans Dieu, & sans religion, comme bestes
         brutes. Lors je jugay à part moy que ce seroit faire une grande
         faute si je ne m'employois à leur préparer quelque moyen pour
         les faire venir à la cognoissance de Dieu. Et pour y parvenir
         je me suis efforcé de rechercher quelques bons Religieux, qui
3/491    eussent le zèle, & affection, à la gloire de Dieu: Pour les
         persuader d'envoyer, où se transporter avec moy en ces pays, &
         essayer d'y planter la foy, ou du moins y faire ce qui y seroit
         possible selon leur vacation, & en ce faisant remarquer &
         cognoistre s'il s'y pourroit faire quelque bon fruict, d'autant
         que pour y parvenir il faloit faire une despence qui eust exedé
         mon pouvoir, & pour quelque raison j'ay négligé ceste affaire
         pour un temps, me representant les difficultez qu'il y auroit
         au recouvrement des choses necessaires, & requises en telle
         affaire, comme il est ordinaire en semblables voyages.
         D'ailleurs qu'aucunes personnes ne se presentoient pour y
         contribuer. Neantmoins estant sur ceste recherche, & la
         communiquant à plusieurs, il se seroit presenté un homme
         d'honneur, duquel j'avois la fréquentation ordinaire, appellé
         le Sieur Houel[2], Secrétaire du Roy, & Contrerolleur Général
         des Sallines de Brouage, homme adonné à la pieté, & doué d'un
         grand zèle, & affection, à l'honneur de Dieu, & à
         l'augmentation de sa Religion, lequel me donna un advis qui me
         fut fort agréable. A sçavoir qu'il cognoissoit de bons Pères
         Religieux, de l'ordre des Recollez, desquels il s'asseuroit, &
         avoit tant de familiarité, & de créance envers eux, qu'il les
         feroit condescendre facillement, & entreprendre le voyage, &
         que pour les commoditez necessaires pour trois ou quatre
         Religieux qu'on y pourroit envoyer, on ne manqueroit point de
         gens de bien qui leur donneroient ce qui leur seroit de
         besoing, offrant de sa part les assister de son pouvoir, & de
4/492    faict il en rescrivit au Père du Verger[3], lequel gousta &
         prit fort bien ceste affaire & suivant l'advis du Sieur Houel,
         il en communiqua & parla à aucuns de ses frères, qui tous
         bruslants de charité s'offrirent librement à l'entreprise de ce
         Sainct voyage[4].

[Note 2: Louis Houel, suivant Ducreux (liste des Cent-Associés).]

[Note 3: Bernard du Verger, provincial de l'Immaculée-Conception,
religieux d'une grande vertu et d'un rare talent. (T. le Clercq, Premier
établiss. de la Foy, t. I, p. 31.)]

[Note 4: De cet exposé simple et naïf, il ressort, à la vérité, que le
sieur Houel a eu le mérite de fixer le choix de Champlain sur celui des
ordres religieux auquel celui-ci pourrait le plus sûrement s'adresser;
mais, d'un autre côté, il ressort aussi de toutes les circonstances des
démarches que Champlain avait déjà faites quand on lui donne cet avis,
que la gloire de l'initiative doit en revenir à celui-ci. C'est ce que
le Frère Sagard, dans son zèle pour un bienfaiteur de son ordre, semble
n'avoir pas assez distingué. Aussi, le P. le Clercq, quoique récollet
lui-même, a-t-il cru ne pas devoir suivre ici les traces de son
devancier, et a franchement adopté la version de Champlain. Après cela,
il y a lieu de s'étonner que l'auteur de l'_Histoire de la Colonie
française en Canada_ (t. I, pages 143 et 144) ait commencé par citer
Sagard sur un point où naturellement l'intérêt pouvait influencer les
idées de cet auteur, pour ne mentionner ensuite que juste la partie du
texte de Champlain qui ne détruit pas la fausse impression qui peut
avoir été produite, grâce à la précaution qu'on a prise d'en retrancher,
sans rien dire, les expressions qui pouvaient nuire à la thèse.]

         Or estoit-il pour lors en Xaintonge, duquel lieu il en envoya
         deux à Paris, avec une commission, non toutesfois avec un
         pouvoir absolu, remettant le surplus à Monsieur le Nonce [5] de
         nostre Sainct Pere le Pape, qui pour lors estoit en France, en
         l'année 1614. & estans iceux Religieux en leur maison à Paris,
         il les fut visiter, estant fort aise & content de leur
         resolution, & lors tous ensemble fusmes trouver ledict Sieur
         Nonce, avec laditte commission pour la luy communiquer, & le
         supplier d'y interposer son auctorité. Mais au contraire il
         nous dist qu'il n'avoit point de pouvoir pour telles affaires,
         & que c'estoit à leur Général à qui ils se devoient adresser.
5/493    Neantmoins laquelle responce lesdits Religieux remarquans la
         difficulté de ceste mission, ne voulurent entreprendre le
         voyage, sur le pouvoir du Père du Verger, craignant qu'il ne
         fust assez autentique, & saditte commission valable, à cause
         dequoy l'affaire fut remise à l'autre année suivante. En
         attendant laquelle ils prirent advis & resolution, suivant
         laquelle on disposa toutes choses pour ceste entreprise, qui se
         devoit effectuer au printemps lors prochain: en attendant
         lequel, les deux Religieux seroient retournez en leur Couvent
         en Brouage.

[Note 5: Robert Ubaldini, et non pas Gui Bentivole, comme le dit, par
inadvertence sans doute, l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française
en Canada_ (t. I, p. 146). Ubaldini était nonce à Paris depuis environ
huit ans, lorsqu'il reçut de Paul V le chapeau de cardinal, le 2
décembre de cette année 1615. Il fut rappelé à Rome un an plus tard,
comme on le voit par une lettre de Louis XIII au Souverain Pontife, en
date du 24 décembre 1616, qui commence par ces mots: «Mon cousin le
Cardinal Ubaldini s'en retournant vers vous,» etc. (Lettres du card. de
Richelieu, par Avenel, l. I, p. 198, note 4.--Voir _Ciaconii Vitae
Pontificum_, IV, 432, 434; et Schoel, Hist. des états europ., t. XXXV,
p. 334.)]

         Et moy de mon costé, je ne laissay de mettre ordre à mes
         affaires, pour la préparation de ce voyage.

         Et quelque mois après le despartement des deux Religieux que le
         Reverend Père Chapouin[6] Provincial des Peres Recollez, (homme
         fort pieux) fut de retour à Paris. Ledit Sieur Houel le fut
         voir, & luy fit le discours de ce qui s'estoit passé, touchant
         le pouvoir du Père du Verger, & la mission qu'il avoit donnée
         aux Pères Recollez. Sur lequel discours, ledit Pere Provincial
         commença à louer ce dessein, & le prendre en affection,
         promettant d'y faire ce qui seroit de son pouvoir, n'ayant
         auparavant bien pris le subject de ceste mission, & est à
         croire que Dieu l'inspira de plus en plus à poursuivre ceste
         affaire, & en parla dés lors à Monseigneur le Prince de Condé,
         & à tous Messieurs les Cardinaux, & Evesques, estans lors à
         Paris assemblez pour la tenue des estats[7], qui tous ensemble
6/494    louerent & approuverent ce dessein, & pour montrer qu'ils y
         estoient portez, asseurerent ledit sieur Provincial qu'ils
         trouveroient entr'eux, & ceux de la Court, un moyen de leur
         faire un petit fonds, & leur amasser quelque argent pour
         assister quatre Religieux, qu'on choisiroit, & furent dés lors
         choisis pour l'exécution d'une si sainte oeuvre. Et affin
         d'advancer la facilité de ceste affaire, je fus trouver aux
         estats Nosseigneurs les Cardinaux & Evesques, & leur
         remonstray, & representay le bien & utilité qui en pouvoit un
         jour revenir, pour les supplier & esmouvoir à donner, & faire
         donner à autres, qui pourroient y estre émulez par leur
         exemple, quelques aumosnes & gratifications, remettant le tout
         à leur volonté & discretion.

[Note 6: Jacques Garnier de Chapouin, premier provincial des Récollets
de la province de Saint-Denis. (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
34.)]

[Note 7: L'assemblée des États Généraux devait avoir lieu, cette année
(1614), à Sens, le 10 de septembre; mais l'absence du roi et de la reine
la fit remettre au 10 octobre suivant. Dans l'intervalle, le roi ayant
atteint l'âge de majorité, et un grand nombre de députés des trois
ordres de la France s'étant rendu à Paris, la tenue des États se fit à
Paris, et les assemblées des trois ordres se tinrent aux Augustins.
L'ouverture des États eut lieu dans la salle de Bourbon, le lundi 27
octobre, après une procession solennelle faite, le jour précédent, des
Augustins à Notre-Dame. La Chambre Ecclésiastique comptait cent quarante
députés, entre lesquels étaient cinq cardinaux, sept archevêques,
quarante-sept évêques, et deux chefs d'ordres; celle de la Noblesse,
cent-trente gentils-hommes, et celle du Tiers-État, cent
quatre-vingt-douze députés, qui étaient presque tous officiers de
justice ou de finance. (Mercure français, t. III, p. 415 et s.)]

         Les aumosnes qu'on amassa pour fournir aux frais de ce voyage,
         se montèrent à prés de quinze cent livres, qui furent mis entre
         mes mains, & furent dés lors employez, de l'advis & en la
         presence des Pères, en la despence & achapt des choses
         necessaires, tant pour la nourriture des Pères qui feroient le
         voyage en ladite nouvelle France, qu'habits, linges, & ornemens
         qui leur estoit de besoing, pour faire, & dire, le service
         Divin, lesquels Religieux furent envoyez devant à Honfleur, où
         se devoit faire leur embarquement.

7/495    Or les Peres Religieux qui furent nommez & designez pour ceste
         saincte entreprise, estoient le Père Denis [8], pour
         Commissaire, Jean Delbeau[9], Joseph le Caron, & Pacifique du
         Plessis [10], chacun desquels estoit porté d'une saincte
8/496    affection, & brusloient de faire le voyage, moyennant la grâce
         de Dieu, affin de voir s'ils pourroient faire quelque bon
         fruit, & planter en ces lieux l'estendart de Jesus-Christ, avec
         une délibération de vivre & mourir pour son sainct Nom, s'il
         estoit necessaire, & que l'occasion s'en presentast. Toutes
         choses preparées, ils s'accommoderent des ornements d'Eglise, &
         nous des choses necessaires pour nostre voyage.

[Note 8: Denis Jamay. Quoique le Frère Sagard écrive _Jamet_, nous
préférons l'orthographe du P. le Clercq, qui, en général, paraît avoir
puisé aux sources, et c'est pour cette raison, sans doute, que M.
Ferland et l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_
s'accordent à écrire _Jamay_.]

[Note 9: Le P. Jean d'Olbeau, désigné successeur du P. Denis, en cas de
mort. (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 53.) Il est évident que
Champlain écrit ce nom comme on le prononçait, sans se mettre en peine
d'être toujours d'accord avec lui-même sur ce point. Le Frère Sagard
écrit constamment Dolbeau. Enfin le P. le Clercq, sans s'arrêter à
aucune de ces orthographes, adopte celle qui vraisemblablement était
celle du P. d'Olbeau lui-même. Nous ne savons pourquoi M. Ferland écrit
ce nom comme le Frère Sagard.]

[Note 10: Le Frère Pacifique du Plessis. Quoique Champlain, dans cette
relation, donne indistinctement le titre de Père à chacun des quatre
récollets, il est constant que ce religieux n'était que Frère lai: aussi
l'auteur se corrige-t-il dans son édition de 1632: «Nous sçeusmes,
dit-il, la mort de frère Pacifique» (page 3 de la seconde partie); ce
qu'il n'eût jamais dit d'un Père. Sagard lui donne également le même
titre: «On ne peut bien mourir, remarque cet auteur, qu'en bien vivant,
comme a fait nostre bon frère Pacifique décédé à Kebec le 23 d'Aoust
l'an 1619.» Et, en marge, on lit: « Mort de F. Pacifique.» (Hist. du
Canada, pages 54 et 55.) Le P. le Clercq, qui avait toutes sortes de
raisons, en même temps que les moyens, de ne pas se tromper en pareille
matière, est encore plus explicite: «La joye de leur arrivée, » dit-il
en parlant des PP. Paul et Guillaume, «fut traversée par la mort de
Frère Pacifique... Quoi qu'il ne fut qu'un Frère laïc, on peut dire
qu'il a extrêmement travaillé en peu de temps à l'avancement spirituel &
temporel de la Mission.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 155.)
Après ces témoignages non équivoques d'auteurs si compétents, on se
demande comment l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en
Canada_ a pu avoir le courage de s'écarter de l'opinion suivie jusqu'à
ce jour, en donnant nommément au Frère Pacifique le titre de Père, sans
citer d'autre autorité que celle du même P. le Clercq; et, ce qu'il y a
de plus singulier, c'est que le passage même auquel il renvoie, prouve
exactement le contraire de ce qu'il donne à entendre, puisque, à la page
citée (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 53), le P. le Clercq, qui
qualifie de Pères les trois premiers religieux, ne donne cependant à
celui dont nous parlons que le titre de Frère. Plus d'un lecteur, en
vérifiant les citations, sera étonné sans doute qu'on s'appuie de
l'autorité d'un auteur en lui faisant dire autre chose que ce qu'il dit.
Nous eussions volontiers laissé passer cette expression comme
inadvertence, si l'illustre auteur n'avait été jusqu'à ajouter au texte
de Champlain, comme nous verrons ci-après, pour donner à entendre que
Frère Pacifique ait dit la messe, et par conséquent qu'il fut prêtre. On
peut inférer de là que le même auteur, en donnant à Sagard le titre de
Père, veut également faire croire qu'il était prêtre; et cependant, sans
parler de Champlain, qui, dans l'édition de 1632, ne l'appelle jamais
autrement que Frère Gabriel, le P. le Clercq dit en toutes lettres qu'il
n'était que Frère lai. «On sçavoit par expérience,» dit-il (Prem.
établiss. de la Foy, t. I, p. 245), «que ne s'agissant presque que
d'humaniser les Sauvages & les disposer à la lumière de l'Evangile, les
Frères Lays non-seulement n'y estoient pas inutiles, mais y servoient
beaucoup, & pouvoient estre associez aux Ministères Apostoliques. C'est
pourquoy on y destina le Frère Gabriel Sagard.»]

         Je partis de Paris le dernier jour de Febvrier, pour aller à
         Rouen trouver nos associez, & leur representer la volonté de
         Monseigneur le Prince, entr'autres choses le desir qu'il avoit
         que ces bons Pères Religieux fissent le voyage, recognoissant
         que mal-aisément les affaires du païs pourroient venir à
         quelque perfection ou advancement, si premierement Dieu n'y
         estoit servy[11], dequoy nos associez furent fort contens,
         promettans d'assister lesdits Pères de leur pouvoir, & les
         entretenir à l'advenir de leur nourritures.

[Note 11: Après avoir cité Champlain en cet endroit, l'auteur de
l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ ajoute, sans indiquer
d'autre source: «La compagnie, après les engagements qu'elle avait pris,
ne pouvait décliner cette proposition, et, sur le motif de la volonté du
roi, allégué par Champlain, elle promit de nourrir les religieux qui
seraient désignés» (t. I, p. 145). Sur quoi nous nous permettrons
d'abord de remarquer, que le «motif allégué par Champlain» n'est pas
précisément la volonté du roi, mais le désir du prince de Condé, qui,
comme on sait, n'était pas, à cette époque, en fort bons termes avec la
cour. Ensuite, le lecteur peut se demander si cette phrase que nous
venons de citer, rend bien celle de Champlain: Dequoy nos associez
furent fort contents, etc.]

         Lesdits Pères arriverent à Rouen le vingtiesme de Mars
         ensuivant, où nous sejournasmes quelque temps, & de là fusmes à
         Honfleur, pour nous embarquer, où nous sejournasmes aussi
         quelques jours, en attendant que nostre vaisseau fut
         appareillé, & chargé des choses necessaires pour un si long
9/497    voyage, & cependant on se prépara pour la conscience, à ce que
         chacun de nous s'examinast, & se purgeast de ses péchez, par
         une pénitence, & confession d'iceux, affin de faire son bon
         jour, & se mettre en estat de grâce, pour puis après estants
         plus libres, chacun en sa conscience, s'exposer en la garde de
         Dieu, & à la mercy des vagues de ceste grande & perilleuse Mer.

         Ce faict, nous nous embarquasmes dedans le vaisseau de ladite
         Association, qui estoit de trois cens cinquante tonneaux,
         appelé le S. Estienne, dans lequel commandoit le Sieur de Pont
         Gravé, & partismes dudit Honfleur le vingt-quatriesme jour
         d'Aoust[12] audit an, & fismes voile avec vent fort favorable,
         & voguâmes sans rencontre de glaces, ny autres hazards, grâces
         à Dieu, & en peu de temps arrivasmes devant le lieu appellé
         Tadoussac, le vingt-cinquiesme jour de May, où nous rendismes
         grâces à Dieu, de nous avoir conduit si à propos au port de
         salut.

[Note 12: Le 24 d'avril. A défaut d'autres témoignages, le contexte
suffirait pour prouver qu'il y a ici erreur purement typographique. «
Nous partîmes d'Honfleur,» écrit le P. d'Olbeau à son ami le P. Didace
David, «le 24 d'Avril au soir, & arrivâmes le 25 May à un Port où
s'arresterent les navires qui navigent icy. Ce port s'appelle
Tadoussac.» (Lettre citée par le P. le Clercq, Prem. établiss. de la
Foy, t. I, p. 62.) «Ces bons Pères, dit Sagard, s'estant tous disposez
par fréquentes oraisons & bonnes oeuvres à une entreprise si pieuse &
méritoire, se mirent en chemin pour commencer leur glorieux voyage, à
pied & sans argent à l'Apostolique selon la coustume des vrais frères
Mineurs, & s'embarquèrent à Honfleur l'an 1615, le 24 d'Avril environ
les cinq heures du soir que le vent & la marée leur estoient
favorables.» (Hist, du Canada, p. 22.)]

         Aprés on commença à mettre des hommes en besongne pour
         accommoder nos barques, affin d'aller à Québec, lieu de nostre
         habitation, & au grand sault Sainct Louys, où estoit le
         rendez-vous des Sauvages qui y viennent traicter.

10/498   Les barques accommodées nous nous mismes dedans, avec lesdits
         Peres Religieux [13], l'un desquels appellé le Pere Joseph sans
         s'arrester ny faire aucun sejour à Québec, voulut aller droict
         au grand sault, où estant, il veit tous les Sauvages, & leur
         façon de faire. Ce qui l'esmeut d'aller hyverner dans le pays,
         entr'autres celuy des peuples qui ont leur demeure arrestée,
         tant pour apprendre leur langue, que voir ce qu'on en pourroit
         esperer, en ce qui regarde leur réduction au Christianisme.
         Ceste resolution ainsi prise, il s'en retourna à Québec le
         vingtiesme jour de Juin[14], pour avoir quelques ornements
         d'Eglise, & autres choses pour sa commodité. Cependant
11/499   j'estois demeuré [15] audit Québec pour donner ordre à ce qui
         deppendoit de l'habitation, tant pour le logement des Pères
         Religieux, qu'ornements d'Eglise, & construction d'une
         Chappelle, pour y dire & chanter la Messe, comme aussi
         d'employer autres personnes pour deffricher les terres. Je
         m'embarquay pour aller audit sault, avec le Père Denis [16] qui
         estoit arrivé ce mesme jour de Tadoussac, avec ledit sieur du
         Pont-Gravé.

[Note 13: Plusieurs détails que nous ont conservés le Frère Sagard et le
P. le Clercq, nous font voir comment il faut entendre ce passage. «Après
avoir sejourné deux jours à Tadoussac,» dit celui-ci (Prem. établiss. de
la Foy, t. I, p. 57), «le R. P. Commissaire destina le P. Jean Dolbeau
pour aller devant à Québec, pour y préparer toutes choses.» D'après
Sagard (Hist. du Canada, p. 24), le même P. d'Olbeau, «après avoir
sejourné un jour ou deux à Tadoussac, partit pour Kebec dans la première
barque qui se mit à veille, & les autres pères cinq ou six jours après
dans d'autres vaisseaux pour le mesme lieu.» Le P. d'Olbeau serait donc
parti de Tadoussac le 27 de mai. D'un autre côté, il nous apprend
lui-même, dans sa lettre au P. Didace David (Prem. établiss. de la Foy,
t. I, p. 63), qu'il arriva à Québec «seul de religieux le second de
Juin.» Les autres, c'est-à-dire, le P. Denis, le P. Joseph et le F.
Pacifique, ayant quitté Tadoussac cinq ou six jours après, durent
arriver à l'habitation vers le 8. Cependant, le P. Joseph dut passer à
Québec un peu avant le P. Denis, puisque celui-ci, qui en repartit le
jour même qu'il y était arrivé, le rencontra à la rivière des Prairies,
qui s'en revenait à Québec. Quant à Champlain il y a tout lieu de croire
qu'il prit la première barque prête, et que par conséquent il arriva à
Québec le 2 de juin avec le P. d'Olbeau: car, d'abord, sa présence y
était grandement nécessaire tant pour la direction des travaux, que pour
le logement des pères, et le choix de l'emplacement de la chapelle; en
second lieu, on voit qu'il était déjà à Québec depuis quelques jours
quand le P. Denis y arriva vers le 8, puisque, le jour même de l'arrivée
de ce père, il part avec lui pour le saut Saint-Louis, et que d'un autre
côté il dit lui-même être demeuré quelque temps à Québec. Il est donc à
peu près certain que Champlain arriva à Québec le 2 de juin, et en
repartit vers le 8 ou le 10.]

[Note 14: Cette date, suivant nous, doit s'entendre du retour du P.
Joseph à Québec, et non pas de son départ du saut Saint-Louis. En effet,
Champlain, qui devait être parti de l'habitation vers le 8, comme nous
avons vu ci-dessus, pouvait avoir mis huit ou dix jours à monter à la
rivière des Prairies, et y aurait rencontré le P. Joseph le 17 ou le 18.
Deux jours après, le père pouvait être à Québec. De plus, Champlain, en
descendant, le rencontre de nouveau à la rivière des Prairies, et arrive
lui-même à Québec le 26. Donc le père était de retour à la rivière des
Prairies au moins deux jours avant le 26, puisque Champlain ne pouvait
guères mettre moins de deux jours à descendre. Or il est presque
incroyable qu'il eût pu, du 20 au 24 descendre du saut Saint-Louis à
Québec, y régler ses petites affaires, et remonter à la rivière des
Prairies. Enfin, ce qui vient donner encore plus de vraisemblance à
cette supposition, c'est que, si le P. Joseph est reparti de Québec le
20 ou au moins le 21 au matin, il a pu célébrer la sainte messe à la
rivière des Prairies le 24, par conséquent avant que le P. d'Olbeau
l'eût dite à Québec le 25, comme l'affirme le Mémoire des Récollets de
1637 (Archives de Versailles), lequel a dû être fait sous la dictée des
Pères qui étaient venus au Canada. On y lit entre autres ces mots: «La
première messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle-France, fut célébrée
par eux à la riviere des Prairies, & la seconde à Québec.»]

[Note 15: Champlain dut demeurer à l'habitation cinq ou six jours,
c'est-à-dire, depuis le 2 de juin jusque vers le 8. (Voir la note l de
la page précédente.)]

[Note 16: Comme on le voit, le P. Denis part avec Champlain, et non pas
avec le P. Joseph. L'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en
Canada_ (t. I, p. 148), après avoir invoqué le témoignage de Champlain
sur un fait que personne assurément ne songera à contester, avance, sans
citer aucune autorité que le P. le Caron, après s'être fourni
d'ornements d'église et d'autres objets, «remonta le fleuve
Saint-Laurent avec le P. Denis Jamay, qui, à son tour,» ajoute-t-il,
«désirait aussi beaucoup de voir les sauvages.» On doit supposer qu'il
s'appuie ici sur le P. le Clercq, vu que Sagard ne fait aucune mention
de cette circonstance. Mais il restera toujours à expliquer pourquoi
l'on met ainsi de côté un témoin oculaire aussi digne de foi que
Champlain, pour suivre un auteur qui, écrivant plus de soixante ans
après, pouvait se tromper sur des détails de cette nature, et qui, après
tout, ne donne aucune preuve de ce qu'il affirme. Il est bien vrai que
le P. d'Olbeau, qui était à Québec dans le moment, dit que «le P.
Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent pas [à l'habitation], ains
voguèrent le long de la rivière»... (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
63); mais cela ne veut pas dire que les deux pères soient partis
ensemble ou dans la même barque. Le P. Denis quitta donc Québec vers le
8 de juin (voir note l, page 10), et non pas après que le P. Joseph fut
redescendu du saut Saint-Louis, ce qui n'aurait pu être qu'après le 20
du même mois.]

         Quant est des autres Religieux, à sçavoir les Père Jean, &
12/500   Pacifique, ils demeurèrent audit Quebec[17] pour accommoder
         leur Chappelle, & donner ordre à leur logement, lesquels furent
         grandement édifiez d'avoir veu le lieu tout autrement qu'ils ne
         s'estoient imaginez, & qui leur augmenta leur zèle.

[Note 17: À la date du 20 juillet de cette année 1615, le P. Jean
d'Olbeau écrivait de Québec au P. Didace David: «... J'arrivay seul de
Religieux [à l'habitation] le second de Juin. Les autres y vinrent après
selon la commodité. Le P. Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent
pas, ains ils voguerent le long de la rivière quarante ou cinquante
lieues... J'ay presque demeuré toujours seul avec Frère Pacifique depuis
que nous sommes à terre...» Il continua vraisemblablement à y demeurer
jusqu'au mois de décembre. «Le P. d'Olbeau,» dit Sagard (Hist. du
Canada, p. 26), «tousjours plein de zèle, prit le premier l'essor pour
les Montagnais... Il partit le second jour de Décembre, pour y cabaner,
apprendre leur langue, les catechiser, «courir les bois avec eux;...
mais la fumée luy pensa perdre la veue, qu'il n'avoit des-ja guere
bonne, & fut plusieurs jours sans pouvoir ouvrir les yeux, qui luy
faisoient une douleur extrême, tellement que dans l'apprehension que ce
mal augmentait il fut contraint de les quitter après deux mois de temps,
& revenir à l'habitation vivre avec ses frères.» Le P. d'Olbeau était
donc de retour à Québec vers le commencement de février 1616.]

         Nous arrivasmes à la riviere des Prairies, cinq lieues au
         dessous du saut Sainct Louys, où estoient descendus les
         Sauvages. Je ne diray point le contentement que reçeurent nos
         Pères Religieux, non seulement en voyant l'estendue d'un si
         grand fleuve, remply de plusieurs belles isles, entouré d'un
         païs de costes assez fertiles, comme on peut juger en
         apparence. Mais aussi pour y voir grande quantité d'hommes
         forts & robustes, qui montrent n'avoir l'esprit tant sauvage,
         comme les moeurs, & qu'ils se l'estoient representé, comme
         eux-mesmes le confessoient & ce seulement faute d'estre
         cultivez, & le tout autrement qu'on ne leur avoit fait
         entendre. Je n'en feray point la description, renvoyant le
         Lecteur à ce que j'en ay dit en nos livres précédents, imprimez
         en l'an mil six cens quatorze [18].

[Note 18: C'est dans son édition de 1613, que Champlain décrit le plus
en détail les différentes parties du pays. Il lui semblait probablement
qu'il n'y avait qu'un an de tout cela.]

         Et continuant mon discours nous trouvasmes le Père Joseph qui
         s'en retournoit à Québec, comme j'ay dit cy-dessus, pour se
         préparer & prendre ce qui luy estoit necessaire, affin d'aller
         hyverner dans le pays. Ce que je ne trouvois à propos pour le
         temps, ains je luy conseillois pour sa commodité qu'il passast
13/501   l'hyver en l'habitation seulement, & que le Printemps venu, il
         pourroit faire le voyage, au moins durant l'Esté, m'offrant de
         luy faire compagnie & en ce faisant il ne laisseroit de voir ce
         qu'il eust peu voir en hyvernant, & retourner parler l'hyver
         audit Québec, où il eust eu la fréquentation ordinaire de ses
         frères, & d'autres personnes qui restoient à l'habitation, à
         quoy il eust mieux proffité que de demeurer seul parmy ces
         peuples, où à mon advis il ne pouvoit pas avoir beaucoup de
         contentement: neantmoins pour quelque chose qu'on luy peust
         faire entendre, dire, & representer, il ne voulut changer de
         dessein, estant poussé du zèle de Dieu, & d'affection envers
         ces peuples, se promettant de leur faire congnoistre leur
         salut. Et ce qui luy faisoit entreprendre ce dessein estoit, à
         ce qu'il nous representa, qu'il estoit necessaire qu'il y
         allast, tant pour mieux recognoistre le naturel des peuples,
         que pour apprendre plus aisément leur langage, & quant aux
         difficultez qu'on luy representoit debvoir se rencontrer en
         leur conversation, il s'asseuroit d'y resister, & de les
         supporter, & de s'accommoder à leurs vivres & incommoditez fort
         bien, & alaigrement, moyennant la grâce de Dieu: de la bonté &
         assistance duquel il se tenoit certain & asseuré, & que puis
         qu'il y alloit de son service, & que c'estoit pour la gloire de
         son nom, & prédication de son sainct Evangile, qu'il
         entreprenoit librement ce voyage, s'asseurant qu'il ne
         l'abandonneroit jamais en telle délibération. Et pour ce qui
         regarde les commoditez temporelles, il falloit bien peu de
         chose pour contenter un homme qui ne fait profession que d'une
14/502   perpétuelle pauvreté, & qui ne recherche autre chose que le
         Ciel, non tant pour luy que pour les autres ses Confrères:
         n'estant chose convenable à sa reigle d'avoir autre ambition
         que la gloire de Dieu, s'estant proposé de souffrir & supporter
         toutes les necessités, peines & travaux qui s'offriront pour la
         gloire de Dieu. Et le voyant poussé d'un si sainct zèle, &
         ardante charité, je ne l'en voulus plus destourner, & partit
         avec ceste délibération d'y annoncer le premier le nom de Dieu,
         moyennant sa saincte grâce, ayant un grand contentement que
         l'occasion se presentast pour souffrir quelque chose pour le
         nom, & gloire, de nostre Sauveur Jesus-Christ.

         Or incontinent que je fus arrivé au sault[19], je visitay ces
         peuples qui estoient fort desireux de nous voir, & joyeux de
         nostre retour, sur l'esperance qu'ils avoient que nous leur
         donnerions quelques uns d'entre nous pour les assister en leurs
         guerres contre leurs ennemis, nous remontrant que mal-aisément
         ils pourroient venir à nous si nous ne les assistions: parce
         que les Iroquois leurs anciens ennemis, estoient tousjours sur
         le chemin qui leur fermoient le passage, outre que je leur
         avois tousjours promis de les assister en leurs guerres, comme
         ils nous firent entendre par leur truchement. Surquoy ledit
         sieur du Pont, & moy, advisames(20) qu'il estoit
15/503   tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger
         d'avantage à nous aymer, que pour moyenner la facilité de mes
         entreprises & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en
         apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit
         comme un acheminement, & préparation, pour venir au
         Christianisme, en faveur de quoy je me resolu d'y aller
         recognoistre leurs païs, & les assister en leur guerres, afin
         de les obliger à me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de
         fois promis.

[Note 19: Champlain dut arriver au saut Saint-Louis à peu près en même
temps que le P. Joseph arrivait à Québec, c'est-à-dire, vers le 19 ou le
20 de juin. (Voir ci-dessus, p. 10.)]

[Note 20: Pour cette expédition, comme pour celles de 1609 et de 1610,
Champlain ne part donc point inconsidérément ou sans réflexion, comme le
donne à entendre Charlevoix (Hist. de la Nouv. France, liv. IV), puisque
ce n'était qu'après en avoir conféré avec Pont-Gravé, qui pouvait, mieux
que personne, juger de l'opportunité de la chose. Les divers motifs qui
le déterminent, et qui se trouvent ici énoncés si clairement, ne sont
pas non plus l'appas de quelques pelleteries ou une avarice qui le
pousse jusqu'à la cruauté, comme prétend le prouver l'auteur de
l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p. 136-142). Le
lecteur impartial trouvera le contraire en parcourant cette seule
relation de 1615, et pourra se convaincre en même temps qu'on eût
beaucoup mieux rendu justice à Champlain en donnant un bon résumé de ses
expéditions, et de celle-ci en particulier, qu'en rapprochant des textes
pris ça et là, et cités plus ou moins fidèlement, pour faire peser sur
un homme aussi estimable les graves soupçons d'intérêt personnel et de
cruauté. Quant aux résultats que pouvait avoir la conduite de Champlain,
il est beaucoup plus facile de les constater après coup, qu'il ne
l'était alors de prévoir toutes les chances et les alternatives d'une
lutte internationale à laquelle il n'était peut-être pas possible de ne
prendre aucune part. «Il semble aujourd'hui,» dit M. Ferland (Cours
d'Hist. du Canada, I, p. 149), «que la dignité et les intérêts de la
France y auraient beaucoup gagné, si le fondateur de Québec eût agi
comme le firent les Hollandais, et fût resté neutre au milieu des
dissensions des tribus aborigènes. Il serait cependant injuste de taxer
Champlain de précipitation ou d'imprudence: car nous sommes trop
éloignés de son temps, et trop peu au fait des circonstances dans
lesquelles il se trouvait, pour juger sûrement de l'opportunité de sa
démarche. Plusieurs considérations importantes ont dû l'engager dans
cette expédition. (M. Ferland parle ici de l'expédition de 1609 en
particulier.) Il voulait se concilier ses voisins immédiats, qui
auraient été des ennemis très-redoutables. Ne connaissant ni la
puissance ni l'énergie de la nation iroquoise, il espérait l'assujettir,
et la forcer à vivre en paix avec les autres peuples du pays. Il ne
pouvait prévoir qu'avant peu ses projets de pacification par la guerre
seraient rompus, et que, si la supériorité des armes européennes donnait
alors l'avantage aux Français, qui seuls en étaient pourvus, d'autres
Européens, à une époque assez rapprochée, en fourniraient aux cinq
nations, et qu'alors la lutte deviendrait inégale.»]

         Nous les fismes donc tous assembler pour leur dire nos
         volontez, lesquelles entendues, ils nous promirent de nous
         fournir deux mil cinq cents hommes de guerre, qui feroient
         merveilles, & qu'à ceste fin je menasse de ma part le plus
         d'hommes qu'il me feroit possible. Ce que je leur promis faire,
         estant fort aise de les voir si bien délibérez. Lors je
         commençay à leur descouvrir les moyens qu'il falloit tenir pour
         combattre, à quoy ils prenoient un singulier plaisir, avec
16/504   demonstration d'une bonne esperance de victoire. Et toutes
         resolutions prises nous nous separasmes, avec intention de
         retourner pour l'exécution de nostre entreprise. Mais
         auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre moindre
         que de trois ou quatre mois, il estoit à propos que je fisse un
         voyage à nostre habitation pour donner l'ordre requise, pendant
         mon absence, aux choses necessaires.

         Et le ... jour de ... ensuivant [21], je party de là pour
         retourner à la riviere des Prairies, où estant avec deux canaux
         de Sauvages, je fis rencontre du Père Joseph, qui retournoit à
         [22] nostre habitation, avec quelques ornements d'Eglise pour
         célébrer le sainct Sacrifice de la messe, qui fut chantée[23]
         sur le bord de ladite riviere avec toute devotion, par le
         Reverend Père Denis, & Père, Joseph, devant tous ces peuples
         qui estoient en admiration, de voir les cérémonies dont on
         usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux, comme
         chose qu'ils n'avoient jamais veue: car c'estoient les premiers
         qui y ont célébré la Saincte Messe[24].

[Note 21: Il est probable que Champlain partit du saut le 23 de juin et
vînt coucher à la rivière des Prairies, où la messe dut se chanter le
lendemain matin 24, jour de la Saint-Jean-Baptiste. C'est du moins ce
qui paraît le plus vraisemblable, quand on a bien examiné toutes les
circonstances rapportées par Champlain lui-même, qui était sur les
lieux, et par le Frère Sagard, dont le témoignage, comme auteur
contemporain, doit avoir ici une grande valeur, puisqu'il a vécu avec
plusieurs de ces premiers missionnaires.]

[Note 22: Le contexte montre assez qu'il faut lire: de nostre
habitation.]

[Note 23: Cette messe put être chantée en effet, puisqu'il se trouvait
là plusieurs français, sans compter les deux Pères. Il est tout à fait
probable, comme nous l'avons dit dans les notes précédentes, que ce fut
le jour de la Saint-Jean-Baptiste. Alors cette messe aurait été en effet
la première qui se soit dite en Canada, depuis l'époque de Jacques
Cartier. Champlain ne dit pas qu'il y ait assisté; mais il semble que
les détails qu'il en donne, le laissent entendre suffisamment; et,
quoiqu'il fut extrêmement pressé, puisqu'il avait promis d'être de
retour au saut dans quatre jours, comme il est dit plus loin, il est à
croire que sa piété l'aura fait passer par dessus toute considération
humaine.]

[Note 24: C'est-à-dire: _C'étaient les premiers qui ont célébré la
sainte messe chez eux_ ou _dans le pays_. Il semble, en effet, que la
pensée de l'auteur, dans ce passage, se reporte moins sur le lieu, que
sur «tous ces peuples, qui estoient en admiration, de voir les
cérémonies dont on usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux,
comme chose qu'ils n'avoient jamais veue,» et la raison de leur
étonnement, c'est que «c'estoient les premiers qui y ont célébré,» ou
qui célébraient parmi ces peuples. Du reste, il eût été superflu de
faire remarquer que la messe n'avait pas encore été dite dans un lieu où
il n'y avait jamais eu d'habitation, et qui n'était pas même le lieu
ordinaire de la traite. Mais une preuve positive que tel doit être le
sens qu'il faut attacher à cette phrase, c'est que le Mémoire des
Récollets de 1637 (Archives de Versailles) dit formellement que «la
première Messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle France, fut célébrée
par eux à la riviere des Prairies, & la seconde à Québec.» Il est vrai
que le P. d'Olbeau (lettre déjà citée, note 2 de la page 10) affirme de
son côté avoir dit à Québec «la première Messe qui ait esté dite en ce
pays,» et il avait bien quelque raison de le croire, puisqu'il y avait
si peu d'apparence que le P. le Caron fût rendu au saut, ou qu'il se fût
arrêté en chemin pour la dire. Cependant, tout bien considéré, il semble
que le Mémoire a raison, et que la première messe dite en ce pays,
depuis l'époque de Jacques Cartier, fut célébrée à la rivière des
Prairies par le P. Commissaire, selon toutes les apparences, et la
seconde à Québec, par le P. d'Olbeau.]

17/505   Pour retourner à la continuation de mon voyage, j'arrivay audit
         lieu de Québec le 26 où je trouvay le Père Jean, & le Père
         Pacifique en bonne disposition, qui de leur part firent leur
         debvoir audit lieu, d'apprester toutes choses. Ils y
         celebrerent[25] la saincte Messe, qui ne s'y estoit encores
         ditte[26], aussi n'y avoit-il jamais esté de Prebstre en ce
         costé-là.

[Note 25: Dans la bouche d'un théologien, cette expression Ils y
célébrèrent signifierait sans doute que les deux religieux qui étaient à
l'habitation y dirent chacun la messe; mais, dans la bouche de
Champlain, elle veut dire simplement, qu'ils contribuèrent, chacun selon
leur pouvoir, à ce qui était nécessaire pour la célébration du saint
sacrifice: de même que un peu plus haut, quand il rapporte que «la Méfie
fut chantée... par le Reverend P. Denis, & P. Joseph,» il n'entend pas
dire non plus que la messe ait été chantée à deux. Supposé même qu'il
ait cru alors que Frère Pacifique fût prêtre aussi bien que le P.
d'Olbeau, ce qui est assez probable, puisque, dans cette relation de
1615, il lui donne le titre de Père, il ne devait pas vraisemblablement
parler avec autant de précision que s'il eût été réellement témoin
oculaire; car il ne faut point oublier que Champlain n'était pas à
Québec le jour qu'on y célébrait cette première messe. Or, s'il est
possible d'interpréter comme nous le faisons cette expression _ils y
célébrèrent_, il faut absolument l'entendre ainsi, puisqu'il est prouvé,
par des témoignages clairs et positifs, que Pacifique du Plessis n'était
que Frère lai. (Voir p. 7, note 3.) Comment donc s'expliquer que
l'auteur de l'_Histoire de la Colonie francise en Canada_ ait non
seulement pris ces mots au pied de la lettre, mais ait cru devoir en
fixer le sens d'une manière plus précise, en écrivant: _ils y
celebrerent l'un et l'autre?_ Car si Champlain, comme laïc, plus versé
dans la science de la navigation que dans la connaissance des ordres
religieux ou de la langue théologique, est excusable de n'avoir aperçu
d'abord aucune différence entre des religieux qui portaient le même
habit, il n'en est pas de même d'un écrivain ecclésiastique, qui a sous
les yeux les documents historiques les plus clairs et la rectification
de Champlain lui-même (édit. 1632, p. 3, deuxième partie). On dira
peut-être qu'on n'a pas cité Champlain textuellement en cet endroit.
Mais, donner la substance du texte sans indiquer d'autre source, et
renvoyer, un instant après, à la page précise où se trouvent les
expressions dont nous parlons, n'est-ce pas dire au lecteur: Pour parler
ainsi, je m'appuie sur le témoignage de Champlain?]

[Note 26: Cette messe, la première dite à Québec depuis sa fondation,
fut célébrée le 25 de juin. «Le 25 de Juin,» écrit le P. d'Olbeau
lui-même à son ami le P. Didace David, «en l'absence du Révérend P.
Commissaire j'ay célébré la sainte Messe, la première qui ait esté dite
en ce pays, dont les habitans sont véritablement Sauvages de nom &
d'effet.» (Lettre citée par le P. le Clercq, Prem. établiss. de la Foy,
t. I, p. 62-65.) «Rien ne manqua pour rendre cette action solemnelle,
autant que la simplicité de cette petite troupe d'une Colonie naissante
le pouvoit permettre. Le célébrant & les assistans tous baignez de
larmes par un effet de la consolation intérieure, que Dieu repandoit
dans leurs âmes de voir descendre pour la première fois, le Dieu, &
Verbe Incarné sous les especes du Sacrement dans ces terres auparavant
inconnues; s'estant préparé par la Confession, ils y receurent le
Sauveur par la Communion Eucharistique: le _Te Deum_ y fut chanté au
bruit de leur petite artillerie, & parmy les acclamations de joye dont
cette solitude retentissoit de toute part, l'on eut dit qu'elle estoit
changée en un Paradis, tous y invoquans le Roy du Ciel, benissans son
saint nom, & appellans à leur secours les Anges tutelaires de ces vastes
Provinces, pour attirer ces peuples plus efficacement à la connoissance
& adoration du vray Dieu.» (_Ibid._ p. 60-62.)]

18/506   Ayant mis ordre à toutes choses, audit Québec, je pris deux
         hommes avec moy, & m'en retournay à la riviere des Prairies,
         pour m'en aller avec les Sauvages, & partis de Québec le
         quatriesme jour de Juillet, & le huictiesme dudit mois estant
         sur le chemin, je rencontray[27] le sieur du Pont, & le Père
         Denis, qui s'en revenoient audit Québec, & me dirent que les
         Sauvages estoient partis bien faschez, de ce que je n'estois
         allé avec eux, du nombre desquels plusieurs nous faisoient
         morts, ou prins des Iroquois, d'autant que je ne devois tarder
         que quatre, ou cinq jours, & neantmoins j'en retarday dix [28].
         Ce qui faisoit desesperer ces peuples, & mesmes nos François,
         tant ils estoient desireux de nous revoir. Ils me dirent que le
19/507   Père Joseph estoit party[29] avec douze François qu'on avoit
         baillé aux Sauvages les assister. Ces nouvelles m'affligèrent
         un peu, d'autant que si j'y eusse esté, j'eusse mis ordre à
         beaucoup de choses pour le voyage, ce que je ne peu pas, tant
         pour le petit nombre d'hommes, comme aussi pource qu'il n'y en
         avoit pas plus de quatre ou cinq seulement qui sceussent le
         maniement des armes, veu qu'en telle entreprise les meilleurs
         n'y sont pas trop bons. Tout cela ne me fist point pourtant
         perdre courage à poursuivre l'entreprise, pour l'affection que
         j'avois de continuer mes descouvertures. Je me separay donc
         d'avec lesdits sieurs du Pont, & Père Denis, avec resolution de
         m'en aller dans les deux canaux qui estoient avec moy, & suivre
         après nos sauvages, ayans pris les choses qui m'estoient
         necessaires.

[Note 27: Ce devait être à quelques lieues au-dessus de Sorel, puisque,
après avoir quitté Pont-Gravé et le P. Denis, il fait encore environ six
lieues avant de prendre la rivière des Prairies.]

[Note 28: C'est-à-dire, qu'il fut à son voyage dix jours de plus qu'il
n'avait compté. Il était parti du saut Saint-Louis le 23 ou le 24 de
juin, comme nous avons vu (p. 16, note l); par conséquent, il devait y
être de retour le 28 ou le 29, et l'on était déjà au 8 de juillet. Il
est à remarquer que, sur la nouvelle du départ des sauvages, il ne
remonte pas jusqu'au saut, mais qu'il coupe au plus court, par la
rivière des Prairies.]

[Note 29: Si le P. le Caron était parti dès le 8 de juillet, il est
impossible qu'il ait dit la messe aux Trois-Rivières le 26 du même mois,
comme l'affirme le P. le Clercq (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
66), et après lui M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, 170) et
l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p.
149). Si réellement la messe fut dite aux Trois-Rivières le 26 de
juillet, ce fut vraisemblablement par le P. Denis, qui dut en effet y
arrêter en descendant avec Pont-Gravé.]

         Le 9 dudit mois, je m'embarquay moy troisiesme, à sçavoir l'un
         de nos truchemens[30], & mon homme, avec dix Sauvages, dans
         lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter,
         d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarassez de hardes,
         ce qui m'empeschoit de mener des hommes d'avantage.

[Note 30: Probablement Étienne Brûlé, dont il est parlé plus loin dans
cette relation.]

         Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve S. Laurens,
         quelques six lieues, & fumes par la riviere des Prairies, qui
         descharge dans ledit fleuve, laissant le sault Sainct Louys
         cinq ou six lieues plus amont, à la main senestre, où nous
         passasmes plusieurs petits sauts par ceste riviere, puis
         entrasmes dans un lac [31], lequel passé, rentrasmes dans la
20/508   riviere, où j'avois esté auparavant[32], laquelle va, & conduit
         aux Algommequins, distante du sault Sainct Louys de
         quatre-vingt neuf [33] lieues, de laquelle riviere j'ay fait
         ample description en mon precedent livre, & traicté de mes
         descouvertures, imprimé en l'année mil six cents quatorze [34].
         C'est pourquoy je n'en parleray point en ce traicté, &
         continueray mon voyage jusques au lac des Algommequins [35], où
         estant, rentrasmes dedans une riviere [36] qui descend dedans
         ledit lac, & allasmes amont icelle quelque trente-cinq lieues,
         & passasmes grande quantité de saults, tant par terre, que par
         eau, & en un pays mal aggreable, remply de sapins, boulleaux, &
         quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroicts un
         peu montagneux. Au surplus fort desert, & sterille, & peu
         habité, si ce n'est de quelques Sauvages Algommequins, appellez
         Otaguottouemin[37], qui se tiennent dans les terres, & vivent
         de leurs chasses, & pescheries qu'ils font aux rivieres,
21/509   estangs, & lacs, dont le païs est assez muny. Il est vray qu'il
         semble que Dieu a voulu donner à ces terres affreuses &
         désertes quelque choses en sa saison, pour servir de
         rafraichissement à l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car je
         vous asseure qu'il se trouve le long des rivieres si grande
         quantité de blues [38], qui est un petit fruict fort bon à
         manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle
         quantité, que c'est merveilles: desquels fruicts ces peuples
         qui y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous
         faisons des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissames
         icelle riviere qui vient du Nort[39], & est celle par laquelle
         les Sauvages vont au Sacquenay pour traicter des Pelleteries,
         pour du Petun. Ce lieu est par les quarante & six degrez de
         latitude [40] assez aggreable à la veue, encores que de peu de
         rapport.

[Note 31: Le lac des Deux-Montagnes.]

[Note 32: La rivière des Algonquins, aujourd'hui l'Outaouais, qu'il
avait remonté jusqu'aux Allumettes, en 1613.]

[Note 33: Il est probable qu'il y avait, dans le manuscrit, 8 à 9
lieues, et que le typographe aura lu 89, qu'il aura mis en toutes
lettres. Du saut Saint-Louis à l'embouchure de l'Outaouais, il y a en
effet huit ou neuf lieues.]

[Note 34: Le cours de l'Outaouais est décrit par l'auteur dans son
édition de 1613, Quatrième Voyage.]

[Note 35: Le lac des Algonquins n'est autre chose que le lac des
Allumettes. On appelait les Kichesipirini Algonquins de l'Ile, ou
Sauvages de l'Ile, et, pour désigner leur île et leur lac, on disait
l'île des Algonquins, et le lac des Algonquins. (Voir 1613, p. 320.)]

[Note 36: Depuis cet endroit jusqu'aux Joachims, c'est-à-dire, l'espace
d'environ dix lieues, l'Outaouais prend le nom de rivière Creuse,
au-dessus de laquelle il reste encore vingt ou vingt-cinq lieues à faire
avant de prendre la rivière Mataouan; ce qui fait à peu près les
trente-cinq lieues que compte l'auteur.]

[Note 37: La Relation de 1650 leur donne à peu près le même nom avec une
terminaison sauvage, Outaoukotouemiouek: «Ce sont peuples qui ne
descendent quasi jamais vers les François; leur langue est meslée de
l'Algonquine & de la Montagnèse.» La Relation de 1640, qui les appelle
Kotakoutouemi, nous apprend qu'ils demeuraient du côté du nord de la
rivière. «Montant plus haut,» y est-il dit (ch. X), «on trouve les
Kichesipirini, les Sauvages de l'Isle, qui ont à costé dans les terres
au Nord les Kotakoutouemi.»]

[Note 38: Bluets. Quoique ce mot n'ait pas trouvé grâce auprès de
l'Académie, au moins dans l'acception qu'il a ici, on le trouve employé
dans la plupart des auteurs qui ont écrit sur le Canada, et en
particulier dans le P. de Charlevoix, qui lui consacre un article
spécial dans sa Description des Plantes de l'Am. Sept. XCIII, sous le
titre de BLUET DU CANADA, _Vitis idoea Canadensis, Myrti folio_. Les
botanistes d'aujourd'hui rapportent les diverses espèces de Bluets au
genre Vaccinìum.]

[Note 39: À cet endroit où l'on prend la rivière Mataouan pour gagner le
lac Nipissing, l'Outaouais vient en effet du Nord; mais, depuis sa
source jusqu'à quelques lieues de la, il vient du nord-ouest, ou à peu
près. Du lac Témiscaming, ou des différentes sources de l'Outaouais, on
peut, comme le remarque Champlain, aller rejoindre la tête du
Saint-Maurice, et de là passer à la rivière Chomouchouan, qui va tomber
dans le lac Saint-Jean.]

[Note 40: La latitude du lieu où la rivière Mataouan se jette dans
l'Outaouais, est d'environ 46° 18'. On ne peut guères s'expliquer, que
par l'imperfection de ses instruments, comment Champlain peut trouver
ici une hauteur si faible, quand deux ans auparavant, il avait placé
l'île des Allumettes au quarante-septième degré.]

         Continuant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere
         des Algommequins, nous passames par plusieurs lacs, où les
         sauvages portent leurs canaux jusques à ce que nous entrasmes
         dans le lac des Nipisierinij, par la hauteur de quarante-six
22/510   degrez & un quart de latitude. Et le vingt-sixiesme jour dudit
         mois[41], après avoir fait, tant par terre que par les lacs
         vingt-cinq lieues, ou environ. Ce faict nous arrivasmes aux
         cabannes des Sauvages, où nous sejournasmes deux jours avec
         eux. Ils nous firent fort bonne réception, & estoient en bon
         nombre: Ce sont gens qui ne cultivent la terre que fort peu. A.
         vous montre l'habit de ces peuples allant à la guerre. B. celuy
         des femmes, qui ne diffaire en rien de celuy des montaignairs,
         & Algommequins grands peuples & qui s'estendent fort dans les
         terres [42].

[Note 41: Le 26 de juillet. Toute cette phrase, évidemment, doit se
rattacher à la précédente.]

[Note 42: Voir les figures indiquées par les lettres A et B.]

         Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, &
         autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins,
         selon leur coustume, & m'estoient peine [43] d'aller pescher &
         chasser, pour nous traicter le plus délicatement qu'ils
         pouvoient. Ces dicts peuples estoient bien en nombre de sept à
         huict cent ames, qui se tiennent ordinairement sur le lac, où
         il y a grand nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une
         qui a plus de six lieues de long, où il y a 3 ou 4 beaux
         estans, & nombre de belles prairies, avec de tresbeaux bois qui
         l'environnent, où il y a abondance de gibier, qui se retirent
         dans cesdits petits estangs, où les Sauvages y prennent du
         poisson. Le costé du Septentrion dudict lac est fort agréable,
         il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, &
         plusieurs petites rivieres qui se deschargent dans iceluy lac.

[Note 43: Mettaient peine, prenaient la peine de.]

         Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de
23/511   plusieurs sortes de poisson, entr'autres d'un tresbon, qui est
         de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres especes,
         que les sauvages peschent pour faire seicher, & en font
         provision. Ce lac[44] a en son estendue quelque huict lieues de
         large, & vingt-cinq de long, dans lequel descend une riviere
         [45] qui vient du Norouest, par où ils vont traicter les
         marchandises que nous leur donnons en troque, & retour de leur
         Pelletries, & ce avec ceux qui y habitent [46], lesquels vivent
         de chasse, & de pescheries, pays peuplé de grande quantité,
         tant d'animaux, qu'oyseaux, & poissons.

[Note 44: Ici l'auteur parle encore du lac Nipissing, qu'il fait
cependant un peu trop long.]

[Note 45: La rivière aux Esturgeons. Elle vient plutôt du nord, que du
nord-ouest; mais elle se jette dans le lac Nipissing du côté du
nord-ouest, et sert de décharge au lac Tamagaming, qui semble avoir été
la demeure des Outimagami. (Voir la note suiv.)]

[Note 46: «Les Nipissiriniens,» dit la Relation de 1640 (ch. X), «ont au
Nord les Timiscimi, les Outimagami, les Ouachegami, les Mitchitamou, les
Outurbi, les Kiristinon, qui habitent sur les rives de la mer du Nord,
où les Nipissiriniens vont en marchandise.»]

         Après nous avoir reposé deux jours avec le chef desdits
         Nipisierinij: nous nous rembarquasmes en nos canaux, & entrames
         dans une riviere[47], par où ce lac se descharge, & fismes par
         icelle quelques trente-cinq lieues & descendismes par plusieurs
         petits saults, tant par terre, que par eau, jusques au lac
         Attigouautan[48]. Tout ce païs est encores plus mal-aggreable
         que le précèdent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix
         arpens de terre labourable, sinon rochers, & païs aucunement
         montagneux. Il est bien vray que proche du lac des Attigouautan
         nous trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantité, où
         nos Sauvages furent prendre des sitrouilles qui nous semblerent
24/512   bonnes, car nos vivres commençoient à nous faillir, par le
         mauvais mesnage desdits Sauvages, qui mangèrent si bien au
         commencement, que sur la fin il en restoit fort peu, encores
         que ne fissions qu'un repas le jour. Il elt vray, comme j'ay
         dit cy-dessus, que les blues, & framboises ne nous manquèrent
         en aucune façon, car autrement nous eussions esté en danger
         d'avoir de la necessité.

[Note 47: La rivière des Français.]

[Note 48: Le lac Huron. Attigouautan, ou Attignaouantan, était le nom
d'une des plus considérables tribus huronnes, la tribu de l'Ours, qui
était la plus voisine du lac. (Relations des Jésuites; Sagard.)]

         Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous avons
         nommez les cheveux relevez [49], pour les avoir fort relevez, &
         agencez, & mieux peignez que nos courtisans, & n'y a nulle
         comparaison, quelque fers, & façon qu'ils y puissent apporter.
         Ce qui semble leur donner une belle apparence. Ils n'ont point
         de brayer, & sont fort decouppez par le corps, en plusieurs
25/513   façons de compartiment: Ils se paindent le visage de diverses
         couleurs, ayants les narines percées, & les oreilles bordées de
         patinostres. Quand ils sortent de leurs maisons ils portent la
         massue, je les visitay & familiarisay quelque peu, & fis amitié
         avec eux. Je donnay une hache à leur Chef, qui en fut aussi
         content, & resjouy, que si le luy eusse fait quelque riche
         prêtent, & communiquant avec luy, je l'entretins sur ce qui
         estoit de son païs, qu'il me figura avec du charbon sur une
         escorce d'arbre. Il me fist entendre qu'ils estoient venus en
         ce lieu pour faire secherie de ce fruict appelle blues, pour
         leur servir de manne en hyver, & lors qu'ils ne trouvent plus
         rien. A. C. montre de la façon qu'ils s'arment allant à la
         guerre. Ils n'ont pour armes que l'arc, & la flesche, mais elle
         est faite en la façon que voyez dépainte, qu'ils portent
         ordinairement, & une rondache de cuir boullu[50], qui est d'un
         animal comme le bufle.

[Note 49: Le nom huron de ces sauvages était Andatahouat (Sagard, Hist.
du Canada, p. 199), ou Ondataouaouat (Relat. des Jésuites). Sagard, dans
son Dictionnaire de la langue huronne, nous donne de plus les noms des
trois nations qui en dépendaient, les Chisérhonon, les Squierhonon et
les Hoindarhonon; c'étaient probablement autant de tribus d'une même
nation. Mais il est à remarquer que le nom de Cheveux-Relevés n'est
point la traduction du mot _Ondatahouat. Ondata_ ou _Onnhata_, en huron,
signifie _bois_; et il est tout à fait probable que la nation de Bois,
ou les _gens de bois_, dont parle Sagard (Hist. du Canada, p. 197), sont
les Andatahouat mêmes. «Ils sont,» dit-il, en parlant de ces gens de
bois, «dépendants des cheveux relevez & comme une mesme nation.» Du mot
_Ondatahouat_, s'est formé _Outaouat_, ou Outaouais, nom sous lequel on
a désigné plus tard tous les Algonquins Supérieurs. Ces Cheveux-Relevés
ne demeuraient point à l'embouchure de la rivière des Français, où
Champlain les rencontre ici; puisque, comme il est dit un peu plus loin,
«ils estoient venus en ce lieu pour faire pescherie de blues»; et,
quelques années plus tard, lorsque Sagard suit la même route, il trouve
au même endroit ces mêmes Cheveux-Relevés, «qui s'estoient venus camper,
dit-il, proche la mer douce, à dessein de traicter avec les Hurons &
autres qui retournoient de la traicte de Kebec.» Où était donc la
demeure de ces peuples? Champlain, dans sa grande carte de 1632, les
place à l'ouest de la nation du Petun; ce qui porterait à croire qu'ils
occupaient cette longue pointe qui s'avance dans l lac Huron vers les
iles de Manitoualin. D'un autre côté, la Relation de 1640 place dans ces
îles mêmes les Outaouan, «peuples venus de la nation des
Cheveux-Relevés.» Ce qui est d'accord avec la Relat. de 1671, où il est
dit (ch. II, art. III), que l'île d'Ekaentouton (Manitoualin) était
l'ancien pays des Outaouais; et avec Nicolas Perrot, qui appelle cette
île, l'ile des Outaouaks (Mémoire publ. par le P. Tailhan, p. 126). Si
l'on fait attention que l'île de Manitoualin n'est pas figurée dans la
carte de Champlain, et que la mer Douce y est posée en longueur de l'est
à l'ouest, tandis qu'elle est nord-ouest sud-est, on trouvera que la
place assignée, dans cette carte, aux Cheveux-relevés, n'est pas en
contradiction avec les textes que nous avons rapportés, ou du moins ne
prouve pas que les Outaouais n'aient point habité cette île, même à
cette époque.]

[Note 50: Cuir bouilli.]

         Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin
         le long du rivage de ce lac des Attigouautan, où il y a un
         grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant
         tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a prés de quatre cent
         [51] lieues de longueur, de l'Orient à l'Occident, & de large
         cinquante lieues, & pour la grande estendue d'iceluy, je l'ay
         nommé la Mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes
26/514   de très-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux
         que n'avons pas, & principalement des Truittes qui sont
         monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques à
         quatre pieds & demy, & les moindres qui se voyent sont de deux
         pieds & demy. Comme ausi des Brochets au semblable, & certaine
         manière d'Esturgeon, poisson fort grand, & d'une merveilleuse
         bonté. Le pays qui borne ce lac en partie est aspre du costé du
         Nort, & en partie plat, & inhabité de Sauvages, quelque peu
         couvert de bois, & de chesnes: Puis après nous traversames une
         baye[52] qui faict une des extremitez du lac, & fismes quelques
         sept lieues [53], jusques à ce que nous arrivasmes en la
         contrée des Attigouautan[54], à un village appellé Otouacha
27/515   [55], qui fut le premier jour d'Aoust, où trouvasmes un grand
         changement de païs, cestuy-cy estant fort beau, & la plus
         grande partie deserté, accompagné de force collines, & de
         plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir aggreable. Je fus
         visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient pour lors fort avancez
         pour la saison.

[Note 51: C'est à peu près trois fois la longueur que Champlain lui-même
donne à ce lac dans sa grande carte de 1632, où cependant il le fait
déjà double de ce qu'il est réellement. Il est possible qu'il ait
apprécié la longueur de la mer Douce sur le nombre de journées de canots
que comptaient les sauvages depuis le pays des Hurons jusqu'au fond du
lac Michigan, ou du lac Supérieur, ou même dans les deux réunis.]

[Note 52: La baie de Matchidache, qui, avec celle de Nataouassaga, fait
l'extrémité méridionale dela baie Géorgienne.]

[Note 53: Ces sept lieues doivent s'entendre de la traverse même de la
baie de Matchidache; autrement il est impossible de rien comprendre à
tout ce qui suit. Nous devons dire ici, une fois pour toutes, que, pour
l'intelligence de la carte du pays huron, où Champlain aborde en ce
moment, nous sommes redevables à M. le chevalier Taché d'une foule de
découvertes et d'observations extrêmement importantes, sans lesquelles
une grande partie de ce voyage de 1615 serait restée incomprise.]

[Note 54: La contrée des Attignaouantans, ou des Ours, s'étendait à
l'est et au nord-est de la baie de Nataouassaga, et se composait
principalement de la presqu'île qui sépare cette baie de celle de
Matchidache. Après cette traverse de sept lieues, dont nous parlons dans
la note précédente, nos voyageurs devaient naturellement aborder à la
baie du Tonnerre, comme font et ont toujours fait ceux qui, de la côte
nord du lac, viennent aborder au pays des Hurons; parce que, comme nous
le faisait observer M. Taché, cette baie est un petit port naturel et de
facile débarquement, et que c'était alors le point de cette côte le plus
voisin d'un emplacement de bourgade, d'après les recherches faites
jusqu'à ce jour.]

[Note 55: Otouacha est probablement le même que Toenchain, ou Toanché.
C'est vers cette bourgade que le P. le Caron dit la première messe au
pays des Hurons (Sagard, Hist. du Canada, p. 224). Ce fut là aussi que
vint aborder, en 1634, le P. de Brebeuf. «Je pris terre, dit-il, au port
du village de Toanché, ou de Teandeouïata, où autresfois nous estions
habituez; mais ce fut avec une petite disgrace... Mes sauvages, après
m'avoir débarqué,... m'abandonnèrent là tout seul... Le mal estoit que
le village de Toanché avoit changé depuis mon départ... Je m'en allay
chercher le village, que je rencontray heureusement environ à trois
quarts de lieue, ayant en passant veu avec attendrissement &
ressentiment le lieu où nous avions habité, & célébré le S. sacrifice de
la Messe trois ans durant, converty en un beau champ, comme aussi la
place du vieux village...» (Relat. de ce qui s'est passé aux Hurons en
l'année 1635). On voit par ce passage du P. de Brebeuf, que le village
de Toanché était à un peu moins de trois quarts de lieue du port, et
l'on trouve en effet, d'après M. Taché, à environ un mille de la baie du
Tonnerre, les restes de ce qui devait être le premier Toanché ou
Otouacha.]

513a

[Illustration]

         Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si
         mauvaise contrée, d'où nous venions de sortir. Le lendemain
         [56], je feus à un autre village appellé Carmaron [57], distant
         d'iceluy d'une lieue, où ils nous reçeurent fort aimablement,
         nous faisant festin de leur pain, sitrouilles, & poisson: pour
         la viande, elle y est fort rare. Le Chef du dit Village me pria
         fort d'y sejourner, ce que je ne peu luy accorder, ains m'en
         retournay à nostre Village, où la deuxiesme nuit comme j'estois
         allé hors la cabanne pour fuir les puces qui y estoient en
         grande quantité, & dont nous estions tourmentez: une fille peu
         honteuse, & effrontément vint à moy, s'offrant à me faire
28/516   compagnie, dequoy je la remerciay, la renvoyant avec douces
         remonstrances, & passay la nuict avec quelques Sauvages.

[Note 56: Le 2 d'août.]

[Note 57: Le nom de ce village était évidemment huron, comme le donne à
entendre cette expression «appelé Carmaron.» Cependant, la langue
huronne n'ayant pas de labiales, on est en droit de supposer, ou que
Champlain aura exprimé par cette orthographe ce qui paraissait approcher
davantage du mot huron, ou bien que le typographe aura mal lu le
manuscrit de l'auteur. Dans le premier cas, il faudrait
vraisemblablement lire Carouaron; puisque les Hurons ne trouvaient rien
de mieux, pour rendre la lettre _m_, que la diphthongue _ou_, et l'on
sait que, dans leur bouche, les mots _Marie, Lemoine_, devenaient
_Ouarie, Ouane_. Dans le second cas, le mot tel que Champlain l'aurait
écrit, pourrait bien être _Cannaron_; ce qui vient donner plus de
vraisemblance à cette supposition, c'est que, à une petite distance
d'Otouacha, et à peu près dans la direction que devait naturellement
prendre Champlain pour pénétrer plus avant dans le pays, se trouvait une
bourgade remarquable, appelée, d'après les Relations, _Kontarea_, mot
qui pourrait s'écrire _Conndarea_ ou simplement _Connarea_. Il va sans
dire, ici, que nous n'avons point d'autre prétention que celle de
suggérer une idée à ceux qui s'occupent de l'histoire de cette contrée
si pleine de souvenirs.]

         Le lendemain [58], je party de ce Village, pour aller à un
         autre, appellé Touaguainchain[59], & à un autre appellé
         Tequenonquiaye[60], esquels nous fusmes reçeus des habitans
         desdits lieux fort amiablement, nous faisant la meilleure chère
         qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs façons,
         tant ce pays est tresbeau, & bon, par lequel il faict beau
         cheminer.

[Note 58: Probablement le 3 d'août.]

[Note 59: D'après les persévérantes recherches de M. Taché, ce village
devait être quelques milles à l'ouest de Carmaron, et Carmaron lui-même
à environ une demi-lieue vers le sud-ouest de Ouenrio, ou du fond de la
baie de Pénétangouchine. Il serait donc possible que Touaguainchain fût
le nom sauvage du bourg de Sainte-Madeleine, dont il est parlé dans les
Relations de 1640 et de 1648, et qui, autant qu'on en peut juger par la
carte de Ducreux, devait être dans ces environs.]

[Note 60: Ce village, qui était comme la capitale des Attignaouantans, a
porté cinq ou six noms différents. «Mon sauvage & moy avec un autre,»
dit Sagard (Hist. du Canada, p. 208), «tinsmes le chemin de
_Tequeunonkiaye_, autrement nommé _Quieuindohian_, par quelques François
la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel, pour estre la
première ville du pays dans laquelle je fois entré, elle est aussi la
principale, & comme la gardienne & le rempart de toutes celles de la
Nation des Ours, & où se décident ordinairement les affaires de plus
grande importance. Ce lieu est assez bien fortifié à leur mode, & peut
contenir environ deux ou trois cens mesnages, en trente ou quarante
cabanes qu'il y a.» Quelques années après, La Rochelle portait le nom
d'Ossossané, et les Pères Jésuites y établissaient une mission et une
résidence sous le titre de l'Immaculée-Conception. Cette bourgade a donc
porté les différents noms sauvages de Tequeunonkiaye, de Quieuindohian
et d'Ossossané, sans compter les noms français de La Rochelle, de
Saint-Gabriel et de La Conception. Elle était, de toutes celles de la
nation des Ours, «la plus proche voisine des Hyroquois» (Sag. _ibid_. p.
214), et à environ quatre lieues d'Otouacha, ou, si l'on veut, de la
baie du Tonnerre, par conséquent à deux bonnes lieues plus au sud que
Carmaron.]

         De là, je me fis conduire à Carhagouha[61], fermé de triple
         pallissade de bois, de la hauteur de trente cinq pieds pour
         leur deffence & conservation: auquel Village estoit le Père
29/517   Joseph demeurant, & que nous y trouvasmes, estant fort aise
         de le voir en santé, ne l'estant pas moins de sa part, qui
         n'esperoit rien moins que de me veoir en ce païs. Et le 12e
         jour d'Aoust, le R. P. célébra la saincte Messe[62], & y fut
         planté une Croix proche d'une petite maisonnette [63], separée
         du village que les Sauvages y bastirent pendant que j'y
         sejournay[64], en attendant que nos gens s'apprestoient, & se
         preparoient pour aller à la guerre, à quoy ils furent fort
         longtemps.

[Note 61: Carhagouha ne devait pas être à une grande distance du point
où l'auteur avait abordé; car, pour qu'il y eût quatorze lieues de
Carhagouha jusqu'au point le plus éloigné du pays huron, il fallait que
ce village fût situé vers le nord de la contrée des Attignaouantans.
C'est ce que prouve du reste ce passage de Sagard; «Auparavant nous, ny
Prestres, ny Religieux n'y avoit mis le pied que le seul P. Joseph le
Caron, qui y dit la première messe vers la bourgade de Toenchain» [ou
Otouacha]. (Hist. du Canada, p. 224.)]

[Note 62: Le Mémoire des Récollets de 1637 (Archives de Versailles) dit
que la messe fut célébrée dans ce village le 10 d'août, et qu'au dit
lieu la messe ne s'était point encore dite. Il est difficile de savoir
qui a raison; cependant, cette relation détaillée et suivie que
Champlain publie peu de temps après les événements, semble mériter plus
d'attention, qu'un mémoire fait plus de vingt ans après et dans lequel
une date n'était pas absolument d'une grande importance. Cette messe
n'était pas la première dite au pays des Hurons, si l'on en croit le
Frère Sagard, qui assure que le P. le Caron «dit la première Messe vers
la bourgade de Toenchain.» (Hist. du Canada, p. 224.)]

[Note 63: Ce fut là la première chapelle construite au pays des Hurons;
celle de 1623 était la seconde (Hist. du Canada, p. 224), et celle des
Jésuites, en 1635, fut la troisième.]

[Note 64: Champlain était arrivé à Carhagouha vers le 4 ou le 5, et il
n'en repartit que le 14; il y demeura donc une dizaine de jours.]

         Et voyant une telle longueur qu'ils apportoient à faire leur
         gros, & que j'aurois du temps pour visiter leur pays: je me
         deliberay de m'en aller à petites journées de village en
         village à Cahiagué[65], ou debvoit estre le rendez-vous de
         toute l'armée, distant de Carhagouha de quatorze lieues, &
         partismes de ce Village le 14 d'Aoust, avec dix de mes
         compagnons.

[Note 65: Cahiagué est évidemment le nom huron de Saint-Jean-Baptiste,
qui, suivant les Relations, était le bourg principal des Arendaronons,
ou tribu de la Roche. «Les Arendaronons sont une des quatre nations qui
composent ceux qu'à proprement parler on nomme Hurons: elle est la plus
Orientale de toutes, & est celle qui la première a découvert les
François, & à qui en suite appartenoit la traitte selon les loix du
pays. Ils en pouvoient jouir seuls, neantmoins ils trouverent bon d'en
faire part aux autres nations, se retenant toutefois plus
particulièrement la qualité de nos aliez, & se portans en cette
consideration à la protection des François, lors que quelque malheur est
arrivé. C'est où feu monsieur de Champlain s'arresta plus long temps au
voyage qu'il fit icy haut, il y a environ 22 ans, & où sa réputation vit
encore dans l'esprit de ces peuples barbares, qui honorent mesme après
tant d'années plusieurs belles vertus qu'ils admiroient en luy, &
particulièrement sa chasteté & continence envers les femmes... Cette
alliance si particuliere que ces peuples Arendaronons ont avec les
François nous avoit souvent donné la pensée de leur aller communiquer
les richesses de l'Evangile, mais le deffaut de langue nous avoit
tousjours empesché de pousser jusques là, nous estant trouvez engagez de
premier abord à nostre première demeure, qui estoit située à l'autre
extrémité du pays toute opposée. Cette année nous estant trouvez assez
forts pour cette entreprise, nous y avons commencé une mission, qui a eu
dans son ressort trois bourgs: de S. Jean Baptiste, de S. Joachim, & de
Saincte Elizabeth. Les Pères Antoine Daniel & Simon le Moine en ont eu
le soin. Ils firent leur première demeure & la plus ordinaire dans le
bourg plus peuplé de S. Jean Baptiste, y ayant plus à travailler.»
(Relat. du pays des Hurons, 1639-40, ch. IX.)]

30/518   Je visitay cinq des principaux Villages [66], fermez de
         pallissades de bois, jusques à ce qu'à [67] Cahiagué, le
         principal Village du païs, où il y a deux cents cabannes assés
         grandes, où tous les gens de guerre se debvoient assembler. Or
         en tous ces Villages ils nous reçeurent fort courtoisement avec
         quelque humble accueil. Tout ce pays où je fus par terre
         contient quelque 20 à 30 lieues, & est très-beau, soubs la
         hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, pays fort
         deserté, où ils sement grande quantité de bleds d'Inde, qui y
         vient très-beau, comme aussi des sitrouilles, herbe au Soleil,
         dont ils font de l'huille de la graine: de laquelle huille ils
         se frottent la teste. Le pays est fort traversé de ruisseaux
         qui se deschargent dedans le lac. Il y a force vignes & prunes,
         qui sont tresbonnes, framboises, fraises, petites pommes
         sauvages, noix & une manière de fruict, qui est de la forme, &
         couleur de petits citrons, & en ont aucunement le goust, mais
         le dedans est tresbon, est presque semblable à celuy des
31/519   figues. C'est une plante qui les porte, laquelle à la hauteur
         de deux pieds & demy, chacune plante n'a que trois à quatre
         feuilles pour le plus, & de la forme de celle du figuier, &
         n'aporte que deux pommes chacun pied. Il y en a quantité en
         plusieurs endroits, & en est le fruict tresbon, & de bon
         goust[68]: les chesnes, ormeaux, & hestres, y sont en quantité,
         y ayans dedans ce pays force sapinieres, qui est la retraicte
         ordinaire des perdrix, & lapins. Il y a aussi quantité de
         cerises petites & merises, & les mesmes especes de bois que
         nous avons en nos forests de France, sont en ce pays-là. A la
         vérité ce terroir me semble un peu sablonneux, mais il ne
         laisse pas d'estre bon pour cet espece de froment. Et en ce peu
         de pays j'ay recogneu qu'il est fort peuplé d'un nombre infiny
         d'ames, sans en ce comprendre les autres contrées, où je n'ay
         pas esté, qui sont, au rapport commun, autant ou plus peuplées,
         que ceux cy-dessus: Me representant que c'est grand dommage que
         tant de pauvres créatures vivent, & meurent sans avoir la
         cognoissance de Dieu, & mesmes sans aucune Religion ny Loy,
         soit divine, Politique, ou Civille, establie parmy eux. Car ils
         n'adorent, & ne prient, aucune chose, du moins en ce que j'ay
         peu recognoistre en leur conversation: Ils ont bien encore
         quelque espece de cérémonie entr'eux, que je descriray en son
         lieu, comme pour ce qui est des mallades, ou pour sçavoir ce
32/520   qui leur doibt arriver, mesme touchant les morts: mais ce sont
         de certains personnages estans parmy eux qui s'en veulent faire
         à croire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du temps des
         anciens Payens qui se laissoient emporter aux persuasions des
         enchanteurs, & devins, neantmoins la pluspart de ces peuples ne
         croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils sont assez
         charitables entr'eux, pource qui est des vivres: mais au reste,
         fort avaricieux. Ils ne donnent rien pour rien. Ils sont
         couverts de peaux de Cerfs, & Castor, qu'ils traictent avec les
         Algommequins, & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, & farines
         d'iceluy.

[Note 66: Ces cinq principaux villages palissadés étaient presque tous
situés sur la frontière du côté des Iroquois. A part Tequenonkiaye et
Carhagouha, qu'il venait de visiter, il dut passer par Scanonahenrat,
qui formait à lui seul la nation des Tohontahenrat, et par Teanaustayaé,
chef-lieu des Attignenonghac. L'auteur compte sans doute Cahiagué pour
le cinquième; car, en passant par Teanaustayé, il devait naturellement
laisser de côté Taenhatentaron, appelé plus tard Saint-Ignace, qui était
à deux bonnes lieues plus au nord, et qui complète le nombre de villages
palissadés que compte Champlain lui-même un peu plus loin.]

[Note 67: Dans l'édition de 1632, on a corrigé en mettant simplement:
_jusques à Cahiagué_.]

[Note 68: Le fruit de cette plante (Podophyllum peltatum, LINN.), que
l'on appelle citronnier, dans le pays, est bon à manger; mais la racine
est un poison violent, dont les sauvages se servaient quelquefois quand
ils ne pouvaient survivre à leur chagrin. (Catal. des Plantes Canad.
contenues dans l'herbier de l'Univ. Laval, par l'abbé O. Brunet, prem.
livraison, p. 15.)]

         Le dixseptiesme jour d'Aoust j'arrivay à Cahiagué, où je fus
         reçeu avec grande alegresse, & recognoissance de tous les
         Sauvages du pays, qui avoient rompu leur desseing, pensant ne
         me revoir plus, & que les Iroquois m'avoient pris, comme j'ay
         dict cy-dessus, qui fut cause du grand retardement qui se
         trouva en ceste expédition, jusques là mesmes qu'ils avoient
         remis la partie à l'autre année suivante: Sur lesquelles
         entrefaictes ils reçeurent nouvelles comme certaine nation de
         leurs alliez [69], qui habitent à trois bonnes journées plus
33/521   haut que les Entouhonorons[70], ausquels[71] les Iroquois font
         aussi la guerre, lesquels aliez les vouloient assister en ceste
         expedition de cinq cens bons hommes, & faire alliance, & jurer
         amitié avec nous, ayants grand desir de nous voir, & que nous
         fissions la guerre tous ensemble, & dont ils tesmoignoient
         avoir du contentement de nostre cognoissance, & moy d'avoir
         trouvé cette opportunité, pour le desir que j'avois de sçavoir
         des nouvelles de ce pays-là: qui n'est qu'à sept journées, d'où
         les Flamens vont traicter sur le quarentiesme degré, lesquels
         Sauvages[72], assistez des Flamens, leur font la guerre, & les
         prennent prisonniers, & les font mourir cruellement, comme de
         faict ils nous dirent que l'année passée faisant la guerre, ils
         prirent trois desdicts Flamens qui les assistoient, comme nous
         faisons les Attigouautan: & qu'au combat, il en fut tué un des
         leurs. Neantmoins ils ne laisserent pas de renvoyer les trois
         Flamens prisonniers, sans leur faire aucun mal, croyans que ce
         fussent des nostres, encores qu'ils n'eussent aucune
         cognoissance de nous, que par oüy dire, n'ayans jamais veu de
         Chrestien: car autrement ces trois prisonniers n'eussent pas
         passé à si bon marché, ny ne passeront, s'ils en peuvent
         prendre, & atraper. Ceste nation est fort belliqueuse, à ce que
34/522   tiennent ceux de la nation des Attigouotans, il n'y a que trois
         Villages qui sont au millieu de plus de 20 autres, ausquels
         ils font la guerre, ne pouvant avoir de secours de leurs amis,
         d'autant qu'il faut passer par le pays [de] ces
         Chouontouarouon[73], qui est fort peuplé, ou bien faudroit
         prendre un bien grand tour de chemin.

[Note 69: Champlain, dans sa grande carte de 1632, les appelle
Carantouanais. «C'est une nation,» dit-il (_Table_ de la carte, p. 8),
qui s'est retirée au Midy des Antouhonorons, en très beau & bon païs, où
ils sont fortement logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors
desdits Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'à trois journées.» Ce nom
de Carantouanais n'était probablement que le nom particulier ou d'une
tribu, ou d'un village de la nation des Andastes, ou Andastoéronons.
«Andastoé,» dit le P. Ragueneau (Rel. des Hurons, 1647-8, ch. VIII),
«est un pays au delà de la Nation Neutre, éloigné des Hurons en ligne
droite prés de cent cinquante lieues, au Sud-est quart de Sud des
Hurons... Ce sont peuples de langue Huronne, & de tout temps alliez de
nos Hurons. Ils sont très-belliqueux, & comptent en un seul bourg treize
cens hommes portans armes...» Plusieurs européens «s'estans mis sous la
protection du Roy de Suéde, ont appellé ce pays-là Nouvelle Suède. Nous
avions jugé autrefois que ce fust une partie de la Virginie.» De ce qui
précède, et de l'examen attentif des cartes anciennes, on peut conclure
que les Carantouanais, ou Andastes, s'étaient établis assez près de la
rivière Susquehanna, vers le sud-est de la Pensylvanie. C'est aussi
l'opinion de M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 174).]

[Note 70: Ces Entouhonorons, que l'auteur appelle un peu plus loin
Chouontouaronons sont les mêmes que les Sountouaronons ou
Tsountouaronons, appelés plus souvent Tsonnontouans.]

[Note 71: Auxquels aliés; car, d'après Champlain lui-même (Table de la
carte de 1632, p. 8), les Entouhonorons, conjointement avec les Iroquois
proprement dits, «faisoient la guerre par ensemble à toutes les autres
nations, excepté à la nation Neutre. »]

[Note 72: Les Iroquois, et très-probablement les Agniers, avec lesquels
les Andastes eurent souvent des démêlés.]

[Note 73: Faut-il ici suppléer _de_, et lire de ces Chouontouaronon? ou
bien mettre tout bonnement _des_ à la place de _ces_, comme on a fait
dans l'édition de 1632? Nous osons croire que le premier mode de
correction vaut mieux; parce que le mot _Chouontouaronon_ est
l'équivalent de Entouhoronon. Il est bien évident, en effet que
_Chouontouaronon, Souontouaronon, Sountouaronon, Tsountouaronon_, ne
sont que des orthographes différentes du nom des Tsonnontouans, que
Champlain appelle Entouhonorons, ou plutôt Entouhoronons. D'ailleurs, si
Champlain avait voulu parler ici d'une autre nation, il devait
naturellement dire qu'elle était l'ennemie des Carantouanais, et ne pas
se contenter de remarquer qu'elle était fort peuplée.]

         Arrivé que je fus en ce Village, où il me convint sejourner,
         attendant que les hommes de guerre vinsent des Villages
         circonvoisins pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit
         possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins,
         & dances, pour la resjouyssance en laquelle ils estoient de
         nous voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme
         s'asseurant desja de leur victoire.

         La plus grande partie de nos gens assemblez nous partismes du
         village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord
         d'un petit lac [74], distant dudit village de trois lieues, où
         il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent
         pour l'hyver. Il y a un autre lac [75] tout joignant, qui a
35/523   vingt-six lieues de circuit, descendant dans le petit par un
         endroict, où se faict la grande pesche dudit poisson, par le
         moyen de quantité de pallissades, qui ferme presque le
         destroit, y laissant seulement de petites ouvertures, où ils
         mettent leurs fillets, où le poisson se prend, & ces deux lacs
         se deschargent dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu
         en ce lieu pour attendre le reste de nos Sauvages, où estans
         tous assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires:
         on se délibéra de choisir des hommes des plus resolus qui se
         trouveroient en la trouppe, pour aller donner advis de nostre
         partement à ceux qui nous debvoient assister des cinq cents
         hommes pour nous joindre, affin qu'en un mesme temps nous nous
         trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste délibération
         prinse, ils despescherent deux canaux, avec douze Sauvages des
         plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchements [76]
         qui me pria luy permettre faire le voyage: ce que facillement
         je luy accorday, puisque de sa volonté il y estoit porté, & par
         ce moyen verroit leur pays, & pourroit recognoistre les peuples
         qui y habitent. Le danger n'estoit pas petit, d'autant qu'il
         faloit passer par le milieu des ennemis. Ils partirent le 8
         dudit mois, & le dixiesme ensuivant il fit une forte gelée
         blanche. Nous continuasmes nostre chemin vers les ennemis, &
         fismes quelque cinq à six lieues dans ces lacs [77], & de là
         les sauvages portèrent leurs canaux environ dix lieues par
36/524   terre, & rencontrasmes un autre lac[78] de l'estendue de six à
         sept lieues de long, & trois de large. C'est d'où sort une
         riviere[79] qui se va décharger dans le grand lac des
         Entouhonorons, & ayans traversé ce lac, nous passasmes un saut
         d'eau, continuant le cours de ladite riviere, tousjours aval,
         environ soixante quatre lieues, qui est rentrée [80] dudit lac
         des Entouhonorons & allans, nous passasmes cinq saults par
         terre. Les uns de quatre à cinq lieues de long, & passasmes par
         plusieurs lacs, qui sont d'assez belles estendues, comme aussi
         ladicte riviere qui passe parmy, est fort abondante en bons
         poissons, estant certain que tout ce païs est fort beau, &
         plaisant. Le long du rivage il semble que les arbres ayent esté
         plantez par plaisir, en la pluspart des endroicts: aussi que
         tous ces pays ont esté habitez au temps passé de Sauvages, qui
         depuis ont esté contraincts l'abandonner pour la crainte de
         leurs ennemis. Les vignes, & noyers, y sont en grande quantité,
         les raisins viennent de maturité: mais il y reste tousjours une
         aigreur fort acre, que l'on sent à la gorge en le mangeant en
         quantité. Ce qui provient à faute d'estre cultivez: ce qui est
         deserté en ces lieux est assez agréable. La chasse des Cerfs, &
         Ours, y est fréquente, & pour l'expérience nous y chassasmes, &
         en prismes un assez bon nombre en dessendans, & pour ce faire
         ils se mettoient quatre ou cinq cents sauvages en haye dans le
37/525   bois, jusques à ce qu'ils eussent attaint certaines pointes qui
         donnent dans la riviere, & puis marchant par ordre ayant l'arc
         & la flesche en la main, en criant & menant un grand bruit pour
         estonner les bestes, ils vont tousjours jusques à ce qu'ils
         viennent au bout de la pointe. Or tous les animaux qui se
         trouvent entre la pointe & les chasseurs sont contraints de se
         jetter à l'eau, sinon qu'ils passent à la mercy des flesches
         qui leur sont tirées par les chasseurs, & cependant les
         Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis exprez sur le
         bord du rivage, s'approchant facillement des Cerfs, & autres
         animaux chassez & harassez & fort estonnez: lors les chasseurs
         les tuent facillement avec des lames d'espées, emmanchées au
         bout d'un bois, en façon de demie picque, & font ainsi leur
         chasse: comme aussi au semblable dans les isles, où il y en a
         quantité. Je prenois un singulier plaisir à les voir ainsi
         chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tué beaucoup de
         coups d'arquebuse, dont ils s'estonnoient fort: mais il arriva
         de malheur qu'en tirant un Cerf, par mesgarde un sauvage se
         rencontra devant le coup, & fut blessé d'une arquebusade, n'y
         pensant nullement, comme il est à presupposer, dont il s'ensuit
         une grande rumeur entr'eux, qui neantmoins s'appaisa, en
         donnant quelques presens au blesse, qui est la façon ordinaire
         pour appaiser, & amortir les querelles & où le blessé
         decederoit, on fait les presens, & dons, aux parens de celuy
         qui aura esté tué. Pour le gibier, il est en grande quantité,
38/526   lors de sa saison. Il y a aussi force grues [81], blanches
         comme signes, & d'autres especes d'oiseaux, semblables à ceux
         de France.

[Note 74: Le lac Couchichine, dans lequel se décharge le lac Simcoe, et
qui se décharge lui-même dans le lac Huron par la rivière de
Matchidache, ou Severn. Il ne devait pas y avoir trois lieues de
Cahiagué à ce lac; mais il est clair qu'on ne mit les canots à l'eau que
vers le Détroit, où se faisait «la grande pesche de poisson,» puisqu'on
ne fit que «passer sur le bord» de ce petit lac. Or de ce lieu à
Cahiagué il pouvait y avoir trois lieues, ou environ.]

[Note 75: Le lac Simcoe, dont le nom sauvage paraît avoir été
Ouentaronk, et que l'on a appelé aussi lac aux Claies, probablement à
cause de ce mode particulier d'y faire la pêche.]

[Note 76: Étienne Brûlé. (Voir, plus loin, le voyage de 1618.)]

[Note 77: La traverse du lac Simcoe, de l'ouest à l'est, est d'environ
cinq lieues.]

[Note 78: Le lac à l'Esturgeon _(Sturgeon lake)_ a environ cinq ou six
lieues de long, et, en certains endroits, trois lieues de large, quoique
ce ne soit point sa largeur moyenne. De ce lac qui n'est qu'à sept ou
huit lieues du lac Simcoe, jusqu'aux Mille-Isles, en suivant les
nombreux détours de la rivière Otonabi, de celle de Trent et de la baie
de Quinté, il y a à peu près soixante-quatre lieues, comme trouve
l'auteur.]

[Note 79: La partie supérieure de cette rivière, jusqu'au point où elle
se décharge dans le lac au Riz _(Rice lake)_, s'appelle aujourd'hui
Otonabi, le reste, jusqu'à la baie de Quinte, porte le nom de rivière
Trent.]

[Note 80: Cette entrée du lac Ontario, est parsemée d'un si grand nombre
d'îles, qu'on lui a donné le nom de Mille-Isles.]

[Note 81: «Nous avons, dit Charlevoix, des grues de deux couleurs: les
unes sont toutes blanches, les autres d'un gris de lin.» (Journal
historique, lettre IX.--Voir Ornithologie du Canada, par J. M. Lemoine,
p. 320.)]

         Nous fusmes à petites journées jusques sur le bord du lac des
         Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, où
         estans, nous fismes la traverse en l'un des bouts, tirant à
         l'Orient, qui est l'entrée de la grande riviere Sainct Laurens,
         par la hauteur de quarante-trois degrez[82] de latitude, où il
         y a de belles isles fort grandes en ce passage. Nous fismes
         environ quatorze lieues[83] pour passer jusques à l'autre costé
         du lac, tirant au Su, vers les terres des ennemis. Les Sauvages
         cachèrent tous leurs canaux dans les bois, proches du rivage:
         nous fismes par terre quelque quatre lieues sur une playe de
         sable, où je remarquay un pays fort agréable, & beau, traversé
         de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites rivieres[84] qui
         se deschargent au susdit lac, & force estangs & prairies, où il
         y avoit un nombre infiny de gibier, & force vignes, & beaux
         bois, grand nombre de Chastaigners, dont le fruict estoit
39/527   encore en leur escorce. Les Chastaignes sont petites, mais d'un
         bon goust. Le pays est remply de forests, sans estre deserté,
         pour la pluspart de ce terroir. Tous les canaux estans ainsi
         cachez, nous laissasmes le rivage du lac, qui a quelque
         quatre-vingt lieues de long, & vingt-cinq de large [85]. La
         plus grande partie duquel est habité de Sauvages sur les costes
         des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre Chemin par terre,
         environ vingt-cinq à 30 lieues: Durant quatre journées nous
         traversames quantité de ruisseaux, & une riviere[86],
         procédante d'un lac qui se descharge dans celuy des
         Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de
         circuit, où il y a de belles isles, & est le lieu où les
         Iroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui est en
         abondance.

[Note 82: Quarante-quatre degrés et quelques minutes.]

[Note 83: De la baie de Quinte à l'embouchure de la rivière Chouaguen ou
_Oswego_, la petite flotte n'aurait eu également que quatorze lieues de
traverse, et ce serait bien le chemin que prendraient aujourd'hui les
vaisseaux à vapeur. Mais nos sauvages avaient toutes sortes de raisons
pour ne point traverser dans cette direction. D'abord avec leurs petits
canots, si commodes d'ailleurs pour ces sortes d'expéditions, ils ne se
hasardaient pas facilement sur ces mers intérieures, qu'un coup de vent
peut rendre, en un instant, redoutables même aux plus gros vaisseaux.
Ensuite une traverse aussi directe les mettait au coeur du pays ennemi,
sans qu'ils eussent pu cacher ou déguiser leur marche, et leur ôtait
toute chance de retraite, parce qu'il n'eût pas été possible de bien
cacher leurs canots. On dut donc passer d'île en île jusqu'à cette
pointe que l'on a appelée, pour les raisons que nous venons de
mentionner, pointe à la Traverse (aujourd'hui _Stoney point_); et il est
à regretter que nos géographes modernes n'aient pas respecté un nom
aussi significatif. Cette pointe est à peu près au sud-est de l'entrée
de la baie de Quinté; mais il faut remarquer que Champlain, dans sa
carte de 1632, la place vers le sud; ce qui peut rendre compte de cette
expression _tirant au Su_.]

[Note 74: Probablement la rivière des Sables et la rivière à la Famine
(aujourd'hui _Salmon river_), qui sont à quatre ou cinq lieues l'une de
l'autre.]

[Note 85: Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, sur
dix-sept ou dix-huit de large, dans ses plus grandes dimensions.]

[Note 86: La rivière Chouaguen, ou Ochouaguen; les Anglais disent
Oswego. Le lac dont parle ici Champlain, et qui se décharge dans le lac
Ontario par cette rivière, est celui d'Oneida, ou lac des Onneyouts; son
nom propre était, en iroquois, _Téchiroguen._]

         Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allant pour descouvrir
         rencontrèrent 11 Sauvages qui[87] prirent prisonniers, à
         sçavoir 4 femmes, trois garçons, une fille, & trois hommes, qui
         alloient à la pesche de poisson, eslongnez du fort des ennemis
         de quelque quatre lieues. Or est à noter que l'un des chefs
         voyant ces prisonniers couppa le doigt à une de ces pauvres
         femmes pour commencer leur supplice ordinaire: surquoy je
         survins sur ces entrefaittes, & blasmé le Capitaine Yroquet,
         luy representant que ce n'estoit l'acte d'un homme de guerre,
         comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les femmes,
         qui n'ont deffence aucune que les pleurs, lesquelles à cause de
40/528   leur imbecilité, & foiblesse, on doibt traicter humainement.
         Mais au contraire que cet acte fera jugé provenir d'un courage
         vil & brutal, & que s'il faisoit plus de ces cruautez, qu'il ne
         me donneroit courage de les assister, ny favoriser, en leur
         guerre: A quoy il me répliqua pour toute responce, que leurs
         ennemis les traictoient de mesme façon. Mais puis que ceste
         façon m'apportoit du déplaisir, il ne feroit plus rien aux
         femmes, mais bien aux hommes, puis que cela ne nous estoit
         aggreable.

[Note 87: Qu'ils.]

         Le lendemain, sur les trois heures après Midy, nous arrivasmes
         devant le fort[88] de leurs ennemis, où les Sauvages firent
         quelques escarmouches les uns contre les autres: encore que
         nostre desseing ne fust de nous descouvrir jusques au
         lendemain: mais l'impatience de nos Sauvages ne le peust
         permettre, tant pour le desir qu'ils avoient de veoir tirer sur
         leurs ennemis, comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui
         s'estoient par trop engagez, & qui estoient poursuivis de fort
         prés. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu d'hommes
         que j'avois: neantmoins nous leur montrasmes ce qu'ils
         n'avoient jamais veu, ny oüy. Car aussi-tost qu'ils nous
         veirent, & entendirent les coups d'harquebuse, & les balles
         siffler à leurs oreilles, ils se retirèrent promptement en leur
         fort, emportant leurs morts, & blessez, en ceste charge, & nous
         aussi semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec
         cinq ou six des nostres blessez, dont l'un y mourut.

[Note 88: A en juger par l'espace que nos guerriers ont jusqu'ici
parcouru, c'est-à-dire, vingt-cinq ou trente lieues, d'après
l'estimation de Champlain, et par les indications de la carte de 1632,
ce fort devait être à une petite distance du fond du lac de Canondaguen,
ou _Canandaiga_, et vers le sud du lac Honeoye, dans le comté
d'Ontario.]

41/529   Cela estant faict, nous nous retirasmes à la portée d'un canon,
         hors de la veue des ennemis, neantmoins contre mon advis, & ce
         qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut à leur dire & user de
         parolles assez rudes, & fascheuses, affin de les inciter à se
         mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient
         à leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en
         pouvoit réussir que du mal à leur perte & ruyne. Neantmoins je
         ne laissay pas de leur envoyer, & proposer, des moyens dont il
         falloit user, pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un
         Cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par
         dessus leurs pallissades: sur lequel on poseroit quatre ou cinq
         de nos harquebusiers, qui tireroient force harquebusades par
         dessus leurs pallissades & galeries, qui estoient bien munies
         de pierres, & par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous
         offençoient de dessus leurs galleries, & cependant nous
         donnerions ordre d'avoir des ais pour faire une manière de
         mantelets, pour couvrir & garder nos gens des coups de flesche,
         & de pierre, dont ils usoient ordinairement. Lesquelles choses,
         à sçavoir ledit Cavalier & les mantelets se pourroient porter à
         la main, & force d'hommes, & y en avoir un fait en telle sorte,
         que l'eau ne pouvoit pas estaindre le feu que l'on y
         appliqueroit devant le fort, & cependant ceux qui seroient sur
         le Cavalier feroient leur devoir avec quelques arquebusiers qui
         y seroient logés, & en ce faisant nous nous deffendrions en
         sorte, qu'ils ne pourroient aprocher pour esteindre le feu que
         nous y appliquerions à leurs clostures. Ce qu'ils trouverent
42/530   bon, & fort à propos, & y firent travailler à l'instant suivans
         mon advis. Et de faict, le lendemain [89] ils se mirent en
         besongne, les uns à coupper du bois, les autres à l'amasser,
         pour bastir, & dresser, lesdits Cavalliers, & mantelets: ce qui
         fut promptement exécuté, & en moins de quatre heures, horsmis
         du bois dont ils amasserent bien peu pour brusler contre leurs
         pallissades, affin d'y mettre le feu. Ils esperoient que ledit
         jour les cinq cents hommes promis viendroient, desquels
         neantmoins on se doutoit, parce qu'ils ne s'estoient point
         trouvez au rendez vous, comme on leur avoit donné charge, &
         qu'ils l'avoient promis. Ce qui affligeoit fort nos Sauvages:
         Mais voyants qu'ils estoient en assez bon nombre pour prendre
         leur fort, sans autre assistance, & jugeant de ma part que la
         longueur en toutes affaires est tousjours prejudiciable, du
         moins à beaucoup de choses. Je le[90] pressay d'attaquer ledit
         fort, leur remonstrant que les ennemis ayant recogneu leurs
         forces, & de nos armes, qui perçoient ce qui estoit à
         l'espreuve des flèches, ils commencèrent à se barricader, & à
         eux couvrir de bonnes pièces de bois, dont ils estoient bien
         munis, & leur Village remply, & que le moins temporiser estoit
         le meilleur, comme de fait ils y remédièrent fort bien: car
         leur Village estoit enclos de quatre bonnes pallissades de
         grosses pièces de bois, entrelassées les unes parmy les autres,
         où il n'y avoit pas plus de demy pied d'ouverture entre-deux,
         de la hauteur de trente pieds, & les galleries, comme en
         manière de parapel qu'ils avoient garnis de doubles pièces de
43/531   bois, à l'espreuve de nos harquebusades, & proche d'un estang
         qu'ils estoient, où l'eau ne leur manquoit aucunement, avec
         quantité de gouttières qu'ils avoient mises entre-deux,
         lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la mettoient par dedans
         à couvert pour estaindre le feu. Voila en effect la façon dont
         ils usent, tant en leurs fortifications qu'en leurs deffences,
         & bien plus forts que les villages des Attigouautan, & autres.

[Note 89: Le 11 octobre.]

[Note 90: Les.]

         Nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant porter
         nostre Cavallier par 200 hommes les plus forts, qui le poserent
         devant ce village, à la longueur d'une picque, où je fis monter
         trois [91] harquebusiers, bien à couvert des flesches &
         pierres, qui leur pouvoient estre tirées, & jettées. Cependant
         l'ennemy ne laissa pour cela de tirer un grand nombre de
         flesches, qui ne manquèrent point, & quantité de pierres qu'ils
         jettoient par dessus leurs pallissades. Neantmoins la multitude
         infinie des coups d'harquebuse les contraignirent de desloger,
         & d'abandonner leurs galleries, par le moyen, & faveur, d'un
         Cavallier qui les descouvroit, & ne s'osoient descouvrir, ny
         montrer, combattans à couvert. Et comme on portoit le Cavalier,
         au lieu d'apporter les mantelets par ordre, & celuy où nous
         debvions mettre le feu, ils les abandonnèrent, & se mirent à
         crier contre leurs ennemis, en tirant des coups de flesches
         dedans le fort, qui, à mon oppinion, ne faisoient pas beaucoup
         de mal aux ennemis. Mais il faut les excuser, car ce ne sont
44/532   pas gens de guerre, & d'ailleurs qu'ils ne veulent point de
         discipline, ny de correction, & ne font que ce qui leur
         semblent bon. C'est pourquoy inconsidérément un d'entr'eux mist
         le feu au bois, contre le fort de leurs ennemis, & tout au
         rebours de bien, & contre le vent, tellement qu'il ne fin:
         aucun effect.

[Note 91: L'édition de 1632 porte _quatre_, au lieu de _trois_. Dans le
dessin qui représente le cavalier devant le fort, on en distingue sept.]

532a     [Illustration]

         Le feu donc passé, la pluspart des Sauvages commencèrent à
         apporter le bois contre les pallissades, mais en petite
         quantité qui feut cause que le feu, si peu fourny de bois ne
         peut faire grand effect: aussi que le désordre survint entre ce
         peuple, tellement qu'on ne se pouvoit entendre: ce qui
         m'affligeoit fort, j'avois beau crier à leurs oreilles & leur
         remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible le danger où ils se
         mettoient par leur mauvaise intelligence, mais ils
         n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils faisoient, &
         voyant que c'estoit me rompre la teste de crier, & que mes
         remonstrances estoient vaines, & ne pouvant remédier à ce
         désordre, ny faire davantage: je me resolu avec mes gens de
         faire ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous
         pourrions découvrir, & apercevoir. Cependant les ennemis
         faisoient proffit de nostre désordre, ils alloient à l'eau, &
         en jettoient en telle abondance, que vous eussiez dit que
         c'estoient ruisseaux qui tomboient par leurs gouttières, de
         telle façon, qu'en moins de rien ils rendirent le feu du tout
         estaint, sans que pource ils laissassent de tirer des coups de
         flèches, qui tomboient sur nous comme gresle. Ceux qui estoient
         sur le Cavallier en tuèrent, & estropierent, beaucoup. Nous
         fusmes en ce combat environ trois heures, il y eut deux de nos
45/533   Chefs, & des principaux blessez, à sçavoir un appellé
         Ochateguain, l'autre Orani, & quelque quinze d'autres
         particuliers aussi blessez. Les autres de leur costé voyants
         leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, ils
         commencèrent à parler de retraicte, sans plus combattre,
         attendant les cinq cents hommes [92] qui ne debvoient plus
         gueres tarder à venir, & ainsi se retirèrent, n'ayants que
         ceste bouttade de désordre. Au reste les Chefs n'ont point de
         commandement absolu sur leurs compagnons, qui suivent leur
         volonté, & font à leur fantaisie, qui est la cause de leur
         désordre, & qui ruyne toutes leurs affaires: Car ayant resolu
         quelque chose avec les principaux, il ne faudra qu'un belistre,
         ou de néant, pour rompre une resolution, & faire un nouveau
         desseing, si la fantaisie luy en prend. Ainsi les uns pour les
         autres ne font rien, comme il se peut veoir par ceste
         expédition.

[Note 92: C'étaient les cinq cents hommes que leur avaient offerts les
Carantouanais ou Andastes; ils arrivèrent deux jours trop tard. (Voir à
la fin de cette relation, p. 135.)]

         Mais nous nous retirasmes en nostre fort, moy estant blessé de
         deux coups de flesches, l'un dans la jambe, & l'autre au
         genouil, qui m'apporta grande incommodité, outre les grandes &
         extresmes douleurs. Et estans tous assemblez, je leur fis
         plusieurs remonstrances sur le désordre qui s'estoit passé,
         mais tous mes discours servoient aussi peu que le taire, & ne
         les émeut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens avoient
         esté blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit beaucoup de
         fatigue, & d'incommodité, aux autres, faisant la retraite pour
         les porter, & que de retourner plus contre leurs ennemis, comme
46/534   je leur proposois le debvoir faire, il n'y avoit aucun moyen,
         mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq
         cents hommes qui debvoient venir, & estans venus ils feroient
         un second effort contre leurs ennemis, & executeroient mieux ce
         que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le passé. Il en
         fallut demeurer là, à mon grand regret. Cy-devant est
         representé comme ils fortifient leurs villes, & par ceste
         figure l'on peut entendre, & voir, que celles des amis, &
         ennemis, sont semblablement fortifiez.

         Le lendemain[93] il fit un vent impétueux qui dura deux jours,
         fort favorable à mettre le feu de rechef au fort des ennemis:
         sur quoy je les pressay fort, mais ils n'en voulurent rien
         faire, comme doutant d'avoir pis, & d'ailleurs se representans
         leurs blessez.

[Note 93: Le 12 octobre.]

         Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, où durant ce temps
         il se fist quelques escarmouches entre les ennemis, & les
         nostres, qui demeurèrent le plus souvent engagez parmy les
         ennemis, plustost par leur imprudence, que faute de courage,
         vous asseurant qu'il nous falloit, à toutes les fois qu'ils
         alloient à la charge, les aller requérir, & les desengager de
         la prise, ne se pouvant retirer qu'en la faveur de nos
         harquebusiers, ce que les ennemis redoubtent & appréhendent
         fort. Car si tost qu'ils apperçoivoient quelqu'un de nos
         harquebusiers, ils se retiroient promptement, nous disans par
         forme de persuasion que nous ne nous meslassions pas en leurs
         combats, & que leurs ennemis avoient bien peu de courage de
         nous requérir de les assister avec tout plain d'autres discours
         sur ce subject pour nous en émouvoir.

47/535   J'ay representé de la façon qu'ils s'arment allant à la guerre,
         figure E[94].

[Note 94: L'édition originale de 1619, et la seconde édition de 1627,
renvoient ici, par inadvertance, à la page 23; dans ces deux éditions,
la figure E se trouve au verso de la page 87.]

         Et quelques jours passez voyans que les cinq cens hommes ne
         venoient point, ils délibérèrent de partir, & faire retraite au
         plustost, & commencèrent à faire certains paniers pour porter
         les blessez, qui sont mis là dedans, entassez en un monceau
         pliez & garrottez de telle façon, qu'il est impossible de se
         mouvoir, moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas
         sans faire recevoir aux blessez de grandes & extresmes
         douleurs. Je le puis bien dire avec vérité, quand à moy, ayant
         esté porté quelques jours, d'autant que je ne pouvois me
         soustenir, principallement à cause du coup de flesche que
         j'avois reçeu au genouil, car jamais je ne m'estois veu en une
         telle gehenne, durant ce temps, car la douleur que j'endurois à
         cause de la blesseure de mon genouil, n'estoit rien au pris de
         celle que je supportois lié & garrotté sur le dos de l'un de
         nos Sauvages: ce qui me faisoit perdre patience, & qui fist
         qu'aussitost que je peu avoir la force de me soustenir, je
         sortis de céte prison, ou à mieux dire de la gehenne.

         Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue, mais
         c'estoit de loing, pour essayer d'attrapper quelques-uns de
         ceux qui faisoient l'arriere-garde, mais leurs peines leur
         demeura vaines, & se retirèrent.

         Or tout ce que j'ay veu de bon en leur guerre est, qu'ils font
         leur retraicte fort seurement, mettans tous les blessez, & les
48/536   vieux, au milieu d'eux, estant sur le devant aux aiselles & sur
         le derrière bien armez [95], & arrangez par ordre de la façon,
         jusques à ce qu'ils soient en lieu de seureté, sans rompre leur
         ordre.

[Note 95: Estant, sur le devant, aux ailles & sur le derrière, bien
armez.]

         Leur retraite estoit fort longue, comme de vingt-cinq à 30
         lieues, qui donna beaucoup de fatigue aux blessez, & à ceux qui
         les portoient, encores qu'ils se changeassent de temps en
         temps.

         Le dix-huictiesme jour dudict mois, il tomba forces neiges, &
         gresle, avec un grand vent qui nous incommoda fort. Neantmoins
         nous fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudict lac des
         Entouhonorons, & au lieu où estoient nos canaux cachés, que
         l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les
         ennemis les eussent rompus, & estans tous assemblez, les
         voyants prests de se retirer à leur Village, je les priay de me
         remener à nostre habitation, ce qu'ils ne vouloient accorder du
         commencement: mais en fin ils se resolurent, & cherchèrent 4
         hommes pour me conduire, ce qui fut fait, lesquels quatre
         hommes s'y offrirent volontairement: Car, comme j'ay dit
         cy-dessus, les chefs n'ont point de commandement sur leurs
         compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce
         qu'ils voudroient bien, & ces hommes estant trouvés, il falut
         trouver un canau, qui ne se peut recouvrer, chacun ayant
         affaire du sien, & n'en ayant plus qui [96] ne leur en faloit.
         Ce n'estoit pas me donner sujet de contentement, ains au
         contraire cela m'affligeoit fort, mettant en doute quelque
49/537   mauvaise volonté, d'autant qu'ils m'avoient promis de me
         remener & conduire, jusques à nostre habitation, après leur
         guerre, & outre que j'estois fort mal accommodé pour hyverner
         avec eux, car autrement je ne m'en fusse pas soucié: & ne
         pouvans rien faire, il fallut se resoudre à la patience. Mais
         depuis après quelques jours je recogneu que leur desseing
         estoit de me retenir avec mes compagnons en leur pays, tant
         pour leur seureté, craignant leurs ennemis, que pour entendre
         ce qui se passoit en leurs Conseils, & assemblées, que pour
         resoudre ce qu'il convenoit faire à l'advenir contre leursdits
         ennemis, pour leur seureté & conservation.

[Note 96: Qu'il.]

         Le lendemain vingt-huictiesme dudit mois, chacun commença à se
         préparer les uns pour aller à la chasse des Cerfs, les autres
         aux Ours Castors, autres à la pesche du poisson, autres à se
         retirer en leurs Villages, & pour ma retraite & logement il y
         eut un appellé Durantal[97], l'un des principaux chefs, avec
         lequel j'avois desja quelque familiarité, me fist offre de sa
         cabanne, vivres, & commoditez, lequel prit aussi le chemin de
         la chasse du Cerf, qui est tenue pour la plus noble entr'eux, &
         en la plus grande quantité. Et après avoir traversé le bout du
50/538   lac de laditte isle(98), nous entrasmes dans une riviere[99]
         qui a quel que douze lieues, puis ils portèrent leurs canaux
         par terre quelque demie lieue, au bout de laquelle nous
         entrasmes en un lac qui a d'estendue environ dix à douze lieues
         de circuit, ou il y avoit grande quantité de gibier, comme
         Cygnes, grues blanches, houstardes, canarts, sarcelles, mauvis,
         allouettes, beccassines, oyes, & plusieurs autres sortes de
         vollatilles que l'on ne peut nombrer, dont j'en tuay bon
         nombre, qui nous servit bien, attendant la prinse de quelque
         Cerf, auquel lieu nous fusmes en un certain endroict eslongné
         de quelque dix lieues, où nos Sauvages jugeoient qu'il y avoit
         des Cerfs en quantité. Ils s'assemblerent quelques vingt-cinq
         Sauvages, & se mirent à bastir deux ou trois cabannes de pièces
         de bois, accommodées l'une sur l'autre, & les calfestrerent
         avec de la mousse pour empescher que l'air n'y entrast, les
         couvrant d'escorces d'arbres: ce qu'estant faict ils furent
         dans le bois, proche d'une petite sapiniere, où ils firent un
         clos en forme de triangle, fermé des deux costez, ouvert par
         l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes pallissades de bois fort
         presse, de la hauteur de huict à 9 pieds, & de long de chacun
         costé prés de mil cinq cent pas, au bout duquel triangle y a un
         petit clos, qui va tousjours en diminuant, couvert en partie de
         branchage, y laissant seulement une ouverture de cinq pieds,
51/539   comme la largeur d'un moyen portail, par où les Cerfs debvoient
         entrer: Ils firent si bien, qu'en moins de dix jours ils mirent
         leur clos en estat, cependant d'autres sauvages alloient à la
         pesche du poisson, comme truittes & brochets de grandeur
         monstrueuse, qui ne nous manquèrent en aucune façon. Toutes
         choses estant faites, ils partirent demie heure devant le jour,
         pour aller dans le bois, à quelque demie lieue de leurdit clos,
         s'esloignant les uns des autres de quelque quatre-vingt pas,
         ayant chacun deux bastons, desquels ils frappent l'un sur
         l'autre, marchant au petit pas en cet ordre, jusques à ce
         qu'ils arrivent à leur clos. Les Cerfs oyant ce bruit
         s'enfuyent devant eux, jusques à ce qu'ils arrivent au clos où
         les sauvages les pressent d'aller, & se joignant peu à peu vers
         la baye & ouverture de leur triangle, où lesdits Cerfs coulent
         le long desdites pallissades jusques à ce qu'ils arrivent au
         bout, où les Sauvages les poursuivent vivement, ayant l'arc &
         la flesche en main, prests à descocher, & estant au bout de
         leurdit triangle ils commencent à crier, & contrefaire les
         loups, dont y a quantité, qui mangent les Cerfs, lesquels Cerfs
         oyant ce bruict effroyable, sont contraincts d'entrer en la
         retraicte par la petite ouverture, où ils sont poursuivis fort
         vivement a coups de flèche, où estans entrez ils sont pris
         aysément en cette retraicte, qui est si bien close & fermée,
         qu'ils n'en peuvent sortir aucunement. Je vous asseure qu'il y
         a un singulier plaisir en ceste chasse, qui se faisoit de deux
         jours en deux jours, & firent si bien qu'en trente-huit jours
52/540   [100] que nous y fusmes ils prirent six-vingts Cerfs, desquels
         ils se donnent bonne curée, reservant la graisse pour l'hyver,
         en usant d'icelle comme nous faisons du beurre, & quelque peu
         de chair qu'ils emportent à leurs maisons, pour faire des
         festins entr'eux. Ils ont d'autres inventions à prendre le
         Cerf, comme au piège, dont ils en font mourir beaucoup. Vous
         voyez cy-devant dépaint la forme de leur chasse, clost & piége,
         & des peaux ils en font des habits. Voila comme nous passasmes
         le temps attendant la gelée, pour retourner plus aysément,
         d'autant que le païs est marescageux. Au commencement que l'on
         estoit sorty pour aller chasser, je m'engagis tellement dans
         les bois pour poursuivre un certain oyseau qui me sembloit
         estrange ayant le bec approchant d'un perroquet, & de la
         grosseur d'une poulle, le tout jaune, fors la teste rouge, &
         les aisles blues, & alloit de vol en vol comme une perdrix. Le
         desir que j'avois de le tuer me fist le poursuivre d'arbre en
         arbre fort longtemps, jusques à ce qu'il s'envolla à bon
         escient, & en perdant toute esperance je voulus retourner sur
         mes brisées, où je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui
         avoient tousjours gaigné païs, jusques à leur clos, & taschant
         les attrapper, allant ce me sembloit droict où estoit ledict
         clos, je me treuvay égaré parmy les forests, allant tantost
         d'un costé, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, &
         la nuit venant me contraignit de la passer au pied d'un grand
         arbre, jusques au lendemain, où je commençay à faire chemin
         jusques sur les trois heures du soir, où je rencontray un petit
         estang dormant, où j'aperçeus du gibier que je fus gyboyer, &
53/541   tuay trois ou quatre oyseaux qui me firent grand bien, d'autant
         que je n'avois mangé aucune chose. Et le mal pour moy qui[101]
         durant trois jours il n'avoit fait aucun soleil, que pluye, &
         temps couvert, qui m'augmentoit mon desplaisir. Las & recreu,
         je commençay à me reposer, & faire cuire de ces oyseaux pour
         assouvir la faim qui commançoit à m'affaiblir cruellement, si
         Dieu n'y eust remédié: mon repas pris, je commençay à songer en
         moy ce que je debvois faire, & prier Dieu qu'il me donnait
         l'esprit, & le courage, de pouvoir supporter patiemment mon
         infortune, s'il falloit que je demeurasse abandonné dans ces
         deserts, sans conseil, ny consolation, que de la bonté &
         misericorde Divine, & neantmoins m'évertuer de retourner à nos
         chasseurs. Et ainsi remettant le tout en sa misericorde, je
         repris courage plus que devant allant ça & là tout le jour,
         sans m'apperçevoir d'aucune trace, ou sentier, que celuy des
         bestes sauvages, dont j'en voyois ordinairement en bon nombre.
         Je fus contrainct de passer icelle nuict, & le mal pour moy
         estoit que j'avois oublié apporter sur moy un petit cadran qui
         m'eust remis en mon chemin, à peu prés. L'aube du jour venu,
         après avoir repeu un peu, je commençay à m'acheminer jusques à
         ce que je peusse rencontrer quelque ruisseau, & costoyer
         iceluy, jugeant qu'il falloit de necessité qu'il allast
         décharger en la riviere, ou sur le bord, où estoient cabanez
         nos chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay, si bien,
         que sur le midy se me treuvay sur le bord d'un petit lac, comme
         de lieue & demie, où j'y tuay quelque gibier, qui m'accommodoit
54/542   fort à ma necessité, & avois encore quelque huict à dix charges
         de poudre, qui me consoloit fort. Je suivay le long de la rive
         de ce lac, pour voir où il déchargoit, & trouvay un ruisseau
         assez spacieux que je commançay à suivre, jusques sur les cinq
         heures du soir, que j'entendis un grand bruict, & prestant
         l'oreille, je ne pouvois bonnement comprendre ce que c'estoit,
         jusques à ce que j'entendis le bruict plus clairement & jugay
         que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois: je
         m'acheminay de plus prest, & apperceus un eclasie, où estant
         parvenu je me rancontray en un grand pré, & spacieux, où il y
         avoit grand nombre de bestes Sauvages & regardant à la main
         droite, j'apperceus la riviere, large & spacieuse: te commençay
         à regarder si je ne pourrois recognoistre cet endroit, &
         marchant en ce pré j'apperceut un petit sentier, qui estoit par
         où les Sauvages portoient leurs canaux, & en fin après avoir
         bien consideré, je recognus que c'estoit la mesme riviere, &
         que j'avois passé par là, & passay encore la nuict avec plus de
         contentement que je n'avois fait, & ne laissay de soupper de si
         peu que j'avois. Le matin venu, je reconsideray le lieu où
         j'estois, & recognus de certaines montagnes qui estoient sur le
         bord de ladite riviere, que je ne m'estois point trompé, & que
         nos chasseurs devoient estre au dessoubs de moy, de quatre ou
         cinq bonne lieues que je fis à mon aise, costoyant le bord de
         ladite riviere, jusques à ce que j'apperceus la fumée de
         nosdits chasseurs, auquel lieu j'arrivay avec beaucoup de
         contentement tant de moy que d'eux qui estoient encore en
55/543   queste à me chercher, & avois perdu comme esperance de me
         revoir, me priant de ne m'écarter plus d'eux ou tousjours
         porter avec moy mon cadran, & ne l'oublier: & me disoient si tu
         ne fusse venu, & que nous n'eussions peu te trouver, nous ne
         serions plus allez aux François, de peur que ils ne nous
         eussent accusez de t'avoir fait mourir. Depuis il[102] étoit
         sort soigneux de moy quand j'allois à la chasse, me donnant
         tousjours un Sauvage pour ma compagnie, qui sçavoit si bien
         retrouver le lieu d'où il partoit, que c'est chose estrange à
         voir. Pour retourner à mon propos, ils ont une certaine
         resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils
         faisoient rostir d'icelle viande, prise en ceste façon, ou
         qu'il tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y
         fussent jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de Cerfs, me
         priant fort de n'en point faire rostir, mais je me riois de
         cela, & de leur façon de faire: mais pour ne les scandaliser,
         je m'en déportois volontiers, du moins estant devant eux, mais
         en arrière j'en prenois du meilleur, que je faisois rostir,
         n'adjoustant foy en leurs superstitions, & puis leur ayans
         dict, ils ne me vouloient croire, disant que si cela eust esté
         ils n'auroient pris aucuns Cerfs, depuis que telle chose auroit
         esté commise.

[Note 97: Plus loin, l'auteur l'appelle _d'Arontal_ et _Darontal_,
orthographe qui se rapproche davantage de celle de Sagard et des
Relations des Jésuites. «La contrée, dit Sagard (Grand Voyage, ch. VI),
où commandoit le Grand Capitaine _Atironta_, s'appelle Henarhonon»
(Arendaronon). On voit, dans la Relation du pays des Hurons de 1640 (ch.
IX), que le capitaine des Arendaronons, Atironta, portait le nom du
premier capitaine huron qui ait rencontré les Français. Celle de 1642
s'exprime à peu près dans les mêmes termes: «Il estoit question de
faire revivre le nom d'Atironta, celuy qui autrefois le premier des
Hurons avoit descendu à Kebec, & lié amitié avec les François.»]

[Note 98: Il semble qu'il y a ici quelque chose de passé. Cette _dite
île_, dont on n'a point encore parlé, et de laquelle on traverse le bout
du lac, devait être dans le voisinage de la pointe à la Traverse, et
faisait vraisemblablement partie du groupe des îles aux Galops, où l'on
dut se réunir, avant que chaque bande prît sa route vers le pays huron,
ou vers les endroits de chasse. C'est du moins ce que permet de supposer
le texte, qui semble ici s'être ressenti de l'état de souffrance de
l'auteur.]

[Note 99: Cette rivière était probablement celle de Cataracoui: car,
d'abord l'auteur donne à entendre qu'on ne prit pas, immédiatement du
moins, la même route qu'en descendant; en second lieu, la rivière de
Cataracoui est la seule un peu considérable que l'on trouve au bout de
cette traverse; enfin elle mène précisément au coeur du pays où, suivant
la carte de Champlain, _il y a force Cerfs_, vers le nord de l'entrée de
la baie de Quinté.]

[Note 100: Du 28 octobre au 4 décembre.]

[Note 101: Que.]

[Note 102: Darontal (Édition de 1632).]

[Illustration p.540]

         Le quatriesme jour de Décembre nous partismes de ce lieu,
         marchant sur la riviere qui estoit gelée, & sur les lacs &
         estangs glassez, & quelquesfois cheminans par les bois l'espace
         de dix-neuf jours, ce n'estoit pas sans beaucoup de peine, &
         travail tant pour les Sauvages qui estoient chargez de cent
56/544   livres pesant, comme de moy-mesme qui avoit la pesanteur de
         vingt livres, qui à la longue m'importunoit beaucoup. Il est
         bien vray que j'estois quelques-fois soulagé par nos Sauvages,
         mais nonobstant je ne laissois pas d'en recevoir de
         l'incommodité. Quand à eux pour plus aisément traverser les
         glaces, ils ont accoustumé de faire de certaines traînées [103]
         de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges & les traînent
         après eux sans aucune difficulté, & vont fort promptement, mais
         il se fist quelques jours après un desgel qui nous apporta
         beaucoup de peine & d'incommodité: Car il nous falloit passer
         par dedans des sapinieres plaines de ruisseaux estangs, marais,
         & pallus, avec quantité des boisées, renversées les unes sur
         les autres, qui nous donnoit mille maux, avec des ambarassemens
         qui nous apportoit de grandes incommoditez pour estre tousjours
         mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes quatre jours
         en cet estat à cause qu'en la plus grande partie des lieux les
         glaces ne portoient point, nous fismes donc tant que nous
         arrivasmes à nostre village le vingtiesme[104] jour dudit mois,
         où le Capitaine Yroquet vint hiverner avec ses compagnons, qui
         vont Algommequins[105] & son fils, qu'il amena pour faire
         traiter, lequel allant à la chasse, avoit esté fort offensé
         d'un Ours, le voulant tuer.

[Note 103: _Traînes_. La _traîne sauvage_ se compose de deux planches
minces d'un bois dur et coulant bien assujetties l'une à coté de l'autre
a de petites traverses auxquelles elles sont attachées avec ce que l'on
appelle de la _babiche_, c'est-à-dire, une petite lanière de cuir de la
grosseur d'une moyenne ficelle. De chaque côté court une longue baguette
attachée de la même manière, et qui sert comme de ridelle. Les planches
sont relevées par devant repliées sur elles-mêmes et retenues dans cet
état par de plus fortes attaches; cette partie de la traîne s'appelle
_chaperon_.]

[Note 104: On dut arriver à Cahiagué le 23 de décembre, comme porte
l'édition de 1632; car on était parti le 4, et l'on fut dix-neuf jours à
faire le trajet.]

[Note 105: Le nom huron de la nation d'Yroquet, était Onontchataronon
(Relations).]

57/545   M'estant reposé quelques jours je me deliberay d'aller voir le
         Père Joseph, & de là voir les peuples en l'hiver, que l'esté, &
         la guerre ne m'avoient peu permettre de les visiter. Je party
         de ce Village le quatorziesme[106] de Janvier en suivant, après
         avoir remercié mon hoste du bon traictement qu'il m'avoit fait,
         esperans ne le revoir de trois mois, & prins congé de luy.

[Note 106: Quatrième.]

         Le lendemain je vis le Père Joseph en sa petite maisonnette
         [107] où il s'estoit retiré, comme j'ay dit cy-dessus: je
         demeuray avec luy quelques jours, se trouvant en délibération
         de faire un voyage aux gens du Petun[108], comme j'avois
         délibéré, encores qu'il face tres-fascheux de voyager en temps
         d'hyver, & partismes ensemble le quinziesme Fevrier[109], pour
         aller vers icelle nation, où nous arrivasmes le dix-septiesme
         dudit mois. Ces peuples du Petun sement le Maïs appelle par
         deçà bled de Turquie, & ont leur demeure arrestée comme les
         autres. Nous fusmes en sept autres Villages leurs voisins &
         alliez, avec lesquels nous contractasmes amitié: ils nous
         promirent de venir un bon nombre à nostre habitation. Ils nous
         firent fort bonne chère, & prêtent de chair & poisson pour
         faire festin comme est leur coustume, où tous les peuples
         accouroient de toutes parts pour nous voir, en nous faisant
         mille demonstrations d'amitié, & nous conduisoient en la
         pluspart du chemin. Le païs est remply de costaux, & petites
58/546   campagnes, qui rendent ce terroir aggreable: ils commençoient à
         bastir deux Villages, par où nous passasmes, au milieu des bois
         pour la commodité qui[110] treuvent d'y bastir & enclore leurs
         Villes. Ces peuples vivent comme les Attignouaatitans, & mesmes
         coustumes, & sont proches de la nation neutre[111], qui est
         puissante, qui tient une grande estendue de pays. Après avoir
         visité ces peuples nous partismes de ce lieu, & fusmes à une
         nation de Sauvages que nous avons nommez les cheveux relevez
         [112], lesquels furent fort joyeux de nous revoir, avec
         lesquels nous jurasmes aussi amitié, & qui pareillement nous
         promirent de nous venir trouver, & voir à ladite habitation, à
         cet endroit[113]: il m'a semblé à propos de les dépaindre, &
         décrire leurs pays, moeurs, & façons de faire. En premier lieu
         ils font la guerre à une autre nation de Sauvages, qui
         s'appellent Asistagueroüon[114], qui veut dire des gens de feu,
         eslongnez d'eux de dix journées: ce fait, je m'informay fort
59/547   particulièrement de leur pays, & des nations qui y habitent,
         quels ils sont, & en quelle quantité. Icelle nation sont en
         grand nombre, & la pluspart grands guerriers, chasseurs, &
         pescheurs: Ils ont plusieurs chefs qui commandent chacun en sa
         contrée, la plus grand part sement des bleds d'inde, & autres.
         Ce sont chasseurs qui vont par trouppes en plusieurs régions &
         contrées, où ils trafficquent avec d'autres nations, eslongnées
         de plus  de quatre à cinq cent lieues: ce sont les plus propres
         Sauvages que j'aye veu en leurs mesnages, & qui travaillent le
         plus industrieusement aux façons des nates, qui sont leurs
         tapis de Turquie: Les femmes ont le corps couvert, & les hommes
         découvert, sans aucune chose, sinon qu'une robbe de fourrure,
         qu'ils mettent sur leur corps, qui est en façon de manteau,
         laquelle ils laissent ordinairement, & principallement en Esté:
         Les femmes & les filles ne sont non plus émues de les voir de
         la façon, que si elles ne voyoient rien qui sembleroit
         estrange: Elles vivent fort bien avec leurs maris, & ont ceste
         coustume que lors qu'elles ont leurs mois, elles se retirent
         d'avec leur mary, ou la fille d'avec son père, & sa mère, &
         autres parens, s'en allant en de certaines maisonnettes, où
         elles se retirent, pendant que le mal leur tient, sans avoir
         aucune compagnie d'hommes, lesquels leur font porter des vivres
         & commoditez jusques à leur retour, & ainsi l'on sçait celles
         qui ont leurs mois & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens
         qui font de grands festins, & plus que les autres nations: ils
         nous firent fort bonne chère, & nous reçeurent fort
         amiablement, & me prièrent fort de les assister contre leurs
60/548   ennemis, qui sont sur le bord de la Mer douce, eslongnée de
         deux cent lieues, à quoy je leur dist que ce seroit pour une
         autre fois, n'estant accommodé des choses necessaires. Ils ne
         sçavoient quelle chère nous faire: j'ay dépainct en la figure
         C. comme ils sont en guerre. Il y a aussi à deux journées
         d'iceux une autre nation de Sauvages, qui sont grand nombre de
         Petun, d'un costé tirant au Su, lesquels s'appellent la nation
         neutre[115], qui sont au nombre de quatre mil hommes de guerre,
         qui habitent vers l'Occident du lac des Entouhonorons de
         quatre-vingt à cent lieues d'estendue, lesquels neantmoins
         assistent les cheveux relevez contre les gens de feu: Mais
         entre les Yroquois, & les nostres ils ont paix, & demeurent
         comme neutres: de chacune nation est la bien venue, & où ils
         n'osent s'entredire, ny faire, aucune fascherie, encores que
         souvent ils mangent & boivent ensemble, comme s'ils estoient
         bons amis. J'avois bien desir d'aller voir icelle nation, sinon
         que les peuples où nous estions m'en dissuaderent, disant que
         l'année précédente un des nostres en avoit tué un, estant à la
         guerre des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez, nous
         representant qu'ils sont fort subjects à la vengeance, ne
         regardant point à ceux qui ont fait le coup, mais le premier
         qu'ils rencontrent de la nation, ou bien leurs amis, ils leur
         font porter la peine, quand ils peuvent en attrapper, si
         auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & leur avoir donné
         quelques dons & presens aux parens du deffunct, qui m'empescha
61/549   pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous
         asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun suject & occasionna
         de retourner par le mesme chemin que nous estions venus, &
         continuant mon voyage, je fus trouver la nation des Pisierinij
         [116], qui avoient promis de me mener plus outre en la
         continuation de mes desseins & descouvertures: mais je fus
         diverty pour les nouvelles qui survindrent de nostre grand
         village, & des Algommequins, d'où estoit le Cappitaine Yroquet,
         à sçavoir que ceux de la nation des Atignouaatitans auroient
         mis & déposé entre ses mains un prisonnier de nation ennemie,
         esperant que ledit Cappitaine Yroquet deubst exercer sur ce
         prisonnier la vengeance ordinaire entr'eux. Mais au lieu de ce,
         l'auroit non seulement mis en liberté, mais l'ayant trouvé
         habille, & excellent chasseur, & tenu comme son fils, les
         Atignouaatitans seroient entrez en jalousie, & designé de s'en
         venger, & de faict auroient disposé un homme pour entreprendre
         d'aller tuer ce prisonnier, ainsi allié qu'il estoit. Comme il
         fut exécuté en la presence des principaux de la nation
         Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de cholere
         tuerent sur le champ ce téméraire entrepreneur meurtrier,
         duquel meurtre les Atignouaatitans se trouvans offensez, &
         comme injuriez en cet action, voyant un de leurs compagnons
         morts prindrent les armes, & se transporterent aux tentes des
         Algommequins qui viennent hiverner proches de leurdict Village,
62/550   lesquels offencerent fort & où ledit Cappitaine Yroquet fut
         blessé de deux coups de fléche, & une autre fois pillèrent
         quelques cabannes desdits Algommequins, sans qu'ils se peussent
         mettre en deffence: car aussi le party n'eust pas esté égal, &
         neantmoins cela lesdits Algommequins ne furent pas quittes, car
         il leur fallut accorder, & contraints pour avoir la paix, de
         donner ausdits Atignouaatitans cinquante colliers de
         pourceline, avec cent becasses[117] d'icelle: ce qu'ils
         estiment de grand valeur parmy eux, & outre ce nombre de
         chaudières & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place
         du mort: bref ils furent en grande dissention, c'estoit ausdits
         Algommequins de souffrir patiemment ceste grande furie, &
         penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en seureté,
         nonobstans leurs presens, jusques à ce qu'ils se veirent en un
         autre estat. Ces nouvelles m'affligèrent fort, me representant
         l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant pour eux que pour
         nous, qui estions en leur pays.

[Note 107: A Carhagouha.]

[Note 108: Les _Tionnontatéronons_, qui demeuraient au sud de la baie de
Nataouassaga.]

[Note 109: Par le contexte, on voit qu'il faut lire _janvier_; c'est
aussi ce que met l'édition de 1632.]

[Note 110: Qu'ils.]

[Note 111: Les _Attiouandaronk_. Ils demeuraient à l'ouest du lac
Ontario. Champlain, dans sa grande carte de 1632, les place au sud du
lac Érié; mais il y a tout lieu de croire qu'il n'aura pas bien saisi le
rapport des sauvages. Car cette nation garda pendant de longues années
sa position et son pays; or toutes les relations de cette époque la
place au nord du lac Érié et à l'ouest du lac Ontario. Cette expression
même de l'auteur, _sont proches de la nation neutre_, prouve
suffisamment que ces Attiouandaronk devaient être situés comme nous
avons dit, et il suffit de jeter les yeux sur la carte de 1632, pour
comprendre que la cause de cette erreur de Champlain est qu'il n'avait
pas une idée bien exacte de l'immense contour du fleuve depuis le lac
Huron jusqu'au lac Ontario. D'ailleurs s'ils eussent été au sud du lac
Érié, ils n'auraient pu commander aussi aisément le passage entre les
Iroquois et les Hurons.]

[Note 112: Les _Andatahouats_ (Sagard). En comparant ce que dit ici
Champlain avec la position qu'il donne aux Cheveux-Relevés dans sa carte
de 1632, on ne peut guères s'empêcher de conclure que cette nation
demeurait au sud ou au sud-ouest du fond de la baie Géorgienne. (Voir p.
24, note 1.)]

[Note 113: Ces mots _à cet endroit_ appartiennent, ce semble, à la
phrase suivante; cependant il est possible que par _ladite habitation_
Champlain entende celle que les Français avaient a cet endroit,
c'est-à-dire, au pays huron, et dont il parle un peu plus loin.]

[Note 114: _Atsistahéroron_. C'est ainsi que les appelaient les Hurons.
Leur nom algonquin était Mascoutens. Ils demeuraient au-delà de la
rivière du Détroit.]

[Note 115: Voir ci-dessus, p. 58, note 2.]

[Note 116: _Nipissirini_. Ces Nipissings pouvaient être de ceux qui
avaient fait partie de l'expédition contre les Iroquois, ou de ceux qui
venaient tous les ans hiverner près des Hurons. Car il paraît évident
que Champlain ne fit pas le voyage du lac Nipissing, puisqu'il dit, un
peu plus loin: « En passant, je visitay les Pisirinins.» D'ailleurs,
s'il eût fait ce voyage, qui était de près de soixante lieues, il
n'aurait pas manqué d'en donner quelque détail.]

[Note 117: Lisez _brasses_. Le collier était une espèce de bande
composée d'un certain nombre de brasses de porcelaine, avec cette
différence, néanmoins, que la porcelaine en _brasses_, ou en _branches_,
était la porcelaine blanche et commune; tandis que celle dont se
composaient les colliers, était d'un violet plus ou moins foncé, et
disposée d'une manière symétrique. Cette _porcelaine_, comme on sait,
était bien différente de celle de la Chine et du Japon; elle consistait
en fragments de coquillages de Virginie ou de Floride, qui se taillaient
en petits cylindres ou rondelles, et que l'on enfilait pour en faire des
brasses, ou des branches, et des colliers. Les auteurs anciens, comme de
Lery (Hist. du Brésil, ch. VIII, p. 106) et Champlain, ne mentionnent
que la porcelaine en brasses et en colliers; tandis que les écrivains
plus modernes ne parlent point de _brasses_, mais de _branches_ et de
colliers. La figure que nous en a conservée La Potherie (t. I, p. 333,
334), donne à entendre, que les _branches_ étaient plus courtes que la
brasse, et s'attachaient trois ou quatre ensemble par un bout, de
manière à former comme des _branches_. (Voir, sur ce sujet, le P.
LAFITEAU, t. I, p. 502 et suiv.--LA POTHERIE, t. I, p. 333,
334.--CHARLEVOIX, Journal Historique, lettre XIII.)]

         Ce faict, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand
         Village, qui me soliciterent fort d'y aller, pour les mettre
         d'accord, me disant que si je n'y allois, aucun d'eux ne
63/551   reviendroient plus vers les François, ayant guerre avec
         lesdicts Algommequins, nous tenans pour leurs amis. Ce que
         voyant je m'acheminay au plustost, & en passant je visitay les
         Pisirinins pour sçavoir quand ils seroient prests pour le
         voyage du Nort que je trouvay rompu pour le sujet de ces
         querelles & batteries, ainsi que nostre truchement me fist
         entendre, & que ledict Cappitaine Iroquet estoit venu à toutes
         ces nations pour me trouver, & m'attendre. Il les pria de se
         trouver à l'habitation des François, en mesme temps que luy,
         pour voir l'accord qui se feroit entr'eux, & les
         Atignouaatitans[118], & qu'ils remissent ledit voyage du Nort à
         une autre fois: & pour cet effect ledit Yroquet avoit donné de
         la pourceline pour rompre ledict voyage, & à nous ils promirent
         de se trouver à nostre-dite habitation, au mesme temps qu'eux.
         Qui fut bien affligé ce fut moy, m'attendant bien de voir en
         ceste année, ce qu'en plusieurs autres précédentes j'avois
         recherché avec beaucoup de soing, & de labeur, par tant de
         fatigues, & de hazards de ma vie: Et voyans n'y pouvoir
         remédier, & que le tout déppendoit de la volonté de Dieu, je me
         consolay en moy-mesme, me resolvant de le voir en bref, en
         ayant de si certaines nouvelles qu'on n'en peut douter de ces
         peuples qui vont negotier avec d'autres qui se tiennent en ces
         parties Septentrionnalles, estans une bonne partie de ces
64/552   nations en lieu fort abondant en chasses, & où il y a quantité
         de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux, & eux m'ayant
         figuré la forme d'iceux, j'ay jugé estre des buffles[119]:
         aussi que la pesche du poisson y est fort abondante, ils sont
         quarante jours à faire ce voyage, tant à aller que retourner.

[Note 118: Dans l'édition originale, la page finit au milieu de ce mot
_Atigno_, et la réclame indique pour finale _uaatitans_, tandis que la
page suivante commence par _uaenteps_. Cette dernière orthographe, qui
était probablement celle du manuscrit de Champlain, figure à peu près la
même prononciation que celle des divers auteurs qui ont parlé des
Atignaouentans.]

[Note 119: C'est le _boeuf musqué_. Voy. Charlev. Jour. p. 131.]


         Je m'acheminay vers nostredict Village le quinziesme jour de
         Febvrier, menant avec moy six de nos gens, & estans arrivez
         audict lieu, les habitans furent fort aises, comme aussi les
         Algommequins que j'envoyay visiter par nostre truchement [120],
         pour sçavoir comme le tout s'estoit passé, tant d'une part que
         d'autre, n'y ayant voulu aller pour ne leur donner ny aux uns
         ny aux autres aucun soupçon. Deux jours se passèrent pour
         entendre des uns & des autres comme le tout s'estoit passé: ce
         faict, les principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec
         nous, & tous ensemble allasmes vers les Algommequins, où estant
         en l'une de leurs cabannes où plusieurs & des plus principaux
         se trouverent, lesquels tous ensemble après quelques discours
         demeurent d'accord de venir, & avoir agréable tout ce qu'on
         diroit, comme arbitre sur ce suject, & ce que je leur
         proposerois, ils le mettroient en exécution. Alors je recueilly
         les voix d'un chacun, colligeant & recerchant la volonté &
         inclination de l'une & de l'autre partie: jugeant neantmoins
         qu'ils ne demandoient que la paix. Je leur representay que le
65/553   meilleur estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour
         estans unis & liez ensemble, resister plus facillement à leurs
         ennemis, & partant je les priay qu'ils ne m'appellassent point
         pour ce faire, s'ils n'avoient intention de suivre de poinct en
         poinct l'advis que je leur donnerois sur ce different, puis
         qu'ils m'avoient faict ce bien d'en dire mon oppinion. Sur quoy
         ils me dirent derechef qu'ils n'avoient desiré mon retour à
         autre fin, & moy d'autre-part jugeant bien que si je ne les
         mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contens les
         uns des autres, chacun d'eux pensans avoir le meilleur droict,
         aussi qu'ils ne fussent allez à leurs cabannes, si je n'eusse
         esté avec eux, ny mesme vers les François, si je ne
         m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs
         affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois
         autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit
         tousjours bien traicté, & mal-aysément en pourrois-je trouver
         un si bon, car c'estoit en luy que les Algommequins mettoient
         la faute, disant qu'il n'y avoit que luy de Cappitaine qui fist
         prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une
         part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirois ce qu'il
         m'en sembleroit, & mon advis, & voyans à leurs discours qu'ils
         remettoient le tout à ma volonté, comme à leur père, me
         promettant en se faisant qu'à l'advenir je pourrois disposer
         d'eux ainsi que bon me sembleroit, me remettant le tout à ma
         discretion, pour en disposer: alors je leur fis responce que
         j'estois tres-aise de les voir en une si bonne volonté de
         suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit que pour le
         bien & utilité des peuples.

[Note 120: Il était donc monté deux interprètes: Étienne Brûlé, qui
n'était pas encore revenu de son ambassade chez les Carantouanais, et
celui dont l'auteur parle dans ce passage. Ce dernier était truchement
pour la langue algonquine, puisque Champlain l'envoie visiter les
Algonquins, et il est tout à fait probable que c'était Thomas, qui
l'avait suivi dans son malheureux voyage de 1613.]

66/554   D'autre costé j'avois esté fort affligé d'avoir entendu
         d'autres tristes nouvelles, à sçavoir de la mort de l'un de
         leurs parents, & amis, que nous tenions comme le nostre, & que
         ceste mort avoit peu causer une grande desolation, dont il ne
         s'en feust ensuivy que guerres perpétuelles entre les uns & les
         autres, avec plusieurs grands dommages & altération de leur
         amitié, & par consequent les François privez de leur veue &
         fréquentation, & contraincts d'aller rechercher d'autres
         nations, & ce d'autant que nous nous aymions comme frères,
         laissant à nostre Dieu le chastiment de ceux qui l'auroient
         mérité.

         Je commençay à leur dire, & faire entendre, que ces façons de
         faire entre deux nations, amis, & frères, comme ils se
         disoient, estoit indigne entre des hommes raisonnables, ains
         plustost que c'estoit à faire aux bestes bruttes: D'autre part
         qu'ils estoient assez empeschez d'ailleurs à repousser leurs
         ennemis qui les poursuivoient, battans le plus souvent, & les
         prenans prisonniers jusques dans leurs villages, lesquels
         ennemis voyant une division, & des guerres civilles entr'eux,
         leur apporteront beaucoup d'advantage, les resjouyront & les
         pousseront à faire nouveaux & pernicieux desseins, sur
         l'esperance qu'ils auroient de voir bien-tost leur ruyne, du
         moins s'affaiblir par eux-mesmes, qui seroit le vray moyen, &
         plus facille, pour vaincre, & se rendre les maistres de leurs
         contrées, n'estans point secourus les uns des autres, & qu'ils
         ne jugeoient pas le mal qui leur en pouvoit arriver, que pour
         la mort d'un homme ils en mettoient dix mille en danger de
         mourir, & le reste de demeurer en perpétuelle servitude, bien
67/555   qu'à la vérité un homme estoit de grande consequence, mais
         qu'il falloit regarder comme il avoit esté tué, & considerer
         que ce n'estoit pas de propos délibéré, ny pour commancer une
         guerre civille parmy eux, cela estant trop évident que le mort
         avoit premièrement offencé en ce que de propos délibéré il
         avoit tué le prisonnier dans leurs cabannes, chose trop
         audacieusement entreprinse, encores qu'il fust ennemy. Ce qui
         esmeut les Algommequins, car voyant un homme si téméraire de
         tuer un autre en leur cabanne, auquel ils avoient donné la
         liberté, & le tenoient comme un d'entr'eux, ils furent emportez
         de la promptitude, & le sang esmeu à quelques-ungs, plus qu'aux
         autres, se seroient avancez, ne se pouvant tenir ny commander à
         leur cholere, ils auroient tué cet homme dont est question,
         mais pour cela ils n'en voulloient nullement à toute la nation,
         & n'avoient dessein plus avant à l'encontre de cet audacieux, &
         qu'il avoit bien mérité ce qu'il avoit luy-mesme recerché.

         Et d'ailleurs qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se
         sentant frappé de deux coups dedans le ventre, arracha le
         cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laissé, & luy en
         donna deux coups, à ce qu'on m'avoit certiffié: De façon que
         bonnement on ne pouvoit sçavoir au vray si c'estoient
         Algommequins qui ussent tué: & pour montrer aux Attigouautan
         que les Algommequins n'aymoient pas le prisonnier: que Yroquet
         ne luy portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien,
         ils l'avoient mangé, d'autant qu'il avoit donné des coups de
68/556   cousteau à son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais
         plustost de bestes bruttes. D'ailleurs que les Algommequins
         estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit passée, & que
         s'ils eussent pensé que telle chose feust arrivée, ils leur
         eussent donné cet Yroquois en sacrifice: d'autrepart qu'ils
         avoient recompensé icelle mort, & faute, si ainsi il la falloit
         appeller, avec de grands presents, & deux prisonnieres, n'ayant
         subject à present de se plaindre, & qu'ils debvoient se
         gouverner plus modestement en leurs déportemens envers les
         Algommequins, qui sont de leurs amis, & que puis qu'ils
         m'avoient promis toutes choses mises en délibération, je les
         priay les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit passé
         entr'eux, sans jamais plus y penser, ny en porter aucune haine
         & mauvaise volonté les uns envers les autres & demeurer bons
         amis comme auparavant, & ce faisant qu'ils nous obligeroient à
         les aymer, & les assister comme j'avois faict par le passé, &
         neantmoins, où ils ne seroient contans de mon advis, je les
         priay de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils
         pourroient à nostre habitation, où devant tous les Cappitaines
         des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amitié, &
         adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs
         ennemis, à quoy il falloit penser.

         Alors ils commançerent à dire que j'avois bien parlé, & qu'ils
         tiendroient tout ce que je leur avois dict, & tous contents en
         apparance s'en retournèrent en leurs cabannes, sinon les
         Algommequins, qui deslogerent pour faire retraicte en leur
         Village, mais selon mon oppinion ils faisoient demonstration de
69/557   n'estre pas trop contens, d'autant qu'ils disoient entr'eux que
         ils ne viendroient plus hyverner en ces lieux. Ceste mort de
         ces deux hommes leur ayant par trop cousté, pour mon regard je
         m'en retournay chez mon hoste, à qui je donnay le plus de
         courage qu'il me fut possible, affin de l'esmouvoir à venir à
         nostre habitation, & d'y amener avec luy tous ceux du pays.

         Durant le temps de l'hyver qui dura quatre mois, j'eu assez de
         loisir pour considerer leur pays, moeurs, coustumes, & façon de
         vivre & la forme de leurs assemblées, & autres choses que je
         desirerois volontiers décrire. Mais auparavant il est
         necessaire de parler de la situation du pays [121], & contrées,
         tant pour ce qui regarde les nations, que pour les distances
         d'iceux. Quand à l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident,
         elle contient prés de quatre cent cinquante lieues de long, &
         quelque quatre-vingt ou cent lieues par endroicts de largeur du
         Midy au Septentrion, soubs la hauteur de quarante & un degré de
         latitude, jusques à quarante huit & quarante-neuf degrez. Ceste
         terre [122] est presque une isle, que la grande riviere de
         Saint Laurens entoure, passant par plusieurs lacs de grande
         estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs nations,
         parlans divers langages, qui ont leurs demeures arrestées, tous
         amateurs du labourage de la terre, lesquels neantmoins ont
         diverses façons de vivres, & de moeurs, & les uns meilleurs que
         les autres. Au costé vers le Nort, icelle grande riviere tirant
70/558   à l'Occident quelque cent lieues par de là vers les
         Attigouautans[123]. Il y a de très-hautes montagnes, l'air y
         est tempéré plus qu'en aucun autre lieu desdites contrées, &
         soubs la hauteur de quarante & un degré de latitude: toutes ces
         parties & contrées sont abondantes en chasses, comme de Cerfs,
         Caribous, Eslans, Dains, Buffles, Ours, Loups, Castors,
         Regnards, Fouines, Martes, & plusieurs autres especes
         d'animaux, que nous n'avons pas par deçà. La pesche y est
         abondante en plusieurs sortes & especes de poisson, tant de
         ceux que nous avons, que d'autres que nous n'avons pas aux
         costes de France. Pour la chasse des oyseaux, elle y est aussi
         en quantité, & qui y viennent en leur temps, & saison: Le pays
         est traversé de grand nombre de rivieres, ruisseaux, & estangs,
         qui se deschargent les unes dans les autres, & en leur fin
         aboutissent dedans ledict fleuve Sainct Laurens, & dans les
         lacs par où il passe: Le païs est fort plaisant en son
         Printemps, il est chargé de grandes & hautes forests, &
         remplies des bois de pareilles especes que ceux que nous avons
         en France, bien est-il vray qu'en plusieurs endroicts il y a
         quantité de païs deserté, où ils sement des bleds d'Inde: aussi
         que ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, qui
         sert pour la nourriture desdicts animaux. Le pays du Nort de
         ladite grande riviere est fort aspre & montueux, soubs la
         hauteur de quarante-sept à quarante-neuf degrez de latitude,
71/559   remply de rochers forts en quelques endroicts, à ce que j'ay
         peu voir, lesquels sont habitez de Sauvages qui vivent errants
         parmy le pays, ne labourans, & ne faisans aucune culture, du
         moins si peu que rien, & sont chasseurs[124], estans ores[125]
         en un lieu, & tantost en un autre, le païs y estant assez froid
         & incommode. L'estendue d'icelle terre du Nord soubs la hauteur
         de quarante-neuf degrez de latitude, de l'Orient à l'Occident a
         six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous
         avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles &
         grandes rivieres qui viennent de ce costé-là, & se deschargent
         dedans ledit fleuve, accompagnez d'un nombre infiny de belles
         prairies, lacs, & estangs, par où elles passent, dans lesquels
         y a abondance de poissons, & force isles, la pluspart desertes,
         qui sont délectables à voir, où en la pluspart il y a grande
         quantité de vignes, & autres fruicts Sauvages [126]. Quand aux
         parties qui tirent plus à l'Occident, nous n'en pouvons,
         sçavoir bonnement le traget, d'autant que les peuples n'en ont
         aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents lieues, ou
         plus, vers l'Occident, d'où vient ladicte grande riviere qui
         passe entr'autres lieux, par un lac qui contient prés de trante
         journées de leurs canaux, à sçavoir celuy qu'avons nommé la Mer
         douce, eu esgard à sa grande estendue, ayant prés de quatre
72/560   cent lieues de long (127): aussi que les Sauvages avec lesquels
         nous avons accez, ont guerre avec autres nations, tirant à
         l'Occident dudit grand lac, qui est la cause que nous n'en
         pouvons avoir plus ample cognoissance, sinon qu'ils nous ont
         dict plusieurs fois que quelques prisonniers de cent lieues
         leur ont rapporté y avoir des peuples semblables à nous en
         blancheur, & autres choses, ayans par eux veu de la chevelure
         de ces peuples, qui est fort blonde, & qu'ils estiment
         beaucoup, pource qu'ils les disent estre comme nous. Je ne puis
         que penser là dessus, sinon que ce fussent gens plus civilisez
         qu'eux, & qu'ils disent nous ressembler: il seroit bien besoing
         d'en sçavoir la vérité par la veue, mais il faut de
         l'assistance, il n'y a que le temps, & le courage de quelques
         personnes de moyens, qui puissent, ou vueillent, entreprendre
         d'assister ce desseing, affin qu'un jour on puisse faire une
         ample & parfaite découverture de ces lieux, affin d'en avoir
         une cognoissance certaine.

[Note 121 Par _pays_ il faut entendre ici _le pays en général_, ou la
Nouvelle-France, et non pas le pays des Hurons, encore moins le pays des
Algonquins, comme a fait Sagard (Hist. du Canada, p. 201, 202).]

[Note 122: Cette terre où était Champlain, c'est-à-dire, le
Haut-Canada.]

[Note 123: Voici comme l'édition de 1632 corrige ce passage: «Au costé
vers le nort d'icelle grande riviere tirant au surouest environ cent
lieues par delà vers les Attigouamans, le pays est partie montagneux...
» On voit donc que Champlain veut parler ici de cette chaîne de
montagnes que nous appelons aujourd'hui les Laurentides.]

[Note 124: L'édition de 1627, remplace ce mot chasseurs par
ambullatoires.]

[Note 125: Maintenant.]

[Note 126: Dans l'édition de 1627, presque toute cette phrase a été
modifié notablement. Après le mot _fleuve_, on y lit ce qui suit: «&
d'autres qui à mon oppinion se deschargent en la Mer, par la partie &
costé du Nort, soubs la hauteur de cinquante à cinquante & un degrez de
latitude, suivant le rapport & resolution que m'en ont faict ceux qui y
vont négocier, & traicter, avec les peuples qui y habitent.»]

[Note 127: Voir la note 2 de la p. 25, ci-dessus.]

         Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort
         peuplée, & beaucoup plus que le costé du Nort, & de diverses
         nations ayans guerres les uns contre les autres. Le pays y est
         fort aggreable, beaucoup plus que le costé du Septentrion, &
         l'air plus tempéré, y ayant plusieurs especes d'arbres &
         fruicts qu'il n'y a pas au Nort dudit fleuve, aussi y a-il
         beaucoup de choses au Nort qui le recompense, qui n'est pas du
         costé du Midy[128]: Pour ce qui est du costé de l'Orient, ils
73/561   sont assez cogneus, d'autant que la grand'Mer Oceanne borne ces
         endroicts-là, à sçavoir les costes de la Brador, terre-Neufve,
         Cap Breton, la Cadie, Almonchiguois[129], lieux assez communs, en
         ayant traité à suffire au discours de mes voyages précédents,
         comme aussi des peuples qui y habitent, c'est pourquoy je n'en
         feray mention en ce traicté, mon subject n'estant que faire un
         rapport par discours succint & véritable de ce que j'ay veu &
         recogneu de plus particulier.

[Note 128: Dans l'édition de 1627, la dernière partie de cette phrase a
été ainsi corrigée: «aussi n'est-il pas de tant de proffist & d'utilité,
quand aux lieux où se font les traictez des Pelletries.»]

[Note 129: Lisez Almouchiquois. La côte des Almouchiquois répond à ce
que les Anglais ont appelé Nouvelle-Angleterre (New England).]

         La contrée de la nation des Attigouautan est soubs la hauteur
         de 44 degrez & demy de latitude, & deux cents trante lieues [130]
         de longitude à l'Occident & dix de latitude, & en ceste
         estendue de pays il y a dix-huict Villages [131], dont six dont
         clos & fermez de pallissades de bois à triple rang,
         entre-lassez les uns dans les autres, où au dessus ils ont des
         galleries, qu'ils garnissent de pierres, & d'eau, pour ruer &
         estaindre le feu que leurs ennemis pourroient appliquer contre
         leurs pallissades. Ce pays est beau & plaisant, la pluspart
         deserté, ayant la forme & mesme situation que la Bretagne,
         estans presque environnez & circuits de la Mer douce [132], &
74/562   prennent ces 18 villages estre peuplés de deux mil hommes de
         guerre, sans en ce comprendre le commun, qui peuvent faire en
         nombre 30000. âmes: leurs cabannes[133] sont en façon de
         tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres de la
         longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins, & six de large,
         laissant par le milieu une allée de 10 à 12 pieds de large, qui
         va d'un bout à l'autre, aux deux costez y a une manière
         d'establie [134], de la hauteur de 4 pieds, où ils couchent en
         Esté, pour éviter l'importunité des puces dont ils ont grande
         quantité, & en hyver ils couchent en bas sur des nattes,
         proches du feu pour estre plus chaudement que sur le haut de
         l'establie, ils font provision de bois sec, & en emplissent
         leurs cabannes, pour brûler en hyver, & au bout d'icelles
         cabannes y a une espace, où ils conservent leurs bleds d'Indes,
         qu'ils mettent en de grandes tonnes, faites d'escorce d'arbres,
         au milieu de leur logement: il y a des bois qui sont suspendus,
         où ils mettent leurs habits, vivres, & autres choses, de peur
         des souris qui y sont en grande quantité. En telle cabanne y
         aura douze feux, qui sont vingt-quatre mesnages, & où il fume à
         bon escient, qui fait que plusieurs en reçoivent de grandes
         commoditez aux yeux, à quoy ils sont subjects, jusques à en
         perdre la veue sur la fin de leur aage, n'y ayant fenestre
         aucune, ni ouverture que celle qui est au dessus de leurs
         cabannes, par où la fumée fort, qui est tout ce qui se peut
75/563   dire & sçavoir de leurs comportements, vous ayant descript
         entièrement ceste forme d'habitation de ces peuples, comme elle
         se peut sçavoir, mesme de toutes les nations qui habitent en
         ces contrées de pays. Ils changent quelquesfois leur Village de
         dix, de vingt, ou trente ans, & le transportent d'une, deux, ou
         trois lieues du précèdent lieu, s'ils ne sont contraints par
         leurs ennemis, de desloger, & s'eslongnez plus loing, comme ont
         fait les Antouhonorons de quelque 40 à 50 lieues. Voila la
         forme de leur logements qui sont separez les uns des autres,
         comme de trois à quatre pas, pour la crainte du feu qu'ils
         appréhendent fort.

[Note 130: Le seul moyen, suivant nous, de rendre ce passage
intelligible, est de remplacer deux cent trente par douze ou treize. Car
il est évident que l'auteur, après avoir déterminé la hauteur moyenne du
pays huron, veut en donner les dimensions en longitude, ou de l'orient à
l'occident, et en latitude, ou du nord au sud. Or, en longitude, le pays
huron n'a que douze ou treize lieues; c'est tout ce que l'on peut
compter depuis le Couteau-Croche, jusqu'à l'extrémité la plus
occidentale du canton de Tiny. Du nord au sud, il pouvait avoir une
dizaine de lieues, comme dit l'auteur. Il est possible que le manuscrit
de Champlain portât 23, ou 20 à 30; avec quoi l'imprimeur aurait bien pu
faire 230.]

[Note 131: Sagard, quelques années après, en comptait «vingt ou
vingt-cinq» (Hist. du Canada, p. 247); mais il est clair qu'il ne
prétend donner qu'un nombre approximatif. «Nos Hurons,» dit le P.
Brebeuf à la fin de la Relation de 1636, «sont en vingt villages environ
trente mille âmes.»]

[Note 132: Cette expression montre bien que Champlain ne parle ici que
du pays huron proprement dit, qui était en effet presque environné des
eaux de la mer Douce. Il était borné à l'ouest et au nord par le lac
Huron, au nord-est, par la rivière Matchidache, et du côté de l'est et
du sud-est par les lacs Couchichine et Simcoe, qui se déchargent
eux-mêmes dans le lac Huron.]

[Note 133: «Qu'ils appellent _ganonchiac_», ajoute Sagard (Hist. du
Canada, p. 248).]

[Note 134: «Qu'ils appellent _endicha_.» (Sagard, ibid.)]

         Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse
         entr'eux qui n'en ont pas gousté de meilleure, croyant qu'il ne
         s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger, &
         ordinaire vivre, est le bled d'Inde, & febves du bresil qu'ils
         accommodent en plusieurs façons, ils en pillent en des mortiers
         de bois, le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la
         fleur par le moyen de certains vants, faits d'escorce d'arbres,
         & d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font
         premièrement bouillir, comme le bled d'Inde un bouillon, pour
         estre plus aysé à battre, mettent le tout ensemble,
         quelquesfois y mettent des blues, ou des framboises seiches,
         autrefois y mettent des morceaux de graisse de Cerf, mais ce
         n'est pas souvent, leur estant fort rare, puis après ayant le
         tout destrampé avec eau tiède ils en font des pains en forme de
         gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire soubs les cendres, &
76/564   estant cuittes, ils les lavent, & en font assez souvent
         d'autres, ils les enveloppent de feuilles de bled d'inde,
         qu'ils attachent, & mettent, en l'eaue bouillante, mais ce
         n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre sorte
         qu'ils appellent Migan[135], à sçavoir, ils prennent le bled
         d'inde pillé, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou
         trois poignées dans un pot de terre plein d'eau, le font
         bouillir, en le remuant de fois à autre, de peur qu'il ne
         brusle, ou qu'il ne se prenne au pot, puis mettent en ce pot un
         peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner
         goust audit Migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font
         fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante,
         principalement en hyver, pour ne le sçavoir accommoder, ou pour
         n'en vouloir prendre la peine: Ils en font de deux especes, &
         l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de
         ce poisson ledit Migan ne sent pas mauvais, ains seulement à la
         venaison. Le tout estant cuit ils tirent le poisson, &
         l'escrasent bien menu, ne regardant de si prés à oster les
         arrestes, les escailles, ny les trippes, comme nous faisons,
         mettant le tout ensemble dedans ledit pot, qui cause le plus
         souvent le mauvais goust, puis estant ainsi fait, le despartent
         à chacun quelque portion: Ce Migan est fort clair, & non de
         grande substance, comme on peut bien juger: Pour le regard du
         boire, il n'est point de besoing estant ledit Migan assez clair
         de soymesme. Ils ont une autre sorte de Migan, à sçavoir, ils
77/565   font greller du bled nouveau, premier qu'il soit à maturité,
         lequel ils conservent, & le font cuire entier avec du poisson,
         ou de la chair, quand ils en ont: une autre façon, ils prennent
         le bled d'Inde bien sec le font greller dans les cendres, puis
         le pilent, & le reduisent en farine, comme l'autre cy-devant,
         lequel ils conservent pour les voyages qu'ils entreprennent,
         tant d'une part que d'autre, lequel Migan faict de ceste façon
         est le meilleur, à mon goust. En la figure H. se voit comme les
         femmes pilent leurs bleds d'Inde. Et pour le faire, ils font
         cuire force poisson, & viande, qu'ils découppent par morceaux,
         puis la mettent dans de grandes chaudières qu'ils emplissent
         d'eau, la faisant fort bouillir: ce faict, ils recueillent avec
         une cuillier la graisse de dessus, qui provient de la chair, &
         poisson, puis mettent d'icelle farine grullée dedans, en la
         mouvant tousjours, jusques à ce que ledit Migan toit cuit, &
         rendu espois comme bouillie. Ils en donnent & despartent à
         chacun un plat, avec une cuillerée de la dite graisse, ce
         qu'ils ont de coustume de faire aux festins & non pas
         ordinairement, mais peu souvent: or est-il que ledict bled
         nouveau grullé, comme est cy-dessus, est grandement estimé
         entr'eux. Ils mangent aussi des febves qu'ils font bouillir
         avec le gros de la farine grullée, y meslant un peu de graisse,
         & poisson. Les Chiens sont de requeste en leurs festins qu'ils
         font souvent les uns & les autres, principallement durant
         l'hyver qu'ils font à loisir: Que s'ils vont à la chasse aux
         Cerfs, ou au poisson, ils le reservent pour faire ces festins,
         ne leur demeurant rien en leurs cabannes que le Migan clair
78/566   pour ordinaire, lequel ressemble à de la brannée, que l'on
         donne à manger aux pourceaux. Ils ont une autre manière de
         manger le bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par
         espics, & le mettent dans l'eau, sous la bourbe, le laissant
         deux ou trois mois en cet estat, & jusques à ce qu'ils jugent
         qu'il soit pourry, puis ils l'ostent de là & le font bouillir
         avec la viande ou poisson, puis le mangent, aussi le font-ils
         gruller, & est meilleur en cette façon que bouilly, mais je
         vous asseure qu'il n'y a rien qui sente si mauvais, comme fait
         cedit bled sortant de l'eau tout boueux: néantmoins les femmes,
         & enfans, le prennent & le sucent comme on faict les cannes de
         succre, n'y ayant autre chose qui leur semble de meilleur
         goust, ainsi qu'ils en font la demonstration, leur ordinaire
         n'est que de faire deux repas par jour: Quant à nous autres,
         nous y avons jeusné le Karesme entier, & plus pour les
         esmouvoir à quelque exemple, mais c'estoit perdre temps: Ils
         engraissent aussi des Ours, qu'ils gardent deux ou trois ans,
         pour faire des festins entr'eux: j'ay recognu que si ces
         peuples avoient du bestail, ils en seroient curieux, & le
         conserveroient fort bien, leur ayant montré la façon de le
         nourrir, chose qui leur seroit aisée, attendu qu'ils ont de
         bons pasturages, & en grande quantité en leur païs, pour toute
         sorte de bestail, soit chevaux, boeufs, vaches, mouttons,
         porcs, & autres especes, à faute desquels bestiaux on les juge
         miserables comme il y a de l'apparance: Neantmoins avec toutes
         leurs miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils
         n'ont autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont
79/567   plus asseurez que ceux qui sont errants par les forests, comme
         bestes bruttes: aussi mangent-ils force sitrouilles, qu'il font
         bouillir, & rostir soubs les cendres. Quand à leur habit, ils
         sont de plusieurs sortes, & façons, & diversitez de peaux de
         bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres
         qu'ils eschangent pour leur bled d'inde, farines, pourcelines,
         & fillets à pescher, avec les Algommequins, Piserenis, & autres
         nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrestées:
         tous leurs habits sont d'une même façon, sans diversité
         d'invention nouvelle: ils passent & accommodent assez
         raisonnablement les peaux, faisant leur brayer d'une peau de
         Cerf, moyennement grande, & d'un autre le bas de chausses, ce
         qui leur va jusques à la ceinture, estant fort plissé, leurs
         souliers sont de peaux de Cerfs, Ours, & Castors, dont ils
         usent en bon nombre: Plus, ils ont une robbe de mesme fourrure,
         en forme de couverte, qu'ils portent à la façon Irlandoise, ou
         Ægyptienne, & des manches qui s'attachent avec un cordon par le
         derrière: voila comme ils sont habillez durant l'hyver, comme
         il se voit en la figure D. Quand ils vont par la campagne, ils
         seignent leur robbe autour du corps, mais estans à leur
         Village, ils quittent leurs manches, & ne se seignent point:
         les passements de Milan pour enrichir leurs habits sont de
         colle & de la raclure desdites peaux, dont ils font des bandes
         en plusieurs façons, ainsi qu'ils s'avisent, y mettant par
         endroits des bandes de painture rouge, brun, parmy celles de
         colle, qui parroissent tous-jours blanchastres, n'y perdant
         point leurs façons, quelques salles qu'elles puissent estre. Il
80/568   y en a entre ces nations qui sont bien plus propre à passer les
         peaux les uns que les autres, & ingénieux pour inventer des
         compartiments à mettre dessus leurs habits: Sur tous autres nos
         Montagnais, & Algommequins, ce sont ceux qui y prennent plus de
         peine, lesquels mettent à leurs robbes des bandes de poil de
         porc-espy, qu'ils taindent en fort belle couleur d'escarlatte:
         ils tiennent ces bandes bien chères entr'eux, & les destachent
         pour les faire servir à d'autres robbes, quand ils en veulent
         changer, plus pour embellir la face, & avoir meilleure grâce,
         quand ils se veulent bien parer: La pluspart se paindent le
         visage noir, & rouge, qu'ils desmeslent avec de l'huyle, faite
         de la graine d'herbe au Soleil, ou bien avec de la graisse
         d'ours, ou autres animaux, comme aussi ils se taindent les
         cheveux qu'ils portent, les uns longs, les autres courts, les
         autres d'un costé seulement: Pour les femmes, & les filles,
         elles les portent tousjours d'une mesme façon, elles sont
         vestus comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours leurs
         robbes saintes, qui leur viennent en bas, jusques au genouil:
         c'est en quoy elles différent des hommes, elles ne sont point
         honteuses de montrer le corps, à sçavoir depuis la cainture en
         haut, & depuis la moitié des cuisses en bas, ayant tousjours le
         reste couvert & sont chargées de quantité de pourceline, tant
         en colliers, que chaisnes, qu'elles mettent devant leurs
         robbes, pendans à leurs ceintures, bracelets, & pendants
         d'oreilles, ayant les cheveux bien paignez, paints, & graissez,
         & ainsi s'en vont aux dances, ayans un touffeau de leurs
         cheveux par derrière, qui leur sont liez de peaux d'anguilles,
81/569   qu'ils accommodent & font servir de cordon, ou quelquesfois ils
         attachent des platines d'un pied en carré, couvertes de ladite
         pourceline, qui pend par derrière, & en ceste façon poupinement
         vestues & habillées, elles se montrent volontiers aux dances,
         où leurs pères, & mères les envoyent, n'oubliant rien de ce
         qu'ils peuvent apporter d'invention pour embellir & parer leurs
         filles, & puis asseurer avoir veu en des dances ou j'ay esté,
         telle fille qui avoit plus de douze livres de pourceline sur
         elles, sans les autres bagatelles, dont elles sont chargées &
         attourées. En la figure desja citée se voit comme les femmes
         sont habillées, comme montre F. & les filles allant à la dance,
         G.

[Note 135: Dans le tirage de 1620, on a corrigé, en marge seulement, et
l'on a mis le mot _michan_ au lieu de _migan_. Ce changement se retrouve
encore dans l'édition de 1627. L'on sait que, dans l'écriture de cette
époque, les lettres _ch_ avaient beaucoup de ressemblance avec le _g_.]

[Illustration.]

         Tous ces peuples sont d'une humeur assez joviale, bien qu'il y
         en aye beaucoup de complexion triste, & saturnienne entr'eux:
         Ils sont bien proportionnés de leurs corps, y ayant des hommes
         bien formez, forts, & robustes, comme aussi des femmes, &
         filles, dont il s'en trouve un bon nombre d'agréable, & belles,
         tant en la taille, couleur, qu'aux traicts du visage, le tout à
         proportion, elles n'ont point le saing ravallé que fort peu, si
         elles ne sont vieilles, & se trouvent parmy ces nations de
         puissantes femmes, & de hauteur extraordinaire: car ce sont
         elles qui ont presque tout le soing de la maison, & du travail,
         car elles labourent la terre, sement le bled d'Inde, font la
         provision de bois pour l'hyver, tillent la chanvre, & la
         fillent, dont du fillet ils font les rets à pescher, & prendre
         le poisson, & autres choses necessaires, dont ils ont affaire,
         comme aussi ils ont le soing de faire la cueillette de leurs
82/570   bleds, les serrer, accommoder à manger, & dresser leur mesnage,
         & de plus sont tenues de suivre & aller avec leurs maris, de
         lieu en lieu, aux champs, où elles servent de mulle à porter le
         bagage, avec mille autres sortes d'exercices, & services, que
         les femmes font & sont tenues faire. Quant aux hommes, ils ne
         font rien qu'aller à la chasse du Cerf, & autres animaux,
         pécher du poisson, de faire des cabannes, & aller à la guerre.

         Ces choses faites, ils vont aux autres nations, où ils ont de
         l'accès, & cognoissance, pour traicter & faire des eschanges de
         ce qu'ils ont, avec ce qu'ils n'ont point, & estans de retour,
         ils ne bougent des festins, & dances, qu'ils se font les uns
         aux autres, & à l'issue se mettent à dormir, qui est le plus
         beau de leur exercice.

         Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand
         une fille eat en l'âge d'onze, douze, treize, quatorze, ou
         quinze ans, elle aura des serviteurs, & plusieurs, qu'elle
         fera, & selon ses bonnes grâces, la rechercheront quelque
         temps: cela faict, elles seront demandées aux pères, & mères,
         bien que souvent elles ne prennent pas leur consentement, fors
         celles qui sont les plus sages & mieux advisées, qui se
         soubsmettent à la volonté de leur père & mère. Cet amoureux, ou
         serviteur, presentera à la fille quelques colliers, chaisnes, &
         bracelets de pourceline: si la fille a ce serviteur aggreable,
         elle reçoit ce present, ce faict, cet amoureux viendra coucher
         avec elle trois ou quatre nuicts sans lui dire mot, durant ce
         temps, & là ils recueillent le fruict de leurs affections, d'où
         il arrivera le plus souvent qu'après avoir passé huict, ou
83/571   quinze jours, s'ils ne se peuvent accorder, elle quittera son
         serviteur, lequel y demeurera engagé pour ses colliers, &
         autres dons par luy faicts, n'en retirant qu'un maigre
         passe-temps: & cela passé, frustré de son esperance, il
         recerchera un autre femme, & elle un autre serviteur, s'ils
         voyent qu'il soit à propos, & ainsi continuent ceste façon de
         faire, jusques à une bonne rencontre: Il s'en trouve telle qui
         passe ainsi sa jeunesse, qui aura eu plus de vingt maris,
         lesqueîs vingt maris ne sont pas seuls en la jouyssance de la
         beste, quelques mariez qu'ils soient: car la nuict venue, les
         jeunes femmes courent d'une cabanne en une autre, comme font
         les jeunes hommes de leur costé, qui en prennent par où bon
         leur semble, toutesfois sans violance aucune, remettant le tout
         à la volonté de la femme: Le Mary fera le semblable à sa
         voisine, nulle jalousie ne se trouve entr'eux pour cela, & n'en
         reçoivent aucune infamie, ny injure, la coustume du pays estant
         telle. Or le temps qu'elles ne delaissent point leurs maris est
         quand elles ont des enfans: les Maris précédants reviennent
         vers elles, leur remonstrer l'affecrion, & amitié, qu'ils leur
         ont portée par le passé, & plus que nul autre, & que l'enfant
         qu'elles auront est à luy, & est de son faict: un autre luy en
         dira autant, en fin c'est à qui mieux, & qui le pourra
         emporter, & l'avoir pour femme: & par ainsi il est au choix &
         option de la femme, de prendre, & d'accepter celuy qui luy
         plaira le plus, ayant en ses recerches, & amours, gaigné
         beaucoup de pourceline, & de plus, ceste élection de Mary:
         Elles demeurent avec luy sans plus le delaisser, ou si elles le
84/572   laissent, il faut que ce soit avec un grand subject, autre que
         l'impuissance, car il est à l'espreuve: neantmoins estant avec
         ce mary elle ne laisse pas de se donner carrière, mais elle se
         tient, & reside, tousjours au mesnage, faisant bonne mine, de
         façon que les enfans qu'ils ont ensemble, ainsi nez d'une telle
         femme, ne se peuvent asseurer légitimes, aussi ont-ils une
         coustume, prevoyant ce danger, qui est telle, à sçavoir, que
         les enfans ne succedent jamais aux biens, & dignitez, de leurs
         pères, doubtant comme j'ay dit de leur géniteur, mais bien
         font-ils leurs successeurs, & héritiers, les enfans de leurs
         soeurs, & desquels ils sont asseurez d'estre yssus, & sortis:
         Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans [136], ils le
         mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & le
85/573   vestent, & enveloppent de fourrures, ou peaux, & le bandent sur
         ladite planchette, la dressent debout, & laissant une petite
         ouverture par où l'enfant faict ses petites affaires, & si
         c'est une fille, ils mettent une feuille de blé d'Inde entre
         les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout
         de ladite feuille dehors qui est renversée, & par ce moyen
         l'eau de l'enfant coulle par ceste feuille, & sort dehors, sans
         gaster l'enfant de ses eaues, ils mettent aussi soubs les
         enfants du duvet de certains roseaux, que nous appelions pied
         de lièvre, surquoy ils sont couchés fort mollement, & le
         nettoyent du mesme duvet, & pour parer l'enfant, ils garnissent
         ladite planchette de patinostres, & en mettent à son col,
         quelque petit qu'il soit: & la nuict, ils le couchent tout nud,
         entre le père, & la mère, considerant en cela une grande
         merveille de Dieu, qui les conserve de telle façon, qu'il n'en
         arrive pas beaucoup d'inconvenient, comme il feroit à croire
         par quelque estouffemens, estant le père, & la mère, en un
         profond sommeil, ce qui n'arrive pas que bien rarement. Les
         enfans sont fort libertins entre ces nations: les pères, &
         mères, les flattent trop, & ne les chastient point du tout,
         aussi sont-ils si meschants, & de si perverse nature, que le
         plus souvent ils battent leurs mères, & autres, des plus
         fascheux, battent leur père, en ayant acquis la force, & le
         pouvoir: à sçavoir, si le père, ou la mère, leur font chose qui
         ne leur agrée pas, qui est une espece de malédiction que Dieu
         leur envoye.

[Note 136: Sagard ajoute là-dessus quelques détails qui complètent ce
que dit ici Champlain. «Nos Huronnes, dit-il, emmaillottent leurs petits
enfans durant le jour dans des peaux sur une petite planchette de bois
de cèdre blanc, d'environ deux pieds de longueur ou peu plus, & un bon
pied de largeur, où il y a à quelqu'uns un petit arrest, ou aiz plié en
demy rond attaché au dessous des pieds de l'enfant, qu'ils appuyent
contre le plancher de la cabane, ou bien elles les portent promener avec
icelles derrière leur dos, avec un collier ou cordelette qui leur pend
sur le front. Elles les portent aussi quelquefois nuds hors du maillot
dans leur robbe ceinte, pendus à la mammelle, ou derrière leur dos,
presque debouts, la teste en dehors, qui regarde des yeux d'un costé &
d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte. Lors que l'enfant
est emmaillotté sur la petite planchette, ordinairement enjolivée de
matachias & chapelets de pourceleine, ils luy laissent une ouverture
devant la nature, par où il faict son eau, & si c'est une fille, il y
adjoustent une fueille de bled d'Inde renversée, qui sert à porter l'eau
dehors, sans que l'enfant soit gasté de ses eaues, ny salle de ce costé
là... Les Sauvagesses comme elles n'ont jamais eu l'usage du linge, ny
la méthode d'en faire, encore qu'elles ayent du chanvre assez, ont
trouvé l'invention d'un duvet fort doux de certains roseaux, sur
lesquels elles couchent leurs enfans fort mollement, & les nettoyent du
mesme duvet, ou avec de la poudre de bois fec & pourry, & la nuict
venue, elles les couchent souvent tout nuds entre le père, & la mère, ou
dans le sain de la mère mesme, enveloppé de sa robe pour le tenir plus
chaudement, & n'en arrive que très-rarement d'accident. Les Canadiens, &
presque tous les peuples errants, se servent encore d'une pareille
planchette pour coucher leurs enfans, qu'ils appuyent contre quelque
arbre ou l'attachent aux branches, mais encores dans des peaux sans
planchette, à la manière qu'on accommode ceux de deçà dans des langes, &
en cet estat les posent de leur long doucement dans une peau suspendue
en l'air, attachée par les quatre coins aux bois de la cabane, comme
sont les lits de roseau des Mattelots sous le tillac des navires, &
s'ils veulent bercer l'enfant, il n'ont qu'à donner un bransle à cette
peau suspendue, laquelle se berce d'elle mesme.» (Hist, du Canada, p.
338, 339, 340.)]

         Pour ce qui est de leurs loix, je n'ay point veu qu'ils en
         ayent, ny chose qui en approche, comme de faict ils n'en ont
86/574   point, d'autant qu'il n'y a en eux aucune correction,
         chastiment, ny de reprehension à l'encontre des malfaicteurs,
         sinon par une vangeance, randant le mal pour le mal, non par
         forme de reigle, mais par une passion qui leur engendre les
         guerres & différents, qu'ils ont entr'eux le plus souvent.

         Au reste, ils ne recognoissent aucune Divinité, ils n'adorent &
         ne croyent en aucun Dieu, ny chose quelconque[137]: ils vivent
         comme bestes bruttes, ils ont bien quelque respect au Diable,
         ou d'un nom semblable, ce qui est doubteux, parce que soubs ce
         mot qu'ils prononcent, sont entendus diverses significations &
         comprend en soy plusieurs choses: de façon que mal-aisément
         peut-on sçavoir, & discerner s'ils entendent le Diable, ou une
         autre chose, mais ce qui fait plustost croire estre le Diable,
         qu'ils entendent, est que lors qu'ils voyent un homme faisant
         quelque chose extraordinaire, ou est plus habille que le
         commun, ou bien est vaillant guerrier, ou d'ailleurs en furie,
         comme hors de la raison, & de soy-mesme, ils l'appellent Oqui,
         comme si nous disions un grand esprit sçavant, ou un grand
         Diable [138].

[Note 137: «Ils ne recognoissent, dit Sagard, & n'adorent aucune vraye
Divinité, ny Dieu celeste ou terrestre, duquel ils puissent rendre
quelque raison, & que nous puissions sçavoir, car encore bien qu'ils
tiennent tous en général Youskeha pour le premier principe & Créateur de
tout l'Univers avec Eataentsic, si est-ce qu'ils ne luy offrent aucunes
prières, offrandes, ny sacrifices comme à Dieu, & quelqu'uns d'entr'eux
le tiennent fort impuissant au regard de nostre Dieu, duquel ils
admiroient les oeuvres.» (Hist. du Canada, p. 494.)]

[Note 138: « Ils ont bien, dit Sagard, quelque respect particulier à ces
démons ou esprits qu'ils appellent Oki, mais c'est en la mesme manière
que nous avons le nom d'Ange, distinguant le bon du mauvais, car autant
est abominable l'un, comme l'autre est vénérable. Aussi ont-ils le bon &
le mauvais Oki, tellement qu'en prononçant ce mot Oki ou Ondaki, sans
adjonction, quoy qu'ordinairement il soit pris en mauvaise part, il peut
signifier un grand Ange, un Prophète ou une Divinité, aussi bien qu'un
grand diable, un Médecin, ou un esprit furieux & possedé. Ils nous y
appelloient aussi quelquesfois, pour ce que nous leur enseignions des
choses qui surpassoient leur capacité & les faisoient entrer en
admiration, qui estoit chose aysée veu leur ignorance.» (Hist. du
Canada, p. 494, 495.)]

87/575   Quoy que ce soit, ils ont de certaines personnes, qui sont les
         Oqui, ou Manitous, ainsi appellez par les Algommequins &
         Montagnais, & ceste sorte de gens font les Médecins pour guarir
         les mallades, & pencer les blessez: prédire les choses
         futures, au reste toutes abusions illusions du Diable, pour les
         tromper, & decevoir. Ces Oquis, ou devins, leur persuadent, & à
         leurs patients, & mallades, de faire, ou faire faire des
         festins, & quelques cérémonies, pour étire plustost guaris, &
         leur intention est affin d'y participer, & en tirer la
         meilleure part, & soubs esperance d'une plus prompte guarison
         leur faire faire plusieurs autres cérémonies, que je diray
         cy-aprés en son lieu. Ce sont ceux-là en qui ils croyent le
         plus, mais d'estre possedez du Diable, & tourmentez comme
         d'autres Sauvages plus eslongnez qu'eux, c'est ce qui se voit
         fort rarement, qui donne plus d'occasion, & subject de croire
         leur réduction en la cognoissance de Dieu plus facille, si leur
         pays estoit habitué de personnes qui prissent la peine, & le
         soing, de leur enseigner, & ce n'est pas assez d'y envoyer des
         Religieux, s'il n'y a des gens pour les maintenir, & assister:
         car encores que ces peuples ayent le desir aujourd'huy de
         cognoistre que c'est que de Dieu, le lendemain ceste volonté
         leur changera, quand il conviendra oster, & suprimer, leurs
         salles coustumes, la dissolution de leurs moeurs, & leurs
         libertez incivilles: De façon qu'il faut des peuples, & des
         familles, pour les tenir en debvoir, & avec douceur les
         contraindre à faire mieux, & par bons exemples les esmouvoir à
         correction de vie. Le Père Joseph, & moy, les avons maintesfois
88/576   entretenu sur ce qui estoit de nostre créance, loix, &
         coustumes: ils escoutoient avec attention en leurs conseils,
         nous disans quelquefois, tu dis choses qui passe nostre esprit,
         & que ne pouvons comprandre par discours, comme chose qui
         surpasse nostre entendement: Mais si tu veus bien faire est
         d'habiter ce pays, & amener femmes, & enfans, lesquels venant
         en ces régions, nous verrons comme tu sers ce Dieu que tu
         adore, & de la façon que tu vis avec tes femmes, & enfans, de
         la manière que tu cultive les terres, & en semant[139], & comme
         tu obeys à tes loix, & de la façon que l'on nourrit les
         animaux, & comme tu fabrique tout ce que nous voyons sortir de
         tes inventions: Ce que voyant, nous apprendrons plus en un an,
         qu'en vingt à ouyr discourir, & si nous ne pouvons comprandre,
         tu prendras nos enfans, qui seront comme les tiens: & ainsi
         jugeant nostre vie miserable, au pris de la tienne, il est aisé
         à croire que nous la prenderont, pour laisser la nostre: leurs
         discours me sembloit d'un bon sens naturel, qui montre le desir
         qu'ils ont de cognoistre Dieu. C'est un grand dommage de
         laisser perdre tant d'hommes & les voir périr à nos portes,
         sans leur donner secours, qui ne peut estre sans l'assistance
         des Roys, Princes, & Ecclesiastiques, qui seuls ont le pouvoir
         de ce faire: Car aussi en doibvent-ils seuls emporter l'honneur
         d'un si grand oeuvre, à sçavoir de planter la foy Chrestienne
         en un pays incognu, & barbare, aux autres nations, estant bien
         informé de ces peuples, comme nous sommes, qu'ils ne respirent,
         & ne désirent autre chose que d'estre plainement instruits de
89/577   ce qu'il leur faut suivre & éviter, c'est donc à ceux qui ont
         le pouvoir d'y travailler, & y contribuer de leur abondance,
         car un jour ils respondront devant Dieu de la perte de tant
         d'âmes qu'ils laissent périr par leur négligence & avarice, car
         ils ne sont pas peu, mais en très-grand nombre: or ce sera
         quand il plaira à Dieu de leur en faire la grâce, pour moy j'en
         desire plustost l'effect aujourd'huy que demain, pour le zelle
         que j'ay à l'advancement de la gloire de Dieu, à l'honneur de
         mon Roy, au bien, & réputation de ma patrie.

[Note 139: Le manuscrit de l'auteur portait vraisemblablement: _&
ensemance_.]

         Pour ce qui est des mallades, celuy, ou celle, qui sera frappé,
         ou attaint de quelque malladie, mandera quérir l'Oqui, lequel
         venu qu'il sera, visitera le mallade, & apprendra, &
         s'instruira de son mal, & de sa douleur: cela fait ledit Oqui
         envoyera quérir un grand nombre d'hommes, femmes, & filles,
         avec trois ou quatre vieilles femmes, ainsi qu'il sera ordonné
         par ledict Oqui, & entrant en leurs cabannes en dançant, avec
         chacune une peau d'ours sur la teste, ou d'autres bestes, mais
         celles d'ours est la plus ordinaire, n'en ayant point de plus
         monstrueuse, & y aura deux ou trois autres vieilles qui seront
         proches de la mallade, ou patiente, qui est le plus souvent
         mallade par hypocrisie ou fausse imagination: mais de cette
         malladie elles sont bientost guaries, & lesquelles le plus
         souvent font les festins aux despens de leurs amis, ou parens,
         qui leur donnent dequoy mettre en leur chaudière, outre celles
         qu'ils reçoivent des presents des danceurs, & danceuses comme
         de la pourceline, & autre bagatelles, ce qui faict qu'elles
90/578   sont bien-tost guaries: car comme ils voyent ne plus rien
         esperer, ils se levent, avec ce qu'elles ont peu amasser, car
         d'autres bien mallades mal-aisément se guarissent-elles de tels
         jeux, & dances, & façons de faire. Et pour retourner à mon
         propos, les vieilles qui sont proches de la mallade reçoivent
         les presens, chantans chacune à son tour, & puis ils cessent de
         chanter, & alors que tous les presens sont faicts, ils
         commancent à lever leurs voix d'un mesme accord, chantans
         toutes ensembles, & frappant à la mesure avec des bastons sur
         des escorces d'arbres seiches, alors toutes les femmes, &
         filles, commancent à se mettre au bout de la cabanne, comme
         s'ils vouloient faire l'entrée d'un ballet, ou d'une mascarade:
         les vieilles marchans devant avec leurs peaux d'ours sur leurs
         testes, & toutes les autres les suivent l'une après l'autre.
         Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont quelque mesure,
         l'une de quatre pas, & l'autre de douze, comme si on dançoit le
         Trioly de Bretagne. Ils ont assez bonne grâce en dançant, il
         se met souvent avec elles de jeunes hommes, & après avoir dancé
         une heure, ou deux, les vieilles prendront la mallade pour
         dancer qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra en
         dance, ou estant, après quelque espace de temps elle dancera, &
         s'esjouyra aussi bien que les autres: Je vous laisse à penser
         comme elle se doibt porter en sa malladie. Cy-dessoubs est la
         forme de leurs dances.

[Illustration p. 578]

         Le Médecin y acquiert de l'honneur, & de la réputation, de voir
         si tost sa patiente guarie, & debout: ce qui ne se faict pas à
         celles qui sont mallades à l'extrémité, & accablez de langueur,
91/579   ains plustost ceste espece de médecine leur donne la mort
         plustost que la guarison: car je vous assure qu'il font
         quelquesfois un tel bruict, & tintamarre, depuis le matin
         jusques à deux heures de nuict, qu'il est impossible au patient
         de le supporter, sinon avec beaucoup de peine. Quelquesfois il
         prendra bien envie au patient de faire dancer les femmes, &
         filles, toutes ensemble, mais ce sera par l'ordonnance de
         l'Oqui, & ce n'est pas encores le tout, car luy & le Manitou,
         accompagnez de quelques autres, feront des singeries, & des
         conjurations, & se tourneront tant, qu'ils demeureront le plus
         souvent comme hors d'eux-mesme, comme fols & insensez, jettent
         le feu par la cabanne d'un costé & d'autre, mangeant des
         charbons ardans, les tenant en leurs mains un espace de temps,
         jettant aussi des cendres toutes rouges sur les yeux des autres
         spectateurs, & les voyans en cet estat, on diroit que le Diable
         Oqui, ou Manitou, si ainsi les faut appeller, les possedent, &
         les font tourmenter de la sorte. Et ce bruit, & tintamarre,
         ainsi faict ils se retirent chacun chez soy, & ceux qui ont
         bien de la peine durant ce temps, ce sont les femmes des
         possedez, & tous ceux de leurs cabannes, pour la crainte qu'ils
         ont que ces enragez ne bruslent tout ce qui est dedans leurs
         maisons, ce qui les induit à oster tout ce qui est en voye, car
         lors qu'il arrive, il vient tout furieux, les yeux
         estincellans, & effroyables, quelquesfois debout, &
         quelquesfois assis, ainsi que la fantaisie les prend:
         aussi-tost une quinte le prendra, empoignant tout ce qu'il
         trouvera, & rencontrera, en son chemin, le jette d'un costé, &
92/580   d'autre, & puis se couche, où il s'endort quelque espace de
         temps, & se réveillant en sursault, prend du feu, & des
         pierres, qu'il jette de toutes parts, sans aucun esgard, ceste
         furie se passe par le sommeil qui luy reprend, & lors il fait
         furie, ou il appelle plusieurs de ses amis, pour suer avec luy,
         qui est le remède qu'ils ont le plus propre pour se continuer
         en leur santé, & cependant qu'ils suent, la chaudière trotte
         pour accommoder leur manger, après avoir esté quelquefois deux
         ou trois heures enfermez avec de grandes escorces d'arbres,
         couverts de leurs robbes, ayans au milieu d'eux grande quantité
         de cailloux, qu'ils auront fait rougir dans le feu, & tousjours
         chantent, durant qu'ils sont en furie, & quelquesfois ils
         reprennent leur vent: on leur donne force pottées d'eau pour
         boire, d'autant qu'ils sont fort altérez, & tout cela faict, le
         demoniacle fol, ou endiablé, devient sage: Cependant il
         arrivera que trois, ou quatre, de ces mallades s'en trouveront
         bien, & plustost par heureuse rencontre, & d'advanture, que par
         science, ce qui leur confirme leur fauce créance, pour estre
         persuadez qu'ils sont guaris par le moyen de ces cérémonies,
         sans considerer que pour deux qu'ils en guerissent, il en meurt
         dix autres par leur bruict & grand tintamarre, & soufflements
         qu'ils font, qui est plus capable de tuer, que de guarir un
         mallade: mais quoy ils esperent recouvrir leur santé par ce
         bruict, & nous au contraire par le silence & repos, c'est comme
         le diable fait tout au rebours de bien. Il y a aussi des femmes
         qui entrent en ces furies, mais ils ne font tant de mal, ils
         marchent à quatre pattes, comme bestes: ce que voyant, ce
93/581   Magicien appelle l'Oqui, commance à chanter, puis avec quelques
         mines la soufflera, luy ordonnant à boire de certaines eaues, &
         qu'aussitost elle face un festin, soit de poisson, ou de chair,
         qu'il faut trouver, encores qu'il toit rare pour lors,
         neantmoins est aussitost fait. La crierie faite, & le banquet
         finy, ils s'en retournent chacun en sa cabanne, jusques à une
         autre fois qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant
         avec plusieurs autres, appellez pour cet effect, tenans en la
         main une tortue seiche, remplie de petits cailloux qu'ils font
         servir[140] aux oreilles de la mallade, luy ordonnant qu'elle
         doit faire 3 ou 4 festins tout de suitte, une partie de
         chanterie, & dancerie, où toutes les filles se trouvent parées,
         & paintes, comme j'ay representé en la figure G. Ledit Oqui
         ordonnera qu'il se face des mascarades, & soient desguisez,
         comme ceux qui courent le Mardy gras par les rues, en France:
         ainsi ils vont chanter prés du lict de la mallade, & se
         promènent tout le long du Village cependant que le festin se
         prépare pour recevoir les masques qui reviennent bien las,
         ayans pris assez d'exercice pour vuider le Migan de la
         chaudière.

[Note 140: Lisez _sonner_.]

         Leurs coustumes sont, que chacun mesnage vit de ce qu'il peut
         pescher & semer, ayant autant de terre comme il leur est
         necessaire: ils la desertent avec grand'peine, pour n'avoir des
         instruments propres pour ce faire: une partie d'eux esmondera
         les arbres de toutes ses branches qu'ils font brusler au pied
         dudit arbre pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre
         entre les arbres, & puis sement leur bled de pas en pas, où ils
94/582   mettent en chacun endroict quelques dix grains, ainsi
         continuant jusques à ce qu'ils en ayent assez pour trois ou
         quatre ans de provision, craignant qu'il ne leur succede
         quelque mauvaise année. Ces femmes ont le soing de semer, &
         cueillir, comme j'ay dict cy-devant, & de faire la provision de
         bois pour l'hyver, toutes les femmes s'aydent à faire leur
         provision de bois, qui[141] font dés le mois de Mars, & Avril,
         & est avec cet ordre en deux jours. Chaque mesnage est fourny
         de ce qui luy est necessaire, & si il se marie une fille,
         chacune femme, & fille, est tenue de porter à la nouvelle
         mariée un fardeau de bois pour sa provision, d'autant qu'elle
         ne le pourroit faire seulle, & hors de saison qu'il faut
         vacquer à autre chose. Le gouvernement qui est entr'eux est
         tel, que les anciens & principaux s'assemblent en un conseil,
         où ils décident, & proposent, tout ce qui est de besoing, pour
         les affaires du Village: ce qui se fait par la pluralité des
         voix[142], ou du conseil de quelques-uns d'entr'eux, qu'ils
         estiment estre de bon jugement, & meilleur que le commun: Il
         est prié de la compagnie de donner son advis sur les
         propositions faites, lequel advis est exactement suivy: Ils
         n'ont point de Chefs particuliers qui commandent absolument,
         mais bien portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillants
         qu'il nommera[143] Cappitaines par honneur, & un respect, &
         desquels il se trouve plusieurs en un Village: bien est-il vray
95/583   qu'ils portent à quelqu'un plus de respect qu'aux autres, mais
         pour cela il ne faut qu'il s'en prevalle, ny qu'il se doibve
         estimer plus que ses compagnons, si ce n'est par vanité. Quant
         pour les chastiments, ils n'en usent point, ny aussi de
         commandement absolu, ains ils font le tout par prières des
         anciens, & à force de harangues, & remonstrances, ils font
         quelque chose, & non autrement, ils parlent tous en général, &
         là où il se trouve quelqu'un de l'assemblée qui s'offre de
         faire quelque chose pour le bien du Village, ou aller en
         quelque part pour le service du commun, on fera venir celuy là
         qui s'est ainsi offert, & si on le juge capable d'exécuter ce
         desseing proposé, on luy remonstre par belles, & bonnes
         parolles, son debvoir: on luy persuade qu'il est homme hardy,
         propres aux entreprises, qu'il aquerra de l'honneur à
         l'exécution d'icelles: bref les flattent par blandissements,
         affin de luy continuer, voire augmenter ceste bonne volonté
         qu'il a au bien de ses Concitoyens: or s'il luy plaist il
         accepte la charge, ou s'en excusera, mais peu y manquent,
         d'autant que de là ils sont tenus en bonne réputation: Quant
         aux guerres qu'ils entreprennent, ou aller au pays des ennemis,
         ce seront deux, ou trois, des anciens, ou vaillans Cappitaines,
         qui entreprendront cette conduitte pour ceste fois, & vont aux
         Villages circonvoisins faire entendre leur volonté, en donnant
         des presents à ceux desdits Villages, pour les obliger d'aller,
         & les accompagner à leursdictes guerres, & par ainsi sont comme
         généraux d'armées: ils designent le lieu où ils veullent aller
         & disposent des prisonniers qui sont pris, & autres choses de
         plus grande consequence, dont ils ont l'honneur s'ils font
96/584   bien, s'ils font mal le deshonneur, à sçavoir de la guerre leur
         en demeure [144], n'ayant veu, ny recognu, autres que ces
         Cappitaines pour chefs de ces nations (145). Plus ils font des
         assemblées generalles, sçavoir des régions loingtaines, d'où il
         vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, & se
         trouvent en une ville qu'ils nomment, qui est le randés-vous de
         toute l'assamblée, où il se faict de grands festins, & dances,
97/585   durant trois [146] sepmaines, ou un mois, selon qu'ils advisent
         entre eux, & là contractent amitié de nouveau, décidant &
         ordonnant ce qu'ils advisent, pour la conservation de leur
         pays, contre leurs ennemis, & là se donnent aussi de grands
         presents les uns aux autres, & après avoir fait ils se retirent
         chacun en son quartier.

[Note 141: Qu'ils.]

[Note 142: «Qu'ils colligent, ajoute Sagard, avec de petits fétus de
joncs.» (Hist., p. 421.)]

[Note 143: Qu'ils nomment.]

[Note 144: Dans l'édition de 1627, on a retouché ce passage de la
manière suivante: _dont ils ont l'honneur s'ils font bien, s'ils font
mal le deshonneur, à sçavoir de la victoire ou du courage, n'en ayant
veu,_ etc. Cette correction ne nous paraît pas heureuse; aussi est-il
probable qu'elle n'a pas été faite, ni même suggérée par l'auteur, de
même que la plupart des autres changements qui ont été faits dans cette
édition de 1627. On sait que Champlain passa toute cette année 1627 au
Canada, occupé de bien autre chose que de corrections d'épreuves.]

[Note 145: Cette dernière phrase devrait être détachée de ce qui
précède. Voici comment le P. Brebeuf complète et en même temps apprécie
la relation de Champlain sur cette matière: «Je ne parle point de la
conduite qu'ils tiennent en leurs guerres, & de leur discipline
militaire, cela vient mieux à Monsieur de Champlain qui s'y est trouvé
en personne, & y a commandé; aussi en a-t'il parlé amplement, & fort
pertinemment, comme de tout ce qui regarde les moeurs de ces nations
barbares... Pour ce qui regarde l'autorité sde commander, voicy ce que
j'en ay remarqué. Toutes les affaires des Hurons se rapportent à deux
chefs: les unes sont comme les affaires d'Estat, soit qu'elles
concernent ou les citoyens, ou les Estrangers, le public ou les
particuliers du Village, pour ce qui est des festins, danses, jeux,
crosses, & ordre des funérailles. Les autres sont des affaires de
guerre. Or il se trouve autant de sortes de Capitaines que d'affaires.
Dans les grands Villages il y aura quelquefois plusieurs Capitaines tant
de la police, que de la guerre, lesquels divisent entre eux les familles
du Village, comme en autant de Capitaineries; on y void mesme par fois
des Capitaines, à qui tous ces gouvernemens se rapportent à cause de
leur esprit, faveur, richesses, & autres qualitez, qui les rendent
considerables dans le Pays. Il n'y en a point, qui en vertu de leur
élection soient plus grands les uns que les autres. Ceux là tiennent le
premier rang, qui se le sont acquis par leur esprit, éloquence,
magnificence, courage, & sage conduite, de sorte que les affaires du
Village s'addressent principalement à celuy des Capitaines, qui a en luy
ces qualitez; & de mesme en est-il des affaires de tout le Pays, où les
plus grands esprits sont les plus grands Capitaines, & d'ordinaire il
n'y en a qu'un qui porte le faix de tous. C'est en son nom que se
passent les Traictez de Paix avec les Peuples estrangers; le Pays mesme
porte son nom... Il faut qu'un Capitaine fasse estat d'estre quasi
toujours en campagne: si on tient Conseil à cinq ou six lieues pour les
affaires de tout le Pays, Hyver ou Esté en quelque saison que ce soit il
faut marcher: s'il se fait une Assemblée dans le Village, c'est en la
Cabane du Capitaine: s'il y a quelque chose à publier, c'est à luy à le
faire; & puis le peu d'authorité qu'il a d'ordinaire sur ses sujets,
n'est pas un puissant attrait pour accepter cette charge. Ces Capitaines
icy ne gouvernent pas leurs sujets par voye d'empire, & de puissance
absolue; ils n'ont point de force en main, pour les ranger à leur
devoir. Leur gouvernement n'est que civil, ils representent seulement ce
qu'il est question de faire pour le bien du Village, ou de tout le Pays.
Après cela se remue qui veut. Il y en a neantmoins, qui sçavent bien se
faire obeyr, principalement quand ils ont l'affection de leurs sujets.»
(Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. VI.)]

[Note 146: L'édition de 1627 porte _cinq_.]

         Pour ce qui est de l'enterrement des deffuncts, ils prennent le
         corps du décédé, l'enveloppent de fourreures, le couvrent
         d'escorces d'arbres fort proprement, puis ils l'eslevent sur
         quatre pilliers, sur lesquels ils font une cabanne, couverte
         d'escorces d'arbres, de la longueur du corps: autres qu'ils
         mettent en terre, où de tous costez la soustiennent, de peur
         qu'elle ne tombe sur le corps & la couvrent d'escorces
         d'arbres, mettans de la terre par dessus, & aussi sur icelle
         fosse font une petite cabanne. Or il faut entendre que ces
         corps ne sont en ces lieux ainsi inhumez que pour un temps,
         comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du Village adviseront
         le lieu où se doibvent faire leurs cérémonies, ou pour mieux
         dire, ils tiennent un conseil général, où tous ceux du païs
         assistent pour dessigner le lieu où se doibt faire la feste. Ce
         fait, chacun s'en retourne à son Village, & prennent tous les
         ossements des deffuncts, qu'ils nettoyent, & rendent fort nets,
         & les gardent soigneusement, encores qu'ils sentent comme des
         corps fraischement enterrez: ce fait, tous les parents, & amis
         des deffuncts, prennent lesdicts os avec leurs colliers,
         fourreures, haches, chaudières, & autres choses qu'ils estiment
         de valeur, avec quantité de vivres qu'ils portent au lieu
         destiné, & estans tous assemblez, ils mettent les vivres en un
98/586   lieu, où ceux de ce village en ordonnent, faisant des festins,
         & dances continuelles l'espace de dix jours que dure la feste,
         & pendant icelle les autres nations de toutes parts y abordent,
         pour voir ceste feste, & les cérémonies qui s'y font, & qui
         sont de grands frais entr'eux. Or par le moyen de ces
         cérémonies, comme dances, festins, & assemblées ainsi faictes,
         ils contractent une nouvelle amitié entr'eux, disans que les os
         de leurs parents, & amis, sont pour estre mis tous ensemble,
         posant une figure, que tout ainsi que leurs os sont assemblez &
         unis en un mesme lieu, ainsi aussi que durant leur vie ils
         doivent estre unis en une amitié, & concorde, comme parents, &
         amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os des uns & des autres
         parents & amis, estans ainsi meslez ensemble, font plusieurs
         discours sur ce subject, puis après quelques mines, ou façons
         de faire, ils font une grande fosse de dix thoises en quarré,
         dans laquelle ils mettent cesdits os avec les colliers,
         chaisnes de pourcelines, haches, chaudières, lames d'espées,
         cousteaux, & autres bagatelles, lesquelles neantmoins ne sont
         pas de petite valleur parmy eux, & couvrent le tout de terre, y
         mettant plusieurs grosses pièces de bois, avec quantité de
         pilliers qu'ils mettent à l'entour, faisant une couverture sur
         iceux. Voila la façon dont ils usent, pour les morts, c'est la
99/587   plus grande cérémonie qu'ils ayent entr'eux[147]: Aucuns d'eux
         croyent l'immortalité des âmes, autre partie en doubtent, &
         neantmoins ils ne s'en esloignent pas trop loing, disans
         qu'après leur deceds ils vont en un lieu où ils chantent comme
         les corbeaux, mais ce chant est bien différent de celuy des
         Anges. En la page suivante est representé leurs tombeaux, & de
         la façon qu'ils les enterrent.

[Note 147: «La feste des Morts,» dit le P. Brebeuf, «est la cérémonie la
plus célèbre qui soit parmy les Hurons; ils luy donnent le nom de
festin, d'autant que, comme je diray tout maintenant, les corps estans
tirez des Cimetières, chaque Capitaine fait un festin des âmes dans son
Village: le plus considerable & le plus magnifique est celuy du Maistre
de la Feste, qui est pour ceste raison appellé par excellence le Maistre
du festin. Cette Feste est toute pleine de cérémonies, mais vous diriez
que la principale est celle de la chaudière, cette-cy étouffe toutes les
autres, & on ne parle quasi de la feste des Morts, mesmes dans les
Conseils les plus serieux, que sous le nom de chaudière: ils y
approprient tous les termes de cuisine; de sorte que pour dire avancer
ou retarder la feste des Morts, ils diront déliter, ou attiser le feu
dessous la chaudière: & quand on est sur ces termes, qui diroit la
chaudière est renversée, ce feroit à dire, il n'y aura point de feste
des Morts.» (Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. IX.)
Le même Père, qui fut témoin de la grande fête des Morts de 1636,
rapporte toutes les circonstances de cette cérémonie, lesquelles sont
parfaitement d'accord avec ce que dit ici Champlain :«Retournant de
ceste feste,» ajoute-t-il, «avec un Capitaine qui a l'esprit fort bon, &
est pour estre quelque jour bien avant dans les affaires du Païs, je luy
demanday pourquoy ils appelloient les os des morts _Atisken_. Il me
repondit du meilleur sens qu'il eust, & je recueilly de son discours,
que plusieurs s'imaginent que nous avons deux âmes, toutes deux
divisibles & matérielles, & cependant toutes deux raisonnables; l'une se
separe du corps à la mort, & demeure neantmoins dans le Cimetière
jusques à la feste des Morts, après laquelle, ou elle se change en
Tourterelle, ou selon la plus commune opinion, elle s'en va droit au
village des âmes. L'autre est comme attachée au corps & informe, pour
ainsi dire, le cadavre, & demeure en la fosse des morts, après la feste,
& n'en fort jamais, si ce n'est que quelqu'un l'enfante de rechef. Il
m'apporta pour preuve de cette metempsychose, la parfaite ressemblance
qu'ont quelques-uns avec quelques personnes défuntes; Voila une belle
Philosophie. Tant y a, que voila pourquoy ils appellent les os des
morts, _Atisken_, les âmes.» (_Ibid._)]

[Illustration p. 587a]

         Reste de sçavoir comme ils passent le temps en hyver, à sçavoir
         depuis le mois de Décembre, jusques à la fin de Mars, qui est
         le commencement de nostre Printemps, & que les neiges sont
         fondues, tout ce qu'ils pourroient faire durant l'Automne,
         comme j'ay dict cy-dessus, ils le reservent à faire durant
         l'hyver, à sçavoir leurs festins & dances ordinaires en la
         façon qu'ils les font, pour, & en faveur des malades, comme
         j'ay representé cy-dessus, & ce, convient les habitans d'un
         village à l'autre, & appelle-on ces festins de chanteries, &
         dances, _Tabagis_[148], où se trouveront quelquesfois cinq
100/588  cents personnes, tant hommes que femmes, & filles, lesquels y
         vont bien attifées, & parées, de ce qu'elles ont de beau & plus
         précieux, & à certains jours ils font des mascarades, & vont
         par les cabannes les uns des autres, demandans les choses
         qu'ils auront en affection, & s'ils se rencontre qu'ils
         l'ayent, à sçavoir la chose demandée, ils la leur donnent
         librement, & ainsi demanderont plusieurs choses, jusques à
         l'infiny, de façon que tel de ces demandeurs auront des robbes
         de Castors, d'Ours, de Cerfs, de Loups cerviers, & autres
         fourreures, Poisson, bled d'Inde, Pethun, ou bien des
         chauderons, chaudières, pots, haches, serpes, cousteaux &
         autres choses semblables, allans aux maisons, & cabannes du
         Village chantants (ces mots) un tel m'a donné cecy, un autre
         m'a donné cela, & telles semblables parolles par forme de
         louange: & s'ils voyent qu'on ne leur donne rien, ils se
         faschent, & prendra tel humeur à l'un d'eux, qu'il tordra hors
         la porte, & prendra une pierre & la mettera auprès de celuy, ou
         celle, qui ne luy aura rien donné, & sans dire mot s'en
         retournera chantant, qui est une marque d'injure, reproche, &
         mauvaise volonté. Les femmes y vont aussi bien que les hommes &
         ceste façon de faire se faict la nuict, & dure ceste mascarade
         sept ou huict jours. Il se trouve aucuns de leurs villages qui
         tiennent, & reçoivent les momons, ou fallots[149], comme nous
101/589  faisons le soir du Mardy gras, & dément les autres villages à
         venir les voir & gaigner leurs ustancilles, s'ils peuvent, &
         cependant les festins ne manquent point, voila comme ils
         passent le temps en hyver: aussi que les femmes filent[150], &
         pilent des farines pour voyager en esté pour leurs maris qui
         vont en traffic à d'autres nations, comme ils ont délibéré
         ausdits conseils, sçavoir la quantité des hommes qui doibvent
         partir de chaque village pour ne les laisser desgarny d'hommes
         de guerres, pour se conserver, & nul ne sort du païs sans le
         commun consentement des chefs, bien qu'ils le pourroient faire,
         mais ils seroient tenus comme mal appris. Les hommes font les
         rets pour pescher, & prendre le poisson en esté comme en hyver,
         qu'ils peschent ordinairement, & prennent le poisson jusques
         soubs la glace à la ligne, ou à la seine.

[Note 148: Ce mot tabagie n'est pas d'origine huronne. Il était employé
parmi les nations algonquines, montagnaises et en général parmi les
sauvages du bas du fleuve. Suivant le P. Brebeuf, les Hurons avaient
quatre espèces principales de festins: _l'athatayon_, festin d'adieu;
_l'enditeuhoua_, festin de réjouissance; _l'atourontoachien, festin de
chanterie, et l'aoutaerohi, qui se faisait pour la délivrance de
certaine maladie. (Relat. 1636.)]

[Note 149: «Ils pratiquent en quelques-uns de leurs villages,» dit
Sagard, «ce que nous appelons en France porter les momons: car ils
deffient & invitent les autres villes & villages de les venir voir,
jouer avec eux, & gaigner leurs ustencilles, s'il eschet, & cependant
les festins ne manquent point.» (Grand Voyage du pays des Hurons, p.
124.)]

[Note 150: «Elles ont, dit Sagard, l'invention de filer le chanvre sur
leur cuisse, n'ayans pas l'usage de la quenouille & du fuseau, & de ce
filet les hommes en lassent leurs rets & filets.» (Grand Voy., p. 131.)]

         Et la façon de ceste pesche est telle, qu'ils font plusieurs
         trous en rond sur la glace & celuy par où ils doibvent tirer la
         seine à quelque cinq pieds de long, & trois pieds de large,
         puis commancent par ceste ouverture à mettre leur filet,
         lesquels ils attachent à une perche de bois, de six à sept
         pieds de long, & la mettent dessoubs la glace, & font courir
         ceste perche de trou en trou, où un homme, ou deux, mettent les
         mains par les trous, prenant la perche où est attaché un bout
         du filet, jusques à ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de
         cinq à six pieds. Ce faict, ils laissent cou lier le rets au
         fonds de l'eau, qui va bas, par le moyen de certaines petites
102/590  pierres qu'ils attachent au bout, & estans au fonds de l'eau,
         ils le retirent à force de bras par les deux bouts, & ainsi
         amènent le poisson qui se trouve prins dedans. Voila la façon
         en bref comme ils en usent pour leur pesche en hyver.

         L'hyver commance au mois de Novembre, & dure jusques au mois
         d'Avril, que les arbres commancent à pousser leur ceve dehors,
         & à montrer le bouton.

         Le 22e jour du mois d'Avril, nous eusmes nouvelles de nostre
         truchement, qui estoit allé à Carentoüan par ceux qui en
         estoient venus, lesquels nous dirent l'avoir laissé en chemin,
         & s'en estoit retourné au Village pour certaines considerations
         qui l'avoient meu à ce faire [151].

[Note 151: Les aventures d'Étienne Brûlé sont rapportées un peu plus
loin.]

         Et reprenant le fil de mes discours, nos Sauvages
         s'assemblerent pour venir avec nous, & reconduire à nostre
         habitation, & pour ce faire nous partismes[152] de leur pays le
         vingtiesme jour dudit mois[153], & fusmes quarante jours sur
103/591  les chemins, & pechasmes grande quantité de poisson & de
         plusieurs especes, comme aussi nous prismes plusieurs sortes
         d'animaux, avec du gibier, qui nous donna un singulier plaisir,
         outre la commodité que nous en receusmes par le chemin, jusques
         à ce que nous arrivasmes à nos François, qui fut sur la fin du
         mois de juing, où je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu
         de France, avec deux vaisseaux, qui desesperoient presque de me
         revoir, pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des
         Sauvages, sçavoir que j'estois mort.

[Note 152: Tout ce qu'il y avait de Français avec Champlain, y compris
le P. le Caron. Il ne manquait apparemment qu'Étienne Brûlé; du moins,
on ne trouve nulle part qu'il en soit mort aucun pendant cette
expédition, ni pendant l'hiver passé au pays des Hurons.]

[Note 153: Le 20 de mai, puisque l'on fut «quarante jours jur les
chemins,» et qu'on arriva aux Français sur la fin du mois de juin; c'est
ce que confirme, du reste, le passage suivant du Frère Sagard: «Ce bon
Père» (le P. le Caron) «partit donc de son village, pour Kebec le 20 de
May 1616. dans l'un des Canots Hurons, desstinez pour descendre à la
Traicte; & firent tant par leurs diligences qu'ils arriverent aux trois
Rivieres le premier jour de juillet ensuivant, où ils trouverent le P.
Dolbeau qui si estoit rendu dans les barques des Navires nouvellement
arrivées de France pour la mesme Traicte. Après qu'ils se furent
entresaluez & rendu les actions de grâces à Dieu nostre Seigneur, le bon
Père Dolbeau leur aprit comme dés le 24e jour du mois de Mars passé, il
avoit ensepulturé un François nommé Michel Colin, avec les cérémonies
usitées en la saincte Eglise Romaine, qui fut le premier qui receut
cette grâce là dans le païs... Le 15 du mesme mois,» (de juillet) «le P.
Dolbeau donna pour la première fois l'Extreme-onction à une femme nommée
Marguerite Vienne, qui estoit arrivée la mesme année dans le Canada avec
son mary pensans s'y habituer, mais qui tomba bientost malade après son
débarquement, & mourut dans la nuict du 19, puis enterrée sur le soir
avec les cérémonies de la saincte Eglise.» (Hist. du Canada, p. 30,
31.)]

         Nous vismes aussi tous les Pères Religieux [154], qui estoient
         demeurez à nostre habitation, lesquels aussi furent fort
         contents de nous revoir, & nous d'autrepart qui ne l'estions
         pas moins. Toutes réceptions, & caresses, ainsi faictes, je me
         disposé de partir du sault Sainct Louys, pour aller à nostre
         habitation, & mené mon hoste appelle d'Arontal avec moy, ayants
         prins congé de tous les autres Sauvages, & après que je les eu
         asseurez de mon affection, & que si je pouvois je les verrois à
         l'advenir pour les assister comme j'avois des-jà faict par le
         passé, & leur porteroient des presents honnestes, pour les
         entretenir en amitié, les uns avec les autres, les priant
         d'oublier toutes les disputes qu'ils avoient eues ensemble,
         lors que je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent.

[Note 154: Cette phrase semble mise ici par anticipation; car, outre
qu'il est peu probable qu'aucun des Pères ne fût resté à l'habitation,
le texte de Sagard cité à la page précédente, note 3, donne assez à
entendre que le P. d'Olbeau monta seul, et ne fut pas plus loin que les
Trois-Rivières.]

         Ce fait, nous partismes le huictiesme jour de Juillet, &
         arrivasmes à nostre habitation le 11 dudict mois, où estant, je
104/592  trouvay tout le monde en bon estat, & tous ensemble rendismes
         grâces à Dieu, avec nos Pères Religieux, qui chantèrent le
         service divin, en le remerciant du soing qu'il avoit eu de nous
         conserver, & preserver, de tant de périls & dangers, où nous
         estions trouvez.

         Après ces choses, & le tout estant en repos, je me mis en
         debvoir de faire bonne chère à mon hoste d'Arontal, lequel
         admiroit nostre bastiment, comportement, & façons de vivre, &
         nous ayant bien consideré, il me dit en particulier qu'il ne
         mourroit jamais content, qu'il ne vist tous ses amis, ou du
         moins bonne partie, venir faire leur demeurance avec nous pour
         apprendre à servir Dieu, & la façon de nostre vie qu'il
         estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur, & que ce
         qu'il ne pouvoit comprendre par le discours il l'apprendroit, &
         beaucoup mieux, & plus facillement par la veue, & fréquentation
         familière qu'ils auroient avec nous, & que si leur esprit ne
         pouvoit comprandre l'usage de nos arts, sciences, & mestiers,
         que leurs enfans qui sont jeunes le pourront faire comme ils
         nous avoient souvent dict, & representé, en leur pays, en
         parlant au Père Joseph, & que pour l'advancement de cet oeuvre
         nous faisions une autre habitation au sault Sainct Louys, pour
         leur donner la seureté du passage de la riviere pour la crainte
         de leurs ennemis, & qu'aussi-tost que nous aurions basty une
         maison ils viendront en nombre à nous pour y vivre comme
         frères: ce que je leur promis & asseuré, faire à sçavoir une
         habitation pour eux, au plustost qu'il nous seroit possible.

105/593  Et après avoir demeuré quatre ou cinq jours ensemble, je luy
         donnay quelques honnestes dons, il se contenta fort, le priant
         tous-jours de nous aymer, & de retourner voir nostredite
         habitation, avec ses compagnons, & ainsi s'en retourna contant
         au sault Sainct Louys, où ses compagnons l'attendoient.

         Comme ce Cappit. appellé d'Arontal, fut party d'avec nous nous
         fismes bastir, fortifier & accroistre nostre-ditte habitation
         du tiers, pour le moins, par ce qu'elle n'estoit suffisamment
         logeable, & propre pour recevoir, tant ceux de nostre
         compagnie, qu'autres estrangers qui nous venoient voir, &
         fismes le tout bien bastir de chaux, & sable, y en ayant trouvé
         de tresbonne, en un lieu proche de ladite habitation, qui est
         une grande commodité pour bastir, à ceux qui s'y voudront
         porter, & habituer.

         Les Père Denis, & Père Joseph se délibérèrent de s'en revenir
106/594  en France[155], pour témoigner par deçà tout ce qu'ils avoient
         veu, & l'esperance qu'ils se pouvoient promettre de la
         conversion de ces premiers peuples, qui n'attendoient autre
         secours que l'assistance des bons Pères Religieux, pour estre
         convertis, & amenez, à nostre foy, & Religion Catholique.

[Note l55: «Selon le projet formé dés l'année précédente,» dit le P. le
Clercq, «nos Religieux dévoient se trouver à Québec au mois de Juillet
de l'année presente, pour faire ensemble un rapport fidel de leurs
connoissances, & convenir de ce qu'il y auroit à entreprendre pour la
gloire de Dieu. Ils prièrent Monsieur de Champlain d'y assister, le
connoissant autant zélé pour l'établissement de la Foi, comme pour le
temporel de la Colonie, & six autres personnes des mieux intentionnées.
Pour le bien du païs, ils convinrent tous d'un commun accord, des
articles suivans, exprimez plus au long dans nos mémoires qui subsistent
encore aujourd'huy... Il paroist donc qu'il fut conclu; Qu'à l'égard des
nations du bas du Fleuve, & de celles du Nord, qui comprennent les
Montagnais, Etéchemins, Betsiamites, & Papinachois, les grands & petits
Eskimaux,... il faudroit beaucoup de temps pour les humaniser: Que par
le rapport de ceux qui avoient visité les côtes du Sud, les rivières du
Loup, du Bic, des Monts Nôtre-Dame, & pénétré même par les terres
jusqu'à la Cadie, Cap Breton, & Baye des chaleurs, l'Isle percée, &
Gaspé, le païs estoit plus tempéré, & plus propre à la culture, qu'il y
auroit des dispositions moins éloignées pour le Christianisme, les
peuples y ayant plus de pudeur, de docilité, & d'humanité que les
autres. Qu'à l'égard du haut du fleuve, & de toutes les nations
nombreuses, des Sauvages, que Monsieur de Champlain, & le Père Joseph
avoient visité par eux-mêmes, ou par d'autres,... on ne reussiroit
jamais à leur conversion, si avant que de les rendre Chrestiens, on ne
les rendoit hommes. Que pour les humaniser il falloit necessairement,
que les François se mélassent avec eux, & les habituer parmy nous, ce
qui ne se pourroit faire que par l'augmentation de la Colonie, à
laquelle le plus grand obstacle estoit de la part des Messieurs de la
compagnie, qui pour s'attirer tout le commerce, ne vouloient point
habituer le païs, ny souffrir même que nous rendissions les Sauvages
sedentaires, sans quoy on ne pouvoit rien avancer pour le salut de ces
Infidèles. Que les Protestans, ou Huguenots, ayant la meilleure part au
commerce, il estoit à craindre, que le mépris qu'ils faisoient de nos
mysteres, ne retardât beaucoup l'établissement de la Foi. Que même le
mauvais exemple des François pourroit y estre préjudiciable, si ceux qui
avoient authorité dans le païs n'y donnoient ordre. Que la million
estoit pénible & laborieuse parmy des nations si nombreuses, & qu'ainsi
on avanceroit peu, si on n'obtenoit de Meilleurs de la compagnie un plus
grand nombre de Missionnaires defrayez. Nous voyons encore par l'état de
leur projet, que tous convinrent qu'il faudrait plusieurs années, & de
grands travaux pour humaniser ces nations entièrement grossieres, &
barbares, & qu'à l'exception d'un très-petit nombre de sujecs, encore
fort douteux, on ne pourroit risquer les Sacremens à des adultes, c'est
ce qui se voit encore aujourd'huy; car depuis tant d'années, on a fort
peu avancé, quoy qu'on ait beaucoup travaillé. Il paroist enfin qu'il
fut conclu qu'on n'avanceroit rien, si l'on ne fortifioit la Colonie
d'un plus grand nombre d'Habitans. Laboureurs, & artisans: que la
liberté de la traitte avec les Sauvages, fut indifféremment permise à
tous les François. Qu'à l'avenir les Huguenots en fussent exclus, qu'il
estoit necessaire de rendre les Sauvages sedentaires, & les élever à nos
manières, & à nos loix. Qu'on pourroit avec le secours des personnes
zélées de France établir un Séminaire, afin d'y élever des jeunes
Sauvages au Christianisme, lesquels après pourroient avec les
Missionnaires contribuer à l'instruction de leurs compatriotes. Qu'il
falloit necessairement soutenir les Millions que nos Pères avoient
établies tant en haut qu'au bas du Fleuve, ce qui ne se pouvoit faire,
si Messieurs les associez ne temoignoient toute l'ardeur qu'on pouvoit
esperer de leur zèle, quand ils feroient informez de tout d'une autre
manière, qu'ils ne l'estoient en France par le rapport des commis qu'ils
avoient envoyé sur les lieux l'année précédente; Monsieur le Gouverneur,
& nos Pères n'ayant pas sujet d'en estre contens. C'est à peu prés
l'abbregé des conclusions qui furent prises dans cette petite assemblée
de nos Missionnaires, & des personnes les mieux intentionnées pour
l'établissement spirituel & temporel de la Colonie; mais comme rien ne
se pouvoit faire sans l'aide de la France, Monsieur de Champlain qui
avoit dessein d'y passer, pria le P. Commissaire & le P. Joseph de l'y
accompagner, pour faire rapport de tout, & obtenir plus efficacement
tous les secours necessaires. Ils eurent assez de peine à s'y rendre,
mais enfin considerant de quelle importance il estoit de jetter les
solides fondemens de leur entreprise, ils se rendirent aux persuasions &
aux instances de la compagnie, & disposerent tout pour leur départ.»
(Prem, établiss. de la Foy, t. I, p. 91. et s.)]

         Ce fait, & pendant mon sejour en l'habitation, je fis coupper
         du bled commun, à sçavoir, du bled François qui y avoit esté
         semé, & lequel y estoit eslevé tresbeau, affin d'en apporter du
         grain en France, & tesmoigner que ceste terre est bonne, &
         fertile: aussi d'autre-part y avoit-il du bled d'Inde fort
107/595  beau, & des antes, & arbres, que nous avoit donné le Sieur du
         Mons en Normandie: bref tous les jardinages du lieu estants en
         admirable beauté, semez en poix, febves, & autres légumes,
         sitrouilles, racines de plusieurs sortes & très-bonnes par
         excellences, plantez en choux, poirées, & autres herbes
         necessaires. Nous estans sur le point de nostre partement, nous
         laissasmes deux de nos Religieux à nostre habitation, à sçavoir
         le Pères Jean d'Elbeau, & Père Paciffique[156], fort contant de
         tout le temps qu'ils avoient passé audit lieu, & resoulds d'y
         attendre le retour du Père Joseph qui les debvoit retourner
         voir comme il fist l'année suivante[157].

[Note 156: Le P. Jean d'Olbeau et le Frère Pacifique. (Voir ci-dessus,
notes de la page 7.)]

[Note 157: Le P. le Caron revint l'année suivante avec le P. Paul Huet;
mais le P. Denis Jamay demeura en France. «La Province des Recollets,»
dit le P. le Clercq, «offrit assez de sujets; mais Messieurs de la
compagnie, allant un peu trop à l'épargne, n'accordèrent place que pour
deux. Les Supérieurs jugèrent que le Père Denis cy-devant Commissaire
devoit rester en France, parce qu'estant instruit à fonds de l'état du
Canada, il pourroit mieux que personne en gérer les affaires, & en
procurer les avantages en Cour, & ailleurs. On designa donc le Père
Joseph le Caron pour Commissaire des Missions, & parmy le grand nombre
de Religieux qui se presentoient, on luy donna le Père Paul Huet pour
second.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 104, 105.)]

         Nous embarquasmes en nos barques le vingtiesme jour de Juillet,
         & arrivasmes à Tadoussac le vingt-troisiesme jour dudit mois, &
         où le sieur du Pont nous attendoit avec son vaisseau prest &
         appareillé, dans lequel nous ambarquasmes, & partismes le
         troisiesme jour du mois d'Aoust, & eusmes le vent si à propos,
         que nous arrivasmes à Honfleur en santé, grâces à Dieu, qui fut
         le 10e jour de Septembre, mil six cents seize, ou estants
         arrivez, nous rendismes louange & actions de grâces à Dieu, de
         tant de soing qu'il avoit eu de nous en la conservation de nos
         vies, & de nous avoir comme arrachez, & tirez, de tant de
108/596  hazards où nous avions esté exposez, comme aussi de nous avoir
         ramenez & conduits en santé, jusques dans nostre patrie, le
         priant aussi d'esmouvoir le coeur de nostre Roy & Nosseigneurs
         de son Conseil, pour y contribuer de ce qui est necessaire de
         leur assistance, affin d'amender ces pauvres peuples Sauvages à
         la cognoissance de Dieu, dont l'honneur reviendra à sa Majesté,
         la grandeur & l'accroissement de son estat, & l'utilité à ses
         sujects, & la gloire de tous ces desseings, & labeur, à Dieu
         seul autheur de toute perfection, à luy donc soit honneur, &
         gloire. Amen[158].

[Note 158: On voit que Champlain avait les sentiments d'un vrai
missionnaire; malheureusement les marchands associes n'étaient pas
poussés du même zèle. «Messieurs de la societé,» dit Sagard, «furent
fort ayse de voir le bon Père Joseph comme une personne de créance, &
d'apprendre de luy mesme du succez de son voyage, du bien qu'il leur
faisoit esperer pour le spirituel & temporel du païs, & du zèle qu'il
avoit pour la conversion des Sauvages, neantmoins avec tout cela, il ne
peut obtenir d'eux autre chose qu'un remerciement de ses travaux & une
réitération de leur bonne volonté à l'endroit de nos Pères, sans autre
effect. C'est ce qui obligea ce bon Père de chercher ailleurs le secours
qu'il n'avoit pu trouver en ceux qui y estoient obligez, & de penser de
son retour en Canada en la compagnie du P. Paul Huet, puis que de parler
de peuplades & de Colonies, estoit perdre temps, & glacer des coeurs
des-ja assez peu eschauffez, jusques à ce qu'il pleust à nostre Seigneur
inspirer luy mesme les puissances superieures d'y donner ordre, puis que
les subalternes n'y vouloient entendre, & ne s'interessoient qu'à leur
interest propre.» (Histoire du Canada, p. 32.)]

                                1617

En 1617, Champlain fit au Canada un voyage, «où il ne se passa rien de
remarquable,» dit-il dans l'édition de 1632 (Prem. partie, p. 214.)
Cependant nous devons savoir gré au Frère Sagard et au P. le Clercq, de
nous en avoir conservé quelques détails. «Monsieur de Champlain de sa
part,» dit celui-ci, n'oublioit rien pour soutenir son entreprise,
malgré tous les obstacles qu'il y rencontroit à chaque pas, il ne laissa
pas de disposer un embarquement plus fort que le précèdent, mais on peut
dire que ce qu'il obtint de plus avantageux, fut de persuader le Sieur
Hébert de passer en Canada avec toute sa famille qui a produit &
produira dans la suite de bons sujets, des plus considerables, & des
plus zelez pour la Colonie... Toutes choses estant prestes pour faire
voile, on leva l'anchre à Honfleur le 11 Avril 1617. Le vaisseau fut
commandé par le Capitaine Morel.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
104, 105.) La traversée fut longue et orageuse. Arrivés à environ
soixante lieues du grand Banc, nos voyageurs se virent entourés de
glaces immenses, que le vent et les courants poussaient avec violence
contre le vaisseau. Dans la consternation générale, «le Père Joseph,
voyant que tout le secours humain n'estoit point capable de les délivrer
du naufrage, demanda tres-instament celuy du Ciel par les voeux & les
prières qu'il fit publiquement dans le vaisseau. Il conseilla tout le
monde & se mit luy-même en état de paroistre devant Dieu. On fut touché
de compassion & sensiblement attendri, quand la Dame Hébert éleva par
les écoutils le plus petit de ses enfans, afin qu'il receut aussi bien
que tous les autres la bénédiction de ce bon Père. Ils n'echaperent que
109/597
par miracle, comme ils le reconnurent par les lettres écrites en
France.» (_Ibid._ p. 107.) «On avoit des-ja prié Dieu pour eux à Kebec,»
dit Sagard, «les croyans morts & submergez, lors que Dieu leur fist la
grâce de les delivrer & leur donner passage pour Tadoussac, où ils
arriverent à bon port le 14 jour de juin, après avoir esté treize
semaines & un jour en mer dans des continuelles apprehensions de la
mort, & si fatiguez qu'ils n'en pouvoient plus... Le P. Joseph monta à
Kebec dans les premières barques appareillées, pour aller promptement
asseurer les hyvernants de leur delivrance, & comme Dieu avoit eu soin
d'eux au milieu de leurs plus grandes afflictions & les avoit protégé.»
Sans doute, Champlain partit immédiatement avec le P. le Caron, pour
monter à Québec, comme il avait fait au voyage précédent. «Le P. Paul
resta à Tadoussac, où il célébra la S. Messe pour la première fois dans
une Chappelle qu'il bastit à l'ayde des Mattelots & du Capitaine Morel,
avec des rameaux & fueillages d'arbres le plus commodément que l'on
peut. Pendant le S. Sacrifice deux hommes décemment vestus estoient à
ses costés avec chacun un rameau en main pour en chasser les mousquites
& cousins, qui donnoient une merveilleuse importunité au Prestre, &
l'eussent aveuglé ou faict quitter le S. Sacrifice sans ce remède qui
est assez ordinaire & autant utile que facile. Le Capitaine Morel fist
en mesme temps tirer tous les canons de son bord, en action de grâce &
resjouissance de voir dire la saincte Messe où jamais elle n'avoit esté
célébrée, & après les prières faictes, pour rendre le corps participant
de la feste aussi bien que l'esprit, il donna à disner à tous les
Catholiques, & l'aprés midy on retourna derechef dans la Chappelle,
chanter les Vespres solemnellement, de manière que cet aspre desert en
ce jour là fut changé en un petit Paradis, où les louanges divines
retentissaient jusques au Ciel, au lieu qu'auparavant on n'y entendoit
que la voix des animaux qui courent ces aspres solitudes... Cette
Chappelle a subsisté plus de six années sus pied, bien qu'elle ne fust
bastie que de perches & de rameaux comme j'ay dit, mais la modestie &
retenue de nos Sauvages n'est pas seulement considerable en cela, mais
ce que j'admire encore davantage, est: qu'ils ne touchent point aux
barques ny aux chalouppes, que les François laissent sur la greve
pendant les hyvers, modestie que les François mesme n'auroient peut
estre pas en pareille liberté, s'ils n'avoient l'exemple des Sauvages...
Les affaires du Capitaine Morel estant expédiées à Tadoussac, on se mist
sous voile pour Kebec, où la necessité de toutes choses commençoit à
estre grande & importune aux hivernants, qui ne furent neantmoins gueres
soulagez par la venue des barques, qui ne leur donnèrent pour tout
rafraichissement, à 50 ou 60 personnes qu'ils estoient, qu'une petite
barrique de lard, laquelle un homme seul porta sur son espaule depuis le
port jusques à l'habitation, de manière qu'avant la fin de l'année, ils
tombèrent presque tous malades de la faim, & d'une certaine espece de
maladie qu'ils appellent le mal de la terre, qui les rendoit miserables
& languissants, & ce par la faute des chefs qui n'avoient pas fait
cultiver les terres, ou eu moyen de le faire... Le retour du P. Joseph
minuta un autre pareil voyage au P. Dolbeau qui croyoit y pouvoir opérer
davantage, & representer mieux les necessitez du païs, mais il eut
affaire avec les mesmes esprits, & tousjours aussi mal disposez au bien,
& partant n'y fist rien davantage que de perdre ses peines & s'en
retourner derechef en Canada en qualité de Commissaire avec le frère
Modeste Guines, aussi mal satisfaict de ces Messieurs qu'avoit esté le
P. Joseph. Ce peu d'ordre les fist à la fin resoudre de recommander le
tout à Dieu, sans se plus attendre aux marchands, & faire de leur costé
ce qu'ils pourroient, puis qu'il n'y avoit plus d'esperance de secours.
En suitte dequoy un chacun des Religieux se proposa un pieux &
particulier exercice avec l'ordre du R. P. Commissaire, les uns d'aller
hyverner avec les Montagnais, les autres d'administrer les Sacremens aux
François, & ceux qui ne pouvoient davantage chantoient les louanges de
nostre Dieu en la petite Chappelle, instruisoient les Sauvages qui les
venoient voir, & vacquoient à la saincte Oraison, & à ce qui estoit des
fonctions de Religieux. Pendant le voyage du P. Dolbeau, le P. Joseph
fist le premier Mariage qui se soit faict en Canada avec les cérémonies
de la S. Eglise, entre Estienne Jonquest Normand, & Anne Hébert, fille
aisnée du sieur Hébert, qui depuis un an estoit arrivé à Kebec, luy, sa
femme, deux filles & un petit garçon, en intention de s'y habituer... »
(Hist. du Canada, p. 34-41.) Le P. le Clercq donne à entendre que ce
premier, mariage, fait en Canada, eut lieu dans l'automne de 1617.
«Après le départ des navires,» dit-il, «le Père Supérieur célébra avec
les solemnitez ordinaires, le premier mariage qui se soit fait en Canada.
110/598
Ce fut entre le sieur Estienne Jonquest natif de Normandie, & la fille
aisnée du sieur Hébert.» Cependant le texte de Sagard laisse supposer
qu'Etienne Jonquest ne se serait marié que dans le printemps de 1618,
puisqu'en parlant de Louis Hebert cet auteur remarque qu'il était arrivé
à Québec depuis un an. Un autre point ou le P. le Clercq se trouve en
désaccord avec le Frère Sagard, c'est le motif du voyage du P. d'Olbeau.
D'après celui-ci, comme nous venons de le voir, le P. d'Olbeau aurait
entrepris le voyage uniquement par l'espoir de faire mieux que ses
devanciers: tandis que suivant le P. le Clercq, «les périls du voyage
engagèrent Champlain à demander le P. Jean Dolbeau au Père Commissaire,
afin de l'accompagner en France.» (Prem. établiss. de la Foy, l. I, p.
111, 112.) Ce qu'il y a d'assez probable, c'est que Champlain avait à la
fois ces deux motifs de demander le P. d'Olbeau.

[Illustration]

111/599

[Illustration]



         _CONTINUATION DES VOYAGES & découvertures faictes en la
         nouvelle France par ledit Sieur de Champlain, Cappitaine pour
         le Roy en la Marine du Ponant l'an 1618._


         Au commencement de l'année mil six cens dix-huict, le
         vingt-deuxiesme de Mars je party de Paris, & mon beau frère
         [159] que je menay avec moy, pour me rendre à Honfleur, havre
         ordinaire de nostre embarquement, où estant après un long
         sejour pour passer la contrariété des vents, & retournez en
         leur bonace & favorables au voyage, nous embarquasmes dans
         ledit grand vaisseau de ladite association, où commandoit le
         sieur du Pont-Gravé, & avec un Gentil-homme, appellé le sieur
         de la Mothe[160], lequel auroit dés auparavant fait voyage avec
         les Jesuistes aux lieux de la Cadye, où il fut pris par les
         Anglois, & par eux mené aux Virginies, lieu de leur habitation:
         & quelque temps après[161] le repasserent en Angleterre, & de
         là en France, où le desir & l'affection luy augmenta de voyager
         derechef en ladite nouvelle France, qui luy fist rechercher les
112/600  occasions en mon endroit. Surquoy je l'aurois asseuré d'y
         apporter mon pouvoir & l'assister envers Messieurs nos
         associez, comme me promettant qu'ils auroient aggreable la
         rencontre d'un tel personnage, attendu qu'il leur feroit fort
         necessaire esdicts lieux.

[Note 159: Eustache Boullé, fils de Nicolas Boullé, secrétaire de la
chambre du roi, et de dame Marguerite Alix. Il était âgé alors d'environ
dix-huit ans. (State Paper Office, Colonial Séries, vol. V, 34.)]

[Note 160: Nicolas de Lamothe-le-Vilin. Il était lieutenant de la
Saussaye, à Saint-Sauveur, en 1613. (Edit. 1632, première partie, p.
106, 112.--Relation du P. Biard, ch. XXXV.)]

[Note 161: En 1614.]

         Nostre embarquement ainsi faict, nous partismes dudict lieu de
         Honfleur le 24e jour de May ensuivant audit an 1618, ayant le
         vent propre pour nostre route, qui neantmoins ne nous dura que
         bien peu de jours, qui changea aussi-tost, & fusmes tousjours
         contrarié de mauvais temps, jusques à arriver sur le grand banc
         où se font les pescheries du poisson vert, qui fut le
         troisiesme jour de Juin ensuivant, où estant, nous apperçeusmes
         au vent de nous quelques bancs de glaces, qui se deschargeoient
         du costé du Nort, & en attendant le vent commode, nous fismes
         pescheries de poisson, où il y avoit un grand plaisir, non pour
         la pesche du poisson seulement, mais aussi d'une sorte
         d'oiseaux, appellez Fauquets[162], & d'autres sortes qui se
         prennent à la ligne, comme le poisson, car jettant la ligne, &
         l'ameçon, garny de foye des morues, qui leur servoit d'appast:
         ces oiseaux se jettoient à la foulle, & en telle quantité les
         uns sur les autres, qu'on n'avoit pas le loisir de tirer la
         ligne hors pour la rejetter, qu'ils se prenoient par le bec,
         par les pieds, & par les ailles en vollant, & se précipitant
         sur l'appast, à cause de leur grande avidité, & gourmandise,
         dont ceste nature d'oiseaux est composée, & en ceste pescherie
         nous eusmes un extresme contentemens, tant en ceste exercice,
113/601  qu'au grand nombre infiny d'oiseaux, & grande quantité de
         poisson que nous prismes, fort excellents à manger, & commodes
         pour un rafraischissement, chose fort necessaire audit
         vaisseau.

[Note 162: Ou plutôt _fouquets_, hirondelles de mer.]

         Et continuant nostre route le 15e jour dudict mois, nous nous
         trouvasmes au travers de l'isle percée, & le jour S. Jean[163]
         ensuivant nous entrasmes au port de Tadoussac, où nous
         trouvasmes nostre petit vaisseau, arrivé trois sepmaines devant
         nous, les gents duquel nous dirent que le Sieur des Chesnes qui
         commandoit en icelle estoit allé à Québec, lieu de nostre
         habitation, & de là devoit aller aux trois rivieres pour
         attendre les sauvages qui y debvoient venir de plusieurs
         contrées pour traicter, comme aussi pour sçavoir ce qu'on
         debvoit faire, & délibérer, sur la mort advenue de deux de nos
         hommes de l'habitation, qui perfidement, & par trahison,
         hommes, furent tuez par deux meschants garçons sauvages,
         Montaigners, ainsi que ceux dudict vaisseau nous firent
         entendre, & que ces deux pauvres gents furent tuez allans à la
         chasse, il y avoit prés de deux ans [164], ayans ceux de
         ladicte habitation tousjours creu qu'ils s'estoient noyés par
         le moyen de leur canau, renversé sur eux, jusques à ce que
         depuis peu de temps l'un desdicts hommes ayant conceu une haine
         contre les meurtriers, en auroient adverty, & donné l'advis à
114/602  nos gens de ladite habitation, & comment ce meurtre arriva, &
         le subject d'icelluy, duquel pour aucunes considerations il m'a
         semblé à propos d'en faire le récit, & de ce qui se passa lors
         sur ce subject.

[Note 163: Le 24 juin.]

[Note 164: Suivant Sagard (Hist. du Canada, p. 42), ce meurtre aurait
été commis «environ la my-Avril de l'an 1617»: tandis que d'après
Champlain, qui fit lui-même comme une espèce d'enquête sur les lieux, la
chose se serait passée vers la fin de l'été 1616. Notre auteur a, du
moins, la vraisemblance de son côté: car la chasse du gibier, encore
aujourd'hui, est extrêmement abondante sur toutes les battures et
prairies naturelles de la côte de Beaupré et du cap Tourmente, depuis la
fin d'août jusque vers la Toussaint; tandis qu'à la mi-avril, il n'y a
jamais beaucoup de gibier, pour la bonne raison que le Chenal du Nord
est encore, à cette époque, complètement obstrué de glaces.]

         Quand au discours de ceste affaire, il est presque impossible
         d'en tirer la vérité, tant à cause du peu de tesmoignage qu'on
         en peut avoir eu, que par la diversité des rapports qui s'en
         sont faits, & la plus grande partie d'iceux par presupposition,
         mais du moins en rapporteray-je en ce lieu, suivant le récit du
         plus grand nombre, plus conforme à la vérité, & que j'ay trouvé
         estre le plus vray-semblable. Le sujet de l'assassin de ces
         deux pauvres deffuncts est, que l'un de ces deux meurtriers
         frequentoient ordinairement en nostre habitation, & y recevoit
         mille courtoisies, & gratiffications, entr'autres du sieur du
         Parc, Gentilhomme de Normandie, commandant lors audict Québec,
         pour le service du Roy, & le bien des Marchands de ladite
         affectation, qui fut en l'année 1616, lequel Sauvage en ceste
         fréquentation ordinaire, par quelque jalousie receut un jour
         quelque mauvais traictement de l'un des 2 morts, qui estoit
         serrurier de son art, lequel sur aucunes parolles bâtit
         tellement ledict Sauvage, qu'il luy donna occasion de s'en
         resouvenir, & ne se contentant pas de l'avoir battu, & outragé,
         il incitoit ses compagnons de faire le semblable: ce qui
         augmenta d'avantage au coeur ledit Sauvage la haine, &
         animosité à l'encontre dudit Serrurier, & ses compagnons, & qui
         le poussa à rechercher l'occasion de s'en venger, espiant le
         temps, & l'opportunité pour ce faire, se comportant neantmoins
115/603  discrettement & à l'accoustumée, sans faire demonstration
         d'aucun ressentiment: Et quelque temps après, ledit Serrurier,
         & un Mathelot, appellé Charles Pillet, de l'isle de Ré, se
         délibérèrent d'aller à la chasse, & coucher trois ou quatre
         nuicts dehors, & à cet effect équipperent un canau, & se mirent
         dedans, partirent de Québec pour aller au Cap de Tourmente, en
         de petites isles, où grande quantité de gibier, & oiseaux,
         faisoient leur retraicte, ce lieu estant proche de l'isle
         d'Orléans, distant de sept lieues dudit Québec, lequel
         partement des nostres fut incontinent descouvert par lesdits
         deux sauvages, qui ne tardèrent gueres à se mettre en chemin
         pour les suivre, & exécuter leur mauvais desseing: En fin ils
         espierent où ledict serrurier, & son compagnon, iroient
         coucher, affin de les surprendre: ce qu'ayant recognu le soir
         devant, & le matin venu, à l'aube du jour, lesdits deux
         sauvages s'escoulent doucement le long de certaines
         prairies[165], assez aggreables, & arrivez qu'ils furent à une
116/604  pointe proche du giste de Recerché[166] & de leur canau, mirent
         pied à terre, & se jetterent en la cabanne, où avoient couché
         nos gents, & où ils ne trouverent plus que le Serrurier, qui se
         preparoit pour aller chasser, après son compagnon, & qui ne
         pensoit rien moins que ce qui luy debvoit advenir: l'un
         desquels Sauvages s'approcha de luy, & avec quelques douces
         parolles il luy leva le doubte de tout mauvais soupçon, afin de
         mieux le tromper: & comme il le vit baissé, accommodant son
         harquebuse, il ne perdit point de temps, & tira une massue
         qu'il avoit sur luy cachée, & en donna au Serrurier sur la
         teste si grand coup, qu'il le rendit chancelant & tout
         estourdy: Et voyant le Sauvage que le Serrurier vouloit se
         mettre en deffence, il redouble derechef son coup, & le
         renverse par terre, & se jette sur luy, & avec un cousteau luy
         en donna trois, ou quatre, coups dedans le ventre, & le tua
         ainsi miserablement, & affin d'avoir aussi le Mathelot,
         compagnon du Serrurier, qui estoit party du grand matin pour
         aller à la chasse, non pour aucune haine particulière qu'ils
         luy portassent, mais afin de n'estre découverts, ny accusez par
         luy. Ils vont le cerchant deçà & delà, en fin le descouvrent
         par l'ouye d'une harquebusade, laquelle entendue par eux, ils
         s'advancerent promptement vers le coup, affin de ne donner
         temps audict Mathelot de recharger son harquebuse, & se mettre
         en deffence, & s'aprochant de luy, il le tira[167] à coups de
         flesche, & l'ayant abattu par terre de ces coups, ils courent
         sur luy, & l'achevent à coups de cousteau. Ce faict, ces
117/605  meurtriers emportent le corps avec l'autre, & les lièrent
         ensemble, l'un contre l'autre, si bien qu'ils ne se pouvoient
         separer, après il leur attachèrent quantité de pierres, &
         cailloux, avec leurs armes, & habits, affin de n'estre
         descouverts par aucune remarque, & les portèrent au milieu de
         la riviere, les jettent, & coulent au fonds de l'eau, où ils
         furent un long-temps, jusques à ce que par la permission de
         Dieu les cordes se rompirent, & les corps jettez sur le rivage,
         & si loing de l'eau, que c'estoit une merveille, le tout pour
         servir de parties complaignantes, & de tesmoins irréprochables
         à l'encontre de ces deux cruels, & perfides, assassinateurs:
         car on trouva ces deux corps loing de l'eau, plus de vingt pas
         dans le bois, encore liez, & garottez, n'ayans plus que les os
         tous décharnez, comme une carcasse, qui neantmoins ne
         s'estoient point separez pour un si long-temps, & furent les
         deux pauvres corps trouvez long-temps après par ceux de nostre
         habitation, les cherchant & déplorant leur absence le long des
         rivages de ladite riviere, & ce contre l'opinion de ces deux
         meurtriers qui pensoient avoir faict leurs affaires si
         secrettes qu'elles ne se devoient jamais sçavoir, mais comme
         Dieu ne voulant par sa Justice souffrir une telle meschanceté,
         l'auroit faict découvrir par un autre sauvage, leur compagnon,
         en faveur de quelque disgrace par luy receue d'eux, & ainsi les
         meschants desseings se descouvrent.

[Note 165: Cette expression seule montre assez que les deux français
passèrent par le Chenal du Nord; car il n'y a point de prairies
naturelles du côté du sud de l'île d'Orléans. Et il y a bien de
l'apparence que cette «pointe proche du giste recerché,» près de
laquelle il y avait «de certaines prairies assez aggreables,» vers le
cap Tourmente et proche de l'île d'Orléans, était la pointe du
Petit-Cap: c'est dans le voisinage de cette pointe qu'étaient les
prairies où Champlain, quelques années plus tard, faisait faire la
provision de foin nécessaire à l'habitation.

[Note 166: Le manuscrit de l'auteur portait-il du _giste de recerche_,
ou _du giste du recerché_, ou enfin _du giste recerché_? Dans ces trois
suppositions, le sens serait le même. Mais _Recerché_ ne serait-il pas
le nom, peut-être défiguré, du serrurier à qui en voulaient les deux
sauvages? C'est ce qui paraît bien difficile à déterminer. Il n'est fait
mention, jusqu'à cette époque, que d'un seul serrurier, Antoine Natel,
qui découvrit la conspiration tramée contre Champlain en 1608, et qui,
pour cette raison, reçut sa grâce; il est possible que la Providence ait
réservé une pareille mort à celui qui avait été capable de consentir à
un complot si criminel. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que Sagard,
qui rapporte les choses un peu différemment, et qui a presque l'air de
vouloir corriger ou compléter Champlain, ne donne pas non plus le nom de
ce serrurier, quoiqu'il ait vu et connu plusieurs témoins oculaires de
ces événements.--Dès le second tirage de cette édition, en 1620, on a
supprimé les mots de _Recerché_, &, et la phrase se lit ainsi:
_...proche du giste, sortants de leur canau..._ Cette même correction
subsiste encore dans l'édition de 1627.]

[Note 167: Au lieu de ces mots _il le tira_, dans l'édition de 1627, on
lit _le tirèrent_.]

         Ce qui rendit au Père Religieux [168], & ceux de l'habitation,
         fort estonnez en voyant les corps de ces 2 miserables, ayant
118/606  les os tous découvers, & ceux de la teste brisez des coups de
         la massue qu'il avoit reçeus des sauvages, & furent lesdicts
         Religieux, & autres, à l'habitation, d'advis de referrer en
         quelque part d'icelle, jusques au retour de nos vaisseaux[169],
         affin d'adviser entre tous les François à ce qui seroit trouvé
         bon pour ce regard: Cependant nos gens de l'habitation se
         resolurent de se tenir sur leurs gardes, & de ne donner plus
         tant de liberté ausdits sauvages, comme ils avoient accoustumé,
         mais au contraire qu'il falloit avoir raison d'un si cruel
         assassin par une forme de justice, ou par quelque autre voye,
         ou pour le mieux attendre nos vaisseaux, & nostre retour, affin
         d'adviser tous ensemble le moyen qu'il falloit tenir pour ce
         faire, & en attendant conserver les choses en estat.

[Note 168: Pendant l'hivernement 1617-18, le P. le Caron demeura à
l'habitation, le P. Paul Huet fut chargé de la mission de Tadoussac, et
le Frère Pacifique, de celle des Trois-Rivières. (Prem. établiss. de la
Foy, t. I, p. III.)]

[Note 169: De ce passage, on peut conclure avec assez de vraisemblance,
que les corps ne furent retrouvés qu'au printemps de 1618.]

         Mais les sauvages voyant que leur malice estoit découverte, &
         eux, & leur assassin, en mauvais odeur aux François, ils
         entrèrent en deffiance, & crainte, que nos gents n'exerçassent
         sur eux la vangeance de ce meurtre, se retirèrent de nostre
         habitation pour un temps, tant les coulpables du faict que les
         autres convaincus d'une crainte dont ils estoient saisis[170],
         & ne venoient plus à laditte habitation comme ils avoient
         accoustumé, attendant quelque plus grande seureté pour eux.

[Note 170: Suivant Sagard, il y avait quelque chose de plus grave. «On
estoit menacé de huict cens Sauvages de diverses nations, qui s'estoient
assemblez és trois rivieres à dessein de venir surprendre les François &
leur coupper à tous la gorge, pour prevenir la vengeance qu'ils eussent
pu prendre de deux de leurs hommes tuez par les Montagnais... Mais comme
entre une multitude il est bien difficile qu'il n'y aye divers advis,
cette armée de Sauvages pour avoir esté trop long-temps à se resoudre de
la manière d'assaillir les François, en perdirent l'occasion, plus par
divine permission, que pour difficulté qu'il y eust d'avoir le dessus de
ceux qui estoient des-ja plus que demi morts de faim, & abbatus de
foiblesse.» (Hist. du Canada, p. 42.)]

119/607  Et se voyant privez de nostre conversation, & bon accueil
         accoustumé, lesdicts Sauvages envoyerent un de leurs
         compagnons, nommé par les François la Ferriere[171], pour faire
         leurs excuses de ce meurtre, à sçavoir qu'ils protestoient n'y
         avoir jamais adhéré, ny consenty aucunement, se soubsmettant
         que si on vouloit avoir les deux meurtriers pour en faire la
         justice, les autres sauvages le consentiroient volontiers, si
         mieux les François n'avoient aggreable pour réparation &
         recompense des morts, quelques honnestes presents des
         pelletries, comme est leur coustume, & pour une chose qui est
         irrécupérable: ce qu'ils prièrent fort les François d'accepter
         plustost, que la mort des accusez qu'ils prevoyoient mesme leur
         estre de difficille exécution, & ce faisant oublier toutes
         choses comme non advenues[172].

[Note 1: La Foriere, d'après Sagard, «(que j'ay fort cognu), dit-il, fin
& hault entre tous les Sauvages & capable de conduire quelque bonne
entreprise.» (Hist. du Canada, p. 42.)]

[Note 172: Sagard nous a conservé, sur cette première démarche des
sauvages, quelques détails qui complètent ce que dit ici l'auteur. «Ils
envoyerent le mesme la Foriere demander pardon & reconciliation avec les
François, avec promesse de mieux faire à l'advenir, ce qu'ils obtindrent
d'autant plus facilement que la paix estoit necessaire à l'une & à
l'autre des parties. En suitte ils envoyerent quarante Canots de femmes
& d'enfans pour avoir dequoy manger, disans qu'ils mouroient tous de
faim, ce que consideré par ceux de l'habitation, ils leur distribuerent
ce qu'ils purent, un peu de pruneaux & rien plus, car la necessité
estoit grande par tout entre nous aussi bien qu'entre les Sauvages:
laquelle fut cause de nous faire tous filer doux & tendre à la paix. La
chose estant réduite a ce point, il ne restoit plus qu'à conclure les
articles, mais pource que les Sauvages demeuroient tousjours à leur
ancien poste, on envoya sauf conduit à leurs Capitaines pour descendre à
Kebec, ou ils arrivèrent chargez de presens & de complimens avec des
demonstrations de vraie amitié, pendant que leur armée faisoit alte à
demi lieue de là. Les harangues ayans esté faictes & les questions
necessaires agitées avec une ample protestation des Montagnais qu'ils ne
cognoissoient les meurtriers des François; ils offrirent leurs presens &
promirent qu'en tout cas ils satisferoient à ceste mort. Beauchesne &
tous les autres François estoient bien d'avis de les recevoir à ceste
condition, mais le P. Joseph le Caron & le V. Paul Huet s'y opposerent
absolument, disans qu'on ne devoit pas ainsi vendre la vie & le sang des
Chrestiens pour des pelleteries, & que ce seroit tacitement autoriser le
meurtre, & permettre aux Sauvages de se vanger sur nous & nous mal
traicter à la moindre fantasie musquée qui leur prendroit, & que si on
recevit quelque chose d'eux, que ce devoit estre seulement en depost, &
non en satisfaction, jusques à l'arrivée des Navires, qui en
ordonneroient ce que de raison. Ainsi Beauchesne ne receut rien qu'a
ceste condition. De plus nos Pères influèrent que les meurtriers
devoient estre representez...» (Hist. du Canada, P. 44, 45.)]

120/608  A quoy de l'advis des Pères Religieux fut respondu & conclu,
         que lesdicts Sauvages ameneroient, & representeroient, les deux
         mal-faicteurs, affin de sçavoir d'eux leurs complices, & qui
         les avoit incités à ce faire: ce qu'ils firent entendre audit
         la Ferriere pour en faire rapport à ses compagnons.

         Ceste resolution ainsi prise, ledict la Ferriere se retira vers
         ses compagnons, & leur ayant fait entendre la resolution des
         François, ils trouverent ceste procédure, & forme de justice à
         eux fort estrange, & assez difficille, d'autant qu'ils n'ont
         point de justice establie entr'eux, sinon la vengeance ou la
         recompense par presens. Et ayant consideré le tout, & consulté
         ceste affaire entr'eux, ils appellerent les deux meurtriers &
         leur representerent le malheur où ils s'estoient précipitez, &
         l'évenement de ce meurtre, qui pourroit causer une guerre
         perpétuelle avec les François; leurs femmes, & enfans, en
         pourroient pâtir, quant bien ils nous pourroient donner des
         affaires, & nous tiendroient serrez en nostre habitation, nous
         empescheroient de chasser, cultiver, & labourer les terres, que
         nous sommes en trop petit nombre pour tenir la riviere serrée,
         comme par leurs discours ils se persuadoient, mais qu'en fin de
         toutes leurs conclusions il valloit mieux vivre en paix avec
         lesdict François, qu'en une guerre, & une deffiance
         perpétuelle, & à ceste cause la compagnie desdicts sauvages
         finissant le discours, & ayant representé l'intelligence de ces
         choses ausdits accusez, leur demandent s'ils n'auroient pas
         bien le courage de se transporter avec nous en ladite
         habitation des François, & de comparoir devant eux, leur
121/609  promettant qu'ils n'auroient point de mal, que les François
         estoient doux, & pardonnoient volontiers, bref qu'ils feroient
         tant envers eux, qu'ils leur remettroient ceste faute, à la
         charge de ne retourner plus à telle meschanceté, lesquels deux
         criminels se voyant convaincus en leur conscience, subirent à
         ceste proposition, & s'accordent de suivre cet advis, suivant
         lequel, à sçavoir l'un deux qui se prépara, & accommoda,
         d'habits, & d'ornements à luy possible, comme s'il eust esté
         invité d'aller aux nopces, ou à quelque feste solemnelle,
         lequel en ceste equippage vint en laditte habitation,
         accompagné de son père, & autres des principaux chefs, &
         Cappitaine de leur compagnie: Quant à l'autre meurtrier, il
         s'excusa de ce voyage[173], craignant quelque punition estant
         convaincu en soy-mesme de ce meschant acte.

[Note 173: Des Trois-Rivières à Québec. C'est aux Trois-Rivières,
suivant Sagard, que s'étaient assemblés les sauvages.]

         Estans donc entrez en ladicte habitation, qui aussi tost fut
         circuite d'une multitude de Sauvages de leur compagnie, on leva
         le pont[174], & chacun des François se mit sur ses gardes, &
         leurs armes en main faisant bon guet, & sentinelles posées aux
         lieux necessaires, craignant l'effort des Sauvages de dehors,
         par ce qu'ils se doubtoient qu'on voulust faire justice
         actuelle du coulpable, qui si librement s'estoit exposé à
         nostre mercy, & non luy seulement, mais aussi ceux qui
         l'avoient accompagné au dedans, lesquels pareillement
         n'estoient pas trop asseurez de leurs personnes, voyant les
122/610  choses disposées en ceste façon, n'esperoient pas sortir leur
         vies sauves. Le tout fut assez bien fait, conduit, & exécuté,
         pour leur faire sentir la grandeur de ce mal, & appréhender
         pour le futur, autrement il n'y eust eu plus de seureté en eux,
         que les armes en la main, avec une perpétuelle deffiance.

[Note 174: Tout autour de la petite habitation de Québec, régnait un
fossé de quinze pieds de large, sur lequel il y avait, du côté du
fleuve, un pont-levis, que Champlain avait fait faire dès l'automne de
1608. (Voir le dessin de _l'Abitation de Quebecq_, éd. 1613, ch. IV.)]

         Ce faict, estans lesdicts sauvages sur l'incertitude de
         l'évenement de quelque effet contraire à ce qu'ils esperoient
         de nous, les Pères Religieux commançent à leur faire une forme
         de harangue sur ce subject criminel, leur representant l'amitié
         que les François leur avoient portée depuis dix ou douze ans en
         ça, que nous avions commencé à les cognoistre, & depuis
         tous-jours vescu paisiblement, & familièrement avec eux, mesme
         avec telle liberté, qu'elle ne se pouvoit exprimer: & de plus,
         que je les avois assistez de ma personne par plusieurs fois à
         la guerre, contre leurs ennemis, & à icelle exposé ma vie pour
         leur bien, sans qu'au préalable ils nous y eussent obligés
         aucunement, sinon que nous estions poussez d'une amitié & bonne
         vollonté envers eux, ayans compassion de leurs miseres &
         persecutions que leur faisoient souffrir & endurer leurs
         ennemis. C'est pourquoy nous ne pouvions croire que ce meurtre
         se fut faict sans leur consentement, veu d'autre part qu'ils
         entreprenoient de favoriser ceux qui l'ont commis.

         Et parlant au Père du criminel, il[175] luy represente
         l'enormité du faict exécuté par son fils, & que pour réparation
         d'icelle, il meritoit la mort, attendu que par nostre loy un
123/611  tel faict si pernicieux ne demeuroit impuny, & quiconque s'en
         trouve attaint & convaincu, mérite condemnation de mort, pour
         réparation d'un si meschant faict, mais pour ce qui regardoit
         les autres habitants du païs, non coulpables de ce crime, on ne
         leur vouloit aucun mal, ny en tirer contr'eux aucune
         consequence.

[Note 175: Le P. le Caron, sans doute. (Voir, ci-devant, p. 117, note
l.)]

         Ce qu'ayant tous lesdicts sauvages bien entendu, ils dirent
         pour toutes excuses, neantmoins avec tout respect, qu'il
         n'estoient point consentants de ce faict, qu'ils sçavoient
         très-bien que ces deux criminels meritoient la mort, si mieux
         on n'aymoient leur pardonner, qu'ils sçavoient bien de fait
         leur meschanceté, non devant, mais après le coup faict, & la
         mort de ces deux pauvres miserables, ils en avoient eu l'advis,
         mais trop tard, pour y remédier, & que ce qu'ils avoient tenu
         secret, estoit pour tousjours maintenir leur familière
         conversation, & crédit envers nous, protestant qu'ils en
         avoient faict aux malfaicteurs de grandes reprimendes, & réputé
         le malheur qu'ils avoient attiré, non sur eux seulement, mais
         sur toute leur nation, parents, & amis: surquoy ils leur
         auroient promis qu'un tel malheur ne leur adviendroit jamais,
         les priant d'oublier ceste faute, & de ne la tirer en
         consequence, que ce fait pourroit bien mériter, mais plustost
         de rechercher la cause première qui a meu ces deux Sauvages
         d'en venir là, & d'y avoir esgard: d'ailleurs, que librement le
         present criminel s'estoit venu rendre entre nos bras, non pour
         estre puny, ains pour y recevoir grâce des François: Neantmoins
         le père parlant aux Religieux dist en plorant, tien voila mon
124/612  fils qui a commis le delict supposé, il ne vaut rien, mais ayes
         esgard que c'est un jeune fol & inconsidéré, qui a plustost
         fait cet acte par folie, poussé de quelque vangeance, que par
         prudence, il est en toy de luy donner la vie ou la mort, tu en
         peus faire ce que tu voudras, d'autant que luy, & moy, sommes
         en ta puissance, & en suitte de ce discours le fils criminel
         prist la parolle, & se presentant, asseuré qu'il estoit, dit
         ces mots: L'apprehension de la mort ne m'a point tant saisi le
         coeur, qu'il m'aye empesché de la venir recevoir pour l'avoir
         mérité, selon vostre loy, me recognoissant bien coulpable
         d'icelle: & lors fist entendre à la compagnie la cause de ce
         meurtre, ensemble le desseing, & l'exécution d'iceluy, selon, &
         tout ainsi, que je l'ay recité, & representé cy-dessus.

         Après le récit par luy faict, il s'adresse à l'un des facteurs,
         & commis des Marchands de nostre association, appelé
         Beauchaine, le priant qu'il le fist mourir sans autre
         formalité.

         Alors les Pères Religieux prirent la parole, & leur dirent que
         les François n'avoient ceste coustume de faire mourir entr'eux
         ainsi subittement les hommes, & qu'il en falloit délibérer avec
         tous ceux de l'habitation, & ceste affaire mise en délibération
         sur le tapis, fut advisé qu'elle estoit de grande consequence,
         qu'il la falloit conduire dextrement, & la mesnager à propos,
         attendant une autre occasion meilleure, & plus seure, pour en
         tirer la raison, & que pour lors il n'estoit ny à propos, ny
         raisonnable pour beaucoup de raisons. La première que nous
         estions foibles, au regard du nombre des Sauvages qui estoit
125/613  dehors & dedans nostre habitation, qui vindicatifs & pleins de
         vangeance, comme ils sont, eussent peu mettre le feu par tout,
         & nous mettre en desordre. La deuxiesme raison est, qu'il n'y
         eust plus eu de seureté en leur conversation, & vivre en
         perpétuelle deffiance. La troisiesme, que le commerce pourroit
         estre altéré, & le service du Roy retardé, & autres raisons
         assez preignantes, lesquelles bien considerées fut advisé qu'il
         se falloit contenter de ce qu'ils s'estoient mis en leur
         debvoir, & submis d'y vouloir satisfaire, tant par le père du
         criminel, l'ayant representé, & offert, à la compagnie, que par
         luy mesme, à sçavoir le coulpable offrant & exposant sa vie
         pour réparation de sa faute, mesme que le père offroit le
         representer toutesfois & quantes qu'il en seroit requis: Ce
         qu'il failloit tenir pour une espece d'amande honorable, & une
         satisfaction à justice: que luy remettant ceste faute, non le
         criminel seullement tiendroit sa vie de nous, mais aussi son
         père & ses compagnons se tiendroient fort obligez, & que
         cependant il leur falloit dire par forme d'excuse, & de suject,
         que puisque le criminel avoit asseuré par affirmation publique,
         que tous les autres Sauvages n'estoient en rien adherans ny
         coulpables de ce fait, & qu'avant l'exécution d'iceluy ils n'en
         avoient eu aucun advis: consideré aussi que librement il
         s'estoit presenté à la mort, il avoit esté advisé de le rendre
         à son Père, qui en demeureroit chargé, pour le representer
         toutesfois & quantes, à la charge aussi que d'ores-en-avant il
         feroit service aux François, on luy donnoit la vie, pour
         demeurer luy & tous les Sauvages amis, & serviteurs des
         François.

126/614  Ceste resolution faite, neantmoins en attendant les vaisseaux
         de retour de France, pour, suivant l'advis des Cappitaines, &
         autres, en resoudre deffinitivement, & avec plus d'authorité,
         leur promettant tous-jours toute faveur, & de leur faire sauver
         la vie, & cependant pour seureté leur fut dit, qu'ils
         laisseroient quelques-uns de leurs enfans par forme d'hostage,
         à quoy ils s'accordèrent fort volontiers, & en laisserent
         deux[176] à l'habitation, entre les mains desdicts Pères
         Religieux, qui leur commançerent à montrer les lettres, & en
         moins de trois mois leur apprirent l'alphabet des lettres, & à
         les former, qui de là fait juger qu'ils se peuvent rendre
         propres & docilles à l'érudition, comme le Père Joseph en peut
         rendre tesmoignage.

[Note 176: «L'un nommé Nigamon, & l'autre Tebachi, assez mauvais garçon
bien qu'il fust fils d'un bon père, pour le premier il estoit assez bon
enfant & se porta tousjours au bien. Nos Pères l'instruisirent à la foy
& aux lettres pendant tout un hyver qu'il demeura avec nous, & à
l'arrivée des navires il eust esté bien aise d'aller en France pour y
vivre parmi les Chrestiens, mais ny luy ny eux ne le peurent obtenir des
marchands, non plus que pour plusieurs autres; pour le second il
s'enfuit après avoir esté quelque temps à l'habitation, dequoy on ne se
mit guère en peine, aussi n'y avoit-il guère d'esperance de pouvoir
faire d'un si mauvais garçon un bon Chrestien.» (Sagard, Hist. du
Canada, p. 45, 46.)]

         Et iceux vaisseaux arrivez à bon port, nous eusmes l'advis du
         sieur du Pont Gravé, & quelques autres, & moy, comme cette
         affaire s'estoit passée [177], selon le discours cy-dessus, &
         alors tous ensemble advisasmes qu'il estoit à propos de faire
         ressentir aux Sauvages l'énormité de ce meurtre, & neantmoins
         n'en venir à exécution pour aucunes bonnes raisons, voire pour
         plusieurs considerations qui se pourront dire cy-aprés.

[Note 177: Pont-Gravé ne faisant que d'arriver comme Champlain, il nous
semble que la phrase doit se lire ainsi: _nous eusmes l'advis, le sieur
du Pont Gravé, & quelques autres, & moy, comme ceste affaire s'estoit
passée._]

         Et aussi-tost que nos vaisseaux furent entrez au port de
127/615  Tadoussac, mesme dés le lendemain au matin[178], le sieur du
         Pont, & moy, nous remontasmes en une petite barque du port, de
         dix à douze tonneaux, comme d'autre-part le sieur de la Mothe,
         avec le Père Jean d'Albeau[179] Religieux, & l'un des Commis, &
         Facteur des Marchands, appelle Loquin, s'embarquèrent en une
         petite Challouppe, & ainsi partismes ensemble dudit Tadoussac,
         demeurans[180] au vaisseau un autre Religieux, appelle Père
         Modeste[181], avec le Pillotte, & le Maistre du vaisseau, pour
         la conservation de l'équippage, restans en icelluy, &
         arrivasmes à Québec, lieu de nostre habitation, le
         vingt-septiesme Jour de juin ensuivant, où nous trouvasmes les
         Pères Joseph, Paul, & Passifique Religieux, avec le sieur
         Hébert, & sa famille, & autres hommes de l'habitation, se
         portans tous bien, & joyeux de nostre retour, en bonne santé,
         eux & nous, grâces à Dieu.

[Note 178: Le 25 juin.]

[Note 179: D'Olbeau. (Voir p. 7, note 2.) «Nos Pères mesmes ne purent se
deffendre des prières que le P. Jean d'Olbeau leur fit pour retourner en
Canada avec M. de Champlain.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
124.)]

[Note 180: A la place du mot _demeurans_, l'édition de 1627 porte
_restants_.]

[Note 181: Frère Modeste Guines. (Sagard, Hist. du Canada, p. 40.--Le
Clercq, Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 124.)]

         Le mesme jour le sieur du Pont délibéra d'aller au lieu des
         trois rivieres, ou se faisoit la traite des Marchands, & porter
         avec luy quelques marchandises pour aller trouver le sieur des
         Chesnes qui y estoit des-ja, & mena avec luy ledict Loquin,
         comme susdict, & pour mon regard je demeuray en nostre
         habitation quelques jours [182], où je m'occuppé aux affaires
         d'icelles, entr'autres choses à faire un fourneau pour faire
         une espreuve de certaines cendres dont on m'avoit donné le
128/616  mémoire, lesquelles, à la vérité, sont de grande valleur, mais
         il y a de la peine, de l'industrie, vigillance, & de la
         conduite, & parce qu'il est requis en l'exercice, & façon de
         ces cendres des hommes entendus en cet art, & en quantité
         convenable. Ceste première espreuve n'a peu sortir à effect, la
         reservant à une autre plus grande commodité.

[Note 182: Depuis le 27 de juin jusqu'au 5 de juillet.]

         Je visitay les lieux, les labourages[183] des terres que je
         trouvay ensemencées, & chargées, de beaux bleds: les jardins
         [184] chargez de toutes sortes d'herbes, comme choux, raves,
         laictues, pourpié, oseille, persil, & autres herbes,
         sitrouilles, concombres, melons, poix, féves, & autres légumes,
         aussi beaux, & advancez, qu'en France, ensemble les vignes
         transportées, & plantez sur le lieu des-jà bien advancées, bref
         le tout s'augmentant, & accroissant, à la veue de l'oeil: non
         qu'il en faille donner la louange après Dieu ny aux laboureurs,
         ny au fient qu'on y ait mis, car comme il est à croire, il n'y
         en a pas beaucoup, mais à la bonté, & valleur de la terre, qui
         de soy est naturellement bonne, & fertille en toute sorte de
         biens, ainsi que l'expérience le démontre, & pourroit-on y
         faire de l'augmentation & du profit, tant par le labourage
         d'icelle, culpture, & plants d'arbres fruittiers, & vignes,
         qu'en nourriture & eslevation de bestiaux, & vollatilles
129/617  ordinaires en France: Mais ce qui manque à ce beau desseing est
         le peu de zelle,& affection, que l'on a au bien & service du
         Roy.

[Note 183: C'étaient les labourages de Louis Hébert, ou, comme on disait
alors, son désert, et, un peu plus tard, son enclos. Cette terre (le
fief du Saut-au-Matelot) lui fut d'abord concédée par le duc de
Montmorency, en date du 4 février 1623; puis,--le dernier de février
1626, son premier titre lui fût confirmé par le duc de Ventadour.
(Archives du Séminaire de Québec, Registre A, seconde partie, fol. I, et
Carton AA.)]

[Note 184: Les jardins étaient «autour du logement» (Voy. 1613, p. 156);
mais comme il y avait une place devant l'habitation, et une autre « du
côté du septentrion,» il faut conclure que la meilleure partie du jardin
était le terrain où passe maintenant la rue Sous-le-Fort, et celui qui
avoisinait le Cul-de-Sac.]

         Je sejournay quelque espace de temps audict Québec, en
         attendant autres nouvelles, & lors survint une barque venant de
         Tadoussac[185], envoyée par le sieur du Pont pour venir quérir
         les hommes, & marchandises, restants audit grand vaisseau audit
         lieu, & passants par Québec je m'embarquay avec eux pour aller
         audit lieu des trois rivieres, où se faisoit la traicte, affin
         de voir les Sauvages, & communiquer avec eux, & voir[186] ce
         qui se passait touchant l'assassin cy-dessus déclaré, & ce
         qu'on y pourroit faire pour pacifier & adoucir le tout.

[Note 185: C'est-à-dire, une barque venant de Tadoussac, qui y avait été
envoyée des Trois-Rivières par le sieur du Pont, etc. Ou bien il
faudrait lire: _venant à Tadoussac..._]

[Note 186: L'édition de 1627 remplace ce mot par _descouvrir_.]

         Et le cinquiesme jour de Juillet ensuivant, je party de Québec
         le Sr. de la Motte avec moy[187], pour aller audit lieu des
         trois rivieres, tant pour faire ladicte traicte, que voir les
         Sauvages, & arrivasmes sur le soir devant Saincte Croix [188],
         lieu sur le chemin ainsi appellé, où nous apperçeusmes une
         Challouppe, venant droict à nous, où il y avoit quelques
         hommes, de la part des sieurs du Pont, des Chesnes, & quelques
         autres Commis & facteurs des Marchands me prièrent de depescher
         promptement laditte Chalouppe, & l'envoyer audict Québec quérir
         quelques marchandises restantes, & qu'il estoit venu un grand
         nombre de Sauvages, à desseing d'aller faire la guerre [189].

[Note 187: Dans l'édition de 1627, on lit: _je party de Quebec avec le
sieur de la Motthe_, etc.]

[Note 188: Le Platon.]

[Note 189: Cette dernière partie de la phrase se lit ainsi, dans
l'édition de 1627: _quérir des marchandises, d'autant que les sauvages
estoient venus au lieu de la traite en si grand nombre, que les
marchandises qu'on leur avoit apportées ne pouvoient suffire.]

130/618  Lesquelles nouvelles nous furent fort aggreables, & pour leur
         satisfaire dés le lendemain au matin[190], je laissay ma
         barque, & m'embarquis dans une challouppe, pour aller plus
         promptement veoir les sauvages, & l'autre qui venoit des trois
         rivieres continua son chemin à Québec, & fismes tant à force de
         rames,[191] que nous arrivasmes audit lieu le septiesme jour de
         Juillet, sur les trois heures du soir, où estans, je mis pied à
         terre, lors tous les sauvages de ma cognoissance, & au païs
         desquels j'avois esté famillier avec eux, m'attendoient avec
         impatience & vindrent au devant de moy & comme fort contans &
         joyeux de me revoir, m'embrassant l'un après l'autre, avec
         demonstration d'une grande resjouissance, comme aussi de ma
         part je leur faisois le semblable & ainsi se passa la soirée, &
         reste dudict jour en ceste allegresse jusques au lendemain que
         lesdits Sauvages tindrent entr'eux Conseil, pour sçavoir de moy
         si je les assisterois encores en leurs guerres contre leurs
         ennemis, ainsi que j'avois fait par le passé, & comme je leur
         avois asseuré[192], desquels ennemis ils sont cruellement
         molestez & travaillez.

[Note 190: Le 6 de juillet.]

[Note 191: Apparemment, il y avait ici, dans le manuscrit de l'auteur,
quelque chose qui avait été omis dans le travail de la composition
typographique; car l'édition de 1627, en reproduisant ce passage, y
ajoute toute une phrase, qui ne pouvait être suppléée que par l'auteur
ou par un témoin oculaire. Après ces mots _je laissay ma barque,_ on y
lit: & montay en laditte challouppe pour retourner audict Quebec, où
estants, je la fis charger de plusieurs especes de marchandises en
quantité, y des plus exquises y necessaires ausdits sauvages gui
restoient aux magasins de ladite habitation. Ce fait, le lendemain matin
je m'embarquis en une chalouppe moi sixiesme pour aller à laditte
traite, & fismes tant qu'à force de rames..._ Les quelques autres
changements qu'on y a faits, n'affectent point le sens, et n'ont guères
d'autre but que de faciliter le remaniement typographique.]

[Note 192: L'édition de 1627 porte _promis_.]

         Et cependant de nostre part consultasmes ensemble pour resoudre
131/619  ce que nous avions affaire sur le subject du meurtre de ces
         deux pauvres deffuncts, affin d'en faire justice, & par ce
         moyen les ranger au devoir de rien faire à l'advenir[193].

[Note 193: Dans l'édition de 1627, la phrase se lit ainsi: _affin d'en
tirer vangeance en justice, à l'encontre des deux assassinateurs leurs
complices & adherans_.]

         Quand à l'instance requise par les Sauvages, pour faire la
         guerre à leurs ennemis, je leur fis responce que la volonté ne
         m'avoit point changée, ny le courage diminué: Mais ce qui
         m'empeschoit de les assister estoit, que l'année dernière, lors
         que l'occasion, & l'opportunité s'en presentoit, ils me
         manquèrent au besoing, d'autant qu'ils m'avoient promis de
         revenir avec bon nombre d'hommes de guerre, ce qu'ils ne
         firent, qui me donna subject de me retirer sans faire beaucoup
         d'effect, & que neantmoins il falloit en adviser, mais que pour
         le present il estoit raisonnable de resoudre ce qu'il falloit
         faire sur la mort assassinat de ces deux pauvres hommes, &
         qu'il en falloit tirer raison, alors sortans de leur conseil
         comme en cholere & faschez sur ce subject[194], ils s'offrirent
         de tuer les criminels, & y aller dés lors en faire l'exécution
         si on voulloit le consentir, recognoissant bien entr'eux
         l'enormité de ceste affaire, à quoy neantmoins nous ne
         voullusmes entendre, remettant seullement leur assistance à une
         autre fois, en les obligeant de revenir vers nous avec bon
         nombre d'hommes l'année prochaine, & que cepandant je
         supplierois le Roy de nous favoriser d'hommes, de moyens, &
         commoditez, pour les assister, & les faire jouyr du repos par
         eux esperé, & de la victoire sur leurs ennemis, dont ils furent
132/620  fort contents, & ainsi nous nous separasmes, encores qu'ils
         firent deux ou trois assemblées sur ce subject, qui nous fist
         passer quelques heures de temps. Deux ou trois jours après mon
         arrivée audit lieu[195], ils commançerent à se resjouyr,
         dancer, & faire plusieurs grands festins sur l'esperance de la
         guerre à l'advenir, où je les devois assister[196].

[Note 194: Dans l'édition de 1627, au lieu de ces mots _en cholere &
faschez sur ce subject_, on lit: _en colère de les rabattre sur ce
subject._]

[Note 195: Le 9 ou le 10 de juillet.]

[Note 196: Dans l'édition de 1627, cette dernière phrase a été remplacée
par la suivante: _2 ou 3 jours après mon arrivée audit lieu, on commança
à traiter avec les sauvages tout ce qu'on avoit apporté de marchandise,
bonne & mauvaise, mesme celle qui de long-temps avoit esté mise à
mespris, & gardaient le magasin.]

         Ce fait, je representé audict sieur du Pont ce qu'il me
         sembloit de ce meurtre, qu'il estoit à propos d'en faire une
         plus grande instance, & quoy voyant les Sauvages se pourroient
         licentier, non seulement d'en faire de mesme, mais de plus
         prejudiciable, que je les recognoissois estre gents qui se
         gouvernent par exemple, qu'ils pourroient accuser les François
         de manquer de courage, que de n'en parler plus, ils jugeront
         que nous aurons peur, & crainte d'eux, & les laissans passer à
         si bon marché, ils se rendront plus insolents, audacieux, &
         insupportables, mesmes leur donneroit subject d'entreprendre de
         plus grands & pernicieux desseings: d'ailleurs que les autres
         nations sauvages qui ont, ou auront cognoissance de ce faict, &
         demeurez sans estre vengez, ou vengez par quelque dons &
         presens, comme c'est leur coustume, ils se pourroient vanter
         que de tuer un homme, ce n'est pas grande chose, puisque que
         les François en font si peu d'estat, de voir tuer leurs
         compagnons par leurs voisins, qui bornent & mangent avec eux,
133/621  se pourmenent, & conversent familièrement avec les nostres,
         ainsi qu'il se peut voir[197].

[Note 197: Cette raison était fort bien motivée, car quelques sauvages,
entre autre les Hurons, au rapport de Sagard, ne purent s'empêcher de
faire la remarque, que les Français avaient coulé assez doucement sur
cette affaire. «Les Chefs François, dit cet auteur, firent assembler en
un conseil général, tous les Sauvages qui se trouverent pour lors à la
traite, où les meurtriers ayans esté grandement blasmez, furent en fin
pardonnez à la prière de ceux de leur nation, qui promirent, un
amendement pour l'advenir, moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen
général de la flotte, assisté du sieur de Champlain, & des Capitaines de
Navires, prit une espée nue qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve
sainct Laurens en la presence de nous tous, pour asseurance aux
meurtriers Canadiens, que leur faute leur estoit entièrement pardonnée,
& ensevelie dans l'oubly, en la mesme sorte que cette espée estoit
perdue & ensevelie au fond des eaues, & par ainsi qu'ils n'en
parleroient plus. Mais nos Hurons qui sçavent bien dissimuler & qui
tenoient bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays,
tournèrent toute cette cérémonie en risée, & s'en mocquerent disans que
toute la cholere des François avoit esté noyée en ceste espée, & que
pour tuer un François on en seroit doresnavant quite pour une douzaine
de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car ailleurs on ne
pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelques jours trompez
s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.» (Hist. du
Canada, p. 236, 237.)]

         Mais aussi d'autre-part recognoissants les Sauvages gents sans
         raison, de peu d'accès, & faciles à s'estranger, & fort prompts
         à la vangeance: Que si on les presse d'en faire la justice, il
         n'y auroit nulle seureté pour ceux qui se disposeront de faire
         les descouvertures parmy eux. C'est pourquoy, le tout
         consideré, nous nous resolusmes de couller ceste affaire à
         l'amiable, & passer les choses doucement, laissant faire leur
         traicté[198] en paix avec les commis & facteurs des Marchands,
         & autres qui en avoient la charge.

         Or y avoit-il avec eux un appellé Estienne Brûlé, l'un de nos
         truchemens, qui s'estoit addonné avec eux depuis 8 ans, tant
         pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur
         langue & façon de vivre, & est celuy que j'avois envoyé, &
         donné charge d'aller vers les Entouhonorons[199] à Carantoüan,
134/622  affin d'amener avec luy les 500 hommes de guerre qu'ils avoient
         promis nous envoyer pour nous assister en la guerre où nous
         estions engagés contre leurs ennemis, & dont mention est faite
         au discours de mon précèdent livre[200]. J'appelle cet homme,
         sçavoir Estienne Brûlé, & communiquant avec luy, je luy
         demanday pourquoy il n'avoit pas amené le secours des 500.
         hommes, & la raison de son retardement, & qu'il ne m'en avoit
         donné advis, alors il m'en dist le subject, duquel il ne sera
         trouvé hors de propos d'en faire le récit, estans plus à
         plaindre qu'à blasmer, pour les infortunes qu'il receut en
         ceste commission.

[Note 198: Traicte.]

[Note 199: Du côté des Entouhoronons, ou Tsonnontouans, mais au-delà.]

[Note 200: Voir p. 35.]

         Il commança à me dire que depuis qu'il eut prins congé de moy
         pour aller faire son voyage, & executer sa commission, il se
         mit en chemin, avec les 12 Sauvages que je luy avois baillé
         lors pour le conduire, & luy faire escorte à cause des dangers
         qu'il avoit à passer, & tant cheminèrent qu'ils parvindrent
         jusques audit lieu de Carantoüan, qui ne fut pas sans courir
         fortune, d'autant qu'il leur falloit passer par les païs &
         terres des ennemis, & pour éviter quelque mauvais desseing, ils
         furent en cerchant leur chemin plus asseuré de passer par des
         bois, forests, & halliers espois & difficiles, & par des pallus
         marescageux, lieux & deserts fort affreux, & non fréquentés, le
         tout pour éviter le danger, & la rencontre des ennemis.

         Et neantmoins ce grand soin ledit Brûlé, & ses compagnons
         sauvages en traversans une campagne ne laisserent de faire
         rencontre de quelques sauvages ennemis, retournans à leur
         village, lesquels furent surprins, & deffaicts par nosdicts
135/623  sauvages, dont quatre des ennemis furent tués sur le champ, &
         deux prins prisonniers, que ledit Brûlé, & ses compagnons
         emmenèrent jusques audit lieu de Carantoüan, où ils furent
         reçeus des habitans dudit lieu, de bonne affection, & avec
         toute allegresse, & bonne chère, accompagnée de dances, &
         festins, dont ils ont accoustumé festoyer, & honorer, les
         estrangers.

         Quelques jours se passèrent en ceste bonne réception, & après
         que ledit Brûlé leur eust dit sa légation, & fait entendre le
         subject de son voyage, les sauvages dudit lieu s'assemblerent
         en conseil, pour délibérer & resoudre sur l'envoi des 500
         hommes de guerre, demandés par ledit Brûlé.

         Le conseil tenu, & la resolution prise de les envoyer, ils
         donnèrent charge de les assembler, préparer, & armer, pour
         partir & venir nous joindre, & trouver où nous estions campez
         devant le fort & village de nos ennemis, qui n'estoit qu'à 3
         petites journées de Carantoüan, ledit village muny de plus de
         800 hommes de guerre, bien fortifié à la façon de ceux cydessus
         specifiez, qui ont de hautes & puissantes pallissades, bien
         liées & joinctes ensemble, & leur logement de pareille façon.

         Ceste resolution ainsi prinse par les habitants dudict
         Carantoüan, d'envoyer les 500 hommes, lesquels furent fort
         long-temps à s'aprester, encores qu'ils fussent pressés par
         ledit Brûlé de s'advancer, leur representant que s'ils
         tardoient d'avantage, ils ne nous trouveroient plus audict
         lieu, comme de faict ils ny peurent arriver que deux jours
         après nostre partement dudict lieu, que nous fusmes contraincts
136/624  d'abandonner, pour estre trop foibles & fatiquez par l'injure
         du temps. Ce qui donna subject audict Brûlé, & le secours
         desdicts cinq cents hommes qu'il nous amenoit, de se retirer, &
         retourner sur leurs pas vers leur village de Carantoüan, où
         estans de retour, ledit Brûlé fut contrainct de demeurer &
         passer le reste de l'Automne, & tout l'Hyver, en attendant
         compagnie, & escorte, pour s'en retourner, & en attendant ceste
         opportunité, il s'employe à découvrir le païs, visiter les
         nations voisines, & terres dudict lieu, & se pourmenant le long
         d'une riviere qui se descharge du costé de la Floride, où il y
         a forces nations qui sont puissantes & belliqueuses, qui ont
         des guerres les unes contre les autres. Le pays y est fort
         tempéré, où il y a grand nombre d'animaux, & chasse de gibier,
         mais pour parvenir & courir ces contrées, il faut bien avoir de
         la patience pour les difficultez qu'il y a à passer par la
         pluspart de ses deserts.

         Et continuant son chemin le long de ladicte riviere jusques à
         la Mer, par des isles, & les terres proches d'icelles, qui sont
         habitées de plusieurs nations, & en grand nombre de peuples
         Sauvages, qui sont neantmoins de bon naturel, aymant fort la
         nation Françoise sur toutes les autres: Mais quant à ceux qui
         cognoissent les Flamans, ils se plaignent fort d'eux, parce
         qu'ils les traictent trop rudement, entr'autres choses qu'il a
         remarqué est, que l'hyver y est assez tempéré, & y nege fort
         rarement, mesme lors qu'il y nege elle n'y est pas de la
         hauteur d'un pied, & incontinent fondue sur la terre.

         Et après qu'il eut couru le païs & découvert ce qui estoit à
137/625  remarquer, il retourna au village de Carantoüan, afin de
         trouver quelque compagnie pour s'en retourner vers nous en
         nostre habitation: Et après quelque sejour audit Carantoüan, 5
         ou 6 des Sauvages prirent revolution de faire le voyage avec
         ledict Brûlé, & sur leur chemin firent rencontre d'un grand
         nombre de leurs ennemis, qui chargèrent ledict Brûlé, & ses
         compagnons, si vivement, qu'ils les firent escarter, & separer
         les uns des autres, de telle façon qu'ils ne se peurent
         r'allier, mesme ledict Brûlé qui avoit fait bande à part, sur
         l'esperance de se sauver, & s'écarta tellement des autres,
         qu'il ne peut plus se remettre, ny trouver chemin & adresse,
         pour faire sa retraite en quelque part que ce fust, & ainsi
         demeura errant par les bois, & forests, durant quelques jours
         sans manger, & presque desesperé de sa vie, estant pressé de la
         faim: En fin rencontra fortuitement un petit sentier, qu'il se
         resolut suivre, quelque part qu'il allast, fut vers les
         ennemis, ou non, s'exposant plustost entre leurs mains sur
         l'esperance qu'il avoit en Dieu, que de mourir seul & ainsi
         miserable: d'ailleurs qu'il sçavoit parler leur langage, qui
         luy pourroit apporter quelque commodité.

         Or n'eust-il pas cheminé longue espace, qu'il découvrit trois
         sauvages, chargés de poisson, qui se retiroient à leur village.
         Il se haste de courir après eux pour les joindre, & les
         approchant il commança les crier, comme est leur coustume,
         auquel cry ils se retournèrent, & sur quelque aprehension, &
         crainte, firent mine de s'enfuir, & laisser leur charge, mais
         ledit Brûlé parlant à eux les asseura, qui leur fist mettre bas
138/626  leurs arcs & flèches, en signe de paix, comme aussi ledit Brûlé
         de sa part ses armes, encores qu'il fust assez foible & débile
         de soy-mesme, pour n'asoir mangé depuis trois ou quatre jours:
         Et à leur abort après leur avoir faict entendre sa fortune, &
         l'estat de sa misere en laquelle il estoit réduit, ils
         petunerent ensemble, comme ils ont accoustumé entr'eux, & ceux
         de leur fréquentation lors qu'ils se visitent.

         Ils eurent comme une pitié & compassion de luy, luy offrant
         toute assistance, mesme le menèrent jusques à leur village, où
         ils le traicterent, & donnèrent à manger: mais aussi-tost les
         peuples dudit lieu en eurent advis, à sçavoir qu'un Adoresetoüy
         estoit arrivé, car ainsi appellent-ils les François, lequel nom
         vaut autant à dire, comme gents de fer, & vindrent à la foule
         en grand nombre voir ledit Brûlé, lequel ils prirent & menèrent
         en la cabanne de l'un des principaux chefs, où il fut
         interrogé, & luy fut demandé qu'il estoit, d'où il venoit,
         qu'elle occasion l'avoit poussé & amené en cedit lieu, & comme
         il s'estoit égaré, & outre s'il n'estoit pas de la nation des
         François qui leur faisoient la guerre: sur ce il leur fist
         responce qu'il estoit d'une autre nation meilleure, qui ne
         desiroient que d'avoir leur cognoissance, & amitié, ce qu'ils
         ne voulurent croire, ains se jetterent sur luy, & luy
         arrachèrent les ongles avec les dents, le bruslerent avec des
         tisons ardens, & luy arrachèrent la barbe poil à poil,
         néant-moins contre la volonté du chef. Et en cet accessoire
         l'un des sauvages advisa un Agnus Dei, qu'il avoit pendu au
         col, quoy voyant, demanda qu'il avoit ainsi pendu à son col, &
139/627  le voullut prendre & arracher, mais ledict Brûlé luy dit (d'une
         parolle assurée) si tu le prends & me fais mourir, tu verras
         que tout incontinent après tu mouras subitement, & tous ceux de
         ta maison, dont il ne fit pas estat, ains continuant sa
         mauvaise volonté, s'efforçoit de prendre l'Agnus Dei, & le luy
         arracher, & tous ensemble disposés à le faire mourir, &
         auparavant luy faire souffrir plusieurs douleurs & tourments
         par eux ordinairement exercés sur leurs ennemis. Mais Dieu qui
         luy faisant grâce ne le voullust permetre, ains par sa
         providence fist que le Ciel, qui de serain & beau qu'il estoit,
         se changea subitement en obscurité, & chargé de grosses &
         espoisses nuées, se terminèrent en tonnerres & esclairs si
         viollents, & continus, que c'estoit chose estrange, &
         épouvantable, & donnèrent ces orages un tel épouvantement aux
         Sauvages, pour ne leur estre commun, mesme n'en avoir jamais
         entendu de pareil, ce qui leur fist divertir, & oublier, leur
         mauvaise volonté qu'ils avoient à l'encontre dudit Brûlé, leur
         prisonnier, & le laissans l'abandonnèrent, sans toutesfois le
         deslier, n'osans l'approcher: Qui donna subject au patient de
         leur user de douces parolles, les appellant & leur remonstrant
         le mal qu'ils luy faisoient sans cause, leur faisans entendre
         combien nostre Dieu estoit courroucé contr'eux pour l'avoir
         ainsi maltraicté.

         Lors le Cappitaine s'approcha dudit Brûlé, le deslia, & le mena
         en sa maison, où il luy cura & medicamenta ses playes, cela
         faict, il ne se faisoit plus de danses, & festins, ou
         resjouyssances, que ledict Brûlé ne fust appellé, & après avoir
140/628  esté quelque temps avec ces Sauvages, il print resolution de se
         retirer en nos quartiers vers nostre habitation.

         Et prenans congé d'eux, il leur promist de les mettre d'accord
         avec les François, & leurs ennemis, & leur faire jurer amitié
         les uns envers les autres, & qu'à ceste fin il retourneroit
         vers eux le plustost qu'il pourroit, & luy partant d'avec eux
         ils le conduirent jusques à quatre journées de leur village, &
         de là s'en vint en la contrée & village des Atinouaentans[201],
         où j'avois des-ja esté, & là demeura ledit Brûlé quelque temps,
         puis reprenant chemin vers nous, il passa par la Mer douce, &
         navigea sur les costes d'icelle quelques dix journées du costé
         du Nort, où aussi j'avois passe allant à la guerre, & eust
         ledict Brûlé passe plus outre pour découvrir les terres de ces
         lieux comme je luy avois donné charge, n'eust esté qu'un bruict
         de leur guerre qui se preparoit entr'eux, reservant ce desseing
         à une autre fois, ce qu'il me promist de continuer, & effectuer
         dans peu de temps, avec la grâce de Dieu, & de m'y conduire
         pour en avoir plus ample & particulière cognoissance: Et après
         qu'il m'en eust faict le récit, je luy donnay esperance que
         l'on recognoistroit ses services, & l'encouragay de continuer
         ceste bonne volonté jusques à nostre retour, où nous aurions
         moyen de plus en plus à faire chose dont il recevroit du
         contentement. Voila en fin tout le discours & récit de son
         voyage, depuis qu'il partit d'avec moy[202] pour aller ausdites
141/629  descouvertures, ce qui me donna du contentement, sur
         l'esperance de mieux parvenir par ce moyen à la continuation &
         advancement d'icelle.

[Note 201: Cette orthographe montre que l'auteur, dans la première
partie de cette relation, n'avait pas écrit _Atigouautans_, mais
_Atignoantans_.]

[Note 202: Il était parti, pour son ambassade, le 8 septembre 1615.]

         Et à cet effect print congé de moy pour s'en retourner avec les
         peuples Sauvages, dont il avoit cognoissance & affinité par luy
         acquise en ses voyages & descouvertures, le priant de les
         continuer jusques à l'année prochaine que je retournerois avec
         bon nombre d'hommes, tant pour le recognoistre de ses labeurs,
         que pour assister les sauvages, ses amis, en leurs guerres,
         comme par le passé.

         Et reprenant le fil de mon discours premier, faut noter qu'en
         mes derniers & précédents voyages & descouvertures, j'avois
         passé par plusieurs & diverses nations[203] de Sauvages non
         cogneus aux François, ny à ceux de nostre habitation, avec
         lesquels j'avois fait alliance, & juré amitié avec eux, à la
         charge qu'ils viendroient faire traicte avec nous, & que je les
         assisterois en leurs guerres: car il faut croire qu'il n'y a
         une seulle nation qui vive en paix, que la nation neutre, &
         suivant leur promesse vindrent de plusieurs nations de peuples
         Sauvages nouvellement descouvertes les uns pour traicte de leur
         pelletrie, les autres pour voir les François, & expérimenter
         quel traictement & réception on leur feroit, ce que voyant
         encouragea tout le monde, tant les François à leur faire bonne
         chère, & réception, les honorant de quelques gratifications &
         presents, que les facteurs des marchands leur donnèrent pour
         les contenter, qui fut à leur contentement, comme aussi
142/630  d'autre-part tous lesdits Sauvages promirent à tous les
         François de venir, & vivre à l'advenir en amitié les uns & les
         autres, avec protestation chacun de se comporter avec une telle
         affection envers nous autres, qu'aurions sujet de nous louer
         d'eux, & au semblable que nous les assistassions de nostre
         pouvoir en leurs guerres.

[Note 203: Voir ci-dessus, pages 57-60.]

         La traicte ainsi faicte & parachevée, & les sauvages partis &
         congédiez, nous nous retirasmes & partismes des trois rivieres
         le 14 Juillet audict an, & le lendemain arrivasmes à Québec,
         lieu de nostre habitation, où les barques furent deschargées
         des marchandises qui avoient resté de ladicte traite, & mises
         dedans le magasin des Marchands qu'ils ont audit lieu.

         Ce faict, le sieur du Pont s'en retourna à Tadoussac, avec les
         barques, afin de les faire charger & porter en laditte
         habitation les vivres, & choses necessaires pour la nourriture
         & entrenement de ceux qui y devoient hiverner & demeurer, &
         cepandant que les barques alloient & venoient pour apporter les
         vivres & autres commoditez necessaires pour l'entretien de ceux
         qui demeuroient à l'habitation, auquel lieu je me deliberay d'y
         demeurer pour quelques jours, affin de faire fortifier &
         reparer les choses necessaires pandant mon sejour.

         Et lors de mon partement de laditte habitation, je pris congé
         des Pères Religieux, du sieur de la Mothe, & de tous autres qui
         demeuroient en icelle, sur l'esperance que je leur donnay de
         retourner, Dieu aydant, avec bon nombre de familles pour
         peupler ce pays. Je m'embarquay le 26 Juillet, & les Pères Pol
143/631  & Pacifique qui y avoit hiverné trois ans, & l'autre Père un an
         & demy[204] afin de faire rapport, tant de ce qu'ils avoient
         veu audit païs, que de ce qui s'y pouvoit faire: Nous partismes
         cedict jour de laditte habitation pour venir à Tadoussac faire
         nostre embarquement pour retourner en France, auquel lieu nous
         arrivasmes le lendemain, où nous trouvasmes nos vaisseaux
         prests à faire voile & nostre embarquement faict, nous
         partismes dudict lieu de Tadoussac pour venir en France le 30
         du mois de Juillet 1618 & arrivasmes à Hondefleur le 28e jour
         d'Aoust, avec vent favorable, & contentement d'un chacun.

[Note 204: Le P. Paul Huet était venu l'année précédente, 1617, et le
Frère Pacifique du Plessis en 1615. (Voir ci-dessus, pages 7, 108,
109.)]

                                 FIN.



634
                                OEUVRES
                                  DE
                               CHAMPLAIN


                               PUBLIÉES
                          SOUS LE PATRONAGE
                        DE L'UNIVERSITÉ LAVAL

                                 PAR
                   L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
             PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
                 ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ

                           SECONDE ÉDITION

                                TOME V


                                QUÉBEC
             Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS

                                 1870

iii/635

         _Nous avons cru quelque temps, avec plusieurs auteurs, que l'on
         avait fait, en 1640, une nouvelle, édition du volume de 1632.
         Mais, après un examen attentif, nous avons constaté que les
         éditeurs n'ont fait que rafraîchir le titre, et changer le
         millésime; partout, le texte est absolument conforme à certains
         exemplaires de 1632, et nous avons toujours eu soin de faire
         remarquer, dans nos notes, les principales divergences.

         Cette édition est, sans contredit, la plus complète de toutes
         celles que publia l'auteur. On y trouve en effet, dans la_
         Première Partie, _une reproduction à peu près textuelle des
         voyages de Champlain publiés jusqu'alors, avec quelques
         nouvelles réflexions sur les difficultés qui avaient eu lieu
         entre les diverses compagnies; la_ Seconde Partie _renferme
         tout ce qui était encore inédit des voyages de découverte et
         des événements qui se passèrent en Canada depuis 1620, et l'on
         peut dire que cette seconde moitié du volume de 1632 est unique
         et indispensable._

iv/636   _Le but des diverses publications de Champlain, fut toujours de
         faire connaître les avantages que la Nouvelle-France pouvait
         offrir à la mère patrie; mais, dans celle-ci, la pensée de
         l'auteur semble se dessiner de plus en plus. D'un coté, il
         était naturel qu'on se demandât, quel si grand intérêt la
         France pouvait avoir à conserver cette petite colonie lointaine
         et ces froides régions du Canada. Champlain commence cette
         édition par énumérer les ressources et les richesses de ces
         pays encore trop peu connus. Le premier chapitre, joint à
         quelques observations extraites, en grande partie, de ses
         divers ouvrages, forma même un petit mémoire, qu'il présenta au
         roi vers 1630.

         D'un autre coté, il était important de bien faire comprendre à
         la France qu'il y allait de son honneur de ne point laisser si
         facilement entre les mains des Anglais d'immenses contrées dont
         elle était à juste titre en possession depuis très-longtemps et
         par droit de découverte. Champlain jugea qu'une édition plus
         complète de ses Voyages atteindrait ce but; en remettant sous
         les yeux du lecteur toute la série des événements accomplis
         jusque-là: Il commence, par établir que les Français
         fréquentaient les Terres-Neuves et le Canada longtemps avant
         que les Anglais y prétendissent quelque chose; puis, à la fin
         de son volume, craignant que le lecteur ne perde de vue ce
         point important, il donne encore un_ «Abrégé des découvertes
v/637    _attribuées tant aux Anglais qu'aux Français, suivant le
         rapport des historiens, afin que chacun, dit-il, puisse juger
         du tout sans passion.»

         M. de Puibusque, dans une lettre dont nous avons cité quelques
         extraits en tête du_ Voyage de 1603, _disait, en parlant de
         notre auteur: «Ses relations imprimées ont été retouchées par
         un arrangeur si habile, qu'elles parlent une autre langue que
         la sienne.» Nous ne savons jusqu'à quel point cette remarque
         est fondée relativement aux premiers voyages de Champlain; mais
         elle semble avoir surtout son application dans ce volume de
         1632.

         On y trouve en effet certains passages, et surtout des notes
         marginales, qui ne peuvent pas être de la main de l'auteur, Que
         l'on nous permette de citer quelques exemples.

         Page 131 (de cette présente édition), première partie: pour se
         conformer à l'usage qui commençait à prévaloir, Champlain donne
         à la pointe de Tous-les-Diables le nom de pointe aux Vaches;
         que fait le réviseur? Le typographe avait mis dans le texte_
         pointe aux roches; _la note marginale vient aggraver la faute
         en substituant_ pointe aux Rochers. _Or, Champlain connaissait
         trop bien cette pointe pour laisser passer ainsi une double
         faute.

         Page 174, en marge: «Des Prairies remontre aux nôtres le peu
vi/638   d'honneur de combattre avec les sauvages.» Évidemment, celui
         qui a fait cette note n'a pas compris le sens du texte en
         regard: Des Prairies représente à ses compagnons qu'il serait
         honteux de laisser Champlain se battre seul avec les sauvages.

         Page 182: le sommaire du chapitre, qui ne se trouve pas dans
         l'édition 1613, ne peut vraisemblablement avoir été fait par
         l'auteur; car il ne s'accorde pas avec le texte.

         Page 187, On lit en marge:_ «Les deux sauvages,» _etc. Or
         l'auteur, qui était sur les lieux lors de l'accident, dit dans
         son texte que c'étaient un français nommé Louis et un sauvage.

         Page 253, seconde partie: «Prise de l'auteur par l'Anglais,» au
         lieu de _Prise du sieur de Caen._ L'auteur pouvait-il se
         tromper sur ce fait?

         Nous pourrions citer bien d'autres passages de cette nature,
         que nous avons notés dans l'occasion.

         Non-seulement quelqu'un a revu, ou même retouché le récit de
         Champlain; mais on peut affirmer que ce travail a été fait soit
         par un jésuite, soit par un ami des religieux de cet ordre.

         Il faut remarquer d'abord que cette édition s'imprimait au
         moment ou les Récollets faisaient d'inutiles efforts pour
         rentrer dans une mission dont ils étaient les fondateurs;
         tandis que les Pères Jésuites revenaient seuls, évidemment
         protégés par la toute-puissance du cardinal de Richelieu.

vii/639  D'un autre, coté, Champlain ne devait pas être ennemi des
         Récollets, lui qui les avait amenés dans le pays. Du reste, le
         P. le Clercq nous apprend «qu'il prenait leurs intérêts à
         coeur, quoiqu'il n'osât paraître, et qu'il fut même le premier
         à les avertir des véritables intentions de ceux qui, faisant
         mine de les servir, les traversaient effectivement.»

         Maintenant, que le lecteur examine attentivement l'édition de
         1632, et il remarquera que l'on retranche à dessein, des
         éditions précédentes, tout ce qui était en faveur des
         Récollets, et que l'on y introduit au contraire tout ce qui
         pouvait servir la cause des Jésuites. Ainsi, toute l'édition de
         1619 est reproduite mot pour mot, à la réserve de quelques
         passages ou il était fait mention des travaux des Récollets. En
         revanche, on intercale un résumé de la relation du P. Biard sur
         les missions des Jésuites à l'Acadie, et l'on ajoute à la fin
         du volume des échantillons des deux principales langues parlées
         dans le pays, opuscules faits tous deux par des pères jésuites.

         Il est donc évident qu'une main étrangère s'est chargée de la
         révision de l'ouvrage de Champlain. Il paraît également certain
         que ces changements significatifs introduits dans son oeuvre
         originale, doivent être attribués au motif de laisser dans
         l'ombre les Pères Récollets au profit de ceux qu'ils avaient
         d'abord appelés à leur secours. Or, le caractère franc et loyal
viii/640 de Champlain ne permet pas de supposer qu'il ait eu recours à
         de pareils procédés, outre que le témoignage du P. le Clercq,
         cité plus haut, semble le laver de tout soupçon à cet égard.

         On ne peut donc guère s'empêcher de conclure, qu'un correcteur
         officieux aura fait agréer à l'auteur certaines additions
         très-bonnes en elles-mêmes, et aura pris sur lui de biffer,
         sous prétexte de longueur, les passages qui pouvaient nuire à
         la cause.

641

                                  LES
                                VOYAGES
                                 DE LA
                            NOUVELLE FRANCE
                           OCCIDENTALE, DICTE
                                 CANADA

                    FAITS PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN

         Xainctongeois, Capitaine pour le Roy en la Marine du Ponant, &
         toutes les Descouvertes qu'il a faites en ce païs depuis l'an
         1603 jusques en l'an 1629.


         _Où Je voit comme ce pays a esté premièrement descouvert par
         les François, sous l'authorité de nos Roys tres-Chrestiens,
         jusques au règne de sa Majesté à present régnante LOUIS XIII.
         Roy de France & de Navarre._


         Avec un traitté des qualitez & conditions requises à un bon &
         parfaict Navigateur pour cognoistre la diversité des Estimes
         qui se font en la Navigation. Les Marques & enseignements que
         la providence de Dieu a mises dans les Mers pour redresser les
         Mariniers en leur routte, sans lesquelles ils tomberoient en de
         grands dangers. Et la manière de bien dresser Cartes marines
         avec leurs Ports, Rades, Isles. Sondes, & autre chose
         necessaire à la Navigation.

         _Ensemble une Carte generalle de la description dudit pays
         faicte en son Méridien selon la déclinaison de la guide Aymant,
         & un Catéchisme ou Instruction traduicte du François au langage
         des peuples Sauvages de quelque contrée, avec ce qui s'est
         passé en ladite Nouvelle France en l'année 1631._



         A MONSEIGNEUR LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU.

         [Illustration]

         A PARIS.

         Chez Louis SEVESTRE Imprimeur-Libraire, rue du Meurier, prés la
         porte S. Vidior, & en sa Boutique dans la Cour du Palais.



                                 MDCXXXII.

                         Avec Privilege du Roy.



3/643

[Illustration]


         MONSEIGNEUR
         L'ILLUSTRISSIME CARDINAL
         Duc DE RICHELIEU, Chef,
         Grand Maistre & Sur-Intendant
         Général du Commerce &
         Navigation de France.

         MONSEIGNEUR, _Ces Relations se presentent à vous;
         comme, à celuy auquel elles sont principalement deues, tant à
         cause de l'eminente Puissance que vous avez en l'Eglise, & en
         l'Estat comme en l'authorité de toute la Navigation, que pour
         estre informé ponctuellement de la grandeur, la bonté, & la
         beauté des lieux qu'elles vous rapportent. Partant que ce n'est
4/644    pas sans grandes & preignantes causes que les Roys
         Predecesseurs de sa Majesté, & elle, non seulement y ont arboré
         l'estendart de la Croix, pour y planter la foy comme ils ont
         fait, ains encores y ont voulu adjouster le nom de la Nouvelle
         France. Vous y verrez les grands & périlleux Voyages qui y ont
         esté entreprins, les Descouvertes qui s'en sont ensuivies,
         l'estendue de ces terres, non moins grandes quatre fois que la
         France, leur disposition, la facilité de l'asseuré et important
         Commerce qui s'y peut faire, la grande utilité qui s'en peut
         retirer, la possession que nos Roys ont prinse d'une bonne
         partie de ces Pays, la mission qu'ils y ont faite de divers
         Ordres de Religieux, leur progrès en la conversion de plusieurs
         Sauvages, celle du défrichement de quelques unes de ces Terres,
         par lequel vous cognoistrez qu'elles ne cèdent en aucune façon
         en bonté à celle de la France, et en fin les habitations et
         forts qui y ont esté construicts sous le nom François. A la
         conservation desquels, comme en une bonne partie de ces
         Descouvertes ayant ainsi que j'ay esté assiduement employé
         depuis trente ans, tant sous l'auctorité de nos Vice-rois, que
         de celle de vostre Grandeur, c'est Monseigneur, ce qui excusera
         s'il vous plaist la liberté que je prends de vous offrir ce
         petit Traitté: en ceste asseurance qu'il ne vous sera poin
         desagréable. Non pour ma consideration propre: Mais bien
         seulement pour celle du public: qui faict desja retentir vostre
5/645    nom en toute l'estendue des rivages maritimes de la Terre
         habitable, par les acclamations des effects qu'il se promet de
         la continuation de la gloire de vos actions: & que comme vostre
         Grandeur les a eslevées en terre jusques au dernier degré, par
         la Paix qu'elle a procurée en ce Royaume, après tant & de si
         heureuses victoires, aussi ne sera elle moins portée à se faire
         admirer durant la Paix aux choses qui la concernent. Sur tout
         au restablissement du Commerce de France: dans les pays plus
         esloygnez; comme le moyen plus asseuré qu'elle ait pour
         reflorir de nouveau sous vos heureux auspices. Mais entre ces
         nations estranges celles de la Nouvelle France vous tendent
         principalement les mains: se figurans avec toute la France que
         puisque Dieu vous a constitué d'un costé Prince de l'Eglise, et
         de l'autre eslevé aux sureminantes dignitez que vous tenez, non
         seulement vous leur redonnerez la lumière de la foy, laquelle
         ils respirent continuellement, mais encores releverez et
         soustiendrez la possession de ceste Nouvelle Terre, par les
         Peuplades et Colonies qui s'y trouverront necessaires, et qu'en
         fin Dieu vous ayant choisy expressement entre tous les hommes
         pour la perfection de ce grand Oeuvre, il sera entièrement
         accomply par vos mains. C'est le souhait que je faits sans
         cesse, auquel je joincts encores les offres que je vous
         presente du reste de mes ans, que je tiendray tres-heureusement
6/646    et necessairement employez en un si glorieux dessein, si avec
         tous mes labeurs passez je puis estre encores honoré des
         commandemens qu'attend de vostre Grandeur,

         MONSEIGNEUR,

         Vostre très-humble & tres-affectionné serviteur

         CHAMPLAIN.

7/647

[Illustration]


                             SUR LE LIVRE DES
                                 VOYAGES
                      du Sieur de Champlain Capitaine
                        pour le Roy en la Marine.


                           Veux tu Voyageur hazardeux
                       Vers Canada tenter fortune?
                       Veux tu sur les flots escumeux
                       Recevoir l'ordre de Neptune?
                       Bien équipé fay chois soudain
                       D'un temps propice à ton dessain,
                       Et tu verras qu'en son empire
                       Le vent plus violent & fort
                       Pressant les flancs de ton navire
                       Te fera tost surgir au port.

                           Que si le Pilote est mal duict
                       Aux routes qu'il luy convient suivre
                       Il pourra estre mieux conduict
                       S'il se gouverne par le Livre
                       Qu'en sa faveur a fait Champlain,
                       A qui les Grâces ont à plain
                       Prodigué tout leur heritage:
                       De qui Pithon a prins le soing
                       D'orner son élégant langage,
                       Afin qu'il t'aide à ton besoing.

                            Va donc Pilote sans frayeur
                        Ancrer en la Nouvelle France;
                        Ne crain de Thetis la fureur
                        Ny des Autans la violence:
                        Champlain comme s'il estoit fils,
                        Ou de Neptune, ou de Typhys

8/648                      Rendra ta nef si asseurée,
                        Que ny les monstres de la mer,
                        Ny tous les efforts de Borée
                        Ne la pourront faire abysmer.
                        Que si quelqu'un par vanité
                        Estime avoir cet advantage
                        De porter quelque Déité
                        Et ne pouvoir faire naufrage,
                        Reproche luy qu'en ce qu'il croit
                        Tu es fondé en meilleur droict,
                        Si la raison trouve en toy place;
                        Car deferant aux bons advis
                        DIEU favorise de sa grâce
                        Ceux qui tousjours les ont suivis.

                        PIERRE TRICHET
                        Advocat Bourdelois.


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                          TABLE DES CHAPITRES
                      contenus en la première Partie.
                            LIVRE PREMIER.


         Estendue de la Nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur
         quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la Nouvelle
         France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, &
         Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples. Chap.
         I. P. 1

         Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux
         d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa
         gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs
         Estats. Voyages des François faits es Terres neufves, depuis
         l'an 1504. Chap. II. P. 8

         Voyage en la Floride sous le règne du Roy Charles IX. par Jean
         Ribaus. Fit bastir un fort, appellé le Fort de Charles, sur la
         riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans
         vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par
         un Anglois. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque
         d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de
         famine. Recompense de l'Empereur Charles V à ceux qui firent la
         descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May
         par les Espagnols. Attaquent Laudonniere. François tuez, &
         pendus avec des escriteaux. Chap. III. P. 16

         Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut
         des Espagnols en la cruauté qu'ils exercèrent envers les
         François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de
         Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est
         assailly des Espagnols, qu'il défait, & les traitte comme ils
         avoient fait les François. Chap. IIII. P. 23

         Voyage que fit faire le sieur de Roberval. Envoye Alphonse
         Xainctongeois vers Labrador. Son parlement: son arrivée.
         Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort,
         pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la
         Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son
         entreprise. Chap. V.P. 36

         Voyage du sieur Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy
         fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour
         dudit Sieur Chauvin & du Pont en France. Second voyage de
         Chauvin: son entreprise blasmable. Chap. VI. P. 40

         Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur
         de Charte. Le sieur de Pont Gravé eslu pour le voyage de
10/650   Tadoussac. L'Autheur se met en voyage avec ledit sieur
         Commandeur. Leur arrivée au Grand sault Sainct Louis. Sa
         difficulté à le passer. Leur retraite.  Mort dudit Commandeur,
         qui rompt le 6e voyage. Chap. VII. P. 44

         Voyage du sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu
         Commandeur de Chaste. Obtient commission du Roy pour aller
         descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands
         de Rouen & de la Rochelle. L'Autheur voyage avec luy. Arrivent
         au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le
         sieur de Poitrincourt va avec le sieur de Mons. Plaintes dudit
         sieur de Mons. Sa commission revoquée. Chap. VIII. P. 48

                               Livre Second.

         Description de la Héve. Du port au Mouton. Du port du Cap
         Nègre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap
         Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie. Du port de
         Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui
         sont le long de la coste d'Acadie. Chap. I. P. 55

         Description du Port Royal, & des particularitez d'iceluy. De
         l'isle Haute. Du port aux Mines. De la grande baye Françoise.
         De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis
         le port aux Mines jusques à icelle. De l'isle appellée par les
         Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs
         belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres
         choses remarquables d'icelle coste. Chap. II. P. 60

         De la coste, peuples, & riviere de Norembeque. Chap. III. P. 68

         Descouverture de la riviere de Quinibequy, qui est de la coste
         des Almouchiquois, jusques au 42. degré de latitude, & des
         particularitez de ce voyage. A quoy les hommes & les femmes
         passent le temps durant l'hyver. Chap. IIII. P. 75

         Riviere de Choüacoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap aux
         Isles. Canaux de ces peuples faits d'escorce de bouleau. Comme
         les Sauvages de ce pays là font revenir à eux ceux qui tombent
         en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux. Leur
         chef honorablement receu de nous. Chap. V. P. 83

         Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
         & de ce qu'y avons remarqué de particulier. Chap. VI. P. 90

         Continuation des susdites descouvertures jusques au port
         Fortuné, & quelque vingt lieues par de là. Chap. VII. P. 98

         Descouverture depuis le Cap de la Héve, jusques à Canseau, fort
         particulièrement. Chap. VIII. P. 104
11/651
                           Livre Troisiesme.

         Voyages du sieur de Poitrincourt en la Nouvelle France, ou il
         laisse son fils le sieur de Biencourt. Pères Jesuistes qui y
         sont envoyez, & les progrés qu'ils y firent, y faisans fleurir
         la Foy Chrestienne. Chap. I. P. 109

         Seconde entreprise du sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy
         donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que
         l'Autheur fait au lieu de Québec. Crieries contre le sieur de
         Mons. Chap. II, p. 127

         Embarquement de l'Autheur pour aller habiter la grande riviere
         Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la riviere
         de Saguenay. De l'Isle d'Orléans. Chap. III. P. 130

         Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: & du
         sault de Montmorency. Chap. IIII. P. 133

         Arrivée de l'Autheur à Québec, où il fit ses logemens. Forme de
         vivre des Sauvages de ce pays là. Chap. V. P. 136

         Semences de vignes plantées à Québec par l'Autheur. Sa charité
         envers les pauvres Sauvages. Chap. VI. P. 141

         Partement de Québec jusques à l'Isle Sainct Eloy, & de la
         rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Ochataiguins.
         Chap. VII. P. 145

         Retour à Québec, & depuis continuation avec les Sauvages
         jusques au Sault de la riviere des Hiroquois. Chap. VIII. P.
         149

         Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description
         d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes
         audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant
         attaquer les Hiroquois. Chap. IX. P. 155

         Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin. Chap,
         X. P. 167

         Deffaite des Hiroquois prés de l'emboucheure de ladite riviere
         des Hiroquois. Chap. XI. P. 170

         Description de la pesche des Baleines en la Nouvelle France,
         Ch. XII. P. 179

         Partement de l'Autheur de Québec: du Mont Royal, & ses Rochers.
         Isles où se trouve la terre à potier. Isle de faincte Hélène.
         Chap. XIII. P. 182

         Deux cents Sauvages ramènent le François qu'on leur avoit
         baillé, & remmenèrent leur Sauvage qui estoit retourné de
         France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. XIIII. P.
         188
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                             Livre Quatriesme.

         Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée
         au Sault sainct Louys. Chap. I. P. 198

         Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me
         fit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promirent
         quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost après me les
         refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon
         entreprise, me remonstrans les difficultez. Response à ces
         difficultez. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, &
         n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire
         véritable. Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs
         refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession.
         Chap. II. P. 211

         Nostre retour au Sault. Fausse alarme. Cérémonie du sault de la
         Chaudière. Confession de nostre menteur devant un chacun.
         Nostre retour en France. Chap. III. P. 224

         L'Autheur va trouver le sieur de Mons, qui luy commet la charge
         d'entrer en la societé. Ce qu'il remonstre à Monsieur le Comte
         de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur s'addresse à
         Monsieur le Prince, qui le prend en sa protection. Chap. IIII.
         P. 229

         Embarquement de l'Autheur pour aller en la Nouvelle France.
         Nouvelles descouvertures en l'an 1615. Chap. V. P. 241

         Nostre arrivée à Cahiagué. Description de la beauté du pays:
         naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommoditez que
         nous receusmes. Chap. VI. P. 253

         Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du petum.
         Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre. Chap.
         VII. P. 272

         Changement de Viceroy de feu Monsieur le Mareschal de Thémines,
         qui obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la
         Nouvelle France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons
         à la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux.
         Chap. VIII. P. 310

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                           TABLE DES CHAPITRES
                      contenus en la Seconde Partie.
                            LIVRE PREMIER.

         Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son
         arrivée à Québec. Prend possession du Pays, au nom de Monsieur
         de Montmorency. Chap. I. P. 1

         Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France.
         Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de
         France apportées au sieur de Champlain. Chap. II. P. 8

         Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France. Le sieur de May
         mis au Fort. Arrivée des Commis du sieur du Pont à Québec, & ce
         qui se passa sur ce qu'ils pretendoient. Chap, III. P. 16

         Arrivée du sieur du Pont à Québec & du Canau d'Halard, & du
         sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père
         George à Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de
         l'Autheur pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Sur
         l'arrest de sa Majesté. Magazin de Québec achevé par l'Autheur.
         Armes pour le fort de Québec. Chap. IIII. P. 21

         L'Autheur faist travailler au fort de Québec. Voye asseurée
         qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est
         expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin
         commis du sieur Dolu. Réunion des deux societés. Chap. V. P. 36

         L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux
         decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez à Messieurs du
         Conseil. Des commoditez qui reviendroient de ces decouvertures.
         Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de
         faire la paix entr'eux. Chap. VI. P. 44

         Arrivée du sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur
         leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy à
         l'Autheur. Arrivée du sieur de la Ralde à Tadoussac. Ce qui se
         passa le reste de l'année 1622. & aux premiers mois de 1623.
         Chap. VII. P. 49

         Arrivée de l'Autheur devant la riviere des Yroquois. Advis du
         Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en
         l'Isle S. Jean. Plaintes des Sauvages accordées. Le meurtrier
         est pardonné. Cérémonies observées en recevant le pardon du Roy
         de France. Accord entre ces nations sauvages & les François.
         Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de
         Nouveaux édifices. Chap. VIII. P. 61
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                               Livre Second.

         Monsieur le duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France,
         continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il
         luy fait expédier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle
         France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez. Chap. I.
         P. 87

         Description de l'Isle de terre Neufve. Isles aux Oyseaux,
         Ramées, S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonaventure, Miscou,
         Baye de Chaleu, avec celle qui environne le Golfe S. Laurent,
         avec les Costes, depuis Gaspey, jusques à Tadoussac, & de là à
         Québec, sur le grand fleuve S. Laurent. Chap. II. P. 98

         Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois.
         L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres. Chap. III.
         P. 133

         Mort, & assassinat de Pierre Magnan, François, du chef des
         Sauvages appellé Reconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour
         d'Emery de Caen & du P. l'Allemand à Québec. Necessitez en la
         Nouvelle France. Chap. IV. P. 142

         Guerre déclarée par les Yroquois. Assemblée des sauvages.
         Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche
         de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les
         Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur
         veut venger ce meurtre. Chap. V. P. 149

         Défauts observez par l'Autheur au voyage du sieur de Roquemont.
         Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage
         Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de la
         punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire
         la guerre aux Yrocois. Chap. VI. P. 184

                             Livre Troisiesme.

         Rapport du combat faict entre les François & les Anglois. Des
         François emmenez prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de
         guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle
         amy des François promet les advertir de toutes les menées des
         Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient. Chap. I. P. 207

         Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre
         toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut
         l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglois. Chap. II. P.
         222

         Le sieur de Champlain, ayant eu advis de l'arrivée des Anglois,
         donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux.
         Lettre qu'un Gentil-homme Anglois luy apporte, & sa response.
15/655   Articles de leur composition. Infidelles François prennent des
         commoditez de l'habitation. Anglois s'emparent de Québec. Chap.
         III. P. 237

         Combat des François avec les Anglois. On fait parler l'Autheur
         au sieur Emery. Voyage des François pour secourir Québec. Le
         beau frère de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit
         de se retirer. Chap. IV. P. 251

         Voyages de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur
         de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de
         l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur
         d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites
         en la Foy. Chap. V. P. 268

         Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes &
         munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort mal
         heureuse de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer.
         Chap. VI. P. 282

         Partement des Anglois au port de Tadoussac, Général Quer craint
         l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre. L'Autheur
         y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le
         conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de
         l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du
         Reverend père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de
         l'Autheur à Paris. Chap. VII. P. 292

         Relation du Voyage fait par le Capitaine Daniel de Dieppe, en
         la Nouvelle France, la presente année 1629. P. 299

         Abrege des descouvertures de la Nouvelle France, tant de ce que
         nous avons descouvert comme aussi les Anglois, depuis les
         Virgines jusqu'àu Freton Davis & de ce qu'eux & nous pouvons
         prétendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont
         descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger à un
         chacun du tout sans passion. P. 322.
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         TABLE DU TRAITÉ
         de la Marine, & du devoir
         d'un bon Marinier.
         DE la Navigation. P. 5

         Que les cartes pour la navigation sont necessaires. P. 19.

         Comme l'on doit user de la carte marine. P. 20.

         Comme les cartes sont necessaires à la navigation, pour tous
         Mariniers qui peuvent sçavoir le moyen de les fabriquer pour
         s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus
         dictes, & la façon comme l'on y doit procéder selon la Boussole
         des Mariniers. P. 2l

         Des accidents qui arrivent à beaucoup de navigateurs pour ce
         qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde. P. 26

         Premier que rapporter les diverses estimes l'on verra une chose
         remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a donné
         aux hommes pour eviter les périls de la plus part des
         navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a
         point de reigle bien asseurée, non plus qu'en l'estime du
         marinier, p. 28

         Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour au
         papier journal. P. 37

         S'ensuit comme l'on peut sçavoir si un pilote a bien fait son
         estime, & pointer la carte. P. 40

         De pointer la carte. P. 42

         Autre manière d'estimer & arrester le poind sur la carte. P. 45

         Autre manière d'estimer que font beaucoup de navigateurs. P. 48

         Autre manière de pointer après l'estime faicte. P. 49

         Autre manière d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns
         Anglois bons navigateurs, qui m'a semblé fort seure au respect
         des estimes que l'on fait ordinairement. P. 50

         Autre manière de sçavoir le lieu où se treuve un vaisseau
         cinglant par quelque vent que ce soit. P. 54

         Autre façon d'estimer par fantaisie. P. 54

         FIN.

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         [Illustration]

                              LES VOYAGES
                              DU SIEUR DE
                               CHAMPLAIN.

                             LIVRE PREMIER.



         _Estendue de la nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur
         quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la nouvelle
         France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, &
         Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples._


                           CHAPITRE PREMIER.

         Les travaux que le Sieur de Champlain a soufferts aux
         descouvertes de plusieurs terres, lacs, rivieres, & isles de la
         nouvelle France depuis vingt-sept ans[1], ne luy ont point fait
         perdre courage pour les difficultez qui s'y sont rencontrées:
         mais au contraire les périls & hazards qu'il y a courus, le luy
         ont redoublé, au lieu de l'en destourner: & sur tout, deux
2/658    puissantes considerations l'ont fait resoudre d'y faire de
         nouveaux voyages. La première, que souz le règne du Roy Louis
         le Juste, la France se verra enrichie & accreue d'un païs dont
         l'estendue excede plus de seize cents lieues en longueur, & de
         largeur prés de cinq cents. La seconde, que la bonté des
         terres, & l'utilité qui s'en peut tirer, tant pour le commerce
         du dehors, que pour la douceur de la vie au dedans, est telle,
         que l'on ne peut estimer l'avantage que les François en auront
         quelque jour, si les Colonies Françoises y estans establies, y
         sont protégées de la bien-veillance & authorité de sa Majesté.

[Note 1: Champlain fit son premier voyage en la Nouvelle-France dès
1603: par conséquent en 1632, il y avait vingt-neuf ans qu'il avait
commencé ses découvertes de ce côté. Ce nombre de vingt-sept ans, qui se
trouve au commencement de cette édition de 1632, est une preuve assez
forte que l'auteur commença son travail de publication peu de temps
après la prise de Québec par les frères Kerck, peut-être même des
l'automne de 1629. Une édition complète de ses voyages devait avoir le
bon effet d'éclairer la cour de France sur les ressources que pouvait
offrir pour l'avenir un pays si avantageusement doué de la nature, et
surtout de faire bien comprendre les droits de priorité de possession
que pouvaient revendiquer les Français sur toutes ces nouvelles et
importantes régions qui portaient depuis longtemps déjà le nom de
Nouvelle-France. Aussi, quelques lignes plus loin, l'auteur laisse assez
entrevoir le motif de cette édition, qui résume ses premiers voyages, et
renferme tous les principaux événements des années subséquentes.]

         Ces nouvelles descouvertes ont causé le dessein d'y faire ces
         Colonies, lesquelles quoy que d'abord elles ayent esté de
         petite consideration, néantmoins par succession de temps, au
         moyen du commerce, elles égalent les Estats des plus grands
         Rois. On peut mettre en ce rang plusieurs villes que les
         Espagnols ont édifiées au Pérou, & autres parties du monde,
         depuis six vingt ans en ça, qui n'estoient rien en leur
         principe. L'Europe peut rendre tesmoignage de celle de Venise,
         qui estoit à son commencement une retraitte de pauvres
         pescheurs. Gennes, l'une des plus superbes villes du monde,
         édifiée dedans un païs environné de montagnes, fort desert, &
3/659    si infertile, que les habitans sont contraints de faire
         apporter la terre de dehors pour cultiver leurs jardinages
         d'alentour, & leur mer est sans poisson. La ville de Marseille,
         qui autre-fois n'estoit qu'un marescage, environné de collines
         & montagnes assez fascheuses, neantmoins par succession de
         temps a rendu son territoire fertile, & est devenue fameuse, &
         grandement marchande. Ainsi plusieurs petites Colonies ayans
         la commodité des ports & des havres, se sont accreue en
         richesses & réputation.

         Il se peut dire aussi, que le pays de la nouvelle France est un
         nouveau monde, & non un royaume, beau en toute perfection, &
         qui a des scituations très-commodes, tant sur les rivages du
         grand fleuve Sainct Laurent (l'ornement du pays) qu'és autres
         rivieres, lacs, estangs, & ruisseaux, ayant une infinité de
         belles isles accompagnées de prairies & boccages fort plaisans
         & agréables, où durant le Printemps & l'Esté se voit un grand
         nombre d'oiseaux, qui y viennent en leur temps & saison: les
         terres très-fertiles pour toutes sortes de grains, les
         pasturages en abondance, la communication des grandes rivieres
         & lacs, qui sont comme des mers traversant les contrées, & qui
         rendent une grande facilité à toutes les descouvertes, dans le
         profond des terres, d'où on pourroit aller aux mers de
         l'Occident, de l'Orient, du Septentrion, & s'estendre jusques
         au Midy.

         Le pays est remply de grandes & hautes forests, peuplé de
         toutes les mesmes sortes de bois que nous avons en France;
         l'air salubre, & les eaux excellentes sur les mesmes
4/660    parallelles d'icelle: &l'utilité qui se trouvera dans le païs,
         selon que le Sieur de Champlain espere le representer, est
         assez suffisant pour mettre l'affaire en consideration, puis
         que ce pays peut produire au service du Roy les mesmes
         advantages que nous avons en France, ainsi qu'il paroistra par
         le discours suivant.

         Dans la nouvelle France y a nombre infiny de peuples sauvages,
         les uns sont sedentaires amateurs du labourage, qui ont villes
         & villages fermez de pallissades, les autres errans qui vivent
         de la chasse & pesche de poisson, & n'ont aucune cognoissance
         de Dieu. Mais il y a esperance que les Religieux qu'on y a
         menez, & qui commencent à s'y establir, y faisant des
         Séminaires, pourront en peu d'années y faire de beaux progrez
         pour la conversion de ces peuples. C'est le principal soin de
         sa Majesté, laquelle levant les yeux au ciel, plustost que les
         porter à la terre, maintiendra, s'il luy plaist, ces
         entrepreneurs, qui s'obligent d'y faire passer des
         Ecclesiastiques, pour travailler à ceste saincte moisson, & qui
         se proposent d'y establir une Colonie, comme estant le seul &
         unique moyen d'y faire recognoistre le nom du vray Dieu, & d'y
         establir la Religion Chrestienne, obligeant les François qui y
         passeront, de travailler au labourage de la terre, avant toutes
         choses, afin qu'ils ayent sur les lieux le fondement de la
         nourriture, sans estre obligez de le faire apporter de France:
         & cela estant, le pays fournira avec abondance, tout ce que la
         vie peut souhaitter, soit pour la necessité, ou pour le
         plaisir, ainsi qu'il sera dit cy-aprés.

5/661    Si on desire la vollerie, il se trouvera dans ces lieux de
         toutes sortes d'oiseaux de proye, & autant qu'on en peut
         désirer: les faucons, gerfauts, sacres, tiercelets, esperviers,
         autours, esmerillons, mouschets[2], de deux sortes d'aigles,
         hiboux petits & grands, ducs grands outre l'ordinaire[3], pies
         griesches, piverts, & autres sortes d'oyseaux de proye, bien
         que rares au respect des autres, d'un plumage gris sur le dos,
         & blanc souz le ventre, estans de la grosseur & grandeur d'une
         poulle, ayans un pied comme la serre d'un oyseau de proye,
         duquel il prend le poisson: l'autre est comme celuy d'un
         canard, qui luy sert à nager dans l'eau lors qu'il s'y plonge
         pour prendre le poisson: oiseau qu'on croit ne s'estre veu
         ailleurs qu'en la nouvelle France [4].

[Note 2: Dans quelques parties de la France, et surtout en Picardie, on
donnait le nom de _mouchets_ aux petits oiseaux de proie.]

[Note 3: C'est une variété du Grand Duc _(Bubo Virginianus)_.]

[Note 4: L'oiseau dont parle ici Champlain, est le Balbuzard de la
Caroline _(Pandion Carolinensis)_. Ce passage montre qu'on a fait sur
notre aigle pêcheur les mêmes contes que sur celui d'Europe. «C'est une
erreur populaire,» dit Buffon, «que cet oiseau nage avec un pied, tandis
qu'il prend le poisson avec l'autre, et c'est cette erreur populaire qui
a produit la méprise de M. Linnaeus. Auparavant, M, Klein a dit la même
chose de l'orfraie ou grand aigle de mer; il s'est également trompé, car
ni l'un ni l'autre de ces oiseaux n'a de membranes entre aucuns doigts
du pied gauche. La source commune de ces erreurs est dans
Albert-le-Grand, qui a écrit que cet oiseau avait l'un des pieds pareil
à celui d'un épervier, et l'autre semblable à celui d'une oie: ce qui
est non-seulement faux, mais absurde et contre toute analogie.»]

         Pour la chasse du chien couchant, les perdrix s'y trouvent de
6/662    trois sortes[5]; les unes sont vrayes gelinotes, autres noires,
         autres blanches, qui viennent en hyver, & qui ont la chair
         comme les ramiers, & d'un très-excellent goust.

[Note 5: Les trois espèces de perdrix que mentionne ici Champlain, sont
celles que l'on rencontre communément dans nos forêts: la Perdrix de
savane, ou Gelinotte du Canada _(Tetrao Canadensîs, LINN.)_; la Perdrix
de bois, ou Coq de bruyère _(Bonasa umbellus, STEPH.)_, et la Perdrix
blanche (Lagopus albus, AUD.). Boucher et Charlevoix n'en mentionnent
aussi que trois espèces. «Il y a, dit le premier, trois sortes de
Perdrix; les unes sont blanches, & elles ne se trouvent qu'en Hyver,
elles ont de la plume jusque sur les argots, elles sont belles & plus
grosses que celles de France, la chair en est délicate. Il y a d'autres
perdrix qui sont toutes noires, qui ont des yeux rouges: elles sont plus
petites que celles de France, la chair n'en est pas si bonne à manger;
mais c'est un bel oyseau, & elles ne sont pas bien communes. Il y a
aussi des Perdrix grises, qui sont grosses comme des Poules: celles-là
sont fort communes & bien aisées à tuer, car elles ne s'enfuyent quasi
pas du monde: la chair est extrêmement blanche & seiche.» (Hist.
véritable & naturelle, ch. VI.) Nous avons cependant une quatrième
espèce de Perdrix, le _Lagopus rupestris_; mais on ne la trouve que vers
la côte du Labrador.]

         Quant à l'autre chasse du gibbier, il y abonde grande quantité
         d'oiseaux de riviere, de toutes sortes de canards, sarcelles,
         oyes blanches & grises, outardes, petites oyes, beccasses,
         beccassines, allouettes grosses & petites, pluviers, hérons,
         grues, cygnes, plongeons de deux ou trois façons, poulles
         d'eau, huarts, courlieux, grives, mauves blanches & grises, &
         sur les costes & rivages de la mer, les cormorans, marmettes,
         perroquets de mer, pies de mer, apois, & autres en nombre
         infiny, qui y viennent selon leur saison.

         Dans les bois, & en la contrée où habitent les Hiroquois,
         peuples de la nouvelle France, il se trouve nombre de cocs
         d'Inde sauvages, & à Quebec quantité de tourtres tout le long
         de l'esté, merles, fauves, allouettes de terre, autres sortes
         d'oiseaux de divers plumages, qui sont en leur saison de
         très-doux ramages.

         Après cette sorte de chasse, y en a une autre non moins
         plaisante & agréable, mais plus pénible, y ayant audit pays des
         renards, loups communs, & loups cerviers, chats sauvages,
         porcs-espics, castors, rats musquez, loutres, martres, fouines,
         especes de blereaux, lapins, ours, eslans[6], cerfs, dains,
7/663    caribous de la grandeur des asnes sauvages, chevreux, escurieux
         vollans, & autres, des hermines, & autres especes d'animaux que
         nous n'avons pas en France. On les peut chasser, soit à
         l'affus, ou au piège, par huées dans les isles, où ils vont le
         plus souvent, & comme ils se jettent en l'eau entendant le
         bruit, on les peut tuer aisément, ou ainsi que l'industrie de
         ceux qui voudront y prendre le plaisir, le fera voir.

[Note 6: Par _élan_, les auteurs qui ont écrit sur le Canada ont désigné
généralement l'Orignal, ou _Orignac_. «Premièrement, dit Lescarbot,
parlons de l'Ellan... lequel noz Basques appellent _Orignac_.» (Hist. de
la Nouv. France, p. 893.) «Commençons, dit Boucher, par le plus commun &
le plus universel de tous les animaux de ce pays, qui est l'Elan, qu'on
appelle en ces quartiers icy Orignal.» (Hist. véritable & naturelle, ch.
v.) «Les eslans, dit Sagard, ou orignats, en Huron Sondareinta, sont
fréquents & en grand nombre au pays des Montagnais, & fort rares à celuy
des Hurons, sinon à la contrée du Nort.» (Hist. du Canada, p. 749.) «Ce
qu'on appelle ici _Orignal_, dit Charlevoix, c'est ce qu'en Allemagne,
en Pologne & en Moscovie on nomme _Elan_, ou la _Grand-Bête._» (Journal
historique, lettre VII.) A part l'Orignal _(Alce Americanus, BAIRD)_, la
même famille compte encore, en Canada, quatre espèces différentes de
Cerfs, qui peuvent correspondre à celles que mentionne ici Champlain:
1° Le Cerf du Canada _(Cervus Canadensis, GRAY)_. 2° Le Caribou, dont il
y a deux espèces: le _Rangifer caribou_, AUD., et le _Rangifer
Groenlandicus_, BAIRD. 3° Le Chevreuil, ou Cerf de Virginie (_Cervus
Virginianus_, AUD.).]

         Si on aime la pesche du poisson, soit avec les lignes, filets,
         parcs, nasses, & autres inventions, les rivieres, ruisseaux,
         lacs, & estangs sont en tel nombre que l'on peut desirer, y
         ayant abondance de saumons, truittes très-belles, bonnes &
         grandes de toutes sortes, esturgeons de trois grandeurs,
         aloses, bars fort bons, & tel se trouve qui pese vingt livres:
         carpes de toutes sortes, dont y en a de très-grandes, & des
         brochets, aucuns de cinq pieds de long, barbus qui sont sans
         escaille, de deux à trois sortes grands & petits: poisson blanc
         d'un pied de long[7]: poisson doré, esplan, tanche, perche,
         tortue, loups marins, dont l'huile est fort bonne, mesme à
         frire, marsouins blancs, & beaucoup d'autres que nous n'avons
         point, & ne se trouvent dedans nos rivieres & estangs. Toutes
         ces especes de poissons se trouvent dans le grand fleuve Sainct
         Laurent: & d'avantage, mollues & baleines se peschent tout le
         long des costes de la nouvelle France presque en toute saison.

[Note 7: Le Poisson Blanc, en certaines parties du Canada et
spécialement aux environs de Québec, atteint jusqu'à près de deux
pieds.]

8/664    Ainsi de là on peut juger le plaisir que les François auront en
         ces lieux y estans habituez, vivans dans une vie douce &
         tranquille, avec toute liberté de chasser, pescher, se loger &
         s'accommoder selon sa volonté, y ayans dequoy occuper l'esprit
         à faire bastir, desfricher les terres, labourer des jardinages,
         y planter, enter, & faire pépinières, semer de toutes sortes de
         grains, racines, légumes, sallades, & autres herbes potagères,
         en telle estendue de terre, & en telle quantité que l'on
         voudra. La vigne y porte des raisins assez bons, bien qu'elle
         soit sauvage, laquelle estant transplantée, & labourée, portera
         des fruicts en abondance. Et celuy qui aura trente arpents de
         terre défrichée en ce pays là, avec un peu de bestail, la
         chasse, la pesche, & la traitte avec les Sauvages, conformément
         à l'establissement de la Compagnie de la nouvelle France, il y
         pourra vivre luy dixiesme, aussi bien que ceux qui auroient en
         France quinze à vingt mil livres de rente.

         Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux
         d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa
         gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs
         Estats. Voyages des François faits és Terres neufves depuis
         l'an 1504.



                               CHAPITRE II.

         Les palmes & les lauriers les plus illustres que les Rois & les
         Princes peuvent acquérir en ce monde, est que mesprisans les
         biens temporels, porter leur desir à acquérir les spirituels:
         ce qu'ils ne peuvent faire plus utilement, qu'en attirant
9/665    par leur travail & pieté un nombre infiny d'âmes sauvages (qui
         vivent sans foy, sans loy, ny cognoissance du vray Dieu) à la
         profession de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine.
         Car la prise des forteresses, ny le gain des batailles, ny la
         conqueste des pays, ne sont rien en comparaison ny au prix de
         celles qui se préparent des coronnes au ciel, si ce n'est
         contre les Infidèles, où la guerre est non seulement
         necessaire, mais juste & saincte, en ce qu'il y va du salut de
         la Chrestienté, de la gloire de Dieu, & de la défende de la
         foy, & ces travaux sont de soy louables & tres-recommandables,
         outre le commandement de Dieu, qui dit, _Que la conversion d'un
         infidèle vaut mieux que la conqueste d'un Royaume_. Et si tout
         cela ne nous peut esmouvoir à rechercher les biens du ciel
         aussi passionnément du moins que ceux de la terre, d'autant que
         la convoitise des hommes pour les biens du monde est telle, que
         la plus-part ne se soucient de la conversion des infidèles,
         pourveu que la fortune corresponde à leurs desirs, & que tout
         leur vienne à souhait. Aussi est-ce ceste convoitise qui a
         ruiné, & ruine entièrement le progrez & l'advancement de ceste
         saincte entreprise, qui ne s'est encores bien avancée, & est en
         danger de succomber, si sa Majesté n'y apporte un ordre
         tres-sainct, charitable, & juste, comme elle est, & qu'elle
         mesme ne prenne plaisir d'entendre ce qui se peut faire pour
         l'accroissement de la gloire de Dieu, & le bien de son Estat,
         repoussant l'envie qui se met par ceux qui devroient maintenir
         ceste affaire, lesquels en cherchent plustost la ruine que
         l'effect.

10/666   Ce n'est pas chose nouvelle aux François d'aller par mer faire
         de nouvelles conquestes: car nous sçavons assez que la
         descouverte des Terres neufves, & les entreprises genereuses de
         mer ont esté commencées par nos devanciers.

         Ce furent les Bretons & les Normands, qui en l'an
         1504-descouvrirent[8] les premiers des Chrestiens, le grand
11/667   Banc des Moluques, & les Isles de Terre neufve, ainsi qu'il se
         remarque és histoires de Niflet[9], & d'Antoine Maginus.

[Note 8: Les Bretons, les Normands et les Basques fréquentaient déjà le
grand banc de Terreneuve dès l'an 1504, et cela depuis longtemps,
d'après le témoignage de plusieurs auteurs tant français qu'étrangers.
«Quant au premier,» dit Lescarbot, en parlant de Terreneuve, «il est
certain que tout ce pais que nous avons dit se peut appeller
Terre-neuve, & le mot n'en est pas nouveau: car de toute mémoire, & dés
plusieurs siècles noz Dieppois, Maloins, Rochelois, & autres mariniers
du Havre de Grâce, de Honfleur & autres lieux, ont les voyages
ordinaires en ces païs-là pour la pêcherie des Morues dont ilz
nourrissent presque toute l'Europe, & pourvoyent tous vaisseaux de mer.
Et quoy que tout pais de nouveau découvert se puisse appeller
Terre-neuve, comme nous avons rapporté au quatrième chapitre du premier
livre que Jean Verazzan appella la Floride Terre-neuve, pource qu'avant
lui aucun n'y avoit encore mis le pied: toutefois ce mot est
particulier aux terres plus voisines de la France és Indes Occidentales,
léquelles sont depuis les quarante jusques au cinquantième degré. Et
par un mot plus général on peut appeller Terre-neuve tout ce qui
environne le Golfe de Canada, où les Terre-neuviers indifféremment vont
tous les ans faire leur pêcherie: ce que j'ay dit être dès plusieurs
siecles; & partant ne faut qu'aucune autre nation se glorifie d'en avoir
fait la découverte. Outre que cela est très-certain entre noz mariniers
Normans, Bretons, & Basques, léquels avoient imposé nom à plusieurs
ports de ces terres avant que le Capitaine Jacques Quartier y allât; je
mettray encore ici le témoignage de Postel que j'ay extrait de sa Charte
géographique en ces mots: _Terra haec ob lucrosissimam piscationis
utilitatem summa literarum memoria a Gallis adiri solita, & ante mille
sexcentos annos frequentari solita est: sed eo quod sit urbibus inculta
& vasta, spreta est_. De manière que nôtre Terre-neuve étant du
continent de l'Amérique, c'est aux François qu'appartient l'honneur de
la première découverte des Indes Occidentales, & non aux Hespagnols.
Quant au nom de _Bacalos_ il est de l'imposition de noz Basques, léquels
appellent une Morue Bacaillos, & à leur imitation noz peuples de la
Nouvelle-France ont appris à nommer aussi la Morue Bacaillos, quoy qu'en
leur langage le nom propre de la morue soit _Apegé_. Et ont dés si long
temps la fréquentation dédits Basques, que le langage des premières
terres est à moitié de Basque.» (Hist. de la Nouv. France, p. 228, 229.)
«Les grands profits,» dit le commentateur des Jugements d'Oleron, «& la
facilité que les habitans de Capberton» (Cap breton) «prez Bayonne, &
les Basques de Guienne ont trouvé à la pescherie des Balenes, ont servi
de Leurre & d'amorce à les rendre hazardeux à ce point, que d'en faire
la queste sur l'Océan, par les longitudes & les latitudes du monde. A
cest effet ils ont cy-devant équippé des Navires, pour chercher le
repaire ordinaire de ces monstres. De sorte que suivant ceste route, ils
ont descouvert cent ans avant les navigations de Christophe Colomb, le
grand & petit banc des Morues, les terres de Terre-neufve, de Capberton
& Baccaleos _(Qui est à dire Morue en leur langage)_ le Canada ou
nouvelle France, où c'est que les mers sont abondantes & foisonnent en
Balenes. Et si les Castillans n'avoient pris à tasche de dérober la
gloire aux François de la première atteinte de l'Isle Athlantique,
qu'on nomme Indes Occidentales, ils advoueroient, comme ont fait
_Corneille Wytfliet & Anthoine Magin_, Cosmographes Flamans, ensemble
_F. Antonio S. Roman, Monge de S. Benico, del Historia général de la
India, lib. I, cap. 2, pag. 8. que le Pilote lequel porta la première
nouvelle à Christophe Colomb, & luy donna la connoissance & l'adresse de
ce monde nouveau, fut un de nos Basques Terre-neufiers.» (Jugements
d'Oleron, p. 151, 152). «Si, dans la langue primitive des Basques,» dit
M. Francis Parkman (_Pioneers of France in the New World,_ p. 171,
note), «le mot baccaleos veut dire morue, et que Cabot l'ait trouvé en
usage parmi les habitants de Terreneuve, il est difficile d'éluder la
conclusion, que les Basques y avaient été avant lui.»]

[Note 9: Wytfliet. L'auteur parle ici, sans doute, de l'édition
française publiée à Douay en 1611, et qui a pour titre: «Histoire
universelle des Indes Occidentales et Orientales, et de la Conversion
des Indiens, divisée en trois parties, par Cornille Wytfliet, et
Anthoine Magin, et autres historiens.» La première partie, qui est de
Wytfliet, avait d'abord paru en latin, à Louvain, en 1597, sous le
titre: _Descriptionis Ptolemaicae Augmentum sive Occidentis notitia
brevi commentario illustrata studio et opéra Cornely Wytjliet
Louaniensis._ L'année suivante, il en parut une seconde édition, dans
le titre de laquelle on a ajouté _et bac secundo editione magna sui
parte aucta C. Wytfliet auctore_. Dans les éditions subséquentes, ce
sont les mêmes cartes que celles de 1597; et, dans quelques-unes de ces
cartes, on retrouve encore les restes du chiffre mal effacé 1597, en
particulier dans celles intitulées Chica, etc., _Peruani regni
descriptio. Limes Occidentis Quivira et Anian Norumbega et Virginia,
Nova Francia et Canada._ La seconde partie est intitulée «Histoire
Universelle des Indes Occidentales, divisée en deux livres, faicte en
latin par Antoine Magin, nouvellement traduite...»]

         Il est aussi très-certain que du temps du Roy François premier
         en l'an 1323.[10] il envoya Verazzano Florentin descouvrir les
         terres, costes,& havres de la Floride, comme les relations de
         ses voyages font foy: où après avoir recognu depuis le 33e
12/668   degré [11], jusques au 47. de pays[12], ainsi comme il pensoit
         s'y habituer, la mort luy fit perdre la vie avec ses
         desseins[13].

[Note 10: Vérazzani était parti en 1523; mais ce ne fut qu'au
commencement de l'année suivante qu'il se rendit en Amérique, comme on
peut le voir par la lettre qu'il adressa, de Dieppe, à François I, en
date du 8 juillet 1524, pour lui rendre compte de ce qu'il avait pu
faire jusque-là. Ramusio (vol. III, fol. 35°) et Hakluyt (vol. III, p.
295) nous ont conservé cette lettre, qui n'est cependant, à ce qu'il
paraît, qu'un abrégé de celle conservée à Florence, dans la
bibliothèque Magliabecchi. (Voir _Pioneers of France in the New World_,
par FRANCIS PARKMAN, p. 175, note I.)]

[Note 11: Vérazzani a dû même se rendre jusque vers le trente-deuxième
degré, c'est-à-dire, non loin de l'embouchure de la rivière Savannah;
car, suivant sa propre relation, après avoir fait cinquante lieues vers
le sud, pour chercher un havre, il revint sur ses pas, fit voile vers
le nord, et, se trouvant dans le même embarras, il mouilla par la
hauteur de 34°. Il avait donc fait plus de cinquante lieues au-delà du
trente-quatrième degré, dans une direction à peu près sud-est; ce qui
équivaut à environ deux degrés de latitude.]

[Note 12: C'est la latitude de la côte méridionale de Terreneuve, et
c'est en effet la dernière terre de l'Amérique que Vérazzani paraît
avoir vue: «Faisant le nord-est, dit-il, l'espace de cent cinquante
lieues, nous approchâmes la terre qui dans les temps passés fut
découverte par les Bretons, laquelle est par les cinquante degrés.»
(Hakluyt, vol. III.)]

[Note 13: Vérazzani ne périt point à ce voyage, puisqu'il fit au roi de
France rapport de ses découvertes. Il n'avait fait, cette fois, qu'un
simple voyage d'exploration; mais, d'après Ramusio (vol. III, fol. 438),
son intention était d'engager François I à fonder une colonie en
Amérique. On ignore absolument quelle fut la fin de cet intrépide
voyageur; seulement, on voit, par une lettre d'Annibal Caro, I, 6,
qu'il était encore vivant en 1537. Cette lettre est citée dans
Tiraboschi.]

         Du depuis, le mesme Roy François, à la persuasion de Messire
         Philippes Chabot Admiral de France, dépescha Jacques Cartier,
         pour aller descouvrir nouvelles terres: & pour ce sujet il fit
         deux voyages és années 1534 & 35. Au premier il descouvrit
         l'isle de Terre neufve, & le golphe de Sainct Laurent, avec
         plusieurs autres Isles de ce golphe; & eust fait davantage de
         progrés, n'eust esté la saison rigoureuse qui le pressa de s'en
         revenir. Ce Jacques Cartier estoit de la ville de Sainct Malo,
         fort entendu & expérimenté au faict de la marine, autant
         qu'autre de son temps: aussi Sainct Malo est obligée de
         conserver sa mémoire, tout son plus grand desir estant de
         descouvrir nouvelles terres: & à la sollicitation de Charles de
         Mouy sieur de la Mailleres[14], lors Vice-Admiral, il
         entreprint le mesme voyage pour la deuxiesme fois: & pour venir
         à chef de son dessein, & y faire jetter par sa Majesté le
         fondement d'une Colonie, afin d'y accroistre l'honneur de Dieu,
         & son authorité Royale, pour cet effect il donna ses
         commissions, avec celle du dit sieur Admiral, qui avoit la
         direction de cet embarquement, auquel il contribua de son
         pouvoir.

[Note 14: Meilleraye.]

         Les commissions expédiées, sa Majesté donna la charge audit
13/669   Cartier, qui se met en mer avec deux vaisseaux le 16 May[15]
         1535. & navige si heureusement, qu'il aborde dans le golfe
         Sainct Laurent, entre dans la riviere avec les vaisseaux du
         port de 800. tonneaux [16], & fait si bien qu'il arrive jusques
         à une isle, qu'il nomma l'isle d'Orléans [17], à cent vingt
         lieues à mont le fleuve. De là va à quelque dix lieues du bout
         d'amont dudit fleuve hyverner à une petite riviere qui asseche
         presque de basse mer, qu'il nomma Saincte Croix, pour y estre
         arrivé le jour de l'Exaltation de saincte Croix: lieu qui
         s'appelle maintenant la riviere sainct Charles, sur laquelle à
         prêtent sont logez les Pères Recollets, & les Peres
         Jesuites[18], pour y faire un Séminaire à instruire la
         jeunesse.

[Note 15: La relation du second voyage de Cartier commence en effet par
cette date; mais le départ n'eut lieu que le 19 suivant. «Le dimenche,
dit-il, jour & feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en l'an mil
cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine & bon vouloir de
tous, chascun se confessa, & receusmes tous ensemblement nostre créateur
en l'esglise cathédrale de sainct Malo. Après lequel avoir reçu, feusmes
nous presenter au coeur de ladicte eglise, devant reverend père en Dieu
monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa
benediction. Et le mercredy ensuivant dix neufiesme jour de May, le vent
vint bon & convenable, & appareillasmes avec trois navires, Scavoir la
grand Hermine du port environ cent à six vingtz tonneaulz... Le second
navire nommé la petite Hermine, du port environ soixante tonneaulz...
Le tiers navire nommé l'Emerillon du port de environ quarante
tonneaulz...» (Second Voy.)]

[Note 16: Deux cents à deux cent vingt tonneaux. (Voir la note
précédente.)]

[Note 17: En remontant le fleuve, dans l'automne de 1535, Cartier
l'appela _île de Bacchus_, et, le printemps suivant, au retour du même
voyage, il dit: «Vinsmes poser au bas de l'isle d'Orléans.» (Voir Brief
Récit, Notes de M. d'Avezac, verso 63.--Voir aussi le Voyage 1603,
p. 24, note 1 de cette édition.)]

[Note 18: On sait que les Pères Jésuites, en arrivant à Québec, logèrent
chez les Pères Récollets, à leur couvent de Notre-Dame-des-Anges,
pendant deux ans et demi (Sagard, Hist. du Canada, p. 868); mais, à
l'époque de l'édition de 1632, les Jésuites demeuraient de l'autre côté
de la rivière Saint-Charles, près de l'embouchure de la petite rivière
Lairet. «Nos Frères, dit Sagard, leur offrirent charitablement, & les
mirent en possession cordialement, de la juste moitié de nostre maison
(à leur choix) du jardin & tout nostre enclos, qui est de fort longue
estendue fermé de bonnes palissades & pièces de bois, qu'ils ont occupez
par l'espace de deux ans & demy. De plus ils leur presterent une
charpente toute disposée & preste à mettre en oeuvre, pour un nouveau
corps de logis, d'environ 40 pieds de longueur, & 28 de large, & en l'an
1627, ils leur en presterent encore une autre que nos Religieux avoient
de rechef fait dresser pour aggrandir nostre Convent, lesquelles ils ont
employées à leur bastiment commencé au delà de la petite riviere sept ou
800 pas de nous, en un lieu que l'on appelle communément le fort de
Jacques Cartier.» (_Ibid._)]

14/680   De là ledit Cartier alla à mont ledit fleuve quelques soixante
         lieues, jusques à un lieu qui s'appelloit de son temps
         _Ochelaga_, & qui maintenant s'appelle Grand Sault sainct
         Louis, lesquels lieux estoient habitez de Sauvages, qui estans
         sedentaires, cultivoient les terres. Ce qu'ils ne font à
         present, à cause des guerres qui les ont fait retirer dans le
         profond des terres.

         Cartier ayant recognu, selon son rapport, la difficulté de
         pouvoir passer les Sauts, & comme estant impossible, s'en
         retourna où estoient ses vaisseaux, où le temps & la saison le
         presserent de telle façon, qu'il fut contraint d'hyverner en la
         riviere Saincte Croix, en un endroit où maintenant les Pères
         Jesuites ont leur demeure, sur le bord d'une autre petite
         riviere qui se descharge dans celle de Saincte Croix, appellée
         la riviere de Jacques Cartier[19], comme ses relations font
         foy.

[Note 19: Aujourd'hui la rivière Lairet. (Voir la note 4 de la page
précédente.)]

         Cartier receut tant de mescontentement en ce voyage, qu'en
         l'extrême maladie du mal de scurbut, dont ses gens la plus-part
         moururent, que le printemps revenu il s'en retourna en France
         assez triste & fasché de ceste perte, & du peu de progrès qu'il
         s'imaginoit ne pouvoir faire, pensant que l'air estoit si
         contraire à nostre naturel, que nous n'y pourrions vivre
         qu'avec beaucoup de peine, pour avoir esprouvé en son
         hyvernement le mal de scurbut, qu'il appelloit mal de la terre.
         Ainsi ayant fait sa relation au Roy, & audit Sieur Admiral, &
         de Mallières[20], lesquels n'approfondirent pas ceste affaire,
15/671   l'entreprise fut infructueuse. Mais si Cartier eust peu juger
         les causes de sa maladie, & le remède salutaire & certain pour
         les eviter, bien que luy & ses gens receurent quelque
         soulagement par le moyen d'une herbe appellée _aneda_ comme
         nous avons fait à nos despens aussi bien que luy, il n'y a
         point de doute que le Roy dés lors n'auroit pas négligé
         d'assister ce dessein comme il avoit desja fait: car en ce
         temps là le pays estoit plus peuplé de gens sedentaires qu'il
         n'est à prêtent: qui occasionna sa Majesté à faire ce second
         voyage, & poursuivre ceste entreprise, ayant un sainct desir
         d'y envoyer des peuplades. Voila ce qui en est arrivé.

[Note 20: De Meilleraye, vice-amiral.]

         D'autres que Cartier eussent bien peu entreprendre ceste
         affaire, qui ne se fussent si promptement estonnez, & n'eussent
         pour cela laissé de poursuivre l'entreprise, estant si bien
         commencée. Car, à dire vray, ceux-là qui ont la conduitte des
         descouvertures, sont souventefois ceux qui peuvent faire cesser
         un louable dessein, quand on s'arreste à leurs relations: car y
         adjoustant foy, on le juge comme impossible, ou tellement
         traversé de difficultez, qu'on n'en peut venir à bout qu'avec
         des despenses & difficultez presque insupportables. Voila le
         sujet qui a empesché dés ce temps là que ceste entreprise
         sortist effects: outre que dans un Estat se presentent
         quelquefois des affaires importantes, qui font que celle-cy se
         négligent pour un temps: ou bien que ceux qui ont bonne volonté
         de les poursuivre, viennent à mourir, & ainsi les années se
         passent sans rien faire.

16/672   _Voyage en la Floride souz le règne du Roy Charles IX. par Jean
         Ribaus. Fit bastir un Fort, appellé le Fort de Charles, sur la
         riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans
         vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par
         un Anglais. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque
         d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de
         famine. Recompense de l'Empereur Charles V. à ceux qui firent
         la descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May
         par les Espaynols, Attaquent Laudonniere. François tuez, &
         pendus avec des escriteaux._



                                CHAPITRE III.

         Souz le règne du Roy Charles IX. & à la poursuitte de l'Admirai
         de Chastillon[21], Jean Ribaus se met en mer le 18 Fevrier
         1562. avec deux vaisseaux équipez de ce qui luy estoit
         necessaire pour aller jetter les fondemens d'une Colonie.
         Passant par les isles du golphe de Mexique, vint ranger la
         coste de la Floride, où il reconnut une riviere, qu'il appella
         la riviere de May[22], & y fit édifier un fort, qu'il nomma du
         nom de Charles, y laissant pour y commander le Capitaine
         Albert, fourny & muny de tout ce qu'il jugeoit estre
         necessaire. Cela fait, il met la voile au vent, & s'en revint
         en France le 20 de Juillet, & fut prés de six mois à son
         voyage.

[Note 21: Gaspard de Châtillon, sire de Coligny.]

[Note 22: Aujourd'hui la rivière Saint-Jean.]

17/673   Cependant le Capitaine Albert ne se soucie de faire défricher
         les terres, pour ensemencer & eviter les necessitez, mangent
         leurs vivres sans y apporter l'ordre necessaire en telles
         affaires: ce que faisant, ils se trouverent courts de telle
         façon, que la disette fut extrême. Sur ce, les soldats &
         autres qui estoient souz son obeissance, ne voulans luy obéir,
         en fit pendre un pour un bien petit sujet, ce qui fut cause
         que quelques jours après la mutinerie s'y esmeut si violente,
         & la desobeissance fut telle, qu'ils tuèrent leur chef, & en
         esleverent un autre, appelle Nicolas Barré, homme de conduitte.
         Et voyans que nul secours ne leur venoit de France, ils firent
         édifier une petite barque pour s'y en retourner, & se mettent
         en mer avec fort peu de vivres. L'histoire dit que la famine
         fut si cruelle, qu'ils mangèrent un leurs compagnons. Mais
         Dieu ayant pitié de ceste troupe miserable, leur fit tant de
         grâce, qu'ils furent rencontrez d'un Anglois, qui les secourut
         & emmena en Angleterre, où ils se rafraischirent. Voila le peu
         de soin que l'on eut à les secourir, pour les guerres qui
         estoient entre la France & l'Espagne.

         Cependant c'estoit une grande cruauté de laisser mourir des
         hommes de faim, & réduits à tel poinct que de s'entre-manger,
         faute d'envoyer une petite barque au risque de la mer, qui les
         pouvoit secourir. Ce fut un retardement pour la Colonie, & un
         presage d'une plus mauvaise fin, puis que le commencement avoit
         esté mal conduit en toutes choses.

         La paix se fait entre la France & l'Espagne, qui donne loisir
         de faire nouveaux desseins & embarquemens. Ledit Sieur Admiral
18/674   de Chastillon fit equipper d'autres vaisseaux [23] souz la
         charge du Capitaine Laudonniere[24], qui fut accommodé de
         toutes choses pour sa peuplade. Il partit[25] le 22 d'Avril
         1564. & arriva à la coste de la Floride par le 32e degré, au
         lieu de la riviere de May, où estant, & ayant mis tous ses
         compagnons à terre, & autres commoditez, il fit édifier un
         fort, qu'il nomma la Caroline[26].

[Note 23: «Trois vaisseaux, l'un de six vingts tonneaux, l'autre de
cent, l'autre de soixante.» (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p.
60.)]

[Note 24: René de Laudonniere, gentilhomme poitevin, qui avait
accompagné Ribaut en 1562.]

[Note 25: «Du Havre de Grâce.» (Lescarbot.)]

[Note 26: «En l'honneur de Charles IX, ce fort reçut le nom de Caroline,
qui s'est conservé et a été plus tard donné à deux des états de la
république américaine.» (M. Ferland, Cours d'Hist., I, 51.)]

         Pendant le temps que les vaisseaux estoient en ce lieu, se
         firent des conspirations contre Laudonniere, qui furent
         descouvertes: & toutes choses remises, Laudonniere se délibère
         de renvoyer ses vaisseaux en France, & laissa pour y commander
         le Capitaine Bourdet, lequel singlant en haute mer pour achever
         son voyage, laissant là Laudonniere, avec ses compagnons,
         partie desquels se mutinèrent de telle façon, qu'ils menacèrent
         de faire mourir leur Capitaine, s'il ne leur permettoit d'aller
         ravager vers les isles des Vierges, & Sainct Dominique, force
         luy fut leur permettre, & donner congé. Ils se mettent en une
         petite barque, font quelque proye sur les vaisseaux Espagnols,
         & après qu'ils eurent bien couru toutes ces isles, ils furent
         contraints s'en retourner au fort de la Caroline, où estans
         arrivez, Laudonniere fit prendre quatre des principaux
         seditieux, qui furent exécutez à mort. En suitte de ces
19/675   malheurs, les vivres venans à leur manquer, ils souffrirent
         beaucoup jusques en May, sans avoir aucun secours de France; &
         estans contraints d'aller chercher des racines dans les bois
         l'espace de six sepmaines, en fin ils se resolurent de bastir
         une barque pour estre preste au mois d'Aoust, & avec icelle
         retourner en France.

         Cependant la famine croissait de plus en plus, & ces hommes
         devenoient si foibles & débiles, qu'ils ne pouvoient presque
         parachever leur travail; qui les occasionna d'aller chercher à
         vivre parmy les Sauvages, qui les traittoient fort mal, leur
         survendant les vivres beaucoup plus qu'ils ne valloient, se
         rians & moquans des François, qui ne souffroient ces moqueries
         qu'à regret. Laudonniere les appaisoit le plus doucement qu'il
         pouvoit: mais quoy qu'il en fust, il fallut avoir la guerre
         avec les Sauvages, pour avoir dequoy te substanter, & firent si
         bien qu'ils recouvrerent du bled d'Inde, qui leur donna courage
         de parachever leur vaisseau: cela fait, ils se mirent à ruiner
         & démolir le fort, pour s'en retourner en France. Comme ils
         estoient sur ces entre-faites, ils apperceurent quatre voiles,
         & craignans au commencement que ce ne fussent Espagnols, en fin
         ils furent recognus estre Anglois, lesquels voyans la necessité
         des François, les assisterent de commoditez, & mesmes les
         accommodèrent de leurs vaisseaux. Ceste courtoisie remarquable
         fut faite par le chef de cet embarquement, qui s'appelloit Jean
20/676   Hanubins[27]. Les ayant accommodez au mieux qu'il peut, leve
         les anchres, met à la voile, pour parachever le dessein de son
         voyage.

[Note 27: Hawkins. «Somme, dit Lescarbot, il ne se peut exprimer au
monde de plus grande courtoisie que celle de cet Anglois, appellé Jean
Hawkins, duquel si j'oubliois le nom, je penserois avoir contre lui
commis ingratitude.» (Hist. de la Nouv. France, p. 106, 107.)]

         Comme Laudonniere estoit prest de s'embarquer avec tes
         compagnons, il apperceut des voiles en mer; & estant en
         impatience de sçavoir qui ils estoient, on recognut que
         c'estoit le Capitaine Ribaus, qui venoit donner secours à
         Laudonniere. Les resjouissances de part & d'autre furent
         grandes, voyans renaistre leur esperance, qui sembloit
         auparavant estre du tout perdue, mais fort faschez d'avoir fait
         démolir leur fort. Ledit Ribaus fit entendre à Laudonniere que
         plusieurs mauvais rapports avoient esté faits de luy, ce qu'il
         recognoissoit estre faux, & eust eu sujet de faire ce qui luy
         estoit commandé, s'il en eust esté autrement.

         C'est tousjours l'ordinaire que la vertu est opprimée par la
         medisance des meschans, qui en fin les fait recognoistre pour
         tels, & mesprisez d'un chacun: l'on sçait assez combien cela a
         apporté de troubles aux conquestes des Indes, tant envers
         Christoffe Colomb, que depuis contre Ferdinand Cortais, &
         autres, qui blasmez à tort, se justifierent en fin devant
         l'Empereur. C'est pourquoy l'on ne doit adjouster foy
         légèrement, premier que les choses n'ayent esté bien examinées,
         recognoissant tousjours le mérite & la valeur des généreux
         courages, qui se sacrifient pour Dieu, leur Roy & leur patrie,
         comme firent ceux-cy qui estans recognus de l'Empereur, mal-gré
         l'envie, les honora de bien, & de belles & honorables charges,
         pour leur donner courage de bien faire, à d'autres l'envie de
         les imiter, & au meschant de s'amender.

21/677   Cependant que Laudonniere & Ribaus estoient à consulter pour
         faire descharger leurs vivres, voicy que le 4 Septembre 1565.
         l'on apperceut six voiles, qui sembloient estre grand
         vaisseaux, & furent recognus pour estre Espagnols [28], qui
         vinrent mouiller l'anchre à la rade où les quatre vaisseaux de
         Ribaus&8s recognoissans que partie des soldats estoient à
         terre, ils tirèrent des coups de canon sur les nostres: qui fit
         qu'estans avec peu de force, coupèrent le câble sur les
         ecubiers, & mettent à la voile: ce que font aussi les
         Espagnols, qui les chassent tous le lendemain. Et comme nos
         vaisseaux estoient meilleurs voliers qu'eux, ils retournèrent à
         la coste, prennent port à une riviere distante de huict lieues
         du fort de la Caroline, & nos vaisseaux retournèrent à la
         riviere de May. Cependant trois des vaisseaux Espagnols
         estoient venus à la rade, où ils firent descendre leur
         infanterie, vivres, & munitions.

[Note 28: Ces six vaisseaux espagnols étaient commandés par Don Pedro
Menendez de Avilez, l'un des meilleurs officiers de la marine
espagnole.]

         Le Capitaine Ribaus, contre l'advis de Laudonniere, qui luy
         representoit les inconveniens qui pouvoient arriver, tant pour
         les grands vents qui regnoient ordinairement en ce temps là,
         que pour autre sujet, quoy que ce soit un traict d'opiniastre,
         ne voulant faire qu'à sa volonté, sans conseil, chose
         tres-mauvaise en telles affaires, il se délibère de voir
         l'Espagnol, & le combatre à quelque prix que ce fust. A cet
         effect il fit équiper ses vaisseaux d'hommes, & de tout ce qui
         luy estoit necessaire, s'embarqua le 8. Septembre, laissant les
22/678   siens fort incommodez de toutes choses, & Laudonniere assez
         malade, qui ne laissoit pas de donner courage tant qu'il peut à
         ses soldats, & les exhorter à se fortifier au mieux qu'ils
         pourroient, pour resister aux forces de leur ennemy, lequel se
         mit en estat de venir attaquer Laudonniere le 20 Septembre,
         auquel temps il fit une pluye fort violente, & si continuelle,
         que les nostres fatiguez d'estre en sentinelle, se retirèrent
         de leur faction, croyans aussi que les ennemis ne viendroient
         durant un temps si mauvais & impétueux. Quelques-uns allans sur
         le rampart appercevans les Espagnols venir à eux, crient
         _allarme, allarme, l'ennemy vient_. A ce cry Laudonniere se met
         en estat de les attendre, & encourage les siens au combat, qui
         voulurent soustenir deux bresches qui n'estoient encores
         remparées: mais en fin ils furent forcez, & tuez. Laudonniere
         voyant ne pouvoir plus soustenir, en esquivant pensa estre tué,
         & se sauve dans les bois avec les Sauvages, où il trouva nombre
         de ses soldats, qu'il r'allia avec beaucoup de peine.
         S'acheminant par des palus & marescages difficiles, fait tant
         qu'il arrive à l'entrée de la riviere de May, où estoit un
         vaisseau, y commandant un Nepveu du Capitaine Ribaus[29], qui
         n'avoit peu gaigner que ce lieu, pour la grande tourmente. Les
         autres vaisseaux furent perdus à la coste; comme aussi
         plusieurs soldats & mariniers, Ribaus pris, avec beaucoup
         d'autres, qu'ils firent mourir cruellement & inhumainement & en
         pendirent aucuns, avec un escriteau sur le dos, portant ces
23/679   mots: _Nous n'avons pas fait pendre ceux-cy comme François,
         mais comme Luthériens, ennemis de la foy._

[Note 29: Jacques Ribaut.]

         Laudonniere voyant tant de desastres, délibere s'en retourner
         en France, le 23 Septembre 1565. Il fait lever les anchres, met
         souz voile le 11 de Novembre[30], & arrive proche de la coste
         d'Angleterre, où se trouvant malade, se fit mettre à terre pour
         recouvrer sa santé, & de là venir en France faire son rapport
         au Roy. Cependant les Espagnols se fortifient en trois
         endroits, pour s'asseurer contre tout evenement. Nous verrons
         au chapitre suivant le chastiment que Dieu rendit aux
         Espagnols, pour l'injustice & cruauté dont ils userent envers
         les François.

[Note 30: «L'onzième de Novembre ilz se trouverent à soixante-quinze
brasses d'eau... sur la côte d'Angleterre.» (Lescarbot, Hist. de la
Nouv. France, p. 116.)]



         _Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut
         des Espagnols en la cruauté qu'ils exercerent envers les
         François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de
         Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est
         assailly des Espagnols, qu'il défait & les traitte comme ils
         avoient fait les François._

                            CHAPITRE IIII.

         Le Roy sçachant l'injustice & les ignominies faites aux
         François ses subjects par les Espagnols, comme j'ay dit cy
         dessus, eut raison d'en demander justice & satisfaction à
         Charles V. [31] Empereur & Roy d'Espagne, comme estant un
24/680   outrage fait au prejudice de ce que les Espagnols leur
         avoient promis, de ne les inquiéter ny molester en la
         conservation de ce qu'avec tant de travail ils s'estoient
         acquis en la Nouvelle France, suivant les commissions du Roy
         de France leur maistre, que les Espagnols n'ignoroient point;
         & neantmoins les firent mourir ainsi ignominieusement, souz le
         pretexte specieux qu'ils estoient Luthériens, à leur dire,
         quoy qu'ils fussent meilleurs Catholiques qu'eux[32], sans
         hypocrisie, ny superstition, & initiez en la foy Chrestienne
         plusieurs siecles devant que les Espagnols.

[Note 31: C'était alors Philippe II, fils de Charles V, qui régnait en
Espagne. Il avait, comme son père, les titres d'empereur d'Allemagne et
de roi d'Espagne.]

[Note 32: Voici comme Menendez rend compte lui-même, au roi d'Espagne,
des motifs de sa conduite. «J'ai sauvé la vie à deux jeunes gens
d'environ dix-huit ans, et à trois autres, le fifre, le tambour et le
trompette, et j'ai passé au fil de l'épée Jean Ribaut, avec tous les
autres, jugeant la chose utile au service de Notre Seigneur et de Votre
Majesté, et j'estime que sa mort est d'un grand avantage, car le roi de
France pouvait plus avec lui et cinq cents ducats, qu'avec d'autres et
cinq mille, et il pouvait plus en un an, qu'un autre en dix; c'était en
effet le plus habile marin et commandant que l'on connût, et d'une
grande adresse dans cette navigation des Indes et des côtes de la
Floride; il était si aimé en Angleterre, qu'il y fut nommé capitaine
général de toute l'armée anglaise contre les catholiques de France,
dans la guerre qui a eu lieu, il y a quelques années, entre
l'Angleterre et la France.» (_Carta de Pedro Menendez, apud_ F. Parkman,
_Pioneers_, p. 132.)]

         Sa Majesté dissimula cette offence pour un temps, pour avoir
         les deux Coronnes quelques differents à vuider auparavant, &
         principalement avec l'Empereur, qui empescha que l'on ne tiraft
         raison de telles inhumanitez.

         Mais comme Dieu ne delaisse jamais les tiens, & ne laisse
         impunis les traittemens barbares qu'on leur fait souffrir,
         ceux-cy furent payez de la mesme monnoye qu'ils avoient payé
         les François.

         Car en l'an 1567, se presenta le brave Chevalier de
         Gourgues[33], qui plein de valeur & de courage, pour venger cet
25/681   affront fait à la nation Françoise; & recognoissant qu'aucun
         d'entre la Noblesse, dont la France foisonne, ne s'offroit pour
         tirer raison d'une telle injure, entreprint de le faire. Et
         pour ne faire cognoistre du commencement son dessein, fit
         courir le bruit qu'un embarquement se faisoit pour quelque
         exploict qu'il vouloit faire en la coste d'Afrique. Pour ce
         sujet nombre de matelots & soldats s'assemblent à Bourdeaus, où
         se faisoit tout l'appareil de mer: il se pourveut & fournit de
         toutes les choses qu'il jugea estre necessaires en ce voyage.

[Note 33: «Dominique de Gourgues, gentilhomme gascon, né au
Mont-de-Marsan, dans le comté de Comminges d'une famille distinguée de
tout temps par un attachement inviolable à l'ancienne religion: lui-même
ne s'en éloigna jamais, quoique le dernier historien espagnol de la
Floride l'ait accusé d'avoir été hérétique furieux.» (Charlevoix, Hist.
de la Nouv. France, liv. II.)]

         Son embarquement se fit le 23 Aoust de la mesme année en trois
         vaisseaux, ayant avec luy 250 hommes[34]. Estant en mer, il
         relascha à la coste d'Afrique, soit pour se rafraischir, ou
         autrement, mais ce ne fut pas pour long temps: car incontinent
         il fit voile, & fait publier par quelques siens amis affidez,
         qu'il avoit changé son premier dessein en un autre plus
         honorable que celuy de la coste d'Afrique, moins périlleux, &
         plus facile à exécuter: & au lieu où il avoit relasché, il eut
         advis que ce qu'il disoit deplaisoit à plusieurs des siens, qui
26/682   croyoient que le voyage estoit rompu, & qu'il faudroit s'en
         retourner sans rien faire: toutesfois ils avoient tous grand
         desir de tenter quelque autre dessein.

[Note 34: «Il s'embarqua à Bourdeaux le second jour d'aoust... & descend
le long de la riviere à Royan à vingt lieues de Bourdeaux, où il fait sa
monstre, tant de soldats que de mariniers. Il y avoit cent
harquebouziers aians tous harquebouze de calibre & morrion en teste,
dont plusieurs estoient gentilshommes, & quatre vingtz mariniers...
Après la monstre faicte, le Cappitaine Gourgue donne le rendez-vous
accoustumé en telles expéditions. Mais ainsi qu'il estoit prest à
partir, se leve ung vent contraire qui le contrainct de sejourner huict
jours à Roian, ce vent estant un peu remis il se meit sur mer pour faire
voille; mais bientost après il fut repoussé vers la Rochelle, & ne
pouvant mesme estre à la radde de la Rochelle pour la violance du temps,
il fut contrainct de se retirer à la bouche de la Charente, & sejourner
là huict jours... Le vingt-deuxiesme jour d'aoust, le vent estant cessé,
& le ciel donnant apparence d'un plus doulx temps pour l'advenir, il se
remect sur mer.» (_La reprinse de la Floride_, Ternaux-Compans, p.
309, 310.)]

         Le Sieur de Gourgues sçachant la volonté de ses compagnons, qui
         ne perdoient point courage, & estant asseuré de son équipage,
         trouva à propos d'assembler son conseil, auquel il fit entendre
         la raison pourquoy il ne pouvoit exécuter ce qu'il avoit
         entrepris, qu'il ne falloit plus songer à ce dessein: mais
         aussi que de retourner en France sans avoir rien fait, il n'y
         avoit point d'apparence. Qu'il sçavoit une autre entreprise non
         moins glorieuse que profitable, à des courages tels qu'ils en
         avoit en ses vaisseaux, & de laquelle la mémoire seroit
         immortelle, qui estoit un exploict des plus signalez qui se
         puisse faire: chacun brusloit d'ardeur & de desir de voir
         l'effect de ce qu'il disoit; & leur fit entendre que s'il
         estoit bien assisté en ceste louable entreprise, il se
         sentiroit fort glorieux de mourir en l'exécutant. Et voulant
         ledit Sieur de Gourgues leur déclarer son dessein, les ayant
         tous fait assembler, parla ainsi. «Mes compagnons & fidèles
         amis de ma fortune, vous n'estes pas ignorans combien je chéris
         les braves courages comme vous, & l'avez assez tesmoigné par la
         belle resolution que vous avez prise de me suivre & assister en
         tous les périls & hazards honorables que nous aurons à souffrir
         & essuyer, lors qu'ils se presenteront devant nos yeux, &
         l'estat que je fais de la conservation de vos vies; ne desirant
         point vous embarquer au risque d'une entreprise que je sçaurois
27/683   réussir à une ruine sans honneur: ce seroit à moy une trop
         grande & blasmable témérité, de hazarder vos personnes à un
         dessein d'un accez si difficile, ce que je ne croy pas estre,
         bien que j'aye employé une bonne partie de mon bien & de mes
         amis, pour équiper ces vaisseaux, & les mettre en mer, estant
         le seul entrepreneur de tout le voyage. Mais tout cela ne me
         donne pas tant de sujet de m'affliger, comme j'en ay de me
         resjouir, de vous voir tous resolus à une autre entreprise, qui
         retournera à vostre gloire, sçavoir d'aller venger l'injure que
         nostre nation a receue des Espagnols, qui ont fait une telle
         playe à la France, qu'elle saignera à jamais, par les supplices
         & traictemens infames qu'ils ont fait souffrir à nos François,
         & exercé des cruautez barbares & inouïes en leur endroit. Les
         ressentimens que j'en ay quelquefois, m'en font jetter des
         larmes de compassion, & me relevent le courage de telle sorte,
         que je suis resolu, avec l'assistance de Dieu, & la vostre, de
         prendre une juste vengeance d'une telle felonnie & cruauté
         Espagnolle, de ces coeurs lasches & poltrons, qui ont surpris
         mal-heureusement nos compatriotes, qu'ils n'eussent osé
         regarder sur la defense de leurs armes. Ils sont assez mal
         logez, & les surprendrons aisément. J'ay des hommes en mes
         vaisseaux qui cognoissent très-bien le païs, & pouvons y aller
         en seureté. Voicy, chers compagnons, un subject de relever nos
         courages, faites paroistre que vous avez autant de bonne
         volonté à exécuter ce bon dessein, que vous avez d'affection à
         me suivre: ne serez vous pas contents de remporter les lauriers
         triomphans de la despouille de nos ennemis?»

28/684   Il n'eut pas plustost achevé de parler, que chacun de joye
         s'escrierent: «Allons où il vous plaira, il ne nous pouvoit
         arriver un plus grand plaisir & honneur que celuy que vous nous
         proposez, & mille fois plus honorable qu'on ne se peut
         imaginer, aimans beaucoup mieux mourir en la poursuitte de
         cette juste vengeance de l'affront qui a esté fait à la France,
         que d'estre blessez en une autre entreprise; tout nostre plus
         grand souhait est de vaincre ou mourir, en vous tesmoignant
         toute sorte de fidélité: commandez ce que vous jugerez estre
         plus expédient, vous avez des soldats qui ont du courage de
         reste pour effectuer ce que vous direz: nous n'aurons point de
         repos jusques à ce que nous nous voyons aux mains avec
         l'ennemy.»

         La joye creut plus que jamais dans les vaisseaux. Le sieur de
         Gourgues fait changer la routte, & tirer quelques coups de
         canon, pour commencer la resjouissance, & donner courage à tous
         les soldats: & alors ce généreux Chevalier fait singler vers
         les costes de la Floride, & fut tellement favorisé du beau
         temps, qu'en peu de jours il arriva proche du fort de la
         Caroline, & le jour apperceu, les Sauvages du pays firent voir
         force fumées, jusques à ce que le Le sieur de Sieur de Gourgues
         eust fait abbaisser les voiles, & mouiller l'anchre. Il envoya
         à terre s'informer des Sauvages de l'Estat des Espagnols, qui
         estoient fort ailes de voir le sieur de Gourgues resolu de les
         attaquer. Ils asseurerent qu'ils estoient en nombre de 400,
         très bien armez, & pourveus de tout ce qui leur estoit
29/685   necessaire. Puis s'estant fait instruire de la façon en
         laquelle les Espagnols estoient campez, il commença d'ordonner
         ses gens de guerre pour les assaillir. Voyons s'ils auront le
         courage de soustenir le Sieur de Gourgues, comme ils firent
         Laudonniere, mal pourveu de munitions, & de ce qui luy estoit
         necessaire.

         Doncques le Sieur de Gourgues se faisant conduire par ses
         hommes, & de quelques Sauvages par l'espaisseur des bois, sans
         estre apperceu des Espagnols, fait recognoistre les places, &
         l'estat auquel elles estoient: & le Samedy d'auparavant
         _Quasimodo_[35], au mois d'Avril 1568. attaque furieusement les
         deux forts[36],& se dispose de les avoir par escalade, en quoy
         il trouva grande resistance: & le combat s'eschauffant, ce fut
         alors que parut le courage de nos François, qui se jettoient à
         corps perdu parmy les coups, tantost repoussez, puis reprenans
         coeur retournent au combat avec plus de valeur qu'auparavant.
         Bien attaqué, mieux défendu. La mort ny les blesseures ne les
         fait point paslir, ny ne leur fait perdre le sens, ny la
         vaillance.

[Note 35: Le samedi d'avant la _Quasimodo_ était le 24 d'avril.]

[Note 36: Outre le grand fort de la Caroline, les Espagnols en avaient
élevé deux petits, pour protéger l'entrée de la rivière de May, comme on
l'apprit de la bouche d'un jeune français, Pierre Debré, natif du
Havre-de-Grâce, qui était demeuré parmi les sauvages. (Reprinse de la
Floride, Tern.-Compans, p. 332.) Ces deux petits forts furent emportés
du premier coup le même jour 24 avril. De Gourgues laissa reposer ses
soldats le dimanche et le lundi, et commença par assurer cette première
victoire avant d'entreprendre l'attaque du grand fort.]

         Nostre généreux Chevalier de Gourgues le coutelas à la main,
         leur enflamme le courage, & comme un lion hardy à la teste des
         tiens gaigne le dessus du rampart, repousse les Espagnols, se
         fait voye parmy eux. Ses soldats se suivent, & combattent
         vaillamment, entrent de force dans les deux forts, tuent
30/686   tout ce qu'ils rencontrent: de sorte que le reste de ceux qui y
         moururent & s'enfuirent, demeurèrent prisonniers des François;
         & ceux qui pensoient se sauver dans les bois, furent taillez en
         pièces par les Sauvages, qui les traitterent comme ils avoient
         fait les nostres. Deux jours après le sieur de Gourgues se rend
         maistre du grand fort, que les ennemis avoient abandonné, après
         quelque resistance, desquels partie furent tuez, les autres
         prisonniers.

         Ainsi demeurant victorieux, & estant venu à bout d'une si
         glorieuse entreprise, se ressouvenant de l'injure que les
         Espagnols avoient faite aux François, en fit pendre
         quelques-uns, avec des escriteaux sur le dos, portans ces mots:
         _Je n'ay pas fait pendre ceux-cy comme Espagnols, mais comme
         pirates bandoliers & escumeurs de mer_[37] Après ceste
         exécution, il fit démolir & ruiner les forts(38), puis
         s'embarque pour revenir en France, laissant au coeur des
         Sauvages un regret immortel de se voir privez d'un si magnanime
31/687   Capitaine. Son partement fut le 30 de May[39] 1568 & arriva à
         la Rochelle le 6 de Juin, & de là à Bourdeaus, où il fut receu
         aussi honorablement, & avec autant de joye, que jamais
         Capitaine auroit esté.

[Note 37: «Ils sont branchez aux mesmes arbres où ils avoient penduz les
François, & au lieu d'un escriteau que Pierre Malendez y avoit faict
mettre contenant ces mots en langage Espaignol: _Je ne faicts cecy comme
à François mais comme à Luthériens_, le cappitaine Gourgue faict graver
en une table de sapin avec ung fer chault: Je ne faicts cecy comme à
Espaignols, n'y comme à Marannes; mais comme à traistres, volleurs &
meurtriers.» (Manuscrit de Gourgues.) On sait que Maran ou Marane était
un terme de mépris que les Espagnols donnaient aux Maures, et, par
suite, à tous les malfaiteurs.]

[Note 38: De Gourgues eut l'adresse d'intéresser les sauvages à la ruine
de ces forts. «Affin, dit le manuscrit déjà cité, que les sauvaiges ne
trouvassent mauvais que les fortz fussent ruynez, ains qu'en estant bien
aises ils les ruynassent eulx-mesmes, il assemble les Rois, & leur aiant
remonstré du commencement comment il leur avoit tenu promesse, & les
avoit vengez de ceulx qui les avoient tirannisez si cruellement, il vint
tomber puis après sur le propos de ruyner les forts, employant tout ce
qui pouvoit servir à leur persuader que tout ce qu'il en vouloit faire
estoit pour leur proffit & en haine de tant de meschancetez & cruaultez
que les Espaignols y avoient commises. A quoy ils presterent si
volontiers l'oreille, que le Cappitaine Gourgue n'eut pas plustost
achevé de parler, qu'ils s'en coururent droict au fort, crians &
appellans leurs subjects après eulx, où ils feirent telle diligence
qu'en moing d'ung jour ils ne laisserent pierre sur pierre.»]

[Note 39: «Le troisiéme jour de May (ung lundi), le rendez-vous fut
donné comme l'on a accoustumé de faire sur mer, & les anchres levées
firent voilles, & eurent le vent si propre qu'en dix-sept jours ils
firent unze cens lieues de mer, & depuis continuantz leur navigation
arrivèrent à la Rochelle le lundy sixiéme jour de juing...» (Reprinse de
la Floride.)]

         Mais il n'est si tost arrivé en France, que l'Empereur envoya
         au Roy demander justice de ses subjects, que le Sieur de
         Gourgues avoit fait pendre en l'Inde Occidentale: dequoy sa
         Majesté fut tellement irritée, qu'elle menaçoit ledit Sieur de
         Gourgues de luy faire trencher la teste, & fut contraint de
         s'absenter pour quelque temps, pendant lequel la colère du Roy
         se passa: & ainsi ce généreux Chevalier repara l'honneur de la
         nation Françoise, que les Espagnols avoient offensée: ce
         qu'autrement eust esté un regret à jamais pour la France, s'il
         n'eust vengé l'affront receu de la nation Espagnolle.
         Entreprise genereuse d'un Gentil-homme, qui l'exécuta à ses
         propres cousts & despens, seulement pour l'honneur, sans autre
         esperance: ce qui luy a réussi glorieusement, & ceste gloire
         est plus à priser que tous les tresors du monde [40].

[Note 40: «Il est fâcheux cependant pour sa gloire,» remarque
M. Ferland, «que de Gourgues ait imité la conduite des Espagnols, en
livrant ses prisonniers à la mort; ces tristes représailles ne sauraient
être approuvées par la justice, puisque souvent elles tombent sur des
innocents, plutôt que sur les coupables.» (Cours d'Hist. du Canada, I,
57.)]

         On a remarqué aux voyages de Ribaus & de Laudonniere de grands
         défauts & manquemens. Ribaus fut blasmé au sien, pour n'avoir
         porté des vivres que pour dix mois, sans donner ordre de faire
         défricher les terres, & les rendre aptes au labourage, pour
         remédier aux disettes qui peuvent survenir, & aux périls que
         courent les vaisseaux sur mer, ou bien pour le retardement de
32/688   leur arrivée en saison convenable, pour soulager les
         necessitez, qui en fin reduisent les entrepreneurs à de grandes
         extremitez, jusques à estre homicides les uns des autres, pour
         se nourrir de chair humaine, comme ils firent en ce voyage, qui
         causerent de grandes mutineries des soldats contre leur chef, &
         ainsi le désordre & la desobeissance régnant parmy eux, en fin
         ils furent contraints (quoy qu'avec un regret incroyable, &
         après une perte notable  d'hommes & de biens) d'abandonner les
         terres & possessions qu'ils avoient acquises en ce pays; & tout
         cela, faute d'avoir pris leurs mesures avec jugement & raison.

         L'experience fait voir qu'en tels voyages & embarquemens les
         Roys & les Princes, & les gens de leur conseil qui les ont
         entrepris, avoient trop peu de cognoissance és exécutions de
         leurs desseins. Que s'il y en a eu d'experimentez en ces
         choses, ils ont esté en petit nombre, pource que la plus-part
         ont tenté telles entreprises sur les vains rapports de quelques
         cajoleurs, qui faisoient les entendus en telles affaires, dont
         ils estoient tres-ignorans, seulement pour se rendre
         considerables: car pour les commencer, & terminer avec honneur
         & utilité, faut consommer de longues années aux voyages de mer,
         & avoir l'expérience de telles descouvertes[41].

[Note 41: Dans la plupart des exemplaires de l'édition originale, ce
passage se termine là. Mais quelques-uns renferment la phrase censurée
qui obligea l'auteur de réimprimer les feuilles DII et DIII, et qui
finissait ainsi; «... de telles descouvertes; ce que n'ont pas les
grands hommes d'estat, qui sçavent mieux manier & conduire le
gouvernement & l'administration d'un Royaume, que celle de la
navigation, des expéditions d'outre-mer, & des pays loingtains, pour ne
l'avoir jamais practiqué.» (H. Stevens, _Historical Nuggets_, I, 131.)]

         La plus grande faute que fit Laudonniere, qui y alloit à
33/689   dessein d'y hyverner, fut de n'estre fourny que de peu de
         vivres, au lieu qu'il se devoit gouverner sur l'exemple de
         l'hyvernement du Capitaine Albert à Charles-fort, que Ribaus
         laissa si mal pourveu de toutes choses; & ces manquemens
         arrivent ordinairement en telles entreprises, pour s'imaginer
         que les terres de ces pays là rapportent sans y semer; joint à
         cela, qu'on entreprend mal à propos tels voyages sans practique
         ny expérience. Il y a bien de la différence à bastir de tels
         desseins en des discours de table, parler par imagination de la
         scituation des lieux, de la forme de vivre des peuples qui les
         habitent, des profits & utilitez qui s'en retirent; envoyer des
         hommes au delà des mers en des pays loingtains, traverser des
         costes & des isles incognues, & se former ainsi telles chimères
         en l'esprit, faisans des voyages & des navigations idéales &
         imaginaires; ce n'est pas là le chemin de sortir à l'honneur de
         l'exécution des descouvertes: il faut auparavant meurement
         considerer les choses qui se presentent en telles affaires,
         communiquer avec ceux qui s'en sont acquis de grandes
         cognoissance, qui sçavent les difficultez & les périls qui s'y
         rencontrent, sans s'embarquer ainsi inconsiderément sur de
         simples rapports & discours. Car il sert de peu de discourir
         des terres lointaines, & les aller habiter, sans les avoir
         premièrement descouvertes, & y avoir demeuré du moins un an
         entier, afin d'apprendre la qualité des pays, & la diversité
         des saisons, pour par après y jetter les fondemens d'une
         Colonie. Ce que ne font pas la plus-part des entrepreneurs &
         voyageurs, qui se contentent seulement de voir les costes & les
         élevations des terres en passant, sans s'y arrester.

34/690   D'autres entreprennent telles navigations sur de simples
         relations, faites à des personnes, qui, quoy que bien entendues
         dans les affaires du monde, & ayent de grandes & longues
         expériences, neantmoins estans ignorans en celles-cy, croyent
         que toutes choses se doivent gouverner selon les élevations des
         lieux où ils sont, & c'est en quoy ils se trouvent grandement
         trompez: car il y a des changemens si estranges en la nature,
         que ce que nous en voyons nous fait croire ce qui en est. Les
         raisons de cela sont fort diverses & en grand nombre, qui est
         cause que j les passeray souz silence. J'ay dit cecy en
         passant, afin que ceux qui viendront après nous, & qui
         bastiront de nouveaux desseins, s'en servent, & les
         considerent: de sorte que lors qu'ils s'y embarqueront, la
         ruine & la perte d'autruy leur serve d'exemple, &
         d'apprentissage.

         Le troisiesme défaut, & le plus prejudiciable, est en ce que
         fit Ribaus, de n'avoir fait descharger les vivres & munitions
         qu'il avoit apportez pour Laudonniere & ses compagnons, avant
         que s'exposer au risque de perdre tout, comme il fit (quoy
         qu'il n'y allast pas pour combatre l'ennemy) mais demeurer
         tousjours sur la defensive, aider avec ses hommes à
         Laudonniere, se fortifier, & attendre de pied ferme ceux qui le
         viendroient assaillir: pouvant bien juger que puis que son
         dessein estoit de prendre le Fort, qu'il devoit estre plus fort
         que ceux qui le gardoient, sans s'exposer inconsiderément au
         péril & à la fortune & eust mieux fait de recognoistre les
         forces de l'ennemy avant qu'il l'allast attaquer, & qu'il ne
35/691   fust asseuré de la victoire. Mais au contraire ayant mesprisé
         les conseils de Laudonniere, qui estoit plus expérimenté que
         luy en la cognoissance des lieux, il luy en prit très-mal.

         Davantage, en telles entreprises les vaisseaux qui portent les
         vivres & les munitions de guerre pour une Colonie, doivent
         tousjours faire leur routte le plus droit qu'il est possible,
         sans se détourner pour donner la chasse à quelque autre
         vaisseau, d'autant que s'il se faut battre, & qu'ils viennent à
         se perdre, ce mal-heur ne leur sera pas seulement particulier,
         mais ils mettent la Colonie en danger d'estre perdue, & les
         hommes contraints d'abandonner toutes choses, se voyans réduits
         à souffrir une mort miserable, causée par la faim, qui les
         assailliroit faute de vivres, pour ne s'estre pourveus & munis
         du moins pour deux ans, en attendant que la terre soit
         défrichée, pour nourrir ceux qui sont dans le pays. Fautes
         très-grandes, qui sont semblables à celles qu'ont faites ces
         nouveaux entrepreneurs, qui n'ont fait défricher aucunes
         terres, ny trouvé moyen de le faire depuis vingt-deux ans[42]
         que le pays est-habité, n'ayans eu autre pensée qu'à tirer
         profit des pelleteries: & un jour arrivera qu'ils perdront tout
         ce que nous y possedons. Ce qui est aisé à juger si le Roy n'y
         fait ordonner un bon règlement.

[Note 42: Ce passage est une nouvelle preuve que l'édition de 1632 a été
commencée peu de temps après la prise de Québec; car, au printemps de
1630, il y avait juste vingt-deux ans que notre auteur était parti de la
vieille France, pour venir fonder, dans la nouvelle, cette petite
habitation de Québec, que l'avarice des sociétés marchandes tint jusqu'à
cette époque dans un état de faiblesse qui lui fait dire ici: «Un jour
arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons... si le Roy n'y
fait ordonner un bon règlement.»]

         Ce sont les plus grands défauts qui se peuvent remarquer és
         premiers voyages, & les suivans n'ont esté gueres plus heureux.

36/692

         _Voyage, que fit faire le Sieur de Roberval. Envoye Alphonse
         Sainctongeois vers Labrador. Son partement: son arrivée.
         Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort,
         pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la
         Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son
         entreprise._

                                CHAPITRE V.

         L'An 1541[43] le Sieur de Roberval ayant renouvellé cette
         saincte entreprise, envoya Alphonse Sainctongeois (homme des
         plus entendus au faict de la navigation qui fust en France de
         son temps) qui voulut par ses descouvertes voir & rencontrer
         plus au Nort un passage vers Labrador. Il fit équiper deux[44]
         bons vaisseaux de ce qui luy estoit necessaire pour ceste
         descouverte, & partit audit an 1541.[45] Et après avoir navigé
         le long des costes du Nort, & terres de Labrador, pour trouver
         un passage qui peust faciliter le commerce avec les Orientaux,
         par un chemin plus court que celuy que l'on fait par le Cap de
         bonne esperance, & destroit de Magellan, les obstacles
         fortunez, & le risque qu'il courut à cause des glaces, le fit
         retourner sur ses brisées, & n'eut pas plus dequoy se glorifier
         que Cartier.

[Note 43: Cinq des vaisseaux qui faisaient partie de l'expédition de M.
de Roberval, partirent en effet de Saint-Malo le 23 mai 1541, sous les
ordres de Jacques Cartier; mais il ne put partir lui-même qu'au
printemps suivant, le 16 avril 1542, avec trois autres vaisseaux; et
Jean Alphonse, son premier pilote, était avec lui. (Hakluyt, III, 232,
237, 240.)]

[Note 44: Trois. (Relation de Roberval.)]

[Note 45: 1542.]

37/693   Ceste seconde entreprise n'estoit que pour decouvrir un
         passage[46], mais l'austre estoit pour le profond des terres, &
         y habiter, s'il se pouvoit; & ainsi ces deux voyages n'ont pas
         réussi. Pour le passage, je n'allegueray point le discours au
         long des nations estrangeres qui ont tenté fortune de trouver
         passage par le Nort, pour aller aux Indes Orientales, comme és
         années 1576, 77 & 78. Messire Martin Forbichet[47] fit trois
         voyages: sept ans aprés Hunfoy Gilbert y fut avec 5 vaisseaux,
         qui se perdit sur l'isle de Sable, où il demeura deux ans[48].
         Après Jean Davis Anglois fit trois voyages, pénétra souz le 72e
         degré, passa par un destroit appellé aujourd'huy de son nom. Un
         autre appellé le Capitaine Georges [49], en l'an 1590. fit ce
         voyage, & fut contraint à cause des glaces de s'en retourner
         sans effect: & quelques autres qui l'ont entrepris, ont eu
         pareille fortune.

[Note 46: Tel était, sans aucun doute, le but auquel aspirait le pilote
saintongeois; mais M. de Roberval avait bien certainement dessein de
fonder une colonie, comme le prouve abondamment la relation de son
voyage.]

[Note 47: Frobisher. La relation de ses trois voyages se trouve dans
Hakluyt, vol. III.]

[Note 48: Sir Humphrey Gilbert périt en ce voyage, l'année même de son
départ. (Hakl. III.)]

[Note 49: D'après Bergeron, le capitaine George Weymouth fit un voyage
pour chercher le passage du nord-ouest, mais en l'année 1602. (Traité
de la Navigation, ch, X.)]

         Quant aux Espagnols & Portugais, ils y ont perdu leur temps.
         Les Hollandois n'en ont pas eu plus certaine cognoissance par
         la nouvelle Zambie du costé de l'Est, pour trouver ce passage,
         que les autres ont perdu tant de temps pour le chercher par
         l'Occident, au dessus des terres dites Labrador.

         Tout cecy n'est que pour faire cognoistre que si ce passage
         tant desiré se fust trouvé, combien cela eust apporté d'honneur
38/694   à celuy qui l'eust rencontré, & de biens à l'Estat ou Royaume
         qui l'eust possedé. Puis donc que nous seuls avons jugé ceste
         entreprise d'un tel prix, elle n'est pas moins à mépriser en ce
         temps cy, & ce qui ne s'est peu faire par un lieu, se peut
         recouvrer par un autre avec le temps, pourveu que sa Majesté
         vueille assister les entrepreneurs d'un si louable dessein. Je
         laisseray ce discours, pour retourner à nos nouveaux conquerans
         au pays de la nouvelle France.

         Le Sieur Marquis de la Roche de Bretagne, poussé d'une saincte
         envie d'arborer l'estendart de Jesus Christ, & y planter les
         armes de son Roy, en l'an 1598[50] prit commission du Roy Henry
         le Grand (d'heureuse mémoire) qui avoit de l'amour pour ce
         dessein, fit équiper quelques vaisseaux, avec nombre d'hommes,
         & un grand attirail de choses necessaires à un tel voyage: mais
         comme ledit Sieur Marquis de la Roche n'avoit aucune
         cognoissance des lieux, que par un pilote de navire appelle
         Chédotel, du pays de Normandie, il mit les gens dudit Sieur
         Marquis sur l'isle de Sable, distante de la terre du Cap Breton
         de 25 lieues au Sud, où cependant les hommes qui resterent en
         ce lieu avec fort peu de commoditez, furent sept ans abandonnez
         sans secours que de Dieu, & furent contraints de se tenir comme
         les renards dans la terre, pour n'y avoir ny bois, ny pierre en
         ceste isle propre à bastir, que le débris & fracas des
         vaisseaux qui viennent à la coste de ladite isle; & vescurent
         seulement de la chair des boeufs & vaches, qu'ils y trouverent
39/695   en quantité, s'y estans sauvez par la perte d'un vaisseau
         Espagnol qui s'estoit perdu voulant aller habiter l'isle du Cap
         Breton; & se vestirent de peaux de loups marins, ayans usé
         leurs habits, & conserverent les huiles pour leur usage, avec
         la pescherie de poisson, qui est abondante autour de ladite
         isle; jusques à ce que la Cour de Parlement de Rouen par arrest
         condamna ledit Chédotel d'aller repasser ces pauvres
         miserables, à la charge qu'il auroit la moitié des commoditez
         de ce qu'ils auroient peu pratiquer pendant leur sejour en
         cette isle, comme cuirs de boeufs, peaux de loups marins,
         huile, renards noirs, ce qui fut exécuté: & revenans en France
         au bout de sept ans, partie vint trouver sa Majesté à Paris,
         qui commanda au Duc de Suilly de leur donner quelques
         commoditez, comme il fit, jusques à la somme de 50 escus, pour
         les encourager de s'en retourner[51].

[Note 50: Le marquis de la Roche avait déjà obtenu une première
commission en 1578. (Voir Voyage 1613, p. 4, note 1.)]

[Note 51: Lescarbot rapporte la chose un peu différemment. «Cependant
ses gens demeurent cinq ans dégradés en ladite isle, se mutinent, &
coupent la gorge l'un à l'autre, tant que le nombre se racourcit de jour
en jour. Pendant lesdits cinq ans ils ont là vécu de pêcherie, & des
chairs des animaux... dont ils en avoient apprivoisez quelques uns qui
leur fournissaient de laictage, & autres petites commoditez. Ledit
Marquis étant délivré fit récit au Roy à Rouen de ce qui lui étoit
survenu. Le Roy commanda à Chef-d'hotel Pilote d'aller recueillir ces
pauvres hommes quand il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit, & en
trouva douze de reste, auxquels il ne dit point le commandement qu'il
avoit du Roy, afin d'attraper bon nombre de cuirs, & peaux de Loups
marins dont ils avoient fait réserve durant lesdites cinq années.
Somme, revenus en France ilz se presentent à sa Majesté vêtus dédites
peaux de Loups-marins. Le Roy leur fit bailler quelque argent, & se
retirèrent. Mais il y eut procès entre eux, & ledit Pilote, pour les
cuirs & pelleteries qu'il avoit extorquées d'eux, dont par après ilz
composerent amiablement.» (Hist. de la Nouv. France, liv. III, ch.
XXXII.--Voir Biographie Générale des hommes illustres de la Bretagne,
par Pol de Courcy, Cours d'Hist. du Canada, par M. Ferland, I, 60,
6l.)]

         Cependant le Marquis de la Roche estant à poursuivre en Cour
         les choses que sa Majesté luy avoit promises pour son dessein,
         elles luy furent déniées par la sollicitation de certaines
         personnes qui n'avoient desir que le vray culte de Dieu
40/696   s'accreust, ny d'y voir florir la Religion Catholique,
         Apostolique & Romaine. Ce qui luy causa un tel desplaisir, que
         pour cela, & autre chose, il se trouva assailly d'une forte
         maladie, qui l'emporta, après avoir consommé son bien & son
         travail, sans en ressentir aucun fruict.

         En ce sien dessein se remarquent deux défauts; l'un, en ce que
         ledit Marquis n'avoit fait descouvrir & recognoistre le lieu
         par quelque homme entendu en telle affaire, & où il devoit
         aller habiter, premier que s'obliger à une despense excessive.
         L'autre, que les envieux qui estoient en ce temps prés du Roy
         en son Conseil, empescherent l'effect & la bonne volonté
         qu'avoit sa Majesté de luy faire du bien. Voila comme les Roys
         sont souvent deceus par ceux en qui ils ont quelque confiance.
         Les histoires du temps passé le font assez cognoistre, &
         ceste-cy nous en peut fournir d'eschantillon. Voicy un
         quatriesme voyage rompu, venons au cinquiesme.



         _Voyage du Sieur de Sainct Chauvin. Son dessein. Remonstrances
         que luy fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy.
         Retour de S. Chauvin & du Pont en France, Second voyage de
         Chauvin: son entreprise._

                               CHAPITRE VI.

         UN an après, l'an 1599, le Sieur Chauvin de Normandie,
         Capitaine pour le Roy en la marine, homme très-expert & entendu
         au faict de la navigation (qui avoit servy sa Majesté aux
41/697   guerres passées, quoy qu'il fust de la religion pretendue
         reformée) entreprit ce voyage souz la commission de sadite
         Majesté, à la sollicitation du Sieur du Pont Gravé, de Sainct
         Malo (fort entendu aux voyages de mer, pour en avoir fait
         plusieurs) accompagnez d'autres vaisseaux jusques à Tadoussac,
         quatre vingts dix lieues à mont la riviere, lieu où ils
         faisoient trafic de pelleterie & de castors, avec les Sauvages
         du pays, qui s'y rendoient tous les printemps: ledit du Pont
         desireux de trouver moyen de rendre ce trafic particulier, va
         en Cour rechercher quelqu'un d'authorité & pouvoir eminent
         auprés du Roy, pour obtenir une commission, portant que le
         trafic de ceste riviere seroit interdit à toutes personnes,
         sans la permission & consentement de celuy qui seroit pourveu
         de ladite commission, à la charge qu'ils habiteroient le pays,
         & y feroient une demeure. Voila un commencement de bien faire,
         sans qu'il en couste rien au Roy, si ce qui est en ladite
         commission s'effectue, ayant dessein d'y mener cinq cents
         hommes, pour s'y fortifier & défendre le pays. Le Roy qui avoit
         grande confiance en cet entrepreneur, qui neantmoins pretendoit
         n'y faire que la moindre despense qu'il pourroit, pour souz le
         prétexte d'habiter, & exécuter tout ce qu'il promettoit,
         vouloit priver tous les sujects du Royaume de ce trafic, &
         retirer luy seul les castors. Et pour donner un esclat à ceste
         affaire, se met en devoir de l'exécuter. Les vaisseaux
         s'équipent de choses les plus necessaires qu'il croit estre
         propres à son entreprise. Plusieurs personnes d'arts & de
         mestiers s'acheminent & se rendent au lieu de Hondefleur lieu
42/698   de l'embarquement. Ses vaisseaux hors, il met ledit Pont Gravé
         pour son Lieutenant en l'un d'iceux: mais le chef estant de
         contraire religion, ce n'estoit pas le moyen de bien planter la
         foy parmy des peuples qu'on veut réduire, & c'estoit à quoy
         l'on songeoit le moins. Ils navigent jusques au port de
         Tadoussac, lieu de la traitte, & fut ceste affaire assez mal
         conduite pour y faire grand progrés. Ils se délibèrent d'y
         faire une habitation; lieu le plus desagreable & infructueux
         qui soit en ce pays, qui n'estant remply que de pins, sapins,
         bouleaux, montagnes, & rochers presque inaccessibles, & la
         terre très-mal disposée pour y faire aucun bon labourage, & où
         les froidures sont si excessives, que s'il y a une once de
         froid à 40 lieues à mont la riviere, il y en a là une livre:
         aussi combien de fois me suis-je estonné, ayant veu ces lieux
         si effroyables sur le printemps.

         Or comme ledit Sieur Chauvin y vouloit bastir, & y Laisser des
         hommes, & les couvrir contre la rigueur des froidures extrêmes,
         ayant sceu du Pont Gravé que son opinion n'estoit que l'on y
         deust bastir, remonstra audit Sieur Chauvin plusieurs fois
         qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus
         commode à habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux
         trois rivieres, pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec
         eux.

         Le Sieur de Mons fit le mesme voyage pour son plaisir, avec
         ledit Sieur Chauvin, qui estoit de la mesme opinion que Gravé,
         qui recognoissant ce lieu estre fort desagreable, eust bien
         voulu voir plus à mont ledit fleuve[52]. Mais quoy que c'en
43/699   soit, ou le temps ne le permettant pour lors, ou autres
         considerations qui estoient en l'esprit de l'entrepreneur, fut
         cause qu'il employa quelques ouvriers à édifier une maison de
         plaisance, de quatre toises de long, sur trois de large, de
         huict pieds de haut, couverte d'ais, & une cheminée au milieu,
         en forme d'un corps de garde, entouré de clayes, (laquelle
         j'ay veue en ce lieu là) & d'un petit fossé fait dans le
         sable[53]. Car en ce pays là où il n'y a point de rochers, ce
         sont tous sables fort mauvais. Il y avoit un petit ruisseau au
         dessous, où ils laisserent 16 hommes fournis de peu de
         commoditez, qu'ils pouvoient retirer dans le mesme logis, où
         ce peu qu'il y avoit estoit à l'abandon des uns & des autres,
         ce qui dura peu. Les voila bien chaudement pour leur hyver. Ce
         qui fut cause que le sieur Chauvin s'en retourna, ne voulant
         voir, ny descouvrir plus avant, comme aussi fit le dit du Pont.

[Note 52: La mauvaise impression que fit ce voyage sur l'esprit de M. de
Monts, explique pourquoi il ne se décida à faire une habitation sur le
fleuve qu'après plusieurs tentatives infructueuses pour s'établir dans
des climats moins rigoureux.]

[Note 53: Voir la carte des environs de Tadoussac, 1613.]

         Pendant qu'ils sont en France, nos hyvernans consomment en bref
         ce peu qu'ils avoient, & l'hyver survenant, leur fit bien
         cognoistre le changement qu'il y avoit entre la France &
         Tadoussac: c'estoit la cour du Roy Petault, chacun vouloit
         commander; la paresse & faineantise, avec les maladies qui les
         surprirent, ils se trouverent réduits en de grandes necessitez,
         & contraints de s'abandonner aux sauvages, qui charitablement
         les retirèrent avec eux, & quittèrent leur demeure; les unze
         moururent miserablement, les autres patissans fort attendans le
         retour des vaisseaux.

44/700  Le sieur Chauvin voyant ses gens humer le vent du Saguenay,
        fort dangereux, poursuit ses affaires pour refaire un second
        voyage, qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire
        un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure long temps sans
        estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.

         Ce qui fut à blasmer en ceste entreprise, est d'avoir donné une
         commission à un homme de contraire religion, pour pulluler la
         foy Catholique, Apostolique, & Romaine, que les hérétiques ont
         tant en horreur, & abhomination. Voila les défauts que j'avois
         à dire sur ceste entreprise.



         _Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur
         de Chaste. Le Sieur de Pont Gravé esleu pour le voyage de
         Tadoussac. L'Autheur se met en voyage. Leur arrivée au Grand
         sault Sainct Louys. Sa difficulté à le passer. Leur retraite.
         Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage._

                               CHAPITRE VII.

         LA quatrième entreprise fut celle du Sieur Commandeur de
         Chaste, gouverneur de Dieppe, qui estoit homme très-honorable,
         bon Catholique, grand serviteur du Roy, qui avoit dignement &
         fidèlement servy sa Majesté en plusieurs occasions signalées.
         Et bien qu'il eust la teste chargée d'autant de cheveux gris
         que d'années, vouloit encore laisser à la posterité par ceste
         louable entreprise une remarque très charitable en ce dessein,
45/701   & mesmes s'y porter en personne, pour consommer le reste de ses
         ans au service de Dieu & de son Roy, en y faisant une demeure
         arrestée, pour y vivre & mourir glorieusement, comme il
         esperoit, si Dieu ne l'eust retiré de ce monde plustost qu'il
         ne pensoit, & se pouvoit-on bien asseurer que souz sa conduite
         l'heresie ne se fust jamais plantée aux Indes: car il avoit de
         tres-chrestiens desseins, dont je pourrois rendre de bons
         tesmoignages, pour m'avoir fait l'honneur de m'en communiquer
         quelque chose.

         Donc après la mort dudit sieur Chauvin, il obtint nouvelle
         commission de sa Majesté. Et d'autant que la despense estoit
         fort grande, il fit une societé avec plusieurs Gentils hommes,
         & principaux marchands de Rouen, & d'autres lieux, sur
         certaines conditions. Ce qu'estant fait, ils font équiper
         vaisseaux tant pour l'exécution de ceste entreprise, que pour
         descouvrir & peupler le pays. Ledit Pont-Gravé avec commission
         de sa Majesté (comme personne qui avoit desja fait le voyage, &
         recognu les defauts du passé) fut éleu pour aller à Tadoussac,
         & promet d'aller jusques au Sault Sainct Louys, le descouvrir,
         & passer outre, pour en faire son rapport à son retour, &
         donner ordre à un second embarquement; & ledit Sieur Commandeur
         quitter son gouvernement, avec la permission de sa Majesté, qui
         l'aimoit uniquement, s'en aller au pays de la nouvelle France.

         Sur ces entre-faites, je me trouvay en Cour, venu fraischement
         des Indes Occidentales, où j'avois esté prés de deux ans &
46/402   demy[54], après que les Espagnols furent partis de Blavet[55],
         & la paix faite en France, où pendant les guerres j'avois servy
         sadite Majesté souz Messeigneurs le Mareschal d'Aumont, de
         Sainct Luc, & Mareschal de Brissac. Allant voir de fois à autre
         ledit Sieur Commandeur de Chaste, jugeant que je luy pouvois
         servir en son dessein, il me fit ceste faveur, comme j'ay dit,
         de m'en communiquer quelque chose, & me demanda si j'aurois
         agréable de faire le voyage, pour voir ce pays, & ce que les
         entrepreneurs y feroient. Je luy dis que j'estois son
         serviteur: que pour me licencier de moy-mesme à entreprendre ce
         voyage, je ne le pouvois faire sans le Commandement de sadite
         Majesté, à laquelle j'estois obligé tant de naissance, que
         d'une pension de laquelle elle m'honoroit, pour avoir moyen de
         m'entretenir prés d'elle, & que s'il luy en plaisoit parler, &
         me le commander, que je l'aurois tres-agreable. Ce qu'il me
         promit, & fit, & receut commandement de sa Majesté pour faire
         ce voyage, & luy en faire fidel rapport: & pour cet effect
         Monsieur de Gesvre Secrétaire de ses commandemens, m'expédia,
         avec lettre addressante audit Pont-Gravé, pour me recevoir en
         son vaisseau, & me faire voir & recognoistre tout ce qui se
         pourroit en ces lieux, en m'assistant de ce qui luy seroit
         possible en ceste entreprise.

[Note 54: Champlain avait été deux ans et deux mois à ce voyage des
Indes Occidentales. Parti du Blavet au commencement d'août 1598, avec
son oncle le capitaine Provençal, il se rendit en Espagne, où on lui
confia le commandement d'un des vaisseaux de la flotte des Indes, qui
partit au «commencement de janvier 1599». Il fut de retour au
commencement de 1601.]

[Note 55: Aujourd'hui Port-Louis, département du Morbihan.]

         Me voila expédié, je pars de Paris, & m'embarque dans le
         vaisseau dudit du Pont l'an 1603. nous faisons heureux voyage
47/703   jusques à Tadoussac, avec de moyennes barques de 12 à 15
         tonneaux, & fusmes jusques à une lieue à mont le Grand-sault
         Sainct Louis. Le Pont Gravé & moy nous nous mettons dans un
         petit bateau fort léger, avec cinq matelots, pour n'en pouvoir
         faire naviger de plus grand, à cause des difficultez. Ayant
         fait une lieue avec beaucoup de peine dans une forme de lac,
         pour le peu d'eau que nous y trouvasmes, & estans parvenus au
         pied dudit Sault, qui se descharge en ce lac, nous jugeasmes
         impossible de le passer avec nostre esquif, pour estre si
         furieux, & entre-meslé de rochers, que nous nous trouvasmes
         contraints de faire presque une lieue par terre, pour voir le
         dessus de ce Sault, n'en pouvans voir d'avantage, & tout ce que
         nous peusmes faire fut de remarquer les difficultez, tout le
         pais, & le long de ladite riviere, avec le rapport des Sauvages
         de ce qui estoit dedans les terres, des peuples, des lieux, &
         origines des principales rivieres, & notamment du grand fleuve
         S. Laurent.

         Je fis dés lors un petit discours, avec la carte[56] exacte de
         tout ce que j'avois veu & recognu, & ainsi nous nous en
         retournasmes à Tadoussac, sans faire que fort peu de progrés:
         auquel lieu estoient nos vaisseaux qui faisoient la traitte
         avec les Sauvages, ce qu'estant fait, nous nous embarquasmes,
         mettant les voiles au vent, jusques à ce que nous fussions
         arrivez à Honnefleur, où sceusmes les nouvelles de la mort du
         Sieur Commandeur de Chaste[57], qui m'affligea fort,
48/704   recognoissant que mal-aisément un autre pourroit entreprendre
         ceste entreprise, qu'il ne fust traversé, si ce n'estoit un
         Seigneur de qui l'authorité fust capable de repousser l'envie.

[Note 56: Cette carte ne se trouve pas même dans l'exemplaire du Voyage
 de 1603 que possède la Bibliothèque Impériale.]

[Note 57: Il était mort le 13 mai de cette année 1603 (Asseline, _ms_ de
Dieppe). Son tombeau est dans l'église de Saint-Rémi à Dieppe.]

         Je n'arresté gueres en ce lieu de Honnefleur, que j'allay
         trouver sa Majesté, à laquelle je fis voir la carte dudit pays,
         avec le discours fort particulier que je luy en fis, qu'elle
         eut fort agréable, promettant de ne laisser ce dessein, mais de
         le faire poursuivre & favoriser. Voila le cinquiesme voyage
         rompu par la mort dudit Sieur commandeur.

         En ceste entreprise je n'ay remarqué aucun defaut pour avoir
         esté bien commencé: mais je sçay qu'aussi tost plusieurs
         marchands de France qui avoient interest en ce négoce,
         commençoient à faire des plaintes de ce qu'on leur interdisoit
         le trafic des pelleteries, pour le donner à un seul.



         _Voyage du Sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu
         Commandeur de Chastes. Obtient commission du Roy pour aller
         descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands
         de Rouen & de la Rochelle, L'Autheur voyage avec luy. Arrivent
         au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le
         Sieur de Poitrincourt va avec le Sieur de Mons. Plaintes dudit
         Sieur de Mons. Sa commission revoquée._

                                CHAPITRE VIII.

         Aprés la mort du Sieur Commandeur de Chaste, le Sieur de
         Mons[58], de Sainctonge, de la religion prétendue reformée,
49/705   Gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy, & Gouverneur de
         Pons, qui avoit rendu de bons services à sa Majesté durant
         toutes les guerres passées, en qui elle avoit une grande
         confiance, pour sa fidélité comme il a tousjours fait paroistre
         jusques à sa mort, porté d'un zèle & affection d'aller peupler
         & habiter le pays de la nouvelle France, & y exposer sa vie &
         son bien, voulut marcher sur les brisées du feu sieur
         Commandeur audit pays, où il avoit esté, comme dit est, avec le
         sieur Chauvin, pour le recognoistre, bien que ce peu qu'il
         avoit veu, luy avoit fait perdre la volonté d'aller dans le
         grand fleuve Sainct Laurent, n'ayant veu en ce voyage qu'un
         fascheux pays, luy qui desiroit aller plus au Midy, pour jouir
         d'un air plus doux & agréable. Et ne s'arrestant aux relations
         que l'on luy en avoit faites, vouloit chercher un lieu duquel
         il ne sçavoit l'assiette ny la température que par
         l'imagination & la raison, qui trouve que plus vers le Midy il
         y fait plus chaud. Estant en volonté d'exécuter ceste genereuse
         entreprise, il obtient commission du Roy l'an 1623,[59] pour
         peupler & habiter le pays, à condition d'y planter la foy
         Catholique, Apostolique & Romaine, permettant de laisser vivre
         chacun selon sa religion. Cela estant, il continue sa societé
         avec les marchands de Rouen, de la Rochelle, & autres lieux, à
         qui la traitte de pelleterie estoit accordée par ladite
         commission privativement à tous les subjects de sa Majesté.
         Toutes choses ordonnées, ledit Sieur de Mons fait son
         embarquement au Havre de Grâce, s'embarque faisant équiper
50/706   plusieurs vaisseaux tant pour ledit trafic de pelleterie de
         Tadoussac, que des costes de la nouvelle France. Il assembla
         nombre de Gentils-hommes, & de toutes sortes d'artisans,
         soldats & autres, tant d'une que d'autre religion, Prestres &
         Ministres.

[Note 58: Pierre du Gast, ou du Gua, sieur de Monts.]

[Note 59: Cette commission est du 8 novembre 1603. (Lescarbot, Hist. de
la Nouv. France, liv, IV, c. I.)]

         Ledit Sieur de Mons me demanda si j'aurois agréable de faire ce
         voyage avec luy. Le desir que j'avois eu au dernier s'estoit
         accreu en moy, qui me fit luy accorder, avec la licence que
         m'en donneroit sa Majesté, qui me le permit, pour tousjours en
         voyant & descouvrant, luy en faire fidel rapport. Estans tous à
         Dieppe, on s'embarque, un vaisseau va à Tadoussac, ledit du
         Pont avec la commission dudit sieur de Mons à Canseau, & le
         long de la coste vers l'isle du Cap Breton, voir ceux qui
         contreviendroient aux défenses de sa Majesté. Le Sieur de Mons
         prend sa routte plus à val vers les costes de l'Acadie[60], &
         le temps nous fut si favorable, que nous ne fusmes qu'un mois à
         parvenir jusques au Cap de la Héve, où estans, nous passasmes
         plus outre cherchans lieu pour y habiter, ne trouvans celuy-cy
         agréable. Le Sieur de Mons me commit à la recherche de quelque
         lieu qui fut propre: ce que je fis avec quelque pilote que je
         menay avec moy, où descouvrismes plusieurs ports & rivieres,
         jusques à ce que ledit Sieur de Mons s'arresta en une isle,
         qu'il jugea d'assiette forte, & le terroir d'alentour très-bon,
         la température douce, sur la hauteur de 45.5°[61] de latitude,
         comme[62] Saincte Croix.

[Note 60: D'après l'édition de 1613 et Lescarbot, M. de Monts ne serait
parti qu'avec deux vaisseaux: celui du capitaine Morel, et celui du
capitaine Timothée; ici cependant l'auteur en mentionne évidemment
trois, qui ont une mission tout à fait distincte. (Voir 1613, p. 6, 7;
Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv. IV, c. II.)]

[Note 61: L'île de Sainte-Croix n'est que quelques minutes au-delà du
quarante-cinquième degré.]

[Note 62: Lisez _nommée_.]

51/707   Il y fait venir ses vaisseaux, employé chacun selon sa
         condition, & mestier, tant pour les descharger, que pour se
         loger promptement. Ses vaisseaux deschargez, il les renvoye au
         plustost, & le sieur de Poitrincourt (qui estoit venu avec
         ledit sieur de Mons pour voir le pays, afin de l'habiter, &
         avoir quelque lieu de luy, en vertu de sa commission) s'en
         retourna.

         Mais laissons-le aller, en attendant si nous aurons meilleur
         marché des froidures, que ceux qui hyvernerent à Tadoussac. Nos
         vaisseaux estans retournez en France, ouirent un nombre infiny
         de plaintes tant des Bretons, Basques, que autres, de l'excez &
         mauvais traittement qu'ils recevoient aux costes, par les
         Capitaines dudit Sieur de Mons, qui les prenoit, & empeschoit
         de faire leur pesche, les privans de l'usage des choses qui
         leur avoient tousjours esté libres: de sorte que si le Roy n'y
         apportoit un règlement, toute ceste navigation s'en alloit
         perdre, & ses douanes par ce moyen diminuées, leurs femmes &
         enfans pauvres & miserables, & contraints à mendier leurs vies.
         Requestes sont presentées à ce sujet, mais l'envie & les
         crieries ne cessent point; il ne manque en Cour de personnes
         qui promettent que pour une somme de deniers l'on feroit casser
         la commission du Sieur de Mons. Ceste affaire se practique en
         telle façon, que ledit Sieur de Mons ne sceut si bien faire,
         que la volonté du Roy ne fust destournée par quelques
         personnages qui estoient en crédit, qui luy avoient promis
         d'entretenir trois cents hommes audit pays. Doncques en peu de
52/708   temps la commission de sa Majesté fut revoquée, pour le prix de
         certaine somme qu'un certain personnage eut, sans que sadite
         Majesté en sceust rien. Cependant, pour recompense de trois ans
         que le Sieur de Mons avoit consommez, avec une despense de plus
         de 100000 livres, en la première desquelles trois années il
         souffrit beaucoup, & endura de grandes incommoditez à cause des
         rigueurs du froid, & la longue durée, des neges de trois pieds
         de haut, durant cinq mois, bien que l'on puisse aborder en tout
         temps aux costes où la mer ne gele point, si ce n'est à
         l'entrée des rivieres qui charrient des glaces qui vont se
         descharger en la mer. Outre cela, presque la moitié de ses
         hommes moururent de la maladie de la terre, & fut contraint de
         faire revenir le reste de ses gens, avec le Sieur de
         Poitrincourt, qui en ceste année estoit son Lieutenant: car le
         Pont Gravé l'avoit esté l'an precedent.

         Voila tous les desseins du Sieur de Mons rompus, lequel
         s'estoit promis d'aller plus au Midy pour faire une habitation
         plus saine & tempérée que l'Isle de Saincte Croix, où il avoit
         hyverné, & depuis l'on fut au port Royal, où l'on se trouva un
         peu mieux, pour n'avoir trouvé l'hyver si aspre, souz la
         hauteur de 45 degrez de latitude. Pour recompense de ses
         pertes, luy fut ordonné par le Conseil de sa Majesté 6000
         livres, à prendre sur les vaisseaux qui iroient trafiquer des
         pelleteries.

         Mais quelle despense luy eust-il fallu faire en tous les ports
         & havres, pour recouvrer ceste somme, s'informer de ceux qui
         auroient traitté, & le département qu'il faudroit, sur plus de
         quatre vingts vaisseaux qui fréquentent ces costes? c'estoit
53/709   luy donner la mer à boire, en faisant une despense qui eust
         surmonté la recepte, comme il en a bien apparu. Car ledit Sieur
         de Mons n'en a presque rien retiré & a esté contraint de
         laisser aller cet arrest comme il a peu. Voila comme ces
         affaires furent mesnagées au Conseil de sa Majesté: Dieu face
         pardon à ceux qu'il a appellez, & amender ceux qui sont vivans.
         Hé bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si tout
         se revoque de la façon, sans juger meurement des affaires,
         premier que d'en venir là? ceux qui ont le moins de
         cognoissance crient le plus fort, & en veulent plus sçavoir que
         ceux qui en auront une parfaite expérience; & ne parlent que
         par envie, ou pour leur interest particulier, sur de faux
         rapports & apparences, sans s'en informer davantage.

         Il se trouve quelque chose à redire en ceste entreprise, qui
         est, en ce que deux religions contraires ne font jamais un
         grand fruict pour la gloire de Dieu parmy les Infideles, que
         l'on veut convertir. J'ay veu le Ministre & nostre Curé
         s'entre-battre à coups de poing, sur le différend de la
         religion. Je ne sçay pas qui estoit le plus vaillant, & qui
         donnoit le meilleur coup, mais je sçay très-bien que le
         Ministre se plaignoit quelquefois au Sieur de Mons d'avoir esté
         battu, & vuidoient en ceste façon les poincts de controverse.
         Je vous laisse à penser si cela estoit beau à voir; les
         Sauvages estoient tantost d'un costé tantost de l'autre, & les
         François menez selon leur diverse croyance, disoient pis que
         pendre de l'une & de l'autre religion, quoy que le Sieur de
         Mons y apportast la paix le plus qu'il pouvoit. Ces insolences
54/710   estoient véritablement un moyen à l'infidèle de le rendre
         encore plus endurcy en son infidélité.

         Or puis que ledit Sieur de Mons n'avoit voulu aller habiter au
         fleuve Sainct Laurent, il devoit envoyer recognoistre un lieu
         propre pour y jetter les fondemens d'une Colonie, qui ne fut
         subjecte à estre delaissée comme celle de Saincte Croix, & Port
         Royal, où personne n'y cognoissoit rien, & devoit faire une
         despense de quatre à cinq mille livres, pour estre asseuré du
         lieu, & mesme donner charge d'y passer un hyver, pour
         cognoistre ce climat. Cela estant, il n'y a point de doute que
         le terroir, & la chaleur, correspondans à quelque bonne
         température, l'on s'y fust arresté. Et bien que la commission
         dudit sieur de Mons eust esté revoquée, l'on n'eust pas laissé
         d'habiter le pays en trois ans & demy, comme l'on avoit fait en
         l'Acadie, & eust-on assez défriché de terre, pour se pouvoir
         passer des commoditez de France. Que si ces choses eussent esté
         bien ordonnées, peu à peu l'on s'y fust habitué, & les Anglois
         & Flamens n'auroient jouy des lieux qu'ils ont surpris sur
         nous, qui s'y sont establis à nos despens.

         Il ne sera hors de propos pour contenter le lecteur curieux, &
         principalement les voyageurs de mer, de descrire les
         descouvertes de ces costes, pendant trois ans & demy que je fus
         à l'Acadie, tant à l'habitation de Saincte Croix, qu'au Port
         Royal, où j'eus moyen de voir & descouvrir le tout, comme il se
         verra au Livre suivant.


                           Fin du premier Livre.

55/711

         [Illustration]

                                LES VOYAGES
                                DU SIEUR DE
                                 CHAMPLAIN.



                                LIVRE SECOND.



         _Description de la Héve. Du port au Mouton. Du port du Cap
         Negre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap
         Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie, Du port de
         Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui
         sont le long de la coste d'Acadie._

                              CHAPITRE PREMIER.

         Le Cap de la Héve est un lieu où il y a une Baye, où sont
         plusieurs isles couvertes de sapins, & la grande terre de
         chesnes, ormeaux, & bouleaux. Il est à la coste d'Acadie par
         les 44 degrez, & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15
         minutes de declinaison de la Guide-aymant, distant à l'Est
         nordest du Cap Breton 75 [63] lieues.

[Note 63: L'édition de 1613 porte 85. De la Hève au cap Breton, il y a
un peu plus de quatre-vingts lieues.]

711a     [Illustration-carte]

         A sept lieues de cestuy-cy s'en trouve un autre appelle le Port
56/712   au Mouton, où sont deux petites rivieres par la hauteur de 44
         degrez, & quelques minutes de latitude, dont le terroir est
         fort pierreux, remply de taillis & de bruyères, il y a quantité
         de lapins, & bon nombre de gibbier, à cause des estangs qui y
         sont.

         Allant le long de la coste, se voit aussi un port très-bon pour
         les vaisseaux, & au fonds une petite riviere, qui entre assez
         avant dans les terres, que je nommay le port du Cap Negré, à
         cause d'un rocher qui de loin en a la semblance, lequel est
         eslevé sur l'eau proche d'un cap où nous passasmes le mesme
         jour[64], qui en est à quatre lieues, & à dix du port au
         Mouton. Ce cap est fort dangereux, à raison des rochers qui
         jettent à la mer. Les costes que je veis jusques là sont fort
         basses, couvertes de pareil bois qu'au cap de la Héve, & les
         isles toutes remplies de gibbier. Tirant plus outre, nous
         fusmes passer la nuict à la Baye de Sable, où les vaisseaux
         peuvent mouiller l'anchre, sans aucune crainte de danger.

[Note 64: En abrégeant le texte de 1613, on a oublié de retrancher les
dates, qui, ici, ne veulent rien dire. Ce jour était le 19 mai 1604.
(Voy. 1613, p, 9.)]

         Le cap de Sable, distant de deux bonnes lieues de la Baye de
         Sable, est aussi fort dangereux, pour certains rochers &
         batteures qui jettent presque une lieue à la mer. De là on va
         en l'isle aux Cormorans qui en est à une lieue, ainsi appellée
         à cause du nombre infini qu'il y a de ces oiseaux, & remplismes
         une barrique de leurs oeufs: & de ceste isle faisant l'ouest
         environ six lieues traversant une baye [65] qui fuit au nort
57/713   deux ou trois lieues, l'on rencontre plusieurs isles [66] qui
         jettent deux ou trois lieues à la mer, lesquelles peuvent
         contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres
         moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la plus-part fort
         dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à cause des grandes
         marées, & des rochers qui sont, à fleur d'eau. Ces isles sont
         remplies de pins, sapins, bouleaux, & de trembles. Un peu plus
         outre [67], il y en a encores quatre. En l'une y a si grande
         quantité d'oiseaux appellez tangueux, qu'on les peut tuer
         aisément à coups de bâton. En une autre y a des loups marins.
         Aux deux autres il y a une telle abondance d'oiseaux de
         différentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer, si l'on
         ne l'avoit veu, comme cormorans, canards de trois sortes,
         oyes, marmettes, outardes, perroquets de mer, beccacines,
         vaultours, & autres oiseaux de proye: mauves, allouetes de mer
         de deux ou trois especes: hérons, goillans, courlieux, pies de
         mer, plongeons, huats, appoils, corbeaux, grues, & autres
         sortes, lesquels y font leurs nids. Je les nommay isles aux
         loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de
         latitude, distantes de la terre ferme, ou cap de Sable, de
         quatre à cinq lieues. De là l'on va à un cap que j'appellay le
         port Fourchu [68], d'autant que sa figure est ainsi, distant
         des isles aux loups marins cinq à six lieues. Ce port est fort
         bon pour les  vaisseaux en son entrée, mais au fonds il asseche
         presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere,
58/714   toute environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez
         agréable. La pesche de morues y est bonne auprès du port;
         faisant le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port
         pour les vaisseaux, sinon quantité d'ances, ou playes
         très-belles, dont les terres semblent estre propres pour
         cultiver. Les bois y sont très-beaux, mais il y a bien peu de
         pins & de sapins. Ceste coste est fort saine, sans isles,
         rochers, ne bases: de sorte que selon mon jugement les
         vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un
         quart de lieue de la coste, je fus à une isle, qui s'appelle
         l'isle Longue, qui gist nort nordest, & sur surouest,
         laquelle fait passage pour aller dedans la grande baye
         Françoise, ainsi nommée par le sieur de Mons.

[Note 65: La baie Courante, aujourd'hui la baie de Townsend.]

[Note 66: Les îles Tousquet.]

[Note 67: C'est-à-dire, plus loin au large.]

[Note 68: Le cap Fourchu. Dans la Table de sa grande carte, l'auteur
appelle ce port, port du cap Fourchu.]

         Cette isle est de six lieues de long, & a en quelques endroits
         prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement.
         Elle est remplie de quantité de bois, comme pins, & bouleaux.
         Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux, & n'y a
         point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle
         quelques petites retraites pour des chaloupes, & trois ou
         quatre islets de rochers, où les Sauvages prennent force loups
         marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit
         passage de l'isle, qui est fort dangereux pour les vaisseaux,
         s'ils vouloient se mettre au hazard de le passer.

         Du passage de l'isle Longue faisant le nordest deux lieues[69],
         y a une ance où les vaisseaux peuvent anchrer en seureté,
         laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds
         n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de
59/715   rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent
         tres-bonne, selon le rapport d'un Mineur appellé maistre
         Simon, qui estoit avec moy[70]. A quelques lieues plus outre
         est aussi une petite riviere, nommée du Boulay, où la mer
         monte demie lieue dans les terres, à l'entrée de laquelle il y
         peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A
         un quart de lieue d'icelle il y a un port bon pour les
         vaisseaux, où nous trouvasmes une mine de fer, que le Mineur
         jugea rendre cinquante pour cent. Tirant trois lieues plus
         outre au nordest, y a une autre mine de fer assez bonne,
         proche de laquelle il y a une riviere environnée de belles &
         agréables prairies. Le terroir d'alentour est rouge comme
         sang. Quelques lieues plus avant il y a encores une autre
         riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est
         fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste
         baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour
         duquel y a nombre de prez, & de bonnes terres pour cultiver,
         toutesfois remplies de quantité de beaux arbres de toutes les
         sortes que j'ay dit cy dessus. Ceste baye peut avoir depuis
         l'isle Longue jusques au fonds environ six lieues. Toute la
         coste des mines[71] est terre assez haute, découpée par caps,
         qui paroissent ronds, advançans un peu à la mer. De l'autre
         costé de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes,
         où il y a un fort bon port, & à son entrée un banc par où il
         faut passer, qui a de basse mer brasse & demie d'eau, & l'ayant
         passé, on en trouve trois, & bon fonds.

[Note 69: Dans la baie Sainte-Marie.]

[Note 70: En 1604. (Voyages 1613, p. 12.)]

[Note 71: La côte nord-ouest de la baie Sainte-Marie.]

60/716   Entre les deux pointes du port il y a un islet de cailloux qui
         couvre de plaine mer. Ce lieu va demie lieue dans les terres.
         La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages,
         comme moules, coques, & bregaux. Le terroir est des meilleurs
         que j'aye veu: & nommay ce port, le port Saincte Marguerite
         [72]. Toute cette coste du suest est terre beaucoup plus basse
         que celle des mines, qui ne sont qu'à une lieue & demie de la
         coste du port de Saincte Marguerite, de la largeur de la baye,
         laquelle a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce
         lieu, & la trouvay par les 45 degrez & demy, & Un peu plus de
         latitude[73], & 17 degrez 16 minutes de declinaison de la
         Guide-aymant. Ceste baye fut nommée la baye Saincte Marie.

[Note 72: Parce qu'il y entra probablement le 10 juin, en 1604.]

[Note 73: Le fond de la baie Sainte-Marie est à environ 44° 35'.]



         _Description du Port-Royal, & des particularités d'iceluy. De
         l'isle Haute. Du Port aux mines. De la grande baye Françoise.
         De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis
         le port aux mines jusques à icelle. De l'isle appellée par les
         Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs
         belles isles qui y sont. De l'isle de Saincte Croix, & autres
         choses remarquables d'icelle coste._

                                 CHAPITRE II

         Du passage de l'isle Longue, mettant le cap au nordest 6
         lieues, il y a une ance[74] où les vaisseaux peuvent mouiller
         l'anchre à 4, 5, 6, & 7 brasses d'eau. Le fonds est sable. Ce
61/717   lieu n'est que comme une rade. Continuant au mesme vent deux
         lieues, l'on entre en l'un des beaux ports qui soit en toutes
         ces costes, où il pourroit grand nombre de vaisseaux en
         seureté. L'entrée est large de 800 pas, & sa profondeur de 25
         brasses d'eau; a deux lieues de long, & une de large, que je
         nommay[75] port Royal, où descendent trois rivieres, dont il y
         en a une assez grande, tirant à l'est, appellée la riviere de
         l'Esquille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un
         esplan, qui s'y pesche en quantité; comme aussi on fait du
         haranc, & plusieurs autres sortes de poissons qui y sont en
         abondance en leurs saisons. Ceste riviere a prés d'un quart de
         lieue de large en son entrée, où il y a une isle[76], laquelle
         peut contenir demie lieue de circuit, remplie de bois ainsi que
         tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches,
         bouleaux, trembles, & quelques chesnes qui sont parmy les
         autres bois en petit nombre.

[Note 74: La fosse de Gulliver.]

[Note 75: Voir Voyages 1613, p. 18, note I.]

[Note 76: L'île aux Chèvres, que l'on trouve indiquée, dans la carte de
Lescarbot, sous le nom de Biencourville.]

         Il y a deux entrées en ladite riviere, l'une du costé du
         nort[77], l'autre au sud de l'isle[78]. Celle du nord est la
         meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre à l'abry
         de l'isle à 5, 6, 7, 8, & 9 brasses d'eau: mais il faut se
         donner garde de quelques bases qui sont tenant à l'isle, & à la
         grande terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal.
         je fus 14 ou 15 lieues où la mer monte, & ne va pas beaucoup
         plus avant dedans les terres pour porter bateaux. En ce lieu
62/718   elle contient 60 pas de large, & environ brasse & demie d'eau.
         Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes,
         fresnes, & autres bois. De l'entrée de la riviere jusques au
         lieu où nous fusmes, y a nombre de prairies, mais elles sont
         inondées aux grandes marées, y ayant quantité de petits
         ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où des
         chaloupes & bateaux peuvent aller de plaine mer. Dedans le
         port y a une autre isle[79], distante de la première prés de
         deux lieues, où il y a une autre petite riviere[80] qui va
         assez avant dans les terres, que j'ay nommée la riviere Sainct
         Antoine [81]. Son entrée est distante du fonds de la baye
         Saincte Marie d'environ quatre lieues par le travers des bois.
         Pour ce qui est de l'autre riviere, ce n'est qu'un ruisseau
         remply de rochers, où on ne peut monter en aucune façon que ce
         soit, pour le peu d'eau. Ce lieu est par la hauteur de 45
         degrez de latitude[82], & 17 degrez 8 minutes de declinaison
         de la Guide-aimant.

[Note 77: La Bonne-Passe.]

[Note 78: La Passe-aux-Fous.]

[Note 79: L'île d'Hébert, appelée aussi Imbert, et enfin _Bear Island_.]

[Note 80: Voir Voyages 1613, note 2 de la page 19.]

[Note 81: Lescarbot l'appelle rivière Hébert. Elle a pris plus tard le
nom d'Imbert, et les Anglais l'ont appelée _Bear River_.]

[Note 82: La latitude de ce premier Port-Royal, qui était situé au nord
du port, était d'environ 44° et trois quarts. Il ne faut pas le
confondre avec le second Port-Royal, qui a pris le nom d'Annapolis; ce
dernier était au sud du port Royal, et situé un peu plus haut que le
premier.]

         Partant du port Royal, mettant le cap au nordest 8 ou 10
         lieues, rangeant la coste du port Royal, je traversay une
         partie de la baye, comme de quelque 5 ou 6 lieues, jusques à un
         lieu qu'ay nommé le Cap des deux Bayes[83], & passay par une
         isle[84] qui en est à une lieue, laquelle contient autant de
63/719   circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut, toute entourée de
         gros rochers, horsmis en un endroit qui est en talus, au pied
         duquel y a un estang d'eau salée, qui vient par dessous une
         pointe de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de
         l'isle est plat, couvert d'arbres, avec une fort belle source
         d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là j'allay à un
         port[85] qui en est à une lieue & demie, où il y a aussi une
         mine de cuivre. Ce port est souz les 45 degrez deux tiers de
         latitude[86], lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans
         il faut ballizer & recognoistre une batture de sable qui est à
         l'entrée, laquelle va rangeant un canal, suivant l'autre costé
         de terre ferme, puis on entre dans une Baye qui contient prés
         d'une lieue de long, & demie de large. En quelques endroits le
         fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent
         eschouer. La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Ce Cap des
         deux Bayes où est le port aux mines est ainsi appellé, parce
         qu'au nort & sud dudit cap y a deux Bayes[87] qui courent vers
         l'est nordest, & nordest quelques 12 à 15 lieues, & y a un
         destroit à chaque Baye qui ne contient pas plus de demie lieue
         de large. Cela passé, il s'eslargit tout d'un coup d'environ 3,
         4, à 5 lieues. Il y a aussi quelques isles en ceste Baye[88] où
         il y a des estangs, & deux ou trois petites rivieres qui y
         descendent avec les canaux des Sauvages, qui y vont à Tregaté,
         & Misamichy dans le golphe Sainct Laurent, partie par eau,
         partie par terre.

[Note 83: Le cap de Chignectou.]

[Note 84: L'île Haute.]

[Note 85: Le port aux Mines, appelé plus tard Havre à l'Avocat.]

[Note 86: 45° 25'.]

[Note 87: La baie de Chignectou, et le bassin des Mines.]

[Note 88: Celle de Chignectou.]

64/720   Tout le pays que j'ay veu depuis le petit passage de l'isle
         Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, où il n'y a
         aucun endroit où les vaisseaux se puissent mettre en seureté,
         sinon le port Royal. Le pays est remply de quantité de pins &
         bouleaux, & à mon advis n'est pas trop bon.

         Nous fismes l'ouest deux lieues jusques au Cap des deux Bayes,
         puis le nort[89] cinq ou six lieues, & traversasmes l'autre
         Baye. Faisant l'ouest quelques six lieues, y a une petite
         riviere[90], à l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui
         advance à la mer, & un peu dans les terres une montagne qui a
         la forme d'un chapeau de Cardinal. En ce lieu y a une mine de
         fer, & n'y a anchrage que pour des chaloupes. A quatre lieues à
         l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui advance un peu
         vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort
         dangereuses. Proche de la pointe y a une ance[91] qui a environ
         demie lieue de circuit, en laquelle est une autre mine de fer,
         qui est tresbonne. A quatre lieues encores plus avant y a une
         belle Baye[92] qui entre dans les terres, où au fonds y a trois
         isles & un rocher, deux sont à une lieue du cap tirant à
         l'ouest, & l'autre est à l'emboucheure d'une riviere des plus
         grandes & profondes que j'eusse encores veu, que je nommay la
         riviere Sainct Jean, pource que ce fut ce jour là que j'y
         arrivay, & des Sauvages elle est appellée Ouygoudy. Ceste
         riviere est dangereuse, si on ne recognoist bien certaines
65/721   pointes & rochers qui sont des deux costez. Elle est estroite
         en son entrée, puis vient à s'eslargir, & ayant doublé une
         pointe elle estressit derechef, & fait comme un sault entre
         deux grands rochers, où l'eau y court d'une si grande vistesse,
         qu'en y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit-on
         plus: mais attendant la plaine mer, l'on peut passer fort
         aisément ce destroit, & lors elle s'eslargit environ une lieue
         par aucuns endroits, où il y a trois isles, auxquelles y a
         grande quantité de prairies & beaux bois, comme chesnes,
         hestres, noyers, & lambruches de vignes sauvages. Les habitans
         du pays vont par icelle riviere jusques à Tadoussac, qui est
         dans la grande riviere de Sainct Laurent, & ne passent que peu
         de terre pour y parvenir. De la riviere Sainct Jean jusques à
         Tadoussac y a 65 lieues [93]. A l'entrée d'icelle, qui est par
         la hauteur de 45 degrez deux tiers[94], y a une mine de fer.
         Les chaloupes ne peuvent aller plus de quinze lieues dans
         ceste riviere, à cause des saults qui ne se peuvent naviger
         que par les canaux des Sauvages.

[Note 89: Par les détails que l'auteur donne un peu plus loin, il paraît
évident qu'il traversa la baie de Chignectou plutôt dans la direction du
nord-nord-ouest, vers la hauteur de la tête Saint-Martin.]

[Note 90: La rivière et la tête de Quaco.]

[Note 91: Cette ance porte aujourd'hui le nom de Gardner.]

[Note 92: Le havre de Saint-Jean, qui forme l'embouchure de la rivière
Saint-Jean.]

[Note 93: De l'embouchure de la rivière Saint-Jean à Tadoussac, il y a
en ligne droite, environ cent lieues.]

[Note 94: 45° et un tiers.]

         De la riviere Sainct Jean je fus à quatre isles, en l'une
         desquelles y a grande quantité d'oiseaux appellez margos, dont
         les petits sont aussi bons que pigeonneaux. Ceste isle est
         esloignée de la terre ferme de trois lieues. Plus à l'ouest y a
         d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui
         s'appelle des Sauvages Menane[95], au sud de laquelle il y a
         entre les isles plusieurs ports, bons pour les vaisseaux.

[Note 95: Menane est le vrai nom de cette île. L'auteur, par
inadvertance sans doute, avait mis dans l'édition de 1613, Manthane.
Quelques exemplaires, sous le millésime 1632 et 1640, portent encore
Manthane, dans la marge, et Menane dans le texte.]

66/722   Des isles aux Margos[96] je fus à une riviere en la grande
         terre, qui s'appelle la riviere des Etechemins[97], nation de
         Sauvages ainsi nommée en leur pays, & passe-t'on par si grande
         quantité d'isles, assez belles, que je n'en ay peu sçavoir le
         nombre; les unes contenans deux lieues, les autres trois, les
         Cul de sac autres plus ou moins. Elles sont toutes en un cul de
         sac[98], qui contient à mon jugement plus de quinze lieues de
         circuit, y ayant plusieurs endroits bons pour y mettre tel
         nombre de vaisseaux que l'on voudra; autour desquelles y a
         bonne pescherie de mollues, saulmons, bars, harancs, flaitans,
         & autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest
         trois lieues par les isles, l'on entre dans une riviere[99] qui
         a presque demie lieue de large en son entrée, où ayant fait une
         lieue ou deux, il y a deux isles, l'une fort petite proche de
         la terre de l'ouest, & l'autre au milieu, qui peut avoir huict
         ou neuf cents pas de circuit, elevée de tous costez de trois à
         quatre toises de rochers, fors un petit endroit d'une pointe de
         sable & terre grasse, laquelle peut servir à faire briques, &
         autres choses necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour
         mettre des vaisseaux de quatre vingts à cent tonneaux, mais il
         asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, bouleaux,
         érables, & chesnes. De soy elle est en fort bonne scituation, &
         n'y a qu'un costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé
67/423   à fortifier: les costes de la terre ferme en estans des deux
         costez éloignées d'environ neuf cents à mille pas, les
         vaisseaux ne pourroient passer sur la riviere qu'à la mercy du
         canon d'icelle, qui est le lieu que l'on jugea le meilleur,
         tant pour la scituation, bon pays, que pour la communication
         que l'on pretendoit avec les Sauvages de ces costes, & du
         dedans des terres, estans au milieu d'eux, lesquels avec le
         temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont
         les uns contre les autres, pour en tirer à l'advenir du
         service, & les réduire à la foy Chrestienne. Ce lieu fut nommé
         par le sieur de Mons l'isle Saincte Croix[100]. Passant plus
         outre, on voit une grande baye en laquelle y a deux isles,
         l'une haute, & l'autre platte, & trois rivieres, deux
         médiocres, dont l'une tire vers l'Orient, & l'autre au nort, &
         la troisiesme grande, qui va vers l'Occident: c'est celle des
         Etechemins. Allant dedans icelle deux lieues, il y a un sault
         d'eau, où les Sauvages portent leurs canaux par terre environ
         500 pas, puis r'entrent dedans icelle, d'où en après en
         traversant un peu de terre, on va dans la riviere de
         Norembegue[101] & de Sainct Jean. En ce lieu du sault les
         vaisseaux ne peuvent passer, à cause que ce ne sont que
         rochers, & qu'il n'y a que 4 à 5 pieds d'eau. En May & Juin il
         s'y prend si grande abondance de harancs & bars, que l'on y en
         pourroit charger des bateaux. Le terroir est des plus beaux, &
         y a 15 ou 20 arpents de terre défrichée. Les Sauvages s'y
         retirent quelquefois cinq ou six sepmaines durant la pesche.
68/724   Tout le reste du pays sont forests fort espoisses. Si les
         terres estoient défrichées, les grains y viendroient fort bien.
         Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, &
         17 degrez 32 minutes de declinaison de la Guide-aymant. En cet
         endroit y fut faite l'habitation en l'an 1604.

[Note 96: Ces îles ont été aussi appelées îles aux Oiseaux. Aujourd'hui
elles portent le nom de _Wolves Islands_.]

[Note 97: La rivière Sainte-Croix, ou _Scoudic_.]

[Note 98: La baie Passamaquoddi, y compris sans doute celle de
Capscouk.]

[Note 99: C'est ici proprement l'embouchure de la rivière Sainte-Croix.]

[Note 100: Voir 1613, p. 25, et la carte de l'île Sainte-Croix, _ibid_.]

[Note 101: Le Pénobscot.]



         _De la coste, peuples, & riviere de Norembeque._

                              CHAPITRE III.

         DE ladite riviere de Saincte Croix continuant le long de la
         coste faisant environ 25 lieues, passasmes[102] par une grande
         quantité d'isles, bancs, battures, & rochers, qui jettent plus
         de 4 lieues à la mer par endroits, que je nommay les isles
         rangées, la plus-part desquelles sont couvertes de pins &
         sapins, & autres meschans bois. Parmi ces isles y a force beaux
         & bons ports, mais mal agréables & passay proche d'une isle
         qui contient environ 4 ou 5 lieues de long. De ceste isle
         jusques au nort de la terre ferme[103] il n'y a pas cent pas de
         large. Elle est fort haute, & coupée par endroits, qui
         paroissent, estant en la mer, comme 7 ou 8 montagnes rangées
         les unes proches des autres. Le sommet de la plus-part
         d'icelles est desgarni d'arbres, parce que ce ne sont que
         rochers. Les bois ne sont que pins, sapins, & bouleaux. Je l'ay
         nommée l'isle des Monts-deserts. La hauteur est par les 44
         degrez & demy de latitude.

[Note 102: Le 5 septembre 1604. (Voir 1613, page 26-30.)]

[Note 103: Il faudrait ou _jusques au nort à la terre ferme_, ou bien
_jusqu'à la terre ferme au nort._]

69/725   Les Sauvages de ce lieu ayans fait alliance avec nous, ils nous
         guidèrent en leur riviere de Pemetegoit[104], ainsi d'eux
         appellée, où ils nous dirent que leur Capitaine nommé Bessabez,
         estoit chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que
         plusieurs Pilotes & Historiens appellent Norembegue[105], & que
         la plus-part ont escrit estre grande & spacieuse, avec quantité
         d'isles, & son entrée par la hauteur de 43 & 3/4 & demy[106], &
         d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la
         declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler à personne. On
         descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peuplée de
         Sauvages adroits &, habiles, ayans du fil de cotton. Je
         m'asseure que la plus-part de ceux qui en font mention ne l'ont
         veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à gens qui n'en
         sçavoient pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont
         peu en avoir veu l'emboucheure, à cause qu'en effect il y a
         quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de
         latitude en son entrée, comme ils disent: mais qu'aucun y ait
         jamais entré, il n'y a point d'apparence, car ils l'eussent
         descrit d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de gens de ce
         doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay recognu & veu
         depuis le commencement jusques où j'ay esté.

[Note 104: Voir 1613, p. 31, note 2.]

[Note 105: Voir 1613, p. 31, note 4.]

[Note 106: L'entrée de la baie de Pénobscot, qui forme l'embouchure de
cette rivière, est un peu au-delà de 44°. Il paraît bien évident qu'il
faut lire plutôt comme dans l'édition de 1613, d'où ceci est tiré: «43 &
43 & demy, & d'autres par les 44 degrez...»]

         Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de
         la terre ferme 10 ou 12 lieues, qui sont par la hauteur de 44.
         degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de
         la Guide-aymant.

70/426   L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure,
         tirant à l'est, & l'autre est une terre basse appellée des
         Sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle, distantes l'une
         de l'autre neuf ou dix lieues: & presque au milieu à la mer y a
         une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste
         raison j'ay nommée l'isle haute. Tout autour il y en a un
         nombre infiny de plusieurs grandeurs & largeurs, mais la plus
         grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de
         diverses sortes y est fort bonne, comme aussi la chasse du
         gibbier. A deux ou trois lieues de la pointe de Bedabedec,
         rangeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere,
         ce sont terres fort hautes qui paroissent à la mer en beau
         temps 12 à 15 lieues. Venant au sud de l'isle haute, en la
         rangeant comme d'un quart de lieue, où il y a quelques battures
         qui sont hors de l'eau, mettant le cap à l'ouest jusques à ce
         que l'on ouvre toutes les montagnes qui sont au nort d'icelle
         isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf
         découpées de l'isle des Monts-deserts, & celle de Bedabedec,
         l'on fera[107] le travers de la riviere de Norembegue, & pour
         entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les
         plus hautes montagnes dudit Bedabedec, & ne verrez aucunes
         isles devant vous, & pouvez entrer seurement, y ayant assez
         d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles & rochers à
         l'est & ouest de vous. Il faut les eviter la sonde en la main,
         pour plus grande seureté, & croy, à ce que j'en ay peu juger,
71/727   que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par autre
         endroit, sinon avec des petits vaisseaux ou chaloupes: car
         (comme j'ay dit cy-dessus) la quantité des isles, rochers,
         bases, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte, que
         c'est chose estrange à voir.

[Note 107: Dans l'édition de 1640, on a mis _l'on fera_; ce qui n'était
pas fort à propos.]

         Or pour revenir à la continuation de nostre routte[108],
         entrant dans la riviere il y a de belles isles qui sont fort
         agréables, comme des prairies, Je fus jusques à un lieu où les
         Sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy quart de
         lieue de large, & à quelque deux cents pas de la terre de
         l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est dangereux. De là à
         l'isle haute y a quinze lieues: & depuis ce lieu estroit (qui
         est la moindre largeur que nous eussions trouvée) après avoir
         fait environ 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite
         riviere, où auprès il fallut mouiller l'anchre; d'autant que
         devant nous y vismes quantité de rochers qui descouvrent de
         basse mer; & aussi que quand nous eussions voulu passer plus
         avant, il eust esté impossible de faire demie lieue, à cause
         d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 à 8
         pieds, que je veis allant dedans un canau, avec les Sauvages
         que nous avions, & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau:
         mais passé le sault, qui a environ deux cents pas de large, la
         riviere est belle & plaisante, jusques au lieu où nous avions
         mouillé l'anchre. Je mis pied à terre pour voir le pays, &
         allant à la chasse je le trouvay fort plaisant & agréable en ce
72/728   que j'y fis de chemin, & semble que les chesnes qui y sont
         ayent esté plantez par plaisir. J'y veis peu de sapins, mais
         bien quelques pins à un costé de la riviere; tous chesnes à
         l'autre, & un peu de bois taillis qui s'estendent fort avant
         dans les terres: & diray que depuis l'entrée où je fus, qui
         sont environ 25 lieues, je ne veis aucune ville, ny village, ny
         apparence d'y en avoir eu, mais bien une ou deux cabannes de
         Sauvages, où il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites
         de la mesme façon que celles des Souriquois, couvertes
         d'escorces d'arbres; & à ce que j'ay peu juger, il y a peu de
         Sauvages en icelle riviere, qu'on appelle aussi Pemetegoit
         [109]. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques
         mois en esté durant la pesche du poisson, & la chasse du
         gibbier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de
         retraite arrestée, à ce que j'ay recognu, & appris d'eux: car
         ils hyvernent tantost en un lieu, & tantost à un autre, où ils
         voyent que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent
         quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour
         subvenir aux disettes qui sont grandes quelquefois.

[Note 108: C'était au voyage de découverte que fit M. de Monts, dans
l'automne de 1604, avec Champlain.]

[Note 109: Les sauvages de Pentagouet étaient des Etchemins. En 1613,
l'auteur avait dit: _qu'on appelle aussi Etechemins_. En remplaçant ici
leur nom par celui de leur rivière, on a oublié de retrancher le mot
_aussi_.]

         Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de
         Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que j'ay
         costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus
         dites, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme
         hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part, il ne peut
         y en avoir qui entrent avant dans les terres, d'autant que la
         grande riviere Sainct Laurent costoye la coste d'Acadie & de
73/729   Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre
         de 45 lieues, ou 60 au plus large en droite ligne.

         Or je laisseray ce discours, pour retourner aux Sauvages qui
         m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue,
         lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres
         Sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir
         aussi le leur, nommé Cabahis, & luy donner advis de nostre
         arrivée.

         Le 16 du mois[110] il vint à nous environ trente Sauvages, sur
         l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de
         guide. Vint aussi ledit Bessabez nous trouver ce mesme jour
         avec six canaux. Aussi tost que les Sauvages qui estoient à
         terre le veirent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer,
         sauter, jusques à ce qu'il eust mis pied à terre: puis après
         s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume,
         lors qu'ils veulent faire quelque harangue, ou festin. Cabahis
         l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses
         compagnons, qui se retirèrent à part, & se resjouirent fort de
         nous voir, d'autant que c'estoit la première fois qu'ils
         avoient veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre
         avec deux de mes compagnons, & deux de nos Sauvages, qui nous
         servoient de truchement, & donnay charge à ceux de nostre
         barque d'approcher prés des Sauvages, & tenir leurs armes
         prestes pour faire leur devoir s'ils appercevoient quelque
         émotion de ces peuples contre nous. Benabez nous voyant à terre
74/730   nous fit asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons,
         comme ils font ordinairement auparavant que faire leur
         discours, & nous firent present de venaison & de gibbier. Tout
         le reste de ce jour & la nuict suivante, ils ne firent que
         chanter, dancer, & faire bonne chère, attendant le jour. Par
         après chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son
         costé, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu
         cognoissance de ces peuples.

[Note 110: Le 16 de septembre 1604. (Voir, 1613, liv. I, c. v.)]

         Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez, & 25
         minutes de latitude. Ce fait, je partis pour aller à une autre
         riviere appellée Quinibequy, distante de ce lieu de 35 lieues,
         & prés de 15 de Bedabedec. Ceste nation de Sauvages de
         Quinibequy s'appelle Etechemins[111], aussi bien que ceux de
         Norembegue.

[Note 111: Voir 1613, p. 38, note 1.]

         Le 18 du mois je paissay prés d'une petite riviere où estoit
         Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque environ 12
         lieues. Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de
         Norembegue, il me dit qu'elle passe le sault dont j'ay fait
         cy-dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle, on
         entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de Saincte
         Croix quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des
         Etechemins. Plus au lac descend une autre riviere par où ils
         vont quelques jours, en après entrent en un autre lac, &
         passent par le milieu puis estans parvenus au bout, ils font
         encore .....................................................
         ............................................................
         autre petite riviere [112] qui va se descharger dans le grand
75/731   fleuve Sainct Laurent. Tous ces peuples de Norembegue sont
         fort basannez, habillez de peaux de castors, & autres
         fourrures, comme les Sauvages Canadiens & Souriquois, & ont
         mesme façon de vivre.

[Note 112: La rivière Etchemin.]

         Voilà au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes,
         peuples, que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles
         qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal
         agréable en hyver, que celuy de Saincte Croix.

         _Descouvertures de la riviere de Quinibequy, qui est de la
         coste des Almouchiquois_[113] _jusques au 42e degré de
         latitude, & des particularités de ce voyage. A quoy les hommes
         & les femmes passent le temps durant l'hyver._

[Note 113: Les sauvages de Kénébec, quoique etchemins aussi bien que
ceux de Pentagouet et de la rivière Sainte-Croix, étaient ennemis de
ceux-ci. (Voy. 1613, p. 38, 39). C'est ce qui explique pourquoi les
auteurs font commencer le pays des Almouchiquois tantôt au-delà et
tantôt en-deçà du Kénébec.]



                            CHAPITRE IIII.

         Rangeant la coste de l'ouest, l'on passe les montagnes de
         Bedabedec, & cogneusmes[114] l'entrée de la riviere, où il peut
         aborder de grands vaisseaux, mais dedans il y a quelques
         battures qu'il faut eviter la sonde en la main. Faisant environ
         8 lieues, rangeant la coste de l'ouest, passasmes par quantité
         d'isles & rochers qui jettent une lieue à la mer, jusques à une
         isle[115] distante de Quinibequy dix lieues, où à l'ouvert
76/732   d'icelle il y a une isle assez haute, qu'avions nommée la
         Tortue[116], & entre icelle & la grande terre y a quelques
         rochers espars, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on
         ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la
         Tortue, & la riviere [117] sont sud suest, & nort norouest.
         Comme l'on y entre, il y a deux moyennes isles, qui sont
         l'entrée, l'une d'un costé, & l'autre de l'autre, & à quelques
         300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de
         bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'anchre à
         300 pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Je me resolus
         d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere, & les
         Sauvages qui y habitent. Ayans fait quelques lieues, nostre
         barque pensa se perdre sur un rocher que nous frayasmes en
         passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient
         venus à la chasse aux oiseaux, qui la plus-part muent en ce
         temps, & ne peuvent voler. Nous accostasmes ces Sauvages, qui
         nous guidèrent. Et allans plus avant pour voir leur Capitaine,
         appellé Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 à 8 lieues,
         nous passasmes par certaines isles, destroits, & ruisseaux, qui
         se deschargent dans la riviere, où je veis de belles prairies:
         & costoyant une isle[118] qui a environ 4 lieues de long, ils
         nous menèrent où estoit leur chef, avec 25 ou 30 Sauvages,
         lequel aussi tost que nous eusmes mouillé l'anchre, vint à nous
         dedans un canau un peu separé de dix autres, où estoient ceux
         qui l'accompagnoient. Approchant prés de nostre barque il fit
77/733   une harangue, où il faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous
         voir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance, & faire paix avec
         leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il
         envoyeroit à deux autres Capitaines Sauvages qui estoient
         dedans les terres, l'un appellé Marchim, & l'autre Sazinou,
         chef de la riviere de Quinibequy.

[Note 114: En septembre 1604 et en juin 1605. (Voir 1613, p. 31-39, et
46.)]

[Note 115: Cette île, située à huit lieues de la pointe de Bedabedec, et
à environ dix lieues de l'embouchure du Kénébec, est celle que Champlain
appela la Nef, et dont le nom est aujourd'hui Monahigan. (Voy. 1613, p.
74, note 2.)]

[Note 116: L'île Séguin.]

[Note 117: La rivière de Kénébec,]

[Note 118: L'île de Jérémysquam.]

         Le lendemain ils nous guidèrent en descendant la riviere[119]
         par un autre chemin que n'estions venus, pour aller à un lac
         [120], & passans par des isles, ils laisserent chacun une
         flesche proche d'un cap, par où tous les Sauvages passent, &
         croyent que s'ils ne le faisoient, il leur arriveroit du
         mal-heur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ces
         superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres.

[Note 119: Ce que l'auteur appelle _la rivière_, était un des nombreux
chenaux par où la rivière de Chipscot vient confondre son embouchure
avec celle du Kénébec. (Voir 1613, p. 47, 48.)]

[Note 120: La baie de Merry-Meeting, qui est une espèce de lac où
viennent se joindre les eaux du Kénébec et de la rivière Androscoggin.]

         Par delà ce cap nous passasmes un sault d'eau fort estroit,
         mais ce ne fut pas sans grande difficulté: car encores
         qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans
         nos voiles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusmes
         nous passer de la façon, & fusmes contraints d'attacher à terre
         une haussiere à des arbres, & y tirer tous. Ainsi nous fismes
         tant à force de bras, avec l'aide du vent qui nous favorisoit,
         que le passasmes. Les Sauvages qui estoient avec nous portèrent
         leurs canaux par terre, ne les pouvans passer à la rame. Après
         avoir franchi ce sault, nous veismes de belles prairies. Je
         m'estonnay si fort de ce sault, que descendant avec la marée
78/734   nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous la trouvasmes
         contraire, & après l'avoir passé elle descendoit comme
         auparavant, qui nous donna grand contentement.

         Poursuivans nostre routte, nous vinsmes au lac, qui a trois à
         quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descend
         deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, &
         l'autre[121] du norouest, par où devoient venir Marchim &
         Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour, & voyant qu'ils ne
         venoient point, resolusmes d'employer le temps. Nous levasmes
         donc l'anchre, & vint avec nous deux Sauvages de ce lac pour
         nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'anchre à
         l'emboucheure de la riviere, où nous peschasmes quantité de
         plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos Sauvages
         allèrent à la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin
         par où nous descendismes ladite riviere est beaucoup plus seur
         & meilleur que celuy par où nous avions esté. L'isle de la
         Tortue, qui est devant l'entrée de ladite riviere, est par la
         hauteur de 44 degrez de latitude, & 19 degrez 12 minutes de
         declinaison de la Guide-aymant. Il y a environ 4 lieues de là
         en mer, vers le suest trois petites isles, où les Anglois font
         pesche de moluës. L'on va par ceste riviere au travers des
         terres jusques à Québec quelque 50 lieues, sans passer qu'un
         trajet de terre de 2 lieues, puis on entre dedans une autre
         petite riviere[122] qui vient descendre dedans le grand fleuve
         Sainct Laurent. Ceste riviere de Quinibequy est dangereuse pour
79/735   les vaisseaux à demie lieue au dedans, pour le peu d'eau,
         grandes marées, rochers, & bases qu'il y a, tant dehors que
         dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit
         bien recognu. Si peu de païs que j'ay veu le long des rivages
         est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts.
         Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres
         labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les
         autres rivieres cy dessus dites. Les peuples vivent comme ceux
         de nostre habitation, & nous dirent, que les Sauvages qui
         semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres,
         & qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes, pour la
         guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre.
         Voila ce que j'ay peu apprendre de ce lieu, lequel je crois
         n'estre meilleur que les autres.

[Note 121: La rivière Sagadahoc, ou Androscoggin.]

[Note 122: La rivière Chaudière.]

         Les Sauvages qui habitent en toutes ces costes sont en petite
         quantité. Durant l'hyver au fort des neges ils vont chasser aux
         eslans, & autres bestes dequoy ils vivent la plus-part du
         temps: & si les neges ne sont grandes, ils ne font gueres bien
         leur profit, d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un
         grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent
         fort. Lors qu'ils ne vont à la chasse, ils vivent d'un
         coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'hyver de
         bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous
         les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la
         chair au dessouz des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de
         les mieux accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent
         de certaines raquetes, deux fois aussi grandes que celles de
80/736   pardeça, qu'ils s'attachent souz les pieds, & vont ainsi sur la
         nege sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les
         hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant
         trouvée ils la suivent, jusques à ce qu'ils appercoivent la
         beste, & lors ils tirent dessus avec leurs arcs, ou la tuent
         avec coups d'espées emmanchées au bout d'une demie pique, ce
         qui se fait fort aisément, d'autant que ces animaux ne peuvent
         aller sur les neges sans enfoncer dedans; & lors les femmes &
         enfans y viennent, & là cabannent, & se donnent la curée: après
         ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres.

         Costoyant la coste[123], fusmes mouiller l'anchre derrière un
         petit islet proche de la grande terre, où nous veismes plus de
         quatre vingts Sauvages qui accouroient le long de la coste pour
         nous voir, dançans, & faisans signe de la resjouissance qu'ils
         en avoient. Je fus visiter[124] une isle, qui est fort belle de
         ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la
         terre défrichée, & force vignes, qui apportent de beaux raisins
         en leur saison: c'estoit les premiers que j'esse veu en toutes
         ces costes depuis le cap de la Héve: nous la nommasmes l'isle
         de Bacchus[125]. Estans de pleine mer nous levasmes l'anchre, &
         entrasmes dedans une petite riviere, où nous ne peusmes
         plustost, d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de
         basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie,
81/737   & du grand de l'eau deux brasses: quand on est dedans il y en
         a trois, quatre, cinq, & six. Comme nous eusmes mouillé
         l'anchre, il vint à nous quantité de Sauvages sur le bord de la
         riviere, qui commencerent à dancer. Leur Capitaine pour lors
         n'estoit avec eux, qu'ils appelloient Honemechin. Il arriva
         environ deux ou trois heures après avec deux canaux, puis s'en
         vint tournoyant tout autour de nostre barque. Ces peuples se
         razent le poil de dessus Comme les le crâne assez haut, &
         portent le reste fort long, qu'ils peignent & tortillent par
         derrière en plusieurs façons fort proprement, avec des plumes
         qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de
         noir & rouge, comme les autres Sauvages que j'ay veus. Ce sont
         gens disposts, bien formez de leur corps. Leurs armes sont
         piques, massues, arcs, & flesches, au bout desquelles aucuns
         mettent la queue d'un poisson appelle signoc[126]: d'autres y
         accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils
         labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu.
         Au lieu de charrues ils ont un instrument de bois fort dur,
         fait en façon d'une besche. Cette riviere s'appelle des
         habitans du pays Chouacoet[127].

[Note 123: M. de Monts et Champlain partirent de Kénébec le 8 juillet
(1605), et ce fut après avoir côtoyé _la côte_ une partie de ce jour et
du suivant, qu'ils mouillèrent l'ancre près de ce petit îlet, non loin
de la rivière de Chouacoet ou Saco. (Voy. 1613, p. 50, 53.)]

[Note 124: L'édition de 1613 porte «le sieur de Mons fut visiter.»]

[Note 125: Probablement _Richmond_ ou _Richman's Island_.]

[Note 126: Ou _siguenoc_, comme l'auteur l'écrit ailleurs. (_Limulus
Polyphenius;_ LAM.) Voir 1613, p. 70, 71.]

[Note 127: Aujourd'hui Saco.]

         Je fus à terre pour voir leur labourage sur le bord de la
         riviere, & veis leurs bleds, qui sont bleds d'Inde, qu'ils font
         en jardinages, semans trois ou quatre grains en un lieu, après
         ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc
         quantité de terre, puis à trois pieds de là en sement encore
82/738   autant, & ainsi consecutivement. Parmy ce bled à chasque
         touffeau ils plantent 3 ou 4 febves de Bresil, qui viennent de
         diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelacent autour
         dudit bled, qui leve de la hauteur de 3 à 6 pieds, & tiennent
         le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y veismes force
         citrouilles, courges, & petum, qu'ils cultivent aussi. Le bled
         d'Inde que j'y veis pour lors estoit de deux pieds de haut: il
         y en avoit aussi de trois. Ils le sement en May, & le
         recueillent en Septembre. Pour les febves, elles commençoient
         à entrer en fleur, comme aussi les courges & citrouilles. J'y
         veis grande quantité de noix, qui sont petites, & ont
         plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres,
         mais nous en trouvasmes assez dessouz, qui estoient de l'année
         précédente. Il y a aussi force vignes, ausquelles y avoit de
         fort beau grain, dont nous fismes de très-bon verjus, ce que
         n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante
         d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur demeure arrestée,
         le labourage, & les beaux arbres, me fit juger que l'air y est
         plus tempéré & meilleur que celuy où nous hyvernasmes, ny que
         les autres lieux de la coste. Les forests dans les terres sont
         fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres,
         fresnes, & ormeaux. Dans les lieux aquatiques il y a quantité
         de saules. Les Sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont
         une grande cabanne entourée de pallissades faites d'assez gros
         arbres rangez les uns contre les autres, où ils se retirent
         lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre; &
         couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort
83/739   plaisant, & aussi agréable que l'on en puisse voir: la riviere
         abondante en poisson, environnée de prairies. A l'entrée y a
         un islet capable d'y faire une bonne forteresse, où l'on seroit
         en seureté.



         _Riviere de Choüacoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap
         aux Isles. Canots de ces peuples faits d'escorce de bouleau.
         Comme les Sauvages de ce pays là font revenir à eux ceux qui
         tombent en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux.
         Leur Chef honorablement receu de nous.

                                CHAPITRE V.

         Le Dimanche 12[128] du mois nous partismes de la riviere
         appellée Choüacoet, & rangeant la coste, après avoir fait
         environ 6 ou 7 lieues, le vent se leva contraire, qui nous fit
         mouiller l'anchre & mettre pied à terre, où nous veismes deux
         prairies, chacune desquelles contient une lieue de long, &
         demie de large. Depuis Choüacoet jusques en ce lieu (où veismes
         de petits oiseaux, qui ont le chant comme merles, noirs horsmis
         le bout des ailles, qui sont orengées) il y a quantité de
         vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des
         endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes 2 ou 3
         lieues devers Choüacoet, jusques à un cap qu'avons nommé le
         port aux isles[129], bon pour des vaisseaux de cent tonneaux,
         qui est parmy trois isles.

[Note 128: Le 12 de juillet 1605 était un mardi. D'après l'édition de
1613, M. de Monts et Champlain arrivèrent à Chouacouet le 10, et durent
n'en repartir que le 12.]

[Note 129: Le cap du Port-aux-Isles est le cap Purpoise. (Voir 1613, p.
55, note 3.)]

84/740   Mettant le cap au nordest quart du nort proche de ce lieu, l'on
         entre en un autre port[130] où il n'y a aucun passage (bien que
         ce soient isles) que celuy par où on entre, où à l'entrée y a
         quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y
         a tant de groiselles rouges, que l'on ne voit autre chose en la
         plus-part, & un nombre infiny de tourtes, dont nous en prismes
         bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de 43
         degrez 25 minutes de latitude.

[Note 130: Probablement l'entrée de la rivière _Kenebunk_.]

         Costoyans la coste nous apperceusmes une fumée sur le rivage de
         la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible,
         & ne veismes aucun Sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en
         estoient fuis. Le Soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver
         lieu pour nous loger icelle nuict, à cause que la coste estoit
         platte, & sablonneuse. Mettant le cap au sud pour nous
         esloigner, afin de mouiller l'anchre, ayans fait environ deux
         lieues, nous apperceusmes un cap [131] à la grande terre au sud
         quart du suest de nous, où il pouvoit avoir six lieues: à l'est
         deux lieues apperceusmes trois ou quatre isles[132] assez
         hautes, & à l'ouest un grand cul de sac[133]. La coste de ce
         cul de sac toute rangée jusques au cap peut entrer dans les
         terres du lieu où nous estions environ 4 lieues: il en a 2 de
         large nord & sud, & 3 en son entrée. Et ne recognoissant aucun
         lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap
85/741   cy-dessus à petites voiles une partie de la nuict, & en
         approchasmes à 16 brasses d'eau, où nous mouillasmes l'anchre
         attendant le poinct du jour.

[Note 131: Le cap Anne, que l'auteur appelle plus loin cap aux Iles.]

[Note 132: Les îles de Battures _(Isles of Shoals)_.]

[Note 133: La baie Longue, comme l'auteur l'appelle lui-même dans sa
Table de la grande carte de 1632. C'est cet enfoncement que forme la
côte au nord-ouest du cap Anne.]

         Le lendemain nous fusmes au susdit cap, où il y a trois isles
         proches de la grande terre, pleines de bois de différentes
         sortes, comme à Choüacoet, & par toute la coste; & une autre
         platte, ou la mer brise, qui jette un peu plus bas à la mer que
         les autres où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap
         aux isles, proche duquel apperceusmes un canau où il y avoit 5
         ou 6 Sauvages qui vindrent à nous, lesquels estans prés de
         nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Je fus à
         terre pour les voir, & leur donner à chacun un couteau, & du
         biscuit; ce qui fut cause qu'ils redancerent mieux
         qu'auparavant. Cela fait, je leur fis entendre le mieux qu'il
         me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste.
         Après leur avoir dépeint avec un charbon la baye & le cap aux
         isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le mesme crayon
         une autre baye [134], qu'ils representoient fort grande, où ils
         mirent six cailloux d'égale distance; me donnans par là à
         entendre que chacune de ces marques estoient autant de chefs &
         peuplades [135]: puis figurèrent dedans ladite baye[136] une
         riviere [137] que nous avions passée, qui s'estend fort loin, &
         est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en
         quantité, dont le verjus estoit un peu plus gros que des pois,
         & force noyers, dont les noix n'estoient pas plus grosses que
86/742   des balles d'harquebuze. Ces Sauvages nous dirent, que tous
         ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemençoient la
         terre comme les autres qu'avions veus auparavant. Ce lieu est
         par la hauteur de 43 degrez & quelques minutes de latitude
         [138].

[Note 134: La baie de Massachusetts.]

[Note 135: Voir 1613, p. 58, note 1.]

[Note 136: La dite baie Longue.]

[Note 137: Le Merrimack.]

[Note 138: La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.]

         Doublant le cap[139], nous entrasmes en une ance[140] où il y
         avoit force, vignes, pois de Bresil, courges, citrouilles & des
         racines qui sont bonnes, tirans sur le goust de cardes que les
         Sauvages cultivent.

[Note 139: En septembre 1606. Dans l'édition de 1632, on a intercalé ici
la description du Beau-Port, que M. de Monts n'avait pas visité en 1605,
mais que Champlain avait remarqué en passant. Les trois alinéas qui
suivent font partie de la narration du voyage de M. de Poutrincourt, qui
eut lieu dans l'automne de 1606.]

[Note 140: Le Beau-Port, aujourd'hui la baie de Gloucester, ou havre du
cap Anne. (Voir 1613, p. 94, 95, 96.)]

         Ce lieu, qui est assez agréable, est fertile en quantité de
         noyers, cyprès, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont
         très-beaux.

         Nous veismes là un Sauvage qui se blessa tellement au pied, &
         perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope; autour duquel
         vindrent nombre d'autres chantans quelque temps avant qu'ils le
         touchassent: puis faisans certaines gestes des pieds & des
         mains, luy remuoient la teste, & le soufflant il revint à soy.
         Nostre Chirurgien le pensa, & ne laissa pour cela de s'en aller
         gayement.

         Ayans fait demie lieue[141] nous apperceusmes plusieurs
         Sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la
         coste, en dançant, vers leurs compagnons, pour les advertir de
         nostre venue. Nous ayans monstré le quartier de leur demeure,
         ils firent signal de fumées, pour nous monstrer l'endroit de
87/743   leur habitation & fusmes mouiller l'anchre proche d'un petit
         islet, où l'on envoya nostre canau pour leur porter des
         couteaux & des gallettes, & apperceusmes à la quantité qu'ils
         estoient, que ces lieux sont plus habitez que les autres que
         nous avions veus. Après avoir arresté deux heures pour
         considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faits d'escorce de
         bouleau, comme les Canadiens[142], Souriquois, & Etechemins,
         nous levasmes l'anchre, & avec apparence de beau temps nous
         nous mismes à la voile. Poursuivant nostre routte à l'ouest
         surouest, nous y veismes plusieurs isles à l'un & l'autre bord.
         Ayant fait 7 à 8 lieues, nous mouillasmes l'anchre proche d'une
         isle, où apperceusmes force fumées tout le long de la coste, &
         beaucoup de Sauvages qui accouroient pour nous voir. L'on
         envoya 2 ou 3 hommes vers eux dedans un canau, ausquels on
         bailla des couteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils
         furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous
         ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous
         n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a
         quantité de terre défrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays
         est fort plaisant & agréable, y ayant force beaux bois. Ceux
         qui l'habitent ont leurs canaux faits tout d'une pièce, fort
         subjets à tourner, si on n'est bien adroit à les gouverner, &
         n'en avions point encores veu de ceste façon. Voicy comme ils
         les font. Aprés avoir eu beaucoup de peine, & esté long temps
         à abatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu
         trouver, avec des haches de pierre (car ils n'en ont point en
88/744   ce temps d'autres, si ce n'est que quelques uns d'eux en
         recouvrent par le moyen des Sauvages de la coste d'Acadie,
         ausquels on en porte pour traicter de pelleterie) ils ostent
         l'escorce, & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils
         mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce; & prennent
         quelquefois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent
         aussi dessus, & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent
         avec un peu d'eau, non pas du tout, mais seulement de peur
         que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux à leur
         fantaisie, il le raclent de toutes parts avec ces pierres. Les
         cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables à nos
         pierres à fuzil.

[Note 141: Ici reprend le récit du voyage de M. de Monts, en 1605. (Voir
1613, p. 58.) Par conséquent cette demi-lieue doit se compter du cap
Anne, et non du Beau-Port.]

[Note 142: A cette époque, on appelait Canadiens les tribus montagnaises
du bas du fleuve.]

         Le lendemain 17 dudit mois[143] nous levasmes l'anchre pour
         aller à un cap, que nous avions veu le jour précédant, qui nous
         demeuroit comme au sud surouest. Ce jour nous ne peusmes faire
         que 5 lieues, & passasmes par quelques isles remplies de bois.
         Je recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les
         Sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre routte, il en
         vint à nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des
         isles, & de la terre ferme. Nous fusmes anchrer à une lieue du
         cap qu'ay nommé Sainct Louys[144], où nous apperceusmes
         plusieurs fumées: & y voulant aller, nostre barque eschoua sur
         une roche, où nous fusmes en grand danger: car si nous n'y
         eussions promptement remedié, elle eust bouleversé dans la mer,
         qui perdoit tout à l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau:
89/745   mais Dieu nous preserva, & fusmes mouiller l'anchre proche du
         susdit cap, où vindrent 15 ou 16 canaux de Sauvages, & en tel y
         en avoit 15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de
         resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que
         nous n'entendions nullement. L'on envoya 3 ou 4 hommes à terre
         dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur
         chef nommé Honabetha, qui eut quelques couteaux, & autres
         jolivetez, que trouvay à propos leur donner[145], lequel nous
         vint voir jusques en nostre bord, avec nombre de ses
         compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans
         leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy
         fit-on bonne chère: & y ayant esté quelque espace de temps, il
         s'en retourna. Ceux que nous avions envoyez devers eux, nous
         apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que
         nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont
         très-bonnes; & du pourpié, qui vient en quantité parmy le bled
         d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises
         herbes. Nous veismes en ce lieu grande quantité de petites
         maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement leur bled
         d'Inde.

[Note 143: Le 17 juillet 1605.]

[Note 144: Aujourd'hui la pointe Brandt.]

[Note 145: Dans l'édition de 1613, il y avait «que le sieur de Mons luy
donna.» Dans l'édition de 1640, on remarque une autre correction: le mot
_luy_ a été mis à la place de _leur_.]

         Plus y a en icelle baye une riviere[146] qui est fort
         spacieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas, qui, à mon
         jugement, va rendre vers les Hiroquois, nation qui a guerre
         ouverte avec les montagnars qui sont en la grande riviere
         Sainct Laurent.

[Note 146: Probablement la rivière Charles. (Voir 1613, p. 61, note 3.)]


90/746
         _Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
         & de ce, qu'y avons remarqué de particulier._

                               CHAPITRE VI.

         LE lendemain[147] doublasmes le cap S. Louys, que nous avons
         ainsi nommé, terre médiocrement basse, souz la hauteur de 42
         degrez 3 quarts de latitude[148], & fismes ce jour 2 lieues de
         coste sablonneuse; & passant le long d'icelle, nous y veismes
         quantité de cabannes & jardinages, & entrasmes dedans un petit
         cul de sac. Il vint à nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la
         pesche des morues, & autres poissons, qui sont là en quantité,
         qu'ils peschent avec des haims faits d'un morceau de bois,
         auquel ils fichent un os, qu'ils forment en façon de harpon, &
         lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte, le tout estant
         en forme d'un petit crochet. La corde qui y est attachée est de
         chanvre, à mon opinion, comme celuy de France; & me dirent
         qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver,
         en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds. Ledit canau
         s'en retourna à terre advertir ceux de son habitation, qui nous
         firent des fumées, & apperceusmes 18 ou 20 Sauvages qui
         vindrent sur le bord de la coste, & se mirent à dancer. Nostre
         canau fut à terre pour leur donner quelques bagatelles, dont
         ils furent fort contents. Il en vint aucuns devers nous qui
         nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'anchre
91/747   pour ce faire: mais nous n'y peusmes entrer à cause du peu
         d'eau que nous y trouvasmes estans de base mer, & fusmes
         contraints de mouiller l'anchre à l'entrée d'icelle. Je
         descendis à terre, où j'en veis quantité d'autres qui nous
         receurent fort gracieusement, & fus recognoistre la riviere,
         où je n'y veis autre chose qu'un bras d'eau qui s'estend
         quelque peu dans les terres, qui sont en partie desertées,
         dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter
         bateaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de
         circuit, en l'une des entrées duquel y a une manière d'isle
         couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un
         costé à des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre
         costé est une terre assez haute. Il y a deux islets dans
         ladite baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, &
         autour d'icelle, la mer asseche presque toute de basse marée.
         Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste
         est fort basse, horsmis le cap de l'entrée de la baye, qu'avons
         nommé le port du cap Sainct Louys[149], distant dudit cap deux
         lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur
         du cap Sainct Louys.

[Note 147: Le 18 juillet 1605.]

[Note 148: 46° 6'.]

[Note 149: Les Pèlerins _(Pilgrim Fathers)_ lui donnèrent, quinze ans
plus tard, le nom de Plymouth.]

         Nous partismes[1509] de ce lieu, & rangeant la coste comme au
         sud, nous fismes 4 à 5 lieues, & passasmes proche d'un rocher
         qui est à fleur d'eau. Continuant nostre routte, nous
         apperceusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans
         plus prés, nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous
         demeuroit au nort norouest, qui estoit le cap d'une grande baye
92/748   contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous
         engouffrasmes tellement, qu'il nous fallut mettre à l'autre
         bord pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes
         le cap Blanc[151], pource que c'estoient sables & dunes, qui
         paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu,
         car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettez à la
         coste. Ceste baye est fort saine, pourveu qu'on n'approche la
         terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers
         que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui
         entre assez avant dans les terres, que nommasmes Saincte
         Suzanne du cap Blanc [152], d'où jusques au cap Sainct Louys y
         a dix lieues de traverse. Le cap Blanc est une pointe de sable
         qui va en tournoyant vers le sud environ six lieues. Ceste
         coste  est assez haute eslevée de sables, qui sont fort
         remarquables venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de
         15 ou 18 lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau,
         jusques à ce qu'on vienne à dix brasses en approchant de la
         terre, qui est tres-saine. Il y a une grande estendue de pays
         descouvert sur le bord de la coste devant que d'entrer dans les
         bois, qui sont fort agréables, & plaisans à voir. Nous
         mouillasmes l'anchre à la coste, & veismes quelques Sauvages,
         vers lesquels furent 4 de nos gens, qui cheminans sur une dune
         de sable, advisèrent comme une baye & des cabannes qui la
         bordoient tout à l'entour. Estans environ une lieue & demie de
         nous, vint à eux dançant (comme ils nous rapportèrent) un
83/749   Sauvage, qui estoit descendu de la haute coste, lequel s'en
         retourna peu après donner advis de nostre venue à ceux de son
         habitation.

[Note 150: Le 19 juillet 1605. (Édit. 1613, liv. I, c. VIII.)]

[Note 151: Le capitaine Gosnold lui avait déjà donné, dès 1602, le nom
de cap Cod, qu'il conserve encore aujourd'hui.]

[Note 152: Probablement la baie de Wellfleet.]

         Le lendemain[153] nous fusmes en ce lieu que nos gens avoient
         apperceu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause
         des bases & bancs, où nous voyons briser de toutes parts. Il
         estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y
         avoit que 4 pieds d'eau par la passée du nort; de haute mer il
         y a 2 brasses. Comme nous fusmes dedans, nous veismes ce lieu
         assez spacieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de circuit, tout
         entourée de maisonnettes, à l'entour desquelles chacun a autant
         de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y
         descend une petite riviere qui est assez belle, où de basse mer
         y a environ 3 pieds & demy d'eau, & y a 2 ou 3 ruisseaux bordez
         de prairies. Ce lieu est très-beau, si le havre estoit bon.
         J'en prins la hauteur, & trouvay 42 degrez de latitude, & 18
         [154] degrez 40 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Il
         vint à nous quantité de Sauvages, tant hommes que femmes, qui
         accouroient de toutes parts en dançant. Nous nommasmes ce lieu
         le port de Mallebarre[155].

[Note 153: Le 20 juillet 1605.]

[Note 154: Voir 1613, p. 65; note 1.]

[Note 155: Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41°
50'.]

         Le lendemain nous fusmes voir leur habitation avec nos armes, &
         fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que
         d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé
         de bled d'Inde, à la façon que nous avons dit cy-dessus. Il
         estoit en fleur, & avoit de haut 5 pieds & demy, & d'autre
94/750   moins advancé, qu'ils sement plus tard. Nous veismes aussi
         force feves de Bresil, & des citrouilles de plusieurs
         grosseurs, bonnes à manger; du petum & des racines qu'ils
         cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont
         remplis de chesnes, noyers, & de très beaux cyprés[156], qui
         sont rougeastres, & ont fort bonne odeur. Il y avoit aussi
         plusieurs champs qui n'estoient point cultivez, d'autant qu'ils
         laissent reposer les terres; & quand ils y veulent semer, ils
         mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs
         besches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de
         grosses nattes faites de roseaux, & par en haut il y a au
         milieu environ un pied & demy de descouvert, par où fort la
         fumée du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient
         leur demeure arrestée en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup: ce
         que ne peusmes bien sçavoir, pour ne pas entendre leur langage,
         bien qu'ils s'y efforçassent par signes, en prenant du sable en
         leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de
         la couleur de nos rabats &, qu'elle venoit sur la terre de la
         hauteur d'un pied, & d'autres nous monstroient moins; nous
         donnans aussi à entendre que le port ne geloit jamais: mais
         nous ne peusmes sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je
         tiens neantmoins que le pays est tempéré, & que l'hyver n'y est
         pas rude.

[Note 156: Le _Juniperus Virginiana_. (Voir 1613, p. 66, note 1.)]

         Tous ces Sauvages depuis le cap aux isles ne portent point de
         robbes, ny de fourrures, que fort rarement, & sont icelles
         robbes faites d'herbes, & de chanvre, qui à peine leur couvrent
         le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la
95/751   nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur
         descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière, tout le
         reste du corps estant nud & lors qu'elles nous venoient voir,
         elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes
         se coupent le poil dessus la teste, comme ceux de la riviere de
         Choüacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez
         proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par
         dessus de petites patenostres de porceline; une partie de ses
         cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entre-lacé de
         diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge,
         noir, & jaulne. Ils n'ont presque point de barbe, & se
         l'arrachent à mesure qu'elle croist, & sont bien proportionnez
         de leur corps. Je ne sçay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en
         cela ils ressemblent à leurs voisins, qui n'en ont point du
         tout, & ne sçavent adorer, ny prier. Pour armes, ils n'ont que
         des picques, massues, arcs, & flesches. Il semble à les voir
         qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort,
         mais à dire vray ils sont meschans, & si peu de fréquentation
         que l'on a avec eux, les fait aisément cognoistre. Ils sont
         grands larrons, & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils
         taschent de le faire avec les pieds, comme nous l'avons
         esprouvé souventefois: & se faut donner garde de ces peuples, &
         vivre en méfiance avec eux, sans toutefois leur faire
         appercevoir. Ils nous troquèrent leurs arcs, flesches, &
         carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu
         autre chose de meilleur, ils en eussent fait autant. Ils nous
96/752   donnèrent quantité de petum, qu'ils font secher, puis le
         reduisent en poudre[157]. Quand ils mangent le bled d'Inde ils
         le font bouillir dedans des pots de terre, qu'ils font d'autre
         manière que nous[158]. Il le pilent aussi dans des mortiers de
         bois, & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux &
         galettes, comme les Indiens du Pérou.

[Note 157: Voir 1613, p. 70, note 1.]

[Note 158: Voir 1613, p. 70, note 2.]

         Il y a quelques terres défrichées[159], & en défrichoient tous
         les jours. En voicy la façon. Ils coupent les arbres à la
         hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les
         branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois
         coupez, & par succession de temps ostent les racines. Il y a
         aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce
         port[160] est très-beau & bon, où il y a de l'eau assez pour
         les vaisseaux, & où on se peut mettre à l'abry derrière des
         isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude, &
         l'avons nommé le Beau-port[161].

[Note 159: Il s'agit du Beau-Port. L'on passe, ici, du voyage de M. de
Monts à celui de M. de Poutrinconrt, en 1606.]

[Note 160: Le Beau-Port. (Voir 1613, p. 96.)]

[Note 161: La baie de Gloucester, ou havre du cap Anne.]

         Le dernier de Septembre[162] nous partismes du Beau-port, &
         passasmes par le cap Sainct Louys, & fismes porter toute la
         nuict pour gaigner le cap Blanc. Au matin une heure devant le
         jour nous nous trouvasmes à vau le vent du cap Blanc en la baye
         blanche[163] à huict pieds d'eau, esloignez de la terre une
         lieue, où nous mouillasmes l'anchre, pour n'en approcher de
         plus prés, en attendant le jour, & voir comme nous estions de
         la marée. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chaloupe, &
97/753   ne trouva-on plus de 8 pieds d'eau, de façon qu'il fallut
         délibérer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau
         diminua jusques à 5 pieds & nostre barque talonnoit quelquefois
         sur le sable sans toutesfois s'offenser, ny faire aucun dommage
         car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de 3 pieds
         d'eau souz nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous
         donna grande esperance.

[Note 162: De l'année 1606.]

[Note 163: La baie du cap Cod.]

         Le jour estant venu, nous apperceusmes une coste de sable fort
         basse, où nous estions le travers plus à val le vent, & d'où on
         envoya la chaloupe pour sonder vers un terroir qui est assez
         haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau, & de faict on y en
         trouva 7 brasses. Nous y fusmes mouiller l'anchre, & aussi tost
         appareillasmes la chaloupe avec neuf ou dix hommes, pour aller
         à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau & bon port pour
         nous pouvoir sauver si le vent se fust eslevé plus grand qu'il
         n'estoit. Estant recogneu, nous y entrasmes à 2. 3. & 4.
         brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 &
         6 Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que
         n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux
         Huistres[164], & est par la hauteur de 42 degrez de latitude
         [165]. 11 y vint à nous trois canaux de Sauvages. Ce jour le
         vent nous fut favorable, qui fut cause que nous levasmes
         l'anchre pour aller au cap Blanc, distant de ce lieu de 5
         lieues, au nort un quart du nordest, & le doublasmes.

[Note 164: La baie de Barnstable.]

[Note 165: 41° 45'.]

98/754  Le lendemain 2 d'Octobre [166] arrivasmes devant Mallebarre, où
        sejournasmes quelque temps, pour le mauvais vent qu'il faisoit,
        durant lequel nous fusmes avec la chaloupe, avec douze à quinze
        hommes, visiter le port, où il vint au devant de nous cent
        cinquante Sauvages, en chantant & dançant, selon leur coustume.
        Après avoir veu ce lieu, nous nous en retournasmes en nostre
        vaisseau, où le vent venant bon, fismes voile le long de la
        coste courant au sud.

[Note 166: De l'année 1606.]



         _Continuation des susdites descouvertures jusques au port
         Fortuné, & quelque vingt lieues par delà._

                             CHAPITRE VII.

         Comme nous fusmes à six lieues de Malebarre, nous mouillasmes
         l'anchre proche de la coste, dautant que n'avions bon vent. Le
         long d'icelle nous advisasmes des fumées que faisoient les
         Sauvages, ce qui nous fit délibérer de les aller voir, & pour
         cet effect on équipa la chaloupe. Mais quand nous fusmes proche
         de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder, car la
         houlle estoit trop grande. Ce que voyans les Sauvages, ils
         mirent un canau à la mer, & vindrent à noua 8 ou 9 en chantant,
         & faisans signe de la joye qu'ils avoient de nous voir, puis
         nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, où nous
         pourrions mettre nostre barque en seureté. Ne pouvant mettre
         pied à terre, la chaloupe s'en revint à la barque, & les
         Sauvages retournèrent à terre, après les avoir traicté
         humainement.

99/755   Le lendemain[167] le vent estant favorable, nous continuasmes
         nostre routte au nort 5 lieues[168], & n'eusmes pas plustost
         fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau, estans
         esloignez une lieue & demie de la coste. Et allans un peu de
         l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demie, &
         deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehension, voyans la
         mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel
         nous peussions retourner sur nostre chemin, car le vent y
         estoit entièrement contraire.

[Note 167: Le 3 octobre 1606.]

[Note 168: Voir 1613, p. 99, note 1.]

         De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable,
         il fallut passer au hazard, selon que l'on pouvoit juger y
         avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que 4 pieds
         au plus, & vinsmes parmy ces brisans jusques à quatre pieds &
         demy. En fin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous
         passasmes par dessus une pointe de sable, qui jette prés de
         trois lieues à la mer, au sud suest, lieu fort dangereux.
         Doublant ce cap, que nous nommasmes le cap Batturier[169], qui
         est à douze ou treize lieues de Mallebarre, nous mouillasmes
         l'anchre à deux brasses & demie d'eau, d'autant que nous nous
         voiyons entourez de toutes parts de brisans & battures, reservé
         eu quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On
         envoya la chaloupe pour trouver un achenal, afin d'aller à un
100/756  lieu que jugions estre celuy que les Sauvages nous avoient
         donné à entendre; & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere,
         où nous pourrions estre en seureté.

[Note 169: Ce cap Batturier paraît correspondre à la tête de Sankaty,
qui forme la pointe sud-est de l'île de Nantucket, et qui est en effet à
environ douze lieues du port de Mallebarre, ou Nauset.]

         Nostre chaloupe y estant, nos gens mirent pied à terre, &
         considererent le lieu, puis revindrent avec un Sauvage qu'ils
         amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions
         entrer, ce qui fut resolu; & aussi tost levasmes l'anchre, &
         fusmes par la conduite du Sauvage, qui nous pilota, mouiller
         l'anchre à une rade qui est devant le port à six brasses d'eau,
         & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la
         nuict nous surprint.

         Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc
         de sable qui est à l'emboucheure du port; puis la plaine mer
         venant y entrasmes à 2 brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous
         louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre gouvernail
         s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des cordages, &
         craignions que parmy ces bases & fortes marées il ne rompist
         derechef, qui eust esté cause de nostre perte.

         Dedans ce port[170] il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine
         mer deux; à l'est y a une baye qui refuit au nort environ trois
         lieues, dans laquelle se voyent une isle & deux autres petits
         culs de sac, qui décorent le pays: là sont beaucoup de terres
         défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage
         de bled & autres grains dont ils vivent. Il y a aussi de
         tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprés, & peu
         de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du
101/757  labourage, & font provision de bled d'Inde pour l'hyver, lequel
         ils conservent en la façon qui ensuit.

[Note 170: Le port de Chatham, que l'auteur appelle plus loin port
Fortuné.]

         Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le fable 5
         à 6 pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres
         grains, qu'ils mettent dans de grands sacs d'herbe, qu'ils
         jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de fable 3 ou 4
         pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre à
         leur besoin, & se conserve aussi bien qu'il sçauroit faire en
         nos greniers.

         Nous veismes en ce lieu cinq à six cents Sauvages, qui estoient
         tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite
         peau de faon, ou de loup marin. Les femmes aussi couvrent la
         leur avec des peaux, ou des fueillages, & ont les cheveux tant
         l'un que l'autre bien peignez, & entrelacez en plusieurs
         façons, à la manière de ceux de Choüacoet, & sont bien
         proportionnez de leurs corps, ayans le teint olivastre. Ils se
         parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres
         jolivetez, qu'ils accommodent fort proprement en façon de
         broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches, & massues: &
         ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs &
         laboureurs.

         Pour ce qui est de leur police, gouvernement, & Leur croyance,
         je n'en ay peu que juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre
         que nos Sauvages Souriquois & Canadiens, lesquels n'adorent ny
         le Soleil, ny la Lune, ny aucune chose, & ne prient non plus
         que les bestes. Bien ont-ils parmy eux quelques gens qu'ils
         disent avoir intelligence avec le diable, à qui ils ont grande
102/758  croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir,
         encores qu'ils mentent le plus souvent: c'est pourquoy ils les
         tiennent comme Prophètes, bien qu'ils les enjaulent comme les
         Egyptiens & Bohémiens font les bonnes gens de village. Ils ont
         des chefs à qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais
         non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de
         rang que leurs compagnons.

         Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres
         que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond,
         couverts de natte, ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement
         d'un lict ou deux, eslevez un pied de terre, faits avec
         quantité de petits bois qui sont pressez les uns contre les
         autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la façon
         d'Espagne (qui est une manière de natte espoisse de deux ou
         trois doigts) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de
         pulces en esté, mesme parmy les champs. En nous allans
         pourmener nous en fusmes remplis en telle quantité, que nous
         fusmes contraints de changer d'habits.

         Tous les ports, bayes & costes depuis Choüacoet sont remplis de
         toutes sortes de poisson, semblable à celuy qui est aux costes
         d'Acadie, & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il
         n'estoit jour ne nuict que nous ne veissions & entendissions
         passer aux costez de nostre barque plus de mille marsouins, qui
         chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantité de plusieurs
         especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse
         des oiseaux y est fort abondante.

103/759  C'est un lieu fort propre pour y bastir, & jetter les fondemens
         d'une République, si le port estoit un peu plus profond, &
         l'entrée plus seure qu'elle n'est. Il fut nommé le port
         Fortuné, pour quelque accident qui y arriva[171]. Il est par la
         hauteur de 41 & un tiers de latitude, à 13 lieues de
         Mallebarre. Nous visitasmes tout le pays circonvoisin, lequel
         est fort beau, comme j'ay dit cy-dessus, où nous veismes
         quantité de maisonnettes ça & là.

[Note 171: Voir 1613, p. 105, 106, 107.]

         Partans du port Fortuné, ayans fait six ou sept lieues, nous
         eusmes cognoissance d'une isle, que nous nommasmes la
         Soupçonneuse [172], pour avoir eu plusieurs fois croyance de
         loing que ce fust autre chose qu'une isle. Rangeant la coste au
         surouest prés de douze lieues, passasmes proche d'une riviere
         qui est fort petite, & de difficile abord, à cause des bases &
         rochers qui sont à l'entrée, que j'ay nommée de mon nom. Ce que
         nous veismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses,
         qui ne laissent d'estre belles & bonnes, toutesfois de
         difficile abord, n'ayans aucunes retraites, les lieux fort
         batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus
         que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses sept à huict
         brasses, encores cela ne duroit que la longueur du câble, aussi
         tost l'on revenoit à deux ou trois brasses, & ne s'y fie qui
         voudra qu'il ne l'aye bien recognue la sonde à la main.

[Note 172: Probablement _Martha's Vineyard_.]

         Voila toutes les costes que nous descouvrismes tant à l'Acadie,
         que és Etechemins & Almouchiquois[173], desquelles je fis la
104/760  carte fort exactement de ce que je veis, que je fis graver en
         l'an 1604[174] qui depuis a esté mite en lumière aux discours
         de mes premiers voyages.

[Note 173: Depuis 1604, jusqu'à l'automne de 1606.]

[Note 174: Champlain ne put faire graver, en 1604, que la carte du
voyage d'exploration qu'il fit dans le Saint-Laurent, en 1603, avec
Pont-Gravé. Cette première carte est encore à retrouver.]



         _Descouverture depuis le Cap de la Héve jusques à Canseau, fort
         particulièrement._

                              CHAPITRE VIII

         Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre[175], qui est une
         isle ainsi appellée par quelques Mallouins, distante de la Héve
         de 15 lieues, se trouvent en ce chemin quantité d'isles,
         qu'avons nommées les Martyres, pour y avoir eu des François
         autrefois tuez par les Sauvages. Ces isles sont en plusieurs
         culs de sac & bayes, en l'une desquelles y a une riviere
         appellée Saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues,
         qui est par la hauteur de 44 degrez, & 25 minutes de latitude.
         Les isles & costes sont remplies de quantité de pins, sapins,
         bouleaux, & autres meschans bois. La pesche du poisson y est
         abondante, comme aussi la chasse des oiseaux.

[Note 175: Aujourd'hui Sambro.]

         De Sesambre passasmes une baye fort saine[176] contenant 7 à 8
         lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au
         fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau, &
         fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues, mettant le
105/761  cap au nordest quart d'est, qui est assez bon pour des
         vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son entrée
         y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la grande
         terre. Nous avons nommé ce lieu le port Saincte Heleine[177],
         qui est parla hauteur de 44 degrez 40 minutes peu plus ou moins
         de latitude.

[Note 176: La baie de Chibouctou, aujourd'hui le havre d'Halifax.]

[Note 177: Probablement ce qu'on appelle aujourd'hui le havre de
Jeddore.]

         De ce lieu fusmes à une baye appellée la baye de toutes isles
         [178], qui peut contenir 14 à 15 lieues: lieux qui sont
         dangereux à cause des bancs, bases, & battures qu'il y a. Le
         pays est tres-mauvais à voir, remply de mesmes bois que j'ay
         dit cy-dessus.

[Note 178: Voir 1613, p. 128, note 2.]

         De là passasmes proche d'une riviere qui en est distante de six
         lieues, qui s'appelle la riviere de l'isle verte[179], pour y
         en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes
         est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue
         à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez
         un quart de latitude.

[Note 179: La rivière Sainte-Marie. (Voir 1613, p. 128, note 3.)]

         De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac[180] & deux ou
         trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte
         trois lieues. Nous passasmes aussi par plusieurs isles qui sont
         rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles
         rangées, distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En après
         passasmes par une autre baye[181] où il y a plusieurs isles, &
         fusmes jusques à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui faisoit
         pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloignées de
106/762  la terre, distantes des isles rangées 4 lieues, & appellasmes
         ce lieu le port de Savalette[182], qui estoit le maistre du
         vaisseau qui faisoit pesche, qui estoit Basque.

[Note 180: Aujourd'hui _Country Harbour_.]

[Note 181: Aujourd'hui _Torbay_.]

[Note 182: Probablement White Haven. (Voir 1613, p. 129, note 3.)]

         Partant de ce lieu arrivasmes à Canseau[183] le 27 du mois,
         distant du port de Savalette six lieues, où passasmes par
         quantité d'isles jusques audit Canseau, ausquelles y a telle
         abondance de framboises, qu'il ne se peut dire plus.

[Note 183: Voir 1613, p. 130, note I.]

         Toutes les costes que nous rangeasmes depuis le cap de Sable
         jusques en ce lieu, sont terres médiocrement hautes, & costes
         de rochers, en la plus-part des endroits bordées de nombre
         d'isles & brisans qui jettent à la mer par endroits prés de
         deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abord des vaisseaux:
         neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & rades le long
         des costes & isles. Pour ce qui est de la terre, elle est plus
         mauvaise, & mal agréable qu'en autres lieux qu'eussions veus,
         excepté en quelques rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez
         plaisant: & ne faut douter qu'en ces lieux l'hyver n'y soit
         froid, durant prés de six mois[184].

[Note 184: L'édition de 1640 porte «prés de six à sept mois,» comme
l'édition de 1613.]

         Ce port de Canseau est un lieu entre des isles, qui est de fort
         mauvais abord, si ce n'est de beau temps, pour les rochers &
         brisans qui sont autour. Il s'y fait pesche de poisson verd &
         sec.

         De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton, qui est par la
         hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude[185], & 14.
107/763  degrez 50 minutes de declinaison de l'Aymant y a huict lieues,
         & jusques au cap Breton 25 où entre les deux y a une grande
         baye[186] qui entre environ 9 ou 10 lieues dans les terres, &
         fait partage entre l'isle du cap Breton, & la grand'terre qui
         va rendre en la grande baye Sainct Laurent, par où on va à
         Gaspé & isle Percée, où se fait pesche de poisson. Ce passage
         de l'isle du cap Breton est fort estroit. Les grands vaisseaux
         n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des
         grands courans & transports de marées qui y sont, & avons nommé
         ce lieu le passage courant[187], qui est par la hauteur de 45
         degrez trois quarts de latitude.

[Note 185: La latitude du cap Breton est d'environ 45° 57', et la
variation de l'aiguille y est aujourd'hui de près de 24° de déclinaison
occidentale.]

[Note 186: La baie de Chédabouctou.]

[Note 187: Aujourd'hui le détroit de Canseau.]

         Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a 80
         lieues de circuit, & est la plus-part terre montagneuse,
         toutesfois en quelques endroits agréable. Au milieu d'icelle y
         a une manière de lac[188], où la mer entre par le costé du nort
         quart du nordest, & du sud quart du suest[189], & y a quantité
         d'isles remplies de grand nombre de gibbier, & coquillages de
         plusieurs sortes, entre autres des huistres qui ne sont de
         grande saveur. En ce lieu y a plusieurs ports & endroits où
         l'on fait pesche de poisson, sçavoir le port aux Anglois[190],
         distant du cap Breton environ deux à trois lieues: & l'autre,
         Niganis, 18 ou 20 lieues plus au nort. Les Portugais autrefois
         voulurent habiter ceste isle, & y passerent un hyver: mais la
         rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur
108/764  habitation. Toutes ces choses veues, je repassay en France,
         après avoir demeuré quatre ans tant à l'habitation de Saincte
         Croix, qu'au port Royal[191].

[Note 188: Le Bras-d'or, ou Labrador.]

[Note 189: Voir 1613, p. 132, note 2.]

[Note 190: Appelé depuis Louisbourg.]

[Note 191: Champlain partit de Canseau le 3 septembre 1607; il avait
quitté le Havre au commencement d'avril 1604: il y avait donc trois ans
et cinq mois qu'il, était à l'Acadie.]

                         _Fin du second Livre._

109/765

                             LES VOYAGES
                             DU SIEUR DE
                              CHAMPLAIN.

                          LIVRE TROISIESME.



         _Voyages du sieur de Poitrincourt en la nouvelle France, où il
         laisse son fils le Sieur de Biencourt. Pères Jesuites qui y
         sont envoyez & les progrés qu'ils y firent, y faisans fleurir
         la Foy Chrestienne._

                           CHAPITRE PREMIER.

         Le sieur de Poitrincourt père ayant obtenu un don du Sieur de
         Mons, en vertu de sa commission, de quelques terres adjacentes
         au port Royal, qu'il avoit abandonnées, l'habitation demeurant
         en son entier, ledit Sieur de Poitrincourt fait tout devoir de
         l'habiter, & y laisse son fils Sieur de Biencourt, lequel
         pendant qu'il excogite les moyens de s'y pouvoir establir, les
         Rochelois & les Basques l'assistent en la plus grande partie
         des embarquemens, souz esperance d'avoir les pelleteries par
         leur moyen: mais son dessein ne luy réussit pas comme il
         desiroit. Car Madame de Guercheville très-charitable,
110/766  s'entremet en ceste affaire en faveur & consideration des Pères
         Jesuites. En voicy le discours.

         Ledit sieur Jean de Poitrincourt, avant que le sieur de Mons
         partist de la nouvelle France, luy demanda en don le Port
         Royal, qu'il luy accorda, à condition que dans deux ans en
         suitte ledit sieur de Poitrincourt s'y transporteroit avec
         plusieurs autres familles, pour cultiver & habiter le pays; ce
         qu'il promit faire, & en l'an 1607, le feu Roy Henry le Grand
         luy ratifia & confirma ce don, & dit au feu Reverend Père Coton
         qu'il vouloit se servir de leur Compagnie en la conversion des
         Sauvages, promettant deux mille livres pour leur entretien. Le
         Père Coton obéît au commandement de sa Majesté; & entre autres
         de leurs Peres se presenta le Pere Biard, pour estre employé en
         un si sainct voyage: & l'an 1608, il fut envoyé à Bordeaux, où
         il demeura long temps sans entendre aucunes nouvelles de
         l'embarquement pour Canada.

         L'an 1609, le sieur de Poitrincourt arriva à Paris: le Roy en
         estant adverty, & ayant sceu que contre l'opinion de sa Majesté
         il n'avoit bougé de France, se fascha fort contre luy. Mais
         pour contenter sadite Majesté, il s'équipe pour faire le
         voyage. Sur cette resolution le Père Coton offre luy donner des
         Religieux: sur quoy ledit sieur de Poitrincourt luy dit qu'il
         seroit meilleur d'attendre jusques en l'an suivant, promettant
         qu'aussi tost qu'il seroit arrivé au port Royal, il renvoyeroit
111/767  son fils, avec lequel les PP. Jesuites viendroient. De faict
         l'an 1610, ledit sieur de Poitrincourt s'embarqua sur la fin de
         Fevrier, & arriva au port Royal au mois de Juin suivant, où
         ayant assemblé le plus de Sauvages qu'il peut, il en fit
         baptiser environ 25 le jour de sainct Jean Baptiste, par un
         Prestre appelle Messire Josué Fleche, surnommé le Patriarche.

         Peu de temps après il renvoya en France le sieur de Biencourt
         son fils, aagé d'environ 19 ans, pour apporter les bonnes
         nouvelles du baptesme des Sauvages[192], & faire en sorte qu'il
         fust en brief secouru de vivres, dont il estoit mal pourveu,
         pour y passer l'hyver.

[Note 192: Lescarbot nous a conservé les noms de vingt-et-un sauvages
baptisés à Port Royal par un prêtre du diocèse de Langres, nommé Jessé
Fléché. (Hist. de la Nouv. France, liv. V, ch. VIII.)]

         Le Reverend Père Christoffe Balthazar, Provincial, commit pour
         aller avec le sieur de Biencourt, les Peres Pierre Biart, &
         Remond Masse[193]; le Roy Louys le Juste leur ayant fait
         delivrer cinq cents escus promis par le feu Roy son père, &
         plusieurs riches ornemens donnez par les Dames de Guercheville
         & de Sourdis. Estans arrivez à Dieppe, il y eut quelque
         contestation entre les Pères Jesuites, & des marchands[194], ce
         qui fut cause que lesdits Pères se retirèrent en leur Collège
         d'Eu.

[Note 193: Enemond Massé. (Voir Hist. de la Colonie française en Canada,
t. I, note de la p. 101.)]

[Note 194: Ces marchands étaient Duchesne et Dujardin, tous deux de la
religion prétendue reformée. (Relat. du P. Biart, ch. XII.--Lescarbot,
liv. V, ch. X.--Asseline, _ms_. de Dieppe.)]

         Ce qu'ayant sceu Madame de Guercheville, fut fort indignée de
         ce que de petits marchands avoient esté se outrecuidez d'avoir
         offensé, & traversé ces Peres, dit qu'ils devoient estre punis,
112/768  mais tout leur chastiement fut qu'ils ne furent receus à
         l'embarquement. Et ayant sceu que l'équipage ne se monsteroit
         qu'à quatre mil livres, elle fit une queste en la Cour, & par
         cet office charitable elle recueillit ladite somme dont elle
         paya les marchands qui avoient troublé lesdits Pères, & les fit
         casser de toute association: & du reste de ceste somme, &
         d'autres grands biens, fit un fonds pour l'entretien desdits
         Peres, ne voulant qu'ils fussent à charge au sieur de
         Poitrincourt, & faire en sorte que le profit qui reviendroit
         des pelleteries & des pesches que le navire remporteroit, ne
         reviendroit point au profit des associez, & autres marchands,
         mais retourneroit en Canada, en la possession des Sieurs Robin
         & de Biencourt, qui l'employeroient à l'entretien du port Royal
         & des François qui y resident.

         A ce subject fut conclu & arresté que cet argent de Madame de
         Guercheville, ayant esté destiné pour le profit de Canada, les
         Jesuites auroient part aux émoluments de l'association desdits
         sieurs Robin & de Biencourt, & y participeroient avec eux.
         C'est ce contract d'association qui a fait tant semer de
         bruits, de plaintes, & de crieries contre les Pères Jesuites,
         qui en cela, & en toute autre chose se sont equitablement
         gouvernez selon Dieu & raison, à la honte & confusion de leurs
         envieux & mesdisans.

         Le 26. Janvier 1611, les mesmes Peres s'embarquerent avec ledit
         sieur de Biencourt, lequel ils assisterent d'argent pour mettre
         le vaisseau hors, & soulager les grandes necessitez qu'ils
113/769  avoient eues en ceste navigation; d'autant que costoyans les
         costes ils s'arreterent & sejournerent en plusieurs endroits
         avant qu'arriver au port Royal, qui fut le 12 juin[195] 1611,
         le jour de la Pentecoste; & pendant ce voyage lesdits Peres
         eurent grande disette de vivres, & d'autres choses, ainse que
         rapportèrent les pilotes David de Bruges, & le Capitaine Jean
         Daune, tous deux de la religion prétendue reformée, confessans
         qu'ils avoient trouvé ces bons Peres tout autres que l'on les
         leur avoit dépeint.

[Note 195: Le 22 mai, comme le prouvent abondamment les détails
renfermés dans les lettres du P. Biard. C'est ce jour-là, au reste, que
tombait la Pentecôte en 1611.]

         Le sieur de Poitrincourt desirant retourner en France, pour
         mieux donner ordre à ses affaires, laissa son fils le sieur de
         Biencourt, & les Pères Jesuites auprés luy, qui faisoient tous
         ensemble environ 20[196] personnes. Il partit la my-Juillet de
         la mesme année 1611 & arriva en France sur la fin du mois
         d'Aoust.

[Note 196: «Vingt & deux personnes, en comptant les deux Jesuites,» dit
la Relat. du P. Biard ch. XXV.]

         Pendant l'hyvernement ledict sieur de Biencourt fit encores
         quelques fascheries aux gens du fils dudit Pontgravé, appelle
         Robert Gravé(197), qu'il traitta assez mal: mais en fin par le
         travail des Pères Jesuites, le tout fut appaisé, & demeurèrent
         bons amis.

[Note 197: «Le jeune du Pont avoit l'année prochainement passée, esté
faist prisonnier par le sieur de Poitrincourt, d'où s'estant évadé
subtilement, il avoit esté contrainct courir les bois en grande
misere... Le P. Biard supplia le sieur de Poitrincourt d'avoir esgard
aux grands merites du sieur du Pont le père, & aux belles esperances
qu'il y avoit du fils... Il amena ledit du Pont au sieur de
Poitrincourt, & paix & reconciliation faicte on tira le canon.» (Relat.
du P. Biard, ch. XIV.) «Reconciliatus quoque magni quidam juvenis &
animi & spei. Is, quod sibi a D. Potrincurtio timeret, annum jam unum
cum silvicolis eorum more atq vestitu pererrabat, & suspicio erat
pejoris quoq rei. Obtulit eum mihi Deus: colloquor deniq post multa
juvenis sese credit. Deduco eum ad Potrincurtium. Non poenituit fidei
datae: pax facta est maximo omnium gaudio, & juvenis postridie, antequam
ad sacram Eucharistiam accederet, suapte ipse sponte a circumstantibus
mali exempli veniam petiit.» (Lettre du P. Biard, 1612, Archives du
Gesu.)]

         Le sieur de Poitrincourt cherchant en France tous moyens
114/770  d'aller secourir son fils. Madame de Guercheville, pieuse,
         vertueuse, & fort affectionnée à la conversion des Sauvages,
         ayant desja recueilly quelques charitez, en communiqua avec
         luy, & dit que très-volontiers elle entreroit en la compagnie,
         & qu'elle envoyeroit avec luy des Peres Jesuites, pour le
         secours de Canada.

         Le contract d'association fut passé, lad. Dame authorisée de
         Monsieur de Liencour[198], premier Escuyer du Roy, & Gouverneur
         de Paris, son mary. Par ce contract fut arresté, Que
         presentement elle donneroit mil escus pour la cargaison d'un
         vaisseau, moyennant quoy elle entreroit au partage des profits
         que ce navire rapporteroit, & des terres que le Roy avoit
         données au sieur de Poitrincourt, ainsi qu'il est porté en la
         minute de ce contract. Lequel sieur de Poitrincourt se
         reservoit le port Royal, & ses terres; n'entendant point
         qu'elles entrassent en la communauté des autres Seigneuries,
         Caps, Havres, & Provinces qu'il dit avoir audit pays contre le
         port Royal. Ladite Dame luy demanda qu'il eust à faire
         paroistre tiltres par lesquels ces Seigneuries & terres luy
         appartenoient, & comme il possedoit tant de domaine. Mais il
         s'en excusa, disant que ses filtres & papiers estoient demeurez
         en la nouvelle France.

[Note 198: Dans d'autres exemplaires cette phrase se lit ainsi: «Le
contract d'association fut passé avec lad. Dame, authorisée de Mr. de
Liencourt...»]

         Ce qu'entendant ladite Dame, se mesfiant de ce que disoit le
         sieur de Poitrincourt, & voulant se garder d'estre surprise,
         elle traicta avec le sieur de Mons, à ce qu'il luy retrocedast
         tous les droicts, actions, & prétentions qu'il avoit, ou jamais
115/771  eu en la nouvelle France, à cause de la donation à luy faite
         par feu Henry le Grand. La Dame de Guercheville obtient lettres
         de sa Majesté à present régnant, par lesquelles donation luy
         est faite de nouveau[199] de toutes les terres de la nouvelle
         France, depuis la grande riviere, jusques à la Floride, horsmis
         seulement le port Royal, qui estoit ce que ledit sieur de
         Poitrincourt avoit presentement[200], & non autre chose.

[Note 199: L'édition de 1640 porte: «donation nouvelle luy est faite de
toutes...»]

[Note 200: L'édition de 1640 porte: «premièrement.»]

         Ladite Dame donna l'argent aux Pères Jesuites pour le mettre
         entre les mains de quelque marchand à Dieppe: mais ledit sieur
         de Poitrincourt fit tant avec les mesmes Peres, que de ces
         mille escus il en tira quatre cents.

         Il commit à cet embarquement un sien serviteur appellé Simon
         Imbert Sandrier, qui s'acquitta assez mal de l'administration
         de ce navire équipé & frété. Il partit de Dieppe le 31 de
         Décembre au fort de l'hyver, & arriva au port Royal le 23 de
         Janvier l'an suivant 1612.

         Le sieur de Biencourt fort aise d'une part de voir ce nouveau
         secours arrivé, & d'autre fasché de voir Madame de Guercheville
         hors de ceste compagnie, suivant ce que ledit Imbert luy avoit
         dit, & des plaintes que luy firent les Pères Jesuites du
         mauvais mesnage fait en tel embarquement par cet Imbert, qui à
         tort & sans cause accusoit les Peres, lesquels neantmoins le
         contraignirent de confesser qu'il estoit gaillard quand il
         parla audit sieur de Biencourt.

         En fin toutes ces choses estans appaisées & pardonnées, le Pere
116/772  Masse estant avec les Sauvages pour apprendre leur langue, il
         devint malade en un lieu, où il eut grande disette, car tout
         estoit en désordre en ceste demeure. Le Père Biart demeura au
         port Royal, où il souffrit plusieurs fatigues, & de grandes
         necessitez quelques jours durant, à amasser du gland, &
         chercher des racines pour son vivre. Pendant ce temps on
         dressoit en France un equipage pour retirer les jesuites du
         port Royal, & fonder une nouvelle demeure en un autre endroit.
         Le chef de cet équipage estoit la Saussaye, ayant avec luy
         trente personnes qui y devoient hyverner, y compris deux
         jesuites & leur serviteur, qui se prendroient au port Royal. Il
         avoit desja avec luy deux autres Peres Jesuites, sçavoir le
         Père Quentin[201], & le Père Gilbert du Thet [202], mais ils
         devoient revenir en France avec l'équipage des matelots, qui
         estoient 38.[203] La Royne avoit contribué à la despense des
         armes, des poudres, & de quelques munitions. Le vaisseau estoit
         de cent tonneaux, qui partit de Honnefleur le 12 Mars l'an
         1613, & arriva à la Héve à l'Acadie le 16 de May, où ils mirent
         pour marque de leur possession les armes de Madame de
         Guercheville. Ils vindrent au port Royal, où ils ne trouverent
         que 5 personnes, deux Peres Jesuites, Hébert[204] Apoticaire
         (qui tenoit la place du Sieur de Biencourt, pendant qu'il
117/773  estoit allé bien loin chercher dequoy vivre) & deux autres
         personnes. Ce fut à luy qu'on presenta les lettres de la Royne,
         pour relascher les Pères, & leur permettre aller où bon leur
         sembleroit; ce qu'il fit: & ces Peres retirèrent leurs
         commoditez du pays, & laisserent quelques vivres audit Hébert,
         afin qu'il n'en eust necessité.

[Note 201: Jacques Quentin. «On a quelquefois confondu ce P. Jacques
Quentin avec Claude Quentin, que nous trouvons porté sur le Catalogue de
1625 comme étudiant en théologie à la Flèche.».(Première mission des
Jésuites en Canada, par le P. Carayon, note de la p. 109.)]

[Note 202: Gilbert du Thet n'était que Frère.]

[Note 203: Le P. Biard dit 48. (Relat, ch. XXIII.)]

[Note 204: Louis Hébert, qui plus tard vint s'établir à Québec.]

         Ils sortirent de ce lieu, & furent habiter les monts deserts à
         l'entrée de la riviere de Pemetegoet. Le pilote arriva au costé
         de l'est de l'isle des monts deserts, où les Peres logèrent, &
         rendirent grâces à Dieu, eslevans une croix, & firent le sainct
         sacrifice de la Messe: & fut ce lieu nommé Sainct Sauveur, à 44
         degrez & un tiers de latitude.

         Là à peine commençoient-ils à s'accommoder, & deserter le lieu,
         que l'Anglois survint, qui leur donna bien d'autre besongne.

         Depuis que ces Anglois se sont establis aux Virgines, afin de
         se pourveoir de moluës, ont accoustumé de venir faire leur
         pesche à seize lieues de l'isle des monts deserts: & ainsi y
         arrivans l'an 1613, estans surpris des bruines & jettez à la
         coste des Sauvages de Pemetegoet, estimans qu'ils estoient
         François, leur dirent qu'il y en avoit à Sainct Sauveur. Les
         Anglois estans en necessité de vivres, & tous leurs hommes en
         pauvre estat, deschirez, & à demy nuds, s'informent diligemment
         des forces des François: & ayans eu response conforme à leur
         desir, ils vont droit à eux, & se mettent en estat de les
         combattre. Les François voyans venir un seul navire à pleines
         voiles, sans sçavoir que dix autres approchoient, recogneurent
         que c'estoient Anglois. Aussi tost le sieur de la Motte le
         Vilin, Lieutenant de la Saussaye, & quelques autres, accourent
118/774  au bord pour le défendre. La Saussaye demeure à terre avec la
         plus-part de ses hommes: mais en fin l'Anglois estant plus
         fort que les François, après quelque combat prirent les
         nostres. Les Anglois estoient en nombre de 60 soldats, &
         avoient 14 pièces de canon. En ce combat Gilbert du Thet fut
         tué[205] d'un coup de mousquet, quelques autres blessez, & le
         reste furent pris, excepté Lamets, & quatre autres qui se
         sauverent[206]. Par après il entrent au vaisseau des François
         s'en saisissent, pillent ce qu'ils y trouvent, desrobent la
         Commission du Roy que la Saussaye avoit en son coffre. Le
         Capitaine qui commandoit en ce vaisseau s'appelloit Samuel
         Argal.

[Note 205: Il reçut un coup de mousquet au travers du corps, et mourut
de sa blessure le lendemain. Outre ce Frère, deux autres français furent
tués, et quatre blessés, du nombre desquels était le capitaine Flory.
«Or le P. Biard ayant sceu la blessure du P. Gilbert du Thet, fit
demander au Capitaine que les blessez fussent portez à terre, ce qui fut
accordé, & par ainsi le dit Gilbert eut le moyen de se confesser, & de
louer & bénir Dieu juste & misericordieux en la compagnie de ses frères,
mourant entre leurs mains; ce qu'il fit avec grande constance,
resignation & devotion vingt-quatre heures après sa blessure. Il eut son
souhait, car au départ de Honfleur, en presence de tout l'équipage, il
avoit haussé les mains & les yeux vers le ciel, priant Dieu qu'il ne
revinst plus en France, mais qu'il mourust travaillant à la conqueste
des âmes & au salut des Sauvages. Il fut enterré le mesme jour au pied
d'une grande croix que nous avions dressée du commencement.» (Relat. du
P. Biard.)]

[Note 206: «Le Capitaine anglois avoit une espine au pied qui le
tourmentoit: c'estoit le pilote & les matelots qui estoient evadez, &
desquels il ne pouvoit sçavoir nouvelles. Ce pilote appellé le Bailleur,
de la ville de Rouen, s'en estant allé pour recognoistre, ainsi qu'il
vous a esté dit, ne put point retourner à temps au navire pour le
deffendre, & partant il retira sa chaloupe à l'escart, & la nuict venue,
prit encore avec luy les autres matelots, & se mit en sureté hors la
veue & le pouvoir des Anglois,» _(Ibid.)_]

         Les ennemis mettent pied à terre, cherchent la Saussaye, qui
         s'estoit retiré dans les bois. Le lendemain vint trouver
         l'Anglois, qui luy fit bonne réception: & luy demandant sa
         Commission, il va à son coffre pour la prendre, croyant qu'on
         ne l'auroit point ouvert. Il y trouve toutes ses bardes &
         commoditez, horsmis la Commission, dont il demeura fort
119/775  estonné. Et alors l'Anglois faisant le fasché, luy dit: _Quoy?
         vous nous donnez à entendre que vous avez Commission du Roy
         vostre Maistre, & ne la pouvez produire? vous estes donc des
         forbans & pirates, qui meritez la mort._ Dés lors les Anglois
         partirent le butin entr'eux.

         Les Pères Jesuites voyans le péril auquel les François estoient
         réduits, font en sorte avec Argal, qu'ils appaiserent les
         Anglois, & par des raisons puissantes que luy donna le Père
         Biart, il prouve que tous leurs hommes estoient gens de bien, &
         recommandez par sa Majesté Tres-chrestienne. L'Anglois fit mine
         de s'accorder, & croire aux raisons des Peres, & dirent au
         sieur de la Saussaye: _Il y a bien de vostre faute de laisser
         ainsi perdre vos lettres._ Et par après firent disner lesdits
         Peres à leur table.

         Il fut parlé de renvoyer les François en France, mais on ne
         leur vouloit donner qu'une chaloupe à 30 qu'ils estoient, pour
         aller trouver passage le long des costes. Les Pères leur
         remonstrerent qu'il estoit impossible qu'une chaloupe peust
         suffire à les conduire sans péril. Et alors Argal dit: _J'ay
         trouvé un autre expédient pour les conduire aux Virgines_. Les
         artisans, souz promesse qu'on ne les forceroit point au faict
         de leur religion, & qu'après un an de service on les feroit
         repasser en France, trois acceptèrent cet offre: aussi le sieur
         de la Motte avoit dés le commencement consenty de s'en aller à
         la Virgine, avec ce Capitaine Anglois, lequel l'honoroit pour
         l'avoir trouvé faisant son devoir; & luy permit d'amener
         quelques uns des siens avec luy, & le Père Biart: que quatre
         qu'ils estoient, sçavoir deux Peres, & deux autres, fussent
120/776  conduits aux isles où les Anglois faisoient la pesche des
         moluës, & qu'il leur mandast que par leur moyen il peust passer
         en France: ce que le Capitaine Anglois luy accorda
         très-volontiers.

         De cette façon la chaloupe se trouva capable de porter les
         hommes divisez en trois bandes. Quinze estoient avec le pilote
         qui s'estoit eschapé: quinze avec l'Anglois, & quinze en la
         chaloupe accordée, où estoit le Pere Masse, & fut delivrée
         entre les mains de la Saussaye, & du mesme Pere Masse, avec
         quelques vivres, mais il n'y avoit aucuns mariniers, & de bonne
         fortune le pilote la rencontra, qui fut un grand bien pour eux,
         & furent jusques à Sesembre, par delà la Héve, où estoit le
         vaisseau de Robert Gravé, & un autre. Ils diviserent les
         François en deux bandes, pour les repasser en France, &
         arriverent à Sainct Malo, sans avoir couru aucun peril par les
         tempestes.

         Le Capitaine Argal mena les quinze François & les Pères
         Jesuites aux Virgines, où estans, le chef d'icelle appellé le
         Mareschal, commandant au pays, menaçoit de faire mourir les
         Peres, & tous les François: mais Argal se banda contre luy,
         disant qu'il leur avoit donné sa parole.. Et se voyant trop
         foible pour les soustenir & défendre, se resolut de monstrer
         les Commissions qu'il avoit dérobés; & le Mareschal les voyant
         s'apaisa, & promit que la parole qu'on leur avoit donnée leur
         seroit tenue.

         Ce Mareschal fait assembler son conseil, & se resoult d'aller à
         la coste d'Acadie, & y razer toutes les demeures & forteresses
         jusques au 46e degrée, pretendant que tout ce pays luy
         appartenoit.

121/777  Sur ceste resolution du Mareschal, Argal reprend la routte avec
         trois vaisseaux, divise les François en iceux, & retournent à
         Sainct Sauveur; ou croyans y trouver la Saussaye, & un navire
         nouvellement arrivé, ils sceurent qu'il estoit retourné en
         France. Ils y plantèrent une croix, au lieu de celle que les
         Peres y avoient plantée, qu'ils rompirent, & sur la leur ils
         escrivirent le nom du Roy de la grand'Bretagne, pour lequel ils
         prenoient possession de ce lieu.

         De là il fut à la Saincte Croix, qu'il brusla, osta toutes les
         marques qui y estoient, & print un morceau du sel qu'il y
         trouva.

         Par après il fut au port Royal, conduit d'un Sauvage qu'il
         print par force, les François ne le voulant enseigner, met pied
         à terre, entre dedans, visite la demeure, & n'y trouvant
         personne, prend ce qui y estoit de butin, la fit brusler, & en
         deux heures le tout fut réduit en cendres, & osta toutes les
         marques que les François y avoient mises: de sorte que ceux qui
         y estoient furent contraints d'abandonner ceste demeure, & s'en
         aller avec les Sauvages.

         Un François meschant & desnaturé, qui estoit avec ceux qui
         s'estoient sauvez dans les bois, approchant du bord de l'eau,
         cria tout haut, & demanda à parlementer, ce qui luy fut
         accordé, & lors il dit: _Je m'estonne qu'y ayant avec vous un
         Jesuite Espagnol, appellé, le Pere Biart, vous ne le faites
         mourir comme un meschant homme, qui vous fera du mal s'il peut,
         si le laissez faire._ Est-il possible que la nation Françoise
122/778  produise de tels monstres d'hommes detestables, semeurs de
         faussetez calomnieuses, pour faire perdre la vie à ces bons
         Peres?

         Les Anglois partent du port Royal le 9 Novembre 1613 pour
         retourner aux Virgines. En ce voyage la contrariété des vents &
         des tempestes fut telle, que les trois vaisseaux se separerent.
         La barque où estoient six Anglois ne s'est peu recouvrer du
         depuis, & le vaisseau du Capitaine Argal abordant les Virgines,
         qui fit entendre au Mareschal ce qu'estoit le Père Biart, qu'il
         tenoit pour Espagnol, & qui l'attendoit pour le faire mourir.
         Il estoit alors au troisiesme vaisseau, où commandoit un
         Capitaine nomme Turnel, ennemy mortel des Jesuites; & ce
         vaisseau fut tellement battu du vent de surouest, que mettant à
         contre-bord, il fut contraint de relascher aux Sores[204], à
         500 lieues des Virgines, où l'on tua tous les chevaux qui
         avoient esté pris au port Royal, qu'ils mangèrent au defaut
         d'autres vivres. En fin ils arriverent à une isle des Sores, &
         alors il dit au Pere: _Dieu est courroucé, contre nous, & nous
         contre vous[208], pour le mal que nous vous avons fait souffrir
         injustement. Mais je m'estonne comme des François estans dans
         les bois, au milieu de tant de miseres & apprehensions, ayant
         fait courir le bruit que vous estes Espagnol: & l'ont non
         seulement dit & asseuré, mais l'ont signe? Monsieur_ (dit le
         Père) _vous sçavez que pour toutes les calomnies & mesdisances,
         je n'ay jamais mal parlé de ceux qui m'accusoient, vous estes
         tesmoin de la patience que j'ay eue contre tant d'adversitez,
123/779  mais Dieu cognoist la vérité. Non seulement je n'ay jamais esté
         en Espagne, ny aucun de mes parents, mais je suis bon fidèle
         François pour le service de Dieu, & de mon Roy, & feray
         tousjours paroistre au péril de ma vie que c'est à tort que
         l'on m'a calomnié, & que l'on m'appelle Espagnol. Dieu leur
         pardonne, & qu'il luy plaise nous delivrer d'entre leurs mains,
         & vous particulièrement, pour nostre bien, & oublions le
         passé._

[Note 207: L'édition de 1640 porte: «Esores.»]

[Note 208: _Et non contre vous_. (Voir Relat. du P. Biard.)]

         De là ils vont mouiller l'anchre à la rade de l'isle du Fal
         [209], qui est une des Sores, & furent contraints d'anchrer en
         ce port, & cacher les Peres en quelque endroit au fonds du
         vaisseau, & tirèrent parole d'eux qu'ils ne se descouvriroient
         point, ce qu'ils firent.

[Note 209: L'édition de 1640 porte: «Fayal, qui est une des Esores.»]

         La visite du vaisseau fut faite par les Portugais, qui
         descendirent au bas où les Peres estoient, & qui les voyoient
         sans faire aucun signe, & neantmoins s'ils se fussent donnez à
         cognoistre aux Portugais, ils eussent esté aussi tost delivrez,
         & tous les Anglois pendus: mais ces visiteurs pour ne chercher
         exactement, ne veirent point les Peres Jesuites, & s'en
         retournèrent à terre, & ainsi les Anglois furent delivrez du
         hazard qu'ils couroient d'estre pendus, allèrent quérir tout ce
         qui leur estoit necessaire, puis levans l'anchre, mettent en
         mer, & font mille remerciemens aux Peres, qu'ils caressent; &
         n'ayans plus opinion qu'ils fussent Espagnols, les traittent le
         plus humainement qu'ils peuvent, admirent leur grande constance
         & vertu à souffrir les paroles qu'ils avoient dites d'eux, & ne
         furent que bienveillances & tesmoignages de bonne amitié,
         jusques à ce qu'ils fussent arrivez en Angleterre: leur
124/780  monstrans par là que c'estoit contre l'opinion de plusieurs
         ennemis de l'Eglise Catholique & au prejudice de la vérité,
         qu'ils leur imposent que leur doctrine enseigne qu'il ne faut
         garder la foy aux Hérétiques.

         En fin Argal arrive au port de Milfier l'an 1614. en la
         Province de Galles, où le Capitaine fut emprisonné[210], pour
         n'avoir passe-port, ny commission, son Général l'ayant, &
         s'estant esgaré, comme avoit fait son Vice-Admiral.

[Note 210: Suivant le P. Biard, Argal fut emprisonné à Pembroke, «ville
principale de cest endroit & vice-admirauté.» (Relat. du P. Biard, ch.
XXXII.)]

         Les Peres Jesuites racontèrent comme le tout s'estoit passé, &
         par après le Capitaine Argal fut delivré, & retourna en son
         vaisseau, & les Peres furent retenus à terre, aimez & caressez
         de plusieurs personnes. Et sur le discours que le Capitaine de
         leur vaisseau faisoit de ce qui se passa aux Esores, la
         nouvelle vint à Londres à la Cour du Roy de la grand'Bretagne,
         l'Ambassadeur de sa Majesté Tres-chrestienne poursuivit la
         delivrance des peres, qui furent conduits à Douvre, & de là
         passèrent en France, & se retirèrent en leur Collège d'Amiens,
         après avoir esté neuf mois & demy entre les mains des Anglois.

         Le sieur de la Motte arriva aussi au mesme temps en Angleterre,
         dans un vaisseau qui estoit de la Bermude, ayant passé aux
         Virgines. Il fut pris en son vaisseau, & arresté, mais delivré
         par l'entremise de Monsieur du Biseau, pour lors Ambassadeur du
         Roy en Angleterre.

         Madame de Guercheville ayant advis de tout cecy, envoya la
125/781  Saussaye à Londres, pour solliciter la restitution du navire, &
         fut tout ce que l'on peut retirer pour lors trois François
         moururent à la Virginie, & 4 y resterent, pendant qu'on
         travailloit à leur delivrance.

         Les Pères y baptiserent 30 petits enfans, excepté trois, qui
         furent baptisez en necessité[211].

[Note 211: Cette phrase, qui, évidemment, est extraite de la relation du
P. Biard, comme tout le reste de ce chapitre, se rapporte aux travaux
des PP. Jésuites à l'Acadie: «Le Patriarche Flesche, dit ce Père, en
avoit baptisé» [des sauvages] «peut-estre quatre-vingts, les Jesuites
seulement une vingtaine, & iceux petits enfans, horfmis trois qui ont
esté baptisez en extrême necessité de maladie, & sont allez jouir de
la vie bienheureuse, après avoir esté régénérez à icelle, comme aussi
aucun des petits enfans.» (Relat. de la Nouv. France, ch. XXXIV.)]

         Il faut advouer que ceste entreprise fut traversée de beaucoup
         de malheurs, qu'on eust bien peu eviter au commencement, si
         Madame de Guercheville eust donné trois mil six cents livres au
         sieur de Mons, qui desiroit avoir l'habitation de Québec, & de
         toute autre chose. J'en portay parole deux ou trois fois au R.
         P. Coton, qui mesnageoit cet affaire, lequel eust bien desiré
         que le traicté se fust fait avec de moindres conditions, ou par
         d'autres moyens, qui ne pouvoit estre à l'avantage dudit sieur
         de Mons, qui fut le sujet pourquoy rien ne se fit, quoy que je
         peusse representer audit Pere avec les avantages qu'il pourroit
         avoir en la conversion des infidèles, que pour le commerce &
         trafic qui s'y pouvoit faire par le moyen du grand fleuve
         Sainct Laurent, beaucoup mieux qu'en l'Acadie, mal aisée à
         conserver, à cause du nombre infiny de ses ports, qui ne se
         pouvoient garder que par de grandes forces, joint que le
         terroir y est peu peuplé de Sauvages, outre que l'on ne
         pourroit pénétrer par ces lieux dans les terres, où sont nombre
126/782  d'habitans sedentaires, comme on pourroit faire par ladite
         riviere Sainct Laurent, plustost qu'aux costes d'Acadie.

         D'avantage, que l'Anglois qui faisoit alors ses peches en
         quelques isles esloignées de 13 à 14 lieues de l'isle des monts
         deserts, qui est l'entrée de la riviere de Pemetegoet, feroit
         ce qu'il pourroit pour endommager les nostres, pour estre
         proche du port Royal & autres lieux. Ce que pour lors ne se
         pouvoit esperer à Québec, où les Anglois n'avoient aucune
         cognoissance. Que si ladite dame de Guercheville eust en ce
         temps là entré en possession de Quebec, on se fust peu
         asseurer[212] que par la vigilance des Pères Jesuites, & les
         instrucions que je leur pouvois donner, le pays se fust
         beaucoup mieux accommodé, & l'Anglois ne l'eust trouvé dénué de
         vivres & d'armes, & ne s'en fust emparé, comme il a fait en ces
         dernières guerres. Ce qu'il a fait par l'industrie de quelques
         mauvais François, joint qu'alors lesdits Pères n'avoient avec
         eux aucun homme pour conduire leur affaire, excepté la
         Saussaye, peu expérimenté en la cognoissance des lieux. Mais on
         a beau dire & faire, on ne peut eviter ce qu'il plaist à Dieu
         de disposer.

[Note 212: On eût pu s'assurer.]

         Voila comme les entreprises qui se font à la haste, & sans
         fondement, & faites sans regarder au fonds de l'affaire,
         reussissent tousjours mal.

127/783

         _Seconde entreprise du Sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy
         donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que
         l'Autheur fait au lieu de Quebec. Crieries contre le Sieur de
         Mons._

                              CHAPITRE II.

         Retournons & poursuivons la seconde entreprise du Sieur de
         Mons, qui ne perd point courage, & ne veut demeurer en si beau
         chemin. Le R. P. Coton ayant refusé de convenir avec luy des
         3600 livres, il me discourut particulièrement de ses desseins.
         Je le conseillay, & luy donnay advis de s'aller loger dans le
         grand fleuve Sainct Laurent, duquel j'avois une bonne
         cognoissance par le voyage que j'y avois fait, luy faisant
         goutter les raisons pourquoy il estoit plus à propos &
         convenable d'habiter ce lieu qu'aucun autre. Il s'y resolut, &
         pour cet effect il en parle à sa Majesté, qui luy accorde, &
         luy donne Commission de s'aller loger dans le pays. Et pour en
         supporter plus facilement la despense, interdit le trafic de
         pelleterie à tous ses subjects, pour un an seulement.

         Pour cet effect il fait équiper 2 vaisseaux à Honnefleur, & me
         donna sa lieutenance au pays de la nouvelle France l'an 1608.
         Le Pont Gravé prit le devant pour aller à Tadoussac, & moy
         après luy dans un vaisseau chargé des choses necessaires &
         propres à une habitation. Dieu nous favorisa si heureusement,
         que nous arrivasmes dans ledit fleuve au port de Tadoussac;
         auquel lieu je fais descharger toutes nos commoditez, avec les
128/784  hommes, manouvriers, & artisans, pour aller à mont ledit fleuve
         trouver lieu commode & propre pour habiter. Trouvant un lieu le
         plus estroit de la riviere, que les habitans du pays appellent
         Québec, j'y fis bastir & édifier une habitation, & défricher
         des terres, & faire quelques jardinages. Mais pendant que nous
         travaillons avec tant de peine, voyons ce qui se pane en France
         pour l'exécution de ceste entreprise.

         Le Sieur de Mons qui estoit demeuré à Paris pour quelques
         siennes affaires, & esperant que sa Majesté luy continueroit
         sadite Commission, il ne demeura pas beaucoup en repos que l'on
         ne crie plus que jamais qu'il faut aller au Conseil. Les
         Bretons, Basques, Rochelois & Normands renouvellent les
         plaintes; & estans ouis de ceux qui les veulent favoriser,
         disent que c'est un peuple, c'est un bien public. Mais l'on ne
         recognoist pas que ce sont peuples envieux, qui ne demandent
         pas leur bien, ains plustost leur ruine, comme il se verra en
         la suitte de ce discours.

         Quoy que c'en soit, voila pour sa seconde fois la Commission
         revoquée, sans y pouvoir remédier. Il s'en faudra retourner de
         Québec au printemps prochain; de sorte que qui plus y aura mis,
         plus y aura perdu, comme sera sans doute ledit Sieur de Mons,
         lequel me r'escrivit ce qui s'estoit passée, qui me donna sujet
         de retourner en France voir ces remuemens, & comme l'habitation
         demeuroit au sieur de Mons, qui en convint quelque temps de là
         avec ses associez; lequel cependant la met entre les mains de
         quelque marchand de la Rochelle, à certaines conditions, pour
129/785  leur servir de retraitte à retirer leurs marchandises, &
         traicter avec les Sauvages. C'estoit en ce temps là que je fis
         l'ouverture aud. Reverend Pere Coton, pour Madame de
         Guercheville, si elle le vouloit avoir, ce qui ne se pût, comme
         j'ay dit cy-dessus, puis que la traicte estoit permise, jusques
         à ce qu'il renouvellast une autre commission, qui apportait un
         meilleur règlement que par le passé. J'allay trouver le sieur
         de Mons, auquel je representay tout ce qui s'estoit passé en
         nostre hyvernement, et ce que j'avois peu cognoistre &
         apprendre des commoditez que l'on pouvoit esperer dans le grand
         fleuve Sainct Laurent, qui m'occasionna de voir sa Majesté pour
         luy en faire particulièrement récit, auquel elle y prit grand
         plaisir. Cependant le sieur de Mons porté d'affection
         d'embrasser cet affaire à quelque prix que ce fust, fait
         derechef ce qu'il peut pour avoir nouvelle commission. Mais ses
         envieux, au moyen de la faveur, avoient mis si bon ordre, que
         son travail fut en vain. Ce que voyant, pour le desir qu'il
         avoit de voir les terres peuplées, il ne laissa, sans
         commission, de vouloir continuer l'habitation, & faire
         recognoistre plus particulièrement le dedans des terres à mont
         ledit fleuve. Et pour l'exécution de ceste entreprise, il fait
         équiper avec la Société des vaisseaux, comme font plusieurs
         autres, à qui le trafic n'estoit pas interdit, qui couroient
         sur nos brisées, qui emportèrent le lucre des peines de nostre
         travail, sans qu'ils voulussent contribuer à ses entreprises.

         Les vaisseaux estans prests, le Pont Gravé & moy nous
         embarquasmes pour faire ce voyage l'an 1610. avec artisans &
130/786  autres manouvriers, & fusmes traversez de mauvais temps.
         Arrivans au port de Tadoussac, & de là à Québec, nous y
         trouvasmes chacun en bonne disposition.

         Premier que passer plus outre, j'ay pensé qu'il ne seroit hors
         de sujet de descrire la description de la grande riviere, & de
         quelques descouvertes que j'ay faites à mont ledit fleuve
         Sainct Laurent, de sa beauté & fertilité du pays, & de ce qui
         s'est passé és guerres contre les Hiroquois.



         _Embarquement de, l'Autheur pour aller habiter la grande
         riviere Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la
         riviere de Saguenay. De l'isle d'Orléans._

                              CHAPITRE III.

         Aprés avoir raconté au feu Roy tout ce que j'avois veu &
         descouvert, je m'embarquay pour aller habiter la grande riviere
         Sainct Laurent au lieu de Québec, comme Lieutenant pour lors du
         sieur de Mons. Je partis de Honnefleur le 13 d'Avril 1608. & le
         3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac, distant de Gaspé 80 ou
         90 lieues, & mouillasmes l'anchre à la rade du port de
         Tadoussac, qui est à une lieue du port, qui est comme une ance
         à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée fort
         estrange pour sa vistesse, où quelquefois se levent des vents
         impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que
         cette riviere a 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au
         premier sault, qui vient du nort norouest. Ce port est petit, &
         n'y pourroit qu'environ 20 vaisseaux.

131/787  Il y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de
         Saguenay, & d'une petite isle de rochers qui est presque coupée
         de la mer. Le reste sont montagnes hautes eslevées, où il y a
         peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme
         sapins & bouleaux. Il y a un petit estang proche du port
         renfermé de montagnes couvertes de bois. A l'entrée sont deux
         pointes, l'une du costé du surouest, contenant prés d'une lieue
         en la mer, qui s'appelle la pointe aux Allouettes, & l'autre du
         costé du nordouest, contenant demy quart de lieue, qui
         s'appelle la pointe aux roches[213]. Les vents du sud suest
         frappent dans le port, qui ne sont point à craindre, mais bien
         celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées,
         assechent de basse mer.

[Note 213: La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)]

         En ce lieu y avoit nombre de Sauvages qui y estoient venus pour
         la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre
         vaisseau avec leurs canaux, qui sont de 8 ou 9 pas de long, &
         environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en
         diminuant par les deux bouts. Ils sont fort subjects à tourner
         si on ne les sçait bien gouverner, & sont faits d'escorce de
         bouleau, renforcez par dedans de petits cercles de cèdre blanc,
         bien proprement arrangez, & sont si légers, qu'un homme en
         porte aisément un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe.
         Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque
         riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis
         Choüacoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac, ils
         sont tous semblables.

132/788  Je fus visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui
         est une belle riviere, & d'une grande profondeur, comme de 80 &
         100 brasses. A 50 lieues de l'entrée du port, comme dit est, y
         a un grand sault d'eau, qui descend d'un fort haut lieu, & de
         grande impetuosité. Il y a quelques isles dedans ceste riviere
         fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins
         & bruyères. Elle contient de large demie lieue en des endroits,
         & un quart en son entrée, où il y a un courant si grand, qu'il
         est trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle
         porte encores hors: & en toute la terre que j'y aye veue, ce ne
         sont que montagnes & promontoires de rochers, la plus-part
         couverts de sapins & bouleaux; terre fort mal plaisante, tant
         d'un costé que d'autre: en fin ce sont de vrais deserts
         inhabitez. Allant chasser par les lieux qui me sembloient les
         plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme
         arondelles, & quelques oiseaux de riviere, qui y viennent en
         esté; autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure
         qu'il y fait. Ceste riviere vient du norouest.

         Les Sauvages m'ont fait rapport qu'ayans passé le premier sault
         ils en passent huict autres, puis vont une journée sans en
         trouver, & derechef en passent dix autres, & vont dans un lac,
         où ils font trois journées[214], & en chacune ils peuvent faire
         à leur aise dix lieues en montant. Au bout du lac y a des
         peuples qui vivent errans. Il y a 3 rivieres qui se deschargent
         dans ce lac, l'une venant du nort, fort proche de la mer,
133/789  qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les
         autres deux d'autres costes par dedans les terres, où il y a
         des peuples Sauvages errans, qui ne vivent aussi que de la
         chasse, & est le lieu ou nos Sauvages vont porter les
         marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures
         qu'ils ont, comme castors, martres, loups cerviers, & loutres,
         qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos
         vaisseaux. Ces peuples Septentrionaux disent aux nostres qu'ils
         voyent la mer salée; & si cela est, comme je le tiens pour
         certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les
         terres par les parties du nort. Les Sauvages disent qu'il peut
         y avoir de la mer du nort au port de Tadoussac 40 à 50
         journées, à cause de la difficulté des chemins, rivieres, &
         pays qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année
         y a des neges. Voila au vray ce que j'ay appris de ce fleuve.
         J'ay souvent desiré faire ceste descouverte, mais je ne l'ay
         peu faire sans les Sauvages, qui n'ont voulu que j'allasse avec
         eux, ny aucuns de nos gens; toutesfois ils me l'avoient promis
         [215].

[Note 214: Voir 1613, p. 143, note 3.]

[Note 215: Voir 1613, p. 143, 144, notes, et 1603, p. 21.]



         _Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: &
         du sault de Montmorency.

                              CHAPITRE IIII.

         Je partis de Tadoussac[216] pour aller à Québec, & passasmes
         prés d'une isle qui s'appelle l'isle aux Lievres, distante de 6
         lieues dudit port, & est à deux lieues de la terre du nort, & à
134/790  prés de 4 lieues [217] de la terre du sud. De l'isle aux
         Lievres, nous fusmes à une petite riviere qui asseche de basse
         mer, où à quelque 700 à 800 pas dedans y a deux sauts d'eau.
         Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons[218], à cause que
         nous y en prismes. Costoyant la coste du nort, nous fusmes à
         une pointe qui advance à la mer, qu'avons nommé le cap Dauphin
         [219], distant de la riviere aux Saulmons trois lieues. De là
         fusmes à un autre cap que nommasmes le cap à l'Aigle[220],
         distant du cap Dauphin 8 lieues. Entre les deux y a une grande
         ance, où au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse
         mer[221], & peut tenir environ lieue & demie. Elle est quelque
         peu unie, venant en diminuant par les deux bouts. A celuy de
         l'ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui advancent
         quelque peu dans la riviere: & du costé du surouest elle est
         fort batturiere, toutesfois assez agréable, à cause des bois
         qui l'environnent, distante de la terre du nort d'environ demie
         lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant
         dedans les terres, & l'avons nommée la riviere platte, ou malle
135/791  baye [222], d'autant que le travers d'icelle la marée y court
         merveilleusement: & bien qu'il face calme, elle est tousjours
         fort emeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la
         riviere est plat, & y a force rochers en son entrée, & autour
         d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste, fusmes à
         un cap, que nous avons nommé le cap de Tourmente, qui en est à
         sept lieues[223], & l'avons ainsi appellé, d'autant que pour
         peu qu'il face de vent, la mer y esleve comme si elle estoit
         pleine. En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes
         à l'isle d'Orléans, où, il y a deux lieues, en laquelle du
         costé du sud y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes
         d'arbres, & fort agréables remplies de grandes prairies, &
         force gibbier, contenans à ce que j'ay peu juger, les unes deux
         lieues, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a
         force rochers, & bases fort dangereuses à passer, qui sont
         esloignez d'environ deux lieues de la grande terre du sud.
         Toute ceste coste, tant du nort, que du sud, depuis Tadoussac,
         jusques à l'isle d'Orléans, est terre montueuse, & fort
         mauvaise, où il n'y a que des pins, sapins & bouleaux, & des
         rochers tres-mauvais, & ne sçauroit-on aller en la plus-part de
         ces endroits.

[Note 216: Le 30 juin 1608.]

[Note 217: Près de trois lieues.]

[Note 218: Probablement la rivière du port à l'Équille, ou port aux
Quilles. (Voir 1613. P. 145, note 3.)]

[Note 219: Le cap au Saumon.]

[Note 220: Aujourd'hui le cap aux Oies.]

[Note 221: En reproduisant ici le texte de 1613, on a passé, dans
l'édition de 1632, ce qui suit: «Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux
Couldres, qui en est distante une bonne lieue...»]

[Note 222: Ces mots «& l'avons nommée la riviere platte ou malle baye»
devaient être, dans la pensée de l'auteur, placés quelques lignes plus
haut, et le contre-sens que l'on remarque ici, est évidemment le fait
de l'imprimeur. Pour que l'on puisse mieux en juger, nous remettrons en
entier le passage de l'édition de 1613, tel que Champlain a du vouloir
le corriger: «Entre les deux y a une grande ance, où au fonds y a une
petite riviere qui asseche de basse mer, & l'avons nommée la riviere
platte ou malle baye. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux Couldres qui
en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de
long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts:
A celuy de l'Ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui aduancent
quelque peu dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort
batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui
l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, où
il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, &
l'avons nommée la riviere du gouffre, d'autant que le travers d'icelle
la marée y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est
tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de
la riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour
'icelle...» (Voir 1613, p. 146, note 2.)]

[Note 223: Environ huit lieues.]

         Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du sud, distante
         de la grande terre une lieue & demie, & du costé du nort demie
136/792  lieue, contenant de long six lieues, & de large une lieue, ou
         lieue & demie par endroits. Du costé du nort elle est fort
         plaisante, pour la quantité des bois & prairies qu'il y a,
         mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de
         pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où
         il y a quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques
         endroits, & à l'emboucheure[224] des vignes & autres bois comme
         nous avons en France.

[Note 224: A l'entrée du bois.]

         Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande
         riviere, où il y a de son entrée 120 lieues. Au bout de l'isle
         y a un torrent d'eau du costé du nort, que j'ay nommé le sault
         de Montmorency, qui vient d'un lac[225] qui est environ dix
         lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a
         prés de 25 toises de haut[226], au dessus de laquelle la terre
         est unie & plaisante à voir, bien que dans le pays on voye de
         hautes montagnes, qui paroissent de 15 à 20 lieues.

[Note 225: Le lac des Neiges.]

[Note 226: Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.]



         _Arrivée de l'Autheur à Quebec, ou il fit ses logemens. Forme
         de vivre des Sauvages de ce pays là._

                                CHAPITRE V.

         DE l'isle d'Orléans jusques à Québec y a une lieue, & y arrivay
         le 3 Juillet, où estant, je cherchay lieu propre pour nostre
         habitation: mais je n'en peus trouver de plus commode, ny mieux
137/793  scitué que la pointe de Québec, ainsi appellé des Sauvages,
         laquelle estoit remplie de noyers & de vignes. Aussi tost
         j'employay une partie de nos ouvriers à les abbatre, pour y
         faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre à
         fouiller la cave, & faire des fossez, & l'autre à aller quérir
         nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose
         que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à
         couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun
         & le soin que j'en eu[227]. Proche de ce lieu est une riviere
         agréable[228], où anciennement hyverna Jacques Cartier.

[Note 227: Ici se trouvent, dans l'édition de 1613, les détails de la
conspiration tramée contre Champlain, et de la construction des premiers
logements élevés sur la pointe de Québec. (1613, p. 148-156.)]

[Note 228: La Petite-Rivière, ou rivière Saint-Charles, à laquelle
Cartier donna le nom de Sainte-Croix. (Voir 1613, p. 156-161.)]

         Pendant que les Charpentiers, Scieurs d'aix, & autres ouvriers
         travailloient à nostre logement, je fis mettre tout le reste à
         défricher autour de l'habitation, afin de faire des jardinages
         pour y semer des grains & graines, pour voir comme le tout
         succederoit, d'autant que la terre paroissoit fort bonne.

         Cependant quantité de Sauvages estoient cabannez proche de
         nous, qui faisoient pesche d'anguilles, qui commencent à venir
         comme au 15 de Septembre & finit au 15 Octobre. En ce temps
         tous les Sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font
         secher pour l'hyver jusques au mois de Fevrier, que les neges
         sont grandes comme de deux pieds & demy, & trois pieds pour le
         plus, qui est le temps que quand leurs anguilles, & autres
         choses qu'ils font secher, sont accommodées, ils vont chasser
138/794  aux castors, où ils sont jusques au commencement de janvier.
         Ils ne firent pas grand chasse de castors, pour estre les
         eaues trop grandes, & les rivieres desbordées, ainsi qu'ils
         nous dirent. Quand leurs anguilles leur faillent, ils ont
         recours à chasser aux eslans & autres bestes sauvages, qu'ils
         peuvent trouver en attendant le printemps, où j'eus moyen de
         les entretenir de plusieurs choses. Je consideray fort
         particulièrement leurs coustumes.

         Tous ces peuples patissent tant, que quelquefois ils sont
         contraints de vivre de certains coquillages, & manger leurs
         chiens, & peaux, dequoy ils se couvrent contre le froid. Qui
         leur monstreroit à vivre, & leur enseigneroit le labourage des
         terres, & autres choses, ils apprendroient fort bien: car il
         s'en trouve assez qui ont bon jugement, & respondent à propos
         sur ce qu'on leur demande. Ils ont une meschanceté en eux, qui
         est d'user de vengeance, d'estre grands menteurs, & ausquels il
         ne le faut pas trop asseurer, sinon avec raison, & la force en
         la main. Ils promettent assez, mais ils tiennent peu, la
         plus-part n'ayans point de loy, selon que j'ay peu voir, avec
         tout plein d'autres faulses croyances. Je leur demanday de
         quelle sorte de cérémonies ils usoient à prier leur Dieu; ils
         me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un
         chacun le prioit en son coeur comme il vouloit. Voila pourquoy
         il n'y a aucune loy parmy eux, & ne sçavent que c'est d'adorer
         & prier Dieu, vivans comme bestes brutes, mais je croy qu'ils
         seroient bien tost réduits au Christianisme, si on habitoit &
         cultivoit leur terre, ce que la plus-part désirent. Ils ont
139/795  parmy eux quelques Sauvages qu'ils appellent Pilotois[229],
         qu'ils croyent parler au diable visiblement, leur disant ce
         qu'il faut qu'ils facent tant pour la guerre, que pour autres
         choses, & s'ils leur commandoient qu'ils allassent mettre en
         exécution quelque entreprise, ils obéiroient aussi tost à son
         commandement. Comme aussi ils croyent que tous les songes
         qu'ils ont, sont véritables: & de faict, il y en a beaucoup qui
         disent avoir veu & songé choses qui adviennent ou adviendront.
         Mais pour en parler avec vérité, ce sont visions diaboliques,
         qui les trompe & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre
         de leur croyance bestiale.

[Note 229: Ce mot, cependant, serait basque, suivant le P. Biard. (Rel.
de la Nouv. France, ch. VII.)]

         Tous ces peuples sont bien proportionnez de leurs corps, sans
         difformité, & sont dispos. Les femmes sont aussi bien formées,
         potelées, & de couleur bazannée, à cause de certaines peintures
         dont elles se frotent, qui les fait paroistre olivastres. Ils
         sont habillez de peaux: une partie de leur corps est couverte,
         & l'autre partie descouverte: mais l'hyver ils remédient à
         tout, car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux
         d'eslan, loutres, castors, ours, loups marins, cerfs, & biches,
         qu'ils ont en quantité. L'hyver quand les neges sont grandes,
         ils font une manière de raquettes, qui sont grandes deux ou
         trois fois plus que celles de France, qu'ils attachent à leurs
         pieds, & vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car
         autrement ils ne pourroient chasser, ny aller en beaucoup de
         lieux. Ils ont aussi une façon de mariage, qui est, Que quand
140/796  une fille est en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs
         serviteurs, elle a compagnie avec tous ceux que bon luy
         semble: puis au bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy
         plaist pour son mary, & vivent ensemble jusques à la fin de
         leur vie: sinon qu'après avoir demeuré quelque temps ensemble,
         & elles n'ont point d'enfans, l'homme se peut démarier, &
         prendre une autre femme, disant que la sienne ne vaut rien.
         Par ainsi les filles sont plus libres que les femmes.

         Depuis qu'elles sont mariées elles sont chastes, & leurs maris
         sont la plus-part jaloux, lesquels donnent des presens aux
         pères ou parents des filles qu'ils ont espousées. Voila les
         cérémonies & façons dont ils usent en leurs mariages.

         Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou une
         femme meurt, ils font une fosse, où ils mettent tout le bien
         qu'ils ont, comme chaudieres, fourrures, haches, arcs,
         flesches, robbes, & autres choses: puis ils mettent le corps
         dans la fosse, & le couvrent de terre, & mettent quantité de
         grosses pièces de bois dessus, & une autre debout, qu'ils
         peindent de rouge par en haut. Ils croyent l'immortalité des
         âmes, & disent qu'ils sont se resjouir en d'autres pays, avec
         leurs parents & amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou
         autres d'auctorité, ils vont après leur mort 3 fois l'an faire
         un festin, chantans & dançans sur leur fosse.

         Ils sont fort craintifs, & appréhendent infiniment leurs
         ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque lieu
         qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours de ce
         qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire comme
141/797  nous, sçavoir, veiller une partie, tandis que les autres
         dormiront, & chacun avoir ses armes prestes, comme celuy qui
         fait le guet, & ne tenir les songes pour vérité, sur quoy ils
         se reposent. Mais peu leur servoient ces remonstrances, &
         disoient que nous sçavions mieux nous garder de toutes ces
         choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions leur pays,
         ils le pourroient apprendre.



         _Semences de vignes plantées à Quebec par l'Autheur. Sa charité
         envers les pauvres Sauvages._

                               CHAPITRE VI

         LE premier Octobre[230] je fis semer du bled, & au 15 du
         seigle.

[Note 230: De l'année 1608.]

         Le 3 du mois il fit quelques gelées blanches, & les fueilles
         des arbres commencèrent à tomber au 15.

         Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent
         fort belles. Mais après que je fus party de l'habitation pour
         venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soin, ce
         qui m'affligea beaucoup à mon retour.

         Le 18 de Novembre tomba quantité de neges, mais elles ne
         durèrent que deux tours sur la terre.

         Le 5 Fevrier il negea fort.

         Le 20 du mois il apparut à nous quelques Sauvages qui estoient
         au delà de la riviere, qui crioient que nous les allassions
         secourir: mais il estoit hors de nostre puissance, à cause de
142/798  la riviere qui charrioit un grand nombre de glaces. Car la faim
         pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne sçachans que
         faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans
         ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que je
         les assisterois en leur extrême necessité. Ayant donc prins
         ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs
         enfans, & se mirent en leurs canaux, pensans gaigner nostre
         coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faite: mais
         il ne furent si tost au milieu de la riviere, que leurs canaux
         furent prins & brisez entre les glaces en mille pièces. Ils
         firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans, que les
         femmes portoient sur leur dos, dessus un grand glaçon. Comme
         ils estoient là dessus, on les entendoit crier, tant que
         c'estoit grand pitié, n'esperans pas moins que de mourir. Mais
         l'heur en voulut tant à ces pauvres miserables qu'une grande
         glace vint choquer par le costé de celle où ils estoient, si
         rudement, qu'elle les jetta à terre. Eux voyans ce coup si
         favorable, furent à terre avec autant de joye que jamais ils en
         receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en
         vindrent à nostre habitation si maigres & défaits, qu'ils
         sembloient des anatomies, la plus-part ne se pouvans soustenir.
         Je m'estonnay de les voir, & de la façon qu'ils avoient passé,
         veu qu'ils estoient si foibles & débiles. Je leur fis donner du
         pain & des febves, mais ils n'eurent pas la patience qu'elles
         fussent cuites pour les manger: & leur prestay des escorces
         d'arbres pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se cabanoient,
         ils advisèrent une charongne qu'il y avoit prés de deux mois
143/799  que j'avois fait jetter pour attirer des regnards, dont nous en
         prenions de noirs & de roux, comme ceux de France, mais
         beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une truye
         & un chien, qui avoient esté exposés durant la chaleur & le
         froid. Quand le temps s'adoucissoit; elle puoit si fort que
         l'on ne pouvoit durer auprès, neantmoins il ne laisserent de la
         prendre & emporter en leur cabanne, où aussi tost ils la
         devorerent à demy cuite, & jamais viande ne leur sembla de
         meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes les advertir
         qu'ils n'en mangeassent point, s'ils ne vouloient mourir. Comme
         ils approchèrent de leur cabanne, ils sentirent une telle
         puanteur de ceste charongne à demy eschauffée, dont ils avoient
         chacun une pièce en la main, qu'ils penserent rendre gorge, qui
         fit qu'ils n'y arrêtèrent gueres. Je ne laissay pourtant de les
         accommoder selon ma puissance, mais c'estoit pour la quantité
         qu'ils estoient, & dans un mois ils eussent bien mangé tous nos
         vivres, s'ils les eussent eus en leur pouvoir, tant ils sont
         gloutons. Car quand ils en ont, ils ne mettent rien en reserve,
         & en font chère continuelle jour & nuict, puis après ils
         meurent de faim.

         Ils firent encores une autre chose aussi miserable que la
         première. J'avois fait mettre une chienne au haut d'un arbre,
         qui servoit d'appast aux martres & oiseaux de proye, où je
         prenois plaisir, d'autant qu'ordinairement ceste charongne en
         estoit assaillie. Ces Sauvages furent à l'arbre, & ne pouvans
         monter dessus à cause de leur foiblesse, ils l'abbatirent, &
144/800  aussi tost enleverent le chien, où il n'y avoit que la peau &
         les os, & la teste puante & infecte, qui fut incontinent
         devoré.

         Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en hyver: car en
         esté ils ont assez dequoy se maintenir, & faire des provisions,
         pour n'estre assaillis de ces extrêmes necessitez, les rivieres
         abondantes en poisson, & chasse d'oiseaux, & autres bestes
         sauvages.

         La terre est fort propre & bonne au labourage, s'ils vouloient
         prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde, comme font tous
         leurs voisins Algomequins, Hurons[231], & Hiroquois, qui ne
         sont attaquez d'un si cruel assaut de famine, pour y sçavoir
         remédier par le foin & prevoyance qu'ils ont, qui fait qu'ils
         vivent heureusement au prix de ces Montaignets, Canadiens[232],
         & Souriquois, qui sont le long des costes de la mer. Les neges
         y sont 5 mois sur la terre, qui est depuis le mois de Décembre,
         jusques vers la fin d'Avril, qu'elles sont presque toutes
         fondues. Depuis Tadoussac jusques à Gaspé, cap Breton, nie de
         terre neufve, & grand baye[233], les glaces & neges y sont
         encores en la plus-part des endroits jusques à la fin de May:
         auquel temps quelquefois l'entrée de la grande riviere est
         seellée de glaces, mais à Québec il n'y en a point, qui monstre
         une estrange différence pour 120 lieues de chemin en longitude:
         car l'entrée de la riviere est par les 49, 50 & 51 degré de
         latitude, & nostre habitation par les 46 & demy[234].

[Note 231: Dans l'édition de 1613, Champlain avait mis _Ochastaiguins_.
C'était le nom d'un de leurs chefs.]

[Note 232: Voir 1613, p. 169, note 2.]

[Note 233: Ce qu'on appelait la _Grand Baye_ était cette partie du Golfe
qui s'étend vers le nord-est, entre la côte de Terreneuve et celle du
Labrador.]

[Note 234: L'édition de 1613 porte, en cet endroit: «46 & deux tiers.»
Ce qui était plus proche de ce qu'on a trouvé de notre temps: d'après
Bayfield, la latitude de Québec, au bastion de l'observatoire, est de
46° 49' 8".]

145/801  Pour ce qui est du pays, il est beau & plaisant, & apporte
         toutes sortes de grains & graines à maturité, y ayant de toutes
         les especes d'arbres que nous avons en nos forests par deçà, &
         quantité de fruicts, bien qu'ils soient sauvages, pour n'estre
         cultivez: comme noyers, cerisiers, pruniers, vignes,
         framboises, fraises, groiselles vertes & rouges, & plusieurs
         autres petits fruicts qui y sont assez bons. Aussi y a-il
         plusieurs sortes de bonnes herbes & racines. La pesche de
         poisson y est en abondance dans les rivieres, où il y a
         quantité de prairies & gibbier, qui est en nombre infiny.

         Le 8 d'Avril en ce temps les neges estoient toutes fondues, &
         neantmoins l'air estoit encores assez froid jusques en May, que
         les arbres commencent à jetter leurs fueilles.



         _Partement de Québec jusques à l'isle Sainct Eloy, & de la
         rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Uchataiguins._

                             CHAPITRE VII.

         Pour cet effect[235] je partis le 18 dudit mois[236], où la
         riviere commence à s'eslargir quelquefois d'une lieue, & lieue
         & demy en tels endroits. Le pays va de plus en plus en
         embellissant. Ce sont costaux en partie le long de la riviere,
         & terres unies sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle
146/802  est dangereuse en beaucoup d'endroits, à cause des bancs &
         rochers qui sont dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce
         n'est la sonde à la main. La riviere est fort abondante en
         plusieurs sortes de poisson, tant de ceux qu'avons par deçà,
         comme d'autres que n'avons pas. Le pays est tout couvert de
         grandes & hautes forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre
         habitation. Il y a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur
         le bord de la riviere, & quantité de petits ruisseaux &
         rivieres, qui ne sont navigeables qu'avec des canaux. Nous
         passasmes proche de la pointe Saincte Croix. Cette pointe est
         de sable qui advance quelque peu dans la riviere, à l'ouvert du
         norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prairies, mais elles
         sont innondées des eaues à toutes les fois que vient la plaine
         mer, qui pert de prés de deux brasses & demie. Ce partage est
         fort dangereux à passer pour la quantité de rochers qui sont au
         travers de la riviere, bien qu'il y aye bon achenal, lequel est
         fort tortu, où la riviere court comme un ras, & faut bien
         prendre le temps à propos pour le passer. Ce lieu a tenu
         beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le pouvoir passer
         que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal: maintenant
         nous avons trouvé le contraire: car pour descendre du haut en
         bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il seroit
         mal-aisé, si ce n'estoit avec un grand vent, à cause du grand
         courant d'eau, & faut par necessité attendre un tiers de flot
         pour le passer, où il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12, 15
         brasses d'eau en l'achenal.

[Note 235: C'est-à-dire: «Pour faire les descouvertures du pays des
Yroquois.» (Voir 1613, fin du ch. VI, et commencement du ch. VII.)]

[Note 236: Le 18 juin. _(Ibid.)_]

         Continuant nostre chemin, nous fusmes à une riviere qui est
147/803  fort agréable, distante du lieu de Saincte Croix de neuf
         lieues, & de Québec 24 & l'avons nommée la riviere Saincte
         Marie[237]. Toute ceste riviere depuis Saincte Croix est fort
         plaisante & agréable.

[Note 237: Aujourd'hui la rivière Sainte-Anne, qui est à une vingtaine
de lieues de Québec.]

         Continuant nostre routte, je fis rencontre de deux ou trois
         cents Sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite isle
         appellée S. Eloy[238], distante de Saincte Marie d'une lieue &
         demie, & là les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit
         des nations de Sauvages appeliez Ochateguins & Algoumequins,
         qui venoient à Québec, pour nous assister aux descouvertures du
         pays des Hiroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle,
         n'espargnant aucune chose qui soit à eux.

[Note 238: Cette île est située devant l'église de Batiscan. Mais il y a
apparence que le petit chenal qui la sépare de la côte nord, et qui
porte encore le nom de Saint-Éloi, s'est exhaussé depuis le temps de
Champlain.]

         Après les avoir recognus, je fus à terre pour les voir, &
         m'enquis qui estoit leur chef. Ils me dirent qu'il y en avoit
         deux, l'un appellé Yroquet, & l'autre Ochasteguin, qu'ils me
         monstrerent: & fus en leur cabane, où ils me firent bonne
         réception, selon leur coustume. Je commençay à leur faire
         entendre le sujet de mon voyage, dont ils furent fort resjouis,
         & après plusieurs discours je me retiray. Quelque temps après
         ils vindrent à ma chaloupe, où ils me firent present de quelque
         pelleterie, en me monstrant plusieurs signes de resjouinance, &
         de là s'en retournèrent à terre.

         Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, où ils
         furent une espace de temps sans dire mot, en songeant &
148/804  petunant tousjours. Après avoir bien pensé, ils commencèrent à
         haranguer hautement à tous leurs compagnons qui estoient sur
         le bord du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort
         ententivement ce que leurs chefs leur disoient, sçavoir, Qu'il
         y avoit prés de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le fils
         d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne
         réception, & desirions les assister contre leurs ennemis, avec
         lesquels ils avoient dés long temps la guerre, pour beaucoup
         de cruautez qu'ils avoient exercées contre leur nation, souz
         prétexte d'amitié; & qu'ayans tousjours depuis desiré la
         vengeance, ils avoient sollicité tous les Sauvages sur le bord
         de la riviere de venir à nous, pour faire alliance avec nous,
         & qu'ils n'avoient jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit
         aussi meus de nous venir voir, & que d'eux & de leurs
         compagnons j'en ferois tout ainsi que je voudrois. Qu'ils
         n'avoient point d'enfans avec eux, mais gens qui sçavoient
         faire la guerre, & pleins de courage, sçachans le pays & les
         rivieres qui sont au pays des Hiroquois, & que maintenant ils
         me prioient de retourner en nostre habitation, pour voir nos
         maisons: que trois tours après nous retournerions à la guerre
         tous ensemble: & que pour signe de grande amitié &
         resjouissance je fisse tirer des mousquets & harquebuses, &
         qu'ils seroient fort satisfaits: ce que je fia. Ils jetèrent de
         grands cris avec estonnement, & principalement ceux qui jamais
         n'en avoient ouy ny veus.

         Après les avoir ouis, je leur fis response, que pour leur
         plaire, je desirois bien m'en retourner à nostre habitation,
149/805  pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger
         que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne
         portant avec moy que dés armes, & non des marchandises pour
         traicter, comme on leur avoit donné à entendre. Que mon desir
         n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si
         j'eusse sceu qu'on leur eust rapporté quelque chose de mal, que
         je tenois ceux là pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me
         dirent qu'ils n'en croyoient rien, & que jamais ils n'en
         avoient ouy parler, neantmoins c'estoit le contraire: car il y
         avoit quelques Sauvages qui le dirent aux nostres. Je me
         contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir monstrer par
         effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy.



         _Retour à Quebec, & depuis continuation avec les Sauvages
         jusques au saut de la riviere des Hiroquois._

                               CHAPITRE VIII.

         Le lendemain[239] nous partismes tous ensemble pour aller à
         nostre habitation, où ils se resjouirent cinq ou six jours, qui
         se passèrent en dances & festins, pour le desir qu'ils avoient
         que nous fussions à la guerre.

[Note 239: Le 21 ou le 22 de juin 1609. (Voir 1613, ch. VIII et IV.)]

         Le Pont vint aussi tost de Tadoussac avec deux petites barques
         pleines d'hommes, suivant une lettre où je le priois de venir
         le plus promptement qu'il luy seroit possible.

         Les Sauvages le voyans arriver se resjouirent encores plus que
150/806  devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens
         pour les assister, & que peut estre nous irions ensemble.

         Le 28 du mois[240] je partis de Québec pour assister ces
         Sauvages. Le premier Juin[241] arrivasmes à saincte Croix,
         distant de Québec de 15 lieues, avec une chaloupe équipée de
         tout ce qui m'estoit necessaire. Je partis de Saincte Croix le
         3 de Juin[242] avec tous les Sauvages, & passasmes par les
         trois rivieres, qui est un fort beau pays, remply de quantité
         de beaux arbres. De ce lieu à Saincte Croix y a 15 lieues. A
         l'entrée d'icelle riviere y a six isles, trois desquelles sont
         fort petites, & les autres de 15 à 1600 pas de long, qui sont
         fort plaisantes à voir: & proche du lac Sainct Pierre[243],
         faisant environ deux lieues dans la riviere [244] y a un petit
         sault d'eau, qui n'est pas beaucoup difficile à passer. Ce lieu
         est par la hauteur de 46 degrez quelques minutes moins de
         latitude. Les Sauvages du pays nous donnèrent à entendre, qu'à
         quelques journées il y a un lac par où passe la riviere, qui a
         dix journées, & puis on passe quelques saults, & après encore 3
         ou 4 autres lacs de 5 ou 6 journées: & estans parvenus au bout,
         ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent derechef dans un
         autre lac[245], où le Saguenay prend la meilleure part de sa
         source. Les Sauvages viennent dudit lieu à Tadoussac. Les trois
         rivieres vont 20[246] journées des Sauvages; & disent qu'au
151/807  bout d'icelle riviere il y a des peuples[247] qui sont grands
         chasseurs, n'ayans de demeure arrestée, & qu'ils voyent la mer
         du nort en moins de six journées. Ce peu de terre que j'ay veu
         est sablonneuse, assez eslevée en costaux, chargée de quantité
         de pins & sapins sur le bord de la riviere: mais entrant dans
         la terre environ un quart de lieue, les bois y sont très-beaux
         & clairs, & le pays uny.

[Note 240: Le 28 juin 1609.]

[Note 241: Le premier juillet. (Voir 1613, p. 184, note I.)]

[Note 242: Le 3 juillet.]

[Note 243: Voir 1613, p. 179, note 2.]

[Note 244: Dans le Saint-Maurice. (Voir 1603, p. 30, 31.)]

[Note 245: Le lac Saint-Jean.]

[Note 246: L'édition de 1613 porte: «40 journées.» Les sources du
Saint-Maurice sont à environ cent lieues des Trois-Rivières.]

[Note 247: Probablement les _Atticamègues_, ou Poissons-Blancs.]

         Continuant nostre routte jusques à l'entrée du lac Sainct
         Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le
         lac à 2, 3 & 4 brases d'eau, lequel peut contenir de long 8
         lieues, & de large 4. Du costé du nort nous veismes une riviere
         qui est fort agréable, qui va dans les terres 50 lieues, & l'ay
         nommée saincte Suzanne[248]: & du costé du sud il y en a deux,
         l'une appellée la riviere du Pont[249], & l'autre de Gennes
         [250], qui sont très-belles, & en beau & bon pays. L'eau est
         presque dormante dans le lac, qui est fort poissonneux. Du
         costé du nort il paroist des terres à 12 ou 13 lieues du lac,
         qui sont un peu montueuses. L'ayant traversé, nous passasmes
         par un grand nombre d'isles[251], qui sont de plusieurs
         grandeurs, où il y a quantité de noyers, & vignes, & de belles
         prairies, avec force gibbier, & animaux sauvages, qui vont de
         la grand terre ausdites isles. La pescherie du poisson y est
         plus abondante qu'en aucun autre lieu de la riviere qu'eussions
152/808  veu. De ces isles fusmes à l'entrée de la riviere des
         Hiroquois[252], où nous sejournasmes deux jours, & nous
         rafraischismes de bonnes venaisons, oiseaux & poissons, que
         nous donnoient les Sauvages, & où il s'esmeut entre eux quelque
         différend sur le sujet de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y
         en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les
         autres s'en retournèrent en leur pays avec leurs femmes &
         marchandises, qu'ils avoient traictées.

[Note 248: Aujourd'hui, la rivière du Loup.]

[Note 249: Aujourd'hui, la rivière de Nicolet. (Voir 1613, p. 180, note
2.)]

[Note 250: Probablement la rivière d'Yamaska.]

[Note 251: Les îles de Sorel.]

[Note 252: Cette rivière a porté, depuis, les noms de Richelieu, de
Sorel et de Chambly.]

         Partant de cette entrée de riviere (qui a environ 4 à 500 pas
         de large, & est fort belle, courant au sud) nous arrivasmes à
         un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez de latitude, à 22
         ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere depuis son
         entrée jusques au premier sault, où il y a 15 lieues, est fort
         platte & environnée de bois, comme sont tous les autres lieux
         cy-dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a neuf ou dix
         belles isles jusques au premier sault des Hiroquois, lesquelles
         tiennent environ lieue, ou lieue & demie, remplies de quantité
         de chesnes & noyers. La riviere tient en des endroits prés de
         demie lieue de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne
         trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau. L'entrée du sault est
         une manière de lac[253] où l'eau descend, qui contient environ
         trois lieues de circuit, & y a quelques prairies où il n'y
         habite aucuns Sauvages, pour le sujet des guerres. Il y a fort
         peu d'eau au sault, qui court d'une grande vistesse, & quantité
         de rochers & cailloux, qui font que les Sauvages ne les peuvent
         surmonter par eau: mais au retour ils les descendent fort bien.
153/809  Tout cedit pays est fort uny, remply de forests, vignes &
         noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus jusques
         en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter la
         riviere à la rame.

[Note 253: Le bassin de Chambly.]

         Aussi tost que je fus arrivé au sault, je prins 5 hommes[254],
         & fusmes à terre voir si nous pourrions passer ce lieu, &
         fismes environ lieue & demie sans en voir aucune apparence,
         sinon une eau courante d'une grande impetuosité, où d'un costé
         & d'autre y avoit quantité de pierres, qui sont fort
         dangereuses, & avec peu d'eau. Le sault peut contenir 600 pas
         de large. Et voyant qu'il estoit impossible couper les bois, &
         faire un chemin avec si peu d'hommes que j'avois, je me resolus
         avec le conseil d'un chacun, de faire autre chose que ce que
         nous nous estions promis, d'autant que les Sauvages m'avoient
         asseuré que les chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le
         contraire, comme j'ay dit cy-dessus, qui fut l'occasion que
         nous en retournasmes en nostre chaloupe, où j'avois laissé
         quelques hommes pour la garder, & donner à entendre aux
         Sauvages quand ils seroient arrivez, que nous estions allez
         descouvrir le long dudit sault.

[Note 254: Dans l'édition de 1613, on lit: «Des Marais, la Routte & moy,
& cinq hommes fusmes à terre»...]

         Après avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en
         retournant nous fismes rencontre de quelques Sauvages, qui
         venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous
         dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez à nostre
         chaloupe, où nous les trouvasmes fort contents & satisfaits de
154/810  ce que nous allions de la façon sans guide, sinon que par le
         rapport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait.

         Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de
         passer le sault avec nostre chaloupe, cela m'affligea, & me
         donna beaucoup de desplaisir de m'en retourner sans avoir veu
         un grand lac remply de belles isles, & quantité de beau pays,
         qui borne le lac où habitent leurs ennemis, comme ils me
         l'avoient figuré. Après avoir bien pensé en moy mesme, je me
         resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que
         j'avois, & m'embarquay avec les Sauvages dans leurs canaux, &
         prins avec moy deux hommes de bonne volonté. Car quand ce fut à
         bon escient que nos gens veirent que je me deliberay d'aller
         avec leurs canaux, ils saignerent du nez, ce qui me les fit
         renvoyer à Tadoussac[255].

[Note 255: Au lieu de cette dernière phrase, il y avait, dans l'édition
de 1613: «Après avoir proposé mon dessein à des Marais & autres de la
chalouppe, je priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre
habitation avec le reste de nos gens, soubs l'esperance qu'en brief,
avec la grâce de Dieu, je les reverrois.»]

         Aussi tost je fus parler aux Capitaines des Sauvages & leur
         donnay à entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce
         que j'avois veu au sault, sçavoir, qu'il estoit hors nostre
         puissance d'y pouvoir passer avec la chaloupe, toutesfois que
         cela ne m'empescheroit de les assister comme je leur avois
         promis. Ceste nouvelle les attrista fort, & voulurent prendre
         une autre revolution: mais je leur dis, & les y sollicitay,
         qu'ils eussent à continuer leur premier dessein, & que moy
         troisiesme, je m'en irois à la guerre avec eux dans leurs
         canaux, pour leur monstrer que quant à moy je ne voulois
155/811  manquer de parole en leur endroit, bien que je fusse seul, &
         que pour lors je ne voulois forcer personne de mes compagnons
         de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volonté, dont
         j'en avois trouvé deux, que je menerois avec moy.

         Ils furent fort contents de ce que je leur dis & d'entendre la
         resolution que j'avois, me promettant toujours de me faire voir
         choses belles.



         _Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description
         d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes
         audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant
         attaquer les Hiroquois._

                              CHAPITRE IX.

         Je partis dudit Sault de la riviere des Hiroquois le 2.
         Juillet[256]. Tous les Sauvages commencèrent à apporter leurs
         canaux, armes & bagage par terre environ demie lieue, pour
         passer l'impetuosité & la force du sault, ce qui fut
         promptement fait.

[Note 256: Probablement le 12 juillet. (Voir 1613, p. 184, note 1.)]

         Aussi tost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en
         chacun, avec leur bagage, & firent aller un des hommes de
         chasque canot par terre environ 1 lieue 1/2 que peut contenir
         ledit sault, mais non si impétueux comme à l'entrée, sinon en
         quelques endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est
         pas plus large de trois à quatre cents pas. Après que nous
         eusmes passé le sault, qui ne fut sans peine, tous les Sauvages
         qui estoient allez par terre, par un chemin assez beau & pays
156/812  uny, bien qu'il y aye quantité de bois, se rembarquèrent dans
         leurs canaux. Les hommes que j'avois furent aussi par terre, &
         moy par eau, dedans un canau. Ils firent reveue de tous leurs
         gens, & se trouva 24 canaux, où il y avoit 60 hommes. Après
         avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin jusques à
         une isle[257] qui tient trois lieues de long, remplie des plus
         beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la chasse, & y
         prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus outre environ
         trois lieues de là, nous y logeasmes pour prendre le repos la
         nuict ensuivant.

[Note 257: L'ile Sainte-Thérèse.]

         Incontinent un chacun d'eux commença l'un à couper du bois, les
         autres à prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs
         cabanes, pour se mettre à couvert: les autres à abbatre de gros
         arbres pour se barricader sur le bord de la riviere autour de
         leurs cabanes; ce qu'ils sçavent si proprement faire, qu'en
         moins de deux heures cinq cents de leurs ennemis auroient bien
         de la peine à les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup
         mourir. Il ne barricadent point le costé de la riviere où sont
         leurs canaux arrangez, pour s'embarquer si l'occasion le
         requeroit.

         Après qu'ils furent logez, ils envoyerent trois canaux avec
         neuf bons hommes, comme est leur coustume, à tous leurs
         logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils
         n'apperceuront rien, qui après se retirent. Toute la nuict ils
         se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est
         une tres-mauvaise coustume en eux: car quelquefois ils sont
157/813  surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans
         qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour se défendre.

         Recognoissant cela, je leur remonstrois la faute qu'ils
         faisoient, & qu'ils devoient veiller, comme ils nous avoient
         veu faire toutes les nuicts, & avoir des hommes aux aguets,
         pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien; & ne point
         vivre de la façon comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne
         pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour à la
         chasse; d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent
         leurs troupes en trois, sçavoir, une partie pour la chasse
         separée en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros,
         qui sont tousjours sur leurs armes: & l'autre partie en
         avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne
         verront point quelque marque ou signal par où ayent passé leurs
         ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines
         marques que les Chefs se donnent d'une nation à l'autre, qui ne
         sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps
         quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si ce
         sont amis ou ennemis qui ont passé. Les chasseurs ne chassent
         jamais de l'avant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne
         donner d'allarme ny de détordre, mais sur la retraite & du
         costé qu'ils n'appréhendent leurs ennemis, & continuent ainsi
         jusques à ce qu'ils soient à deux ou trois journées de leurs
         ennemis, qu'ils vont de nuict à la desrobée, tous en corps,
         horsmis les coureurs, & le jour se retirent dans le fort des
         bois, où ils répètent, sans s'esgarer ny mener bruit, ni faire
         aucun feu, afin de n'estre apperceus, si par fortune leurs
158/814  ennemis passoient, ny pour ce qui est de leur manger durant ce
         temps. Ils ne font du feu que pour petuner; & mangent de la
         farine de bled d'Inde cuite, qu'ils destrempent avec de l'eau,
         comme bouillie. Ils conservent ces farines pour leur necessité,
         & quand ils sont proches de leurs ennemis, où quand ils font
         retraitte après leurs charges, ils ne s'amusent à chasser, se
         retirant promptement.

         A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois, ou Ostemouy[258],
         qui sont manières de gens qui font les devins, en qui ces
         peuples ont croyance, lequel fait une cabanne entourée de
         petits bois, & la couvre de sa robbe. Après qu'elle est faite,
         il se met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune façon,
         puis Comme ce prend un des piliers de sa cabanne, & la fait
         bransler, marmotant certaines paroles entre ses dents, par
         lesquelles il dit qu'il invoque le diable, & qu'il s'apparoist
         à luy en forme de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs
         ennemis, & s'ils en tueront beaucoup. Ce Pilotois est prosterné
         en terre, sans remuer, ne faisant que parler au diable; puis
         aussi tost se leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant
         d'une telle façon, qu'il est tout en eau, bien qu'il soit nud.
         Tout le peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul
         comme des singes. Ils me disoient souvent que le branslement
         que je voyois de la cabanne, estoit le diable qui la faisoit
         mouvoir, & non celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le
         contraire: car c'estoit (comme j'ay dit cy-dessus) le Pilotois
159/815  qui prenoit un des bâtons de sa cabanne, & la faisoit ainsi
         mouvoir. Ils me dirent aussi que je verrois sortir du feu par
         le haut, ce que je ne veis point. Ces drosles contrefont aussi
         leur voix grosse & claire, parlant en langage incogneu aux
         autres Sauvages, & quand ils la representent cassée, ils
         croyent que c'est le diable qui parle, & qui dit ce qui doit
         arriver en leur guerre, & ce qu'il faut qu'ils facent.
         Neantmoins tous ces garnimens que font les devins, de cent
         paroles n'en disent pas deux véritables, & vont abusans ces
         pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer
         quelque denrée du peuple. Je leur remonstrois souvent que tout
         ce qu'ils faisoient n'estoit que folie, & qu'ils ne devoient y
         adjouster foy.

[Note 258: L'édition de 1613 porte: «Ostemoy.» Ce mot, que Lescarbot
écrit _Aoutmoin_, était employé par les Souriquois; le mot pilotais
paraît être d'origine basque. (Voir 1613, p. 187, note 1.)]

         Or après qu'ils ont sceu de leurs devins ce qui leur doit
         succeder, les Chefs prennent des bâtons de la longueur d'un
         pied autant en nombre qu'ils sont, & signalent par d'autres un
         peu plus grands, leurs Chefs: puis vont dans le bois, &
         esplanadent une place de cinq ou six pieds en quarré, où le
         chef, comme Sergent major, met par ordre tous ces bâtons comme
         bon luy semble, puis appelle tous ses compagnons, qui viennent
         tous armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir
         lors qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces
         Sauvages regardent attentivement, remarquans la figure que leur
         chef a faite avec ces bâtons, & aprés se retirent de là, &
         commencent à se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdits
         bâtons, puis se meslent les uns parmy les autres, & retournent
         derechef en leur ordre, continu ans deux ou trois fois, & font
160/816  ainsi à tous leurs logemens, sans qu'il soit besoin de Sergent
         pour leur faire tenir leurs rangs, qu'ils sçavent fort bien
         garder, sans se mettre en confusion. Voila la règle qu'ils
         tiennent à leur guerre.

         Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la
         riviere jusques à l'entrée du lac. En icelle y a nombre de
         belles isles, qui sont basses, remplies de très-beaux bois &
         prairies, où il y a quantité de gibbier, & chasse d'animaux,
         comme cerfs, daims, faons, chevreuls, ours, & autres sortes
         d'animaux qui viennent de la grand'terre ausdites isles. Nous y
         en prismes quantité. Il y a aussi grand nombre de castors tant
         en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent
         tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns
         Sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le sujet de leurs
         guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au
         profond des terres; afin de n'estre si tost surpris.

         Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estendue,
         comme de 50 ou 60 lieues[259], où j'y veis 4 belles isles[260],
         contenans 10, 12 & 15 lieues de long, qui autrefois ont esté
         habitées par les Sauvages, comme aussi la riviere des
         Hiroquois: mais elles ont esté abandonnées depuis qu'ils ont eu
         guerre les uns contre les autres: aussi y a-il plusieurs
         rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environnées de
         nombre de beaux arbres, de mesmes especes que nous avons en
         France, avec force vignes, plus belles qu'en aucun lieu que
161/817  j'eusse veu: force chastaigniers, & n'en avois encores point
         veu que dessus le bord de ce lac, où il y a grande abondance
         de poisson de plusieurs especes. Entre autres y en a un,
         appellé des Sauvages du pays _chaoufarou_[261], qui est de
         plusieurs longueurs: mais les plus grands contiennent, à ce
         que m'ont dit ces peuples, huict à dix pieds. J'en ay veu qui
         en contenoient 5 qui estoient de la grosseur de la cuisse, &
         avoient la teste grosse comme les deux poings, avec un bec de
         deux pieds & demy de long, & a double rang de dents fort aiguës
         & dangereuses. Il a toute la forme du corps tirant au brochet,
         mais il est armé d'escailles si fortes, qu'un coup de poignard
         ne les sçauroit percer, & est de couleur de gris argenté. Il a
         aussi l'extrémité du bec comme un cochon. Ce poisson fait la
         guerre à tous les autres qui sont dans ces lacs & rivieres, & a
         une industrie merveilleuse, à ce que m'ont asseuré ces peuples,
         qui est, que quand il veut prendre quelques oiseaux, il va
         dedans des joncs ou roseaux, qui sont sur les rives du lac en
         plusieurs endroits, & met le bec hors l'eau sans se bouger: de
         façon que lors que les oiseaux viennent se reposer sur le bec,
         pensans que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que
         serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, il les tire par les
         pieds souz l'eau. Les Sauvages m'en donnèrent une teste, dont
         ils font grand estat, disans que lors qu'ils ont mal à la
         teste, ils se saignent avec les dents de ce poisson à l'endroit
         de la douleur, qui se passe soudain.

[Note 259: L'auteur, en 1632, avait acquis des idées plus exactes sur
l'étendue du lac Champlain, qu'il n'en avait lors de sa première
expédition. Aussi, au lieu de «80 ou 100 lieues,» comme il avait dit en
1613, il ne met ici que «50 ou 60»: ce qui cependant est encore un peu
trop fort, car le lac Champlain n'a que trente et quelques lieues de
long.]

[Note 260: Voir 1613, p. 189, note 2.]

[Note 261: Voir 1613, p. 190, note 1.]

         Continuant nostre routte dans ce lac du costé de l'Occident,
162/818  considerant le pays, je veis du costé de l'Orient de fort
         hautes montagnes, où sur le sommet y avoit de la nege. Je
         m'enquis aux Sauvages si ces lieux estoient habitez: ils me
         respondirent qu'ouy, & que c'estoient Hiroquois[262], & qu'en
         ces lieux y avoit de belles vallées, & campagnes fertiles en
         bleds, comme j'en ay mangé aud. pays, avec infinité d'autres
         fruicts; & que le lac alloit proche des montagnes, qui
         pouvoient estre esloignées de nous, à mon jugement, de 15
         lieues. J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes
         que les premières, horsmis qu'il n'y avoit point de nege. Les
         Sauvages me dirent que c'estoit où nous devions aller trouver
         leurs ennemis, & qu'elles estoient for peuplées, & qu'il
         falloit passer par un sault d'eau que je veis depuis, & de là
         entrer dans un autre lac[263] qui contient trois à quatre
         lieues de long, & qu'estans parvenus au bout d'iceluy, il
         falloit faire 4 lieues[264] de chemin par terre, & passer une
         riviere, qui va tomber en la coste des Almouchiquois, tenant à
         celle des Almouchiquois[265], & qu'ils n'estoient que deux
         jours à y aller avec leurs canaux, comme je l'ay sceu depuis
         par quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent
         fort particulièrement de tout ce qu'ils en avoient recogneu,
         par le moyen de quelques truchemens Algoumequins, qui sçavoient
         la langue des Hiroquois[266].

[Note 262: Voir 1613, p. 191, note 1.]

[Note 263: Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George, qui a une
dizaine de lieues de long. C'est aussi la longueur que lui donne
Champlain, en 1613.]

[Note 264: L'édition de 1613 porte: «quelques deux lieues.»]

[Note 265: En comparant ce passage avec le texte de 1613, qui lui-même
est fautif en cet endroit, on peut juger que l'auteur a voulu mettre:
«passer une rivière (l'Hudson), qui va tomber en la côte des
Almouchiquois, tenant à celle de Norembègue.»]

[Note 266: L'auteur s'exprimait ainsi dès 1613.]

163/819  Or comme nous commençasmes à approcher à deux ou trois journées
         de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus que la
         nuict, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne laissoient
         tousjours de faire leurs superstitions accoustumées, pour
         sçavoir ce qui leur pourroit succeder de leurs entreprises, &
         souvent me venoient demander si j'avois songé, & avois veu
         leurs ennemis. Je leur respondois que non, & leur donnois
         courage, & bonne esperance. La nuict venue, nous nous mismes en
         chemin jusques au lendemain, où nous nous retirasmes dans le
         fort du bois, pour y passer le reste du jour. Sur les dix ou
         onze heures, après m'estre quelque peu proumené autour de
         nostre logement, je me fus reposer, & en dormant, je songeay
         que je voyois les Hiroquois nos ennemis dedans le lac, proche
         d'une montagne, qui se noyoient à nostre veue; & les voulant
         secourir, nos Sauvages alliez me disoient qu'il les falloit
         tous laisser mourir, & qu'ils ne valloient rien. Estant
         esveillé, ils ne faillirent comme à l'accoustumée, de me
         demander si j'avois songé quelque chose. Je leur dis en effect
         ce que j'avois songé. Cela leur apporta une telle croyance,
         qu'ils ne doutèrent plus de ce qui leur devoit advenir pour
         leur bien.

         Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canaux pour
         continuer nostre chemin: & comme nous allions fort doucement, &
         sans mener bruit, le vingt-neufiesme du mois[267] nous fismes
164/820  rencontre des Hiroquois sur les dix heures du soir au bout
         d'un cap[268] qui advance dans le lac du costé de l'Occident,
         lesquels venoient à la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter
         de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous
         retirasmes vers l'eau, & les Hiroquois mirent pied à terre, &
         arrangèrent tous leurs canaux les uns contre les autres, &
         commencerent à abbatre du bois avec de meschantes haches qu'ils
         gaignent quelquefois à la guerre, & d'autres de pierre, & se
         barricadèrent fort bien.

[Note 267: Le 29 juillet 1609.]

[Note 268: Probablement la pointe Saint-Frédéric _(Crown Point)_.]

         Aussi les nostres tindrent toute la nuict leurs canaux arrangez
         les uns contre les autres attachez à des perches pour ne
         s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin;
         & estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de
         leurs barricades. Comme ils furent armez & mis en ordre, ils
         envoyerent deux canaux separez de la troupe, pour sçavoir de
         leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels respondirent
         qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour l'heure, il n'y
         avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le
         jour pour se cognoistre, & qu'aussi tost que le Soleil se
         leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut accordé
         par les nostres; & en attendant toute la nuict se passa en
         dances & chansons, tant d'un costé que d'autre, avec une
         infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage
         qu'ils avoient, avec le peu d'effect & resistance contre leurs
         armes, & que le jour venant, ils le sentiroient à leur ruine.
         Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils
         verroient des effects d'armes que jamais ils n'avoient veus; &
165/821  tout plein d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege
         de ville. Après avoir bien chanté, dancé & parlementé les uns
         aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions
         tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent,
         preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans
         toutesfois separez, chacun en un des canaux des Sauvages
         montagnars. Après que nous fusmes armez d'armes légères, nous
         prismes chacun une harquebuse, & descendismes à terre. Je vey
         sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200
         hommes fort & robustes à les voir, qui venoient au petit pas au
         devant de nous, avec une gravité & asseurance, qui me contenta
         fort, à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres
         aussi alloient en mesme ordre, & me dirent que ceux qui avoient
         trois grands pennaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit
         que ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes qui
         estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons,
         & que je fisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis
         de faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien
         fasché qu'ils ne me pouvoient bien entendre, pour leur donner
         l'ordre & façon d'attaquer leurs ennemis, & qu'indubitablement
         nous les desferions tous, mais qu'il n'y avoit remède: que
         j'estois tres-aise de leur donner courage, & leur monstrer la
         bonne volonté qui estoit en moy, quand serions au combat.

         Aussi tost que fusmes à terre ils commencèrent à courir environ
         deux cents pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, &
         n'avoient encores apperceu mes compagnons, qui s'en allèrent
166/822  dans les bois avec quelques Sauvages. Les nostres commencerent
         à m'appeller à grands cris; & pour me donner passage ils
         s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant environ 20
         pas devant, jusqu'à ce que je fusse à 30 pas des ennemis, où
         aussi tost ils m'apperceurent, & firent alte en me contemplant,
         & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je
         couchay mon harquebuse en joue, & visay droit à un des trois
         chefs, duquel coup il en tomba deux par terre, & un de leurs
         compagnons qui fut blessé, qui quelque temps après en mourut.
         J'avois mis 4 balles dedans mon harquebuse. Les nostres ayans
         veu ce coup si favorable pour eux, ils commencèrent à jetter de
         si grands cris, qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les
         flesches ne manquoient de part ne d'autre. Les Hiroquois furent
         fort estonnez, que si promptement deux hommes avoient esté
         tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissues de fil de
         cotton, & de bois, à l'espreuve de leurs flesches; ce qui leur
         donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de
         mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna
         derechef de telle façon, voyans leurs chefs morts, qu'ils
         perdirent courage, se mirent en fuitte, & abandonnèrent le
         champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, où
         les poursuivant, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos
         Sauvages en tuèrent aussi plusieurs, & en prindrent dix ou
         douze prisonniers. Le reste se sauva avec les blessez. Il y en
         eut des nostres quinze ou seize de blessez de coups de
         flesches, qui furent promptement guéris.

         Après que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre
167/823  force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & aussi leurs
         armes, qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Et ayans fait
         bonne chère, dancé & chanté, trois heures après nous en
         retournasmes avec les prisonniers.

         Ce lieu où se fit ceste charge est par les 43 degrez & quelques
         minutes de latitude, & je nommay le lac de Champlain.



         _Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin._

                               CHAPITRE X.

         Aprés avoir cheminé huict lieues, sur le soir ils prindrent un
         des prisonniers, à qui ils firent une harangue des cruautez que
         luy & les tiens avoient exercées en leur endroit, sans avoir eu
         aucun égard, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en
         recevoir autant, & luy commandèrent de chanter, s'il avoit du
         courage; ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste à ouir.

         Cependant les nostres allumèrent un feu, & comme il fut bien
         embrazé, ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce
         pauvre miserable peu à peu pour luy faire souffrir plus de
         tourmens. Ils le laissoient quelquefois, luy jettant de l'eau
         sur le dos, puis luy arrachèrent les ongles, & luy mirent du
         feu sur les extremitez des doigts, & de son membre. Après ils
         luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent dégoutter
         dessus certaine gomme toute chaude: puis luy percèrent les bras
         prés des poignets, & avec des bâtons tiroient les nerfs, & les
         arrachoient à force: & comme ils voyoient qu'ils ne les
168/824  pouvoient r'avoir, ils les coupoient. Ce pauvre miserable
         jettoit des cris estranges, & me faisoit pitié de le voir
         traitter de la façon; toutesfois il estoit si constant, qu'on
         eust dit qu'il ne sentoit par fois aucune douleur. Ils me
         sollicitoient fort de prendre du feu, pour faire comme eux:
         mais je leur remonstrois que nous n'usions point de ces
         cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que
         s'ils vouloient que je luy donnasse un coup d'harquebuze, j'en
         serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point
         de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasché de voir tant de
         cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils veirent que
         je n'en estois content, ils m'appellerent, & me dirent que je
         luy donnasse un coup d'harquebuse: ce que je fis, sans qu'il en
         veist rien. Après qu'il fut mort, ils ne se contentèrent pas:
         car ils luy ouvrirent le ventre, & jetterent ses entrailles
         dedans le lac, puis luy coupèrent la teste, les bras, & les
         jambes, qu'ils separerent d'un costé & d'autre, & reserverent
         la peau de la teste, qu'ils avoient escorchée, comme ils
         avoient fait de tous les autres qu'ils avoient tuez à la
         charge.

         Ils firent encores une autre meschanceté, qui fut, de prendre
         le coeur, qu'ils coupèrent en plusieurs pieces & le donnerent à
         manger à un sien frere, & autres de ses compagnons qui estoient
         prisonniers, lesquels en mirent en leur bouche, mais ils ne le
         voulurent avaler. Quelques Sauvages Algoumequins qui les
         avoient en garde, le firent recracher à aucuns, & le jetterent
         dans l'eau. Voila comme ces peuples traittent ceux qu'ils
169/825  prennent en guerre, & vaudroit mieux pour eux mourir en
         combatant, ou se faire tuer à la chaude, comme il y en a
         beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de
         leurs ennemis. Après ceste exécution faite, nous nous mismes en
         chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers,
         qui alloient toujours chantans, sans autre esperance d'estre
         mieux traittez que l'autre. Estans aux sauts de la riviere des
         Hiroquois les Algoumequins s'en retournèrent en leur pays, &
         aussi les Ochatequins[269], avec une partie des prisonniers,
         fort contents de ce qui s'estoit passe en la guerre, & de ce
         que librement j'estois allé avec eux. Nous nous departismes
         donc les uns des autres avec de grandes protestations d'amitié,
         & me dirent si je ne desirois pas aller en leur pays, pour les
         assister tousjours comme frere: je le leur promis, & m'en
         revins avec les Montagnets.

[Note 269: Ochateguins; c'étaient des hurons, dont le chef s'appelait
Ochateguin.]

         Après m'estre informé des prisonniers de leurs païs, & de ce
         qu'il pouvoit y en avoir, nous ployasmes bagage pour nous en
         revenir: ce que fismes avec telle diligence, que chacun jour
         nous faisions 25 & 30 lieues dans leurs canaux, qui est
         l'ordinaire. Comme nous fusmes à l'entrée de la riviere des
         Hiroquois, il y eut quelques Sauvages qui songèrent que leurs
         ennemis les poursuivoient. Ce songe leur fit aussi tost lever
         le siege, encores que ceste nuict fust fort mauvaise, à cause
         des vents & de la pluye qu'il faisoit, & furent passer la nuict
         dedans de grands roseaux, qui sont dans le lac Sainct Pierre,
         jusqu'au lendemain. Deux tours après arrivasmes à nostre
170/826  habitation, où je leur fis donner du pain, des pois, & des
         patenostres, qu'ils me demanderent pour parer la teste de leurs
         ennemis, pour faire des resjouissances à leur arrivée. Le
         lendemain je fus avec eux dans leurs canaux à Tadoussac, pour
         voir leurs cérémonies. Approchans de la terre, ils prindrent
         chacun un bâton, où au bout estoient pendues les testes de
         leurs ennemis, avec ces patenostres, chantans les uns & les
         autres. Comme ils en furent prés, les femmes se despouillerent
         toutes nues, & se jetterent en l'eau, allans au devant des
         canaux pour prendre ces testes, pour après les pendre à leur
         col, comme une chaisne precieuse. Quelques tours après ils me
         firent present d'une de ces testes, & d'une paire d'armes de
         leurs ennemis, pour les conserver, afin de les monstrer au Roy:
         ce que je leur promis, pour leur faire plaisir[270].

[Note 270: Ici, l'édition de 1613 renferme quelques détails de plus, sur
ce qui se passa dans l'automne de 1609 et au printemps de 1610. (Voir
1613, p. 200-211.)]



         _Desfaite des Hiroquois prés de l'emboucheure de ladite riviere
         des Hiroquois._

                               CHAPITRE XI.

         L'an 1610[271] estant allé dans une barque & quelques hommes de
         Québec à l'entrée de la riviere des Hiroquois, attendre 400
         Sauvages qui devoient me venir trouver pour les assister en une
         autre guerre qui se presenta plus proche que nous ne pensions,
         un Sauvage Algomequin avec son canot vint en diligence advertir
171/827  que les Algoumequins avoient fait rencontre des Hiroquois, qui
         estoient au nombre de cent, &  qu'ils estoient fort bien
         barricadez, & qu'il seroit mal aisé de les emporter, si les
         Misthigosches ne venoient promptement, (ainsi nous
         appellent-ils).

[Note 271: Champlain partit de Québec le 14 juin, et arriva le 19, «à
une isle devant ladite riviere des Yroquois.» (Voir 1613, p. 210, 211.)]

         Aussi tost l'allarme commença parmy quelques Sauvages, & chacun
         se mit en son canot avec ses armes. Ils furent promptement en
         estat, mais avec confusion; car ils se precipitoient si fort,
         qu'au lieu d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent à nostre
         barque, me prians d'aller avec eux dans leurs canaux, & mes
         compagnons aussi, & me presserent si fort, que je m'y embarquay
         moy cinquiesme. Je priay la Routte, qui estoit nostre pilote,
         de demeurer en la barque, & m'envoyer encores 4 ou 5 de mes
         compagnons.

         Ayant fait environ demie lieue en traversant la riviere[272],
         tous les Sauvages mirent pied à terre, & abandonnans leurs
         canaux prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues, &
         espées, qu'ils emmanchent au bout de grands bâtons, &
         commencèrent à prendre leur course dans les bois de telle
         façon, que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous
         laisserent 5 que nous estions sans guide: neantmoins nous les
         suivismes tousjours. Comme nous eusmes cheminé environ demie
         lieue par l'espois des bois, dans des pallus & marescages,
         tousjours l'eau jusques aux genoux, armez chacun d'un corcelet
         de piquier, qui nous importunoit beaucoup, & aussi la quantité
         des mousquites qui estoient si espoisses qu'elles ne nous
172/828  permettoient point presque de reprendre nostre baleine, tant
         elles nous persecutoient, & si cruellement, que c'estoit chose
         estrange, & ne sçavions où nous estions sans deux Sauvages que
         nous apperceusmes traversans le bois lesquels nous appellasmes,
         & leur dy qu'il estoit necessaire qu'ils fussent avec nous pour
         nous guider & conduire où estoient les Hiroquois, &
         qu'autrement nous n'y pourrions aller, & nous esgarerions; ce
         qu'ils firent. Ayans un peu cheminé, nous apperceusmes un
         Sauvage qui venoit en diligence nous chercher, pour nous faire
         advancer le plus promptement qu'il seroit possible, lequel me
         fit entendre que les Algoumequins & Montagnets avoient voulu
         forcer la barricade des Hiroquois, & qu'ils avoient esté
         repoussez, & les meilleurs hommes des Montagnets tuez, &
         plusieurs autres blessez. Qu'ils s'estoient retirez en nous
         attendant, & que leur esperance estoit du tout en nous. Nous
         n'eusmes pas fait demy quart de lieue avec ce Sauvage, qui
         estoit capitaine Algoumequin, que nous entendions les
         heurlemens & cris des uns & des autres, qui s'entre-disoient
         des injures, escarmouchans tousjours légèrement en nous
         attendant. Aussi tost que les Sauvages nous apperceurent, ils
         commencèrent à s'escrier de telle façon, qu'on n'eust pas
         entendu tonner. Je donnay charge à mes compagnons de me suivre
         tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de la
         barricade des ennemis pour la recognoistre. Elle estoit faite
         de puissans arbres arrangez les uns sur les autres en rond, qui
173/829  est la forme ordinaire de leurs forteresses[273]. Tous les
         Montagnets & Algoumequins s'approchèrent aussi de lad.
         barricade. Lors nous commençasmes à tirer force coups
         d'harquebuze à travers les fueillards, d'autant que nous ne les
         pouvions voir comme eux nous. Je fus blessée en tirant le
         premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de
         flesche qui me fendit le bout de l'oreille, & entra dans le
         col. Je la prins, & l'arrachay: elle estoit ferrée par le bout
         d'une pierre bien aiguë. Un autre de mes compagnons en mesme
         temps fut aussi blessé au bras d'une autre flesche, que je luy
         arrachay. Neantmoins ma blesseure ne m'empescha de faire le
         devoir, & nos Sauvages aussi de leur part, & pareillement les
         ennemis, tellement qu'on voyoit voler les flesches de part &
         d'autre menu comme gresle. Les Hiroquois s'estonnoient du bruit
         de nos harquebuzes, & principalement de ce que les balles
         perçoient mieux que leurs flesches; & eurent tellement
         l'espouvente de l'effect qu'elles faisoient, voyans plusieurs
         de leurs compagnons tombez morts, & blessez, que de crainte
         qu'ils avoient, croyans ces coups estre sans remède, ils se
         jettoient par terre quand ils entendoient le bruit, aussi ne
         tirions nous gueres à faute, & deux ou trois balles à chacun
         coup, & avions la plus-part du temps nos harquebuzes appuyées
         sur le bord de leur barricade. Comme je veis que nos munitions
         commençoient à manquer, je dis à tous les Sauvages qu'il les
         falloit emporter de force, & rompre leurs barricades, & pour ce
         faire, prendre leurs rondaches & s'en couvrir, & ainsi s'en
174/830  approcher de si prés, que l'on peust lier de bonnes cordes aux
         pilliers qui les soustenoient, & à force de bras tirer
         tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y faire
         ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort, & que
         cependant nous à coups d'harquebuzes repousserions les ennemis
         qui viendroient se presenter pour ses en empescher, & aussi
         qu'ils eussent à se mettre quelque quantité après de grands
         arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les
         renverser dessus pour les accabler. Que d'autres couvriroient
         de leurs rondaches, pour empescher que les ennemis ne les
         endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme
         on estoit en train de parachever, la barque qui estoit à une
         lieue & demie de nous, nous entendoient batre par l'écho de
         nos harquebuzades qui retentissoit jusques à eux, qui fit qu'un
         jeune homme de Sainct Malo, plein de courage, appellé des
         Prairies, qui avoit sa barque prés de nous pour la traitte de
         pelleterie, dit à tous ceux qui restoient, que c'estoit une
         grande honte à eux de me voir battre de la façon avec des
         Sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il
         avoit trop l'honneur en recommandation, & ne vouloit point
         qu'on luy peust faire ce reproche: & sur cela délibéra de me
         venir trouver dans une chaloupe avec quelques siens compagnons,
         & des miens, qu'il amena avec luy.

[Note 272: C'est-à-dire, le fleuve. (Voir 1613, p. 21l et 212, où il y a
quelques détails de plus.)]

[Note 273: En comparant le dessin que l'auteur nous a conservé de cette
bataille de 1610, dans l'édition de 1613, avec les diverses
circonstances du récit, on doit conclure que la barricade des Iroquois
était à environ une lieue de l'embouchure du Richelieu, et du côté de
Contrecoeur, comme l'indique assez la position de la chaloupe du sieur
des Prairies; car il est évident qu'elle ne dut pas remonter au-delà de
la barricade.]

         Aussi tost qu'il fust arrivé, il alla vers le fort des
         Hiroquois, qui estoit sur le bord de la riviere, où il mit pied
         à terre, & me vint chercher. Comme je le veis, je fis cesser
175/831  nos Sauvages qui rompoient la forteresse, afin que les nouveaux
         venus eussent leur part du plaisir. Je priay le sieur des
         Prairies & ses compagnons de taire quelques salves
         d'harquebuzades, auparavant que nos Sauvages les emportassent
         de force, comme ils avoient délibéré: ce qu'ils firent, &
         tirèrent plusieurs coups, où chacun se comporta selon son
         devoir. Après avoir assez tiré, je m'addresse à nos Sauvages, &
         les incitay de parachever. Aussi tost s'approchans de ladite
         barricade, comme ils avoient fait auparavant, & nous à leurs
         aisles, pour tirer sur ceux qui les voudroient empescher de la
         rompre, ils se comportèrent si bien & si vertueusement, qu'à la
         faveur de nos harquebuzades ils y firent ouverture, neantmoins
         difficile à passer, car il y avoit encores la hauteur d'un
         homme pour entrer dedans, & des branchages d'arbres abbatus,
         qui nuisoient fort: toutesfois quand je veis l'entrée assez
         raisonnable, je dis qu'on ne tirast plus: ce qui fut fait. Au
         mesme instant vingt ou trente, tant des Sauvages, que de nous
         autres, entrasmes dedans l'espée à la main, sans trouver gueres
         de resistance. Aussi tost ce qui restoit sain commença à
         prendre la fuitte, mais ils n'alloient pas loin, car ils
         estoient défaits par ceux qui estoient à l'entour de ladite
         barricade, & ceux qui eschaperent se noyèrent dans la riviere.
         Nous prismes 15 prisonniers, & le reste fut tué à coups
         d'harquebuzes, de flesches, & d'espées. Quand ce fut fait, il
         vint une autre chaloupe, & quelques uns de nos compagnons
         dedans, qui fut trop tard, toutesfois assez à temps pour la
         despouille du butin, qui n'estoit pas grand'chose: car il n'y
176/832  avoit que des robbes de castor, des morts pleins de sang, que
         les Sauvages ne vouloient prendre la peine de despouiller, & se
         moquoient de ceux qui le faisoient, qui furent ceux de la
         dernière chaloupe. Ayans obtenu la victoire, par la grâce de
         Dieu, ils nous donnèrent beaucoup de louange. Ces Sauvages
         escorcherent les testes de leurs ennemis morts, ainsi qu'ils ont
         accoustumé de faire pour trophée de leur victoire, & les
         emportèrent. Ils s'en retournèrent avec 50 blessez des leurs, &
         3 morts desdits Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs
         prisonniers avec eux. Ils pendirent ces testes à des bâtons
         devant leurs canaux, & un corps mort coupé par quartiers, pour
         le manger par vengeance, à ce qu'ils disoient, & vindrent en
         ceste façon jusques où estoient nos barques, au devant de
         ladite riviere des Hiroquois.

         Mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chaloupe, où je
         me fis penser de ma blesseure. Je demanday aux Sauvages un
         prisonnier Hiroquois, lequel ils me donnèrent. Je le delivray
         de plusieurs tourments qu'il eust soufferts, comme ils firent à
         ses compagnons, ausquels ils arrachèrent les ongles, puis leur
         coupèrent les doigts, & les bruslerent en plusieurs endroits.
         Cedit jour ils en firent mourir trois de la façon. Ils en
         amenèrent d'autres sur le bord de l'eau, & les attachèrent tous
         droits à un bâton, puis chacun venant avec u flambeau d'escorce
         de bouleau, les brusloient tantost sur une partie, tantost sur
         l'autre; & ces pauvres miserables sentans ce feu, jettoient des
         cris si hauts, que c'estoit chose estrange à ouir. Après les
         avoir bien fait languir de la façon, ils prenoient de l'eau, &
177/833  leur versoient sur le corps, pour les faire languir davantage;
         puis leur remettoient derechef le feu de telle façon, que la
         peau tomboit de leurs corps, & continuoient avec grands cris &
         exclamations, dançans jusques à ce que ces pauvres malheureux
         tombassent morts sur la place.

         Aussi tost qu'il tomboit un corps mort à terre, ils frapoient
         dessus à grands coups de bâton, puis luy coupoient les bras &
         les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour
         homme de bien entr'eux, celuy qui ne coupoit un morceau de sa
         chair, & ne la donnoit aux chiens. Neantmoins ils endurent tous
         ces tourments si constamment, que ceux qui les voyent en
         demeurent tout estonnez.

         Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux
         Algoumequins, que Montagnets, ils furent conservez pour les
         faire mourir, par les mains de leurs femmes & filles, qui en
         cela ne se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, & les
         surpassent encores en cruauté: car par leur subtilité elles
         inventent des supplices plus cruels, & prennent plaisir de leur
         faire ainsi finir leur vie.

         Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet, & un autre
         Ochategin[274], qui avoient 80 hommes, & estoient bien faschez
         de ne s'estre trouvez à la défaite. En toutes ces nations il y
         avoit bien prés de 200 hommes, qui n'avoient jamais veu de
         Chrestiens qu'alors, dont ils firent de grandes admirations.

[Note 274: Ochateguin.]

         Nous fusmes trois jours ensemble à une isle[275] le travers de
178/834  la riviere des Hiroquois, puis chacune nation s'en retourna en
         son pays. J'avois un jeune garçon[276], qui avoit hyverné deux
         ans à Québec, lequel avoit desir d'aller avec les Algoumequins,
         pour apprendre la langue, cognoistre leur pays, voir le grand
         lac, remarquer les rivieres, & quels peuples y habitent:
         ensemble descouvrir les mines, & choses plus rares de ces
         lieux, afin qu'à son retour il nous peust donner cognoissance
         de toutes ces choses. Je luy demanday s'il l'avoit agréable,
         car de l'y forcer capitaine ce n'estoit ma volonté. Je fus
         trouver le Capitaine Yroquet, qui m'estoit fort affectionné,
         auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune garçon avec
         luy en son pays pour y hyverner, & le ramener au printemps. Il
         me promit le faire, & le tenir comme son fils. Il le dit aux
         Algoumequins, qui n'en furent pas trop contents, pour la
         crainte qu'il ne luy arrivast quelque accident[277].

[Note 275: Vraisemblablement l'île de Saint-Ignace. (Voir 1613, p. 219,
note 1.)]

[Note 276: Ce jeune garçon était, ce semble, Étienne Brûlé; car on lit,
dans l'édition de 1619: «Or y avoit-il avec eux un appellé Estienne
Brûlé, l'un de nos truchemens, qui s'estoit adonné avec eux depuis 8
ans, tant pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur
langue & façon de vivre»... (1619, p. 133.)]

[Note 277: L'édition de 1613 renferme ici quelques détails de plus sur
cet échange d'un jeune français, que nous croyons être Étienne Brûlé,
pour un jeune sauvage, (p. 220, 221, 222.)]

         Leur ayant remonstré le desir que j'en avois, ils me dirent:
         Que puis que j'avois ce desir, qu'ils l'emmeneroient, & le
         tiendroient comme leur enfant; m'obligeant aussi de prendre un
         jeune homme[278] en sa place, pour mener en France, afin de
         leur rapporter ce qu'il y auroit veu. Je l'acceptay volontiers,
         & en fut fort aise. Il estoit de la nation des Ochateguins dits
         Hurons[279]. Cela donna plus de sujet de mieux traitter mon
179/835  garçon, lequel j'equipay de ce qui luy estoit necessaire, &
         promismes les uns aux autres de nous revoir à la fin de Juin.

[Note 278: Savignon, dont il est parlé en plusieurs endroits de
l'édition 1613, et surtout dans, le Troisième Voyage.]

[Note 279: Voir ci-dessus, p. 144.]

         Quelques jours après ce prisonnier Hiroquois que je faisois
         garder, par la trop grande liberté que je luy donnois, s'enfuit
         & se sauva, pour la crainte & appréhension qu'il avoit,
         nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa
         nation, que nous avions en nostre habitation[280].

[Note 280: Dans l'édition de 1613, on trouve, à la fin de ce chapitre,
plusieurs autres détails importants sur ce qui se passa jusqu'au retour
des vaisseaux en 1610, et l'on y voit en même temps pourquoi l'auteur
place ici la description de la pêche à la baleine, qui occupe le
chapitre suivant. (Voir 1613, p. 222-226.)]



         _Description de la pesche des Baleines en la nouvelle France._

                              CHAPITRE XII.

         Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire icy une petite
         description de la pesche des Baleines que plusieurs n'ont veue
         & croyent qu'elles se prennent à coups de canon, d'autant qu'il
         y a de si impudents menteurs qui l'afferment à ceux qui n'en
         sçavent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinément sur ces
         faux rapports.

         Ceux donc qui sont plus adroits à ceste pesche sont les
         Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un
         port de seureté, où proche de là ils jugent y avoir quantité de
         Baleines, & équipent plusieurs chaloupes garnies de bons hommes
         & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur
         chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longueur pour le moins
         cent cinquante brasses, & ont force pertuisanes longues de
180/836  demie pique, qui ont le fer large de six poulces, d'autres
         d'un pied & demy, & deux de long, bien trenchantes. Ils ont en
         chacune chaloupe un harponneur, qui est un homme des plus
         dispos & adroits d'entre eux, aussi tire-t'il les plus grands
         salaires après les maistres, d'autant que c'est l'office le
         plus hazardeux. Ladite chaloupe estant hors du port, ils
         regardent de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir
         quelque baleine allant à la borde d'un costé & d'autre; & ne
         voyans rien, ils vont à terre & se mettent sur un promontoire
         le plus haut qu'ils trouvent, pour descouvrir de plus loing,
         où ils mettent un homme en sentinelle, qui appercevant la
         baleine, qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par
         l'eau qu'elle jette par les évans, qui est plus d'un poinçon à
         la fois, & de la hauteur de deux lances; & à ceste eau qu'elle
         jette, ils jugent ce qu'elle peut rendre d'huile. Il y en a
         telle d'où l'on en peut tirer jusques à six vingts poinçons,
         d'autres moins.

         Or voyans cet espouventable poisson, ils s'embarquent
         promptement dans leurs chaloupes, & à force de rames, ou de
         vent, vont jusques à ce qu'ils soient dessus. La voyant entre
         deux eaues, à mesme instant l'harponneur est au devant de la
         chaloupe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds &
         demy de large par les orillons, emmanché en un baston de la
         longueur d'une demie pique, où au milieu il y a un trou où
         s'attache la haussiere; & aussi tost que le dit harponneur voit
         son temps, il jette son harpon sur la baleine, lequel entre
         fort avant, & incontinent qu'elle se sent blessée, elle va au
181/837  fonds de l'eau. Et si d'avanture en se retournant quelquefois,
         avec sa queue elle rencontre la chaloupe, ou les hommes, elle
         les brise aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard
         qu'ils courent d'estre tuez en la harponnant. Mais aussi tost
         qu'ils ont jetté le harpon dessus, ils laissent filer leur
         haussiere, jusques à ce que la baleine soit au fonds: &
         quelquefois comme elle n'y va pas droit, elle entraine la
         chaloupe plus de huict ou neuf lieues, & va aussi viste qu'un
         cheval, & sont le plus souvent contraints de couper leur
         haussiere, craignant que la baleine ne les attire souz l'eau.
         Mais aussi quand elle va tout droit au fonds, elle y repose
         quelque peu, & puis revient tout doucement sur l'eau, & à
         mesure qu'elle monte, ils rembarquent leur haussiere peu à peu,
         & puis comme elle est dessus, ils se mettent deux ou trois
         chaloupes autour avec leurs pertuisanes, desquelles ils luy
         donnent plusieurs coups; & se sentant frapée, elle descend
         derechef souz l'eau en perdant son sang, & s'affoiblit de telle
         façon, qu'elle n'a plus de force ny de vigueur, & revenant sur
         l'eau, ils achevent de la tuer. Quand elle est morte, elle ne
         va plus au fonds de l'eau: & lors ils l'attachent avec de
         bonnes cordes, & la traînent à terre, au lieu où ils font leur
         degrat, qui est l'endroit où ils font fondre le lard de ladite
         baleine, pour en avoir l'huile.

         Voila la façon comme elles se peschent, & non à coups de canon,
         ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy-dessus[281].

[Note 281: À la suite de cette description, se trouvent, dans l'édition
de 1613, les détails du retour en France et des dangers que courut
l'auteur en revenant en Canada le printemps suivant. (Voir 1613, p.
229-242.)]

182/838  _Partement de l'Autheur de Quebec: du Mont Royal, ses rochers.
         Isles ou se trouve la terre à potier. Isle de Saincte
         Hélène_[282].

[Note 282: Il nous paraît évident que le titre de ce chapitre n'a pas
été fait par l'auteur lui-même. D'abord, cette expression du Mont Royal,
pour désigner autre chose que la Montagne, n'est pas ordinaire à
Champlain, qui, dans ce chapitre-ci même, se sert encore des noms saut
Saint-Louis, ou Grand-Saut, et fait la remarque que ces rochers et
basses sont à une lieue du Mont Royal. En second lieu, Champlain
n'aurait pas de lui-même fait usage de ces mots Isles ou se trouve la
terre à potier; puisque, dans le texte, il donne à entendre que cette
terre à potier se trouvait dans les prairies voisines. «Il y a aussi,
dit-il, quantité de prairies de très-bonne terre grasse à potier.» Or il
est clair que le petit Islet, qui avait à peine «cent pas de long,» ne
pouvait contenir quantité de prairies. (Voir ci-après, p. 184.)]



                              CHAPITRE XIII.

         L'an 1611, je remenay mon Sauvage à ceux de sa nation, qui
         devoient venir au grand Sault Sainct Louys, & retirer mon
         serviteur qu'ils avoient pour ostage. Je partis de Québec le 20
         [283] de May, & arrivay audit grand sault le 28, où je ne
         trouvay aucun des Sauvages, qui m'avoient promis d'y estre au
         20 dudit mois. Aussi tost je fus dans un meschant canot avec le
         Sauvage que j'avois mené en France, & un de nos gens. Après
         avoir visité d'un costé & d'autre, tant dans les bois, que le
         long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la scituation
         d'une habitation, & y préparer une place pour y bastir, je
         cheminay 8 lieues par terre costoyant le grand sault par des
         bois qui sont assez clairs, & fus jusques à un lac[284], où
         nostre Sauvage me mena, où je consideray fort particulièrement
         le pays. Mais en tout ce que je veis, je ne trouvay point de
183/839  lieu plus propre qu'un petit endroit[285], qui est jusques où
         les barques & chaloupes peuvent monter aisément, neantmoins
         avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant
         d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nommé la Place
         royale) à une lieue du Mont royal, y a quantité de petits
         rochers & bases, qui sont fort dangereuses. Et proche de ladite
         Place Royale y a une petite riviere[286], qui va assez avant
         dans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60
         arpents de terre desertées qui sont comme prairies, où l'on
         pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autrefois
         des Sauvages y ont labouré, mais ils les ont quittées pour les
         guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a aussi grande
         quantité d'autres belles prairies, pour nourrir tel nombre de
         bestail que l'on voudra, & de toutes les sortes de bois
         qu'avons en nos forests de pardeça, avec quantité de vignes,
         noyers, prunes, cerises, fraises, & autres sortes qui sont
         très-bonnes à manger; entre autres une qui est fort excellente,
         qui a le goust sucrain, tirant à celuy des plantaines (qui est
         un fruict des Indes) & est aussi blanche que nege, & la fueille
         ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la
         terre comme le lierre. La pesche du poisson y est fort
         abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, &
         de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont
         très-bons: comme aussi la chasse des oiseaux de différentes
         especes, & celle des cerfs, daims, chevreuls, caribous, lapins,
         loups cerviers, ours, castors, & autres petites bestes qui y
184/840  sont en telle quantité, que durant que nous fusmes audit sault,
         nous n'en manquasmes aucunement.

[Note 283: On voit, par l'édition de 1613, que Champlain arrêta à Québec
le 21, pour étancher sa barque, et qu'il en repartit le même jour.
(1613, p. 241, 242.)]

[Note 284: Probablement celui des Deux-Montagnes.]

[Note 285: C'est l'endroit même où se fixèrent, en 1642, les premiers
habitants de Montréal, près de ce qu'on a appelé depuis
Pointe-à-Callières, ou Pointe-Callières.]

[Note 286: La petite rivière Saint-Pierre.]

         Ayant donc recogneu fort particulièrement, & trouvé ce lieu un
         des plus beaux qui fust en ceste riviere, je fis aussi tost
         couper & défricher le bois de ladite place Royale, pour la
         rendre unie, & preste à y bastir, & peut-on faire passer l'eau
         autour aisément, & en faire une petite isle, & s'y establir
         comme l'on voudra.

         Il y a un petit islet[287] à 20 toises de ladite Place royale,
         qui a environ cent pas de long, où l'on peut faire une bonne &
         forte habitation. Il y a aussi quantité de prairies de
         très-bonne terre grasse à potier, tant pour brique, que pour
         bastir, qui est une grande commodité. J'en fis accommoder une
         partie[288], & y fis une muraille de quatre pieds d'espoisseur,
         & 3 à 4 de haut, & 10 toises de long, pour voir comme elle se
         conserveroit durant l'hyver quand les eaux descendroient, qui à
         mon opinion ne sçauroit[289] parvenir jusques à ladite
         muraille, d'autant que le terroir est de 12 pieds eslevé dessus
         ladite riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une
         isle d'environ trois quarts de lieue de circuit, capable d'y
         bastir une bonne & forte ville, & l'ay nommée l'isle de Saincte
185/841  Heleine[290]. Ce sault descend en manière de lac, où il y a
         deux ou trois isles, & de belles prairies.

[Note 287: Ce petit îlet, dans la carte du _grand sault Saint-Louis_,
est indiqué par la lettre C, et l'auteur ajoute, au bas: «où je fis
faire une muraille de pierre.»]

[Note 288: Ces mots «J'en fis accommoder une partie,» ont été remplacés,
dans l'édition de 1640, par ceux-ci: «J'en fis faire un bon essay.»
Comme il est très-probable que cette correction n'est pas de Champlain,
il est permis de douter qu'elle ait été faite à propos: car elle change
le sens d'une phrase qui, suivant nous, est parfaitement intelligible,
«J'en fis accommoder une partie,» c'est-à-dire, je fis accommoder, ou
préparer une partie de l'îlet, «& y fis une muraille,» etc.]

[Note 289: L'édition de 1640 remplace ce mot par «pouvoit.»]

[Note 290: Voir 1613, p. 245, note 1.--_Hist. de la Colonie française en
Canada_, I, p. 129, 130.]

         En attendant les Sauvages je fis faire deux jardins, l'un dans
         les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le
         deuxiesme jour de juin l'y semay quelques graines, qui
         sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui
         demonstre la bonté de la terre.

         Je me resolus d'envoyer Savignon nostre Sauvage avec un autre,
         pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les faire
         haster de venir & se deliberent[291] d'aller dans nostre canot,
         qu'ils doutoient, d'autant qu'il ne valloit pas beaucoup.

[Note 291: L'édition de 1640 porte: «delibererent.»]

         Le 7e jour[292] je fus recognoistre une petite riviere[293] par
         où vont quelquefois les Sauvages à la guerre, qui se va rendre
         au sault de la riviere des Hiroquois: elle est fort plaisante,
         y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies, & force
         terres, qui se peuvent labourer. Elle est à une lieue du grand
         sault, & lieue & demie de la Place Royale.

[Note 292: Le 7 juin.]

[Note 293: La rivière Saint-Lambert. Les prairies dont parle ici
Champlain, nous font connaître l'origine du nom de Laprairie, où passe
cette rivière.]

         Le 9e jour nostre Sauvage arriva, qui fut quelque peu pardelà
         le lac [294], qui a environ dix lieues de long, lequel j'avois
         veu auparavant, où il ne fit rencontre d'aucune chose, & ne
         peurent passer plus loin à cause de leurd. canot qui leur
         manqua, & furent contraints de s'en revenir. Ils nous
         rapportèrent que passant le sault ils veirent une isle où il y
186/842  avoit si grande quantité de hérons, que l'air en estoit tout
         couvert. Il y eut un jeune homme[295] appellé Louys, qui estoit
         fort amateur de la chasse, lequel entendans cela voulut y aller
         contenter sa curiosité, & pria fort instamment nostredit
         sauvage de l'y mener: ce que le Sauvage luy accorda, avec un
         Capitaine Sauvage Montagnet, fort gentil personnage, appelle
         Outetoucos. Dés le matin ledit Louys fut appeller les deux
         Sauvages, pour s'en aller à ladite isle des Hérons. Ils
         s'embarquèrent dans un canot, & y furent. Ceste isle est au
         milieu du sault[296], où ils prirent telle quantité de
         heronneaux, & autres oiseaux qu'ils voulurent, & se
         r'embarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volonté de
         l'autre Sauvage, & de l'instance qu'il peut faire, voulut
         passer par un endroit fort dangereux, où l'eau tomboit prés de
         trois pieds de haut, disant que d'autres fois il y avoit passé,
         ce qui estoit faux. Il fut long temps à débattre contre nostre
         Sauvage, qui le voulut mener du costé du sud le long de la
         grand terre, par où le plus souvent ils ont accoustumé de
         passer: ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit
         point de danger. Comme nostre Sauvage le veit opiniastre, il
         condescendit à sa volonté: mais il luy dit qu'à tout le moins
         on deschargeast le canot d'une partie des oiseaux qui estoient
         dedans, d'autant qu'il estoit trop chargé, ou
         qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce
         qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez à temps s'ils
         voyoient qu'il y eust du péril pour eux. Ils se laisserent donc
         tomber dans le courant.

[Note 294: Le lac des Deux-Montagnes a environ dix lieues dans sa plus
grande longueur, et c'est là que Champlain s'était rendu quelques jours
auparavant. (Voir ci-dessus, p. 182.)]

[Note 295: «Qui estoit au sieur de Mons.» (Édit. 1613.)]

[Note 296: Voir 1613, p. 246, note 3.]

187/843  Comme ils furent dans la cheutte du sault, ils en voulurent
         sortir, & jetter leurs charges, mais il n'estoit plus temps,
         car la vistesse de l'eau les maistrisoit ainsi qu'elle vouloit,
         & emplirent aussi tost dans les bouillons du sault, qui leur
         faisoient faire mille tours haut & bas, & ne l'abandonnèrent de
         long temps. En fin la roideur de l'eau les lassa de telle
         façon, que ce pauvre Louys qui ne sçavoit aucunement nager,
         perdit tout jugement, & le canot estant au fonds de l'eau, il
         fut contraint de l'abandonner; & revenant au haut, les deux
         autres qui le tenoient tousjours ne veirent plus nostre Louys,
         & ainsi mourut miserablement[297].

[Note 297: Voir 1613, p. 247, note 2.]

         Estans sortis hors dudit sault, ledit Outetoucos estant nud, &
         se fiant en son nager, abandonna le canot, pour gaigner la
         terre, si que l'eau y courant de grande vistesse, il se noya:
         car il estoit si fatigué & rompu de la peine qu'il avoit eue,
         qu'il estoit impossible qu'il se peust sauver.

         Nostre Sauvage Savignon mieux advisé, tint tousjours fermement
         le canot, jusques à ce qu'il fut dans un remoul, où le courant
         de l'eau l'avoit porté, & sceut si bien faire, quelque peine &
         fatigue qu'il eust eue, qu'il vint tout doucement à terre, où
         estant arrivé il jetta l'eau du canot, & s'en revint avec
         grande apprehension qu'on ne se vengeast sur luy, comme ils
         font entr'eux, & nous conta ces tristes nouvelles, qui nous
         apportèrent du desplaisir.

188/844  Le lendemain[298] je fus dans un autre canot audict sault avec
         le Sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit où ils
         s'estoient perdus, & aussi si nous trouverions les corps. Je
         vous asseure que quand il me monstra le lieu, les cheveux me
         herisserent en la teste, & m'estonnois comme les defuncts
         avoient esté si hardis & hors de jugement de passer en un
         endroit si effroyable, pouvans aller ailleurs: car il est
         impossible d'y passer, pour avoir sept à huict cheuttes d'eau,
         qui descendent de degré en degré, le moindre de trois pieds de
         haut, où il se faisoit un frein & bouillonnement estrange, &
         une partie dudit sault estoit toute blanche d'escume, avec un
         bruit si grand, que l'on eust dit que c'estoit un tonnerre,
         comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Aprés
         avoir veu & consideré particulièrement ce lieu, & cherché le
         long du rivage lesdits corps, cependant qu'une chaloupe assez
         légère estoit allée d'un autre costé, nous nous en revinsmes
         sans rien trouver.

[Note 298: Vraisemblablement, le 11 juin.]



         _Deux cents Sauvages ramènent le François qu'on leur avoit
         baillé & remmenèrent leur Sauvage qui estoit retourné de
         France. Plusieurs discours de part & d'autre.

                             CHAPITRE XIIII

         Le 13e jour dudit mois[299], deux cents Sauvages Hurons[300],
189/845  avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet, & Tregouaroti[301],
         frère de nostre Sauvage, amenèrent mon garçon. Nous fusmes fort
         contents de les voir, & fus au devant d'eux avec un canot, &
         nostre Sauvage. Cependant qu'ils approchoient doucement en
         ordre, les nostres s'appareillèrent de leur faire une
         escopeterie d'harquebuzes & mousquets, & quelques petites
         pièces. Comme ils approchoient, ils commencèrent à crier tous
         ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, où
         ils nous louoient fort, & nous tenant pou véritables, de ce que
         je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les
         venir trouver audit sault. Après avoir fait trois autres cris,
         l'escopeterie tira par deux fois, qui les estonna de telle
         façon, qu'ils me prièrent de dire que l'on ne tirast plus, &
         qu'il y en avoit la plus grand'part qui n'avoient jamais veu de
         Chrestiens, ny ouy des tonnerres de la façon, & craignoient
         qu'il ne leur fist mal, & furent fort contents de voir
         nostredict Sauvage sain, qu'ils pensoient estre mort, sur des
         rapports que leur avoient faits quelques Algoumequins, qui
         l'avoient ouy dire à des Sauvages Montagnets. Le Sauvage se
         loua grandement du bon traittement que je luy avois fait en
         France, & des singularitez qu'il y avoit veues, dont ils
         entrèrent tous en admiration, & s'en allèrent cabaner dans le
         bois assez légèrement, attendant le lendemain que je leur
         monstrasse le lieu où je desirois qu'ils se logeassent. Aussi
         je veis mon garçon qui estoit habillé à la Sauvage, qui se loua
         aussi[302] du bon traittement des Sauvages, selon leur pays, &
         me fit entendre tout ce qu'il avoit veu en son hyvernement, &
         ce qu'il avoit appris avec eux.

[Note 299: Le 13 de juin.]

[Note 300: Comparez 1613, p. 249.]

[Note 301: Tregouaroti était huron, puisque Savignon, son frère, était
de la nation huronne, comme il est dit plus haut. Mais Iroquet était
algonquin.]

[Note 302: L'édition de 1640 remplace _aussi_ par _bien_.]

190/846  Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner,
         où les anciens & principaux deviserent fort ensemble. Et aprés
         avoir esté un long temps en cet estat, ils me virent appeller
         seul avec mon garçon, qui avoit fort bien appris leur
         langue[303], & luy dirent qu'ils desiroient contracter une
         estroitte amitié avec moy, veu les courtoisies que je leur
         avois faites par le passé, en se louant tousjours du
         traittement que j'avois fait à nostre Sauvage, comme à mon
         frère, & que cela les obligeoit tellement à me vouloir du bien,
         que tout ce que je desirerois d'eux, ils essayeroient à me
         satisfaire. Après plusieurs discours, ils me firent un prêtent
         de 100 cators. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de
         marchandises, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 Sauvages
         qui devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardez,
         fut un prisonnier Hiroquois qui estoit à moy, qui s'estoit
         eschapé, & s'en estoit retourné en son pays. Qu'il avoit donné
         à entendre que je luy avois donné liberté, & des marchandises,
         & que je devois aller audit sault avec 600 Hiroquois attendre
         les Algoumequins, & les tuer tous. Que la crainte de ces
         nouvelles les avoit arrestez, & que sans cela ils fussent
         venus. Je leur fis response, que le prisonnier s'estoit desrobé
         sans que je luy eusse donné congé, & que nostredit Sauvage
         sçavoit bien de quelle façon il s'en estoit allé, & qu'il n'y
         avoit aucune apparence de laisser leur amitié, comme ils
         avoient ouy dire, ayant esté à la guerre avec eux, & envoyé mon
191/847  garçon en leur pays, pour entretenir leur amitié, & que la
         promesse que je leur avois si fidèlement tenue, le confirmoit
         encores. Ils me respondirent, Que pour eux ils ne l'avoient
         aussi jamais pensé, & qu'ils recognoissoient bien que tous ces
         discours estoient esloignez de la vérité; & que s'ils eussent
         creu autrement, qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les
         autres qui avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de
         François, que mon garçon. Ils me dirent aussi qu'il viendroit
         trois cents Algoumequins dans cinq ou six tours, si on les
         vouloit attendre, pour aller à la guerre avec eux contre les
         Hiroquoits, & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans
         la faire. Je les entretins fort sur le sujet de la source de la
         grande riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort
         particulièrement, tant des rivieres, sauts, lacs, terres, que
         des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre
         d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort
         esloignée de leur pays, & le chemin difficile, tant à cause des
         guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils
         me dirent aussi que l'hyver précédant il estoit venu quelques
         Sauvages du costé de la Floride, par derrière le pays des
         Hiroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amitié avec
         lesd. Sauvages. En fin ils m'en discoururent fort exactement,
         me demonstrans par figures tous les lieux où ils avoient esté,
         prenans plaisir à me raconter toutes ces choses; & moy je ne
         m'ennuyois à les entendre, pour sçavoir d'eux ce dont j'estois
         en doute. Après tous ces discours finis, je leur dis qu'ils
         mesnageassent ce peu de commoditez qu'ils avoient, ce qu'ils
         firent.

[Note 303: Cette circonstance vient encore nous confirmer dans l'opinion
que ce jeune français était Étienne Brûlé: c'est parce qu'il possédait
bien la langue huronne, que l'on continua à l'employer comme interprète
pendant un grand nombre d'années.]

192/848  Le lendemain[304] après avoir traicté tout ce qu'ils avoient,
         qui estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de
         leur logement, du costé du bois, & disoient que c'estoit pour
         leur seureté, afin d'eviter la surprise de leurs ennemis: ce
         que nous prismes pour argent comptant. La nuict venue, ils
         appellerent nostre Sauvage, qui couchoit à ma patache, & mon
         garçon, qui les furent trouver. Après avoir tenu plusieurs
         discours, ils me firent aussi appeller environ sur la my-nuict.
         Estant en leurs cabanes, je les trouvay tous assis en conseil,
         où ils me firent asseoir prés d'eux, disans que leur coustume
         estoit que quand ils vouloient proposer quelque chose, ils
         s'assembloient de nuict, afin de n'estre divertis par l'aspect
         d'aucune chose, & que le jour divertissoit l'esprit par les
         objects: mais à mon opinion ils me vouloient dire leur volonté
         en cachette, se fians en moy, comme ils me donnèrent à entendre
         depuis, me disans qu'ils eussent bien desiré me voir seul. Que
         quelques-uns d'entr'eux avoient esté battus. Qu'ils me
         vouloient autant de bien qu'à leurs enfans, ayans telle fiance
         en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient, mais qu'ils
         se mesfioient fort des autres Sauvages. Que si je retournois,
         que j'amenasse telle quantité de gens que je voudrois, pourveu
         qu'ils fussent souz la conduite d'un chef, & qu'ils
         m'envoyoient quérir, pour m'asseurer d'avantage de leur amitié,
         qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point fasché
         contre eux. Que sçachans que j'avois pris délibération de voir
         leur pays, ils me le feroient voir au péril de leurs vies,
193/849  m'assistans d'un bon nombre d'hommes qui pourroient passer par
         tout, & qu'à l'advenir nous devions esperer d'eux comme ils
         faisoient de nous. Aussi tost ils firent venir 30 castors & 4
         carquans de leurs porcelaine (qu'ils estiment entre eux comme
         nous faisons les chaisnes d'or). Que ces presens estoient
         d'autres Capitaines, qui ne m'avoient jamais veu, qui me les
         envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis:
         mais que s'il y avoit quelques François qui voulurent aller
         avec eux, qu'ils en eussent esté fort contents, & plus que
         jamais, pour entretenir une ferme amitié.

[Note 304: Le 15 de juin.]

         Après plusieurs discours, je leur proposay, Qu'ayans la volonté
         de me faire voir leur pays, je supplierois sa Majesté de nous
         assister jusques à 40 ou 50 hommes armez de choses necessaires
         pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, à la
         charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin
         pour nostre vivre durant ledit voyage. Que je leur apporterois
         dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans les pays par
         où nous passerions, puis nous nous en reviendrions hyverner en
         nostre habitation. Que si je recognoissois le pays bon &
         fertile, l'on y feroit plusieurs habitations, & que par ce
         moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans
         heureusement à l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur
         feroit cognoistre.

         Ils furent fort contents de ceste proposition, & me prierent
         d'y tenir la main, disans qu'ils feroient de leur part tout ce
         qui leur seroit possible pour en venir à bout; & que pour ce
         qui estoit des vivres, nous n'en manquerions non plus
194/850  qu'eux-mesmes: m'asseurans derechef de me faire voir ce que je
         desirois. Là dessus je pris congé d'eux au poinct du jour en
         les remerciant de la volonté qu'ils avoient de favoriser mon
         desir, les priant de tousjours continuer.

         Le lendemain 17e jour dudit mois, ils délibererent s'en
         retourner, & emmener Savignon, auquel je donnay quelques
         bagatelles, me faisant entendre qu'il s'en alloit mener une vie
         bien pénible, au prix de celle qu'il avoit eue en France. Ainsi
         il se separa avec grand regret, & moy bien aise d'en estre
         deschargé. Deux Capitaines me dirent que le lendemain au matin
         ils m'envoyeroient quérir, ce qu'ils firent. Je m'embarquay, &
         mon garçon avec ceux qui vinrent. Estant au sault, nous fusmes
         dans le bois quelques lieues, où ils estoient cabannez sur le
         bord d'un lac, où j'avois esté auparavant. Comme ils me
         veirent, ils furent fort contents, & commencerent à s'escrier
         selon leur coustume, & nostre Sauvage s'en vint au devant de
         moy me prier d'aller en la cabanne de son frère, où aussi tost
         il fit mettre de la chair & du poisson sur le feu, pour me
         festoyer.

         Durant que je fus là il se fit un festin, où tous les
         principaux furent invitez, & moy aussi. Et bien que j'eusse
         desja pris ma refection honnestement, néantmoins pour ne rompre
         la coustume du pays j'y fus. Après avoir repeu ils s'en
         allèrent dans les bois tenir leur conseil, & cependant je
         m'amusay à contempler le païsage de ce lieu, qui est fort
         agréable. Quelque temps après ils m'envoyerent appeller pour me
         communiquer ce qu'ils avoient resolu entre eux.

195/851  J'y fus avec mon garçon. Estant assis auprès d'eux ils me
         dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, & n'avoir point
         manqué à ma parole de ce que je leur avois promis, & qu'ils
         recognoissoient de plus en plus mon affection, qui estoit à
         leur continuer mon amitié, & que devant que partir, ils
         desiroient prendre congé de moy, & qu'ils eussent eu trop de
         desplaisir s'ils s'en fussent aller sans me voir encore une
         fois, croyans qu'autrement je leur eusse voulu du mal[305]. Ils
         me prièrent encores de leur donner un homme. Je leur dis que
         s'il y en avoit parmy nous qui y voulussent aller, que j'en
         serois fort content.

[Note 305: _Conf._ 1613, p. 257.]

         Après m'avoir fait entendre leur volonté pour la dernière fois,
         & moy à eux la mienne, il y eut un Sauvage qui avoit esté
         prisonnier par trois fois des Hiroquois, & s'estoit sauvé fort
         heureusement, qui resolut d'aller à la guerre luy dixiesme,
         pour se venger des cruautez que ses ennemis luy avoient fait
         souffrir. Tous les Capitaines me prièrent de l'en destourner si
         je pouvois, d'autant qu'il estoit fort vaillant, & craignoient
         qu'il ne s'engageait si avant parmy les ennemis avec si petite
         troupe, qu'il n'en revinst jamais. Je le fis pour les
         contenter, par toutes les raisons que je luy peus alléguer,
         lesquelles luy servirent peu, me monstrant une partie de ses
         doigts coupez, & de grandes taillades & bruslures qu'il avoit
         sur le corps, & qu'il luy estoit impossible de vivre, s'il ne
         faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit la vengeance, & que
         son coeur luy disoit qu'il falloit qu'il partist au plustost
         qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit.

196/852  Après avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre
         patache. Pour ce faire, ils équipèrent 8 canaux pour passer
         ledit sault, & se despouillerent tout nuds, & me firent mettre
         en chemise; car souvent il arrive que d'aucuns se perdent en le
         passant parquoy se tiennent-ils les uns prés des autres pour se
         secourir promptement, si quelque canot venoit à se renverser.
         Ils me disoient: Si par mal-heur le tien venoit à tourner, ne
         sçachant point nager, ne l'abandonne en aucune façon, & te
         tiens bien à de petits bâtons qui y sont par le milieu, car
         nous te sauverons aisément. Je vous asseure que ceux qui n'ont
         veu ny passé ledit endroit en des petits bateaux comme ils ont,
         ne le pourroient pas passer sans grande apprehension, mesmes
         les plus asseurés du monde. Mais ces peuples sont si adroits à
         passer les sauts, que cela leur est facile. Je le passay avec
         eux: ce que je n'avois jamais fait, ny aucun Chrestien, horsmis
         mon garçon: & vinsmes à nos barques, où j'en logeay une bonne
         partie[30306].

[Note 306: _Conf._ 1613, p. 260.]

         Il y eut un jeune homme des nostres qui se delibéra d'aller
         avec les Sauvages qui sont Hurons[307], esloignez du sault
         d'environ 180 lieues, & fut avec le frère de Savignon[308], qui
         estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy faire voir tout
         ce qu'il pourroit[309].

[Note 307: L'édition de 1613 porte: «Charioquois.»]

[Note 308: Tregouaroti.]

[Note 309: «Et celuy de Bouvier fut avec ledit Yroquet Algoumequin.»
(1613, p. 260.)]

         Le lendemain[310] vindrent nombre de Sauvages Algoumequins, qui
         traitterent ce peu qu'ils avoient, & me firent encores present
197/853  particulièrement de trente castors, dont je les recompensay.
         Ils me prierent que je continuasse à leur vouloir du bien: ce
         que je leur promis. Ils me discoururent fort particulièrement
         sur quelques descouvertures du costé du nort, qui pouvoient
         apporter de l'utilité. Et sur ce sujet ils me dirent que s'il
         y avoit quelqu'un de mes compagnons qui voulust aller avec
         eux, qu'ils luy feroient voir chose qui m'apporteroit du
         contentement, & qu'ils le traitteroient comme un de leurs
         enfans. Je leur promis de leur donner un jeune garçon[311],
         dont ils furent fort contents. Quand il print congé de moy
         pour aller avec eux, je luy baillay un memoire fort
         particulier des choses qu'il devoit observer estant parmy eux.

[Note 310: Le 16 de juillet. L'édition de 1613 renferme beaucoup de
détails sans lesquels il est difficile de bien entendre ce passage.
(Voir 1613, p. 260-263.)]

[Note 311: Il est assez probable que ce jeune garçon était Nicolas de
Vignau, dont il est parle quelques pages plus loin; car nous avons vu
(p. 178, 190) que celui qu'il confia aux sauvages, en 1610, étai
vraisemblablement Étienne Brûlé, et il ne paraît pas qu'il en ait
envoyé d'autres les années précédentes, ni en 1612.]

         Après qu'ils eurent traicté tout le peu qu'ils avoient, ils se
         separerent en trois, les uns pour la guerre, les autres par
         ledit grand sault, & les autres par une petite riviere, qui va
         rendre en celle dudit grand sault; & partirent le 18e jour
         dudit mois[312], & nous aussi. Le 19 j'arrivay à Québec, où je
         me resolus de retourner en France[313], & arrivay à la Rochelle
         le 11 d'Aoust[314].

[Note 312: Le 18 juillet.]

[Note 313: «Le 23 j'arrivay à Tadoussac, où estant je me resolus de
revenir en France, avec l'advis de Pont-gravé.» (1613, p. 264.)]

[Note 314: Le 10 septembre. En revoyant le texte de l'édition de 1613,
on reconnaît aisément que c'est ici une inadvertance. (Voir 1613, p.
265.) Champlain s'embarque, à Tadoussac, dans le vaisseau du capitaine
Tibaut de La Rochelle, le 11 d'août, et il arrive à La Rochelle le 10
septembre. L'édition de 1613 renferme de plus les détails de toutes les
difficultés qui retinrent l'auteur en France l'année suivante. Ces
détails, dans l'édition de 1632, que nous reproduisons ici, forment le
chapitre V du livre suivant, et l'auteur y ajoute, entre autres choses,
la commission qui lui fut donnée par le comte de Soissons.]

                        Fin du troisiesme Livre.



198/854

[Illustration]


                             LES VOYAGES
                             DU SIEUR DE
                              CHAMPLAIN.


                          LIVRE QUATRIESME.



         _Partement de France; & ce qui se passa jusques à nostre
         arrivée au Sault Sainct Louys._

                          CHAPITRE PREMIER.

         Je partis de Rouen le 5 Mars[315] pour aller Honfleur, où je
         m'embarquay(316), & le 7 May j'arrivay à Québec, où je trouvay
         ceux qui y avoient hyverné en bonne disposition, sans avoir
         esté malades, lesquels nous dirent que l'hyver n'avoit point
         esté grand, & que la riviere n'avoit point gelé. Les arbres
         commençoient aussi à se revestir de fueilles, & les champs à
         s'esmailler de fleurs.

[Note 315: De l'année 1613. Pour plus amples détails, voir 1613, p.
283-287, et ci-après, ch. v.]

[Note 316: Il s'embarqua le lendemain, 6 de mars, dans le vaisseau de
Pont-Gravé. (1613, P. 287.)]

         Le 13, je partis de Québec pour aller au Sault Sainct Louys, où
         j'arrivay le 21[317]. Or n'ayant que deux canaux, je ne pouvois
199/855  mener avec moy que 4 hommes, entre lesquels estoit un nommé
         Nicolas de Vignau, le plus impudent menteur qui se soit veu de
         long temps, comme la suitte de ce discours le fera voir, lequel
         autrefois avoit hyverné avec les Sauvages, & que j'avois envoyé
         aux descouvertes les années précédentes. Il me rapporta à son
         retour à Paris en l'année 1612. qu'il avoit veu la mer du nort.
         Que la riviere des Algoumequins[318] sortoit d'un lac qui s'y
         deschargeoit, & qu'en 17 journées l'on pouvoit aller & venir du
         Sault Sainct Louys à ladite mer. Qu'il avoit veu le bris &
         fracas d'un vaisseau Anglois, qui s'estoit perdu à la coste, où
         il y avoit 80 hommes qui s'estoient sauvez à terre, que les
         Sauvages tuèrent, à cause que lesdits Anglois leur vouloient
         prendre leurs bleds d'Inde, & autres vivres, par force, & qu'il
         en avoit veu les testes, qu'iceux Sauvages avoient escorchées
         (selon leur coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir,
         ensemble me donner un jeune garçon Anglois qu'ils m'avoient
         gardé. Ceste nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir
         trouvé bien prés ce que je cherchois bien loin. Ainsi je le
         conjuray de me dire la verité, afin d'en advertir le Roy, & luy
         remonstray que s'il donnoit quelque mensonge à entendre, il se
         mettoit la corde au col: aussi que si sa relation estoit
         veritable, il se pouvoit asseurer d'estre bien recompensé. Il
         me l'asseura encor avec serments plus grands que jamais. Et
         pour mieux jouer son rolle, il me bailla une relation du pays,
         qu'il disoit avoir faite au mieux qu'il luy avoit esté
200/856  possible. L'asseurance donc que je voyois en luy, la simplicité
         de laquelle se le jugeois plein, la relation qu'il avoit
         dressée, le bris & fracas du vaisseau, & les choses cy-devant
         dites, avoient grande apparence, avec le voyage des Anglois
         vers Labrador, en l'année 1612. où ils ont trouvé un destroit
         qu'ils ont couru jusques par le 63 degré de latitude, & 290 de
         longitude, & ont hyverné par le 53 degré & perdu quelques
         vaisseaux, comme leur relation en fait foy[319]. Ces choses me
         faisans croire son dire véritable, j'en fis dés lors rapport à
         Monsieur le Chancelier[330]; & le fis voir à Messieurs le
         Mareschal de Brissac, & President Jeanin, & autres Seigneurs de
         la Cour, lesquels me dirent qu'il falloit que je veisse la
         chose en personne. Cela fut cause que je priay le sieur
         Georges, marchand de la Rochelle, de luy donner passage dans
         son vaisseau, ce qu'il fit volontiers; où estant, il
         l'interrogea pourquoy il faisoit ce voyage. Et d'autant qu'il
         luy estoit inutile, il luy demanda s'il esperoit quelque
         salaire, lequel fit response que non, & qu'il n'en pretendoit
         d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le voyage que pour
         me monstrer la mer du nort, qu'il avoit veue, & luy en fit à la
         Rochelle une déclaration pardevant deux Notaires.

[Note 317: _Conf._ 1613, p. 290, 291.]

[Note 318: L'Outaouais.]

[Note 319: Voir 1613, p. 293.]

[Note 320: Nicolas Brûlart de Sillery.]

         Or comme je prenois congé de tous les Chefs, le our de la
         Pentecoste[321], aux prières desquels je me recommandois, & de
         tous en général, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il
         m'avoit cy devant dit n'estoit vray, qu'il ne me donnast la
         peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire, il falloit
201/857  courir plusieurs dangers. Il asseura encores derechef tout ce
         qu'il avoit dit, au péril de sa vie.

[Note 321: La Pentecôte, cette année, tombait le 26 de mai.]

         Ainsi nos canaux chargez de quelques vivres, de nos armes &
         marchandises, pour faire present aux Sauvages, je partis le
         Lundy 27 May de l'isle de Saincte Heleine, avec quatre François
         & un Sauvage, & me fut donné un adieu de nostre barque avec
         quelques coups de petites pièces. Ce jour nous ne fusmes qu'au
         Sault Sainct Louys, qui n'est qu'une lieue au dessus, à cause
         du mauvais temps, qui ne nous permit de passer plus outre.

         Le 29, nous le passasmes partie par terre, partie par eau, où
         il nous fallut porter nos canaux, hardes, vivres & armes sur
         nos espaules, qui n'est pas petite peine à ceux qui n'y sont
         pas accoustumez: & après l'avoir esloigné deux lieues, nous
         entrasmes dans un lac[322] qui a de circuit environ 12 lieues,
         où se deschargent 3 rivieres[323], l'une venant de l'ouest, du
         costé des Ochataiguins, esloignez du grand sault de 150 ou 200
         lieues: l'autre du sud pays des Hiroquois, de pareille
         distance: & l'autre vers le nort, qui vient des Algoumequins &
         Nebicerini, aussi à peu prés de semblable distance. Ceste
         riviere du nort (suivant le rapport des Sauvages) vient de plus
         loin[324], & passe par des peuples qui leur sont incogneus,
         distans environ de 300 lieues d'eux.

[Note 322: Le lac Saint-Louis. (Voir 1613, p. 294, note 2.)]

[Note 323: Voir 1613, p. 295, notes 1, 2, 3, 4.]

[Note 324: vient de plus loin que les nebicerini: l'outaouais, comme on
sait, prend sa source une cinquantaine de lieues plus au nord que le lac
nipissing.]

         Ce lac est remply de belles & grandes isles, qui ne sont que
202/858  prairies, où il y a plaisir de chasser, la venaison & le
         gibbier y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le
         pays qui l'environne est remply de grandes forests. Nous fusmes
         coucher à, l'entrée dudit lac, & fismes des barricades, à cause
         des Hiroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs
         ennemis; & m'asseure que s'ils nous eussent tenu, ils nous
         eussent fait le mesme traittement; c'est pourquoy toute la
         nuict nous fismes bon guet. Le lendemain je prins la hauteur de
         ce lieu, qui est par les 45 degrez 18 minutes de latitude. Sur
         les trois heures du soir nous entrasmes dans la riviere qui
         vient du nort, & passasmes un petit sault par terre pour
         soulager nos canaux, & fusmes à une isle le reste de la nuict
         en attendant le jour. Le dernier May nous passasmes par un
         autre lac[325] qui a 7 ou 8 lieues de long, & 3 de large, où il
         y a quelques isles. Le pays d'alentour est fort uny, horsmis en
         quelques endroits, où il y a des costaux couverts de pins. Nous
         passasmes un sault, qui Sault de est appellé de ceux du pays
         _Quenechouan_[326], qui est remply de pierres & rochers, où
         l'eau y court de grand' vistesse; & nous fallut mettre en
         l'eau, & traisner nos canaux bord à bord de terre avec une
         corde. A demie lieue de là nous en passasmes un autre petit à
         force d'avirons, ce qui ne se fait sans suer, & y a une grande
         dextérité à passer ces sauts, pour eviter les bouillons &
         brisans qui les traversent: ce que les Sauvages sont d'une
         telle adresse, qu'il est impossible de plus, cherchans les
         destours & lieux plus aisez qu'ils cognoissent à l'oeil.

[Note 325: Le lac des Deux-Montagnes.]

[Note 326: Voir 1613, p. 296, note 4.]

203/859  Le Samedy premier de Juin nous passasmes encor deux autres
         sauts: le premier contenant demie lieue de long, & le second
         une lieue, où nous eusmes bien de la peine: car la rapidité du
         courant est si grande, qu'elle fait un bruit effroyable; &
         descendant de degré en degré, fait une escume si blanche par
         tout, que l'eau ne paroist aucunement. Ce sault est semé de
         rochers, & quelques isles qui sont ça & là, couvertes de pins &
         cèdres blancs. Ce fut là où nous eusmes de la peine: car ne
         pouvans porter nos canaux par terre, à cause de l'espoisseur du
         bois, il nous les falloit tirer dans l'eau avec des cordes, &
         en tirant le mien, je me pensay perdre, à cause qu'il traversa
         dans un des bouillons; & si je ne fusse tombé favorablement
         entre deux rochers, le canot m'entraisnoit, d'autant que je ne
         peus défaire assez à temps la corde qui estoit entortillée à
         l'entour de ma main, qui me l'offensa fort, & me la pensa
         couper. En ce danger je m'escriay à Dieu, & commençay à tirer
         mon canot, qui me fut renvoyé par le remouil de l'eau qui se
         fait en ces sauts: & lors estant eschapé je louay Dieu, le
         priant nous preserver. Nostre Sauvage vint après pour me
         secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner
         si j'estois curieux de conserver nostre canot: car s'il eust
         esté perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que
         quelques Sauvages passassent par là, qui est une pauvre attente
         à ceux qui n'ont dequoy disner, & qui ne sont accoustumez à
         telle fatigue. Pour nos François, ils n'en eurent pas meilleur
         marché, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la
204/860  divine bonté nous preserva tous. Le reste de la journée nous
         nous reposasmes, ayans assez travaillé.

         Nous rencontrasmes le lendemain 15 canaux de Sauvages appellez
         Quenongebin[327], dans une riviere, ayans passé un petit lac
         long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient esté advertis
         de ma venue par ceux qui avoient passé au sault S. Louis,
         venans de la guerre des Hiroquois. Je fus fort aise de leur
         rencontre, & eux aussi, qui s'estonnerent de me voir avec si
         peu de gens, & avec un seul Sauvage. Après nous estre saluez à
         la mode du pays, je les priay de ne passer outre, pour leur
         déclarer ma volonté, & fusmes cabaner dans une isle.

[Note 327: Ou Kinounchepirini. (Voir 1613, p. 298, note I.)]

         Le lendemain je leur fis entendre que j'estois allé en leur
         pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je
         leur avois par cy devant faite; & que s'ils estoient resolus
         d'aller à la guerre, cela m'agréroit fort, d'autant que j'avois
         amené des gens à ceste intention, dequoy ils furent fort
         satisfaits. Et leur ayant dit que je voulois passer outre, pour
         advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner,
         disans qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions
         rien veu jusques alors. Pour ce je les priay de me donner un de
         leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme canot, & aussi pour
         nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus rien.

         Ils le firent volontiers & en recompense je leur fis un
         present, & leur baillay un de nos François, le moins
205/861  necessaire, lequel je renvoyois au sault, avec une fueille de
         tablette, dans laquelle, à faute de papier, je faisois sçavoir
         de mes nouvelles.

         Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre routte à mont
         ladite riviere, en trousasmes une autre fort belle & spacieuse,
         qui vient d'une nation appellée Ouescharini[328], lesquels se
         tiennent au nort d'icelle, & à 4 journées de l'entrée. Ceste
         riviere est fort plaisante, à cause des belles isles qu'elle
         contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la
         bordent: & la terre est bonne pour le labourage.

[Note 328: Ou Ouaouiechkaïrini, la Petite Nation. (Voir 1613, p. 299,
note 1.)]

         Le 4, nous passasmes proche d'une autre riviere[329] qui vient
         du nort, où se tiennent des peuples appellez Algoumequins,
         laquelle va tomber dans le grand fleuve Sainct Laurent, trois
         lieues aval le Sault Sainct Louys(330) qui fait une grande isle
         contenant prés de 40 lieues, laquelle[331] n'est pas large,
         mais remplie d'un nombre infiny de sauts, qui sont fort
         difficiles à passer. Quelquefois ces peuples passent par ceste
         riviere pour eviter les rencontres de leurs ennemis, sçachans
         qu'ils ne les recherchent en lieux de il difficile accez.

[Note 329: La Gatineau.]

[Note 330: En remontant la Gatineau, on va tomber par le Saint-Maurice,
trente lieues à val le saut Saint-Louis. (Voir 1613, p. 299, note 3.)]

[Note 331: Laquelle rivière, c'est-à-dire, la Gatineau.]

         A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre[332] qui vient du
         sud, où à son entrée il y a une cheutte d'eau admirable: car
         elle tombe d'une telle impetuosité de 20 ou 25 brasses[333] de
         haut, qu'elle fait une arcade, ayant de largeur prés de 400
206/862  pas. Les Sauvages passent dessouz par plaisir, sans se
         mouiller, que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle
         au milieu de ladite riviere, qui est comme tout le terroir
         d'alentour, remplie de pins & cèdres blancs. Quand les Sauvages
         veulent entrer dans la riviere, ils montent la montagne en
         portant leurs canaux, & font demie lieue par terre. Les terres
         des environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui fait
         que les Sauvages s'y arrestent plustost. Les Hiroquois y
         viennent aussi quelquefois les surprendre au passage.

[Note 332: La rivière Rideau.]

[Note 333: Cette chute a une trentaine de pieds de haut.]

         Nous passasmes un sault à une lieue de là, qui est large de
         demie lieue, & descend de 6 à 7 brasses de haut. Il y a
         quantité de petites isles, qui ne sont que rochers aspres &
         difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe à un
         endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé
         par succession de temps un large & profond bassin: si bien que
         l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant
         de gros bouillons, a fait que les Sauvages l'appellent
         _asticou_, qui veut dire chaudiere. Ceste cheutte d'eau meine
         un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux
         lieues. Les Sauvages passans par là, font une cérémonie que
         nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine à monter
         contre un grand courant, à force de rames, pour parvenir au
         pied dudit sault, où les Sauvages prirent les canaux, & nos
         François & moy, nos armes, vivres, & autres commoditez, pour
         passer par l'aspreté des rochers environ un quart de lieue que
         contient le sault, & aussi tost nous fallut embarquer, puis
207/863  derechef mettre pied à terre pour passer par des taillis
         environ 300 pas; & aprés se mettre en l'eau pour faire passer
         nos canaux par dessus les rochers aigus, avec autant de peine
         que l'on sçauroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu, &
         trouvay 45 degrez 38 minutes de latitude[334].

[Note 334: Le saut de la Chaudière est à environ 45° 12'.]

         Après midy nous entrasmes dans un lac[335] ayant 5 lieues de
         long, & 2 de large, où il y a de fort belles isles remplies de
         vignes, noyers, & autres arbres agréables: & 10 ou 12 lieues de
         là amont la riviere nous passasmes par quelques isles remplies
         de pins. La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui
         teint en couleur cramoisie, de laquelle les Sauvages se
         peindent le visage, & mettent de petits affiquets à leur usage.
         Il y a aussi une coste de montagnes du long de ceste riviere, &
         le pays des environs semble assez fascheux. Le reste du jour
         nous le passasmes dans une ise fort agréable.

[Note 335: Le lac de la Chaudière.]

         Le lendemain[336] nous continuasmes nostre chemin jusques à un
         grand sault[337], qui contient prés de 3 lieues de large, où
         l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, &
         fait un merveilleux bruit. Il est remply d'une infinité d'isles
         couvertes de pins & de cèdres; & pour le passer il nous fallut
         resoudre de quitter nostre maïs ou bled d'Inde, & peu d'autres
         vivres que nous avions, avec les hardes moins necessaires,
         reservans seulement nos armes & filets, pour nous donner à
         vivre selon les lieux, & l'heur de la chasse. Ainsi, allégez,
208/864  nous passasmes tant à l'aviron, que par terre, en portant nos
         canaux & armes par ledit sault, qui a une lieue & demie de
         long, où nos Sauvages qui sont infatigables à ce travail, &
         accoustumez à endurer telles necessitez, nous soulagerent
         beaucoup.

[Note 336: Le 5 de juin.]

[Note 337: Ce saut et les deux autres mentionnés plus loin, forment ce
qu'on appelle le rapide des Chats.]

         Poursuivans nostre routte nous passasmes deux autres sauts,
         l'un par terre, l'autre à la rame, & avec des perches en
         debouttant, puis entrasmes dans un lac[338] ayant 6 ou 7 lieues
         de long, où se descharge une riviere[339] venant du sud, où à
         cinq journées de l'autre riviere il y a des peuples qui y
         habitent appellez Matououescarini. Les terres d'environ ledit
         lac sont sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont esté
         presque tous bruslez par les Sauvages. Il y a quelques isles,
         dans l'une desquelles nous reposasmes, & veismes plusieurs
         beaux cyprès rouges, les premiers que j'eusse veu en ce pays,
         desquels je fis une croix, que je plantay à un bout de l'isle,
         en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme
         j'ay fait aux autres lieux où nous avions posé. Je nommay cette
         isle, l'isle Ste Croix.

[Note 338: Le lac des Chats.]

[Note 339: La rivière de Madaouaska, ou des Madaouaskaïrini.]

         Le 6 nous partismes de ceste isle saincte Croix, où la riviere
         est large d'une lieue & demie, & ayans fait 8 ou 10 lieues,
         nous passasmes un petit sault à la rame, & quantité d'isles de
         différentes grandeurs. Icy nos Sauvages laisserent leurs sacs
         avec leurs vivres, & les choses moins necessaires, afin d'estre
         plus légers pour aller par terre, & eviter plusieurs sauts
         qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre
209/865  nos Sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit
         aucun danger par les sauts, & qu'il y falloit passer. Nos
         Sauvages luy dirent, Tu es las de vivre. Et à moy, que je ne
         le devois croire, & qu'il ne disoit pas vérité. Ainsi ayant
         remarqué plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance
         desdits lieux, je suivis l'advis des Sauvages, dont bien m'en
         print, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou pour
         me dégouster de l'entreprise, comme il confessa depuis (dequoy
         sera parlé cy-aprés). Nous traversasmes donc la riviere à
         l'ouest, qui couroit au nort, & pris la hauteur de ce lieu, qui
         estoit par 46° 2/3[340] de latitude. Nous eusmes beaucoup de
         peine à faire ce chemin par terre, estant chargé seulement pour
         ma part de trois harquebuzes, autant d'avirons, de mon capot, &
         quelques petites bagatelles. J'encourageois nos gens, qui
         estoient un peu plus chargez, & plus grevez des mousquites, que
         de leur charge.

[Note 340: Il faut lire 45° et deux tiers. (Voir 1613, p. 303, note 1.)]

         Ainsi après avoir passe quatre petits estangs, & cheminé deux
         lieues & demie, nous estions tant fatiguez, qu'il nous estoit
         impossible de passer outre, à cause qu'il y avoit prés de 24
         heures que n'avions mangé qu'un peu de poisson rosty, sans
         autre saulce, car nous avions laisse nos vivres, comme j'ay dit
         cy-dessus. Nous nous reposasmes sur le bord d'un estang, qui
         estoit assez agréable, & fismes du feu pour chasser les
         mousquites qui nous molestoient fort, l'importunité desquelles
         est si estrange, qu'il est impossible d'en pouoir faire la
         description. Nous tendismes nos filets pour prendre quelques
         poissons.

210/866  Le lendemain[341] nous passasmes cet estang, qui pouvoit
         contenir une lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3
         lieues par des pays difficiles plus que n'allions encor veu, à
         cause que les vents avoient abbatu des pins les uns sur les
         autres, qui n'est pas petite incommodité, car il faut passer
         tantost dessus & tantost dessouz ces arbres. Ainsi nous
         parvinsmes à un lac[342], ayant 6 lieues de long, & 2 de large,
         fort abondant en poisson, aussi les peuples des environs y font
         leur pescherie. Prés de ce lac y a une habitation de Sauvages
         qui cultivent la terre, & recueillent du maïs. Le chef se nomme
         Nibachis, lequel nous vint voir avec sa troupe, esmerveillé
         comment nous avions peu passer les sauts & mauvais chemins
         qu'il y avoit pour parvenir à eux. Et après nous avoir presenté
         du petum selon leur mode, il commença à haranguer ses
         compagnons, leur disant; Qu'il falloit que fussions tombez des
         nues, ne sçachant comment nous avions peu passer, & qu'eux
         demeurans au pays avoient beaucoup de peine à traverser ces
         mauvais passages, leur faisant entendre que je venois à bout de
         tout ce que mon esprit vouloit. Bref qu'il croyoit de moy ce
         que les autres Sauvages luy en avoient dit. Et sçachans que
         nous avions faim, ils nous donnèrent du poisson, que nous
         mangeasmes: & après disné, je leur fis entendre par Thomas mon
         truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrez. Que
         j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que
         je desirois aller plus avant voir quelques autres Capitaines
211/867  pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent
         assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, où il
         y avoit du maïs. Leur terroir est sablonneux, & pource
         s'adonnent plus à la chasse qu'au labeur, au contraire des
         Ochataiguins[343]. Quand ils veulent rendre un terroir
         labourable, ils coupent & bruslent les arbres, & ce fort
         aisément: car ce ne sont que chesnes & ormes. Le bois bruslé
         ils remuent un peu la terre, & plantent leur maïs grain à
         grain, comme ceux de la Floride. Il n'avoit pour lors que 4
         doigts de haut.

[Note 341: Le 7 de juin.]

[Note 342: Le lac au Rat-Musqué.]

[Note 343: Ou Hurons.]



         _Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me
         fit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promirent
         quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost après me les
         refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon
         entreprise, me remonstrans les difficultés. Response à ces
         difficultés. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, &
         n'avoir esté ou il disoit. Il leur maintint son dire véritable.
         Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs refus. Mon
         conducteur convaincu de mensonge, & sa confession._

                               CHAPITRE II.

         Nibachis fit équiper deux canaux pour me mener voir un autre
         Capitaine nommé Tessouat[344], qui demeuroit à 8 lieues de luy,
         sur le bord d'un grand lac[345], par où passe la riviere que
212/868  nous avions laissée qui refuit au nort. Ainsi nous traversasmes
         le lac à l'ouest norouest prés de 7 lieues, où ayans mis pied à
         terre, fismes une lieue au nordest parmy d'assez beaux pays, où
         il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer
         aisément; & arrivasmes sur le bord de ce lac, où estoit
         l'habitation de Tessouat, qui estoit avec un autre chef sien
         voisin, tout estonné de me voir, & nous dit qu'il pensoit que
         ce fust un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit. De là
         nous passasmes en une isle[346], où leurs cabanes sont assez
         mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de chesnes,
         pins & ormeaux, & n'est subjecte aux inondations des eaux,
         comme sont les autres isles du lac.

[Note 344: _Conf_. 1603, p. 12.]

[Note 345: Le lac des Allumettes.]

[Note 346: L'île des Allumettes. (Voir 1613, p. 307, note 1.)]

         Cette isle est forte de scituation: car aux deux bouts
         d'icelle, & à l'endroit où la riviere se jette dans le lac, il
         y a des sauts fascheux, & l'aspreté d'iceux la rendent forte, &
         s'y sont logez pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle
         est par les 47[347] degrez de latitude, comme est le lac, qui a
         10 lieues de long[348], & 3 ou 4 de large, abondant en poisson,
         mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne.

[Note 347: Par les 46°. (Voir 1613, p. 307, note 2.)]

[Note 348: Conf. 1613, p. 307.]

         Ainsi comme je visitois l'isle, j'apperceus leurs cimetières,
         où je fus grandement estonné, voyant des sepulchres de forme
         semblable aux bières, faits de pièces de bois, croisées par en
         haut, & fichées en terre, à la distance de 3 pieds ou environ.
         Sur les croisées en haut ils y mettent une grosse pièce de
         bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est
         gravé grossierement (comme il est bien croyable) la figure de
         celuy ou celle qui y est enterré.

213/869  Si c'est un homme, ils y mettent une rondache, une espée
         emmanchée à leur mode, une masse, un arc, & des flesches. S'il
         est capitaine, il aura un pennache sur la teste, & quelque
         autre bagatelle ou joliveté. Si un enfant, ils luy baillent un
         arc & une flesche. Si une femme, ou fille, une chaudière, un
         pot de terre, une cueillier de bois, & un aviron. Tout le
         tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds pour le plus grand, & de
         largeur 4, les autres moins. Ils sont peints de jaulne & rouge,
         avec plusieurs ouvrages aussi délicats que le tombeau. Le mort
         est ensevely dans sa robbe de castor, ou d'autres peaux,
         desquelles il se servoit en sa vie, & luy mettent toutes ses
         richesses auprès de luy, comme haches, couteaux, chaudières, &
         aleines, afin que ces choses luy servent au pays où il va: car
         ils croyent l'immortalité de l'âme, comme j'ay dit autre
         part[349]. Ces sepulchres de ceste façon ne se font qu'aux
         guerriers, car aux autres ils n'y mettent non plus qu'ils font
         aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en retrouve-il peu
         entr'eux.

[Note 349: Voir 1603, p. 19, 20, et 1613, p. 165.]

         Après avoir consideré la pauvreté de ceste terre, je leur
         demanday comment ils s'amusoient à cultiver un si mauvais pays,
         veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoient
         desert & abandonné, comme le Sault Sainct Louys. Ils me
         respondirent qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en
         seureté, & que l'aspreté des lieux leur servoit de boulevart
         contre leurs ennemis: Mais que si je voulois faire une
         habitation de François au Sault Sainct Louys, comme j'avois
214/870  promis, qu'ils quitteroient leur demeure pour se venir loger
         prés de nous, estans asseurez que leurs ennemis ne leur
         feroient point de mal pendant que nous serions avec eux. Je
         leur dis que ceste année nous ferions, les préparatifs de
         bois & pierres, pour l'année suivante faire un fort, &
         labourer ceste terre. Ce qu'ayans entendu, ils firent un grand
         cry en signe d'applaudissement. Ces propos finis, je priay tous
         les Chefs et principaux d'entr'eux, de se trouver le lendemain
         en la grand'terre, en la cabane de Tessouat, lequel me vouloit
         faire Tabagie, & que la je leur dirois mes intentions, ce
         qu'ils me promirent, & dés lors envoyerent convier leurs
         voisins pour s'y trouver.

         Le lendemain[350] tous les conviez vinrent avec chacun son
         escuelle de bois, & sa cueillier, lesquels sans ordre ny
         cérémonie s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat,
         qui leur distribua une maniere de bouillie faite de maïs,
         escrazé entre deux pierres, avec de la chair & du poisson,
         coupez par petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils
         avoient aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson
         bouilly à part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard,
         d'autant que je ne voulois point de leur bouillie, à cause
         qu'ils cuisinent fort salement, je leur demanday du poisson &
         de la chair, pour l'accommoder à ma mode, qu'ils me donnèrent.
         Pour le boire, nous avions de belle eau claire. Tessouat qui
         faisoit la Tabagie, nous entretenoit sans manger, suivant leur
         coustume.

[Note 350: Le 8 juin.]

         La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux
215/871  harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent à la porte
         des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient
         demeurez commença à garnir son petunoir, & m'en presenterent
         les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure à
         cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume.

         Après avoir parmy un si long silence amplement petuné, je leur
         fis entendre par mon truchement que le sujet de mon voyage
         n'estoit autre, que pour les asseurer de mon affection, & du
         desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme
         j'avois fait auparavant. Que ce qui m'avoit empesché l'année
         dernière de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que
         le Roy m'avoit occupé en d'autres guerres, mais que maintenant
         il m'avoit commandé de les visiter, & les asseurer de ces
         choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au sault
         Sainct Louys. Que je m'estois venu promener en leur pays pour
         recognoistre la fertilité de la terre, les lacs, rivieres &
         mer, qu'ils m'avoient dit estre en leur pays. Que je desirois
         voir une nation distante de 8 journées d'eux, nommée
         Nebicerini, pour les convier aussi à la guerre; & pource je les
         priay de me donner 4 canaux, avec 8 Sauvages, pour me conduire
         esdites terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas
         grands amis des Nebicerini[351], ils sembloient m'escouter avec
         plus grande attention.

[Note 351: Voir 1613, p. 311, note 1.]

         Mon discours achevé, ils commencèrent derechef à petuner, & à
         deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis
         Tessouat pour tous print la parole, & dit; Qu'ils m'avoient
216/872  tousjours recogneu affectionné en leur endroit, qu'aucun
         autre François qu'ils eussent veu. Que les preuves qu'ils
         en avoient eues par le passe, leur facilitoient la
         croyance pour l'advenir. De plus, que je monstrois bien
         estre leur amy, en ce que j'avois passé tant de hazards pour
         les venir voir, & pour les convier à la guerre, & que toutes
         ces choses les obligeoient à me vouloir du bien comme à leurs
         propres enfans. Que toutesfois l'année dernière je leur avois
         manqué de promesse, & que 200 Sauvages estoient venus au sault,
         en intention de me trouver, pour aller à la guerre, & me faire
         des presens; & ne m'ayans trouvé, furent fort attristez,
         croyans que je fusse mort, comme quelques-uns leur avoient dit:
         aussi que les François qui estoient au sault ne les voulurent
         assister à leurs guerres, & qu'ils furent mal traittez par
         aucuns, de sorte qu'ils avoient resolu entr'eux de ne plus
         venir au sault[352], & que cela les avoit occasionnez
         (n'esperans plus de me voir) d'aller à la guerre seuls, comme
         de faict 200 des leurs y estoient allez. Et d'autant que la
217/873  plus-part des guerriers estoient absents, ils me prioient de
         remettre la partie à l'année suivante, & qu'ils feroient
         sçavoir cela à tous ceux de la contrée. Pour ce qui estoit des
         quatre canaux que je demandois, ils me les accordèrent, mais
         avec grandes difficultez, me disans qu'il leur desplaisoit fort
         de telle entreprise, pour les peines que j'y endurerois. Que
         ces peuples estoient sorciers, & qu'ils avoient fait mourir
         beaucoup de leurs gens par sort & empoisonnemens, & que pour
         cela ils n'estoient amis. Au surplus, que pour la guerre je
         n'avois affaire d'eux, d'autant qu'ils estoient de petit coeur,
         me voulans destourner, avec plusieurs autres propos sur ce
         sujet.

[Note 352: Ce passage nous fait voir combien Pont-Gravé et Champlain
avaient raison de cultiver tous ces peuples. Comment, en effet, établir
solidement une colonie dans un pays aussi éloigné, avec si peu de
moyens, si l'on ne commençait par s'assurer l'amitié des nations
indigènes? si l'on ne cherchait à s'en faire des alliés, en les
secourant même contre leurs ennemis, afin de pouvoir explorer le pays,
en bien connaître toutes les ressources, et les avantages qu'il pouvait
offrir soit au commerce, soit à la colonisation et à la culture des
terres? Voilà ce qui explique la plupart des démarches de Champlain,
dans ses rapports avec les sauvages du Canada. Ce qu'il y a d'étonnant,
c'est que nos historiens modernes n'aient pas mieux saisi les motifs de
sa conduite, quand il prend la peine de les donner lui-même en cent
endroits différents, et surtout au commencement de son expédition de
615: «Surquoy ledit sieur du Pont, & moy, advisames qu'il estoit
tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger d'avantage à nous
aymer, que pour moyenner la facilité de mes entreprises &
descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur
moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement, &
préparation, pour venir au Christianisme, en faveur dequoy je me resolu
d'y aller recognoistre leurs pais, & les assister en leurs guerres, afin
de les obliger à me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de fois
promis.» (1619, p. 14, 15.--Voir de plus 1603, p. 7, 8; 1613, p. 173,
175-178, 208, 220, 257, 260, 264, 290, 291.)]

         Moy d'autre-part qui n'avois autre desir que de voir ces
         peuples, & faire amitié avec eux, pour voir la mer du nort,
         facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas
         loin jusques en leurs pays. Que pour les mauvais partages, ils
         ne pouvoient estre plus fascheux que ceux que j'avois passé par
         cy-devant: & pour le regard de leurs sortileges, qu'ils
         n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu
         m'en preserveroit. Que je cognoissois aussi leurs herbes, & par
         ainsi je me garderois d'en manger. Que je les voulois rendre
         ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect,
         m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces
         raisons, ils m'accordèrent, comme j'ay dit, ces quatre canaux,
         dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines passées,
         sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desirée.

         Pour passer le reste du jour, je me fus proumener par les
218/874  jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles,
         phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent à cultiver, où
         Thomas mon truchement, qui entendoit fort bien la langue, me
         vint trouver pour m'advertir que ces Sauvages, après que je les
         eus quittez, avoient songé que si j'entreprenois ce voyage, que
         je mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces
         canaux promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entr'eux qui me
         voulust conduire, mais que je remisse ce voyage à l'année
         prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon équipage, pour se
         défendre d'iceux, s'ils leur vouloient mal faire, pource qu'ils
         sont mauvais.

         Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les
         trouver, & leur dis, que je les avois jusques à ce jour estimez
         hommes, & véritables, & que maintenant ils se monstroient
         enfans & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs
         promesses, ils ne me feroient paroistre leur amitié. Toutesfois
         que s'ils se sentoient incommodez de quatre canaux, qu'ils ne
         m'en baillassent que deux, & 4 Sauvages seulement.

         Ils me representerent derechef la difficulté des passages, le
         nombre des sauts, la meschanceté de ces peuples, & que c'estoit
         pour crainte qu'ils avoient de me perdre qu'ils me faisoient ce
         refus. Je leur fis response, que j'estois fasché de ce qu'ils
         se monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais
         creu. Que j'avois un garçon (leur monstrant mon imposteur) qui
         avoit esté dans leur pays, & n'avoit recogneu toutes les
         difficultez qu'ils faisoient, ny trouvé ces peuples si mauvais
         qu'ils disoient. Alors ils commencèrent à le regarder, &
219/875  specialement Tessouat vieux Capitaine, avec lequel il avoit
         hyverné, & l'appellant par son nom, luy dit en son langage:
         Nicolas, est-il vray que tu as dit avoir esté aux Nebicerini?
         Il fut long temps sans parler, puis il leur dit en leur langue,
         qu'il parloit aucunement, Ouy, j'y ay esté. Aussi tost ils le
         regardèrent de travers, & se jettans sur luy, comme, s'ils
         l'eussent voulu manger ou deschirer, firent de grands cris, &
         Tessouat luy dit: Tu es un asseuré menteur: tu sçais bien que
         tous les soirs tu couchois à mes costez avec mes enfans, & tous
         les matins tu t'y levois: si tu as esté vers ces peuples, c'a
         esté en dormant. Comment as tu esté si impudent d'avoir donné à
         entendre à ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir
         hazarder sa vie parmy tant de dangers? tu es un homme perdu, &
         te devroit faire mourir plus Cruellement que nous ne faisons
         nos ennemis. Je ne m'estonne pas s'il nous importunoit tant sur
         l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis qu'il eust à
         respondre, & que s'il avoit esté en ces terres qu'il en donnast
         des enseignemens pour me le faire croire, & me tirer de la
         peine où il m'avoit mis, mais il demeura muet & tout esperdu.
         Alors je le tiray à l'escart des Sauvages, & le conjuray de me
         déclarer s'il avoit veu ceste mer, & s'il ne l'avoit veue,
         qu'il me le dist. Derechef avec juremens il afferma tout ce
         qu'il avoit par cy-devant dit, & qu'il me le feroit voir, si
         ces Sauvages vouloient bailler des canaux.

         Sur ces discours Thomas me vint advertir que les Sauvages de
         l'isle envoyoient secrettement un canot aux Nebicerini, pour
220/876  les advertir de mon arrivée. Et pour me servir de
         l'occasion, je fus trouver lesd. Sauvages, pour leur dire que
         j'avois songé ceste nuict qu'ils vouloient envoyer un canot aux
         Nebicerini, sans m'en advertir; dequoy j'estois adverty, veu
         qu'ils sçavoient que j'avois volonté d'y aller. A quoy ils me
         firent response, disans que je les offensois fort, en ce que je
         me fiois plus à un menteur, qui me vouloit faire mourir, qu'à
         tant de braves Capitaines qui estoient mes amis, & qui
         cherissoient ma vie. Je leur repliquay, que mon homme (parlant
         de nostre imposteur) avoit esté en ceste contrée avec un des
         parens de Tessouat, & avoit veu la mer, le bris & fracas d'un
         vaisseau Anglois, ensemble 80 testes que les Sauvages avoient,
         & un jeune garçon Anglois qu'ils tenoient prisonnier, dequoy
         ils me vouloient faire present.

         Ils s'escrierent plus que devant, entendans parler de la mer,
         des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il
         estoit un menteur, & ainsi le nommèrent-ils depuis, comme la
         plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous
         ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy
         avec lequel il y avoit esté, & qu'il declarast les lacs,
         rivieres & chemins par lesquels il avoit passé. A quoy il fit
         response, qu'il avoit oublié le nom du Sauvage, combien qu'il
         me l'eust nommé plus de vingt fois, & mesme le jour de devant.
         Pour les particularitez du pays, il les avoit descrites dans un
         papier qu'il m'avoit baillé. Alors je presentay la carte, & la
         fis interpréter aux Sauvages, qui l'interrogèrent sur icelle: à
         quoy il ne sit response, ains par son morne silence manifesta
         sa meschanceté.

221/877  Mon esprit voguant en incertitude, je me retiray à part, & me
         representay les particularitez du voyage des Anglois cy-devant
         dites, & les discours de nostre menteur estre assez conformes;
         aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce garçon eust inventé
         tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage: mais
         qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que
         son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations
         des Sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est
         véritable, il faut que la mer du nort ne soit pas esloignée de
         ces terres de plus de 100 lieues de latitude: car j'estois souz
         la hauteur de 47 degrez de latitude, & 296 de longitude[353]:
         mais il se peut faire que la difficulté de passer les sauts,
         l'aspreté des montagnes remplies de neiges, soit cause que ces
         peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer: bien m'ont-ils
         tousjours dit, que du pays des Ochataiguins il n'y a que 35 ou
         40 tournées jusques à la mer qu'ils voyent en 3 endroits, ce
         qu'ils m'ont encores asseuré ceste année: mais aucun ne m'a
         parlé de ceste mer du nort, que ce menteur, qui m'avoit fort
         resjouy à cause de la briefveté du chemin.

[Note 353: Voir 1613, p. 293, note 3, 307 note 2, et 316 note 2.]

         Or comme ce canot s'apprestoit, je le fis appeller devant ses
         compagnons, & en luy representant tout ce qui s'estoit passé,
         je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il
         falloit dire s'il avoit veu les choses dites, ou non. Que je me
         voulois servir de la commodité qui se presentoit. Que j'avois
         oublié tout ce qui s'estoit passé: mais que si je passois plus
         outre, je le ferois pendre & estrangler.

222/878  Après avoir songé à luy, il se jetta à genoux, & me demanda
         pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dit, tant en France,
         qu'en ce pays, touchant ceste mer, estoit faux. Qu'il ne
         l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas esté plus avant que le
         village de Tessouat; & avoit dit ces choses pour retourner en
         Canada. Ainsi transporté de colère je le fis retirer, ne le
         pouvant plus voir devant moy, donnant charge à Thomas de
         s'enquérir de tout particulièrement: auquel il acheva de dire
         qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage, à
         cause des dangers, croyant que quelque difficulté se pourroit
         presenter, qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces
         Sauvages, qui ne me vouloient bailler des canaux: ainsi que
         l'on remettroit le voyage à une autre année, & qu'estant en
         France, il auroit recompense pour sa descouverture, & que si je
         le voulois laisser en ce pays, qu'il iroit tant qu'il la
         trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui
         me furent rapportées par Thomas, qui ne me contenterent pas
         beaucoup, estant esmerveillé de l'effronterie & meschanceté de
         ce menteur: ne pouvant m'imaginer comment il avoit forgé ceste
         imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy
         mentionné, & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense
         comme il disoit, il avoit en la témérité de mettre cela en
         avant.

         Peu de temps après je fus advertir les Sauvages, à mon grand
         regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confessé la
         vérité, dequoy ils furent joyeux, me reprochans le peu de
         confiance que j'avois en eux, qui estoient Capitaines, mes
223/879  amis, qui disoient tousjours vérité, & qu'il falloit faire
         mourir ce menteur, qui estoit grandement malicieux, me
         disans: Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir? donne le
         nous, & nous te promettons qu'il ne mentira jamais. Comme je
         veis qu'eux & leurs enfans crioient tous après luy, je leur
         défendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher leurs
         enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au
         sault pour luy faire faire son rapport, & qu'estant là,
         j'adviserois ce que j'en ferois.

         Mon voyage estant achevé par ceste voye, & sans aucune
         esperance de voir la mer de ce costé là, sinon par conjecture,
         le regret de n'avoir mieux employé le temps me demeura, avec
         les peines & travaux qu'il me fallut tollerer patiemment. Si je
         me fusse transporté d'un autre costé, suivant la relation des
         Sauvages, j'eusse esbauché une affaire qu'il fallut remettre à
         une autre fois.

         N'ayant pour l'heure autre desir que de m'en revenir, je
         conviay les Sauvages de venir au Sault Sainct Louis, où ils
         recevroient bon traittement, ce qu'ils firent sçavoir à tous
         leurs voisins.

         Avant que partir, je fis une croix de cedre blanc, laquelle je
         plantay sur le bord du lac en un lieu eminent, avec les armes
         de France, & priay les Sauvages la vouloir conserver, comme
         aussi celles qu'ils trouveroient du long des chemins où nous
         avions passé. Ils me promirent ainsi le faire, & que je les
         retrouverois quand je retournerois vers eux.


224/880
         _Nostre retour au Sault. Fausse alarme. Cérémonie du sault de
         la Chaudière. Confession de nostre menteur devant un chacun.
         Nostre retour en France._

                                CHAPITRE III.

         Le 10 Juin je prins congé de Tessouat, auquel je fis quelques
         presens, & luy promis, si Dieu me conservoit en santé, de venir
         l'année prochaine en équipage, pour aller à la guerre: & luy me
         promit d'assembler grand peuple pour ce temps là, disant, que
         je ne verrois que Sauvages, & armes, qui me donneroient
         contentement; & me bailla son fils pour me faire compagnie.
         Ainsi nous partismes avec 4[354] canaux, & passasmes par la
         riviere que nous avions laissée, qui court au nort[355], où
         nous mismes pied à terre pour traverser des lacs[356]. En
         chemin nous rencontrasmes 9 grands canaux de Ouescharini, avec
         40 hommes forts & puissans, qui venoient aux nouvelles qu'ils
         avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient
         ensemble 60 canaux, & 20 autres qui estoient partis devant
         nous, ayans chacun assez de marchandises.

[Note 354: L'édition de 1613 porte «40.»; ce qui paraît plus
vraisemblable.]

[Note 355: La rivière court au nort à l'endroit où il l'avait quittée.]

[Note 356: Voir 1613, p. 319, note 2.]

         Nous passasmes six ou sept sauts depuis l'isle des
         Algoumequins[357] jusques au petit sault, pays fort
         desagreable. Je recogneus bien que si nous fussions venus par
         là, que nous eussions eu beaucoup plus de peine, & mal-aisément
         eussions nous passé: & ce n'estoit sans raison que les Sauvages
225/881  contestoient contre nostre menteur, qui ne cherchoit qu'à me
         perdre.

[Note 357: L'île des Allumettes. (Voir 1613, p. 320, notes 1 et 2.)]

         Continuant nostre chemin dix ou douze lieues au dessouz l'isle
         des Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agréable,
         remplie de vignes & noyers, où nous fismes pescherie de beau
         poisson. Sur la minuict arriva deux canaux qui venoient de la
         pesche plus loin, lesquels rapportèrent avoir veu quatre canaux
         de leurs ennemis. Aussi tost on depescha trois canaux pour les
         recognoistre, mais ils retournèrent sans avoir rien veu. En
         ceste asseurance chacun print le repos, excepté les femmes, qui
         se resolurent de passer la nuict dans leurs canaux, ne se
         trouvans asseurées à terre. Une heure avant le jour un Sauvage
         songeant que les ennemis le chargeoient, se leva en sursault, &
         se print à courir vers l'eau pour se sauver, criant, _On me
         tue_. Ceux de sa bande s'esveillerent tout estourdis; & croyans
         estre poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme
         aussi fit un de nos François, qui croyoit qu'on l'assommast. A
         ce bruit nous autres qui estions esloignez, fusmes aussi tost
         esveillez, & sans plus s'enquérir accourusmes vers eux. Mais
         les voyans en l'eau errans ça & là, estions fort estonnez, ne
         les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se
         défendre. Après que j'eus enquis nostre François de la cause de
         ceste émotion, & m'avoir raconté comme cela estoit arrivé, tout
         se passa en risée & moquerie.

         En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au sault de la
         Chaudière, où les Sauvages firent la ceremonie accoustumée, qui
226/882  est telle. Après avoir porté leurs canaux au bas du sault, ils
         s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois
         va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau
         de petum. La queste faite, le plat est mis au milieu de la
         troupe, & tous dancent à l'entour, en chantant à leur mode:
         puis un des Capitaines fait une harangue, remonstrant que dés
         long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que
         par ce moyen ils sont garentis de leurs ennemis: qu'autrement
         il leur arriveroit du mal-heur, ainsi que leur persuade le
         diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs
         autres, comme nous avons dit ailleurs. Cela fait, le harangueur
         prend le plat, & va jetter le petum au milieu de la chaudière,
         & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens sont si
         superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils
         n'avoient fait ceste cérémonie en ce lieu, d'autant que leurs
         ennemis les attendent à ce passage, n'osans pas aller plus
         avant à cause des mauvais chemins, & les surprennent là
         quelquefois.

         Le lendemain nous arrivasmes à une isle qui est à l'entrée du
         lac, distante du grand sault Sainct Louis de 7 à 8 lieues, où
         reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages
         croyans avoir veu des canaux de leurs ennemis: ce qui leur fit
         faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre leur
         remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, sçavoir,
         qu'au lieu de se cacher, ils se manifestoient.

         Le 17 Juin nous arrivasmes au Sault Sainct Louys, où je leur
         fis entendre que je ne desirois pas qu'ils traittassent aucunes
227/883  marchandises que je ne leur eusse permis[358], & que pour des
         vivres je leur en ferois bailler si tost que serions arrivez;
         ce qu'ils me promirent, disans qu'ils estoient mes amis. Ainsi
         poursuivant nostre chemin, nous arrivasmes aux barques, &
         fusmes saluez de quelques canonades, dequoy quelques uns de
         nos Sauvages estoient joyeux, & d'autres fort estonnez,
         n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied à terre,
         Maisonneufve me vint trouver, avec le passeport de
         Monseigneur le Prince. Aussi tost que je l'eus veu, je le
         laissay luy & les siens jouir du bénéfice d'iceluy, comme nous
         autres, & fis dire aux Sauvages qu'ils pouvoient traitter le
         lendemain.

[Note 358: On se demande pourquoi cette défense, quand Champlain
lui-même les a engagés à venir à la traite: c'est que, comme il est dit
dans l'édition de 1613, «L'Ange était venu au-devant de l'auteur, dans
un canot, pour l'avertir que le sieur de Maisonneuve, de Saint-Malo,
avait apporté un passe-port de Monseigneur le Prince pour trois
vaisseaux.» (1613, p. 322.)]

         Ayant raconté à tous ceux de la barque[359] les particularitez
         de mon voyage, & la malice de nostre menteur, ils furent fort
         estonnez, & les priay de s'assembler, afin qu'en leur presence,
         des Sauvages, & de ses compagnons, il declarast sa meschanceté;
         ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans assemblez, ils le
         firent venir, & l'interrogèrent pourquoy il ne m'avoit monstré
         la mer du nort, comme il m'avoit promis. Il leur fit response,
         qu'il avoit promis une chose impossible, d'autant qu'il n'avoit
         jamais veu cette mer: mais que le desir de faire le voyage luy
         avoit fait dire cela, aussi qu'il ne croyoit que je le deusse
         entreprendre. Parquoy les prioit luy vouloir pardonner, comme
         il fit à moy, confessant avoir grandement failly: mais que si
228/884  je le voulois laisser au pays, qu'il feroit tant qu'il
         repareroit la faute, verroit ceste mer, & en rapporteroit
         certaines nouvelles l'année suivante. Pour quelques
         considerations je luy pardonnay, à ceste condition[360].

[Note 359: Conf. 1613, p. 323.]

[Note 360: Ici, l'édition de 1613, renferme quelques détails de plus.
(Voir 6l3, p. 323, 324.)]

         Après que les Sauvages eurent traitté leurs marchandises, &
         qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener
         avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amitié, leur
         faire voir le pays, & les obliger à les ramener, dont ils
         firent grande difficulté, me representans la peine que m'avoit
         donné nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux
         rapports, comme il avoit fait. Je leur fis response, que s'ils
         ne les vouloient emmener ils n'estoient pas mes amis, & pour ce
         ils s'y resolurent.

         Pour nostre menteur, aucun de ces Sauvages n'en voulut, pour
         prière que je leur fis, & le laissasmes à la garde de Dieu.

         Voyant n'avoir plus rien à faire en ce pays, je me resolus de
         passer en France, & arrivasmes à Tadoussac le 6 Juillet.

         Le 8 Aoust[361] le temps se trouva propre, qui nous en fit
         partir, & le 26 du mesme mois[362] nous arrivasmes à Sainct
         Malo.

[Note 361: Le 8 juillet. (Voir 1613, p. 325, note 1.)]

[Note 362: Le 26 août.]

229/885

         _L'Autheur va trouver le Sieur de Mons, qui luy commet la
         charge d'entrer en la societé. Ce qu'il remonstre à Monsieur le
         Comte de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur
         s'addresse à Monsieur le Prince qui le prend en sa protection._

                            CHAPITRE IIII.[363]

[Note 363: Chapitre V de la première édition. Le chapitre IV, ayant
rapport aux années 1616-1620, a été remis à la place que l'auteur
lui-même a dû lui destiner, c'est-à-dire, à la fin de cette première
partie.]

         Aprés mon retour en France[364], je fus trouver le Sieur de
         Mons à Pons en Xainctonge, d'où il estoit gouverneur, auquel je
         fis entendre le succez de toute l'affaire, & le remède qu'il y
         falloit apporter. Il trouva bon tout ce que je luy en dis; & es
         affaires ne luy pouvant permettre de venir en Cour, il m'en
         commit la poursuitte, & m'en laissa toute la charge, avec
         procuration d entrer en ceste societé, de telle somme que
         j'adviserois bon estre pour luy. Estant arrivé en Cour, j'en
         dressay des mémoires, lesquels je communiquay à feu Monsieur le
         President Jeannin, qui les trouva tres-justes, & m'encouragea à
         la poursuitte, & mesmes voulut me faire ceste faveur que de se
         charger desdits mémoires, pour les faire voir au Conseil. Et
         voyant bien que ceux qui aimeroient à pescher en eau trouble
230/886  trouveroient ces reglemens fascheux, & recercheroient les
         moyens de l'empescher, comme ils avoient fait par le passé, il
         me sembla à propos de me jetter entre les bras de quelque
         grand, du quel l'auctorité peust repousser l'envie.

[Note 364: En 1611. (Voir 1613, p. 284.) L'auteur semble avoir voulu,
dans ce chapitre, faire comme un résumé de toutes les difficultés qu'il
fallut surmonter depuis que les associés de M. de Monts «ne voulurent
plus continuer en l'association, pour n'avoir point de commission qui
pût empêcher un chacun d'aller en ces nouvelles découvertures négocier
avec les habitants du pays» (1613, p. 266). Mais pour avoir une idée
complète de ce qui se passa alors, il faut rapprocher de ce passage les
suivants: 1613, p. 265-7, 283-7; 1619, p. 2, 108, 112.]

         Ayant eu cognoissance avec feu Monseig. le Comte de Soissons
         (Prince pieux & affectionné en toutes vertueuses & sainctes
         entreprises) par l'entremise de quelques miens amis qui
         estoient de son conseil, je luy monstray l'importance de
         l'affaire, le moyen de la régler, le mal que le désordre avoit
         apporté par le passé, & apporteroit une ruine totale, au grand
         deshonneur du nom François, si Dieu ne suscitoit quelqu'un qui
         le voulust relever. Comme il fut instruit de toute l'affaire,
         il veit la carte du pays, & me promit souz le bon plaisir du
         Roy d'en prendre la protection. Cependant monsieur le President
         Jeanin fait voir les articles à Messeig. du Conseil, par
         lesquels nous demandions à sa Majesté qu'il luy pleust nous
         donner mond. Seigneur le Comte pour protecteur. Ce qui fut
         accordé par nosdits Seigneurs de son Conseil; lequel renvoya
         neantmoins les articles à feu Monseig. le Duc d'Anville, Pair &
         Admiral de France, qui approuva grandement ce dessein,
         promettant d'y apporter tout ce qu'il pourroit du sien en
         faveur de ceste entreprise. Comme j'estois sur le point de
         faire publier les patentes de sa Commission[365] par tous les
         ports & havres du Royaume, & m'ayant honoré de sa Lieutenance,
         pour faire telle societé qui me sembleroit bonne, ainsi qu'il
231/887  se voit par sad. Commission icy insérée, une griesve maladie
         surprit mond. Seigneur à Blandy, dont il mourut[366], qui
         recula ceste affaire; ausquelles choses nos envieux n'avoient
         osé attenter, jusques après sa mort, qu'ils pensoient que tout
         fust décheu.

[Note 365: La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612.
(Voir 1613, p. 285, note 1.)]

[Note 366: «Le jour de la Toussaincts premier de Novembre» (1612) «à
quatre heures du matin, Monsieur le Comte de Soissons, Prince du sang de
France, mourut en son chasteau de Blandy. Tous les François regrettèrent
ce Prince pour sa vertu.» (Mercure François, an. 1612, p. 582.)]

         «CHARLES DE BOURBON Comte de Soissons, Pair & grand Maistre de
         France, Gouverneur pour le Roy és pays de Normandie & Dauphiné,
         & son Lieutenant général au pays de la nouvelle France. A tous
         ceux qui ces presentes Lettres verront, Salut. Sçavoir faisons
         à tous qu'il appartiendra, que pour la bonne & entière
         confiance que nous avons de la personne du Sieur Samuel de
         Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, & de
         ses sens, suffisance, practique & expérience au faict de la
         marine, & bonne diligence, cognoissance qu'il a audit pays,
         pour les diverses négociations, voyages & fréquentations qu'il
         y a faits, & en autres lieux circonvoisins d'iceluy: A iceluy
         Sieur de Champlain pour ces causes, & en vertu du pouvoir à
         nous donné par sa Majesté, Avons commis, ordonné & député,
         commettons, ordonnons & députons par ces presentes, nostre
         Lieutenant, pour representer nostre personne audit pays de la
         nouvelle France: & pour cet effect luy avons ordonné d'aller se
         loger avec tous ses gens, au lieu appelle Québec, estant dedans
232/888  le fleuve Sainct Laurent, autrement appellé la grande riviere
         de Canada audit pays de la nouvelle France: & audit lieu, &
         autres endroits que ledit Sieur de Champlain advisera bon
         estre, y faire construire & bastir tels autres forts &
         forteresses qui luy sera besoin & necessaire pour sa
         conservation, & de sesdits gens, lequel fort, ou forts, nous
         gardera à son pouvoir: pour audit lieu de Québec, & autres
         endroits en l'estendue de nostre pouvoir, & tant & si avant que
         faire se pourra, establir, estendre, & faire cognoistre le nom,
         puissance, & autorité de sa Majesté, & à icelle assubjectir,
         souz-mettre, & faire obéir tous les peuples de ladite terre, &
         les circonvoisins d'icelle, & par le moyen de ce, & de toutes
         autres voyes licites, les appeller, faire instruire, provoquer
         & esmouvoir à la cognoissance & service de Dieu, & à la lumière
         de la foy & Religion Catholique, Apostolique & Romaine, la y
         establir, & en l'exercice & profession d'icelle maintenir,
         garder & conserver lesdits lieux souz l'obeissance & auctorité
         de sad. Majesté. Et pour y avoir égard & vacquer avec plus
         d'asseurance, Nous avons en vertu de nostredit pouvoir, permis
         audit Sieur de Champlain commettre, establir, & constituer tels
         Capitaines & Lieutenans que besoin sera. Et pareillement
         commettre des Officiers pour la distribution de la justice, &
         entretien de la police, reglemens & ordonnances, traitter,
         contracter à mesme effect, paix, alliance, & confédération,
         bonne amitié, correspondance & communication avec lesdits
233/889  peuples, & leurs Princes, ou autres ayans pouvoir &
         commandement sur eux, entretenir, garder, & soigneusement
         conserver les traittez & alliances dont il conviendra avec eux,
         pourveu qu'ils y satisfacent de leur part. Et à ce default,
         leur faire guerre ouverte, pour les contraindre & amener à
         telle raison qu'il jugera necessaire, pour l'honneur,
         obeissance, & service de Dieu, & l'establissement, manutention
         & conservation de l'authorité de sadite Majesté parmy eux; du
         moins pour vivre, demeurer, hanter, & fréquenter avec eux en
         toute asseurance, liberté, fréquentation, & communication, y
         négocier & trafiquer amiablement & paisiblement: faire faire à
         ceste fin les descouvertures & recognoissances desdites terres,
         & notamment depuis ledit lieu appellé Québec, jusques & si
         avant qu'il se pourra estendre au dessus d'icelui, dedans les
         terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit fleuve Sainct
         Laurent, pour essayer de trouver le chemin facile pour aller
         par dedans ledit païs au païs de la Chine & Indes Orientales,
         ou autrement, tant & si avant qu'il se pourra, le long des
         costes, & en la terre ferme: faire soigneusement rechercher &
         recognoistre toutes sortes de mines d'or, d'argent, cuivre, &
         autres métaux, & minéraux; les faire faire fouiller, tirer,
         purger, & affiner, pour estre convertis, & en disposer selon &
         ainsi qu'il est prescript par les Edicts & Reglemens de sa
         Majesté, & ainsi que par nous sera ordonné. Et où led. Sieur
         de Champlain trouveroit des François, & autres, trafiquans,
         negocians, & communiquans avec les Sauvages, & peuples estans
         depuis led. lieu de Québec, & au dessus d'iceluy, comme dessus
234/890  est dit, & qui n'ont esté reservez par sa Majesté, Luy avons
         permis & permettons s'en saisir & apprehender, ensemble leurs
         vaisseaux, marchandises, & tout ce qui s'y trouvera à eux
         appartenant, & iceux faire conduire & amener en France és
         havres de nostre Gouvernement de Normandie, és mains de la
         justice, pour estre procédé contre eux selon la rigueur des
         Ordonnances Royaux, & ce qui nous a esté accordé par sad.
         Majesté: Et ce faisant, gerer, négocier, & se comporter par
         led. Sieur de Champlain en la fonction de lad. charge de nostre
         Lieutenant, pour tout ce qu'il jugera estre à l'advancement
         desd. conqueste & peuplement: Le tout, pour le bien, service, &
         authorité de sad. Majesté, avec mesme pouvoir, puissance &
         authorité que nous ferions si nous y estions en personne, &
         comme si le tout y estoit par exprés & plus particulièrement
         specifié & déclaré. Et outre tout ce que dessus, Avons audit
         Sieur de Champlain permis & permettons d'associer & prendre
         avec luy telles personnes, & pour telles sommes de deniers
         qu'il advisera bon estre pour l'effect de nostre entreprise.
         Pour l'execution de laquelle, mesme pour faire les
         embarquemens, & autres choses necessaires à cet effect qu'il
         fera és villes & havres de Normandie, & autres lieux où jugerez
         estre à propos, Vous avons de tout donné & donnons par ces
         presentes, toute charge, pouvoir, commission, & mandement
         special; & pource vous avons substitué & subrogé en nostre lieu
         & place, à la charge d'observer & faire observer par ceux qui
235/891  seront souz vostre charge & commandement, tout ce que dessus, &
         nous faire bon & fidel rapport à toutes occasions de tout ce
         qui aura esté fait & exploité, pour en rendre par Nous prompte
         raison à ladite Majesté. Si prions & requérons tous Princes,
         Potentats, & Seigneurs estrangers, leurs Lieutenans généraux,
         Admiraux, Gouverneurs de leurs Provinces, Chefs & conducteurs
         de leurs gens de guerre, tant par mer que par terre, Capitaines
         de leurs villes & forts maritimes, ports, costes, havres, &
         destroits, donner audit Sieur de Champlain pour l'entier effect
         & exécution de ces presentes, tout support, secours,
         assistance, retraite, main-forte, faveur & aide, si besoin en
         a, & en ce qu'ils pourront estre par luy requis. En tesmoin de
         ce nous avons cesdites presentes signées de nostre main, &
         fait contre-signer par l'un de nos Secrétaires ordinaires, & à
         icelles fait mettre & apposer le cachet de nos armes; A Paris
         le quinziesme jour d'Octobre, mil six cents douze.»

         _Signée_ CHARLES DE BOURBON.

         _Et sur le reply_, Par Monseigneur le Comte, BRESSON.


         Mais ceste affaire ne dura que le moins qu'il me fut possible:
         car je me resolus de m'addresser à Monseig. le Prince; auquel
         ayant remonstré l'importance & le merite de ceste affaire, que
         mond. Seigneur le Comte avoit embrassée, comme protecteur
         d'icelle, il eust pour tres-agreable de la continuer souz son
         authorité; qui m'occasionna de faire dresser ses
236/892  Commissions[367], sa Majesté luy ayant donné la protection. Ses
         Commissions seellées, mond. Seigneur me continua en l'honneur
         de la Lieutenance de feu Monseigneur le Comte, avec
         l'intendance d'icelle, pour associer telles personnes que
         j'adviserois bon estre, & capables d'aider à l'execution de
         ceste entreprise.

[Note 367: Cette commission est du 22 novembre 1612. (Voir, ci-après,
celle que le duc de Ventadour donne à l'auteur le 15 février 1625,
seconde partie, liv. II, ch. I.)]

         Comme je moyennois de faire publier en tous les ports & havres
         du Royaume les Commissions de mond. Seigneur le Prince,
         quelques brouillons qui n'avoient aucun interest en l'affaire,
         l'importunerent de la faire casser, luy faisans entendre le
         pretendu interest de tous les marchands de France, qui
         n'avoient aucun sujet de se plaindre, attendu qu'un chacun
         estoit receu en l'association, & par ainsi l'on ne se pouvoit
         justement offenser: c'est pourquoy leur malice estant recognue,
         ils furent rejettez, avec permission seulement d'entrer en la
         societé.

         Pendant ces altérations[368], il me fut impossible de rien
         faire pour l'habitation de Québec, & se fallut contenter pour
         ceste année[369] d y aller sans aucune association qu'avec
         passe-port de Monseigneur, qui fut donné pour cinq vaisseaux,
         sçavoir trois de Normandie, un de la Rochelle, & un autre[370]
         de Sainct Malo; à condition que chacun me fourniroit six[371]
         hommes, avec ce qui leur seroit necessaire, pour m'assister aux
237/893  descouvertes[372] que j'esperois faire par delà le, grand
         Sault, & le vingtiesme de ce qu'ils pourroient faire de
         pelleterie, pour estre employé aux réparations de l'habitation,
         qui s'en alloit en décadence. C'est donc tout ce qui se peut
         faire pour ceste année, en attendant que la societé se formast.

[Note 368: Altercations. C'est aussi ce que porte l'édition de 1613 (p.
286).]

[Note 369: 1613.]

[Note 370: Ce cinquième vaisseau n'est pas mentionné dans l'édition de
1613. (_Conf_. 1613, p. 286.)]

[Note 371: L'édition de 1613 porte «quatre.»]

[Note 372: L'auteur omet ici un motif qu'il avait exprimé en 1613, celui
de faire la guerre aux sauvages. C'est que Champlain ne se joignit aux
nations alliées que par la nécessité des circonstances, et pour parvenir
plus efficacement au but que l'on devait se proposer: connaître le pays
et ses ressources.]

         Tous ces vaisseaux s'appresterent chacun en son port & havre, &
         moy je m'en allay embarquer à Honnefleur[373] avec led. sieur
         du Pont-gravé, qui faisoit pour les anciens associez qui ne
         s'estoient desunis. Nous voila embarquez jusques à arriver à
         Tadoussac[374], & de là à Quebec[375], où tous estoient en
         bonne santé, qui fut l'an 1613.

[Note 373: _Conf_. 1613, p. 287, et ci-devant, liv. IV, ch. I.]

[Note 374: Le 29 avril. (1613, p. 289.)]

[Note 375: Le 7 mai. (Ci-dessus, p. 198, et 1613, p. 290.)]

         De là continuant nostre voyage jusques au grand Sault Sainct
         Louis[376], où chacun faisoit sa traitte de pelleterie, je
         cherchay le vaisseau le plustost prest pour m'en retourner, qui
         fut celuy de Sainct Malo, dans lequel je m'embarquay; & levant
         les anchres & mettant souz voile, nous singlasmes si
         favorablement, qu'en peu de jours[377] nous arrivasmes en
         France, où estant, je donnay à entendre à plusieurs marchands
         le bien & utilité qu'apportoit une compagnie bien réglée, &
         conduitte souz l'authorité d'un grand Prince, qui les pouvoit
         maintenir contre toute sorte d'envie, & qu'ils eussent à
238/894  considerer ce que par le dérèglement du passé ils avoient
         perdu, & mesme en la presente année, à l'envie les uns des
         autres. Et jugeans bien tous ces défauts, ils me promirent
         venir en Cour pour former leur compagnie, souz de certaines
         conditions. Ce qu'estant accordé, je m'acheminay à
         Fontainebleau, où estoit le Roy, & Monseigneur le Prince,
         ausquels je fis fidèle rapport de tout mon voyage.

[Note 376: Champlain, cette année 1613, arriva au saut Saint-Louis le 21
de mai, et en repartit, après avoir remonté l'Outaouais avec son
imposteur de Vignau, le 27 juin, pour Tadoussac, d'où il fit voile pour
la France le 8 juillet, dans le vaisseau de Maisonneuve. (Voir 1613, p.
288, 289 et 325.)]

[Note 377: Le vaisseau partit de Tadoussac le 8 juillet, et arriva à
Saint-Malo le 26 août. (Voir 1613, p. 325, 326.)]

         Quelques jours après ceux de Sainct Malo & de Normandie se
         trouverent prests, mais ceux de la Rochelle manquèrent.
         Cependant je ne laissay de faire la societé à Paris, reservé le
         tiers aux Rochelois, qu'au cas que dedans un certain temps ils
         n'y voulussent entrer, ils n'y seroient plus receus. Ils furent
         si longtemps en ceste affaire, que ne venans pas au temps ils
         furent démis, & ceux de Rouen & Sainct Malo prirent l'affaire
         moitié par moitié.

         En ce temps il falloit de tout bois faire flesches, car les
         importunitez qu'avoit Monseig. le Prince, occasionnoit que je
         faisois beaucoup de choses par son commandement. Voila donc la
         societé & le contract fait, lequel je fais ratifier à mond.
         Seig. le Prince, & de sa Majesté, pour unze années. Ceste
         Société ayant vescu quelque temps en tranquillité, il y eut
         quelque dissention entr'eux & les Rochelois, qui estoient
         faschez de ce qu'on les avoit démis, pour ne s'estre trouvez au
         temps prescrit, qui fit qu'ils eurent un grand procez, lequel
         est demeuré au crocq, jusques à ce qu'ils obtindrent de mond.
         Seign. le Prince un passe-port par surprise pour un vaisseau,
         qui par la permission de Dieu se perdit à quinze lieues à val
         de Tadoussac, à la coste du nort. Car sans ceste fortune, il
239/895  n'y a point de doute que comme il estoit bien armé, il se fust
         battu, voulant jouir de son passe-port injustement acquis
         contre les nostres, où mond. Seig. s'obligeoit ne donner
         passe-port autre qu'à ceux de nostre Société, & que s'il s'en
         trouvoit d'autres obtenus en quelque manière & façon que ce
         fust, qu'il les declaroit nuls dés à present comme dés lors.
         C'est pourquoy il y eust eu raison de se saisir des Rochelois,
         ce qui ne se pouvoit faire qu'avec la perte de nombre d'hommes.
         Partie des marchandises de ce vaisseau furent sauvées, & prises
         par les nostres, qui en firent très-bien leur profit avec les
         Sauvages, qui leur causa une très-bonne année: aussi à leur
         retour eurent-ils un grand procez contre les Rochelois, qui fut
         enfin jugé au bénéfice de lad. Société[378].

[Note 378: Apparemment, les tribunaux d'alors ne jugeaient point des
choses comme l'a fait, de nos jours, certain historien. Ils condamnèrent
les Rochelois, parce que sans doute ils jugèrent qu'un vaisseau qui,
après avoir refusé ou négligé d'entrer dans la société, venait, avec un
passe-port frauduleux, enlever à une compagnie légalement constituée, sa
principale source de revenu, prêt au besoin à employer la force pour
soutenir ses injustes prétentions, devait être regardé comme un vrai
pirate, et poursuivi comme tel suivant toute la rigueur du droit. Mais
l'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_, voit, et tient
à faire voir les choses sous un autre jour; à l'entendre, c'est tout
bonnement un vaisseau jeté à la côte, qui devient la victime de
l'injustice et de la rapacité de ses compatriotes. «Un vaisseau
Rochelois,» dit-il, «ayant échoué près de Tadoussac, la société ne
manqua pas de tirer avantage de son privilège,» (quel crime!) & la
rigueur dont elle usa dans cette occasion montre combien l'intérêt
mercantile étouffait jusqu'aux sentiments de fraternité inspirés par
l'esprit de secte.» Cette dernière phrase, pour avoir un sens, suppose
admises deux choses dont l'une est au moins incertaine, et l'autre
fausse, savoir: 1° que le vaisseau rochelois était de la religion
prétendue réformée, ce que l'on ne sait pas au juste, puisque Champlain
est le seul qui parle de ce vaisseau, et qu'il ne le dit point; 2° que
la compagnie était également toute calviniste, comme le même auteur le
fait dire à Champlain ailleurs (voir ci-après, ch. VIII), ce qui est
faux. Cette compagnie renfermait, à la vérité, des marchands qui étaient
de la réforme; mais il y avait aussi des catholiques, pour le moins
Champlain lui-même, ce qui était bien quelque chose, puisque c'était lui
qui avait formé cette société. Après une réflexion si peu fondée, le
même auteur cite la phrase suivante entre guillemets, tout en la
retouchant un peu, suivant sa coutume: «Une partie des marchandises que
portait ce navire furent sauvées, dit Champlain, & prises par les
nôtres, qui en firent très-bien leur profit avec les sauvages, ce qui
leur causa une très-bonne année.» Mais il n'a garde de pousser plus
loin la citation, le reste de la phrase étant de nature à faire naître
des doutes sur la justesse de son appréciation, puisque les cours de
justice jugèrent le procès en faveur de la société.]

240/896  Continuant tousjours ceste entreprise souz l'authorité de mond.
         Seign. le Prince, & voyant que nous n'avions aucun Religieux,
         nous en eusmes par l'entremise du sieur Houel[379], qui avoit
         une affection particulière à ce sainct dessein, & me dit que
         les pères Recollets y seroient propres, tant pour la demeure de
         nostre habitation, que pour la conversion des infideles. Ce que
         je jugeay à propos, estans sans ambition, & du tout conformes à
         la règle sainct François. J'en parlay à mond. Seig. le Prince,
         qui l'eut pour très-agréable; & ceste Compagnie s'offrit
         volontairement de les nourrir, attendant qu'ils peussent avoir
         un Séminaire, comme ils esperoient, par les charitables
         aumosnes qui leur seroient faites, pour prendre & instruire la
         jeunesse.

[Note 379: Voir 1619, p. 4, note 2.]

         Quelques particuliers de Sainct Malo poussez par d'autres aussi
         envieux qu'eux, de n'estre de la Societé, (bien qu'il y en eust
         de leurs compatriotes) voulurent tenter une chose: mais n'osans
         se presenter devant mond. Seig. le Prince, ny trouver des
         Conseillers d'Estat, qui se voulussent charger de leur requeste
         contre son authorité, ils font en sorte de faire mettre dans le
         cahier général des Estats[380], Qu'il fut permis d'avoir la
         traitte de pelleterie libre en toute la Province comme chose
         très-importante. C'estoit un article fort serieux, & ceux qui
         l'avoient fait coucher devoient estre pardonnez, car ils ne
         sçavoient pas bien ce que c'estoit de ceste affaire, qu'on leur
         avoit donné à entendre, contraire à la vérité.

[Note 380: Voir 1619, p. 6, note 1.]

241/897  Voila comme par les plus célèbres assemblées il se commet
         souvent des fautes, sans s'informer davantage. Ces envieux
         pensent avoir fait un grand coup, & qu'en ceste assemblée des
         Estats tenus à Paris il se feroit des merveilles sur ce sujet,
         comme s'ils n'eussent eu autre fil à devider. Ayant ouy le vent
         de cecy, j'en parlay à Monseigneur le Prince, & luy remonstray
         l'interest qu'il avoit en la defense si juste de cet article, &
         que s'il luy plaisoit me faire l'honneur de me faire ouir, je
         ferois voir que la Bretagne n'a nul interest en cela, que ceux
         de Sainct Malo, dont des plus apparents avoient entré en ladite
         societé, & que d'autres l'avoient refusée, & pour ce desplaisir
         avoient fait insérer cedit article au cahier général de la
         Province. Il me dit qu'il me feroit parler à ces Messieurs; ce
         qui fut fait, où je fis entendre la vérité de l'affaire, qui
         fut cause que l'article estant recogneu, il ne fut mis au
         néant.



         _Embarquement de l'Autheur pour aller en la nouvelle France.
         Nouvelles descouvertures en l'an 1615._

                             CHAPITRE V.[381]

[Note 381: Chapitre VI de la première édition.]

         Nous partismes de Honnefleur le 24e jour d'Aoust[382] 1615,
         avec quatre Religieux[383], & fismes voile avec vent fort
         favorable, & voguasmes sans rencontre de glaces, ny autres
         hazards, & en peu de temps arrivasmes à Tadoussac le 25e jour
         de May, où nous rendismes grâces à Dieu, de nous avoir conduit
         si à propos au port de salut.

[Note 382: Le 24 avril. (Voir 1619, p. 9, note 1.)]

[Note 383: Voir 1619, p. 7, 8, 9, où il y a d'intéressants détails sur
l'arrivée de ces religieux.]

242/898  On commença à mettre des hommes en besongne pour accommoder nos
         barques, afin d'aller à Québec, lieu de nostre habitation, & au
         grand Sault Sainct Louys, où estoit le rendez-vous des Sauvages
         qui y viennent traitter[384]. Incontinent que je fus arrivé au
         Sault[385], je visitay ces peuples, qui estoient fort desireux
         de nous voir, & joyeux de nostre retour, sur l'esperance qu'ils
         avoient que nous leur donnerions quelques-uns d'entre nous pour
         les assister en leurs guerres contre leurs ennemis, nous
         remonstrans que mal aisément ils pourroient venir à nous, si
         nous ne les assistions, parce que les Yroquois leurs anciens
         ennemis, estoient tousjours sur le chemin, qui leur fermoient
         le passage; outre que je leur avois tousjours promis de les
         assister en leurs guerres, comme ils nous firent entendre par
         leur truchement. Sur quoy j'advisay[386] qu'il estoit
         tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger
         davantage à nous aimer, que pour moyenner la facilité de mes
         entreprises, & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en
         apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit
         comme un acheminement & préparation pour venir au
243/899  Christianisme, en faveur de quoy je me resolus d'y aller
         recognoistre leurs pays, & les assister en leurs guerres, afin
         de les obliger à me faire voir ce qu'ils m'avoient tant de fois
         promis.

[Note 384: Il est bon de remarquer qu'on a omis, dans l'édition de 1632,
tous les détails qui ont rapport aux Pères Récollets. Ici, l'édition de
1619 s'étendait assez au long sur ce qui se passa à leur arrivée
(_Conf_. 1619, p. 9-14). Il faut se rappeler de plus, qu'au moment où
cette édition de 1632 se publiait, les Récollets faisaient d'inutiles
efforts pour venir reprendre leurs missions. Maintenant, en jetant un
coup-d'oeil sur ces passages de 1619 auxquels nous renvoyons, on
comprend aisément, à voir l'obscurité et l'embarras de la narration,
qu'il n'y avait que Champlain lui-même qui pût ou compléter le récit,
ou le remettre dans un ordre plus clair, et tout autre que Champlain
devait renoncer à débrouiller le chaos. De sorte que, tout bien
considéré, il semble que l'édition de 1632 n'ait pas été faite, ou
surveillée, par l'auteur lui-même, et de plus qu'elle ait été confiée
à un père jésuite ou à un ami de leur ordre, comme on peut encore en
trouver d'autres raisons ailleurs.]

[Note 385: Vers le 20 de juin (1619, p. 14, note 1).]

[Note 386: L'édition de 1619 porte: «Sur quoy ledit du Pont & moy
advisasmes» (p. 14, note 2).]

         Je les fis tous assembler pour leur dire ma volonté, laquelle
         entendue, ils promirent nous fournir deux mil cinq cents hommes
         de guerre, qui feroient merveilles, & qu'à ceste fin je menasse
         de ma part le plus d'hommes qu'il me seroit possible: ce que je
         leur promis faire, estant fort aise de les voir si bien
         délibérez. Lors je commençay à leur descouvrir les moyens qu'il
         falloit tenir pour combattre, à quoy ils prenoient un singulier
         plaisir, avec demonstration d'une bonne esperance de victoire.
         Toutes ces resolutions prises, nous nous separasmes, avec
         intention de retourner pour l'exécution de nostre entreprise.
         Mais auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre
         moindre que de trois ou quatre mois, il estoit à propos que je
         fisse un voyage à nostre habitation, pour donner ordre, pendant
         mon absence, aux choses qui y estoient necessaires. Et le jour
         ensuivant[387], je partis de là pour retourner à la riviere des
         Prairies, avec deux canaux de Sauvages[388].

[Note 387: L'édition de 1619 porte; «Et.....le jour de.....ensuivant.»
Vraisemblablement le 23 de juin. (Voir 1619, p. 16, note 1.)]

[Note 388: Ici encore, l'édition de 1619 renferme d'assez amples détails
sur les Récollets, et sur les premières messes qu'ils dirent dans ce
pays (p. 16-19).]

         Le 9 dudit mois[389] je m'embarquay moi troisiesme, à sçavoir
         l'un de nos truchemens, & mon homme, avec dix Sauvages, dans
         lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter,
         d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarrassez de hardes,
         ce qui m'empeschoit de mener des hommes davantage.

[Note 389: Le 9 de juillet 1615. (Voir 1619, p. 19.)]

244/900  Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve Sainct Laurent
         environ six lieues, & fusmes par la riviere des Prairies, qui
         descharge dans ledit fleuve, laissant le sault sainct Louys
         cinq ou six lieues plus à mont, à la main senextre, ou nous
         passasmes plusieurs petits sauts par cette riviere, puis
         entrasmes dans un lac[390], lequel passé, r'entrasmes dans la
         riviere, où j'avois esté autrefois, laquelle va & conduit aux
         Algoumequins, distante du sault sainct Louis de 89 lieues[391],
         de laquelle riviere j'ay fait ample description cy-dessus[392].
         Continuant mon voyage jusques au lac des Algoumequins[393],
         r'entrasmes dedans une riviere [394] qui descend dedans ledit
         lac, & fusmes à mont icelle environ trente-cinq lieues, &
         passasmes grande quantité de sauts, tant par terre, que par
         eau, & en un pays mal agréable, remply de sapins, bouleaux, &
         quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroits un peu
         montagneux. Au surplus fort desert, sterile, & peu habité, si
         ce n'est de quelques Sauvages Algoumequins, appeliez
         Otaguottouemin[395], qui se tiennent dans les terres, & vivent
         de leurs chasses & pescheries qu'ils font aux rivieres,
         estangs, & lac, dont le pays est assez muny. Il est vray qu'il
         semble que Dieu a voulu donner à ces terres affreuses &
         desertes quelque chose en sa saison, pour servir de
245/901  rafraischissement à l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car
         je vous asseure qu'il se trouve le long des rivieres si grande
         quantité de blues[386], qui est un petit fruict fort bon à
         manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle
         quantité, que c'est merveille: desquels fruicts ces peuples qui
         y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous faisons
         des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissasmes icelle
         riviere qui vient du nort[397], & est celle par laquelle les
         Sauvages vont au Sacquenay pour traitter des pelleteries, pour
         du petum. Ce lieu est par les 46 degrez[398] de latitude, assez
         agréable à la veue, encores que de peu de rapport.

[Note 390: Le lac des Deux-Montagnes.]

[Note 391: Lisez: 8 à 9 lieues. (Voir 1619, p. 19, 20.)]

[Note 392: Livre IV, chapitre I, II et III.]

[Note 393: Le lac des Allumettes. (Voir 1619, p. 20, note 4.)]

[Note 394: La rivière Creuse, qui est une partie de l'Outaouais. (1619,
p. 20, note 5.)]

[Note 395: _Outaoukotouemiouek_ suivant la Relation de 1650, et
_Kotakoutouemi_ suivant celle de 1640. (Voir 1619, p. 20, note 6.)]

[Note 396: Voir 1619, p. 21, note 1.]

[Note 397: Voir 1619, p. 21, note 2.]

[Note 398: Voir 1619, p. 21, note 3.]

         Poursuivant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere
         des Algoumequins, nous passasmes par plusieurs lacs, où les
         Sauvages portent leurs canaux, jusques à ce que nous entrasmes
         dans le lac des Nipisierinij[3999], par la hauteur de
         quarante-six degrez & un quart de latitude. Et le
         vingt-sixiesme jour dud. mois[400], après avoir fait tant par
         terre, que par les lacs vingt-cinq lieues, ou environ. Ce fait,
         nous arrivasmes aux cabannes des Sauvages, où nous sejournasmes
         deux jours avec eux. Ils nous firent fort bonne réception, &
         estoient en bon nombre. Ce sont gens qui ne cultivent la terre
         que fort peu. A, vous monstre l'habit de ces peuples allans à
         la guerre. B, celuy des femmes, qui ne diffère en rien de celuy
         des montagnars, & Algommequins, grands peuples, & qui
         s'estendent fort dans les terres[401].

[Note 399: Le lac Nipissing.]

[Note 400: Le 26 de juillet. Cette phrase, évidemment, doit se rattacher
à la précédente.]

[Note 401: Voir les figures indiquées par les lettres A et B.]

246/902  Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, &
         autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins,
         selon leur coustume, & mettoient peine d'aller pescher &
         chasser, pour nous traitter le plus délicatement qu'ils
         pouvoient. Ils estoient bien en nombre de sept à huict cents
         âmes, qui se tiennent ordinairement sur le lac, où il y a grand
         nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une qui a plus de
         six lieues de long, où il y a trois ou quatre beaux estangs, &
         nombre de belles prairies, avec de très-beaux bois qui
         l'environnent, & y a grande abondance de gibbier, qui se retire
         dans cesdits petits estangs, où les Sauvages y prennent du
         poisson. Le costé du Septentrion dudit lac est fort agréable.
         Il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, &
         plusieurs petites rivieres qui se deschargent dedans.

         Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de
         plusieurs sortes de poisson, entre autres d'un très-bon, qui
         est de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres
         especes, que les Sauvages peschent pour faire secher, & en font
         provision. Ce lac[402] a en son estendue environ 8 lieues de
         large, & 25 de long, dans lequel descend une riviere[403] qui
         vient du norouest, par où ils vont traitter les marchandises
         que nous leur donnons en trocq, & retour de leurs pelleteries,
247/903  & ce avec ceux qui y habitent[404], lesquels vivent de chasse,
         & de pescherie, parce que ce pays est grandement peuplé tant
         d'animaux, oiseaux, que poisson.

[Note 402: Le lac Nipissing.]

[Note 403: La rivière aux Esturgeons. (Voir 1619, p. 23, notes 2 et 3.)]

[Note 404: Les Outimagami, qui demeuraient vraisemblablement au lac
Timiscimi, les Ouachegami, les Mitchitamou, les Outurbi, et les
Kiristinons, ou Cris. (Voir Relat, 1640, ch. x.)]

         Après nous estre reposez deux jours avec le Chef desdits
         Nipisierinij, nous nous r'embarquasmes en nos canaux, &
         entrasmes dans une riviere[405] par où ce lac se descharge, &
         fismes par icelle environ 33 lieues, & descendismes par
         plusieurs petits sauts, tant par terre, que par eau, jusques au
         lac Attigouantan. Tout ce pays est encores plus mal agréable
         que le précèdent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix
         arpents de terre labourable, sinon rochers, & montagnes. Il est
         bien vray que proche du lac des Attigouantan[406] nous
         trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantité, où nos
         Sauvages prirent des citrouilles, qui nous semblerent bonnes,
         car nos vivres commençoient à nous faillir, par le mauvais
         mesnage des Sauvages, qui mangèrent si bien au commencement,
         que sur la fin il en restoit fort peu, encores que ne fissions
         qu'un repas le jour: & nous aidèrent beaucoup ces blues &
         framboises (comme j'ay dit cy dessus) autrement nous eussions
         esté en danger d'avoir de la necessité.

[Note 405: La rivière des Français.]

[Note 406: Le lac Huron. (Voir note 2 de la page suivante et note 3 de
la page 249.)]

         Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous
         nommasmes les cheveux relevez, pour les avoir fort relevez &
         ageancez, & mieux peignez que nos Courtisans, & n'y a nulle
         comparaison, quelques fers & façons qu'ils y puissent apporter:
         ce qui semble leur donner une belle apparence. A. C. monstre la
248/904  façon qu'ils s'arment allant à la guerre. Ils n'ont pour armes
         que l'arc & la flesche, fait en la façon que voyez dépeints,
         qu'ils portent ordinairement, & une rondache de cuir bouilly,
         qui est d'un animal comme le bufle[407]. Quand ils sortent de
         leurs maisons ils portent la massue. Ils n'ont point de brayer,
         & sont fort découpez par le corps, en plusieurs façons de
         compartiment: & se peindent le visage de diverses couleurs,
         ayans les narines percées, & les oreilles bordées de
         patenostres. Les ayant visitez, & contracté amitié avec eux,
         je donnay une hache à leur Chef, qui en fut aussi content &
         resjouy, que si je luy eusse fait quelque riche present. Et
         m'enquerant sur ce qui estoit de son païs, il me le figura
         avec du charbon sur une escorce d'arbre: & me fit entendre
         qu'ils estoient venus en ce lieu pour faire secherie de ce
         fruict appellé blues, pour leur servir de manne en hyver, lors
         qu'ils ne trouvent plus rien.

[Note 407: _Conf_. 1619, p. 25. Tout ce passage a été remanié, dans
l'édition de 1632.]

         Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin
         le long du rivage de ce lac des Attigouantan[408], où il y a un
         grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant
         tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a prés de trois[409]
         cents lieues de longueur de l'Orient à l'Occident, & de large
249/905  cinquante[410]; & à cause de sa grande estendue, je l'ay nommé
         la mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes de
         très-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux
         que n'avons pas, & principalement des truittes qui sont
         monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques à
         quatre pieds & demy de long, & les moindres qui se voyent sont
         de deux pieds & demy. Comme aussi des brochets au semblable, &
         certaine manière d'esturgeon, poisson fort grand, & d'une
         merveilleuse bonté. Le pays qui borne ce lac en partie est
         aspre du costé du nort, & en partie plat, & inhabité de
         Sauvages, quelque peu couvert de bois, & de chesnes. Puis après
         nous traversasmes une baye[411], qui fait une des extremitez du
         lac, & fismes environ sept lieues[412], jusques à ce que nous
         arrivasmes en la contrée des Attigouantan[413], à un village
         appelle Otouacha[414], qui fut le premier jour d'Aoust, ou
         trouvasmes un grand changement de pays, cestuy-cy estant fort
         beau, & la plus grande partie deserté, accompagné de force
         collines, & de plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir
         agréable. Je fus visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient lors
         fort advancez pour la saison.

[Note 408: Attignouantan, ou Attignaouantan; c'est le lac Huron, ou mer
Douce. Les Attignaouantan, nation des Ours, formaient l'une des tribus
huronnes les plus considérables, et demeuraient plus proche du lac que
les autres tribus.]

[Note 409: L'édition de 1640, pour se conformer sans doute à celle de
1619, a remis dans le texte comme à la marge: «quatre cents.» Le lac
Huron n'a environ que quatre-vingts lieues de longueur; mais, dans son
immense contour, on peut bien compter quatre cents lieues, et c'est
peut-être ce que Champlain a voulu dire, ou ce que lui auront dit les
sauvages. Il est possible aussi que le manuscrit portât en toutes
lettres _quatre vint_, et que le typographe ait lu _quatre cent_.]

[Note 410: L'édition 1640 ajoute le mot «lieues.»]

[Note 411: La baie de Matchidache.]

[Note 412: C'est-à-dire, la traverse même de cette baie de Matchidache.
(Voir 1619, p. 26, note 2.)]

[Note 413: La contrée des Attignaouantan, ou des Ours, se composait
principalement de cette pointe du comté actuel de Simcoe, qui s'étend de
inq à six lieues vers le nord-ouest dans la baie Géorgienne, entre la
baie de Matchidache et celle de Nataouassagué.]

[Note 414: Otouacha, qui est probablement le même que Toanché, ou
Toanchain, paraît avoir été situé à environ un mille du fond de la baie
du Tonnerre. Il ne faut pas confondre ce premier emplacement d'Otouacha,
ou de Touanché, avec le second dont parle la Relation de 1635, qui était
encore un mille plus loin de la baie. (Voir 1619, p. 26, notes 3 et 4.)]

250/906  Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si
         mauvaise contrée d'où nous venions de sortir. Le lendemain je
         fus à un autre village appelle Carmaron[413], distant d'iceluy
         d'une lieue, où ils nous receurent fort amiablement, nous
         faisans festin de leur pain, citrouilles, & poisson. Pour la
         viande, elle y est fort rare. Le chef dudit village me pria
         fort d'y sejourner, ce que je ne peus luy accorder, ains m'en
         retournay à nostre village[414].

[Note 415: A environ trois ou quatre milles au sud-est d'Otouacha, l'on
trouve encore les restes d'un village qui doit avoir été Carmaron. Ce
nom, que l'auteur semble donner comme huron, a probablement été mal lu
par le typographe, la langue huronne n'ayant pas de labiales. Il est
très-possible que Champlain ait écrit _Cannaron_, ou _Connarea_, mot qui
se rapproche beaucoup de _Kontarea_, mentionné dans les Relations et
dans la carte de Ducreux; or la position de ce dernier village pourrait
répondre à celle de Carmaron. (Voir 1619, p. 27, note 2.)]

[Note 416: _Conf_. 1619, p. 27.]

         Le lendemain[417] je partis de ce village pour aller à un
         autre, appellé Touaguainchain[418], & à un autre appellé
         Tequenonquiaye[419], esquels nous fusmes receus des habitans
         desdits lieux fort amiablement, nous faisans la meilleure chere
         qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs façons,
         tant ce pays est beau & bon, par lequel il fait beau cheminer.

[Note 417: Probablement le 3 d'août.]

[Note 418: Il semble que Touaguainchain soit le nom huron de ce que les
Pères Jésuites appelèrent plus tard Sainte-Madeleine. Il devait être à
environ quatre milles au sud d'Otouacha, et deux milles à l'ouest de
Carmaron. (Voir 1619, p. 28, note 2.)]

[Note 419: «Autrement nommé, dit Sagard, _Quieuindohian,_ par quelques
François la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel.» (Hist. du
Canada, p. 208.) Quelques années plus tard, la Rochelle portait le nom
d'Ossossané, et les Jésuites y établirent la résidence de la Conception.
(Voir 1619, p. 28, note 3.) Ce village était à environ quatre lieues au
sud-sud-est d'Otouacha, et par conséquent deux lieues plus au sud que
Carmaron. (Sagard, et Relations des Jésuites.)]

         De là je me fis conduire à Carhagouha[420], fermé de triple
         pallissade de bois, de la hauteur de trente-cinq pieds, pour
251/907  leur defense & leur conservation. Estant en ces lieux[421] le
         12 d'Aoust[422], j'y trouvay 13 à 14 François[423] qui estoient
         partis devant moy de ladite riviere des Prairies. Et voyant que
         les Sauvages apportoient une telle longueur à faire leur gros,
         & que j'avois du temps pour visiter leur pays, je deliberay de
         m'en aller à petites journées de village en village à
         Cahiagué[424], où devoit estre le rendez-vous de toute l'armée,
         distant de Carantouan[425] de 14 lieues, & partis de ce village
         le 14 d'Aoust avec dix de mes compagnons. Je visitay cinq des
         principaux villages[426], fermez de pallissades de bois,
         jusques à Cahiagué, le principal village du pays, où il y a
         deux cents cabannes assez grandes, où tous les gens de guerre
         se devoient assembler. Par tous ces villages ils nous receurent
         fort courtoisement & humainement. Ce païs est très-beau, souz
         la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, & fort
         deserté, où ils sement grande quantité de bleds d'Inde, qui y
         vient très-beau, comme aussi des citrouilles, herbe au Soleil,
         dont ils font de l'huile de la graine, de laquelle ils se
         frottent la teste. Il est fort traversé de ruisseaux qui se
         deschargent dedans le lac: & y a force vignes & prunes, qui
         sont très-bonnes, framboises, fraises, petites pommes sauvages,
         noix, & une manière de fruict qui est de la forme & couleur de
         petits citrons, comme de la grosseur d'un oeuf. La plante qui
252/908  le porte a de hauteur deux pieds & demy, & n'a que trois à
         quatre fueilles pour le plus, de la forme de celle du figuier,
         & n'apporte que deux pommes chaque plante. Les chesnes,
         ormeaux, & hestres y sont en quantité, comme aussi force
         sapinieres, qui est la retraite ordinaire des perdrix & lapins.
         Il y a aussi quantité de petites cerises[427], & merises, & les
         mesmes especes de bois que nous avons en nos forests de France,
         sont en ce pays là. A la vérité ce terroir me semble un peu
         sablonneux, mais il ne laisse pas d'estre bon pour cet espece
         de froment. Et en ce peu de pays j'ay recogneu qu'il est fort
         peuplé d'un nombre infiny d'ames, sans en ce comprendre les
         autres contrées où je n'ay pas esté, qui sont (au rapport
         commun) autant ou plus peuplées que ceux cy-dessus: me
         representant que c'est grand pitié que tant de créatures vivent
         & meurent, sans avoir la cognoissance de Dieu, & mesmes sans
         aucune religion, ny loy, soit divine, politique, ou civile,
         establie parmy eux. Car ils n'adorent & ne prient en aucune
         façon, ainsi que j'ay peu recognoistre en leur conversation.
         Ils ont bien quelque espece de cérémonie entr'eux, que je
         descriray en son lieu, comme pour ce qui est des malades, ou
         pour sçavoir ce qui leur doit arriver, mesme touchant les
         morts; mais ce sont de certains personnages qui s'en veulent
         faire accroire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du
         temps des anciens Payens, qui se laissoient emporter aux
         persuasions des enchanteurs & devins: neantmoins la plus-part
         de ces peuples ne croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils
253/909  sont assez charitables entr'eux, pour ce qui est des vivres,
         mais au reste fort avaricieux, & ne donnent rien pour rien. Ils
         sont couverts de peaux de cerfs, & castors, qu'ils traittent
         avec les Algommequins & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, &
         farines d'iceluy.

[Note 420: Voir 1619, p. 28, note 4.]

[Note 421: _Conf_. 1619, p. 28, 29. Les détails omis ici, dans l'édition
de 1632, ont rapport au P. le Caron. Cette suppression est assez
significative, et prouve jusqu'à l'évidence que l'éditeur tenait à ne
point nuire à la cause des Pères Jésuites. Voilà pourquoi, sans doute,
le Mémoire des Récollets de 1637 insiste sur ce point d'une manière
remarquable.]

[Note 422: Champlain arriva à Carhagouha vers le 4 ou le 5 d'août. (Voir
1619, p. 28, 29.)]

[Note 423: Le P. Joseph était parti avec douze français, non pas
précisément de la rivière des Prairies, mais du saut Saint-Louis. (1619,
p. 18, 19.)]

[Note 424: Cahiagué ne peut être autre chose que le nom huron du village
que les missionnaires appelèrent plus tard Saint-Jean-Baptiste. Ce
village devait être situé vers le centre de la presqu'île entourée par
la rivière Matchidache ou Sévern. (Voir 1619, p. 20 note 4.)]

[Note 425: Il faut lire Carhagouha. (Voir 1619, p. 19.)]

[Note 426: À part Tequenonkiayé et Carhagouha, qu'il venait de visiter,
il dut passer par Scanonahenrat, Teanaustayaé, et Taenhatentaron. (Voir
1619 p. 30 note 1.)]

[Note 427: L'édition de 1640 a remis le texte de 1619: «cerises
petites.»]



         _Nostre arrivée à Cahiagué. Description de la beauté du pays:
         naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommodités que
         nous receusmes._

                              CHAPITRE VI.[428]

[Note 428: Chapitre VII de la première édition.]

         Le dix-septiesme jour d'Aoust j'arrivay à Cahiagué, ou le fus
         receu avec grande allegresse, & recognoissance de tous les
         Sauvages du pays[429]. Ils receurent nouvelles comme certaine
         nation de leurs alliez[430], qui habitent à trois bonnes
         journées plus haut que les Entouhonorons[431], ausquels[432]
         les Hiroquois font aussi la guerre, les vouloient assister en
         ceste expédition de cinq cents bons hommes, & faire alliance, &
         jurer amitié avec nous, ayans grand desir de nous voir, & que
         nous fissions la guerre tous ensemble, & tesmoignoient avoir du
         contentement de nostre cognoissance: & moy pareillement d'avoir
         trouvé ceste opportunité, pour le desir que j'avois de sçavoir
         des nouvelles de ce pays là. Ceste nation est fort belliqueuse,
         à ce que tiennent ceux de la nation des Attigouotans. Il ny a
254/910  que trois villages qui sont au milieu de plus de vingt autres,
         ausquels ils font la guerre, ne pouvans avoir de secours de
         leurs amis, d'autant qu'il faut passer par le pays des
         Chouontouarouon[433], qui est fort peuplé, ou bien faudroit
         prendre un bien grand tour de chemin.

[Note 429: _Conf_. 1619, p. 32.]

[Note 430: Les Carantouanais. (Voir 1619, p. 32, note 1.)]

[Note 431: Entouhoronons, ou Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 33, note 1.)]

[Note 432: Auxquels alliés. (Voir 1619, p. 33, note 2.)]

[Note 433: Ou Sountouaronon, Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 34, note 1.)]

         Arrivé que je fus en ce village, où il me convint sejourner,
         attendant que les hommes de guerre vinsent des villages
         circonvoisins, pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit
         possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins &
         dances, pour la resjouissance en laquelle ils estoient de nous
         voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme
         s'asseurans desja de la victoire.

         La plus grande partie de nos gens assemblez, nous partismes du
         village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord
         d'un petit lac[434], distant dudit village de trois lieues, où
         il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent
         pour l'hyver. Il y a un autre lac[435] tout joignant, qui a 26
         lieues de circuit, descendant dans le petit par un endroit où
         se fait la grande pesche dudit poisson, par le moyen de
         quantité de pallissades, qui ferment presque le destroit, y
         lainant seulement de petites ouvertures où ils mettent leurs
         filets, où le poisson se prend, & ces deux lacs se deschargent
         dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu en ce lieu
         pour attendre le reste de nos Sauvages, où estans tous
         assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires, on
255/911  se délibéra de choisir des hommes des plus resolus qui je
         trouveroient en la troupe, pour aller donner advis de nostre
         partement à ceux qui nous devoient assister de cinq cents
         hommes pour nous joindre, afin qu'en un mesme temps nous nous
         trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste délibération
         prinse, ils depescherent deux canaux, avec douze Sauvages des
         plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchemens[436],
         qui me pria luy permettre faire le voyage, ce que je luy
         accorday facilement, puis qu'il en avoit la volonté, & par ce
         moyen verroit leur pays, & recognoistroit[437] les peuples qui
         y habitent. Le danger n'estoit pas petit, dautant qu'il falloit
         passer par le milieu des ennemis. Nous continuasmes nostre
         chemin vers les ennemis, & fismes environ cinq à six lieues
         dans ces lacs [438], & de là les Sauvages portèrent leurs
         canaux environ dix lieues par terre, & rencontrasmes un autre
         lac[439] de l'estendue de six à sept lieues de long, & trois de
         large. C'est d'où sort une riviere[440] qui se va descharger
         dans le grand lac des Entouhoronons[441]. Et ayans traversé ce
         lac, nous passasmes un sault d'eau, continuant le cours de
         ladite riviere, tousjours à val, environ soixante-quatre
         lieues, qui est l'entrée dudit val [442] des Entouhonorons, &
         passasmes cinq sauts par terre, les uns de quatre à cinq lieues
256/912  de long, où y a plusieurs lacs qui sont d'assez belle estendue;
         comme aussi ladite riviere qui passe parmy, est fort abondante
         en bons poissons, & est tout ce pays fort beau & plaisant. Le
         long du rivage il semble que les arbres y ayent esté plantez
         par plaisir en la pluspart des endroits: aussi que tous ces
         pays ont esté autrefois habitez de Sauvages, qui depuis ont
         esté contraints de l'abandonner, pour la crainte de leurs
         ennemis. Les vignes & noyers y sont en grande quantité, & les
         raisins y viennent à maturité, mais il y reste tousjours une
         aigreur acre, ce qui provient à faute d'estre cultivez: car ce
         qui est deserté en ces lieux est assez agréable.

[Note 434: Le lac Couchichine. (Voir 1619, p. 34, note 2.)]

[Note 435: Le lac Simcoe. (Voir 1619, p. 34, note 3.)]

[Note 436: Étienne Brûlé, (Voir 1619, pages 35 et 133.)]

[Note 437: L'édition de 1640 porte: recognoistre.]

[Note 438: La traverse du lac Simcoe de l'ouest à l'est est d'environ
cinq lieues.]

[Note 439: Le lac à l'Éturgeon _(Sturgem lake)_. (Voir 1619, p. 35,
note 3.)]

[Note 440: La rivière Otonabi, qui, au-dessous du lac au Riz, prend le
nom de Trent, et se jette dans la baie de Quinté.]

[Note 441: Le lac Ontario.]

[Note 442: Lisez: lac.]

         La chasse des cerfs & des ours y est fort fréquente. Nous y
         chassasmes, & en prismes bon nombre en descendant. Pour ce
         faire, ils se mettoient quatre ou cinq cents Sauvages en haye
         dans le bois, jusques à ce qu'ils eussent attaint certaines
         pointes qui donnent dans la riviere, & puis marchans par ordre
         ayans l'arc & la flesche en la main, en criant & menant un
         grand bruit pour estonner les bestes, ils vont tousjours
         jusques à ce qu'ils viennent au bout de la pointe. Or tous les
         animaux qui se trouvent entre la pointe & les chasseurs, sont
         contraints de se jetter à l'eau, sinon qu'ils passent à la
         mercy des flesches qui leur sont tirées par les chasseurs, &
         cependant les Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis
         exprés sur le bord du rivage, s'approchent des cerfs, & autres
         animaux chassez & harassez, & fort estonnez. Lors les chasseurs
         les tuent facilement avec des lames d'espées emmanchées au bout
         d'un bois, en façon de demie pique, & font ainsi leur chasse;
257/913  comme aussi au semblable dans les isles, où il y en a à
         quantité. Je prenois un singulier plaisir à les voir ainsi
         chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tué beaucoup de
         coups d'harquebuze, dont ils s'estonnoient fort. Mais il
         arriva par malheur qu'en tirant sur un cerf, un Sauvage se
         rencontra devant le coup, & fut blessé d'une harquebuzade, n'y
         pensant nullement, comme il est à presupposer, dont il
         s'ensuivit une grande rumeur entre eux, qui neantmoins
         s'appaisa, en donnant quelques presens au blessé, qui est la
         façon ordinaire pour appaiser & amortir les querelles. Et où le
         blessé decederoit, on fait les presens & dons aux parens de
         celuy qui aura esté tué. Pour le gibbier, il y est en grande
         quantité lors de la saison. Il y a aussi force grues blanches
         comme les cygnes, & plusieurs autres especes d'oiseaux
         semblables à ceux de France.

         Nous fusmes à petites journées jusques sur le bord du lac des
         Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, où
         estans, nous fismes la traverse[443] en l'un des bouts, tirant
         à l'Orient, qui est l'entrée de la grande riviere Sainct
         Laurent, par la hauteur de quarante-trois degrez[444] de
         latitude, où il y a de belles isles fort grandes en ce passage.
         Nous fismes environ quatorze lieues pour passer jusques à
         l'autre costé du lac, tirant au sud, vers les terres des
         ennemis. Les Sauvages cachèrent tous leurs canaux dans les
         bois, proches du rivage. Nous fismes par terre environ 4 lieues
258/914  sur une playe de sable, où je remarquay un pays fort agréable &
         beau, traversé de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites
         rivieres[445] qui se deschargent audit lac, & force estangs &
         prairies, où il y avoit un nombre infiny de gibbier, force
         vignes & beaux bois, grand nombre de chastaigniers, dont le
         fruict estoit encore en son escorce, qui est fort petit, mais
         d'un bon goust. Tous les canaux estans ainsi cachez, nous
         laissasmes le rivage du lac, qui a 80 lieues de long, & 25 de
         large[446]; la plus grande partie duquel est habité de Sauvages
         sur les costes des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre
         chemin par terre 25 à 30 lieues. Durant quatre journées nous
         traversasmes quantité de ruisseaux, & une riviere[447],
         procédante d'un lac[448] qui se descharge dans celuy des
         Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de
         circuit, où il y a de belles isles, & est le lieu où les
         Hiroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui y est en
         abondance.

[Note 443: De la baie de Quinté à la pointe à la Traverse, aujourd'hui
_Stoney point_, (Voir 1619, p. 38, note 2.)]

[Note 444: Quarante-quatre degrés et quelques minutes.]

[Note 445: Probablement la rivière des Sables et la rivière à la Famine
(dont on a fait _Salmon river._)]

[Note 446: Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, et
dix-sept ou dix-huit de large.]

[Note 447: La rivière Chouaguen, ou Ochouaguen. Les Anglais disent
_Oswego_.]

[Note 448: Le lac des Onneyouts, appelé encore aujourd'hui _Oneida_.]

         Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allans pour descouvrir,
         rencontrèrent unze Sauvages qu'ils prindrent prisonniers, à
         sçavoir 4. femmes, trois garçons, une fille, & trois hommes,
         qui alloient à la pesche de poisson, esloignez du fort des
         ennemis de 4 lieues. Or est à noter que l'un des chefs voyant
         ces prisonniers, coupa le doigt à une de ces pauvres femmes
         pour commencer leur supplice ordinaire. Sur quoy je survins sur
         ces entrefaites, & blasmay le Capitaine Hiroquet, luy
259/915  representant que ce n'estoit l'acte d'un homme de guerre,
         comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les
         femmes, qui n'ont defense aucune que les pleurs, lesquelles à
         cause de leur imbécillité & foiblesse, on doit traitter
         humainement. Mais au contraire qu'on jugeroit cet acte
         provenir d'un courage vil & brutal, & que s'il faisoit plus de
         ces cruautez, il ne me donneroit courage de les assister, ny
         favoriser en leur guerre[449]. A quoy il me répliqua pour toute
         response, que leurs ennemis les traittoient de mesme façon.
         Mais puis que ceste façon m'apportoit du desplaisir, il ne
         feroit plus rien aux femmes, mais bien aux hommes.

[Note 449: Cette remontrance, pleine de courage et dictée par un profond
sentiment d'humanité, est une preuve entre mille que Champlain ne
s'était pas joint aux sauvages alliés pour faire un «usage meurtrier des
armes à feu contre les Iroquois,» comme l'avance l'auteur de l'_Histoire
de la Colonie Française en Canada_ t. I, p. 137. Il est bien évident que
cette expédition se fit aussi régulièrement qu'il était possible de le
faire alors, et suivant les règles d'une bonne guerre.]

         Le lendemain sur les trois heures après midy nous arrivasmes
         devant le fort[450] de leurs ennemis, où les Sauvages firent
         quelques escarmouches les uns contre les autres, encores que
         nostre dessein ne fust de nous descouvrir jusques au lendemain:
         mais l'impatience de nos Sauvages ne le peut permettre, tant
         pour le desir qu'ils avoient de voir tirer sur leurs ennemis,
         comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui s'estoient par
         trop engagez. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu
         d'hommes que j'avois: neantmoins nous leur monstrasmes ce
         qu'ils n'avoient jamais veu, ny ouy. Car aussi tost qu'ils nous
         veirent, & entendirent les coups d'harquebuze, & les balles
         siffler à leurs oreilles, ils se retirèrent promptement en leur
260/916  fort, emportans leurs morts & blessez, & nous aussi
         semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec cinq ou
         six des nostres blessez, dont l'un y mourut.

[Note 450: Ce fort devait être situé vers le fond du lac de Canondaguen,
ou _Canandaiga_, dans le comté d'Ontario, état de New-York. (Voir 1619,
p. 40, note 1.)]

         Cela estant fait, nous nous retirasmes à la portée d'un canon,
         hors de la veue des ennemis, néantmoins contre mon advis, & ce
         qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut à leur user & dire des
         paroles assez rudes & fascheuses, afin de les inciter à se
         mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient
         à leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en
         pouvoit réussir que du mal à leur perte & ruine. Neantmoins je
         ne laissay pas de leur envoyer & proposer des moyens dont il
         falloit user pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un
         cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par
         dessus leurs pallisades, sur lequel on poseroit quatre ou cinq
         de nos harquebuziers, qui tireroient par dessus leurs
         pallissades & galleries qui estoient bien munies de pierres &
         par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous offensoient de
         dessus leurs galleries, & cependant nous donnerions ordre
         d'avoir des ais pour faire une manière de mantelets, pour
         couvrir & garder nos gens des coups de flesches & de pierres.
         Lesquelles choses, à sçavoir ledit cavallier, & les mantelets,
         se pourroient porter à la main à force d'hommes, & y en avoit
         un fait en telle sorte que l'eau ne pouvoit pas esteindre le
         feu, que l'on appliqueroit devant le fort. Se ceux qui seroient
         sur le cavallier feroient leur devoir, avec quelques
         harquebuziers qui y seroient logez, & en ce faisant nous nous
         défendrions en sorte, qu'ils ne pourroient approcher pour
261/917  esteindre le feu que nous appliquerions à leurs clostures. Ce
         que trouvans bon, le lendemain[451] ils se mirent en besongne
         pour bastir & dresser lesdits cavalliers & mantelets, & firent
         telle diligence, qu'ils furent faits en moins de quatre heures.
         Ils esperoient que ledit jour les cinq cents hommes promis
         viendroient, desquels neantmoins on se doutoit, parce que ne
         s'estans point trouvez au rendez-vous, comme on leur avoit
         donné charge, & l'avoient promis, cela affligeoit fort nos
         Sauvages. Mais voyans qu'ils estoient bon nombre pour prendre
         leur fort, & jugeant de ma part que la longueur en toutes
         affaires est tousjours prejudiciable, du moins à beaucoup de
         choses, je les pressay d'attaquer led. fort, leur remonstrant
         que les ennemis ayans recogneu leurs forces, & l'effect de nos
         armes, qui perçoient ce qui estoit à l'espreuve des flesches,
         ils se seroient barricadez & couverts, comme de faict ils y
         remédièrent fort bien: car leur village estoit enclos de quatre
         bonnes pallissades de grosses pièces de bois entrelassées les
         unes parmy les autres, où il n'y avoit pas plus de demy pied
         d'ouverture entre deux, de la hauteur de trente pieds, & les
         galeries comme en manière de parappel, qu'ils avoient garnies
         de double pièces de bois, à l'espreuve de nos harquebuzes, &
         estoient proches d'un estang, où l'eau ne leur manquoit
         aucunement, avec quantité de goutieres qu'ils avoient mises
         entre deux, lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la
         mettoient par dedans à couvert pour esteindre le feu. Voilà la
         façon dont ils usent tant en leurs fortifications, qu'en leurs
262/918  defenses,& bien plus forts que les villages des Attigouautan, &
         autres.

[Note 451: Le 11 octobre.]

         Donc nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant
         porter nostre cavallier par deux cents hommes des plus forts,
         qui le poserent devant à la longueur d'une pique, où je fis
         monter quatre[452] harquebuziers, bien à couvert des flesches &
         pierres qui leur pouvoient estre tirées & jettées. Cependant
         l'ennemy ne laissa pour cela de tirer & jetter grand nombre de
         flesches & de pierres par dessus leurs pallissades. Mais la
         multitude des coups d'harquebuze qu'on leur tiroit, les
         contraignit de desloger, & d'abandonner leurs galeries. Et
         comme on portoit le cavallier, au lieu d'apporter les mantelets
         par ordre, & celuy où nous devions mettre le feu, il les
         abandonnèrent & se mirent à crier contre leurs ennemis, en
         tirant des coups de flesches dedans le fort, qui (à mon
         opinion) ne faisoient pas beaucoup d'exécution. Il les faut
         excuser, car ce ne sont pas gens de guerre, & d'ailleurs ils ne
         veulent point de discipline, ny de correction, & ne font que ce
         qui leur semble bon. C'est pour quoy inconsiderément un mit le
         feu contre le fort tout au rebours de bien, & contre le vent,
         tellement qu'il ne fit aucun effect. Le feu passé, la plus-part
         des Sauvages commencèrent à apporter du bois contre les
         pallissades, mais en si petite quantité, que le feu ne fit
         grand effect aussi le désordre qui survint entre ce peuple fut
         si grand, qu'on ne se pouvoit entendre. J'avois beau crier
         après eux, & leur remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible,
263/919  le danger où ils se mettoient par leur mauvaise intelligence,
         mais ils n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils
         faisoient. Et voyant que c'estoit me rompre la teste de crier,
         & que mes remonstrances estoient vaines, & n'y avoit moyen de
         remédier à ce désordre, je me resolus avec mes gens de faire
         ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous pourrions
         descouvrir, & appercevoir. Cependant les ennemis faisoient
         profit de nostre désordre: ils alloient à l'eau, & en
         jettoient en telle abondance, qu'on eust dit que c'estoient
         ruisseaux qui tomboient par leurs goutieres, tellement qu'en
         moins de rien le feu fut du tout esteint, & ne cessoient de
         tirer plusieurs coups de flesches, qui tomboient sur nous
         comme gresle. Ceux qui estoient sur le cavallier en tuèrent &
         estropierent beaucoup. Nous fusmes en ce combat environ trois
         heures. Il y eut deux de nos Chefs, & des principaux blessez,
         à sçavoir un appelle Ochateguain, l'autre Orani, & environ
         quinze d'autres particuliers. Les autres de leur costé voyans
         leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, commencèrent
         à parler de retraitte sans plus combattre, attendant les cinq
         cents hommes[453], qui ne devoient plus gueres tarder à venir,
         & ainsi se retirèrent, n'ayans que ceste boutade de désordre.
         Au reste, les Chefs n'ont point de commandement absolu sur
         leurs compagnons, qui suivent leur volonté, & font à leur
         fantaisie, qui est la cause de leur désordre, & qui ruine
         toutes leurs affaires. Car ayans resolu quelque chose
         entr'eux, il ne faudra qu'un belistre, pour rompre leur
         resolution, & faire un nouveau dessein. Ainsi les uns pour les
264/920  autres ils ne font rien, comme il se peut voir par ceste
         expédition.

[Note 452: _Conf_. Éd. 1619, p. 43.]

[Note 453: Les Carantouanais, qui arrivèrent deux jours trop tard. (Voir
1619, p. 135.)]

         Ayant esté blessé de deux coups de flesche, l'un dans la jambe,
         & l'autre au genouil, qui m'apporta une grande incommodité,
         nous nous retirasmes en nostre fort. Où estans tous assemblez,
         je leur fis plusieurs remonstrances sur le desordre qui
         s'estoit passe, mais tous mes discours ne servirent de rien, &
         ne les esmeut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens
         avoient esté blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit
         beaucoup de fatigue & d'incommodité aux autres faisant la
         retraite, pour les porter. Que de retourner plus contre leurs
         ennemis, comme je leur proposois, il n'y avoit aucun moyen:
         mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq
         cents hommes qui devoient venir, & estans venus, ils feroient
         encores un second effort contre leurs ennemis, & executeroient
         mieux ce que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le
         passé. Il en fallut demeurer là, à mon grand regret. Cy devant
         est representé comme ils fortifient leurs villes, & par ceste
         figure l'on peut entendre & voir, que celles des amis & ennemis
         sont semblablement fortifiées.

         Le lendemain[454] il fit un vent fort impétueux qui dura deux
         jours, grandement favorable à mettre derechef le feu au fort
         des ennemis; sur quoy je les pressay fort: mais craignans
         d'avoir pis, & d'ailleurs se representans leurs blessez, cela
         fut cause qu'ils n'en voulurent rien faire.

[Note 454: Le 12 octobre.]

265/921  Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, où durant ce temps
         il se fit quelques escarmouches entre les ennemis & les
         nostres, qui demeuroient le plus souvent engagez parmy eux,
         plustost par leur imprudence, que faute de courage; & vous
         puis certifier qu'il nous falloit à toutes les fois qu'ils
         alloient à la charge, les aller desgager de la presse, ne se
         pouvans retirer qu'en faveur de nos harquebuzades, que les
         ennemis redoutoient & apprehendoient fort. Car si tost qu'ils
         appercevoient quelqu'un de nos harquebuziers, ils se
         retiroient promptement, nous disans par forme de persuasion,
         que nous ne nous meslassions point en leurs combats, & que
         leurs ennemis avoient bien peu de courage de nous requérir de
         les assister, avec tout plein d'autres discours sur ce sujet.

         Voyant que les cinq cents hommes ne venoient point, ils
         délibérèrent de partir, & faire retraite au plustost, &
         commencèrent à faire certains paniers pour porter les blessez,
         qui sont mis là dedans, entassez en un monceau, pliez &
         garrotez de telle façon, qu'il est impossible de se mouvoir,
         moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas sans leur
         faire ressentir de grandes douleurs. Je le puis certifier,
         ayant esté porté quelques jours sur le dos de l'un de nos
         Sauvages ainsi lié & garroté, ce qui me faisoit perdre
         patience. Aussi tost que je peux avoir la force de me
         soustenir, je sortis de ceste prison, ou à mieux dire, de la
         géhenne.

         Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue de loin,
         pour essayer d'attraper quelques-uns de ceux qui faisoient
         l'arrière-garde: mais leurs peines furent inutiles, & se
         retirèrent.

266/922  Tout ce que j'ay remarqué de bon en leur guerre, est qu'ils
         font leur retraite fort seurement, mettans tous les blessez &
         les vieux au milieu d'eux, estans sur le devant, aux
         aisselles[455], & sur le derrière bien armez, & arrangez par
         ordre de la façon, jusques à ce qu'ils soient en lieu de
         seureté, sans rompre leur ordre. Leur retraite estoit fort
         longue, comme de 25 à 30 lieues, qui donna beaucoup de fatigue
         aux blessez, & à ceux qui les portoient, encores qu'ils se
         changeassent de temps en temps.

[Note 455: _Aux aisles_. Étant bien armés sur le devant, aux ailes et sur le derrière.]

         Le 18 dudit mois il tomba force neiges, qui durerent fort peu,
         avec un grand vent, qui nous incommoda fort: neantmoins nous
         fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudit lac des
         Entouhonorons, & au lieu où estoient nos canaux cachez, que
         l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les
         ennemis les eussent rompus. Estans tous assemblez, & prests de
         se retirer à leur village, je les priay de me remener à nostre
         habitation; ce qu'ils ne voulurent m'accorder du commencement:
         mais en fin ils s'y resolurent, & cherchèrent 4 hommes pour me
         conduire, lesquels s'offrirent volontairement. Car (comme j'ay
         dit cy-dessus) les Chefs n'ont point de commandement sur leurs
         compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce
         qu'ils voudroient bien. Ces 4 hommes estans prests, il ne se
         trouva point de canau, chacun ayant affaire du sien. Ce
         n'estoit pas me donner sujet de contentement, au contraire cela
         m'affligeoit, fort, d'autant qu'ils m'avoient promis de me
         remener & conduire après leur guerre, à nostre habitation:
267/923  outre que j'estois fort mal accommodé pour hyverner avec eux,
         car autrement je ne m'en fusse pas soucié. Quelques jours après
         j'apperceus que leur dessein estoit de me retenir, & mes
         compagnons aussi, tant pour leur seureté, craignans leurs
         ennemis, que pour entendre ce qui se passoit en leurs conseils
         & assemblées, que pour resoudre ce qu'il convenoit faire à
         l'advenir.

         Le lendemain 28 dudit mois, chacun commença à se préparer, les
         uns pour aller à la chasse des cerfs, les autres aux ours,
         castors, autres à la pesche du poisson, autres à se retirer en
         leurs villages. Et pour ma retraite & logement, il y eut un des
         principaux Chefs appelle Darontal[456], avec lequel j'avois
         quelque familiarité, qui me fit offre de sa cabanne, vivres, &
         commoditez, lequel prit aussi le chemin de la chasse du cerf,
         qui est tenue pour la plus noble entr'eux. Après avoir traversé
         le bout du lac de ladite isle[457], nous entrasmes dans une
         riviere[458] environ 12 lieues, puis ils portèrent leurs canaux
         par terre demie lieue, au bout de laquelle nous entrasmes en un
         lac qui a d'estendue 10 à 12 lieues de circuit, ou il y avoit
         grande quantité de gibbier, comme cygnes, grues blanches,
         outardes, canards, sarcelles, mauvis, allouettes, beccassines,
         oyes, & plusieurs autres sortes de vollatilles que l'on ne peut
         nombrer, dont j'en tuay bon nombre, qui nous servit bien,
         attendant la prise de quelque cerf, auquel lieu nous fusmes en
268/924  un certain endroit esloigné de dix lieues, où nos Sauvages
         jugeoient qu'il y en avoit quantité. Ils s'assemblerent 25
         Sauvages, & se mirent à bastir deux ou trois cabannes de
         pièces de bois, accommodées les unes sur les autres, & les
         calfeutrèrent avec de la mousse, pour empescher que l'air n'y
         entrast, les couvrant d'escorces d'arbres. Ce qu'estant fait,
         ils furent dans le bois, proche d'une petites sapiniere, où
         ils firent un clos en forme de triangle, fermé des deux
         costez, ouvert par l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes
         pallissades de bois fort pressé, de la hauteur de 8 à 9 pieds,
         & de long de chacun costé prés de mil cinq cents pas; au bout
         duquel triangle y a un petit clos, qui va tousjours en
         diminuant, couvert en partie de branchages, y laissant
         seulement une ouverture de cinq pieds, comme la largeur d'un
         moyen portail, par où les cerfs devoient entrer. Ils firent si
         bien, qu'en moins de dix jours ils mirent leur clos en estat.
         Cependant d'autres Sauvages alloient à la pesche du poisson,
         comme truites & brochets de grandeur monstrueuse, qui ne nous
         manquèrent en aucune façon. Toutes choses estans faites, ils
         partirent demie heure devant le jour pour aller dans le bois,
         à quelque demie lieue de leurdit clos, s'esloignant les uns
         des autres de quatre vingts pas, ayant chacun deux bastons,
         desquels ils frapent l'un sur l'autre, marchant au petit pas
         en cet ordre, jusques à ce qu'ils arrivent à leur clos. Les
         cerfs oyans ce bruit s'enfuyent devant eux, jusques à ce
         qu'ils arrivent au clos, où les Sauvages les pressent d'aller,
         & se joignent peu à peu vers l'ouverture de leur triangle, où
269/925  les cerfs coulent le long desdites pallissades, jusques à ce
         qu'ils arrivent au bout, où les Sauvages les poursuivent
         vivement, ayant l'arc & la flesche en main, prests à descocher,
         & estant au bout de leurdit triangle ils commencent à crier, &
         contrefaire les loups, dont y a quantité, qui mangent les
         cerfs: lesquels oyans ce bruit effroyable, sont contraints
         d'entrer en la retraitte par la petite ouverture, où ils sont
         poursuivis fort vivement à coups de flesches, & là sont pris
         aisément: car cette retraitte est si bien close & fermée,
         qu'ils n'en peuvent sortir. Il y a un grand plaisir en ceste
         chasse, qu'ils continuoient de deux jours en deux jours, si
         bien qu'en trente-huict jours[459] ils en prirent six vingts,
         desquels ils se donnent bonne curée, reservans la graine pour
         l'hyver, & en usent comme nous faisons du beurre, & quelque peu
         de chair qu'ils emportent à leurs maisons, pour faire des
         festins entr'eux, & des peaux ils en font des habits.

[Note 456: Voir 1619, p. 49, note 1.]

[Note 457: Voir 1619, p. 49, note 2.]

[Note 458: Probablement celle de Cataracoui. (Voir 1619, p. 50, note
1.)]

[Note 459: Du 28 octobre au 4 décembre.]

         Ils ont d'autres inventions à prendre les cerfs, comme au
         piège, dont ils en font mourir beaucoup, ainsi que voyez
         cy-devant dépeinte la forme de leur chasse, clos, & pièges.
         Voila comme nous passasmes le temps attendant la gelée, pour
         retourner plus aisément, d'autant que le pays est grandement
         marescageux.

         Au commencement que nous sortismes pour aller chasser, je
         m'engageay tellement dans les bois à poursuivre un certain
         oiseau, qui me sembloit estrange, ayant le bec approchant d'un
         perroquet, & de la grosseur d'une poulie, le tout jaulne, fors
270/926  la teste rouge, & les aisles bleues, & alloit de vol en vol
         comme une perdrix. Le desir que l'avois de le tuer me le fit
         poursuivre d'arbre en arbre fort long temps, jusques à ce qu'il
         s'envolla. Et perdant toute esperance, je voulus retourner sur
         mes brisées, où je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui
         avoient tousjours gaigné pays jusques à leur clos: & taschant
         de les attraper, allant ce me sembloit droit où estoit ledit
         clos, je m'esgaray parmy les forests, allant tantost d'un
         costé, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, & la
         nuict survenant, je la passay au pied d'un grand arbre. Le
         lendemain je commençay à faire chemin jusques sur les 3 heures
         du soir, où je rencontray un petit estang dormant, & y
         apperceus du gibbier, & tuay trois ou quatre oiseaux. Las &
         recreu je commençay à me reposer, & faire cuire ces oiseaux
         dont je me repeus. Mon repas pris, je pensay à par-moy ce que
         je devois faire, priant Dieu qu'il luy pleust m'assister en
         mon infortune dans ces deserts, car trois tours durant il ne
         fit que de la pluye entre-meslée de nege.

         Remettant le tout en sa misericorde, je repris courage plus que
         devant, allant ça & là tout le jour sans appercevoir aucune
         trace ou sentier que celuy des bestes sauvages, dont j'en
         voyois ordinairement bon nombre, & passay ainsi la nuict sans
         aucune consolation. L'aube du jour venu (après avoir un peu
         repeu) je pris resolution de trouver quelque ruisseau, & le
         costoyer, jugeant qu'il falloit de necessité qu'il s'allast
         descharger en la riviere, ou sur le bord où estoient nos
         chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay si bien, que
         sur le midy se me trouvay sur le bord d'un petit lac, comme de
271/927  lieue & demie, où l'y tuay quelque gibbier, qui m'accommoda
         fort, & avois encores huict à dix charges de poudre. Marchant
         le long de la rive de ce lac pour voir où il deschargeoit, je
         trouvay un ruisseau assez spacieux, que je suivis jusques sur
         les cinq heures du soir, que j'entendis un grand bruit: &
         prestant l'oreille, je ne peus comprendre ce que c'estoit,
         jusques à ce que j'entendis ce bruit plus clairement, & jugeay
         que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois.
         M'approchant de plus prés, j'apperceus une escluse, où estant
         parvenu, je me rencontray en un pré fort grand & spacieux, où
         il y avoit grand nombre de bestes sauvages. Et regardant à la
         main droite, je veis la riviere large & spacieuse. Desirant
         recognoistre cet endroit, & marchant en ce pré, je me
         rencontray en un petit sentier, où les Sauvages portent leurs
         canaux. Ayant bien consideré ce lieu, je recogneus que c'estoit
         la mesme riviere, & que j'avois passée par là. Bien aise de
         cecy, je soupay de si peu que j'avois, & couchay là la nuict.
         Le matin venu, considerant le lieu où j'estois, je jugeay par
         certaines montagnes qui sont sur le bord de ladite riviere, que
         je ne m'estois point trompé, & que nos chasseurs devoient estre
         au dessus de moy de quatre ou cinq bonnes lieues, que je fis à
         mon aise, costoyant le bord de lad. riviere, jusques à ce que
         j'apperceus la fumée de nosd. chasseurs: auquel lieu j'arrivay
         avec beaucoup de contentement, tant de moy, que de deux[460]
         qui me cerchoient, & avoient perdu esperance de me revoir, & me
272/928  prièrent de ne m'escarter plus d'eux, ou que je portasse mon
         cadran sur moy, lequel j'avois oublié, qui m'eust peu remettre
         en mon chemin. Ils me disoient: _Si tu ne fusses venu, & que
         nous n'eussions peu te trouver, nous ne serions plus allez aux
         François, de peur qu'ils ne nous eussent accusez de t'avoir
         fait mourir._ Du depuis Darontal estoit fort soigneux de moy
         quand j'allois à la chasse, me donnant toujours un Sauvage pour
         m'accompagner. Retournant à mon propos, ils ont une certaine
         resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils
         faisoient rostir de la viande prise en ceste façon, ou qu'il
         tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y fussent
         jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de cerfs, & pour ce
         sujet me prioient de n'en point faire rostir. Pour ne les
         scandaliser, je m'en deportois, estant devant eux: puis leur
         ayant dit que j'en avois fait rostir, ils ne me vouloient
         croire, disans que si cela eust esté, ils n'auroient pris
         aucuns cerfs, telle chose ayant esté commise.

[Note 460: _Conf_. 1619, p. 54.]



         _Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du
         petum. Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre._

                             CHAPITRE VII.[461]

[Note 461: Chapitre VIII de la première édition.]

         Le quatrième jour de Decembre nous partismes de ce lieu,
         marchant sur la riviere qui estoit gelée, & sur les lacs &
         estangs glacez, & par les bois, l'espace de dix-neuf jours, qui
273/929  n'estoit pas sans beaucoup de peine & travail, tant pour les
         Sauvages qui estoient chargez de cent livres pesant chacun
         comme de moy-mesme qui portois la pesanteur de 20 livres. Il
         est bien vray que j'estois quelquefois soulagé par nos
         Sauvages, mais nonobstant je ne laissois pas de recevoir
         beaucoup d'incommoditez. Quant à eux, pour traverser plus
         aisément les glaces, ils ont accoustumé de faire de certaines
         traînées[462] de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges,
         & les traisnent après eux sans aucune difficulté, & vont fort
         promptement. Quelques jours après il arriva un grand dégel qui
         nous tourmenta grandement: car il nous falloit passer par
         dedans des sapinieres pleines de ruisseaux, estangs, marais &
         pallus, avec quantité de boisées renversées les unes sur les
         autres, qui nous donnoit mille maux, avec des embarrassemens
         qui nous apportoient de grandes incommoditez, pour estre
         tousjours mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes
         quatre jours en cet estat, à cause qu'en la plus grande partie
         des lieux les glaces ne portoient point: & fismes tant, que
         nous arrivasmes à nostre village[463] le 23e jour dudit mois,
         où le capitaine Yroquet vint hyverner avec ses compagnons, qui
         sont Algommequins, & son fils, qu'il amena pour faire traitter
         & penser, lequel allant à la chasse avoit esté fort offensé
         d'un ours, le voulant tuer.

[Note 462: Traînes. (Voir 1619, p. 56, note 1.)]

[Note 463: Cahiagué.]

         M'estant reposé quelques jours je deliberay d'aller voir[464]
         les peuples en l'hyver, que l'esté & la guerre ne m'avoient peu
274/930  permettre de visiter. Je partis de ce village le 14[465] de
         Janvier ensuivant, après avoir remercié mon hoste du bon
         traittement qu'il m'avoit fait: & croyant ne le revoir de trois
         mois, je prins congé de luy. Menant avec moy quelques
         François[466], je m'acheminay à la nation du petum[467], où
         j'arrivay le 17 dudit mois de Janvier. Ces peuples sement le
         maïs, appellé par deçà bled de Turquie, & ont leur demeure
         arrestée comme les autres. Nous fusmes en sept autres villages
         leurs voisins & alliez, avec lesquels nous contractasmes
         amitié, & nous promirent de venir un bon nombre à nostre
         habitation. Ils nous firent fort bonne chère, & nous firent
         present de chair & poisson pour faire festin, comme est leur
         coustume, où tous les peuples accouroient de toutes parts pour
         nous voir, en nous faisant mille demonstrations d'amitié, &
         nous conduisoient en la plus-part du chemin. Le pays est remply
         de costaux, & petites campagnes, qui rendent ce terroir
         agréable. Ils commençoient à bastir deux villages, par où nous
         passasmes, au milieu des bois, pour la commodité qu'ils
         trouvent d'y bastir & les enclorre. Ces peuples vivent comme
         les Attignouaatitans, & mesmes coustumes, & sont proches de la
         nation neutre, qui est puissante, qui tient une grande estendue
         de pays, à trois journées d'eux.

[Note 464: _Conf_ 1619, p. 57. Ici encore l'édition de 1632 fait une
suppression assez significative: elle ôte simplement le nom du P.
Joseph, qui, comme on sait, était récollet.]

[Note 465: Ou plutôt probablement le 4. Ici, comme dans le texte de
1619, il y a erreur quelque part; mais il nous paraît évident qu'il faut
faire la correction en cet endroit. Arrivé à Cahiagué le 23 décembre,
Champlain se repose quelques jours. Il repart pour aller rejoindre le
P. Joseph le 4 janvier; le 5, il est à Carhagouha, où il demeure avec
lui quelques jours. Le 15, ils partent ensemble pour aller visiter les
Tionnontatés, où ils arrivent le 17. Après s'être rendus chez les
Cheveux-Relevés, ils reviennent vers la mi-février.]

[Note 466: _Conf_. 1619, p. 57.]

[Note 467: Les Tionnoncatéronons.]

275/931  Après avoir visité ces peuples, nous partismes de ce lieu, &
         fusmes à une nation de Sauvages, que nous avons nommez les
         cheveux relevez[468], lesquels furent fort joyeux de nous
         revoir, avec lesquels nous fismes aussi amitié, & qui
         pareillement nous promirent de nous venir trouver, & voir à
         ladite habitation. En cet endroit[469] il m'a semblé à propos
         de les dépeindre, & faire une description de leurs pays,
         moeurs, & façons de faire. En premier lieu, ils font la guerre
         à une autre nation de Sauvages, qui s'appellent Asistagueronon,
         qui veut dire gens de feu, esloignez d'eux de dix journées. Ce
         fait, je m'informay fort particulièrement de leur pays, & des
         nations qui y habitent, quels ils sont, & en quelle quantité.
         Icelle nation sont en grand nombre, & la plus-part grands
         guerriers, chasseurs, & pescheurs. Ils ont plusieurs Chefs qui
         commandent chacun en leur contrée. La plus grand' part sement
         des bleds d'Inde, & autres. Ce sont chasseurs qui vont par
         troupes en plusieurs régions & contrées, où ils trafiquent avec
         d'autres nations esloignées de plus de quatre à cinq cents
         lieues. Ce sont les plus propres Sauvages en leurs mesnages que
         j'aye veu, & qui travaillent le plus industrieusement aux
         façons des nattes, qui sont leurs tapis de Turquie. Les femmes
         ont le corps couvert, & les hommes descouvert, sans aucune
         chose, sinon qu'une robbe de fourrure, qu'ils mettent sur leurs
         corps, qui est en façon de manteau, laquelle ils laissent
276/932  ordinairement, & principalement en esté. Les femmes & les
         filles ne sont non plus émeues de les voir de la façon, que si
         elles ne voyoient rien, qui sembleroit estrange. Elles vivent
         fort bien avec leurs maris, & ont ceste coustume que lors
         qu'elles ont leurs mois, elles se retirent d'avec leurs maris,
         ou les filles d'avec leurs pères & mères, & autres parents,
         s'en allans en de certaines maisonnettes, où elles se retirent
         pendant que le mal leur tient, sans avoir aucune compagnie
         d'hommes, lesquels leur font porter des vivres & commoditez
         jusques à leur retour, & ainsi l'on sçait celles qui les ont,
         & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens qui font de grands
         festins, & plus que les autres nations. Ils nous firent fort
         bonne chère, & nous receurent fort amiablement, & me prièrent
         fort de les assister contre leurs ennemis, qui sont sur le
         bord de la mer douce, esloignée de deux cents lieues; à quoy je
         leur dis que ce seroit pour une autre fois, n'estant accommodé
         des choses necessaires.

[Note 468: Les Andatahouats. (Voir 1619, p. 24 et 58.)]

[Note 469: _Conf_. 1619, p. 58.]

         Il y a aussi à deux ou trois journées d'iceux une autre nation
         de Sauvages, d'un costé tirant au sud, qui font grand nombre de
         petum, lesquels s'appellent la nation neutre[470], qui sont
         grand nombre de gens de guerre, qui habitent vers le midy de la
         mer douce, lesquels assistent les Cheveux relevez contre les
         gens de feu. Mais entre les Yroquois & les nostres, ils ont
         paix, & demeurent comme neutres. J'avois grand desir de voir
         ceste nation, mais ils m'en dissuaderent, disans que l'année
         précédente un des nostres en avoit tué un, estant à la guerre
277/933  des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez: nous
         representans qu'ils sont fort subjects à la vengeance, ne
         regardans point à ceux qui ont fait le coup, mais le premier
         qu'ils rencontrent de la nation, ou bien de leurs amis, ils
         leur font porter la peine, quand ils en peuvent attraper, si
         auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & avoir donné
         quelques dons & presens aux parens du defunct; qui m'empescha
         pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous
         asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun mal pour cela. Ce qui
         nous donna sujet & occasion de retourner par le mesme chemin
         que nous estions venus: & continuant mon voyage, j'allay
         trouver la nation des Pisierinij[471], qui avoient promis de me
         mener plus outre en la continuation de mes desseins &
         descouvertures: mais je fus diverty pour les nouvelles qui
         survindrent de nostre grand village, & des Algommequins, d'où
         estoit le Capitaine Yroquet, à sçavoir que ceux de la nation
         des Attignouantans avoient mis & déposé entre ses mains un
         prisonnier de nation ennemie, esperant que ledit Capitaine
         Yroquet deust exercer sur ce prisonnier la vengeance ordinaire
         entr'eux. Mais au lieu de ce, l'auroit non seulement mis en
         liberté, ains l'ayant trouvé habile, excellent chasseur, & tenu
         comme son fils, les Attignouantans seroient entrez en jalousie,
         & resolus de s'en venger: & de faict avoient disposé un homme
         pour entreprendre d'aller tuer ce prisonnier, ainsi allié qu'il
         estoit. Comme il fut exécuté en la presence des principaux de
         la nation Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de
278/934  colère, tuèrent sur le champ ce téméraire entrepreneur
         meurtrier; duquel meurtre les Attignouantans se trouvans
         offensez, & comme injuriez en ceste action, voyans un de leurs
         compagnons mort, prindrent les armes, & se transporterent aux
         tentes des Algommequins (qui viennent hyverner proche de
         leurdit village) lesquels offenserent fort ledit Capitaine
         Yroquet, qui fut blessé de deux coups de flesche; & une autre
         fois pillèrent quelques cabannes desdits Algommequins, sans
         qu'ils se peussent mettre en defense, aussi le party n'eust
         pas esté égal. Neantmoins cela, lesdits Algommequins ne furent
         pas quittes, car il leur fallut accorder, & contraints pour
         avoir la paix, de donner ausdits Attignouantans quelques
         colliers de pourceline, avec cent brasses d'icelle, ce qu'ils
         estiment de grand valeur entr'eux: & outre ce, nombre de
         chaudières & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place
         du mort. Bref ils furent en grande dissention (c'estoit
         ausdits Algommequins de souffrir patiemment ceste grande
         furie) & penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en
         seureté, nonobstant leurs presens, jusques à ce qu'ils se
         veirent en un autre estat. Ces nouvelles m'affligèrent fort,
         me representant l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant
         pour eux, que pour nous, qui estions en leur pays.

[Note 470: Les Attiouandaronk. (Voir 1619, p. 58 et 60, note 2.)]

[Note 471: _Nipissirini_, ou Nipissingues.]

         Ce fait, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand
         village, qui me solliciterent fort d'y aller, pour les mettre
         d'accord, me disans que si je n'y allois, aucuns d'eux ne
         reviendroient plus vers les François, ayans guerre avec lesdits
         Algommequins, & nous tenans pour leurs amis. Ce que voyant, je
279/935  m'acheminay au plustost, & en partant je visitay les Pisirinis
         pour sçavoir quand ils seroient prests pour le voyage du nort;
         que je trouvay rompu pour le sujet de ces querelles &
         batteries, ainsi que nostre truchement me fit entendre, & que
         ledit Capitaine Yroquet estoit venu à toutes ces nations pour
         me trouver, & m'attendre. Il les pria de se trouver à
         l'habitation des François, en mesme temps que luy, pour voir
         l'accord qui se feroit entr'eux, & les Atignouaanitans, &
         qu'ils remissent ledit voyage du nort à une autre fois. Pour
         cet effect ledit Yroquet avoit donné de la pourceline pour
         rompre ledit voyage, & nous promirent de se trouver à nostred.
         habitation au mesme temps qu'eux. Qui fut bien affligé ce fut
         moy, m'attendant bien de voir en ceste année, ce qu'en
         plusieurs autres précédentes j'avois recherché avec beaucoup de
         soing & de labeur. Ces peuples vont négocier avec d'autres qui
         se tiennent en ces parties Septentrionales, estans une bonne
         partie de ces nations en lieu fort abondant en chasses, & où il
         y a quantité de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux:
         & m'ayans figuré leur forme, j'ay jugé estre des buffles: aussi
         que la pesche du poisson y est fort abondante. Ils sont 40
         jours à faire ce voyage, tant à aller, que retourner.

         Je m'acheminay vers nostred. village le 15e jour de Fevrier,
         menant avec moy six de nos gens, où estans arrivez, les
         habitans furent fort aises, comme aussi les Algommequins, que
         j'envoyay visiter par nostre truchement[472], pour sçavoir
         comme le tout s'estoit passé tant d'une part que d'autre, n'y
280/936  ayant voulu aller pour ne leur donner ny aux uns ny aux autres
         aucun soupçon. Deux jours se passèrent pour entendre des uns &
         des autres comme le tout s'estoit passé: ce fait, les
         principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec nous, & tous
         ensemble allasmes vers les Algommequins, où estant en l'une de
         leurs cabannes, après quelques discours, ils demeurèrent
         d'accord de tenir, & avoir agréable tout ce que je dirois,
         comme arbitre sur ce sujet; & ce que je leur proposerois, ils
         le mettroient en exécution. Colligeant & recherchant la volonté
         & inclination de l'une & de l'autre partie, & jugeant qu'ils ne
         demandoient que la paix, je leur representay que le meilleur
         estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour resister plus
         facilement à leurs ennemis, & partant je les priay qu'ils ne
         m'appellassent point pour ce faire, s'ils n'avoient intention
         de future de poinct en poinct l'advis que je leur donnerois cur
         ce différend, puis qu'ils m'avoient prié d'en dire mon opinion.
         Sur quoy ils me dirent derechef, qu'ils n'avoient desiré mon
         retour à autre fin. Moy d'autre-part jugeant bien que si je ne
         les mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contents
         les uns des autres, chacun d'eux pensant avoir le meilleur
         droict, aussi qu'ils ne fussent allez à leurs cabannes, si je
         n'eusse esté avec eux, ny mesme vers les François, si je ne
         m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs
         affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois
         autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit
         tousjours bien traitté, & mal-aisément en pourrois-je trouver
281/937  un si bon, car c'estoit en luy que les Algommequins mettoient
         la faute, disans qu'il n'y avoit que luy de Capitaine qui fist
         prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une
         part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirais mon advis,
         & ce qui m'en sembleroit.

[Note 472: Voir. 1619, p. 64, note 2.]

         Voyant qu'ils remettoient le tout à ma volonté, comme à leur
         pere, & me promettans en ce faisant qu'à l'advenir je pourrois
         disposer d'eux ainsi que bon me sembleroit; je leur fis
         response que j'estois tres-aise de les voir en une si bonne
         volonté de suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit
         que pour le bien et utilité des peuples.

         D'autre costé j'estois fort affligé d'avoir entendu d'autres
         tristes nouvelles, à sçavoir la mort de l'un de leur parents &
         amis, que nous tenions comme le nostre, & que ceste mort avoit
         peu causer une grande desolation, dont il ne s'en fust ensuivy
         que guerre perpetuelles entre les uns et les autres avec
         plusieurs grand dommages, & alteration de leur amitié, et par
         consequent les François privez de leur veue & frequentation, &
         contraints d'aller chercher d'autres nations & ce d'autant que
         nous nous aimions comme freres, laissant à nostre Dieu le
         chastiment de ceux qui l'avoient merité.

         Je leur remonstray, que ces façons de faire entre deux nations,
         amis, & freres, comme ils se disoient, estoit indigne entre des
         hommes raisonnables, ains plustost que c'estoit à faire aux
         bestes brutes. D'ailleurs, qu'ils estoient assez empeschez à
         repousser leurs ennemis qui les poursuivoient, les battans le
         plus souvent, & les prenans prisonniers, jusques dans leurs
282/938  villages: lesquels voyans une telle division, & des guerres
         civiles entr'eux, se resjouiroient & en feroient leur profit, &
         les pousseroient & encourageroient à faire & exécuter de
         nouveaux desseins, sur l'esperance qu'ils auroient de voir bien
         tost leur ruine, du moins s'affoiblir par eux-mesmes, qui
         seroit le vray & facile moyen pour les vaincre & triompher
         d'eux, & se rendre les maistres de leurs contrées, n'estans
         point secourus les uns des autres. Qu'ils ne jugeoient pas le
         mal qui leur en pouvoit arriver. Que pour la mort d'un homme
         ils en mettoient dix mille en danger de mourir, & le reste de
         demeurer en perpétuelle servitude. Qu'à la vérité un homme
         estoit de grande consequence, mais qu'il falloit regarder comme
         il avoit esté tué, & considerer que ce n'estoit pas de propos
         délibéré, ny pour commencer une guerre civile parmy eux; cela
         estant trop evident que le defunct avoit premièrement orienté
         en ce que de guet-à-pens il avoit tué le prisonnier dans leurs
         cabannes, chose trop audacieusement entreprise, encores qu'il
         fust ennemy.

         Ce qui esmeut les Algommequins: car voyans un homme si
         téméraire d'avoir tué un autre en leur cabane, auquel ils
         avoient donné la liberté, & le tenoient comme un d'entr'eux,
         ils furent emportez de la promptitude, & le sang esmeu à
         quelques-uns plus qu'aux autres se seroient advancez, ne se
         pouvans contenir, ny commander à leur colère, & auroient tué
         cet homme dont est question: mais pour cela ils n'en vouloient
         nullement à toute la nation, & n'avoient dessein plus avant à
         l'encontre de cet audacieux, & qu'il avoit bien mérité ce qu'il
283/939  avoit eu, puis qu'il l'avoit luy-mesme recherché. Et
         d'ailleurs, qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se
         sentant frapé de deux coups dedans le ventre, arracha le
         cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laissé, & luy en
         donna deux coups, à ce qu'on m'avoit certifié: de façon qu'on
         ne pouvoit sçavoir au vray si c'estoient Algommequins qui
         eussent tué. Et pour monstrer aux Attigouantans que les
         Algommequins n'aimoient pas le prisonnier, & que Yroquet ne luy
         portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien, ils
         l'avoient mangé, d'autant qu'il avoit donné des coups de
         cousteau à son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais
         plustost de bestes brutes. D'ailleurs, que les Algommequins
         estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit passé, & que
         s'ils eussent pensé que telle chose fust arrivée, ils leur
         eussent donné cet Yroquois en sacrifice. D'autre part, qu'ils
         avoient recompensé icelle mort, & faute, (si ainsi il la
         falloit appeller) avec de grands presens, & deux prisonniers,
         n'ayans sujet à present de se plaindre, & qu'ils devoient se
         gouverner plus modestement en leurs deportemens envers les
         Algommequins, qui sont de leurs amis; & que puis qu'ils
         m'avoient promis toutes choses mises en délibération, je les
         priois les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit
         passé entr'eux, sans jamais plus y penser, ny se porter aucune
         haine & mauvaise volonté, & ce faisant, qu'ils nous
         obligeroient à les aimer, & les assister, comme l'avois fait
         par le passé. Et ou ils ne seroient contents de mon advis, je
         les priois de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils
284/940  pourroient à nostre habitation, où devant tous les Capitaines
         des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amitié, &
         adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs
         ennemis, à quoy il falloit penser.

         Lors ils dirent qu'ils tiendroient tout ce que je leur avois
         dit, & fort contents en apparence s'en retournèrent en leurs
         cabanes, sinon les Algommequins, qui dérogèrent pour faire
         retraitte en leur village: mais selon mon opinion ils faisoient
         demonstration de n'estre pas trop contents, d'autant qu'ils
         disoient entr'eux qu'ils ne viendroient plus hyverner en ces
         lieux. La mort de ces deux hommes leur ayant par trop
         cousté[473], je m'en retournay chez mon hoste, à qui je donnay
         le plus de courage qu'il me fut possible, afin de l'esmouvoir à
         venir à nostre habitation, & d'y amener tous ceux du pays.

[Note 473: Il est évident que ces mots doivent se rattacher à la phrase
précédente.]

         Pendant quatre mois que dura l'hyver, j'eus assez de loisir
         pour considerer leur païs, moeurs, coustumes, & façon de vivre,
         & la forme de leurs assemblées, & autres choses, que je
         descriray cy-aprés. Mais auparavant il est necessaire de parler
         de la scituation du païs[474], & contrées, tant pour ce qui
         regarde les nations, que pour les distances d'iceux. Quant à
         l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident, elle contient prés
         de quatre cents cinquante lieues de long, & deux cents par
         endroits de largeur du Midy au Septentrion, souz la hauteur de
         quarante & un degré de latitude, jusques à quarante-huict &
         quarante-neuf. Ceste terre est comme une isle, que la grande
285/941  riviere Sainct Laurent enceint, partant par plusieurs lacs de
         grande estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs
         nations, parlans divers langages, qui ont leurs demeures
         arrestées, les uns[475] amateurs du labourage de la terre, &
         autres qui ne le sont pas, lesquels neantmoins ont diverses
         façons de vivre, & de moeurs, & les uns meilleurs que les
         autres. Au costé vers le nort d'icelle grande riviere tirant au
         surouest environ cent lieues par delà vers les Attigouantans,
         le pays est partie montagneux, & l'air y est assez tempéré,
         plus qu'en aucun autre lieu desdites contrées, souz la hauteur
         de quarante & un degré de latitude. Toutes ces parties &
         contrées sont abondantes en chasses, comme de cerfs, caribous,
         eslans, daims, buffles, ours, loups, castors, regnards,
         fouines, martes, & plusieurs autres especes d'animaux que nous
         n'avons pas par deçà. La pesche y est abondante en plusieurs
         sortes & especes de poisson, tant de ceux que nous avons, que
         d'autres que nous n'avons pas aux costes de France. Pour la
         chasse des oyseaux, elle y est aussi en quantité, & qui y
         viennent en leur temps & saison. Le pays est traversé de grand
         nombre de rivieres, ruisseaux & estangs, qui se deschargent
         les uns dans les autres & en leur fin aboutissent dedans le
         fleuve Sainct Laurent, & dans les lacs par où il passe. Le pays
         est fort plaisant, estant chargé de grandes & hautes forests,
         remplies de bois de pareilles especes que ceux que nous avons
         en France. Bien est-il vray qu'en plusieurs endroits il y a
         quantité de pays deserté, où ils sement des bleds d'Inde: aussi
286/942  ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, qui
         sert pour la nourriture desdits animaux. Le pays du nort de
         ceste grande riviere n'est si agréable que celuy du midy, souz
         la hauteur de quarante-sept à quarante-neuf degrez de latitude,
         remply de forts rochers en quelques endroits, à ce que j'ay peu
         voir, lesquels sont habitez de Sauvages, qui vivent errans
         parmy le pays, ne labourans & ne faisans aucune culture, du
         moins si peu que rien, & sont ambulatoires[476], estans ores en
         un lieu, & tantost en un autre, le pays y estant assez froid &
         incommode. L'estendue d'icelle terre du nort souz la hauteur de
         quarante-neuf degrez de latitude de l'Orient à l'Occident, a
         six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous
         avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles &
         grandes rivieres qui viennent de ce costé, & se deschargent
         dedans ledit fleuve, & d'autres qui (à mon opinion) se
         deschargent en la mer, par la partie & costé du nort, souz la
         hauteur de cinquante à cinquante & un degrez de latitude,
         suivant le rapport & relation que m'en ont fait ceux qui vont
         négocier, & traitter avec les peuples qui y habitent.[477]

[Note 474: _Du pays en général_, c'est-à-dire, de la Nouvelle-France.
C'est ce que n'a pas compris Sagard. (Hist. du Canada, p. 201, 202.)]

[Note 475: _Conf_. 1619, p. 69.]

[Note 476: _Conf_. édit. 1619, et 1627, _verso_ 74.]

[Note 477: 1619, p. 71, note 3.]

         Quant aux parties qui tirent plus à l'Occident, nous n'en
         pouvons sçavoir bonnement le trajet, dautant que les peuples
         n'en ont aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents
         lieues, ou plus, vers l'Occident, d'où vient ladite grande
         riviere, qui passe entre autres lieux par un lac qui contient
         prés de trente journées de leurs canaux, à sçavoir celuy
287/943  qu'avons nommé la mer douce, eu esgard à sa grande estendue,
         ayant quarante journées de canaux[478] de Sauvages, avec
         lesquels nous avons accez, qui ont guerre avec d'autres
         nations, tirant à l'Occident dudit grand lac, qui est la cause
         que nous n'en pouvons pas avoir plus ample cognoissance, sinon
         qu'ils nous ont dit par plusieurs & diverses fois, que
         quelques prisonniers de ces lieux leur ont rapporté y avoir
         des peuples semblables à nous en blancheur, ayans veu de leur
         chevelure, qui est fort blonde. Je ne puis que penser là
         dessus, sinon que ce soient gens plus civilisez qu'eux. Pour
         en bien sçavoir la vérité, il faudroit les voir, mais il faut
         de l'assistance, & n'y a que le temps & le courage de quelques
         personnes de moyens, qui puissent ou vueillent entreprendre ce
         dessein.

[Note 478: Quarante _journées de canot_ peuvent donner environ quatre
cents lieues; ce qui est à peu près la mesure de l'immense contour du
lac Huron. (Voir ci-dessus, p. 248, note 3.)]

         Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort
         peuplée, & beaucoup plus que le costé du Nort, de diverses
         nations, ayans guerre les uns contre les autres. Le pays y est
         fort agréable, beaucoup plus que le costé du Septentrion, &
         l'air plus tempéré, y ayant plusieurs especes d'arbres &
         fruicts qu'il n'y a pas au nort dudit fleuve, aussi n'est-il
         pas de tant de profit & d'utilité quant aux lieux où se font
         les traittes de pelleteries. Pour ce qui est des terres du
         costé de l'Orient, elles sont assez cogneues, d'autant que la
         grand' mer Oceane borne ces endroits là, à sçavoir les costes
         de Labrador, Terre-neufve, Cap Breton, l'Acadie, Almouchiquois,
         comme aussi des peuples qui y habitent, en ayant fait ample
         description cy-dessus.

288/944  La contrée de la nation des Attigouantan est souz la hauteur de
         44 degrez & demy de latitude, & 230 lieues de longitude à
         l'Occident[479]. Il y a 18 villages, dont 8[480] sont clos &
         fermez de pallissades de bois à triple rang, entre-lacez les
         uns dans les autres, où au dessus y a des galeries qu'ils
         garnissent de pierres & d'eau, pour ruer & esteindre le feu,
         que leurs ennemis pourroient appliquer contre. Ce pays est beau
         & plaisant, la plus-part deserté, ayant la forme & mesme
         scituation que la Bretagne, estant presque environné & enceint
         de la mer douce. Ces 18 villages (selon leur dire) sont peuplez
         de 2000 hommes de guerre, sans en ce comprendre le commun, qui
         peut faire en nombre 20000. ames[481]. Leurs cabanes sont en
         façon de tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres
         de la longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins, & six de
         large, laissant par le milieu une allée de dix à douze pieds de
         large, qui va d'un bout à l'autre. Aux deux costez y a une
         manière d'establie[482], de la hauteur de quatre pieds où ils
         couchent en esté, pour eviter l'importunité des pulces, dont
         ils ont grande quantité: & en hyver ils couchent en bas sur des
         nattes, proches du feu, pour estre plus chaudement. Ils font
         provision de bois sec, & en emplissent leurs cabanes, pour se
289/945  chauffer en hyver. Au bout d'icelles cabanes y a une espace,
         où ils conservent leurs bleds d'Inde, qu'ils mettent en de
         grandes tonnes faites d'escorces d'arbres, au milieu de leur
         logement. Il y a des bois qui sont suspendus, où ils mettent
         leurs habits, vivres, & autres choses, de peur des souris, qui
         y sont en grande quantité. En telle cabane y aura 12 feux, qui
         font 24 mesnages, où il fume à bon escient en hyver, qui fait
         que plusieurs en reçoivent de grandes incommoditez aux yeux, à
         quoy ils sont subjects, jusques à en perdre la veue sur la fin
         de leur aage, n'y ayant fenestre aucune, ny ouverture, que
         celle qui est au dessus de leurs cabanes, par où la fumée sort.
         Ils changent quelquefois leur village de dix, vingt, ou trente
         ans, & le transportent d'une, deux, ou trois lieues, d'autant
         que leur terre se lasse d'apporter du bled sans estre amendée,
         & par ainsi vont deserter en autre lieu, & aussi pour avoir le
         bois plus à commodité, s'ils ne sont contraints par leurs
         ennemis de desloger, & s'esloigner plus loin, comme ont fait
         les Antouhonorons de quelque 40 à 50 lieues. Voila la forme de
         leurs logemens, qui sont separez les uns des autres, comme de
         trois à quatre pas, pour la crainte du feu, qu'ils appréhendent
         fort.

[Note 479: _Conf_. 1619, p. 73. Cette phrase, qui d'abord, en 1619,
avait été mal lue par un typographe, est devenue, par une malheureuse
suppression, absolument inintelligible. Voici, suivant nous, ce qu'a
voulu dire l'auteur: La contrée des Attigouantan, c'est-à-dire, le pays
huron, est sous la hauteur de 44 degrés et demi, et a douze ou treize
lieues de longitude (longueur) de l'Orient à l'Occident, et dix de
latitude (largeur).]

[Note 480: L'édition de 1619, et celle de 1627 portent «six.»]

[Note 481: Les éditions de 1619 et de 1627 portent «30000.»]

[Note 482: Qu'ils appellent _endicha_.» (Sagard, Hist. du Canada, p.
248.)]

         Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse
         entr'eux qui n'en ont pas gousté de meilleure, croyans qu'il ne
         s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger &
         vivre ordinaire est le bled d'Inde, & febves du Bresil, qu'ils
         accommodent en plusieurs façons. Ils en pilent en des mortiers
         de bois, & le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la
290/946  fleur par le moyen de certains vans faits d'escorce d'arbres,
         & d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font
         premièrement bouillir un bouillon, comme le bled d'Inde, pour
         estre plus aisé à battre, & mettent le tout ensemble:
         quelquefois ils y mettent des blues, ou des framboises seches;
         autrefois des morceaux de graisse de cerf: puis ayans le tout
         destrempé avec eau tiède, ils en font des pains en forme de
         gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire souz les cendres, &
         estans cuites ils les lavent,& les enveloppent de fueilles de
         bled d'Inde, qu'ils y attachent, & mettent en l'eau bouillante,
         mais ce n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre
         sorte qu'ils appellent migan, à sçavoir, ils prennent le bled
         d'Inde pilé, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou
         trois poignées dans un pot de terre plain d'eau, le font
         bouillir, en le remuant de fois à autre, de peur qu'il ne
         brusle, ou qu'il ne se prenne au pot; puis mettent en ce pot
         un peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner
         goust audit migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font
         fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante,
         principalement en hyver, pour ne le sçavoir accommoder, ou pour
         n'en vouloir prendre la peine. Ils en font de deux especes, &
         l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de
         ce poisson, ledit migan ne sent pas mauvais, ains seulement à
         la venaison. Le tout estant cuit, ils tirent le poisson, &
         l'escrasent bien menu, ne regardans de si prés à oster les
         arestes, les escailles, ny les tripailles, comme nous faisons,
         & mettent le tout ensemble dedans le pot, qui cause le plus
291/947  souvent le mauvais goust: puis estant ainsi fait, ils en
         départent à chacun quelque portion. Ce migan est fort clair, &
         non de grande substance, comme on peut bien juger. Pour le
         regard du boire, il n'est point de besoin, estant ledit migan
         assez clair de soy-mesme. Ils ont une autre sorte de migan, à
         sçavoir, ils font greller du bled nouveau, premier qu'il soit
         à maturité, lequel ils conservent, & le font cuire entier avec
         du poisson, ou de la chair, quand ils en ont une autre façon,
         ils prennent le bled d'Inde bien sec, le font greller dans les
         cendres, puis le pilent, & le reduisent en farine, comme
         l'autre cy-devant, lequel ils conservent pour les voyages
         qu'ils entreprennent, tant d'une part que d'autre: lequel
         migan fait de ceste façon est le meilleur, à mon goust. Pour le
         faire, ils font cuire force viande & poisson, qu'ils découpent
         par morceaux, puis la mettent dans de grandes chaudières qu'ils
         emplissent d'eau, la faisant fort bouillir: ce fait, ils
         recueillent avec une cueillier la graisse de dessus, qui
         provient de la chair & poisson, puis mettent d'icelle farine
         grullée dedans, en la mouvant tousjours jusques à ce que ledit
         migan soit cuit, & rendu espois comme bouillie. Ils en donnent
         & départent à chacun un plat, avec une cueillerée de ladite
         graisse: ce qu'ils ont coustume de faire aux festins. Or est-il
         que ledit bled nouveau grullé, est grandement estimé entr'eux.
         Ils mangent aussi des febves, qu'ils font bouillir avec le gros
         de la farine grullée, y meslant un peu de graisse, & poisson.
         Les chiens sont de requeste en leurs festins, qu'ils font
         souvent les uns aux autres, principalement durant leurs
292/948  l'hyver, qu'ils sont de loisir. Que s'ils vont à la chasse aux
         cerfs, ou au poisson, ils les reservent pour faire ces festins,
         ne leur demeurant rien en leurs cabanes que le migan clair pour
         ordinaire, lequel ressemble à de la branée que l'on donne à
         manger aux pourceaux. Ils ont une autre manière de manger le
         bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par espics, &
         le mettent dans l'eau, souz la bourbe, le laissant deux ou
         trois mois en cet estat, jusques à ce qu'ils jugent qu'il soit
         pourry, puis ils l'ostent de là, & le font bouillir avec la
         viande ou poisson, puis le mangent: aussi le font-ils gruller,
         & est meilleur en ceste façon que bouilly. Il n'y a rien qui
         sente si mauvais que ce bled sortant de l'eau tout boueux, &
         neantmoins les femmes & enfans le succent, comme on fait les
         cannes de sucre, n'y ayant chose qui leur semble de meilleur
         goust, ainsi qu'ils le demonstrent. D'ordinaire ils ne font que
         deux repas le jour.

         Ils engraissent aussi des ours, qu'ils gardent deux ou trois
         ans, pour se festoyer: & ay recognu que s'ils avoient du
         bestial, ils en seroient curieux, & le conserveroient fort
         bien, leur ayant monstré la façon de le nourrir, chose qui leur
         seroit aisée, attendu qu'ils ont de bons pasturages, & en
         grande quantité, soit pour chevaux, boeufs, vaches, moutons,
         porcs, & autres especes: à faute dequoy on les juge miserables,
         comme il y a de l'apparence. Neantmoins avec toutes leurs
         miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils n'ont
         autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont plus
         asseurez que ceux qui sont errans par les forests, comme bestes
293/949  brutes, aussi mangent-ils force citrouilles, qu'ils font
         bouillir, & rostir souz les cendres. Quant à leurs habits, ils
         sont faits de plusieurs sortes & façons de diverses peaux de
         bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres
         qu'ils eschangent pour leur bled d'Inde, farines, pourcelines,
         & filets à pescher, avec les Algommequins, Piserinis, & autres
         nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrestées.
         Ils passent & accommodent assez raisonnablement les peaux,
         faisans leur brayer d'une peau de cerf moyennement grande, &
         d'une autre le bas de chausses, ce qui leur va jusques à la
         ceinture, estant fort plissé. Leurs souliers sont de peaux de
         cerfs, ours, & castors, dont ils usent en bon nombre. Plus ils
         ont une robbe de mesme fourrure, en forme de couverte, qu'ils
         portent à la façon Irlandoise, ou Egyptienne, & des manches qui
         s'attachent avec un cordon par le derrière. Voila comme ils
         sont habillez durant l'hyver, ainsi qu'il se voit en la figure
         D. Quand ils vont par la campagne, ils ceignent leur robbe
         autour du corps, mais estans à leur village, ils quittent leurs
         manches, & ne se ceignent point. Les passements de Milan pour
         enrichir leurs habits sont de colle, & de la raclure desdites
         peaux, dont ils font des bandes en plusieurs façons, ainsi
         qu'ils s'advisent, y mettans par endroits des bandes de
         peinture rouge-brun, parmy celles de colle, qui paroissent
         tousjours blancheastres, n'y perdant point leurs façons,
         quelques sales qu'elles puissent estre. Il y en a entre ces
         nations qui sont bien plus propres à passer les peaux les uns
         que les autres, & ingénieux pour inventer des compartimens à
294/950  mettre dessus leurs habits. Sur tous autres nos Montagnais &
         Algommequins y prennent plus de peine, lesquels mettent à leurs
         robbes des bandes de poil de porc-espy, qu'ils teindent en fort
         belle couleur d'escarlate. Ils tiennent ces bandes bien chères
         entr'eux, & les détachent pour les faire servir à d'autres
         robbes, quand ils en veulent changer, plus pour embellir la
         face, & avoir meilleure grâce. Quand ils se veulent bien parer,
         ils se peindent le visage de noir & rouge, qu'ils démeslent
         avec de l'huile, faite de la graine d'herbe au Soleil, ou bien
         avec de la graisse d'ours ou autres animaux. Comme aussi ils se
         teindent les cheveux, qu'ils portent les uns longs, les autres
         courts, les autres d'un costé seulement. Pour les femmes & les
         filles, elles les portent tousjours d'une mesme façon. Elles
         sont vestues comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours
         leurs robbes ceintes, qui leur viennent jusqu'au genouil. Elles
         ne sont point honteuses de monstrer leur corps, à sçavoir
         depuis la ceinture en haut, & depuis la moitié des cuisses en
         bas, ayans tousjours le reste couvert, & sont chargées de
         quantité de pourceline, tant en colliers, que chaisnes,
         qu'elles mettent devant leurs robbes, pendant à leurs
         ceintures, bracelets, & pendans d'oreilles, ayans les cheveux
         bien peignez, peints, & graissez, & ainsi s'en vont aux dances,
         ayans un touffeau de leurs cheveux par derrière, qui sont liez
         de peaux d'anguilles, qu'ils accommodent & font servir de
         cordon, où quelquefois ils attachent des platines d'un pied en
         quarré, couvertes de ladite pourceline, qui pend par derrière,
295/951  & en ceste façon vestues & habillées poupinement, elles se
         monstrent volontiers aux dances leurs pères & mères les
         envoyent, n'espargnans rien pour les embellir & parer, & puis
         asseurer avoir veu en des dances, telle fille qui avoit plus de
         douze livres de pourceline sur elle, sans les autres bagatelles
         dont elles sont chargées & atourées. Cy-contre se voit comme
         les femmes sont habillées, comme monstre F. & les filles allans
         à la dance, G. Se voit aussi comme les femmes pilent leur bled
         d'Inde, lettre H.

[Illustration relocation]

         Ces peuples sont d'une humeur assez joviale (bien qu'il y en
         aye beaucoup de complexion triste & saturnienne). Ils sont bien
         formez & proportionnez de leurs corps, y ayant des hommes forts
         & robustes. Comme aussi il y a des femmes & des filles fort
         belles & agréables, tant en la taille, couleur (bien
         qu'olivastre) qu'aux traits du visage, le tout à proportion, &
         n'ont point le sein ravalé que fort peu, si elles ne sont
         vieilles. Il s'en trouve parmy elles de fort puissantes, & de
         hauteur extraordinaire, ayans presque tout le soing de la
         maison, & du travail: car elles labourent la terre, sement le
         bled d'Inde, font la provision de bois pour l'hyver, tillent la
         chanvre, & la filent, dont du filet ils font les rets à
         pescher, & prendre le poisson, & autres choses necessaires.
         Comme aussi de faire la cueillette de leurs bleds, les serrer,
         accommoder à manger, & dresser leur mesnage. De plus, elles
         suivent leurs maris de lieu en lieu, aux champs, où elles
         servent de mulles à porter le bagage.

         Quant aux hommes, ils ne font rien qu'aller à la chasse du
296/952  cerf, & autres animaux, pescher du poisson, faire des
         cabannes, & aller à la guerre. Ces choses faites, ils vont aux
         autres nations, où ils ont de l'accez & cognoissance, pour
         traitter & faire des eschanges de ce qu'ils ont, avec ce qu'ils
         n'ont point; &  estans de retour, ils ne bougent des festins
         dances, qu'ils se font les uns aux autres, & à l'issue se
         mettent à dormir, qui est le plus beau de leur exercice.

         Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand
         une fille est en l'aage d'onze, douze, treize, quatorze, ou
         quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs, selon ses bonnes
         grâces, qui la rechercheront, & la demanderont aux père & mère,
         bien que souvent elles ne prennent pas leur contentement, fors
         celles qui sont les plus sages & mieux advisées, qui se
         souzmettent à leur volonté. Cet amoureux ou serviteur
         presentera à la fille quelques colliers, chaisnes & bracelets
         de pourceline. Si la fille a ce serviteur agréable, elle reçoit
         ce present: ce fait, il viendra coucher avec elle trois ou
         quatre nuicts sans luy dire mot, où ils recueillent le fruict
         de leurs affections. Et arrivera le plus souvent qu'après avoir
         passé huict ou quinze jours ensemble, s'ils ne se peuvent
         accorder, elle quittera son serviteur, lequel y demeurera
         engagé pour ses colliers, & autres dons par luy faits. Frustré
         de son esperance, il en recherchera une autre, & elle aussi un
         autre serviteur, & continuent ainsi jusques à une bonne
         rencontre. Il y en a telle qui aura passé ainsi sa jeunesse
         avec plusieurs maris, lesquels ne sont pas seuls en la
         jouyssance de la beste, quelques mariez qu'ils soient: car la
297/953  nuict venue, les jeunes femmes courent d'une cabane à une
         autre, comme font les jeunes hommes de leur costé, qui en
         prennent par où bon leur semble, toutesfois sans aucune
         violence, remettant le tout à la volonté de la femme. Le mary
         fera le semblable à sa voisine, sans que pour cela il y ait
         aucune jalousie entr'eux, ou peu, & n'en reçoivent aucune
         infamie, ny injure, la coustume du pays estant telle.

         Quand elles ont des enfans, les maris précédents reviennent
         vers elles, leur remonstrer l'amitié & l'affection qu'ils leur
         ont portée par le passé, & plus que nul autre, & que l'enfant
         qui naistra est à luy, & est de son faict. Un autre luy en dira
         autant; & par ainsi il est au choix & option de la femme de
         prendre & d'accepter celuy qui luy plaira le plus, ayant en ses
         amours gaigné beaucoup de pourceline. Elles demeurent avec luy
         sans plus le quitter, ou si elles le laissent, il faut que ce
         soit avec un grand sujet, autre que l'impuissance, car il est à
         l'espreuve: neantmoins estans avec ce mary, elles ne laissent
         pas de se donner carrière, mais se tiennent & resident
         tousjours au mesnage, faisans bonne mine: de façon que les
         enfans qu'ils ont ensemble ne se peuvent asseurer légitimes:
         aussi ont-ils une coustume, prevoyans ce danger qu'ils ne
         succedent jamais à leurs biens; mais font leurs héritiers &
         successeurs les enfans de leurs soeurs, desquels ils sont
         asseurez d'estre issus & sortis.

         Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans, ils les
         mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & les
         vestent & enveloppent de fourrures, ou peaux, & les bandent sur
298/954  ladite planchette: puis la dressent debout, & y laissent une
         petite ouverture par où l'enfant fait ses petites affaires. Si
         c'est une fille, ils mettent une fueille de bled d'Inde entre
         les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout
         de ladite fueille dehors, qui est renversée, & par ce moyen
         l'eau de l'enfant coule par ceste fueille, sans qu'il soit
         gasté de ses eaues. Ils mettent aussi souz les enfans du duvet
         fait de certains roseaux, que nous appelions pied de lievre,
         sur quoy ils sont couchez fort mollement, & le nettoyent du
         mesme duvet: & pour le parer, ils garnissent lad. planchette de
         patenostres, & en mettent à son col, si petit qu'il soit. La
         nuict ils les couchent tout nuds entre les peres & meres, où
         faut considérer en cela la providence de Dieu, qui les
         conserve de telle façon, sans estre estouffez, que fort
         rarement. Ces enfans sont grandement libertins, pour n'avoir
         esté chastiez, & sont de si perverse nature, qu'ils battent
         leurs pères & mères, qui est une espece de malédiction que Dieu
         leur envoye.

         Ils n'ont aucunes loix parmy eux, ny chose qui en approche, n'y
         ayant aucune correction ny reprehension à l'encontre des
         mal-faicteurs, rendans le mal pour le mal, qui est cause que
         souvent ils sont en dissentions & en guerres pour leurs
         différents.

         Comme aussi ils ne recognoissent aucune Divinité, & ne croyent
         en aucun Dieu, ny chose quelconque, vivans comme bestes brutes.
         Ils ont quelque respect au diable, ou d'un nom semblable, parce
         que souz ce mot qu'ils prononcent, sont entendues diverses
         significations, & comprend en soy plusieurs choses: de façon
299/955  que mal-aisément peut-on sçavoir & discerner s'ils entendent
         le diable, ou autre chose: mais ce qui fait croire que c'est
         le diable, est, que lors qu'ils voyent un homme faire quelque
         chose extraordinaire, ou est plus habile que le commun,
         vaillant guerrier, furieux, & hors de soy-mesme, ils
         l'appellent Oqui, comme si nous disions un grand esprit, ou un
         grand diable. Il y a de certaines personnes entr'eux qui sont
         les Oqui, ou Manitous (ainsi appeliez par les Algommequins &
         Montagnais) lesquels se meslent de guarir les malades, penser
         les blessez, & prédire les choses futures. Ils persuadent à
         leurs malades de faire, ou faire faire des festins, en
         intention d'y participer; & souz esperance d'une prompte
         guerison, leur font faire plusieurs autres cérémonies, croyans
         & tenans pour vray tout ce qu'ils leur disent.

         Ces peuples ne sont possedez du malin esprit comme d'autres
         Sauvages plus esloignez qu'eux, qui fait croire qu'ils se
         reduiroient en la cognoissance de Dieu, si leur pays estoit
         habité de personnes qui prissent la peine & le soin de les
         enseigner par bons exemples à bien vivre. Car aujourd'huy
         ont-ils desir de s'amender, demain ceste volonté leur changera,
         quand il conviendra supprimer leurs sales coustumes, la
         dissolution de leurs moeurs, & leurs incivilitez. Maintefois
         les entretenant[483] sur ce qui estoit de nostre croyance, loix
         & coustumes, ils m'escoutoient avec grande attention en leurs
         conseils, puis me disoient: _Tu dis des choses qui surpassent
         nostre esprit & nostre entendement, & que ne pouvons comprendre
300/956  par discours. Mais si tu desires que les sçachions, il est
         necessaire d'amener en ce pays femmes & enfans, afin
         qu'apprenions la façon de vivre que tu meines, comme tu adores
         ton Dieu, comme tu obéis aux loix de ton Roy, comme tu
         cultives & ensemences les terres, & nourris les animaux. Car
         voyans ces choses, nous apprendrons plus en un an, qu'en vingt,
         jugeans nostre vie miserable au prix de la tienne._ Leurs
         discours me sembloient d'un bon sens naturel, qui demonstre le
         desir qu'ils ont de cognoistre Dieu[484].

[Note 483: Conf. 1619, p. 87.]

[Note 484: _Conf_. 1619, p. 88, 89]

         Quand ils sont malades, ils envoyent quérir l'Oqui, lequel
         après s'estre enquis de leur maladie, fait venir grand nombre
         d'hommes, femmes & filles, avec trois ou quatre vieilles
         femmes, ainsi qu'il sera ordonné par ledit Oqui, lesquels
         entrent en leurs cabanes en dançant, ayans chacune une peau
         d'ours, ou d'autres bestes sur la teste, mais celle d'ours est
         la plus ordinaire, comme la plus monstrueuse, & y a deux ou
         trois autres vieilles qui sont proches du patient ou malade,
         qui l'est souvent par imagination: mais de cette maladie ils
         sont bien tost guéris, & font des festins aux despens de leurs
         parents ou amis, qui leur donnent dequoi mettre en leur
         chaudière, outre les dons & presens qu'ils reçoivent des
         danceurs & danceuses, comme de la pourceline, & autres
         bagatelles, ce qui fait qu'ils sont bien tost guéris. Car comme
         ils voyent ne plus rien esperer, ils se levent, avec ce qu'ils
         ont peu amasser: mais les autres qui sont fort malades,
         difficilement se guerissent-ils de tels jeux, dances, & façons
         de faire. Les vieilles qui sont proches du malade reçoivent les
301/957  presens, chantans chacune à son tour, puis cessent de chanter:
         & lors que tous les presens sont faits, ils commencent à lever
         leurs voix d'un mesme accord, chantans toutes ensemble, &
         frapans à mesure avec des bâtons sur des escorces seiches
         d'arbres; puis toutes les femmes & filles se mettent au bout de
         la cabanne, comme s'ils vouloient faire l'entrée d'un ballet,
         les vieilles marchans les premières avec leurs peaux d'ours sur
         leurs testes. Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont
         quelque proportion, l'une de quatre pas, & l'autre de douze,
         comme si on dançoit le trioly de Bretagne, & ont assez bonne
         grâce. Il s'y entremet souvent avec elles de jeunes hommes,
         lesquels ayans dancé une heure ou deux, les vieilles prendront
         le malade, qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra
         en dance, où estant, il dancera & s'esjouira comme les autres.

         Quelquefois le Médecin y acquiert de la réputation, de voir si
         tost son malade guery & debout: mais ceux qui sont accablez &
         languissans, meurent plustost que de recevoir guerison. Car ils
         font un tel bruit & tintamarre depuis le matin, jusques à deux
         heures de nuict, qu'il est impossible au patient de le
         supporter, sinon avec beaucoup de peine. Que s'il luy prend
         envie de faire dancer les femmes & les filles ensemble, il faut
         que ce soit par l'ordonnance de l'Oqui: car luy & le Manitou,
         accompagnez de quelques autres, font des singeries & des
         conjurations, & se tourmentent de telle façon, qu'ils sont le
         plus souvent hors d'eux-mesmes, comme fols & insensez, jettans
         le feu par la cabanne d'un costé & d'autre, mangeans des
302/958  charbons ardans (les ayans tenus un espace de temps en leurs
         mains) puis jettent des cendres toutes rouges sur les yeux des
         spectateurs. L'on diroit les voyant de la sorte, que le diable
         Oqui, ou Manitou (si ainsi les faut appeller) les possedent, &
         les font tourmenter e la sorte. Ce bruit & tintamarre ainsi
         fait, ils se retirent chacun chez soy: mais les femmes de ces
         possedez & ceux de leurs cabanes sont en grande crainte, qu'ils
         ne bruslent tout ce qui est dedans, qui fait qu'ils ostent tout
         ce qui y est. Car lors qu'ils arrivent, ils viennent tout
         furieux, les yeux estincellans & effroyables, tantost debout, &
         tantost assis, ainsi que la fantaisie les prend, & empoignans
         tout ce qu'ils trouvent & rencontrent, le jettent d'un costé &
         d'autre, puis se couchent & dorment quelque espace de temps, &
         se reveillans comme en sursault, ils prennent du feu & des
         pierres, qu'ils jettent de toutes parts, sans aucun égard.
         Cette furie se passe par le sommeil qui les reprend, puis
         venans à suer, ils appellent leurs amis pour suer avec eux,
         croyans estre le vray remede pour recouvrer leur sante. Ils se
         couvrent de leurs robbes, & de grandes escorces d'arbres, ayans
         au milieu d'eux quantité de cailloux qu'ils font rougir au feu,
         chantans tousjours durant qu'ils suent. Et d'autant qu'ils sont
         fort altérez, ils boivent grande quantité d'eau, qui est
         l'occasion que de fols ils deviennent sages. Il arrive par
         rencontre, plustost que par science, que trois ou quatre de ces
         malades se portent bien, ce qui leur confirme leur fausse
         croyance d'avoir esté guéris par le moyen de ces cérémonies,
         sans considerer qu'il en meurt dix autres.

303/959  Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, & marchent
         sur les mains & pieds comme bestes, mais elles ne font tant de
         mal. Ce que voyant l'Oqui, il commence à chanter, puis faisant
         quelques mines il la soufflera, luy ordonnant à boire de
         certaines eaues, & qu'elle face un festin, soit de chair, ou de
         poisson, qu'il faut trouver. La crierie faite, & le banquet
         finy, chacun se retire en sa cabane, jusques à une autre fois
         qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant avec
         plusieurs autres appellez pour cet effect, tenans en la main
         une tortue seiche remplie de petits cailloux, qu'ils font
         sonner aux oreilles du malade, luy ordonnant qu'elle face trois
         ou quatre festins tout de suitte, une partie de chanterie &
         dancerie, où toutes les filles se trouvent parées & peintes,
         avec des mascarades, & gens desguisez. Ainsi assemblez, ils
         vont chanter prés du lict de la malade, puis se promènent tout
         le long du village, cependant que le festin s'appreste & se
         prépare.

         Pour ce qui concerne leur mesnage & vivre, chacun vit de ce
         qu'il peut pescher & recueillir, ayant autant de terre comme il
         leur est necessaire. Ils la desertent avec grand' peine, pour
         n'avoir des instrumens propres pour ce faire, puis émondent les
         arbres de toutes ses branches, qu'ils bruslent au pied
         d'iceluy, pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre
         entre les arbres, puis sement leur bled de pas en pas, où ils
         mettent en chacun endroit environ dix grains, & continuent
         ainsi jusques à ce qu'ils en ayent assez pour trois ou quatre
         ans de provision, craignans qu'il ne leur arrive quelque
         mauvaise année, sterile & infructueuse.

304/960  S'il y a quelque fille qui se marie en hyver, chasque femme &
         fille est tenue de porter à la nouvelle mariée un fardeau de
         bois pour sa provision (car chaque mesnage est fourny de ce qui
         luy est necessaire) d'autant qu'elle ne le pourroit faire
         seule, & aussi qu'il convient vacquer à d'autres choses qui
         sont lors de temps & saison.

         Pour ce qui est de leur gouvernement, les anciens & principaux
         s'assemblent en un conseil, où ils décident & proposent tout ce
         qui est de besoin pour les affaires du village; ce qui se fait
         par la pluralité des voix, ou du conseil de quelques uns
         d'entr'eux, qu'ils estiment estre de bon jugement; lequel
         conseil ainsi donné, est exactement suivy. Ils n'ont point de
         Chefs particuliers qui commandent absolument, mais bien
         portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillans, qu'ils
         nomment Capitaines.

         Quant aux chastiemens ils n'en usent point, ains font le tout
         par prieres des anciens, & à force de harangues &
         remonstrances, & non autrement. Ils parlent tous en général, &
         là où il se trouve quelqu'un de l'assemblée qui s'offre de
         faire quelque chose pour le bien du village, ou aller en
         quelque part pour le service du commun, si on le juge capable
         d'exécuter ce qu'il promet, on luy remonstre & persuade par
         belles paroles qu'il est homme hardy, propre à telles
         entreprises, & qu'il y acquerra beaucoup de réputation. S'il
         veut accepter, ou réfuter ceste charge, il luy est permis, mais
         il s'en trouve peu qui la réfutent.

         Quant ils veulent entreprendre des guerres, ou aller au pays de
305/961  leurs ennemis, deux ou trois des anciens ou vaillans Capitaines
         entreprendront ceste conduitte pour ceste fois, & vont aux
         villages circonvoisins faire entendre leur volonté, en leur
         donnant des presens, pour les obliger de les accompagner. Puis
         ils délibèrent le lieu où ils veulent aller, disposant des
         prisonniers qui seront pris, & autres choses de consideration.
         S'ils font bien, ils en reçoivent de la louange, s'ils font mal
         ils en sont blasmez. Ils font des assemblées générales chacun
         an en une ville qu'ils nomment, où il vient un Ambassadeur de
         chaque Province, & là font de grands festins & dances durant un
         mois ou cinq sepmaines, selon qu'ils advisent entr'eux,
         contractans nouvelle amitié, decidans ce qu'il faut faire pour
         la conservation de leur pays, & se donnans des presens les uns
         aux autres. Cela estant fait, chacun se retire en son quartier.

         Quand quelqu'un est décédé, ils enveloppent le corps de
         fourrures, & le couvrent d'escorces d'arbres fort proprement,
         puis ils l'eslevent sur quatre pilliers, sur lesquels ils font
         une cabanne aussi couverte d'escorces d'arbres de la longueur
         du corps. Ces corps ne sont inhumez en ces lieux que pour un
         temps, comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du village
         advisent le lieu où se doivent faire leurs cérémonies, ou pour
         mieux dire, conseil général, où tous ceux du païs assistent.
         Cela fait, chacun s'en retourne à son village, prenant tous les
         ossemens des deffuncts, qu'ils nettoyent & rendent fort nets, &
         les gardent soigneusement; puis les parens & amis les prennent,
         avec leurs colliers, fourrures, haches, chaudières, & autres
306/962  choses de valeur, avec quantité de vivres qu'ils portent au
         lieu destiné, où estans tous assemblez, ils mettent ces vivres
         où ceux de ce village ordonnent, y faisans des festins & dances
         continuelles l'espace de dix jours que dure la feste, pendant
         lesquels les autres nations y accourent de toutes parts, pour
         voir les cérémonies qui s'y font, par le moyen desquelles ils
         contractent une nouvelle amitié, disans que les os de leurs
         parents & amis sont pour estre mis tous ensemble, posans une
         figure, que tout ainsi qu'ils sont assemblez en un mesme lieu,
         aussi doivent-ils estre unis en amitié & concorde, comme
         parents & amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os estans ainsi
         meslez, ils font plusieurs discours sur ce sujet, puis après
         quelques mines ou façons de faire, ils font une grande fosse,
         dans laquelle ils les jettent, avec les colliers, chaisnes de
         pourceline, haches, chaudières, lames d'espées, couteaux, &
         autres bagatelles, lesquelles ils prisent beaucoup, & couvrans
         le tout de terre, y mettent plusieurs grosses pièces de bois,
         avec quantité de piliers à l'entour & une couverture sur iceux.
         Aucuns d'eux croyent l'immortalité des âmes, disans qu'aprés
         leur deceds ils vont en un lieu où ils chantent comme les
         corbeaux.

         Reste à déclarer la forme & manière qu'ils usent en leurs
         pesches. Ils font plusieurs trous en rond sur la glace, & celuy
         par où ils doivent tirer la seine a environ cinq pieds de long,
         & trois de large, puis commencent par ceste ouverture à mettre
         leur filet, lequel ils attachent à une perche de bois de six à
         sept pieds de long, & la mettent dessouz la glace, & la font
307/963  courir de trou en trou, où un homme ou deux mettent les mains
         par iceux, prenant la perche où est attaché un bout du filet,
         jusques à ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de cinq à six
         pieds. Ce fait, ils laissent couler le rets au fonds de l'eau,
         qui va bas, par le moyen de certaines petites pierres qu'ils
         attachent au bout, & estans au fonds de l'eau, ils le retirent
         à force de bras par ses deux bouts, & ainsi amènent le poisson
         qui se trouve prins dedans.

         Après avoir discouru amplement des moeurs, coustumes,
         gouvernement, & façon de vivre de nos Sauvages, nous reciterons
         qu'estans assemblez pour venir avec nous, & reconduire à nostre
         habitation, nous partismes de leur pays le 20e jour de
         May[485], & fusmes 40 jours sur les chemins, où peschasmes
         grande quantité de poisson de plusieurs especes: comme aussi
         nous prismes plusieurs sortes d'animaux, & gibbier, qui nous
         donna un singulier plaisir, outre la commodité que nous en
         receusmes, & arrivasmes vers nos François[486] sur la fin du
         mois de Juin, où je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu
         de France avec deux vaisseaux, qui desesperoit presque de me
         revoir pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des
         Sauvages que j'estois mort.

[Note 485: Voir 1619, p. 102, note 3.]

[Note 486: Au saut Saint-Louis. (Voir plus loin.)]

         Nous veismes aussi tous les Pères Religieux, qui estoient
         demeurez à nostre habitation, lesquels furent fort contents de
         nous revoir, & nous aussi eux: puis je me disposay de partir du
         Sault Sainct Louis, pour aller à nostre habitation, menant avec
308/964  moy mon hoste Darontal. Parquoy prenant congé de tous les
         Sauvages, & les asseurant de mon affection, je leur dis que je
         les reverrois quelque jour pour les assister, comme j'avois
         fait par le passé, & leur apporterois des presens pour les
         entretenir en amitié les uns avec les autres, les priant
         d'oublier les querelles qu'ils avoient eues ensemble, lors que
         je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent faire. Nous
         partismes le 8e jour de Juillet, & arrivasmes à nostre
         habitation le 11 dudit mois, où trouvasmes chacun en bon estat,
         & tous ensemble, avec nos Pères Religieux, rendismes grâces à
         Dieu, en le remerciant du soin qu'il avoit eu de nous conserver
         & preserver de tant de périls & dangers où nous nous estions
         trouvez.

         Pendant cecy, je faisois la meilleure chère que je pouvois à
         mon hoste Darontal, lequel admirant nostre bastiment,
         comportement, & façon de vivre, me dit en particulier, Qu'il ne
         mourroit jamais content qu'il ne veist tous ses amis, ou du
         moins bonne partie, venir faire leur demeure avec nous, afin
         d'apprendre à servir Dieu, & la façon de nostre vie, qu'il
         estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur. Que ce
         qu'il ne pouvoit comprendre par le discours, il l'apprendroit
         beaucoup mieux & plus facilement par la fréquentation qu'il
         auroit avec nous[487]. Que pour l'advancement de cet oeuvre
         nous fissions une autre habitation au Sault Sainct Louys, pour
         leur donner la seureté du passage de la riviere, pour la
         crainte de leurs ennemis, & qu'aussi tost ils viendroient en
309/965  nombre à nous pour y vivre comme frères: ce que je luy promis
         faire le plustost qu'il me seroit possible. Ainsi après avoir
         demeuré 4 ou 5 jours ensemble, & luy ayant donné quelques
         honnestes dons (desquels il se contenta fort) il s'en retourna
         au Sault Sainct Louys, où ses compagnons l'attendoient[488].

[Note 487: Ici encore, dans l'édition de 1632, a été retranché comme à
dessein un passage où se trouvait mentionné le P. Joseph. (Voir 1619, p.
104.)]

[Note 488: En cet endroit, l'édition de 1619 (p. 105, et 106) renferme
de plus quelques détails sur les travaux faits à l'habitation et sur le
passage des PP. Denis et Joseph en France.]

         Pendant mon sejour à l'habitation, je fis couper du bled
         commun, à sçavoir du bled François qui y avoit esté semé,
         lequel estoit très-beau, afin d'en apporter en France, pour
         tesmoigner que ceste terre est très-bonne & fertile. Aussi y
         avoit-il du bled d'Inde fort beau, & des entes & arbres que
         nous y avions porté[489].

[Note 489: L'édition de 1632 retranche encore ici un passage important,
où il est question des Pères Récollets: «Nous estans,» dit Champlain,
«sur le point de nostre partement, nous laissasmes deux de nos Religieux
à nostre habitation, à sçavoir les Pères Jean d'Elbeau & Père
Paciffique» (P. Jean d'Olbeau et Frère Pacifique), «fort content de tout
le temps qu'ils avoient passé audit lieu, & resoulds d'y attendre le
retour du Père Joseph qui les debvoit retourner voir comme il fit
l'année suivante.» (1619, p. 107.)]

         Je m'embarquay en nos barques le 20e jour de Juillet, & arrivay
         à Tadoussac le 23e jour dudit mois, où le sieur du Pont nous
         attendoit avec son vaisseau prest & appareillé, dans lequel
         nous nous embarquasmes, & partismes le troisiesme jour du mois
         d'Aoust, & eusmes le vent si à propos que nous arrivasmes à
         Honnefleur le 10 jour de Septembre 1616, où nous rendismes
         louange & action de grâces à Dieu de nous avoir preservez de
         tant de périls & hazards où nous avions esté exposez, & de nous
         avoir ramenez en santé dans nostre patrie. A luy donc soit
         gloire & honneur à jamais. Ainsi soit-il[490].

[Note 490: _Conf_. 1619, p. 108. Ici se termine le voyage de 1615;
l'édition de 1619 renferme en outre le voyage de 1618, que l'édition de
1632 n'a pas cru devoir reproduire soit qu'on ait jugé de peu
d'importance les faits qui y sont rapportés, soit qu'on ait trouve
difficile de retrancher la part qu'y ont eue les Pères Récollets.]



310/966  Changement de Viceroy de feu M. le Mareschal de Themines, qui
         obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la nouvelle
         France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons à la
         Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux.

                           CHAPITRE VIII.[491]

[Note 491: Chapitre IV de la première édition.]

         Estant arrivé en France, nous eusmes nouvelles de la
         détention de Monseigneur le Prince[492], qui me fit juger que
         nos envieux ne tarderoient gueres à vomir leur poison, & qu'ils
         feroient ce qu'ils n'avoient osé faire auparavant: car le chef
         estant malade, les membres ne peuvent estre en santé. Aussi dés
         lors les affaires changerent de face, & firent naistre un
         nouveau Vice-roy, par l'entremise d'un certain personnage,
         lequel s'addresse au Sieur de Beaumont Maistre des Requestes,
         lequel estoit amy de Monsieur le Mareschal de Themines, qui
         donne advis de demander la charge de Lieutenant de Roy de la
         nouvelle France, pendant la détention de mond. Seigneur le
         Prince: lequel l'obtint de la Royne-mere Régente. Cet
         entremetteur va trouver Monsieur le Mareschal de Themines, luy
         fait voir que l'on donnoit un cheval de mille escus à
         Monseigneur le Prince, & qu'il en pourroit bien avoir un de
         quatre mil cinq cents livres, par les moyens qu'il luy dira,
311/967  moyennant que mond. sieur luy face quelque gratification, & le
         continue en la charge de faire les affaires de la Compagnie, &
         pouvoir estre son Secrétaire. Il luy dit qu'en consideration de
         l'advis qu'il luy avoit fait donner, & aussi pour le soin qu'il
         avoit des affaires, il le recognoistroit, comme dit est. Cela
         accordé, ledit Solliciteur dit aux associez, Qu'il avoit appris
         que Monsieur de Themines avoit l'affaire de Canada, & demandoit
         cinq cents escus davantage que les mille, d'autant qu'il y en
         avoit d'autres qui vouloient prendre ce party, & luy offroient,
         mais qu'il les vouloit préférer. Ces associez adjoustent foy à
         cecy, jusques à ce que la mesche fust descouverte par l'un des
         Secrétaires de mond. Sieur de Themines, fasché de ce que ce
         personnage emportoit ce qui luy devoit estre acquis. En ces
         entrefaites, on donne advis à Monseigneur le Prince de tout ce
         qui se passoit, qui donna charge à Monsieur Vignier de mesnager
         ceste affaire: lequel fait arrest de ce qui estoit deub à mond.
         Seign. le Prince, & que s'ils payoient à Monsieur de Themines,
         ils payeroient deux fois. Voila un procez qui s'esmeut au
         Conseil entre les associez, Monseigneur le Prince, le Sieur de
         Themines, & le Sieur de Villemenon, comme Intendant de
         l'Admirauté, qui s'y entremet pour Monseigneur de Montmorency,
         sur quelque poinct qui dependoit de la charge dudit Sieur, pour
         le bien de la Société, qui desiroit aussi que les mille escus
         fussent employez au bien du païs: chose qui eust esté
         tres-raisonnable. Ils sont tous au Conseil, & de là renvoyez à
         la Cour de Parlement. Laissons les plaider, pour aller
312/968  appareiller nos vaisseaux, qui ne perdoient temps pour aller
         secourir les hyvernans de l'habitation.

[Note 492: Le prince de Condé avait été arrêté le premier de septembre
de cette année 1616. (Mercure français, t. IV, an. 1616, p. 195 et
suiv.)]

         En ce mesme temps remonstrances furent faites à Messieurs les
         associez du peu de fruict qu'ils avoient fait cognoistre à
         advancer le progrez de l'habitation, & qu'il n'y avoit chose
         plus capable de rompre leur societé, s'ils n'y remedioient par
         quelque augmentation de faire bastir, & envoyer quelques
         familles pour défricher les terres.

         Ils se resolurent donc d'y remédier, & pour cet effect le Sieur
         de Mons desirant de voir de plus en plus fructifier ce dessein,
         met la plume à la main, fait quelques articles, par lesquels
         lad. Compagnie s'obligeoit à l'augmentation des hommes pour la
         conservation du pays, munitions de guerre, & des vivres
         necessaires pour deux ans, attendant que la terre peust
         fructifier.

         Ces articles furent mis entre les mains de Monsieur de
         Marillac, pour estre rapportez au Conseil. Voicy un bel
         acheminement sans profit: car le tout s'en alla en fumée, par
         je ne sçay quels accidents, & Dieu ne permit pas que ces
         articles eussent lieu. Neantmoins Monsieur de Marillac trouva
         tout cela juste, & s'en resjouit, grandement porté à
         l'advancement de ceste affaire.

         Pendant ces choses, je fus à Honnefleur pour aller au voyage,
         où estant, un de la compagnie, aussi malicieux, que grand
         chicaneur, appellé Boyer, comparoissant pour toute icelle
         Compagnie, me tait signifier un arrest de Messieurs de la Cour
         de Parlement, par lequel il disoit que je ne pouvois plus
313/969  prétendre l'honneur de la charge de Lieutenant de Monseigneur
         le Prince, attendu que la Cour avoit ordonné que les Seigneurs
         Prince de Condé, de Montmorency, & de Themines, sans
         prejudicier à leurs qualitez, ne pourroient recevoir aucuns
         deniers de ce qu'ils pouvoient prétendre, & defense aux
         associez de ne rien donner, sur les peines du quadruple. Tout
         cela ne me touchoit point; car ayant servy comme j'avois fait,
         ils ne me pouvoient oster ny la charge, ny moins les
         appointemens, à quoy volontairement ils s'estoient obligez lors
         que je les associay. Voila la recompense de ces Messieurs les
         associez, qui se deschargeoient sur ledit Boyer, que ce qu'il
         avoit fait estoit de son mouvement. Je protestay au contraire,
         attendant le retour de mon voyage.

         Je m'embarquay donc pour le voyage de l'an 1617. où il ne se
         pana rien de remarquable[493]. Estant de retour à Paris, je fus
         trouver mond. sieur de Themines, duquel j'avois eu la
         commission de son Lieutenant pendant la détention de mond.
         Seigneur le Prince. Il obtient lettres du Conseil de sa Majesté
         pour y faire renvoyer l'affaire, qui n'avoit pas esté jugée à
         son profit. Estant au Conseil, la Compagnie ne demande
         maintenant que la descharge de ce qu'elle doit payer, & qu'ils
         ne payent point à deux. Ordonné que l'on donnera l'argent à
         mond. sieur de Themines. Neantmoins led. sieur Vignier
         Intendant de Monseig. le Prince, dit que les Associez regardent
         ce qu'ils font, à ce qu'un jour ils ne payent derechef. Ceste
         Compagnie se trouve en peine, & eust voulu qu'ils se fussent
         accordez.

[Note 493: Voir 1619, p. 108, 109, 110, où nous avons donné un résumé de
ce voyage.]

314/970  Quoy que c'en soit, ils payent à M. de Themines, en vertu de
         l'arrest du Conseil. Or c'est à faire à payer encore une autre
         fois, s'il y eschet (dirent-ils). Au lieu que tous devroient
         contribuer à ce sainct dessein, on en oste les moyens. Car les
         associez disent qu'ils ne peuvent faire aucun advancement au
         pays, si on ne les veut assister, & employer le peu d'argent
         qu'ils donnent annuellement, ou le donner aux Religieux, pour
         aider à faire leur Séminaire: lesquels perdirent ceste occasion
         envers mond. Seigneur le Prince.

         Estans pour lors empeschez à des affaires qui leur touchoient
         d'avantage que celles de cette entreprise, ils ne s'y voulurent
         employer, disans qu'ils avoient assez d'affaires pour eux en
         France, sans solliciter pour celles de Canada. Cecy fut
         froidement sollicité; qui est le moyen de ne rien faire, si
         Dieu n'eust suscité d'autres voyes.

         En ceste mesme année arrive un autre assault des effects du
         malin esprit. Les envieux croyent qu'ils auroient meilleur
         marché pendant la détention de Monseigneur le Prince, pour
         faire rompre sa commission & par consequent celle de Monsieur
         de Themines; & font tant que Messieurs des Estats de Bretagne
         tentent la fortune pour la seconde fois, afin de les favoriser,
         & de coucher en leurs articles celuy de la traitte libre pour
         la Province de Bretagne. Ils viennent à Paris, presentent leurs
         cahiers à Messieurs du Conseil; lesquels leur accordent cet
         article, sans avoir ouy les parties, qui estoient engagées bien
         avant en ceste affaire. J'en parlay au feu sieur Evesque de
315/971  Nantes, député pour lors des Estats, & à Moniteur de Sceaux,
         qui avoit les régistres des Estats de Bretagne, lequel me
         disant que c'estoit la vérité, je luy repartis: _Monsieur,
         comment est-il possible que l'on aye octroyé si promptement cet
         article sans ouyr partie?_ Il me respondit, _L'on ny a pas
         songé_. Je fais aussi tost presenter une requeste à Messieurs
         du Conseil, qui ordonnèrent des Commissaires pour juger
         l'affaire. Cependant l'article est sursis, jusques à ce qu'il
         en aye esté autrement ordonné, & que les parties seroient
         appellées & ouïes sur ce faict. J'escris aussi tost à nos
         associez à Rouen, qu'ils eussent à venir promptement, ce qu'ils
         firent, car la chose leur touchoit de prés. Estans venus, les
         Commissaires s'assemblent chez Monsieur de Chasteau-neuf.
         Messieurs les Députez des Estats & moy s'y trouvent avec nos
         associez, pour décider de ceste affaire. L'on fut long temps à
         débattre sur ce que les Bretons pretendoient la préférence de
         ce négoce aux autres subject de ce Royaume, & plusieurs raisons
         furent agitées d'un costé & d'autre. Je n'y oubliay rien de ce
         que j'en sçavois, & avois peu apprendre par des Autheurs dignes
         de foy. Le tout bien consideré, fut dit, que l'article seroit
         rayé, jusques à ce que plus à plain il en fust ordonné, &
         cependant defenses faites aux Bretons, de par le Roy, de
         trafiquer en aucune manière que ce soit de pelleterie, avec les
         Sauvages, sans le consentement de lad. Société: & tans l'advis
         que j'en eus, l'affaire eust esté rompue pour lors. Car combien
         de querelles & procez se fussent-ils émeus tant en la nouvelle
         France, qu'au Conseil de sa Majesté?

316/972  En la mesme année 1618, les Associez craignans d'estre démis de
         la traitte de pelleterie, pour ne faire quelque chose de plus
         que ce qu'ils estoient obligez par leurs articles, comme de
         passer des hommes par delà pour habiter & défricher les terres;
         à quoy je les portois le plus qu'il m'estoit possible; & au
         default des personnes, s'offroient d'en mener, en leur
         accordant les mesmes privileges qu'ils avoient. Que de moy
         j'avois à informer sad. Majesté & Monseig. le Prince, du
         progrés qui se faisoit de temps en temps comme j'avois fait.
         Que les troubles ordinaires qui avoient esté en France avoient
         empesché sad. Majesté d'y remédier, & qu'ils eussent à mieux
         faire. Qu'autrement, ils pourroient estre depossedez de toutes
         leurs prétentions, qui ne tendoient qu'à leur profit
         particulier, bien dissemblable aux miennes, qui n'avois autre
         dessein que de voir le pays habité de gens laborieux, pour
         défricher les terres, afin de ne point s'assubjectir à porter
         des vivres annuellement de France, avec beaucoup de despense, &
         laisser les hommes tomber en de grandes necessitez, pour
         n'avoir dequoy se nourrir, comme il estoit ja advenu, les
         vaisseaux ayans retardé prés de deux mois plus que l'ordinaire,
         & pensa y avoir une émotion & revolte à ce sujet les uns contre
         les autres.

         A tout cecy nosd. Associez disoient, que les affaires de France
         estoient si muables, qu'ayans fait une grande despense, ils
         n'avoient lieu de seureté pour eux, ayans veu ce qui s'estoit
         passé au sujet du Sieur de Mons. Je leur dis, qu'il y avoit
         bien de la différence de ce temps là à cestuy cy, entant que
316/973  c'estoit un Gentil-homme qui n'avoit pas assez d'authorité pour
         se maintenir en Court contre l'envie dans le Conseil de sa
         Majesté. Que maintenant ils avoient un Prince pour protecteur,
         & Viceroy du pays, qui les pouvoit protéger & défendre envers &
         contre tous, souz le bon plaisir du Roy. Mais j'appercevis bien
         qu'une plus grande crainte les tenoit; que si le pays
         s'habitoit leur pouvoir se diminueroit, ne faisans en ces lieux
         tout ce qu'ils voudroient, & seroient frustrez de la plus
         grand' partie des pelleteries, qu'ils n'auroient que par les
         mains des habitans du pays, & peu après seroient chassez
         par ceux qui les auroient installez avec beaucoup de despense.
         Considerations pour jamais n'y rien faire, par tous ceux qui
         auront de semblables desseins; & ainsi souz de beaux prétextes
         promettent des merveilles pour faire peu d'exécution, &
         empescher ceux qui eussent eu bonne envie de s'habituer en ces
         terres, qui volontiers y eussent porté leur bien, & leur vie,
         s'ils n'en eussent esté empeschez. Et si cela eust réussi,
         jamais l'Anglois n'y eust esté, comme il a fait, par le moyen
         des rebelles François.

         A force de solliciter lesd. Associez, ils s'assemblerent, &
         firent un estat du nombre d'hommes & familles qu'ils y devoient
         envoyer, outre celles qui y estoient: duquel estat j'en pris
         copie pardevant Notaires, comme il s'ensuit.

         _Estat des personnes qui doivent estre menées & entretenues en
         l'habitation de Quebec, pour l'année 1619._

         Il y aura 80 personnes, y compris le Chef, trois Peres
         Recollets, commis, officiers, ouvriers, & laboureurs.

317/974  Deux personnes auront un matelas, paillasse, deux couvertes,
         trois paires de linceulx neufs, deux habits à chacun, six
         chemises, quatre paires de souliers, & un capot.

         Pour les armes, 40 mousquets avec leurs bandolieres, 24 piques,
         4 harquebuzes à rouet de 4 à 5 pieds, 1000 livres de poudre
         fine, 1000 de poudre à canon, 1000 livres de balles pour les
         pièces, six milliers de plomb, un poinçon de mesche.

         Pour les hommes, une douzaine de faux avec leur manche,
         marteaux, & le reste de l'équipage, 12 faucilles, 24 besches
         pour labourer, 12 picqs, 4000 livres de fer, 2 barils d'acier,
         10 tonneaux de chaulx (l'on n'en avoit encore point trouvé
         audit pays comme l'on a fait depuis) dix milliers de tuille
         creuse, ou vingt mille de platte, dix milliers de brique pour
         faire un four & des cheminées, deux meules de moulin, car il ne
         s'y en estoit trouvé que depuis trois ans.

         Pour le service de la table du Chef, 36 plats, autant
         d'escuelles & d'assiettes, 6 salieres, 6 aiguieres, 2 bassins,
         6 pots de deux pintes chacun, 6 pintes, 6 chopines, 6
         demy-septiers, le tout d'estain, deux douzaines de nappes,
         vingt-quatre douzaines de serviettes.

         Pour la cuisine, une douzaine de chaudières de cuivre, 6 paires
         de chesnets, 6 poisles à frire, 6 grilles.

         Sera aussi porté deux taureaux d'un an, des genices, & des
         brebis ce que l'on pourra: de toutes sortes de graines pour
         semer.

319/975  Il y eust bien fallu plusieurs autres commoditez qui manquoient
         en ce mémoire: mais ce n'eust pas esté peu, s'il eust esté
         accomply comme il estoit.

         De plus y avoit: Celuy qui commandera à l'habitation, se
         chargera des armes & munitions qui y sont, & de celles qui y
         seront portées, durant qu'il y demeurera.

         Et le Commis qui sera à l'habitation pour la traitte des
         marchandises, se chargera d'icelles, ensemble des meubles &
         ustensiles qui seront à la compagnie, & de tout il envoyera par
         les navires un estat, lequel il signera.

         Sera aussi porté une douzaine de materas garnis, comme ceux des
         familles, qui seront mis dans le magazin, pour aider aux
         malades & blessez.

         Il sera besoin aussi que le navire qui pourra estre acheté pour
         la compagnie, ou frété, aille à Québec, & qu'il soit porté par
         la charte partie, & selon la facilité qui se trouvera, il
         faudra aussi faire monter le grand navire de la compagnie.

         Fait & arresté par nous souz-signez, & promettons accomplir en
         ce qui sera possible le contenu cy dessus. En tesmoin dequoy
         nous avons signé ces presentes. A Paris le 21 Décembre
         1619[494]. Ainsi signé, Pierre, Dagua[495], Le Gendre, tant
         pour luy que pour les Vermulles, Bellois, & M. Dustrelot.

[Note 494: 1618.]

[Note 495: Pierre Dugua.]

         Collationné à l'original en papier. Ce fait rendu par les
         Notaires souz-signez, l'an 1619, le 11e jour de Janvier.
         GUERREAU. FOURCY.

         Je portay cet estat à Monsieur de Marillac, pour le faire voir
320/976  à Messieurs du Conseil, qui trouverent très-bon qu'il
         s'executast, recognoissans la bonne volonté qu'avoient lesdits
         Associez de se porter au bien de ceste affaire, & ne voulurent
         entendre d'autres propositions qui leur estoient faites par
         ceux de Bretagne, la Rochelle, & Sainct Jean de Lus. Quoy que
         ce soit, ce fut un bruit & une demonstration de bien augmenter
         la peuplade, qui ne sortit pourtant à nul effect. L'année
         s'escoula, & ne se fit rien, non plus que la suivante, que l'on
         recommença à crier, & se plaindre de ceste Société, qui donnoit
         des promesses, sans rien effectuer.

         Voila comme ceste affaire se passa, & sembloit que tous
         obstacles se mettoient au devant, pour empescher que ce sainct
         dessein ne reussist à la gloire de Dieu.

         Une partie de cesdits associez estoient de la religion
         prétendue reformée, qui n'avoient rien moins à coeur que la
         nostre s'y plantast, bien qu'ils consentoient d'y entretenir
         des Religieux, parce qu'ils sçavoient que c'estoit la volonté
         de sa Majesté. Les Catholiques en estoient très-contents, &
         c'estoit la chambre my-partie: car au commencement on n'y avoit
         peu faire davantage, & ne se trouvoit des Catholiques qui
         voulussent tant hazarder, qui fit que l'on receut les prétendus
         reformez, à la charge neantmoins que l'on n'y feroit nul
         exercice de leur religion. Ce qui occasionnoit en partie tant
         de divisions & procez les uns contre les autres, que ce l'un
         vouloit, l'autre ne le vouloit pas, vivans ainsi avec une telle
         mesfiance, que chacun avoit son commis, pour avoir égard à tout
         ce qui se passeroit, qui n'estoit qu'augmentation de despense.

321/977  Et de plus, combien ont-ils eu de procez contre les Rochelois,
         qui n'en vouloient perdre leur part, souz des passe-ports
         qu'ils obtenoient par surprise, sans rien contribuer? & autres
         sans commission se mettoient en mer à la desrobée pour aller
         voler & piller contre les défenses de sadite Majesté, & ne
         pouvoit-on avoir aucune raison ny justice en l'enclos de leur
         ville: car quand on alloit pour faire quelque exploict de
         Justice, le Maire disoit: _Je crois ne vous faire pas peu de
         faveur & de courtoisie, en vous conseillant de ne faire point
         de bruit, & de vous retirer au plustost. Que si le peuple sçait
         que veniez en ce lieu, pour exécuter les commandemens de
         Messieurs du Conseil vous courez fortune d'estre noyez dans le
         port de la Chaisne, à quoy je ne pourrois remédier._

         Si faut-il que je dise encore, que ce qui sembloit n'estre à
         leur advantage, l'estoit plus qu'ils ne pensoient; d'autant que
         c'est chose certaine, qu'outre le bien spirituel, le temporel
         s'accroît infiniment par les peuplades, & plus il y a de gens
         laborieux, plus de commoditez peut-on esperer, lesquels ayant
         leur nourriture & logement, se plaisent à faire valloir les
         commoditez qui y sont, & le débit ne se peut faire que par les
         vaisseaux qui y vont porter des marchandises qui leur sont
         necessaires, pour les eschanger en celles du pays: & par ainsi
         ceux qui ont les commissions de sa Majesté, d'aller seuls
         trafiquer privativement à tous autres avec les François
         habituez, pour subvenir à la despense qu'ils pourroient avoir
         faite à y mener des hommes de toutes conditions, avec ce qui
         leur seroit necessaire, ils peuvent s'asseurer que pendant le
322/978  temps de leur commission les habitans de ces lieux seroient
         contraints & forcez de porter au magazin des associez ce qu'ils
         pourroient avoir de pelleterie, qui sont de mauvaise garde pour
         un long temps, pour les inconveniens qui en peuvent arriver: en
         les faisant valoir un honneste prix pour recevoir de France
         beaucoup de choses qui leur seroient necessaires. Que les
         vouloir contraindre à ne traitter avec les Sauvages, cela leur
         donneroit tel mescontentement, qu'ils tascheroieht à perdre le
         tout, plustost que les porter au magazin, comme j'ay veu
         plusieurs fois. Car à quoy penseroit-on que ces peuples
         voulurent faire amas de pelleterie que pour leur usage, &
         traitter le reste pour avoir des commoditez du magazin, dont
         ils ne se peuvent passer? Au contraire, trafiquant & négociant,
         en leur laissant la traitte libre, ils prendront courage de
         travailler, & d'aller en plusieurs contrées faire ce négoce
         avec les Sauvages, pour trouver quelque advantage en ce
         commerce.

         Les Associez ayans leur arrest en main, font nouveaux
         équipages, & apprestent leur vaisseau. Je me mets en estat de
         partir avec ma famille, & leur fais sçavoir, lesquels entrent
         en doute: neantmoins ils me mandent qu'ils me feront bonne
         réception, & qu'ils avoient advisé entr'eux que le Sieur du
         Pont devoit demeurer pour commander à l'habitation sur leurs
         gens, & moy à m'employer aux descouvertes, comme estant de mon
         faict, & à quoy je m'estois obligé. C'estoit en un mot, qu'ils
         pensoient avoir le gouvernement à eux seuls, & faire là comme
323/979  une Republique à leur fantaisie, & se servir des Commissions de
         sa Majesté pour effectuer leurs passions, sans qu'il y eust
         personne qui les peust controller, pour tousjours tirer le bon
         bout devers eux, sans y rien adjouster, s'ils n'estoient bien
         pressez. Ils n'ont plus affaire de personne, & tout ce que
         j'avois fait pour eux n'entre point en consideration. Je suis
         honneste homme, mais je ne dépens pas d'eux. Ils ne considerent
         plus leurs articles, & à quoy ils s'estoient obligez tant
         envers le Roy, qu'envers Monseigneur le Prince, & moy. Ils
         n'estiment rien leurs contracts & promesses qu'ils avoient
         faites souz leur seing, & sont sur le haut du pavé. Je ne sçay
         pas en fin ce qui en sera, mais je sçay bien qu'ils n'avoient
         point de raison ny de justice de plaider contre leur seing.
         Tout cecy s'esmouvoit à la sollicitation de Boyer, qui dans le
         tracas vivoit des chicaneries qu'il exerçoit: car s'il
         despensoit un sol, il en comptoit pour le moins quatre à
         chacun, ainsi que j'ay ouy dire depuis.

         Voyant ce qu'ils m'avoient mandé, je leur escrivis, &
         m'achemine à Rouen avec tout mon équipage[496]. Je leur monstre
         les articles, & comme Lieutenant de Monseigneur le Prince, que
         j'avois droict de commander en l'habitation, & à tous les
         hommes qui y seroient, fors & excepté au magazin où estoit leur
         premier Commis, qui demeuroit pour mon Lieutenant en mon
         absence. Que pour les descouvertes, ce s'estoit point à eux de
324/980  me donner la loy: que je les faisois, quand je voyois
         l'occurence des temps propres à cet effect, comme j'avois fait
         par le passé. Que je n'estois pas obligé à plus que ce que les
         articles portoient, qui ne disoient rien de tout cela. Que pour
         le Sieur du Pont j'estois son amy, & que son aage me le feroit
         respecter comme mon père: mais de consentir qu'on luy donnast
         ce qui m'appartenoit par droict & raison, je ne le soufrirois
         point. Que les peines, risques, & fortunes de la vie que
         j'avois couru aux descouvertes des terres & peuples amenez à
         nostre cognoissance, dont ils en recevoient le bien, m'avoient
         acquis l'honneur que je possedois. Que le Sieur du Pont & moy
         ayans vescu par le passé en bonne amitié, je desirois y
         perseverer. Que je n'entendois point faire le voyage qu'avec la
         mesme auctorité que j'avois eue auparavant: autrement, que je
         protestois tous despens, dommages & interests contre eux à
         cause de mon retardement. Et sur cela, je leur presentay ceste
         lettre de sa Majesté.

[Note 496: Il est évident que, par cette expression «mon équipage»,
Champlain veut parler ici du personnel de sa maison; car, après les
articles convenus et signés (ci-dessus, p. 322), c'est-à-dire, au
printemps de 1619, «il se mit en état départir avec sa famille.» Madame
de Champlain serait donc venue au Canada dès 1619, sans les difficultés
que soulevèrent les associés. (Voir ci-après, p. 325.)]


         «DE PAR LE ROY.

         Chers & bien-aimez, Sur l'advis qui nous a esté donné, qu'il
         y a eu cy-devant du mauvais ordre en l'establissement des
         familles & ouvriers que l'on a menez en l'habitation de Quebec,
         & autres lieux de la Nouvelle France, Nous vous escrivons ceste
         lettre, pour vous déclarer le desir que nous avons que toutes
         choses aillent mieux à l'advenir: & vous mander, que nous
         aurons à plaisir que vous assistiez, autant que vous le pourrez
325/981  commodément, le sieur de Champlain, des choses requises &
         necessaires pour l'execution du commandement qu'il a receu de
         Nous, de choisir des hommes expérimentez & fidèles pour
         employer à descouvrir, habiter, défricher, cultiver, &
         ensemencer les terres, & faire tous les ouvrages qu'il jugera
         necessaires pour l'establissement des Colonies que nous
         desirons de planter audit pays, pour le bien de nostre service,
         &  l'utilité de nos Subjects, sans que pour raison desdites
         descouvertures & habitations, vos Facteurs, Commis, &
         Entremetteurs au faict: du trafic de la pelleterie, soient
         troublez ny empeschez en aucune façon & manière que ce soit,
         durant le   temps que nous vous avons accordé. Et à ce ne
         faites faute. Car tel   est nostre plaisir. Donné à Paris le
         12e jour de Mars, 1618.

         Ainsi signé LOUIS. Et plus bas, POTIER.»

         Ils ne voulurent rien dire davantage que ce qu'ils m'avoient
         escrit; ce qui m'occasionna de faire ma protestation, & m'en
         retournay à Paris. Ils font leur voyage[497], & ledit du Pont
         hyverna ceste année à l'habitation, pendant que je plaide mon
         droict au Conseil de sa Majesté.

[Note 497: On voit que Champlain ne vint point au Canada en 1619.]

         Je presente requeste avec la copie des articles, afin de les
         faire venir. Nous voila à chicaner, & Boyer qui n'en devoit
         rien à personne, cecy me donna sujet de suivre le Conseil à
         Tours, où je fais voir la malice de leur plaidoyé, assez
         recogneuë d'un chacun. Et après avoir bien débattu, j'obtiens
326/982  un arrest de Messieurs du conseil, par lequel il estoit dit que
         je commanderois tant à Québec, qu'autres lieux de la
         nouvelle France, & defenses aux Associez de ne me troubler, ny
         empescher en la fonction de ma charge, à peine de tous despens,
         dommages & interests, & d'amende arbitraire, & hors de despens:
         Lequel arrest je leur fais signifier en plaine Bourse de Rouen.
         Ils s'excusent sur ledit Boyer, & disent qu'ils n'y avoient pas
         consenty: mais j'estois tres-asseuré du contraire.

         En ce temps Monseigneur le Prince estant mis en liberté[498],
         on luy donne mille escus, desquels il en donna cinq cents aux
         Pères Recollets, pour aider à faire leur Séminaire, qui ne
         firent pas grand' chose. Estant r'entré en possession de sa
         commission pour la nouvelle France, Monsieur le Mareschal de
         Thémines hors de ses prétentions, le Sieur de Villemenon qui
         dés long temps avoit desir que ceste affaire tombast entre les
         mains de Monseigneur l'Admiral, pource qu'il croyoit que toutes
         choses seroient mieux réglées à l'honneur de Dieu, du service
         du Roy, & bien dudit pays; & qu'ayant l'intendance de
         l'Admirauté, tout se feroit avec advancement; Il en parle à
         Monseigneur de Montmorency, qui monstroit le desirer par les
         ouvertures que led. Sieur de Villemenon luy donna. Mond.
         Seigneur en parle à Monseigneur le Prince, qui remet ceste
         affaire au Sieur Vignier, qui fait en sorte qu'il tire de
         Monseigneur de Montmorency unze mille escus pour ses
         prétentions, & promet souz le bon plaisir du Roy, luy donner la
327/983  commission de Vice-roy aud. pays de la nouvelle France, qui en
         donne l'intendance à Monsieur Dolu, grand Audiancier de France,
         pour y apporter quelque bon règlement: lequel s'y employe de
         toute son affection, bruslant d'ardeur de faire quelque chose à
         l'advancement de la gloire de Dieu, & du pays, & mettre nostre
         Société en meilleur estat de bien faire qu'elle n'avoit fait.
         Je le veis sur ceste affaire, & luy fis cognoistre ce qui en
         estoit, & luy en donnay des memoires pour s'en instruire.

[Note 498: Le prince de Condé fut mis en liberté le 20 octobre 1619; la
lettre de grâce du roi est du 9 novembre, et elle ne fut vérifiée en
parlement que le 26 suivant. (MERC.)]

         Mond. Seigneur de Montmorency me continuant en l'honneur de sa
         Lieutenance en lad. nouvelle France, me commande de faire le
         voyage, & d'aller à Québec m'y fortifier au mieux qu'il me
         seroit possible, & luy donner advis de tout ce qui se
         passeroit, pour y apporter l'ordre requis. Donc je partis de
         Paris avec ma famille, équipé de tout ce qui m'estoit
         necessaire. Estant à Honnefleur, il y eut encore quelque
         brouillerie sur le commandement que je devois avoir audit pays,
         & ceste compagnie receut un extrême desplaisir de ce
         changement. J'en escris à Monseigneur, & aud. Sieur Dolu, qui
         leur mandent que le Roy & Monseigneur entendoient que j'eusse
         l'entier & absolu commandement en toute l'habitation, & sur
         tout ce qui y seroit, horsmis pour ce qui estoit du magazin de
         leurs marchandises, desquelles leurs commis ou facteurs
         pouvoient disposer. Que sa Majesté avoit promis de nous donner
         armes & munitions de guerre, pour la defense du fort que je
         ferois bastir. Et s'ils ne vouloient obeir aux volontez de sa
328/984  Majesté, & de mond. seigneur que je fisse arrester le vaisseau,
         jusques à ce que cela fust exécuté. On en r'escrit au sieur de
         Brécourt, maistre d'hostel de mond. Seigneur, & Receveur de
         l'Admirauté, & aux Officiers nos associez, bien faschez de tout
         cecy, mais en fin ils acquiescerent à la raison. Au mesme temps
         sa Majesté me fit l'honneur de m'escrire ceste lettre sur mon
         partement.

  CHAMPLAIN, Ayant sceu le commandement que vous aviez receu de mon
  cousin le Duc de Montmorency, Admiral de France, & mon Vice-roy en la
  nouvelle France, de vous acheminer audit païs, pour y estre son
  Lieutenant, & avoir soin de ce qui se presentera pour le bien de mon
  service, j'ay bien voulu vous escrire ceste lettre, pour vous asseurer
  que j'auray bien agreables les services que me rendrez en ceste
  occasion, surtout si vous maintenez led. païs en mon obeissance,
  faisant vivre les peuples qui y sont, le plus conformément aux loix de
  mon Royaume, que vous pourrez, & y ayant le soin qui est requis de la
  Religion Catholique, afin que vous attiriez par ce moyen la
  bénédiction divine sur vous, qui sera reussir vos entreprises &
  actions à la gloire de Dieu, que je prie (Champlain) vous avoir en sa
  saincte & digne garde. Escrit à Paris le 7e jour de May, 1620.

  Signé, LOUIS. Et plus bas, BRULART.


1/985

[Illustration]


                              SECONDE
                            PARTIE DES
                         VOYAGES DU SIEUR
                           de Champlain.


                          LIVRE PREMIER.



         _Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son
         arrivée à Québec. Prend possession du Pais, au nom de monsieur
         de Montmorency._

                        CHAPITRE PREMIER.

         L'an 1620, je retournay avec ma famille à la Nouvelle France,
         où arrivasmes au mois de May[499]. Nous traversasmes plusieurs
         Isles, & entr'autres celles aux Oyseaux, où il y en a tel
         nombre, qu'on les tue à coups de bastons. Le 24[500] nous
         passasmes proche Gaspey, entrée du fleuve sainct Laurent.

[Note 499: Juin. Champlain, étant arrivé à la rade de Tadoussac le 7
juillet, après une traversée de deux mois, avait dû partir de Honfleur
vers le 8 de mai, comme le prouve du reste la date de la lettre que le
roi lui adressa «sur son parlement» (p. 328, 1ère partie). Il devait
donc être en vue de Terreneuve vers le 20 de juin; puisque le 24 il
n'était qu'à Gaspé.]

[Note 500: Le 24 juin.]

2/986    Le 7 de Juillet nous mouillasmes l'anchre au moulin Baudé, à
         une lieue du port de Tadoussac, ayant esté deux mois à la
         traverse de nostre voyage, où un chacun loua Dieu de nous voir
         à port de salut, & principalement moy, pour le sujet de ma
         famille, qui avoit beaucoup enduré d'incommoditez en cette
         fascheuse traverse.

         Le lendemain un petit batteau vient à nostre bord, qui nous dit
         que le vaisseau où estoit le Sieur Deschesnes, party un mois
         auparavant nous, estoit arrivé, qui fut prés de deux mois à sa
         traverse[501]. Le Sieur Boullé, mon beau frère estoit en ce
         batteau, qui fut fort estonné de voir sa soeur, & comme elle
         s'estoit resolue de passer une mer fascheuse, & fut
         grandement resjouy, & elle & moy au prealable; lequel nous dit
         que deux vaisseaux de la Rochelle, l'un du port de 70 tonneaux,
         l'autre de 45 estoient venus proche de Tadoussac traitter;
         nonobstant les deffences du Roy, & avoient couru fortune
         d'estre pris par ledit Deschesnes proche du Bicq, à 15 lieues
         de Tadoussac, neantmoins se sauverent comme meilleurs
         voilliers. Ils emportèrent cette année nombre de pelleteries, &
         avoient donné quantité d'armes à feu, avec poudre, plomb,
         mesche, aux Sauvages; chose tres-pernicieuse & prejudiciable,
         d'armer ces infidèles de la façon, qui s'en pourroyent servir
3/987    contre nous aux occasions. Voila comme tousjours ces rebelles
         ne cessent de mal faire, n'ayant encore bien commencé,
         desobeissant aux commandemens de sa Majesté, qui le défend par
         ses Commissions, sur peine de la vie. Telles personnes
         meriteroient d'estre chastiez severement, pour enfraindre les
         Ordonnances: mais quoy, dit on, sont Rochelois, c'est à dire
         très mauvais & desobeissans subjects, où il n'y a point de
         justice: prenez les si pouvez & les chastiez, le Roy vous le
         permet par les commissions qu'il vous donne. D'avantage ces
         meschans larrons qui vont en ce païs subornent les sauvages, &
         leurs tiennent des discours de nostre Religion, très-pernicieux
         & meschans, pour nous rendre d'autant plus odieux en leur
         endroit.

[Note 501: Ce vaisseau était _la Sallemande_. On voit, par une lettre du
P. Jamay, qui y était passager, avec Frère Bonaventure, qu'il partit de
Honneur le 5 d'avril, et arriva à Tadoussac le 30 mai. «Nous nous
divisames en deux bandes,» dit-il, «je partis le premier avec l'un de
nos frères appellé F. Bonaventure, dans le premier Navire, qu'on nomme
la Sallemande; nous sortismes du Havre de Honfleur le Dimanche de la
Passion» (qui, cette année, 1620, tombait le 5 avril), «& arrivâmes le
Samedy des Octaves de l'Ascension» (30 mai), «dans le port de
Tadoussac.» (Sagard. Hist. du Canada, p. 58.)]

         Nous apprismes que les sieurs du Pont & Deschesne estoient
         partis de Québec pour aller à mont ledit fleuve affin de
         traitter à une isle devant la riviere des Hiroquois, ayant
         laissé à Tadoussac deux moyennes barques pour nous attendre, &
         les dépescher promptement, afin de leur porter marchandises,
         avant que sçavoir de nos nouvelles; ce qui fut fait ce jour
         mesme, & en envoyerent une devant l'autre, que nous retinsmes
         pour nous en aller à Québec. Nous sceusmes la mort de frère
         Pacifique[502], bon Religieux, qui estoit très charitable, &
         celle de la fille[503] de Hébert en travail d'enfant, tout le
         reste se portoit bien: & pour l'habitation, elle estoit en très
4/988    mauvais estat, pour avoir diverty les Ouvriers à un logement
         que l'on avoit fait aux Pères Recollets, à demy lieue de
         l'habitation, sur le bord de la riviere sainct Charles[504], &
         deux autres logemens, un pour ledit Hébert à son labourage
         [505], un autre proche de l'habitation pour le Serrurier &
         Boulenger, qui ne pouvoient estre en l'enclos des logemens.
         Locquin partit promptement dans une chaloupe chargée de
         marchandises, pour aller treuver ledit du Pont.

[Note 502: Le Frère Pacifique du Plessis «décéda ledit 23e jour d'Aoust,
après avoir receu tous les sacremens en grande devotion, & fut enterré à
la Chappelle de Kebec, avec les cérémonies de la S. Eglise.» (Sagard,
Hist. du Canada, p. 55.--Mortuologe des Récollets, 26 d'août. Archives
de l'Archevêché de Québec.)]

[Note 503: Anne Hébert, fille aînée de Louis Hébert; elle était mariée à
Étienne Jonquest.]

[Note 504: Ce logement des Pères Récollets était précisément à l'endroit
où est aujourd'hui l'Hôpital-Général. «Le 7. Septembre,» dit Sagard
(Hist. du Canada, p. 56), «l'on commença d'amasser les matériaux, & de
joindre la charpenterie de nostre Convent de nostre Dame des Anges, où
le Père Dolbeau fist mettre la première pierre le 3 juin 1620.» «A
nostre arrivée,» dit le P. Denis Jamay, dans une lettre datée de Québec
le 15 août 1620, «nous sceumes que le sieur du Pont Gravé Capitaine
pour les Marchands dans l'habitation, avoit commencé à nous faire bastir
une maison (laquelle depuis nostre arrivée nous avons fait achever) dont
je fus fort resjouy tant pour l'assiette du lieu, que de la beauté du
bastiment. Le corps du logis donc est faist de bonne & forte charpente,
& entre les grosses pièces une muraille de 8 & 9 pouces jusques à la
couverture, sa longueur est de trente-quatre pieds, sa largeur de vingt
deux, il est à double estage: nous divisons le bas en deux: de la moitié
nous en faisons nostre Chappelle en attendant mieux: de l'autre une
belle grande chambre, qui nous servira de cuisine & où logeront nos
gens: au second estage nous avons une belle grande chambre, puis quatre
autres petites; dans deux desquelles, que nous avons faict faire tant
soit peu plus grandes que les autres, y a des cheminées pour retirer les
malades, à ce qu'ils soient seuls: la muraille est faicte de bonne
pierre, bon sable & meilleure chaux que celle qui se faict en France, au
dessoubs est la cave de vingt pieds en carré, & sept de rofond.»
(Sagard, Hist. du Canada, p. 58, 59.)]

[Note 505: Quelque respect que nous ayons pour les opinions de M.
Ferland, nous ne pouvons admettre que la maison d'Hébert ait été «vers
la partie de la rue Saint-Joseph, où elle reçoit les rues Saint-François
et Saint Flavien» (Notes sur les Registres, p. 10). D'abord, l'acte de
partage de 1634, sur lequel M. Ferland paraît s'appuyer (Cours d'Hist.
P. 190), est fort obscur sur ce point et très-peu concluant; en second
lieu, cette première maison était dans le voisinage de celle de
Couillard, comme le prouve un acte d'arbitrage de 1639, (Étude de
Piraube, Greffe de Québec). Des arbitres, nommés pour faire la visite
d'un «estre de maison scituée proche celle de Couillard, de la
succession de deffunt [Guill.] Hébert, & contenant trente-huict piedz de
long sur dix-neuf de large,» le jugent «inhabitable & non manable...
comme fondant en ruyne» depuis longtemps... Or, en 1639, il ne pouvait y
avoir, à la haute-ville, que la maison d'Hébert qui fût dans un pareil
état de vétusté, puisque les autres maisons durent être construites
après 1632. (Relat. 1632.) Cette première maison a dû être vers
l'emplacement de l'archevêché; car la part de Guillaume Hébert et de
Guillaume Hubou, à qui était remariée la veuve Hébert, était de ce côté.
(Archives du Séminaire de Québec, acte de partage 1634, et acte
d'échange entre Guill. Hébert et Nicolas Pivert en 1637, passé pardevant
Audouart 1641.)]

         Le 11 je partis de Tadoussac avec ma famille, & les Religieux
5/989    que nous avions menez, au nombre de trois[506], mon beau-frère,
         qui avoit hyverné deux ans & demy, & Guers, arrivasmes à
         Québec, où estant fusmes à la Chapelle rendre grâces à Dieu de
         nous voir au lieu ou nous esperions. Le lendemain je fis
         charger le canon, ce qu'estant fait, après la saincte Messe
         dite un Père Recollet[507] fit un sermon d'Exhortation, où il
         remonstroit à un chacun le devoir où l'on se devoit mettre pour
         le service de sa Majesté, & de celuy de mondit seigneur de
         Montmorency, & que chacun eut à se comporter en l'obeissance de
         ce que je leur commanderois, suivant les patentes de sa
         Majesté, données à mondit seigneur le Viceroy, & la Commission
         à moy donnée de son Lieutenant, lesquelles seroient leuës
         publiquement en presence de tous, à ce qu'ils n'en
         pretendissent cause d'ignorance. Après ceste exhortation l'on
         sortit de la Chappelle, je fis assembler tout le monde, &
         commanday à Guers Commissionnaire, de faire publique lecture de
         la Commission de sa Majesté, & de celle de Monseigneur le
         Viceroy à moy donnée. Ce faict chacun crie Vive le Roy, le
         Canon fut tiré en signe d'allegresse, & ainsi je pris
         possession de l'habitation & du Pays au nom de mondit seigneur
6/990    le Viceroy. Ledit Guers en fit son procès verbal pour servir en
         temps & lieu.

[Note 506: Il était venu en effet trois religieux, cette année 1620, le
P. Denis Jamay, le P. George le Baillif et le Frère Bonaventure; mais le
P. Denis et le Frère Bonaventure étaient arrivés, depuis plus d'un mois,
dans le vaisseau du sieur Deschesnes (voir ci-dessus, p. 2); le P.
Georges était avec Champlain.--Cette phrase semble donner à entendre que
le P. Denis et Frère Bonaventure auraient attendu à Tadoussac que le
second vaisseau fût arrivé, pour monter tous ensemble à Québec. Ce qu'il
y a du moins de certain, d'après Sagard et le Clercq, c'est que ce fut
le P. d'Olbeau qui fit la bénédiction de la première pierre du couvent
de Notre-Dame-des-Anges, le 3 juin; d'où l'on peut inférer avec un peu
de vraisemblance, que le P. Denis, qui revenait avec la charge de
supérieur, n'était pas encore arrivé.]

[Note 507: D'après le P. le Clercq, ce fut le P. Denis Jamay. (Premier
établiss. de la Foy, I, 163.)]

         Je resolus d'envoyer ledit Guers avec six hommes aux trois
         rivieres où estoit le Pont & les Commis de la societé, pour
         sçavoir ce qui se passeroit par delà, & moy je fus visiter
         quelques petits jardinages & les bastiments dont on m'avoit
         parlé; & en effect je treuvay cette habitation si desolée &
         ruinée qu'elle me faisoit pitié. Il y pleuvoit de toutes parts,
         l'air entroit par toutes les jointures des planchers, qui
         s'estoient restressis de temps en temps, le magasin s'en alloit
         tomber, la court si salle & orde, avec un des logements qui
         estoit tombé, que tout cela sembloit une pauvre maison
         abandonnée aux champs où les Soldats avoient passe, &
         m'estonnois grandement de tout ce mesnage: tout cecy estoit
         pour me donner de l'exercice à reparer ceste habitation. Et
         voyant que le plustost qu'on se mettroit à reparer ces choses
         estoit le meilleur, j'employay les ouvriers pour y travailler,
         tant en pierre, qu'en bois, & toutes choses furent si bien
         mesnagées, que tout fut en peu de temps en estat de nous loger,
         pour le peu d'ouvriers qu'il y avoit, partie desquels
         commencèrent un Fort[508], pour eviter aux dangers qui peuvent
         advenir, veu que sans cela il n'y a nulle seureté en un pays
         esloigné presque de tout secours. J'establis ceste demeure en
         une scituation très bonne, sur une montagne[509] qui commandoit
7/991    sur le travers du fleuve sainct Laurent, qui est un des lieux
         des plus estroits de la riviere[510], & tous nos associez
         n'avoient peu gouster la necessité d'une place forte, pour la
         conservation du Pays & de leur bien. Ceste maison ainsi bastie
         ne leur plaisoit point, & pour cela il ne faut pas que je
         laisse d'effectuer le commandement de Monseigneur le Viceroy, &
         cecy est le vray moyen de ne point recevoir d'affront, pour un
         ennemy, qui recognoissant qu'il n'y a que des coups à gaigner,
         & du temps, & de la despence perdue, se gardera bien de se
         mettre au risque de perdre ses vaiseaux & ses hommes. C'est
         pourquoy il n'est pas tousjours à propos de suivre les passions
         des personnes, qui ne veulent régner que pour un temps, il faut
         porter sa consideration plus avant.

[Note 508: Le fort Saint-Louis. «Le lieu qui fut choisi, dit M. Ferland,
est celui où, pendant près d'un siècle et demi, résidèrent les
gouverneurs français du Canada, et d'où les ordres du représentant des
rois très-chrétiens étaient portés jusques aux confins du Mexique.
Longtemps après la cession du Canada aux Anglais, le drapeau de la
Grande-Bretagne a flotté au même endroit, sur la demeure des gouverneurs
généraux de l'Amérique Britannique.» (Cours d'Hist. du Canada, I, 191.)]

[Note 509: Environ 172 pieds anglais au-dessus du niveau du fleuve.]

[Note 510: Le fleuve n'a, en cet endroit, qu'un quart de lieue de large,
ou une vingtaine d'arpents.]

         Quelques tours après lesdits du Pont & Deschesnes descendirent
         des trois rivieres avec leurs barques, & les peleteries qu'ils
         avoient traittées. Il y en avoit la pluspart à qui ce
         changement de Viceroy & de l'ordre ne plaisoit pas; ledit du
         Pont se resolut de repasser en France qui avoit hyverné, &
         laissa Jean Caumont, dit le Mons, pour commis du magazin & des
         marchandises pour la traitte. Ledit du Pont s'en alla à
         Tadoussac[511], & nous fit apporter le reste de nos vivres, &
         mande Roumier sous-commis, qui avoit aussi hyverné, lequel s'en
         retourna en France, sur ce qu'on ne luy vouloit rehausser ses
         gages, & moy demeurant visitay les vivres, pour les mesnager
8/992    jusques à l'arrivée des vaisseaux, faisant tousjours
         fortifier & continuer les réparations ja commencées, attendant
         d'en faire une nouvelle de pierre: car nous avions treuvé de
         bonnes pierres à chaux, qui estoit une grande commodité. Ils
         demeurèrent ceste année à hyverner 60 personnes, tant hommes,
         que femmes, Religieux, & enfans, dont il y avoit dix hommes
         pour travailler au Séminaire des Religieux & à leurs despens:
         tout l'Automne & l'hyver fut employé à reparer l'habitation, &
         les maisons d'auprès, & nous fortifier: chacun se porta
         très-bien, horsmis un homme qui fut tué par la cheute d'un
         arbre qui luy tomba sur la teste, & l'escrasa, & ainsi mourut
         miserablement.

[Note 511: Pont-Gravé dut partir de Québec peu après le 15 d'août, comme
le laisse supposer la date de la lettre du P. Denis. (Sagard, Hist. du
Canada, p. 63.)]



         _Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France.
         Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de
         France apportées au sieur de Champlain._

                                 CHAPITRE II.

         Le quinziesme de May[512], une barque estant preste l'on la mit
         à l'eau, qui fut chargée de vivres, pour traitter avec les
         Sauvages de Tadoussac. Le Mons commis s'embarqua en icelle luy
         huictiesme, & en son chemin fit rencontre d'une chalouppe, où
         estoit le Capitaine du May, & Guers, Commissionnaires de
         monseigneur de Montmorency, avec cinq matelots, trois soldats,
         & un garçon, qui fut cause que nostre commis retourna sur sa
9/993    route, & s'en revinrent ensemble à nostre habitation. Ledit du
         May fut très-bien receu, venant de la part de mondit seigneur
         de Montmorency, lequel me dit estre venu devant, en un vaisseau
         du port d'environ trente cinq tonneaux, avec trente personnes
         en tout, pour me donner advis de ce qui se passoit en France, &
         que proche de Tadoussac, il avoit fait rencontre d'un petit
         vaisseau volleur de Rochelois, de quarante cinq tonneaux, & en
         avoit approché de si prés, qu'ils s'en tendoient parler, estans
         l'un & l'autre sous voiles: Mais comme le Rochelois estoit
         meilleur voilier, il se sauva. Ce fut une belle occasion
         perdue, par ce que ceux qui estoient dedans avoient traitté
         nombre de peleteries.

[Note 512: Il est évident, par le contexte, que c'est le 15 mai 1621.]

         Ledit Guers me donna les lettres qu'il pleut au Roy & à
         Monseigneur me faire l'honneur de m'escrire, accompagnées de
         celle de Monsieur de Puisieux, & autres, des sieurs Dolu, de
         Villemenon & de Caen. Voicy celle du Roy.

         «Champlain, j'ay veu par vos lettres du 15 du mois d'Aoust,
         avec quelle affection vous travaillez par delà à vostre
         establissement, & à ce qui regarde le bien de mon service,
         dequoy, comme je vous sçay très-bon gré, aussi auray-je à
         plaisir de le recognoistre à vostre advantage, quand il s'en
         offrira l'occasion: & ay bien volontiers accordé quelques
         munitions de guerre, qui m'ont esté demandées, pour vous donner
         tousjours plus de moyen de subsister, & de continuer en ce bon
         devoir, ainsi que je me le promets de vostre soing & fidelité.
10/994   A Paris le 24e jour de Fevrier 1621.

         Signé LOUIS, et plus bas, Brulart.»


         En suitte de celle de sa Majesté, j'en receus une autre de
         Monsieur de Puisieux, Secrétaire de ses commandements, par
         laquelle entr'autres choses, il me mandoit que le sieur Dolu
         avoit demandé des armes pour m'envoyer, à laquelle chose on
         avoit pourveu, & icelles envoyées. Auparavant Monseigneur le
         Duc de Montmorency m'écrivit la présente.

         «Monsieur Champlain, pour plusieurs raisons J'ay estimé à
         propos, d'exclure les anciens Associez de Rouen, & de sainct
         Malo, pour la traitte de la Nouvelle France, d'y retourner. Et
         pour vous faire secourir, & pourvoir de ce qui vous y est
         necessaire, j'ay choisi les sieurs de Caen[513] oncle & nepveu,
         & leurs Associez, l'un est bon Marchand, & l'autre bon
         Capitaine de mer, comme il vous sçaura bien ayder & faire
         recognoistre l'authorité du Roy de delà sous mon gouvernement.
         Je vous recommande de l'assister, & ceux qui iront de sa part,
         contre tous autres, pour les maintenir en la jouissance des
         articles que je leur ay accordez. J'ay chargé le sieur Dolu
         Intendant des affaires du pays, de vous envoyer coppie du
         traitté par le premier voyage, afin que vous scachiez à quoy
         ils sont tenus, pour les faire executer, comme je desire leur
11/995   entretenir ce que je leur ay promis. J'ay eu soing de faire
         conserver vos appointements, comme je croy que vous continuerez
         au desir de bien servir le Roy, ainsi que continue en la bonne
         volonté, Monsieur Champlain, Vostre plus affectionné & parfait
         amy, _signé_, MONTMORANCY, DE PARIS le 2 Fevrier 1621.»

[Note 513: Guillaume de Caen, marchand, et son neveu, Émery ou Émeric,
alors capitaine de vaisseau.]

         Les lettres du sieur Dolu me mandoient que j'eusse à fermer les
         mains des Commis, & me saisir de toutes les marchandises tant
         traittées que à traitter, pour les interests que le Roy &
         mondit Seigneur pretendoient contre ladite Société ancienne,
         pour ne s'estre acquittée au peuplement comme elle estoit
         obligée, & que pour le sieur de Caen, bien qu'il fust de la
         religion contraire, on se promettoit tant de luy, qu'il donnoit
         esperance de se faire Catholique, & que pour ce qui estoit de
         l'exercice de sa religion que je luy die qu'il n'en devoit
         faire ny en terre ny en mer, remettant le reste à ce que j'en
         pouvois juger. Celle du sieur de Villemenon Intendant de
         l'admiraulté, ne tendoit qu'à la mesme fin: la lettre dudit
         sieur de Caen se conformant aussi à la sienne, & qu'il venoit
         avec deux bons vaisseaux bien armez & munitionnez de toutes les
         choses necessaires, tant pour luy que pour nostre habitation,
         avec de bons arrests qu'il esperoit apporter en sa faveur.
         Davantage ayant fait assembler le sieur de May & Guers
         commissionnaire, & le père George[514], auquel Monseigneur, &
         les sieurs Dolu, & Villemenon, luy avoient escrit des lettres à
12/996   mesme fin que celles qu'ils m'escrivoient, m'enchargeant de ne
         rien faire sans luy communiquer, & resolu que rien ne se
         perderoit en quelque façon que ce fut, & qu'il ne falloit
         innover aucune chose attendant ledit sieur de Caën, qui estoit
         assez fort, ayant l'arrest en main à son advantage, pour se
         saisir des vaisseaux & marchandises, & ce pendant je
         conserverois toutes les pelleteries, jusqu'à ce que l'on vit
         dequoy les pouvoir prendre & saisir justement.

[Note 514: Le P. Georges le Baillif, «illustre par sa naissance, par son
mérite personnel, & par l'estime singuliere dont sa Majesté l'honoroit.»
(Premier Établiss. de la Foy, I, 162.)]

         De plus qu'il falloit considerer les inconveniens qui en
         pourroient arriver d'autre part, ne voyant aucun pouvoir du
         Roy, à quoy ledit commis [515]vouloit obéir, & non aux advis
         que nous avions receus de France. Ledit commis fut adverty de
         ce, par les Matelots du sieur de May, qui faisoient courir un
         bruit que ledit sieur de Caen, se saisiroit de tout ce qui leur
         appartenoit, quand il seroit arrivé: ils donnèrent tellement en
         l'esprit du Commis & de tous, qu'ils deliberoient entr'eux de
         ne permettre de se saisir de leurs marchandises, jusques à ce
         que je leur fisse apparoir lettre ou commandement de sa
         Majesté, ce que je ne pouvois, & tous les hommes qui
         dependoient des associez & gagez, craignans de perdre leurs
         gages, comme on leur donnoit à entendre, pretendoient comme les
         plus forts de l'empescher s'ils eussent peu, quand j'eusse eu
         la volonté de saisir leurs marchandises. C'est pourquoy pendant
         qu'une societé, en un païs comme cetuy-cy, tient la bource,
         elle paye, donne & assiste qui bon luy semble: ceux qui
13/997   commandent pour sa Majesté sont fort peu obéis n'ayant personne
         pour les assister, que sous le bon plaisir de la Compagnie, qui
         n'a rien tant à contre coeur: que les personnes qui sont mis
         par le Roy ou les Vice-rois, comme ne dépendant point d'eux, ne
         desirant que l'on voye & juge de ce qu'ils font, ny de leurs
         actions & deportemens en telles affaires, veulent tout attirer
         à eux, ne s'en soucient ce qu'il arrive, pourveu qu'ils y
         trouvent leur compte. De forts & forteresses, ils n'en veulent
         que quand la necessité le requiert, mais il n'est plus temps.
         Quand je leurs parlois de fortifier, c'estoit leur grief,
         j'avois beau leur remonstrer les inconvenients qui en
         pourroient arriver, ils estoient sourds: & tout cela n'estoit
         que la crainte en laquelle ils estoient, que s'il y avoit un
         fort ils seroient maistrisez, & qu'on leur feroit la loy. Ce
         pendant ces pensées, ils mettoient tout le pays & nous en proye
         du Pirate ou ennemy, qui pensant faire du butin n'estant en
         estat de se deffendre ira tout ravager. J'en escrivois assez à
         messieurs du Conseil, il falloit y donner ordre, qui jamais
         n'arrivoit: & si sa Majesté eust seulement donné le commerce
         libre aux associez avoir leur magazin avec leur commis. Pour le
         reste des hommes qui devoient estre en la plaine puissance du
         Lieutenant du Roy audit pays, pour les employer à ce qu'il
         jugeroit estre necessaire, tant pour le service de sa Majesté,
         qu'à se fortifier, & défricher la terre, pour ne venir aux
         famines qui pourroient arriver s'il arrivoit fortune aux
         vaisseaux. Si cela se pratiquoit, l'on verroit plus
         d'advencement & de progrez en dix ans, qu'en trente, en la
14/998   façon que l'on fait: & permettre aussi qu'à ceux qui iroient
         pour habiter en desertant les terres, qu'ils pourroient
         traitter avec les Sauvages de peleteries, & des commoditez que
         le pays produit: en les livrant au commis à un pris
         raisonnable, pour donner courage à un chacun d'y habiter, & ne
         pouvant traitter que ce qui viendroit du pays, sur les peines
         portées qu'il plairoit à sa Majesté, 11 n'y a point de doute
         que la Société en eut receu quatre fois plus de bien qu'elle ne
         pouvoit esperer par autre voye, d'autant qu'il est fort malaisé
         à des peuples d'un pays de pouvoir empescher de s'accommoder de
         ce qui croist au lieu: Car dire qu'on ne les pourra contraindre
         à une certaine quantité pour une necessité: c'est la mer à
         boire, car ils feront tout le contraire, quand ils deveroient
         perdre tout ce qu'ils en auroient, plustost qu'on s'en saisit
         sans leur payer: l'expérience a fait assez cognoistre ces
         choses. Voila ce que j'avois à vous dire sur ce sujet.

[Note 515: Jean Caumont, dit le Mons. (Voir ci-dessus, p. 7.)]

         Pour revenir à la suitte du discours, ledit commis & tous les
         autres ensemble, commencèrent à murmurer: disant, Qu'on leur
         vouloit faire perdre leurs salaires, & qu'il valloit autant
         qu'ils perdissent la vie que de les traitter de la façon: ce
         qui donna suject audit commis de m'en parler de rechef, & me
         faire ses plaintes, que si j'avois commandement du Roy, qu'il
         ne falloit que le monstrer pour le contenter, & maintenir
         chacun en paix. Je luy dis qu'on ne luy feroit point de tort,
         ny à ses marchandises, & qu'il pouvoit traitter avec autant
         d'asseurance comme il avoit fait par le passé, il se contenta,
         & un chacun. Je fis une réprimande aux matelots du sieur de
15/999   May, qui leur avoient donné cette crainte, & semé ce bruit, &
         de plus qu'ils s'asseurassent que je n'innoverois rien que
         ledit de Caen ne sut arrivé avec arrest de sa Majesté, qui
         donneroit ordre à toute chose, auquel il faudroit obéir.

         D'avantage fut advisé si l'on permettoit[516] la traitte au
         sieur de May, qui avoit apporté des marchandises pour eschanger
         à des castors avec les sauvages: il fut arresté que pour lever
         tout ombrage l'on ne le permetteroit point, & aussi qu'ils
         n'avoient aucun pouvoir de ce faire, les deux societez estant
         en procez au Conseil de sa Majesté, quand ils partirent de
         France, & que l'ancienne pouvoit tousjours jouir des privileges
         que le Roy leur avoit accordez sous l'authorité de monseigneur
         le Prince, attendant qu'il en fut autrement ordonné: mais que
         si messieurs du Conseil donnoient un arrest si favorable qu'il
         confisquast au profit de la Nouvelle Société, que cela ne
         servoit de rien, puisque le tout luy demeureroit, comme il se
         promettoit, & que si autrement il avoit permission de traitter
         comme l'ancienne Société, que l'on verroit la facture des
         marchandises que l'on avoit envoyées, & que suivant icelles
         l'on donneroit des castors du magazin pour la valleur des
         marchandises, suivant la traitte qui se faisoit alors, & par
         ainsi ladite barque ne perderoit rien de ce qu'elle pouvoit
         prétendre, pour ne traitter jusques à ce qu'on eust l'arrest du
         Conseil, que devoit apporter ledit sieur de Caen: Ainsi fut
         arresté en la presence dudit sieur de May & Guers, faisant pour
         ladite nouvelle Société.

[Note 516: Permettroit.]

16/1000  Ce délibéré, je fais partir le Capitaine du May, le 25 de May,
         pour donner advis audit sieur de Caen de tout ce qui s'estoit
         passé, de l'Estat en quoy il nous avoit laissé, & m'envoyer des
         hommes de renfort.



         _Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France, & de Hallard
         avec l'equipage du sieur de Caen. L'Autheur fait advertir les
         sauvages de la venue dudit de Caen. Arrest du Conseil
         permettant le trafic aux deux Compagnies. De Caen saisit par
         force le vaisseau du sieur du Pont._

                              CHAPITRE III.

         Le 3 de Juin arriva ledit de May dans une chalouppe luy
         onziesme, qui me donna advis de l'arrivée du sieur du Pont, en
         un vaisseau de cent cinquante tonneaux nommé la Salemande, avec
         soixante cinq hommes d'esquipage, accompagnés de tous les
         commis de l'ancienne Société, & sçavoir en quoy je le voudrois
         employer. Voicy qui rejouit grandement les commis de l'ancienne
         Société, & un chacun des hommes qui dependoient d'eux: c'est un
         renfort qui leur vient, & si nous les eussions desobligez sans
         un pouvoir absolu du Roy, ou de monseigneur, par la saisie de
         leurs marchandises, ils pouvoient nous nuire grandement, car le
         petit vaisseau dudit du May, qui estoit à Tadoussac pouvoit
         estre pris, où il n'y avoit que dix-huict hommes, & quelque
         douze que j'avois à Québec avec moy, lesquels avoient fort peu
         de vivres qui fut l'occasion que j'en secourus ledit du May.

17/1001  Ce qu'ayant entendu, je me délibéré de mettre ledit du May en
         un petit fort, ja commencé, contre le sentiment dudit commis,
         avec mon beau-frère Boullé, & huict hommes, & quatre de ceux
         des pères Recollets qu'ils me donnèrent: & quatre autres hommes
         de l'ancienne societé, faisant porter quelques vivres, armes,
         poudre, plomb, & autres choses necessaires, au mieux qu'il me
         fut possible, pour la defence de la place: en ceste façon nous
         pouvions parler à cheval, faisant tousjours continuer le
         travail du fort pour le mieux mettre en defence.

         Pour mon particulier je demeuray en l'habitation, avec trois
         hommes dudit du May, & quatre autres des pères Recollets, &
         Guers commissionnaire, & le reste des hommes de l'habitation:
         le fort asseuroit tout, avec l'ordre que j'avois donné audit
         Capitaine du May.

         Le Lundy 7e jour du mois arriva la barque de nostre habitation,
         où estoient les commis des anciens associez au nombre de trois,
         ce que voyant je fais prendre les armes, donnant à chacun son
         quartier, & semblablement au fort, & fis lever le pont-levis de
         l'habitation: le père George accompagné de Guers furent sur le
         bort du rivage, attendant que lesdits commis vinssent à terre,
         & sçavoir avec quelle ordre ils venoient, quelle commission ils
         avoient, n'ignorant point ce qui ce passoit en France, sur les
         advis que nous avions receus. Ils dirent qu'ils n'avoient autre
         ordre que de leur compagnie, pour estre encore au droict du
         contract & articles que je leurs avois donnez, sous le bon
18/1002  plaisir de Monseigneur le Prince, attendant un arrest de
         Nosseigneurs du Conseil, qu'ils esperoient avoir favorable
         contre la nouvelle societé, qui les vouloit demettre de leur
         societé, devant que leur temps fut fini. De plus qu'ils avoient
         protesté contre ceux de l'admirauté, qui ne leurs avoient pas
         voulu donner de congé, & que voyant les dangers evidents où
         toutes les affaires devoient aller, tant pour les hommes qui
         estoient icy, comme pour recevoir leurs marchandises, que l'on
         ne pouvoit prétendre qu'injustement, qu'il s'estoit mis en tout
         devoir d'obéir au Roy.

         Ils dirent tout ce qu'ils voulurent, avec plusieurs autres
         discours, monstrant avoir un grand desplaisir de se voir receus
         ainsi extraordinairement, ce qu'ils n'avoient accoustumé.

         Ledit père ayant ouy une partie de leurs plaintes, il leur
         demanda s'ils nous apportoient des vivres pour nous maintenir,
         ils dirent que ouy, & qu'ils croyoient asseurement estre
         d'accord avec mondit seigneur, ou qu'ils auroient un arrest
         favorable: Tous ces discours passez ledit père leur dit, qu'il
         me venoit treuver pour me donner advis, & sçavoir ce que je
         voudrois faire, lequel m'ayant rapporté ce qu'ils disoient,
         nous advisasmes pour le mieux ce qu'il falloit faire.

         Il fut conclud en suitte de la première resolution, voyant que
         ledit sieur de Caen n'estoit encore venu, pour esviter aux
         dangers qui pouvoient arriver.

         Il fut arresté qu'on laisseroit entrer les commis au nombre de
19/1003  cinq, qu'on leur livreroit leurs marchandises, pour traitter
         amont ledit fleuve sainct Laurent, & les assister de ce qu'ils
         auroient affaire, ce qu'ils acceptèrent.

         Ils entrèrent en l'habitation, où particulièrement je leur fis
         entendre la volonté de sa Majesté, & ce qu'ils avoient commis
         contre l'intention du Roy, qui me commandoit de maintenir le
         pays en paix, & sous son obeissance, comme faisoit aussi
         monseigneur, qui les avoit exclus de la societé par une
         nouvelle: qu'ils ne dénotent pas venir sans un bon arrest en
         main de Nosseigneurs du Conseil, & attendant la venue des
         autres vaisseaux, qui apporteroient tout ordre, on leur
         livreroit en bref des marchandises pour traittes, ce qu'ils
         acceptèrent, & leurs furent livrées sans tirer à la rigueur:
         ils demandèrent des armes, ce que je ne leurs pus accorder,
         leur disant qu'ils ne devoient pas venir sans cela: ils
         chargèrent deux barques, & me demandèrent les castors qui
         estoient en l'habitation: je leur refusay, leurs disant, qu'ils
         ne pouvoient partir de l'habitation, que nous n'eussions des
         vivres pour maintenir parmy nous l'authorité du Roy, en cas
         qu'il arrivast quelque accident audit sieur de Caen, & qu'ayant
         des peleteries nous aurions des vivres que nous apporteroient
         les vaisseaux qui estoient à Gaspay. Ils firent tout ce qu'ils
         peurent pour les avoir, menaçant de faire des protestations,
         sur ce que je refusois leurs peleteries, & munitions: & de plus
         que j'eusse à faire sortir ledit Capitaine de May, & ses
         hommes, du fort & habitation, où je l'avois mis sans
20/1004  commandement du Roy: Je leur dis que sadite Majesté me
         commandoit de maintenir le pays, & conserver la place: que le
         mandement que j'avois de Monseigneur suffisoit, qui estoit
         celuy du Roy, & qu'à cela j'obeissois, recevant ledit Capitaine
         du May pour y avoir toute fiance. Cela seroit bon, dirent ils,
         s'il avoit apporté un arrest du Conseil, ce qu'il n'avoit fait,
         en attendant je me maintiendrais au mieux qu'il me seroit
         possible, & qu'ils fissent telles protestations qu'ils
         voudroient pour leurs descharges.

         Quand il fut question de les faire, je les sceus bien rembarer
         sur leurs protestations, leur monstrant qu'ils ne sçavoient pas
         en quelle forme il la falloit faire, ce qui leur fit changer
         d'advis, craignant de s'engager mal à propos, en chose qui leur
         eust peu nuire: & ainsi ils s'embarquèrent pour aller aux trois
         rivieres, & y traitter: qui fut le 9 de Juin.

         Ce mesme jour, je fis esquipper la chalouppe dudit Capitaine du
         May, avec six hommes pour aller à Tadoussac advertir ledit
         sieur de Caen, qu'aussi tost qu'il seroit arrivé il ne manquast
         à nous envoyer des hommes pour nous r'enforcer: me persuadant
         qu'il auroit arrest en sa faveur, comme il m'avoit fait esperer
         par ses lettres.



21/1005  _Arrivée du sieur du Pont & du Canau d'Halard, & du sieur de
         Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père George à
         Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur
         pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Magasin de Québec
         achevé par l'Autheur. Armes pour le fort de Québec._

                              CHAPITRE IV.

         Le Dimanche 13 Avril[517] arriva ledit du Pont, dans une
         moyenne barque, luy treiziesme avec marchandises de traitte,
         lequel fut receu comme les précédents, luy ayant fait entendre
         le commandement que j'avois tant du Roy que de mondit Seigneur,
         de conserver ceste place, & la maintenir en son obeissance, &
         tenir toutes choses en paix, faisant recognoistre son
         authorité: & que attendant nouvelle desdits vaisseaux, qui
         devoient venir, pour voir & sçavoir particulièrement ce qui se
         seroit passé au Conseil de sa Majesté, sur les différents
         qu'ils avoient eus avec mondit Seigneur qui les avoit exclus de
         la societé, pour y adjoindre la Nouvelle societé. Il me dit
         qu'il croyoit que tout seroit d'accord, estant sur lesdits
         termes quand il partit de Honnefleur. Je luy dis que je
         m'estonnois comme il avoit quitté son vaisseau, puisque sa
         presence y eust esté bien requise à la venue dudit sieur de
         Caen: il respondit que pour y estre il n'auroit pas mieux fait,
         & que l'ordre qu'il avoit laissé à un appellé la Vigne, dudit
         Honnefleur, qui commandoit en son absence, estoit tel que si
22/1006  l'on apportoit un arrest du Conseil en bonne forme, qu'il eust
         à y subir sans aucune resistance, que s'ils estoient d'accord
         avec leur societé, qu'il eust à l'assister de tout ce qui
         seroit en son possible & pouvoir, si autrement qu'il se
         conservast du mieux qu'il pourroit, suivant l'ordre qu'il luy
         avoit laissé, & que l'on ne pouvoit rien prétendre, que l'on ne
         vit l'arrest des Messeigneurs du Conseil: ce qu'attendant je
         leurs rendisse la justice, laquelle m'avoit esté enchargée: ce
         que je promis faire. Je luy fis aussi entendre comme j'avois
         retenu les peleteries qui estoient en ceste habitation, pour
         subvenir aux necessitez qui pourroient arriver; il me dit que
         c'estoit bien fait: le lendemain il s'en alla aux trois
         rivieres, pour traitter avec les sauvages.

[Note 517: Le 13 de juin était un dimanche.]

         Le 15 dudit mois[518] arriva un Canau où il y avoit un homme
         appelé Halard, de l'esquipage dudit sieur de Caen, qui
         m'apporta une lettre par laquelle il me donnoit advis de son
         arrivée, & la contrariété du temps qu'il avoit eu au passage,
         ayant chose importante à me communiquer, de la part de
         Monseigneur le Viceroy, qui ne pouvoit estre si tost par delà:
         d'autant qu'il croit avoir affaire avec ledit sieur du Pont, &
         de plus me prioit d'envoyer une chalouppe advertir les sauvages
         de sa venue, & du nombre des marchandises qu'il leur apportoit,
         qu'il m'envoyeroit le sieur de la Ralde, pour communiquer
         quelques affaires en renvoyant ledit du May: que si je pouvois
         l'aller treuver que je le fisse, mais alors le temps, & les
         affaires, ne me le peurent permettre: Car ce n'estoit pas la
23/1007  saison de laisser l'habitation ny le fort, veu tant de dangers
         arrivez à ceux qui ont fait semblables choses.

[Note 518: La suite donne à entendre que c'était le 15 juillet.]

         Le Vendredy 16[519], n'ayant point de chalouppe, je délibéré
         d'envoyer un Canau avec ledit Halard, & un gentilhomme appellé
         du Vernay[520], de l'esquipage dudit du May, avec un autre de
         l'habitation, advertir les sauvages de la venue dudit sieur de
         Caen.

[Note 519: Le 16 juillet, qui était en effet un vendredi.]

[Note 520: Ce gentilhomme avait déjà voyagé au Brésil. (Sagard, Hist. du
Canada, p. 658.)]

         Le 17 de Juillet arriva une chaloupe, où estoit Rommier[521],
         l'un des Commis de la nouvelle societé: qui l'an précèdent
         avoit hyverné en ceste habitation, avec ledit du Pont, lequel
         m'apporta plusieurs despesches, avec lettres des sieurs Dolu,
         de Villemenon, & dudit de Caen, lequel surprit quelque lettres,
         avec coppie de l'arrest en faveur des anciens Associez, que
         l'on envoyoit audit du Pont, par lesquelles nous vismes, que
         l'arrest avoit esté signifié audit sieur de Caen, estant en son
         vaisseau, à la radde de Dieppe: lequel avoit protesté de
         nullité, & fut ledit arrest publié à son de trompe, dans ladite
         ville de Dieppe, & autres lieux où besoin a esté.

[Note 521: Ou Roumier, il avait été sous-commis dans l'ancienne société
(ci-dessus, p. 7).]

         Après avoir veu & consideré toutes ces choses, avec l'advis de
         ceux que je trouvay à propos, & voyant que sur le procès advenu
         entre les deux societés, sa Majesté a ordonné que lesdits
         articles seroient representez, pour après iceux estant veus &
         examinés, y estre pourveu, soit par la réunion des deux
         societés, ou par l'establissement d'une nouvelle, ce pendant
24/1008  permis aux associez des deux compagnies, de trafiquer, & faire
         traitte, pour l'année 1621 seulement, tant par les deux
         vaisseaux ja partis, que par deux autres à eux appartenans,
         chargés & prest à partir, sans se donner aucun empeschement, ny
         user d'aucune violence, à peine de la vie: à la charge qu'ils
         seront tenus de contribuer pour la presente année, esgalement &
         par moitié, à l'entretenement des Capitaines, soldats, & des
         religieux establis & residens en l'habitation: & neantmoins
         deffences sont faictes ausdits Porée[522], & à tous autres, de
         sortir à l'advenir aucuns vaisseaux des ports & havres de ce
         Royaume, ny faire embarquement, sans prendre congé dudit sieur
         Admiral, en la manière accoustumée, à peine de confiscation des
         vaisseaux & marchandises, & autres plus grandes peines s'il y
         eschet. Signifié le 26 dudit mois[523]. Voila l'arrest du
         Conseil de sa Majesté. Lesdits articles dudit sieur Dolu,
         furent confirmez par le Conseil, le 12 de Janvier 1621 hormis
         quelques uns.

[Note 522: Les principaux associés de Thomas Forée, étaient Lucas
Legendre, Louis Vermeulle, Mathieu Dusterlo, Daniel Boyer, et autres,
tous membres de l'ancienne société. (Voir M. Ferland, I, p. 200, note
1.)]

[Note 523: Probablement le 26 de novembre 1620, les lettres de la
nouvelle société étant du 8 novembre de cette même année. (Voir M.
Ferland, I, 200, note 1.)]

         Il fut resolu que ledit père George prendroit la peine d'aller
         à Tadoussac en diligence, & Guers avec luy, dans la mesme
         chaloupe, pour treuver ledit de Caen, & apporter le remède
         requis à toutes ces affaires, sçachant bien que ledit du Pont
         voudroit jouir du bénéfice dudit arrest, où il y alloit de la
         vie, à celuy des deux qui useroit de violence: & pour ce qui
25/1009  estoit de la faute qu'ils avoient commise, de partir sans congé
         de l'Admirauté: ledit arrest monstroit qu'on en avoit fait
         mention, & instance au Conseil, où estoit porté, que si à
         l'advenir ils partoient sans congé, il y auroit confiscation du
         vaisseau, & marchandises, avec autres punitions, sans despens,
         & que chacun partiroit par moitié aux frais de l'habitation,
         aux hyvernans, & que chacun jouiroit du bénéfice de la traitte
         à son proffit.

         Ledit Père partit ce mesme jour 17 de Juillet, avec plain
         pouvoir de moy, d'accommoder toutes choses à l'amiable, avec le
         sieur de Caen, & par mesme moyen le satisfaire des plaintes
         qu'il faisoit, des Pères Paul[524] & Guillaume, qui avoient
         esté saisis de quelques lettres, usé de paroles & de menaces à
         son desavantage, taschant le mettre mal avec son esquipage:
         qu'il les avoit traittez favorablement, selon le rapport qui en
         fut fait, & ne peut on si bien faire, qu'il ne tombast quelque
         lettre entre les mains dudit du Pont, & une autre que je receus
         de leur part, où il me faisoit entendre ce qui s'estoit passé,
         & que j'eusse à rendre la justice selon la volonté du Roy, &
         quelqu'autres discours de compliment: je donne les lettres au
         Père, pour les faire voir au sieur de Caen.

[Note 524: Le P. Paul Huet, venu en Canada dès 1617, était repassé en
France avec Champlain en 1618. «On lui avait donné ordre d'y solliciter
les pouvoirs et les aumônes nécessaires pour commencer l'établissement
d'un couvent régulier à Québec, en titre de séminaire, où les enfants
seraient entretenus et instruits.» (Prem. établiss. de la Foy, I, 150.)
Il était de retour à Québec, avec le P. Guillaume Poullain, depuis le
mois de juin 1619. (_Ibid_. P. 154.).]

         Le 24 de Juillet, arriva ledit père George, lequel me dit que
         ledit sieur de Caen, se vouloit saisir du vaisseau dudit du
26/1010  Pont, en son arrivée: & estant sur le point de l'exécuter,
         comme le confirmoient les lettres dudit sieur de Caen, & qu'il
         ne passeroit plus outre, attendant ma venue, ce qui m'estonna
         grandement, considerant ledit arrest, qui defendoit sur peine
         de la vie, de ne s'inquiéter: Je renvoyay la chaloupe avec
         ledit Guers, & lettres adressantes audit sieur de Caen, où je
         luy fis entendre, que pour les incommoditez qu'il y avoit en la
         chaloupe, que je n'y pouvois aller, & que dans neuf jours au
         plus tost, je serois audit Tadoussac. Je despesché promptement
         un canau, & mandé audit du Pont qu'il m'envoyast une de ses
         barques pour m'en aller à Tadoussac, ce qu'il fit, que dans six
         jours la barque fut à Québec, & ledit du Pont dedans, pour
         sçavoir ce qu'il auroit à faire, avec ledit sieur de Caen,
         estant arrivé à Québec: je m'embarquay à la solicitation dudit
         Père, n'estant pas mon dessein de partir de l'habitation, &
         mander seulement ce qui me sembloit, de la volonté qu'il avoit
         de se saisir dudit vaisseau.

         Mais les persuasions avec les raisons que me donnoit ledit
         Père, m'y firent resoudre, ayant laissé ledit, du May, en ma
         place pour commander, & enchargé à tous mes compagnons de luy
         obeir, comme à moy mesme, je m'embarquay[525] le dernier de
         Juillet; ce mesme jour nous fismes telle diligence, que le
         lendemain au soir arrivasmes à demie lieue de Tadoussac, prés
         la poincte aux allouettes, où je fis mouiller l'ancre.
27/1011  Aussi-tost[526] ledit sieur de Caen me vient trouver, où il me
         fit entendre ce qui estoit de son dessein: je luy dis que le
         service du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, m'avoit amené
         en ce lieu pour luy donner les conseils que je croyois qui luy
         seroient necessaires, & raisonnables, s'il les vouloit suivre,
         qui estoient de ne rien altérer au service de sa Majesté, ny de
         ses arrests; & que l'authorité de Monseigneur demeurast en son
         entier: il me dit, qu'il n'avoit autre intention.

[Note 525: Avec le P. George, comme on le voit plus loin.]

[Note 526: Par cette expression «aussitost», il semble qu'il faut
entendre «dès le lendemain matin.» Car, d'après les dates qui précèdent,
Champlain serait arrivé à la pointe aux Alouettes le premier d'août; et,
quelques lignes plus bas, il dit: «le lendemain 3 d'Aoust.»]

         Le lendemain 3 d'Aoust nous entrasmes audict Port de Tadoussac,
         où ledit sieur de Caen me receut avec toutes sortes de
         courtoisies, m'offrant son vaisseau pour m'y retirer, le
         remerciant de tout mon coeur & le priant me permettre de
         demeurer en ma barque, pour ne me monstrer passionné à un
         party, ny à l'autre, puisqu'il estoit question de rendre
         justice, & voyant qu'il estoit à propos de ne m'en aller que
         tout ne fut en paix. Il fut question de traitter d'affaire,
         ledit de Caen fit quelque proposition sur le fait de la
         peleterie; que l'on ne treuva à propos, & luy en donna-on les
         raisons: il s'opiniastre & dit avoir des commandements
         particuliers, je le somme de les monstrer pour y obéir, il m'en
         fait refus, je luy offre de mettre papiers sur table, & qu'il
         en fit de mesme, ce qu'il ne voulut, & dit qu'il desiroit avoir
         le vaisseau dudit du Pont, pour aller à la guerre, contre les
         ennemis qui estoient en la riviere: je luy remonstre, qu'il
         regarde de ne contrevenir à l'arrest, je luy dis les raisons
         qui l'obligoient de s'en distraire: & pour ce qui estoit de
         chasser les ennemis, il avoit trois vaiseaux, deux entr'autres
28/1012  capables de courir toutes les costes, avec cent cinquante
         hommes, & qu'il avoit plus de force qu'il n'en failloit: il
         persiste de vouloir avoir ledit vaisseau, je le somme de donner
         ses advis, il le fait; après avoir fait quelque refus, je luy
         respons par articles: je luy envoye la response avec les
         articles, qu'il ne trouve à sa fantaisie.

         Il avoit fait faire une protestation audit du Pont, contenant
         un grand discours, des interests qu'il avoit sur ledit du Pont,
         & veut avoir son vaisseau: ledit du Pont me presente requeste
         sur ce que veut faire ledit de Caen contre les arrests du Roy,
         & prevoyant la ruine manifeste qui pouvoit arriver, de voir un
         arrest enfraint, bien que ledit sieur de Caen dit, qu'il n'y
         veut rien attenter au contraire: Le pere[527] & ledit sieur de
         Caen, eurent plusieurs paroles, qui apportoient plustost de
         l'altération, que la paix, voyant ne pouvoir rien gaigner sur
         luy, je fais des ouvertures, comme il peut servir le Roy, je
         m'offre d'aller dans le vaisseau dudit du Pont, courir sur les
         ennemis, le suivre par tout, non seulement dans des vaisseaux,
         mais dans des barques, chalouppes, ou canaus, par terre s'il en
         est besoin. Je luy dis qu'il ne peut refuser l'offre que je luy
         fais, me donnant de ses hommes, estant en lieu qui despende de
         ma charge, & luy remonstre qu'en ce faisant, ce sera servir le
         Roy, & mondit Seigneur, & qu'ainsi il n'usera de violence, & ne
         contreviendra aux arrests de sa Majesté, & mondit Seigneur y
         sera servy, & que s'il a des prétentions, il les vuidera en
         France.

[Note 527: Le P. George.]

29/1013  Il n'en veut rien faire, il s'attache à sa charge, & aux
         particuliers commandemens qu'il avoit du Roy, & de mondit
         Seigneur. Je le prie & conjure derechef, me les monstrer pour y
         satisfaire: il s'opiniastre plus que jamais; le voyant ainsi
         resolu, je prens le vaisseau dudit sieur du Pont en ma
         sauvegarde, & voulant le conserver pour l'authorité du Roy, &
         l'honneur de mondit Seigneur, devant tout son esquipage, &
         après qu'il en useroit comme bon luy sembleroit la forme de
         justice, qu'il falloit que je fisse ainsi.

         Ledit sieur de Caen, proteste devant tout son esquipage, de
         s'aller saisir dudit vaisseau, & qu'il chastiera ceux qui
         voudront resister, disant qu'il ne recognoissoit de justice en
         ce lieu.

         J'envoye prendre possession dudit vaisseau, & ledit sieur de
         Caen y envoya un homme, pour faire inventaire de ce qu'il y
         avoit, & ainsi s'en saisit, comme ayant la force en main: voila
         comme se passa cette affaire. Or premier que ledit sieur de
         Caen entrait au vaisseau, dudit du Pont, je leve l'ancré le 12
         d'Aoust, & m'en allay passer le Saguenay, pour ne me trouver à
         la prise que feroit ledit de Caen, lequel le lendemain me vient
         trouver avec sa chalouppe, pour traicter de l'ordre que nous
         devions tenir, pour la conservation de ladite habitation: je le
         priay de me donner quelques Charpentiers pour achever le
         magazin encommencé, & qu'il n'y avoit aucun lieu où l'on peust
         mettre aucune chose à couvert; il me dit qu'il avoit affaire de
         ses hommes, pour accommoder son vaisseau, qu'il vouloit partir
30/1014  promptement, pour aller à Gaspey, & autres lieux, courir sur
         l'ennemy, si lieu avoit, avec sa barque, & qu'il me
         l'envoyeroit avec le reste des hommes, qui devoient hiverner à
         l'habitation.

         Il me demande le payement des vivres qu'il avoit vendus audit
         du Pont, pour ceux qui devoient hyverner de leur part à
         l'habitation, pour le prix de mille Castors, & sept cens pour
         les marchandises, qui avoient esté estimées en sa barque,
         suivant la traicte qui se faisoit avecques les Sauvages,
         d'autant que nous avions interdit ladite traicte, pour les
         raisons que j'ay dit cy dessus. Aussi tost que ledit sieur de
         Caen se fut saisi du vaisseau dudit du Pont, il luy remit entre
         les mains, disant qu'il n'estoit point armé comme il falloit.
         Ledit père fut à Tadoussac, le 14 dudit mois, luy faire
         delivrer les Castors, & ainsi nous nous separasmes.

         Le lendemain, ledit sieur de Caen envoya faire une protestation
         par Hébert [528]: s'il eust voulu suivre le conseil que je luy
         voulus donner, il eust fait ses affaires, sans rien altérer, &
         avec suject de pretendre de grands interests pour le Roy, &
         Monseigneur, dautant que ledit du Pont n'avoit apporté aucuns
         vivres pour les hyvernans, & qu'à faute de ce, l'habitation
         pouvoit estre abandonnée, & le service du Roy, altéré.

[Note 528: Louis Hébert, apothicaire, qui était dans le pays depuis
quatre ans.]

         C'estoit à moy (à faute que ledit du Pont ne m'eust fourny les
         commoditez) de les demander audit de Caen, pour conserver la
         place; & en me les delivrant, avecques hommes pour hyverner,
31/1015  j'estois tenu, par la voye de justice, de renvoyer tous ceux de
         l'ancienne societé, prendre ceux dudit de Caen, & retenir
         toutes les marchandises, traictées ou à traicter, sans les
         delivrer qu'à son retour, qu'indubitablement ils luy eussent
         esté adjugées par voye de justice: Mais au contraire, les
         vivres que n'avoit ledit du Pont, pour fournir 25 hommes en
         leur part, ledit sieur de Caen luy vendit les tiens, ce qu'il
         ne devoit faire, & fut ce qui m'estonnoit, ne pouvant gouster
         ceste proposition, croyant selon mon opinion, que mille
         Castors, qu'il tiroit contant, luy estoient plus aseurez en les
         apportant, que ce qu'il eust peu esperer par justice, de ceux
         qui estoient entre mes mains, qui néantmoins estoit chose bien
         asseurée.

         Ce pendant que l'on s'amusoit à toutes ces contestations, il y
         avoit un petit vaisseau Rochelois, qui traittoit avec les
         sauvages, à quelque cinq lieues de Tadoussac, dans une Isle
         appellée l'Isle verte[529], où ledit sieur de Caen envoya après
         nostre département: mais c'estoit trop tard, les oyseaux s'en
         estoient allez un jour ou deux auparavant, & n'y treuvast on
         que le nid, qui estoit quelque retranchement de pallissade
         qu'ils avoient fait, pour se garder de surprise, pendant qu'ils
         traittoient, l'on mit bas les pallissades y mettant le feu.

[Note 529: C'est, sans doute, parce que les Rochelois venaient faire la
traite à cette île, malgré les privilèges des compagnies, qu'elle était
appelée île de la Guerre, dès le temps de Jean Alphonse.]

         Le Capitaine le Grand qui y avoit esté, s'en reuint, comme il
         estoit party. Nous fismes voilles de la pointe aux allouettes
         le 15 d'Aoust, & arrivasmes à Québec le 17 où estant je donné
32/1016  ordre à faire parachever le magazin, & ledit sieur de Caen
         envoya les armes, que le Roy nous donnoit pour la defence du
         fort.

         _S'ensuit les armes qui me furent livrées, par les commis tant
         du sieur de Caen & Guers, commis de Monseigneur de Montmorency,
         que par Jean Baptiste Varin, & Halard, le Mercredy 18 d'Aoust
         1621._

         12 Hallebardes, le manche de bois blanc, peintes de noir. 12
         Harquebuses à rouet, de cinq à six pieds de long. 2 autres à
         mesche de mesme longueur. 523 livres de bonne mesche. 187 autre
         de pourrie. 50 Piques communes. 2 Petarts de fonte verte,
         pesant 44 livres chacun. Une tante de guerre en forme de
         pavillon. 2 Armets de Gens-d'armes, & une senderiere. 64 Armes
         de Piquers sans brasards. 2 Barils de plomb en balles à
         Mousquets pesant 439 livres.

         Lesdites armes & munitions cy-dessus ont esté contées & receues
         à Québec, par monsieur de Champlain Lieutenant général de
         Monseigneur le Viceroy en la Nouvelle France, present le sieur
         Jean Baptiste Varin, envoyé exprés en ce lieu par monsieur de
         Caen, & de moy commissionnaire de mondit seigneur. Fait audit
         Québec, le susdit jour que dessus. Signé Guers commissionnaire,
         & au dessous Jean Baptiste Varin.

         J'ay soussigné Jaques Hallard, confesse avoir mis entre les
         mains de monsieur de Champlain Lieutenant de Monseigneur de
         Montmorency, Viceroy de ces terres, trois cens dix livres de
33/1017  Poudre à canon, en deux Barils, & 2479 livres de plomb, en
         balles à mousquet, en six barils, ne sçachant dire si cesdites
         munitions sont du Roy ou de monsieur de Caen. A Québec ce
         jourd'huy dernier jour d'Aoust 1621. Signé Isaac[530] Halard.

[Note 530: Jacques. Ce Jacques Halard, ou Allard, paraît être celui
qu'on retrouve plus tard établi dans le pays.]

         Je demanday ausdits commis si ledit sieur de Caen ne m'envoyoit
         point de mousquets, & d'avantage de poudre, & meilleure que
         celle à canon, pour les mousquets: ils me dirent qu'ils
         n'avoient receu que les armes qu'ils m'avoient données. Je ne
         me pouvois imaginer que sadite Majesté n'eust ordonné des armes
         à feu avec de la poudre, qui sont les choses principales &
         necessaires, pour la defence d'une place, & se maintenir contre
         les ennemis: & ainsi fallut s'en passer, à mon grand regret.

         Je ne me pouvois imaginer que sa Majesté nous eust envoyé si
         peu de munitions de guerre, veu les lettres qu'elle m'avoit
         fait l'honneur de m'escrire, accompagnées de celle de Monsieur
         de Puisieux, comme j'ay dit cy-devant.

         Quelques jours après, ledit sieur de Caen envoya des vivres,
         pour la nourriture des hommes qui devoient hyverner au nombre
         de 25, comme j'avois demandé à chacun des deux societés, qui
         m'avoient esté promis pour la conservation de la place, il n'en
         vint que 18 de sa part, & trente que laissa l'ancienne societé.

         Ledit sieur de Caen ayant mis ordre à ses affaires, partit de
         Tadoussac le 29e jour d'Aoust.

34/1018  Et le mardy 7 de Septembre partit aussi ledit sieur du Pont, &
         le père George[531], de Québec, qui me promit communiquer audit
         sieur Dolu, tout ce qui s'estoit passé & fait: ne doutant
         point, que ce faisant tout iroit à l'amiable, & auroit esté en
         paix, & que tant de discours inutils qui s'estoient faits &
         passez par delà, se fussent appaisez; esperant avoir plus de
         repos à l'advenir: & oster le plus que l'on pourroit les
         chicaneries. Deux mesnages retournerent. Car depuis deux ans,
35/1019  ils n'avoient pas deserté une vergée de terre, ne faisant que
         se donner du bon temps, à chasser, pescher, dormir, & s'enyvrer
         avec ceux qui leurs en donnoient le moyen: je fis visiter ce
         qu'ils avoient fait, où il ne se trouva rien de deserté, sinon
         quelques arbres couppez, demeurans avec le tronc & leurs
         racines: c'est pourquoy je les renvoyay comme gens de néant,
         qui despensoient plus qu'ils ne valloient: c'estoient des
         familles envoyées, à ce que l'on m'avoit dit, de la part dudit
         Boyer en ces lieux, au lieu d'y envoyer des gens laborieux & de
         travail, non des bouchers & faiseurs d'aiguilles, comme
         estoient ces hommes qui s'en retournèrent, il me sembla bon,
         pour esviter aux chicaneries, de faire quelques ordonnances,
         pour tenir chacun en son devoir. Lesquelles je fis publier le
         12 de Septembre[532].

[Note 531: Le P. George était porteur de la requête suivante:

SCACHENT TOUS QU'IL APPARTIENDRA. Que l'an de grâce 1621, le 18e jour
d'Aoust, du Règne de très-haut, tres-puissant & tres-Chrestien Monarque
Louys 13e du nom, Roy de France, de Navarre & de la nouvelle France
ditte Occidentale, du Gouvernement de haut & puissant Seigneur Messire
Henry Duc de Montmorency & de Dampville, Pair & Admiral de France,
Gouverneur & Lieutenant général pour le Roy en Languedoc, & Viceroy des
pays & terres de la nouvelle France ditte Occidentale, de la Lieutenance
de noble homme Samuel de Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en
la Marine, Lieutenant général esdits pays & terres dudit seigneur
Viceroy, que par permission dudit sieur Lieutenant se seroit faicte une
assemblée générale de tous les François habitans de ce païs de la
nouvelle France, afin d'aviser des moiens les plus propres sur la ruyne
& desolation de tout ce païs, & pour chercher les moiens de conserver la
Religion Catholique, Apostolique & Romaine en son entier, l'authorité du
Roy inviolable & l'obeissance deue audit Seigneur Viceroy, après que par
ledit sieur Lieutenant, Religieux & habitans, presence du sieur
Baptiste Guers Commissaire dudit seigneur Viceroy, a esté conclud &
promis de ne vivre que pour la conservation de ladicte Religion,
obeissance inviolable au Roy & conservation de l'autorité dudit Seigneur
Viceroy, voyant cependant la prochaine ruine de tout le pays, a esté
d'une pareille voix délibéré, que l'on feroit choix d'une personne de
l'assemblée pour estre député de la part de tout le général du pays,
afin d'aller aux pieds du Roy, faire les très humbles submissions
ausquelles la nature christianisme & obligation, rendent tous sujects
redevables, & presenter avec toute humilité le Cahier du pays, auquel
seront contenus les desordres arrivez en ce pays, & notamment ceste
année mil six cens vingt-un. Et aussi qu'iceluy député aille trouver
nostre-dit seigneur Viceroy, pour luy communiquer semblablement des
mesmes desordres, & le supplier se joindre à leur complainte, pour la
demande de l'ordre necessaire à tant de mal-heurs, qui menacent ces
terres d'une perte future, & finallement pour qu'iceluy député puisse
agir, requérir, convenir, traicter & accorder pour le Général dudit
pays, en tout & par tout ce qui sera l'advantage dudit pays. Et pour ce
tous d'un pareil consentement & de la mesme voix cognoissant la saincte
ardeur à la Religion Chrestienne, le zèle inviolable au service du Roy,
& de l'affection passionnée à la conservation de l'autorité dudit
seigneur Viceroy, qu'à tousjours constamment & fidellement tesmoigné le
Reverend Père Georges le Baillif Religieux de l'ordre des Recollects,
joint sa grande probité, doctrine & prudence. Nous l'avons commis,
député, & délégué, avec plain pouvoir & charge de faire, agir,
representer, requérir, convenir, escrire & accorder, pour & au nom de
tous les habitans de ceste terre, suppliant avec toute humilité sa
Majesté, son conseil & nostre-dit seigneur Viceroy, d'agréer ceste
nostre délégation, conserver & protéger ledit R. Père en ce qu'il ne
soit troublé ny molesté de quelque personne que ce soit, ny sous quelque
pretexte que ce puisse estre, à ce que paisiblement il puisse faire,
agir & poursuivre les affaires du pais, auquel nous donnons de rechef
pouvoir de réduire tous les advis à luy donnez par les particuliers en
un cahier général, & à iceluy apposer sa signature avec ample
déclaration que nous faisons, d'avoir pour aggreable & tenir pour
vallable tout ce qui sera par iceluy Reverend Père faist, signé, requis,
negotié & accordé pour ce qui concernera ledit pays, & de plus luy
donnons pouvoir de nommer & instituer un ou deux Advocats au Conseil de
sa Majesté, Cours souveraines & jurisdictions, pour & en son nom & au
nostre, escrire, consulter, signer, plaider & requérir de sa Majesté &
de son Conseil, tout ce qui concernera les affaires de ceste nouvelle
France. Si requérons humblement tous les Princes, Potentats, Seigneurs,
Gouverneurs, Prélats, Justiciers & tous qu'il appartiendra, de donner
assistance & faveur audit Reverend Père, & empêcher qu'iceluy allant,
venant, ou sejournant en France, ne soit inquiété ou molesté en ceste
délégation avec particulière obligation de recognoissance, autant qu'il
sera à nous possibles. Donné à Kebec en la nouvelle France sous la
signature des principaux habitans, faisans pour le général, lesquels
pour autentiquer d'avantage ceste délégation, ont prié le tres-Reverend
Père en Dieu Denis Jamet, Commissaire des Religieux, qui sont en ces
terres d'apposer son sceau Ecclesiastique ce jour & an que dessus, signé
Champlain, Frère Denis Lamet Commissaire, Frère Joseph le Caron, Hébert
Procureur du Roy, Gilbert Courseron Lieutenant du Prevost, Boullé,
Pierre Reye, le Tardif, I. Le Groux, P. Desportes, Nicolas Greffier de
la jurisdiction de Kebec & Greffier de l'assemblée, Guers Commissionné
de Monseigneur le Viceroy & present en ceste eslection, & seellée
en placard du seel dudit Reverend Père Commissaire.
(Sagard, Hist. du Canada, p. 73 et suiv.)]

[Note 532: Le 12 de septembre était un dimanche.--«L'on ne trouve plus
de copie, dit M. Ferland, des règlements faits par Champlain. Il serait
fort intéressant de connaître cette première ébauche d'un code
canadien.» (Cours d'Hist. du Canada, I, note 1 de la p. 202.)]


36/1020
         _L'Autheur faict travailler au fort de Quebec. Voye asseurée
         qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est
         expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin
         commis du sieur Dolu. Réunion des deux sociétés._

                              CHAPITRE V.

         Ce n'est pas peu que de vivre en repos, & s'asseurer d'un
         païs, en si fortifiant & y mettant quelques soldats pour la
         garde d'iceluy, qui apporteroit plus de gloire mille fois que
         n'en vaudroit la despence, & le Viceroy en recevroit du
         contentement, pour estre hors de danger de l'ennemy.

         Les sauvages nous assisterent de quelque Eslan, qui nous fit
         grand bien, car nous avions esté assez mal accommodez de toute
         chose, hormis de pain, & d'huille; les petites divisions qu'il
         y avoit eues entre les deux societés l'année d'auparavant,
         avoit causé ce mal: & estans bien reunies, il n'en pouvoit que
         bien arriver, tant pour le peuplement, que descouvertures, que
         augmentation du trafficq, ausquelles choses chacun y doit
         contribuer du sien en temps qu'il pourra.

         L'une des choses que je tiens en ceste affaire, & pour
         l'augmentation d'icelle, est les descouvertures, & comme elles
         ne se peuvent faire qu'avec de grandes peines & fatiques, parmy
         plusieurs régions & contrées, qui sont dans le milieu des
         terres, & sur les confins d'icelle à l'occident de nostre
37/1021  habitation, parmy plusieurs nations, aux humeurs & forme de
         vivre, desquels il faut que les entrepreneurs se conforment. Il
         y a bien à considerer d'entreprendre meurement, & hardiment
         cest affaire, avec un courage masle: mais aussi est il bien
         raisonnable, que le labeur de telles personnes soyent recogneus
         par quelques honneurs & bien-faits, comme font les estrangers
         en telles affaires, pour leurs donner plus d'affection & de
         courage d'entreprendre: & si on ne le fait, mal-aisément se
         peut il faire chose qui vaille.

         Pour la societé, ce seroit elle qui deveoit autant y apporter
         du leur que personnes, car un grand bien leur en reviendroit,
         encores que ceux de l'ancienne societe jusques à present,
         n'ayent jamais gratifié les entrepreneurs d'aucune chose: au
         contraire ont osté le moyen de bien faire, en temps qu'ils ont
         peu. Et pour ouvrir le chemin à cest affaire, j'avois pense
         préparer quelque voye, qui fut seure & advantageuse pour les
         entrepreneurs, afin qu'avec plus de courage & asseurance, ils
         entreprinssent ce dessein.

         Qui estoit d'attirer quelques nombres de sauvages prés de nous,
         & y avoir une telle confiance, que nous ne puissions estre
         desceus ny trompez d'eux, & pour cet effect, j'avois pratiqué
         l'amitié d'un sauvage appelle Miristou, qui avoit tout plein
         d'inclination particulière à aymer les François, &
         recognoissant qu'il estoit desireux de commander, & estre chef
         d'une trouppe, comme estoit son feu père, il m'en parla
         plusieurs fois, avec tout plein de protestations d'amitié qu'il
         me dit nous porter, bien que se jugeasse que ce n'estoit en
38/1022  partie que pour parvenir à son dessein, mais il faut tenter la
         fortune, & me dit que si je pouvois faire en sorte qu'il peust
         obtenir ceste grade de Capitaine, qu'il feroit merveille pour
         nous: Je l'entretins une bonne espace de temps, depuis
         l'Automne jusques au Printemps, où conférant avec luy, je luy
         dis, Si tu es esleu par les François, j'y feray consentir tes
         compagnons, & te tiendront pour leur chef, mais aussi qu'au
         préalable, il devoit nous tesmoigner une parfaite amitié, ce
         qu'il promit faire.

         Le 8 de Juin[533] arriva le sieur Santein, l'un des commis de
         la nouvelle societé, qui me donna advis de la reunion des deux
         societés, que l'ancienne ayma mieux entrer en la aocieté
         nouvelle, que donner dix mille livres à la nouvelle, ayant cinq
         douziesme, & la nouvelle pour les sept durant quinze années, &
         ainsi que le conseil par arrest l'avoit ordonné.

[Note 533: 1622.]

         La première chose que je dis à ce sauvage, estoit qu'avec ses
         compagnons ils cultiveroient les terres proches de Québec,
         faisant une demeure arrestée, luy et ses compagnons, qui
         estoient au nombre de trente, qu'ayant mis les terres en
         labeur, ils recueilleroient du bled d'Inde pour leurs
         necessitez, sans endurer quelques fois la faim qu'ils ont, &
         par ainsi nous les tiendrions comme frères. De plus nous
         monstrions un chemin à l'advenir aux autres sauvages, que quand
         ils voudroient eslire un chef, que ce seroit avec le
         consentement des François, qui feroit commencer à prendre
         quelque domination sur eux, & pour les mieux instruire en
         nostre créance.

39/1023  Il me promit de faire ainsi, & de fait il fit si bien avec ses
         compagnons (desquels il avoit gaigné l'affection) que pour
         monstrer un tesmoignage de sa bonne volonté, premier que
         d'estre receu Capitaine. Ils commencèrent à deserter tous
         ensemble au Printemps, à demie lieue de nostre habitation, &
         s'ils eussent eu de bon bled dinde ceste année là, ils
         l'eussent ensemencé, ce qu'ils ne peurent faire qu'en une
         partie, laquelle contient prés de sept arpents de terre[534],
         assez pour une premiere fois. Quelques jours après descendirent
         des sauvages des trois rivieres, où ils se trouverent trois à
         quatre competiteurs, qui pretendoient la mesme charge, & y eut
         beaucoup de discours & conseils entr'eux, sur ce fait Miristou
         me vint treuver, luy sixiesme des plus anciens, me faisant
         entendre tout ce qui s'estoit passé, je l'asseuray qu'il ne se
         mit en peine, que je le ferois eslire chef, & que nous n'en
         cognoistrions point d'autre que luy en sa troupe, & le ferois
         entendre à ses compagnons, & à ceux qui luy disputoient ceste
         charge: le contentement qu'il eut, fit qu'il me presenta
         quelques quarante castors, & luy en fis donner une partie, pour
         avoir des vivres pour le festin de ses compagnons.

[Note 534: C'est probablement ce que l'on a appelé plus tard le désert
des Sauvages, qui était situé à la Canardière, au pied du second coteau
parallèle au fleuve. (Voir Concession de Michel Hupé, 1652, greffe
d'Audouard.)]

         Il s'en alla fort satisfait & content, je parlay à tous ses
         compagnons & competiteurs, leurs faisant entendre le suject qui
         m'esmouvoit à desirer qu'il fut chef, ils m'entendirent
         patiemment, & tous tesmoignerent qu'ils en estoient contens
         puisque je le desirois.

40/1024  Ils s'en retournerent avec volonté de l'eslire pour chef, &
         faire les cérémonies accoustumées. Cela fait il me vint
         treuver, accompagné de tous les principaux Sauvages, avec un
         present de 65 Castors, disant, J'ay esté esleu pour chef, comme
         tels & tels que tu as cognus, l'un estoit mon père qui avoit
         succedé à un autre de qui il portoit le nom de
         _Annadabijou_[535] il entretenoit le païs parmy les nations, &
         les François, j'en desire faire de mesme, & me tenir tellement
         lié avec vous que ce ne sera qu'une mesme volonté, & les
         presens qu'il m'avoit donnez n'estoient à autre intention, que
         pour tousjours estre en mon amitié, & me devoit appeller son
         frère, pour plus de tesmoignage d'affection, chose qui avoit
         esté resolue de l'advis de ses compagnons.

[Note 535: Annadabijou.]

         Je le confirmé en tout & par tout, l'asseurant que tant qu'ils
         seroient bons nous les aymerions comme nos frères, & que je les
         assisterois contre ceux qui voudroient leur faire du
         desplaisir: ils monstroient signe d'une grande resjouissance, &
         souvent se levoient en me venant mettre leurs mains dans les
         miennes, avec inclination, pour monstrer le contentement qu'ils
         avoient.

         Et me dit qu'il avoit changé son nom qui estoit _Mahigan
         aticq_, qui veut dire loup & cerf, _aticq_ veut dire cerf, &
         _Mahigan_ loup, je luy demandé pourquoy ils luy donnoient ces
         deux noms si contraires, il me dit qu'en leur païs il n'y avoit
         beste si cruelle qu'un loup, & un animal plus doux qu'un cerf,
41/1025  & qu'ainsi il seroit bon, doux, & paisible, mais s'il estoit
         outragé & offencé il seroit furieux & vaillant.

         Je fus assez satisfait de ceste response pour un sauvage:
         voyant leur bonne volonté, je me deliberé luy faire un festin,
         & à tous ses compagnons tant hommes que femmes & enfans, afin
         que devant tous il fut receu capitaine: pour plus de marque je
         fis le festin de la valleur de 40 castors, où ils se remplirent
         bien leur ventre, sans quelque petit trouble qui survint, il y
         eut eu plus de plaisir, mais le père & le meurtrier son fils se
         trouverent à ce festin, ausquels j'avois défendu d'y assister,
         & mesme de venir à nostre habitation, mais l'effronterie &
         l'audace de ces coquins fut grande & extrême, ce que sçachant,
         je parlé au chef pour voir comme il s'acquiteroit en sa
         nouvelle charge, luy disant, qu'il sçavoit bien pourquoy nous
         ne le désirions voir, & qu'il eut à le renvoyer, ce que fit
         aussi tost ledit _Mahigan aticq_, le meurtrier fait semblant de
         s'en aller, & le chef me le vint dire, je luy tesmoignay que je
         n'estois bien content, & ne me trouvay point au festin, où tous
         nos sauvages ne laissoient perdre un moment de temps à
         festiner, pendant que _Mahigan aticq_ m'entretenoit un peu.
         Après un de nos gens me vint dire que le meurtrier ne s'estoit
         point retiré, je fais semblant d'estre plus en collere que je
         n'estois, en me levant je fis prendre une arme pour aller
         treuver ledit meurtrier, ce que voyant _Mahigan aticq_, il me
         dit, je te prie de sursoir & ne l'aller chercher, & que
         c'estoit un fol, ce qu'il fit, & luy dit rudement & en collere,
         qu'il se retiraft, ce que firent le père & le fils, qui fut le
42/1026  subjet que la cérémonie ne se passa pas comme je me l'estois
         promis. Pour lors tous nos sauvages s'en retournèrent fort
         saouls & remplis de viandes ayant fait faire la cuisine en une
         chaudière à brasser de la bière, qui tenoit prés d'un tonneau.

         Le lendemain nos sauvages me vindrent trouver, avec tous les
         principaux, faisant apporter cent castors, en me disant que je
         n'eusse aucun desplaisir de ce qui s'estoit passé, & que cela
         n'arriveroit plus: entr'autre estoit un sauvage, qui avoit
         prétendu d'estre chef, fils d'un premier _Annadabigeou_, qui
         avoit esté capitaine de ces lieux la, me representant les
         grands biens qu'avoit son feu père, & qu'il estoit descendu de
         l'un des plus grands chefs qui fut en ces contrées, & autres
         discours sur ce suject & que quoy qu'il n'eust esté esleu chef
         avec la forme accoustumée, que neantmoins il estoit capitaine,
         ayant tousjours porté une affection particuliere aux François,
         qu'il venoit pour se faire recognoistre non comme principal
         chef, mais comme le second après _Mahigan aticq_.

         _Mahigan aticq_ reprenant la parole, dit qu'il l'advouoit pour
         tel, & comme sa seconde personne: & qu'à son defaut il
         commanderoit, & que nous devions avoir la mesme confiance qu'en
         luy, & que se joignant ensemble ils tiendroient tout le monde
         en paix, que quand lesdits capitaines François seroient arrivez
         à Tadoussac, sçavoir les sieurs de Caen & du Pont, estans en ce
         lieu ils les aseureroient derechef de leur bonne affection &
         fidélité, sieurs de donnant lesdits cent castors à nous trois:
         pour estre bien réunis ensemble, à les maintenir de nostre
43/1027  part. Je leurs fis responce que si par le passé, ils avoient
         veu quelque chose entre les François, ce n'estoit pas jusques
         là pour en venir à une guerre comme ils croyoient, estant tous
         bons amis, & que maintenant ils ne verroient plus de dispute
         entr'eux comme ils avoient veu par le passé, entre lesdits de
         Caen & du Pont, de plus qu'ils seroient fort satisfaits de
         l'eslection qui avoit esté faite.

         Tous ces discours finis, je m'imaginay que puisqu'ils ne
         vouloient estre esleuz, que par contentement des François, &
         pour leur donner quelque sorte d'envie & d'honneur
         extraordinaire, tant pour eux que pour leurs descendans à
         l'advenir: qu'il estoit à propos de les recevoir capitaines
         avec quelques formalitez que je leurs fis entendre, que quand
         on recevoit un chef, que l'on obligeoit tels capitaines, à
         porter les armes contre ceux qui nous voudroient offencer, ce
         qu'il promit faire, je luy donnay deux espées, qu'il eut pour
         agréables, & de ceste bonne réception & present, il fallut
         aller monstrer ces presens à tous ses compagnons, & leur faire
         entendre tout ce qui s'estoit passé, & leur fis donner de quoy
         faire festin, ce que je fis à la valeur de quelque nombre de
         castors: & après s'en allèrent. Ainsi je cherchois quelque
         moyen de les attirer à une parfaite amitié, qui pourroit un
         jour leur faire cognoistre en partie l'erreur où ils sont
         jusques à present, ou à leurs enfans qui seroient proche de
         nous: incitant les pères à nous envoyer leurs enfans, pour les
         instruire à nostre Foy, & par ainsi estans habitez, si la
         volonté leur continuoit, l'on pourroit estre asseurez, que si
         on les menoit en quelque lieu aux descouvertures, qu'ils ne
44/1028  nous fausseront point compagnie, ayant de si bons ostages prés
         de nous, comme, leurs femmes & enfans: car sans les sauvages,
         il nous seroit impossible de pouvoir descouvrir beaucoup de
         chose dans un grand pays, & se servir d'autres nations, car il
         n'y auroit pas grande seureté, & ne leurs faudroit que prendre
         une quinte pour vous laisser au milieu de la course.



         _L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux
         decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez à Messieurs du
         Conseil. Des commodités qui reviendroient de ces decouvertures.
         Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de
         faire la paix entr'eux._

                               CHAPITRE VI.

         La cognoissance que de long temps j'ay eue, en la recherche &
         descouverture de ces terres, m'a tousjours augmenté le courage
         de rechercher les moyens qui m'ont esté possible, pour parvenir
         à mon dessein, de cognoistre parfaictement les choses que
         plusieurs ont douté. Ce que je tiens pour certain selon les
         relations des peuples, & ce que j'ay peu conjecturer de
         l'assiete du pays, qui sans doute me donne une grande
         esperance, que l'on peut faire une chose digne de remarque, &
         de louange, estant assisté des peuples des contrées, lesquels
         il faut contenter par quelque moyen que ce toit, ce qui (à mon
         opinion) sera aisé, & à tout le moins arrive ce qui pourra,
         pourveu que Dieu conserve les Entrepreneurs, il ne peut qu'il
45/1029  n'en revienne de grandes commoditez, qui serviront beaucoup en
         ceste affaire. Il y a long temps que j'ay proposé & donné mon
         advis à Nosseigneurs du Conseil, qui ont tousjours esté bien
         receus; mais la France a esté si brouillée ces années
         dernières, que l'on recherche à faire la paix, ne pouvant y
         faire despence. Je peux bien asseurer, que s'il ne se faict
         rien en ce temps, malaisément se pourra-il faire quelque chose
         à l'advenir: tous hommes ne sont pas propres à risquer, la
         peine & la fatigue est grande; mais l'on a rien sans peine:
         c'est ce qu'il faut s'imaginer en ces affaires; ce sera quand
         il plaira à Dieu: de moy, je prepareray tousjours le chemin à
         ceux qui voudront après moy, l'entreprendre.

         Il y a quelque temps, que nos Sauvages moyennerent la paix avec
         les Yrocois, leurs ennemis; & jusques à present, il y a eu
         tousjours quelque accroche pour la méfiance qu'ils ont des uns
         & des autres; ils m'en ont parlé plusieurs fois, & assez
         souvent m'ont prié d'en donner mon advis, leurs ayant donné, &
         treuvé bon qu'ils vesquissent en paix les uns avec les autres,
         & que nous les assisterions: mais quand il est question de
         faire la paix avecques des Nations, qui sont sans loy, il faut
         bien penser à ce que l'on doit faire, pour y avoir une
         parfaicte seureté. Je leur proposay, leur en donner des moyens,
         & seroit un grand bien proche de nous; l'augmentation du
         trafic, & la descouverture plus aysée, & la seureté pour la
         chasse de nos Sauvages, qui vont aux Castors, qui n'osent aller
46/1030  en de certains lieux, où elle abonde, pour la crainte qu'ils
         ont les uns des autres; & y ont tousjours travaillé jusques à
         present.

         Le 6 dudit mois de Juin, arriverent deux Yrocois aux trois
         rivieres, pour traitter de ceste paix: le Capitaine m'en donne
         aussi-tost advis, & y envoyerent deux Canaux, pour les amener à
         leurs Cabanes, proche de Québec, où ils estoient logez.

         Le 9, ils vindrent aux Cabanes de nos Sauvages, lesquels ne
         manquèrent de m'envoyer une chalouppe, pour aller voir la
         réception qu'il leur feroit: le m'enbarquay, accompagné dudit
         Sentein, & de cinq de mes compagnons, avec chacun son mousquet,
         où arrivant sur le bord du rivage, devant leurs cabanes, Le
         Capitaine Mahigan Aticq, accompagné de ses compagnons, avec les
         deux Yrocois à son costé, s'en vient au devant de nous, battant
         leurs mains, & la mettant en la nostre, & en firent faire
         autant aux deux Yrocois, nous tenans chacun par la main,
         jusques à ce que nous fussions à la Cabane dudit Capitaine; où
         arrivant, nous trouvasmes nombre de peuples assis, chacun selon
         son rang. Ledit Chef, me tesmoigna estre fort satistaict, &
         tous ses compagnons, de ce que je m'estois acheminé vers eux,
         pour voir les Yrocois, lesquels firent rapport, envers les
         leurs, de la bonne intelligence qui estoit entre nous, & eux.
         Ce faict, trois de nos Sauvages, avec les deux Yrocois,
         danserent, & après m'avoir demandé si je l'aurois agréable, je
         leur tesmoignay estre contant.

         Ceste dance dura une bonne espace de temps; & achevé qu'ils
         eurent de danser, chacun d'eux baisa sa main, & me la vindrent
47/1031  mettre en la mienne, en signe de paix, & bien-vueillance. Le
         meurtrier estoit l'un de ces trois danseurs, qui voulut mettre
         sa main dans la mienne, je ne le voulus jamais regarder; ce qui
         luy donna un grand desplaisir, de se voir ainsi mesprisé devant
         les Yrocois, & de toute l'assemblée: il n'arresta gueres qu'il
         ne sortist de la cabane. Ce pendant le Chef commanda à tous les
         hommes, femmes & filles, de danser; ce qu'ils firent quelque
         temps: La danse finie, il me remercia à sa façon, & me pria de
         tousjours les maintenir en amitié: le luy dis, qu'il ne devoit
         point douter de mon affection, lors qu'il se comportera
         doucement avec nous.

         Je le priay de me venir voir le lendemain, & douze de ses
         principaux, & les deux Yrocois (nous traiterons du subjet de
         leur venue) ce qu'ils m'accordèrent; & leur fis tirer quelques
         coups de mousquets: de là, nous nous r'embarquasmes pour
         retourner en nostre habitation. Le lendemain, ils ne faillirent
         à venir avec les deux Yrocois; peu après leur arrivée, je leur
         fis festin, suivant leur façon de faire: Après qu'ils eurent
         repeu, nous entrasmes en discours, sur ce qui estoit du traicté
         de paix avec les Yrocois, le leur demanday comment ils
         entendoient faire ce traicté: ils dirent que l'entreveue des
         uns aux autres, estoit avec amitié, tirant parolles de leurs
         ennemis, de ne les nuire ny empescher de chasser par tout le
         païs; & eux au semblable en feroient de mesme envers les
         Yroquois: & ainsi, ils n'avoient d'autres traictez à faire leur
         paix.

         Je leur dis que parlementer, estoit véritablement faire les
48/1032  approches à une paix, mais il falloit les seuretez d'icelle; &
         puis qu'ils m'en demandoient mon advis, je leur en dirois ce
         qui m'en sembleroit, s'ils me vouloient croire, à quoy ils
         accorderent, & me prierent derechef, de leur en donner mon
         advis qu'ils suivroient au mieux qu'il leur seroit possible; &
         qu'aussi bien, ils estoient las & fatiquez des guerres qu'ils
         avoient eues, depuis plus de cinquante ans[536]; & que leurs
         pères n'avoient jamais voulu entrer en traicté, pour le desir
         de vengeance qu'ils avoient de tirer du meurtre de leurs parens
         & amis, qui avoient esté tuez; mais qu'ayant consideré le bien
         qui en pourroit revenir, ils se resoudoient, comme dit est, de
         faire la paix.

[Note 536: Ce passage nous donne, au moins d'une manière approximative,
l'époque de cette fameuse querelle dont parlent Nicolas Perrot et la
Relation de 1660 (ch. II), et qui fit des Algonquins et des Iroquois
d'irréconciliables ennemis. Cette profonde division remonterait donc
vers l'an 1570, si toutefois ce n'était pas une simple recrudescence
d'une inimitié encore plus ancienne; car les sauvages que Cartier trouva
dans le pays, et qui semblent avoir été ce que l'on a appelé les _bons
Iroquois_, avaient déjà pour ennemie, dès 1535, une nation vers le sud,
appelée alors Toudamans (les mêmes sans doute que les Tsountouans, ou
Tsonnontouans), «qui leur menoient continuellement la guerre.»]

         Response à la première question que je leur fis sçavoir, si ces
         deux Yrocois estoient venus pour leur particulier, ou s'ils
         avoient esté envoyez de leur nation.

         Ils me dirent, qu'ils estoient venus de leur propre mouvement:
         & le desir qu'ils avoient de voir leurs parens & amis, qui
         estoient parmy eux détenus prisonniers de longue main, les
         avoit fait venir; & l'asseurance qu'ils avoient du traitté de
         paix, commencé depuis quelque temps, estans comme en tresve les
         uns & les autres, jusqu'à ce que la paix fut du tout asseurée
         ou rompue. Je leurs dis que puisque ces hommes n'estoient
         députez du pays, qu'ils les devoient traitter amiablement, avec
49/1033  toute sorte de paix & amitié, non pas en la façon comme s'ils
         estoient députez du pays, & qu'ils devoient estre receuz, avec
         plus d'allegresse & de cérémonie. De plus puisqu'ils voulaient
         venir à une bonne paix, qu'il falloit qu'ils choisissent
         quelque homme d'esprit parmy eux, & l'envoyer avec ces deux
         Yrocois, ayant charge de traitter de paix, & les inciter à
         envoyer en ce lieu de Québec de leur part: lors qu'ils
         verroient que nous y assisterions, que cela seroit occasion de
         se mieux asseurer, comme estans obligez à les maintenir.

         Ils trouverent cet advis bon, & de fait ils se resolurent d'y
         envoyer quatre hommes, sçavoir deux aux Yrocois, distans de
         Québec de cent cinquante lieues, & leur fis donner la valleur
         de 38 castors de marchandises, des cent dont ils leurs avoient
         fait presents, & ces marchandises estoient pour faire present à
         leurs ennemis à leur arrivée, comme est leur coustume, & ainsi
         s'en allèrent fort contens. Voila un bon acheminement.



         _Arrivée du Sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur
         leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy à
         l'Autheur. Arrivée du sieur de la Ralde à Tadoussac. Ce qui se
         passa le reste de l'année 1622, & aux premiers mois de 1623._

                                CHAPITRE VII.

         Le 15 de Juin arriverent lesdits du Pont & de la Ralde, avec
         4 barques chargées de vivres & marchandises, ausquels je fis la
         meilleure réception qu'il me fut possible, & ne trouverent que
50/1034  toute sorte de paix, ce que plusieurs ne croyoient pas, suivant
         ce qui s'estoit passé. Ils ne sçavoient point que le subject en
         estoit osté, occasion pourquoy toutes choses s'estoient passées
         avec douceur, ils furent quelques huict jours à faire leurs
         affaires, où durant ce temps, je leurs fis entendre comme ces
         sauvages avoient esleu un chef par nostre consentement, & le
         bien qui en pouvoit reussir, pourveu qu'on l'entretienne en
         ceste amitié.

         Mahigan aticq vient voir ces messieurs qui le receurent fort
         humainement sur ce que je leurs en avois dit.

         Lesdits du Pont & de la Ralde, partirent pour monter amont
         ledit fleuve aux trois rivieres, où ils trouverent quelque
         nombre de sauvages, en attendant un plus grand. Quelques jours
         après arriva le Sire, commis, qui nous apporta nouvelle de
         l'arrivée dudit sieur de Caen à Tadoussac, qui m'escrivoit
         qu'en bref il s'achemineroit par devers nous, après sa barque
         montée: me priant luy envoyer quelques scieurs d'aiz, & un
         canau en diligence audit du Pont & de la Ralde, ce que je fis,
         & ledit le Sire partit ce mesme jour pour retourner le treuver
         à Tadoussac.

         Trois tours après arriva une barque des trois rivieres, qui
         alloit audit Tadoussac, suivant l'ordre qui luy avoit donné.

         Le Vendredy 15 de Juillet sur le soir, arriva ledit sieur de
         Caen dedans une chalouppe, craignant n'estre assez à temps à la
         traitte des trois rivieres: ayant laissé charge de despescher
         sa barque à Tadoussac, pour l'aller treuver aux trois rivieres,
51/1035  je le receus au mieux qu'il me fut possible, me faisant
         entendre tout ce qui s'estoit passé en toutes les affaires,
         tant de la Nouvelle que de l'ancienne societé, à quoy je
         satisfis au mieux qu'il me fut possible. Il me rendit la lettre
         suivante de sa Majesté.

         «Monsieur de Champlain, voulant conserver mon cousin le Duc de
         Montmorency aux droits & pouvoirs que je luy ay cy-devant
         accordez en la Nouvelle France, suivant les lettres patentes
         que je luy ay fait expédier, j'ay treuvé bon que la
         contestation qui estoit à mon Conseil, entre l'ancienne
         compagnie, faite par les precedents Gouverneurs, pour faire les
         voyages audit païs de la Nouvelle France, establis par mon
         cousin, suyvant son pouvoir; que ladite Nouvelle soit conservée
         au traitté, joignant en icelle ceux de l'ancienne qui y
         voudront entrer, ainsi que vous verrez par l'arrest de mon
         Conseil, qui vous sera envoyé par le sieur Dolu, suivant lequel
         je veux & entend que vous vous gouverniez avec lesdits nouveaux
         associez, maintenant le païs en paix, en y conservant mon
         auctorité, en tout ce qui sera de mon service, à quoy
         m'asseurant que vous ne manquerez, je prie Dieu qu'il vous ayt
         Monsieur de Champlain en sa saincte garde, escrit à Paris le 20
         de Mars 1622. signé Louis, & plus bas Potier.»

         Ledit de Caen fut deux jours à Québec, & delà s'en alla aux
         trois rivieres. Le lendemain sa barque arriva de Tadoussac, qui
         l'alla treuver.

52/1036  Le dernier dudit mois de Juillet, passa ledit de la Ralde, qui
         s'en retournoit à Tadoussac, pour apprester son vaisseau, &
         delà aller à Gaspey, voir si n'y avoit point de vaisseaux, qui
         contrevinsent aux defences de sa Majesté.

         Ledit de la Ralde arrive à Tadoussac, & eut quelques paroles
         avec Hébert, que ledit sieur de Caen avoit laissé en sa place
         pour commander à son vaisseau bien qu'arrivant ledit de la
         Ralde, le commandement estoit à luy comme lieutenant dudit de
         Caen, & l'autre estoit son enseigne, qui ne voulut cognoistre
         ledit de la Ralde, & leur dispute vint sur le fait de la
         religion, bien que tous deux catholiques: car quand ledit de
         Caen qui estoit de la religion prétendue reformée, faisoit
         faire les prieres sur le derriere en sa chambre, & les
         catholiques sur le devant: & durant que ledit Hébert demeura au
         vaisseau, les prieres s'y continuoient, comme quand son chef y
         estoit: mais quand ledit de la Ralde y fut arrivé comme
         lieutenant, & commandant audit vaisseau, il voulut que les
         catholiques vinssent faire leurs prières en la chambre, & que
         les prétendus reformez fussent en leur rang, sur le devant pour
         prier, Hébert s'y opposa, disant, que son capitaine ne
         l'entendoit, & ne luy en avoit donné Charge, ledit de la Ralde
         dit, quand le chef y est, il fait comme il l'entend, Mais quand
         j'y suis en son absence, je fais comme il me semble, & sur ce
         sujet il s'esmeut une grande dispute, qui s'appaisa par le
         moyen de quelques peres Recolets, comme d'autres personnes qui
         s'y treuverent. Hébert eut le tort de ceste dispute, & n'avoit
         pas de raison.

53/1037  Ledit sieur de Caen arriva des trois rivieres, le 19 d'Aoust, &
         le mercredy 24, je fis lire & publier les articles de messieurs
         les Associez, arrestez par le Roy en son Conseil.

         Le Jeudy 25, ledit de Caen partit de Québec pour aller à
         Tadoussac, & je fus avec luy jusques à son departement qui fut
         le 5e jour de Septembre 1622.

         Ledit du Pont fut laissée à l'habitation, pour principal commis
         de Messieurs les Associez, & hyvernasmes ensemble.

         En cet hyvernement estoient, tant hommes que femmes, & enfans
         cinquante personnes.

         Ledit de Caen estant party, nous eschouasmes quelque chalouppe,
         & sur le soir, qui fut le 6, levasmes les ancres pour aller à
         Québec, où fusmes contrariez de si mauvais temps, que nous nous
         pensasmes perdre au port aux saumons sur nos ancres, ne pouvant
         appareiller: mais le vent venant à s'appaiser au 13 dudit mois,
         nous nous mismes sous voilles, & arrivasmes à Québec le 20. Le
         lendemain nous eschouasmes nostre barque, & fismes descharger
         le reste des commoditez, & aussi tost que tout fut deschargé,
         Desdame fut despesché avec ne chalouppe luy septiesme, pour
         aller à Tadoussac mener des matelots, & ramener une barque que
         l'on avoit laissée avec quelques cinq hommes, pour la garder,
         attendant que l'on y fust pour la ramener, d'autant qu'il n'y
         avoit point de matelots, pour esquipper les deux barques.

         Le 10 d'Octobre arriva la barque de Tadoussac, qui nous dit
         qu'un vaisseau de 50 à 60 tonneaux, estoit arrivé à Tadoussac
54/1038  pour faire pesche de baleine, laquelle il n'avoit peu faire à
         la grande Baye, ny en autre port, & qu'il avoit esté mis hors,
         à ce qu'ils dirent, par monsieur de Grandmont, comme ils firent
         paroistre par leur commission qu'ils montrèrent au Baillif ayde
         de sous commis, qui estoit resté audit Tadoussac: il estoit
         armé de quatre pièces de canon de fonte verte, d'environ de
         sept à huict cens pesant chacune, deux breteuils, & le vaisseau
         bien armé avec vingt quatre hommes, un bon pont de corde bien
         pouessé, tout à l'espreuve du mousquet, ayant à la valeur de
         six à sept cens escus de marchandises, pour traitter, au reste
         tres-mal amunitionnez de vivres, qui les contraignit de prendre
         du Bailly deux barils de pois, demy baril de lard, qu'ils
         payèrent en chaudière de cuivre rouge, celuy qui y commandoit
         s'appelloit Guerard basque, qui s'estoit associé avec un
         Flamant, pour ce qui touchoit la marchandise de traitte.

         Ledit Guerard escrivit un mot de lettre audit du du Pont, par
         laquelle il luy demandoit des castors, pour la moictié moins
         que l'on traittoit, pour les marchandises qu'il avoit, luy en
         envoyant le memoire. Voila ce que nous apprismes. De plus ils
         dirent qu'il venoit un vaisseau espagnol audit Tadoussac de
         deux cens tonneaux, pour faire sa pesche de balaine, & dit que
         durant que les vaisseaux estoient à Tadoussac, qui estoit[537]
         à l'Isle verte, & avoit veu partir ledit vaisseau de la Ralde
55/1039  de Tadoussac, & que presque toutes les nuicts il venoit avec
         une chalouppe au port, & oyoit la plus part des discours qui se
         disoyent au vaisseau dudit sieur de Caen, jusques à son départ.

[Note 537: Qu'il estoit.]

         De pouvoir y remédier il estoit impossible, pour n'avoir des
         matelots ny des hommes de main, affin de s'en servir en telles
         affaires, car il eut fallu au moins huict matelots d'ordinaire
         en l'habitation, & quelques dix ou douze quand il est question
         d'aller attaquer un ennemy, avec une vingtaine d'hommes, qui
         sceussent ce que c'est d'aller à la guerre, c'est ce qui ne se
         voit point à Québec, l'on pense estre trop fort, & que personne
         ne seroit[538] entreprendre en ces lieux, mais la meffiance est
         la mère de seureté, c'est pourquoy suivant les advis que
         souvent je donnois, l'on devoit remédier à la conservation du
         pays, & à l'asseurance des hommes qui y demeurent, qui estoit
         d'achever le fort ja commence, & y avoir de bonnes armes &
         munitions, & garnison suffisante qui s'y entretiendroit pour
         peu de chose, autrement rien ne se peut maintenir que par la
         force.

[Note 538: Lisez _n'oseroit._]

         L'on employa les ouvriers aux choses les plus necessaires de
         l'habitation. Ledit du Pont tomba malade de la goute le 27 de
         Septembre, jusques au 21 d'Octobre, & l'incommodité qu'il en
         sentoit, fit que pendant l'hyver il ne sortit point de
         l'habitation, pour son indisposition.

         Je passay le temps à faire accommoder des jardins, pour y semer
         en l'Automne, & voir ce qui en reussiroit au printemps, ce que
         je fis y prenant un singulier plaisir, cette occupation
         n'estoit point inutille pour la commodité qu'en recevoit toute
56/1040  l'habitation, à quoy personne n'avoit fait d'espreuve, car la
         plus part des hommes voudroient bien cueillir, mais rien semer,
         ce qui ne se peut, car l'on ne sçauroit dire en ces lieux
         combien on reçoit d'utilité des jardinages: un peu de soing &
         vigilance sert beaucoup à un homme de commandement, car s'il
         n'a de l'affection qu'à de certaine chose, malaisément peut il
         avoir beaucoup de commoditez sans main mettre, ou commander de
         ce faire, nos peres y estoient assez vigilans n'ayant autre
         soing que de prier Dieu & jardiner.

         L'un de nos peres appellé le père Irenée[539], se resolut le 13
         Décembre d'aller hyverner avec les sauvages, pour apprendre
         leur langue, & profiter quelque chose s'il pouvoit pour l'amour
         de Dieu: mais le 22 dudit mois, il retourna à son habitation,
         pour ne se pouvoir accommoder à la vie de ces peuples[540]:
         Ledit père y retourna pour la seconde fois[541], mais ne
         pouvant supporter la fatique, il s'en revint, & le père Joseph
         plus robuste & accoustumé à ceste vie, se délibera d'y aller
         passer trois mois de temps, qui estoit en bon temps, d'autant
         que la chasse de l'eslan se faisoit en quantité, où l'on ne
57/1041  mange que de la viande, bien que ce ne soit qu'à cinq ou six
         lieues de nostre habitation, & partit le mesme jour qu'arriva
         ledit père Irenée qui fut le 17 de Janvier 1623.

[Note 539: Le P. Irénée Piat.]

[Note 540: La cause de son retour, suivant Sagard, fut un peu
différente. Le frère du sauvage qui s'était chargé du Père étant tombé
malade, le pilotois décida que, «le mal ayant esté donné par un sauvage
fort esloigné de là, on l'enverroit tuer par l'un des frères du
malade... Le P. Irénée, estonné d'un si meschant conseil, & que sa
presence ny ses remonstrances ne pouvoient en rien modérer ny divertir
ces mauvais desseins (comme nouveau Apostre parmy un peuple gentil) il
quitta là tout & s'en retourna au Convent pour y cathéchiser les
François...» (Sagard, Hist. du Canada, p. 99.)]

[Note 541: Quoique le P. Irénée eût, sans aucun doute, l'intention de se
former et s'habituer aux fatigues des missions, il paraîtrait, d'après
Sagard, que ce second voyage n'était pas précisément une mission. Il
allait avec le Frère Charles, à quelques lieues de Québec, chercher un
élan, dont les sauvages avaient fait présent aux missionnaires. (Sagard,
Hist. du Canada, p. 101 et suiv.)]

         Le 23 de Mars ledit du Pont retomba malade de ses gouttes ou il
         fut très-mal avec de si grandes douleurs, que l'on n'osoit
         presque le toucher, quelque remède que le Chirurgien luy peust
         apporter, & fut ainsi tourmenté jusques au septiesme de May
         qu'il sortit de sa chambre.

         Le 19 de Mars il fit un temps fort violent accompagné de vens,
         tonnerre, gresle & esclairs, bien qu'en ce temps l'air est
         encore froid, & le pays remply de neiges & glaces.

         Le 19 d'Avril l'on commença à accommoder une barque, pour aller
         à Tadoussac, ce qu'estant achevée le premier de May, elle
         partit avec Desdames sous-commis & hommes, & ledit du Pont n'y
         peust aller pour son indisposition. Le 16 d'Avril il y avoit un
         pied de neige en quelques endroits. Je semé toutes sortes de
         grains le 20 dudit mois derrière l'habitation, où les neges
         estoient plustost fondues qu'ailleurs, pour estre au midy & à
         l'abry du vent de Nortouest, qui est fort dangereux.

         Le lundy 8 de May, nos ouvriers allant coupper du bois pour
         scier, le mal-heur en voulut à un jeune homme nommé Jean le
         Cocq, qu'une bûche roulant d'un lieu à autre passa par dessus
         luy, qui luy rompit le col, & luy escrasa la teste, & ainsi
         mourut pauvrement.

         Le 10 dudit mois, le père Irenée se resolut d'aller à
         Tadoussac, pour essayer de faire quelque fruict aux sauvages de
58/1042  par delà, cela m'estonnoit, voyant qu'il avoit assez à faire, &
         de quoy s'employer par deçà, à ce que je luy remonstré: mais ne
         le pouvant dissuader de ce voyage, il s'embarqua dans une
         chalouppe avec des sauvages qui le devoient mener: mais estant
         à Tadoussac il changea de resolution[542], & s'en revint à
         Québec le 22 dudit mois, & son entreprise fut rompue, & ne pût
         demeurer à Tadoussac avec nos gens, pour n'estre accommodé
         comme il eust desiré.

[Note 542: «Les Sauvages du Père, dit Sagard, ayant esté abouchez par un
autre plus grand nombre qui estoient là attendans d'autres de leurs amis
pour aller à la guerre, ils furent persuadez d'estre de la partie, & de
renvoyer ledit Père dans son Convent, jusques à un autre temps, qu'ils
le reprendroient pour son dessein, tellement qu'il fallut qu'il s'en
retournast dans un canot de Montagnais sans pouvoir passer plus outre,
marry que son voyage ne luy avoit mieux succedé.» (Hist. du Canada, p.
109.)]

         Voyant que jusques au 14 de juin l'on n'avoit point nouvelle
         des vaisseaux, & craignant que quelque accident ne fut arrivé,
         l'on délibéra d'envoyer une chalouppe à Tadoussac, ce qui fut
         fait avec cinq hommes, & Olivier[543] Truchement pour faire
         revenir la barque si les vaisseaux n'estoient arrivez, pour
         retourner & aller à Gaspey, recouvrir des vivres pour ceux qui
         resteroient à l'habitation, & rapasser dans les vaisseaux
         pescheurs, partie des gens les moins utiles. En ce temps je fis
         paver la cour de l'habitation, avec quelques réparations au
         logis.

[Note 543: Olivier le Tardif, qui devint plus tard commis de la
Compagnie générale des Cent-Associés, et seigneur en partie de la côte
de Beaupré.]

         Le Vendredy 16 arriva une chalouppe avec la nostre, où estoit
         un matelot appellé Jean Paul[544] qui nous dit l'arrivée du
         sieur Deschesnes à Tadoussac, dans une barque, & avoit laissé
         son vaisseau à Gaspey, pour taire pesche de poissons.

[Note 544: Peut-être Jean-Paul Godefroy.]

59/1043  Le 28 arriva Desdames avec la Realle, & deux Religieux, l'un
         apellé le père Nicolas[545], & l'autre 1623. le frère
         Gabriel[546], qui nous dirent que ledit sieur de Caen, n'estoit
         point encore arrivé, qui nous mettoit en peine.

[Note 545: «Le P. Nicolas Viel, qui faisoit de grandes instances depuis
trois ans» pour venir en Canada, «en reçut à Montargis la permission.»
(Le Clercq, Premier Etabliss. de la Foy, I, 246.)]

[Note 546: Gabriel Sagard, Théodat. Voici comme il raconte lui-même son
arrivée. «Pendant que j'admirois» ce saut (de Montmorency), «un doux
zephir enflant favorablement nos voiles, nous portoit à Kebec, où nous
arrivames la veille de S Pierre S. Paul, sur les cinq heures du soir en
très-bonne santé & assez bien mouillez d'une pluye qui nous tomboit du
Ciel, de quoy nous louâmes Dieu, & prîmes port au lieu accoustumé. Ayans
posé l'anchre, & mis ordre à ce qui nous concernoit, nous descendismes à
terre, saluames les Chefs de l'habitation, qui nous estoient venu
recevoir au Port & nous entrames dans la Chapelle, où nous rendîmes
actions de grâce à nostre Seigneur de sa divine assistance; & en suitte
poussez d'un desir extrême de voir nos Frères dans leur petit Convent,
nous pensames prendre congé du sieur de Champlain pour nous y rendre au
plustost, mais sa charité, outre les pluyes continuelles & l'obscurité
du temps nous en empescherent, & nous retint à coucher jusques au
lendemain matin, que nous y fusmes conduits par un des Matelots de
l'habitation.» (Hist. du Canada, p. 159, l60.)]

         Le 2 de Juillet, arriva un Canau où estoit Estienne Bruslé
         truchement, avec Desmarests, qui nous apporta nouvelle qu'il
         estoit arrivé, il n'arresta à Québec qu'une nuict partant plus
         outre, pour advertir les sauvages, & aller au devant d'eux pour
         les haster de venir.

         Le 4 dudit mois arriva Loquin commis, dans une barque pour
         aller en traitte, qui estoit à ce voyage lieutenant dudit sieur
         de Caen en son vaisseau, où montant haut, fit rencontre dudit
         du Pont, qui avoit esté avec une chalouppe à la riviere des
         Yrocois, pour persuader les sauvages de descendre à Québec, ce
         qu'il asseura audit Loquin, qui fit qu'ils rebrousserent chemin
         & s'en revindrent audit Québec sur ceste esperance, que
         véritablement ce seroit une bonne chose s'ils pouvoient
         descendre à ladite habitation, que cela releveroit de grandes
60/1044  peines & risques que l'on court. En ce temps un sauvage appellé
         la Foyriere[547], donna advis que la plus grande partie des
         sauvages avoient deliberé de nous surprendre, en mesme temps
         tant à Tadoussac qu'à Québec, & assommer tout, à la
         sollicitation du meurtrier, auquel advis l'on donna tel ordre,
         que depuis ledit meurtrier a desnié fort & ferme qu'il n'eust
         voulu faire ce mal, disant que l'autre estoit un imposteur.
         Lesdits Deschesnes & Loquin voyant que les sauvages ne venoient
         point comme ils avoient promis audit du Pont, partirent avec
         deux barques le 9 de juillet, pour aller à mont ledit fleuve, &
         rencontrèrent seize canaux proche de Québec, qui les fit
         retourner pour traitter ce qu'ils avoient, pour puis après
         suivre leur première délibération.

[Note 547: Ou la Forière, suivant Sagard.]

         Le 13 dudit mois arriva ledit sieur de Caen avec deux barques,
         où je le receus au mieux qu'il me fut possible, estant arrivé
         il se délibéra d'envoyer une barque, pour essayer d'amener
         lesdits sauvages s'ils les rencontroient, & ledit Deschesnes
         partit pour cet effect.

         Le 16 dudit mois, ledit de Caen ne tarda gueres qu'il ne suivit
         ledit Deschesnes, je m'embarquay en la barque qu'il me donna, &
         s'en vint en une autre: nous fismes voille avec quatre barques,
         chargées de marchandises pour la traitte.



61/1045  _Arrivée de l'Autheur devant la riviere des Yrocois. Advis du
         Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en
         l'isle S. Jean. Plainte des Sauvages accordées. Le meurtrier
         est pardonné. Ceremonies observées en recevant le pardon du Roy
         de France. Accord entre ces nations sauvages & les François.
         Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de
         Nouveaux édifices._

                              CHAPITRE VIII.

         LE 23 dudit mois, nous fusmes devant la riviere des Yrocois, où
         treuvasmes ledit Deschesnes, qui dit avoir eu nouvelle qu'il
         devoit arriver quelques trois cens Hurons, où Estienne Bruslé
         les avoit rencontrez, au sault de la chaudière, 75 lieues de
         ladite riviere des Yrocois.

         Cedit jour, arriverent quelques 60 Canaux de Hurons, &
         Algommequins qui r'amenerent du Vernay, & autres hommes qu'on
         leur avoit donné pour hyverner en leur païs, afin de tousjours
         les tenir en amitié, & les obliger à venir.

         Ce jour là mesmes arriva le pilote Doublet, luy sixiesme, dans
         une double chalouppe, qui venoit de l'Isle S. Jean & Miscou, où
         estoit le sieur de la Ralde en pescherie, qui donnoit advis au
         sieur de Caen, que des Basques s'estoient retirez à ladite isle
         S. Jean, pour se mettre en deffence si on les alloit attaquer,
         ne voulant subir aux commissions de sa Majesté; & qu'ils
         s'estoient saisis d'un moyen vaisseau où estoit un nommé
62/1046  Guers[548], qui l'année d'auparavant estoit venu à Tadoussac
         comme j'ay dit cy dessus: il se contenta de luy prendre ses
         marchandises de traitte, le laissant aller avec ses munitions,
         & canons de fonte verte: il meritoit qu'on luy fit ressentir le
         chastiment que doivent recevoir ceux qui contreviennent aux
         ordonnances & decrets de sa Majesté, il treuva de la courtoisie
         à son advantage, ce qu'il n'eut fait en beaucoup de personnes,
         qui l'eussent traitte avec plus de severité. Le pilote fit avec
         ceste chalouppe le long des costes & fleuve sainct Laurent,
         prés de deux cens lieues: il dit que ces Basques avoient donné
         de mauvaises impressions de nous aux sauvages de ces costes,
         disant, que s'ils nous treuvoient à leur advantage, ils nous
         feroient un mauvais party, & de fait il eut couru ceste fortune
         sans un pere Recollet, qui estoit parmy ces sauvages il y avoit
         deux ans, lequel escrivit une lettre à nos peres, de l'estat
         auquel il estoit parmy ces peuples, qui l'affectionnoient fort,
         & esperoit y faire quelque fruict moyennant la grâce de Dieu,
         estant fort advancé au langage du païs.

[Note 548: Vraisemblablement Guerar ou Guerard. (Voir ci-dessus, p.
54.)]

         Le 17 dudit mois arriverent des sauvages, qui firent une
         assemblée entr'eux, où ils formèrent quelques plaintes des uns
         & des autres, touchant les passages qui n'estoient pas libres
         aux Hurons, que les Algommequins les traittoyent mal, leur
         faisant contribuer de leurs marchandises, & ne se contentant
         pas de ce, les déroboient, qui leur donnoit encore suject d'un
         grand mescontentement: on les on les accorda sur toutes ces
         plaintes, ils firent des presens de quelques castors qui leurs
         furent payés plus qu'ils ne valoient.

63/1047  Le 30 fut célébré la saincte Messe[549]. Ce jour mesme l'on fit
         un pourparler, pour l'accord du meurtrier, auquel je ne pouvois
         entendre, pour la perfidie qu'il avoit commise, en l'assassinat
         de nos hommes, neantmoins plusieurs considerations, & les
         raisons dudit sieur de Caen, qui me dit que sa Majesté & mondit
         seigneur luy remettoient la faute, qui m'y firent condescendre,
         à la charge que l'affaire feroit une satisfaction devant toutes
         les nations, confessant que malicieusement, perfidement &
         meschamment, il avoit tué nos compagnons, méritant la mort si
         on ne luy faisoit grâce, ce qui fut accordé.

[Note 549: Le 30 juillet était un dimanche.]

         Le lendemain fut délibéré de faire quelques presens à toutes
         les nations, pour les obliger à nous aymer, & traitter bien les
         François qui alloient en leur païs, pour les conserver contre
         leurs ennemis, & ainsi leur donner courage de revenir avec plus
         d'affection.

         Cet accord ne se pouvoit faire que devant toutes les nations
         afin qu'elles recogneussent quelle est nostre bonté, au respect
         de leurs cruautez, & afin que le meurtrier en receut plus de
         honte, l'obligeant après le pardon d'estre autant affectionné à
         nous aymer, comme il avoit esté nostre ennemy mortel: il nous
         fallut user de quelque cérémonie, car il faut user de
         demonstrations parmy ces peuples, avec les discours: la
         cérémonie fut telle qui s'ensuit.

         Le dernier de Juillet, tous trouverent bon de suivre la volonté
64/1048  de sa Majesté, de pardonner au meurtrier qui avoit tousjours
         esté en crédit, & fait capitaine par les sauvages pour avoir
         tué nos hommes, ledit meurtrier se devoit mettre au milieu de
         toutes les nations assemblées en ce lieu, & celuy qui s'avoit
         assisté en ce meurtre, & luy faire un discours devant tout le
         peuple, du bien qu'il avoit receu des François, qu'il avoit
         très-mal recognu, comme meschamment & traistreusement il avoit
         assassiné nos hommes depourveus d'armes, sous ombre d'amitié,
         qu'on n'eust jamais peu penser ny aucun de nostre habitation,
         qu'il eust eu le coeur si desloyal & perfide comme il l'avoit
         monstré, que ce pendant le chef qui pour lors estoit à
         l'habitation, & autres du depuis n'avoient voulu user du
         pouvoir & droict que la justice leur donnoit de le faire
         mourir, comme il le meritoit.

         Ce pendant, l'affection que nous avions porté à ceux de sa
         nation, & comme estant allié des principaux, nous avoit
         empesché de le faire mourir, nous estans contentez de le
         chasser de nostre habitation, pour ne le voir, ny raffraichir
         la mémoire de nos hommes massacrez. Et voyant qu'il avoit
         recogneu sa faute, s'estant mis en devoir de recevoir le
         chastiment qu'il meritoit, qu'on luy pardonnoit, par la volonté
         de nostre Roy, qui luy donnoit la vie, & à la requeste de tous
         les peuples: A la charge de jamais ne retourner, ny tomber en
         cette faute, ny aucuns de sa nation; estans personnes qui ne
         nous contentions de presens, pour payement de la mort de nos
         hommes, comme ils faisoient entr'eux: & que s'il arrivoit à
         l'advenir qu'ils commissent telles perfidies & trahisons, on
65/1049  feroit punir de mort les autheurs du mal; les tenans pour nos
         ennemis: & tous ceux qui voudroient empescher: & plusieurs
         autres discours sur ce sujet; & quelques autres cérémonies qui
         furent faictes. Cela achevé, le meurtrier se leva, & son
         compagnon, me venant demander pardon, avec promesse à
         l'advenir, de se comporter si fidellement avec les François,
         qu'il n'auroit autre volonté que reparer ceste faute par
         quelques bons services: & ainsi furent libérez[550].

[Note 550: Quelques exemplaires portent «délibérez.»--Sagard nous a
conservé, sur cette affaire, quelques détails de plus. «Les meurtriers
ayans esté grandement blasmez, furent en fin pardonnez à la prière de
ceux de leur nation, qui promirent un amendement pour l'advenir,
moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen général de la flotte, affilié
du sieur de Champlain, & des Capitaines de Navires, prit une espée nue
qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve sainct Laurens en la presence
de nous tous, pour asseurance aux meurtriers Canadiens, que leur faute
leur estoit entièrement pardonnée, & ensevelie dans l'oubly, en la mesme
sorte que cette espée estoit perdue & ensevelie au fond des eaues, & par
ainsi qu'ils n'en parleroient plus. Mais nos Hurons qui sçavent bien
dissimuler, & qui tenoient bonne mine en cette action, estans de retour
dans leur pays, tournèrent toute cette cérémonie en risée, & s'en
mocquerent disans que toute la cholere des François avoit esté noyée en
céte espée, & que pour tuer un François on en seroit doresnavant quite
pour une douzaine de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car
ailleurs on ne pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelque
jour trompez s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.»
(Hist. du Canada, p. 236, 237.)]

         Mais quoy que s'en toit, ces peuples qui n'ont aucune
         consideration, si c'est par charité ou autrement; ils croyent
         que le pardon a esté faict faute de courage, & pour n'avoir osé
         entreprendre de le faire mourir, bien qu'il le meritoit, & cela
         nous mettoit en assez mauvaise estime parmy eux, de n'en avoir
         point eu de resentiment.

         Toutes ces nations tres-aises & satisfaits, ils nous
         remercièrent, nous louans de ce que nous n'avions tesmoigné un
         mauvais coeur, & accordèrent de mener onze François pour la
         defence de leurs villages, contre leurs ennemis, dont il en
         demeureroit huict en leurs villages, & trois qui reviendroient
66/1050  avec eux au printemps en traitte. Ils emmenèrent trois peres
         Recolets, sçavoir les pères Nicolas, Joseph, & frère Gabriel
         [551], pour voir s'ils pourroyent profiter au païs, pour la
         gloire de Dieu, & apprendre François langue. Deux autres
         François furent donnez aux Algommequins, pour les maintenir en
         amitié, & inciter à venir en traitte: Il leur fut fait un grand
         festin selon leur coustume, qui fit l'accomplissement de la
         feste, & par ainsi s'en allèrent grandement contans.

[Note 551: Frère Gabriel (et probablement aussi les PP. Nicolas et
Joseph) était arrivé «au port du Cap de la Victoire, le jour de la
saincte Magdelene,» c'est-à-dire, le 22 juillet, «environ les six à sept
heures du soir.» (Hist. du Canada, p. 174.)]

         Le 2 d'Aoust s'embarquèrent tous nos François avec les sauvages
         en leurs canaux, chacun avec son homme[552], & ce mesme jour
         l'on rechargea toutes les marchandises qui restoient en terre,
         se levent les ancres, nous mismes voilles, & le quatriesme jour
         arrivasmes à Québec, où les barques estant toutes assemblées,
         l'on fit visiter, & treuva on quantité de castors parmy les
         matelots, que l'on fit serrer, attendant qu'ils fussent de
         retour en France, pour les contenter, s'il se treuvoit par la
         societé que cela fut raisonnable, ne leur estant permis de
         traitter à leur prejudice, ce qui occasionna ceux des équipages
         d'estre mal contens, comme ils le temoignerent.

[Note 552: «La traite estant faite, dit Sagard, & les Hurons prests à
partir, nous les abordâmes en la compagnie du sieur de Caen général de
la flotte, lequel nous fit accepter chacun pour un canot moyennant
quelque petit prêtent de haches, cousteaux, & canons ou petits tuiaux de
verre qu'on leur donna pour nostre despence. Toute la difficulté fut de
nous voir sans armes qu'ils eussent desiré en nous plustost que tout
autre chose, pour guerroyer leurs ennemis, mais comme les espées & les
mousquets n'estoient pas de nostre gibier, nous leur fismes dire par le]
Truchement que nos armes estoient spirituelles, avec lesquelles nous les
instruirions & conserverions à l'encontre de leurs ennemis moyennant la
grâce de Dieu, & que s'ils vouloient croire nos conseils, les Diables
mesmes ne leur pourroient plus nuire: Cette responce les contenta fort,
& nous eurent dans une très-haute estime, tenans à faveur de nous avoir
comme nous de les accompagner, & servir en une si belle occasion.»
(Hist. du Canada, p. 174, 175.)

67/1051  Le 8 dudit mois fut despesché ledit Deschesnes, avec six
         barques, pour aller quérir les vivres pour l'habitation, & luy
         de s'en aller à Gaspey en son vaisseau, pour faire faire
         diligence de la pesche du poisson.

         Ledit sieur de Caen & moy, fusmes au Cap de tourmente, pour
         voir ce lieu, où estant arrivé & visité, fut trouve très
         agréable, pour la scituation, & les prairies[553] qui
         l'environnent estant un lieu propre pour la nourriture du
         bestial.

[Note 553: Vraisemblablement, ces prairies naturelles étaient situées
entre le Petit-Cap et le cap Tourmente même. Elles sont, encore
aujourd'hui, à l'état de prairies naturelles; mais la richesse des
prairies artificielles qui les avoisinent, a presque fait oublier le
mérite de leurs aînées. Il faut dire aussi que, de mémoire d'homme,
elles ont diminué considérablement de profondeur, par la violence des
eaux, qui, tous les ans, y enlèvent quelque chose au rivage.]

         Ayant veu particulièrement ce lieu, lequel s'il estoit mis en
         l'estat, que l'industrie & l'artifice des hommes pourroit y
         apporter, il seroit très-beau, car tout ce qui s'y peut
         desirer, pour une belle rencontre s'y treuve: partant de ce
         lieu, retournasmes à Québec le 17 dudit mois, où vismes toutes
         les barques de retour, qui deschargeoient les commoditez de
         ladite habitation, laquelle fut visitée par des Massons &
         Charpentiers, pour voir si elle estoit en estat de subsister &
         durer, il fut jugé que l'on auroit plustost fait d'en édifier
         une nouvelle, que reparer annuellement la vieille, qui estoit
         si caduque qu'elle attendoit l'heure de tomber, fors le magazin
         de pierre à chaux & à sable, (comme dit est,) auquel je fis
         faire une porte par dehors, qui alloit dans la cave, faisant
         condamner une trappe qui estoit dans le magazin des
         marchandises, par où on alloit souvent boire nos boissons, sans
         aucune consideration.

68/1052  Ledit du Pont se resolut de s'en aller en France, à cause de
         l'incommodité qu'il avoit, & ne pouvant avoir les choses
         necessaires icy pour sa maladie, qui l'occasionna de partir
         avec ledit sieur de Caen de Québec, le 23 d'Aoust avec trois
         barques, pour s'en aller embarquer à Tadoussac, delà en France,
         & passer à Gaspey, pour sçavoir nouvelle de ce qui s'estoit
         passé durant son absence, pour le suject des Basques qui
         estoient à l'isle de sainct Jean.

         Le premier de Septembre, ledit pilote Doublet arriva avec une
         chalouppe, & lettre dudit sieur de Caen, qui me prioit
         d'envoier le plus promptement que je pourrois les ouvriers
         restant pour retourner, ce qu'ils firent en deux chalouppes, le
         trouvent à Gaspey, où il leur avoit donné le rendez-vous.

         Recognoissant l'incommodité que nous avions eue par les années
         passées, de faire le foin si tard pour le bestial, j'en fis
         faire au Cap de tourmente deux milles bottes, dés le mois
         d'Aoust, & les envoyay quérir avec une de nos barques.

         Recognoissant la décadence, en quoy s'alloit réduire nostre
         habitation, nous avions resolu d'en faire une nouvelle: pour le
         plus abrégé je fis le plan d'un nouveau bastiment, abbatant
         tout le vieux, fors le magazin, & en suitte d'iceluy faire les
         autres corps de logis de dix-huict toyses, avec deux aisles de
         dix toyses de chaque costé, & quatre petites tours aux quatre
69/1053  coings du logement[554], & un ravelin devant l'habitation,
         commendant sur la riviere, entouré le tout de fossez &
         pont-levis: & pour ce faire je jugé que premier que bastir il
         falloit assembler les matériaux pour commencer à bastir au
         printemps, je fis faire quantité de chaux, abbatre du bois,
         tirer de la pierre, apprester tous les matériaux necessaires
         pour la massonnerie, charpenterie, & le chauffage, qui
         incommodoit grandement pour le divertissement des hommes, &
         n'y en eut que dix-huict de travail à toutes ces choses, où
         l'on fit assez de besongne pour si peu qu'il y avoit.
         L'incommodité que l'on recevoit à monter la montagne, pour
         aller au fort sainct Louis, me fit entreprendre d'y faire faire
         un petit chemin[555] pour y monter avec facilité, ce qui fut
         fait le 29. de Novembre, & sur la fin dudit mois la petite
         riviere Sainct Charles fut presque prise de glace, & depuis le
         mois de Novembre jusques à la fin dudit mois, le temps fut fort
         variable, & se passa en journées assez froides, au matin avec
         gelée, bien qu'il fist beau le reste du jour; se faisoit
70/1054  quelques fois de la pluye, & des neiges, qui par fois se
         fondent à mesure qu'elles tombent: Ayant remarqué qu'il n'y a
         point quinze tours de differens, d'une année à autre pour la
         température de l'hyver, qui est depuis le 20 Novembre, jusques
         en Avril, que les neiges se fondent, & May est le printemps:
         quelques fois, les neiges sont plus grandes en une année qu'en
         l'autre, qui sont de pied & demy, & trois & quatre pieds au
         plus, au plat pays: car aux montaignes du costé du Nord, elles
         sont de cinq à six pieds de haut.

[Note 554: Ce plan ne fut exécuté qu'en partie. Pendant l'absence de
Champlain les ouvriers, ou les conducteurs des travaux, simplifièrent
l'ouvrage, et ne firent que deux des tourelles projetées, comme on le
voit, tant par le texte même de l'auteur (voir un peu plus loin), que
par le plan et le dessin qui nous sont restés de ce second magasin. Ces
deux tourelles étaient sur la rue Notre-Dame, l'une à l'encoignure de la
rue Sous-le-Fort, l'autre quelques pieds en avant du portail de l'église
actuelle de la basse ville.]

[Note 555: Ce petit chemin, que Champlain fit faire à la fin de novembre
1623, pour monter au fort avec facilité, est, sans aucun doute,
l'origine du pied de la côte actuelle qui conduit de la basse à la haute
ville. Car d'abord il ne peut être question, ici, du haut de la montée,
c'est-à-dire, de la partie voisine du fort, puisque la pente du terrain
y est comparativement douce. En second lieu, des trois montées qui ont
existé simultanément, le chemin actuel des voitures est sans contredit
le moins raide et le plus facile. Tout le monde sait que la Petite-Rue
Champlain a toujours été si difficile à gravir, que depuis longtemps on
s'est vu obligé d'y pratiquer un escalier; le chemin qui descendait
naguères du coude de la rue de la Montagne droit au magasin, et qui,
selon toutes les apparences, a été le chemin primitif, n'a jamais pu
être que fort escarpé. D'ailleurs ces montées dataient toutes les trois
des premiers temps de la colonie, et l'on ne voit pas qu'aucun des
successeurs de Champlain ait fait autre chose que de les réparer ou les
améliorer. On peut donc conclure que le chemin _facile_, dont parle ici
Champlain, est la partie inférieure de la rue de la Montagne.]

         Aussi nous avions une autre incommodité, tant pour les hommes,
         que pour le bestial, le long de la riviere S. Charles, à une
         sapiniere qui estoit bruslée, & tous les bois renversez, qui
         rendoient le chemin difficile, de sorte que l'on n'y pouvoit
         passer, qui fit que je me fis faire un chemin où j'emploiay un
         chacun, qui travaillerent si bien, qu'il fut promptement faict.

         Le 10 de Décembre, la grande riviere fut chargée d'un grand
         nombre de glaces, de sorte qu'elle charioit, & le bordage pris,
         ne pouvoit plus permettre de naviger.

         Je fis traîner le bois pour le fort sur les neges, comme le
         temps plus propre le permettoit: les sauvages nous donnèrent un
         peu d'eslan qui nous fit grand bien, d'autant qu'en hyver l'on
         a aucun rafreschissement, n'ayant que les commoditez qui
         viennent de France, pour n'y en avoir au païs à suffisance, ce
         qu'avec le temps, l'on pourra estre relevé de ceste peine, par
         le soing que l'on prendra à la nourriture du bestial, duquel il
71/1055  y avoit bon commencement, car le défaut de ces choses, est
         grandement prejudiciable à la santé de plusieurs, &
         principallement de ceux qui seroient malades ou blessez, qui
         n'ont que salures, & les farines.

         Le 18 d'Avril[556], je fis employer tout le bois qui avoit esté
         faict pour le fort, afin de le pouvoir mettre en deffence,
         autant qu'il me seroit possible. Je fis faire quelques
         réparations à l'habitation qui estoit en décadence, attendant
         que l'on en eust faict une nouvelle.

[Note 556: 1624.]

         En ce temps, est la saison de la chasse du gibier, qui est en
         grand nombre jusques à la fin de May, qu'ils se retirent pour
         faire leurs petits, & ne reviennent qu'au quinziesme de
         Septembre qui dure jusques à ce que les glaces se forment le
         long des rivages, qui est environ le 20 de Novembre.

         Le 20 il fit un grand coup de vent, qui enleva la couverture du
         bastiment du fort sainct Louis, plus de trente pas par dessus
         le rempart, par ce qu'elle estoit trop haulte eslevée, & le
         pignon de la maison de Hébert, qui estoit de pierre, que je luy
         fis rebastir: ce petit inconvenient apporta un peu de
         retardement aux autres affaires, car il falut remettre la
         maison en estat, de laquelle je fis raser le second estage, &
         la rendis logeable au mieux qu'il me fut possible, attendant
         l'occasion plus commode pour la mieux édifier.

         Sur la fin du mois arriva un sauvage appellé des François,
         Simon; il luy parut avoir quelque fantaisie, à quoy ils sont
         ordinairement sujets, & principalement lors que contre la
72/1056  volonté de tous les capitaines & compagnons, ils veulent faire
         la guerre à leurs ennemis les Yrocois, avec lesquels ils
         estoient en pourparler de paix, il y avoit trois ou quatre
         jours: & de ce les sauvages m'en donnèrent advis, & me prièrent
         de faire en sorte de l'en empescher, & leur oster la frenesie
         qu'avoit cestuy cy: je l'envoyay quérir & luy demandé le suject
         pourquoy il faisoit cela, luy remonstrant le prejudice qui en
         pourroit arriver à tous ceux de sa nation, & l'advantage que
         les ennemis prendroient, du peu d'estat qu'ils faisoient de
         l'auctorité de leur chef, estans ainsi que des enfans sujects
         au changement, & n'ayant aucune parole arrestée, & se
         demonstrant sans foy ny loyauté: De plus que tous les François,
         ne seroient jamais contens de cette forme de procédé, & que
         ceste guerre durant un traitté de paix sans suject, estoit
         meschante & pernicieuse, procédante plustost d'un meschant, &
         d'un homme lasche & sans courage, d'autant que je sçavois fort
         bien que le but de ceste guerre n'estoit que d'aller surprendre
         quelques hommes, ou femmes à l'escart, & les trouvant
         incapables de se défendre, les assommer sans defence: à tout
         cela il me fit une courte responce, qui estoit qu'il sçavoit
         bien qu'ils ne valloient rien, & qu'ils estoient pires que
         chiens, & s'estoit ainsi imaginé, qu'il ne seroit jamais
         content qu'il n'eust eu la teste d'un de leurs ennemis, en
         sorte qu'il estoit resolu, luy quatriesme d'y aller. Comme je
         le vis obstiné, & que nulle remonstrance ne le pouvoit
         esmouvoir, je luy usay de quelque menaces s'il le faisoit: &
         ainsi s'en alla tout pensif, à sa cabane.

73/1057  Deux ou trois jours après les Chefs me vindrent trouver, pour
         me dire qu'ils estoient bien ayses de ce que j'avois parlé à
         luy, qu'il avoit changé de resolution de ne point y aller, me
         disant que je leur fissent donner quelques choses pour
         festiner, comme est leur coustume, quand il est question de
         faire quelque accord, ou autres choses semblables.

         Je leurs fis donner un peu de pois, & s'en allèrent ainsi
         joyeusement, pensant que ce sauvage oublieroit ce qu'il avoit
         projetté[557]. Ce pendant deux Charpentiers travailloient à
         accommoder les barques & chalouppes, & deux autres à faire les
         fenestres, portes, poutres, & autres choses de charpenterie,
         pour le nouveau bastiment; & quelques mil cinq cens planches
         que j'avois fait scier pour couvrir le logis, & trente cinq
         poutres qui estoient toutes prestes, avec la pluspart du bois
         de charpenterie assemblé pour la couverture. Le premier de May,
         je fis creuser la terre pour faire les fondemens du bastiment,
         qui avoit esté resolu de faire. J'employay trois hommes à aller
         quérir du sable avec la chalouppe, pour le bastiment; les
         massons à faire du mortier, attendant que quatre autres
         ostoient la terre pour les fondements, & le reste à approcher
         la pierre pour bastir: je fis tirer les allignemens pour
         commencer à bastir un corps de logis.

[Note 557: Voir, quelques pages plus loin, la perfidie de ce Simon.]

         Le 6 de May, l'on commença à maçonner les fondements, sous
74/1058  lesquels je mis une pierre[558], où estoient gravez les armes
         du Roy, & celles de Monseigneur; avec la datte du temps, & mon
         nom escrit, comme Lieutenant de mondit Seigneur, au païs de la
         Nouvelle France, qui estoit une curiosité qui me sembla n'estre
         nullement hors de propos, pour un jour à l'advenir, si le temps
         y eschet, monstrer la possession que le Roy en a prise, comme
         je l'ay fait en quelques endroits, dans les terres que j'ay
         découvertes.

[Note 558: «Cette pierre, retrouvée dans une des fouilles faites sur
l'emplacement du vieux magasin, avait été placée au-dessus de la porte
d'entrée d'une maison qui touchait à la chapelle de la basse ville. Un
incendie détruisit cette maison en 1854, et l'inscription a disparu.»
(M. Ferland, Cours d'Histoire du Canada, I, 213, note 1.)]

         Le 8 du dit mois, les cerisiers commencèrent à espanouir leurs
         boutons, pour pousser leur feuilles dehors.

         En ce temps mesme, sortoient de la terre de petites fleurs, de
         gris de lin, & blanche, qui sont des primes veres du Printemps,
         de ces lieux là.

         Le 9 les framboises commencèrent à boutonner, & toutes les
         herbes à pousser hors de la terre.

         Le 10 ou 11 le sureau monstra ses feuilles.

         Le 12 il y a des violettes blanches, qui se firent voir en
         fleur.

         Le 15 les arbres furent boutonnez, & les cerisiers revestus de
         fueillages & le froment monté à un ampan de hauteur.

         Les framboisiers jetterent leurs feuilles: le cerfeuil estoit
         bon là à coupper: dans les bois, l'oseille s'y void à deux
         pouces de hauteur.

         Le 18 les bouleaux jettent leurs feuilles: les autres arbres
         les suivent de prés: le chesne a ses boutons formez; & les
         pommiers de France que l'on y avoit transplantez, comme aussi
         les pruniers boutonnoient, les cerisiers y ont la feuille assez
         grande, la vigne boutonnoit & fleurissoit, l'oseille estoit
         bonne à couper.

75/1059  Le cerfeuil des bois paroissoit fort grand, les violettes
         blanches & jaunes estoient en fleur: le bled d'Inde se seme, le
         bled froment croissoit un peu plus d'un ampan de hauteur.

         La pluspart de toutes les plantes, & simples, estoient sortis
         de terre: il y avoit des journées en ce mois, où il faisoit
         grande chaleur.

         Le 21. de May, je despechay un canau à Tadoussac avec trois
         hommes, pour attendre le sieur de Caen, avec lettres que je luy
         escrivois, & une autre au premier vaisseau de sa flotte.

         Le 29 dudit mois, les fraises commencèrent à fleurir, & les
         chesnes à jetter leurs feuilles assez grandes en esté.

         Le 30 les fraises furent toutes en fleur, les pommiers
         commencèrent à espanouir leurs boutons, pour jetter leurs
         feuilles: les chesnes avoient leurs feuilles d'environ un pouce
         de long, les pruniers & cerisiers en fleur, & le bled d'Inde
         commençoit à lever.

         Durant ce temps je fis assoir quelques poutres sur le premier
         estage de la nouvelle habitation, & poser quelques fenestres &
         portes à icelle.

         Le premier du mois de Juin arriva un canau de Tadoussac, qui
         nous dit qu'aux environs du Bicq, il y avoit un vaisseau
         Rochelois, qui traittoit les sauvages, que dans ce vaisseau
         estoit un puissant homme qui y commandoit, estant tousjours
         masqué, & armé, & les sauvages ne sçavoient comme il
         s'appelloit, ny moins le cognoissoient ils pour ne l'avoir veu;
         & ma créance fut telle, que quand ils l'eussent cogneu, ils ne
76/1060  nous l'eussent voulu dire, tant il nous portent d'affection.
         L'on empesche les autres vaisseaux de venir traitter avec eux,
         encore que l'on leurs fit le meilleur traittement qu'il fut
         possible, & ainsi sommes nous aymez d'eux, en recompence du
         bien que nous leurs faisons.

         Le meilleur remède que j'ay recognu pour jouir plus facilement
         d'eux, c'est de n'en faire estat que par occasion, & peu après
         leur remonstrer hardiment leurs desfauts, & ne se soucier de
         mille sortes d'insolences qu'ils font le plus souvent: car
         comme ils voient que l'on en fait point d'estat[559], cela les
         rend plus audacieux à médire & mal faire, ayant moy-mesme
         expérimenté plusieurs fois, que lors que j'en faisois moins
         d'estime c'estoit à lors qu'ils me recherchoient le plus
         d'amitié, & diray plus que l'on n'a point d'ennemis plus grands
         que ces sauvages, car ils disent que quand ils auroient tué des
         nostres, qu'ils ne laisseroient de venir d'autres vaisseaux qui
         en seroient bien aises, & qu'ils seroient beaucoup mieux qu'ils
         ne sont, pour le bon marché qu'ils auroient des marchandises
         qui leurs viennent des Rochelois, ou Basques: Entre ces
         sauvages, il n'y a que Montaignars qui tiennent tels discours.

[Note 559: C'est-à-dire, _un point d'état_.]

         Arrivée Le 2e. jour de juin arriva une chalouppe où estoit le
         pilote Gascoin avec cinq ou six matelots, qui nous dit qu'il
         estoit arrivé au port de Tadoussac, avec un vaisseau de
         soixante tonneaux, ayant quelque cent barils de pois, sept
         tonneaux de citre, vingt-quatre baricques tant de biscuit que
77/1061  de galette, & que ledit sieur de Caen devoit partir douze jours
         après luy, que la prise de l'un de ces vaisseaux, par les
         Flamans l'avoit fait retourner à Paris pour se plaindre au Roy,
         & à Monseigneur, du sujet qui occasionnoit le retardement,
         m'informant de luy, s'il n'avoit aucune lettre pour moy de sa
         part, il me dit que non, qu'il me faisoit ses recommandations.
         Je m'estonnay grandement qu'il ne m'avoit escrit un mot
         d'advis, de sa venue en ce lieu, car cela va à telle
         consequence, que n'ayant advis de ceux qui ont la conduitte
         d'une flotte, ou autres telles affaires importantes, ne doivent
         jamais permettre que leurs vaisseaux partent sans un mot
         d'advis, au gouverneur ou lieutenant des places, esloignées,
         comme sont celles-cy, pour leur tesmoigner qu'ils se peuvent
         fier en eux, leurs donnant entrée libre dans l'habitation ou
         fort, comme estant de la compagnie. Une lettre que m'escrivoit
         le sieur le Gendre l'un des associez, m'asseura que le vaisseau
         venoit de la part dudit sieur de Caen.

         Le 4 dudit mois je fis mettre deux barques à l'eaue, qui
         partirent pour aller à Tadoussac, quérir les commoditez
         qu'avoit apporté ledit vaisseau, lequel avoit ordre de laisser
         un commis nommé Halard, avec partie des commoditez des vivres,
         pour traitter audit Tadoussac, ce qui nous fit un grand
         plaisir, d'autant que nous n'avions des farines & citres, que
         jusques au 10 dudit mois de Juin; que sans cela il nous eust
         fallu réduire au Migan[560], avec quatre barique de bled
         d'Inde, attendant nouvelles de la venue des autres vaisseaux.

[Note 560: Voir 1619, p. 76.]

78/1062  Le 12 arriva une barque, qui apporta quelque poinçons de citre,
         galettes, pois & prunes, & m'apporta une lettre de Halart, qui
         me mandoit qu'il s'ennuyoit grandement, que le vaisseau dudit
         sieur de Caen ne venoit, craignant qu'il ne luy fust arrivé
         quelques accidens par la mer: que recognoissant la necessité
         des vivres que nous pourrions avoir, il m'envoyoit ce qui luy
         restoit de commoditez, s'en reservant un peu pour entretenir
         les sauvages, qui traictoient ordinairement avec les Rochelois,
         & que je luy eusse à mander ma volonté de ce qu'il devoit
         faire.

         Le 24 dudit mois, la barque estant deschargée, prevoyant aux
         malheurs qui ordinairement peuvent arriver sur la mer, pour les
         risques qui y sont grandes, voyant que la saison des vaisseaux
         se passoit, sans sçavoir nouvelles de l'un des deux qui devoit
         arriver, sçachant bien qu'il ne faut pas attendre aux
         extremitez à pourvoir en telles affaires, aussi que la
         necessité des vivres nous pressoit, l'advisay qu'il ne seroit
         hors de propos d'escrire audit de la Ralde, qui estoit à
         Miscou, quelques 35 lieues de Gaspey, & luy faire entendre la
         necessité en laquelle nous allions tomber, s'il ne nous
         secouroit, au cas qu'il fust arrivé fortune au vaisseau; &
         avois donné charge au pilote Gascoin, d'attendre audit
         Tadoussac, jusques au 15 ou 16 de Juillet, & si en ce temps il
         n'oyoit aucune nouvelle, qu'il eust à aller trouver ledit de la
         Ralde; & donnois ordre à Marsollet truchement, luy troisiesme,
         de ne partir de Tadoussac, pour venir à Québec, que ce ne fust
         au 8 d'Aoust, qui estoit oster toutes sortes d'esperance, si
79/1063  les vaisseaux ne fussent venus en ce temps: Et esquippé la
         barque de tout ce qui leur estoit necessaire pour leur voyage:
         & partirent le 24 jour de S. Jean.

         Le 28 du mois, nous eusmes nouvelles de la descente des Hurons,
         Algommequins & Bisserains[561], qui furent bien faschez de
         n'avoir point de nouvelles des vaisseaux. Or le premier du
         mois de Juillet, du Vernay qui estoit allé aux Hurons, arriva
         dans un canau, qui nous apporta nouvelles certaine de la
         descente des Sauvages, à la riviere des Yrocois; & de la mort
         d'un François, qui avoit esté mon serviteur: & que le Père
         Nicolas estoit resté avec neuf François, estant revenu quatre
         de nos hommes[562], Le père Joseph, & le frère Gabriel, qui
         venoient quérir quelques choses[563] pour porter audit père
         Nicolas. De plus ledit du Vernay me dit que le François avoit
         esté mal traitté, parmy quelques Nations, faute que la pluspart
         ne s'estoient pas bien comportez avec ces peuples.

[Note 561: Pour Bissiriniens; ce sont les Nipissingues.]

[Note 562: Outre du Vernay, l'un de ces quatre français s'appelait
Lamontagne. (Sagard, Hist. du Canada, p. 819.)]

[Note 563: Voir Sagard, Hist. du Canada, p. 790.]

         Ce jour arriva une chalouppe, où estoit le pilote Gascoin, qui
         ayant apperceu vers l'eau le vaisseau dudit de Caen, qui
         entroit à Tadoussac, où il avoit envoyé une chalouppe du Bic,
         avec ordre de ce qu'ils devoient faire audit Tadoussac, qui
         estoit de depescher promptement une chalouppe, pour enuoyer à
         Québec faire charger la barque qui y restoit, & envoyer au
         devant des Hurons, ce qui fut fait, & partit ce mesme jour.

80/1064  En ce temps arriverent les sauvages, qui estoient allez de la
         part des montagnars aux Yrocois, pour contracter amitié, & y
         avoit prés de six sepmaines qu'ils estoient partis d'auprès de
         Québec. Ils furent très bien receus des Yrocois qui leurs
         firent tout plain de bonne réception, pour achever de faire
         cette paix. Mais en la compagnie de ces sauvages estoit un
         appelé Simon, qui devoit aller à la guerre. Après qu'il eut
         pris congé desdits Yrocois s'en retournant, le meschant
         traistre & perfide Simon, rencontrant un Yrocois l'assomma,
         pour la recompence du bon traittement qu'il avoit receu desdits
         Yrocois. Tous nos sauvages en furent grandement desplaisans, &
         eurent bien de la peine à reparer cette faute: car il ne faut
         parmy tels gens qu'un tel coquin, pour faire rompre toutes
         sortes de bonnes entreprises, pour n'avoir aucune justice
         entr'eux. Le 10 dudit mois les sauvages vindrent cabaner proche
         de l'habitation. Le lendemain arriva ledit de Caen, avec deux
         barques chargées de marchandises: Le jour en suivant l'on
         commença la traitte avec les sauvages: d'autres Canadiens
         arriverent en ce mesme temps avec quelques chalouppes. Le 14
         dudit mois la traitte fut achevée avec lesdits sauvages, &
         partirent le mesme jour pour s'en retourner en leurs païs, & un
         François[56] fut avec les Bissereins.

[Note 564: Probablement Jean Richer, leur truchement, (Sagard, Hist. du
Canada, p. 801.)]

         Le 16, le frère Gabriel arriva avec 7 canaux, qui nous resjouit
         grandement, nous comptant tout ce qui s'estoit passé en son
         hyvernement, & la mauvaise vie que la pluspart des François
81/1065  avoient mené en ce païs des Hurons, & entr'autres: truchement
         Bruslé à qui l'on donnoit cent pistolles par an, pour inciter
         les sauvages à venir à la traitte, ce qui estoit de
         tres-mauvais exemple, d'envoyer ainsi des personnes si
         malvivans, que l'on eust deub chastier severement, car l'on
         recognoissoit cet homme pour estre fort vicieux, & adonné aux
         femmes, mais que ne fait faire l'esperance du gain, qui passe
         par dessus toutes considerations.

         Le 19, ledit de Caen partit pour aller aux trois rivieres avec
         les barques, pour traitter avec d autres sauvages s'il en
         rencontroit.

         Le 20, huict canaux des Hurons qu'avoit amené ledit Bruslé,
         partirent de Québec. Ce jour mesmes, arriva ledit du Pont.

         Le 25, arriva aussi à Québec une barque, qui nous dit, qu'il
         estoit venu six Yrocois, nonobstant la mort de celuy qui avoit
         esté tué, pour confirmer l'amitié avec tous les sauvages: ayant
         bien jugé, que le sauvage qui avoit tué leur compagnon, l'avoit
         fait de sa propre malice, & non du consentement de ses
         compagnons. Le lendemain, arriva une barque, où il y avoit deux
         soldats, que le sieur de Caen envoyoit en son vaisseau, pour
         les mettre à la chaisne, pour quelques legeretez qu'ils avoient
         commises. Nouvelles vindrent aussi, qu'il estoit arrivé à
         l'entrée de la riviere des Yrocois, trente canaux Hurons, avec
         quelques François.

82/1066  Le premier d'Aoust, est arrivé à Québec ledit sieur de Caen, &
         le 4, il fut au Cap de tourmente, qui dit luy avoir esté donné
         par monseigneur de Montmorency, avec l'Isle d'Orléans, &
         quelques autres isles adjacentes: & le 10, il retourna à
         Québec.

         En ce temps je me resolus de repasser en France avec ma
         famille, y ayant hyverné prés de cinq ans, & où durant ce
         temps, nous fusmes assez mal secourus de raffraichissemens, &
         d'autres choses fort escharsement; nous n'avions dequoy
         remercier les associez en cela, car s'ils l'eussent sceu, ils y
         eussent donné ordre: la courtoisie & le devoir les obligeoit
         d'avoir soing des personnes qui avoient esgard à la
         conservation de la place & de leur bien, outre la charité pour
         ceux qui pouvoient estre malades, fussent morts faute de
         secours, & ainsi estoit plustost diminuer le courage, que de
         l'augmenter à servir des personnes, qui ne font estat des
         hommes qui conservent leur bien, & se tuent de soin & travail à
         garder ce qui leur appartient, au lieu que peu de choses
         contante tout un peuple.

         Je fis embarquer tout mon esquippage, & laissay l'habitation
         nouvelle bien advancée, & eslevée de 14 pieds de haut, 26
         toises de muraille faicte avec quelque poutres au premier
         estage, & toutes les autres prestes à mettre les planches
         sciées pour la couverture, la pluspart du bois taillé & amassé
         pour la charpente de la couverture du logement, toutes les
         fenestres faictes, & la pluspart des portes, de sorte qu'il n'y
         avoit plus qu'à les appliquer, je laissay deux fourneaux de
         chaux cuitte, de la pierre assemblée, & ne restoit plus en tout
         que sept ou huict pieds de hauteur, que toutes la muraille ne
         fust eslevée, ce qui se pouvoit en quinze jours, leurs
         matériaux assemblez pour estre logeable, si l'on y eust voulu
83/1067  apporter la diligence requise. Je les priay d'amasser des
         fassines, & autres choses, pour achever le fort, jugeant bien
         en moy-mesme, que l'on n'en feroit rien, d'autant qu'ils
         n'avoient rien de plus desagreable, bien que c'estoit la
         conservation, & la seureté du pays, ce qu'ils ne pouvoient, ou
         ne vouloient comprendre. Cet oeuvre ne s'avançoit que par
         intervalles, selon la commodité qui se presentoit, lors que les
         ouvriers n'estoient employez à autres oeuvres.

         Ledit sieur de Caen laissa son neveu, le sieur Esmery, pour
         principal commis, & pour commander en mon absence audit Québec,
         avec cinquante & une personne, tant hommes que femmes, garçons,
         & enfans.

         Le Jeudy 15e jour d'Aoust, partismes de Québec le 18.
         arrivasmes à Tadoussac, ou nous eusmes nouvelles de la mort de
         cinq hommes du vaisseau dudit Deschesnes, qui estoit à
         l'Acadie, lesquels hommes, avoient este tuez par les sauvages
         du lieu, proche du sieur de Biencour, qui estoit demeurant en
         ces lieux, il y avoit plus de 18 ans[565] avecques les
         sauvages.

[Note 565: D'après ce passage, M. de Biencourt serait venu en Acadie
avec son père dès 1605, ou même 1604, c'est-à-dire, à l'âge d'environ
quinze ans. (Lescarbot, liv. V, ch. X.)]

         Le 21 d'Aoust 1624. nous levasmes l'ancre, & mismes soubs
         voilles, pour retourner en France.

         Le 25 fusmes mouiller l'ancre devant Gaspey, & trouvasmes de la
         Ralde qui estoit venu de Miscou, faire sa pescherie de poisson.

         Le premier de Septembre un vaisseau partit de la flotte où
         commandoit le capitaine Gerard, pour aller en France devant
         porter des nouvelles.

84/1068  Le 6, le vaisseau de du Pont acheva de faire sa pesche de
         poisson audit Gaspey.

         La nuict venant au samedy[566], ledit sieur de Caen partit avec
         quatre vaisseaux, en l'un desquels estoit sa personne[567], &
         en l'autre ledit du Pont[568], au troisiesme ledit de la Ralde,
         & une patache de 45 à 50 tonneaux, dans laquelle estoit le
         pilote Cananée[569].

         Le 19 l'on apperceut un vaisseau de 60 tonneaux, que l'on
         jugeoit estre Rochelois, on fist chasse dessus, mais il
         s'evada, & ainsi se sauva à la faveur de la nuict[570].

[Note 566: Du 6 au 7 septembre.]

[Note 567: Et probablement l'auteur avec sa famille. (Conf. Sag., Hist.
du Canada, p. 842 et s.)]

[Note 568: Avec Dupont, repassait F. Gabriel Sagard, M. Goua, M.
Joubert, le sieur de la Vigne et probablement aussi le P. Irénée.
(Sagard, Hist. du Canada, p. 841, 843 et suiv.) Le P. Irénée était
député en France par le chapitre des Récollets de Notre-Dame-des-Anges,
pour obtenir des jésuites, afin d'aider les premiers missionnaires à la
conversion des sauvages; mais, les sentiments de Champlain, que l'on
avait sondé là-dessus, paraissant assez équivoques, il avait été arrêté
de tenir cette résolution secrète, afin d'en ménager plus-sûrement le
succès en France. (Premier établiss. de la Foy, I, 291, 292, 298.)]

[Note 569: «A mon voyage de la nouvelle France, je communiquay souvent
avec un bon Catholique nommé le Capitaine Cananée, qui avoit receu des
disgraces en mer autant qu'homme de sa condition. Il avoit esté pris &
repris des Pirates tant d'Alger qu'autres, qui l'avoient mis au blanc, &
réduit à servir ceux qu'il auroit pu auparavant commander. Retournant de
Canada pour la France le sieur de Caen général de la flotte luy donna le
gouvernement & la conduitte d'un petit navire, avec 12 ou 13 Mattelots
Catholiques & huguenots pour conduire à Bordeaux. Je desirois fort
passer dans son bord, tant pour la devotion que j'avois à la saincte
Magdeleine de laquelle le vaisseau portoit le nom, que pour le
contentement particulier que je recevois à la communication de ce bon &
vertueux Capitaine, mais ledit sieur de Caen général, & le sieur de
Champlain avec une quantité de nos amis me dissuaderent de m'embarquer
dans un si petit vaisseau, plus aysé à perir qu'un plus grand, outre
l'incommodité du balotage. Je me resolus donc à leur conseil & me teins
à ce qu'ils en voulurent...» (Sagard, Hist. du Canada, p. 38, 39.)]

[Note 570: «Donnâmes en vain la chasse à un Piratte Rochelois, qui nous
estoit venu recognoistre passant au travers de nostre armée. A la vérité
la faute que fit nostre avant garde, le corps d'armée, & l'arriere-garde
à la poursuitte de ce Pirate, me fist bien croire que nous n'estions pa
gens pour attaquer, & que c'estoit assez de nous deffendre. Et puis
c'estoit un plaisir d'entendre auparavant nos guerriers de vouloir aller
attaquer unze Navires basques vers Miscou, & de là s'aller saisir des
Navires Espagnols le long des Isles Assores. Dieu sçait quelle prouesse
nous eussions faite, n'ayans pu prendre un forban de 60 tonneaux, qui
nous estoit venu braver jusques chez nous.» (Sagard, Hist. du Canada, p.
841, 842.)]

         Le 27 on treuva fond à la sonde, à 90 brasses. Ce jour la
85/1069  petite barque où commandoit Cananée, se separa de nous, pour
         aller à Bordeaux, selon l'ordre qu'il en avoit: Depuis nous
         sceusmes qu'elle fut prise des Turcs, le long de la coste de
         Bretaigne, qui emmenèrent les hommes qu'ils y trouverent, & les
         firent esclaves[571].

[Note 571: _Conf_. Sagard, Histoire du Canada, p. 39 et 842.]



         Le 29 nous recogneusmes en la coste d'Angleterre, le cap
         appelle Tourbery.

         Le dernier de Septembre, nous apperceusmes la terre de la Heve.

         Le premier d'Octobre, entrasmes dans le havre de Dieppe, ou
         louasmes Dieu de nous avoir amenez à bon port, auquel lieu je
         sejournay quelques jours, de là, je m'acheminay à Paris avec
         tout mon train, où estant, je fus treuver à sainct Germain le
         Roy, & Monseigneur de Montmorency, qui me presenta à sa
         Majesté, auquel je fis la relation de mon voyage, comme à
         plusieurs messieurs du Conseil, desquels j'avois l'honneur
         d'estre cogneus. Ce fait, je m'en retournay à Paris, où je
         treuvay que les anciens & nouveaux associez, eurent plusieurs
         contestations sur le mauvais mesnage qui s'estoit fait en
         l'embarquement, qui apporta plusieurs troubles, cela en partie
         donna suject à mondit seigneur de Montmorency, de se deffaire
         de sa charge de Viceroy, qui luy rompoit plus la teste, que ses
         affaires plus importantes, la remettant à Monseigneur le Duc de
         Ventadour, qu'il voyoit porté à ce sainct dessein, convenant
         avec luy d'un certain prix, tant pour la charge de Viceroy, que
         pour l'interest qu'il avoit en ladite Société, le tout sous le
86/1070  bon plaisir de sa Majesté, laquelle commanda d'expédier les
         lettres patentes d'icelle commission, au mois de Mars 1625. au
         nom de mondit seigneur le Duc de Ventadour, n'estant poussé
         d'autres interests que du zèle & affection qu'il avoit de voir
         fleurir la gloire de Dieu, en ces pays barbares; & pour cest
         effect, y envoyer des Religieux, jugeant n'en trouver de plus
         capables, que les pères Jesuistes, pour amener ces peuples à
         nostre foy: il en envoya six[572], à ses propres cousts &
         despens, dés l'année mesmes. Sçavoir estoit, les reverend père
         l'Almand[573], Principal du Collège de Paris; tres-devot & zélé
         Religieux, fils du feu sieur l'Almand, qui avoit esté
         Lieutenant criminel de Paris; & le père Brebeuf[574], le père
         Massé[575], frère François [576], & frère Gilbert[577], qui
         s'acheminèrent aussi-tost avec une grande affection, à Dieppe,
         lieu de l'embarquement.

[Note 572: Cinq, comme le prouve la suite même du texte.]

[Note 573: Charles Lalemant. (Sagard, Hist. du Canada, p. 868.)]

[Note 574: Jean de Brebeuf. (Prem. établiss. de la Foy, I, 304.)]

[Note 575: Ennemond Massé. (Voir Hist. de la colonie française en
Canada, I, 101, note.)]

[Note 576: François Charton. (Prem. établiss. de la Foy, I, 304.)]

[Note 577: Gilbert Buret, d'après le P. le Clercq (Prem. établiss. de la
Foy, I, 304), et Burel, d'après les Relations des Jésuites (1635, p. 23,
édit. de Québec).]


87/1071

[Illustration]

                                LIVRE
                                SECOND
                             DES VOYAGES
                             DU SIEUR DE
                              CHAMPLAIN.



         _Monsieur le Duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France,
         continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il
         luy fait expédier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle
         France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez._

                           CHAPITRE PREMIER.

         En ce mesme temps, mondit Seigneur de Ventadour Viceroy en la
         Nouvelle France, me continua en l'honneur de la Lieutenance,
         que j'avois eue de mondit seigneur de Montmorency, me
         promettant pour icelle année de demeurer proche de luy, pour
         l'instruire des affaires dudit païs, & donner ordre à quelques
         miennes autres que j'avois à Paris.

88/1072  S'ensuit la Commission de Monseigneur le Duc de Ventadour Pair
         de France, donnée à Monsieur de Champlain.

         «HENRY DE LEVY, Duc de Ventadour, Pair de France, Lieutenant
         général pour le Roy au gouvernement de Languedoc, Vice-Roy, &
         Lieutenant général au pays de la Nouvelle France, & terres
         circonvoisines. A tous ceux qui ces presentes lettres verront
         salut: Sçavoir faisons, que pour la bonne & entière confiance
         que nous avons du sieur Samuel de Champlain, Capitaine pour le
         Roy en la marine: & de ses sens, suffisance, pratiques,
         expériences au faict d'icelle, bonne diligence, cognoissance
         qu'il a audit pays, pour les diverses navigations, voyages,
         frequentations qu'il y a faictes, & en autres lieux
         circonvoisins d'iceluy: A iceluy sieur de Champlain, pour ces
         causes, & en vertu du pouvoir à nous donné par sa Majesté,
         conformément aux lettres de commissions par luy obtenues, tant
         du feu sieur Comte de Soissons, que Dieu absolve, de Monsieur
         le Prince de Condé, & depuis, de monsieur le Duc de
         Montmorency, nos predecesseurs en ladite Lieutenance Generalle
         des quinze Octobre, & vingtdeuxiesme Novembre 1612. & 8 Mars
         1620 & à la nomination de sa Majesté, par les articles ordonnez
         par arrest du Conseil du premier Avril 1622. AVONS commis,
         ordonné, député, commettons, ordonnons, & deputons par ces
         presentes, nostre Lieutenant, pour representer nostre personne,
89/1073  audit pays de la Nouvelle France: Et pour cet effect, luy avons
         ordonné d'aller se loger avec tous ses gens, au lieu de Québec,
         estans dedans le fleuve sainct Laurent, autrement appelle la
         grande riviere de Canada, audict pays de la Nouvelle France, &
         audit lieu, & autres endroicts que ledit sieur de Champlain
         advisera bon estre: faire construire & bastir tels forts &
         forteresses qu'il luy sera besoin & necessaire, pour la
         conservation de ses gens: Lequel fort, ou forts, il nous
         gardera à son pouvoir, pour audit lieu de Québec, & autres
         lieux, & endroicts, en l'estendue de nostredict pouvoir, tant &
         si avant que faire se pourra: Establir, estendre, & faire
         cognoistre le nom, puissance & auctorité de sa Majesté: & en
         icelles, assubjettir, sousmettre, & faire obeyr tous les
         peuples de ladite terre, & les circonvoisins d'icelle: & par
         le moyen de ce, & de toutes autres voyes licites, les appeller,
         faire instruire, provoquer & esmouvoir à la cognoissance &
         service de Dieu, & à la foy & religion Catholique, Apostolique
         & Romaine, là y establir, & en l'exercice & profession
         d'icelle, maintenir, garder & conserver lesdits lieux, sous
         l'obeyssance & auctorité de sadite Majesté, & pour y avoir
         esgard & vacquer avec plus d'asseurance, Nous avons, en vertu
         de nostredit pouvoir, permis audit sieur de Champlain,
         commettre & establir, & substituer tels Capitaines & Lieutenans
         pour nous, que besoin sera. Et pareillement commettre des
         officiers pour la distribution de la justice, & entretien de la
         Police, Reglemens & Ordonnances, jusques à ce que par nous
90/1074  autrement en ayt esté pourveu. Traitter, contracter à mesme
         effect, paix, alliances, confédérations, bonne amitié,
         correspondance & communication, avec lesdits Peuples, & leurs
         Princes, ou autres ayant commandement sur eux, entretenir,
         garder, & soigneusement conserver les traittez & alliances,
         dont il conviendra avec eux, pourveu qu'ils y satisfacent de
         leur part: & à leur deffaut, leur faire guerre ouverte, pour
         les contraindre & amener à telle raison qu'il jugera
         necessaire, pour l'honneur, obeisance, & service de Dieu, & de
         l'establissement, manutention, & conservation de l'authorité de
         sadite Majesté parmy eux: du moins pour vivre, hanter, &
         fréquenter en toute asseurance, liberté, fréquentation, &
         communication, y négocier & traffiquer amiablement &
         paisiblement, faire faire à ceste fin les descouvertures
         desdites terres, & notamment depuis ledit lieu de Québec,
         jusques & si avant qu'il se pourra estendre au dessus d'iceluy,
         dedans les terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit
         fleuve sainct Laurent, pour essayer à treuver le chemin facile
         pour aller par dedans ledit païs, au Royaume de la Chine, &
         Indes Orientales, ou autrement tant & si avant qu'il se pourra
         estendre, le long des costes dudit païs, tant par mer, que par
         terre, & faire en ladite terre ferme, soigneusement rechercher
         & recognoistre toutes sortes de Mines d'Or, d'Argent, Cuivre, &
         autres métaux & minéraux, les faire fouiller, tirer, purger, &
         affiner, pour estre convertez & en disposer selon & ainsi qu'il
91/1075  est prescript, par les Edits & Reiglemens de sadite Majesté, &
         ainsi que par nous sera ordonné, & où ledit sieur de Champlain
         trouverroit des François, ou autres traffiquans, negocians &
         communiquans avec les sauvages & peuples, notamment depuis le
         lieu de Gaspey, par la haulteur de quarante huict & à quarante
         neuf degrez de latitude, & jusques au cinquante & deuxiesme
         degré, Nort & Su dudit Gaspey, qui nous est reservé par sadite
         Majesté, luy avons permis & permettons s'en saisir & les
         appréhender, ensemble leurs vaisseaux & marchandises & tout ce
         qui se trouverra à eux appartenans, & iceux faire conduire  &
         mener en France, es mains de la justice, pour estre procédé
         contr'eux selon la rigueur des ordonnances Royaux, & ce qui
         nous a esté accordé par sadite Majesté, ce faisant gérer,
         négocier, & se comporter par ledit sieur de Champlain, en la
         fonction de sadite charge de nostre lieutenant pour tout ce
         qu'il jugera estre en l'advencement desdites conquestes &
         peuplement: le tout pour le bien, service, & auctorité de
         sadite Majesté, avec mesme pouvoir, puissance & auctorité que
         nous ferions, si nous y estions en personne, & comme si tout y
         estoit par exprés & plus particulièrement specifié, déclaré.
         Luy avons, & de tout ce que dessus, donné, & donnons par ces
         presentes, charge & pouvoir, commission & mandement special: Et
         pour ce, & en tout nostre pouvoir esdits pays, à quoy nous
         n'aurions pourveu, & jusques à y estre par nous
         particulièrement pourveu: Avons ledit sieur de Champlain
92/1076  substitué, & subrogé en nostre lieu & place; à la charge
         observer tout ce que dessus, & par ceux qui seront sous sa
         charge & commandement, & de nous faire bon & fidel rapport, à
         toutes occasions, de tout ce qu'il aura faict & exploité, pour
         en rendre par nous, prompte raison à sadite Majesté. SI PRIONS
         ET REQUERONS, tous Princes, Potentats, & Seigneurs estrangers,
         les Lieutenans généraux, Admiraux, Gouverneurs de leurs
         Provinces, Chefs & conducteurs de leurs gens de guerre, tant
         par mer que par terre, Capitaines de leurs villes, Forts
         maritimes, Ports, Costes, Havres & Destroits, donner confort &
         ayde audit sieur de Champlain, pour l'entier effect & exécution
         de ces presentes, tout support, assistance, retraicte, & main
         forte si besoin est, & en soient par luy requis: En tesmoin
         dequoy nous avons signé les presentes de nostre main; & à
         icelles faict mettre nostre Seel. DONNÉ à Paris, le 15 Fevrier,
         1625. signé VENTADOUR. & plus bas par commandement de mondit
         Seigneur, GIRARD.»

         Ledit sieur de Caen fit encore ce voyage, sous la commission de
         monditseigneur de Ventadour, avec lesquels passerent nosdits
         Reverends Pères, lesquels il traitta courtoisement au
93/1077  passage[578]. Et un père Recollet appelle père Joseph de la
         Roche très-bon Religieux, allié de la maison du Comte du Lude,
         qui avoit quitté les biens & honneurs temporels pour suivre les
         spirituels.

[Note 578: Si les Pères Jésuites furent «traités courtoisement au
passage,» l'accueil qu'ils reçurent en arrivant à Québec ne tarda pas à
les convaincre qu'on avait semé contre eux bien des préjugés, «On auroit
crû,» dit le P. le Clercq (Prem. établiss. de la Foy, I, 309 et suiv.),
«que les Pères Jesuites ayant bien voulu se sacrifier au païs, &
commencer leur Mission par un nombre aussi considerable de bons sujets,
ils y auroient esté reçus avec toute la reconnoissance possible, & même
avec agrément; mais bien loin de cela, il ne se trouva personne ny des
chefs, ny des habitans qui n'y témoigna de la répugnance: tous
refuserent unanimement de les recevoir s'ils ne voyoient des ordres
absolus & un commandement du Roy pour leur établissement: ils ne
trouverent même personne qui les voulut loger. Car comme on s'estoit
contenté de tirer purement un contentement verbal de Sa Majesté, on
n'avoit pas trouvé lieu d'obtenir des lettres authentiques pour
l'établissement de ces Reverends Peres. Si bien que l'entreprise alloit
échouer: ils estoient sur le point de repasser en France par les mêmes
navires, & d'abandonner entièrement leur dessein, lorsque nos Peres
après bien des allées & des venues, obtinrent enfin de Monsieur le
Général & des Habitans, qu'on trouveroit bon que les PP. Jesuites
fussent logez chez nous pour ne faire qu'un esprit & qu'un corps de
Missionnaires, sans estre à charge au pais, jusqu'à ce qu'il plût au Roy
d'en ordonner autrement. Cet accommodement estant fait, le P.
Commissaire & ses Religieux partirent avec la chalouppe du Convent, pour
aller à bord faire honneur aux RR. PP. Jesuites & les conduire chez nous
avec toute la joye qu'on peut juger. Nos Religieux voyans leurs souhaits
accomplis par l'arrivée de ces Peres, le _Te Deum_ fut chanté en action
de grâce, & on leur fit du reste tout l'acueil que l'état du pais & la
sainte pauvreté pouvoit permettre. On leur offrit, & ils agréerent à
leur choix, la moistié de nostre Convent, du Jardin & de nostre Enclos
deffriché où ils demeurerent ensuite l'espace de 2 ans, vivans &
travaillans avec nos Peres en parfaite intelligence, pendant que leurs
affaires s'accomoderoient & s'avanceroient du côté de France & dans le
pais, pour un parfait établissement: à quoy sans doute ne servit pas peu
la deputation que nos Pères firent en France, principalement pour ce
sujet, du Père Joseph le Caron qui y revint l'année suivante, triomphant
& glorieux d'avoir obtenu une partie de sa négociation, & ce que nous
souhaitions sur ce sujet. Aussi le public sera bien aise & en même temps
édifié de voir que les RR. PP. Jesuites n'en furent pas méconnoissans:
entre autres témoignages qu'on en pourroit donner, voicy la copie de
deux lettres du Révérend Père Lallemant, premier Supérieur des Jesuites
du Canada, écrites en France à Monsieur de Champlain, & au Révérend Père
Provincial des Recollets de la province de Saint Denis.

_«MONSIEUR, Nous voicy grâces à Dieu dans le ressort de vostre
Lieutenance, où nous sommes heureusement arrivez, après avoir eu une des
belles traversées qu'on ait encore experimenté. Monsieur le Général
après nous avoir déclaré qu'il luy estoit impossible de nous loger dans
l'habitation, ou dans le Fort, & qu'il faudrait ou repasser en France,
ou nous retirer chez les Pères Recollets, nous a contraint d'accepter ce
dernier offre. Ces Peres nous ont reçu avec tant de charité, qu'ils nous
ont obligez pour un jamais. Nostre Seigneur fera leur récompense. L'un
de nos Peres estoit allé à la traite en intention de passer aux Hurons &
aux Iroquois avec le Pere Recollet qui estoit venu de France, selon
qu'ils aviseroient avec le Père Nicolas qui se devoit trouver à la
traite & conférer avec eux: mais il est arrivé que le pauvre Pere
Nicolas Recollet s'est noyé au dernier Sault ce qui a esté cause qu'ils
sont retournez n'ayant ny connoissance ny Langue, ny information. Nous
attendons donc vostre venue pour resoudre ce qui sera à propos de faire.
Vous sçaurez tout ce que vous pourrez desirer de ce pays du Révérend
Père Joseph. C'est pourquoy je me contente de vous assurer, que je suis
Monsieur, vostre très-affectionné Serviteur Charles Lallemant. De Quebec
ce 28 Juillet 1625._»

Voicy la copie de celle qu'il écrit au R. P. Provincial des Recollets de
Paris.

«MON R. PERE, (Fax Christi.) _Ce serait estre par trop méconnoissant de
ne point écrire à vostre Reverence, pour la remercier de tant de lettres
qui furent dernièrement écrites en nostre faveur aux Peres qui sont icy
en la Nouvelle France, comme de la charité que nous avons receue des
Pères qui nous ont obligez pour un jamais, Je supplie nostre bon Dieu
qu'il soit la recompense des uns & des autres. Pour mon particulier,
j'écris à nos Supérieurs que j'en ay un tel ressentiment, que l'occasion
ne se presentera point que je ne le fasse paroistre; & les supplie
quoyque d'ailleurs tres-affectionnez de témoigner à tout vostre Saint
Ordre les mêmes ressentimens. Le Père Joseph dira à vostre Révérence le
sujet de son voyage pour le bon succés duquel nous ne cesserons d'offrir
Prières y Sacrifices à Dieu. Il faut à cette fois avancer à bon escient
les affaires de nostre Maistre, & ne rien obmettre de ce qu'on pourra
s'aviser estre necessaire. J'en ay écrit à tous ceux que j'ay crû y
pouvoir contribuer, qui je m'assure s'y emploiront si les affaires de
France le permettent. Je ne doute point que vostre Révérence ne s'y
porte avec affection, & ainsi_ vis unita _fera beaucoup d'effet. En
attendant le succés, je me recommande aux saints Sacrifices de vostre
Révérence, de laquelle le suis très-humble Serviteur Charles Lallemant.
De Québec ce 28 Juillet 1621.»_]

         Ledit sieur de Caen ayant fait son voyage, il vint à Paris, où
         il eust plusieurs traverses des anciens Associez, qui les mit
         en un procez au Conseil, pensant tomber d'accord à l'amiable
         les uns avec les autres: De plus que mondit seigneur avoit du
         mescontentement dudit sieur de Caen, sur ce qu'on luy rapporta
         qu'il avoit fait faire les prières de leur religion prétendue,
         publiquement dans le fleuve sainct Laurent: desirant que les
         Catholiques y assistassent, chose qui luy avoit esté deffendue
94/1078  par mondit seigneur, lesquelles accusations le sieur de Caen
         n'approuva, disant que c'estoit la hayne & la malice de ses
         envieux, qui procuroient tout le mal qu'ils pouvoient contre
         luy, quoy que ce toit, après avoir bien disputé les uns contre
         les autres, aux assemblées qui se faisoient en l'hostel de
         Ventadour. Il falut avoir arrest de Messieurs du Conseil,
         puisqu'ils ne se pouvoient accorder sur un contrat que l'on
         avoit fait, auquel l'on quittoit l'affaire audit sieur de Caen,
         en donnant trente six pour cent d'interests, sur un fond de
         soixante mil livres: qu'il seroit tenu d'exécuter tous les
         articles, dont la societé estoit obligée envers le Roy, & dans
         trois jours donneroit caution bourgeoise dans Paris, &
         nommeroit un Chef catholique, agréable à monseigneur le
         Vice-Roy, pour la conduitte des vaiseaux. Le temps venu il ne
95/1079  fournit cautions au gré des Associez, ny ne nomma ledit chef,
         ce que refusant, les anciens Associez, ledit sieur de Caen les
         fait appeller devant le juge de l'Admirauté, de là ils furent
         audit Conseil de sa Majesté, suivant une requeste que lesdits
         anciens associez avoient presentée, pour faire interdiction au
         juge de l'Admirauté d'en cognoistre, ils sont un temps à
         contester les uns contre les autres, en fin le Conseil ordonna
         que l'enchere qui avoit este faite au Conseil, de quatre pour
         cent d'advantage que les trente six, par le contract passé
         entr'eux à l'hostel du seigneur de Ventadour, que ledit de
         Caen auroit la préférence, en donnant caution suffisante dans
         Paris: & que attendu l'absence dudit seigneur de Ventadour,
         ledit de Caen nommeroit un chef catholique pour la conduitte
         des Vaisseaux qui fut ledit de la Ralde qu'il nomma, & que
         pour la personne dudit de Caen il ne feroit le voyage: lequel
         ne laissa tousjours d'appareiller & apprester ses vaisseaux,
         des choses qu'il jugeoit estre necessaires pour l'habitation
         de Québec. Ayant son arrest il s'en vint à Dieppe, pour faire
         partir les vaisseaux, où je me trouvay, estant party de Paris
         le premier d'Avril 1626, accompagné des sieurs Destouche, &
         Boullé mon beau frère, lequel mondit Seigneur avoit honoré de
         ma Lieutenance au fort, & ledit Destouche de mon Enseigne.

         Les reverends Pere Noyrot, Jesuiste, & de la Nouë & un frère
         [579], estoient à Dieppe, pour treuver commodité de faire
96/1082  passer des vivres pour vingt ouvriers, qu'ils menoient audit
         païs pour eux, estant contrains de prendre un vaisseau de
         quatre vingts tonneaux du sieur de Caen, qui leur fretta pour
         les passer, avec tout leur attirail, moyennant le prix de trois
         mil cinq cens livres: voilà tout ce qui se pana jusqu'à
         l'embarquement qui fut le 15 d'Avril 1626. Je m'embarquay dans
         le vaisseau la Catherine, du port de 250 tonneaux, & aussi le
         pere Joseph Caron Recollet[580], qui y avoit autrefois hyverné;
         nous fusmes à la rade jusques au vingtiesme dudit mois, que
         nous levasmes l'ancre, & nous mismes sous voille à un heure
         après midy, faisant un bort sur autre, attendant ledit sieur de
         Caen, qui desiroit donner quelque ordre audit de la Ralde &
         Emery son nepveu, qui estoit en la Fleque pour vice-Admiral,
         qui devoit aller faire sa pesche de poisson à l'Isle percée.

[Note 579: Les PP. Philibert Noirot, Anne de Noue, et le Frère Jean
Gaufestre (_Conf_. Ducreux, p. 4; Relat. des Jés.; Prem. établiss. de la
Foy, I, 340).]

[Note 580: Le P. le Caron était passé en France l'année précédente.
(Ci-dessus, p. 92, note 1.)]

         Sur les six heures du soir arriva ledit de Caen, qui fit
         prester le serment audit de la Ralde, & à ceux de son
         esquippage, & donna l'ordre qu'il desiroit que l'on tint audit
         voyage, ce qu'ayant fait il fit publiquement la lecture devant
         tout son esquippage & autres, d'un petit livre, contenant
         plusieurs choses que l'on luy imputoit avoir faites. Je creu
         qu'il y en avoit qui n'estoient pas trop contens de ceste
         lecture. Ayant fait ce qu'il voulut, il prit congé de la
         compagnie & s'en retourna à terre, & nous à nostre route au
         mieux que le temps le peust permettre, qui ne fut que pour
         battre la mer vingt quatre heures, car le lendemain il nous
         fallut relascher à la rade de Dieppe.

97/1081  Le Vendredy[581] au soir que mismes sous voilles ayant levé
         l'ancre cinq vaisseaux de conserve[582]. Le 27, nous
         apperceusmes un vaisseau que l'on jugeoit estre forban, nous
         fismes chasse sur luy quelques trois heures, mais estant
         meilleur voillier que nous, mismes à l'autre bord.

[Note 581 Le vendredi était le 24.]

[Note 582: Ces cinq vaisseaux étaient: _la Catherine_, ou la
_Sainte-Catherine_ (suivant les manuscrits d'Asseline et de Guibert),
vaisseau de 250 tonneaux, suivant Champlain, et de 300, suivant ces deux
manuscrits, commandé par le capitaine de la Ralde, amiral de la flotte;
_la Flèque_, vaisseau de 260 tonneaux (suivant les mêmes manuscrits), où
était pour vice-amiral le capitaine Émery de Caen; le troisième et le
quatrième vaisseaux, dont on ne connaît pas les noms, étaient de 200 et
de 120 tonneaux; enfin le cinquième, nommé _l'Alouette_, était de 80
tonneaux.]

         Le 23 de May eusmes une tourmente, qui dura deux fois vingt
         quatre heures, avec orages de pluyes, tonnerres, esclairs, &
         bruines fort espesses, qui fit que le petit vaisseau des Peres
         jesuistes, nommé l'allouette, nous perdit de veue.

         Le 5 de Juin par 44 degrez & demy de latitude, nous eusmes
         sonde, sur lecore du Ban. Le 12, cognoissance de l'isle de
         terre neufve, qui estoit le Cap des vierges, & le soir la veue
         du Cap de Raye. Le 13 fusmes recognoistre le Cap de sainct
         Laurent & Isle sainct Paul. Le 17. passasmes proche des Isles
         aux oyseaux. Le 20. nous fusmes mouiller l'ancre, entre l'Isle
         de Bonadventure & l'Isle percée, où trouvasmes arrivez tous les
         vaisseaux qui nous avoient quittez comme l'allouette qui nous
         avoit perdue, durant les coups de vent qu'avions eus; & y avoit
         quinze jours que ledit Emery de Caen estoit arrivé, tesmoignage
         que nostre vaisseau n'estoit pas trop bon voillier, nous fusmes
         deux mois & six jours à cette traverse contrariez de mauvais
         temps.



98/1082  _Il m'a sembîé n'estre hors de propos de faire une description
         particuliere, de l'Isle de Terre neufve, & autres costes qui
         sont du Cap Breton & Golfe S. Laurent, jusques à Québec, bien
         que j'en aye traicté en quelques endroits, mais non si
         particulièrement, & de suitte comme je fais ce Chapitre cy
         dessous._

         _Description de l'Isle de Terre Neufve, Isle aux Oyseaux.
         Ramées S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonnaventure, Miscou,
         Baye de Chaleu, avec ce qui environne le Golfe S. Laurent, avec
         les Costes depuis Gaspey, jusques à Tadoussac, & de là Québec,
         sur le grand fleuve S. Laurent._

                               CHAPITRE II.

         Le Cap de Rase, attenant à l'isle de Terre neufve, est la terre
         la plus proche de France, esloignée de 25 lieues de Lecore[583]
         du grand ban où se faict la pesche du poisson vert, il est par
         hauteur de 46 degrez & 35 minutes de latitude,[584] & d'iceluy
         cap à celuy de saincte Marie 22 lieues & de hauteur 46 degrez
         trois quarts, & de ce lieu jusques aux Isles sainct Pierre 23
         lieues, du bord de celle qui est le plus Arrouest, & dudit cap
         de Rase aux Isles Sainct Pierre 45 lieues, qui sont de hauteur
         prés de 46° & deux tiers, & 40 lieues jusques au cap de Raye,
         de hauteur 47° & demy, dans toutes ces costes du Su de ladite
         Isle de terre neufve y a nombres de bons ports, rades, &
         havres, entr'autres Plaisance, la baye des Trespassez, celle de
         1083 tous les Saincts, comme aussi ausdites Isles sainct
99/1083  Pierre, où plusieurs vaisseaux vont faire pesche de poisson
         sec.

[Note 583: Le cap de Rase est à environ 25 lieues de l'écore du
Banc-à-Vert.]

[Note 584: 46° 4l' suivant Bayfield.]

         La coste du Nortdest & Surouest de ladite Isle de terre neufve,
         & celle du Nort un quart au Nordouest, contient quelques 110
         lieues jusques au 52e degré, est fournie de plusieurs bons
         ports & Isles, où y a nombre de vaisseaux, vont faire pescherie
         de molue, tant François, Malouains, que Basques & Anglois.

         De l'Isle, à la grande terre du Nort, il y a 8 à 10 lieues par
         endroits, la coste de l'Isle Nordest & Surouest, qui regarde le
         golphe S. Laurens a cent lieues de long, n'est cogneu que fort
         peu, si ce n'est proche le Cap de Raye où il y a quelque port
         où se fait pesche de poisson: Toute cestedite Isle de
         terre-neufve tient de circuit plus de 300 lieues, où il y a
         nombre de bons ports (comme j'ay dit) le terroir est presque
         tout montueux, remply de pins & sapins, cèdres, bouleaux, &
         autres arbres de peu de valeur. Il se descharge dans la mer
         quantité de petites rivieres & ruisseaux qui viennent des
         montagnes. La pesche du saumon est fort abondante en la plus
         part de ces rivieres, comme d'autres poissons. Les froidures y
         sont aspres, & les neges grandes, qui y durent prés de sept
         mois de l'an. Il y a force eslans, lapins, & gelinotes, icelle
         n'est point habitée, les sauvages qui y vont quelques fois en
         Esté de la grandtaire voir les vaisseaux qui font pescherie de
         molue.

         Du Cap de Raye qui est par les 47 degrés & demy de latitude,
         jusques au Cap de S. Laurent, qui est par les 46 degrés 55
100/1084 minutes, il y a 17 à 18 lieues, cet espace est l'une des
         emboucheures dudit golphe S. Laurent, de ce lieu aux Isles aux
         oyseaux il y a 17 à 18 lieues qui sont un peu plus de 47 degrés
         & trois quarts, ce sont deux rochers dans ledit golphe, où il y
         a telle quantité d'oyseaux appellez tangeux, qui ne se peut
         dire de plus, les vaisseaux partant par là quand il fait calme,
         avec leur batteau vont à ces Isles, & tuent de ces oyseaux à
         coups de bâtons, en telle quantité qu'ils veulent, ils sont
         gros comme des oyes, ils ont le bec fort dangereux, tous blancs
         hormis le bout des aines qui est noir, ce sont de bons
         pescheurs pour le poisson qu'ils prennent & portent sur leurs
         Isles, pour manger, au Su de ces Isles & au Su & Surouest y en
         a d'autres qui s'appellent les Isles ramées-brion[585], au
         nombre de 6 ou 7 tant petites que grandes, & sont une lieue ou
         deux des Isles aux oyseaux.

[Note 585: Ramées et Brion. D'après Denys (Description géographique, t.
I, 196 et suiv.), les îles Ramées sont les sept que nous appelons
aujourd'hui les îles de la Madeleine; et, de son temps encore, comme au
temps de Champlain, la Madeleine était le nom particulier de l'île
Aubert (_Amherst' Island_).]

         En aucunes de ces Isles y a de bons ports, où l'on fait pesche
         de poisson, elles sont couvertes de bois, comme pins, sapins &
         bouleaux, aucunes sont plates, autres un peu eslevées comme est
         celle de Brion qui est la plus grande. La chasse des oyseaux y
         est à commandement en sa saison, comme est la pesche du
         poisson, des loups marins, & bestes à la grande dent qui vont
         sur lesdites Isles, elles sont esloignées de la terre la plus
         proche de 12 ou 15 lieues, qui est le Cap sainct Laurent,
         attenant à l'isle du Cap Breton.

101/1085 Desdites Isles aux oyseaux, jusques à Gaspey, il y a 45 lieues
         qui est de hauteur 48 degrés deux tiers, & au Cap de Raye 70
         lieues[586].

[Note 586: «Et de Gaspé au cap de Raye, 70 lieues.»]

         En ce lieu de Gaspey est une baye contenant de large en son
         entrée trois à quatre lieues, qui fuit au Norrouest environ
         cinq lieues, où au bout il y a une riviere qui va assez avant
         dans les terres: les vaisseaux viennent en ce lieu, pour faire
         la pesche du poisson sec, où est un gallay où l'on fait la
         seicherie des molues, & un ruisseau d'eaue douce qui se
         descharge dans la grand' mer, commodité pour les vaisseaux qui
         vont mouiller l'ancre à une portée de mousquet, de ce lieu: & à
         une lieue du Cap de Gaspey, est un petit rocher que l'on nomme
         le farillon[587], esloigné de la terre d'un jet de pierre, ce
         dit cap est une pointe fort estroitte, le terrouer en est assez
         haut, comme celuy qui environne ladite baye couverte de pins,
         sapins, bouleaux, & autres meschans bois. La pesche est
         abondante tant en moluës, harans, saumons, macreaux, & homars.
         La chasse des lapins & perdrix, comme autre gibier se treuve
         aussi à l'Isle percée & de Bonadventure, distante de six à sept
         lieues, plus au midy: entre les deux il y a la baye aux moluës
         [588], en laquelle se fait pescherie, les terres sont couvertes
         de mesmes bois que celle du susdit Gaspey.

[Note 587: Le Forillon. Ce petit rocher, détaché de la terre, semble
avoir donné origine au nom de Gaspé (_Katsepioui_, qui est séparément)]

[Note 588: De _Baie des Molues_ (ou _Morues_), les Anglais ont fait
_Molue-Bay_, puis _Malbay_.]

         Ladite Isle percée est par la hauteur de 48 degrés & un tiers,
         elle est distante de 15 lieues de Miscou, il faut traverser la
102/1086 baye de Chaleu. Ledit Miscou est par la hauteur de 47 degrés 25
         minutes[589], la terre est descouppée par plusieurs bras d'eaue
         qui forment des Isles, & où les vaisseaux se mettent, est[590]
         entre-deux desdites Isles, qui font un cap à ladite baye de
         Chaleu, ce lieu est desgarny de bois, ny ayant que des
         bruieres, herbes, & pois sauvages: l'on fait en ce lieu bonne
         partie de traitte avec les habitans du pays. Pour des
         marchandises ils donnent en eschange des peaux d'eslan &
         quelques castors. Il y a eu d'autrefois des François qui ont
         hyverné en ce lieu, & ne s'y sont pas trop-bien treuvez pour
         les froidures trop grandes, comme aussi les neges, neantmoins
         ce lieu est fort bon pour la pesche. A six lieues delà au
         Nortdest, est le ban des Orphelins où il y a très bonne
         pescherie de moluës.

[Note 589: Environ 48°.]

[Note 590: _Es entre-deux_, dans les entre-deux, ou goulets.]

         Ceste Baye de Chaleu entre quelques quinze ou vingt lieues[591]
         dans les terres, ayant dix ou douze lieues de large par
         endroits: en icelle se deschargent deux ou trois rivieres qui
         viennent de quelques quinze ou vingt lieues dans les terres,
         elles ne sont navigeables que pour les canaux des sauvages.

[Note 591: Environ trente lieues.]

         Tout le pays qui environne ladite baye, est partie montueux,
         autre plat & beau, couvert de bois de pins, sapins, cèdres,
         bouleaux, ormes, fresnes, érables, & dans lesdites rivieres y a
         des chesnes. La pesche de plusieurs poissons est abondante en
         ce lieu, & la chasse des oyseaux de riviere outarde oyes,
         grues, & de plusieurs autre sorte. Il se treuve en tous ces
         lieux force eslans, desquels les sauvages en tuent quantité
         l'hyver.

103/1087 Des Isles de Miscou à l'Isle sainct Jean, y a environ dix ou
         douze lieues[592] au Suest, elle est par la hauteur de quarante
         six degrés deux tiers, le bout le plus Nort de ladite
         Isle[593], ayant environ vingt cinq lieues de longueur, & de
         ceste Isle à la terre du Sud, une ou deux lieues; en laquelle
         sont de bons ports, & bonne pescherie de molue, les Basques y
         vont assez souvent, elle est couverte de bois comme les autres
         Isles.

[Note 592: Environ vingt lieues.]

[Note 593: C'est-à-dire, le bout le plus nord de la dite île est par les
47° et quelques minutes.]

         De l'Isle de sainct Jean au petit passage de Conseau[594] l'on
         conte vingt lieues, ce passage est par la hauteur de quarante
         cinq degrés & deux tiers, & jusques aux Isles ramées environ
         trente lieues.

[Note 594: Canseau; ailleurs, l'auteur écrit comme tout le monde
_Canseau_, ou _Campseau_. Les Anglais ont adopté l'orthographe _Canso_.
(Voir 1613, p. 130, note 1.)]

         Toute la coste depuis Miscou jusques au passage de Conseau, est
         abondante en ports, & petites rivieres, qui se deschargent dans
         la mer: entr'autres rivieres est la baye de Miaamichy[595],
         tregate[596], le pays est agréable, quelque peu montueux: la
         pesche & la chasse du gibier y sont fort bonnes en la saison,
         il y a des eslans en ces terres, mais non en telle quantité
         qu'aux contrées de la baye de Chaleu.

[Note 595: Miramichy.]

[Note 596: Tregaté, ou Tracadie.]

         Au Nortdest de Gaspey est l'isle d'Enticosty, sur la hauteur de
         cinquante degrés au bout de L'ouest Nortouest de l'isle, &
         celuy de Lest, Suest, 49 degrés, elle gists est Suest, & Ouest
         Norrouest, selon le vray méridien de ce lieu, & au compas de la
         plus part des navigateurs, Suest & Norrouest, elle a quarante
104/1088 lieues de long, & large de quatre à cinq[597] par endroits. La
         plus part des costes sont hautes & blanchastres comme les
         falaises de la coste de Dieppe, il y a un port[598] au bout de
         L'ouest Surouest de l'Isle qui est du costé du Nort, il ne
         laisse d'y en avoir d'autres, qui ne sont pas cognus, elle est
         fort redoutée de ceux qui navigent, pour estre baturiere, & y
         sont quelques pointes qui avancent en la mer, toutesfois nous
         l'avons rangée, n'en estant esloignée que d'une lieue & demie,
         & la treuvâmes fort saine le fon bon à trente brasses: le costé
         du Nort est dangereux y ayant entre la terre du Nort & ceste
         Isle des Batures & d'autres Isles, bien qu'il y aye passage
         pour des vaisseaux, & dix à douze lieues jusques à ladite terre
         du Nort. Ceste Isle n'est point habitée de sauvages, ils disent
         y avoir nombre d'Ours blancs fort dangereux, icelle est
         couverte de bois de pins, sapins, & bouleaux. Il fait grand
         froid, & s'y voyent quantité de neges en hyver: les sauvages de
         Gaspey y vont quelquesfois, allant à la guerre contre ceux qui
         se tiennent au Nort.

[Note 597: L'île d'Anticosti a environ dix lieues de large vers le
milieu.]

[Note 598: Le port aux Ours.]

         Il y a un lieu dans le golphe sainct Laurent, qu'on nomme la
         grande baye[599], proche du passage du Nort de l'Isle de terre
         neufve, à cinquante deux degrés, où les Basques vont faire la
         pesche des balaines.

[Note 599: La Grande-Baie était cette partie du golfe comprise entre la
cote nord-ouest de Terre-Neuve et le Labrador.]

         Les sauvages de la coste du Nort sont très meschants, ils font
         la guerre aux pescheurs, lesquels pour leur seureté arment des
105/1089 pataches, pour conserver les chalouppes qui vont en mer pescher
         la molue: l'on n'a peu faire de paix avec eux, & sont la plus
         part petits hommes fort laids de visage, les yeux enfoncez,
         meschans & traistres au possible: ils se vestent de peaux de
         loups marins, qu'ils accommodent fort proprement: leurs
         batteaux sont de cuir, avec lesquels ils vont rodant & faisant
         la guerre, ils ont fait mourir nombre de Malouains, qui
         auparavant leurs ont souvent rendu leur change au double, ceste
         guerre procède de ce que un matelot Malouain par mesgarde ou
         autrement, tua la femme d'un capitaine de ceste nation.

         Tout le pays est excessivement froid en hyver, & les neges y
         sont fort hautes, qui durent sept mois ou plus sur la terre par
         endroits, elle est chargée de nombre de pins, sapins &
         bouleaux, en plus de cent lieues des costes qui regardent le
         golphe saint Laurent. Il y a nombre de bons ports & isles, (où
         la pescherie de molue & saumont est abondante,) & nombre de
         rivieres, qui ne sont neantmoins beaucoup navigeables, que pour
         des chalouppes ou canaux, selon le rapport des sauvages.

         Ce golphe a plus de quatre cens lieues de circuit, y ayant
         nombre infiny de ports, havres & isles, qui y sont enclos:
         c'est comme une petite mer qui parfois est fort esmeue & agitée
         des vents impétueux qui viennent plus souvent du Nortdest, &
         parfois y a de grandes bourasques de Norrouest. En ces lieux
         sont de grands courants de marée non réglez, les uns portent en
         un temps d'un costé autrefois en un autre, & ainsi changent de
106/1090 fois à autre, ce qui apporte souvent du mesconte aux estimes
         des navigeans, quand il fait des brunes, à quoy ce lieu est
         fort suject, & qui durent quelquefois sept ou huict jours, il
         n'y a qu'une grande pratique qui peut en avoir quelque
         cognoissance.

         Du cap de Gaspey à la terre du Nort y a vingt cinq à trente
         lieues, cest la largeur de l'emboucheure du fleuve de sainct
         Laurent, les marées sont en tout temps droiturieres en ce lieu
         comme la riviere, & le vent tousjours de bout, soit à descendre
         ou monter, & arrive rarement qu'on voye le vent par le travers
         des terres, de façon qu'un vaisseau estant dans le courant fera
         sa drive hors du fleuve plustost que d'aller à la coste: les
         ebes sont beaucoup plus fortes que les flots qui durent sept
         heures, & quelquefois plus: ce qui fait qu'on a plus de peine à
         monter qu'à descendre, joint que les vents de Norrouest sont
         les plus ordinaires & contraires en certaines saisons.

         Ce Cap de Gaspey (comme j'ay dit) est à l'entrée de la grande
         riviere du costé de la terre du midy, montant à mont l'on passe
         si l'on veut une lieue ou deux vers l'eaue du cap des
         Boutonnières[600], par la hauteur de quarante neuf degrés & un
         quart, & à douze lieues dudit Gaspey.

[Note 600: Vraisemblablement l'un des caps de l'entrée du Grand-Étang.]

         Et costoyant tousjours la coste du Su, jusques au commencement
         des mons Nostre Dame vingt lieues dudit cap des Boutonnières,
         les mons en ont vingt cinq de longueur, à la fin est le Cap de
107/1091 Chatte[601] assez haut, fait en forme de pain de sucre fort
         ecore: se voyent aussi des terres doubles au dessus qui
         quelquefois vous en font perdre la cognoissance si le temps
         n'est clair & serain, si ce n'est que vous approchiez d'une
         lieue ou deux dudit cap de Chatte. Montant à mont l'on va
         jusqu'au travers de la riviere de Mantane, où il y a douze à
         treize lieues dans cette riviere de plaine mer, des moyens
         vaisseaux de quatre-vingts ou cent tonneaux y peuvent entrer,
         c'est un havre de basse mer: estant en ladite riviere assez
         d'eaue pour tenir les vaisseaux à flot. Ce lieu est assez
         gentil, & s'y fait grande pescherie de saumon & truittes, ayant
         les filets propres à cet effect, l'on en pourroit charger des
         bateaux en leur temps & saison. Ceste riviere vient de
         certaines montagnes, & peut on s'aller rendre par le travers
         des terres, par le moyen des canaux des sauvages, en les
         portant un peu par terre en la riviere qui se descharge dans la
         baye de Chaleu[602], ce lieu de Mantane est fort commode pour
         la chasse des eslans, où il y en a en grande quantité.

[Note 601: Il n'y a aucun doute que ce cap doit son nom à la mémoire du
commandeur de Chaste, ou de Chate. L'auteur le mentionne sous ce nom dès
1612 dans sa grande carte.]

[Note 602: De la rivière de Matane, on tombe dans celle de Matapédiac,
qui se décharge dans celle de Ristigouche, et celle-ci se jette au fond
de la baie des Chaleurs.]

         De Mantane l'on va à l'Isle de sainct Barnabé[603] à seize
         lieues, elle est par là hauteur de quarante huict degrez
         trente-cinq minutes, & estant basse; au tour sont des pointes
         de rochers, elle contient quelque lieue & demie de longueur,
         fort proche de la terre du Su: il y a passage entre deux pour
         passer de petites barques, & ne faut laisser de prendre garde à
         soy, car elle est couverte de bois de pins, sapins & cedres.

[Note 603: Cette île s'appelait ainsi dès 1612. (Voir la carte de
1612.)]

108/1092 De sainct Barnabé au Bic[604], il y a quatre lieues, c'est une
         montagne fort haute & pointue, qui parroist au beau temps de
         douze à quinze lieues, & elle est seule de ceste hauteur, au
         respect de quelques autres qui sont proche d'elle.

[Note 604: Ou le Pic. (Voir 1603, p. 4, note 4.)]

         Du Bic on traverse la grande riviere au Norrouest, ou Nort un
         quart au Norrouest, & va on recognoistre Lesquemain[605] à la
         terre du Nort, y ayant sept à huict lieues. En ce lieu de
         Lesquemain proche de terre, est un petit islet de rocher
         derrière lequel se faisoit un degrat pour la pesche des
         balaines, & une place pour mettre un vaisseau: mais ce lieu est
         asseché de basse mer. Proche de là est Riviere une petite
         riviere fort abondante en saumons, où les sauvages y font bonne
         pescherie, comme en plusieurs autres.

[Note 605: Les Escoumins sont rigoureusement à l'ouest du Bic, si l'on
met la carte en son vrai méridien.]

         De Lesquemain l'on passe prés des Bergeronnettes[606], qui en
         est à quatre ou cinq lieues, le travers y a ancrage demie lieue
         vers l'eaue, puis l'on va au moulin Baudé trois lieues, qui est
         la rade du port de Tadoussac, le bon ancrage d'icelle est qu'il
         faut ouvrir le moulin Baudé[607], qui est un saut d'eaue venant
         des montagnes, & au travers jetter l'ancre.

[Note 606: On dit, depuis longtemps, Bergeronnes. Il y a les Petites et
les Grandes Bergeronnes, qui ne sont séparées l'une de l'autre que par
une pointe.]

[Note 607: C'est-à-dire, pour que le mouillage soit bon, il faut que le
moulin Baudé soit en vue.]

         Ayant le vent bon à demy flot couru, à cause des marées du
         Saguenay qui porte hors, bien qu'il y aye les deux tiers de
         plaine mer, l'on peut lever l'ancré & mettre à la voille,
         doubler la pointe aux vaches, avec la sonde à la main, & tenir
109/1093 tousjours deux ou trois chalouppes prestes: que si le vent
         venoit à se calmer tout d'un coup comme il arrive assez
         souvent, la marée vous porteroit au courant du Saguenay, &
         ayant doublé ladite pointe aux vaches, vous faire tirer à terre
         hors des marées dudit Saguenay s'il faisoit calme, & ainsi en
         terre[608] audit port de Tadoussac, mettant le Cap au Nort, un
         quart du Norrouest[609], estant dans le port il faut porter une
         bonne ancre à terre & enfoncer l'orain[610] dans le sable le
         plus que l'on pourra, & mettre une boite par le travers contre
         l'orain, & avoir des pieux que vous enfoncerez dans le sable de
         basse mer le plus avant que l'on pourra pour empescher que le
         vaisseau ne chasse sur son ancre: dautant que ce qui est le
         plus à craindre sont les vens de terre, qui viennent du
         Saguenay & sont fort impétueux & violents, & viennent par
         bourasques qui durent fort peu, car le vent du travers de la
         riviere n'est point à craindre, d'autant qu'il y a bonne tenue
         du costé de vers l'eaue, car l'ancre ne chasse point le cable,
         ou l'ancre du vaisseau romperoit plustost.

[Note 608: Lisez «entrer.»]

[Note 609: Quoique ce passage renferme plusieurs fautes qui le rendent
presque inintelligible, nous avons cru cependant qu'il valait encore
mieux respecter la ponctuation et l'orthographe de l'édition originale,
et remettre en note le texte corrigé. L'auteur conseille aux vaisseaux
qui veulent entrer au port de Tadoussac, «de tenir deux ou trois
chaloupes prêtes, afin de pouvoir, ayant doublé la pointe aux Vaches, se
faire tirer à terre en dehors des courants du Saguenay, s'il faisait
calme, et ainsi _entrer_ audit port, mettant le cap au
nord-quart-norouest.»]

[Note 610: L'oreille.]

         Or les costes du Nort depuis le travers d'Enticosty sont fort
         baturieres pour la plus part; en quelques endroits il y a de
         bons ports, mais ils ne sont cognus, hormis Chisedec[611] & le
110/1094 port neuf[612] trente lieues de Tadoussac: aussi il y a nombre
         de petites rivieres où la pesche du saumon est grande, selon le
         rapport des sauvages & des Basques qui cognoissent partie
         d'icelle coste. J'ay costoyé ces terres quelques cinquante ou
         soixante lieues dans une chalouppe, la terre est basse le long
         de la mer, mais dans les terres elle paroist fort haute, il
         n'en fait pas bon approcher que sa sonde à la main. Là est une
         nation de sauvages qui habitent ces pays, qui s'appellent
         Exquimaux, ceux de Tadoussac leur font la guerre.

[Note 611: Chisedec paraît correspondre à ce que nous appelons rivière
Saint-Jean.]

[Note 612: Ce qu'on appelle aujourd'hui Portneuf n'est qu'à quinze
lieues de Tadoussac.]

         Et depuis Gaspay jusques au Bic, ce sont terres la plus grande
         part fort hautes, notamment lesdits monts Nostre Dame, où les
         neges y sont jusques au 10 & 15 de Juin. Le long de la coste il
         y a force anses, petites rivieres & ruysseaux, qui ne sont
         propres que pour de petites barques & chalouppes, mais il faut
         que ce soit de plaine mer. La coste est fort saine, & en peut
         on approcher d'une lieue ou deux, & y a ancrage tout le long
         d'icelle, contre l'opinion de beaucoup, ainsi que l'experience
         le fait cognoistre: l'on peut estaler les marées pour monter à
         mont, si le vent n'est trop violent. Tout ce pays est remply de
         pins, sapins, bouleaux, cedres, & force pois, & persil sauvage,
         le long de la coste l'on pesche de la molue, jusqu'au travers
         de Mantane, & force macreaux en sa saison, & autres poissons.

         Le travers de Tadoussac, qui est par quarante huict degrés deux
         tiers, à deux lieues au Sud il y a nombre d'Isles, & est
         entr'autres l'Isle verte, à quelque six lieues dudit Tadoussac,
111/1095 en laquelle les Rochelois venoient à la desrobée traitter de
         peleteries avec les sauvages[613]. La grande riviere a de large
         le travers dudit Tadoussac, 5 à 6 lieues. Juqu'à la terre du Su
         est une riviere par laquelle l'on peut aller à celle de S.
         Jean, en portant les canaux partie par terre, & le reste par
         les lacs & rivieres, tous ces chemins ne se font sans
         difficulté.

[Note 613: Voir ci-dessus, p. 31.]

         Partant de Tadoussac à la pointe aux Allouettes il y a une
         petite lieue, ceste pointe met hors plus de demy lieue, elle
         asseche de basse mer. Il y a un islet de cailloux couvert de
         persil, qui a la feuille fort large, & quantité de pois
         sauvage. Les barques de plaine mer rangent la grand terre. Du
         Cap de la riviere du Saguenay[614], l'on passe proche d'un
         islet qui est au fond d'une anse qui s'appelle l'islet
         Brulé[615] presque tout rocher. Le travers il y a ancrage à un
         cable vers l'eaue, au fond de l'anse est un ruisseau qui vient
         des montagnes. De ce ruysseau rangeant la terre à demy ject de
         pierre, il n'y a que sable jusques au Cap de la pointe des
         Allouettes, sur iceluy est une plaine comme une prairie,
         contenant quelques quatre à cinq arpents de terre, le reste
         sont bois de pins, sapins, & bouleaux, où il y a force lapins &
         perdrix. Les barques (comme dit est) passent proche de ce Cap
         pour abréger chemin, à aller à Québec: car passant dehors la
         pointe de l'Islet de Cailloux [616] vers l'eaue, il faudroit
         faire plus d'une lieue & demie qui est le grand passage, où il
112/1096 y a de l'eaue assez pour quelque vaisseau que ce soit: Il se
         faut donner garde de l'Isle Rouge, où les marées chargent.
         Ayant le temps clair & sans bruines, il n'y a point de danger
         en toute ceste pointe, & autre bans de fables qui y sont
         attenans, asseché tout de basse mer où l'on treuve une quantité
         de coquillages, comme bregos, coques, moulles, hoursains, &
         force loches, qui sont sous les pierres en plusieurs endroits:
         cela va jusqu'à l'anse aux Basques, contenant prés de trois à
         quatre lieues de circuit[617]. Il s'y voit aussi une infinité
         de gibier en sa saison, tant oyseaux de riviere, & sarselles,
         que petites oyes, outardes, & entr'autres il y a un si grand
         nombre d'allouettes, courlieux, grives, begasses,
         beccasses[618], pluviers & autres sortes de petits oyseaux,
         qu'il s'est veu des jours que trois à quatre Chasseurs en
         tuoient plus de trois cens douzaines, qui sont très grasses &
         délicates à manger. Pour aller à cette pointe aux Allouettes,
         il faut traverser le Saguenay, qui tient en son entrée un quart
         de lieue de large: de ceste riviere j'en ay fait assez ample
         description[619], tant de ce que j'ay veu que du raport des
         sauvages qui m'en a esté fait.

[Note 614; Ce cap s'appelle aujourd'hui la pointe Noire.]

[Note 615: Cet îlet est situé au fond de l'anse Sainte-Catherine.]

[Note 616: L'île aux Alouettes, appelée encore îlet Blanc, et île au
Mort.]

[Note 617: La batture des Alouettes a en effet quatre lieues de circuit,
et même plus.]

[Note 618: Probablement, l'un de ces deux mots est de trop.]

[Note 619: Voir 1603, ch. IV, 1613, p. 142 et suiv., 1632, première
partie, p. 130 et suiv.]

         De la pointe aux Allouettes faisant le Surouest, Cap de un
         quart au Su, l'on va au Cap de Chafaut aux Basques, en ce lieu
         il y a ancrage, mais il faut prendre garde, car par des
         endroits est rocher où les ancres pourroient bien demeurer, si
113/1097 l'on ne recognoist bien le fond, un peu plus vers l'eaue, le
         mouillage est plus net & vers le Chafaut aux Basques, demeure à
         sec qui est au fond de l'anse où sont deux ruisseaux qui
         viennent des montagnes. A l'entrée de ces deux ruisseaux est un
         islet de rocher, où il y a un peu de terre dessus, & quelques
         arbres qui assechent tout de basse mer jusqu'à la grande terre,
         en laquelle est une petite riviere à trois quarts de lieue de
         la pointe aux Allouettes, & une bonne lieue & d'avantage du
         Chafaut aux Basques laquelle est abondante en poisson en son
         temps, comme de truittes & saumons, quantité d'Eplan
         très-excellent qui s'y prend, le gibier s'y retire en grand
         nombre[620].

[Note 620: Aussi cette rivière s'appelle la rivière aux Canards.]

         Du Cap de Chafaut aux Basques, faisant la mesme route jusqu'à
         la riviere de l'Equille[621], il y a trois lieues, & de la
         pointe aux Allouettes cinq. Costoyant la coste du Nort l'on
         passe proche de l'Anse aux Rochers qui est baturiere. A
         l'entrée du port est un petit islet proche de terre, où il y a
         mouillage de beau temps pour des barques, au fond de l'anse
         sont deux petites rivieres qui ne sont que ruisseaux, à une
         lieue & demie du Cap aux Basques.

[Note 621: Le port de l'Equille, ou, comme on dit généralement, le port
aux Quilles.]

         De l'Anse de Rocher à la riviere de l'Equille, il y a prés
         d'une lieue & demie, un Cap[622] est entre deux: ceste riviere
         de l'Equille vient des montagnes, & asseche de basse mer, un
         peu vers l'eaue de l'entrée il y a mouillage pour barques.
114/1098 L'Isle au Liévre demeure au Suest trois lieues[623], la pointe
         aux Allouettes & ceste dite Isle est Nortnordest & Susurouest:
         laquelle Isle est esloignée de la terre du Sud prés de trois
         lieues, entre les deux il y a des Isles[624]: ce costé n'est
         bien cognu, comme n'estant sur la routte de Québec & Tadoussac.
         L'Isle aux Liévres ainsi nommée pour y en avoir, est couverte
         de bois de pins, sapins & cedres, il y a des pointes de rochers
         assez dangereuses, elle a deux lieues & demie de longueur.

[Note 622: La Tête-au-Chien.]

[Note 623: Deux lieues.]

[Note 624: Les îlots du Pot-à-l'Eau-de-Vie et des Pèlerins.]

         Du port de l'Equille au port aux femmes[625], il y a une bonne
         lieue: ce port aux femmes est une anse partie sable & cailloux,
         proche de là est un petit estang. Les sauvages se cabanent
         quelques fois en ce lieu, au dessus d'une pointe de terre qui
         est plate & assez agréable: proche de ce lieu il y a ancrage,
         pour Barques en beau temps.

[Note 625: La rivière Noire.]

         Du port aux femmes l'on va au port au Persil, distant prés
         d'une lieue, qui est anse derrière un Cap, où il y a une petite
         riviere qui asseche de basse mer, elle vient des montagnes qui
         sont fort hautes, il y a ancrage proche, & à l'abry du vent du
         Su, venant à Ouest jusques au Nortnordest.

         Du port au Persil l'on va tournant au tour d'une montagne de
         rochers qui fait Cap[626]: une lieue après l'on vient au port
         aux saumons, qui est une anse dans laquelle se deschargent deux
         ruisseaux, il y a un islet en ce lieu où sont quantité de
         framboises, fraises, & blues, en leur saison: ceste anse
         asseche de Bassemer, un peu vers l'eaue de l'islet il y a
115/1099 ancrage pour vaisseaux & barques, l'on est à l'abry du
         Nortdest.

[Note 626: La pointe à l'Homme, au-dessus de laquelle est le cap au
Saumon.]

         Du port aux Saumons à celuy de Malle Baye[627], est distant
         d'une lieue double, ce Cap rangeant la coste d'un quart, & demy
         lieue il y a ancrage pour des vaisseaux[628]: cedit Cap &
         l'Isle aux Liévres sont Nortdest un quart à l'Est, & Surrouest
         un quart à l'Ouest prés trois lieues.

[Note 627: Ce cap de Malle-Baie est ce que nous appelons aujourd'hui le
cap à l'Aigle.]

[Note 628: Ce passage, pour être intelligible, doit se lire comme suit:
«Du port aux Saumons au cap de Malle Baye est distant d'une lieue;
doublé ce cap, rangeant la coste d'un quart ou demy lieue, il y a
ancrage pour des vaisseaux.»]

         Du Cap de Male Baye jusqu'à la riviere Plate[629] trois lieues,
         ceste riviere est dans une anse qui asseche de Bassemer,
         reservé un petit courant d'eaue qui vient de la riviere, qui
         est assez spatieuse, il y a force rochers dedans, qui ne la
         rendent navigeable que pour les canaux des sauvages qui servent
         à surmonter toutes sortes de difficultez avec leurs bateaux
         d'escorse.

[Note 629: La rivière de la Mallebaie.]

         De la riviere Plate au Cap de la riviere Plate [630], faisant
         le Surouest trois lieues & demie, entre les deux est un petit
         ruisseau anse ou[631] devant iceluy il y a ancrage, comme
         devant la riviere Platte pour des vaisseaux. Estant un peu vers
         l'eaue de l'Anse la sonde vous gouverne, vous prendrez tant &
         si peu d'eaue que vous voudrez, soit pour vaisseaux ou barques,
         le fond est sable en la plus part de ces endroits.

[Note 630: Aujourd'hui le cap aux Oies.]

[Note 631: Ou anse.]

116/1100 Du Cap de la riviere Platte au Surouest il y a deux
         lieues[632], vous passez plusieurs petites anses qui sont
         remplies de Rochers, comme est partie de toute la coste depuis
         Tadoussac jusqu'en ce lieu, toutes les terres sont fort hautes,
         & le pays fort sauvage & desagreable, remplis de pins, sapins,
         cèdres, bouleaux & quelques autres arbres, si ce n'est quelque
         rencontre de petites valées qui sont agréables. Du Cap aux
         oyseaux[633] à l'Isle au Coudre, il y a une bonne lieue, elle a
         une lieue & demie [634] de longueur, eslevée par le milieu
         comme un costeau, chargée d'arbres de pins, sapins, cèdres,
         bouleaux, hestres & des coudriers par endroits. Au bout de
         ladite Isle du Surouest sont des prez, & un petit ruisseau qui
         vient de ladite Isle, avec quantité de bonnes sources d'eaues
         très excellentes, en icelle est nombre de lapins, & quantité de
         gibier, qui y vient en saison: il se voit nombre de pointes de
         rochers au tour d'icelle, & notamment une qui avance beaucoup
         en la riviere du costé du Nort, de quoy il se faut donner de
         garde, la marée y court avec beaucoup de violence, comme au
         milieu de Lachenal, elle est esloignée de la terre du Nort
         demie lieue, terre de rochers assez haute, il y a ancrage entre
         les deux pour des vaisseaux, en se retirant un peu du courant
117/1101 du costé du Nort demy quart de lieue dudit Cap aux oyes[635].
         A une lieue de ladite Isle au Nort, est une grande anse[636]
         qui asseche de bassemer, où il y a nombre de rochers espars ça
         & là, en ce lieu descend une riviere qui n'est navigeable que
         pour des canaux, y ayant nombre de sauts, elle vient des
         montagnes qui paroissent dedans les terres fort hautes chargées
         de pins & sapins.

[Note 632: C'est-à-dire, «du cap aux Oies, au sud-ouest, l'espace de
deux lieues, vous passez,» etc.]

[Note 633: Il semble que ce cap correspond au cap Martin.]

[Note 634: Deux lieues.]

[Note 635: «Il y a ancrage entre l'île et la terre du Nord, en se
retirant un peu du courant, du côté du nord _de l'île_, demi-quart de
lieue du cap aux Oies (cap à l'Aigle, sur l'île).» Ce mouillage nous
paraît être celui de l'anse des Prairies; et le nom de cap aux Oies,
donné au cap à l'Aigle de l'île aux Coudres, pourrait bien être la cause
de toute la confusion qui règne dans la géographie ancienne de ces
parages.]

[Note 636: L'anse des Éboulements.]

         Au Su de l'Isle au Coudre, il y a nombre de basses & rochers,
         qui sont sur le travers de la riviere prés d'une lieue, tout
         cela couvre de plaine mer, plus au midy est lachenal, où les
         vaisseaux peuvent aller, à quatre ou cinq brasses d'eaue de
         bassemer, rangeant quantité d'Isles, les unes contenant une à
         deux lieues, & autres moins, en aucunes sont des prairies qui
         sont fort belles, où en la saison y vient une telle quantité de
         gibier qu'il n'est pas croyable à ceux qui ne l'ont veue: ces
         Isles sont chargées de grands arbres, comme pins, sapins,
         cèdres, bouleaux, ormes, fresnes, érables, & quelque peu de
         chesnes, en aucunes. Si vous attendez la plaine mer vous
         treuverez sept à huict brasses d'eaue, jusqu'à ce que l'on soit
         au travers de l'Isle au Ruos, à lors l'on treuve dix, douze, &
         treize brasses d'eaue, allant à Québec passant au Su de l'Isle
         d'Orléans.

         Du costé du Su de ces Isles est encore un autre partage où il
         n'y a pas moins de huict brasses d'eaue: pour n'estre encore
         bien recognue, l'on n'en fait point d'estime ne grande
         recherche, puisqu'on en a d'autres: De ces Isles à la terre du
         Su il y a environ deux lieues, la mer y asseche prés d'une
118/1102 lieue: en ce lieu est une riviere fort belle qui vient des
         hautes terres, toute chargée de forests, où sont quantité
         d'eslans & cariboux, qui sont presque aussi grands que cerfs,
         la chasse du gibier abonde sur les batures qui assechent de
         basse mer.

         Retournons au Nort du passage de ladite Isle au Coudre, double
         la pointe de rochers[637] tousjours la sonde à la main, pour
         suivre la Chenal & eviter les basses, tant de costé que
         d'autre, mettant le Cap au Surrouest vous rangez sept lieues de
         coste jusqu'au Cap Brulé demie lieue[638] du Cap de Tourmente,
         laquelle terre est fort montueuse, pleine de rochers, &
         couverte de pins, & sapins, y ayant nombre de ruisseaux qui
         viennent des montagnes se descharger en la riviere.

[Note 637: «Doublé la pointe de la Prairie.»]

[Note 638: Deux lieues.]

         Comme l'on est au Cap Brulé, il faut mettre le Cap sur le bout
         de l'Isle du Nordest appellé des Ruos[639], qui vous sert de
         marque pour suivre la Chenal, il y a deux lieues de passage qui
         est le plus dangereux & difficile à passer depuis Tadoussac, à
         cause des batures & pointes de rochers qui sont en ce traject
         de chemin, neantmoins il ne laisse d'y avoir assez d'eaue
         jusques à cinq brasses de bassemer, tousjours la sonde à la
         main, car par ce moyen vous conduirez le fond jusqu'à ce que
         treuviez dix à douze brasses d'eaue: alors l'on suit le fond
         costoyant l'Isle d'Orléans au Su, qui a six lieues de longueur
         & une & demie de large, en des endroits chargée de quantité de
         bois, de toutes les sortes que nous avons en France, elle est
119/1103 très belle bordée de prairies du costé du Nort, qui innondent
         deux fois le jour. Il y a plusieurs petits ruisseaux & sources
         de Fontaines, & quantité de vignes qui sont en plusieurs
         endroits. Au costé du Nort de l'Isle y a un autre passage, bien
         que en la Chenal il y aye au moindre endroit trois brasses
         d'eaue, cependant l'on rencontre quantité de pointes, qui
         avancent en la riviere, très dangereuses & peu, de louiage, si
         ce n'est pour barques, & si faut faire les bordées courtes.
         Entre l'Isle & la terre du Nort il y a prés de demie lieue de
         large, mais la Chenal est estroit, tout le païs du Nort est
         fort montueux. Le long de ces costes y a quantité de petites
         rivieres qui la plus part assechent de basse mer, elle abonde
         en poisson de plusieurs sortes, & la chasse du gibier qui y est
         en nombre infiny, comme à l'Isle & aux prairies du Cap de
         Tourmente, très beau lieu & plaisant à voir pour la diversité
         des arbres qui y sont, comme de plusieurs petits ruisseaux qui
         traversent les prairies, ce lieu est grandement propre pour la
         nourriture du bestial.

[Note 639: «Sur le bout du nordest de l'île aux Reaux.»]

         De l'Isle d'Orléans à Québec y a une bonne grande lieue, y
         ayant de l'eaue assez pour quelque vaisseau que ce toit, de
         façon que qui voudroit venir de Tadoussac l'on le pourroit
         faire aisement avec des vaisseaux de plus de trois cens
         tonneaux, il n'y a qu'à prendre bien son temps & ses marées à
         propos pour y aller avec seureté.

         Retournant à la continuation de nostre voyage de Québec, ledit
         de la Ralde fit descharger de ses vaisseaux quelque nombre de
         bariques de galettes & pois, tant dans le vaisseau des Peres
120/1104 Jesuites, qu'au nostre: Nous sceusmes par des Basques qui
         s'estoient sauvez de leur navire, lequel s'estoit brûlé dans un
         port appelle Chisedec qui est au fleuve sainct Laurent, par un
         petit garçon qui malheureusement mit le feu aux poudres, y
         estant allez pour faire pesche de balaines, de là furent à
         Tadoussac avec leurs chalouppes où ils traitterent quelques
         peleteries, & s'en vinrent à l'Isle Percée, pour treuver
         passage pour retourner en France, ledit de la Ralde se délibéra
         de les mener à Miscou pour plus amplement s'informer de ce
         qu'ils avoient fait & traitté, & premier que partir il vint à
         bort le 21 dudit mois, & délibéra d'aller à Miscou pour
         recouvrir de certaines debtes que les sauvages luy devoient, &
         voir en quel estat estoient les marchandises qu'il avoit
         aissées l'année d'auparavant en garde à un sauvage appellé
         Jouan chou, me promettant que dans un mois plus tard il
         viendroit à Québec, nous apportant toutes les choses qui nous
         manquoient, principalement des poudres & des mousquets, comme
         il avoit esté chargé de m'en fournir. Il fit assembler son
         esquippage, leur disant que ne pouvant aller pour l'heure en
         son vaisseau, il y mettroit ledit Emery pour y commander, & que
         l'on luy obéit comme à sa propre personne, en le chargeant
         particulièrement de dire aux matelots prétendus reformés, qu'il
         ne desiroit qu'ils chantassent les Pseaumes dans le fleuve
         sainct Laurent, cela dit il se desembarqua.

         Et nous levasmes l'ancre & mismes sous voilles avec vent
         favorable. Le soir ledit Emery fit assembler son esquippage,
121/1105 leur disant que Monseigneur le Duc de Ventadour ne desiroit
         qu'ils chantassent les Pseaumes dans la grande riviere comme
         ils avoient fait à la mer, ils commencèrent à murmurer & dire
         qu'on ne leur devoit oster ceste liberté: en fin fut accordé
         qu'ils ne chanteroient point les Pseaumes, mais qu'ils
         s'assembleroient pour faire leurs prières, car ils estoient
         presque les deux tiers de huguenots, & ainsi d'une mauvaise
         debte l'on en tire ce que l'on peut.

         Le 25 de Juin nous mouillasmes l'ancre le travers du Bicq,
         quatorze lieues à l'Est de Tadoussac. Ledit Emery despescha une
         chalouppe à Québec pour advertir ledit du Pont de nostre venue.
         Sur le soir appareillasmes pour aller à Tadoussac. La nuict
         s'esleva une si grande brune que le l'endemain au matin
         pensasmes aborder un Islet prés de l'Esquemain terre du Nort,
         ce qu'ayant esvité heureusement nous mismes vers l'eaue, & la
         brune continuoit si fort que l'on ne voyoit pas presque la
         longueur du vaisseau, l'on fit mettre nostre batteau dehors
         entre la terre & nous, & un trompette, affin que quand ils
         verroient la terre ils nous en advertissent par le son
         d'icelle, car l'on n'eust peu voir le bateau à cinquante pas de
         nous, & comme il s'apperceut en estre fort proche il nous donna
         advis que n'en devions pas approcher de plus près: & de plus
         advisa un petit vaisseau d'environ cinquante tonneaux qui avoit
         mouillé l'ancre entre deux pointes, & qui traittoit avec les
         sauvages du Port de Tadoussac: ce qu'ayant apperceu il fait
         devoir de venir à nous, par le moyen du son de la trompette &
122/1106 d'un autre qui leur respondoit de nostre vaisseau, nous ayant
         apperceus ils nous dirent ces nouvelles: mais comme nous
         estions de l'avant du vaisseau & le vent & marée contraires
         pour retourner au lieu où estoit ledit vaisseau la brune qui
         nous affligeoit fort, & nostre vaisseau mauvais voilier, nous
         ne peusmes rien faire.

         Ledit vaisseau ayant sceu que nous estions proche de luy, par
         le moyen d'un canau de Sauvages qui estoit vers l'eaue, lequel
         ayant apperceu nostre basteau, les alla promptement advertir, &
         aussi tost coupperent leurs câbles sur l'escubier, laisserent
         leur ancre & basteau, mettent sous voiles, ce que nous
         apperceusmes, & une esclercie, & estant meilleur voilier, il
         s'esloigna en peu de temps de nous, ce qui nous occasionna de
         mettre à l'autre bord.

         Comme le vaisseau des pères Jesuites qui avoit fait chasse sur
         luy, & s'il eust esté bien armé il l'eust emporté, car il fut
         jusqu'à parler audit vaisseau, & prit on le basteau du
         Rochellois: De ceste marée Rochelois fusmes mouillier l'ancre à
         la pointe des Bergeronnes, attendant la marée pour aller à
         Tadoussac, auquel lieu l'on envoya des Charpentiers &
         Calfeustreurs, pour accommoder les barques qui y estoient.

         Le Samedy 27, levasmes l'ancre & nous vinsmes mouillier le
         travers du moulin Baudé, à deux lieues du Cap des Bergeronnes.
         Un François qui estoit venu de Québec, nous dit que du Pont
         avoit esté malade, tant des gouttes que d'autre maladie, &
         qu'il en avoit pensé mourir: mais que pour lors il se portoit
         bien & tous les hyvernans, mais fort necessiteux de vivres
123/1107 comme le mandoit ledit du Pont, lequel avoit despesché une
         chalouppe pour envoyer à Gaspey & à l'Isle Percée, pour sçavoir
         des nouvelles, & treuver moyen d'avoir des vivres s'il estoit
         possible, pour n'abandonner l'habitation, & pouvoir repasser en
         France la plus grande partie de ceux qui avoient hyverné,
         craignans que nous ne fussions perdus, ou qu'il fust arrivé
         quelqu'autre fortune pour estre si tard à venir, qu'ils
         n'avoient plus que deux poinçons de farines, qu'ils reservoient
         pour les malades qui pourroient y avoir, estans réduits à
         manger du Migan comme les sauvages.

         Voilà les risques & fortunes que l'on court la plus part du
         temps, d'abandonner une habitation & la rendre en telle
         necessité qu'ils mourroient de faim, si les vaisseaux venoient
         à se perdre, & si l'on ne munit ladite habitation de vivres
         pour deux ans, avec des farines, huilles, & du vinaigre, &
         ceste advance ne se fait que pour une année, attendant que la
         terre soit cultivée en quantité pour nourrir tous ceux qui
         seroient au pays, qui seroit la chose à quoy l'on devroit le
         plus travailler après estre fortifié & à couvert de l'injure du
         temps. Ce n'est pas que souvent je n'en donnasse des advis, &
         representé les inconveniens qui en pouvoient arriver: mais
         comme cela ne touche qu'à ceux qui demeurent au pays, l'on ne
         s'en soucie, & le trop grand mesnage empesche un si bon oeuvre,
         & par ainsi le Roy est très mal servy, & le sera tousjours si
         l'on n'y apporte un bon reiglement, & estre certain qu'il
         s'exécutera.

124/1108 Le 29 dudit mois nous entrasmes au port de Tadoussac où il y
         avoit quelque trente cinq cabanes de sauvages. Le dernier de
         Juin une barque partit chargée de vivres pour l'habitation, &
         de marchandises pour la traitte, le père Noyrot Jesuiste & le
         Père Joseph Recollet s'en allèrent dedans.

         Le premier de Juillet je partis pour aller à Québec, où arrivé
         le cinquiesme dudit mois, je vis ledit du Pont, tous les Peres
         & autres de l'habitation en bonne santé: après avoir visité
         l'habitation & ce qui s'estoit fait du depuis mon départ pour
         les logements, je ne le trouvay si advancé comme je m'estois
         promis, voyant que les hommes & ouvriers ne s'estoient pas bien
         employez comme ils eussent bien peu faire, & le fort estoit au
         mesme estat que je l'avois laissé, sans qu'on y eust fait
         aucune chose, (ce que je m'estois bien promis à mon départ,) ny
         au bastiment de dedans qui n'estoit que commencé, n'y ayant
         qu'une chambre où estoient quelques mesnages, attendant qu'on
         l'eust parachevé, je voyois assez de besongne d'attente, bien
         qu'à mon départ de deux ans & demy[640] j'avois laissé nombre
         de matériaux prests, & bois assemblé, & dix-huict cens planches
         sciées pour les logemens, ausquels les ouvriers firent de
         grandes fautes, pour n'avoir suivy le dessein que j'avois fait
         & monstré[641].

[Note 640: Il n'y avait pas encore tout à fait deux ans; Champlain avait
quitté Québec le 15 d'août 1624 (voir ci-dessus, p. 83), et il était de
retour le 5 juillet 1626.]

[Note 641: Voir ci-dessus, p. 68, note 1.]

         Après avoir tout consideré, je jugé combien par le temps passé
         les ouvriers perdoient le temps aux plus beaux & longs jours de
125/1109 l'année, pour entretenir le bestial de foin, qu'il falloit
         aller quérir au Cap de Tourmente à huict lieues[642] de nostre
         habitation, tant à faucher & faner, qu'à l'apporter à Québec,
         en des barques qui sont de peu de port, où il failloit estre
         prés de deux mois & demy, employant plus de la moitié de nos
         gens de travail, qui ne passoient pas vingt quatre, de
         cinquante cinq personnes qui estoient en ladite habitation,
         cela me fit resoudre de mettre en effect ce que long temps
         auparavant j'avois délibéré. L'ayant donné à entendre aux
         associez qui fit que j'allay aux prairies dudit Cap de
         Tourmente, choisir un lieu propre pour y faire une habitation,
         à y loger quelques hommes pour la conservation du bestial, & y
         faire une estable pour les retirer, & par ce moyen estant une
         fois là, l'on ne seroit plus en soucy de ce qui nous donnoit de
         l'incommodité, & les ouvriers si peu qu'il y en avoit, ne
         perderoient le temps comme au passé.

[Note 642: Huit lieues marines, de 20 au degré. Il faut se rappeler que
Champlain ne donne à l'île d'Orléans (ci-dessus, p. 118) que six lieues;
et elle n'a guère que six lieues marines aussi. Les prairies naturelles
du cap Tourmente étaient donc environ une lieue plus bas que l'île,
c'est-à-dire, entre le ruisseau de la Petite-Ferme et la rivière de la
Friponne.]

         Je choisis un lieu[643] où est un petit ruysseau & de plaine
         mer, où les barques & chalouppes peuvent aborder, auquel
         joignant y a une prairie de demye lieue de long & davantage, de
         l'autre costé est un bois qui va jusques au pied de la montagne
         dudit Cap de Tourmente demie lieue de prairies[644], lequel
126/1110 diversifié de plusieurs sortes de bois, comme chesnes, ormes,
         fresnes, bouleaux, noyers, pommiers sauvages, & force
         lembruches de vignes, pins, cèdres & sapins, le lieu de soy est
         fort agréable, où la chasse du gibier en sa saison est
         abondante: & là je me resolus d'y faire bastir le plus
         promptement qu'il me fut possible, bien qu'il estoit en Juillet
         je fis neantmoints employer la plus part des ouvriers à faire
         ce logement, l'estable de soixante pieds de long & sur vingt de
         large, & deux autres corps de logis, chacun de dix-huict pieds
         sur quinze, faits de bois & terre à la façon de ceux qui se
         font aux villages de Normandie, ayant donné ordre en ce lieu,
         je m'en retournay à Québec, pour remédier aux autres choses,
         qui fut le huictiesme dudit mois, où estant, j'envoyay le sieur
         Foucher pour avoir esgard à ce que les ouvriers ne perdissent
         leurs temps, avec des vivres pour leur nourriture, & tous les
         huict jours je faisois un voyage en ce lieu pour voir
         l'advancement de leur travail.

[Note 643: Ce lieu «où est un petit ruisseau» est l'emplacement actuel
des bâtisses de la Petite-Ferme, comme le prouve la carte du sieur Jean
Bourdon de 1641, où l'on trouve, précisément à cet endroit, les mots:
_Vieille habitation_. Effectivement, l'on y a découvert, il y a quelques
années, des restes d'anciennes fondations dont l'existence ne paraît pas
pouvoir s'expliquer autrement.]

[Note 644: Ces quelques mots, qui font répétition, devaient sans doute
aller en marge.]

         Je consideré d'autre part que le fort[645] que j'avois fait
         faire estoit bien petit, pour retirer à une necessité les
         habitans du pays, avec les soldats qui un jour y pourroient
         estre pour la deffense d'iceluy, quand il plairoit au Roy les
         envoyer, & falloit qu'il eust de l'estendue pour y bastir,
         celuy qui y estoit avoit esté assez bon pour peu de personnes,
         selon l'oyseau il falloit la cage, & que l'agrandissant il se
         rendroit plus commode, qui me fit resoudre de l'abatre &
         l'agrandir, ce que je fis jusqu'au pied, pour suivre mieux le
127/1111 dessein que j'avois, auquel j'employay quelques hommes qui y
         mirent toute sorte de soing pour y travailler, affin qu'au
         printemps il peust estre en deffence, cela s'exécuta, sa figure
         est selon l'assiette du lieu que je mesnagé avec deux petits
         demy bastions bien flanquez, & le reste est la montagne, n'y
         ayant, que ceste advenue du costé de la terre qui est difficile
         à approcher, avec le canon qu'il faut monter 18 à 20 toises, &
         hors de mine, à cause de la dureté du rocher, ne pouvant y
         faire de fosse qu'avec une extrême peine, la ruine du petit
         fort servir en partie à refaire le plus grand qui estoit édifié
         de fascines, terres, gazons & bois, ainsi qu'autrefois j'avois
         veu pratiquer, qui estoient de très bonnes forteresses,
         attendant un jour qu'on la fit revestir de pierres à chaux & à
         sable qui n'y manque point, commandant sur l'habitation, & sur
         le travers de la riviere.

[Note 645: Le fort Saint-Louis, à Québec.]

         Ainsi je donné ordre à faire couvrir la moitié de l'habitation
         que j'avois fait commencer premier que partir, & quelques
         autres commoditez qui estoient necessaires. Voilà tous nos
         ouvriers employez au nombre de 20, bien qu'une partie du temps
         il y en avoit qui estoient empeschez à aller dans les barques,
         qui ne servoient de rien à l'habitation.

         Le père Noyrot amena vingt hommes de travail que le reverend
         Pere Allemand[646] employa à se loger, & desfricher les terres
         où ils n'ont perdu aucun temps, comme gens vigilants &
         laborieux, qui marchent tous d'une mesme volonté sans discorde,
128/1112 qui eut fait que dans peu de temps ils eussent eû des terres
         pour se pouvoir nourrir & passer des commoditez de France, &
         pleust à Dieu que depuis 23 à 24 ans les societez eussent esté
         aussi reunies & poussées du mesme desir que ces bons Peres: il
         y auroit maintenant plusieurs habitations & mesnages au païs,
         qui n'eussent esté dans les trances & apprehensions qu'ils se
         sont veues.

[Note 646: Le P. Charles Lalemant, supérieur.]

         Le 14 dudit mois arriva le père de la Noue de Tadoussac, qui
         nous dit que depuis que Emery estoit party dudit lieu[647] que
         ceux de l'équipage ne s'estoient pas souciez des deffences
         qu'il avoit faites à son départ, de ne chanter des pseaumes,
         ils ne laisserent de continuer, de sorte que tous les sauvages
         les pouvoient entendre de terre, cela n'importe à leur dire,
         c'est le grand zèle de leur foy qui opère.

[Note 647: Il avait dû partir de Tadoussac pour la traite le 30 juin.
(Voir ci-dessus, p. 124.)]

         Les peres de la Nouë &, Breboeuf, qui avoient hyverné avec le
         reverend Père l'Allemand, se delibererent d'aller aux
         Hurons[648] hyverner, voir le païs, apprendre la langue, &
         considerer quelle utilité & bien l'on pourroit esperer pour
         l'acheminement de ces peuples à nostre foy: aussi il y eut un
         père Recollet appellé le père Joseph de la Roche qui y avoit
         hyverné l'année d'auparavant desdits Peres jesuistes, avec le
         mesme dessein, & quelques François qu'on envoya pour obliger
         les sauvages à venir à la traitte.

[Note 648: D'après la Relation 1626, ils ne seraient partis que vers la
fin de juillet.]

         Le mesme jour arriverent trois ou quatre chaloupes qui alloient
         à Tadoussac, & d'aucuns qui estoient dedans, dirent qu'il y
         avoit des prétendus reformez qui faisoient leurs prières en
129/1113 quelques barques, s'assemblant au desceu dudit Emery de Caen,
         qui fut cause que je luy en donnay advis, afin qu'il y mit
         ordre, tant là, qu'à Tadoussac.

         Le 22 dudit mois arriva une chaloupe à Québec, de la part
         dudit de la Ralde de Miscou, lequel m'escrivit qu'il ne pouvoit
         venir cette année, d'autant qu'il avoit treuvé plusieurs
         vaisseaux qui avoient traitté des peleteries, contre les
         deffences du Roy, & pour ce, s'en vouloir saisir & les amener
         en France, escrivant audit Emery de Caen qu'il eust à envoyer
         l'alouette vaisseau des peres Jesuistes & l'armer des choses
         necessaires pour se rendre tant plus fort & maistre desdits
         vaisseaux qui traittoient.

         Un canau arriva de la riviere des Yrocois, ce mesme jour, qui
         nous dit que cinq Flamands avoient esté tuez par les sauvages
         Yrocois, qui par cy devant avoient esté leurs amis, qui ont
         maintenant guerre avec les Mahiganathicoit[649], où sont les
         Flamands au 40e degré, costes attenantes à celle des Virgines
         où l'Anglois habite.

[Note 649: Probablement une tribu des Mahingans, et peut-être les
Mahingans eux-mêmes.]

         Le 25e jour d'Aoust ledit Emery partit de Québec. Et ledit du
         Pont se délibéra de repasser en France, bien que ledit sieur de
         Caen [650] lui mandoit que cela seroit en son option de
         demeurer s'il vouloit, & s'estant resolu de s'en retourner,
         Cornaille de Vendremur d'Envers[651] demeura en sa place, pour
         avoir soing de la traitté & des marchandises du magazin, avec
130/1114 un jeune homme appellé Olivier le Tardif de Honnefleur,
         sous-commis qui servoit de truchement. Tous nos vivres estans
         desembarquez je les fis visiter, le nombre qu'il y avoit estoit
         peu, qui estoit pour tomber en des inconvenients d'une mauvaise
         attente, comme j'ay dit cy dessus, si Dieu ne nous aydoit par
         le prompt retour des vaisseaux.

[Note 650: Le sieur Guillaume de Caen.]

[Note 651: Corneille de Vendremur (peut-être pour Vander-Mur  ou
Vander-Meer), d'Anvers. Le plus souvent, il est appelé  simplement
Corneille.]

         Le 15 de Septembre j'envoyay le bestial au Cap de Tourmente,
         d'où il y a sept lieues[652]. Et le 21 je fis porter des vivres
         & commoditez, pour six hommes, une femme & une petite fille.

[Note 652: Un peu plus haut, l'auteur compte huit lieues, et il devait y
avoir au moins huit grandes lieues. (Voir la note 1 de la page 125.)]

         Le 24 s'en revindrent tous les ouvriers dudit Cap, qui avoient
         parachevé le logement tant pour les hommes que pour le bestial,
         lesquels hommes j'employay à aller couper nombre de pièces de
         bois pour sier en hyver & faire la charpente necessaire à faire
         les logements.

         Le 24 du mois d'Octobre je fus audit Cap de Tourmente, & delà
         pensois aller aux Isles, qui sont le travers pour recognoistre
         quelques particularitez, mais le vent de Nordest s'esleva si
         fort que nous pensasmes périr, toutes nos commoditez furent
         perdues, nostre chalouppe grandement offencée, qui nous
         contraignit de relacher & retourner à Québec.

         Le 30 dudit mois s'esleva un si grand coup de vent, de Nordest,
         que la mer croissant extraordinairement, nous brisa une de nos
         barques sans y pouvoir remédier, laquelle estoit toute pourrie
         au fond pour estre trop vieille, Dieu permettant ce mal-heur
         pour un autre plus grand bien.

131/1115 Le mois de Novembre est fort variable en ces lieux, tantost il
         y neige, pleut & gele, avec quelques coups de vents
         advancoureurs de l'hyver, neantmoins je ne laissay durant ce
         temps, de faire amaner quantité de pièces de bois pour employer
         les charpentiers & sieux d'ais pendant l'hyver, qui nous
         surprit plustost qu'à l'accoustumée, qui fut le 22 dudit mois,
         la grande riviere commença à charier de petites glaces. Le 7 de
         Décembre mourut de la jaulnisse un des ouvriers des Peres, qui
         estoit assez aagé.

         Le 17 dudit mois le reverend père l'Allemand baptisa un petit
         sauvage[653], qui n'avoit que dix à douze jours, par la
         permission de son père appellé Caquémisticq, le lendemain fut
         enterré au cemetiere de l'habitation[654].

[Note 653: D'après Sagard, c'était une petite fille. On envoya quérir le
P. Joseph pour baptiser l'enfant, qui était «assez foible & fluette, ce
que sçachant il y accourut promptement pensant la baptizer, mais l'ayant
trouvé assez forte en différa le baptesme avec consentement de la mère,
jusques à l'arrivée du Père Charles Lallemant qu'il fut quérir en nostre
Convent, luy référant ceste honneur, en recognoissance de la peine
qu'ils avoient prise de nous venir seconder à rendre les Sauvages enfans
de Dieu. Ce que le R. P. Lallemant luy accorda & retournèrent de
compagnie à la cabane de l'accouchée, où ils trouverent le mary arrivé
de son voyage... Ce pauvre sauvage se monstra très content de voir sa
femme heureusement accouchée & en bonne santé, marry seulement de voir
son enfant malade & en danger de mort. Ils eurent ensemble quelque
discours, sçavoir s'ils le feroient baptizer ou non, il disoit pour lui
qu'il en avoit prie le P. Joseph, & sa femme plus attachée à ses
superstitions, vacillant tousjours, n'advouoit point qu'elle y eust
consenty, & taschoit de l'en divertir, disans pour ses raisons que cette
eau du Baptesme feroit mourir son enfant, comme elle avoit fait
plusieurs autres. En ces entrefaites arriverent les PP. Joseph le Caron
& Lallemant, lesquels cognoissans ce petit différent survenu entre le
mary & la femme touchant le Baptesme de leur petite fille, les eurent
bien tost vaincus de raisons, & fait consentir de rechef qu'elle seroit
baptizée, ce qui fut fait par le R. P. Lallemant, à la prière du P.
Joseph. L'on ne luy imposa point de nom pour estre proche de sa fin, car
elle mourut le soir mesme de sa naissance, non en Payenne, mais en
Chrestienne, qui luy donne le juste titre d'enfant de Dieu, &
cohéritière de sa gloire.» (Hist. du Canada, p. 585, 586.)]

[Note 654: «Le Père Joseph leur demanda le corps de la deffuncte qu'ils
avoient enveloppé à leur mode, pour la mettre en terre saincte au
Cimetière proche Kebec... A ceste cérémonie se trouverent deux de nos
religieux, sçavoir le P. Joseph, & le F. Charles, le P. Lallement, & le
F. François Jesuite avec plusieurs François de l'habitation, qui tous
ensemblement se transporterent à la cabane de la deffuncte, qu'ils
prirent & la portèrent solemnellement en la Chappelle de Kebec chantans
le Psaulme ordonné aux enfans, puis le R. P. Lallement ayant dit la
saincte Messe on fust l'enterrer au cimetière avec un assez beau convoy
pour le pays, car le père de l'enfant marchoit tout le beau premier
couvert d'une peau d'Eslan toute neuve enrichie de matachias &
bigarures, & avec luy marchoit le sieur Hébert & les autres François en
suitte, selon l'ordre qui leur estoit ordonné, non si gravement mais
moins modestement que ce Sauvage pere, qui tenoit mine de quelque
signalé Prélat.» (_Ibid_. P. 587, 588.)]

132/1116 Le 25 de Janvier, Hébert fit une cheute qui luy occasionna la
         mort[655]: c'a esté le premier chef de famille resident au
         païs, qui vivoit de ce qu'il cultivoit.

[Note 655: «Dieu voulant, dit Sagard, retirer à foy ce bon personnage &
le recompenser des travaux qu'il avoit souffert pour Jesus-Christ, luy
envoya une maladie, de laquelle il mourut 5 ou 6 sepmaines après le
baptesme de ceste petite fille de Kakemistic. Mais auparavant que de
rendre son âme entre les mains de son Créateur, il se mist en l'estat
qu'il desiroit mourir, receut tous ses Sacremens de nostre P. Joseph le
Caron, & disposa de ses affaires au grand contentement de tous les
siens. Après quoy il fist approcher de son lict, sa femme & ses enfans
ausquels il fist une briefve exhortation de la vanité de cette vie, des
tresors du Ciel & du mérite que l'on acquiert devant Dieu en travaillant
pour le salut du prochain. Je meurs contant, leur disoit-il, puis qu'il
a pleu à nostre Seigneur me faire la grâce de voir mourir devant moy des
Sauvages convertis. J'ay passé les mers pour les venir secourir plustost
que pour aucun autre interest particulier, & mourrois volontiers pour
leur conversion, si tel estoit le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie
de les aymer comme je les ay aymez, & de les assister selon vostre
pouvoir. Dieu vous en sçaura gré & vous en recompensera en Paradis: ils
sont créatures raisonnables comme nous & peuvent aymer un mesme Dieu que
nous s'ils en avoient la cognoissance à laquelle je vous supplie de
leur ayder par vos bons exemples & vos prières. Je vous exhorte aussi à
la paix & à l'amour maternel & filial, que vous devez respectivement les
uns aux autres, car en cela vous accomplirez la Loy de Dieu fondée en
charité, cette vie est de peu de durée, & celle à venir est pour
l'éternité, se suis prest d'aller devant mon Dieu, qui est mon juge,
auquel il faut que je rende compte de toute ma vie passée, priez le pour
moy, afin que je puisse trouver grâce devant sa face, & que je sois un
jour du nombre de ses esleus; puis levant sa main il leur donna à tous
sa bénédiction, & rendit son âme entre les bras de son Créateur, le 25e
jour de Janvier 1627, jour de la Conversion sainct Paul, & fut enterré
au Cimetière de nostre Convent au pied de la grand Croix, comme il avoit
demandé estant chez nous, deux ou trois jours avant que tomber malade,
comme si Dieu luy eut donné quelque sentiment de sa mort prochaine.»
(Hist. du Canada, p. 590, 591.) Suivant le P. le Clercq, le corps
d'Hébert fut relevé en 1678, par les soins du Révérend P. Valenrin le
Roux, alors Commissaire et Supérieur des Récollets de Québec, et
«transporté solemnellement dans la cave de la Chapelle de l'Eglise» du
nouveau couvent qu'on venait de bâtir. «Madame Couillard, fille du sieur
Hébert, qui vivoit encore alors, s'y fit transporter, & voulut estre
presente à cette translation.» (Prem. établiss. de la Foy, 1, 375.)]

         Le 22 de Mars, les sauvages me donnèrent deux eslans male &
         femelle, le malle mourut pour avoir trop couru & travaillé,
         estant poursuivy des sauvages, lesquels nous firent part de
         quelque chair d'eslan: l'hyver que j'y passay fut un des plus
133/1117 longs que j'aye veu en ce lieu, qui fut depuis le 21 de
         Novembre jusqu'à la fin d'Avril, il y avoit sur la terre quatre
         pieds & demy de neiges, & à Miscou huict, qui est dans le
         golphe sainct Laurent, à 155 lieues de Québec, où ledit de la
         Ralde avoit laisse quelques François hyverner, pour traitter
         quelque reste de marchandises qui luy restoient, & qu'il ne
         voulut rapporter en France: ils faillirent tous à mourir du mal
         de terre, j'envoyay visiter ceux qui estoient au Cap de
         Tourmente, lesquels s'estoient fort bien portez, mais avoient
         un peu mal mesnagé leurs vivres, & leurs en fallut donner
         d'autres, aux despens des hyvernans de l'habitation, qui
         n'avoient pas assez de farines que quelques galettes, qui
         suppléerent au deffaut: sans cela nous eussions esté très mal,
         comme de toutes autres choses, pour n'avoir pourvue en France
         de bonne heure aux commoditez necessaires pour l'habitation.



         _Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois.
         L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres_.

                             CHAPITRE III.

         Pendant l'hyver quelques uns de nos sauvages furent aux
         habitations des Flamands, lesquels les sauvages dudit pays
         solliciterent les nostres de faire la guerre aux Yrocois, qui
         leurs avoient tué vingt quatre sauvages & cinq Flamands qui ne
         leurs avoient voulu donner partage, pour aller faire la guerre
134/1118 à une nation appellée les Loups ausquels lesdits Yrocois
         vouloient du mal, & pour engager nos sauvages à ceste guerre,
         qui avoient la paix avec lesdits Yrocois, ils leurs donnèrent
         des presens de colliers de pourcelaine, pour faire donner à
         quelques Chefs, comme au reconcilié & autres, afin de rompre
         cette paix. Ces Messagers estans de retour donnèrent les
         colliers aux Chefs, qui les ayant receuz délibérèrent de
         s'assembler bon nombre, avec les Algommequins & autres nations,
         & s'en aller treuver les Flamands & sauvages pour faire une
         grande assemblée ruiner les villages Yrocois, avec lesquels au
         precedent ils avoient paix, n'estans qu'à deux journées d'eux,
         & douze de Québec. Il y avoit plusieurs de nos sauvages qui ne
         vouloient point ceste guerre, ains la continuation de la paix
         avec les Yrocois, & ce qui fut cause d'un grand trouble entre
         ces peuples, desquelles nouvelles je n'avois encore rien sceu
         que par un Capitaine sauvage des nostres, appelle Mahigan
         Aticq, qui ne voulut consentir à ceste guerre, que premier il
         n'eust eu mon advis, ce que je luy promis: il me discourut fort
         particulièrement de toute ceste affaire, jugeant où cela
         pouvoit aller, car l'importance n'estoit pas seulement de
         ruiner les Yrocois comme ennemis des Flamands, mais le tout
         tiroit à plus grande consequence, que je passeray sous silence.

         Je dis audit Mahigan Aticq que je luy sçavois bon gré de
         m'avoir donné cet advis, mais que je treuvois fort mauvais,
         comme ledit reconcilié & autres avoient pris ces presens, &
         délibéré ceste guerre sans m'en advertir, veu que c'estoit moy
135/1119 qui m'estois entremeslé de faire la paix pour eux avec lesdits
         Yrocois, considerant le bien qui leur en arrivoit de voyager
         librement amont la grande riviere, & dans les autres lieux,
         autrement n'estant qu'en peur de jour en jour, de se voir
         massacrer & pris prisonniers, eux, leurs femmes & enfans, comme
         ils avoient esté par le passé: la où recommençant ceste guerre,
         c'estoit rentrer de fiévre en chault mal, & que pour moy je ne
         pouvois consentir à une meschanceté: qu'eux & moy leur avions
         donné parole de ne leurs faire aucune guerre, sans qu'au
         préalable ils ne nous en eussent donné suject, & que pour ceux
         qui entreprenoient ceste affaire, touchant la guerre sans nous
         en communiquer, je ne les tenois point pour mes amis, mais
         ennemis, & que s'ils faisoient cela sans quelque suject, je ne
         les voulois point voir à Québec, que néanmoins où je treuverois
         lesdits Yrocois je les assisterois comme amis, contre les
         sauvages proche des Flamands, qui estoient ennemis comme leurs
         ayant fait la guerre, estant allé autre fois aux
         Mahiganaticois, qui sont ceux de ceste mesme nation qui nous
         avoient tué malheureusement de nos hommes, que pour le
         reconcilié s'il avoit pris ces presens, que je ne le voulois
         plus voir ny tenir pour mon amy, s'il ne les renvoyoit, n'aller
         en guerre s'il les retenoit, que c'estoit estre de mauvaise
         foy, que promettre une chose pour en faire une autre, & que se
         laisser corrompre pour des presens, & je ne pouvois que penser
         de telles personnes, & que si on leurs en donnoit pour faire
         quelque meschanceté contre nous, ils le feroient. Et entre
         autres discours tendant à cet effect, il me dit que j'avois
136/1120 raison, & qu'il falloit aller en diligence aux trois Rivieres,
         au Conseil qui se devoit delibérer, & que mesme il y en avoit
         quelque nombre qui vouloient aller faire une course au pays
         desdits Yrocois pour en attraper quelques-uns, premier qu'aller
         vers les Flamans, si je n'y allois ou envoyois, & me pria
         instamment d'y envoyer puis que ma commodité ne le pouvoit
         permettre d'y aller; d'autant, me dit-il, qu'ils ne me
         voudroient pas croire de ce que je pourrois leur dire de sa
         part: mais y envoyant ils verront la vérité, & ce que tu
         desires. Sur ce je me délibère d'y envoyer Boullé mon beau
         frere avec un truchement, le lendemain le reconcilié me vint
         treuver, qui avoit ouy quelque vent que je sçavois quelque
         chose de cette affaire, je luy fis fort froide réception, & ne
         me peus empescher de luy tesmoigner le desplaisir que j'en
         avois: il me dit qu'il ne sçavoit rien de cette affaire, mais
         jugeant que j'estois bien certain de tout ce qui se passoit, il
         s'en alla doucement s'embarquer en un Canau, va au trois
         Rivieres premier que mon beau-frère & ledit Mahigan aticq y
         fussent, où il tesmoigna n'avoir agréable cette guerre, & se
         montera aussi contraire comme il y avoit esté porté, mais
         quelques Algommequins estoient partis pour aller en leur pays,
         & de là à la guerre sans nostre sceu, qui occasionna du malheur
         tant pour nos Sauvages que pour nous, comme il sera dit
         cy-aprés.

         Le 9 dudit mois de May j'envoyay mon beau-frere pour aller à
         cette assemblée 30 lieues de Québec amont ledit fleuve, où ils
         s'assemblerent tous pour prendre la resolution: la moitié
137/1121 desiroit la continuation de la guerre, autres de la paix: il
         fut en fin resolu de ne rien faire jusques à ce que tous les
         vaisseaux fussent arrivez, & que les Sauvages d'autres nations
         seroient assemblés, ce qui occasionna mon beau-frère de revenir
         le 21 dudit mois, & me dit ce qui avoit esté resolu. Le Pere
         Joseph Recolet baptisa un petit Sauvage de l'aage de 18 à 20
         ans, qui fut nommé Louys[656], au nom du Roy, le 23 de May.
         Quelque temps après il s'en retourna avec les Sauvages, comme
         fit un autre[657] qui avoit esté instruit en France, qui
         sçavoit bien lire, escrire, & passablement parler latin.

[Note 656: Ce jeune sauvage était Néogaouachit, fils aîné de Choumin,
surnommé le Cadet. Il fut baptisé dans la chapelle de la cour à
Notre-Dame-des-Anges, le jour de la Pentecôte, qui tombait cette année
le 23 mai, et fut tenu sur les fonts par Champlain lui-même et par
Madame Hébert. Pour quelque raison de prudence, l'auteur ne permit pas
que le baptême eût lieu à l'église paroissiale. Après la cérémonie, on
donna un grand festin à tous les sauvages, et Champlain voulut que son
filleul vînt à l'habitation dîner à sa propre table. (Sagard, Hist. du
Canada, pp. 541-563.)]

[Note 657: L'auteur paraît faire ici allusion à Pierre-Antoine
Pastedechouan. (Voir Prem. établiss. de la Foy, I, 363; et Relat. 1633,
p. 6.)]

         Le 7 de juin arriva un Canau où il y avoit deux François qui
         m'apportoient lettres des sieurs de la Ralde & d'Emery de Caen,
         qui estoient arrivez à Tadoussac le dernier de May 1627.

         Le 9 dudit mois de juin arriva ledit Emery, lequel ayant
         deschargé & pris ce qui luy estoit necessaire pour sa
         retraitte, il s'en alla au trois Rivieres, & après luy avoir
         dit ce qui s'estoit passé de cette affaire touchant cette
         guerre, & l'utilité que la paix nous apporteroit de ce costé-là
         si on pouvoit la continuer: mais comme Emery fut arrivé où
         estoient les Sauvages, il ne sceut tant faire, ny tous lesdits
         Sauvages, qui estoient là, que neuf ou dix jeunes hommes
138/1122 écervelez n'entreprinsent d'aller à la guerre, ce qu'ils firent
         sans qu'on les peust empescher, pour le peu d'obeissance qu'il
         portent à leurs chefs, ils furent par la riviere des Yrocois,
         arrivant au lacq de Champlain, où ils rencontrerent un Canau
         dans lequel estoit trois Yrocois, qui sous feinte d'estre
         encore amis, les prirent, un se sauva, & amenèrent les deux aux
         trois rivieres, de là ils retournèrent devant la riviere des
         Yrocois, où se devoit faire la traitte, & là commencèrent à mal
         traitter ces deux prisonniers en leur donnant plusieurs coups
         de bâtons & arrachant à l'un les ongles des mains, & se
         delibérant les faire mourir, les faisant promener de Cabanne en
         Cabanne, & contraignant de chanter comme est leur coustume,
         voila ce qui fut cause de l'esperance rompue de cette paix par
         accident. Cependant ledit sieur Emery faisoit ce qu'il pouvoit
         en suitte de l'advis que je luy avois donné de maintenir cette
         paix avec les Yrocois, leur remonstrant le peu de foy & de
         parole, & ne pouvant rien faire avec eux, il m'escrivit une
         lettre, me faisant entendre toutes les nouvelles: que ma
         presence y eust esté fort requise, ce qui fut cause
         qu'aussitost je m'embarquay dans un Canau avec Mahigan aticq
         qui fut le quatorziesme de Juillet, où arrivant au lieu où
         estoient lesdits prisonniers, je sceu que le mesme jour le
         Reconcilié avoit coupé les cordes desquelles ils estoient liez,
         ne desirant pas qu'il mourussent que premièrement ils ne
         m'eussent veu, & tenu conseil sur ce qu'ils devoient faire.
         Après avoir sceu toutes ces nouvelles dudit Emery, je fus à
         terre voir nos Sauvages & lesdits prisonniers qui se disoient
139/1123 frères, l'un aagé de vingt huict ans, beau Sauvage, & très-bien
         proportionné, & l'autre de dix-sept, qui me donnèrent de la
         compassion de les voir, & bien aise de ce qu'ils avoient esté
         delivrez des tourments qu'on leur vouloit faire souffrir.

         Le conseil fut assemblé sur ce que je leurs dy qu'ils avoient
         fait une grande faute de permettre à ces Sauvages d'avoir esté
         à la guerre, & grande lascheté à ceux qui y avoient esté
         d'avoir eu si peu de courage que les prendre sous ombre
         d'amitié, & les ayant si mal traittez comme ils avoient fait, &
         qu'asseurément cela leur pourroit estre vendu fort cher si l'on
         n'y trouvoit quelque remède, que les ennemis ne pourroient plus
         avoir subject de se fier en leurs paroles, que cecy estoit la
         deuxiesme mechanceté qu'ils leurs avoient faicte, & l'autre
         estoit qu'allant traitter de paix avec lesdits Yrocois, qui les
         avoient bien receus, cependant en s'en retournant ils avoient
         assommé un des leurs, & que leur bonté leur avoit pardonné.

         Estans tous assemblez je leur donnay à entendre qu'ils
         considerassent combien de bien ils recevoient de la paix au
         prix de la guerre, qui n'apporte que plusieurs malheurs, qu'ils
         sçavoient comme ils en avoient esté par le passe: que pour nous
         cela nous importoit fort peu: mais que la compaission que nous
         avions de leur misere nous obligeoit, les aymant comme frères,
         de les assister de nostre bon conseil, de nos forces contre
         leurs ennemis quand ils voudroient leur faire la guerre mal à
         propos, laquelle ils n'avoient encore commencée si ce n'estoit
140/1124 les subjects qu'ils leurs en avoient donné, dont ils
         pourroient en avoir du ressentiment si nous ne taschions d'y
         apporter le remède, & aussi qu'ils sçavoient bien que la guerre
         estant, toute la riviere leur seroit interdite & n'y pourroient
         chasser ny pescher librement sans courir de grands dangers,
         crainte & apprehension, & eux principalement qui n'avoient
         point de demeure arrestée, vivans errans par petites troupes
         escartées, dont ils se rendent autant plus foibles, & que s'ils
         estoient tous assemblez en un lieu comme font leurs ennemis, &
         que c'est ce qui les rend forts. De plus qu'ils considerassent
         combien ils pourroient endurer de necessitez pour ce subject:
         Ainsi se tindrent plusieurs autres discours, que pour moy
         recognoissant l'utilité de la continuation de cette paix il
         eust esté à propos de bien traitter les deux prisonniers, les
         renvoyer sans aucun mal, & donner quelque presens aux chefs de
         leurs villages pour payer la faute qu'ils avoient commises en
         la prise de ces deux prisonniers, suivant leurs coustumes, &
         remonstrant aussi qu'ils n'avoient pas esté pris du
         consentement des Capitaines ny des Anciens, mais de jeunes
         fols, & inconsiderez qui avoient fait cela, dont tous en
         avoient conceu un grand desplaisir.

         La pluspart, & tous d'un consentement, après que chaque
         Capitaine eut fait sa harangue, ils se resolurent de renvoyer
         l'un des prisonniers avec le Reconcilié qui s'y offrit, & deux
         autres Sauvages, accompagnez de presens pour donner aux
         Capitaines des villages ou ils alloient mener le prisonnier,
         laissant l'autre en ostage jusques à leur retour: & pour faire
141/1125 plus valoir leur Ambassade, ils nous demandèrent un François
         avec eux: le leur dis que s'il y en avoit quelques-uns qui y
         voulussent aller, que pour moy j'en estois comptant: il s'en
         treuva deux ou trois moyennant qu'on leur donnast quelque
         gracieuseté pour leur peine, & la risque qu'ils pouvoient
         courir en ce voyage, l'un d'eux appellé Pierre Magnan, qui avec
         la volonté qu'il avoit, & la commodité qu'on luy promit, il se
         delibere de faire le voyage avec le Reconcilié, deux Sauvages &
         l'Yrocois, lesquels s'accommodèrent des choses les plus
         necessaires, & partirent le 24 dudit mois, & moy le mesme jour
         m'en retournay à Quebec, où j'arrivay le lendemain, y trouvant
         ledit du Pont, qui estoit arrivé le 17 lequel me dist que ledit
         sieur de Caen voyant qu'il ne s'estoit point embarqué en la
         Flecque, vaisseau qui venoit pour la pesche de Baleine, qu'il
         luy avoit escrit & prie que s'il treuvoit moyen de passer en
         quelque vaisseau pour s'en venir hyverner en ce lieu qu'il luy
         feroit un singulier plaisir, pour avoir l'administration des
         choses qui dependoient de son service.

         Ce que voyant, tout incommodé qu'il estoit, pour l'instante
         prière qu'il luy en avoit faicte, il s'estoit embarqué en un
         vaisseau de Honnefleur pour venir à Gaspay & de là prit une
         double chalouppe avec six à sept Matelots & son petit fils pour
         s'en venir à Québec, où en chemin il avoit receu de grandes
         incommoditez de ses gouttes, ce qui en effect estonna un
         chacun, & mesme ledit de la Ralde, à ce qu'il me dist, qu'il
         n'eust jamais creu que ledit du Pont eust voulu se mettre en un
         tel risque ayant l'incommodité qu'il avoit.

142/1126 Ledit Emery me manda que depuis mon département frère
         Gervais[658] Recolet avoit baptisé un Sauvage appelle
         Tregatin[659], lequel estant proche de la mort le voulut estre,
         & le demanda trois fois, ne voulant adjouter foy aux
         superstitions des Sauvages, promettant que si Dieu luy
         redonnoit la santé il se feroit instruire aussitost après son
         baptesme, il recouvra la santé, mais il n'a pas suivy ce qu'il
         avoit promis, le tout à sa plus grande condemnation, si Dieu ne
         l'assiste.

[Note 658: Le P. Gervais Mohier était arrivé l'année précédente. (Prem.
établiss. de la Foy, I, 342.)]

[Note 659: C'est le nom que les Français donnaient à Napagabiscou. Sa
maladie et son baptême sont rapportés au long dans Sagard, Hist. du
Canada, liv. II, ch. XXXV.]



         _Mort & assassinat de Pierre, Magnan, François, du chef des
         Sauvages appelle Réconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour
         d'Emery de Caen & du Père l'Allemand à Québec. Necessitez en la
         Nouvelle France._

                               CHAPITRE IV.

         Le 25 d'Aoust un Sauvage nous apporta la nouvelle de la mort
         de Pierre Magnan, & du Reconcilié, & des autres deux Sauvages,
         qui nous dit qu'un Algommequin qui s'estoit sauvé dudit village
         des Yrocois leur avoit fait entendre au vray comme les ennemis
         les avoient traittez cruellement. Comme nos Ambassadeurs furent
         arrivez audit village des Yrocois ils furent bien receus, l'on
         les mena pour tenir conseil sur le subject de leur Ambassade: A
143/1127 mesme temps les villages circonvoisins en furent advertis, & là
         les chefs se treuverent pour le traitté de paix: & par malheur
         pour les nostres, c'est que les Algommequins (comme j'ay dit
         cy-devant) avoient esté à la guerre contre les Yrocois, & en
         avoient tué cinq, qui fut le subject que des Sauvages appellez
         Ouentouoronons[660] d'autre nation, amis desdits Yrocois,
         vindrent en diligence pour se venger sur ceux qui estoient
         alliez, & les tuèrent à coups de haches sans que lesdits
         Yrocois les peuvent empescher, leur disant, Pendant que vous
         venez pour moyenner la paix, vos compagnons tuent & assomment
         les nostres, ainsi perdirent la vie malheureusement. Pour le
         Reconcilié il meritoit bien cette mort, pour avoir massacré
         deux de nos hommes aussi malheureusement au Cap de
         Tourmente[661], & ledit Magnan natif d'un lieu proche de
         Lisieux, avoit tué un autre Magnan. à coups de bastons, dont il
         fut en peine, & avoit esté contraint de se retirer en la
         nouvelle France. Voilà comme Dieu chastie quelque fois les
         hommes qui pensent esviter sa justice par une voye & sont
         attrapez par une autre. Ces nouvelles nous apporterent un grand
         desplaisir, tant pour nous voir hors d'esperance de cette paix,
         qui nous pouvoit apporter de la commodité pour avoir les
         passages plus libres à nos Sauvages, de pouvoir chasser &
         pescher. De plus qu'ayant fait mourir un de nos hommes de cette
         façon, cela alloit à telle consequence que si nous ne nous en
         ressentions il falloit estre tenus de tous les peuples hommes
144/1128 sans courage, & estre aux risques de recevoir souvent tels
         affronts si nous ne mettions peine de nous en ressentir.

[Note 660: Les mêmes que les Entouoronons, ou Tsonnontouans.]

[Note 661: Ce double meurtre fut commis vers la fin de l'été 1616. (Voir
1619, p. 114 et s.)]

         Ces nouvelles arrivées de la mort des Ambassadeurs parmy nos
         Sauvages, de rage & de desplaisir qu'ils eurent ils[662]
         prindrent ce jeune garçon Yrocois qu'ils avoient retenu pour
         ostage, ils luy arrachent les ongles, le bruslent à petit feu
         avec des tisons, luy faisant souffrir plusieurs tourments, &
         ainsi mal traitté en firent un present à d'autres Sauvages pour
         l'achever de le faire mourir, & les obliger de les assister en
         leur guerre contre lesdits Yrocois, lesquels Sauvages prirent
         le garçon, le lièrent à un poteau le bruslant peu à peu. Comme
         il estoit en ces douleurs extrêmes ils luy coupèrent les mains,
         les bras, luy levant les espaules, & estant encore vif luy
         donnèrent tant de coups de cousteaux, qu'il mourut ainsi
         cruellement, & chacun en emporta sa pièce qu'ils mangèrent.

[Note 662: Les Algonquins, et non pas les Ouentouoronons. (Voir
ci-dessus, p. 140.)]

         Ledit Emery ayant faict la traitte, qui fut l'une des bonnes
         (qui se fust faicte il y avoit long temps) s'en retourna à
         Québec le dernier de Septembre de là à Tadoussac porter les
         pelteries.

         Le 2 d'Octobre deux autres barques partirent pour s'en aller
         audit Tadoussac, en l'une desquelles repassa le Reverend père
         l'Allemand lequel s'en retournoit fort affligé de ce que leur
         vaisseau n'estoit venu[663] leur apporter les commoditez qui
145/1129 leurs estoient necessaires pour la nourriture de vingt sept à
         vingt huict personnes qui estoient au pays, cela leur faisoit
         perdre beaucoup de temps, ne pensant à autre chose sinon que
         les vaisseaux où devoit venir le Père Noyrot (qui s'estoit
         équipée à Honnefleur) fut perdu & pris par les Anglois, qui fut
         le subject que nous ne receusmes aucunes lettres de celles
         qu'il nous apportoit, ne sçachant comme toutes les affaires
         s'estoient passées en France, que ce que me mandoit ledit sieur
         de Caen qui estoit peu de chose, & ainsi pour n'avoir des
         vivres & commoditez, ledit Père l'Allemand fut contrainct de
         faire passer tous ses ouvriers & autres, horsmis les Pères
         Massé, Dénoue[664], un frère, & cinq autres personnes pour
         n'abandonner leur maison, lesquels il accommoda au mieux qu'il
         peut, traittant quelques dix baricques de galette du magazin,
         au prix des Sauvages, à sept castors pour bariques de galette
         que ledit Pere avoit recouvert des uns & des autres à un escu
         comptant pour Castor, & ainsi achetoit chèrement ce que la
         necessité leur contraignoit, sans trouver aucune courtoisie.
         Ledit de la Ralde qui estoit venu pour lors à Québec rapportant
         n'avoir eu aucun ordre en France de les assister ny mesme de
         rapasser aucun religieux: Tout cecy ne monstroit que
         l'animosité qu'il avoit envers lesdits Peres & le sieur de
         Caen[665] qui avoit eu quelque chose à demesler avec ledit Pere
         Noyrot qui l'avoit desobligé, à ce qu'il me mandoit, mais tous
146/1130 les Pères qui estoient par delà n'en devoient pâtir, n'estant
         cause de ce qui s'estoit passée en France. Ils commençoient à
         se bien establir, & avoient fort advancé, tant en leurs
         bastiments qu'à deserter les terres: ce neantmoins ledit de la
         Ralde ne laissa de recevoir ledit Père l'Allemand en son
         vaisseau & luy faire bonne chère, car à la verité la
         courtoisie, l'honnesteté, la bonne mine & conversation dudit
         Pere l'obligeoit trop à luy rendre toute sorte de bon
         traittement qu'il treuva en sa personne: dans la mesme barque
         s'en alla ledit Destouches, qui fut le 2 de Septembre.

[Note 663: Le P. Noirot avait disposé un navire muni de toutes les
choses nécessaires; mais les sieurs de Caen et de la Ralde en prirent
ombrage, et d'ailleurs, ayant eu avis que les Pères avaient formé
quelques plaintes sur leur conduite, ils firent si bien qu'on arrêta ce
qui était pour le compte des Jésuites. (Prem, établiss. de la Foy, I,
371.)]

[Note 664: Le P. de Noue, qui est nommé ici, tandis que le P. Brebeuf ne
l'est pas, était probablement redescendu des Hurons cette année.]

[Note 665: C'est-à-dire, «comme aussi le sieur de Caen en avait
lui-même.»]

         Nous eusmes nouvelles par la dernière barque qui apportoit le
         reste de nos commoditez que ledit de la Ralde estoit party dans
         la Catherine le septiesme Septembre, & avoit laissé ledit Emery
         de Caen dans la Flecque jusques au 5 d'Octobre pour la pesche
         de la Baleine, & voir ce qui reussiroit de cette entreprise.
         L'on avoit envoyé quelque genisse[666] d'un an dans le vaisseau
         qui venoit à Tadoussac pour faire pesche de Baleine, & en fut
         porté par les barques 16 & quelque 7 ou 8 qui moururent par la
         mer, à ce que l'on nous dit.

[Note 666: «Quelques génisses,» comme la suite le fait voir.]

         Voila tout ce qui se pana jusques au departement des vaisseaux:
         Nous demeurasmes cinquante cinq personnes, tant hommes que
         femmes & enfans, sans comprendre les habitans du pays, assez
         mal accommodez de toutes les choses necessaires pour le
         maintien d'une habitation, dont je m'estonnois fort comme l'on
         nous laissoit en des necessitez si grandes, & en attribuoit on
         les défauts à la prise d'un petit vaisseau par les Anglois qui
147/1131 venoient de Bisquaye, comme ledit sieur de Caen me le mandoit,
         je ne sçay d'où en venoit la faute, plusieurs discours se
         disoient sur ce subject, quoy que s'en soit il nous fallust
         passer par de là, il n'y avoit point de remède.

         De ces cinquante cinq personnes il n'y avoit que dix-huict
         ouvriers, & en falloit plus de la moitié pour accommoder
         l'habitation du Cap de Tourmente, faucher & faner le foing pour
         le bestial pendant l'esté & l'Automne. Le parachevement de
         l'habitation de Québec demeure à parfaire, l'on me devoit
         donner dix hommes pour travailler au fort de sa Majesté, bien
         que ledit sieur de Caen & tous ses associez l'eussent
         souscript, & sa Majesté & le Viceroy le desirassent, neantmoins
         l'on ne le veut permettre, & empesche on tant que l'on peut. On
         veut que tous les hommes travaillent à l'habitation, il n'y a
         remède, pourveu que la traitte se face c'est assez, il n'y a
         personne qui osast entreprendre de nous enlever, c'est en cecy
         où j'avois beaucoup de peine à faire gouster les raisons
         pourquoy le fort nous estoit necessaire, tant pour la
         conservation de leur bien, que celles des habitans du païs:
         c'est ce qui donnoit du mescontentement à toutes les societés:
         neantmoins considerant l'importance & la necessité d'avoir un
         lieu de conserve, je ne laissois de faire ce qu'il m'estoit
         possible de temps à autre.

         Voyant les ordres & commandemens données au contraire de la
         volonté de mondit seigneur le Vice-roy, je jugeay bien deslors
         que la plus grande part des associez ne s'en soucioient
148/1132 beaucoup; pourveu qu'on leur donnast d'interest les quarante
         pour cent: j'en avois dit mon sentiment audit de la Ralde,
         lequel ne me donnoit beaucoup de contentement, d'autant qu'il
         avoit prescript ce qu'il devoit faire, c'est en un mot que ceux
         qui gouvernent la bource font & defont comme ils veulent.

         Un des deplaisirs que je recognu en ceste affaire estoit fâché
         que je faisois construire un fort au dessus de l'habitation
         pour la conservation d'icelle, du païs & des habitans, & cela
         déplût audit de Caen comme il me fit assez cognoistre par sa
         lettre, que d'y employer de ses hommes il n'y estoit pas
         obligé, aussi il ne s'en soucioit pourveu que sa Majesté en fit
         la despense, en y envoyant des ouvriers pour cet effect: à tout
         cela je ne peus rien faire pour lors, sinon d'en escrire à
         mondit seigneur le Viceroy, & luy donner advis de tout ce qui
         se passoit en ceste affaire, afin qu'il y apportast l'ordre
         qu'il jugeroit necessaire, & moy de ne laisser, en tant que je
         pouvois, d'employer quelques hommes au fort, & le reste à
         travailler à l'habitation.



149/1133 _Guerre déclarée, par les Yrocois. Assemblée des sauvages.
         Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche
         de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les
         Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur
         veut venger ce meurtre._

                               CHAPITRE V.

         Le 20 de Septembre les Sauvages nous dirent que nombre
         d'Yrocois s'acheminoient pour nous venir faire la guerre, à eux
         & à nous: nous leurs dismes que nous en estions très aises,
         mais que nous ne les croyons[667], & qu'ils n'avoient que la
         hardiesse d'assommer des gens endormis sans se deffendre.

[Note 667: _Craignons_ est probablement ce que portait le manuscrit.]

         Les communes des sauvages, de cinquante à soixante lieues de
         Québec, s'asemblent tous en ce dit lieu au mois de Septembre &
         Octobre, pour faire la pesche d'anguilles, qui est en abondance
         en ce temps là, lesquels ils font boucaner, & les reservent
         pour en manger jusques au mois de Janvier, que les neiges sont
         hautes, pour aller à la chasse de l'eslan, dequoy ils vivent
         jusqu'au Printemps.

         Le 3 d'Octobre[668] je partis de Québec, pour aller au Cap de
         Tourmente, voir l'avancement qu'avoient fait nos ouvriers, & en
         ramener une partie: deux hommes s'en retournèrent par terre,
         conduire quelque bestial que l'on amenoit dudit Cap de
         Tourmente à Québec. Après avoir mis ordre en ce lieu, je m'en
150/1134 retournay le 6 dudit mois, où estant arrivé j'appris que
         quelques sauvages avoient assassiné ces deux hommes endormis,
         qui conduisoient le bestial, à demie lieue de nostre
         habitation[669]. Cecy m'affligea grandement: on fut quérir les
         corps qu'ils avoient traisnez au bas de l'eau afin que la mer
         les emmenast, estant apportez on les visita, ils avoient la
         teste escrasée de coups de haches, & plusieurs autres d'espée &
         cousteaux dans le corps.

[Note 668: Le 3 octobre était un dimanche, et la marée était haute vers
1 heure et demie.]

[Note 669: Le meurtre paraît avoir été commis à la Canardière quelque
part vers l'embouchure du ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers
(aujourd'hui rivière Chalifour ou rivière des Fous). Le meurtrier était
Mahican-atic ouche, et les deux victimes, Henry, domestique de Madame
Hébert, et un autre français appelé Dumoulin. Ces derniers avaient dû
partir du cap Tourmente, vraisemblablement le mardi, de bonne heure le
matin, afin de pouvoir passer facilement les rivières de la côte pendant
que la marée était basse. Arrivés à la Canardière, ils trouvèrent la
rivière Saint-Charles encore trop pleine pour pouvoir traverser le soir
même; car la marée ne commença à baisser que vers les trois heures de
l'après midi. N'ayant pu ouvrir la porte de la cabane de M. Giffard, ils
se résignèrent à coucher sous un arbre, enveloppés de leurs couvertures.
C'est là que, pendant la nuit, Mahican-atic-ouche, croyant donner la
mort au boulanger et au serviteur de M. Giffard auxquels il en voulait,
massacra par méprise l'un de ses meilleurs amis, Henry, et un français
qui ne lui avait fait aucun mal. (Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch.
IV.)]

         Nous advisasmes qu'il estoit à propos de conduire ceste affaire
         meurement, & descouvrir les meurtriers au plustost pour les
         chasser, & voir comme nous procederions envers ces canailles,
         qui n'ont point de justice parmy eux: car de nous venger sur
         beaucoup qui n'en seroient coulpables, il n'y avoit pas aussi
         de raison, ce seroit déclarer une guerre ouverte, & perdre pour
         un temps le païs, jusqu'à ce que l'on eust exterminé ceste
         race, par mesme moyen perdre les traittes du pays, ou pour le
         moins les bien altérer, aussi que nous estions en un miserable
         estat, faute de munitions pour guerroyer, & plusieurs autres
         inconveniens furent considerez, qui pourroient arriver si l'on
151/1135 faisoit les choses trop precipitement. Nous deliberasmes de
         faire assembler tous les capitaines des sauvages leur conter
         l'affaire, & leurs faire voir les corps meurtris des defuncts,
         ce qui fut exécuté.

         Le lendemain[670] tous les chefs vinrent à nostre habitation,
         où nous leurs fismes plusieurs remonstrances du bien qu'ils
         recevoient annuellement de l'habitation nous, que contre tout
         droit & raison ils faisoient des actes abominables &
         detestables, de traistres & meschans meurtres, & que si nous
         avions l'ame aussi diabolique qu'eux, que pour ces deux hommes
         l'on en feroit mourir cinquante des leurs, & les exterminerions
         tous: qu'on leurs avoit pardonné n meurtre de deux autres
         hommes[671], mais que pour cetuy-cy nous voulions avoir les
         meurtriers, pour en faire la justice, qu'ils nous les
         declarassent & missent entre les mains, s'ils vouloient que
         nous vecussions en paix, nous n'en voulions qu'à ceux qui
         avoient assassiné nos hommes que nous leurs fismes voir.

[Note 670: Probablement le 8 octobre.]

[Note 671: Voir 1619, p. 133.]

         Au commencement ils vouloient dire que c'estoit des Yrocois,
         mais comme il n'y avoit nulle apparence, nous leurs fismes
         cognoistre le contraire, & que ce meurtre ne venoit que de
         leurs gens, en fin ils le confesserent, mais ils dirent qu'ils
         ne sçavoient pas celuy qui avoit fait ce coup.

         Nos gens soubçonnoient entr'autres un certain sauvage que nous
         leurs dismes, & qu'ils le fissent venir, ce qu'ils promirent
         faire. Le lendemain ils l'amenèrent, & fut interrogé sur
         quelques discours de menace, qu'il avoit fait à quelques-uns de
152/1136 nos ce qu'il nia, & que jamais il n'avoit pensé à une si
         signalée malice, que de vouloir tuer des François qu'il aymoit
         comme luy mesme. De plus qu'il avoit sa femme & plusieurs
         enfans qui l'auroient empesché de faire ce meurtre, quand il
         auroit eu le dessein. Je luy fis dire que le meurtrier du
         précèdent avoit bien femme & enfans, & qu'il ne laissa
         neantmoins d'en assassiner deux des nostres, outre que l'on le
         cherissoit plus qu'aucun des sauvages de son temps, & par
         consequent que ses excuses qu'il alleguoit ne pouvoient pas
         estre suffisantes pour se descharger du soubçon que l'on avoit
         sur luy: quoy que s'en soit plusieurs discours se passerent
         entre eux & nous, & nous resolumes d'arrester cettuy-cy,
         attendant qu'il nous donnast trois jeunes garçons des
         principaux d'entr'eux, l'un des montagnes[672], le second des
         trois rivieres, & le troisiesme le fils du soubçonné, jusqu'à
         ce qu'ils nous livrassent le meurtrier qui avoit fait le coup:
         ils nous demandèrent terme de trois jours, tant pour délibérer
         sur cette affaire, que pour essayer de pouvoir descouvrir le
         meurtrier, ce que nous leurs accordasmes.

[Note 672: Des Montagnais.]

         Ils s'en retournèrent en leurs Cabannes, & alors nous avions à
         nous tenir sur nos gardes, tant au fort qu'à l'habitation,
         donnant advis aux peres jesuistes & au Cap de Tourmente que
         chacun eust à se bien garder, & ne permettre qu'aucun sauvage
         les accostast sans estre les plus forts: toutes choses estant
         bien disposées nostre Sauvage que nous avions retenu attendant
         son fils en sa place & les autres.

153/1137 Le troisiesme jour ils ne faillirent à venir, amenant quant &
         eux les trois jeunes garçons de l'aage de douze à dix huict ans
         nous disant qu'ils avoient fait grande recherche & perquisition
         pour sçavoir ceux qui avoient tué nos hommes, & qu'ils ne
         l'avoient peu sçavoir, qu'ils feroient en sorte qu'en peu de
         temps ils nous en donneroient advis, & qu'ils estoient très
         desplaisans du malheur qui nous estoit arrivé, que pour eux ils
         estoient tous innocens, & que comme tels, ne se sentoient
         coulpables. Ils amenèrent ces trois jeunes garçons, le fils de
         nostre prisonnier, & un de Tadoussac, & l'autre de Mahigan
         aticq qui demeuroient proche de nostre habitation, &
         deschargerent ceux des trois Rivieres, disant que ce ne pouvoit
         avoir esté aucun d'iceux qui eust fait ce meurtre, d'autant
         qu'ils n'estoient que deux cabannes, que la nuict que nos gens
         furent tuez ils estoient tous à leurs maisons, au reste ils
         nous prièrent que nous vescussions en paix, attendant que les
         meurtriers fussent descouverts, estant plus que raisonnable
         qu'ils mourussent, & que nous eussions à bien conserver ces
         Sauvages qu'ils nous laissoient, le père que nous tenions
         prisonnier dit à son fils, prens garde à vivre en paix avec les
         François, asseure toy qu'en peu de temps je te delivreray &
         sçauray celuy qui a fait ce coup, & le plus grand desplaisir
         que j'ay eu c'est que les François ont eu soubçon sur moy, &
         les autres Sauvages asseurerent aussi les deux autres, & qu'en
         peu de jours l'on sçauroit ceux qui avoient fait ce meschant
         acte.

154/1138 Nous dismes à tous ces Capitaines que le peu d'asseurance qu'il
         y avoit pour nos hommes d'aller seuls dans les bois & y dormir
         ayant parmy eux de si meschans traistres qu'à l'advenir jusqu'à
         ce qu'on eust descouvert les meurtriers & fait justice d'eux,
         j'enchargerois à tous nos hommes de n'aller plus sans armes &
         que s'il y avoit aucun d'eux qui les approchast sans leur
         consentement qu'ils les tireroyent comme ennemis, & qu'ils
         eussent à se donner de garde, & advertir tous leurs compagnons,
         d'autant qu'ils ne cognoissoient les meschans qui estoient
         parmy eux, nous avions à nous donner de garde, mais qu'eux
         n'avoient nul subject d'entrer en deffiance de nous. Ils nous
         dirent que nous avions raison de ne faillir à tuer s'il s'en
         rencontroit aucun qui ne voulussent se retirer quand on leur
         diroit, que pour le moins l'on cognoistroit quels ils seroient,
         & que pour les jeunes garçons qu'ils nous laissoient, on leur
         fist bon traittement, que cependant de leur part ils feroyent
         toute diligence de descouvrir les assassinateurs, & ainsi se
         separerent chacun de leurs costez pour aller au lieu où pendant
         l'hyver ils pourroient treuver de la chasse pour subvenir à
         leurs necessitez.

         Sur la fin de Janvier quelques trente Sauvages tant hommes que
         femmes & enfans pressez de la faim, pour y avoir fort peu de
         neiges pour prendre de l'eslan & autres animaux, se resolurent
         de se retirer vers nous pour en leurs extrêmes necessitez estre
         secourus de quelques vivres, qu'à ce deffaut ils estoient
         morts: je leur fis encore cognoistre combien le meurtre en la
         mort de nos hommes estoit detestable, & la punition que
155/1139 justement devoit mériter celuy qui avoit assassiné nos hommes,
         & que pour ce meschant ils pouvoient tous pâtir & mourir de
         faim sans le secours de nostre habitation, la bonté des
         François, dont ils ne recevoient que toutes sortes de
         bien-faits. Cette trouppe affamée voulant tesmoigner le
         ressentiment qu'ils avoient en la mort de nos gens, & comme ne
         trempant aucunement en cette perfidie, desirant se joindre avec
         nous d'une amitié plus estroitte que jamais ils n'avoient
         faict, & oster toute sorte de deffiance que pouvions avoir
         d'eux, ils se resolurent de nous donner trois filles de l'aage
         de unze à douze & quinze ans, pour en disposer ainsi
         qu'aviserions bon estre, & les faire instruire & tenir comme
         ceux de nostre nation, & les marier si bon nous sembloit.

         Le deuxiesme de Janvier mil six cens vingt huict estant passez
         la riviere, qui charioit un nombre de glaces, tant pour avoir
         dequoy assouvir la faim qui les pressoit, comme pour faire
         present de ces filles, demandèrent à s'assembler & tenir
         conseil avec nous, où ils nous firent entendre tout ce que
         dessus, ayant amené les trois filles avec eux.

         Après nous avoir fait un long discours de l'estroite amitié
         qu'ils vouloient avoir avec nous, & s'y joindre & habiter &
         deserter des terres proches du fort, recognoissant qu'ils
         seroient mieux qu'en lieu qu'ils eussent peu esperer: & pour
         asseurance de tout ce qu'ils disoient, ils ne pouvoient faire
         offre de chose qu'ils eussent plus chère que ces trois jeunes
156/1140 filles qu'ils nous prioient de prendre, lesquelles estoient
         très-contentes de demeurer avec nous[673].

[Note 673: L'un des motifs qui engageaient les sauvages à faire ce
présent extraordinaire de trois de leurs filles, était bien celui que
donne ici l'auteur; mais il y en avait un autre que sa modestie lui a
fait omettre, et que nous devons savoir gré à Sagard de nous avoir fait
connaître, «Avant que les Montagnais partissent pour les bois & la
chasse, ils voulurent recognoistre le sieur de Champlain de quelques
presents, & adviserent entr'eux quelle chose luy seroit la plus
agréable, car ils tenoient fort chers les plaisirs & l'assistance qu'ils
en avoient receus. Ils envoyerent Mecabau, autrement Martin par les
François, au P. Joseph pour en avoir son advis, auquel il dit, mon fils,
il me souvient qu'autrefois Monsieur de Champlain a eu desir d'avoir de
nos filles pour mener en France & les faire instruire en la loy de Dieu
& aux bonnes moeurs; s'il vouloit à present, nous luy en donnerions
quelqu'unes, n'en serois-tu pas bien content? A quoy luy repondit le P.
Joseph, que ouy, & qu'il luy en falloit parler; ce que les Sauvages
firent de si bonne grâce, que le sieur de Champlain voulant estre utile
à quelque âme, en accepta trois, lesquelles il nomma, l'une la Foy, la
seconde l'esperance, & la troisiesme la Charité... Plusieurs croyoient
que les Sauvages n'avoient donné ces filles au sieur de Champlain que
pour s'en descharger, à cause du manquement de vivres; mais ils se
trompoient, car Choumin mesme à qui elles estoient parentes, desiroit
fort de les voir passer en France, non pour s'en descharger, mais pour
obliger les François & en particulier le sieur de Champlain». (Sagard,
Hist. du Canada, p. 912-14.)]

         Après que j'eus ouy tous leurs discours je jugeay que pour plus
         grande seureté de ceux qui demeuroient audit païs, que pour
         plus estroitte amitié qu'il n'estoit point hors de propos
         d'accepter cet offre, & de prendre ces filles, ce que jamais
         ils n'avoient offert, quelque present qu'on leur eust voulu
         donner pour avoir une fille, & que mesme le Chirurgien quelque
         temps auparavant desirant en avoir une jeune pour la faire
         instruire & se marier avec elle, ne peust avec tous les
         Sauvages avoir le crédit d'en avoir une, quelques offres qu'il
         fist, bien que tout ce qu'il faisoit n'estoit que pour la
         gloire de Dieu, & le zèle qu'il avoit audit pays de retirer une
         âme des enfers: à la vérité je m'estonnois fort des offres
         qu'ils nous faisoient, ce que jamais, comme j'ay dit cy-dessus,
         l'on n'avoit peu obtenir.

         Sur ce jugeant qu'il n'estoit nullement à propos de laisser
157/1141 aller les offres, & qu'ils nous pressoient, je demanday audit
         du Pont son advis, comme principal commis, & d'autant que les
         vivres qui estoient pour traitter, comme pois, febves & bled
         d'Inde, dont il y en avoit suffisamment & en quantité,
         desquelles choses l'on les nourriroit, car de ceux qui estoient
         pour les hyvernans il n'y en avoit que fort peu, & ne pouvoit
         on leur en donner sans oster la pitance. Ledit du Pont dit que
         pour luy il ne se mesloit de ces choses, bien qu'il
         recognoissoit cette affaire estre très-bonne, mais que pour les
         vouloir prendre & nourrir, qu'il ne le desiroit que s'ils le
         vouloient, qu'ils attendissent le retour des vaisseaux: mais
         comme en un si long-temps qu'il y avoit jusques à leur arrivée,
         & que la fantaisie se peut changer, principalement entre
         lesdits Sauvages, je creus que nous perdrions ce que peut estre
         nous aurions mesprisé, cela aussi donneroit encore subject
         ausdits Sauvages de nous vouloir plus de mal, n'en vouloir pas
         seulement aux meurtriers, mais encore à ceux qui n'en sont
         coulpables: & de plus que l'on dist aux Sauvages, qu'il n'y
         avoit que des pois, & que peut estre ils ne pourroient
         s'accommoder pour le present. A cela elles dirent qu'elles
         seroient très-contentes & qu'on les prist, quoy que les Commis
         ne les voulussent recevoir.

         Je me resolus de les prendre toutes trois, les accommodant des
         choses necessaires, les retenant en nostre habitation. Ainsi
         les Sauvages furent tres-aises, & moy aussi, tant pour le bien
         du pays comme pour l'esperance que je voyois que c'estoient
         trois âmes gaignées à Dieu, que tout ce qu'il y avoit à faire
158/1142 en cela estoit d'avoir le soing & prendre garde que quelques
         Sauvages ne les enlevassent, comme quelques uns avoient
         commencé, ausquelles choses je remediay au mieux qu'il me fut
         possible[674].

[Note 674: «Tout son dessein en ce bon oeuvre, ajoute Sagard, estoit de
gaigner ces trois âmes à Dieu, & les rendre capables de quelque chose de
bon, en quoy je peux dire qu'il a grandement mérité, & qu'il se trouvera
peu d'hommes capables de vivre parmy les Sauvages comme luy, car outre
qu'il souffre bien la disette, & n'est point délicat en son vivre, il
n'a jamais esté soupçonné d'aucune deshonnesteté pendant tant d'années
qu'il a demeuré parmy ces peuples Barbares; c'est pourquoy ces filles
l'honoroient comme leur père, & luy les gouvernoit comme ses filles.»
(Hist. du Canada, p. 914.)]

         Toutesfois cet offre fut à la charge qu'ils ne pourroient
         prétendre aucun subject d'empescher que ne fissions recherche &
         justice du meurtrier s'il estoit descouvert, ains au contraire
         ils nous dirent que s'ils le sçavoient qu'ils l'accuseroient,
         comme un perfide & desloyal, & asseurément qu'en peu de jours
         cela seroit descouvert, en ayant entendu quelque chose de celuy
         que nous soubçonnons un Sauvage appellé Martin[675] des
         François, qui avoit donné une de ses trois filles tomba malade,
         & se voyant à l'extrémité demanda le Baptesme, ce qu'entendant
         le Père Joseph Coron[676], il s'achemine à sa cabanne, il fait
         entendre le sujet & la consequence de ce qu'il demandoit, &
         qu'en telle chose il n'y avoit pas à rire. Car ce n'estoit
         assez d'estre baptisé mais falloit qu'il promit que si Dieu luy
         rendoit sa santé, de ne retourner plus à faire la vie sauvage &
         brutalle qu'il avoit menée par le passé, ains vivre en bon
         Chrestien & se faire instruire ce qu'il promit. Ce que voyant
         ledit Père Joseph, faisant oeuvre de charité & d'hospitalité il
159/1143 le fait porter en sa maison, le traitte, l'accommode de tout ce
         qu'il peut & croit estre necessaire à sa santé, recognoissant
         (selon son jugement) qu'il ne devoit point reschapper qu'il ne
         mourust en un jour ou deux au plus tard, il le baptisa le 6
         Avril, ce qu'ayant esté fait, il semble se treuver au bout de 4
         ou 5 jours mieux qu'il n'avoit fait: & entendant que quelques
         sauvages estoient venus en ces cabannes, dont il y en avoit un
         qui le disoit de leurs Pilottouas, soit que ledit Martin,
         creust avoir plustost du soulagement de son mal, par le moyen
         de ce nouveau médecin ou autrement: il desire s'en retourner en
         sa cabanne où il s'y fait porter: il demande à estre pensé, &
         médeciné par son médecin, pour recouvrir entièrement sa santé.

[Note 675: Son nom sauvage était Mecabau. (Sagard, Hist. du Canada, p.
592, 912.)]

[Note 676: Le Caron.]

         Le Pilotoua se met en devoir d'user envers le malade de ses
         remèdes accoustumés, & chantèrent tant aux aureilles du malade
         avec un tel bruit & tintamarre, que tout cela estoit plus
         capable d'avancer ses jours que le guérir, car comment pouvoit
         il recevoir allégement en ce tintamarre, que le plus sain en
         eust eu la teste rompue, il usa de tous ses plus subtils
         medicaments qu'il peust, lesquels ne luy servirent de rien, &
         cependant ledit Martin ne se resouvenant plus du sainct
         Baptesme & de ce qu'il avoit promis, retourne en la créance de
         ses superstitions passées, il y eut de nos gens qui luy firent
         quelques remonstrances sur le peu d'esprit qu'il avoit, & le
         mal qu'il faisoit de la perdition de son âme, qui pâtiroit plus
         aux enfers pour avoir abusé de ce sainct Sacrement que s'il
         n'eust esté baptisé, il n'en fait nul estat, disant, qu'il
160/1144 n'adjoustoit point de foy en tout ce qu'on luy avoit fait, sans
         faire davantage de réplique, ainsi demeura en son mal, qui alla
         en augmentant jusques à la mort, sans qu'il peust treuver de
         remède pour l'empescher, & mourut le dix-huictiesme dudit
         mois[677]: les jugemens de cette mort furent divers, d'autant
         que beaucoup croyoient, que peut-estre premier que de rendre le
         dernier souspir de la vie il auroit eu un repentir, & Dieu luy
         auroit pardonné: C'est pour revenir à ce que nous enseigne
         nostre Seigneur, _Ne jugez point, de peur que ne soyez jugez_.
         Neantmoins il y avoit bien dequoy craindre en la vie qu'il a
         menée jusques à la fin, que cette âme ne soit perdue.

[Note 677: Le 18 avril 1628. D'après Sagard, il serait mort dans de
bonnes dispositions, et n'aurait consenti à se faire _mideciner_ que par
complaisance. «Il fut enterré au cimetière de ceux de sa nation, proche
le jardin qu'on appelle du Père Denys, pour le contentement de ses
parens, qui autrement n'eussent point vescu en paix.» (Hist. du Canada,
liv. II, ch. XXXVII.)]

         De puis 22 ans qu'on est allé pour habiter & défricher à Québec
         [678], suivant l'intention de sa Majesté, les societés
         n'avoient fait deserter un arpent & demy de terre: par ainsi
         ostoient toute esperance pendant leur temps, de voir le boeuf
         sous le joug pour labourer, jusqu'à ce qu'un habitant[679] du
         païs recherchast les moyens de relever de peine les hommes qui
161/1145 travailloient ordinairement à bras, pour labourer la terre,
         laquelle fut entamée avec le Soc & les boeufs, le 27 d'Avril
         1628, qui montre le chemin à tous ceux qui auront la volonté &
         le courage d'aller habiter, que la mesme facilité se peut
         esperer en ces lieux comme en nostre France, il l'on en veut
         prendre la peine & le soing.

[Note 678: L'habitation de Québec n'ayant été commencée qu'en 1608, ce
passage donnerait à entendre que dès 1630, Champlain avait préparé la
seconde partie de l'édition de 1632.]

[Note 679: Il n'y avait alors que Guillaume Couillard, qu'on pût appeler
_habitant_ proprement dit, parce qu'il était le seul qui fût établi sur
une terre.. Cette terre avait été concédée à son beau-père Louis Hébert
dès le 4 février 1623, par le duc de Montmorency, concession qui fut
ratifiée par le duc de Ventadour le 28 février 1626. Après la mort
d'Hébert, Couillard resta sur la terre avec sa belle-mère et son jeune
beau-frère Guillaume Hébert; le partage n'eut lieu qu'en 1634, à
l'occasion du mariage de ce dernier avec Heleine des Portes. Son contrat
de mariage et les arrangements de famille laissèrent à Couillard les
trois quarts de l'héritage, et, quelques années plus tard, il rentra par
une échange en possession de la part échue à son beau-père Guillaume
Hubou. (Archives du Sémin. de Québec.)]

         Sur la fin dudit mois, il y eust quelques Sauvages qui nous
         apportèrent nouvelles de la mort de Mahigan Athic, par mesme
         moyen nous voulurent persuader qu'à cent cinquante lieues amont
         le fleuve S. Laurent, estoient descendus certains Sauvages
         Algommequins qui avoient massacré nos hommes, s'estans retirez
         secrettement sans estre apperceus, mais comme ces discours
         estoient esloignez de la raison sans apparence, nous ny
         adjoustasmes foy, disant que le Sauvage que nous tenions pour
         suspect, estoit devenu insensé courant par les bois comme
         desesperé, ne sçachant ce qu'il estoit devenu.

         Le 10 de May un canau arriva de Tadoussac, où estoit la
         Fouriere capitaine des Sauvages dudit lieu, avec celuy que nous
         soubçonnions avoir faict le meurtre, lequel n'estoit en tel
         estat qu'on nous l'avoit representé, qui venoit pour se
         justifier, sur l'asseurance que luy avoit donné ledit la
         Fouriere, moyennant quelque present qu'il avoit receu, de
         retirer son fils d'entre nos mains.

         Estant en terre il envoya sçavoir si j'aurois agréable qu'il
         nous vint voir, je le fais venir avec le meurtrier soupçonné,
         où ledit la Fouriere fit quelque discours sur l'affection que
         de tous temps il nous avoit portée, que jamais il ne receut tel
162/1146 desplaisir que quand on luy dit de la façon que nos hommes
         avoient esté tuez, croyant que c'estoient des Yrocois & non
         d'autres, mais que depuis peu il avoit sceu par un jeune homme
         de nation Yrocoise & elevé parmy eux, & les Algommequins d'où
         il venoit mescontant pour l'avoir mal traité qu'il avoit
         rapporté que trois d'icelle nation estoient venus de plus de
         cent cinquante lieues tuer de nos gens, chose très certaine,
         avec autre discours sans raison: Et que les prestres qui
         prioient Dieu avec cérémonie qu'ils faisoient, estoit le sujet
         que beaucoup de leurs compagnons mouroient, ce qui n'avoit esté
         auparavant, avec autres paroles perdues, discours de quelques
         reformez qui leurs avoient mis cela en la fantaisie, comme de
         beaucoup d'autres choses de nostre croyance.

         Je luy fis response de poinct en poinct à toutes ses raisons
         foibles & débiles, que pour l'amitié & affection, il ne pouvoit
         aller au contraire qu'on ne luy en eust tesmoigné d'année à
         autre, & sauvé la vie à plus de cent de ses compagnons, qui
         fussent morts de faim, sans ce secours qu'ils avoient receus de
         nous en ces extrêmes necessités, au contraire nous n'avions pas
         sujet de nous louer d'eux, comme ils avoient de nous, ayant par
         cy-devant tué de nos hommes, qu'on avoit pardonné au meurtrier,
         outre plusieurs autres desplaisirs, pensant que le temps le
         rendroit plus sage, mais que je n'estois plus resolu de
         temporiser ny souffrir qu'ils nous bravassent en tenant les
         bras croisez sans ressentiment, d'avoir encore depuis peu
         assassiné deux de nos hommes estans endormis, que le rapport
163/1147 qui avoit esté fait par ce jeune homme des Algommequins qui
         avoient tué les nostres, ausquels on n'avoit jamais mesfait
         estoit chose controuvée, que quand il y auroit quelque vérité,
         qu'ils eussent passé par plusieurs endrois sur leurs chemins où
         il y avoit des nostres, qu'ils eussent peu tuer sans prendre la
         peine de passer parmy eux, & non courir la risque d'estre
         descouverts pour aller en un lieu du tout esloigné de chemin ny
         sentier, en lieu où ces hommes ne faisoient que reposer icelle
         nuict pour le matin s'en revenir avec le bestial.

         De plus que la nuict qu'ils furent massacrez, il y avoit des
         canaux proche d'eux, qui faisoient la pesche de l'anguille,
         tant de sujects estoient suffisans de tuer les premiers, sans
         se mettre en toutes ces peines, & de passer encore une riviere
         pour venir à l'effect de ceste exécution, avec d'autres raisons
         si apparentes qu'il n'y pouvoit respondre: De plus que tous les
         Capitaines Sauvages qui estoient icy concluerent que le meurtre
         avoit esté par un des leurs, après avoir visité les corps & les
         coups qu'ils avoient, promettant faire ce qu'ils pourroient
         pour descouvrir les meurtriers, & nous les livrer ou en donner
         advis, estant raisonnable que ceux qui avoient fait le coup
         mourussent: que nous vouloir persuader par des raisons sans
         apparence, luy qui ne sçavoit comme la chose s'estoit passée ny
         estant, qu'il n'avoit nulle raison de vouloir pallier & couvrir
         ce meurtre.

         Luy remonstrant que s'il ne sçavoit autre chose pour m'obtenir
         le droit qu'il pretendoit, qu'il avoit pris de la peine en
164/1148 vain, aussi que nous estions fort contans de ce qu'il avoit
         amené avec luy le soubçonné qui avoit fait le meurtre, outre le
         légitime sujet que nous avions eu de demander son fils en
         ostage. Nous avions des Sauvages qui durant l'hyver nous
         avoient asseuré qu'il n'y en avoit point d'autre qui eut fait
         l'assassinat que luy: pour cet effect nous le voulions retenir
         prisonnier, jusqu'à ce que les informations fussent bien
         averées, que s'il meritoit la mort il devoit mourir, sinon il
         seroit libre & ne devoit craindre s'il n'avoit fait le coup, ce
         pendant il seroit traitté comme son fils, lequel je mis en
         liberté avec un autre, reservant le plus jeune des trois pour
         luy tenir compagnie: qui fut estonné ce fut le galand & ledit
         la Fouriere, à qui l'on fist gouster les raisons qu'il ne
         sçavoit que de la bouche du meurtrier, qui fut contrainct de se
         taire, ne sçachant autre chose que ce que luy avoit dit ce
         jeune Sauvage Yrocois, qui accusoit les Algommequins, où à
         propos entrèrent deux d'icelle nation, auquel l'on dit ce que
         ledit la Fouriere avoit dit, qui deffendirent leur nation, &
         n'avoir jamais fait une telle perfidie, n'y mesme songé, que ce
         qu'il disoit estoit si esloigné de la raison, que tels discours
         donnoient plustost sujet de risée que d'y adjouster foy: qu'il
         sçavoit très-bien que nous n'avions ny n'aurions jamais la
         croyance de ce faulx bruit. De plus que le Sauvage qu'ils
         allegoient leur avoir apporté ces nouvelles estoit un enfant,
         auquel l'on ne pouvoit adjouster foy, estant imposteur,
         menteur, resentant tousjours la nation d'où il estoit.

165/1149 Tous ces discours finis, l'on arresta prisonnier nostre homme,
         r'envoya-on son fils & le jeune Sauvage que nous avoit donné
         feu Mahigan Atic.

         Ce jour partit quelques jeunes hommes pour aller à la guerre
         aux Yrocois, conduits par un vieil homme peu expérimenté, qui
         fit croire qu'il ne feroit pas beaucoup d'expédition.

         Ledit la Fouriere voyant que son voyage ne luy avoit de rien
         servy, qu'à nous avoir mis l'oyseau au piège, il s'en alla nous
         recommandant de traitter doucement le prisonnier, attendant
         sçavoir plus grande vérité. Quelques jours après le départ
         dudit la Fouriere, le frère du Reconcilié qui fut tué aux
         Yrocois, avec nostre homme tua à Tadoussac l'imposteur
         d'Yrocois qui avoit accusé les Algommequins d'avoir fait ce
         meurtre, pour s'estre resouvenu que ce jeune homme estoit de
         nation Yrocoise, qui avoit fait mourir son frère, allant pour
         traitter de paix & d'amitié, & ainsi se vengent ces brutales
         gens, sur ceux qui n'en sont causes.

         Nos jeunes guerriers revinrent comme ils avoient esté, sans
         avoir fait mal à personne, c'est ce que l'on esperoit de ceste
         troupe volage, qui ne s'engagea pas si avant dans le pays des
         ennemis, qu'ils ne peussent bien faire leur retraitte sans
         appercevoir ny estre apperceus de l'ennemy.

         Le 14 dudit mois arriva à Québec 7 canaux de Tadoussac, où il y
         avoit vingt & un Sauvages robustes & dispos, qui s'en alloient
         à la guerre, pour essayer s'ils seroient quelque chose plus que
         les autres, ils se promettoient d'aller proche des villages des
         ennemis & y faire quelque effect, en un mois qu'ils devoient
         estre à ceste guerre.

166/1150 Le 18 dudit mois[680] revint ledit la Fouriere, pour traitter
         quelques vivres & du petun: lequel à son retour ne se mit pas
         beaucoup en peine pour le prisonnier, comme il avoit fait
         auparavant. Il nous dit qu'il n'avoit encore receu nouvelle
         d'aucuns vaisseaux qui fussent arrivez à la coste, qui nous
         mettoit en peine, d'autant que tous nos vivres estoient
         faillis, horsmis 4 à 5 poinçons de gallettes assez mauvaises,
         qui estoit peu, & des pois & febves à quoy nous estions réduits
         sans autres commoditez, voilà la peine en laquelle on estoit
         tous les ans, sans juger les inconvenients qui en peuvent
         arriver, je l'ay assez representé cy dessus en plusieurs
         endroits, des accidents qui en sont arrivez à ce deffaut, de
         jour en jour nous attendions nouvelles, ne sçachant que penser
         attendu la disette que l'on pouvoit avoir en laquelle nous
         estions, & que nous devions avoir des vaisseaux au plus tart à
         la fin de May pour nous secourir, imaginant que quelque
         changement d'affaire en ceste societé seroit arrivé, ou
         contrariété de mauvais temps.

[Note 680: La suite fait voir que c'était en juin. Probablement qu'il en
est ainsi de la date précédente.]

         Le 29 dudit mois de Juin arriverent quelque canaux dudit
         Tadoussac, pour avoir des pois, où ils perdirent leur temps,
         n'en ayant pas pour nous en suffisance, si les vaisseaux ne
         nous secouroient, voyant le retardement, le temps qui se
         passoit, ne pouvant avoir lieu d'aller à Gaspey, 130 lieues à
         val de Québec, pour recouvrir quelques commodités des navires
         qui pourroient estre à la coste, & treuver passage pour partie
167/1151 des personnes qui estoient trop, pour le peu de commoditez qui
         nous restoient: Tout cecy nous fit délibérer de remédier à ce
         qui nous seroit le plus necessaire, pour n'avoir barque à
         Québec. Ledit de la Ralde les ayant laissées à Tadoussac au
         lieu d'en envoyer une pour subvenir aux inconveniens qui
         pourroient arriver. De plus que l'habitation estoit sans aucun
         matelot, ny homme qui peust sçavoir ce que c'estoit de les
         accommoder & conduire: de bray, voiles & cordages nous n'en
         avions point, & peu d'autres choses qui manquoient pour telles
         affaires, ainsi estions denuez de toutes commoditez, comme si
         l'on nous eut abandonnez, car la condition des vivres que l'on
         nous avoit laissé avec le peu de toutes choses nous le fit
         cognoistre, c'est assez que la peleterie soit conservée,
         l'utilité demeure aux associez & à nous le mal: c'est comme sa
         Majesté est servie, aux desordres qui se commettoient en ces
         affaires, & l'ennemy qui faisoit profit de nostre desordre &
         nous succomber si l'on n'y prenoit garde: il ne manque point de
         François perfides, indignes du nom, qui vont treuver l'Anglois
         ou Flamand, leur dire l'estat auquel l'on estoit: qui pouvoient
         s'emparer de ces lieux, n'estans accommodez des choses
         necessaires pour se deffendre & s'opposer à leurs violences.

         Ce pendant il nous faut adviser de quel bois l'on fera flèche,
         pour nous garantir des inconveniens qui pouvoient arriver, nous
         treuvasmes à propos de mettre tous nos hommes à chercher du
         bray dans les bois, & sapinieres, suffisamment pour brayer une
168/1152 barque & chalouppe pour envoyer à Tadoussac, accommoder la plus
         commode, & l'amener à Québec, pour plus facillement &
         commodément mettre les personnes que nous voulions renvoyer à
         Gaspey, pour treuver passage aux vaisseaux qui estoient aux
         costes pour s'en retourner en France. La diligence d'un chacun
         fut telle, qu'en moins de cinq à six jours nous en eusmes
         suffisamment, delà fusmes au Cap de Tourmente tuer un boeuf,
         pour en avoir le suiv, pour mesler avec le bray, l'on fit faire
         aussitost de l'estouppe de vieux cordage, ramassant toutes
         choses au moins mal que l'on pouvoit pour nous accommoder, & au
         nombre de ceux qui devoient retourner, l'on mettoit deux
         familles qui n'avoient poulce de terre pour se pouvoir nourrir,
         estans entretenus des vivres du magazin, car tout cela ne nous
         servoit de rien, qu'à manger nos vivres dix personnes qu'ils
         estoient en ces deux familles, horsmis les deux hommes qui
         pourroient estre employez, l'un boulanger, & l'autre qui
         servoit de matelot.

         Or comme toutes choses furent prestes il ne failloit plus
         treuver qu'un homme qui fut entendu à calfeultrer la barque, &
         l'accommoder de ce qui luy estoit necessaire, nous nous
         adressasmes à un habitant du pays, qui se nourrit de ce qu'il a
         defriché au pays, appellé Couillart bon matelot, charpentier, &
         calfeultreur, qui ne pouvoit estre sujet qu'à la necessité,
         auquel nous mettions toute nostre asseurance qu'il nous
         secoureroit de son travail & industrie, d'autant que depuis
169/1153 quinze ans[681] qu'il avoit esté au service de la compagnie, il
         s'estoit tousjours monstré courageux en toutes choses qu'il
         faisoit, qu'il avoit gaigné l'amitié d'un chacun, faisant ce
         que l'on pouvoit pour luy, & de moy je ne m'y suis pas
         espargné[682] en tout ce qu'il avoit à faire. En fin je luy dis
         qu'il estoit necessaire, n'ayant personne en nostre habitation,
         qu'il allast à Tadoussac accommoder ceste barque, il chercha
         toutes les excuses qu'il peust pour s'en exempter, assez mal à
         propos & sans raison, qui me fit luy tenir quelques propos
         fascheux. Bref pour toute conclusion dit qu'il avoit peur des
         Sauvages qu'ils ne l'assommassent: pour le relever de ceste
         apprehension, je luy fis offre de luy donner une chalouppe bien
         esquippée d'hommes & d'armes, & envoyer mon beau-frère pour
         l'asseurer, tout cela ne servit de rien, sinon que pour
         accommoder deux chalouppes qui estoient en nostre habitation,
         qu'il le feroit volontiers, mais d'y aller il craignoit sa
         eau, & ne vouloit abandonner sa femme[683], pour la conserver,
         je luy dis vous l'avez tant de fois laissée seule avec sa mère
         par le passé, allez luy dis-je alors, vous perdez toutes les
         conditions que l'on pouvoit esperer d'un homme de bien, si ce
         n'estoit pour peu je vous fairois mettre prisonnier, pour la
         desobeissance que vous faite en une necessité, vous deservez le
         Roy en tout cecy, néantmoins on advisera à ce que l'on aura à
170/115  faire. Le sieur du Pont & moy advisasmes que se servir d'un
         homme par force l'on en auroit jamais bonne issue, & falloit
         s'en passer, & qu'il nous calfeultrast deux chalouppes, n'en
         pouvant tirer autre service.

[Note 681: Guillaume Couillard serait donc venu au Canada dès l'année
1613, c'est-à-dire, quatre ans avant son beau-père Louis Hébert.]

[Note 682: Champlain assista, avec son beau-frère, au mariage de
Couillard, en 1621, et fut plus tard, en 1626, parrain de sa fille
Marguerite. (Registres de N.-D. de Québec.)]

[Note 683: Guillemette Hébert. Couillard avait été marié à Québec par le
P. Georges le Baillif vers le 26 août 1621. (Registres de N.-D. de
Québec.)]

         Le 9 de Juillet deux de nos hommes vindrent à pied du Cap de
         Tourmente, apporter nouvelle de l'arrivée de six vaisseaux à
         Tadoussac selon le rapport d'un sauvage[684], lequel ce mesme
         jour nous confirma son dire, qu'un homme de Dieppe nommé le
         Capitaine Michel commandoit dedans, venant de la part du sieur
         de Caen[685]: ce discours nous fit penser que ce pouvoit estre
         celuy avec lequel ledit de Caen avoit part en son vaisseau, qui
         venoit ordinairement à Gaspey faire pescherie de molue, ces
         nouvelles aucunement nous resjouirent: d'autre part considerant
         qu'il y avoit six vaisseaux, chose extraordinaire en ces
         voyages pour la traitte, que ce Capitaine Michel commandoit à
         ceste flotte, il n'y avoit pas d'apparence n'estant homme
         propre à telle conduitte, qui nous fit croire qu'il y avoit
         plus ou moins en l'affaire, un changement extraordinaire. De
         plus que le Sauvage estant interrogé particulièrement se
         treuvoit en plusieurs dire, entr'autre chose nous dit qu'ils
         avoient pris un Basque qui traittoit à l'Isle Percée, traittant
         ses marchandises aux Sauvages dudit Tadoussac: desirant en
         avoir une plus ample vérité, nous resolumes de sçavoir d'un
171/1155 jeune homme truchement de nation grecque, s'il pourroit se
         deguiser en Sauvage & aller en un canau recognoistre quels
         vaisseaux ce pouvoient estre, en luy donnant deux Sauvages avec
         luy, ausquels avions de la créance & fidélité, qui nous
         promettoient servir en ceste affaire en les gratifiant de
         quelque honnesteté, ledit Grec se resolut de s'embarquer,
         l'ayant accommodé de ce qu'il luy estoit necessaire il
         partit[686].

[Note 684: «Ce sauvage était Napagabiscou, surnommé Trecatin ou
Trigatin. Il partit en toute hâte de Tadoussac avec un autre sauvage, en
même temps que la barque envoyée pour détruire l'habitation du cap
Tourmente. Il y arriva avant la barque; et donna avis au sieur Faucher
de tout ce qu'il avait vu. Celui-ci dépêcha deux de ses hommes pour
porter ces nouvelles à Québec. Les deux hommes montèrent à pied, comme
le dit ici l'auteur, et Trigatin dut continuer en canot, et arriver
aussi vite que les deux messagers.]

[Note 685: Trigatin le supposait, ou bien les Anglais avaient voulu lui
donner le change.]

[Note 686: «Le Pere Joseph, ajoute Sagard, se trouva lors fort à propos
à Kebec, prest d'aller administrer les Sacrements aux François du Cap de
tourmente, où nous avions estably une Chapelle, laquelle les Anglais ont
depuis bruslée avec la maison des Marchands, & esgaré tous nos ornemens
servans à dire la saincte Messe.» Il partit, accompagné d'un Frère, avec
les messagers envoyés par Champlain. (Hist. du Canada, p. 917.)]

         Ce pendant j'estois en meffiance, craignant ce que souvent
         j'avois appréhendé, & les advis que plusieurs fois j'avois
         donné, sçavoir que ce ne fussent ennemis, qui me fit mettre
         ordre tant à l'habitation qu'au fort, pour nous mettre en
         l'estat de recevoir l'ennemy si tel estoit.

         Voilà qu'une heure après le partement dudit Grec il s'en
         revient avec deux canaux qui se sauvoient à nostre habitation,
         en l'un desquels estoit Foucher[697] qui estoit demeurant audit
         Cap de Tourmente, pour avoir esgard aux hommes qui y estoient
         habitez, lequel nous dit qu'il s'estoit sauvé des mains des
         Anglois qui l'avoient pris prisonnier, & trois de ses hommes,
         une femme & une petite fille [698] qu'ils avoient amené à bort
172/1156 d'une barque qui estoit mouillée à l'ancre le travers dudit Cap
         de Tourmente, ayant tué en partie ce qu'ils voulurent du
         bestial, & fait brusler le reste dans leurs estables, où ils
         l'enfermèrent[699], comme aussi deux petites maisons où se
         retiroit ledit Foucher & ses hommes, après avoir ravagé tout ce
         qu'ils peurent jusqu'à des béguins de la petite fille: Cette
         tuerie de bestial faite, ils s'en retournèrent promptement & se
         r'embarquerent, mais ce n'estoit pas sans crainte qu'ils
         avoient qu'on ne les poursuivast, ce que asseurement eust esté
         fait si nous eussions eu certains advis de leur arrivée par les
         sauvages, qui le sçavoient tous bien, comme perfides &
         traistres qu'ils sont, celerent cette meschante nouvelle, au
         contraire ils faisoient courrir le bruit que c'estoient des
         nostres & de nos amis, que nous ne nous devions mettre en
         peine. Cette barque estoit arrivée une heure ou deux devant le
         jour, & mouillerent l'ancre comme dit est, & aussitost mirent
         quinze à seize soldats dans une chaloupe, mettant pied à terre
         venant le long du bois, pensant surprendre nos gens couchés:
         mais comme ils arriverent proche de l'habitation ils virent
         ledit Foucher, qui leurs demanda d'où ils estoient, qu'ils
         eussent à s'arrester, un des siens s'avançant à ceste troupe en
         laquelle d'abort ne paroissoit que François, qui l'année
173/1157 d'auparavant estoient venus avec ledit sieur de la Ralde, dire,
         nous sommes de vos amis, ne nous cognoissez vous pas, nous
         estions l'année passée icy, nous venons de la part de
         Monseigneur le Cardinal, & de Roquemont[700], allant à Québec
         leur porter des nouvelles, & en passant avions desir de vous
         voir. A ces douces paroles & honnestetés ils se saluerent les
         uns & les autres, pensant que tout ce qu'ils disoient estoit
         vérité, mais ils furent bien estonnez qu'estans environnez
         quatre personnes qu'ils estoient, qu'ils furent saisis & pris
         comme j'ay dit cy dessus, car les traistres Sauvages leurs
         avoient rapporté l'estat en quoy nous estions.

[Note 687: «Ayans à peine advancé 4 ou 5 lieues dans le fleuve, ils
apperceurent deux canots de Sauvages venir droit à eux, avec une
diligence incroyable, qui leur crioient du plus loing, à terre, à terre,
sauvez-vous, sauvez-vous, car les Anglois sont arrivez à Tadoussac, &
ont envoyé ce matin fourager, & brusler le Cap de tourmente. Ce fut une
alarme bien chaudement donnée, & augmenta à la veue du sieur Foucher
couché tout de son long à demy mort dans le canot, du mauvais
traittement des Anglois, duquel ils sceurent au vray le succés de leur
malheureuse perte.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 918.)]

[Note 688: Sagard ajoute que «Foucher y pensa perdre la vie, car en se
sauvant dans un canot de Sauvage, ils luy frizerent les moustaches, &
emmenèrent prisonniers un, nommé Piver» (Nicolas Pivert) «sa femme, sa
petite niepce, & un autre homme avec eux.» (Hist. du Canada, p. 919,
920.)]

[Note 689: D'après Sagard, il y avait au cap Tourmente quarante à
cinquante pièces de bétail. Les envoyés de Kertke «tuèrent quelques
vaches pour leur barque, mirent le feu partout, & consommerent jusques
aux fondemens de la maison, une seule vache exceptée, qui se sauva dans
les bois, & six autres que les Sauvages avoient attrappé pour leur part
du debris. (Hist. du Canada, p. 919.)]

[Note 690: Il y avait déjà plus d'un an que le cardinal de Richelieu
avait supprimé la compagnie des sieurs de Caen, et avait formé, de
concert avec le sieur Claude de Roquemont et plusieurs autres, la
Compagnie de la Nouvelle-France, ou compagnie des Cent-Associés. (Le
Mercure Français, t. xiv, part. 2, p. 232 et suiv.)]

         Estant trop acertené de l'ennemy je fais employer tout le monde
         à faire quelque retranchement au tour de l'habitation, au fort
         des barricades sur les ramparts qui n'estoient parachevez, n'y
         ayant rien fait depuis le partement des vaisseaux, pour le peu
         d'ouvriers que nous avions, qui avoient esté assez empeschés
         tout l'Hyver à faire du bois pour le chauffage, toutes ces
         choses se faisant en diligence, je disposay les hommes aux
         lieux que je jugeay estre à propos, afin que chacun cogneut son
         quartier, & y accourust selon la necessité du temps.

         Le lendemain 10 du mois[691] sur les trois heures après midy
         apperceusmes une chalouppe, qui tesmoignoit à voir la manoeuvre
         qu'ils faisoient, qu'ils desiroient aller dans la riviere
         sainct Charles pour faire descente ou mettre le feu dans les
174/1158 maisons des Peres, ou bien ils ne sçavoient pas bien prendre la
         route pour venir droit à nostre habitation, jugeant aussi que
         ceste chalouppe ne pouvoit faire grand eschet, s'il n'en venoit
         d'autres, & que venir à l'estourdie de la façon il n'y avoit
         point d'apparence: car ils pouvoient se promettre d'y demeurer
         la plus grand part, qu'il falloit que quelque autre sujet les
         amenait, qui fit que neantmoins je ne voulus négliger ce qui
         estoit à faire, envoyant quelques Arquebusiers par dedans les
         bois, recognoistre où ils mettoient pied à terre, là les
         attendre de pied ferme à leur descente pour les empescher &
         desfaire s'il y avoit moyen: comme ils approchoient de la terre
         nos gens cogneurent les nostres[692], qui estoient dedans avec
         une femme & la petite fille qui les asseura, se monstrant
         quelques uns leurs disant qu'ils allassent descendre à
         l'habitation, ce qu'ils firent, recogneusmes que c'estoient des
         Basques prisonniers des Anglois, qui l'avoient envoyée pour
         rapporter nos gens, & une lettre de la part du Général, l'un
         des Basques que je fis venir qui avoit la lettre, me dit,
         Monsieur le commandement forcé que nous avons du Général
         Anglois qui est à la radde de Tadoussac, nous a contrainct de
         venir en ce lieu vous donner ceste lettre de sa part, laquelle
         verrez s'il vous plaist, vous prie de nous pardonner & excuser
         puisque la contraincte nous y a obligé. Je pris la lettre & fis
         entrer les Basques qui estoient au nombre de six, ausquels je
175/1159 fis faire bonne chère, attendant qu'on les eust depesché, il
         estoit assez tard, qui  fit qu'ils ne s'en retournèrent que le
         lendemain matin.

[Note 691: Le 10 juillet 1628.]

[Note 692: «Entre lesquels, dit Sagard, estoient Piver, sa femme & sa
niepce, avec quelques Basques.» (Hist. du Canada, p. 921.) Nicolas
Pivert, l'un des plus anciens et des plus respectables habitants de
Québec, était marié à Marguerite Le Sage. (Registres de N.-D. de
Québec.)]

         Ledit sieur du Pont & moy & quelques autres des principaux de
         nostre habitation, que je fis assembler pour faire la lecture,
         pour adviser à ce que nous respondrions, voicy la teneur cy
         dessous.

         «Messieurs je vous advise comme j'ay obtenu Commission du Roy
         de la grande Bretagne, mon tres-honoré Seigneur & Maistre, de
         prendre possession de ces païs sçavoir Canadas & l'Acadie, &
         pour cet effect nous sommes partis dix huict navires, dont
         chacun a pris sa route selon l'ordre de sa Majesté, pour moy je
         me suis desja saisy de la maison de Miscou, & de toutes les
         pinaces & chalouppes de cette coste, comme aussi de celles
         d'icy de Tadoussac où je suis à present à l'ancre, vous serez
         aussi advertis comme entre les navires que j'ay pris il y en a
         un appartenant à la Nouvelle Compagnie, qui vous venoit treuver
         avec vivres & rafraischissements, & quelque marchandise pour la
         traitte, dans lequel commandoit un nommé Norot: le sieur de la
         Tour[693] estoit aussi dedans, qui vous venoit treuver, lequel
         j'ay abordé de mon navire: je m'estois préparé pour vous aller
         treuver, mais j'ay treuvé meilleur seulement d'envoyer une
         patache & deux chalouppes, pour destruire & se saisir du
176/1160 bestial qui est au Cap de Tourmente, car je sçay que quand vous
         serez incommodé de vivres, j'obtiendray plus facillement ce que
         je desire, qui est d'avoir l'habitation: & pour empescher que
         nul navire ne vienne je resous de demeurer icy, jusqu'à ce que
         la saison soit passée, afin que nul navire ne vienne pour vous
         avictuailler: c'est pourquoy voyez ce que desirez faire, si me
         desirez rendre l'habitation ou non, car Dieu aydant tost ou
         tard il faut que je l'aye, je desirerois pour vous que ce fut
         plustost de courtoisie que de force, à celle fin d'esviter le
         sang qui pourra estre respandu des deux costez, & la rendant de
         courtoisie vous vous pouvez asseurer de toute sorte de
         contentement, tant pour vos personnes que pour vos biens,
         lesquels sur la foy que je prétend en Paradis je conserveray
         comme les miens propres, sans qu'il vous en soit diminué la
         moindre partie du monde. Ces Basques que je vous envoye sont
         des hommes des navires que j'ay pris, lesquels vous pourront
         dire comme les affaires de la France & l'Angleterre vont, &
         mesme comme toutes les affaires se panent en France touchant la
         compagnie nouvelle de ces pays, mandez-moy ce que desirés
         faire, & si desirés traitter avec moy pour cette affaire,
         envoyés moy un homme pour cet effect, lequel je vous
         asseure de chérir comme moy-mesme avec toute sorte de
         contentement, & d'octroyer toutes demandes raisonnables que
         desirerés, vous resoudant à me rendre l'habitation. Attendant
         vostre responce & vous resoudant ce faire ce que dessus je
177/1161 demeureray, Messieurs, & plus bas vostre affectionné serviteur
         DAVID QUER[694], Du bord de la Vicaille ce 18 Juillet 1628.
         Stille vieux, ce 8 de Juillet stille nouveau. Et desseus la
         missive estoit escrit, à Monsieur Monsieur de Champlain,
         commendant à Québec.»

[Note 693: Claude de la Tour.]

[Note 694: Ce nom a dû être ainsi orthographié d'après une copie qui
portait _Quirc_; car on retrouve pour signature originale _Kearke_ et
_Kirke. (State Paper Office, Colonial Papers,_ vol. V.)]

         La lecture faite nous concluasmes sur son discours que s'il
         avoit envie de nous voir de plus prés il devoit s'acheminer, &
         non menacer de si loing, qui nous fit resoudre à luy faire
         cette responce telle qu'il s'ensuit.

         «Monsieur, nous ne doutons point des commissions qu'avez
         obtenues du Roy de la grande Bretagne, les grands Princes font
         tousjours eslection des braves & généreux courages, au nombre
         desquels il a esleu vostre personne pour s'acquiter de la
         charge en laquelle il vous a commise pour exécuter ses
         commandemens, nous faisant cette faveur que nous les
         particulariser, entre autre celle de la prise de Norot & du
         sieur de la Tour qui apportoit nos commoditez, la vérité que
         plus il y a de vivres en une place de guerre, mieux elle se
         maintient contre les orages du temps, mais aussi ne laisse de
         se maintenir avec la médiocrité quand l'ordre y est
         maintenue. C'est pourquoy ayant encore des grains, bleds
         d'Inde, pois, febves, sans ce que le pays fournist, dont les
         soldats de ce lieu se passent aussi bien que s'ils avoient les
         meilleures farines du monde, & sçachant très-bien que rendre un
178/1162 fort & habitation en l'estat que nous sommes maintenant, nous
         ne serions pas dignes de paroistre hommes devant nostre Roy,
         que nous ne fussions reprehensibles, & mériter un chastiment
         rigoureux devant Dieu & les hommes, la mort combattant nous
         sera honorable, c'est pourquoy que je sçay que vous estimerez
         plus nostre courage en attendant de pied ferme vostre personne
         avec vos forces, que si laschement nous abandonnions une chose
         qui nous est si chère, sans premier voir l'essay de vos canons,
         approches, retranchement & batterie, contre une place que je
         m'asseure que la voyant & recognoissant vous ne la jugerez de
         si facile accez comme l'on vous auroit peu donner à entendre,
         ny des personnes lasches de courage à la maintenir, qui ont
         esprouvé en plusieurs lieux les hazards de la fortune, que si
         elle vous est favorable vous aurez plus de sujet en nous
         vainquant, de nous departir les offres de vostre courtoisie,
         que si nous vous rendions possesseurs d'une chose qui nous est
         si recommandée par toute sorte de devoir que l'on sçauroit
         s'imaginer. Pour ce qui est de l'exécution du Cap de Tourmente,
         bruslement du bestial, c'est une petite chaumière, avec quatre
         à cinq personnes qui estoient pour la garde d'iceluy, qui ont
         esté pris sans verd[695] par le moyen des Sauvages, ce sont
         bestes mortes, qui ne diminuent en rien de ce qui est de nostre
         vie, que si vous fussiez venu un jour plus tard il n'y avoit
179/1163 rien à faire pour vous, que nous attendons d'heure à autre pour
         vous recevoir, & empescher si nous pouvons les pretentions
         qu'avez eu sur ces lieux, hors desquels je demeureray Monsieur,
         & plus bas Vostre affectionné serviteur CHAMPLAIN, & dessus, A
         Monsieur Monsieur le Général QUER, des vaisseaux Anglois.»

[Note 695: Pris au dépourvu: locution empruntée du jeu au verd, dans
lequel les joueurs ne doivent jamais être surpris sans avoir sur eux une
feuille verte cueillie le jour même.]

         La responce faite je la donnay aux Basques qui s'en
         retournèrent & envoyay une chalouppe au Cap de Tourmente pour
         veoir le débris des Anglois, & s'il n'y avoit point quelque
         bestial qui se seroit sauvé, il estoit resté quelques six
         vaches que les Sauvages tuèrent, & une qui fut sauvée qui
         s'estoit enfuye dans les bois, qui fut ramenée.

         Les Basques arrivans à Tadoussac donnèrent ma lettre au général
         Quer que nous attendions de jour en jour. Après s'estre informé
         des Basques il fit assembler tous ceux de ses vaisseaux, &
         notamment les Chefs ausquels il leut la lettre, ce qu'ayant
         fait ils délibérèrent ne perdre temps voyant n'y avoir rien à
         faire, croyans que nous fussions mieux pourveus de vivres &
         munitions de guerre que nous n'estions, chaque homme estans
         réduit à sept onces de pois par jour, n'y ayant pour lors que
         50 livres de poudre à canon, peu de mèche & de toutes autres
         commoditez, que s'ils eussent suivy leur pointe malaisément
         pouvions nous resister, attendu la misere en laquelle nous
         estions, car en ces occasions bonne mine n'est pas défendue:
         Cependant nous faisions bon guet, tenant tousjours mes
         compagnons en devoir. Ledit Quer n'attendoit plus nos
180/1164 vaisseaux, croyant qu'ils fussent péris ou pris des ennemis, se
         délibéra de brusler toutes nos barques qui estoient à
         Tadoussac, ce qu'ils firent, horsmis la plus grande qu'ils
         emmenèrent, levent les ancres, & mettent sous voiles pour aller
         chercher des vaisseaux le long des costes pour payer les frais
         de leur embarquement.

         Quelques tours après arriva une chalouppe où il y avoit dix
         Matelots, & un jeune homme appelle Desdames pour leur
         commander, qui venoit nous apporter nouvelle de l'arrivée du
         sieur de Roquemont à Gaspey, qui estoit général des vaisseaux
         François, & nous apportoit toutes commoditez necessaires, &
         quantité d'ouvriers & familles qui venoient pour habiter &
         défricher les terres, y bastir & faire les logemens
         necessaires, luy demandant s'il n'avoit point de lettres dudit
         sieur de Roquemont, il me dit que non, & qu'il estoit party si
         à la haste qu'il n'avoit pas eu le loisir de mettre la main à
         la plume. Je m'estonnay de ce qu'en un temps soupçonneux il ne
         m'escrivoit comme les affaires s'estoient passées en France
         touchant la Nouvelle societé qui avoit deposé ledit sieur de
         Caen de ses prétentions, sur ce qu'il ne s'estoit pas acquitté
         de ce qu'il avoit promis à sa Majesté, seulement le Reverend
         Père l'Allemand m'escrivoit un mot de lettre par lequel il me
         faisoit entendre qu'ils nous verroient en bref s'ils n'estoient
         empeschez par de plus grandes forces des Anglois que les leurs.
         Depuis j'eus cognoissance d'une commission que m'envoyoit sa
         Majesté, de la teneur qui suit.

181/1165 «LOUYS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A
         nostre cher & bien aimé le sieur de Champlain, commendant en la
         Nouvelle France, en l'absence de nostre très-cher & bien-aimé
         cousin le Cardinal de Richelieu, grand Maistre, Chef,
         Sur-intendant général de la navigation & commerce de France,
         Salut. Comme nous estimons estre obligez de veiller à la
         conservation de nos subjets, & que par nostre soin rien ne
         deperisse de ce qui leur peut appartenir, particulièrement en
         leur absence, & que nous voulons estre bien & deuement informez
         de l'estat véritable du pays de la Nouvelle France sur
         l'establissement que nous avons faict depuis quelque temps
         d'une nouvelle Compagnie pour le commerce de ces lieux, A CES
         CAUSES, A plain confiant de vostre soin & fidélité nous vous
         avons commis & député, Commettons & députons par ces presentes,
         signées de nostre main: Pour incontinent après l'arrivée du
         premier vaisseau de ladite Nouvelle Compagnie faire inventaire
         en la presence des Commis de Guillaume de Caen, cy-devant
         adjudicataire de la traitte dudit pays de toutes les
         pelleteries si aucune y a, à luy appartenantes & à ses associez
         esdits lieux: Ensemble de toutes les munitions de guerre,
         marchandises, victuailles meubles, ustancilles, barques,
         canaux, agrez, & apparaux avec tous les bestiaux & toutes
         autres choses generallement quelconque estant esdits lieux
         appartenantes audits de Caen & ses associez, desquelles choses
182/1166 prisée & estimation sera faite en vostre présence par gens à ce
         cognoissans, que nommerez d'office, au cas que les commis dudit
         de Caen sur ce interpellez n'en conviennent dresser procez
         verbal & arpentage de toutes les terres labourables &
         jardinages estant en valeur esdits lieux, depuis quel temps
         elles ont esté défrichées, combien de familles ledit Caen a
         faict passer en ladite Nouvelle France conformément aux
         articles que nous luy avons cy-devant accordez, & faire
         description & figure du fort de Québec & de toutes les
         habitations & bastimens, tant prétendus par ledit de Caen, que
         autres, desquels prisée & estimation sera faicte par gens ce
         cognoissans, & en presence, comme dit est, & de tout ce que
         dessus dresser procez verbal, pour iceluy veu & rapporté en
         nostre Conseil estre pourveu sur les prétentions dudit de Caen
         & ses associez ainsi qu'il appartiendra par raison. De ce faire
         vous donnons pouvoir, authorité, commission & mandement
         special, & de passer outre nonobstant oppositions ou
         appellations quelconques faites ou à faire, recusations, prise
         à partie pour lesquelles ne voulons estre différé. CAR TEL EST
         NOSTRE PLAISIR. Donné à Partenay le 27e jour d'Avril 1628. & de
         nostre Regne le 18. signé LOUYS, & plus bas par le Roy, Potier,
         avec le grand sceau.»

         Après que Desdame m'eut dit ce qu'il sçavoit il me donna à
         entendre qu'il avoit veu cinq ou six vaisseaux Anglois & nostre
         barque, estant contraint pour n'estre apperceue d'eschouer
183/1167 aussi-tost, ils firent passer leur chalouppe par dessus une
         chauffée de caillous, les ennemis estans passez ils remirent
         leur batteau à l'eau pour parfaire leur voyage, ayant eu charge
         dudit sieur de Roquemont qu'estant à l'Isle Sainct Barnabé
         d'envoyer un canau à Québec pour sçavoir l'estat auquel nous
         estions, s'il estoit vray que les Anglois nous eussent tous
         pris & tuez, comme les Sauvages leurs avoient donné à entendre,
         & luy devoit demeurer à ladite Isle, distante de Tadoussac de
         18 lieues, attendant le canau: Que ledit sieur de Roquemont
         venant à la veue de l'Isle il feroit de certains feux dans ses
         vaisseaux qui seroient faits semblablement sur terre pour
         signal qu'ils ne seroient point ennemis: que l'on avoit aussi
         deschargé nombre de farines à Gaspey pour estre plus légers &
         moins embarrassez à combattre les Anglois, qu'ils iroient
         chercher jusques à Tadoussac[696]: que le lendemain ils
         entendirent plusieurs coups de canon, qui leur fit croire que
         les vaisseaux Anglois avoient fait rencontre des nostres. Je
         luy dis qu'ayant entendu ces coups, ils devoient retourner pour
         sçavoir à qui demeureroit la victoire pour en estre certain, il
         dit qu'il n'avoit aucun ordre de ce faire: cependant ces unze
         hommes estoient autant de bouches augmentées pour manger nos
         pois, desquels nous nous fussions bien passez, mais il n'y
         avoit remède, je leur fis la mesme part qu'à ceux de
         l'habitation.

[Note 696: Si ces renseignements donnés par Desdames sont exacts ils
justifient pleinement les remarques que fait l'auteur, dans le chapitre
suivant, sur la conduite de M. de Roquemont, qui devait éviter que
rechercher l'ennemi, tant qu'il n'avait pas atteint le but de son
voyage.]



184/1168 _Défauts observez par L'Autheur au voyage du sieur de
         Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement.
         Le Sauvage Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de
         la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de
         faire la guerre aux Yrocois.

                              CHAPITRE VI.

         Voicy quelques defauts qui se commirent en ce voyage,
         d'autant que ledit sieur de Roquemont devoit considerer, que
         l'embarquement n'estoit faict à autre dessein que pour aller
         secourir le fort & habitation qui manquoient de toutes
         commoditez, tant pour l'entretien de la vie, comme de munitions
         pour la deffende, qu'en allant chercher l'ennemy pour le
         combattre (arrivant faute de luy) il ne se perdoit pas seul,
         mais il laissoit tout le pays en ruyne, & prés de cent hommes,
         femmes & enfans mourir de faim, qui seroient contraints
         d'abandonner le fort & l'habitation au premier ennemy, faute
         d'estre secourus, comme l'expérience l'a fait voir.

         Ledit de Roquemont estant à Gaspey, ayans appris que l'Anglois
         avoit monté la riviere, plus fort que luy en vaisseaux &
         munitions, les devoit éviter le plus qu'il pourroit & pour
         ceste occasion assembler son Conseil, afin de sçavoir des plus
         expérimentez s'il y avoit en ces costes quelque port où l'on
         peust se mettre en seureté, & le faire; où l'ennemy ne le peust
         endommager: car bien que le Capitaine I. Michel qui estoit avec
185/1169 l'Anglois cogneut quelques ports autour de Gaspey & isle de
         Bonnaventure, il n'eut peu nuire aux nostres, qui sçavoient
         assez de retraites en ces costes, plus que ledit Michel, mais
         le trop de courage fit hasarder le combat.

         Or les vaisseaux dudit de Roquemont estant en bon port très
         seur, l'on devoit envoyer une chalouppe bien equippée pour
         decouvrir & voir la contenance de l'ennemy, & quelle exécution
         il pouvoit avoir fait à Québec, & attendre que les vaisseaux
         des ennemis fussent partis pour s'en retourner, aussi tost
         aller donner advis aux nostres: lesquels asseurez que l'Anglois
         seroit passe, eussent sorty du port, pour mettre à la voile,
         monter la riviere, & donner secours au fort & habitation, ce
         qui eust esté facile.

         Ou bien puisque ledit sieur de Roquemont estoit délibéré
         d'aller attaquer l'ennemy[697], prendre le petit Flibot de
         quelques 80 à 100 tonneaux, avantageux de voiles, le charger de
         farines, poudres, huilles, & vinaigre, y mettant les Religieux,
         femmes, & enfans, & à la faveur du combat, il pouvoit se
         sauver, monter la riviere & nous donner secours. De dire que
         dira-on si je ne voy l'ennemy? je dis qu'en pareilles ou
         semblables affaires c'est estre prudent, qu'il vaut mieux faire
         une honorable retraitte, qu'attendre une mauvaise issue. Le
         mérite d'un bon Capitaine n'est pas seulement au courage, mais
186/1170 il doit estre accompagné de prudence, qui est ce qui les fait
         estimer, comme estant suivy de ruses, stratagesmes, &
         d'inventions: plusieurs avec peu ont beaucoup fait, & se sont
         rendus glorieux & redoutables.

[Note 697: D'après Sagard, M. de Roquemont n'aurait pas recherché le
combat. «Le 18e jour de Juillet, dit-il, le sieur de Rocmont, Admiral
des François, ayant eu le vent de l'approche des Anglois, prit les
brunes pour eviter le combat, auquel neantmoins il fut engagé par la
diligence des ennemis.» (Hist. du Canada, p. 939.) Voir ci-dessus, p.
180.]

         Cependant que nous attendions des nouvelles de ce combat avec
         grande impatience, nous mangions nos pois par compte, ce qui
         diminuoit beaucoup de nos forces, la pluspart de nos hommes
         devenant foibles & débiles, & nous voyant dénués de toutes
         choses, jusques au tel qui nous manquoit, je me deliberay de
         faire des mortiers de bois où l'on piloit des pois qui se
         reduisoient en farines, lesquels nous profitoient mieux
         qu'auparavant, mais à cause de ce travail on estoit long temps
         en cet estat, je pensay que faire un moulin à bras ce seroit
         chose encore plus aisée & profitable, mais comme nous n'avions
         pas de meulle, qui estoit le principal instrument, je
         m'informay à nostre serrurier s'il pourroit treuver de la
         pierre propre à en faire une, il me donna de l'esperance, &
         pour ce subject alla chercher de la pierre, & en ayant treuvé
         il les taille, un Menuisier entreprend de les monter. De sorte
         que cette necessité nous fit treuver ce qu'en vingt ans l'on
         avoit creu estre comme impossible.

         Ce moulin s'acheve avec diligence, où chacun portoit sa semenée
         de pois que l'on mouloit & en recevoit on de bonne farine, qui
         augmentoit nostre bouillie, & nous fit un très-grand bien, qui
         nous remit un peu mieux que nous n'estions auparavant.

         La pesche de l'anguille vint qui nous ayda beaucoup, mais les
         Sauvages habiles à ceste pesche ne nous en donnèrent que fort
187/1171 peu, les nous vendant bien chères, chacun donnans leurs habits
         & commoditez pour le poisson, il en fut traitté quelque 1200 du
         magasin pour des Castors neufs, n'en voulant point d'autres,
         dix anguillles pour Castor, lesquelles furent départies à un
         chacun, mais c'estoit peu de chose.

         Nous esperions que le Champ de Heber & son gendre, nous
         pourroient soulager de quelque grains à la cueillette: dequoy
         il nous donnoient bonne esperance, mais quand ce vint à les
         recueillir il se trouva qu'ils ne nous pouvoient assister que
         d'une petite esculée d'orge, pois & bleds d'Inde par sepmaine,
         pesant environ 9 onces & demie, qui estoit fort peu de chose à
         tant de personnes, ainsi nous fallut passer la misere du temps.
         Les Pères Jesuites avoient un moulin à bras où les mesnages
         alloient moudre leurs grains le plus souvent. Heber[698] ne
         faisoit rien que nous ne recogneussions la quantité qu'il en
         mouloit afin de ne donner sujet de plainte qu'il eust faict
         meilleure chère que nous, ce que je ne faisois pas semblant de
         veoir, bien que je pâtissois assez, mais c'est la coustume
         qu'en telles necessitez chacun tasche de faire magasin à part,
         sans en rien dire: je m'estois fié à eux de faire la levée de
         leurs bleds, ce qu'autre que moy n'eust pas permis en telles
         necessitez, car en leur donnant leur part comme aux autres on
         en estoit quitte, & le surplus leur estoit payé, c'est dequoy
         il avoit peur.

[Note 698: C'est-à-dire, la maison d'Hébert. Hébert étaitm mort depuis
plus d'un an.]

         Il est vray que ledit sieur de Caen avoit envoyé des meules à
         Tadoussac, mais par la négligence de ceux qu'il envoyoit au
188/1172 pays peu affectionnez, aymerent mieux les laisser en ce lieu
         que les porter à Québec, sçachant bien qu'on ne les pouvoit
         enlever que par leur moyen, c'estoit à ce que l'on dit[699],
         qu'il y en avoit en la Nouvelle France, mais il eust autant
         vallu qu'elles eussent esté à Dieppe qu'audit Tadoussac, où
         depuis les Anglois les ont rompues en plusieurs pièces.

[Note 699: «C'était afin que l'on dît, ou que l'on pût dire.»]

         Voyant le soulagement que nous recevions de ce moulin à bras,
         je me deliberay d'en faire faire un à eau, & pendant l'hyver
         employer quelques Charpentiers à apprester le bois qui seroit
         necessaire pour cet effect, comme pour le logement à le mettre
         à couvert, & au Printemps faire tailler les meules, & ainsi
         accommoder un chacun de ceux qui auroient des grains à faire
         moudre, & ne retomber plus aux peines où l'on avoit esté par le
         passé, qu'à ce deffaut ceux qui auroient volonté de defricher
         qu'ils le fissent pendant que commodément ils feroient moudre
         leurs grains.

         Tout l'hyver nos hommes furent assez fatiguez à couper du bois,
         & le traîner sur la neige de plus de 2000 pas pour le chaufage,
         c'estoit un mal necessaire pour un plus grand bien: quelques
         Sauvages nous ayderent de quelques Elans, bien que peu pour
         tant de personnes, & celuy qui nous assista s'appelloit Chomina
         qui veut dire le raisin, très-bon Sauvage & secourable.
         J'envoyay quelques-uns de nos gens à la chasse essayer s'ils
         pourroient imiter les Sauvages en la prise de quelques bestes,
         mais ils ne furent si honnestes que ces peuples, car ayant pris
189/1173 un Elan tres-puissant ils s'amuserent à le devorer comme loups
         ravissants, sans nous en faire part, que d'environ 20 livres,
         ce qui me fit à leur retour user de reproches de leur
         gloutonnerie, sur ce que je n'avois pas un morceau de vivres
         que je ne leurs en fisse part: mais comme ils estoient gens
         sans honneur & civilité, aussi s'estoient ils gouvernez de
         mesme, & depuis je ne les y envoyay plus, les occupant à autres
         choses. La longueur de l'hyver nous donnoit assez souvent à
         penser aux inconveniens qui pouvoient arriver, comme une
         seconde prise de nos vaisseaux, & les moyens que nous pouvions
         avoir pour subvenir à nos necessitez, qui estoient plus grandes
         qu'elles n'avoient jamais esté, dautant que toutes nos légumes
         nous defailloient en May, quelque mesnages que j'eusse fait,
         qui estoit le temps que nous attendions nouvelles, ou bien pour
         le plus tard à la fin de May, & estoit meilleur pâtir
         doucement, que manger tout en un coup, puis mourir de faim:
         c'est ce que je remonstrois à tous nos gens, qu'ils prinssent
         patience attendant nostre secours.

         Je pris resolution que si nous n'avions des vaisseaux à la fin
         de juin, & que l'Anglois vint comme il s'estoit promis, nous
         voyant du tout hors d'esperance de secours, de rechercher la
         meilleure composition que je pourrois, d'autant qu'ils nous
         eussent fait faveur de nous rapasser & avoir compassion de nos
         miseres, car autrement nous ne pouvions subsister.

         La seconde resolution estoit en cas que n'eussions aucuns
190/1174 vaisseaux, de faire accommoder une petite barque du port de
         sept à huict tonneaux, qui estoit restée à Québec parce qu'elle
         ne valloit rien qu'à brûler. Ceste necessité nous sit resoudre
         à luy donner un radoub pour s'en pouvoir servir, comme je fis y
         commencer le premier de Mars, & dans icelle barque y mettre le
         plus de monde que l'on pourroit, y mettant quelque pelleterie &
         aller à Gaspey, Miscou & autres lieux vers le Nort, pour
         trouver passage dans des vaisseaux qui viennent faire pesche de
         poisson, & payer leur passage en pelleterie, & ainsi la barque
         pourroit faire deux voyages partant d'heure, ce qui devoit
         estre pour le premier voyage le 10 de Juillet, & ainsi
         descharger l'habitation d'un nombres d'hommes, & en retenir
         suivant la quantité des grains que l'on eust peu recueillir
         tant au desert d'Hébert comme celuy des peres qui devoient
         estre ensemencez au printemps, qui avoyent reservé des grains &
         légumes pour cet effet. Mais tout le mal que je prevoyois en
         ceste affaire estoit de pouvoir vivre attendant le mois
         d'Aoust, pour faire la cueillette des grains: car il falloit
         avoir de quoy passer trois à quatre mois, ou mourir: nostre
         recours, bien que miserable, estoit d'aller chercher des herbes
         & racines, & vaquer à la pesche de poisson, attendant le temps
         de nous voir plus à nostre aise, & s'il eust esté impossible de
         redonner le radoub à la barque, comme l'on pensoit au
         commencement c'estoit d'emmener avec moy, 50 à 60 personnes, &
         m'en aller à la guerre avec les Sauvages qui nous eussent
         guidés aux Yrocois, & forcer l'un de leurs villages, ou mourir
191/1175 en la peine pour avoir des bleds, & là nous y fortifier en y
         passant le reste de l'Esté, de l'Automne, & l'Hyver plustost
         que mourir de faim les uns pour les autres à l'habitation, où
         nous eussions attendu nouvelle au printemps de ceux de Québec
         par le moyen des Sauvages, & me promettoient que si tant estoit
         que Dieu nous favorisast du bon heur de la victoire, que ce
         seroit le chemin de faire une paix générale, & tenir le païs &
         les rivieres libres. Voilà les resolutions que j'avois prises,
         si Dieu ne nous assistoit de secours plus favorable.

         Le 19 du mois d'Avril arriva un Sauvage appellé Erouachy[700],
         homme de commandement, il y avoit près de deux ans qu'il estoit
         party de Québec lors que nos hommes surent massacrés, lequel
         nous avoit asseuré qu'à son retour (qui ne devoit estre que de
         7 à 8 mois) il nous sçauroit à dire au vray le meurtrier de ces
         pauvres gens, mais comme il avoit halené ceux qui excusoient
         celuy que nous tenions prisonnier, frappé du mesme coin, il
         nous voulut imprimer la mesme marque, se voyant vaincu de
         quelque particularités de la vérité & de la raison qu'on avoit
         de le retenir, jusques à ce que l'on eust fait une plus
         particulière recherche, il dit qu'il falloit attendre que tous
         les Sauvages fussent assemblés, s'asseurant tellement que celuy
         qui avoit fait le coup viendroit, & nous le livreroit, si
         n'estoit qu'il fust adverty, qu'en ce cas il ne le pourroit
         faire, neantmoins que si nous l'aymions bien, qu'on le
192/1176 laisseroit sortir; recognoissant ses raisons foibles, je luy
         dis qu'il y avoit bien peu d'apparence qu'un homme coulpable
         voyant un autre retenu en sa place se vint jetter entre nos
         mains pour estre justifié, pouvant esviter une si mauvaise
         rencontre: de plus la grande perquisition que l'on avoit fait
         depuis deux ans qui luy auroit donné plus de suject de
         s'esloigner, que d'approcher, neantmoins s'il le faisoit, nous
         estions resolus de delivrer le prisonnier, & les accusateurs
         comme faux tesmoins seroient recognus pour très-pernicieux &
         meschants à la louange & gloire de l'accusé. De plus
         qu'auparavant de venir à l'exécution nous attendrions le retour
         de nos vaisseaux, & que tous les Sauvages fusent assemblez, ce
         qu'estant nous parlerions plus clairement à toutes les nations
         qui jugeroient de la façon que nous nous gouvernions en telles
         affaires, & s'en trouvant un autre coulpable, comme je luy
         avois dit, il seroit libre. Voyla qui sera bien, dit il, & pour
         s'insinuer en nostre amitié, craignant que les discours qu'il
         nous avoit tenus nous en fissent refroidir, il dit qu'il nous
         vouloit donner advis que nous eussions à nous donner de garde
         des Sauvages de Tadoussac qui estoient meschans traistres, ce
         que nous sçavions bien desja, nous l'ayant assez tesmoigné à la
         venue de l'Anglois, que si mes compagnons alloient à la chasse
         ou pesche de poisson pour coucher hors l'habitation, qu'il ne
         leur conseilloit qu'au préalable il ne donnast un de ses
         compagnons pour les assister, desirant vivre en paix avec nous,
         & que le desplaisir qu'il avoit de voir perdre le pays, luy
         faisoit tenir ces discours.

[Note 700: Erouachy, ou Esrouachit, d'après Sagard, est le même que La
Forière (Hist. du Canada, p. 698). Il semble en effet que l'auteur parle
ici du même sauvage qui s'était donné tant de mouvement lors du meurtre
des deux français dont il est parlé plus haut, page 161 et suivantes;
seulement, il n'y avait guères qu'un an qu'il avait quitté Québec.]

193/1177 Il nous fit entendre au vray la mort des Sauvages & du François
         appellé le Magnan, qui estoient allez aux Yrocois, pour
         traicter de paix, ne l'ayant sceu asseurément comme il nous le
         conta, l'ayant appris des Yrocois du mesme village, qui avoient
         esté pris prisonniers par une nation appellée Mayganathicoise
         (qui veut dire nation des loups) qui avoient guerre depuis deux
         ans avec les Yrocois à deux journées de leur village, & trois à
         quatre des Flamans, qui sont habitués au 40e degré, à la coste
         tirant aux Virginies, les prisonniers furent bruslez. Voicy le
         récit de toute l'affaire.

         Un Algommequin de l'Isle qui est à 180 lieues de Québec, fut
         cause de la mort des Sauvages du François, lequel sçachant
         qu'un Sauvage appellé Cherououny[701], qui estoit en grande
         reputation, devoit faire ceste ambassade, luy voulant mal & luy
         portant une haine particulière, s'en alla aux Yrocois, où il
         avoit quelques parens: leur donne advis comme amateur de leur
         conservation, ne desirant point de troubles parmy les nations:
         & que si ledit Ambassadeur venoit pour moyenner la paix, ils
         n'eussent à adjouster foy en luy, pour ce que le voyage qu'il
         entreprenoit n'estoit que pour recognoistre leur pays, & sous
         ombre de paix & d'amitié les trahir, n'ayant autre dessein que
         de les faire mourir après qu'il auroit recogneu
         particulièrement leurs forces. Que c'estoit luy seul qui estoit
         cause de tant de divisions parmy les nations, mesme qu'il y
         avoit plus de dix ans qu'il avoit tué deux François, ce qui luy
194/1178 estant pardonné on n'osoit le faire mourir. Les Yrocois luy
         prestent L'oreille trop légèrement, luy promettent que venant
         il ne s'en retourneroit pas comme il estoit venu. De là il s'en
         retourne aussi-tost vers les Algommequins, disant qu'il avoit
         esté poursuivy des ennemis, qu'ils l'avoient pensé assommer.
         Ceste nation se laisse aller à ses discours, & croit ce qu'il
         disoit, jusques à ce que la vérité eust esté recognue. Peu de
         temps après le galant voyant qu'il ne faisoit pas bon pour luy,
         il esquive & se va ranger du costé des Yrocois pour mettre la
         vie en seureté.

[Note 701: Cherououny paraît être le nom sauvage du Reconcilié. (Voir
ci-dessus, p. 165.)]

         Ces entremetteurs de la paix s'en allèrent aux premiers
         villages des Yrocois, qui sçachant leur venue font mettre une
         chaudière pleine d'eau sur le feu en l'une de leurs maisons, où
         ils firent entrer nos Sauvages avec le François, à l'abord ils
         leur montrent bon visage les prient de s'asseoir auprès du feu,
         leur demandent s'ils n'avoient point de faim, ils dirent que
         ouy, & qu'ils avoient assez cheminé ceste journée sans manger:
         alors ils dirent à Cherououny ouy il est bien raisonnable qu'on
         t'appreste dequoy festiner pour le travail que tu as pris: l'un
         de ces Yrocois s'addressant audit Cherououny, tirant un
         cousteau luy coupe de la chair de de ses bras, la met en ceste
         chaudière, luy commande de chanter, ce qu'il fait, il luy donne
         ainsi sa chair demy crue, qu'il mange, on luy demande s'il en
         veut davantage, dit qu'il n'en a pas assez, & ainsi luy en
         coupent des morceaux des cuisses & autres parties du corps,
         jusques à ce qu'il eust dit en avoir assez: & ainsi ce pauvre
         miserable finit inhumainement & barbarement ses tours, le
195/1179 François fut bruslé avec des tisons & flambeaux d'escorce de
         bouleau, où ils luy firent ressentir des douleurs intolerables
         premier que mourir. Au troisiesme qui s'en vouloit fuir, ils
         luy donnèrent un coup de hache, & luy firent passer les
         douleurs en un instant. Le quatriesme estoit de nation Yrocoise
         qui avoit esté pris petit garçon par nos Sauvages, & eslevé
         parmy eux fut lié, les uns estoient d'advis qu'on le fit
         mourir, d'autant que si on luy donnoit liberté il s'en
         retourneroit: en fin ils se resolurent de le garder esperant
         que le temps luy feroit perdre le souvenir & l'amitié qu'il
         avoit de nos Sauvages de Québec, le tenant comme prisonnier:
         Voila comme ces pauvres miserables finirent leur vie.

         Il semble en cecy que Dieu, juste juge, voyant qu'on n'avoit
         fait le chastiment deu à ce Cherououny, à cause de deux
         François qu'il avoit tuez au Cap de Tourmente allant à la
         chasse[702], luy ayant pardonné ceste faute il fut puny par la
         cruauté que luy firent souffrir les Yrocois, & ledit Magnan de
         Tougne en Normandie qui avoit aussi tué un homme à coups de
         bastons, pourquoy il estoit en fuitte, & fut puny de mesme par
         le tourment du feu.

[Note 702: Voir 1619, p. 113-133.]

         Neantmoins nous avions un légitime suject de nous ressentir de
         telles cruautés barbares, exercées en nostre endroit, & en la
         personne dudit Magnan, & pource que si nous ne l'eussions fait,
         jamais l'on n'eust acquis honneur ny gloire parmy les peuples,
         qui nous eussent mesprisez comme toutes les autres nations,
         prenant cette audace à l'advenir de nous avoir à desdain &
196/1180 lasches de courage: car j'ay recognu en ces nations, que si
         vous n'avez du ressentiment des offences qu'ils vous font, &
         que leurs preferiés les biens & traittes aux vies des hommes
         ans vous en soucier, ils viendront un jour à entreprendre à
         vous couper la gorge, s'ils peuvent, par surprises comme est
         leur coustume.

         Ce Sauvage Erouachy nous dit qu'il avoit passé quelque mois
         parmy une nation de Sauvages qui sont comme au midy de nostre
         habitation environ de 7 à 8 tournées, appellés
         Obenaquiouoit[703], qui cultivent les terres, lesquels
         desiroient faire une estroitte amitié avec nous, nous priant de
         les secourir contre les Yrocois, perverse & meschante nation
         entre toutes celles qui estoient dans ce païs, croyans que
         comme interessés de la mort de nostre François, nous aurions
         agréable ceste guerre légitime, en destruisant ces peuples, &
         serions que le pays & les rivieres seroient libres aux
         commerces: Les nations du païs sçachant nostre resolution par
         ledit Erouachy, leur feroit sçavoir qu'ils donneroient ordre à
         ce qu'ils auroient à faire pour le sujet de ceste guerre, soit
         que nous y fussions ou que nous n'y fussions pas.

[Note 703: Ouabenakiouek (ceux de l'aurore), ou Abenaquis. C'est le nom
que les Montagnais donnaient aux Etchemins et en particulier aux
sauvages du Kénébec, que l'auteur visita lui-même dans ses premiers
voyages avec M. de Monts et M. de Poutrincourt.]

         Je consideray que ceste légation nous pouvoit estre profitable
         en nos extrêmes necessitez, qu'il nous en falloit tirer
         advantage, ce qui me fit resoudre d'envoyer un homme tant pour
         recognoistre ces peuples, que la facilité ou difficulté qu'il y
         auroit pour y parvenir, & le nombre des terres qu'ils
197/1181 cultivoient, n'estant qu'à 8 tournées de nostre habitation:
         que ceste nation nous pourroit soulager, tant de leurs grains
         comme prendre partie de mes compagnons pour hiverner avec eux,
         par ce moyen nous soulager, au cas que quelque accident fut
         arrivé à nos vaisseaux, soit par naufrage ou par combat sur la
         mer, ce que j'apprehendois grandement, les attendant à la fin
         de May au plus tard, pour estant secourus, oster toutes les
         prétentions que les Anglois avoient de se saisir de tous ces
         lieux ils s'estoient promis de faire, cela leur estant fort
         facile, n'ayant dequoy se substanter, ny monitions suffisantes
         pour se défendre & sans aucun secours. Voila comme l'on nous
         avoit laissez despourveus de toutes commoditez, & abandonnez
         aux premiers pirates ou ennemis, sans pouvoir resister.

         Cela arresté, je dis audit Erouachy que pour ceste année je ne
         pouvois assister ces peuples en leurs guerres, attendu la
         perte, des vaisseaux qu'avions faite avec l'Anglois, qui nous
         avoient grandement incommodez des choses qui nous eussent esté
         necessaires en ceste guerre, que neantmoins arrivant nos
         vaisseaux, & y ayant des hommes assez, je ne laisserois d'y
         faire tout mon pouvoir de les assister dés l'année mesme, &
         quoy qu'il arrivast, l'autre ensuivant je les secourerois de
         cent hommes, si je pouvois les accommoder des choses qui leur
         seroient necessaires. Sur ce je luy fis veoir des moyens &
         inventions pour promptement enlever la forteresse des ennemis:
         dont il fut tres-aise de les voir & les considera avec
         attention. De plus, que pour asseurer davantage les peuples j'y
         voulois envoye un homme avec quelque present pour estre tesmoin
198/1182 oculaire de tout ce que je luy disois, & pour plus grande
         asseurance je m'offrois à leur envoyer de mes compagnons pour
         hyverner en leur pays, & au printemps se treuver au rendez-vous
         de la riviere des Yrocois, comme à toutes les nations leurs
         amis, qui les voudroient assister, aussi que si quelque année
         leur succedoit mal en la cueille de leurs grains, venant vers
         nous nous les secourerions des nostres, comme nous esperions
         d'eux au semblable en les satisfaisant; le tout pour tenir à
         l'advenir une ferme amitié les uns avec les autres, & quoy que
         se fusse, si nos vaisseaux ne venoient nous ne laisserions pas
         d'aller à la guerre, y menant cinquante hommes avec moy,
         jugeant qu'il valloit mieux faire & exécuter ce dessein, pour
         descharger l'habitation que mourir de necessité les uns pour
         les autres, attendant secours de France, & ainsi j'allois
         cherchant des remèdes au mieux qu'il m'estoit possible. Tout ce
         discours pleut audit Erouachy, qui tesmoigna en estre
         grandement satisfaict, comme chose qui le mettoit en crédit
         avec ces nations.

         Ce qu'estant treuvé bon d'un chacun, j'eus desir d'envoyer mon
         beau frère Boulay en ceste descouverture, d'autant qu'il estoit
         question que celuy qui iroit fust homme de jugement, &
         s'accommodast aux humeurs de ces peuples, où tout le monde
         n'est pas propre, & recognoistre exactement le chemin que l'on
         feroit avec les autheurs[704] des lieux, & plusieurs
         particularitez qui se rencontrent & qui sont necessaires, à
         sçavoir à ceux qui vont descouvrir. Mais d'autre part la
199/1183 necessité & confiance que j'avois de luy, si l'Anglois venoit,
         fist que je ne luy peus permettre ce qu'il desiroit, ce qui me
         fit resoudre d'y envoyer un autre auquel je promis quelque
         gratification pour la peine qu'il auroit en ce voyage, luy
         donnant des presens pour les Sauvages, de nostre part, comme
         est la coustume en telles affaires, & furent aussi faits des
         presens aux Sauvages qui luy servoient de guides & truchement,
         & pour ce faict il partit le 16 de May 1629[705].

[Note 704: Lisez: hauteurs.]

[Note 705: Ce jour-là même, la veuve d'Hébert, Marie Rolet, se mariait
en secondes noces avec Guillaume Hubou. Le mariage fut célébré par le P.
Joseph le Caron, en présence de Champlain et d'Olivier le Tardif.]

         Cedit jour j'envoyay un Canau avec deux François & un Sauvage
         qui avoit esté baptisé par le Père Joseph Caron Recollet, fils
         de Chomina[706], bon Sauvage aux François, mais le fils
         retourna comme auparavant avec les Sauvages, & par ainsi son
         fruict fut comme inutile; il y a bien à considerer premier que
         d'en venir au baptesme, & il y a en cecy des personnes trop
         faciles pour ces choses, qui sont si chatouilleuses: mais le
         bon Père fut emporté de zèle. Je les envoyay à Tadoussac pour
         attendre nos vaisseaux, & pour aussi-tost nous en venir donner
         advis, comme aussi si c'estoient nos ennemis, leur donnant
         charge d'attendre jusques au dixiesme de Juin pour commencer à
         donner l'ordre à nos affaires. Je leur avois donné lettres
         signées de moy & du sieur du Pont addressantes au premier
         vaisseau qu'ils pourroient descouvrir, sujet de sa Majesté, qui
         auroit voulu tenter le hazard de venir à la desrobée traitter
         avec les Sauvages contre les deffenses de sa Majesté, comme
200/1184 ordinairement il y en  va tous les ans, par laquelle nous leur
         mandions, que s'ils nous vouloient traitter des vivres au prix
         des Sauvages, on leur donneroit de la pelleterie de plus grande
         valeur pour eux, promettant prendre toutes leurs marchandises
         au mesme prix desdits Sauvages, & pour le plaisir qu'ils nous
         feroient en ceste extrême necessité, nous tascherions les
         gratifier envers Messieurs les associez si leurs vaisseaux
         venoient. Ou venant pour le plus tard au dixiesme de Juillet,
         qu'en repassant partie de nos compagnons en France, on leur
         promettoit de payer leur passage, & de plus la traitte libre en
         la riviere, & ainsi nous ne laissions passer aucune occasion
         qui nous venoit en l'esprit pour remédier en toutes choses,
         craignant une plus rude secousse que l'année d'auparavant si
         nos vaisseaux ne venoyent point. Je fus visiter le Père Joseph
         de la Roche, très-bon Religieux, pour sçavoir si nous pourrions
         esperer du secours de leurs grains, s'ils en avoient de trop, &
         que n'en eussions de France: Il me dist que pour ce qui estoit
         de luy il le feroit & y consentiroit, qu'il en falloit donner
         advis au Père Joseph Caron Gardien, & qu'il luy en parleroit.

[Note 706: Voir ci-dessus, p. 137.]

         La crainte que nous avions qu'il ne fust arrivé quelque
         accident à nos vaisseaux, nous faisoit rechercher tous moyens
         de remédier à la famine extrême qui se preparoit, voyant estre
         bien avant en May, & n'avoir aucunes nouvelles, ce qui donnoit
         de l'apprehension à la pluspart des nostres, qu'ayant passé de
         grandes disettes avec sept onces de farine de pois par jour,
         qui estoit peu pour nous maintenir, venant à n'avoir rien du
201/1185 tout ce seroit bien pis, ne nous restant des poix que pour la
         fin de May. Tout cela me donnoit bien à penser, bien que je
         donnasse le plus de courage qu'il m'estoit possible à un chacun
         considerant que prest de 100 personnes malaisément pourroient
         ils subsister sans en mourir beaucoup, si Dieu n'avoit pitié de
         nous: divers jugemens se faisoient sur le retardement des
         vaisseaux[707] pour soulager un chacun en leur donnant de
         bonnes esperances, afin de ne perdre le temps. Nous
         deliberasmes d'équiper une chalouppe de six Matelots & Desdames
         commis de la nouvelle societé pour y commander, auquel donnions
         procuration & lettres, avec un mémoire bien ample de ce qu'il
         devoit faire pour aller à Gaspey: Les lettres s'adressoient au
         premier Capitaine des vaisseaux qu'il treuveroit audit lieu ou
         autres ports & rades des costes, par lesquelles nous leur
         demandions secours & assistance de leurs vivres, passages, &
         autres commoditez selon leur pouvoir, & pour les interests
         qu'ils pourroient prétendre du retardement de leur pesche, que
         nous tiendrions pour fait tout ce que ledit Desdames feroit
         suivant la procuration qu'il avoit, & au cas qu'il ne nous
         arrivast aucun vaisseau au dixiesme de Juillet, n'en pouvant
         plus esperer en ce temps, comme estant hors de saison, n'estant
         la coustume de commencer alors un voyage pour y arriver si
         tard. La chose estant délibérée, ledit Desdames me donna advis
         qu'un bruit couroit entre ceux qu'il emmenoit, que rencontrant
         quelque vaisseau ils ne reviendroient, & que de retourner seul
202/1186 il n'y avoit nulle apparence, que j'eusse à y remédier avant
         que cela arrivast. Ce que sçachant, j'en desiray sçavoir la
         vérité, ce que je ne peus, me contentant leur dire que telles
         personnes ne meritoient que la corde, qui tenoient ces
         discours: car mettant en effect leur pernicieuse volonté, ils
         ne consideroient la suitte ny la consequence, ne desirant
         qu'ils fissent le voyage puis qu'il falloit pâtir & endurer,
         ce seroit tous ensemble se mettre en peine, bien faschez de se
         veoir frustrez de leur esperance, neantmoins pour remédier à
         cela je changeay l'équipage, y mettant la moitié des anciens
         hyvernants qui avoient leurs femmes à l'habitation[708], avec
         l'autre de Matelots, retenant le reste pour servir en temps &
         lieu: je les fis apprester de tout ce qui leur estoit
         necessaire, ayant donné les despesches audit Desdames, & le
         mémoire pour sa conduitte, soit que par cas fortuit il
         rencontrast nos vaisseaux ou ceux des ennemis, & de plus le
         chargeasmes que s'il ne trouvoit aucuns vaisseaux sujects du
         Roy, il iroit trouver un Sauvage de crédit & amy des François,
         le prier de nostre part de vouloir recevoir de nos compagnons
         avec luy pour hyverner, si aucuns vaiseaux ne venoient, &
         qu'on luy donneroit le printemps venu, une barique de galette
         & deux robes de castor pour chaque homme. Ils partirent le 17
         dudit mois de May. Ces choses expédiées je fis faire diligence
203/1187 de faire faire le radoub à nostre barque,  envoyant chercher du
         bray de toutes parts pour la brayer, car c'estoit ce qui nous
         mettoit le plus en peine, comme chose très-longue à amasser
         dans des bois, nous esperions avec cette petite barque mettre
         quelque 30 personnes pour aller à Gaspey ou autres lieux pour y
         treuver des vaisseaux, & avoir moyen d'aller en France, suivant
         la charge qu'avions donné audit Desdames, & n'en trouvant
         aucun, laisser, comme dit est, partie de nos hommes avec ledit
         Juan Chou Capitaine Sauvage, & s'ils treuvoient du sel en ces
         lieux-là faire pesche de molue au lieu de Gaspey ou Isle de
         Bonaventure, que dans la barque il resteroit quelque 6 à 7
         personnes qui nous apporteroient ce qu'ils auroient pesché de
         poisson, qui eust peu se monter à quelque quatre milliers, &
         ainsi nous ayder au mieux qu'il nous eust esté possible.

[Note 707: La fin de cet alinéa devrait être renvoyée au commencement du
suivant.]

[Note 708: C'est-à-dire, que la moitié de l'équipage était des anciens
hivernants qui avaient leurs femmes à l'habitation. Or, comme nous le
verrons ci-après p. 205, 206, il y avait à l'habitation cinq femmes:
celle de Hubou, celle de Couillard, celle de Martin, celle de Des Portes
et celle de Pivert. Comme Couillard et Martin avaient chacun plusieurs
enfants, il est probable que l'auteur choisit les trois autres,
Guillaume Hubou, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert.]

         La deploration la plus sensible en ces lieux en ce temps de
         disette estoit de voir quelques pauvres mesnages chargez
         d'enfans qui crioyent à la faim après leurs père & mère, qui ne
         pouvoient fournir à leur chercher des racines, car malaisément
         chacun en pouvoit-il treuver pour manger à demy leur saoul dans
         l'espaisseur des bois, à quatre & cinq lieues de l'habitation,
         avec l'incommodité des Mousquites, & quelquesfois estre
         harassez & molestez du mauvais temps. Les societez ne leur
         ayant en ces pays voulu donner moyen de cultiver des terres,
         ostant par ce moyen tout sujet d'habiter le pais, néantmoins on
         faisoit entendre qu'il y avoit nombres de familles, il estoit
         vray qu'estant comme inutiles ils ne servoient que de nombre,
204/1188 incommodant plus qu'elles n'apportoient de commoditez, car l'on
         voyoit clairement qu'avenant quelque necessité ou changement
         d'affaire, il eust fallu qu'elles eussent retourné en France
         pour n'avoir de la terre défrichée depuis 15 à 20 ans qu'elles
         y avoient esté menées de l'ancienne societé[709]: il n'y avoit
         eu que celle de feu Hébert qui s'y est maintenue [710], mais ce
         n'a pas esté sans y avoir de la peine, après avoir un peu de
         terre défrichée, le contraignant & obligeant à beaucoup de
         choses qui n'estoient licites pour les grains qu'il levoit
         chaque année, l'obligeant de ne les pouvoir vendre ny traitter
         à d'autres qu'à ceux de ladite societé pour certaine somme. Ce
         n'estoit le moyen de donner de l'affection d'aller peupler un
         païs, qui ne peut jouyr du bénéfice du pays à sa volonté, au
         moins leur devoient-ils faire valoir les castors à un prix
         raisonnable, & leur lainer faire de leurs grains ce qu'ils
         eussent desiré. Tout cecy ne se faisoit à dessein que de tenir
         tousjours le pays necessiteux, & oster le courage à chacun d'y
         aller habiter pour avoir la domination entière, sans que l'on
         s'y peust accroistre. Ce qui leur desplaisoit grandement
         c'estoit de ce qu'ils voyoient que si je faisois construire un
         fort, n'y voulant contribuer de leur volonté, & blasmant une
205/1189 telle chose, bien que ce fust pour la conservation de leurs
         biens & sauvegarde de tout le païs, comme il se recogneut à la
         venue de l'Anglois, que sans cela dés ce temps-là nous eussions
         tombé entre leurs mains.

[Note 709: En 1629, il y avait environ quinze ans que la société de
Rouen avait obtenu son privilège. De ce texte, on peut donc conclure que
Maître Abraham Martin, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert étaient venus
se fixer à Québec dès les années 1614 ou 1615, c'est-à-dire, dans les
premières années de l'ancienne société. On sait que Louis Hébert arriva
en 1617. Ces quatre anciens habitants de Québec vinrent ici mariés;
puisque leurs actes de mariage ne se trouvent pas dans les registres de
N.-D. de Québec.]

[Note 710: Qui s'y est maintenue sur une terre. De ce passage, on n'est
pas en droit de conclure que ces familles étaient repassées en France,
puisque l'auteur fait ici remarquer que, si elles n'étaient pas plus
avancées que le premier jour, depuis quinze à vingt ans qu'elles étaient
dans le pays, c'était par suite de la contrainte où les tenait la
compagnie des marchands.]

         Les commis du sieur de Caen virent bien combien cela estoit
         necessaire, quoy qu'ils ne le pouvoient confesser auparavant,
         encores qu'ils le sceussent bien en leurs ames: mais ils
         estoient si complaisans qu'ils vouloient agréer à ceux qui
         avoient la bource. Davantage s'il y eust fallu des hommes en la
         place des femmes & enfans, il eust esté necessaire de leur
         donner des gages outre la nourriture, ce qui estoit espargné
         par ce mesnage, & autant de profit aux societez, pour le peu
         d'ouvriers qui estoient à entretenir: car d'environ 55 à 60
         personnes qui estoient pour la Société il n'y en avoit pas plus
         de 18 pour travailler aux choses necessaires, tant du fort de
         l'habitation qu'au Cap de Tourmente, où la pluspart des
         ouvriers estoient empeschez à faucher le foin, le serrer,
         faner, & faire les réparations des maisons. Cela n'estoit pas
         pour faire grand ouvrage en toutes ces choses au bout de
         l'année quand nous eussions eu les vivres & autres commoditez à
         commandement: car tout le reste des hommes & autres personnes
         consistoit en trois femmes, l'une desquelles[711] le sieur de
206/1190 Caën avoit amenée pour avoir soin du bestial, qui estoit le
         plus necessaire, deux autres femmes[712] chargées de huict
         enfans, quatre Père Recolets[713], tous les autres officiers ou
         volontaires n'estoient pas gens de travail.

[Note 711: Probablement la femme de Nicolas Pivert, Marguerite Le Sage,
qui, comme nous l'avons remarqué ci-dessus (p. 171, note 3), avait été
employée avec son mari à l'habitation du cap Tourmente, Elle avait avec
elle une petite nièce (_ibid_.); mais il ne paraît pas qu'elle ait eu
d'enfants (Registres de N.-D. de Québec; greffe de Piraube, Donation
entre Pivert et sa femme), et c'est sans doute pour cette raison même
qu'elle pouvait s'occuper du soin du bétail. Les deux autres femmes,
mentionnées ici avec la femme de Pivert, parce qu'elles n'étaient pas
chargées d'enfants comme les deux dont il est parlé plus bas, étaient
vraisemblablement la veuve Hébert et la femme de Pierre Des Portes. La
veuve Hébert venait de se remarier à Guillaume Hubou, et n'avait plus
d'enfants en bas âge; car Guillaume Hébert, le dernier de la famille,
avait alors une douzaine d'années. Françoise Langlois, épouse du sieur
Des Portes, avait une fille nommée Hélène, qui devait avoir au moins six
à sept ans, puisque cinq ans après elle se mariait avec Guillaume
Hébert. Dans son contrat de mariage avec Noël Morin son second mari,
Hélène Des Portes est dite native de Québec. On voit en effet que Pierre
Des Portes était déjà dans le pays avec sa famille dès 1621, puisqu'il
signa comme «français habitant la Nouvelle-France» la requête qui fut
alors présentée au roi. (Sagard, Hist. du Canada, p. 77.)]

[Note 712: Ces deux femmes chargées de huit enfants, étaient celle de
Couillard et celle d'Abraham Martin dit l'Escossois, qui pouvaient en
avoir quatre chacune. Quant à la femme d'Abraham, Marguerite Langlois,
elle en avait certainement quatre: Anne, Eustache, Marguerite et Hélène;
celle de Couillard, Guillemette Hébert, en avait probablement quatre
aussi, quoique le Registre des Baptêmes n'en mentionne que deux, Louise
et Louis; mais les intervalles qui séparent la naissance des enfants de
Couillard permettent de croire qu'il avait à cette époque deux autres
enfants qui seraient morts depuis en bas âge.]

[Note 713: Pourquoi Champlain ne parle-t-il pas des PP. Jésuites, comme
des PP. Récollets? C'est que, dans ce passage, il n'est question que de
ceux qui étaient aux charges de la société; et elle s'était engagée à en
entretenir six. (Prem. établiss. de la Foy, I, 302, 303.)]

207/1191

[Illustration]

                                 LIVRE
                              TROISIESME
                             DES VOYAGES
                             DU SIEUR DE
                              CHAMPLAIN.



         _Rapport du combat faict entre les François & les Anglais. Des
         François emmenez, prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de
         guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle
         amy des François promet les advertir de toutes les menées des
         Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient,_

                          CHAPITRE PREMIER.

         Le 20 de May vingt Sauvages forts & robustes venant de
         Tadoussac pour aller à la guerre aux Yrocois, nous dirent le
         combat qui avoit esté fait entre les Anglois & les
208/1192 François[714], qu'il y avoit eu des nommes tuez, que le sieur
         de Roquemont avoit esté blessé au pied: que les François
         avoient esté pris & emmenez à Gaspey, qui depuis les avoient
         mis tous dans un vaisseau pour s'en retourner en France &
         retindrent tous les Chefs en leurs vaisseaux & quelques
         compagnons, ils bruslent une cache de bleds qui estoient aux
         Pères Jesuites à Gaspey, cela fait s'estoient mis sous un
         voile[715] pour s'en aller en Angleterre: ils nous dirent aussi
         que quelques jours après le partement des Anglois vint un
         vaisseau qui s'estoit sauvé durant le combat auquel ils
         demandèrent une chalouppe pour nous venir advertir qu'ils
         avoient des vivres assez, mais qu'ils ne leur voulurent donner:
         Ils ne me peurent dire le nom du Capitaine qui commandoit
         dedans, ne me pouvant imaginer pour quel suject ils estoient
         retournez audit Gaspey, où il pouvoit rencontrer quelques
         vaisseaux de l'ennemy.

[Note 714: Le combat avait eu lieu dès le 18 juillet 1628, dix jours
seulement après la sommation de Québec. La nouvelle compagnie, dite des
Cent-Associés, avait expédié de Dieppe quatre vaisseaux bien fournis de
provisions de bouche et de munitions sous la conduite du sieur de
Roquemont. Arrivé à Gaspé, il fut informé par les sauvages qu'il y avait
à Tadoussac quatre ou cinq grands vaisseaux anglais, qui s'étaient déjà
saisis de quelques navires le long des côtes. On dépêcha à Québec le
sieur Desdames (ci-dessus, p. 180), auquel on donna pour rendez-vous
l'île Saint-Barnabé. La flotte commença à remonter le fleuve avec
précaution, lorsqu'on rencontra les vaisseaux ennemis. Le sieur de
Roquemont, voyant que la partie n'était pas égale, crut plus prudent de
prendre la fuite. Les Anglais le poursuivirent jusqu'au lendemain vers
les trois heures de l'après-midi. Le combat dura quatorze ou quinze
heures, suivant Sagard, et il fut tiré de part et d'autre plus de douze
cents volées de canon. Les Français tirèrent jusqu'au plomb de leurs
lignes; mais à la fin l'amiral, criblé de boulets et sérieusement
endommagé par deux bordées tirées à fleur d'eau, se vit contraint de
parlementer, et demanda composition. Les conditions furent: Qu'il ne
serait fait aucun déplaisir aux religieux; que l'honneur des femmes et
des filles serait conservé, et que l'on donnerait passage à tous ceux
qui devraient retourner en France, Malgré l'acharnement du combat, il
n'y eut que deux français de tués, et quelques autres de blessés.
(Sagard, Hist. du Canada, p. 945, 949 et suiv.)]

[Note 715: «S'estoient mis sous voile.»]

         N'ayant encores nouvelles de nos vaisseaux, j'envoyay un Canau
         pour aller à la chasse aux loups marins vers les isles du Cap
         de Tourmente, afin d'avoir de l'huile d'iceux pour mesler parmy
209/1193 le bray que nous avions amassé pour brayer nostre 1620 barque.

         Le 30 du mois partie de nos guerriers revindrent de[716] sans
         avoir faict aucune exécution, nous apportant nouvelles qu'ils
         avoient rencontré 2. Canaux des Algommequins, avec un
         prisonnier Yrocois, qu'ils emmenoient en son païs pour faire la
         paix, emportant avec eux des presens pour leur donner; que
         lesdits Yrocois l'Automne passée avoient tué un Algommequin, &
         pris quelques femmes & enfans qu'ils avoient remené depuis peu
         ausdits Algommequins, ce qui les avoit occasionnez d'envoyer
         ces deux Canaux avec ce prisonnier, Se que la nation des
         Mahigan-Aticois desiroit traitter de paix avec lesdits Yrocois,
         ayant sceu aussi par quelques Sauvages que des vaisseaux
         estrangers estoient arrivez aux costes où estoient les Flamens
         qui desiroient faire une paix generalle de leur costé avec les
         nations qui avoient guerre entr'eux.

[Note 716: Le mot manque dans l'original. Ces guerriers, qui
vraisemblablement faisaient partie des vingt mentionnés plus haut,
revenaient sans doute des Trois-Rivières, comme les autres qui
rrivèrent une semaine après, le 6 de juin (ci-dessous).]

         Le sixiesme de Juin arriverent le reste des guerriers des trois
         rivieres, qui furent proche du premier village des ennemis, ne
         voyant & ne pouvant faire plus d'effect que de tuer quelques
         femmes qui faisoient leurs bleds, ils en tuèrent sept & un
         homme, en apportant leurs testes, & faisant une prompte
         retraitte, ils donnèrent l'alarme au village, qui du
         commencement pensoient qu'ils fussent en plus grand nombre
         qu'ils-n'estoient pour les venir surprendre.

210/1194 L'unziesme dudit mois le Canau que j'avois envoyé à Tadoussac
         revint sans avoir aucunes nouvelles de nos vaisseaux, ce qui
         nous faisoit penser au suject de ce retardement: car nos pois
         estans faillis, quelque mesnage que l'eusse peu apporter, &
         nous voyant si necessiteux & desnuez de tout, nous pensasmes à
         ce que nous aurions à faire du prisonnier soubçonné d'avoir
         meurdry nos hommes, n'ayant plus rien pour luy donner à cause
         que nos vaisseaux n'estoient encore venus, & les attendions de
         jour autre avec l'assemblée des Sauvages, pour parler à eux, &
         puis faire la justice de ce Sauvage. Mais comme nous prevoyons
         que la mer n'estoit si libre que nos vaisseaux ne fussent pris
         ou perdus pour une seconde fois: je fis que l'on retarda le
         jugement de nostre prisonnier & que venant aux preuves
         manifestes & le trouvant coulpable il ne falloit point
         temporiser, mais l'exécuter sur l'heure, si on en venoit là, ce
         qui estoit trop vray, selon qu'un Sauvage appellé Choumina nous
         avoit dit, vray & fidelle amy aux François, aussi en avions
         nous eu quelque tesmoignage. D'ailleurs nous considerions que
         si l'on venoit à l'exécution estant en la necessité, que cela
         pour lors nous eust apporté quelque dommage, car comme ces
         peuples n'ont aucune forme de justice, ils eussent cherché
         moyen en nos malheurs de nous faire du pis qu'ils eussent peu,
         & ne nous en pouvant passer, il fallut songer comme l'on le
         livreroit. Ledit Erouachy me vint treuver, me priant que puis
         que les vaisseaux n'estoient point venus, & que nous n'avions
         aucunes commoditez pour vivre que nous eussions à delivrer le
211/1195 prisonnier si long-temps détenu, qui s'en alloit mourant de
         jour en autre: je luy dis que si nous le relaschions que ce ne
         seroit point à cause de la necessité de vivres, car bien que
         nos pois manquassent, nous allions chercher des racines dequoy
         il se fust aussi bien, voire mieux passé que nous, luy qui
         estoit accoustumé d'avoir de telles necessitez: De plus, que si
         nous eussions voulu luy faire perdre la vie depuis un an qu'il
         estoit détenu, que nous l'aurions peu faire, mais que nous ne
         faisions aucune chose sans bonne & juste information. Il dist
         qu'il le recognoissoit bien, que toutesfois si on le vouloit
         delivrer qu'il en respondroit, & s'obligeroit de le
         representer, estant guery d'un mal de jambe dont il estoit
         entrepris, & de mal d'estomach, que si on n'y apportoit un
         prompt remède il mourroit en bref: le luy dis que j'y
         adviserois dans dix jours, qui estoit pour dilayer, attendant
         tousjours nos vaisseaux.

         J'advisay que s'il estoit question qu'il sortist, que ce seroit
         à mon grand regret, & d'ailleurs qu'en le delivrant cela nous
         pourroit en quelque façon estre profitable, & que toutesfois &
         quantes que nous le desirerions avoir nous le pourrions
         reprendre, s'il n'abandonnoit tout le païs.

         Or comme j'ay dit cy-dessus, entre tous les Sauvages nous
         n'avions pas cogneu un plus fidelle amy & secourable que
         Chomina, qui nous advertissoit de toutes les menées qui se
         passoient parmy les Sauvages, aussi je l'entretenois fort bien
         le cognoissant vrayement loyal, il estoit, comme j'ay dit
         cy-dessus, l'accusateur & dénonciateur de nostre meurtrier,
212/1196 soubçonné par ses camarades qui luy portoient envie, mais il y
         en avoit qui le favorisoient, & principalement Erouachy, qui le
         portoit fort parmy eux.

         Je mande Chomina qu'il me vint trouver au Fort, & après luy
         avoir longuement discouru sur ce subject de la bonne volonté
         qu'il avoit tousjours eue envers les François, qu'il eust à la
         continuer, en luy promettant de l'eslire Capitaine à l'arrivée
         de nos vaisseaux: que tous les chefs feroient estat de sa
         personne, qu'on le tiendroit comme François parmy nous, qu'il
         recevroit des gratifications & de beaux presens à l'advenir,
         luy donnant crédit & honneur entre tous ceux de sa nation,
         comme aussi de le faire manger à nostre table, honneur que je
         ne faisois qu'aux Capitaines d'entr'eux, & que pour accroistre
         son crédit, qu'aucun conseil ny affaire ne se passeroit parmy
         eux qu'il n'y fust appellé, tenant le premier rang en sa
         nation: & pour davantage le mettre en réputation & le mettre du
         tout hors de soupçon de ce qu'on l'accusoit qu'il estoit l'un
         des tesmoins de nostre meurtrier, qu'il luy vouloit du mal, le
         menaçant que s'il sortoit une fois de nos mains qu'il se
         vangeroit de luy. Pour rabatre toutes ces mauvaises volontez,
         il falloit qu'il creust mon conseil, que s'il avoit bien faict
         par le passé, il falloit qu'il fist encore mieux à l'advenir:
         ce qu'il promit faire avec grande demonstration d'allegresse,
         disant que je m'asseurasse qu'il ne se passeroit rien entre les
         Sauvages au desadvantage des François qu'il ne nous en donnast
         advis, qu'il sçavoit bien que la pluspart n'avoient le coeur
213/1197 bon, & qu'Erouachy (duquel nous pensions faire estat) estoit un
         homme cauteleux, fin & menteur, nous donnant de bons discours,
         accordant facilement ce qu'on luy proposoit, & neantmoins en
         arrière il faisoit tout le contraire, pariant autrement, que
         pour luy il n'avoit rien tant en haine que ces coeurs doubles,
         mais qu'il falloit quelquesfois faire semblant d'adjouster foy
         en ces discours, & ne faire neantmoins que ce que l'on jugeroit
         devoir estre fait par apparence. Il dit qu'il aime grandement
         les François, c'est le moins qu'il peut dire, les effects le
         feront assez cognoistre. Alors il me dist, le temps & la saison
         approchera pour ceux qui auront bon coeur envers toy & tes
         compagnons, si vos vaisseaux ne viennent, tu es asseuré de moy
         & de mon frere, lesquels ne feront que ce que tu voudras pour
         t'assister en ce que tu pourrois avoir affaire de nous, je
         tascheray encore d'attirer avec moy quelques Sauvages de crédit
         poussez de mesme volonté, il y en a que j'ay commencé à y
         disposer, cela fait je ne doute plus rien contre mes envieux,
         desquels je ne me soucie pas beaucoup: ils demeureront tels
         avec desplaisir, & moy contant de vostre amitié, en vous
         servant de tout mon coeur. Voila bien dit (luy dis-je) nous
         sommes délibérez de mettre le prisonnier dehors pour ton
         respect, & te faire entrer en crédit: par ce moyen tu diras
         audit Erouachy que tu m'as prié pour le prisonnier afin de le
         mettre hors, que je t'ay donné bonne esperance, qu'en peu de
         jours cela se pourra faire, voyant ce qu'il dira & tous les
         autres Sauvages, que je m'asseure qu'ils le trouveront bon,
         jugeant bien que si c'estoit toy qui eust accusé le meurtrier
214/1198 que tu ne poursuivrois pas sa delivrance, mais plustost sa
         mort, & leur dire à tous les considerations que nous voulons,
         en cas qu'il sorte.

         Le premier article, Que le prisonnier laisseroit son petit fils
         chez le Père Joseph Caron Recolet, qu'il nourrissoit, & seroit
         comme pour ostage & asseurance que le cas arrivant que les
         François (qui estoient allez aux Hurons) vinssent, & qu'ils n'y
         peussent retourner ny aller à la nation des Abenaquioicts, où
         j'avois envoyé descouvrir, les despartir entr'eux jusques à 25
         attendant nos vaisseaux.

         2. Que si lesdits Abenaquioicts avoient desir de nous donner de
         leurs bleds d'Inde ou traitter: qu'ils nous fourniroient de 8
         Canaux avec quelques Sauvages & des François que nous y
         envoyerions pour traitter dudit bled d'Inde.

         3. Que luy & ledit Erouachy nous respondroient que le
         prisonnier ne feroit aucun mal à qui que ce fust estant delivré
         & guary.

         4. Que le temps venu de la pesche des anguilles ils nous en
         feroient fournir raisonnablement par leurs compagnons en
         payant.

         5. Que je desirois qu'il fust recogneu pour Capitaine entre les
         Sauvages, attendant que nos vaisseaux fussent venus pour en
         faire les cérémonies & le faire recevoir, & qu'il auroit pour
         adjoint & pour son conseil après luy Erouachy, Bastisquan chef
         des trois rivieres, & le Borgne, qui estoit un bon Sauvage &
         homme d'esprit, avec un autre de nostre cognoissance, pour
         resoudre & délibérer des affaires entre-eux.

215/1199 6. Que ledit Erouachy tiendra sa promesse, que s'il void
         celuy qu'il dit qui avoit tué nos hommes, qu'il s'en saisira ou
         nous le monstrera, s'il vient en ces lieux, pour en faire
         justice.

         Voila les conditions que tu leur diras que je desire,
         ausquelles je ne voy point de difficulté, & ayant resoult
         ensemblement, vous me viendrez revoir pour sçavoir ce que l'on
         fera sur cette affaire, & s'ils seront delibérez d'accorder ce
         que je te propose. Il me promit d'accomplir le tout, en leur
         remonstrant combien nous les surpassions en bonté, police, &
         justice, & comme nous nous comportions en choses criminelles, &
         ne leur ressemblions, veu qu'aussitost qu'un de leurs hommes
         avoit esté tué, sans consideration aucune, ils alloient faire
         mourir le premier de la nation qu'ils rencontroient, fust-ce sa
         femme ou son enfant: mais parmy nous, au contraire la justice
         ne s'exerçoit que contre celuy qui avoit tué, & ne le sçachant
         que par soubçon nous usions de grande patience attendant le
         temps que nostre Dieu, juste juge (qui ne souffre que les
         meschans prosperent en leur mal) permet à la fin qu'ils soient
         descouverts par des tesmoignages bien approuvez &
         irréprochables, premier que les faire mourir, ou delivrer s'ils
         n'estoient coulpables, ce que nous faisions avec honneur &
         louange, & à la honte & infamie de ceux qui l'auroient
         meschamment accusé, devant souffrir le mesme supplice que le
         criminel, que nous avions détenu ce prisonnier, & pour le 14
         mois, sans luy faire aucun mal que de l'avoir retenu tant de
         temps, sur ce qu'il m'avoit dit & ouy dire à Martin, Sauvage
         defunct, & pour le bruict commun qui estoit entre tous les
216/1200 Sauvages, qu'il n'estoit pas prisonnier sans sujet, joint le
         discours que la femme dudit prisonnier avoit fait, & autres
         tesmoignages de nos gens, mais qu'à l'advenir il falloit se
         comporter plus sagement en nostre endroit: qu'ils prinsent
         courage de nous assister en tout ce que nous leur proposions,
         vivant en paix les vus avec les autres, qu'ils n'avoient point
         de suject de se plaindre, ne leur ayant jamais m'esfect ains au
         contraire en leurs extrêmes necessitez plusieurs d'eux seroient
         morts sans nostre secours, & ont très-mal recogneu les
         bienfaicts, nous ayant tué quatre hommes depuis que nous
         estions habituez à Québec. Il s'esmerveilloit comme nous avions
         tant de patience, veu que nous pouvions perdre leur païs, & les
         rendre fugitifs en d'autres contrées où ils seroient très-mal
         au prix du leur, & ainsi sur ce subject nous fismes plusieurs
         discours.

         Chomina s'en alla dire à tous les Sauvages ce que je luy avois
         dit, Le lendemain il me revint trouver, me disant avoir fait
         récit à tous ses compagnons en conseil ce que je luy avois
         proposé, que tous avoient receu une grande resjouyssance, que
         veritablement cette affaire le mettroit en crédit & hors de
         toute mesfiance, que dans deux jours ils me viendroient trouver
         après avoir resolu ce qu'ils auroient à respondre, en
         confirmant tout ce que nous désirions, avec promesse de nous
         assister en tout & par tout, quoy que nos vaisseaux ne
         vinssent, & vivre en bonne intelligence à l'advenir. Ce sont
         leurs discours ordinaires qu'il faut croire par bénéfice
         d'inventaire & en tirer ce que l'on peut, comme d'une mauvaise
217/1201 debte, car la moindre mouche qui leur passe devant le nez est
         capable de diminuer beaucoup de ce qu'ils promettent si on leur
         refuse de quelque chose, principalement quand les demandes sont
         générales, autrement non.

         Au bout de deux jours ledit Chomina, Erouachy, & tous les
         autres Sauvages me vindrent trouver, Erouachy parlant pour
         tous, dit ainsi. Il y a long temps que nous avons esté liez
         d'une estroitte amitié, & notamment depuis prés de 30 ans que
         vous nous avez assisté en nos guerres & autres necessitez
         extresmes, sans vous avoir eu que peu de ressentiment, nous
         jugeans véritablement incapables de vostre affection pour
         n'avoir fait ce que nous pouvions depuis que les Anglois sont
         venus en ce lieu, pour moy tu sçais comme estant esloigné je ne
         pouvois remédier par presence ny conseil, à toutes ces choses
         passées, & de plus que tout le païs est desnué de Chefs &
         Capitaines qui sont morts depuis deux ans, & ne restant que des
         hommes vieux sans commandement, & des jeunes sans esprit &
         conduite, qui ne jugeant combien vostre bienvueillance nous est
         necessaire, que sans la continuation d'icelle nous serions
         miserables, mais comme vostre coeur a tousjours esté
         entièrement bon nous vous prions le continuer, comme le père à
         ses enfans. Nous ne recognoissons plus d'anciens amis que toy,
         qui sçache nos deportemens & gouvernemens trop affectionnez
         envers nous jusques à present. Il est vray que l'on a tué de
         vos hommes, mais ce sont des meschans particuliers, & non le
         général qui en a receu beaucoup de desplaisir, principalement
218/1202 ceux qui ont du jugement, à l'un tu luy as pardonné, l'ayant
         recognu pour meurtrier qui avoit fait le meurtre par le
         mauvais conseil de certaines personnes qui sont aussi bien
         morts que luy: l'autre aussi meschant que le premier, qui est
         celuy que tu soubçonne, & dis en avoir quelque tesmoignage, ce
         qu'estant vérifié nous ne le desirons maintenir, mais qu'il
         meure. Il n'a jamais rien confesse, il proteste ne l'avoir
         fait, & qu'il n'appréhende pas tant la mort de ce qu'on
         l'accuse, que s'il les avoit faict mourir qu'il le diroit
         librement plustost que de demeurer dedans une prison,
         souffrant plus d'ennuis & de tourments en ses maladies que s'il
         mouroit tout d'un coup. Que tout ce que j'avois dit à Chomina
         ils le desiroient effectuer & faire pour les François tout ce
         qu'ils pourroient, & desirant qu'il fust Capitaine, dit qu'il
         en estoit très-content, comme aussi tous les Sauvages, mais ce
         qu'il disoit estoit au plus loin de sa pensée, recognoissant
         asseurément que delivrant le prisonnier à sa requeste &
         supplication, qu'il falloit qu'il nous eust grandement obligé.

         Je luy dis devant tous que les affections de ceux qui
         promettoient beaucoup ne consistoient pas en paroles &
         caresses, qui n'estoient que les avant-coureurs des effects en
         la pluspart du monde tant envers eux qu'envers nous: que pour
         luy nous l'avions treuvé entre tous les Sauvages de parole
         effective, il avoit l'esprit, le jugement & la cognoissance
         très-bonne, sans ingratitude, qui sont les choses autant
         requises qu'il falloit pour un Chef. Pour le courage il n'en
         manquoit point, que je le pouvois asseurer que luy & tous ceux
219/1203 qui tiendroient son party je les maintiendrois de tout mon
         pouvoir contre ceux qui luy voudroient faire du desplaisir: que
         nous avions le naturel si bon que ceux qui nous avoient obligez
         pour peu que ce fust, nous n'en estions mescognoissans. Tu
         pourrois estre en peine de sçavoir qui nous a incité à luy
         vouloir tant de bien-vueillance. Je te diray que quand il a
         esté question d'envoyer quelque Sauvage & faire diligence nous
         voyant en peine il n'a attendu que nous luy en parlassions,
         mais aussi-tost avec son frere il s'est offert de nous servir
         sans marchander ny esperer de recompense que nostre volonté, &
         promptement & d'un coeur franc il nous a servis avec fidélité,
         s'employant & s'offrant à toutes occasions, ce que n'ont fait
         les autres: en nos necessitez il ne nous a jamais abandonné ny
         en hyver ny en esté, nous secourant de ce qu'il pouvoit,
         desirant plustost mourir avec nous que nous abandonner. Quand
         quelques uns de mes compagnons alloient en sa maison que ne
         faisoit-il point pour les caresser & traitter humainement: leur
         donnant souvent ce qu'il gardoit pour luy. Il prenoit
         compassion de nos necessitez, & ne faisoit pas comme d'autres
         qui s'en rioient, nous vendant excessivement un peu de poisson
         ou viande quand on en desiroit avoir, sans autres infinies
         obligations que nous luy avons pour tant de tesmoignages de sa
         fidélité: il s'est offert aussi en cas que l'on voulust se
         battre avec l'Anglois qu'il viendroit avec nous pour y vivre &
         mourir: & se mettant en devoir luy & son frere, se sont
         presentés en nostre fort avec leurs armes pour recevoir tel
220/1204 commandement que j'eusse desiré, ce que n'a jamais fait autre
         Sauvage que luy: au contraire comme ils virent les Anglois à
         Tadoussac, ils les conduirent jusques au Cap de Tourmente, leur
         enseignant volontairement le chemin, aydant aux Anglois à tuer
         nostre bestial, & piller les maisons de nos gens comme s'ils
         eussent esté ennemis: regarde & juge quelle raison nous avons à
         hayr ceux-là, & vouloir du bien à ces hommes cy.

         Il est vray que voilà de puissantes raisons pour
         l'affectionner, il s'est trouvé des occasions où il a montré
         quel estoit son coeur, mais pour moy j'estois absent: je ne
         laisse pourtant d'avoir le mesme desir de servir si l'occasion
         se presentoit. Pour ceux qui ont conduit les Anglois, ils sont
         de Tadoussac, meschans Sauvages qui n'ont point d'amitié,
         estant assez recogneus pour tels, qui parlent de bouche
         amiablement, mais le coeur n'en vaut rien, & ne font que du
         mal. Nous sommes tres-aises de ce que Chomina s'est si bien
         porté en vostre endroit, vous avez raison de l'aymer:
         neantmoins nous ne laissons tous de vous affectionner aussi
         bien que luy. Je ne doute point de sa fidélité, il a montré par
         effect ce qui nous occasionne à te vouloir du bien, en
         attendant les effects de nos promesses, asseurez-vous que nous
         les effectuerons, & les vaisseaux venus l'on recevra ledit
         Chomina pour Capitaine. Tu sçais la façon de faire quand on
         eslist un Chef, & qu'il change de nom, tu en as faict d'autres,
         c'est pourquoy tu seras encore cestuy-cy que nous tiendrons
         pour tel attendant son eslection comme chef, chacun respondant
         d'une voix, ainsi sera il.

221/1205 Ce que voyant je dis audit Chomina que quand il voudroit qu'il
         emmenast le prisonnier, & qu'il luy remonstre d'estre sage à
         l'advenir, que s'il a esté prisonnier tant de temps, que ce sont
         les discours des Sauvages, & non nous.

         Ledit Chomina sortant avec tous les autres Sauvages, le va
         treuver, luy ayant auparavant donné bonne esperance de sa
         delivrance qu'il moyennoit, après avoir remonstré plusieurs
         choses, le prisonnier luy dit, Je sçais bien que les François
         n'ont point de tort de m'avoir retenu si long-temps, ils
         avoient juste sujet de le faire, d'autant que les nostres leur
         avoient donné à entendre que c'estoit moy qui avoit fait le
         meurtre, quand je seray guary je leur veux tesmoigner qu'un
         meschant homme ne voudroit faire ce que je feray pour eux.

         Ces discours finis ils le prennent & le mettent en une
         couverte, & l'emportant à quatre, car il ne pouvoit se
         soustenir sur les jambes estant fort desfait & débile: la
         vérité est que ces gens qui ont accoustumé une grande liberté,
         la prison de 14 mois leur est un grief supplice, autant presque
         que s'ils recevoient la mort tout d'un coup: ce fut où la
         necessité des vivres nous contraignit, veu que sans ceste
         extrémité il eut tousjours esté prisonnier: mais quoy, c'estoit
         chose forcée ou estre tousjours en trances & apprehension avec
         ces Sauvages qui ne nous eussent voulu secourir en nostre
         necessité: car nous voyant foibles desnuez d'hommes & de tout
         secours, ils eussent peu entreprendre sur nous ou sur ceux qui
         alloient chercher des racines dans les bois, avec beaucoup
         d'autres considerations qui nous excitoient à cela.



222/1206 _Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre
         toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut
         l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglais._

                              CHAPITRE II.

         Le 25 du mois d'Avril[717] Desdames arriva avec la chalouppe de
         Gaspey, qui dit n'avoir veu aucuns vaisseaux, ny les Sauvages,
         & n'en avoit sceu aucunes nouvelles, sinon que quelques uns qui
         venoient du costé d'Acadie, qui dirent y avoir quelques huict
         vaisseaux Anglois[718], partie rodant les costes, autres
         faisant pesche de poisson: que Juan Chou Capitaine Sauvage des
         Canadiens leur avoit fait bonne réception selon leur pouvoir,
         s'offrant que si le sieur du Pont vouloit aller en leur païs,
         au cas que nos vaisseaux ne vinssent, qu'il ne manqueroit
         d'aucune chose de leur chasse, ce faisant faire une petite
         maison en quelque endroit.

[Note 717: Cette date est évidemment fautive. Desdames ne pouvait pas
être si tôt de retour de Gaspé; au reste l'auteur nous dit lui-même (p.
202) que la chaloupe ne partit que le 17 mai. Desdames serait-il arrivé
le 25 de mai, c'est-à-dire, au bout de huit jours? Il n'y a guère
d'apparence qu'il eût pu faire un pareil voyage en si peu de temps;
d'ailleurs, l'auteur donne à entendre plus loin (p. 224) que la chaloupe
ne revenait pas assez vite au gré de Du Pont. Elle avait donc dû être un
bon mois à ce voyage. D'un autre côté, elle arriva à Québec un vendredi,
puisque, le surlendemain dimanche, on lut publiquement les commissions
de Champlain et de Pont-Grave (ci-après, p. 227). Il faut donc conclure
que Desdames arriva ou le l5 ou le 22 de juin. Or deux raisons nous font
croire que ce fut plutôt le 15: d'abord la faute typographique
s'explique plus naturellement; ensuite, il paraît évident qu'il s'écoula
plusieurs jours entre l'arrivée de la chaloupe et le départ de Boullé
avec la barque (voir ci-après, p. 228 et suivantes). Desdames arriva
donc de Gaspé vraisemblablement le 15 de juin.]

[Note 718: L'amiral David Kertk, parti de Gravesend le 5 avril 1629
avec six vaisseaux et deux pinasses, avait quitté les côtes d'Angleterre
le 20 du même mois, et il devait être dans les environs de Canceau dans
la première quinzaine de juin; puisqu'il arriva à Gaspé le 25 de ce
mois. (Pièces justificatives, n. V.)]

223/1207

         De plus qu'il prendroit 20 de nos compagnons qui partiroient[719]
         parmy les siens pour y passer l'hyver ou ils n'auroient aucune
         faim, moyennant deux robbes de castors pour chaque homme: Ce
         n'estoit pas peu de treuver tant de courtoisie & de retraite
         asseurée parmy eux, beaucoup mieux qu'avec nos sauvages: ils
         nous apportèrent un baril & demy de sel, sans ce que ceux de la
         chalouppe ayderent aux peres religieux, lesquelles choses en ce
         temps là ils prisoient plus que de l'or. Il nous confirma comme
         les Anglois avoient bruslé tous les vivres qui restoient aux
         Pères Jesuistes, qu'ils avoient donné quelques six barils de
         farine aux Sauvages moitiée guerre moitiée marchandise: qu'ils
         avoient une grande aversion contre les ennemis, notamment
         contre les François renégats qui les avoient emmenées: Et tout
         ce que nous avons sceu des Sauvages, il nous le confirma
         touchant le combat, sçavoir qu'un petit vaisseau François
         arrivant sur ceste affaire, ne voulant estre de la partie, se
         sauva partie à la rame & à la voile, & cogneut-on que c'estoit
         le Reverend Père Norot[720] Jesuiste, qui s'estoit separé depuis
         long temps d'avec ledit de Roquemont, s'ils eussent eu quelque
         homme de conduitte & hasardeux, ils eussent entré facillement
         en la riviere pour venir à Québec nous secourir, ce qui
         l'occasionna de s'en retourner en France, n'ayant emmené en
         Angleterre que les Capitaines & Principaux, & le petit Sauvage
         que l'on remmenoit en son païs: que le général Guer[721] avoit
224/1208 esté dix jours à se r'accommoder à Gaspey, qu'ils n'avoient
         bruslé les barques ny chalouppes à l'Isle de Bonaventure, ny
         autres lieux comme on nous avoit dit: que l'on avoit donné deux
         vaisseaux pour rapasser les François en France, avec partie des
         maris, femmes & enfans, qui coururent depuis plusieurs fortunes
         & dangers, tant aux costes d'Espagne qu'ailleurs[722], desquels
         naufrages ils s'estoient sauvez, fort incommodez de toutes
         choses: voilà ce que les effects de ceste guerre causerent au
         commencement en la Nouvelle France aux Anglois, ils faisoient
         bien d'aller en ces lieux, voyant qu'ils ne pouvoient rien
         faire en l'isle de Ré, où tout leur avoit mal succedé.

[Note 719: Qu'il partiroit, ou distribueroit.]

[Note 720: Noirot. (Voir ci-dessus, p. 208.)]

[Note 721: Guer, pour Kertk.]

[Note 722: Voir Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IX, X.]

         Entendant de si tristes nouvelles nous voyant comme hors
         d'esperance de tout secours, nous jugeasmes qu'il n'estoit plus
         temps de temporiser[723], mais bien de remédier de bonne heure à
         ce que nous pouvions avoir affaire; nostre petite barque estoit
         toute preste, ledit du Pont s'estoit resolu de s'en aller
         dedans sans attendre la chalouppe davantage, craignant qu'elle
         ne tardast trop, & partant trop tard que malaisément l'on
         trouveroit des vaisseaux aux costes pour estre possible partis,
         qu'en chemin faisant pour le plus seur, si nos vaisseaux
         devoient venir, ils les rencontreroient, ou ladite chalouppe
         qu'ils emmeneroient avec eux. Ledit du Pont avoit eu de la
         peine à se resoudre à cause de l'incommodité de ses goutes,
         mais luy ayant bien remonstré qu'il avoit bien quitté sa maison
225/1209 pour s'embarquer en un meschant petit vaisseau, & de plus qu'il
         estoit venu à Gaspey parmy tous les dangers de la guerre aussi
         malade qu'il estoit: davantage qu'il s'estoit mis dans une
         chalouppe de Gaspey pour venir à Québec avec de si grandes
         incommoditez qu'on ne l'auroit creu, si on ne l'avoit veu, que
         ce n'estoit pas de mesme en ceste occasion plus pressante,
         d'autant que son âge & la réputation qu'il avoit entre les
         navigeans de ces costes, estoient cause qu'avec les Capitaines
         & maistres des vaisseaux desquels il estoit cogneu, plus
         facilement il treuveroit partage, & pourroit plus asseurément
         contracter avec lesdits chefs des vaisseaux pour le passage;
         pour sa personne il n'alloit pas dans une chalouppe comme il
         estoit venu de Gaspey avec de grandes douleurs & incommoditez,
         mais en une barque fort gentille & bien accommodée, y ayant sa
         chambre où il seroit très-bien, & avec des personnes qui
         l'assisteroient, en luy portant toute sorte de respect, pouvant
         recouvrir plus de rafraichissement le long des costes,
         changeant d'un jour à autre de lieu que non pas à Québec où il
         n'y avoit rien: qu'il se trouvoit fort peu de personnes qui
         voulussent demeurer à l'habitation sans vivres. Que pour sa
         personne seule il falloit empescher quelquesfois quatre hommes
         à l'assister & secourir, lesquels ne pourroient demeurer avec
         luy, de sorte que force leur seroit de l'abandonner pour aller
         chercher leur vie de jour à autre: Que de tenter la fortune de
         repasser en France luy seroit chose meilleure que de souffrir
         de si grandes necessités, ne pouvant plus rien esperer de
         Québec, ayant le peu qu'il y avoit esté conservé pour luy seul,
226/1210 ce que je ne pensois pas qu'il peut faire, il me dist que pour
         le voyage qu'il avoit fait de France à Québec, il n'estoit pas
         à s'en repentir, mais trop tard, je luy dis, Vous sçaviez aussi
         bien que moy la façon comme l'on nous traitte en ces lieux, où
         les necessitez ont plus régné que les biens-faits de ceux qui
         ont cette affaire, vous n'estes point novice en cela, un autre
         se pourroit excuser, mais vous avez trop d'expérience pour
         sçavoir & cognoistre ce qui en est: car si à Québec vous aviez
         les commoditez approchantes de ce qu'il vous faudroit je vous
         conseillerois d'y demeurer. En fin comme j'ay dit cy-dessus, il
         se resolut de s'embarquer & laisser le sieur de Marais[724],
         fils de sa fille en sa place, & emporter avec luy quelque 1000
         castors pour subvenir aux frais de la despence, qui furent
         embarquez. Cela resoulu, le lendemain il me dist si j'aurois
         agréable qu'il fit lire sa commission que luy avoit donnée le
         sieur de Caën, afin qu'un chacun sceust la charge qu'il luy
         avoit donnée en ces lieux, craignant que ledit de Caën ne luy
         donnast ses gages, lors qu'il luy demanderoit, je luy dis que
         cela ne m'importoit pas beaucoup, mais qu'il commençoit bien
         tard, parce que ledit de Caën, outre le droict qui luy pouvoit
         appartenir, s'attribuoit des honneurs & commandemens qui ne luy
         appartenoient pas, anticipant sur les charges de Vice-Roy, luy
         monstrant les principaux points. Pour ce qui touchoit le trafic
         & commerce de pelleterie il y avoit toute puissance, qu'en cela
227/1211 les articles de sa Majesté nous gouvernoient, à quoy il se
         falloit arrester: En outre j'avois bonne commission en forme,
         selon la volonté de sa Majesté, & de Monseigneur le Vice-Roy, &
         celle dudit sieur de Caën ne pouvoit estre de telle
         consideration.

[Note 723: Nouvelle preuve que la chaloupe de Desdames n'était arrivée
ni le 25 de mai, ni encore moins le 25 avril. (Voir ci-dessus, p. 222.)]

[Note 724: Ce jeune Des Marais était le fils du sieur Des Marais dont il
est parlé si souvent dans les relations précédentes. Il était venu avec
son grand-père en 1627. (Voir ci-dessus, p. 141.)]

         Le lendemain[725], qui estoit le Dimanche, au sortir de la
         saincte Messe je fais assembler tout le peuple, avec la copie
         de la commission du sieur du Pont, les articles de sa Majesté &
         la commission de Monseigneur le Vice-Roy, auquel véritablement
         je fais entendre le pouvoir que pouvoit donner ledit sieur de
         Caen à ses commis, differens d'avec celuy que j'avois selon les
         articles de sa Majesté, que je fis lire contenant aucuns
         poincts de la commission dudit du Pont, & en suitte ma
         commission, qui estoit fort ample, disant à tous: Je vous fais
         commandement de par le Roy, & Monseigneur le Vice-Roy, que vous
         ayez à faire tout ce que vous commandera ledit du Pont, pour ce
         qui touche le trafic & commerce des marchandises, suivant les
         articles de sa Majesté que je vous ay fait lire, & du reste de
         m'obeir en tout & par tout en ce que je commanderay, & où il y
         aura de l'interest du Roy & de mondit Seigneur, en me reservant
         dix hommes gagez dudit de Caën, suyvant les articles resolus de
         toute la societé, desquels ledit de Caen avoit esté porteur, &
         me les mit en mains, par l'un desquels estoit porté & enchargé
         me donner dix hommes, avec toutes les commoditez necessaires
         pour les employer au Fort, ainsi que j'aviserois bon estre.
         J'ay creu que ledit sieur de Caen ne s'en ressouvenoit plus,
228/1212 car il  n'y avoit pas d'apparence qu'il eust voulu disputer une
         chose où luy-mesme avoit signé, & le sieur Dolu, & autres
         associez. La chose la plus importante estoit de se fortifier le
         mieux que l'on pourroit pour la conservation du païs, qu'à
         faute de ce faire c'estoit le laisser en proye à un ennemy qui
         peut recognoistre nostre foiblesse, sans que ledit du Pont ny
         autres pussent empescher l'effect du commandement que j'ay, sur
         peine de desobeissance, & punition corporelle.

[Note 725: Vraisemblablement le 17 juin, qui était un dimanche. (Voir
ci-dessus, note 1 de la page 222.)]

         Je voy bien (dist le sieur du Pont) que vous protestez ma
         commission de nullité: Ouy en ce qui heurte l'authorité du Roy
         & de Monseigneur le Vice-Roy, pour ce qui est de vostre traicté
         & commerce, suivant les articles de sa Majesté, à quoy il se
         faut tenir, cela se passa ainsi.

         La chalouppe (comme j'ay dit cy-dessus) estoit venue de Gaspey,
         qui interrompit le dessein dudit du Pont de s'en aller,
         d'autant que son intention n'estoit qu'au cas qu'il n'y eust
         aucun vaisseau à Gaspey où il peust s'en retourner, de revenir
         à Québec sans se mettre en peine de passer plus outre pour
         chercher passage & aller en France dans les vaisseaux François,
         qui pouvoient estre à l'isle de S. Jean, du Cap Breton,
         Canseau, Isles de S. Pierre, Plaisance où autres ports, qui
         sont à l'isle de Terre-Neufve, où il y en avoit, & sembloit
         qu'il ne voulust aller à Gaspey que pour establir les François
         avec les Sauvages & s'en revenir à Québec: les matelots qui ne
229/1213 desiroient plus y retourner craignant de mourir de faim,
         avoient volonté de courir le risque & de chercher passage
         plustost que de demeurer avec les Sauvages, si ce n'estoit par
         force: Ce qui me fit luy demander si c'estoit son intention de
         s'embarquer en la barque, s'il avoit dessein de s'en retourner
         à Gaspey, il me dit qu'ouy: Alors je luy dis, que pensez-vous
         qui vous rameine, regardez ce qu'avez à faire, car les matelots
         ne sont pas délibérez de revenir, & ainsi vous vous trouverez
         deceu si vous vous attendez à cela, vous voyez que l'on
         descharge l'habitation de plus d'hommes que l'on peut, ne
         faisant estat que d'y faire demeurer treize à quatorze
         personnes, & vous revenant, vous en amènerez une douzaine, ce
         seroit pour mourir de faim les uns pour l'amour des autres, il
         n'y a pas beaucoup d'apparence: joint que quelques matelots
         sont resolus de demeurer avec les Sauvages de par delà, & le
         reste d'aller chercher passage à quelque prix que ce soit,
         mesme que ne trouvant vaisseaux ils se veulent bazarder de
         passer la mer en ceste barque, & si n'avez volonté de passer
         plus outre, je vous conseille plustost de demeurer icy: car
         aussi bien vostre voyage seroit inutile, estant contraint de
         demeurer avec les Sauvages ou courir le hazard avec les
         matelots.

         Ce qu'entendant il desira plustost demeurer, que de se mettre
         au risque, appréhendant la peine qu'il pensoit avoir en ce
         voyage pour le mal des goûtes qui le tourmentoient de telle
         façon, qu'il estoit plus couché que debout, cela resolu il fit
         descharger de la barque 500 castors, de mil qu'il y avoit fait
         mettre.

230/1214 Je fis d'amples mémoires de tous les deffauts que je
         recognoissois, avec lettres adressantes à sa Majesté, à
         Monseigneur le Cardinal, & à Messieurs du Conseil, & aux
         Associez, mettant le tout entre les mains de mon beau-frère
         Boullay, lequel j'avois bien instruit de tout ce qui estoit
         necessaire, luy donnant une commission suivant le pouvoir que
         j'avois: & luy commanday de s'en aller avec les matelots
         chercher passage à quelque prix que ce fut, luy donnant charge
         de laisser à Gaspey avec Juan Chou & ses compagnons Sauvages,
         tous ceux qui y voudroient demeurer, & ceux qui le voudroient
         suivre qu'il les emmenast avec luy. J'ordonnay à tous ceux qui
         devoient s'en retourner, qu'ils allassent dans les bois deux ou
         trois tours premier que partir pour chercher des racines pour
         leur provision, attendant qu'ils peussent rencontrer la pesche
         de molue vers Mantane: Ce qu'ayant fait je les faits tous
         assembler, voulant sçavoir la volonté des uns & des autres,
         sçavoir ceux qui desiroient demeurer à Gaspey, & ceux qui
         vouloient suivre mon beau-frère, il s'en treuva vingt, de
         trente qu'ils estoient[726], qui desirerent demeurer à Gaspey,
         entr'autres Foucher, Desdames & deux autres Matelots, & le
         reste desiroit courir risque.

         Ayant mis ordre à tout, mon beau-frère partit avec sa
         barque[727] & tout son esquipage, le 26 de Juin, laquelle
         n'avoit que des racines, si ce n'estoient aucuns qui par leur
231/1215 mesnage avoient quelque peu de farine de pois. La barque partie
         chacun de ceux qui restoient commencèrent à labourer la terre,
         & y semer des naveaux, pour nous survenir durant l'hyver: en
         attendant la moisson on estoit tous les tours à la recherche
         des racines pour vivre, ce qui causoit de grandes fatiques, car
         on alloit six à sept lieues les chercher, avec une grande peine
         & patience, sans en treuver en suffisance pour nous nourrir.
         Les autres faisoient ce qu'ils pouvoient pour prendre du
         poisson, & faute de filets, lignes & hains, nous ne pouvions
         faire grande chose: la poudre pour la chasse nous estoit si
         chère que je desirois mieux pâtir que d'user si peu que nous en
         avions qui n'estoit pas plus de 30 à 40 livres, & encore très
         mauvaise.

[Note 726: Ils étaient trente en comptant Boullé lui-même. (Pièces
justificatives, n. III.)]

[Note 727: Cette barque, appelée _la Coquine_, était de douze ou quatorze
tonneaux suivant Sagard (Hist. P. 980), ou seulement de sept à huit,
d'après l'auteur lui-même (voir Pièces justificatives, n. II).]

         Nous attendions de jour en jour les Hurons, & par mesme moyen
         20 François qui estoient allez avec eux pour nous soulager de
         nos pois: ceste surcharge me mettoit bien en peine, n'ayant du
         tout rien à leur donner s'ils n'apportoient de la farine avec
         eux, ou que lesdits Hurons ne les remmenassent, ou bien les
         mettre avec les Sauvages au tour de nous, comme ils nous
         avoient promis de les prendre, mais comme ils sont d'une humeur
         assez variable, cela me donnoit du tourment. Chomina nous dit
         qu'il s'en alloit aux trois rivieres avec tous les sauvages,
         qui deslogeoient d'auprès de Québec, pour aller au devant des
         Hurons traiter des farines s'ils en avoient: pour cet effect il
         demanda quelques cousteaux, & promet en traiter fidellement,
         nous apportant aussi tost les farines: la creance que nous
232/1216 avions en luy, fit qu'on luy en donna, & une arme de picquier
         qu'il demanda à emprunter pour la guerre, de quoy il ne fut
         refusé. Son frère Ouagabemat[728] s'offrit d'aller à la coste
         des Etechemins, où estoient les Anglois pour y traiter de la
         poudre, il demanda qu'on luy donnast un François, lequel
         demeuroit à deux journées dans les terres de la coste, ce qui
         luy fut accordé, pour tascher de quelque façon que ce fut à
         nous maintenir. Pour ce sujet il partit le 8 de Juillet,
         laissant la grande riviere, & ayant fait quelque chemin par
         celle qui va ausdits Etechemins, ils treuverent si peu d'eau
         qu'ils furent contrains de s'en revenir le 11 dudit mois, & par
         ainsi ce voyage fut rompu.

         Le 15 de Juillet arriva l'homme que j'avois envoyay à la
         decouverte des Sauvages appelle Abenaquioit, qui me fit rapport
         de tout son voyage suivant le mémoire que je luy avois donné,
         le nombre des saults qui falloit passer premier que d'y
         arriver, la difficulté des chemins qui se rencontroient en ce
         traject de terre, jusqu'à la coste desdits Etechemins, les
         peuples & nations qui sont en ces contrées, leurs façons de
         vivres, nous asseurant que tous ces peuples vouloient lier une
         estroitte amitié avec nous, & prendre de nos hommes avec eux
         pour les nourrir durant l'hyver, attendant que nous eussions
         secours de nos vaisseaux: qu'en peu de jours il devoit venir un
         chef de ces peuples avec quelques Canaux pour confirmer leur
         amitié, & mesme nous ayder de leurs bleds d'Inde, estant
233/1217 peuples qui ont de grands villages, & à la campagne de maisons,
         ayant nombre de terres défrichées, où ils sement force bleds
         d'Inde qui recueillent suffisamment pour leur nourriture, & en
         ayder leurs voisins, quand il manque quelque année qui n'est
         pas si bonne que d'autre. Il y a de belles campagnes & tort peu
         de bois ou ils habitent, la pesche du poisson y est abondante
         de Bars, Saumons, Esturgeons & autres poissons en grande
         quantité: comme aussi y est très-bonne la chasse des animaux &
         du gibier, de sorte que quand les eaues sont un peu grandes
         l'on y peut aller en six jours avec diligence: il y a une
         riviere[729] qui va tomber en ceste coste des Etechemins, en
         laquelle j'ay esté autrefois du temps du sieur du Mont comme
         j'allois descouvrir les ports, havres, & rivieres. Ce voyage &
         descouverte me donna un grand contentement pour l'esperance du
         fruict qu'un jour nous en pourrions retirer durant nostre
         necessité, où ces peuples nous pouvoient bien servir. Ce qui
         est de remarquable, c'est un lieu où l'on ne craint point
         d'ennemis sur le chemin, qui vous puisse empescher d'aller &
         venir librement[730].

[Note 728: Sagard l'appelle Neogabinat, et les Relations des Jésuites
Negabamat. Il devint plus tard fervent chrétien, et fut l'un des
premiers qui se fixèrent à Sillery.]

[Note 729: Le Kénébec.]

[Note 730: Voici, suivant nous, le sens de cette phrase: Le pays des
Abenaquis a cela de remarquable et d'avantageux, que l'on n'a point à
craindre, sur le chemin, d'ennemis qui vous puissent empêcher d'aller et
venir librement.]

         Le 17 du mois de Juillet arriverent nos hommes des Hurons en
         douze Canaux qui n'apportèrent aucunes farines sinon quelques
         uns qui en avoient, ne la monstroient à la veue, en attendant
         nostre disette, il falloit qu'ils fissent comme nous, &
         allassent chercher des racines pour vivre. Je me deliberay les
234/1218 envoyer à l'habitation des Abenaquiois pour vivre de leurs
         bleds d'Inde attendant le printemps, n'ayant plus d'esperance
         de voir aucuns amis ny ennemis, la saison estant passée selon
         les apparances humaines.

         Le Reverend Père Brebeuf, selon ce que luy avoit mandé le
         Reverend Père Massé Superieur[731], s'en revint des Hurons,
         leur laissant une extréme tristesse de son départ, luy disant.
         He quoy nous delaisses-tu! il y a trois ans que tu es en ces
         lieux pour apprendre nostre langue pour nous enseigner à
         cognoistre ton Dieu, l'adorer & servir, estant venu pour ce
         sujet, à ce que tu nous as tesmoigné, & maintenant que tu sçais
         plus parfaitement nostre langue qu'aucun qui soit jamais venu
         en ces lieux, tu nous delaisses & si nous ne cognoissons le
         Dieu que tu adores, nous l'appellerons à tesmoin que ce n'est
         point nostre faute, mais bien la tienne, de nous laisser de
         telle façon; il le leur remonstroit que l'obeissance qu'il
         devoit à ses Supérieurs ne luy permettoient pour le present de
         demeurer, attendu aussi les affaires qu'il avoit, & qui
         estoient grandement importantes, mais qu'il les asseuroit,
         moyennant la grâce de Dieu, de les venir treuver & amener ce
         qui seroit necessaire pour leur enseigner à cognoistre Dieu, &
         le servir, & ainsi se départit. En effect ce bon Père avoit un
         don particulier des langues qu'il apprit & comprit en deux ou
         trois ans, ce que d'autres ne feroient en vingt: nous fusmes
         fort aises de le voir, comme estoient aussi les Peres qui se
235/1219 promettoient qu'il leur apporteroit des farines des Hurons, qui
         eust esté fort peu de chose, n'eust esté la valeur de quelque
         quatre ou cinq sacs, qui, à ce que l'on me dist, pesoyent
         environ chacun 50 livres.

[Note 731: Le P. Ennemond Massé était demeuré supérieur depuis le départ
du P. Charles Lalemant.]

         Cette arrivée de Canaux de Sauvages ne nous apporta aucun
         bénéfice, car ils n'avoient point de farines à traitter
         qu'environ deux sacs, que les Pères Recolets traitterent, & le
         sieur du Pont en fit traitter un autre par le Sous-commis: Pour
         moy il fut hors de ma puissance d'en pouvoir avoir, ny peu, ny
         prou, & ne m'en fut seulement offert une escuellée, tant de
         ceux qui en pouvoient avoir, parmy les nostres, que parmy les
         autres: toutesfois je prenois patience, ayant tousjours bon
         courage, attendant la récolte des pois, & des grains qui se
         feroit au desert de la Veufve-Hebert & son gendre, qui avoient
         quelque six à sept arpens de terres ensemencées, ne pouvant
         avoir recours ailleurs, & peux dire avec verité que j'ay
         assisté un chacun de tout ce qui m'estoit possible, ce qui fut
         neantmoins fort peu recogneu en mon particulier, & ceux qui
         estoient avec moy au fort, & estant les plus mal pourveus de
         toutes choses.

         Pour ce qui estoit des Reverends Pères Jesuites ils n'avoient
         que de la terre défrichée & ensemencée pour eux & serviteur au
         nombre de douze ne nous en pouvant ayder comme je croy qu'ils
         eussent fort desiré: le lieu où ils sont habituez est très
         agreable, estant sur le bord de la riviere S. Charles.

         Les Pères Recolets avoient beaucoup plus de terres défrichées &
         ensemencées & n'estoient que quatre, promettant que s'ils en
236/1220 avoient plus que ne leur faudroit en 4 à 5 arpens de terre
         ensemencez de plusieurs sortes de grains, légumes, racines &
         herbes potagères qu'ils nous en donneroient. L'année précédente
         chacun avoit il bien conservé ce qu'il avoit qu'il s'estoit
         fait fort peu de liberalitez, sinon à quelques particuliers de
         ceux qui estoient logez à l'habitation, & celle comme dit est,
         des Pères Jesuites qui nous assisterent de quelques naveaux
         selon leur puissance.

         Comme les Hurons se délibèrent de s'en retourner avec si peu de
         marchandises qu'ils avoient apportées, pensant treuver dequoy
         traitter, nouvelles nous vindrent de l'arrivée des Anglois par
         un sauvage appellé la Nasse[732], qui avoit sa maison proche
         des Pères Jesuites, lequel donnoit esperance & toute sa famille
         de se faire instruire en nostre foy, & mesmes les Pères luy
         avoient donné de leur terre défrichée pour le gaigner à eux, ce
         fut luy qui nous donna cet advis, ce qui m'estonna grandement,
         pource qu'alors je n'attendois ny François ny Anglois qui
         eussent entrepris ce voyage bien hazardeusement pour estre venu
         tard, d'autant que si en France ils eussent fait équiper de
         bonne heure comme en Mars, la moindre barque estoit suffisante
         de nous secourir & nous oster du danger d'estre pris, apportant
         farines, poudre, mousquets, avec un peu de mèche: l'ennemy
         jugeant bien qu'il n'y avoit rien à faire pour eux sinon
         traitter quelque pelleterie à Tadoussac, & ne pouvant rien
         faire, à ce que j'ay sceu depuis, s'ils eussent esté contraints
237/1221 de retourner sans rien faire de porter tout ce qu'ils avoient
         au Cap Breton, où ils avoient une habitation d'un
         Escossois[733] qui estoit de la compagnie du Chevallier
         Alexandre en Angleterre & roder les costes comme ils avoient
         fait l'année précédente, pour prendre des vaisseaux qui
         ayderoient à payer les frais de leur embarquement.

[Note 732: Son nom sauvage était _Manitougatche_. Il demeura fidèlement
attaché aux Français, et fut baptisé quelques années plus tard. (Relat.
des Jésuites.)]

[Note 733: Probablement le _millor Escossois_ dont il est parlé ci-après
dans la relation du capitaine Daniel. (_Conf_., State Paper Office,
Colonial Papers, vol. V, 46, 47.)]



         _Le sieur de Champlain ayant eu advis de l'arrivée des Anglais,
         donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux.
         Lettre qu'un Gentilhomme Anglais luy apporte, & sa response.
         Articles de leur composition. Infidelles François prennent des
         commodités de l'habitation. Anglais s'emparent de Québec._

                             CHAPITRE III.

         Lors que ces nouvelles vinrent j'estois seul au fort, une
         partie de mes compagnons estoient allez à la pesche, les autres
         chercher des racines, mon serviteur & les deux petites filles
         Sauvagesses[734] y estoient aussi: sur les dix heures du matin
         une partie se rendit au fort & à l'habitation, mon serviteur
         arrivant avec quatre petis sacs de racines, me dit avoir veu
         lesdits vaisseaux Anglois à une lieue de nostre habitation,
         derrière le Cap de Levy(735): je ne laissay de mettre en ordre
238/1222 si peu que nous avions, pour eviter la surprise tant au fort
         qu'à l'habitation, les pères Jesuistes & Recollets accoururent
         aussi tost à ces nouvelles pour voir ce que l'on oourroit: je
         fis assembler ceux que je jugeay à propos pour sçavoir ce que
         nous aurions à faire en ces extremitez: il fut arresté
         qu'attendu l'impuissance en laquelle nous estions sans vivres,
         poudre[736], ny mesche, & sans secours, il estoit impossible de
         nous maintenir, c'est pourquoy qu'il nous falloit chercher une
         composition la plus avantageuse que nous pourrions, & attendre
         ce que voudroit dire l'Anglois, resolus neantmoins qu'au cas
         qu'ils ne nous voulussent faire composition, de faire sentir à
         la descente, que voulant nous forcer on leur feroit perdre de
         leurs hommes, en nous ostant l'espoir de composition.

[Note 734: Des trois petites filles que les sauvages avaient données à
l'auteur, celle qu'il avait nommée la Foy s'en était retournée parmi
ceux de sa nation. (Sagard, Hist. du Canada, page 1101.)]

[Note 735: La pointe Lévis.]

[Note 736: Il ne restait que trente à quarante livres de poudre, «et
encore très-mauvaise.» (Ci-dessus, p. 231).]

         Sur le flot, l'Anglois envoye une chalouppe ayant un drapeau
         blanc, signai pour sçavoir s'il auroit asseurance de nous venir
         treuver, pour nous sommer, & sçavoir la resolution en laquelle
         nous estions, je fis mettre un autre drapeau au fort, leur
         asseurant qu'ils pourroient approcher avec toute seureté:
         Estant arrivez en nostre habitation, un gentil-homme Anglois
         mit pied à terre, lequel me vint treuver, & courtoisement me
         donna une lettre de la part des deux frères du Général Guer qui
         estoient à Tadoussac avec ses vaisseaux, l'un s'appelloit le
         Capitaine Louis qui venoit pour commander au fort, l'autre le
         Capitaine Thomas Vice-Admiral de son frère, me mandant ce qui
         s'ensuit.

239/1223 _Monsieur en suite de ce que mon frere vous manda l'année
         passée que tost ou tard il aurait Québec, n'estant secouru, il
         nous à chargé de vous asseurer de son amitié, comme nous vous
         faisons de la nostre, & sçachant très bien les necessitez
         extrêmes de toutes choses ausquelles vous estes, que vous ayez
         à luy remettre le fort & l'habitation entre nos mains, vous
         asseurant toutes sortes de courtoisie pour vous & pour les
         vostres, comme d'une composition honneste & raisonnable, telle
         que vous sçauriez desirer, attendant vostre response nous
         demeurons, Monsieur, vos très affectionnez serviteurs Louis &
         Thomas Guer. Du bord du Flibot ce 19. de Juillet 1629._

         Ceste lettre leue devant le principal Commis & autres des
         principaux, il fut resolu de leur faire responce, comme il
         s'ensuit.

         _Messieurs la verité est que les négligences ou contrarietez
         du mauvais temps, & les risques de la mer, ont empesché le
         secours que nous espererions en nos souffrances, y nous ont
         osté le pouvoir d'empescher vostre dessein, comme avons fait
         l'année passée, sans vous donner lieu de faire reussir vos
         prétentions, qui ne feront s'il vous plaist maintenant qu'en
         effectuant les offres que vous nous faites d'une composition,
         laquelle on vous fera sçavoir en peu de temps après nous y
         estre resolus ce qu'attendant il vous plaira ne faire approcher
         vos vaisseaux à la portée du canon, ny entreprendre de mettre
         pied à terre que tout ne soit resolu entre nous, qui sera pour
         demain. Ce qu'attendant je demeureray Messieurs vostre
         affectionné serviteur, Champlain, ce 19 de Juillet 1629._

         Ledit Capitaine Louis Guer renvoya sur le soir sa chalouppe
         pour avoir ces articles de la composition, avec asseurance de
         nous donner toutes sortes de courtoisies, lesquelles articles
         envoyasmes avec le plus d'advantage qu'il nous estoit possible.

240/1224 «_Articles [qui seront] accordez par le sieur Guer commendant
         de present aux vaisseaux qui sont proches de Québec, aux sieurs
         de Champlain & du Pont, le 19 de Juillet 1629._[737]

[Note 737: Le titre de cette pièce se lit ainsi dans l'original conservé
à Londres (State Paper Office): «_Articles demandées estre accordées par
le Sr Quirc Commandant de present aus vaisseaux qui sont proches de
Quebecq aus Sr de Champlain & dupont le 19 de Juillet 1629._» Dans
l'impression de l'édition originale, les mots _demandées estre_ ayant
été omis ou retranchés, on fut obligé de pousser entre ligne les deux
mots que nous mettons entre crochets dans le texte. Cette correction
cependant n'a pas été faite dans tous les exemplaires.]

         Que le sieur Guer nous fera voir la commission du Roy de la
         grande Bretagne, en vertu de quoy il se veut saisir de ceste
         place, si c'est en effect par une guerre légitime[738] que la
         France aye avec l'Angleterre, & s'il a procuration du sieur
         Guer son frère Général de la flotte Angloise, pour traiter avec
         nous, il la monstrera.

[Note 738: L'original porte: «de guerre légitime.»]

         Il nous fera donné un vaisseau pour rapasser en France tous nos
         compagnons, & ceux qui ont esté pris par le sieur Général,
         allant treuver passage en France, & aussi tous les Religieux,
         tant les Peres Jesuistes que Recollets, que deux Sauvagesses
         qui m'ont esté données il y a deux ans par les Sauvages,
         lesquelles je pourray emmener sans qu'on me les puisse retenir
         ny donner empeschement en quelque manière que ce soit.

         Que l'on nous permettra sortir avec armes & bagages, & toutes
         sortes d'autres commoditez de meubles que chacun peut avoir,
         tant Religieux qu'autres, ne permettant qu'il nous soit fait
         aucun empeschement en quelque manière & façon que ce soit.

241/1225 Que l'on nous donnera des vivres à suffisance pour nous
         repasser en France, en change[739] de peleteries, sans que par
         violence ou autre manière que ce soit, on empesche chacun en
         particulier d'emporter ce peu qui se treuvera[740] entre les
         soldats & compagnons de ces lieux.

[Note 739: L'original porte: «en eschange.»]

[Note 740: Dans l'original, on lit: «sy peu que l'on en a qui est.»]

         Que l'on usera envers nous de traitement le plus favorable
         qu'il se pourra, sans que l'on fasse aucune violence à qui que
         ce soit, tant aux Religieux & autres de nos compagnons, qu'à
         ceux qui sont en ces lieux, à ceux qui ont esté pris, entre
         lesquels est mon beau-frère Boullé, qui estoit pour commander à
         tous ceux de la barque partie d'icy, pour aller treuver passage
         pour repasser en France [741].

[Note 741: Cet article, en particulier, paraît avoir été revu et corrigé
par un autre que par Champlain; le voici comme il est dans l'original:
«Que l'on uzera de traittement le plus favorable qui se pourra sans que
l'on face de viollence à qui que ce soit comme religieux & autres de nos
compagnons tant de ceus qui sont en ces lieus que ceus qui ont esté pris
entre lesquels est mon beau frère boullay qui estoit pour commander à
tous ceus qui de la barque qui estoit partie d'ycy pour aller trouver
passage pour repasser en France.]

         Le vaisseau où nous devrons passer, nous sera remis trois jours
         après nostre arrivée à Tadoussac entre les mains, & d'icy nous
         sera donné une barque ou vaisseau[742] pour charger nos
         commoditez, pour aller audit Tadoussac prendre possession du
         vaisseau que ledit sieur Guer nous donnera, pour repasser en
         France prés de cent personnes que nous sommes, tant ceux qui
         ont esté pris, comme ceux qui sont de present en ces lieux.

[Note 742: «Nous sera donné barque ou vaisseau.»]

         Ce qu'estant accordé & signé d'une part & d'autre par ledit
         sieur Guer qui est à Tadoussac Général de l'armée Angloise &
242/1226 son Conseil, nous mettrons le fort, l'habitation, & maisons
         entre les mains dudit sieur Guer, ou autre qui aura pouvoir
         pour cet effect de luy. Signé, Champlain, & du Pont[743].»

[Note 743: «Lepont» dans l'original.]

         Ces choses ainsi resolues furent envoyées aux vaisseaux, où
         estoient lesdits Louis & Thomas Guer, qui virent ce que nous
         demandions, & après les avoir considerez ils se resolurent d'y
         faire response le plustost qu'ils pourroient, ce qu'ils firent
         comme il s'ensuit.

         «_Articles accorder aux sieurs de Champlain du Pont._

         Pour le fait de la Commission de sa Majesté de la grande
         Bretagne le Roy mon Maistre, je ne l'ay point icy, mais mon
         frere la fera voir quand ils feront à Tadoussac.

         J'ay tout pouvoir de traiter avec monsieur de Champlain, comme
         je vous le feray voir.

         Pour le fait de donner un vaisseau je ne le puis faire, mais
         vous vous pouvez asseurer du passage en Angleterre, &
         d'Angleterre en France, ce qui vous gardera de retomber entre
         les mains des Anglois, auquel danger pourriez tomber.

         Et pour le fait des Sauvagesses, je ne le puis accorder pour
         raisons que je vous feray sçavoir si j'ay l'honneur de vous
         voir, que pour le fait de sortir armes & bagages, & peleteries,
         j'accorde que ces messieurs[744] sortiront avec leurs armes,
243/1227 habits & peleteries à eux appartenans, & pour les soldats leurs
         habits chacun avec une robe de castor sans autre chose, & pour
         le fait des Peres ils se contenteront de leurs robes & livres.

[Note 744: Suivant le témoignage des copistes auxquels nous avons eu
recours, il y a dans l'original: «_que les Mres,_» c'est-à-dire, «que
les Maistres.»]

         Ce que nous promettons faire ratifier par mon frère Général
         pour la flotte pour sa Majesté de la grande Bretagne, signé L.
         Kertk[745], & plus bas Thomas Kertk, & plus bas est escrit.

         Les susdits articles[746] accordez avec les sieurs de Champlain
         & du Pont[747], tant par les freres Louis & Thomas Kertk[748],
         je les accepte & ratifie, & promets qu'ils seront effectuez de
         point en point, fait à Tadoussac ce 19 d'Aoust, Stil neuf 1629.
         signé David Kertk, avec un paraphe.»

[Note 745: «Louis Kertk» La copie que nous avons de l'original ne porte
point cette signature, mais seulement celle-ci: Tho. Kearke.]

[Note 746: Dans l'original, on lit: «Les suditz six articles.» Et ce qui
fait ici le troisième, y est désigné en deux articles séparés.]

[Note 747: «Dupont gravé,» dans l'original.]

[Note 748: L'original porte «Kearke.»]

         Ayant arresté les articles ils nous r'envoyerent la chalouppe,
         nous priant de la despescher au plustost, pour sçavoir si nous
         accepterions leurs articles, à quoy nous advisasmes, nous
         estant assemblez pour resoudre ce que l'on pourroit faire en
         ces extremitez, & ne pouvant pas mieux, nous resolusmes de
         prendre la composition. Le lendemain 20 dudit mois ils firent
         approcher leurs trois vaisseaux, sçavoir le Flibot de prés de
         cent tonneaux avec dix canons, & deux pataches du port de
         quarante tonneaux, chacune six canons, & quelques cent
         cinquante hommes, ayant mouillez l'ancre devant Québec, je fus
         treuver le Capitaine Louys, pour sçavoir ce qui l'avoit
244/1228 empesché de ne me permettre d'emmener mes deux petites filles
         Sauvagesses que j'avois depuis deux ans, ausquelles j'avois
         enseigné tout ce qui estoit de leur créance, & apris à
         travailler à l'aiguille, tant en linge qu'en tapisserie, en
         quoy elles travaillent fort proprement, estant au reste fort
         civilisées & portées d'un desir extresme de venir en France. Je
         fis tant avec ledit Capitaine Louis que je le relevay des
         doutes qu'il avoit, me permettant les emmener, ce que sçachant
         ces filles ils turent fort resjouies.

         Je demanday des soldats audit Louis Quer pour empescher que
         l'on ne ravageast rien en la Chapelle ny chez les Reverends
         Pères Jesuites, Recollets ny la maison de la veufve Heber & son
         gendre, ce qu'il fit, comme en quelques autres lieux où il en
         estoit de besoin, puis il fait descendre à terre environ 150.
         hommes armez, va prendre possession de l'habitation où estant
         demanda les clefs au Sous-commis Corneille, & à Olivier qui
         traittoit avec les Sauvages comme expérimenté aux langues des
         Montagnais & Algommequins, comme de celle des Hurons, comme
         fort propre à cela. Il s'acquitta de sa charge en homme de
         bien, car ledit du Pont, principal Commis, estoit au lict
         malade des gouttes, & ne pouvoit agir. Louys Quer ayant ces
         clefs les donne à un François appellé le Baillif natif d'Amiens
         qu'il avoit pris pour Commis, s'estant volontairement donné aux
         Anglois pour les servir & ayder à nous ruiner, comme perfide à
         son Roy & à sa patrie, avec trois autres que j'avois autrefois
         mené en nos voyages, il y avoit plus de quinze à seize' ans,
245/1229 entre autres l'un appelle Estienne Bruslé, de Champigny,
         truchement des Hurons, le second Nicolas Marsolet de Rouen,
         truchement des Montaignais, le troisiesme de Paris, appellé
         Pierre Raye, Charon de son mestier, l'un des plus perfides
         traistres & meschants qui fust en la bande. Ledit Baillif
         estoit venu autrefois en ces lieux avec ledit de Caën, qui
         l'avoit fait un de ses Commis, l'ayant chassé pour estre
         grandement vicieux. Cestuy-cy entre au magasin, se saisit de
         tout ce qui estoit dedans, & de trois mille cinq cens à quatre
         mille castors, qui appartenoient au sieur de Caen, comme de
         toutes les autres commoditez qui estoient en l'habitation pour
         servir à icelle.

         Louys Quer s'achemine au fort pour en prendre possession,
         voulant desloger de mon logis, jamais il ne le voulut permettre
         que je m'en allasse tout à fait hors de Québec, me rendant
         toutes les sortes de courtoisies qu'il pouvoit s'imaginer. Je
         luy demanday permission de faire célébrer la saincte Messe, ce
         qu'il accorda à nos Peres: Je le priay aussi de me donner un
         certificat de tout ce qui estoit tant au fort qu'à
         l'habitation, ce qu'il m'accorda avec toute sorte d'affection
         ainsi qu'il s'ensuit.

         «_J'ay Louys Kertk commandant de present au Fort de Québec en
         la Nouvelle France pour le Roy de la Grande Bretagne, mon
         Seigneur & Maistre, certifie à tous ceux qu'il appartiendra,
         que j'ay trouvé tant au Fort qu'à l'habitation ce qui s'ensuit,
         4 espoirs de fonte verte & une moyenne avec leurs boettes, 2
         breteuls de fer, de 800 livres chacun, 7 pierriers avec leur
         boiste double, 45 balles de fer pour les espoirs, & 6 balles
         pour lesdits breteuls, 40 livres de pouldre à canon, 30 livres
         de meche, 14 mousquets, un mousquet à Croc, 2 grandes
         arquebuses à rouet de 6 à 7 pieds, 2 autres à meche de mesme
         longueur, 10 hallebardes, 12 piques, 5 à 6 milliers de plomb
         50 corcelets sans brasarts, avec leurs bourguinotes, 2 armes de
246/1230 gensdarmes à l'espreuve du pistolet, deux petarts de fonte
         verte, une vieille tente de guerre & plusieurs ustancilles de
         mesnage & outils des ouvriers qui estoient en cedit lieu de
         Québec, ou commandait le sieur de Champlain en l'absence de
         Monsieur le Cardinal de Richelieu pour le service du Roy de
         France & de Navarre. Faict au Fort de Québec ce 21 de Juillet
         1629. signé Louys Kertk[749]._»

[Note 749: On peut comparer à ce certificat de Louis Kertk une pièce qui
a pour titre _Declaration du Sr Champlain soubs serment des armes,
munitions & autres utensiles laissées au fort de Kebeck lors de la
rendition, qui doyvent selon le Traicté estre restituées_ (State Paper
Office, Colonial Papers, vol. VI). Les deux documents sont d'accord pour
le fond; seulement Champlain donne le détail des outils et ustensiles:
«Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lbs. une forge de
Mareschal avec les appartenances. Toutes sortes de provisions pour la
Cuisine. Tous Outils pour un Charpentier. Tous outils de fer propres
pour un moulin à vent. Un moulin à bras pour moudre le bled, & une
Cloche de fonte.»]

         Ils se saisirent aussi de plusieurs commoditez appartenant aux
         Reverends Peres Jesuites & Recollets desquelles choses ne
         voulurent donner de mémoire, disant, s'il faut rendre (ce que
         je ne croy pas) il ne perdra rien, cela ne vaut pas la peine de
         l'escrire ny en faire recherche. Pour les vivres que nous
         trouvons il ne s'en gastera ny encre ny papier, dont nous n'en
         tommes pas faschez, vous aymant mieux assister des nostres.
         Nous vous en remercions bien fort, luy dis-je, il n'y a sinon
         que vous les faites payer bien chèrement sans pouvoir avoir
         moyen de les disputer.

         Le l'endemain[750] il fit planter l'enseigne Angloise sur un
         des bastions, fist battre la quesse, assembler ses soldats,
         qu'il met en ordre sur les ramparts, faisant tirer le canon des
         vaisseaux, & quelques 5 espoirs de fonte qui estoient au fort,
         & deux petits breteuls qui estoient à l'habitation, & quelques
247/1231 boites de fer, après il fit jouer toute l'escoupeterie de ses
         soldats, le tout en signe de resjouyssance.

[Note 750: Le 22 de juillet, qui était un dimanche. «Le dimanche matin,
dit Sagard, les Anglois poserent les armes d'Angleterre à l'habitation &
au fort avec le plus de solemnité qui leur fut possible, ayans au
préalable osté celles de France.» (Hist. du Canada, p. 997.)]

         Le jour suivant il fut à la maison des Peres Jesuites, lesquels
         luy monstrerent des livres & tableaux & quelques ornements
         d'Eglise, en luy offrant s'il vouloit quelques-uns de ces
         livres & tableaux. Il en prit ce qu'il voulut de ceux qui luy
         semblerent les plus beaux, comme trois à quatre tableaux, le
         Ministre Anglois eut aussi quelques livres qu'il demanda aux
         Peres, après veu la maison & tout le desert qui estoit fort
         beau, il fut veoir les Pères Recollets, de là s'en retourna à
         l'habitation.

         La nuict ensuivant ledit Baillif prit audit Sous-Commis
         Corneille cent livres en or & argent, avec une tasse d'argent,
         quelque bas de soye & autres bagatelles qui estoient dans sa
         caisse, ayant esté aussi soubçonné d'avoir pris dans la
         Chapelle un Calice d'argent doré valant 100 livres & plus, de
         laquelle chose l'on fit plainte audit Louys Quer qui en fit
         quelque perquisition, mais nul n'avoua ce sacrilege detestable
         devant Dieu & les hommes. Ce Baillif accoustumé à renier &
         blasphemer le nom de Dieu à tout propos en disoit assez pour se
         rendre innocent: mais comme il est sans foy ny loy, bien qu'il
         se dite Catholique comme sont les trois autres, qui ne se
         soucioient de manger de la chair ny Vendredy ny Samedy pour
         penser favoriser les Anglois, qui au contraire les en
         blasmoient, & faisoient plusieurs autres choses licentieuses &
         blasmables, je luy remonstrois assez les deffauts & les
         reproches qu'un jour il recevroit, desquelles choses il ne se
         soucioit pas beaucoup, pour l'esperance qu'il avoit de jamais
248/1232 ne retourner en France. Toutes les meschancetez qu'il pouvoit
         faire aux François il leur faisoit: On recevoit toute sorte de
         courtoisie des Anglois, mais de ce malheureux tout mal. Je le
         laisseray pour ce qu'il vaut, attendant qu'un jour Dieu le
         chastie de ses jurements, blasphemes & impietez.

         Depuis que les Anglois eurent pris possession de Québec, les
         jours me sembloient des mois, ce qui me donna subject de prier
         ledit Louys Quer me permettre m'en aller à Tadoussac, où
         j'attendrois le depart des vaisseaux, passant mon temps avec le
         Général qui y estoit, ce qu'il m'accorda, puis que ma volonté
         n'estoit de demeurer davantage. J'accommoday ledit Louys Quer
         de quelques commoditez d'emmeublement pour sa chambre qu'il me
         demanda: & pour le reste de mes commoditez, je les embarquay
         avec ledit Thomas Quer dans le Flibot avec mes deux petites
         Sauvagesses. Dupont demeura avec la pluspart de nos compagnons,
         comme firent aussi tous les Peres, attendant de s'en retourner
         au second voyage.

         Lesdits Anglois s'estant ainsi saisis du païs, la veufve Hébert
         & son gendre ne pensant pas moins qu'à s'en retourner, se
         saisissant de leurs maisons & de leurs terres qui estoient
         ensemencées, ayant apparence d'une très belle récolte, comme
         aussi les terres desdits Peres, ce qu'ils ne firent, au
         contraire luy offrant toute assistance, que s'il vouloit
         demeurer en sa maison qu'il le pouvoit faire aussi librement
         comme il avoit fait avec les François, luy permettant de faire
249/1233 cueillette de tous ses grains, en disposant comme il adviseroit
         bon estre, que pour le surplus de ce qui luy resteroit de ses
         grains, qu'il le pourroit traiter avec les sauvages, & l'année
         suivante au temps que les vaisseaux retourneroient s'il ne se
         treuvoit bien, il seroit en son option de demeurer ou s'en
         retourner, luy faisant valloir chaque castor marchand, quatre
         livres, qui luy seroient livrés à Londre. Tout cecy luy estoit
         grand advantage & plus qu'il ne pouvoit esperer: mais comme
         Louis Quer estoit courtois, tenant tousjours du naturel
         François, & d'aymer la nation, bien que fils d'un
         Escossois[751] qui s'estoit marié à Dieppe, il desiroit obliger
         en tant qu'il pouvoit ces familles & autres François à
         demeurer, aymant mieux leur conversation & entretien que celle
         des Anglois, à laquelle son humeur monstroit répugner.

[Note 751: Gervais Kertk. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI,
n. 15.--Voir Pièces justificatives, n. XVIII.)]

         Ces pauvres familles voyant la condition qu'on leur offroit de
         s'en retourner en France, après avoir employé quinze à seize
         ans de leur travail, pour tascher à s'oster de l'incommodité &
         necessité qu'ils souffriroient sans doute en France, & estans
         chargez de femmes & enfans[752], ils se verroient contrains de
250/1234 mandier leur pain, chose à la vérité bien rude & considerable à
         ceux qui se mettront en leur place. Ainsi se trouvoient-ils
         bien empeschez de ce qu'ils devoient faire, d'autant qu'ils se
         voyoient privez de l'exercice de la Religion, n'y ayant plus de
         Prestres: ils m'en demanderent mon advis plus par bienseance à
         mon opinion, que pour volonté qu'ils eussent à suivre ce que je
         leur eusse conseillé, néantmoins jugeant l'avantage que
         l'Anglois leur faisoit, & la liberté qu'il leur donnoit de s'en
         retourner en France, je pensay leur donner un conseil qui ne
         leur eust point esté ruineux, leur remonstrant que la chose la
         plus chatouilleuse & de grand poix estoit l'exercice de nostre
         Religion, qu'ils ne pouvoyent jamais esperer si les Anglois
         estoient tousjours en ces lieux, & par consequent privé de la
         Confession & des Saincts Sacrements qui pouvoient mettre leurs
         âmes en repos pour un jamais, si ils leur estoient administrez,
         ce qu'ils ne pouvoient esperer si les François ne reprenoient
         la possession de ces lieux, ce que je me promettois moyennant
         la grâce de Dieu, que pour cette année si j'estois en leur
         place je ferois la cueillette de mes grains, & en traitter le
251/1235 plus qu'il me seroit possible avec les Sauvages, & les
         vaisseaux François revenant prendre possession, leur donner sa
         pelleterie & en tirer l'argent qu'il leur avoit promis, & leur
         abandonner vos terres, puis vous en revenir en leurs vaisseaux,
         car il faut avoir plus de soin de l'âme que du corps, & ayant
         de l'argent en France vous pourrez vous tirer hors des
         necessitez. Ils me remercièrent du conseil que je leur donnay,
         qu'ils le suivroient, esperant néantmoins nous revoir la
         prochaine année avec l'aide de Dieu.

[Note 752: Que l'on rapproche ce que dit l'auteur en cet endroit, de ce
qu'il rapporte ci-dessus, p. 174, 202, 204-6; que l'on veuille bien
aussi se rappeler les observations que nous y avons faites sur les
familles auxquelles Champlain fait allusion dans ces différents
passages, et l'on demeurera convaincu qu'il resta à Québec avec les
Anglais beaucoup plus de personnes que ne prétend l'auteur de
_l'Histoire de la Colonie française en Canada_ «Il ne resta, dit-il,
d'autres français à Québec, que la famille de la veuve Hébert et celle
de Couillard son gendre, ainsi que deux individus que les Anglais
ramenèrent en Europe l'année suivante.» (Tome I, p. 249.) Le texte de
Champlain aurait dû suffire à lui seul pour engager l'auteur dont nous
parlons à ne point hasarder un pareil avancé. Ici en particulier, il est
fait mention de _plusieurs_ familles «chargées de femmes et enfants»;
par conséquent, outre celle de Couillard, il y en avait au moins une
autre qui était pareillement chargée d'enfants. Or ce n'était point
celle de Madame Hébert. Donc la famille d'Abraham Martin était du nombre
de celles auxquelles Champlain conseilla de rester avec les Anglais en
attendant mieux. C'est ce que prouvent du reste plusieurs documents,
entre autres les Registres de Notre-Dame de Québec. Mais il y a plus:
outre ces trois familles, qui renfermaient quinze personnes, il y en
avait encore au moins deux autres. D'abord, Pierre Des Portes était à
Québec en 1629, puisque sa femme, Françoise Langlois, fut marraine de
Louis Couillard le 18 mai de cette même année; et il avait avec lui sa
fille Hélène, qu'il maria quelques années plus tard à Guillaume Hébert,
et qui était née à Québec (Traict de mariage de Noël Morin & d'Hél.
Desportes, greffe de Piraube). Enfin, Nicolas Pivert, revenu en 1628 du
cap Tourmente, avec sa femme Marguerite Le Sage et sa petite nièce
(ci-dessus, p. 171, note 3), ne pouvaient pas être retournés en France,
puisqu'il n'était point venu de vaisseaux. Ces cinq familles réunies,
sans compter les domestiques qu'elles pouvaient avoir, faisaient en tout
vingt-et-une personnes. Il resta donc avec les Anglais au moins le quart
de la population française, et encore faut-il remarquer que c'était la
partie stable, et comme le germe fécond des meilleure familles qui se
soient développées en Canada.]



         _Combat des François avec les Anglais. L'autheur est pris en
         combattant. On le fait parler au sieur Emery. Voyage des
         François à Tadoussac. Le beau-frere de l'Autheur luy compte son
         voyage. Emery taschoit regaigner Québec._

                              CHAPITRE IV.

         LE 24 dudit mois[753] nous levasmes les ancres & mismes à la
         voile, ce jour fusmes mouiller l'ancre au bord de l'Est
         Nordouest de l'isle d'Orléans, le l'endemain mismes sous voile
         & le travers de la Malle-baye, 25 lieues de Québec l'on
         aperceut un vaisseau du costé du Nort qui mettoit soubs voille,
         lequel taschoit d'aller vers l'eau pour gaigner le vent & faire
         retraitte s'il pouvoit, il fut trouvé appartenir audit sieur de
         Caën, où son cousin[754] Emery commandoit, qui venoit à Québec
         pour prendre les castors qui y estoient, & traiter quelque
252/1236 marchandise qu'il avoit, & autres commoditez à luy appartenant,
         d'autant que l'Anglois sçavoit qu'il estoit en la riviere,
         comme il sera dit cy-aprés.

[Note 753: Le 24 juillet.]

[Note 754: Plus haut, p. 10 et 83, il est appelé son neveu.]

         Ledit Thomas commanda d'approcher le plus prés que l'on
         pourroit du vaisseau dudit Emery pour le saluer de quelques
         canonades[755] qui luy furent aussi tost respondus par autres
         coups de meilleure amonition, s'entretirent quelque temps
         environ 30 coups, l'un qui fut tiré du vaisseau dudit Emery
         emporta la teste d'un des bons mariniers dudit Thomas Quer,
         Emery fist quelque bordées pour tascher de gaigner le vent pour
         se sauver, mais Thomas desirant en venir aux mains & l'aborder,
         Thomas me dist; Monsieur vous sçavez l'ordre de la mer, qui ne
         permet à ceux d'un contraire party estre libre sur le Tillac,
         c'est pourquoy vous ne treuverez estrange que vous & vos
         compagnons descendiez sous le Tillac, où estant fist fermer les
         paneaux & les clouer sur nous, faisant mettre ses matelots &
         soldats en ordre pour combattre à l'abordage qui fut faite
         assez mal à propos, entre le mas de Van[756] & le beau Pré
         dudit vaisseau d'Emery, lequel de son costé faisoit son devoir
         de se tenir prest pour se deffendre à l'abordage: chacun fait
         ce qu'il peut pour vaincre & terracer son ennemy: ce fut alors
         qu'on vint aux coups de pierre & balles de canon, & autres
         choses qu'ils pouvoient attrapper se jettant d'un bord à
253/1237 l'autre, car les uns ny les autres ne pouvoient entrer dedans
         leurs vaisseaux que par le beaupré du vaisseau du dit Thomas
         Quer, à cause que le vaisseau (comme j'ay dit) avoit abordé
         debout, & une pate de l'ancre de celuy de Thomas Quer s'estoit
         attachée & cramponnée au vaisseau d'Emery, ensorte qu'ils ne se
         pouvoient desaborder: & un homme armé d'un bord à autre pouvoit
         facillement empescher d'entrer: ce pendant que les gens de
         Thomas Quer estoient ainsi mal menez, une partie se jetta au
         fond du vaisseau que ledit Capitaine faisoit monter à coups de
         plat d'espée, mais c'est une mauvaise chose quand la peur
         saisit les courages, le Chef mesme ne sçavoit pas bien où il en
         estoit, car peu l'accompagnoient au combat, il y eust quelque
         rumeur en ce combat dans le vaisseau d'Emery de Caen, qui par
         un courage lasche cria assez hautement _Cartier, Cartier_, ce
         qui fut entendu par Thomas Quer, qui aussi tost ne voulut
         perdre temps, & releva cette parolle, leur promettant toute
         courtoisie, autant dit il, qu'au sieur de Champlain que nous
         avons icy, & prenez garde de conserver vos vies. Pendant tout
         ce combat les deux pataches approchoient qui eussent malmené
         ledit Emery, qui ne pouvoit se desaborder, voyant
         l'inconvenient qu'il pouvoit encourir, ayant des gens en son
         bord qui n'avoient envie de bien faire, il demanda à me voir:
         pendant ce temps le combat cessa d'une part & d'autre, & vint
         on aussi tost avec une pinse à ouvrir les paneaux, l'on
         m'enleve promptement pour aller parler audit Emery de Caen:
254/1238 ledit Thomas Quer qui à son visage & contenance tesmoignoit
         n'estre pas bien en seureté de sa personne, & disoit, Asseurez
         vous (me dit il) que si l'on tire du vaisseau que vous mourrez,
         dites leur qu'ils se rendent, je leur feray pareil traitement
         qu'à vostre personne, autrement ils ne peuvent éviter leurs
         ruyne, si les deux pataches arrivent plustost que la
         composition soit faite: Je luy dis, Monsieur de me faire mourir
         en l'estat que je fuis, il vous seroit très facile estant en
         vostre puissance, vous n'y auriez pas d'honneur, en dérogeant à
         ce que m'avez promis, & vostre frère le Capitaine Louys Quer
         aussi, de plus je ne puis commander à ces personnes là, & ne
         peux empescher qu'ils ne fassent leur devoir, en se maintenant
         & défendant comme gens de bien, vous les devez louer plustost
         que les blasmer, vous sçavez qui a un prisonnier l'on luy fait
         dire ce que l'on veut, & par consequent ledit Emery ne doit
         s'arrester à ce que je luy pourrois persuader: Je vous prie
         donc, dit-il, de les asseurer dire aux qu'ils auront toute
         sorte de bon traitement s'ils se veulent rendre, ce que je fis,
         parlant audit Emery de Caen qui estoit sur le bord de son
         vaisseau, lequel demanda de rechef parole dudit Thomas Quer,
         qui promet leur faire la mesme composition qu'il m'avoit faite:
         Ils mettent les armes bas, les deux pataches arrivent aussi
         tost, ausquelles ledit Thomas Quer fait defences d'offencer les
         nostres, qui sans doute les eussent ruynez, & sans icelles le
         vaisseau Anglois eust esté enlevé: ledit Emery ayant
         l'advantage, se rendant maistre du vaisseau Anglois avec le
         sien, moy & autres François qui estoyent dedans, les Anglois
255/1239 eussent apporté du renfort, & desmeslant les vaisseaux du
         grapin qui y tenoit, l'on eust peu prendre leurs deux pataches.
         L'accord fait tant d'un costé que d'autre, Lepinay[757]
         Lieutenant dudit Emery de Caen, entra dans le vaisseau, & après
         ledit Emery, qui vinrent faire la reverence à Thomas Quer,
         ledit de Caen me dit, qu'il venoit pour me secourir, que son
         cousin[758] de Caen luy avoit donné lettre pour m'apporter, par
         laquelle il mandoit qu'il m'envoyoit des vivres pour trois
         mois, attendant plus grand secours du sieur Chevallier de
         Rasilly qui devoit arriver en bref, neantmoins il croyoit que
         la paix estoit faite entre la France & l'Angleterre.

[Note 755: Ce récit de Champlain, qui était témoin oculaire peut servir
à rectifier la déposition que fit, devant le juge Henry Martin, le
général David Kertk (Pièces justificatives, n. XVIII), Ce dernier était
à Tadoussac pendant que le combat se livrait, vers la Malbaie, entre son
frère Thomas et le sieur Émeric de Caen.]

[Note 756: Mât d'avant ou de misaine.]

[Note 757: Jacques Cognard (ou Couillard), sieur de l'Espinay. (_State
Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI.)]

[Note 758: _Conf_. ci-dessus, p. 10, 83 et 247.]

         L'exécution faite, nous nous en allasmes à la rade à Tadoussac
         treuver le Général Kertk, où ledit Emery auparavant avoit pensé
         aller, perdre[759] par une disgrace qui luy survint le travers
         de Tadoussac, comme il sera dit en son lieu, estans arrivez à
         la rade du moulin Baudé, où estoient encore les Anglois, ledit
         Général nous fit bonne réception, bien aise de ceste prise:
         aussi y vismes nous ce bon traistre & rebelle Jacques Michel,
         qui avoit conduit les Anglois dés la première & seconde fois:
         il estoit Contre-Admiral de cette flotte, composée de cinq
         grands vaisseaux de trois à quatre cens tonneaux, tres bien
         amunitionnez de canons, poudres, balles, & artifices à feu: à
         la vérité, hors les Officiers, le reste n'estoit pas grande
         chose, il y avoit en chacun prés de six vingts hommes, aussi
256/1240 j'y vis mon beau-frere Boulé, qui avoit esté pris depuis qu'il
         estoit party de Québec, lequel me fit le discours de ce qui se
         passa en son voyage depuis son département, qui fut tel qui
         s'ensuit.

[Note 759: S'aller perdre.]

         Il me dit que partant de Québec avec les incommoditez qu'ils
         avoient receues allant à Gaspey, ils rencontrèrent Emery,
         estant fort resjouis d'une si heureuse rencontre, il leur donna
         de quoy se rafraischir luy ayant dit que son cousin de Caen
         l'envoyoit tant pour quérir les castors, qu'autres commoditez
         s'il en restoit & apporter au Fort des vivres pour trois mois,
         attendant le secours de Monsieur de Rasilly qui estoit prest à
         faire voile, quand il partit de la Rochelle, & que sans
         l'arrest que Joubert luy fit de la part de la compagnie, il
         eust arrivé un mois plustost à Québec, & n'avoit peu faire
         autrement pour le mauvais temps qui l'avoit contrarié à la mer,
         qui le contraignit relascher à la Rochelle, pour faire quelque
         radoub en son vaisseau qui estoit du port de 70 tonneaux:
         croyant que la paix esstoit faite entre l'Angleterre & la
         France, d'autant qu'il avoit veu quelque lettres entre les
         mains de monsieur de la Tuillerie à la Rochelle, où on
         l'asseuroit d'icelle, mesme que l'on ne donnoit plus de congé
         pour faire la guerre à l'Anglois: joint aussi que le Capitaine
         Daniel venoit en la Compagnie du sieur Chevallier de Rasilly,
         Joubert devoit venir devant & quelques deux autres barques,
         l'une appartenant aux Peres Jesuites, ou estoient les Reverends
         PP. Allemand & Noyrot[760], qui venoient pour secourir leurs
257/1241 Peres à Québec, croyant que ces vaisseaux pourroient estre dans
         la riviere, s'ils avoient vent favorable, ledit Emery de Caen
         demanda s'il ne sçavoit point qu'il y fut entré des vaisseaux
         dans la riviere, il luy dit que non, ce qui donna courage audit
         Emery, pensant arriver des premiers à Québec, pour emporter
         promptement ses peleteries, & traiter quelque peu de
         marchandises & vivres qu'il avoit, premier que ledit Daniel &
         Joubert arrivassent, il prit les cinq cens castors qui estoient
         en la barque qu'il mit en la sienne.

[Note 760: Les PP. Charles Lalemant et Philibert Noirot.]

         Après tous ces discours passez, & que je luy eu representé la
         necessité en laquelle nous avions esté laissez, il se délibère
         de monter au plustost: moy fort resjouy desirant estre des
         premiers à vous donner ce bon advis de ce secours si favorable
         en une telle necessité, je dis audit Emery qu'il estoit à
         propos que j'allasse devant avec la chalouppe, pour afin que
         s'il y avoit du calme, au moins qu'il nous donneroit ce
         contentement que de nous apporter les nouvelles, que pour cet
         effect il luy demanda de changer son esquippage de matelots
         pour faire diligence, d'autant que les siens estoient foibles &
         débiles, qu'ils ne pourroient nager comme les tiens qui
         estoient frais, & aussi donner quelque baril de poudre pour
         nous secourir, ce qu'il refusa, disant, qu'il ne desiroit se
         defaire de ses hommes ny de sa poudre, leur donnant seulement
         un peu de biscuit: que pour la petite barque où il estoit allé,
         il l'avoit laissée à gouverner & commander à Desdames, lequel
         devoit suivre ledit Emery de Caen: Je partis tout ainsi, avec
258/1242 la chalouppe & mes matelots harassez de necessité & travail: le
         desir que nous avions de vous donner des nouvelles, nous
         donnoit de tant plus de courage. Au bout de quatre ou cinq
         jours après avoir quitté ledit Emery, nous apperceusmes quelque
         vaisseau vers l'eau, desirant l'aller recognoistre, pensant que
         ce fut celuy dudit Daniel, selon que l'on nous l'avoit
         representé, mais comme nous eusmes recogneu que ce n'estoit
         point luy, ains un vaisseau Anglois, nous resolusmes de gagner
         la terre, pour nous sauver, le vaisseau Anglois (où estoit
         ledit Thomas Quer) appercevant que nous faisions retraite nous
         tire un coup de canon, & aussi tost esquippe une autre
         chalouppe avec double esquippage, pour lasser les nostres qui
         faisoient ce qu'ils pouvoient pour se sauver: en ceste occasion
         l'esquippage frais dudit Emery eust peu servir, nos matelots
         n'en pouvant plus, pour estre foibles & débiles du travail:
         nous fusmes attaints par les Anglois qui nous pillèrent &
         ravagerent tout ce que nous avions, on nous emmene audit Thomas
         Quer qui nous reçoit assez courtoisement, il me mena à son
         frère le Général, qui me fait très bonne réception & nous mena
         à Tadoussac avec luy, le luy fis entendre comme ledit Emery de
         Caen luy avoit[761] dit asseurement que la paix estoit faite,
         l'ayant sceu de personnes dignes de foy au partir de la
         Rochelle. A il les articles, me dit le général, Non, Ce sont
         contes faits à plaisir, il s'informe de l'estat auquel vous
         estiez à Québec, je luy en disois bien plus qu'il n'y en avoit
         ce qu'ils pouvoient croire, mais quelques matelots pris luy
259/1243 disoient que vous estiez bien mal si n'aviez du secours, les
         Sauvages qui croyoient qu'à ce changement tout leur seroit
         donné de la part des Anglois, luy dirent le miserable estat
         auquel vous estiez réduits. Nous arrivons au moulin Baudé où
         ils mouillent l'ancre, & aussi tost ils arment le Flibot & deux
         pataches, pour promptement faire monter à Québec, ils avoient
         avec eux des hommes Anglois, qui avoient esté l'année
         précédente au Cap de Tourmente quand il fut bruslé. Les
         Sauvages de Tadoussac s'offrant de les conduire, leur disant,
         qu'ils sçavoient mieux le chemin que les François, à la verité
         qu'ils ne mentent pas, car il n'y a endroits ny roches qu'ils
         ne cognoissent par expérience, que nous n'avons si exacte,
         neantmoins ils ne laisserent d'emmener de nos matelots, puisque
         la fortune leur avoit esté si favorable, leurs affaires ayant
         esté preveues dés l'Angleterre par le Conseil, que ledit
         Jacques Michel leur avoit donné, qui ne se pouvant asseurer
         avoir en leur puissance des matelots qui estoient en la
         chalouppe qui prirent par cas fortuit: mais l'occasion se
         presenta de laquelle ils se servirent, pour ayder à conduire
         leur Flibot & patache. C'est une disgression que je faits sur
         ce que aucuns ne pensent reparer leur faute, quand les choses
         ne réussissent à leur souhait, & faut tousjours qu'il y aye un
         si, ce qui n'estoit point en ceste affaire: sur ce qu'aucuns
         ont dit, que si l'Anglois n'eust pris la chalouppe il n'eust
         monté à Québec si promptement qu'ils firent: ce sont contes
         faits à plaisir à des personnes qui ne sçavent comme ceste
260/1244 affaire s'est passée, & ne sçavent comment couvrir leur faute,
         sinon en blasmant autruy, chose de mauvaise grâce, car ils
         avoient emmené le Flibot & les deux pataches, avec les hommes
         qui avoient esté audit Cap de Tourmente, comme j'ay dit cy
         dessus, à dessein qu'aussi tost arrivez au moulin Baudé de les
         faire monter à Québec, craignant que si leur eust fallu monter
         des barques à Tadoussac, que pendant ce travail une moyenne
         barque eut passé & donné secours à l'habitation, leur dessein
         par ce moyen rompu: & quand mesme, comme dit est, qu'ils
         n'eurent eu que des Sauvages du païs pour pilotes, qui eussent
         aussi bien pilotez comme ils l'avoient fait dés l'année passée
         audit Cap de Tourmente, avec la plus grande barque que nous
         eussions à Tadoussac.

[Note 761: M'avoit.]

         Revenons audit Emery, lequel après que Boullé fut party avec sa
         chalouppe, il leve l'ancre & met sous voiles pour gagner Québec
         au plustost, sans sçavoir aucunes nouvelles de l'Anglois,
         celles que luy dirent lesdits Desdames & Foucher, qui estoient
         en la petite barque de Boullé qu'ils avoient veu un canau, où
         il y avoit des Sauvages avec de la marchandise Angloise, qu'ils
         avoient traitez avec eux, c'est ce que dit ledit Desdames, que
         de cet advis ledit Emery n'en fait conte, neantmoins cela luy
         devoit faire penser & s'asseurer mieux qu'il ne fit, pour la
         consideration de son vaisseau, & ne tomber aux accidens comme
         il fit, car estant sur le travers de Leschemin[762] il fut pris
         d'un temps de brune que l'on voyoit fort peu, il passa devant
261/1245 les Anglois, qui estoient à la Ralde du moullin Baudé, à la
         portée presque du canon, sans estre apperceus d'une part ny
         d'autre: pensant doubler la pointe aux allouettes, ils
         eschouent sur l'islet rouge[763] comme le travers de Tadoussac
         où se voyant pensant estre perdus ils font une piperie pour se
         sauver à terre, voicy que la brune s'abaisse où ils virent les
         Anglois, font tirer quelques coups de canons, pour leur
         demander secours, & les aller sauver du naufrage où ils
         pensoient se voir, ledit Jacques Michel dit au Général, envoyez
         secourir ce vaisseau qui s'en va perdre, ou pour le moins les
         hommes, ils tirent leur canon pour vous en advertir, vous en
         aurez bon marché, le Général n'en voulut rien faire, disant, il
         les faut laisser, & attendre un peu ils ne nous pourrons fuir,
         Ils sont bien despourveus de consideration de venir passer à
         nostre veue, ayant vaisseaux devant & derrière eux: sans la
         brune il n'eut esté si avant, & ainsi le laissa là, & donna
         grande faute audit Quer de n'y envoyer des chalouppes aussi
         tost qu'ils ouyrent tirer leur canon, & n'eurent perdu trois de
         leurs hommes, comme ils firent depuis en se battant avec ledit
         Emery, la marée commençant à monter sous le vaisseau fit que
         peu à peu il vint à flotter sans estre que fort peu endommagé,
         ils prennent courage & se r'enbarquent, lainent leur piperie,
         se mettent vers l'eau, vont mouiller l'ancre au prés du Chafaut
         au Basque, deux lieues de Tadoussac, où ils furent quelque
         temps: ils virent une chalouppe Angloise qui venoit de Québec,
         & alloit treuver le Général pour luy porter nouvelle de la
262/1246 prise du fort, sur laquelle ledit Emery fit tirer un coup de
         canon: voulant mouiller l'ancre le pert[764] met à la voile, &
         va mouiller proche de la Malle baye, où il vint quelques canaux
         de Sauvages qui luy dirent que Québec estoit rendu, ce qu'il ne
         voulust croire, & pour ce sujet envoya un canau de Sauvages
         avec deux François pour en sçavoir la vérité, (qui n'estoit que
         trop vray,) qu'ils eussent à faire le plus de diligence qu'ils
         pourroient, ils leur falloit faire vingt lieues, & autant pour
         le retour, c'estoit perdre un grand temps, ayant peu éviter la
         prise des Anglois. Ces deux hommes promirent faire ce qu'ils
         pourroient, l'un appellé le Cocq Charpentier, & l'autre
         Froidemouche, qui avoient esté en la barque de Boullé: ces deux
         personnages estoient ignorans & mal propres à telles affaires,
         veu que les plus discrets n'y sont pas trop bons. Ces deux
         advanturiers se mettent en chemin, vont au Cap de Tourmente,
         s'amusent à chasser (c'estoit bien le temps) la nuict arrivez à
         Québec ils ne voyoient point les vaisseaux Anglois, qui
         estoient desja partis pour retourner à Tadoussac, ils
         s'approchent des cabanes des sauvages, qui leur dirent que les
         Anglois estoient au fort & à l'habitation: les vaisseaux
         partis, & qu'ils estoient dedans. Toutes ces nouvelles
         suffisoient pour s'en retourner promptement treuver ledit
263/1247 Emery, & quelque diligence qu'ils eussent fait, ils eussent
         treuvé le vaisseau pris des Anglois, mais au contraire ils vont
         passer contre le fort, entendent les sentinelles de l'ennemy,
         ils ne se contentent de se retirer, ils vont à la maison de la
         veufve Hébert ou de son gendre, les voyant leur demandent ce
         qu'ils estoient venu faire. Nous venons, dirent ils de la part
         du sieur Emery voir si l'habitation estoit prise: hélas, leur
         dirent ils, que vous estes simples & peu advisez, ne le voyez
         vous pas bien, falloit il venir icy pour vous faire prendre,
         que dira-on, sçachant par les Sauvages que vous estes venus
         icy, & que je ne le dise, il y va de ma vie & de toute la ruyne
         de ma famille, il faut que par necessité si je me veux
         conserver, je dise que vous estes venus pour voir si le sieur
         de Champlain estoit icy, & comme tout alloit: allons treuver le
         Capitaine Louis, il est galand homme, il ne vous fera point de
         tort, ce qu'ils firent, lequel leur usa de quelques paroles &
         menaces fascheuses, les retenans pour les faire travailler.

[Note 762: L'Escoumin, ou les Escoumins.]

[Note 763: L'île Rouge.]

[Note 764: Le texte est ici conforme à celui de l'édition originale. Il
paraît bien évident que l'imprimeur n'a pas compris le manuscrit de
l'auteur. Voici la version qui nous paraît la plus vraisemblable:
«Voulant mouiller l'ancre autre part, met à la voile & va mouiller
proche de la Malle baye.» Le mot autre était peut-être en abréviation
dans la copie. Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver à ce passage un
autre sens plus raisonnable. Émeric de Caen était déjà mouillé auprès du
Chafaut au Basque; mais il ne pouvait rester là à la vue de l'ennemi,
surtout après avoir ainsi salué la chaloupe anglaise: il fallait donc
aller mouiller ailleurs.]

         Cependant la petite barque où estoit Desdames suivoit ledit
         Emery de Caën, mais ils s'arresterent à une petite riviere pour
         prendre de l'eau, où ils furent deux jours à cause du mauvais
         temps. Sortant de là ils furent jusques au Bic, quinze lieues
         de Tadoussac, sçachant au vray par les Sauvages la prise de
         Québec, & que ledit de Caen ne pouvoit éviter qu'il ne fust
         pris pour s'estre trop hasardé, ils ne furent point incrédules,
         ils se délibérèrent de s'en retourner chercher passage le long
         des costes, où estant vers Gaspey rencontrèrent Joubert avec sa
264/1248 barque qui nous venoit secourir, mais trop tard, & leur dist,
         qu'il avoit esté poursuivy des Anglois proche de Miscou, il
         leur dist aussi que le Capitaine Daniel estoit party pour mesme
         effect, & une autre barque pour les Peres Jesuites, où estoient
         les Reverends Pères l'Alleman & Norot.

         Il s'embarque avec ledit Joubert, & s'en retourne en France
         sans faire plus grands progrez, sinon que s'aller perdre à la
         coste de Bretagne prés Benodet proche de Quinpercorentin, qui
         pensant au commencement que ce fussent quelques pirates, furent
         détenus jusques à ce qu'ils sceurent la vérité, & là ledit
         Joubert despendit plus qu'il n'avoit sauvé de son naufrage.

         Voicy un defaut en ce voyage, de ne partir suivant l'ordre qui
         avoit esté donné par les sieurs Directeurs de Paris, de partir
         de droitte route de Dieppe pour la Nouvelle France. Au lieu de
         ce faire, les vaisseaux vont attendre le sieur Chevalier de
         Rasilly, & ainsi laisserent perdre la saison, que s'ils fussent
         partis au 15 ou à la fin de Mars, & que ledit Capitaine Daniel
         partant de bonne heure, comme dit est, il fust arrivé à Québec
         le 20 ou à la fin de May pour le plus tard, prés de deux mois
         premier que les Anglois, en nous secourant ils eussent jouy des
         traites, ce qui ne fut effectué pour le retardement.

         Les Directeurs de Bordeaux manquèrent aussi, & empescherent les
         pataches de partir si promptement qu'elles eussent peu faire, &
         ledit sieur Chevalier de Rasilly n'eust laisse d'aller
         combattre les Anglois, que si cela eust esté, l'ennemy eust
265/1249 esté vaincu, & l'habitation recouverte. Mais le traitté de paix
         qui se fist entre le Roy de France & le Roy d'Angleterre
         empescha d'effectuer la commission qu'il avoit, qui fut changée
         pour le voyage de Maroc où il fut, qui ne servit pas beaucoup,
         & par ainsi ceste Société receut de grandes pertes en la
         despense qu'ils firent encore ceste année, pensant que les
         vaisseaux du Roy devoient faire le voyage, sur les nouvelles
         certaines que l'on avoit que les Anglois estoient partis de
         Londres pour aller prendre Québec. Voylà les effects de ces
         voyages, autant malheureux que mal entrepris.

         Retournons à ce que nous fismes estant au moulin Baudé, dans
         les vaisseaux de Quer, deux ou trois jours après nostre
         arrivée, qui fut environ le premier d'Aoust, nous entrasmes
         dans le port de Tadoussac, où aussitost le Général fit charger
         le Flibot pour faire porter ce qui estoit de commoditez à
         Québec, fit monter[765] une barque à Tadoussac de quelques 25
         tonneaux qu'il avoit portée en fagots, où je vy Estienne Bruslé
         truchement des Hurons, qui s'estoient mis au service de
         l'Anglois, & Marsolet, ausquels je fis une remonstrance
         touchant leur infidélité, tant envers le Roy qu'à leur patrie,
         ils me dirent qu'ils avoient esté pris par force, c'est ce qui
         n'est pas croyable, car en ces choses prendre un homme par
         force ce seroit plustost esperer deservice qu'une fidélité,
         leur disant, Vous dites qu'il vous ont donné à chacun cent
         pistoles & quelque pratique, & leur ayant ainsi promis toute
266/1250 fidélité vous demeurez sans religion, mangeant chair Vendredy &
         Samedy, vous licentiant en des desbauches & libertinages
         desordonnées, souvenez-vous que Dieu vous punira si vous ne
         vous amendez, il n'y a parent ny amy qui ne vous dise le mesme,
         ce sont ceux qui accourront plustost à faire faire vostre
         procez: que si vous sçaviez que ce que vous faites est
         desagreable à Dieu & au monde, vous auriez horreur de vous
         mesme, encore vous qui avez esté eslevez petits garçons[766] en
         ces lieux, vendant maintenant ceux qui vous ont mis le pain à
         la main: pensez vous estre prisez de cette nation? non,
         asseurez vous, car ils ne s'en servent que pour la necessité,
         en veillant tousjours sur vos actions, sçachant que quand un
         autre vous offrira plus d'argent qu'ils ne font, vous les
         vendriez encore plustost que vostre nation, & ayant
         cognoissance du païs ils vous chasseront, car on se sert des
         perfides pour un temps, vous perdez vostre honneur, on vous
         monstrera au doigt de toutes parts, en quelque lieu que vous
         soyez: disant, Voilà ceux qui ont trahy leur Roy & vendu leur
         patrie, & vaudroit mieux pour vous mourir que vivre de la façon
         au monde, car quelque chose qui arrive vous aurez tousjours un
         ver qui vous rongera la conscience, & en suitte plusieurs
267/1251 autres discours à ce sujet: Ils me disoient, Nous sçavons très
         bien que si l'on nous tenoit en France qu'on nous pendroit,
         nous sommes bien faschez de cela, mais la chose est faite, il
         faut boire le calice puisque nous y tommes, & nous resoudre de
         jamais ne retourner en France: l'on ne laissera pas de vivre, ô
         pauvres excusez, que si on vous attrappe vous qui estes sujets
         à voyager, vous courez fortune d'estre pris & chastiez.

[Note 765: C'est-à-dire, assembler les pièces d'une barque qu'il avait
apportée en fagots, ou démontée.]

[Note 766: S'il fallait prendre cette expression à la lettre, Marsolet
et Brûlé seraient venus en Canada dès 1603; puisque, d'après les
Registres de N.-D. de Québec, Marsolet, en 1603, était déjà âgé de seize
ans; et Étienne Brûlé paraît avoir été à peu près du même âge. Mais il
semble qu'il faut tenir compte de l'indignation que soulevait dans
l'esprit de l'auteur la mauvaise conduite de ces deux interprètes;
surtout si l'on se rappelle ce qu'il dit ci-dessus, p. 244-5; qu'ils
étaient venus avec lui il y avait plus de quinze à seize ans,
c'est-à-dire, quelques années avant 1613. En prenant un moyen terme
entre ces deux données, qui ne sont évidemment qu'approximatives, on
peut affirmer avec assez de vraisemblance, que Marsolet et Brûlé étaient
déjà employés, dès l'âge de 18 à 20 ans, dans les voyages de traite et
de découverte à l'époque de la fondation de Québec, c'est-à-dire, vers
1608.]

         Je vis Louis le Sauvage[767] que les peres jesuistes avoient
         tant pris de peine à instruire, & qui commençoit à ce licentier
         en la vie des Anglois, bien qu'il disoit avoir une grande
         obligation ausdits Peres de ce qu'il sçavoit, estant en son
         coeur bon Catholique, & qu'un jour il esperoit le tesmoigner
         aux François si jamais ils revenoient en ces lieux: les Anglois
         le r'envoyerent en son païs avec son père qui le vint voir, &
         ceux de sa nation qui en furent fort resjouis, ausquels il fit
         de grands discours de ce qu'il avoit veu tant en France qu'en
         Angleterre, Bruslé truchement fut avec luy aux Hurons.

[Note 767: Louis Amantacha, surnommé de Sainte-Foi, qu'il ne faut pas
confondre avec celui dont il est fait mention ci-dessus, p. 137. Ce
dernier, qui était fils de Choumin, était montagnais, et avait été
instruit par les Pères Récollets; tandis que celui dont parle ici
l'auteur était huron, et avait été, comme le remarque Champlain,
instruit par les Pères Jésuites. Le jeune Amantacha fut envoyé en France
dès 1626. «Voicy un petit Huron, dit le P. Charles Lalemant (Relat.
1626, p. 9), qui s'en va vous voir. Il est passionné de voir la France.
Il nous affectionne grandement, & fait paroistre un grand desir d'estre
instruict. Neantmoins le père & le capitaine veulent le revoir l'an
prochain, nous asseurant que s'il en est content, il le nous donnera
pour quelques années.» Plus tard, en 1633, Amantacha descendit à Québec,
et vint voir les Pères Jésuites. Le P. le Jeune l'invita à penser un peu
à sa conscience; ce qu'il fit de fort bon coeur, et depuis il ne cessa
d'être l'un des meilleurs soutiens des missionnaires. (Relat. des Jés.)]



268/1252 _Voyage de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur
         de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de
         l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur
         d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites
         en la Foy._

                               CHAPITRE V.

         Le Général Quer se delibere d'aller voir Québec dans une
         chalouppe qu'il fait esquipper, & emmena Jacques Michel &
         quelques autres siens Capitaines de ses vaisseaux, & mon
         beau-frère: pendant son absence nous passasmes le temps le
         mieux qu'il nous fut possible, attendant son retour. Pour ce
         qui estoit des Sauvages les uns monstroient estre resjouis de
         ce changement, les autres non, selon la diversité des humeurs
         qui croyent souvent que les choses nouvelles apportent plus
         grand bien, c'est où maintes fois le monde se trompe: comme ces
         peuples pensoient recevoir plus de courtoisie de ces nouveaux
         Etrangers que de nous, ils treuverent en peu de temps toutes
         autres choses qui ne s'estoient imaginez, nous regrettans.

         Le Général fut quelque dix à douze tours à son voyage, à son
         retour fut salué de quelques canonades, me disant qu'il estoit
         content de ce qu'il avoit veu, que si cela leur demeuroit ils
         feroient bien d'autres fruicts que ce qu'on y avoit fait, tant
         aux peuplades qu'aux bastiments & commerces de ce qui se
         pourroit faire dans le païs, par le travail & induftrie de ceux
         que l'on y envoyeroit.

269/1253 Quelques jours après son arrivée il festoya tous ses
         Capitaines, pour cet effect il fit dresser une tante à terre
         environnée de verdures, sur la fin du disner il me donna à lire
         une lettre qui luy avoit esté envoyée de Québec, escrite de
         Marsolet truchement, (mescognoissant des biens qu'il avoit
         receus des societez Françoises) ou il y avoit escrit ce qui
         s'ensuit.

         «Monsieur, depuis nostre arrivée[768] à Québec un canau de
         Sauvage est descendu des trois rivieres, pour vous donner advis
         qu'un conseil s'est tenu de tous les Chefs & principaux du païs
         assemblez pour délibérer, sçavoir si Monsieur de Champlain
         doit emmener en France les deux petites filles qu'il a, ils ont
         resolu que puisque les François ne sont plus demeurans en ces
         lieux, de ne les laisser aller, & vous prient les retenir, & ne
         leur permettre qu'ils s'en retournent, d'autant que si vous ne
         l'empeschez le pays se perdra, & est à craindre qu'il n'arrive
         quelque accident de mort aux hommes qui demeurent en ces lieux,
         c'est pourquoy que s'il en arrive mal, je me descharge de ce
         que je dois, vous en ferez selon vostre volonté: mais si me
         croyez comme vostre serviteur, vous ne permettrez qu'elles
         passent plus outre, en les r'envoyant icy: c'est tout ce qui
         s'est passé depuis vostre partement, j'espère m'en retourner à
         Tadoussac pour avoir l'honneur de prendre congé de vous, comme
270/1254 estant, Monsieur, Vostre humble & affectionné serviteur
         Marsolet.»

[Note 768: Ces mots donneraient à entendre que Marsolet n'était pas
monté à Québec en même temps que le général.]

         Ayant leu ceste lettre, je jugeay aussi tost que le galand
         avoit inventé ceste malice pour faire retenir ces filles,
         desquelles il vouloit abuser, comme l'on croyoit & autres
         mauvais François semblables à luy, l'une de ces filles appellée
         Esperance, avoit dit quelque jours auparavant, que Marsolet
         estant au vaisseau l'avoit sollicitée de s'en aller avec luy,
         luy promettant plusieurs commoditez pour l'attirer, mais que
         jamais elle n'y avoit voulu condescendre, mesme qu'elle s'en
         estoit plainte à des sauvages qui luy avoient dit, Sçais tu pas
         bien qu'il ne vaut rien, & qu'il est en mauvaise réputation
         avec tous les Sauvages pour estre un menteur, ne l'escoute
         point, tu es bien, Monsieur de Champlain vous ayme comme ses
         filles, aussi dirent elles, Nous luy portons de l'affection, ce
         que n'estant nous n'aurions desir de le suivre en France, qui
         fut le sujet que j'en parlay au Général.

         «Monsieur vous me faites faveur, que vostre courtoisie
         s'estende à me montrer ceste lettre, que si l'affaire est ainsi
         qu'il l'escrit, j'aurois tort de vous faire une demande
         inciville, en vous demandant permission d'emmener ces filles
         que j'ayme comme si elles estoient miennes, vous me permettrez
         que je parle pour ces pauvres innocentes qui m'ont esté données
         par les sauvages assemblez en Conseil, sans que je les aye
         demandez, mais au contraire comme forcé avec le consentement
271/1255 des filles & des parents, à telle condition que j'en
         disposerois à ma volonté, pour les instruire en nostre Foy,
         comme si c'estoient mes enfans, ce que j'ay fait depuis deux
         ans le tout pour l'amour de Dieu, où j'ay eu un grand soing à
         les entretenir de tout ce qui leur estoit neceaire, les
         desirant retirer des mains du Diable, où elles retomberont si
         faut que les reteniez: je vous supplie que vostre charité soit
         elle envers ces pauvres filles de ne les violenter, & souvenez
         vous que Dieu ne vous sera point ingrat si vous faites quelque
         chose pour luy, il a des recompenses grandes, tant pour le Ciel
         que pour la terre.

         Au reste je sçay très asseurément que Marsolet a forgé en son
         esprit ce qu'il vous mande, n'ayant treuvé autre moyen pour
         perdre ces filles, & jouir de sa desordonnée volonté s'il peut.
         Je sçay asseurement que les Sauvages estant au Conseil des
         trois rivieres, il ne fut parlé aucunement de ces filles, ny de
         ce que Marsolet vous a escrit, mesme je sçay que lors qu'estiez
         à Québec vous vous informastes si les Sauvages n'estoient point
         faschez de ce qu'elles s'en alloient, que Gros Jean de Dieppe
         qui s'est donné à vous, truchement des Algommequins, vous dit
         au contraire, qu'ils fussent faschez de ce que je les emmenois,
         qu'ils en estoient bien contents, que s'il y avoit du danger de
         les emmener allant dans le pays comme il alloit, il n'y eut pas
         esté pour beaucoup de choses, & Coullart vous dit aussi,
         Monsieur nous avons autant d'interest que personne, à cause de
272/1256 ma femme & de mes enfans, que s'il y avoit quelque risque je
         vous le dirois librement, au contraire les Sauvages m'ont dit
         qu'ils en estoient bien aise, qu'elles estoient bien données,
         tout cecy est un tesmoignage suffisant, auquel devez adjouster
         Foy, plus qu'à ce que vous mande Marsolet, qui veut abuser de
         ces filles, les ayant mesmes sollicitées à s'en aller avec luy,
         qu'il leur donneroit des presens: l'ayant ainsi dit aux
         Sauvages, vous vous en pouvez informer s'il vous plaist.» Mais
         recognoissant que tant plus je luy en parlois, & plus il se
         roidissoit, je le laissay là sans parler d'advantage, il se
         leve de table tout fasché comme il sembloit, ce qui ne dura
         gueres: nous ne laissasmes de passer le temps attendant un jour
         plu propre à luy en parler, & rechercher les moyens pour
         l'inciter à penser à cela, j'employay à ma supplication ledit
         Jacques Michel & Thomas Quer son frère, qui luy en parlèrent,
         il demeura obstiné, ce que sçachant ces deux pauvres filles,
         furent si tristes & faschées qu'ils en perdoient le boire & le
         manger en pleurant amèrement, ce qui me donnoit de la
         compassion, en me disant, «Est il possible que ce mauvais
         Capitaine nous vueille empescher d'aller en France avec toy,
         que nous tenons comme nostre père, & duquel nous avons receu
         tant de biens faits, jusqu'à oster ce qui estoit pour ta vie,
         durant les necessitez pour nous le donner, & nous entretenir
         jusqu'à present d'habits: nous avons un tel desplaisir en
         nostre coeur que nous ne le pouvons dire, n'y auroit il point
         moyen de nous cacher dans le vaisseau, ou si nous pouvions te
273/1257 suivre avec un canau nous le ferions, te priant de demander
         encore une fois à ce mauvais homme qu'il nous laisse aller avec
         toy, ou nous mourrons de desplaisir, plustost que de retourner
         avec nos Sauvages, & si tu ne peux obtenir que nous allions en
         France, au moins faits en sorte que nous demeurions avec la
         femme de Coullart, nous la servirons elle & tous ses enfans de
         tout nostre pouvoir en ton absence, attendant l'année à venir,
         & sçachant de tes nouvelles aussi tost nous prendrons un canau
         pour t'aller treuver à Tadoussac,» ainsi me disoient leurs
         petits sentiments: Je leur fis faire à chacune un habit de
         quelques robes de chambre & manteau que j'avois, pour ne les
         envoyer mal accommodées tant elles me faisoient de compassion.

         Je faisois ce qu'il m'estoit possible pour sauver ces deux
         pauvres ames, je tasche de faire encore un effort, puisqu'il
         n'y avoit qu'à contenter les Sauvages par present, quand mesme
         il iroit de beaucoup, je fais dire par Thomas Quer à son frère
         le Général, qu'il y avoit un moyen de rendre les Sauvages
         satisfaits en leur faisant un present, & leur dire que
         puisqu'ils avoient donné ces filles qu'ils dénotent tenir leurs
         paroles, voyant qu'ils ne le faisoient pas, qu'ils n'auroient
         sujet de se fier en eux, de ce qu'il leur pourroient dire, que
         neantmoins il leur faisoit un present de la valleur de Mil
         livres, en marchandises telles qu'ils voudroient, pour des
         castors qui estoient à son bord à moy appartenants, dont il
         m'avoit donné sa promesse payable à Londres, que je la mettrois
         entre les mains de son frère, & seroit le present tel qu'il
274/1258 voudroit comme venant de sa part, il me promit luy dire, comme
         il fit, mais le Général n'y voulut du tout entendre, ce que
         sçachant ce fut à moy de prendre patience. Un jour que je le
         vis en très bonne humeur, & croyant que je pourrois tenter la
         fortune de luy parler encore une fois, ce que je fis: il me
         donne quelque esperance sur le retour de Marsolet.

         Les vaisseaux revenans de Québec j'appris que ce truchement
         venoit, je le faits advertir de ce que je desirois faire pour
         contenter les Sauvages, sçachant que c'estoit le moyen, & qu'en
         faisant des presents l'on pouvoit emmener ces filles: au
         contraire ce malheureux ennemy du progrés de Dieu, faisant voir
         sa meschanceté à descouvert, dit que si on en parloit aux
         Sauvages qu'ils refuseroient ce present pour cet effect: disant
         audit Quer que ces filles avoient esté données de la bonne
         volonté, sans esperance autre que de nostre amitié, ainsi eust
         esté cognu pour menteur, d'avoir escrit au Général des choses à
         quoy ils n'avoient jamais pensé au lieu de pallier ceste
         affaire il luy dit[769] que c'estoit mal fait à luy d'empescher
         ces filles d'estre baptisées, & avoir cognoissance de Dieu,
         qu'il en respondroit devant la justice divine, qu'il print
         garde qu'il avoit encore assez de remèdes s'il vouloit
         persuader au Général de donner quelque present aux Sauvages
         comme j'offrois; que pour ce qui estoit de sa personne je le
         recognoistrois en tout ce qu'il me seroit possible, que quelque
         jour il pourroit avoir affaire de ses amis, estant en l'estat
         où il estoit, que s'il desiroit retourner en France, je le
275/1259 servirois en tout ce qu'il me seroit possible: tout ce qu'il me
         dit fut, qu'il ne pouvoit rien faire de cela, que s'il arrivoit
         quelque accident aux Anglois par les Sauvages, ils remettroient
         toute la faute sur luy, & le voyant ainsi obstiné je le laissay
         là.

[Note 769: Je luy dis...]

         De là il va treuver le Général, luy remonstrant ce que je luy
         avois dit & offert, & ouy dire que je voulois faire des presens
         aux Sauvages pour empescher ces filles d'estre retenues, que
         d'assembler ces peuples esloignez, il n'y avoit nulle
         apparence, & leur offrir des presents il n'estoit point
         convenable, d'autant qu'ils croyroient que vous auriez peur de
         les irriter, & que cela leur donneroit plus d'asseurance
         d'entreprendre sur ses hommes, qu'il failloit qu'il empeschast
         que je n'emmenasse ces filles, qu'il luy avoit voué trop de
         services pour ne luy dire ce qu'il sçavoit pour le bien du
         pays, & à son advantage, qu'il print garde à ce qu'il feroit,
         s'en deschargeant, & que s'il arrivoit quelque disgrace pendant
         son absence, qu'on ne s'en prist pas à luy, & qu'il valloit
         mieux tenir ces peuples en paix, que d'estre en hasard de
         tomber en quelques mauvais accidens: Voilà ce qu'il dit avoir
         representé au Général, lequel se resolut de retenir ces filles,
         & ne me permettre les emmener.

         Thomas Quer me dit y avoir fait ce qu'il avoit peu, le voyant
         fort esloigné de ce que je pouvois esperer touchant les
         presens, à quoy il ne vouloit consentir, Marsolet l'en ayant
         desgousté, ce qu'ayant entendu je n'en parlay plus: mais je ne
         me peus empescher de parler à Marsolet & luy dire le desplaisir
276/1260 signalé qu'il me faisoit en cette affaire, d'avoir innové des
         choses toutes contraires à la vérité, & fait dire aux Sauvages
         ce à quoy ils n'avoient jamais pensé, qu'il pouvoit m'obliger
         en ceste occasion, comme je pourrois faire pour luy en
         d'autres, estant ainsi cause de la perte de ces filles & de
         leurs âmes, qu'il en respondroit un jour devant Dieu, qu'il ne
         permettroit point que tost ou tard il ne receut le chastiment
         qu'il meritoit, n'ayant eu autre dessein que de jouir de l'une
         de ces filles, en recherchant les moyens que je ne les
         emmenasse, il me dit, Monsieur vous en croirez ce qu'il vous
         plaira, je n'ay dit que la vérité, quand je sers un maistre je
         luy dois estre fidèle. Vous l'avez fort bien monstré (luy
         dis-je) en servant l'ennemy, pour deservir le Roy & ceux qui
         vous ont donné le moyen de vous élever en ces lieux depuis
         qu'estiez petit garçon[770] jusqu'à present qu'avez grandement
         décliné.

[Note 770: Voyez ci-dessus, p. 266.]

         Ces pauvres filles voyant qu'il n'y avoit plus de remèdes,
         commencèrent à s'attrister & pleurer amèrement, de sorte que
         l'une eut la fiévre, & fut long temps qu'elle ne vouloit
         manger, appellant Marsolet un chien & un traistre, disant
         ainsi, Comme il a veu que nous n'avons pas voulu condescendre à
         ces volontez, il nous a donne un tel desplaisir que sans mourir
         jamais je n'en receus de semblable.

         Un soir comme le général donnoit à souper aux Capitaines des
         vaisseaux, Marsolet estant en la chambre, l'une des deux filles
         appellée Esperance y vint; qui avoit le coeur fort trisste, &
277/1261 souspiroit, ce qu'entendant je luy demanday ce qu'elle avoit,
         sur ce elle appelle sa compagne nommée Charité, disant, j'ay un
         tel desplaisir que je n'auray point de repos que se ne
         descharge mon coeur envers Marsolet, duquel elle s'approche, &
         l'ayant envisagé, luy dist, Il est impossible que je puisse
         estre contente que je ne parle à toy: Que veux-tu dire? luy
         dist-il, Ce n'est point en secret que je veux parler, tous ceux
         qui entendent nostre langue l'entendront assez, & t'en
         priseront moins à l'advenir s'ils ont de l'esprit, c'est une
         chose assez cogneue de tous les Sauvages que tu es un parfaict
         menteur, qui ne dis jamais ce que l'on te dit, mais tu inventes
         des mensonges en ton esprit pour te faire croire, & donne à
         entendre ce que l'on ne t'a pas dit, pense que tu es mal voulu
         des Sauvages il y a long-temps & comme malicieux tu perseveres
         en tes menteries, de donner à entendre à ton Capitaine des
         choses qui n'ont jamais esté dites par les Sauvages, mais
         meschant tu n'avois garde de dire le subject qui t'a meu à
         inventer de telles faussetez, c'estoit que je n'ay pas voulu
         condescendre à tes salles voluptez, me priant d'aller avec toy,
         que je ne manquerois d'aucune chose, tu m'ouvrirois tes coffres
         dans lesquels je prendrois ce qui me seroit agréable; ce que je
         refusay, tu me voulus faire des attouchemens deshonnestes, je
         rejettay tes effronteries, te disant, que si tu m'importunois
         davantage je m'en plaindrois: ce que voyant tu me laissas en
         repos, me disant que j'estois une opiniastre: asseure toy qu'on
         te fera bien ranger à la raison, tu ne seras pas tousjours
278/1262 comme tu es, car je sçay bien que tu retourneras à Québec; je
         te dis que je ne t'apprehendois en aucune façon, je desire
         aller en France avec Monsieur de Champlain, qui m'a nourrie &
         entretenue de toutes commoditez jusques à present, me monstrant
         à prier Dieu, & beaucoup de choses vertueuses, que je ne me
         voulois point perdre, que tout le païs avoit consenty, & que ma
         volonté estoit portée d'aller vivre & mourir en France, & y
         apprendre à servir Dieu; mais miserable que tu es, au lieu
         d'avoir compassion de deux pauvres filles, tu te monstre en
         leur endroit pire qu'un chien, ressouviens toy que bien que ne
         ne fois qu'une fille, je procureray ta mort si je puis, en tant
         qu'il me sera possible, t'asseurant que si à l'advenir tu
         m'approches je te donneray d'un cousteau dans le sein, quand je
         devrois mourir aussi-tost: Ah! perfide tu es cause de ma ruine,
         te pourray-je bien voir sans plorer, voyant celuy qui a causé
         mon malheur, un chien a le naturel meilleur que toy, il fuit
         celuy qui luy donne sa vie, mais toy tu destruis ceux qui t'ont
         donné la tienne, sans recognoissance de bon naturel envers tes
         frères que tu as vendus aux Anglois; Pense-tu que c'estoit bien
         faict pour de l'argent vendre ainsi ta nation? tu ne te
         contentes pas de cela en nous perdant aussi, & nous empeschant
         d'apprendre à adorer le Dieu que tu mescrois qui te fera
         mourir, s'il y a de la justice pour les meschans. Sur cela elle
         se mit à plorer ne pouvant presque plus parler, Marsolet luy
         disant, Tu as bien estudié cette leçon: O meschant, dit elle,
         tu m'as donné assez de sujet de t'en dire davantage si mon
         coeur te le pouvoit exprimer. Le truchement se retournant à
279/1263 l'autre petite fille appellée Charité, luy dist, Et toy ne me
         diras tu rien? Tout ce que je te sçaurois dire, dit-elle, ma
         compagne te l'a dit, & moy je te dis davantage, que si je
         tenois ton coeur j'en mangerois plus facilement & de meilleur
         courage que des viandes qui sont sur cette table. Chacun
         estimoit le courage & le discours de ceste fille, qui ne
         parloit nullement en Sauvagesse.

         Ce Marsolet demeura fort estonné de la vérité des discours
         d'une fille de douze ans, mais tout cela ne peust émouvoir ny
         attendrir le coeur dudit Général Quer.

         Le Capitaine Jacques Michel me dist en secret, qu'au voyage
         qu'il avoit fait à Québec[771], il avoit resolu de retenir ces
         filles, & pour trouver une excuse légitime dist à Marsolet
         qu'il luy escrivist la lettre que j'ay dit cy-dessus, mais
         estant en Angleterre, & luy ayant dit, il protesta que cela
         estoit faux, & qu'il n'y avoit jamais pensé, que je pouvois
         cognoistre son humeur, & qu'il n'estoit point homme à
         dissimuler & à chercher des inventions pour les faire demeurer,
         que s'il eust eu la volonté il l'eust faict librement, sans
         employer personne, & rien autre chose que ce que Marsolet luy
         en avoit dit, & [772] l'avoit fait resoudre à les faire
         demeurer à Québec.

[Note 771: C'est-à-dire, «au voyage que le général avait fait à Québec,
il avait résolu...»]

[Note 772: Au lieu de cette particule (&), le manuscrit portait
probablement _ne_.]

         Voilà la conclusion prise que ces filles demeureroient, je ne
         laissay de faire pour elles tout ce que je peux, & les assister
         de petites commoditez, leur donnant esperance de nostre retour,
280/1264 qu'elles prinssent courage, & qu'elles fussent tousjours sages
         filles, continuant à dire les prières que je leur avois
         enseignées: L'une me demanda un chapelet, disant que les
         Anglois avoient pris le tien, ce que je fis à l'une, & mon
         beau-frère en donna un à l'autre: car il ne falloit rien donner
         à l'une que l'autre n'en eust autant pour oster la jalousie qui
         estoit entre elles, priant Coulart de les mettre avec sa femme
         tant qu'elles y voudroient estre, jusques à ce qu'ils eussent
         des vaisseaux François, & qu'il taschast de les conserver, ne
         leur donnant aucun subject de les perdre, mais qu'il les
         traittast doucement, que c'estoit une grande charité pour Dieu,
         qui le recompenseroit: qu'elles luy serviroient en sa maison,
         en mille petites choses necessaires, que me faisant ce plaisir,
         où j'aurois moyen de le servir, je le ferois de bon coeur;
         Asseurez vous, Monsieur, me dist-il, que tant qu'elles auront
         la volonté de demeurer avec moy, j'en auray du soin comme si
         c'estoit mes enfans, & disant cela en leur presence, elles luy
         firent une reverence, & en le remerciant luy dirent, Nous ne
         t'abandonnerons point non plus que nostre père en l'absence de
         Monsieur de Champlain: ce qui nous donnera de la consolation, &
         nous fera patienter, c'est que nous esperons le retour des
         rançois, & s'il eust fallu qu'aussi-tost que nous fusmes
         arrivez à Québec, & eussions[773] esté vers les Sauvages nous
         fussions mortes de desplaisir, & neantmoins nous estions
         resolues ma compagne & moy d'y demeurer plustost qu'avec les
         Anglois.

[Note 773: Nous eussions...]

281/1265 L'on me dist que le Général Quer estant à Québec,
         avoit tancé son frère Louys Quer, de ce qu'il avoit permis de
         célébrer la saincte Messe, ce qu'il fit deffendre à tous les
         Peres, & que les Peres Jesuites faisant embarquer leurs coffres
         pour aller à Tadoussac, il voulut voir ce qui estoit dedans en
         la presence de son frère, Louys Quer, commandant au fort &
         habitation, comme le reverend Pere Massé leur monstroit ce qui
         estoit dedans, ils adviserent quelque chose, qui estoit
         enveloppé: Il demanda à le voir, le Pere le developpe, c'estoit
         un Calice, que Louys Quer voulut prendre; Le Père luy disant,
         Monsieur, ce sont des choses sacrées, ne les profanez pas s'il
         vous plaist, il se fasche de ces paroles pour avoir sujet de le
         prendre, Quoy? dist-il Ce qu'il en jurant, profaner, nous
         n'adjoustons point de foy en vos superstitions, je n'appréhende
         pas qu'il me fasse mal, ce disant il le prit, disant: Je fais
         cela pour le discours que vous m'avez fait, & aussi pour oster
         le subject qui vous fait idolâtrer, comme nous sommes obligez
         de rabatre, entant que nous pouvons les superstitions, que si
         vous ne m'eussiez usé de ces termes je vous l'aurois laissé.
         Quoy que s'en soit, ledit Louys Quer s'estoit tousjours bien
         comporté jusques à cette heure, ne luy en desplaise[774]. Ceste
         action n'estoit bonne ny valable, c'estoit chercher un maigre
         sujet pour prendre ces deux Calices, pour un homme qui veut
         vivre en honorable réputation devant les hommes vertueux: cette
282/1266 action ne sera jamais approuvée, & void-on par beaucoup
         d'exemples le chastiment que Dieu a envoyé à ceux qui ont
         profané les vaisseaux sacrez des Temples.

[Note 774: Ces derniers mots doivent se rattacher à la phrase suivante:
«Ne luy en desplaise, ceste action n'estoit bonne...»]

         _Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes &
         munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort malheureuse
         de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer._

                              CHAPITRE VI.

         Ledit Général Quer me demanda le certificat des armes &
         munitions, & autres commoditez qui estoient tant au fort qu'à
         l'habitation, que son frère Louis Quer m'avoit donné, auquel il
         avoit fait une grande reprimende, disant qu'il ne sçavoit ce
         qu'il avoit fait, sans sçavoir s'il y avoit paix entre la
         France & l'Angleterre, qu'il respondroit de tout ce qui estoit
         audit certificat, qu'il ne vouloit point que l'on vit aucune
         chose signée de sa main, ne sçachant la consequence de cela, &
         le desplaisir que l'on pouvoit rendre à ses amis, je luy dis
         Monsieur cela ne vous peut apporter tant de desplaisir que vous
         le dites, puisque vous avez donné tout pouvoir au Capitaine
         Louis de traiter avec moy, en vertu des Commissions qu'avez du
         Roy d'Angleterre, ayant pour agréable tout ce qu'il feroit
         comme vostre personne, autrement ce seroit le desobliger, en ne
         tenant sa parole, & vous en desadvouant le pouvoir que luy avez
         donné: Je ne le desadvoue point (dit-il) pour ce qui est de la
283/1267 composition qu'il vous a faite, je la maintiendray au péril de
         ma vie, mais pour ce qui est du certificat, cela est fait
         depuis ladite composition, & par consequent il ne vous pouvoit
         donner le certificat sans charge, ou en composant, pendant que
         vous estiés encore maistre du fort, & par ainsi je vous prie me
         le donner. Il y a assez de personnes qui sçavent l'estat de la
         place, & ce qui y est, estant en Angleterre l'on vous en
         donnera un s'il est jugé à propos, & toute autre sorte de
         courtoisie. Voyant qu'il se mettoit en colère, & que je ne le
         pouvois retenir, je luy donnay le certificat, luy disant qu'il
         n'estoit point de besoin de se mettre en colère pour si peu de
         sujet, que véritablement je le desirois avoir pour ma
         descharge. Vous l'estes (me dit il) assez, l'on sçait bien le
         miserable estat auquel vous estiez réduits, & le peu de
         ommoditez qui sont en armes & munitions tant au fort qu'à
         l'habitation.

         Deux ou trois tours après ledit Jacques Michel estant saisi
         d'un grand assoupissement, fut trente cinq heures sans parler,
         au bout duquel temps il mourut rendant l'âme, laquelle si on
         peut juger par les oeuvres & actions qu'il a faites, & qu'il
         fit le jour d'auparavant, & mourant en sa religion prétendue,
         je ne doute point qu'elle ne soit aux enfers: car le jour
         précèdent il avoit tellement juré & blasphemé le nom de Dieu
         que j'en avois horreur, faisant mille sortes d'imprécations
         contre les bons Pères Jesuistes, & des habitans de S. Malo:
         disant, Qu'il se rendroit plustost forban qu'il ne leur eust
         rendu quelque signalé desplaisir, deust il mourir.
         miserablement. Je ne me peus tenir de luy dire, Bon Dieu! comme
284/1268 pour un reformé vous jurez, sçachant si bien reprendre les
         autres quand ils le font. Il est vray, dit-il, mais je suis
         tellement outré de passion & de colère contre ces chiens de
         Malouins Espagnols, qui m'ont rendu de grands desplaisirs, &
         aussi serois-je content si j'avois frappé ce Jesuiste qui m'a
         donné un desmenty devant mon Général.

         Ce desplaisir qui luy estoit si sensible n'estoit alors pas
         tant pour les Malouins & le Pere Jesuiste comme pour le sujet
         des Anglois, desquels il se plaignoit grandement de l'avoir
         très-mal traitté, & peu recogneu, contre les promesses qu'ils
         luy avoient faites.

         Il se plaignoit aussi de l'arrogance insupportable de son
         Général, pour un marchand de vin qu'il avoit esté, estant à
         Bordeaux & à Coignac, & cogneu ignorant à la mer, qui ne sçait
         que c'est que de naviger, n'ayant jamais faict que ces deux
         voyages, & veut faire de l'entendu par ses discours pleins de
         vanité à ceux qui ne le cognoissent pas bien, il trenche du
         Seigneur, il ne sçait que c'est d'entretenir d'honnestes
         hommes, il veut que tout luy cede, & ne veut croire aucun
         conseil, qu'alors qu'il n'en peut plus, comme il fit dés
         l'année passée, en laquelle sans moy il vouloit quitter le
         vaisseau de Roquemont, & ne l'eust jamais pris sans l'ordre que
         je luy donnay, il le vouloit aborder, mais je ne voulus y
         consentir, luy disant. Si nous l'abordons nous sommes perdus ne
         vous y frotez pas, je cognois mieux les François en ces choses
         que vous, qui n'avez que des gens mal faits en vostre vaisseau,
         hors les Canoniers & Officiers: c'est pourquoy il les faut
285/1269 battre à coups de canons, dont nous avons l'advantage, les
         contraignant à se rendre, vous conseillant encore une fois que
         si jamais vous rencontriez des François sur mer de ne les
         aborder, ils sont plus adroits & courageux que les Anglois, qui
         remportent à l'abordage. Il creut mon conseil, me remettant
         tout l'ordre du combat, en quoy il avoit raison; car il y
         estoit peu expérimenté, comme il est encore, & son frère Thomas
         Quer, ils prennent des commandemens desquels ils n'en sçavent
         pas les charges, il leur faudroit estre encore vingt ans pour
         l'apprendre, & avoir esté élevé & nourry jeune garçon pour
         sçavoir bien ce qui est necessaire à un Capitaine de mer,
         autrement ils feront de lourdes fautes, mettant souvent la
         conduitte entre les mains d'un Maistre ou Pilote ignorant qui
         sera dans leur vaisseau. Quand il fut arrivé à Londre, il se
         vantoit que c'estoit luy qui avoit tout faict, plusieurs
         honnestes hommes qui le cognoissoient bien & moy aussi me
         disoient, Quer emporte la gloire de ce que vous avez faict: &
         de faict ils ont usé envers moy d'ingratitude; Car outre mes
         appointements ils me devoient donner recompense, ce qu'ils
         n'ont faict: m'ont refusé le commandement de l'un de leurs
         vaisseaux pour mon fils, je les avois instalé en ceste affaire
         où ils ne cognoissoient rien, & n'y fussent jamais venus sans
         moy, ils me traittent mécaniquement en mon vaisseau: & non,
         comme j'ay appris, allant à la mer, ils m'ont donné un yvrogne
         qui est fol pour mon Lieutenant, pour prendre garde sur mes
         actions: Je le veux chasser de mon vaisseau, ou luy feray un
         mauvais party, c'est un coquin sans courage, s'il se presente
286/1270 quelque occasion de combatre je le meneray comme il faut, ils
         auront encores recours à moy, je le sçay bien, ils n'en sont
         pas où ils pensent, tout ainsi que j'ay eu moyen de donner
         l'industrie d'instruire cette affaire, je sçay aussi les moyens
         de les en faire sortir, & leur apprendre & à d'autres, qu'ils
         ne doivent jamais mescontenter une personne comme moy: Il y a
         des Flamans assez & d'autres nations, quand un moyen me faudra,
         j'en trouveray d'autres, ils ont faict tout à leur plaisir, il
         faut patienter, il sçait bien que je ressens un grand
         desplaisir, mais il ne fait pas semblant de le cognoistre, il
         me fait bon visage, mais il voudroit que je fusse mort, je luy
         suis maintenant à grand'charge, j'ay laissé ma patrie, comme
         ils ont fait, pour servir un estranger, jamais je n'auray l'âme
         bien contente, je seray en horreur à tout le monde, sans
         esperance de retourner en la France, l'on a fait mon procez,
         ainsi qu'on m'a dit, mais puis que l'on me traitte de toutes
         parts comme cela, c'est me mettre au desespoir, & faire plus de
         mal que jamais je n'ay fait, ne pouvant que perdre la vie une
         fois, mais je la puis bien faire perdre à beaucoup si l'on me
         desespere, tous ces discours ne se passoient pas sans jurer.

         Je luy donnois courage, en luy disant, Ne vous desesperez
         point, il y a des remèdes par tout, horsmis à la mort, il y a
         des personnes qui ont fait des choses plus attroces que ce que
         vous avez faict, vous avez raison de vous repentir de ce qui
         s'est passé, & croy tant de vous, que si aviez à recommencer,
         que vous ne le voudriez entreprendre, ains plustost mourir. Il
287/1271 est vray, me disoit-il: Nostre Roy est bon & juste, pardonnant
         à plusieurs qui ont grandement offensé sa Majesté. Elle peut,
         luy dis-je, vous donner abolition en vous amendant &
         recognoissant vos fautes, en le servant fidèlement à l'advenir,
         vous serez en consideration tant pour vostre courage, que pour
         l'expérience qu'avez acquise en la mer, l'on a affaire d'hommes
         du mestier que vous menez, l'on ne vous voudra pas perdre quand
         l'on remonstrera à sa Majesté le service que vous luy pouvez
         rendre à la navigation: changez vostre volonté, & vous resoudez
         de retourner en vostre patrie, pour moy où j'auray moyen de
         vous y servir je le feray de bon coeur: Il me dit qu'on luy
         avoit escrit de France qu'il auroit la grâce, s'il s'en vouloit
         retourner, mais qu'il ne s'y fieroit pas qu'il ne l'eust
         seellée, & outre que jamais il ne voudroit se tenir à Dieppe, &
         qu'il iroit en autre ville de France, cela seroit très bien
         fait, luy dis-je.

         Je sçay que la maladie qu'il eust, n'estoit que ce remors de
         conscience qui le bourreloit, & vouloit tesmoigner aux Anglois
         qu'il avoit un autre desplaisir, se couvrant du mescontentement
         qu'il avoit des Malouins, & du Père Jesuiste, & de son fils,
         dont il se plaignoit grandement, mais la vérité estoit que cet
         homme estoit fort pensif, triste, & mélancolique, de se voir
         mesprisé de sa patrie, abhorré du monde, retenu pour un perfide
         & traistre François, qui meritoit un chastiment rigoureux (&
         tous ceux qui font le semblable, ne peuvent marcher la teste
         levée) & monstré au doit d'un chacun, mesme les Anglois
         entr'eux l'appelloient traistre, disant, Voyez cestuy là qui a
288/1272 vendu sa patrie, & autres qui l'ont reniée, pour un peu de
         mescontentement qu'ils disent avoir eu en France. Il sçavoit
         tres-asseurement que ces discours se tenoient, aussi est-ce un
         puissant ennemy, que celuy qui a la conscience chargée de si
         vilaines, detestables meschantes trahisons: il avoit raison
         d'avoir l'âme bourrelée, & mourir de desplaisir, plustost que
         survivre, & fut là le sujet de sa mort, & non ce que Quer &
         autres disoient, que c'estoit pour n'avoir donné un souflet au
         Père Jesuiste qui estoit la mesme sagesse & vertu[775], ayant
         bien tesmoigné aux voyages qu'il a fait dans les terres.

[Note 775: La sagesse & vertu mesme.]

         Le Général Quer parlant aux Peres Jesuistes, leur dit,
         Messieurs vous aviez l'affaire de Canada, pour jouir de ce
         qu'avoit le sieur de Caen, lequel avez depossedé. Pardonnez moy
         Monsieur, luy dit le Pere(2), ce n'est que la pure intention de
         la gloire de Dieu qui nous y a mené, nous exposant à tous
         dangers & périls pour cet effect, & la conversion des Sauvages
         de ces lieux: ledit Michel pressant dit, Ouy, ouy, convertir
         des Sauvages, mais plustost pour convertir des castors, ledit
         Père respond assez promptement & sans y songer, Cela est faux,
         l'autre leve la main, en luy disant, Sans le respect du Général
         je vous donnerois un souflet, de me desmentir, le Pere luy
         respond, Vous m'excuserez, je n'entend point vous démentir,
         j'en serois bien fasché, c'est un terme de parler que nous
289/1273 avons en nos escoles, quand on propose une question douteuse,
         ne tenant point cela pour offencer, c'est pourquoy je vous prie
         me pardonner, & croire que je ne l'ay point dit pour vous
         donner du desplaisir.

         Je laisse à penser si ce sujet estoit capable de le faire
         mourir, sans autre plus violent desplaisir, comme j'ay dit cy
         dessus: aussi Dieu l'a puny ne luy faisant la grâce de fe
         recognoistre à l'heure de la mort, qui a couppé la broche à
         tous ses desseins pernicieux & meschans.

         Estant mort il y eut plus de resjouissance entre les Anglois
         que de regret, neantmoins le Général Quer qui voulut luy
         tesmoigner la dernière preuve de son amitié qu'il disoit luy
         avoir porté de son vivant, luy fit faire une châsse où il fut
         mis, commande à son frère Thomas Quer d'armer quelques 200
         hommes, qu'il fait mettre à terre, les met en ordre quatre à
         quatre, les maistres des vaisseaux prennent la châsse, & la
         mettent dedans une chalouppe, & arrivez sur le bord du rivage,
         les officiers des vaisseaux prennent le corps sur leurs
         espaules, & sur sa châsse avoient mis une espée nue, devant le
         corps marchoit un homme armé de toutes piéces, avec la rondache
         & le coustelas, l'autre portoit une demie picque noircie, les
         soldats s'ouvrirent en deux, par le milieu desquels passa le
         corps avec tous les Capitaines & autres officiers des
         vaisseaux, qui l'accompagnoient marchant devant, les soldats
         qui le suivent comme est la coustume en telles funérailles, il
         fut porté à la fosse, où estant mis dedans l'on rompit la demie
         picque en deux, & la mit on dans la fosse, sur laquelle le
290/1274 Ministre fit des prières s'agenouillant & te levant plusieurs
         fois, respondant aux Ministres: leurs prières achevées, l'on
         couvre le corps de terre, cela fait ils se firent deux
         escoupetteries de mousquets, des soldats qui estoient rangez au
         tour de la fosse. Après l'on fut tirer le canon de tous les
         vaisseaux, jusqu'à quelque 80 à 90 coups: cela fait chacun s'en
         retourne en son vaisseau, le pavillon du contre-Admiral estoit
         à demy destendu, jusques à ce qu'il y en eust un autre mis en
         la place, qui fut un Capitaine Anglois appellé *****[776] le
         dueil n'en dura gueres, au contraire jamais ils ne se
         resjouirent tant & principalement en son vaisseau où il avoit
         quelques barils de vin d'Espagne: le voilà payé de tout ce
         qu'il avoit fait.

[Note 776: Le nom est laissé en blanc dans l'édition originale.]

         Tout ce que j'ay veu après sa mort est, l'honneur qu'il ne
         meritoit pas, ne pouvant esperer, s'il eust vescu, que le
         chastiment d'un supplice, si sa Majesté ne luy eust donné sa
         grâce.

         Durant le jour que nous fusmes à Tadoussac[777], ledit Quer
         employa ses hommes à couper quantité de mas de sapins, pour
         batteaux & chalouppes, comme du bois de bouleau pour brusler:
         ce mesnage estoit tousjours pour payer quelques avaries, & en
         avoit plus de besoin ceste année là que l'autre, en laquelle il
         prit 19 vaisseaux François & Basques chargez de molue, & outre
         ce qu'il traita avec les Sauvages des marchandises qui estoient
         aux vaisseaux de la nouvelle societé, où commandoit Roquemont,
291/1275 y ayant aussi quantité de vivres & autres commoditez propres à
         une habitation, qu'ils r'apportèrent ceste année à Québec, &
         outre la quantité des marchandises de rapport, ils pensoient
         faire meilleure traite qu'ils ne firent: ils ne traitèrent que
         quelques 5000 castors & quelques 3 à 4 mille qu'ils prirent à
         l'habitation, & le vaisseau d'Emery de Caen[778]. Ils n'ont eu
         autre chose qui est peu pour pouvoir rembourcer les frais de
         leur embarquement, en rendant ce qu'ils ont pris appartenant à
         de Caen & à ses associez au fort & à l'habitation de Québec,
         suyvant le traité de paix entre les deux couronnes de France &
         d'Angleterre [779].

[Note 777: Ce passage donne à entendre que les vaisseaux restèrent tout
le temps mouillés au moulin Baudé, et que l'on se donna la peine d'aller
enterrer Jacques Michel à Tadoussac même.]

[Note 778: D'après les livres de compte de la Compagnie des marchands
anglais, ils n'auraient traité que 4540 castors et 432 peaux d'élans;
ils n'auraient de même trouvé au magasin que 1713 castors. Voici comment
un des associés de la compagnie anglaise concilie cette différence: «Il
faut faire attention, dit-il, que les Anglais ne parlent que des castors
portés au compte de la Compagnie, tandis que les Français comprennent
dans leur calcul toutes les peaux qu'ils avaient lorsque le fort fut
rendu, sans distinction de ce qu'ils cachèrent ou retinrent du
consentement des Anglais.» (Pièces justif. n. XVII.)]

[Note 779: Il fut réglé par le traité de Suse (24 avril 1,629) que
«d'autant qu'il y avoit beaucoup de vaisseaux en mer avec lettres de
marque & pouvoir de combattre les ennemis, qui ne pourroient de si tost
entendre cette paix, ny recevoir ordre de s'abstenir de toute hostilité,
il seroit accordé, que tout ce qui se passeroit l'espace de deux mois
aprés cet accord fait, ne derogeroit ny empescheroit cette paix; ny la
bonne volonté des deux Couronnes; à la charge toutesfois que ce qui
seroit pris dans l'espace de deux mois depuis la signature dudit
Traicté, seroit restitué de part & d'autre.» (Mercure français.)]

         Pendant ce temps que nous estions à Tadoussac, ledit Quer ne
         voulut permettre que les Catholiques priassent Dieu
         publiquement à terre, où il avoit mis tous les François,
         horsmis deux qui estoient Huguenots, de l'esquippage dudit
         Emery de Caen, qui les faisoient rire pour avoir ceste
         prééminence par dessus les autres, moy & quelques autres
         passions le temps avec ledit Général à la chasse du gibier, qui
         y est en ceste saison abondante, & principalement d'allouettes,
292/1276 pluviers, courlieux, becassines desquels il en fut tué plus de
         20000 outre la pesche que les Sauvages faisoient du saulmon &
         truites qu'ils nous apportoient en assez bonne quantité, & de
         l'éplan que l'on prit en grand nombre avec des filets, &
         quelques autres poissons, le tout très-excellent, jusqu'à
         nostre partement.



         _Partement des Anglais au port de Tadoussac. Général Quer
         craint l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre.
         L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy
         & le conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de
         l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du
         Reverend Père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de
         l'Autheur à Paris._

                              CHAPITRE VII.

         Ledit Général ayant accommodé le fort & habitation de Québec
         de tout ce qu'il jugea estre necessaire, il fit donner caraine
         à ses vaisseaux assez légèrement, nettoyer, gadomer & suiver,
         ce qu'estant fait, il fit partir une petite barque de 25 à 30
         tonneaux, pour s'en aller porter à Québec ce qui restoit, où
         s'embarquèrent mes deux petites Sauvagesses, nous levons les
         ancres & mettons sous voiles, ce qui n'estoit pas sans bien
         appréhender la rencontre du Chevalier de Rasilly, d'autant que
         nouvelles estoient venues par quelques Sauvages, qui
         asseuroient avoir veu dix vaisseaux à Gaspey, bien armez qui
         nous attendoient audit lieu: c'est pourquoy l'on passa fort
         proche d'Enticosty 14 lieues dudit Gaspey pour n'estre
293/1277 apperceus: toutesfois ledit Quer disoit qu'il ne les
         apprehendoit en aucune façon, & que c'estoit à faire à se bien
         battre & que si tant estoit que les François eussent le dessus,
         qu'il mettroit le feu dans leurs vaisseaux, en faisant mourir
         beaucoup premier qu'en venir là, & quelques autres discours.
         Nous fusmes contrariez de fort mauvais temps, avec des brunes
         jusques sur le grand Ban, qui estoit le 16 du mois d'Octobre,
         nous eusmes la sonde, & le 18 la cognoissance de Sorlingues:
         pendant la traverse moururent onze hommes de la dysenterie, de
         l'esquippage de Quer.

         Le 20 nous relaschasmes à Plemué[780], où nous eusmes nouvelle
         de la paix[781], ce qui fascha grandement ledit Quer. Le 25,
         sortismes dudit port, rangeant la coste de deux lieues. Le 27,
         passasmes devant Douvre, où ledit Quer fit descendre tous nos
         hommes avec les pères Jesuistes & Recollets, ausquels il donna
         passage, & à tous ceux qui voulurent aller en France: & moy
         j'escrivay de ce lieu à Monsieur de Lozon[782] que je m'en
         allois à Londres, treuver Monsieur l'Ambassadeur[783], pour luy
         faire le récit de tout ce qui s'estoit passé en nostre voyage,
         afin qu'il luy pleust faire expédier quelques lettres de sa
         Majesté audit sieur Ambassadeur, pour avoir ceste affaire pour
         recommandée, & y envoyer un homme exprés pour cet effect, chose
         comme très necessaire & importante pour le bien de la Societé.

[Note 780: Plymouth.]

[Note 781: Le traité de Suse avait été conclu le 24 avril 1629, et il
venait d'être ratifié, le l6 septembre.]

[Note 782: Jean de Lauson, l'un des principaux associés de la Compagnie
de la Nouvelle-France, et le même qui fut plus tard gouverneur du
Canada.]

[Note 783: C'était alors M. de Châteauneuf.]

294/1278 En continuant nous passasmes par les Dunes, où il y avoit
         nombre de vaisseaux, & une remberge de six à sept cens tonneaux
         que l'on salua, qui rendit le réciproque de trois coups de
         canon. Entrant en la riviere fusmes mouiller l'ancré devant
         Graveline[784], où mismes pied à terre laissant les vaisseaux,
         ledit Quer fréta un batteau pour aller à Londres sur la riviere
         de la Tamise, auquel lieu arrivasmes le 29 dudit mois.

[Note 784: Gravesend. Le contexte prouve évidemment que c'est ici une
faute typographique. _Entrant en la rivière_, c'est-à-dire, la Tamise.
Il est bon de se rappeler en outre que le général Kertk était parti
précisément de Gravesend; il est donc tout naturel que ses vaisseaux
soient revenus au port d'où ils avaient fait voile au printemps. (Pièces
justificatives, n. V.)]

         Le l'en demain je fus treuver monsieur l'Ambassadeur, auquel je
         fis entendre tout le sujet de nostre voyage, ayant esté pris
         deux mois après la paix, qui estoit le 20 Juillet, faute de
         vivres & munitions de guerre & de secours, ayant enduré
         beaucoup de necessitez un an & demy, allant chercher des
         racines dans les bois pour vivre, bien que je n'eusse retenu
         que seize personnes au fort & à l'habitation, ayant envoyé la
         plus grand part de mes compagnons parmy les Sauvages, pour
         éviter aux grandes famines qui arrivent en ces extremitez.

         Ce qu'ayant entendu ledit sieur Ambassadeur, il se délibéra
         d'en parler au Roy d'Angleterre, qui luy donna toute bonne
         esperance de rendre la place, comme de toutes les peleteries &
         marchandises, lesquelles il fit arrester.

         Je donnay des mémoires, & le procès verbal de ce qui s'estoit
         passé en ce voyage, & l'original de la capitulation[785] que
295/1279 j'avois faite avec le Général Quer, & une carte[786] du pays
         pour faire voir aux Anglois les descouvertures & la possession
         qu'avions prise dudit pays de la Nouvelle France, premier que
         les Anglois, qui n'y avoient esté que sur nos brisées, s'estans
         emparez depuis dix à douze ans des lieux les plus signalez,
         mesme enlevé deux habitations sçavoir celle du Port Royal où
         estoit Poitrincourt, où ils sont habituez de present, & celle
         de Pemetegoit appellé autrement Norembeque: le tout saisi &
         enlevé contre tout droit & raison, molestant les sujets du Roy,
         leur imposant un tribut sur la pesche du poisson: le tout pour
         les travailler, & en fin leur faire quitter la pesche, en se
         rendant maistre de toutes les costes peu à peu. De plus afin
         d'obliger les sujets de sa Majesté à aller prendre des congez
         en Angleterre, &[787] ont imposé depuis deux ou trois ans des
         noms en ladite Nouvelle France, comme la Nouvelle Angleterre &
         Nouvelle Escosse. Ils s'en sont advisez bien tard, ils le
         devoient faire avec raison, & non pas changer, ce qu'ils ne
         pourront jamais faire, on ne leur dispute pas les Virgines, ce
         qu'avec raison l'on pourroit faire, ayant esté les premiers
         François qui les ont descouvertes il y a plus de quatre vingts
         ans, par commandement de nos Roys, cela se justifie par la
         relation des histoires tant Françoises qu'Estrangeres. Mais qui
         a causé qu'ils s'en sont emparez si facillement? c'est que le
         Roy n'en avoit fait estat jusqu'à maintenant, que les justes
296/1280 plaintes qui luy en ont esté faites, le fait resoudre à
         recouvrir ce que les Anglois ont anticipé, & le fera toutesfois
         & quantes que sa Majesté le voudra.

[Note 785: Voir ci-dessus, p. 240.]

[Note 786: Probablement celle qu'il publia trois ans plus tard (édit.
1632), et que nous produisons dans cette présente édition.]

[Note 787: Au lieu de &, il faut lire _ils_.]

         Je fus prés de cinq sepmaines[788] proche de mondit sieur
         l'Ambassadeur, attendant tousjours nouvelles de France, &
         voyant le peu de diligence que l'on faisoit d'y envoyer, ou me
         donner advis de ce que l'on desiroit faire, je sceus de mondit
         sieur s'il n'avoit plus besoin de mon service, que je desirois
         m'en retourner en France, il me le permit, me donnant lettre
         pour Monseigneur le Cardinal, m'asseurant que le Roy
         d'Angleterre & son Conseil luy avoient promis de rendre la
         place au Roy, il s'y employa fort vertueusement[789], esperant
         faire donner un arrest au Conseil pour la reddition de
         l'habitation & commoditez qui y avoient esté prîtes.

[Note 788: Depuis le 30 octobre jusqu'au 30 de novembre.]

[Note 789: M. de Châteauneuf, ambassadeur extraordinaire auprès du roi
d'Angleterre, fut remplacé par M. Fontenay-Mareuil, nommé ambassadeur
ordinaire, qui arriva à Londres vers le commencement de février 1630.
Celui-ci reçut ordre du cardinal de Richelieu de poursuivre activement
les négociations entamées par son prédécesseur. Dès le commencement de
février, l'ambassade avait déjà présenté cinq mémoires au sujet des
affaires du Canada, comme on le voit par l'extrait suivant d'un document
conservé au bureau des Papiers d'État en Angleterre (State Paper Office,
Colonial Papers, vol. V, n. 50): «_Response de Messieurs les
Commissaires establis pour les affaires estrangeres, sur cinq mémoires à
eux presentés par M. l'Ambassadeur de France le premier de Febvrier
1629_» (11 février 1630, style neuf). «Touchant la restitution des
places navires & biens qui ont esté pris sur les François en Canada &
particulièrement du fort de Québec, S. M. persiste en sa première
resolution signifiée audit sieur Ambassadeur par un Mémoire qui luy fut
delivré en Latin portant que ledit fort & habitation de Québec qui fut
prist par le Capitaine Kirke le 9 (19.) de Juillet, sera restitué en
mesme estat qu'il estoit lors de la prise, sans rien abattre des
fortifications ou bâtiments, ny en emporter des armes munitions
marchandises ou utensiles qui y furent lors trouvées. Et que si aucune
chose en avoit esté emportée, elle sera rendue soit en espece ou en
valeur, selon la quantité de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par
nouvelle examination qui en sera faite sur serment avoir esté trouvé
audit lieu. Semblablement les peaus qui ont esté prises & emportées dud.
port pour butin & chose de bonne prise, seront restituées selon qu'aussy
il peut ou pourra apparoir par le compte exact qui en sera pris là, sur
serment qu'elles auront esté prises & emportées dudit lieu. C'est ce que
S. M. offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la
première déclaration qu'elle en a faite & n'estime pas pouvoir estre
pressée à davantage sur ce point là en vertu du dernier Traite.» (Voir
de plus. Mémoires du Card. de Richelieu et le Mercure français, t. XV et
XVI.)]

297/1281 Je partis de Londres le 30[790] pour aller à Larie[791] treuver
         passage, comme plus proche de Dieppe, d'où il y a 21 lieues:
         sur le chemin je rencontray ledit sieur de Caen, qui s'en
         alloit pour le recouvrement de ses peleteries, auquel
         succinctement luy fis entendre ce qui s'estoit passé, & en quel
         estat estoient les affaires: arrivant à Larie je fus quelques
         jours[792] à attendre le vent pour passer, qui estant devenu
         bon, je m'embarquay le lendemain & arrivay à Dieppe.

[Note 790: Le 30 de novembre.]

[Note 791: Ou La Rye, aujourd'hui Rye, dans le comté de Sussex.]

[Note 792: C'est-à-dire, une dizaine de jours, s'il faut en juger par la
date du rapport du capitaine Daniel, cité plus loin; à moins que ce
rapport n'ait été signé qu'après l'entrevue de celui-ci avec l'auteur.]

         Le jour en suivant arriva le Capitaine Daniel avec son
         vaisseau, qui avoit pris une habitation des Anglois, qui
         s'estoit habitée ceste mesme année à l'isle du Cap Breton par
         un Escossois appellé Stuart, qui se disoit parent du Roy
         d'Angleterre. Ledit Daniel me donna quelques lettres tant de
         Monsieur de Lozon Surintendant des affaires de la Nouvelle
         France, que de Messieurs les Directeurs, avec une Commission
         qu'ils m'envoyoient, comme estans pressez du partement de
         l'embarquement, & ne pouvant si tost avoir celle de sa Majesté,
         & de Monseigneur le Cardinal pour m'envoyer, à cause de
         l'absence de sa Majesté, laquelle Commission portoit ce qui
         s'ensuit.

         «_Les Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle
         France, Au sieur de Champlain l'un des associez en ladite
         Compagnie, Salut. L'expérience que vous vous estes acquise en
298/1282 la cognoissance du pays, & des Peuples de la Nouvelle France,
         pendant le sejour que vous y avez fait, joint la cognoissance
         particulière que nous avons de vos sens, suffisance,
         generosité, prudence, zele à la gloire de Dieu, affection &
         fidelité au service du Roy, nous ayant portez à vous nommer &
         presenter à sa Majesté, conformément au pouvoir qu'il luy a
         pleu nous en donner, pour en l'absence de Monseigneur le
         Cardinal de Richelieu Grand-Maistre Chef & Surintendant général
         des Mers & Commerce de France: commander en toute l'estendue
         dudit pays, régir & gouverner tant les Naturels des lieux que
         les François qui y resident de présent, & s'y habitueront cy
         aprés: Nous ne pouvons douter que ladite nomination ne soit
         agrée, neantmoins ayant advis que les vaisseaux que nous vous
         envoyons, sous les charges & conduictes des sieurs Daniel &
         Joubert sont prests à faire voile, & craignant que les lettres
         de provision de sa Majesté ne peuvent estre arrivées à temps
         pour vous estre envoyées par lesdites flottes, estant
         d'ailleurs necessaire & très important de n'en point différer
         le partement. A ces causes Nous par forme de provision
         seulement, & attendant l'urgente & pressante necessité de la
         chose, jugeant ne pouvoir faire meilleure eslection que de
         vostre personne, vous avons commis & député, commettons &
         deputons par ces presentes, pour jusqu'à ce qu'autrement sous
         le nom de la Compagnie y ayt esté pourveu, commander pour le
         service de sa Majesté, en l'absence de Monseigneur le Cardinal,
         audit pays de la Nouvelle France, Fort & Habitation de
         Québec, & autres places & forts qui sont & seront cy après
         construits, ausquels vous establirez tels Capitaines que bon
299/1283 vous semblera: régir & gouverner lesdits peuples ainsi que
         vous jugerez estre à faire & generalement faire en icelle
         charge tout ce que vous estimerez & trouverrez à la plus grande
         gloire de Dieu & de cet Estat, & utilité de ladite Compagnie.
         En foy de quoy avons signé ces presentes: A Paris le 21e jour
         de Mars 1629. & plus bas signé,_ De Lozon, Robineau, Alix,
         Barthélémy Quantin, Bonneau, Quantin, Houel, Haquenier,
         Castillon.»

         Ledit Daniel me fit le récit comme il s'estoit saisi du Fort du
         Milor Anglois, ainsi qu'il s'ensuit.



                         _RELATION DU VOYAGE FAIT_

         _Par le Capitaine Daniel de Dieppe, en la Nouvelle France, la
         presente année 1629._

         Le 22e jour d'Avril 1629, je suis party de Dieppe, sous le
         congé de Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre,
         Chef & Surintendant Général de la Navigation & Commerce de
         France, conduisant les navires nommez le Grand S. André & la
         Marguerite, pour (suivant le commandement de Messieurs les
         Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France)
         aller trouver Monsieur le Commandeur de Rasilly en Brouage ou
         la Rochelle, & delà aller sous son escorte secourir &
         avictuailler le sieur de Champlain, & les François qui estoient
         au fort & à l'habitation de Québec en la Nouvelle France: &
         estant arrivé le 17 de May à Ché de Boys, le lendemain l'on
300/1284 publia la paix faite avec le Roy de la Grande Bretagne, & après
         avoir sejourné audit lieu l'espace de 39 tours, en attendant
         ledit sieur de Rasilly, & voyant qu'il ne s'advançoit de
         partir, & que la saison se passoit pour faire ledit voyage: Sur
         l'advis de mesdits sieurs les Directeurs, & sans plus attendre
         ledit sieur de Rasilly, je partis de la radde dudit Ché de Boys
         le 26e jour de juin, avec quatre vaisseaux & une barque
         appartenans à ladite Compagnie, & continuant mon voyage jusques
         sur le Grand Ban, surpris que j'y fus de brunes & mauvais
         temps, je perdis la compagnie de mes autres vaisseaux, & fus
         contraint de poursuivre ma route seul, jusqu'à ce qu'estant
         environ à deux lieues proche de terre, j'apperceus un navire
         portant au grand Mas un pavillon Anglois, lequel ne me voyant
         aucun canon m'approcha à la portée du pistolet, pensant que je
         fus totalement desgarny, à lors je commencé à faire ouvrir les
         sabors, & mettre seize pièce de canon en batterie, de quoy
         s'estant ledit Anglois apperceu il s'efforça de s'esvader, &
         moy de le poursuivre jusques à ce que l'ayant approché je luy
         fis commandement de mettre son pavillon bas, comme estant sur
         les costes appartenantes au Roy de France, & de me monstrer sa
         commission, pour sçavoir s'il n'estoit point quelque forban, ce
         que m'ayant refusé je fis tirer quelques coups de canon &
         l'aborday, ce fait ayant recogneu que sa commission estoit
         d'aller vers le Cap de Mallebarre trouver quelques siens
         compatriotes, & qu'il y portoit des vaches autres choses, je
         l'asseuray que la paix estoit faite entre les deux couronnes, &
         qu'à ce suject il ne devoit rien craindre, & ainsi le laissay
301/1285 aller: & estant le 28e jour d'Aoust entré dans la riviere
         nommée par les Sauvages Grand Cibou, j'envoyay le jour d'après
         dans mon batteau dix de mes hommes le long de la coste, pour
         trouver quelques Sauvages & apprendre d'eux en quel estat
         estoit l'habitation de Québec, & arrivant mesdits hommes au
         Port aux Balaines; y trouverent un navire de Bordeaux, le
         maistre duquel se nommoit Chambreau, qui leur dit que le sieur
         Jacques Stuart Millor Escossois estoit arrivé audit lieu
         environ deux mois auparavant, avec deux grands navires & une
         patache Angloise, & qu'ayant trouvé audit lieu Michel Dihourse
         de S. Jean de Luz, qui faisoit sa pescherie & secherie de
         molue, s'estoit ledit Milor Escossois saisi du navire & molue
         dudit Dihourse, & avoit permis que ses hommes fussent pillez &
         que ledit Milor avoit peu après envoyé les deux plus grands de
         ses vaisseaux, avec le navire dudit Michel Dihourse, & partie
         de ses hommes vers le port Royal pour y faire habitation, comme
         aussi ledit Milor depuis son arrivée avoit fait construire un
         fort audit port aux Balaines, & luy avoit enlevé de force les
         trois pièces de canon qu'il avoit dans son navire, pour les
         mettre dans ledit fort, mesme donne un escrit signé de sa main,
         par lequel il protestoit ne luy permettre ny à aucun autre
         François, de pescher d'oresnavant en ladite coste, ny traitter
         avec les Sauvages, qu'il ne luy fut payé le dixiesme de tout, &
         que sa commission du Roy de la Grande Bretagne, luy permettoit
         de confisquer tous les vaisseaux qui iroient ausdits lieux sans
         son congé: Lesquelles choses m'estant rapportées, jugeant estre
302/1286 de mon devoir d'empescher que ledit Milor ne continua
         l'usurpation du païs, appartenant au Roy mon maistre, &
         n'exigea sur ses sujets le tribut qu'il se promettoit. Je fis
         préparer en armes 53 de mes hommes, & me pourveus d'eschelles &
         autres choses necessaires pour assiéger & escalader ledit fort,
         si qu'estant arrivé le 18 Septembre audit port aux Balaines, où
         estoit construict ledit fort, je mis pied à terre, & fis
         advancer sur les deux heures après midy mes hommes vers ledit
         fort, selon l'ordre que je leur avois donné, & iceluy, attaquer
         par divers endroits, avec forces grenades, pots à feu & autres
         artifices, nonobstant la resistance & les mousquetades des
         ennemis, lesquels se voyant pressez prindrent l'espouvente & se
         presenterent aussi tost sur leur rampart, avec un drappeau
         blanc en la main, demandant la vie & le quartier à mon
         Lieutenant, ce pendant que je faisois les approches vers les
         portes dudit fort, que je fis promptement enfoncer, & aussi
         tost suivy de mes hommes j'entray dans ledit fort, & me saisis
         dudit Milor, que je treuvay armé d'un pistolet & d'une espée
         qu'il tenoit en ses mains, & de tous ses hommes, lesquels au
         nombre de quinze estoient armez de cuirasses, brassarts,
         cuisarts & bourguignottes, ayans chacun une harquebuse à fusil
         en main, & le reste armez de mousquets & picques seulement: Et
         ayant iceux faict desarmez je fis oster les estendarts du Roy
         d'Angleterre, & fis mettre au lieu d'iceux ceux du Roy mon
         Maistre. Puis visitant ce qui estoit audit fort y trouvé un
         François natif de Brest nommé René Cochoan, détenu prisonnier
303/1287 jusques à ce que son Capitaine (arrivé deux jours auparavant en
         un port distant de deux lieues de celuy aux Balaines) eust
         apporté une pièce de canon qu'il avoit en son navire, & payé le
         dixiesme de ce qu'il pescheroit, & le jour suivant je fis
         équiper une carvelle Espagnolle que je trouvay eschouée devant
         ledit fort, & charger les vivres & munitions qui estoient en
         iceluy, & après l'avoir fait raser & desmolir, & le tout faict
         porter à ladite riviere du grand Cybou, je fis avec toute
         diligence travailler en ce lieu cinquante de mes hommes, &
         vingt des Anglois à la construction d'un retranchement ou fort
         sur l'entrée de ladite riviere pour empescher les ennemis d'y
         entrer, dans lequel je laissay quarante hommes, compris le R.
         P. Vimond & Vieupont Jesuites, huict pièces de canon, dix-huict
         cens de pouldre, six cens de mèche, quarante mousquets,
         dix-huict picques, artifices, balles à canon & mousquets,
         vivres & autres choses necessaires, avec tout ce qui avoit esté
         trouvé dans ladite habitation & fort desdits Anglois, & ayant
         fait dresser les armes du Roy & de Monseigneur le Cardinal,
         faict faire une Maison, Chappelle & magasin, pris serment de
         fidélité du sieur Claude natif de Beauvais, laissé pour
         commander ledit fort & habitation pour le service du Roy, &
         pareillement du reste des hommes demeurez audit lieu: Suis
         party le 5e jour de Novembre, & ay amené lesdits Anglois,
         femmes & enfans, desquels en ay mis 42, à terre prés Palmue,
         port d'Angleterre, avec leurs hardes, & dix-huict ou vingt que
         j'ay amenez en France avec ledit Milor, attendant le
304/1288 commandement de mondit Seigneur le Cardinal Ce que je
         certifie estre vray, & ay signé la presente Relation. A Paris
         ce douziesme Décembre 1629.[793]

[Note 793: Pour plus de détails sur cette expédition, voir: _Prise d'un
seigneur escossois & de ses gens qui pilloient les navires pescheurs de
France, par M. Daniel de Dieppe, Capitaine pour le Roy en la Marine, &
Général de la Nouvelle France_, dédié à M. le Président de Lauzon,
intendant de la Cie. dudit pays, par le sieur de Malapart, soldat dudit
sieur Daniel, Rouen, 1630; _The barbarous cariage of the French in Cape
Britaine, lord Ewchiltree's Information_ (State Paper Office, Colonial
Papers, vol. V, n. 46, 48).]

         Ayant sejourné deux jours à Dieppe je m'acheminay à Rouen, où
         je m'arrestay deux autres jours, & appris comme le vaisseau des
         Reverends Peres l'Allemand & Noyrot s'estoient perdus vers les
         Isles de Canseau, & me fit-on voir une lettre dudit Reverend
         Père l'Allemand, Supérieur de la Mission des Pères Jesuites, en
         la nouvelle France, envoyée de Bordeaux au R. P. Supérieur du
         Collège des Jesuites à Paris, & dattée du 22 Novembre 1629.
         comme il s'ensuit.



                          MON REVEREND PERE,

                             Pax Christi.

         «_Castigans castigavit me Dominus & morti non tradidit me,_
         Chastiment qui m'a esté d'autant plus sensible que le naufrage
         a esté accompagné de la mort du R. P. Noyrot & de nostre frère
         Louys, deux hommes qui devoient, ce me semble grandement servir
         à nostre Séminaire. Or neantmoins puis que Dieu a disposé de la
         sorte, il nous faut chercher nos contentemens dans ses sainctes
         volontez, hors desquelles il n'y eut jamais esprit solide ny
305/1289 content, & se m'asseure que l'expérience aura fait voir à
         vostre reverence que l'amertume de nos ressentiments détrempée
         dans la douceur du bon plaisir de Dieu, auquel une ame
         s'attache inseparablement, perd ou le tout, ou la meilleure
         partie de son fiel. Si que s'il reste encore quelques souspirs
         pour les souffrances, ou passées ou presentes, ce n'est que
         pour aspirer davantage vers le Ciel, & perfectionner avec
         mérite ceste conformité dans laquelle l'ame a pris resolution
         de passer le reste de ses jours; De quatre des nostres que nous
         estions dans la barque, Dieu partageant à l'esgal, en a pris
         deux, a laissé les deux autres. Ces deux bons Religieux
         très-bien disposez & resignez à la mort, serviront de victime
         pour appaiser la colère de Dieu justement jettée[794] contre
         nous pour nos deffauts, & pour nous rendre desormais sa bonté
         favorable au succeds du dessein entrepris.

[Note 794: Irritée.]

         Ce qui nous perdit fut un grand coup de vent de Suest, qui
         s'esleva lors que nous estions à la rive des terres, vent si
         impétueux que quelque soin & diligence que peust apporter
         nostre Pilote avec ses Matelots, Quelques voeux & prières que
         nous peussions faire pour destourner ce coup, jamais nous ne
         peusmes faire en sorte que nous n'allassions heurter contre les
         rochers: ce fut le 26e jour d'après nostre départ, jour de
         sainct Barthelemy[795], environ sur les neuf heures du soir; De
         24 que nous estions dans la barque, dix seulement eschapperent,
         les autres furent estouffez dans les eaux. Les deux nepveux du
306/1290 Père Noyrot tindrent compagnie à leur oncle, leurs corps ont
         esté enterrez, entre autres celuy du P. Noyrot & de nostre
         frère, des sept autres nous n'en avons eu aucune nouvelles,
         quelque recherche que nous en ayons peu faire. De vous dire
         comment le Père de Vieuxpont & moy avons eschappé du naufrage,
         il me seroit bien difficille, & croy que Dieu seul en a
         cognoissance, qui suivans les desseins de sa divine providence
         nous a preservez, car pour mon regard ne jugeant pas dans les
         apparences humaines qu'il me fust possible d'éviter ce danger,
         j'avois pris resolution de me tenir dans la chambre du navire
         avec nostre frère Louys, nous disposans tous deux à recevoir le
         coup de la mort, qui ne pouvoit tarder plus de trois _Merere_,
         & lors que j'entendis qu'on m'appelloit sur le haut du navire,
         je croyois que c'estoit quelqu'un qui avoit affaire de mon
         secours, je montay en haut, & trouvay que c'estoit le P. Noyrot
         qui me demandoit de rechef l'absolution: Après luy avoir
         donnée, & chanté tous ensemble le _Salve Regina_, je fus
         contrainct de demeurer en haut; car de descendre il n'y avoit
         plus de moyen, la mer estoit si haute, & le vent si furieux,
         qu'en moins de rien le costé qui panchoit sur le rocher fut mis
         en pièces, j'estois proche du P. Noirot lors qu'un coup de mer
         vint si impetueusement donner contre le costé sur lequel nous
         estions qui rompit tout, & me separa du P. Noyrot, de la bouche
         duquel j'entendis ces dernières paroles, _In manus ci tuas
         Domine, etc_. Pour moy de ce coup je me trouvay engagé entre
307/1291 quatre pièces de bois, deux desquelles me donnerent si rudement
         contre la poictrine, & les deux autres me briserent si fort le
         dos que je croyois mourir auparavant que d'estre enveloppé des
         flots, mais voicy un autre coup de mer qui me desengageant de
         ces bois m'enleva, & mon bonnet & mes pantoufles, & mist le
         reste du navire tout à plat dans la mer: le tombay heureusement
         sur une planche que je n'abandonnay point, de rencontre elle
         estoit liée avec le reste du costé de ce navire. Nous voilà
         doncques à la mercy des flots, qui ne nous espargnoient point:
         ains s'eslevans je ne sçay combien de couldées au dessus de
         nous, tomboient par après sur nos testes. Après avoir flotté
         longtemps de la sorte dans l'obscurité de la nuict, qui estoit
         desja commencée, regardant à l'entour de moy je m'apperceus que
         nous estions enfermez d'espines & sur tout environnez & prest
         du costau qui sembloit une isle, puis regardant un peu plus
         attentivement je contay six personnes qui n'estoient pas fort
         esloignées de moy, deux desquels m'appercevans, m'excitèrent à
         faire tous mes efforts pour m'approcher, ce ne fut pas sans
         peine, car les coups que j'avois receus dans le débris du
         vaisseau m'avoient fort affoiblis: le fis tant neantmoins,
         qu'avec mes planches j'arrivay au lieu où ils estoient, & avec
         leur secours je me trouvay assis sur le grand mast, qui tenoit
         encore ferme avec une partie du vaisseau, je n'y fus pas
         long-temps car comme nous approchions plus prés de ceste isle,
         nos Matelots se lancèrent bien-tost à terre, & avec leur
308/1292 assistance tous ceux qui estoient sur le costé du navire y
         furent bien tost après. Nous voilà donc sept de compagnie, je
         n'avois bonnet ny souliers, ma soutane & habits estoient tous
         deschirez, & si moulus de coups que je ne pouvois me soustenir,
         & de faict il fallut qu'on me soustint pour aller jusques dans
         le bois, aussi avois-je receu deux rudes coups aux deux jambes,
         mais sur tout à la dextre, dont je me retiens encore, les mains
         fendues avec quelque contusion, la hanche escorchée, la
         poitrine sur tout bort offencée, nous nous retirasmes donc tous
         sept dans le bois, mouillez comme ceux qui venoient d'estre
         trempez dans la mer: la première chose que nous fismes fut de
         remercier Dieu de ce qu'il nous avoit preservez, & puis le
         prier pour ceux qui pourroient estre morts. Cela faict pour
         nous eschauffer nous nous couchasmes les uns proches des
         autres, la terre & l'herbe qui avoient esté mouillez de la
         pluye du jour n'estoient encore propre pour nous seicher, nous
         passasmes ainsi le reste de la nuict, pendant laquelle le P. de
         Vieuxpont (qui grâces à Dieu n'estoit point offencé) dormit
         fort bien. Le l'endemain si tost qu'il fut jour nous allasmes
         recognoistre le lieu où nous estions, & trouvasmes que c'estoit
         une isle de laquelle nous pouvions passer à la terre ferme, sur
         le rivage nous trouvasmes forces choses que la mer y avoit
         jetté, j'y trouvay deux pantoufles, un bonnet, un chappeau, une
         soutanne, & plusieurs autres choses necessaires. Sur tout Dieu
         nous y envoya pour vivres cinq bariques de vin, quelques dix
309/1293 pièces de lard, de l'huile, du pain des fromages, & une
         harquebuse, & de la pouldre tout à propos pour faire du feu.
         Après qu'on eut ainsi tout retiré, le jour de sainct Louys[796]
         tous s'employerent à faire le possible pour bastir une
         chalouppe du desbris du vaisseau, avec laquelle nous irions
         rangeant la coste chercher quelque navire de pescheurs: On se
         mit doncques à travailler avec meschans ferremens que l'on
         trouva, elle estoit bien advancée, le quatriesme jour, lors que
         nous eusmes cognoissance d'une chalouppe qui estoit sous voile
         venant vers le lieu où nous estions, ils receurent dedans un de
         nos matelots qui alla tout seul plus proche du lieu où elle
         devoit passer, ils le menèrent dans leur vaisseau parler au
         Maistre, auquel il raconta nostre disgrace, le maistre tout
         aussi-tost s'embarqua dans une chalouppe & nous vint trouver,
         nous offrit à tous le passage: Nous voila en asseurance, car le
         lendemain tous les hommes couchèrent dans son vaisseau:
         C'estoit un vaisseau Basque qui faisoit pesche à une lieue &
         demie du rocher, où nous fismes naufrage, & pour autant qu'il
         restoit encores bien du temps pour achever leur pesche, nous
         demeurasmes avec eux ce qui restoit du mois d'Aoust, & tout le
         mois de Septembre. Le premier d'Octobre arriva un Sauvage qui
         dist au Maistre que s'il ne s'en alloit il y auroit danger que
         les Anglois ne le surprissent. Cette nouvelle le disposa au
         départ: Le mesme Sauvage nous dist que le Capitaine Daniel
         estoit à vingt-cinq lieues de là qui bastissoit une maison, & y
310/1294 laissoit des François avec un de nos Peres: Cela me donna
         occasion de dire au P. de Vieuxpont qui me pressoit fort que je
         luy accordasse de demeurer avec ce Sauvage dans ceste coste,
         qui estoit bien l'un des meilleurs Sauvages qui se puisse
         rencontrer, Mon Père voicy le moyen de contenter vostre
         reverence, le Père Vimond sera bien aise d'avoir un compagnon.
         Ce Sauvage s'offre de mener vostre Reverence jusques au lieu où
         est Monsieur Daniel, si elle veut demeurer là elle y demeurera,
         si elle veut aller quelques mois avec les Sauvages, pour
         apprendre la langue elle le pourra faire, & ainsi le R. Père
         Vimond & vostre Reverence auront leur contentement: le bon Pere
         fut extresmement joyeux de ceste occasion qui se presentoit,
         ainsi il s'embarque dans la chalouppe du Sauvage, je luy
         laissay tout ce que nous avions sauvé, horsmis le grand Tableau
         duquel le matelot Basque s'estoit saisi, mais j'avois bien
         pensé au retour de luy faire rendre, si une autre disgrace ne
         nous fut arrivée. Nous partismes donc de la coste le 6 Octobre,
         & après avoir enduré de si furieuses tempestes que nous
         n'avions encores expérimentées, le quarantiesme jour de nostre
         départ entrant dans un port proche de S. Sebastien, nous fismes
         de rechef un second naufrage, le Navire rompu en mille pièces,
         toute la molue perdue, ce que je peux faire ce fut de me sauver
         dans une chalouppe, dans laquelle je me jettay avec des
         pantoufles aux pieds, & un bonnet de nuict en teste, & en ceste
         esquippage m'en aller trouver nos Pères à S. Sebastien, d'où je
311/1295 partis   il y a huict jours, & suis arrivé à Bourdevac proche
         de Bordeaux le 20 de ce mois[797]. Voila le succeds de nostre
         voyage, par lequel vostre Reverence peut juger des obligations
         que j'ay à DIEU.»

[Note 795: Le 24 août.]

[Note 796: Le 25 août.]

[Note 797: Le 20 de novembre.]

         De Rouen je m'acheminay à Paris, où je fus saluer sa Majesté,
         Monseigneur le Cardinal, & Messieurs les Associez, auquel je
         fis entendre tout le sujet de mon voyage, & ce qu'ils avoient à
         faire, tant en Angleterre qu'aux autres choses qui convenoit
         pour le bien & utilité de ladite nouvelle France, l'on
         despescha quelque temps après mon arrivée à Paris, le sieur
         Daniel[798] le medecin pour aller à Londres treuver mondit sieur
         l'Ambassadeur, avec lettres de sa Majesté pour demander au Roy
         d'Angleterre qu'il eust à faire rendre le Fort & Habitation de
         Québec, & autres ports & havres qu'il avoit pris aux costes
         d'Acadie, après la paix faicte entre les deux Couronnes de
         France & d'Angleterre: Ce que mondit sieur l'Ambassadeur
         demande au Roy & à son Conseil, qui ordonna que le Fort &
         Habitation seroient remis entre les mains de sa Majesté, ou
         ceux qui auroient pouvoir d'elle, sans parler des costes
         d'Acadie.

[Note 798: Probablement André Daniel. Le P. Ducreux le mentionne comme
l'un des Cent-Associés, et lui donne le titre de _Doctor Medicus_.]

         Mondit sieur Ambassadeur renvoya Daniel porter la responce,
         sçavoir si sa Majesté l'auroit pour agréable. Ce qu'attendant
         lesdits sieurs Directeurs ne laisserent de supplier sa Majesté
         & Monseigneur le Cardinal leur vouloir octroyer six de ses
312/1296 vaisseaux avec quatre pataches qu'ils fourniroient pour aller
         au grand fleuve S. Laurens reprendre possession du Fort &
         Habitation de Québec, suivant l'accord qui en seroit faict
         entre leurs Majestés, que si cas advenant que l'on ne voulust
         remettre la place entre les mains de ceux qui auroient pouvoir
         de sa Majesté, ils seroient contraints par toutes les voyes
         justes & raisonnables. Ladite Société fournissant seize mille
         livres pour l'interests de six vingts mille livres, qu'il
         failloit à mettre les vaisseaux hors. Monsieur le Chevalier de
         Rasilly fut esleu pour général de ceste flotte, on les esquippe
         & appareille de tout ce qui estoit necessaire, ce pendant sa
         Majesté qui avoit à faire aux guerres d'Italie, ne peust rendre
         response au Roy d'Angleterre, & mondit sieur l'Ambassadeur qui
         attendoit la despeche de sa Majesté.

         L'Anglois prend alarme de l'armement de ses vaisseaux, ils en
         font plainte à mondit sieur l'Ambassadeur, qui leur dit, qu'ils
         ne devoient appréhender sur ce sujet, d'autant que sa Majesté
         n'avoit desir que de traitter à l'amiable, puisqu'ils avoient
         ainsi commencé, que les vaisseaux que l'on armoit n'estoient
         que pour faire escorte à ceux de la societé, qui avoient
         interest de reprendre possession de ce qui leur appartenoit,
         portant ce qui leur estoit necessaire pour les hommes qui
         devoient demeurer en ces lieux. Puisqu'ils entroient en
         ombrage, il feroit qu'à son retour sa Majesté leur donneroit
         contentement, en ostant le soubçon qu'ils pourroient avoir, en
         traitant de ceste affaire à l'amiable: sur ce de rechef le Roy
         de la grande Bretagne promet faire restituer ce que ses sujets
         avoient pris depuis la paix faite.

313/1297 Mondit sieur l'Ambassadeur s'en revient trouver sa Majesté, &
         mondit Seigneur le Cardinal en Savoye, ausquels il fait
         entendre tout ce que dessus, ce que ouy l'on contremande le
         commandement qui avoit esté donné pour les vaisseaux qui
         devoient aller audit Québec, le voyage rompu, les affaires
         demeurent en cet estat, pour le divertissement que sa Majesté
         avoit en Italie, & ne fit on response attendant la fin de ces
         guerres, ce pendant les Anglois qui ne perdent temps arment
         deux vaisseaux, avec vivres & marchandises pour porter audit
         Québec, qui ne croyoient icelle année rendre la place: l'on ne
         traita rien de ces affaires pour les causes susdites.

         D'autre part les sieurs Directeurs font esquipper deux
         vaisseaux pour le Cap Breton, & secourir ceux qui y estoient
         habituez, & deux autres qui furent accommodez à Bordeaux, pour
         aller faire une habitation en l'Acadie, où estoit le fils de la
         Tour, qui avoit succedé en la place du feu sieur Jean Biencour.
         Nous laisserons voguer ces vaisseaux tant d'un costé que
         d'autre, pour voir ce qui en réussira à leur retour, & quelles
         nouvelles nous apprendrons du progrez qui y aura esté fait, &
         comme les hyvernans tant du Cap Breton, que Anglois auront
         passé le temps à Québec. Le sieur Tufet fait faire l'esquippage
         de ceux de Bordeaux l'an 1630. chargez de commoditez
         necessaires, pour aller faire une habitation à la coste
         d'Acadie, où il met des ouvriers & artisans avec trois
         Religieux de l'ordre des Peres Recollets, le tout sous la
         conduitte du Capitaine Marot de sainct Jean de Lus, se mettent
314/1298 en mer pour avec la grâce de Dieu parfaire leur voyage, ayant
         esté contrariez de mauvais temps à leur traverse prés de trois
         mois, ils arrivent à un lieu qui s'appelle le Cap de Sable,
         sous la hauteur de 44 degrez où ils treuverent le fils de la
         Tour[799] & quelques autres volontaires François qui estoient
         avec luy, auquel ledit Marot donna des lettres dudit sieur
         Tufet, par lesquelles l'on mandoit audit de la Tour, de se
         maintenir tousjours dans le service du Roy, & de n'adhérer ny
         condescendre aux volontez de l'Anglois, comme plusieurs
         meschans François avoient fait, lesquels se ruynoient d'honneur
         & de réputation d'avoir deservy sa Majesté, ce qui ne se
         pouvoit esperer de luy, s'estant tousjours maintenu jusqu'à
         present, & que pour cet effect il luy envoyoit des vivres,
         rafreschissement, armes, & hommes pour l'assister, & faire
         édifier une habitation au lieu qu'il jugeroit le plus commode,
         & plusieurs autres discours tendant à ce sujet. La Tour
         tres-aise de voir naistre ce que à peine il pouvoit esperer,
         qui neantmoins ne s'estoit laissé emporter aux persuasions de
         son père [800] qui estoit avec les Anglois, souhaitant plustost
315/1299 la mort que de condescendre à une telle meschanceté que de
         trahir son Roy, qui donna du mécontentement aux Anglois, contre
         le père de la Tour qui leur avoit asseuré de réunir son fils à
         leur rendre toute sorte de service.

[Note 799: Charles-Amador, fils de Claude-Turgis de Saint-Étienne de la
Tour. Il fut d'abord enseigne, puis lieutenant de M. de Biencourt, qui,
en mourant, lui légua ses droits sur Port-Royal, et le nomma son
successeur dans le commandement. M. de Biencourt, autant qu'on peut en
juger, était mort vers le commencement de l'année 1624. (_Conf_. Lettre
de La Tour au roi, 1627, et page 83 ci-dessus.)]

[Note 800: Claude de La Tour, père, avait été pris l'année précédente,
par la flotte de Kertk (ci-dessus, p. 17;). Il revenait de France pour
rejoindre son fils dans l'Acadie. Emmené en Angleterre comme prisonnier,
il laissa ébranler sa fidélité envers son souverain, et il épousa une
dame anglaise de haute condition. Cette alliance lui imposa une espèce
d'obligation d'engager son fils à remettre son fort en l'obéissance du
roi d'Angleterre; ce qui lui réussit fort mal: car le jeune de La Tour
résista courageusement à toutes les suggestions et même les attaques de
son père. (Denys, t. I, p. 68 et suivantes.)]

         Ayant leu ces lettres, & la réception faicte avec le
         contentement qu'un chacun pouvoit desirer & principalement les
         Pères Recollets de se voir au lieu qu'ils avoient souhaitté,
         tant pour remettre les François au droit chemin de la crainte
         de Dieu, qui avoient esté plusieurs années sans avoir esté
         confessez, ny receu le S. Sacrement, que pour l'esperance
         qu'ils se promettoient de faire quelque progrez envers la
         conversion de ces pauvres infidèles, qui sont errans le long
         des costes, menant une vie miserable, telle que je l'ay
         representée cy dessus.

         Lesdits de la Tour & Marot adviserent qu'il falloit donner
         advis à la Tour le père, qui estoit au port Royal avec lesdits
         Anglois, de tout ce qui se passoit en ce lieu, le persuadant à
         le faire revenir & laisser lesdits Anglois, ce qui fut exécuté,
         tant pour le remettre en son devoir, comme pour sçavoir de luy
         l'estat des Anglois & leur dessein, pour en suitte se gouverner
         selon qu'ils adviseroient suyvant sa relation.

         Ils envoyerent un nommé Lestan[801] avec lettre dudit la Tour à
         son père, qui l'ayant receue & leue aussi tost se mit en devoir
         de venir trouver son fils, ne pouvant ny esperant faire grande
316/1300 fortune avec les Anglois, qui avoient grandement diminué de
         l'opinion qu'ils en avoient eue[802]: Arrivé qu'il fut audit
         Cap de Sable, il donne à entendre ce que l'Anglois avoit
         dessein de faire, qui estoit de venir prendre leur fort, c'est
         pourquoy ils avoient à se fortifier le mieux qu'il leur seroit
         possible, pour empescher l'Anglois de son dessein: sçavoir s'il
         disoit vray & pour se rendre necessaire, je tiens qu'il n'y
         avoit pas beaucoup d'apparence que l'Anglois eust voulu remuer
         la Paix, estant & sçachant les plaintes que l'on en avoit
         faites au Roy de la grande Bretagne, qui offroit de rendre &
         restituer tout ce qui avoit esté pris depuis la paix faicte:
         quoy que ce soit, il ne faut pas négliger de se loger
         fortement, aussi bien en temps de paix, que de guerre, pour se
         maintenir aux accidents qui peuvent arriver, c'est ce que je
         conseille à tous entrepreneurs de rechercher lieu pour dormir
         en seureté.

[Note 801: C'est peut-être ce «nommé Lestan» qui a laissé son nom au
Havre à l'Estant près de l'entrée de la baie de Passamaquoddie.]

[Note 802: D'après Denys, qui tenait ses renseignements de La Tour
lui-même, le retour du père ne se fit pas tout à fait comme le dit
l'auteur. Claude de La Tour, n'ayant pu réussir ni à gagner son fils par
des promesses, ni à le contraindre par la force, se trouva fort
embarrassé, ne pouvant plus reparaître en Angleterre et encore moins
retourner en France. Il prit le parti d'écrire à son fils, & le pria de
souffrir que sa femme & luy demeurassent dans le pays... Son fils luy
fit réponse, qu'il ne vouloit point estre la cause de sa mort, mais
qu'il ne luy pouvoit accorder sa demande qu'à condition qu'il
n'entreroit ny luy ny sa femme dans son fort; qu'il leur feroit bastir
un petit logement au dehors, que c'estoit tout ce qu'il pouvoit faire;
il receut la condition que son fils luy fit. Le Capitaine envoya tout
leur équipage à terre, où la Tour père décendit avec sa femme, deux
hommes pour le servir, & deux filles de chambre pour sa femme. Le jeune
de la Tour leur fit bastir un logement à quelque distance du fort, où
ils s'accommodèrent du mieux qu'ils peurent. Ils avoient apporté
quelques victuailles, qui ne furent pas plutost consommées, que la Tour
fils y supplea, en nourrissant son père & toute sa famille.» «Environ
l'an mil six cens trente cinq, ajoute Denys, je passay par là; je fus
voir le jeune de la Tour, qui me receut très-bien, & me permit de voir
son père en son logement; ce que je fis. Il me receut bien, m'obligea de
dîner avec luy & sa femme; ils estoient fort proprement meublez.»
(Description de l'Amérique, t. I, p. 74-77.)]

         Ledit père de la Tour fit aussi rapport qu'il estoit mort
         trente Escossois, de septante qu'ils estoient en cet
         hyvernement, qui avoient esté mal accommodez: fut resolu tant
317/1301 par le Conseil desdits de la Tour père & fils, que Marot, &
         Pères Recollets, de faire encore une habitation à la riviere S.
         Jean pour plusieurs raisons telles quelles, qui est à quatorze
         lieues du port Royal, plus au Nort dans la Baye Françoise: que
         pour parvenir à l'exécution de ceste entreprise, il estoit
         necessaire d'avoir des hommes & commoditez pour basti & se
         fortifier en ladite riviere.

         Pour ne perdre temps il falloit dépescher le moyen vaisseau
         audit sieur Tufet, & envoyer promptement des hommes & autres
         choses necessaires, pour s'opposer aux forces de l'Anglois, qui
         ne taschoit que de temps en temps à usurper tout le païs, &
         qu'en icelle habitation nouvelle le père de la Tour y
         commanderoit, le fils au Cap de Sable, qui fit retenir toutes
         les commoditez des vaisseaux qu'il jugea luy estre necessaires:
         Le moyen vaisseau ne fit ny traite ny pesche pour payer les
         fraiz de son embarquement, & ainsi légèrement s'en revient à
         Bordeaux avec lettres tant des Peres Recollets que de la Tour,
         addressantes à Messieurs les Directeurs de la Nouvelle France,
         qui fut vers la fin du mois d'Octobre: ledit Marot demeura là
         avec le grand vaisseau, pour essayer à faire quelque chose pour
         payer le voyage.

         Ceste nouvelle receue dudit sieur Tufet, par le retour du moyen
         vaisseau si léger, ne luy peust donner grand contentement, pour
         le renvoy estre trop precipitement & légèrement fait, sans y
         avoir du sujet necessaire qui les peust avoir esmeuz à cela.

318/1302 Car la resolution de ce Conseil qui avoient plustost leurs
         inclinations au bien de leur contentement, & autres de leurs
         affaires particulières, qu'à conserver & employer le bien de
         ceux qui les employent à leur proffit, pour supporter la
         despense qui se fait en cet embarquement, que si le mesnagement
         de ceux qui sont employez n'est fait avec soing & vigilence,
         accompagné de fidélité, les voyages se rendent inutils, font
         perdre courage aux entrepreneurs, qui ne font les rencontres
         selon leurs volontez, & souvent deceu de ce qu'ils s'estoient
         peu imaginer en ces desseins.

         Quelle raison avoit il d'envoyer ce vaisseau vuide pour
         demander du secours, lequel quand on l'eust voulu renvoyer à
         mesme temps, avec les choses necessaires pour cet effect, il se
         fut passé plus de quatre à cinq mois, qui n'eust peu estre que
         vers la fin de Fevrier ou Mars, dans la rigueur de l'hyver, où
         les neges sont de deux à trois pieds, & les traverses fort
         fascheuses en ce temps, comme l'on voit assez par expérience,
         qui est fatiguer tous ceux d'un vaisseau, & quelquesfois courir
         risque de se perdre, ou estre desmatez & relâcher qui se voit
         assez souvent pour se haster trop tost, encore qu'à l'Acadie
         l'on peut aborder la terre en tout temps, & y arrivant en
         l'hyver l'on ne laine d'y avoir de grandes incommoditez, comme
         nous l'avons expérimenté.

         Que si l'Anglois eust eu volonté d'aller prendre la Tour, & se
         sentant plus fort comme le representoit le Père, ils l'eussent
         emporté s'il n'eust esté bien fortifié & amunitionné, premier
         que le secours de France luy fut arrivé.

319/1303 Mais ayant des hommes & commoditez que ledit Marot avoit porté,
         ils n'avoient que faire de craindre estant un peu fortifiez
         comme ils eussent peu faire, & laisser faire la pesche de
         poisson & traitte aux vaisseaux, & ne le renvoyer vuide avec
         une lettre: sa charge faite revenant de compagnie avec ledit
         Marot, il eust apporté dequoy (au moins en partie) payer son
         voyage, & les lettres fussent venues aussi à temps pour ce
         qu'ils desiroient, comme quand ils le firent partir sans rien
         rapporter, car ils pouvoient s'imaginer que l'on ne renvoyeroit
         qu'au Printemps, par consequent vaine leur resolution
         inconsiderée & précipitée, qui a fait perdre beaucoup audit
         sieur Tufet, & des sieurs de la societé qui se fussent bien
         passés de telle depesche. Presqu'en ce mesme temps arriva un
         vaisseau pescheur du Cap Breton, dans lequel repassoit les
         Reverends Pères Vimond & Vieux-pont Jesuistes, par le
         commandement qui leur en avoit esté faict de leur Reverend Père
         Provincial, qui dirent qu'à ladite habitation du grand Cibou,
         en l'isle dudit Cap Breton estoit mort douze François du mal de
         terre, qui est le securbut, & d'autres malades, le Printemps
         les remit: Ces maladies comme j'ay dit en mes premiers voyages,
         ne vient que de manger des salures, pour n'avoir des viandes ou
         autres choses rafraichissantes, comme nous avons esprouvé en
         nos habitations par le passé. Durant l'hyvernement ils virent
         peu de Sauvages qui n'y viennent que par rencontre chercher les
         vaisseaux François qui y peuvent estre pour traitter avec eux:
         ces endroits ne sont pas beaucoup plaisans ny agréables que
320/1304 pour la pesche de molue. Ils laisserent les deux vaisseaux que
         Messieurs les Directeurs avoient envoyez pour le ecours
         d'icelle habitation, qui avoient traitté quelque nombre de
         peaux d'eslans, faisant leur pesche de poisson, comme plusieurs
         autres vaisseaux qui sont par toutes ces costes.

         Vers le 10 Octobre arriverent à Londres deux vaisseaux Anglois,
         l'un du port de deux cens cinquante tonneaux, & l'autre de
         cent, qui revenoient de Québec où ils avoient fait monter leur
         vaisseau de Tadoussac pour n'estre en la puissance de ceux qui
         eussent esté plus forts qu'eux, s'il en fut venu comme ils
         s'imaginoient, en l'un commandoit le Capitaine Thomas Quer
         Vis-Admiral au voyage précèdent, & le Capitaine Breton Anglois
         bon marinier, lequel avoit fait bon traittement en son vaisseau
         aux Peres Jesuistes quand nous retournasmes de Québec avec
         lesdits Anglois l'année d'auparavant, lesquels ramenèrent deux
         François qu'ils avoient retenus par delà, l'un charpentier &
         l'autre laboureur, qui de Londres revindrent à Paris, lequel
         nous dit qu'ils avoient rapporté pour trois cens mille livres
         de peleterie, & estoit mort quatorze Anglois de nonante qu'ils
         estoient, de pauvreté & misere durant l'hyver, & autres qui
         avoient esté assez malades, n'ayant fait bastir ny défricher
         aucune terre depuis nostre département, sinon ensemencer ce qui
         estoit labouré tant la maison des Pères Jesuistes que Peres
         Recollets, dans lesquelles maisons y avoit dix hommes pour les
         conserver, qu'au fort ils n'avoient fait qu'un parapel de
         planche sur le rampart, & remply deux plates formes que j'avois
321/1305 fait commencer: de bastiment dedans ils n'en avoient fait
         aucun, horsmis une de charpente contre le rempart, qu'en partie
         ils avoient défait du costé de la pointe aux Diamants pour
         gaigner de la place, & qu'elle n'estoit pas encore achevée. Que
         dans le fort y avoit quatorze pièces de canon, avec cinq
         espoirs de fonte verte qu'ils nous avoient pris, & quelques
         pierriers, estant bien amunitionnées, & estoient restez
         quelques septante Anglois. Que le tonnerre avoit tombé dans le
         fort & rompu une porte de la chambre des soldats, entré en
         icelle, meurtry trois à quatre personnes, passé dessous une
         table, tué deux grands dogues qui estoient pour la garde, &
         s'en estoit allé par le tuyau de la cheminée qui en avoit abatu
         une partie, & ainsi se perdit en l'air.

         Dit que les mesnages François[803] qui resterent ont esté très
         mal traictez, de ceux qui se sont rendus aux Anglois, &
         principalement d'un appelle le Bailly, duquel j'ay parlé cy
         dessus. Pour ce qui est du Capitaine Louis & des Anglois ils
         n'en ont point esté inquiétez: rapporte qu'ils s'attendoient
         bien que ceste année les vaisseaux du Roy y deussent aller avec
         commission du Roy de la grande Bretagne, pour les en faire
         desloger, ce qu'ils eussent fait non autrement que par force:
         Voilà ce que nous avons eu de nouvelles qu'injustement ils
         tiennent ceste place, & en tirent les émoluments qui ne leur
         appartiennent, mais l'esperance que l'on a que le Roy
         d'Angleterre la fera rendre au Roy avec douceur & non de force,
         convenir des limites que chacun doit posseder, & non vouloir
322/1306 des Virgines embraser toutes les costes qui ne leurs
         appartiennent, comme il se peut voir & sçavoir par les
         relations de ceux qui ont premièrement descouvert & possedé
         actuellement & réellement ces terres, au nom de nos Roys
         devanciers jusqu'à maintenant, sous LOUYS le JUSTE XIII. Roy de
         France & de Navarre, que Dieu veuille combler de milles
         benedictions, & accroistre son règne d'une heureuse & longue
         vie.

[Note 803: Ces ménages sont les cinq familles dont il a été parlé
ci-dessus, p. 205, 206.]



                                 FIN.



         _ABREGÉ DES DESCOUVERTURES de la Nouvelle France, tant de ce
         que nous avons descouvert comme aussi les Anglais, depuis les
         Virgines Jusqu'au Freton Davis, & de ce qu'eux & nous pouvons
         prétendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont
         descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger à un
         chacun du tout sans passion._


         Les Anglois ne nous disputent point toute la Nouvelle France,
         & ne peuvent desnier ce que tout le monde a accordé, ains
         seulement débattent des confins, nous restraignant jusqu'au Cap
         Breton, qui est par la hauteur de quarante cinq degrés trois
         quarts de latitude, ne nous permettant pas d'aller plus au
         midy, s'attribuant tout ce qui est de la Floride jusqu'au dit
         Cap Breton, & ces dernières années ils ont voulu s'estendre par
         usurpation jusqu'au fleuve sainct Laurent, comme ils ont fait.

323/1307 Voicy le fondement de leur prétention, qui est qu'environ l'an
         1594,[804] estant aux costes de la Floride arriverent en un
         lieu que lesdits Anglois appelloient Mocosa, y ayant treuvé
         quelques rivieres & païs qui leur agréa, ils commencèrent à y
         vouloir bastir, luy imposant le nom de Virgines: mais ayant
         esté contrariez par les Sauvages & autres accidents, ils furent
         contrains de quitter, ny ayant demeuré que deux ou trois ans:
         neantmoins depuis le feu Roy Jacques d'Angleterre venant à la
         couronne prit resolution de la recognoistre, habiter &
         cultiver, à quoy ledit Roy favorisant a baillé de grands
         privileges à ceux qui entreprendroient ceste peuplade, &
         entr'autres a estendu le droict de leur retenue dés le 33e
         degré de l'élevation jusqu'au 45 & 6, leur donnant pouvoir sur
         tous Estrangers qu'ils treuveroient dans ceste estendue de
         terre, & 50 mille avant en la mer. Ces lettres du Roy furent
         expédiées l'an quatriesme de son règne, & de grâce 1607, le 10
         d'Avril, il y a 24 ans. Voilà tout ce qui se peut apprendre de
         leurs commissions & enseignements pour ces contrées. Voicy ce
         que nous leurs respondons.

[Note 804: La première tentative d'établissement à la Virginie fut celle
de sir Walter Raleigh, en 1584. Sir Francis Drake ramena la colonie en
Angleterre au bout de deux ans (Holmes' _American Annals_).]

         En premier lieu, que leurs lettres royaux sur quoy ils se
         fondent les dédisent de leur prétention, parce qu'il est dit
         expressement dans icelles avec exception specifiée, Nous leur
         donnons toutes les terres jusqu'au 45e degré, lesquelles ne
         sont point actuellement possedées par aucun Prince Chrestien.
         Or est il que lors de la datte de ces lettres, le Roy de France
324/1308 actuellement & réellement possedoit pour le moins jusqu'au
         quarantiesme degré de latitude desdites terres, où depuis
         quelques années les Holandois s'y sont establis, tout le monde
         le sçait par les voyages du sieur de Champlain imprimez, avec
         les cartes, ports, & havres de toutes les costes qu'il fit, qui
         depuis chacun s'en est servy, & les ont adaptés sur les globes
         & cartes universelles, que l'on a corrigées de cet échantillon
         de terre, & voit on par lesdits voyages qu'en l'an 1604, ils
         estoient à saincte Croix, & en l'an 1607.[805] au port Royal,
         auquel ledit Champlain donna le nom, comme à plusieurs autres
         lieux que l'on voit par ses cartes, le tout habité par le feu
         sieur de Mons, qui gouvernoit tout ce païs jusqu'au
         quarantiesme degré, comme Lieutenant de sa Majesté
         tres-Chrestienne.

[Note 805: De 1605 à 1607 (voir l'édition de 1613).]

         Auparavant l'an précèdent 1603 ledit Champlain par commandement
         de sa Majesté fit le voyage de la Nouvelle France, en la grande
         riviere sainct Laurent, & à son retour en fit rapport à sa
         Majesté, lequel rapport & description il fit imprimer deslors,
         partit de Hondefleur en Normandie le 15 de Mars audit an, en ce
         mesme temps le feu sieur Commandeur de Chaste gouverneur de
         Dieppe; estoit Lieutenant général en ladite Nouvelle France:
         depuis le 40 degré jusqu'au 52e de latitude.

         Si les Anglois disent que seulement ils n'ont pas possedé les
         Virgines dés l'an 1603, 4 & 7, ains dés l'an 1594, qu'ils
         treuverent comme avons dit.

         L'on respond que la riviere qu'ils commençoient lors à posseder
         est au 36e & 37e degré, & que ceste leur allégation à
325/1309 l'advanture pourroit valloir, s'il n'estoit question que de
         tenir ceste riviere, & 7 à 8 lieues de l'un de l'autre costé
         d'icelle, car autant se peut porter la veue pour l'ordinaire,
         mais que s'attribuant par domination l'on s'estende trente &
         six fois plus loing que l'on n'a recognu, c'est vouloir avoir
         les bras ou plustost la cognoissance bien monstrueuse. Posons
         que cela se puisse faire.

         Il s'ensuiveroit que Ribaut & Laudonniere estant allez à la
         Floride en bon esquippage, par auctorité du Roy Charles IX,
         l'an 1564, 5 & 6, pour cultiver & habiter le païs y estant
         édifié la Caroline[806] au 35e ou 36e degré & par ainsi voilà
         l'Anglois hors des Virgines, suyvant leurs propres machines.

[Note 806: Voir ci-dessus, première partie, p. 18, note 4.]

         Pourquoy eux estant au 36e ou 37e avanceront plustost au 45e
         que nous, comme ils confessent, estant au 46e ne descendrons
         nous jusqu'au 37e quel droict y ont ils plus que nous, voilà ce
         que nous respondons aux Anglois.

         Et est très certain & confessé de tous, que sa Majesté très
         chrestienne, a prins possession de ces terres avant tout autre
         Prince Chrestien, & asseuré que les Bretons & Normans
         treuverent premiers le grand Ban& les terres neufves, ces
         descouvertures faictes en l'an 1504, il y a 126 ans, ainsi
         qu'il se peut voir en l'histoire de Niflet[807] & Anthoine
         Magin imprimé à Douay.

[Note 807: Wytfliet. (Voir ci-dessus, première partie, p. 11, note 1.)]

         Et d'advantage tous confessent que par commandement du Roy
         François, Jean Verazan prit possession desdites terres au nom
         de France commençant dés le 33e degré de l'élevation jusqu'au
326/1310 47e; ce fut par deux voyages desquels le dernier fut fait l'an
         1523,[808] il y a 107 ans.

[Note 808: Voir ci-dessus, première partie, p. 11, note 2, 3 et 4.]

         Outre Jacques Cartier entra le premier en la grande riviere
         sainct Laurent, par deux voyages qu'il y fut, & descouvrit la
         plus grande part des costes de Canadas, à son dernier voyage
         l'an 1535 il fut jusqu'au Grand Sault sainct Louis de ladite
         grande riviere.

         Et en l'an 1541, il fit un autre voyage comme Lieutenant de
         Messire Jean François de la Roque sieur de Robert-Val, qui
         estoit Lieutenant général audit païs, ce fut son troisiesme
         voyage où il demeura, ne pouvant vivre au païs avec les
         Sauvages qui estoient insupportables, & ne pouvoit descouvrir
         que ce qu'il avoit fait: il se délibéra de s'en retourner au
         Printemps, ce qu'il fit, en un vaisseau qu'il avoit reservé, &
         estant le travers de l'isle de terre neufve, il fit rencontre
         dudit sieur de Robert-Val qui venoit avec trois vaisseaux l'an
         1542, il fit retourner ledit Cartier à l'isle d'Orléans[809] où
         ils firent une habitation, & y estant demeuré quelque temps,
         l'on tient que sa Majesté le manda pour quelques affaires
         importantes, & ceste entreprise peu à peu ne sortit à aucun
         effect, pour n'y avoir apporté la vigilance requise.

[Note 809: La relation du voyage de M. de Roberval prouve, au contraire,
que Cartier ne voulut point retourner avec lui, et «partit incontinent
pour se rendre en Bretagne.» (Voy. du sieur de Roberval.)]

         Presque en ce mesme temps Alfonse Xintongeois fut envoyé vers
         la Brador, par ledit sieur de Robert-Val, autres disent par sa
         Majesté, lequel descouvrit la coste du Nort de la grande Baye
327/1311 au golphe sainct Laurent, & le passage de l'issle de terre
         neufve, à la grande terre du Nort, au 52e degré de
         latitude[810].

[Note 810: Jean Alphonse, dans sa Cosmographie encore manuscrite, fait
une description étonnamment exacte pour l'époque, de la côte du Labrador
et du fleuve Saint-Laurent. jusqu'à Québec.]

         En suitte le Marquis de la Roche de Bretagne en l'an 1598,[811]
         fut en ces terres de la Nouvelle France, comme Lieutenant de sa
         Majesté, & en suitte les sieurs Chauvin de Hondefleur en
         Normandie, Commandeur de Chaste & de Mons comme dit est, & le
         sieur de Poitrincourt, & Madame de Quercheville[812], qui eut
         quelque département à l'Acadie, y envoya la Saulsaye, avec
         lequel furent les Reverends Pères Jesuistes qui furent pris par
         les Anglois, (comme il a esté dit cy dessus) comme le port
         Royal, & depuis 28 ans ledit sieur de Champlain ayant
         descouvert & fait descouvrir plusieurs contrées, plus de quatre
         à cinq cens lieues dans les terres, comme il se voit par ses
         relations cy dessus imprimées depuis l'an 1603. jusqu'à present
         1631.

[Note 811: Voir ci-dessus, première partie, p. 38, note 1.]

[Note 812: Guercheville.]

         Venons à ce qui se treuve descrit des voyages des Anglois, ce
         n'est pas assez qu'ils se vantent d'estre des premiers qui ont
         descouvert ces terres, il est question quelles elles sont. Il
         est très certain que quand il se fait quelque descouverture
         nouvelle, l'on est assez curieux d'en descrire les temps, ce
         que les Anglois n'ont oublié, ny les autres nations, suyvant
         les mémoires qui leurs sont envoyez, ils n'oublient rien de ce
         qui se fait, mais nous ne treuvons en aucuns autheurs que les
328/1312 Anglois ayent jamais pris possession des païs de la Nouvelle
         France, qu'après les François.

         Il est vray que les Anglois ont descouvert du coste du Nort
         vers les terres de la Brador & Freton Davis, des terres, isles,
         & quelques passages depuis le 56e degré vers le Pôle Artique,
         comme il se voit par les voyages qui ont esté imprimez tant en
         Angleterre, qu'ailleurs, par lesquels il appert dequoy ils se
         peuvent prevalloir sans usurpation, comme ils ont fait en
         plusieurs lieux de la Nouvelle France: il faudroit estre
         aveugle, sans cognoissance, pour ne voir ce que les histoires
         nous font cognoistre de véritable.

         En premier lieu, Sebastien Cabot[813], sous le commandement du
         Roy Henry VII d'Angleterre l'an 1499 fut pour descouvrir
         quelques passages vers la Brador & s'en revint sans fruict, &
         depuis es années 1576 77 & 78, Messire Martin Forbichet[814] y
         fit trois voyages, sept ans après Honfroy Guillebert[815] y
         fut, en suitte Jean Davis descouvrit un destroit appellé de son
         nom. Estienne Permenud[816] fut à l'isle de terre neufve à la
         coste du Nord de l'Est de l'isle, en l'an 1583. un autre peu
         après nommé Rtehard Viitaaboux N.[817] fut à la mesme coste, en
329/1313 suitte un appellé le Capitaine George[818] y fut en l'an 1590,
         vers le Nort, de plus fraiche memoire l'an 1612[819] y fut un
         Capitaine Anglois au Nort, où il treuva un passage par le 63e
         degré, comme il se voit par la carte imprimée en Angleterre, &
         y treuvant des difficultez pour treuver le passage que tant de
         navigateurs ont recherché, pour aller aux Indes Orientales du
         costé de l'Ouest: & depuis 35 ans ils se sont estendus tant aux
         Virgines qu'aux terres qui nous appartiennent.

[Note 813: La première expédition entreprise au nom du roi d'Angleterre,
fut confiée à Jean Cabot et à ses fils Louis, Sébastien et Sanche, par
lettres de Henri VII, du 5 mars 1496, ou 15 mars 1497, style neuf.
(Voir: Rymer, _Foedera_, vol. XII;--_a Memoir of Sébastian Cabot_, ch.
IX.)]

[Note 814: Frobisher.]

[Note 815: Humphrey Gilbert.]

[Note 816: Étienne Parmenius, de Bude, savant hongrois, faisait partie
du voyage de sir Humphrey Gilbert, et périt dans le naufrage du vaisseau
amiral. (Hakluyt, vol. III.)]

[Note 817: Probablement Richard Clarke de Weymouth, capitaine du
vaisseau amiral de sir Humphrey Gilbert, au même voyage, en 1583.
(Hakluyt, vol. III.)]

[Note 818: Voir ci-dessus, première partie, p. 37, note 4.]

[Note 819: Hudson fit son voyage en 1610 et 1611, et la relation en fut
imprimée en 1612. (Voir 1613, p. 293, note 1.)]

         Or le commun consentement de toute l'Europe & de despeindre la
         Nouvelle France, s'estendant au moins au 35e & 36e degrés de
         latitude, ainsi qu'il appert par les mapemondes imprimées en
         Espagne, Italie, Holande, Flandre, Allemagne & Angleterre mesme
         sinon depuis qu'ils se sont emparez des costes de la Nouvelle
         France, où est l'Acadie, Etechemains, l'Almonchicois, & la
         grande Riviere de sainct Laurent, où ils ont imposé à leur
         fantaisie des noms de Nouvelle Angleterre, Escosse, & autres,
         mais il est mal-aisé de pouvoir effacer une chose qui est
         cognue de toute la Chrestienté.

                                 FIN.



330/1314     _RELATION DE CE QUI S'EST passé durant l'année 1631._

         Messieurs les Associez de la Nouvelle France residens à
         Bordeaux virent équipper au mois d'Avril de la presente année
         1631, un vaisseau, commandé par un nommé Laurent Ferchaud, dans
         lequel vaisseau ils auroient fait charger tout ce qui estoit
         necessaire pour secourir le Fort & habitation sainct Louys,
         scitué au Cap de Sable coste d'Acadie, sur l'entrée d'un bon
         havre, & munitionné de tout ce qui luy est besoing pour la
         defence d'iceluy.

         Ayant fait sa navigation, & donné au sieur de la Tour
         commandement pour la Compagnie dans ledit Fort, ce dont il
         estoit chargé par lesdits Associez, fit son retour à Bordeaux à
         la fin du mois d'Aoust ensuyvant, & repassa le sieur de
         Krainguille Lieutenant dudit sieur de la Tour, lequel rapporta
         nouvelle comme les Escossois ne se resoudoient point à quitter
         le Port Royal, mais qu'ils s'y accommodoient de jour à autre, &
         y avoient fait venir quelques mesnages & bestiaux pour peupler
         ce lieu qui ne leur appartient que par l'usurpation qu'ils en
         ont faite, comme a esté dit cy dessus.

         Lesdits Associez recognoissant ce qui estoit necessaire sur ce
         que leur mandoit ledit sieur de la Tour, r'equipperent le mesme
         vaisseau au mois d'Octobre dernier, monstrant par leur
         diligence qu'ils n'oublient rien de ce qui est necessaire pour
         le peuplement & conservation de ces lieux, où ils ont envoyé
         quantité d'artisans & des Religieux Recollets.

331/1315 En ceste mesme année messieurs les Directeurs de Paris & Rouen
         firent équipper deux vaisseaux tant pour aller secourir
         l'habitation saincte Anne en l'isle du Cap Breton, que pour
         aller à Miscou & Tadoussac faire traite & la pesche de poisson.
         Le premier vaisseau commandé par Hubert Anselme partit de
         Dieppe le 25 Mars, accommodé de tout ce qui luy estoit
         necessaire pour son voyage: après quelques mauvais temps il fut
         jusques au travers du Cap des Rosiers, à quelque dix ou douzes
         lieues de Gaspey entrée du grand fleuve sainct Laurent, où
         estant il apperceut vers l'eau quelques vaisseaux qu'ils
         jugerent estre Anglois, qui leur fit changer de routte & aller
         à Miscou pour faire leur traite avec les habitans du Païs.

         Le second vaisseau où commandoit le Capitaine Daniel partit le
         26 d'Avril & fut à l'habitation saincte Anne chargé & accommodé
         de tout ce qui estoit necessaire pour cedit lieu, qui est en
         très bonne scituation, sur l'entrée de l'un des meilleurs ports
         de ces costes, les contrarietez de mauvais temps luy furent
         fascheuses & n'arriva sur l'escore du grand Ban que le 16 de
         Juin, où il vit quantité de glaces: Le 18, terrirent au Cap de
         Raye, peu après apperceurent un vaisseau qu'ils jugerent estre
         Turc, lequel arrivant sur eux vent arrière, les fit appareiller
         & mettre en defence, mais le Turc ayant apperceu quantité
         d'hommes sur le tillac il se retira, & fit porter sur un navire
         Basque, auquel il tira quelques coups de canon & l'aborda: mais
         comme ils n'estoient pas bien saisis ils se separerent, & en
332/1316 ceste separation un matelot Basque qui estoit sur
         l'arriére de son vaisseau prit l'enseigne qui estoit sur
         l'arriére de celuy du Turc, laquelle il attira à luy, &
         aussitost le vaisseau Basque commença à fuir, & en fuyant ne
         laissoient de tirer forces coups de canons qui estoient sur
         l'arriére dudit vaisseau, de façon qu'il se sauva & emporta
         ladite enseigne, dans laquelle estoient dépeints trois
         croissans. Le vaisseau du Capitaine Daniel continuant sa
         routte, fut tellement contrarié de brunes & grand vent, que ne
         pouvant porter voilles se trouva en une nuict obscure à huict
         brasses d'eau, & entendoit la lame qui battoit contre les
         rochers, aussitost il jette l'ancre attendant le lendemain,
         pour voir s'ils pourroient cognoistre la terre, ce qu'ayant
         fait ils recogneurent que les marées les avoient portez aux
         isles sainct Pierre, où prenant cognoissance de la terre
         arriverent au fort & habitation saincte Anne le 24 de Juin, où
         ils trouverent quelque desordre, causez par l'assassinat commis
         par Gaude[820] qui commandoit audit Fort, en la personne d'un
         nommé Martel de la ville de Dieppe, qui estoit son Lieutenant.

[Note 820: Il est appelé Claude un peu plus haut.]

         Le Capitaine Daniel voyant ce desordre, & que ceux de
         l'habitation avoient retenu prisonnier ledit Gaude leur
         Capitaine après cet assassinat, s'informa de ce faict, tant des
         hommes de l'habitation que de la bouche dudit Gaude, & apprit
         que le lendemain de la Pentecoste ledit Gaude & Martel ayant
         souppé ensemble, l'heure d'entrer en garde estant venue Gaude
         donna le mot à Martel, & aussi tost entra dans le Fort où il
333/1317 chargea une carabine de trois balles qu'il tira sur ledit
         Martel, par une canoniere dudit Fort, ainsi qu'il jouoit aux
         quilles, & luy donna trois balles dans le corps dont l'une luy
         perça le coeur.

         Ceste action ainsi laschement commise ne peut estre excusable
         audit Gaude, quoy qu'il soit vray que jamais ils ne se soient
         peu accorder ensemble, & que leurs humeurs estoient du tout
         incompatibles: Car si Gaude avoit envie de chastier ledit
         Martel, il devoit le faire prendre & le tenir prisonnier
         jusques à l'arrivée des vaisseaux, ou s'il doutoit qu'il y eust
         de la difficulté de le faire à cause des hommes de sa faction
         qui estoient en ceste habitation, il devoit s'armer de
         patience, & ce faisant il eust trouvé que Messieurs les
         Directeurs de Paris y avoient donné ordre par leur prevoyance,
         car ils avoient enjoint au Capitaine Daniel de repasser en
         France ledit Martel, & laisser ledit Gaude en sa charge, avec
         ceux qu'il choysiroit, tant des hommes de l'habitation que
         d'autres nouveaux que l'on luy envoyoit dans le vaisseau du dit
         Capitaine Daniel, & ainsi il eut tiré une honneste vengeance de
         son ennemy, sans se précipiter dans ceste determinée
         resolution, qui ne luy peut apporter que du blasme & de la
         peine s'il est pris, & s'il n'eust trouvé les moyens de
         s'eschapper dans le païs, il eust couru risque de sa vie.

         Ce pendant il estoit necessaire que ledit Capitaine Daniel mit
         ordre en ce lieu, sur ce qui s'estoit passée, pour tenir chacun
         en son devoir: il envoya son vaisseau à Miscou pour faire la
334/1318 pesche & la traite & en donna la conduicte à Michel Gallois de
         Dieppe, & en mesme temps il despescha une pinasse d'environ
         vingt tonneaux, qu'il donna à un appellé Saincte Croix pour la
         commander, & l'envoya à Tadoussac pour traiter avec les
         Sauvages: & estant ledit Gallois arrivé à Miscou, trouva deux
         vaisseaux Basques, l'un de Deux cens cinquante, & l'autre de
         Trois cens tonneaux, & une barque d'environ Trente cinq
         tonneaux, où commandoit le frère du Capitaine du May, qui avoit
         esté equippée au Havre de Grâce, lequel dit audit Gallois qu'il
         avoit commission de Monseigneur le Cardinal de faire la traite,
         visiter les vaisseaux qui alloient faire la pesche, &
         recognoistre les ports & havres de ces lieux, pour luy en faire
         son rapport, sans toutesfois luy monstrer sa commission: à quoy
         ledit Gallois monstra bien qu'il estoit de légère croyance,
         d'adjouster foy sur des paroles, & partant demeurèrent bons
         amis, & donna du May advis audit Gallois, que les deux
         vaisseaux Basques n'avoient aucun congé ny commission, & que
         s'il le vouloit assister en ceste affaire ils les iroient
         sommer de leur monstrer leurs passeports, le dit Gallois luy
         ayant accordé, furent de compagnie abord de l'un des deux
         navires Basques, ce que le maistre duquel leur monstra sa
         commission en tres bonne forme, en leur offrant toutes sortes
         d'assistances & de faveurs.

         Ce fait ils furent à l'autre vaisseau, où ils ne trousverent
         que le Capitaine nommé Joannis Arnandel de sainct Jean de Lus
         avec un petit garçon, (ses gens estans pour lors tous à terre &
         en pescherie,) auquel Capitaine ils demandèrent à voir son
         congé, mais il n'avoit garde de leur monstrer, car il n'en
335/1319 avoit point: aussi sa responce fut que les congers n'estoient
         necessaires que pour avoir de l'argent à ceux qui les
         delivrent, & que pour luy il n'avoit point accoustumé d'en
         prendre, surquoy ledit du May luy fit responce que luy qui
         avoit coustume d'aller en mer, ne devoit point ignorer les
         ordonnances de France, notamment celles de l'Admiraulté qui
         declare pour pirates & voleurs, ceux qui vont en mer sans congé
         ou passeport, & partant que le trouvant ainsi & ne le pouvant
         juger autre que forban, il arrestoit sa personne & son vaisseau
         pour l'amener en France, & iceluy le faire juger de bonne
         prise, à quoy ledit Arnandel ne se pouvant opposer, supplia
         ledit du May de luy laisser achever sa pescherie & qu'il le
         retint prisonnier pour ostage: laquelle pescherie estant faicte
         il y auroit moins de dommages & interests si la prise estoit
         déclarée injuste, & plus de proffit si elle estoit bonne, ce
         qui fut accordé par ledit du May, lequel aussi tost se saisit
         de toutes les armes & munitions dudit vaisseau, qu'il fit
         porter en son bord avec ledit Arnandel.

         Ce qu'estant fait du May & Gallois retournent au vaisseau dudit
         Arnandel avec quelques uns de leurs gens, & comme ils furent
         entrez dedans, ils appellerent tous les gens de l'équipage de
         Arnandel qui estoient à terre, pour les advertir de l'accord &
         convention faicte entre leur Capitaine & eux, à quoy un de ces
         Basques fit responce, Que la prise & detemption de leur
         Capitaine n'estoit pas grand'chose, & qu'ils pouvoient faire un
         autre Capitaine d'un petit garçon de leur vaisseau, de quoy du
336/1320 May le voulant reprendre & remonstrer le tort qu'il avoit de
         parler si desadvantageusement de son chef, ce Basque & tous ses
         compagnons se mettent tous en fougue, & comme ils ont la teste
         prés du bonnet, gaignent le bas du vaisseau, se saisissant de
         quelques picques & mousquets qui estoient restez, & qui
         n'avoient esté trouvez par ledit du May, & Gallois, & avec ces
         armes se defendent & attaquent si courageusement ledit du May &
         ses gens, qu'ils le contraignent de se retirer, avec quelques
         uns des siens qui furent blessez, lesquels il fit promptement
         embarquer avec luy dans sa chalouppe.

         Et comme ces gens avoient desja la teste eschauffée, ne se
         contentans de ce qu'ils avoyent faict, poursuivirent encores
         ledit du May, jusques à ce qu'estant retiré en son bord il fut
         contrainct de faire monter sur son tillac le Capitaine
         Arnandel, afin qu'il commandast à ses gens de cesser leurs
         violences: mais le Capitaine se voyant libre se jetta
         promptement en l'eau, & tout vestu qu'il estoit gaigna à la
         nage une chalouppe, où estoient quelques uns des siens, & ainsy
         se sauva de ses ennemys, desquels il eust tost après une bonne
         raison, car estant rentré dans son navire, il commença à parler
         en Capitaine & non pas en prisonnier: & par la faveur &
         assistance d'un autre vaisseau Basque, duquel il envoya
         emprunter de la poudre & des armes, s'en vint fondre sur ledit
         du May, & luy tira deux ou trois coups de canon, & luy commanda
         de luy r'envoyer non seulement toutes ses armes & munitions
         qu'il luy avoit prises, mais encores celles qui estoient en son
         vaisseau, & de celuy dudit Gallois, autrement qu'il s'en alloit
337/1321 les couler à fond: ce que voyant, furent contraints de ce faire
         n'ayant pas des forces pour resister, de façon qu'ils se
         trouverent pris par celuy qu'ils venoient de prendre.

         En ces entrefaites arriva de Tadoussac la pinasse où commandoit
         Saincte Croix, lequel avoit esté rencontré des Anglois, qui luy
         avoient osté ses peleteries, & luy en avoient donné un mot
         descrit de la qualité & quantité, afin de n'estre point obligez
         à en rendre d'advantage, attendu le traité de paix d'entre les
         deux Couronnes, & Thomas Quer Général de la Flotte Angloise,
         luy dist qu'il avoit charge du sieur Chevallier Alexander de se
         saisir de toutes les peleteries qu'il trouverroit aux vaisseaux
         qui contreviendroient aux commissions du Roy de la grande
         Bretagne, à qui appartenoient ces lieux, ores qu'ils n'y
         eussent jamais esté que depuis trois ans qu'ils s'en saisirent,
         contre le traité de paix, & ainsi ledit Saincte Croix fut
         contrainct de céder à la force, esperant neantmoins que les
         Anglois luy payeroient tost ou tard ses peleteries, avec raison
         & justice.

         Arrivant, comme dit est, à Miscou le jour mesme que se fit
         ceste rumeur d'entre le Basque & le Capitaine du May, il se
         trouva encores pris du vaisseau Basque, lequel parlant audit
         Saincte Croix luy fit commandement de le venir trouver en son
         bord, ce qu'ayant fait, il envoya quérir toutes les armes &
         munitions de ceste pinasse, avec ses voiles, disant que tout
         appartenoit à un mesme maistre, & qu'il voulait s'asseurer
         d'eux, & les empescher de le plus troubler ny faire aucun tort,
         & tout ce que peust faire ledit Saincte Croix fut de protester
338/1322 contre ce Basque de tous ses despens, dommages & interests, de
         ce qu'il le troubloit ainsi en son traffic & sa traite, de quoy
         ledit Basque estant aucunement intimidé, luy rendit incontinent
         ses voiles, & luy enjoingnit de sortir du port de Miscou, ce
         que fit ledit Saincte Croix lequel s'en vint en l'habitation
         saincte Anne trouver le Capitaine Daniel, où il arriva le 29
         Aoust pour luy donner advis de ceste procédure des Basques,
         afin d'y donner ordre, mais desja trop tard, car les Basques
         d'ordinaire sont presque prests en ce temps là pour s'en
         retourner.

         Ceste disgrace fut encores suyvie d'une autre, causée par la
         malice de ces mesmes Basques, lesquels persuaderent aux
         Sauvages que les François les vouloient empoisonner par le
         moyen de l'eaue de vie qu'ils leur donnoient à boire, & comme
         ces peuples sont d'assez facile croyance, ayans rencontré une
         chalouppe de François qui estoit proche de terre pour traiter
         avec eux, ces peuples mutins & barbares se jetterent sur ceste
         chalouppe, la ravagerent, pillèrent ce qui estoit dedans: comme
         les matelots se vouloient opposer il y en eut un de tué d'un
         coup de flesche, & deux Sauvages qui furent aussi pareillement
         tuez à coups d'espée, par un François de ladite chalouppe: &
         ainsi voilà les François mal traitez des Anglois, des Basques,
         & encores des Sauvages, & contraincts de s'en revenir tous avec
         le vaisseau du Capitaine Gallois au fort & habitation Saincte
         Anne, avec ce peu de traite & de pesche qu'ils avoient faite.
         Et pareillement ledit du May ne voulant s'arrester ny
         destourner pour voir l'habitation Saincte Anne s'en revint en
339/1323 France, comme sit tost après le Capitaine Daniel, ayant premier
         que de partir laissé son frère pour commander en ladite
         habitation avec tout ce qui estoit necessaire pour les hommes
         qu'il y a laissez pour hyverner. Il ne se faut pas estonner
         s'il y a des Basques ainsi mutins, & mesprisans toutes sortes
         de loix & d'ordonnances, ne se soucians de congers ny
         passeports, non plus que faisoient cy devant les Rochelois
         n'ayans aucune apprehension de justice en leur pays, estans
         proche voisins de l'Espagnol: telles personnes meriteroient un
         chastiment exemplaire, qui font plustost le mestier de pirates
         que de marchands.

         Peu de tours après le partement du vaisseau dudit Capitaine
         Daniel, pour aller audit pays de la Nouvelle France, partit
         celuy du sieur de Caen, lequel avoit obtenu un congé de
         Monseigneur le Cardinal, pour aller audit pays y faire la
         traite icelle presente année seulement, pour le redimer en
         quelques sortes de pertes qu'il remonstroit avoir souffertes,
         par la revocquation faicte de la commission qu'il avoit
         auparavant de sa Majesté pour la traite dudit pays, & ayant mis
         son nepveu Emery de Caen pour commander ledit vaisseau, luy
         donna ordre de monter jusques à Québec, & au dessus s'il
         pouvoit, pour faire sa traite avec les Sauvages des Hurons:
         mais comme il fut dedans la riviere sainct Laurens, il fit
         rencontre des navires d'Anglois, les Capitaines desquels luy
         demandèrent ce qu'il alloit faire en ces lieux, ausquels il
         respondit qu'il y alloit traiter & negotier en toute seureté,
         conformément au traité de paix fait entre les deux Couronnes de
340/1324 France & d'Angleterre, & qu'ils ne l'en pouvoient justement
         empescher, attendu qu'il estoit tout notoire que le Roy de la
         Grande Bretagne avoit promis au Roy de faire restituer le fort
         & habitation de Québec, & qu'en bref il viendroit des vaisseaux
         de France pour en prendre possession.

         Les Anglois luy respondirent que quand ils verroient la
         commission de leur Roy, que très volontiers ils laisseroient
         ces lieux, & qu'ils sçavoient très bien que cest affaire se
         traitoit entre leurs Majestez, mais qu'en attendant ils
         jouyroient toujours du bénéfice de la traite, puisqu'ils
         estoient possesseurs du pays, neantmoints qu'ils luy desiroient
         monstrer qu'ils ne luy vouloient point faire de prejudice, &
         qu'ils luy accorderoyent de faire sa traite concurremment avec
         eux: à quoy ledit Emery de Caen condescendit, & fit monter son
         vaisseau jusques devant Québec, où il demeura quelques jours,
         attendant la venue des Sauvages qui devoient descendre audit
         lieu. Entre ce temps arriva le Capitaine Thomas Quer à
         Tadoussac avec un vaisseau de trois cens tonneaux bien equippé,
         & deux qui estoient à Québec de leur part, un grand & l'autre
         moyen.

         Mais comme les Anglois recogneurent le peu de Sauvages, & qu'il
         n'y avoit pas d'apparence de faire grande traite, leur proffit
         particulier leur fut en plus singuliere recommandation, que
         celuy d'Emery de Caen, auquel ils dirent qu'il devoit se
         resoudre à ne faire aucune traite, puisqu'il n'y en pouvoit
         avoir assez pour eux, luy accordant de descharger ses
         marchandises dans le magazin de l'habitation, & y laisser un
341/1325 commis ou deux pour les luy garder, & les traiter durant
         l'hyver à son bénéfice, & afin qu'il ne peust faire aucune
         traite, les Anglois luy donnent des gardes en son vaisseau,
         jusques à ce que la traite fut faicte, & lors ils s'en
         revindrent de compagnie quelque temps ensemble. Ledit Emery de
         Caen comme ayant son vaisseau, plus advantageux que ceux des
         Anglois, il prit le devant pour retourner à Dieppe, où il
         arriva à port de falut.

         Les gens de ce vaisseau rapportèrent que le Ministre avoit fait
         une ligue de la plus part des soldats Anglois, pour tuer leur
         Capitaine avec les François revoltez du service du Roy: cela
         estant descouvert le Capitaine Louys en fit chastier quelques
         uns[821]. Le sujet de ceste rébellion estoit le mauvais
         traitement qu'il faisoit à ses compagnons qui avoit causé ce
         desordre, par le conseil de ces deux ou trois mauvais François,
         ausquels il adjoustoit trop de foy.

[Note 821: Le ministre, en particulier, fut tenu six mois en prison dans
la maison des Jesuites. «Au reste,» ajoute le P. Lejeune, «il n'estoit
point de la mesme religion que les ouailles, car il estoit Protestant ou
Luthérien, les Ker sont Calvinistes, ou de quelque autre religion plus
libertine.» (Relat. 1632.)]

         Voilà le succez de tous ces voyages de la presente année, qui
         tesmoignent assez le peu d'apparence qu'il y a de pouvoir rien
         advancer en la peuplade, ny au commerce de ces lieux, tandis
         qu'ils seront possedez par une autre nation. Les François qui
         sont restez audit Québec sont encores tous vivans en bonne
         santé, resjouis du contentement, par l'esperance qu'ils ont,
         d'y voir ceste année retourner leur compatriotes, ce qui est
         assez probable, puisque le Roy d'Angleterre sollicité par
342/1326 Monsieur de Fontenay Mareuil Ambassadeur de France, a promis
         de rechef de faire rendre ce pays, & que pour asseurance de sa
         promesse il a envoyé en France le sieur de Bourlamaky, pour en
         asseurer sa Majesté, & en delivrer les commissions & toutes
         lettres necessaires, sous esperance que sa Majesté fera le
         semblable, pour quelques prétentions qu'ont les Anglois sur
         quelques particuliers François, & ainsi il y a grande esperance
         que cet accommodement se fera, avant que ledit sieur Bourlamaky
         s'en retourne en Angleterre.

         Depuis peu[822] entre sa Majesté & l'Ambassadeur d'Angleterre a
         esté accordé la restitution du Fort & habitation de Québec &
         autres lieux qui avoient esté usurpez par les Anglois, contre
         le traité de paix, entre leurs Majestez. A ce printemps
         Monseigneur le Cardinal sous le bon plaisir de sa Majesté,
         ordonne que Messieurs les Associez de la Nouvelle France, y
         envoyeront un nombre d'hommes, lesquels seront mis en
         possession du dit fort & habitation de Québec par le sieur de
         Caen, qui en consideration de ce promet avec les vaisseaux du
         Roy, y passer lesdits hommes. Tant pour ce sujet qu'autres
         considerations, luy est accordé pour ceste année seulement la
         traite de peleterie ausdits lieux, après laquelle escheue ceux
         qu'il aura mis de sa part repasseront en France dans les
         vaisseaux de la societé, ainsi qu'il a esté ordonné par mondit
         Seigneur le Cardinal Duc de Richelieu.

[Note 822: Le traité de Saint-Germain-en-Laye fut signé le 29 mars 1632.
(Mercure Français, t. XVIII, pp. 39-56.--Rymer,  _Foedera_, vol. VIII.)]

         A ce Printemps sous la conduicte de Monsieur le Commandeur de
343/1327 Rasilly, qui a toutes les qualitez requises d'un bon & parfait
         Capitaine de mer, prudent, sage & laborieux, poussé d'un sainct
         desir d'accroistre la gloire de Dieu, & porter son courage au
         pays de la Nouvelle France, pour y arborer l'estendart de Jesus
         Christ, & y faire florir les lys sous le bon plaisir de sa
         Majesté & de Monseigneur le Cardinal, fait à la Rochelle un
         embarquement avec toutes les choses necessaires pour y establir
         une colonie, suyvant le traité qu'il a fait avec Messieurs les
         Associez de la Nouvelle France, sous le bon plaisir de mondit
         Seigneur le Cardinal. Il n'y a point de doute que Dieu aydant
         il s'y peut faire de grands progrez à l'advenir, les choses
         estant reiglées par des personnes telles qu'est ledit sieur
         Commandeur de Rasilly. Dieu y sera servy & adoré, lequel je
         prie luy faire prosperer ses bonnes & louables intentions,
         comme à celles de ceste Nouvelle Société, encores que par les
         pertes passées elle ne perd courage, estant maintenus de sa
         Majesté & de mondit Seigneur le Cardinal.

                                  FIN.



2/1330


                              TRAITTÉ DE
                               LA MARINE
                             ET DU DEVOIR
                          D'UN BON MARINIER.

                      PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN.


3/1331
         AU LECTEUR.

         _Après avoir passé trente huict ans de mon aage à
         faire plusieurs voyages sur mer & couru maints périls &
         hasards, (desquels Dieu m'a preservé) & ayant tousjours eu
         desir de voyager és lieux loingtains & estrangers, où je me
         suis grandement pleu, principalement en ce qui despendoit de la
         navigation, apprenant tant par expérience que par instruction
         que jay receue de plusieurs bons navigateurs, qu'au singulier
         plaisir que j'ay eu en la lecture des livres faits sur ce
         suject: c'est ce qui m'a meû à la fin de mes descouvertures de
         la nouvelle France Occidentale, pour mon contentement faire un
         petit traitté intelligible, & proffitable à ceux qui s'en
         voudront servir, pour sçavoir ce qui est necessaire à un bon &
         parfait navigateur, & notamment ce qui est des estimes, & comme
         l'on doit procéder à faire des cartes marines selon la
         boussolle des mariniers, car pour le reste de la navigation
         plusieurs bons autheurs en ont escrit assez particulièrement,
         ce qui m'empesche de n'en dire davantage, te suppliant d'avoir
         agréable ce petit traitté, & s'il n'est selon ton sentiment
         excuse celuy qui l'a fait, ce qu'il a jugé estre necessaire à
         ceux qui auront la curiosité de le sçavoir plus
         particulièrement, ce que je n'ay veu descrit ailleurs;
         demeurant,

         Amy Lecteur,

         VOSTRE SERVITEUR.


5/1333
[Illustration]

                              TRAITTÉ DE
                               LA MARINE
                             ET DU DEVOIR
                          D'UN BON MARINIER.


                          DE LA NAVIGATION.

         Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire un petit traitté
         de ce qui est necessaire pour un bon & parfait navigateur, &
         des conditions qu'il doit avoir: sur toute chose estre homme
         de bien, craignant Dieu; ne permettre en son vaisseau que son
         sainct Nom soit blasphemé, de peur que sa divine Majesté, ne
         le chastie, pour se voir souvent dans les périls, & estre
         soigneux soir & matin de faire faire les prieres avant toute
         chose, & si le navigateur peut avoir le moyen, je luy
         conseille de mener avec luy un homme d'Eglise ou
6/1334   Religieux habile & capable, pour faire des exhortations de
         temps en temps aux soldats & mariniers, affin de les tenir
         tousjours en la crainte de Dieu, comme aussi les assister &
         confesser en leurs maladies, ou autrement les consoler durant
         les périls qui se rencontrent dans les hasards de la mer.

         Ne doit estre délicat en son manger, ny en son boire,
         s'accommodant selon les lieux où il se treuvera, s'il est
         délicat ou de petite complexion, changeant d'air & de
         nourriture, il est suject à plusieurs maladies, & changeant des
         bons vivres en de grossiers, tels que sont ceux qui se mangent
         sur mer, qui engendrent un sang tout contraire à leur nature: &
         ces personnes là doivent apprehender sur tout le Secubat[823]
         plus que d'autres qui ne laissent d'estre frappez en ces
         maladies de long cours, & doit on avoir provision de remèdes
         singuliers pour ceux qui en sont atteints.

[Note 823: Scorbut.]

         Doit estre robuste, dispos, avoir le pied marin, infatigables
         aux peines & travaux, affin que quelque accident qu'il arrive
         il se puisse presenter sur le tillac, & d'une forte voix
         commander à chacun, ce qu'il doit faire. Quelques fois il ne
         doit mespriser de mettre luy mesme la main à l'oeuvre, pour
         rendre la vigilance des matelots plus prompte, & que le
         desordre ne s'en ensuive: doit parler seul pour ce que la
         diversité des commandements, & principalement aux lieux
         douteux, ne face faire une manoeuvre pour l'autre.

         Il doit estre doux & affable en sa conversation, absolu en ses
         commandements, ne se communiquer trop facilement avec ses
7/1335   compagnons, si ce n'est avec ceux qui sont de commandement. Ce
         que ne faisant luy pourroit avec le temps engendrer un mespris:
         aussi chastier severement les meschans, & faire estat des bons,
         les aymant & gratifiant de fois à autres de quelque caresse,
         louant ceux là, & ne mespriser les autres, affin que cela ne
         luy cause de l'envie, qui souvent fait naistre une mauvaise
         affection, qui est comme une gangrene qui peu à peu corrompt &
         emporte le corps, ny pour avoir preveu de bonne heure[824],
         apportant quelque fois à conspirations, divisions ou ligues,
         qui souvent font perdre les plus belles entreprises.

[Note 824: Pour n'y avoir pourvu de bonne heure, emportant...]

         S'il se fait quelques prises bonnes & justes, il ne doit
         frustrer le droict de l'Admirale, ny de ceux qui sont avec luy,
         ny celuy de ses compagnons, tant soldats que matelots en
         quelque façon que ce soit: que rien ne se dissipe s'il peut
         pour à son retour faire fidel rapport de tout. Il doit estre
         libéral selon ses commoditez, & courtois aux vaincus, en les
         favorisant selon le droict de la guerre, sur tout tenir sa
         parolle s'il a fait quelque composition: car celuy qui ne la
         tient est réputé lasche de courage, perd son honneur &
         réputation quelque vaillant qu'il toit, & jamais ne met on de
         confiance en luy. Il ne doit aussi user de cruauté ny de
         vengeance, comme ceux qui sont accoustumez aux actes inhumains,
         se faisant voir par cela plustost barbares que Chrestiens, mais
         si au contraire il use de la victoire avec courtoisie &
         modération, il sera estimé de tous, des ennemis mesmes, qui luy
         porteront tout honneur & respect.

8/1336   Il ne se doit laisser surprendre au vin, car quand un chef ou
         un marinier est yvrongne, il n'est pas trop bon de luy confier
         le commandement ny conduite, pour les accidents qui en peuvent
         arriver, lors qu'il dort comme un pourceau, & qu'il perd tout
         jugement & raison, demeurant insolent par son yvrongnerie, à
         lors qu'il seroit necessaire de sortir du danger, car s'il
         arrive qu'il se treuve en tel estat, il n'aura moyen de
         cognoistre sa route, ny reprendre ceux qui sont au gouvernail
         s'il vont mal ou bien, qui luy fait perdre son estime. Il est
         aussi souvent cause de la perte du vaisseau, remettant son
         soing sur l'ignorance d'un qu'il croira estre marinier, comme
         plusieurs exemples l'ont fait voir.

         Le marinier sage & advisé ne se doit tant fier en son esprit
         particulier, lors qu'il est principalement besoing
         d'entreprendre quelque chose de consequence ou changer de route
         hasardeuse, qu'il prenne conseil de ceux qu'il cognoistra les
         plus advisez, & notamment des anciens navigateurs qui ont
         esprouvé le plus de fortunes à la mer, & sont sortis des
         dangers & périls, gouster les raisons qu'ils pourront alléguer,
         toute chose n'estant souvent dans la teste d'un seul (car comme
         l'on dit) l'expérience passe science.

         Il doit estre craintif & retenu sans estre trop hasardeux, soit
         à la cognoissance d'une terre, principalement en temps de
         brunes, mettre coste en travers selon le lieu, ou mettre un
         bort sur autre, d'autant qu'en ce temps de brune ou obscur il
         n'y a point de pilote: ne faire trop porter de voile pensant
9/1337   avancer chemin, qui souvent les fait rompre, & démater le
         vaisseau ou estant foible de coste, & n'estre bien lesté comme
         il doit, met la quille en haut.

         Doit faire du jour la nuict, & veiller la plus grande part
         d'icelle, coucher tousjours vestu pour promptement accourir aux
         accidents qui peuvent arriver, avoir un compas particulier, y
         regarder souvent si la route se fait bien, & voir si chacun de
         ceux qui sont au quart est en son devoir: doit faire un roole
         particulier des matelots qui seront destinez pour le quart, &
         bien départir les hommes entendus en la navigation, qui ayent
         soin sur ceux qui gouvernent, affin qu'il face tousjours bonne
         route, & les matelots bon quart, s'il y a suffisamment des
         soldats, l'un fera en sentinelle sur le devant, l'autre sur
         l'arriére, & le troisiesme au grand mas avec une lanterne
         pendue avec sa chandelle entre deux tillacs, pour voir &
         accourir aux choses qui quelques fois surviennent à
         l'impourveu.

         Ne doit ignorer, mais sçavoir tout ce qui dépend des
         manoeuvres, du moins tout ce qui est necessaire pour
         appareiller le vaisseau, & mettre en funain prest à faire
         voile, comme de toutes autres commoditez necessaires pour la
         conservation dudit navire.

         Doit estre fort soigneux d'avoir de bons vivres & boissons pour
         son voyage, & qu'ils soient de garde: avoir de bonnes soutes
         non humides pour la conservation de la galette ou biscuit, &
         principalement en un voyage de long cours, & en avoir plus que
         moins: car les voyages de mer ne se font que suivant le bon ou
         mauvais temps & contrariété des vents, faut estre bon oeconome
10/1338  en la distribution des vivres donnant à chacun ce qui luy est
         necessaire avec raison, autrement cela engendre quelques fois
         des mescontentements entre les matelots & les soldats, que l'on
         traitte mal, & qui en ce temps là sont capables de faire plus
         de mal que de bien: commettre à la distribution des victuailles
         un bon & fidel despensier, qui ne soit point yvrongne, ains bon
         mesnager, car un homme modeste en cet office ne se peut trop
         priser.

         Il doit estre grandement curieux que toutes chose soient bien
         ordonnées en son vaisseau, tant pour le fortifier que pour la
         pesanteur du canon qu'il pourroit avoir, que pour l'embellir, à
         ce qu'il en aye du contentement en y entrant & sortant, & en
         donner à ceux qui le voyent sur son appareil, comme
         l'Architecte se plaist après avoir décoré l'édifice d'un
         superbe bastiment qu'il aura dessigné, & toutes choses doivent
         estre grandement propres & nettes au vaisseau, à l'imitation
         des Flamans qui l'emportent pour le commun, par dessus toutes
         les nations qui navigent sur mer.

         Doit estre grandement soigneux quand il y a des matelots &
         soldats, les faire tenir le plus nettement que faire se pourra,
         & apporter un tel ordre que les soldats soient separez des
         matelots, que le vaisseau ne soit point embarassé quand il est
         question de venir en telles affaires de temps en temps, Se
         souvent faire nettoyer entre les tillacs les ordures qui s'y
         engendrent, qui occasionnent maintefois un mauvais air, & les
         maladies accompagnées de mortalitez, comme si c'estoit peste &
         contagion.

11/1339  Premier que s'embarquer il est necessaire d'avoir tout ce qui
         est requis pour assister les hommes, avec un ou deux bons
         Chirurgiens qui ne soient ignorants, comme sont la plus part de
         ceux qui vont en mer.

         S'il se peut, faut qu'il cognoisse son vaisseau & l'avoir
         navigé, ou l'apprendra pour sçavoir l'assiette qu'il demande, &
         le fillage qu'il peut faire en vingt quatre heures, selon la
         violence des vents, & ce qu'il peut déchoir de sa route costé
         en travers, ou à la cappe avec son papefis ou corps de voile
         pour le soustenir, afin qu'il ne se tourmente, & se soustienne
         plus au vent.

         Appréhender de se voir és périls ordinaires, soit par cas
         fortuit, où quelques fois l'ignorance ou la témérité vous y
         engage, comme tomber avau le vent d'une coste, s'oppiniastrer à
         doubler un Cap, ou faire une route hasardeuse de nuict parmy
         les bans, batures, escueils, isles, rochers & glaces: mais
         quand le malheur vous y porte, c'est où il faut monstrer un
         courage masle, se moquer de la mort bien qu'elle se presente, &
         faut d'une voix asseurée & d'une resolution gaye, inciter un
         chacun à prendre courage, faire ce que l'on pourra pour sortir
         du danger, & ainsi oster la timidité des coeurs les plus
         lasches: car quand on se voit en un lieu douteux chacun jette
         l'oeil sur celuy que l'on juge avoir de l'expérience, car si on
         le voit blesmir, & commander d'une voix tremblante & mal
         asseurée, tout le reste perd courage, & souvent on a veu perdre
         des vaisseaux au lieu d'où ils eussent peu sortir, s'ils
         avoient veu leur chef courageux & resolu, user d'un
         commandement hardy & majestueux.

12/1340  Estre soigneux de faire sonder toutes costes, rades, ports,
         havres, escueils, bans, rochers & batures, pour en cognoistre
         le fond, les dangers, ancrages si besoin estoit, ou pour se
         sçavoir arouter si d'aventure l'on n'avoit aucune hauteur ny
         cognoissance de terre, dont on doit tenir conte sur son papier
         journal.

         Doit avoir bonne mémoire pour la cognoissance des terres, caps,
         montagnes & gisement des costes, transports des marées, leurs
         gisement où il aura esté. Ne mouiller l'ancre qu'en bon fond,
         s'il n'est contraint de soulager ses câbles par tonnes,
         poinsons ou autres inventions, afin qu'il ne se coupe sur le
         fond de rocher gallay ou gros coquillage par laps de temps, &
         se tenir en ce lieu le moins que l'on pourra, si ce n'est par
         force, & les faire garnir aux ecubiers, de peur qu'il ne se
         couppe, d'autant que si le câble venoit à faillir on seroit en
         danger de perdre la vie: c'est sur quoy il faut bien prendre
         garde à avoir de bons câbles, ancres, grapins, haussieres, &
         sur tout donner bonne touée s'il se peut, principalement durant
         le mauvais temps, afin que le vaisseau soit soulagé, & ne soit
         travaillé ou chasse sur son ancre.

         N'estre paresseux de faire caller les voiles bas, quand on
         apperçoit quelque grand vent qui se forme sur l'horison.

         Prendre garde aussi quand une tourmente arrive, & que le
         vaisseau est costé en travers, abaisser les matereaux, les
         vergues basses & bien saisies, comme de toutes autres
         manoeuvres, démonter le canon si besoin est, & qu'au debat de
         la mer il ne travaille & ne rompe ses manoeuvres, ou autres
         choses, saisir bien les canons, si en ne les démonte. Il y a
13/1341  des vaisseaux lesquels s'ils n'ont le grand papefis hors, ils
         ne se tourmentent pas tant que quand il ne l'ont point,
         l'expérience fait cognoistre ce qui est requis en cest affaire.

         Sçavoir bien amarer son vaisseau quand il est dans le port,
         afin qu'il n'en arrive aucun dommage, aussi ne permettre que
         l'on porte du feu en iceluy qu'avec lanterne, sur tout où est
         le magazin des poudres: empescher de petuner entre deux
         tillacs, car il ne faut qu'une bluette de feu pour brûler tout,
         comme il arrive souvent par grand mal-heur.

         Estre curieux d'avoir de bons canonniers, bien entendus aux
         artifices, & autres choses necessaires à un combat, que toutes
         choses soient bien appropriées, accommodées & ordonnées en
         leurs chambres, & tout ce qui despend du canon.

         Aussi ne doit rien ignorer s'il peut, de ce qui est necessaire
         pour bastir un vaisseau non seulement, mais en sçavoir les
         mesures & proportions requises, en le voulant faire de tel port
         ou grandeur qu'il voudra, en un mot n'en rien ignorer pour en
         sçavoir discourir pertinemment quand il en sera besoin.

         Doit estre soigneux à faire estime du vaisseau, sçavoir d'où il
         part, où il veut aller, où il se treuve, où les terres luy
         demeurent, à quel rumb de vent, sçavoir ce qu'il deschet & ce
         qu'il fait à sa route: Il ne se doit point endormir en ceste
         exercice, qui est grandement suject aux deffauts, c'est
         pourquoy à tous changements de vents & route, il doit bien
         prendre garde d'approcher au plus prés de la certitude, car il
         se voit quelques fois de bons pilotes estre bien decheus en
         leurs estimes.

14/1342  Doit estre bon hauturien, tant de l'arbalestrile[825] que
         l'astrolabe, sçavoir en quelle partie marche le Soleil, ce
         qu'il décline chaque jour, pour adjouster ou diminuer.

[Note 825: L'arbalestrille, ou arbaleste, s'appelait ainsi, à cause du
rapport que cet instrument avait avec l'arbalète ordinaire. (Voir la
description de cet instrument et celle de l'astrolabe dans
l'_Hydrographie_ du P. Pournier, liv. IX.)]

         Comme de l'arbalestrile prendre la hauteur de l'estoile
         polaire, mettre les gardes à rumb, y oster ou diminuer les
         degrés qui sont dessus ou dessous le pole, selon le lieu où
         l'on est.

         Sçavoir cognoistre la croisade, quand l'on est en la partie du
         Sud, appliquer ou diminuer les degrés, cognoistre si pouvez
         quelques fois autres estoiles pour prendre la hauteur, perdant
         les autres, ou ne l'ayant peu prendre au Soleil, pour ne le
         voir precisement à midy.

         Sçavoir si les instruments dont on se sert sont justes & bien
         faits, & en un besoin d'en sçavoir faire d'autres pour son
         usage.

         Doit estre expérimenté à bien pointer la carte, cognoistre si
         elle est justement faite selon le lieu de son méridien s'il s'y
         peut confier, combien l'on conte de lieues pour chaque rumb de
         vent pour eslever un degré: sçavoir les cours & marées, les
         gisements d'icelles, pour entrer à propos aux havres, & autres
         lieux où il aura affaire, soit le jour ou la nuict: & si besoin
         est, estre muny de bons compas & routiers pour cet effect, &
         avoir des mariniers en son vaisseau qui les sçachent, si par
         adventure il n'y avoit esté, car cela quelquesfois sauve la vie
         à tout une esquippage, quand on s'en sert en temps & lieu.

15/1343  Doit tousjours estre muny de bons compas en nombre,
         principalement és voyages de long cours & avoir pour iceux des
         roses qui Nordestent & Norrouestent, & autres Nort & Sud, avoir
         quantité d'orloges de sables, & autres commoditez servant à cet
         effect.

         Faut qu'il sçache prendre les declinaisons de l'emant, pour
         s'en servir en temps & lieu, cognoistre si les aiguilles sont
         bien touchées & bien posées sur le pivot, la chape droitte, le
         balensier libre, & si tout n'est bien l'accommoder, & pour cet
         effect doit avoir une bonne pierre d'emant quoy qu'elle couste,
         oster tout le fer d'auprès les compas & boussoles, car cela est
         grandement nuisible.

         Qu'il sçache treuver le pole de la pierre d'emant, non
         seulement avec les mesmes aiguilles des compas, si vous ne
         sçavez qu'elles soient bien touchées: mais il y a d'autres
         moyens faciles, certains & sans erreur, car il y a des
         aiguilles, qui touchées Nordestent & Norrouestent du pole de
         ladite pierre d'emant, deux & trois degrés, qui quelques fois
         engendrent & causent de grands erreurs en la navigation, &
         principallement en celles qui sont de long cours.

         N'oublier souvent, à apprendre les declinaisons de l'aguidement
         en tous lieux, qui est de sçavoir combien elle décline du
         Méridien vers l'Est, & Ouest, ce qui peut servir aux longitudes
         ayant ces observations, & retournant au mesme lieu d'où vous
         les auriez prises, trouvant la mesme declinaison vous sçauriez
         où vous seriez, soit en l'hemisphere de l'Asie ou du Pérou, &
         de ce on ne doit estre negligant, aussi sert pour sçavoir le
16/1344  Méridien du lieu, & appliquer la rose des vents, selon le lieu
         où vous navigerez: sçavoir tous les noms des airs de vent ou
         rumb de la rose du compas à naviger.

         Sçavoir faire des cartes marines, pour exactement recognoistre
         les gisements des costes, entrées des ports, havres, rades,
         rochers, bans, escueils, isles, ancrages, caps, transports des
         marées, les anses, rivieres & ruisseaux, avec leurs hauteurs,
         profondeurs, les amarques, balises, qui sont sur les écores des
         bans, & descrire la bonté & fertilité des terres, à quoy elles
         sont propres & ce que l'on en peut esperer, quels sont aussi
         les habitans des lieux, leurs loix, coustumes, & despeindre les
         oyseaux, animaux & poissons, plantes, fruicts, racines, arbres,
         & tout ce que l'on voit de rare, en cecy un peu de portraiture
         est tres necessaire, à laquelle l'on doit s'exercer.

         Sçavoir la difference des longitudes d'un lieu à l'autre, non
         seulement sur un paralelle, mais sur tous, & mesme de ceux qui
         different en degrés de latitude, comme seroit de Rome au
         destroit de Gillebratard, & ainsi de tous autres lieux du
         monde.

         Sçavoir le nombre d'or, la concurrence, le cycle solaire, la
         lettre Dominicale pour chacune des années, quand il est
         bissexte ou non, les jours de la lune de sa conjonction, en
         quel jour entre les mois, ce qu'ils contiennent de jours
         chacun, la difference de l'an lunaire & de l'an solaire, l'ange
         de la lune, ce qu'elle fait chaque jour de degré, quels signes
         entrent en chaque mois, combien il faut de lieues en un degré
         Nort & Sud, ce que contiennent les jours sur chaque paralelle,
         & ce qu'ils diminuent ou croissent chaque jour, sçavoir l'heure
17/1345  du coucher, & lever du Soleil, quelle declinaison il fait à
         chaque jour, soit à la partie du Nort ou du Sud, sçavoir en
         quel jour entrent les festes mobiles.

         Sçavoir qu'est-ce que la sphere, l'axe de la sphere, l'horison,
         méridien, hauteur de degré, ligne équinoxiales, tropiques,
         zodiaque, paralelles, longitude, latitude, zenit, centre, les
         cercles artiques, antartiques, pôles, partie du Nort, partie du
         Sud, & autres choses despendantes de la sphere, le nom des
         signes, des planètes, & leur mouvement.

         Sçavoir quelque chose des régions, royaumes, villes, citez,
         terres, isles, mers, & autres telles singularitez qui sont sur
         la terre, partie de leurs hauteurs, longitudes, & declinaisons
         s'il se peut, & principalement le long des costes où la
         navigation se doit estendre, ce que sçachant tant par pratique
         que par science, je croy qu'il se pourra tenir au rang des bons
         navigateurs.

         Outre ce que dessus, un bon capitaine de mer ne doit rien
         oublier de ce qui est necessaire à un combat de mer, où souvent
         l'on se peut rencontrer: doit estre courageux, prevoyant,
         prudent, accompagné d'un bon & sain jugement, recherchant tous
         les avantages qu'il se pourra imaginer, soit pour l'offensive
         ou la deffensive, s'il peut se tenir au vent de l'ennemy: car
         chacun sçait combien cela sert pour avoir de l'avantage, soit
         pour aborder ou non, la fumée des coups de canons ou des
         artifices, offusquent quelques fois si bien l'ennemy qu'il se
         met en desordre, faisant perdre la cognoissance de ce qu'il
         doit faire, ce qui s'est souvent veu en des combats de mer.

18/1346  Le Capitaine doit prevoir que tous les canons, pierriers,
         balles, artifices, poudres & autres armes necessaires à
         combatre ou à se conserver soient en bon estat, maniées &
         conduittes par gens expérimentez & entendus, pour esviter aux
         inconveniens qui peuvent arriver, & notamment des poudres &
         artifices: ne les commettre qu'à des hommes sages &
         cognoissans, qui sçachent les distribuer & en user à propos:
         regarder d'y apporter un tel règlement à toutes les affaires,
         que chacun suyve son ordre, soit pour le commandement des
         quartiers selon qu'ils seront ordonnés: comme aussi pour les
         manoeuvres du vaisseau, que quand chacun sera en son quartier
         qu'il n'en parte, que ce ne soit [que] par le commandement du
         Chef ou autre qu'il aura ordonné, que pour ce suject tous les
         matelots & mariniers soient en estat & disposez pour avoir
         l'oeil aux manoeuvres & voiles, les bien saisir, tant par en
         bas que par en haut. Les pilotes doivent estre aussi soigneux
         des choses qui despendent du gouvernail & de ceux qui y seront
         mis: Aussi que tous les charpentiers & calfasteurs avec leurs
         ferrements, soient préparez pour reparer le dommage que
         l'ennemy pourroit faire au combat: Le vaisseau ne doit estre
         embarassé, pour pouvoir aller librement visiter en bas, &
         refaire le dommage que le canon pourroit faire sous l'eaue:
         L'on doit avoir des vaisseaux préparez, pleins d'eaue pour
         esteindre le feu, si par hasard il arrivoit quelque accident,
         soit pour le sujet des poudres, artifices, & autres choses.

         Avoir esgard que les blessés soient secourus promptement par
19/1347  gens destinez à cela, & que les Chirurgiens & quelques aydes
         soient en estat, & fournis de tous les instruments, qui leurs
         sont necessaires, comme des médicaments & appareils, avec du
         feu en un brasier de fer, soit pour cauteriser ou faire autre
         chose quand la necessité le requerra.

         Que le chef soit tousjours à l'airte tantost en un lieu tantost
         en un autre, pour encourager un chacun à son devoir, donner un
         tel ordre qu'il n'y aye aucune confusion, d'autant qu'en toutes
         choses cela apporte des dommages notables, principalement en un
         combat de mer. Le sage & advisé capitaine doit considerer tout
         ce qui est à son avantage, en demander advis aux plus
         expérimentez, pour avec ce qu'il jugera estre necessaire &
         utile, l'exécuter: Aux rencontres & aux effects on ne doit
         estre nouice, mais expérimenté en l'ordre des combats qui sont
         de plusieurs façons, d'attaquer & assaillir, & autres choses
         que l'expérience fait cognoistre plus avantageuses les uns que
         les autres.

         _Que les cartes pour la navigation sont necessaires._

         Il n'y a rien si utile pour la navigation que la carte
         marine, d'autant qu'elle designe toutes les parties du monde,
         avec les costes, rades, ports, rivieres, caps, promontoirs,
         ances, plages, rochers, escueils, isles, bans, batures, entrées
         des havres, les amarques & balisses, & leurs profondeurs,
         ancrages selon les lieux & dangers qui s'y peuvent rencontrer,
         les hauteurs, distances, & rumb de vent par lesquels l'on
         navige. Par la mesme on despeinct aussi les ruisseaux, achenals
20/1348  & terres doubles, qui paroissent dans les terres & le long des
         costes, parquoy je dis que les cartes qui sont exactement
         faites sans erreur, les reduisant pour les distances au mieux
         qu'il sera possible du rond au plat: encore qu'il y aye quelque
         difficulté, néanmoins l'on y peut parvenir pour s'en servir &
         bien naviger: il faut que les rumbs de la rose des vents soient
         justement & délicatement tracées, que tous les degrés de
         l'eslevation soient bien esgaulx, que l'eschelle des lieux
         corresponde aux degrés de latitude, que tout soit bien en
         hauteur, & à cecy la portraiture est necessaire pour sçavoir
         exactement faire une carte en laquelle quelquefois est
         necessaire de representer beaucoup de particularités selon les
         contrées ou régions, comme figurer les montagnes, terres
         doubles qui paroissent, costoyant les costes, Aussi se peuvent
         despeindre les oyseaux, animaux, poissons, arbres, plantes,
         racines, simples, fruicts, habits des nations de toutes les
         contrées estrangeres, & tout ce que l'on peut voir & rencontrer
         de remarquable, & ainsi il est bien difficile sans carte marine
         de naviger, c'est pourquoy il est besoin que tous mariniers en
         ayent de bonnes, avec tous les instruments & autres choses
         necessaires à la navigation, qu'ils soient justes & bien
         graduez, comme aussi faut avoir de bonnes Boussoles selon les
         lieux où l'on voudra naviger.

         _Comme l'on doit user de la carte marine._

         Quand il est question d'entreprendre voyage, il faut voir sur
         vostre carte le lieu de l'élevation d'où l'on part, & celuy où
21/1349  on veut aller, soit en longitude ou latitude, si c'est en la
         partie du Nort ou du Sud, & la distance du chemin, les rumbs
         par où il doit naviger, & les vents qui luy seront favorables:
         Le tout estant bien consideré levez les ancres, mettez sous
         voiles, & ayant cinglé quelque espace de temps, s'il arrive
         quelque contrariété de temps l'on navigera par un autre rumb le
         plus approchant de la route, & à lors faut considérer le lieu
         où il se treuve selon l'estime qui sera faite du chemin, tenir
         bon conte sur le papier journal du changement de route avec la
         hauteur s'il peut, ou d'estimer au mieux qu'il luy sera
         possible: Pointer sa carte si l'on veut sçavoir le lieu où on
         est, conter les lieues du chemin, & ainsi l'on cognoistra où
         l'on sera descendu ou monté, & l'on regardera les rumbs de vent
         celuy qui a amené le vaisseau d'où il est party, pour quand on
         voudra faire l'estime: on doit avoir toutes choses bien
         calculées, pour sçavoir le chemin que l'on aura fait & dechu de
         la route, comme il sera montré cy après lors qu'il sera
         question de pointer la carte marine.

         _Comme, les cartes sont necessaires à la navigation, pour tous
         Mariniers qui peuvent sçavoir le moyen de les fabriquer pour
         s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus
         dictes, & la façon comme l'on y doit procéder selon la Boussole
         des Mariniers._

         Sur un papier ou carton l'on tracera une rose, ou plusieurs
         selon l'estendue de la carte, avec les trente deux rumbs,
         lesquels seront tirés le plus délicatement & nettement que l'on
22/1350  pourra, sur lequel carton aux costés marquerez la quantité des
         degrés que l'on voudra estendre sur la carte, lesquels
         contiendront chacun dix-sept lieues & demie, & ferez l'eschelle
         de dix en dix lieues, qui conviendra aux lieues de degrez, ce
         que ayant esté observé, ayez aussi vostre Boussole, qui soit
         selon le lieu de la declinaison du lieu, autrement il y
         pourroit avoir erreur, prenant un méridien pour un autre: si
         l'on desire tracer une coste d'un Cap à l'autre, avec les
         bayes, caps, ports, rivieres, isles, basses, rochers, & autre
         chose qui peuvent servir de marques pour la navigation
         d'icelles contrées, avec les sondes, ancrages: Je presupose
         qu'une coste aille d'un Cap à l'autre selon que montre la
         Boussole de l'Ouest à l'Est, & que le Cap A, soit à quarante
         degrés & demy de latitude, poserez un poinct sur ledit carton,
         à la mesme hauteur de quarante degrés & demy au poinct A, comme
         l'aurez treuvée sur l'astrolabe, prenez vostre compas, mettant
         une pointe sur le rumb de vent, qui va de l'Ouest à l'Est, &
         l'autre que metterez au poinct A, & courant la pointe sur le
         rumb de vent de l'Ouest à l'Est, jusques au dernier cap vous y
         marquerez un poinct B, & tirez une ligne de A, B, paralelle au
         rumb Est & Ouest, ce faict estimez combien il y a de lieues du
         poinct A, à B, & vous verrez qu'il y a vingt lieues, lesquelles
         l'on prendra sur l'eschelle, que rapporterez sur le point A, &
         l'autre poinct sur le rumb de vent tant qu'il se pourra
         estendre, de ces vingt lieues y marquerez B, qui sera
         l'estendue d'icelle coste prétendue.

[Illustration]

23/1351  On portera la Boussole audit Cap B, lequel chemin se fait avec
         un bateau, pour recognoistre exactement ce qui sera le long de
         la coste, où l'on pourra mettre pied à terre pour estre plus
         asseuré, avoir le gisement de la coste: estant au Cap B,
         regardez sur la Boussole à quel rumb de vent suit la
         coste, prenez qu'elle coure au Suest quinze lieues, il faut
         procéder à ceste seconde scituation comme à la première: prenez
         le compas, mettez une pointe au poinct B, & l'autre sur le rumb
         de vent qui est Suest & Norrouest, conforme à la coste qui est
         le gisement, & tirerez une ligne paralelle au rumb de vent
         Suest & Norrouest l'on prendra quinze lieues sur l'eschelle &
         rapporterez une pointe au poinct B, & l'autre sur la ligne au
         poinct C, distant de quinze lieues: ce qu'estant observé,
         portez la Boussole sur tous les Caps & autres lieux, y
         procédant comme au commencement, & s'il y avoit quelques isles,
         rochers, bans, ou batures en mer, estant à l'un des Caps
         regardez sur la Boussole à quel rumb demeure l'isle, comme de
         B, à D, de B, à G, & F, tracez les rumbs des vents esgaux à
         ceux de la rose des vents, suivant la forme cy dessus, & estant
         au Cap C, de rechef regardez avec la Boussole à quels rumbs de
         vent vous demeurent lesdits caps de l'isle, c'est ce qu'il faut
         premièrement observer: ce qu'ayant veu, vous les tracerez, & où
         ces rumbs de vent entrecouperont les deux autres, là sera la
         scituation des Caps de l'isle D, G, F, & la distance sera selon
         celle de la coste B, C, où il y a quinze lieues, & de B, à D,
         onze & demie, & à G, autant, à F, dix-huict, & de C, à F, dix,
         & à G, huict, à D, treize, & ainsi selon la distance des lieux
24/1352  qui seront esloignés de la coste, vous observerez comme aussi
         tout ce qui se pourra remarquer, faisant tousjours deux
         scituations, pour sçavoir combien les isles, ou rochers, bans,
         ou batures sont esloignées de la coste & par le moyen des
25/1353  intercessions qui s'entrecouppent aux rumbs de vent, l'on
         sçaura la scituation des lieux soit prés ou loing avec la
         distance. Il ne faut oublier de sonder souvent, & cognoistre
         les ancrages qui sont marquées en la carte cy dessous, comme
         est ceste marque, faut mettre aussi le nombre des brasses en
         chiffres comme vous voyez audit carton. Reprenant le Cap C, &
         regardant la Boussole à quel rumb de vent suit la coste,
         recognoissant qu'elle va à l'Est un quart du Nordest vingt &
         une lieue & demie jusques au poinct H, du poinct H, regardez de
         rechef comme suit la coste qui va au Nort au Cap I, prés de
         dix-huict lieues du poinct I, faisant l'Est un quart du Suest,
         jusques au Cap K, dix-huict lieues & demie, & faisant le Sud un
         quart du Surrouest, jusques au Cap L, 28 lieues, & dudit Cap
         faisant l'Ouest Surrouest au Cap M, unze lieues, & ainsi l'on
         procédera, cherchant les rumbs de vent sur la rose qui est
         tracée sur le papier ou carton: de ceste façon ferez toutes
         sortes de cartes à naviger. Je pourrois bien montrer d'autres
         manières de faire des cartes pour la terre, mais elles ne
         serviroient pas pour la navigation, d'autant que l'on n'y
         applique les rumbs de vent selon les Boussoles de la
         navigation, comme l'on fait à celle de quoy les mariniers se
         gouvernent, qui doivent estre selon la declinaison des lieux
         pour estre bien faites, autrement il y auroit de l'erreur si
         l'on prenoit un autre meridien que celuy qui est audit lieu
         d'où l'on fait la carte, que l'on ne laisse d'observer sur la
         terre, mais d'autre façon que le long des costes propres à la
         navigation.

[Illustration]

26/1354  _Des accidents qui arrivent à beaucoup de navigateurs pour ce
         qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde._

         Et d'autant que l'estime que l'on doit faire aux voyages de
         mer, est très necessaire pour la navigation, bien qu'il n'y aye
         demonstration certaines, qui fait que beaucoup d'erreurs s'en
         ensuivent, notamment à ceux qui n'ont beaucoup d'expérience, ne
         cognoissant bien le cinglage du vaisseau où ils navigent, ou
         prenant un méridien au lieu d'un autre, pour ne sçavoir
         observer la declinaison du lieu où il navige, voulant prendre
         rumb pour un autre qui sera contraire à la route, pour quelques
         fois y avoir de mauvais gouverneurs, qui font déchoir le
         vaisseau à vau le vent. Tous ces deffauts en partie ne viennent
         que pour n'avoir cognoissance des longitudes comme des
         latitudes, & croy que pour en approcher faudroit prendre
         souvent les declinaisons de l'aiguille d'aimant[826], qui
         montre le vray méridien où l'on est comme j'ay dit cy dessus:
         de plus se voit des transports de marée que si l'on n'y prend
         garde font déchoir le vaisseau de sa route, outre la violence
         des tempestes, qui fait aller à vau le vent le vaisseau,
         prenant un rumb pour un autre, en fin un nombre infiny d'autres
         accidents qui se rencontrent, empeschent de faire une estime
         asseurée en la navigation, qui cause la perte d'une infinité de
         vaisseaux, sans la mort de plusieurs hommes, & le tout par
27/1355  l'opiniastreté de certains navigateurs, qui croyent se faire
         tort si on les tenoit fautifs en leur estime, ne desirant se
         communiquer à personne, de crainte qu'on apperçoive leur
         deffaut, voulant par là faire croire qu'ils ont quelque règle
         plus asseurée que tous les autres, & tels navigateurs font
         souvent de mauvais voyages à leur ruine, & de ceux qui sont
         sous leur conduite.

[Note 826: Voir 1613, p. 270, note 1. Quelques auteurs ont cru que la
déclinaison de l'aiguille suffisait pour déterminer les longitudes.]

         On ne doit oublier une chose en l'estime, qui est se faire plus
         de l'avant que de l'arriére, comme si le vaisseau faisoit deux
         lieues par chacune heure, luy en donner demy quart ou plus,
         conformément au chemin de l'estime qu'on fait selon la longueur
         des voyages, il vaut mieux estre vingt lieues de l'arriére que
         trop tost de l'avant, où l'on se pourroit treuver sur la terre
         ou en danger de se perdre, comme il arrive à plusieurs vaiseaux
         faute de ne se donner garde, qui pensant estre bien esloignez
         de terre, faisant porter en l'obscurité de la nuict, aux temps
         des brunes, ou d'un grand orage, où ils n'ont point de veue, &
         se treuvent estonnez qu'ils se voient à terre, & s'il y a de
         quoy sonder au lieu où l'on va, que l'on sonde un jour plustost
         que plus tard, & si l'on espere la treuver ayant jecté le
         plomb, continuez de quatre horloges en quatre, en la nuict ou
         temps de brune, c'est le moyen d'eviter les périls, car l'on ne
         sçauroit trop appréhender ce que l'on ne voudroit voir,
         d'autant qu'il ne se fait jamais deux fautes en telles
         navigations: aussi si avez à doubler quelque cap ou isle la
         nuict ou durant la brune, prenez tousjours un demy quart de
         vent plus vers l'eaue pour eviter la terre, ou si quelque marée
         portoit dessus, prenez plustost un rumb entier: Le jugement du
28/1356  marinier doit aviser à cela plus ou moins selon la violence des
         marées, & si l'on navigeoit dans les mers où il y a des glaces,
         & en doutant; prenez garde tout le jour, & ayez des matelots à
         la hune pour descouvrir, & si n'en voyez le jour ou la nuict
         allez à petit voile, & si la brune est ou qu'il face noir en
         lieu douteux, mettez à l'autre bort, ou amenez tout à bas,
         attendant que l'air soit clair & serain, & si vous en voyez,
         allez discrettement, & ne vous y engagez mal à propos: La nuict
         ne faites porter pour eviter le danger, jusqu'à ce qu'en soyez
         hors, & que l'on ne s'opiniatre de le faire inconsiderement
         parmy ses dangers, comme quelques fois je me suis veu dix-sept
         jours enfermé dans les glaces, & sans l'assistance de Dieu nous
         nous fussions perdus, comme d'autres que nous vismes faire
         naufrage par leur témérité. C'est pourquoy le sage marinier
         doit craindre autant les inconveniens qui peuvent arriver,
         comme ce qui est de l'estime, à laquelle les plus anciens
         navigateurs sont les plus experts, pour ce suject je traitteray
         de la différence des estimes cy après.

         _Premier que, rapporter les diverses estimes l'on verra une
         chose remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a
         donné aux hommes pour eviter les périls de la plus part des
         navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a
         point de reigle bien asseurée, non plus qu'en l'estime du
         marinier._

         Dieu tout sage, tout bon, tout puissant, prevoyant que les
         hommes qui cinglent par les mers de ce grand Océan, couroient
29/1357  mil périls & naufrages, s'il ne les assistoit de quelques
         enseignements, qui les peussent garantir de la mort, & perte de
         leurs vaisseaux: puisque l'homme n'avoit des certitudes
         asseurées en ses navigations par les longitudes, & que nul ne
         se doit travailler en ceste vie pour ce suject, d'autant que ce
         seroit en vain, comme plusieurs l'ont expérimenté de nostre
         temps, il y a assez de demonstrations & escrits sans effects
         solides & arrestez. Or Dieu autheur de toutes choses, comme il
         ne luy a plu donner ceste cognoissance, il a donné un autre
         enseignement, par lequel les mariniers se peuvent redresser de
         leur estime, evitant les périls qu'ils pourroient courir
         beaucoup plus qu'ils ne font, si ce n'estoit cette providence
         Divine. C'est chose asseurée que les hauteurs que l'on prend
         tant par le soleil que par l'estoile polaire & autres, donne
         une cognoissance certaine du lieu où l'on part, jusqu'à celuy
         où l'on va, & où l'on est: pour ce qui est des latitudes qui
         radressent le marinier, mais non l'espace du chemin qui ne se
         fait que par estime hormis du Nort au Sud, on estime estre une
         chose dont on n'est pas bien certain de la distance qu'il y a
         d'un lieu à autre, ou de quelque nombre ou chose semblable: que
         si le navigateur estoit asseuré de sa route, il ne l'estimeroit
         pas, ains diroit plustost le poinct de certitude où se treuve
         le vaisseau quand il voudroit poincter la carte.

         On use encore d'une autre manière de parler, qui est quand
         l'estime ne se treuve bonne, il faut l'amander, & n'y a de
         règle certaine non plus qu'en l'estime, c'est ce que je n'ay
         peu sçavoir ny apprendre d'aucuns mariniers, avec lesquels j'ay
30/1358  communique, sinon que tout se fait avec des règles de
         fantaisie, qui sont différentes, les unes meilleures que les
         autres, dequoy il faut estre grandement soigneux en la
         navigation. C'est pourquoy les plus experts & anciens
         navigateurs, ont cognoissance plus parfaite aux estimes, &
         autres accidents qui arrivent à la mer, que les autres qui
         souvent s'en font plus à croire qu'ils ne sçavent. Or comme dit
         est, il y a des marques asseurées à la navigation, qui sont
         oposees aux dangers que l'on pourroit encourir, & si certains
         que quand l'on les cognoist, le marinier se rejouist, & ceux
         qui sont avec luy, comme s'ils estoient ja arrivez au port de
         salut, soulagé de tous les soins & estimes passées,
         recognoissant les fautes qu'il avoit peu faire, comme s'il
         estoit trop de l'avant ou trop peu de l'arriére, & par ce moyen
         se gouverner & amander une autrefois son estime, & à bien
         pointer sa carte: peu à peu on se forme, en pratiquant souvent
         l'on se rend plus certains en la navigation.

         Voyons quelles sont ces amarques & enseignements, commençons
         par ceux de la Nouvelle France Occidentale. Il y a entre elle &
         nous un lieu qui s'appelle le grand ban, où nombre de vaisseaux
         tant François que Estrangers vont faire la pesche de molue,
         comme à la terre ferme & isle d'icelle, qui s'y prend en partie
         de ces lieux en toute saison, manne qui ne se peut estimer tant
         pour la France qu'autres Royaumes & contrées, où il s'en fait
         de très grands & notables trafics. Ce grand ban tient du
         quarante & uniesme degré de latitude jusqu'au cinquante &
         uniesme sont quatre vingts dix lieues, il est Nordest &
31/1359  Surrouest, suivant le rapport des navigateurs par le moyen des
         sondes, ce qui ne se pouvoit faire autrement, & sa largeur en
         des endroits comme sur la hauteur de 44 à 46 degrez à 50, 60, &
         70 lieues quelque peu plus ou moins, selon la hauteur: & de
         ceste largeur allant au Nort il va en diminuant peu à peu, & du
         44e degré au 42e il se forme à peu prés comme une ovale, où au
         bout il y a une pointe fort estroitte, ainsi que le
         representent tous les mariniers du passé, par le nombre infiny
         des sondes qu'ils y ont jettées, qui peu à peu en ont fait
         cognoistre la figure, tant de ce ban que d'autres, qui sont à
         Ouest & Ouest Norrouest d'iceluy comme le banc avert, & les
         banquereaux & autres qui sont peu esloignez de l'isle de sable,
         premier que venir à ce grand ban de 25 & 30 lieues en mer. Il
         se voit de certains oyseaux par troupes qui s'appellent
         marmétes, qui donne une cognoissance au pilote qu'il n'est pas
         loing de l'escore du ban, qui sont les bords, alors l'on
         appreste le plomb & la sonde pour sonder, jusqu'à ce que l'on
         parvienne à ceste escore, pour cognoistre quand l'on sera
         proche d'entrer sur le grand ban, ceste sonde se jette de 6 en
         6 heures de 4 en 4 de 2 en 2 ainsi que le pilote en croit estre
         proche ou esloigné: or il cognoist quand il est à l'escore au
         fond où il y aura en des endroits 90, 80, 70, 65, 60 & 50
         brasses d'eaue, un peu plus ou moins, selon la hauteur où il se
         treuverra, & estant sur le dit ban, il treuvera 45, 40, 30 & 35
         brasses d'eaue, un peu plus ou moins selon la hauteur. A ce
         deffaut la sonde aux expérimentez qui donne cognoissance où il
         est, & est certain que premier que voir la terre, il doit
32/1360  passer sur ce ban, qui luy fait cognoistre la distance du
         chemin qu'il a à faire, & asseuré de ce qu'il a fait, bien que
         son estime fust fautive, lequel ban est esloigné de la plus
         prochaine terre de 25 lieues, qui est le Cap de Rase, sur la
         hauteur de 46 degrés, & demy, tenant à l'isle de Terre Neufve,
         & entre le ban & la terre il y a grande profondeur, qui donne
         cognoisance que l'on est passé l'escore du ban de l'Ouest,
         Norrouest. De plus qu'estant sur ce grand ban, on y voit des
         marques certaines, par le nombre infiny d'oyseaux, qui sont
         comme fauquests, maupoules, huars, mauves, taillevent,
         poingoins ou apois, & quelques autres qui la plus part suivent
         les vaisseaux pescheurs qui prennent la molue, pour manger les
         testes & entrailles du poisson que l'on jette à la mer: tout
         cecy se faict cognoistre comme dit est, où l'on est, qui donne
         un grand contentement à un chacun: Le marinier ayant pris sa
         hauteur, ce qu'il ne doit négliger en aucune façon, ou s'il n'a
         bonne hauteur qui revienne à son estime, ce qu'il pensera avoir
         fait, ou s'il a cognoissance de la sonde il fera sa route pour
         gaigner le lieu où il desire aller: & le navigateur prevoiant
         par estime qu'il est proche de debanquer, il fait jetter la
         sonde jusqu'à ce qu'il ne treuve plus de fond, ou pour le moins
         grande profondeur, comme de 100, 130 ou 140 brasses d'eaue,
         faisant quelque chemin, comme 10 en 12 lieues l'on rencontre le
         Ban Avert qui conduit la sonde, jusqu'au travers des isles
         sainct Pierre, separées de l'isle de Terre-Neufve 5 à 6 lieues,
         ou bien passerez par autres bans appellez les banquereaux, qui
33/1361  donnent parfaite cognoissance avec la hauteur où l'on est, &
         ainsi asseurement l'on fait sa route depuis ledit grand Ban.

         Mais si la hauteur n'est asseurée que par estime du ban, l'on
         tasche le mieux que l'on peut d'aller cognoistre la terre pour
         s'arouter avec certitude, comme le Cap de Rase, saincte Marie,
         isles sainct Pierre, ou autres caps, attenants à ladite isle de
         Terre-Neufve, ou quelques batures qu'aucuns, cognoissent à la
         sonde & au poisson qui s'y pesche, & ainsi cherche lieu certain
         pour s'adresser & asseurer de la route, & allant recognoistre
         ces terres, que ce ne soit durant la brune ny de nuict: il y
         faut aller sagement & discrettement faisant faire bon quart, se
         donner garde des marées suivant le lieu où l'on est. Ceux qui
         partent du ban, beaucoup y en a qui sainct Pierre ou cap de
         Raye, tenant à ladite isle de Terre-Neufve, entre l'isle sainct
         Paul ou Cap sainct Laurent, tenant à l'isle du cap Breton, pour
         entrer au golphe sainct Laurent, ainsi que chacun desire faire
         sa route.

         Et si l'on desire aller à la coste d'Acadie, Souricois,
         Etechemins, & Allemouchicois, l'on peut aller recognoistre le
         Cap Breton ou les isles de Canseau, l'Isle Verte, Sesambre, la
         Heve, Cap de Sable, Menasne, Isle Longue, & celle des Monts
         Deserts, ou le Cap-blan, proche de Mal Barre terre basse, à 20
         & 25 lieues vers l'eau on à la sonde à 50 brasses fond
         attreant, venant à la terre, marque que Dieu a donnée aux
         navigateurs pour ne se perdre, pourveu qu'ils ne soient point
         paresseux ny négligents de sonder.

34/1362  Toutes cesdites costes & caps, cy dessus nommez, ne sont
         esloignez dudit grand Ban jusqu'au cap Breton que de 100, ou de
         Canseau 120 lieues, entre deux est l'Isle de Sable, sur la
         hauteur de 43 degrés & demy de latitude 25 à 30 lieues du Cap
         Breton, Nort & Sud, fort dangereuse & baturiere, de laquelle
         l'on se doit donner garde: les marées portent sur icelle venant
         du Nort & Nornorrouest.

         De façon que la navigation qui se fait en ces païs là est comme
         asseurée sans courir beaucoup de risque, encores que les
         estimes ne soient bien certaines pour les cognoissances cy
         dessus dites, on sçait où l'on est, refaisant une nouvelle,
         comme si on partoit d'un port, & l'ignorance d'un marinier qui
         a passé une ou deux fois seroit bien grande, si en 125 lieues
         qu'il y a du grand Ban aux costes de la Nouvelle France, fit
         tant d'erreurs en son estime, qu'il ne sceut se donner garde
         d'aborder la terre, où il iroit souvent sans la cognoissance
         dudit grand Ban, qui occasionne que tant de vaisseaux ne se
         perdent, comme ils feroient, si cela n'estoit, ce qui r'adresse
         le marinier de son estime.

         Et pour les navigations qui se font de la Nouvelle France
         Occidentale, aux costes de France, Angleterre, & Irlande, il y
         a des marques & enseignements en la mer, de la sonde que l'on
         l'apporté [827] de 55 & 30 à 25 lieues en mer en des endroits,
         suivant la hauteur où l'on se treuve, donne à cognoistre le
         lieu où l'on est, le chemin que l'on a à faire & la route que
         l'on doit tenir, refaisant nouvelle estime, & si la hauteur
35/1363  n'est que par estime, les anciens navigateurs par une longue
         pratique tant du passé que de l'heure presente recognoissent le
         fond des sondes, si c'est rocher sable d'orloge, ou vaseux,
         argile, coquillage, autre fond à grain d'orge, pailleteux,
         petits gravois, & ainsi d'autres noms qu'on donne pour
         cognoistre la différence des fonds, à ce joincte la profondeur
         de tant de brasses, il cognoisse le lieu où ils sont, & la
         route qu'ils doivent tenir, soit pour aller aux costes de
         France, Angleterre ou Escone, & s'ils ne sont mariniers bien
         cognoissants à ces sondes, il arrive qu'au lieu d'aller en la
         manche, ils vont celle de sainct George tres-mauvaise, si l'on
         n'en a la cognoissance qui est au Nort de Sorlingues & costes
         d'Angleterre: d'ailleurs il est à craindre comme les costes de
         Bretagne, mais si le temps est beau, il n'y a rien à
         apprehender, & si en si peu de chemin de 55, 30 & 25 lieues, on
         fait une si mauvaise estime, pour aller aborder la terre: le
         marinier seroit bien neuf & ignorant en ce qui seroit de la
         navigation, & par ainsi se recognoist la providence de Dieu, &
         enseignements qu'il donne aux mariniers, pour se conserver &
         les soulager des estimes.

[Note 827: _Que l'on l'apporte_? ou peut-être _que l'on a la portée
de...?_]

         De plus, ce qui soulage grandement le marinier, est qu'és
         costes d'Espagne il y a grande profondeur d'eau, & la plus part
         des terres fort hautes qui se peuvent voir de loing aux
         mariniers, qui fait que l'on n'en approche que selon que le
         navigateur desire il n'y a que la brune ou la nuict qui le
         pourroit endommager, & diray qu'en ce temps de brune on en
         approcheroit de fort prés, pour estre la coste saine, & eviter
36/1364  le péril, & remettre à la mer, que l'on ne seroit si aysement à
         une terre basse où l'on seroit dessus premier que se pouvoir
         garantir, ce qui arrive par l'estime du pilote qui croyoit
         estre trop de l'arriére, au contraire il se faut tousjours
         faire plus de l'avant. Or quoy que s'en soit l'on a des
         enseignements, premier qu'arriver à terre, soit par sondes,
         hostes, terres, oyseaux, herbiers, qui se rencontrent en
         d'aucunes mers, poissons, changement de temps, saisons, &
         plusieurs autres marques, desquelles les navigateurs ont
         cognoissance, qui soulagent fort l'estime du pilote avec de
         grandes consolations: que si ces marques & enseignements
         n'estoient en la mer, la navigation seroit beaucoup plus
         perilleuse & suject aux risques qu'elle n'est, car en un bon
         vaisseau il n'y a à craindre que la terre & le feu, c'est
         pourquoy quand on est entre des terres & proche des costes, il
         faut estre grandement soigneux de dormir plus le jour que la
         nuict, prendre garde aux transports des marées pour eviter le
         lieu où elles vous pourroient porter, afin que quand vous
         arriverez au port de salut, vous rendiez grâces à Dieu.

         Or voions les estimes des navigateurs très necessaires au
         marinier, si on ne les a prises si justement, au moins en
         approcher à peu prés, à ce qu'il aye cognoissance pour le
         pouvoir r'adresser, pour ce qui est des distances des
         longitudes, qui seroient très asseurées, s'il se rencontroit un
         instrument si juste qu'il peust enseigner la vraye esgalité de
         l'heure, continuant sans erreur (comme il sera dit cy après,)
         que nous aurons monstré comme selon mon sentiment l'on se
         devroit gouverner à dresser les papiers journaux, & celuy de
         l'estime.

37/1365  Ayez deux livres journaux, l'un pour les estimes particulières,
         & l'autre pour les discours des rencontres, & de ce qui se
         passera pendant les voyages, celuy des rencontres se fera en
         ceste manière.

         Le 20 de May, sommes partis d'un tel lieu, par la hauteur de 49
         degrés de latitude, à quatre heures du matin, sur les deux
         heures après midy nous avons fait rencontre de quatre vaisseaux
         Holandois, qui nous dirent venir du destroit, ayant fait
         rencontre de deux autres de guerre à 20 lieues de Ourisant, &
         fait chasse sur eux, mais comme estant meilleurs voiliers
         s'estoient sauvez, croyant estre Turcs, & ainsi plusieurs
         autres choses, & qui se rencontrent de jour en jour.

         Et le papier ou livre journal des estimes doit estre
         particulier, comme il s'ensuit à la table cy dessous, qui
         n'apportera nulle confusion au navigateur, au contraire un
         grand soulagement de voir tout par ordre, & pour promptement
         calculer son estime, pour les tracer sur sa carte ou carton,
         ainsi que bon luy semblera, l'on ne doit manquer de deux heures
         en deux heures, à arrester l'estime à ladite table cy dessous,
         du chemin que fait le vaisseau en premier lieu.

         _Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour
         au papier journal._

         Au dessus est le long de la première colomne, & le long
         d'icelle escriverez le mois, le jour & l'heure, que sortira le
         vaisseau du port ou autre endroit, au premier quarré sont les
38/1366  heures de deux en deux jusques à douze, & recommencer deux
         jusques à autre douze qui feront 24 heures, d'un midy à autre,
         qu'assemblerez les lieues de vostre estime, & pointer vostre
         carte pour sçavoir le lieu où sera le vaisseau, au deuxiesme
         est le rumb de vent sur lequel l'on navige. Le troisiesme sont
         les lieues du chemin de l'estime. Au quatriesme le rumb de vent
         qui fait cingler le vaisseau. Au cinquiesme, la hauteur où se
         treuvera le vaisseau: or notez que si partez à quatre heures du
         matin ou du soir, commencez à conter les lieues de chemin. Au
         deuxiesme quarré où est marqué 4 heures, d'autant que de 4 à 6
         il y a deux heures, afin de rencontrer le midy ou la minuict,
         pour se treuver en l'ordre de douze heures, pour venir à 24, où
         finira l'estime. Ne faut oublier d'estre soigneux à toutes les
         fois que l'on peut, de prendre la hauteur & pointer la carte
         d'un midy à l'autre d'autant que l'on ne sçauroit estre trop
         exact & diligent.

         Comme si je sortois du port par les 49. degrés de latitude, à
         quatre heures du matin, je recognois que navigeant à Ouest un
         quart au Norrouest, estimant faire deux lieues par heure,
         j'escrits deux lieues en la colomne deuxiesme, & allant
         estimans jusqu'à douze lieues lesquelles venues je prens la
         hauteur s'il m'est possible, la prenant je treuve 48 degrés &
         50 minutes, que je mets à la sixiesme colomne vis à vis de 12
         heures, assemblant le chemin de l'estime que j'ay fait depuis 4
         heures du matin jusqu'à midy, je treuve qu'il y a 9 heures
         qu'il faut doubler & font 18 lieues de chemin, que marquerez
         sur la carte. Arrestez le poinct jusqu'au lendemain que ferez
39/1367  le semblable, chose facile si l'on desire s'en servir, car je
         n'ay point veu que fort peu d'estimes qui ne soient en quelque
         confusion au papier journal des rencontres, menant l'un avec
         l'autre, ce qui donne de la peine & plus de soing, qu'il faut
         éviter en cela le plus qu'il est possible, en mettant le tout
         par ordre, comme il suit cy dessous en ceste table, qui n'est
         que pour 24 heures, continuant la route de midy jusqu'à mi
         nuict, je treuve avoir fait 12 lieues trois quarts qu'il faut
         doubler, & qui font 25 lieues & demie qu'avez faict, & de
         minuict l'on continuera jusqu'au l'endemain à midy,
         qu'arresterez l'estime & pointerez la carte, & ainsi tousjours
         continuerez l'ordre de ceste table cy dessus jusqu'à la fin du
         voyage.


+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| Heures | Rumb pour la route | Lieues | Rumb pour le vent | Degrés |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   2    |                    |        |                   |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   4    | A Ouest 1/4 NO     |    2   | Le vent Nort      |   49°  |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   6    | A Ouest            |    2   | Le vent Nort      |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   8    | A Ouest 1/4 SO     | 1 1/2  | Vent Nort 1/4 NE  |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|  10    | A Ouest 1/4 SO     | 1 1/4  | Le Vent NO        |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|  12    | Au SO 1/4 Ouest    |    2   | Vent NO 1/4 Nort  | 48° 50'|
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   2    | Au SO 1/4 Ouest    |    1   | Vent NO 1/4 Nort  |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   4    | Au Surouest        |   3/4  | Ouest Norrouest   |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   6    | A Ouest 1/4 NO     | 2 1/2  | Vent Nort         |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|   8    | A Ouest            | 2 1/2  | Vent Nortnordest  |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|  10    | A Ouest            |    3   | Vent Nordest      |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
|  12    | A Ouest            |    3   | Vent Est Nordest  |        |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+


40/1368  _S'ensuit comme l'on peut sçavoir si un pilote a bien fait son
         estime, & pointer la carte._

         Si un vaisseau sortoit d'un port qui fut sous la hauteur de 46
         degrés de latitude, & navigeant par le rumb de l'Ouest
         Surouest, il faudroit sçavoir precisement l'heure qu'il
         sortiroit du port, & au préalable l'heure qu'il seroit quand il
         voudroit estimer le chemin qu'il auroit fait, & considerant le
         temps qu'il y a entre deux, par quelques bons instruments ou
         horloge la différence de ces deux lieux seroit la longitude, &
         ceste différence de temps reduitte en degrés de
         l'Esquinoctiale, qui seroit donner pour quatre minutes de temps
         un degré, qui en vaut 15 par heure, & en contant les lieues des
         degrés suivant le paralelle où se treuve le vaisseau, vous
         sçaurez s'il a déchu du rumb de vent de l'Ouest Surouest, soit
         plus à l'Occident ou moins à l'Orient.

         Par exemple un vaisseau partant d'un port de 46 degrés de
         latitude à midy, & ayant navigé à Ouest Surouest 91 lieues,
         s'il a faict chemin, il se treuvera deux degrés plus aval, posé
         le cas que l'on ayt estimé ce chemin, sçachant la hauteur
         certaine de 44 degrés, il se peut faire qu'il sera plus ou
         moins sur ledit paralelle, selon le dechet que peut avoir fait
         le vaisseau. Le soleil estant à son méridien regardez aussi
         tost à l'instrument ou horloge, le midy de ce lieu, & regardez
         la différence qu'il y a du midy ou l'on est party, & celuy où
         l'on se treuve, qui fait la distance du chemin qui sera d'un
         tiers d'heure, qui font cinq degrés, qui reviennent à 66 lieues
41/1369  à 12 & demie, & quelque peu d'avantage par chaque degré de
         longitude, sur le paralelle de 44 degrés de l'élévation où se
         treuve le vaisseau, il se voit qu'il a déchu du rumb de vent
         Ouest Surouest, & a cinglé à un autre, comme au Surouest un
         quart d'Ouest, bien que selon la Boussole il sembloit aller à
         Ouest Surouest, d'autant que si le vaisseau avoit navigé ce que
         le pilote avoit estimé, il auroit treuvé la différence du midy
         d'où il est party, à celuy où il pensoit se treuver, qui eust
         esté demie heure, ne s'estant treuvé qu'un tiers & se
         trouveroit 25 lieues de l'arriére, moins que ce qu'il avoit
         estimé: par ce moyen se cognoist le dechet du vaisseau, & la
         certitude du lieu où il se treuve, mais il est difficile de
         treuver des instruments justes, ou des horloges qui ne
         s'altèrent peu ou beaucoup, ce qui feroit commettre de grandes
         fautes & erreurs par succession de temps.

         Quoy que s'en soit il est très necessaire au navigateur se
         servir de l'estime pour le soulagement de la navigation qui se
         fait en plusieurs manières, mais aucun ne donne cognoissance de
         l'erreur que l'on y commet, mais bien comme l'on doit pointer
         la carte comme fait Medigne, que la pluspart des navigateurs
         suivent, qui est bonne pour pointer, mais non comme l'on doit
         amander la faute de l'estime, laissant cela à la sagesse &
         discretion du marinier, comme il se voit cy dessous.

42/1370                     De pointer la carte.

         Que l'on regarde d'où est party le vaisseau, où il se treuve,
         que l'on prenne deux compas, mettant la pointe de l'un d'où est
         party le vaisseau, & l'autre sur le vent qui l'a amené, prenez
         l'autre compas, mettez une pointe aux degrés de la hauteur que
         l'on a treuvé, & l'autre pointe sur le plus proche vent d'Est,
         & s'ils viennent à rencontrer les deux compas sans s'esgarer,
         les deux pointes qui viennent sur les vents, l'un qui amené le
         vaisseau, & l'autre sur l'Est, où les deux pointes de compas
         viennent à se joindre, à sçavoir celle qui fut mise d'où partit
         le vaisseau, & l'autre en la hauteur où il se treuve,
         considerant le poinct auquel il se rencontre, & mesurez combien
         de lieues l'on conte par degrés, & ayant veu combien de degrés
         il aura monté ou descendu depuis le lieu d'où il est party,
         jusques où il se treuve, il contera les lieues que montent les
         degrés, & si les lieues des degrés correspondent aux lieues du
         chemin, l'estime sera bonne si on regarde d'où vient la faute.

         Deux choses sont à presupposer, en premier lieu que le
         navigateur aye toujours navigé droictement sur le rumb de vent
         qu'il a estimé sans s'esgarer, l'autre que l'estime convienne à
         la hauteur qu'il trouverra, cela estant asseuré il y aura
         apparence que tout ira bien, si les lieues des degrez
         correspondent au chemin que l'on aura estimé sur ledit rumb, à
         tant de lieues pour elever un degré, ce qui arrive peu souvent.

43/1371  Posons le cas qu'un vaisseau cinglast par un mesme rumb, il
         pourra arriver que l'on l'estimera avoir fait 50 lieues, &
         considerant la hauteur suivant le chemin, en contant tant de
         lieues pour elever un degré, l'on croira estre à ce poinct,
         prenant la hauteur l'on trouverra demy degré moins au Sud, &
         l'on cognoist par là que l'estime n'est bonne, comme si l'on
         trouvoit en 50 lieues de chemin, avoir descendu deux degrés par
         le rumb Surrouest, neantmoins par la hauteur que l'on treuve,
         il se voit un tiers de différend, & si on recognoist qu'il a
         trop estimé l'on doit amander ceste faute, où s'il treuvoit un
         tiers de degré plus que les deux degrés, l'on aura assez
         estimé, ce que recognoissant que l'on voye sur le Surrouest ce
         que vaut un tiers, il fera 8 lieues & un tiers, que l'on
         rabatera de 50 qu'il avoit estimé, restera 41 lieues & deux
         tiers qu'il a fait, & un degré & deux tiers qu'il aura
         descendu: si l'on treuve un tiers plus au Sud que les deux
         degrés, il faudra adjouter à 50 lieues 8 & un tiers, pour faire
         deux degrés & un tiers, le vaisseau ayant navigé 58 lieues & un
         tiers, qui est 8 lieues & un tiers qu'il a fait plus qu'il
         n'avoit estimé, il n'y a point de doute quand le marinier
         navigera en asseurance d'un rumb sans deschoir, en prenant une
         asseurée hauteur, convenant à celle que l'on estime, il aura
         contentement en sa route, tant en la partie du Nort que du Sud.

         Ceste difficulté ostée, il s'en presente une autre plus pénible
         & difficile, où l'on se treuve bien empesché, pour apprendre
         quelque règle extraordinaire, qui feroit sçavoir combien de
         lieues on sera decheu d'un rumb, par lequel on navigé avec
44/1372  contrariété de mauvais temps, qui ne se peut juger que par
         estime, comme si on navigeoit à Ouest par le vent Nornorrouest,
         l'on jugera le dechet selon la violence des vents plus ou
         moins, c'est icy après avoir fait plusieurs & longues bordées
         que l'on fait l'estime qu'on arreste sur la carte ou papier
         journal, prenant un rumb pour un autre, le vent venant devant
         comme à Ouest du tout contraire à la route, le vaisseau ne peut
         plus courir que bordes à autres, au Sud Surrouest, & au
         Nornorouest, pour ne s'esgarer de sa route, tenant le mieux que
         l'on peut sa hauteur. Il ne laisse en ces contrarietez de
         dechoir soit du costé du Nort ou du Sud, & pourroit deriver au
         Suest ou au Nord est si la violence des vents est si grande, au
         lieu d'avancer chemin reculer de sa route, & estre contrainct
         pour ne perdre chemin sous voile, d'amener tout bas, amarer la
         barre du gouvernail sous le vent, & bien saisir toutes les
         manoeuvres qui peuvent travailler le vaisseau, comme amener bas
         les matereaux de hune, & saisir les vergues, roidir quelques
         fois les hauts bans quand ils sont trop lasches, comme le canon
         qu'il faut bien tenir en estat, pour eviter tout desordre.

         Il y a des vaisseaux qui ne se peuvent soustenir, s'ils n'ont
         le grand corps de voile au vent, le marinier en cela cognoistra
         ce qui est necessaire pour son vaisseau, estant quelques jours,
         en cet estat fâcheux, agité du vent, de pluyes, brunes, &
         autres contrarietez ennuieuses à la navigation. Le vent venant
         à s'adoucir, la mer de furieuse & mauvaise qu'elle estoit se
         calme, l'air devient clair, & nettoyé de nebuleuses & orages,
45/1373  le vaisseau se soulage, l'on met les voiles au vent, on reprend
         sa route, les voiles ne se rompent, & les manoeuvres
         n'endurent, le vaisseau fait son cinglage doucement, avec fort
         peu de dechet, l'estime aisée à faire, l'on n'a soucy comme
         quand le vaisseau estoit agité, chacun se réjouit sans se
         resouvenir du passé. Le marinier doit rapporter sur la carte
         toutes les routes dont il a deu tenir conte exactement, comme
         de ce qu'il aura decheu d'un bord sur l'autre, & cela fait il
         doit pointer sa carte pour sçavoir le lieu où il est.

         Or comme ces routes se rapportent par l'estime d'un navigateur
         grandement expérimenté, ne se trouvera en la mesme peine que
         d'autres qui font les entendus, quoy que peu expérimentez, qui
         pour discourir n'en voudroient ceder aux plus experts & anciens
         navigateurs, c'est pourquoy on doit bien regarder à qui l'on
         donne la conduicte d'un vaisseau, pour les grands périls &
         dangers qu'il y a, qui s'evitent plustost par les bons
         capitaines de mer ou pilotes, qui sçavent comme ils se doivent
         gouverner & les routes qu'il faudroit tenir. Voicy une manière
         de pointer la carte, qui m'a tousjours semblé bonne.

         _Autre manière d'estimer & arrester le poinct sur la carte._

         Prenez un carton ou papier blanc, sur lequel tracerez au
         costé des degrés de latitude, suivant le voyage que l'on fera,
         chacun contenant 17 lieues & demie, & faire l'eschelle des
         lieues conforme à celle des degrés: au milieu du carton
46/1374  tracerez une ou deux roses de compas, suivant la distance du
         chemin qu'aurez à faire, pour plus facilement compasser quand
         il en sera besoin. Les 32 rumbs de vents estans
         exactement tracés, ayez d'autre part vostre papier journal des
         estimes, sur lequel d'heure en heure & de jour en jour ferez
         conte du chemin qu'aurez fait, & n'oublier, comme dit est, de
         prendre hauteur tous les jours s'il vous est possible, ce qui
         sert de beaucoup, & de 24 en 24 heures pointer la carte, pour
         voir le lieu où vous ferez, ce qui se fera en cette manière:
         Sur le carton où seront tracez les rumbs de vents & les degrés,
         considerez la hauteur d'où vous partez, comme celuy où vous
         devez aller, & le rumb de vent qui est necessaire, avec celuy
         qui fait cingler le vaisseau, duquel devez cognoistre
         l'assiette si pouvez, ou l'expérience vous l'apprendra. Cela
         fait allez à la grâce de Dieu, & suivez vostre route qui sera à
         Ouest, Norrouest partant du port qui sera par 46 degrés de
         hauteur, soit que l'on aye navigé 91 lieues à ce rumb de vent,
         qui sont deux degrés que j'ay monté plus au Nort: me trouvant à
         48 de latitude, il arrive que le vent vient à changer,
         contraire à ma route je cherche en ma carte le rumb de vent, le
         plus proche de ma route pour y naviger, ayant fait à Ouest
         Norrouest 91 lieues, je trace ceste route sur le carton, &
         d'autant que je ne puis naviger par ce rumb, je vay par celuy
         du Norrouest, & y fais sur le rumb 25 ce qui me fait monter un
         degré de plus: quand de rechef il arrive du changement de
         temps. Et d'autant qu'il me faut aller par 50 degrés de
         latitude, & faire 180 lieues pour parvenir du lieu d'où je
         suis party, je prend en un autre rumb la terre où je veux
47/1375  aller, presque à Ouest un quart au Norrouest, de hauteur 49
         degrés & 65 lieues de chemin à faire, je fais l'Ouest un quart
         au Norrouest, 45 lieues qui m'esleve demy degré, & me treuve de
         hauteur 49 degrés & demy, reste 23 lieues à faire, le vent se
         leve du tout contraire, qui fait que je mets le cap au
         Norrouest un quart du Nort, qui ne me vaut que le Nort un quart
         au Norrouest, je cingle sur iceluy 18 lieues, qui fait que
         j'esleve demy degré plus que 50 qui fait 50 & demy, le lieu où
         je desire aller me demeure à Ouest Surrouest 19 lieues, delà
         vient que le vent se trouve si contraire & violent que je ne
         puis soustenir qu'avec le grand corps des voiles mettant le cap
         au Sud, ne m'avallant que le Suest, ayant demeuré 4 jours en
         cet estat, ayant fait quelques 50 lieues, ce qui m'a reculé de
         la route, je treuve selon l'estime 48 degrés & demy: on veut
         sçavoir le lieu où l'on est, & ce que le vaisseau a fait de
         chemin, & où demeure la terre où l'on desire aller, & quelle
         distance il y a, & du lieu où se suis party, sçachez qu'à
         mesure que l'escriverez au papier journal, l'on doit tracer
         toutes les routes que l'on aura faites suivant l'estime.

         Or du dernier point où est le vaisseau qui est 48 degrés &
         demy, tirez de ce centre ou lieu deux lignes, l'une d'où vous
         estes party de 46 degrés, & l'autre où desirez aller à 50 voyez
         ces deux lignes, quels rumbs de vent ce sont, & combien l'on y
         conte de lieues pour elever un degré, suivant que seront
         lesdits deux rumbs, & si les lieues du chemin faites ou à
         faire, conviennent justement avec la hauteur des degrés
48/1376  l'estime sera bonne, ce que verrez sur le carton, & treuverez
         que l'on est esloigné du lieu où l'on se treuve, sçavoir que
         Ouest Norrouest est la route qu'on doit tenir à peu prés, pour
         aller au 50 degré & 60 lieues de chemin à faire, & la terre
         d'où vous estes party, demeure à l'Est Suest de distance
         qu'avez fait 125 lieues n'estant que cinq lieues plus au midy
         de la droite route que je devois tenir du port de 46 degrés, il
         faut que vous ayez pris la hauteur, d'autant que cela vous
         r'adressera si vous avez trop ou trop peu estimé pour amander
         le deffaut s'il s'en treuve, & par ce petit carton vous verrez
         toutes vos routes, le chemin & dechet qu'aurez fait en la
         navigation, ceste demonstration est facile & bonne quand elle
         est bien entendue.

         _Autre manière d'estimer que font beaucoup de navigateurs._

         Ils tracent sur un papier ou carton une rose de compas avec les
         32 vents, & s'ils navigent au Nort 20 lieues, ils marquent sur
         le rumb de vent au carton qui est Nort, 20 lieues, s'ils
         navigent au Nortnorrouest 30 lieues, ils les mettent sur ce
         mesme rumb de vent, & ainsi consecutivement à tous les rumbs où
         ils navigent, quand ils veulent pointer la carte ils rapportent
         ce qui est des lieues suivant les rumbs de leur rose à ceux de
         la carte.

49/1377   _Autre manière, de pointer après l'estimé faicte._

         Aprés comme dit est, que vous aurez tracé sur le carton tous
         les degrés & rumb de vent que l'on aura navigé, marquez le lieu
         où se trouve le vaisseau selon l'estime qu'aurez faite, & le
         degré auquel pensez estre, tirez de ce lieu une ligne jusqu'à
         celuy d'où vous estes party, considerez à quel rumb de vent il
         convient, contant les lieues qu'il faudra pour élever un degré,
         se rapportant justement aux degrés qu'aurez descendu ou monté,
         suivant l'estime il y a quelque apparence de vérité, il faut
         voir si l'estime est bonne, que l'on prenne hauteur, & si elle
         se rencontre à celle que l'on aura estimé: le chemin comme dit
         est convenant à la quantité des degrés qu'avez monté, l'estime
         sera bonne si avez tousjours navigé sur ledit air de vent sans
         dechoir, mais si la hauteur est de demy degré moins que l'on
         n'a estimé ou demy degré plus, l'on procédera en ceste manière:
         du poinct où l'on a estimé estre le vaisseau, tirez une ligne
         perpendiculaire qui marquera le méridien du lieu où l'on est:
         ayant pris la hauteur si treuvez demy degré moins que ce
         qu'avez estimé, tirez une ligne paralelle du degré que aurez
         treuvé, & où elle coupera la perpendiculaire sera le lieu où
         vous devrez estre, tirant une ligne de ce lieu à celuy d'où
         vous estes party, fait cognoistre qu'avez navigé par un autre
         rumb plus au Nort que celuy qu'aviez estimé, & s'il se treuvé
         demy degré davantage tirant comme à la première fois une
         paralelle, suivant la hauteur que l'on aura treuvé coupant la
50/1378  ligne diametralle, en ce lieu doit estre le vaisseau plus au
         midy que l'estime qui en sera faite, tirant une ligne comme cy
         dessus est dit, vous verrez qu'aurez navigé par un autre rumb
         que celuy qu'avez estimé, laquelle par consequent se treuve
         fautive, c'est là où le défaut se treuve qui ne se peut amender
         parfaictement, que par le moyen des instruments ou horloges qui
         seroyent justes comme j'ay dit cy dessus, ce qui se peut
         cognoistre quand l'on arrive sur l'ecore du Grand Ban, ou à la
         sonde des costes de France & d'Angleterre, & autres
         enseignements comme dit est, où le marinier se r'adressera pour
         refaire nouvelle estime, & amander les défauts: quand on navige
         le coute largue avec bon vent, les estimes se rencontrent assez
         souvent meilleures que ceux qui ordinairement navigent à la
         boulline un bort sur autre, avec contrariété de mauvais temps
         qui fait faire maintes erreurs en la navigation.

         _Autre manière d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns
         Anglais bons navigateurs, qui m'a semblé fort seure au respect
         des estimes que l'on fait ordinairement[828]._

[Note 828: C'est le loch, dont l'usage a été adopté généralement.]

         Il faut avoir une planchette de 3 pieds de hauteur sur 15
         poulces de largeur, qui soit divisée en 13 parties en sa
         longueur, & en cinq en sa largeur, au premier quarré les
         heures, & les quarrez suivant jusques à 12 recommençant à 2
         aller de rechef à 12 autres, qui feront 24 heures aux 12
51/1379  quarrez comme voyez en la figure suivante. Au second quarré
         ensuivant, seront marquez le nombre des noeuds, au troisiesme
         les brasses, & au quatriesme & cinquiesme les rumbs de vent sur
         lesquels on navige. Il faut une ligne qui ne soit pas trop
         grosse, affin qu'elle se file plus promptement, au bout de
         laquelle faut mettre une petite palette de bois de chesne
         d'environ un pied sur six poulces de large, qui soit chargée
         d'une petite bande de plomb sur l'arriére, avec un petit tuyau
         de bois, qui sera attaché à une petite fiscelle aux deux costés
         de l'extrémité de la palette, & un autre petit bois en façon de
         fausset qui entre audit tuyau assez doucement, c'est ce qui
         fait que la palette se tient toujours droite derrière le
         vaisseau estant en la mer, & cela ne se défait que lors que
         l'on tire ladite palette de l'eau.

         La ligne attachée à la palette doit avoir quelques 8 ou 10.
         brasses qui ne soient à rien conter, avant que venir au premier
         noeud qui pourra estre environ plus ou moins la hauteur du lieu
         où l'on l'a jettée, qui est sur l'arriére du vaisseau jusqu'à
         ce qu'elle soit en la mer, & que veniez au premier noeud, un
         homme doit tenir la ligne, un autre une petite horloge de
         fable, contenant le temps de demie minute, qui peut estre
         l'intervalle de conter jusqu'à 80 vingts sans se haster, à
         mesme temps que le premier noeud passe par les mains de celuy
         qui jette la ligne, la laissant librement couler selon la
         vistesse du vaisseau, faire en vostre presence tourner le petit
         horloge jusques à ce qu'il soit achevé de passer, à mesme temps
52/1380  l'on doit retenir la ligne & ne la laisser plus filer ou
         couler: la retirant, voir combien de brasses il y aura jusques
         au premier noeud de sa main en tirant ladite ligne, conter
         après tous les noeuds qui auront coulé en la mer pendant que
         l'orloge passoit. Notez qu'autant de noeuds & d'espace qu'il y
         a entre chacun l'on faict 2000 de chemin en deux heures, il y a
         7 brasses entre chaque noeud, de deux en deux heures l'on doit
         jetter en la mer la palette tant le jour que la nuict, &
         n'oublier 24 heures passées de faire vostre estime, en
         adjoustant vos nombres, pour sçavoir combien on aura fait de
         mille réduits en lieues, seront 3000 pour lieues.

         Par exemple comme l'on se doit comporter en ce conte, je treuve
         qu'en 24 heures l'on a navigé & jetté la ligne de deux en deux
         heures, & d'autant que le vaisseau va plus ou moins selon la
         violence des vents ou marées, s'il dechet aussi il y aura plus
         ou moins de noeuds coulez selon l'air du vaisseau: desirant
         supputer combien le vaisseau a fait de chemin, l'on adjouste
         tous les nombres des noeuds qui sont au 12 quarrés de la
         tablette, & se voit qu'il y en a 44 noeuds, & de plus trente
         six brasses & demie à 7 brasses par noeud y aura cinq brasses,
         adjoutez le tout sçavoir 44 noeuds & cinq font 49 noeuds,
         multipliez par deux feront 98 mille à 2000. pour noeuds, les
         reduisant en lieues se monteront à 32 lieues trois quarts &
         quelque peu davantage, à 3000. pour lieue qui est ce que le
         vaisseau aura fait de chemin en 24 heures, l'on ne doit oublier
         de prendre hauteur à toutes occasions, pour r'adresser le
         chemin ou route, & tenir conte sur le papier journal, par ce
53/1381  moyen on cognoist ce que le vaisseau fait de chemin, & le
         dechet, & où il se treuve, & où leur demeure, le lieu où il
         espere aller[829], & quelle route il faut prendre pour y
         parvenir, & diray que de 8 vaisseaux qui estoient de compagnie
         sur 500 lieues avoir dit à une heure & demie prés que l'on
         auroit sondé(830), ce qui fut treuve véritable.

[Note 829: Lisez: _et où lors demeure le lieu où il espère aller_.]

[Note 830: Que l'on auroit sondé.]


      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      | Heures | Noeuds | Brasses |        Routes. Rumbs          |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    2   |    3   |    2    | Cap au Nort 1/4 du Nordest    |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    4   |    2   |    4    | Cap au Nort Nordest           |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    6   |    4   |    2    | Cap au Nordest                |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    8   |    5   |    3    | Cap au Nordest                |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |   10   |    2   |  3 1/2  | Cap au Nort 1/4 du Nordest    |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |   12   |    3   |    5    | Cap au Nort Nordest           |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    2   |    2   |    3    | Cap au Nordest 1/4 de l'Est   |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    4   |    2   |    4    | Cap au Nordest                |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    6   |    6   |    1    | Cap au Nort                   |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |    8   |    6   |    3    | Cap au Nordest 1/4 du Nordest |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |   10   |    6   |    2    | Cap au Nort 1/4 du Nordest    |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+
      |   12   |    3   |    4    | Cap au Nort Nordest           |
      +--------+--------+---------+-------------------------------+


54/1382  _Autre, manière de sçavoir le lieu où se treuve un vaisseau
         cinglant par quelque vent que ce soit._


         Supposez qu'un vaisseau parte d'un port qui soit par les 44
         degrés de latitude, & navigé sur le rumb de vent Surrouest,
         faites vostre estime accoustumée, & si vous croyez que le vent
         aye esté si favorable qu'il n'aye point fait de dechet, le
         plustost que l'on pourra prendre hauteur que l'on le faicte, ce
         fait tirez une ligne parallele sur cette hauteur qui se
         treuvera en la carte de naviger, tirez aussi une ligne
         meridienne du port d'où vous estes party, qui coupe à angle
         droit la parallele de la hauteur qu'on aura prise: prenez un
         compas & mettez une pointe au port d'où l'on est party, &
         l'autre sur la ligne meridienne, qui coupe à angles droits la
         parallele, ne bougeant ceste pointe & levant l'autre du lieu
         d'où vous estes party, la faisant courir sur les rumbs de vent
         que croyriez avoir navigé, & où la pointe dudit compas coupera
         le rumb de vent, sera le poinct du lieu où doit estre le
         vaisseau: avec ceste asseurance que le vaisseau n'aura fait
         aucun dechet, autrement n'auriez ce que desireriez que par
         estime.

         _Autre façon d'estimer par fantaisie._

         [C]'Est qu'ayant pris la hauteur du lieu où l'on est, comme si
         l'on se treuvoit en la hauteur de 45. degrés de latitude, &
         ayant estime avoir fait 45 lieues plus ou moins sur un rumb de
55/1383  vent qu'on aura jugé estre necessaire à la route, & pour voir
         ce qui est véritable l'on prendra les 45 lieues sur l'eschelle
         de la carte, que mettrez sur le rumb de vent qu'on aura navigé,
         & si les lieues dudit rumb en faisant tant pour elever un
         degré, respondent à celles qu'on aura estimé que peut avoir
         fait le vaisseau, l'on cognoistra l'estime estre bonne: mais si
         les lieues de l'estime sont moins ou plus que celle du rumb,
         pour parvenir en la hauteur où l'on se treuve: il est très
         certain & asseuré que le vaisseau a navigé par un autre rumb
         que l'on ne pensoit, & à ceste observation on met le poinct à
         sa fantaisie, pour lesquelles choses & toutes autres
         dependantes à la navigation, le grand soing & continuelle
         pratique fait beaucoup, tant pour la seureté du vaisseau que de
         ceux qui y navigent: c'est pourquoy que les bons & vrais
         expérimentez navigateurs & pilotes sont à rechercher & en faire
         estat en les maintenant, pour tant plus leur donner courage de
         bien faire en cet art de navigation, lequel est grandement à
         priser de toutes les nations du monde, pour les grands biens &
         advantages qu'en reçoivent les Royaumes & contrées, pour
         proches ou esloignées qu'elles soient.

                                  FIN.



1/1385

                                 TABLE
                            POUR COGNOISTRE
                        LES LIEUX REMARQUABLES
                            EN CESTE CARTE.


      A Baye des Isles (1).
      B Calesme (2).
      C Baye des Trespassez.
      D Cap de Leuy (3).
      E Port du Cap de Raye, où il se fait pesche de molue.
      F Coste de Nordest & Sudouest (4) de l'isle de Terre Neufve, qui
        n'est bien recognue.
      G (5) Passage du Nort au 52e degré.
      H Isle sainct Paul proche du Cap sainct Laurent.
      I Isle de Sasinou entre l'isle des Monts Deserts & les isles aux
        Corneilles.
      K Isle de Mont-real au sault sainct Louys qui contient quelque
        huict à neuf lieues de circuit (6).
      L Riviere Jeannin (7).
      M Riviere S. Antoine (8).
      N (9) Manière d'eaue Salée qui se descharge en la mer, où il y a
        flus & reflus force poisson & coquillages & des huistres qui ne
        sont de grande saveur en aucuns endroits.
      p Port aux Coquilles, qui est une isle (10) à l'entrée de la
        riviere S. Croix bonne pescherie.
      Q Isles où il se fait pescherie de poisson.
      R Lac de Soissons (11).
      S Baye du Gouffre (12).
      T Isle des Monts Deserts fort haute.
      V Isle S. Barnabé en la grande riviere proche du Bic.
      X Lesquemain où est une petite riviere abondante en Saulmon &
        Truittes, à costé d'icelle est un petit islet de rocher où
        autresfois y avoit un degrast pour la pesche des Balaines.

(1) Peut-être la même que la baye aux isles, indiquée plus loin sous le
chiffre 53, c'est-à-dire, la baie de Boston, ou bien la baie de
Toutes-Isles, que certains auteurs appellent simplement _baie des
Isles_. La lettre A ne se trouve pas dans la carte,--(2) Ce nom paraît
répondre à _C. à l'asne_, ou _cap à l'Âne_, côte sud de Terre-Neuve,
soit pour la position, soit pour l'orthographe du mot.--(3)
Aujourd'hui _pointe Lévis_, en face de Québec.--(4) C'est-à-dire,
_côte gisant nord-est sud-ouest_, ou _côte nord-ouest_.--(5) La lettre
G manque; mais il est évident que l'auteur indique le détroit de
Belle-Isle.--(6) Lisez: _de longueur_. L'île de Montréal a plus de
vingt lieues de circuit.--(7) Probablement celle qui porte aujourd'hui
le nom de rivière Boyer.--(8) Probablement la _Rivière du Sud_.--(9)
La lettre N manque.--(10) L'île du Port-aux-Coquilles s'appelle
aujourd'hui Campo-Bello.--(11) Le lac des Deux-Montagnes.--(12)
Aujourd'hui la baie Saint-Paul, qui forme l'embouchure de la rivière
du Gouffre.


2/1386

      Y La pointe aux Allouettes, où au mois de Septembre il y en a
        telle quantité qu'on ne sçauroit l'imaginer, comme d'autre
        sortes de gibier & coquillage.
      Z Isle aux Liévres, ainsi nommée pour y en avoir esté pris au
        commencement qu'elle fut descouverte.
      2 Port à Lesquille qui asseche de basse mer, il y a deux ruisseaux
        qui viennent des montagnes.
      3 Port au Saulmon qui asseche de basse mer, il y a deux petits
        islets chargez en la saison de fraises, framboises & bluets,
        proche de ce lieu y a bonne rade pour les vaisseaux, & dans le
        port sont deux petits ruisseaux.
      4 Riviere platte (1) venant des montagnes qui n'est navigeable que
        pour canaux, ce lieu asseche fort loing vers l'eaue, & le
        travers y a bon ancrage pour vaisseaux.
      5 Isles aux Couldres qui a quelque lieue & demie de long, où sont
        quantité de lapins & perdrix & autre gibier en saison. A la
        pointe du Sudouest sont des prairies & quantité de battures vers
        l'eaue, il y a ancrage pour vaisseaux entre ladite isle & la
        terre du Nort.
      6 Cap de Tourmente, à une lieue duquel le sieur de Champlain avoit
        fait bastir une habitation qui fut bruslée des Anglois l'an
        1628, proche de ce lieu est le Cap Bruslé, entre lequel & l'isle
        aux Couldres est un chenail de 8, 10 & 12 brasses d'eaue, du
        costé du Sud sont vazes & rochers, & du Nort hautes terres, etc.
      7 Isle d'Orléans, de six lieues de longueur très belle & agréable
        pour la diversité des bois, prairies & vignes qu'il y a en
        quelques endroits avec des noyers, le bout de laquelle isle du
        costé de l'Ouest s'appelle Cap de Condé.
      8 Le Sault de Montmorency, la cheute duquel est de 20 brasses (2)
        de haut, provient d'une riviere venant des montagnes qui se
        descharge dans le fleuve sainct Laurens à une lieue & demie de
        Québec.
      9 Riviere S. Charles, qui vient du lac S. Joseph (3) fort belle &
        agréable, où il y a des prairies de basse mer, les barques
        peuvent aller de pleine mer jusques au premier sault, sur icelle
        riviere sont basties les Eglises & habitation des R. P.
        Jesuistes & Recollets, la chasse du gibier y abonde au Printemps
        & en l'Automne.
      10 Riviere des Etechemins, par où les Sauvages vont à Quinebequi,
         traversant les terres avec difficulté pour y avoir des saults &
         peu d'eaue, le sieur de Champlain en 1628, fit faire ceste
         descouverture, & fut trouvé une nation de Sauvage à 7 journées
         de Québec qui cultivent la terre appellée les Abenaquiuoit.

(1) Rivière de la Malbaie.--(2) Quarante brasses et davantage.--(3) La
riviere Saint-Charles vient du lac Saint-Charles. Le lac Saint-Joseph
se décharge dans la rivière Jacques-Cartier.

3/1387

      11 Riviere de Champlain proche de celle de Batisquan au Nord-ouest
         des Grondines. (1)
      12 Riviere des Sauvages (2).
      13 Isle verte à cinq ou six lieues de Tadoussac.
      14 Isle de Chasse(3).
      15 Riviere de Batisquan fort agréable & poissonneuse.
      16 Les Grondines & quelques isles qui sont proches, bon lieu de
         chasse & de pesche.
      17 Riviere des Esturgeons & Saulmons(4), où il y a un sault d'eau
         de 15 à 20 pieds de hault, à deux lieues de Saincte Croix, qui
         tombe en une forme de petit estang, qui se descharge en la
         grande riviere sainct Laurent.
      18 Isle de sainct Eloy(5), il y a passage entre ladite isle & la
         terre du Nort.
      19 Lac S. Pierre très-beau, y ayant trois à quatre brasses d'eau
         fort poissonneux environné de collines & terres unies avec des
         prairies par endroits, & plusieurs petites rivieres & ruisseaux
         qui s'y deschargent.
      20 Riviere du Gast (6), fort plaisante, bien qu'il y aye peu
         d'eau.
      21 Riviere sainct Antoine(7).
      22 Riviere de Saincte Suzanne(8).
      23 Riviere des Yrocois très-belle, où il y a plusieurs isles &
         prairies, elle vient du lac de CHAMPLAIN qui a cinq ou six
         journées de longueur, abondante en poisson & gibier de
         plusieurs sortes: les vignes, noyers, pruniers & chastaigniers
         y sont fort fréquents en plusieurs endroits, comme aussi des
         prairies & belles isles qui sont dans ledit lac, il faut passer
         un grand & un petit sault pour y parvenir.
      24 (9) Sault de la riviere du Saguenay à 50 lieues de Tadoussac,
         qui tombe de plus de dix ou douze brasses de hault.
      25 Grand Sault (10), qui descend de quelque 15 pieds de hault
         entre un grand nombre d'isles, il contient de longueur demy
         lieue, & de large trois lieues.
      26 Port au Mouton.
      27 Baye de Campseau.
      28 Cap Baturier à l'isle de sainct Jean.
      29 Riviere par où l'on va à la Baye Françoise.
      30 Chasse des Eslans.
      31 Cap de Richelieu (11), à l'Est de l'isle d'Orléans.
      32 Petit banc proche de l'isle du Cap Breton.

(1) Le chiffre manque. Cette rivière, qui porte encore le nom de
Champlain, se jette dans le Saint-Laurent quelques lieues plus bas que
les Trois-Rivières.--(2) La rivière de l'île Verte.--03 Les îlets de
Belle-Chasse.--(4) La rivière Jacques-Cartier.--(5) Cette petite île
est en face de Batiscan--(6) D'après le texte de l'auteur, c'est
plutôt la rivière Dupont, ou Nicolet-voir 1613. P. 180.--(7)
Probablement la rivière de Saint-François--(8) Aujourd'hui la rivière du
Loup--(9) Le chiffre 24 manque. Il peut y avoir quelques
trente-cinq lieues jusqu'à la Décharge, qui est plutôt un rapide
qu'une.--(10) Ou saut Saint-Louis. Le chiffre manque dans la
carte.--(11) Aujourd'hui Argentenay.

4/1388

      33 Riviere des Puans, qui vient d'un lac auquel il y a une mine de
         Cuivre de rosette.
      34 Sault de Gaston(1), contenant prés de 2 lieues de large qui se
         descharge dans la mer douce, venant d'un autre grandissime lac,
         lequel & la mer douce contiennent 30 journées de canaux selon
         le rapport des Sauvages.

              _Retournant au Golfe S. Laurent & Coste d'Acadie._

      35 Riviere de Gaspey.
      36 Riviere de Chaleu(2).
      37 Plusieurs Isles prés de Miscou, comme est le port de Miscou
         entre deux Isles.
      38 Cap de l'Isle sainct Jean.
      39 Port au Rossignol.
      40 Riviere Platte.
      41 Port du Cap Naigré. En ce lieu y a une habitation de François
         en la baye dudit Cap, où commande le sieur de la Tour, qu'ils
         ont nommé le Port la Tour, où sont habitez les R. P. Recollets
         en l'an 1630.
      42 Baye du Cap de Sable.
      43 Baye Saine (3).
      44 Baye Courante (4), où il y a nombre d'Isles abondantes en
         chasse de gibier, bonne pescherie & bons lieux pour les
         vaisseaux.
      45 Port du Cap Fourchu assez aggreable, mais il asseche presque
         tout à fait de basse mer, proche de ce lieu il y a quantité
         d'Isles & force chasse.
      47 Petit passage de l'Isle Longue, en ce lieu y a bonne pescherie
         de molue.
      48 Cap des deux Bayes (5).
      49 Port des Mines (6) ou de bassemer, se trouve le long de la
         coste dans les rochers de petits morceaux de cuivre très pur.
      50 Isles de Bacchus(7) fort agréable, où il y a force vignes,
         noyers, pruniers & autres arbres.
      51 Isles proches de l'entrée de la riviere de Chouacoet.
      52 Isles assez hautes (8) au nombre de 3 à 4 éloignées de la terre
         de 2 à 3 lieues à l'entrée de la Baye Longue.
      53 Baye aux Isles, où il y a des lieux propres pour mettre des
         vaisseaux, le païs est fort bon & peuplé de nombre de Sauvages
         qui cultivent les terres, en ces lieux il y a force ciprés,
         vignes & noyers.

(1) Le saut Sainte-Marie.--(2) La rivière de Ristigouche, qui se jette
au fond de la baie des Chaleurs.--(3) La baie de Chibouctou.--(4)
Aujourd'hui, la baie de Townsend.--(5) Aujourd'hui le cap de
Chignectou.--(6) Aujourd'hui le havre à l'Avocat. Le chiffre manque dans
la carte.--(7) Aujourd'hui l'île _Richmond_ ou _Richman_.--(8) Ces îles
s'appellent aujourd'hui îles de Batures (_Isles of Shoals_). Voir 1613,
p. 56, notes 4 et 5.

5/1389

      54 La soubçonneuse(1) Isle prés d'une lieue vers l'eau.
      55 Baye Longue (2).
      56 Les sept Isles (3).
      57 Riviere des Etechemins (4).

         _Les Virgines ou sont habituez les Anglais depuis le 363.
         jusques au 37e egré de latitude. Il y a environ 36 ou 37 ans
         sur les costes attenant de la Floride, que les Capitaines
         Ribaut & Laudonniere avoient descouvertes & fait une
         habitation._

      58 Plusieurs rivieres des Virgines qui se deschargent dans le
         Golfe.
      59 Coste de fort belle terre habitée de Sauvages qui la cultivent.
      60 Poincte Confort.
      61 Immestan(5).
      62 Chesapeacq Bay.
      63 Bedabedec le costé de l'Ouest de la riviere de Pemetegoet.
      64 Belles Prairies.
      65 Lieu dans le lac Champlain où les Yroquois furent deffaits par
         ledit sieur CHAMPLAIN l'an 1606 (6).
      66 Petit Lac par où l'on va aux Yroquois, après avoir passé celuy
         de CHAMPLAIN.
      67 Baye des Trespassez(7) à l'Isle de Terre Neufve.
      68 Chappeau Rouge (8).
      69 Baye du sainct Esprit (9).
      70 Les Vierges.
      71 (10) Port Breton, proche du Cap sainct Laurent en l'Isle du Cap
          Breton.
      72 Les Bergeronnettes (11), à trois lieues de Tadoussac.
      73 Le Cap d'Espoir, proche de l'Isle Percée.
      74 Forillon, à la poincte de Gaspey,
      75 (12) Isle de Mont-real, au sault S. Louys, au fleuve sainct
         Laurent.

(1) Vraisemblablement _Martha's Vineyard_.--(2) Cette baie ne porte
aucun nom dans les cartes modernes; c'est cet enfoncement que fait la
côte au nord du cap Anne.--(3) Ces sept Isles ne sont pas les mêmes que
celles du Saint-Laurent; elles sont à la côte de la
Nouvelle-Angleterre.--(4) Le chiffre 57 manque; mais il est visible que,
par cette rivière des Etechemins, l'auteur veut parler de la rivière
Sainte-Croix, appelée Scoudic par les sauvages.--(5) Jamestown.--(6) Il
faut lire 1609.--(7). La baie des Trépassés est déjà indiquée plus haut
par la lettre C, et cette première indication est d'accord avec la
tradition. Il semble que l'auteur a voulu désigner, par le chiffre 67,
la baie Sainte-Marie.--(8) Le cap du Chapeau-Rouge forme la pointe
d'entrée de la baie de Plaisance du côté de l'ouest.--(9) La baie de
Fortune.--(10) Le chiffre 71 manque.--(11) Ou Bergeronnes, comme
l'auteur les appelle lui-même ailleurs.--(12) Le chiffre manque, aussi
bien que la lettre K. Il est assez probable que le chiffre 74, qui forme
un double emploi, a été mis pour 75, en cet endroit.

6/1390

      76 Riviere des Prairies qui vient d'un lac(1) au sault S. Louys,
         où il y a deux Isles, dont celle de Mont-real en est une; là on
         y a fait la traite plusieurs années avec les Sauvages.
      77 Sault de la Chaudière, sur la riviere des Algommequins, qui
         vient de quelque 18 pieds de hault, se descharge entre des
         rochers où il ait un grand bruict.
      78 Lac de Nibachis (2) Capitaine Sauvage, qui y a sa demeure, & y
         cultive quelque peu de terre où il seme du bled d'Inde.
      79 (3) Unze lacs proche les uns des autres, contenans 1, 2 & 3
         lieues abondans en poisson & gibier, les Sauvages prennent
         quelquesfois ce chemin, pour éviter le sault des Calumets fort
         dangereux: partie de ces lieux sont chargez de pins qui jettent
         quantité de resine.
      80 Sault des Pierres à Calunmet qui sont comme albastre.
      81 Isle de Tesouac(4), Capitaine Algommequin, où les Sauvages
         payent quelque tribut pour leur permettre le passage à venir à
         Québec.
      82 La riviere de Tesouac, où il y a cinq saults à passer.
      83 Riviere par où plusieurs Sauvages se vont rendre à la mer du
         Nort du Saguenay, & aux trois rivieres faisant quelque chemin
         par terre.
      84 Lacs par lesquels l'on passe pour aller à la mer du Nort.
      85 Riviere qui va (5) à la mer du Nort.
      86 Contrée des Hurons, ainsi nommée par les François, où il y a
         nombre de peuples, & 17 villages fermez de trois pallissades de
         bois, avec des galleries tout au tour en forme de parapel pour
         se défendre de leurs ennemis. Ce païs est par les 44 degrés &
         demy de latitude, très bon, & les terres cultivées des
         Sauvages.
      87 Passage d'une lieue par terre, par où on porte les canots,
      88 Riviere (6) qui se va descharger à la mer douce.
      89 Village renfermé de 4 pallisades où le sieur de CHAMPLAIN fut à
         la guerre contre les Antouhonorons, où il fut pris plusieurs
         prisonniers Sauvages.
      90 Sault d'eau au bout du sault sainct Louis (7) fort hault, où
         plusieurs sortes de poissons descendans s'estourdissent.
      91 Petite riviere (8) proche du sault de la Chaudière, où il y a
         un sault d'eau, qui vient de prés de 20 brades de hault, qui
         jette l'eau en telle quantité & de telle vistesse, qu'il se
         fait une arcade fort longue, au dessous de laquelle les
         Sauvages passent par plaisir, sans estre mouillez, chose fort
         plaisante à voir.

(1) La rivière des Prairies vient du lac des Deux-Montagnes. Ici, saut
Saint-Louis veut dire évidemment Montréal et ses environs.--(2) Le lac
au Rat-Musqué.--(3) Le chiffre 79 manque; mais les onze lacs sont
figurés d'une manière tout à fait reconnaissable.--(4) L'île des
Allumettes.--(5) C'est-à-dire, _par où l'on va_ à la mer du Nord.--(6)
La rivière des Français.--(7) Lisez: _au bout du lac Saint-Louis_ (ou
Ontario). Ce saut est la chute de Niagara.--(8) La rivière Rideau.

7/1391

      92 Ceste riviere [1] est fort belle, & passe par nombre de beaux
         lacs & prairies dont elle est bordée, quantité d'Isles de
         plusieurs longueurs & largeurs, abondantes en chasse de cerfs &
         autres animaux, très bonne pescherie de poissons excellens,
         quantité de terres défrichées très bonnes, qui ont esté
         abandonnées des Sauvages, au sujet de leurs guerres. Ceste
         riviere se descharge dans le lac S. Louys(2), & plusieurs
         nations vont en ces contrées faire leur chasse pour leur
         provision d'hyver.
      93 Bois des Chastaigniers, où il y a forces chastaignes sur le
         bord du lac S. Louis, & quantité de prairies, vignes & noyers,
      94 Manière de lacs d'eau sallée(3) au fond de la Baye Françoise,
         où va le flus & reflus de la mer: il y a des Isles où sont
         nombres d'oiseaux, quantité de prairies en plusieurs lieux,
         petites rivieres qui se deschargent dans ces manières de lacs,
         par lesquels on se va rendre dans le golfe S. Laurent proche de
         l'Isle S. Jean.
      95 Isle Haute, d'une lieue de circuit, platte dessus, où il y a
         des eaues douces & quantité de bois, éloignée du Port aux Mines
         & du Cap des deux Bayes d'une lieue, elle est élevée de tous
         costez de plus de 40 toises, fors un endroict qui va en talluds
         où il y a une poincte de cailloux faite en triangle, & au
         milieu y a un estang d'eau salée & forces oiseaux qui font
         leurs nids en ceste Isle.
      ¤¤ La riviere des Algommequins(4) depuis le sault S. Louis jusques
         proche du lac des Bisserenis(5) il y a plus de 80 saults tant
         grands que petits, à passer, soit par terre ou à force de rames
         ou bien à tirer par terre avec cordes, dont aucuns desdits
         saults sont fort dangereux, principalement à descendre.

      Gens de Petun(6), c'est une nation qui cultive ceste herbe de
      laquelle ils font grand traffic avec les autres nations, ils ont
      de grands villages fermez de bois, & sement du bled d'Inde.

      Cheveux relevez (7), sont sauvages qui ne portent point de brayer
      & vont tout nuds, sinon l'hyver qu'ils se vestent de robes de
      peaux, lesquelles ils quittent sortant de la maison pour aller à
      la Campagne. Ils sont grands chasseurs, pescheurs & voyageurs,
      cultivent la terre & sement du bled d'Inde, font secherie de
      bluets & framboises, dequoy ils font un grand traffic avec les
      autres peuples, desquels ils prennent en eschange des peleteries,
      pourcelaines, filets & autres commoditez, aucuns de ces peuples se
      percent les nazeaux, où ils attachent des patenostres, se
      descouppent le corps par raye où ils appliquent du charbon &
      autres couleurs, ont les cheveux fort droits, lesquels ils
      se graissent & peignent de rouge & leur visage aussi.

(1) La rivière Trent et la baie de Quinte.--(2) Le lac Ontario.--(3) La
baie de Chignectou et le bassin des Mines.--(4) Aujourd'hui
l'Outaouais.--(5) Le lac Nipissing.--(6) Les Tionnontatés, qui
demeuraient au sud de la baie Géorgienne.--(7) Les Andatahouats.

8/1392
         La nation Neutre (1), est une nation qui se maintient contre
         toutes les autres, & n'ont aucune guerre, sinon contre les
         Assistaqueronons, elle est fort puissante ayant 40 villages
         fort peuplez.

         Les Antouhonorons(2) sont 15 villages bastis en forte assiette,
         ennemis de toutes les autres nations, excepté de la Neutre,
         leur païs est beau & en très bon climat proche la riviere S.
         Laurent, de laquelle ils empeschent le passage à toutes les
         autres nations, ce qui fait qu'elle en est moins fréquentée,
         cultivent & ensemencent leurs terres.

         Les Yroquois avec les Antouhonorons font la guerre par ensemble
         à toutes les autres nations, excepté à la nation Neutre.

         Carantouanais(3), est une nation qui s'est retirée au Midy des
         Antouhonorons, en très beau & bon païs, où ils sont fortement
         logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors desdits
         Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'à trois journées. Ils
         ont autresfois pris prisonniers des Flamans, lesquels ils
         renvoyerent sans leur mal faire, croyans que ce fussent des
         François.

         Depuis le Lac S. Louis jusques au sault S. Louis qui est le
         grand fleuve S. Laurent, il y a cinq saults, quantité de beaux
         lacs & belles Isles, le païs agréable & abondant en chasse & en
         pesche, propre pour habiter, si ce n'estoit les guerres que les
         Sauvages ont les uns contre les autres.

         La Mer Douce(4), est un grandissime lac où il y a nombre infiny
         d'Isles, il est fort profond & abondant en poisson de toutes
         sortes, & de monstrueuse grandeur, que l'on prend en divers
         temps & saisons, comme en la grand' mer. La coste du Midy est
         beaucoup plus agréable que celle du Nort, où il y a quantité de
         rochers & force caribous.

         Le lac des Busserenis(5) est fort beau, ayant quelque 25 lieues
         de circuit, & quantité d'Isles chargées de bois & de prairies,
         où se cabannent les Sauvages pour pescher en la riviere
         l'esturgeon, brochets & carpes, de monstrueuse grandeur &
         très-excellents, qui s'y prennent en quantité, mesme la chasse
         y est abondante, quoy que le païs ne soit pas beaucoup agréable
         à cause des rochers en la plus part des endroits,

(1) Les Attihouandaronk.--(2) Antouhoronons. Ce mot paraît être le
même que Ountouharonons, ou Tsonnontouans, tant à cause de la
ressemblance d'orthographe, que par la position qu'ils
occupaient.--(3) Carantouanais. Il y a tout lieu de croire que ce sont
les mêmes que les Andastes.--(4) Ou lac Huron.--(5) Le lac des
Bissirini, ou Nipissirini (Nipissing).


                                 FIN.


1/1393
                              DOCTRINE
                            CHRESTIENNE

                         Du R. P. LEDESME
                          DE LA COMPAGNIE
                             DE JESUS.

         Traduicte en Langage Canadois, autre que celuy des Montagnars,
         pour la Conversion des habitans dudit pays.

         _Par le R. P. Brebbeuf de la mesme Compagnie._



      ACHRISTERRONON
      ochienda chè orrihoüaienstécha.

                DU NOM CHRESTIEN,
                & de la doctrine Chrestienne.

      ESCAT AlENSTACOÜA.

                PREMIERE LEÇON.

      _Arrihoüaienstechaens._

      Issa Achristerronon chiont?

                _Le Maistre._

                Estes vous Chrestien?

      _Ateienstechaens._

      Aau, daotan haatarrat Aatio.

                _Le Disciple._

                Ouy, par la grace de Dieu.

      M. _Sinen Atonas Acristerronon?

      D. Nihen de hotoain, chiachè hocarratat
      arrihoüaienstécha Achristehaan,
      stat onnè atonachona.

                M. _Qui est celuy qu'on doit appeller
                Chrestien?_

                D. Celuy, lequel ayant esté baptizé
                croit, & fait profession de la Doctrine
                Chrestienne.


      M. _Tout aotan nondée Achristehaan
      arrihoüaienstécha?_

      D. Nen arrihoüaienstechoutan de
      Assonaienstandi Onaoüandio, Aiesus
      Chrift stat ec'ihondhec, chiachè
      d'assonaienstan aot Ecankhucoüatè
      Aoüettichaens, Apostreehaan, chè
      Arondeehaan.

                M. _Qu'est-ce que la Doctrine Chrétienne?_

                D. C'est celle que nostre Seigneur
                Jesus Christ nous a enseignée, lors
                qu'il vivoit sur terre, & que la saincte
                Eglise Catholique, Apostolique & Romaine
                nous enseigne.

2/1394
      M. _Touti chien endoron darrihoüatere
      Achristehaan ecarrihoüaienstèchatè?_

      D. Aau, endoron achè, det icoüatoncoüandic
      ateenguiaens.

                M. _Est-il necessaire de sçavoir la
                Doctrine Chrestienne?_

                D. Ouy, si nous voulons estre sauvez.


      _Achristerronon Oteracata._

      _Tendi Aienstacoüa_


                _Du signe du Chrestien._

                _Leçon Seconde._


      M. _Tout eca ateracatoutan Achrifterronon
      oteracata?_

      D. Nen ateracatout d'Ecaot ecarontaè,
      dé te hanguiarront, aerhon
      assonenguiaendi Aiesus Chrift stat
      ahonatandionti de to.

                M. _Qui est le signe du Chrestien?_

                D. C'est le signe de la saincte Croix,
                pour ce que nostre Seigneur nous a
                rachetez en icelle.

      M. _Tout ioti Isaer?_

      D. Condi ioüaer, aèonressonkhrach
      anontsiraè chè andochiaentone, che
      enenssaè sangoüati onati, chiachè
      aienhoüiti onati, chè loüaen. On
      Ochienda Aistan, chè Aen, chè dat
      aot Esken. Ca sen ti ioti.

                M. _Comment le faites vous?_

                D. Je le faits mettant la main à la
                teste & à l'estomach, & puis à l'espaule
                senestre, & dextre, disant: Au
                nom du Père, & du Fils, & du sainct
                Esprit. Ainsi soit-il.

      M. _Tout Ec' ioti candi isaer?_

      D. Ataahieraha tendi tearrihoüaè
      nonatoaincha de dat onattindoroncoüa,
      Escat dat aot Achincacha
      toiiaen, on ochienda Aistan,
      chè Aen, chè dat aot Esken.
      Dinde scat, endi Onaoüandio
      honheoncha chè ostaioüancha, dè
      ahonatonti arontaè stat onoè
      ahoton.

                M. _Pourquoy le faites vous ainsi?_

                D. Premièrement pour me mettre
                en mémoire les deux principaux mysteres
                de nostre foy: l'un de la tres-saincte
                Trinité, en prononçant ces parolles.
                Au nom du Père, & du Fils,
                & du S. Esprit: & l'autre de la mort
                & Passion de nostre Sauveur lequel
                s'estant fait homme, est mort pour
                nous en une Croix.

      M. _Tout ioti asson ec' isaer?_

      D. Aerhon otorontonc' enstan iesta
      assoninont Aiesus Christ Onaoüandio
      tonné stioti ionaeren.

                M. _Et pour quoy encore?_

                D. Pour ce que nostre Seigneur
                donne beaucoup de biens & grâces
                en vertu de ce signe.

      M. _Nahane ec' ierha?_

      D. Assonoraoüiè stat iecas, tetenrrè
      stat ietas, stat Aatio îenditi,
      ftat iech, stat ierha enstan, iesta,
      chè stat iatonnhontaiona, iakerons
      arra.

                M. _Quand le faut-il faire?_

                D. Le matin quand on se leve, le
                soir quand on se couche, quand on
                commence à prier Dieu, quand on
                veut prendre sa réfection, au commencement
                de nos oeuvres, & quand
                on se trouve en quelq; danger, ou
                bien saisi de quelq; crainte.
3/1395

      _Angoüa Nonoè._

      _Achinc Aienstacoüa._

                _De la fin de l'homme._

                _Leçon Troisiesme._

      M. _Tout ek ichiatahaoüi ondechaè?_

      D. Nen ondée dè anonhoüè chè
      dé arronca Aatio stat asson iondhè,
      chiachè agniactanhane Aondechahan
      d'aescoüandic to et attindarè
      aot Attisken.

                M. _Pour quelle fin avez vous esté
                mis au mande?_

                D. Pour aimer & servir Dieu en
                ceste vie, & par après estre à jamais
                bien-heureux en Paradis.

      M. _Tout ec' ognianechoutan d'aoüandaeratti
      aronhiaofie?_

      D. Nen ondée oonè acacoüa Aatio,
      aondechahan achè.

                M. _En quoy gist ceste félicité que nous
                esperons avoir en l'autre vie?_

                D. A voir Dieu face à face, & jouir
                éternellement de luy.

      M. _To ioua attiehoüas Attichrifterronon,
      chia esattinguiaens, chè esattion
      Aronhiaè?_

      D. Dac, Atoüaincha, Andaeratic,
      Atatanonhoüecha, chè Aerencoüasti.

                M. _Combien de choses sont necessaires
                au Chrestien pour son salut, & parvenir
                à sa fin?_

                D. Quatre, Foy, Esperance, Charité,
                & bonnes oeuvres.


      _Nen Attoüa'tociia._

      _Dac Aienstacoüa._

                _De la Foy._

                _Leçon Quatriesme._

      M. _Tout ichiatoüain chè Atoüaincha?_

      D. Aoüetti achè iatoüain dè hotoüain
      chè hocarratat Nonendoüe
      né aot Ecankhucoüatè aoüettichaens,
      Apoftreehaan chè Arrondeehaan,
      chè anderacti dè ioüat aon ne Credo.

                M. _Que croyez vous par la Foy?_

                D. Tout ce que tient & croit nostre
                Mère la saincte Eglise Catholique,
                Apostolique, & Romaine, & nommément
                au Credo.


      M. _To chihon nè Credo._

      D. 1. Iatoüain on Aatio aoüetti
      Andaourachaens, dè saoteendichiaè
      Ecaronhiatè chè econde hâté.
      2. Chè on Aiesus Christ anhoüa
      hoen Onaoüandio.
      3. Dè ho kiachiahichien stat ihongoüas
      dat aot Esken, chè d'asaocoüeton
      Onarieehen Aoüitsinonhachen.

                M. _Dites le Credo._

                D. 1. Je croy en Dieu le Père tout
                puissant, Créateur du Ciel & de la
                terre.
                2. Et en Jesus Christ son Fils unique
                nostre Seigneur.
                3. Qui a esté conceu du S. Esprit,
                né de la Vierge Marie.

4/1396

      4. Onsa hotonnhontaionati stat
      ahonandacratinen nehen d'ahatsinen
      Ponce Pilate, Ahonatonti,
      Aoüenheon, chè ahonanonhkrahoüi.
      5. Ondechon onsa hatesten, Achinc
      eouantaè onsa hatonnhonti.
      6. Aronhiaè onsa haoüecti, hoienhoüiti
      ahiakrandeen Aatio ne Aistan
      aoüetti Andaoürachaens.
      7. To tont ehendionrrandè enondhechaens
      chè ondiheonchaens.
      8. Iatoüain on dat aot Esken.
      9. Ne aot Ecankhucoüate aoüettiehaan,
      attindeia none ondatanonhoüecha.
      10. Ne Endionrhencha ottirihoüanderacha.
      11. Ondiheonchaen ondatonnhontacoüa.
      12. Ecannhonate dè ta tecoüannhonentas.
      Ca sen ti ioti.

                4. A souffert sous Ponce Pilate, a
                esté crucifié, mort & ensevely.
                5. Est descendu aux Enfers, le tiers
                jour est resuscité de mort à vie.
                6. Il est monté aux Cieux, est assis
                à la dextre de Dieu le Père tout puissant.
                7. De là viendra juger les vivans &
                les morts.
                8. Je croy au sainct Esprit.
                9. La saincte Eglise Catholique, la
                Communion des Saincts.
                10. La remission des péchez.
                11. La Resurrection de la chair.
                12. La vie éternelle.
                Ainsi soit-il.

      _Oüich Aienstacoua._

      M. _Ichiaton ca, Ichiatoüain on
      Aatio, tout aotan nondée Aatio?_

      D. Nen haotan ondée dè hoteendichiaè
      Ecaronhia tè chè econdechatè,
      chè dè aoüetti ahonaoüandiosti.

                _Leçon Cinquiesme._

                M. _Vous dites que vous croyez en
                Dieu, qu'est-ce que Dieu?_

                D. C'est le Créateur du Ciel & de
                la terre, & le Seigneur Universel de
                toutes choses.

      M. _Tandè ne aot Achincacha, tout
      aotan nondée?_

      D. Ondée haotan, Aistan, Hoen,
      chè nè dat aot Esken, achinc iataè,
      chè satat Aatio.

                M. _Et la Saincte Trinité qu'est-ce?_

                D. C'est le Père, le Fils, & le Sainct
                Esprit, trois personnes & un seul
                Dieu.

      M. _Tout ichien Aistan Aatio ihout?_

      D. Aau.

                M. Le Père est-il Dieu?

                D. Ouy.

      M. _Hoen Aatio tondi?_

      D. Aau.

                M. Le Fils est-il Dieu?

                D. Ouy.

      M. _Dat aot Esken Aatio tondi?_

      D. Aau.

                M. Le Sainct Esprit est-il Dieu?

                D. Ouy.
5/1397

      M. _Achinc ichien thenon Atattio?_

      D. Tastan, aerhon Achinc ihenon
      iatae, onecichien satat ara Aatio.

                M. _Sont-ce trois Dieux?_

                D. Nenny, car encor bien que ce
                soyent trois personnes toutesfois ne
                sont qu'un seul Dieu.

      M. _Tout ichiatoüain anderacti dè nè
      Onaoüandio Aiesus Christ?_

      D. Iatoüain ca, ondeè Aatio ne
      Aistan hoen, chia tehindaouranchaens
      d'Aistan, chia tehindionrroüane,
      chia tehindeïa: ondeè
      d'onoè ahoton endin dè anbannonhoüec,
      outonrraon aot Aoüitsinouhaehen
      Onarrieehen, chè ondeè
      sti ioti ihout dat atoüain onoè.

                M. _Que croyez vous sommairement de
                nostre Seigneur Jesus Christ?_

                D. Je crois que c'est le Fils de
                Dieu le Père, aussi puissant, aussi
                sage, aussi bon que le Père: qu'il
                s'est sait homme pour nous au
                ventre, de la glorieuse Vierge Marie,
                & par ainsi qu'il est vray Dieu,
                & vray homme.

      M. _Tout aotan asson?_

      D. Iatoüain ca, assonatontaoüa
      ondechon ottichiatorrecoüa, honheoncha
      chè hotonnhontaionacha,
      hè assonennhonaoüa ecannhoiiatè
      dè ta tecoüannhonentas.

                M. _Quoy plus?_

                D. Que par sa mort & passion il
                nous a delivrez des peines d'Enfer,
                & acquis la vie éternelle.

      M. _Tout aotan ondèe Ankhucoüa
      Aoüettithaan?_

      D. Ondée Ankhucont ecankhucoüatè
      aoüetti Attichristeronon
      attiatoüainchaens.

                M. _Qu'est-ce que l'Eglise Catholique?_

                D. C'est la congrégation de tous
                les fidèles Chrestiens.

      M. _Sinen ankhucoüandiont Ecankhucoüatè,
      sinen Aoüandio?_

      D. Nen Onaoüandio Aiesus Christ,
      chia né Pape, dè Aiesus Christ
      ihokhrihont cha ondechaè.

                M. _Qui en est le chef?_

                D. Nostre Seigneur Jesus Christ,
                & sous luy le Pape qui est son Vicaire
                en terre.

      M. _Tout eticoüatoüain dè ne ecank
      hucoüate aoüettiehaan?_

      D. 1. Nen ecoüatoüain ca, Escankhucoüat,
      ondée aoüaton, satat ara
      escankhucoüat dat atoüain Ankhucoüa.
      2. Tastan tetseenguiaens o üatsè.
      3. Ondée ahonditenoüa dat Aot
      Esken, chè ondée sti ioti tastan
      teharrihoüanderach, teoüaton.

                M. _Que devons nous croire de l'Eglise?_

                D. 1. Qu'elle est une, c'est à dire,
                qu'il n'y a qu'une seule vraye
                Eglise.
                2. Que hors d'icelle il n'y a point
                de salut.
                3. Qu'elle est gouvernée par le sainct
                Esprit, & partant qu'elle ne peut
                faillir.

6/1398

      _Andaeratikoüa._

      _Oüahia Aienstacoüa.

                _De L'Esperance._

                _Leçon Sixiesme._

      M. _Iaüeron nondée tendinè, d'attiehouas
      Attichristerronon?_

      D. Nen ondée Andaeratukoüa.

                M. _Quelle est la seconde chose necessaire
                au Chrestien?_

                D. L'esperance.

      M. _Tout ichiendaerati cha Ecandae
      raticoüa?_

      D. Nen Ecannhonatè dè ta tecoüannhonentas,
      dè iaoüannhonaoüas
      Arrihoüae onenhonaoüata.

                M. Qu'attendez vous par l'esperance?_

                D. La vie éternelle, laquelle entr'autres
                moyens nous obtenons par l'Oraison.

      M. _Tout eca arriboutan dat arrihoüata
      Attiriboüa aouetti?_

      D. Ondée Pater noster.

                M. _Quelle est la première & principale
                de toutes les Oraisons?_

                D. C'est le Pater noster.

      M. _To atti?_

      D. Nen atti horrihoüichiaè nondèe
      Onaoüandio, anhoüa achè, chè
      iendarè Arrihoüaonè Ecarrihoüatè
      akhiaondi nè aoüetti dè iaoüaehoüas
      chè iaoüanditi Aatio.

                M. _Pourquoy?_

                D. Pource que nostre Seigneur
                mesme la feit, & qu'il contient
                en soy tresparfaitement tout ce
                que nous devons demander à
                Dieu.

      M. _To chihon ne Pater noster._

      D. Onaistan de Aronhiaè istarè.
      Sa sen tehoiiachiendaterè sachiendaoüan.
      Ont' aioton sa cheoüandiosta endindè.
      Ont' aioton senchlen sarasta, ohoüent
      soonè achè toti ioti Aronhiaonè.
      Ataindataia sen nonenda tara cha
      Ecantatè aoüantehan.
      Onta taoüandionrhens, sen
      atonarrihoüanderacoüi, to chienne ioti
      nendi onsa o Aendionrhens de oüa
      onkirrihoüanderai.
      Enon chè chaha atakhioiiindahas
      d'oucaota.
      Oiiek ichien askiatontaoüahè
      d'oucaota.
      Ca sen ti ioti.

                M. _Dites le Pater noster._

                D. Nostre Père qui es és Cieux.
                Ton nom soit sanctifié.
                Ton Royaume nous advienne.
                Ta volonté soit faite en la terre,
                comme au Ciel.
                Donne nous aujourd'huy nostre pain
                quotidien.
                Et nous pardonne nos offences,
                comme nous pardonnons à ceux qui
                nous ont offencez.
                Et ne nous induis point en tentation.
                Mais delivres nous du mal.
                Ainsi soit-il.

      _Soutarrè Aienstacoüa._

      M. _Tout ichien, atonenenditi aot
      Attisken?_

                _Leçon Septiesme._

                M. _Faut-il prier les Saincts?_

7/1399


      D. Aau: Nen atti ihaononhoüe
      nondée Aatio, chè haoningoüas
      daotan.

                D. Ouy, pour ce qu'estans amis de
                Dieu, ils nous peuvent beaucoup aider,
                par leurs prières.

      M. _Iaoüeron dat iscoüaenditi d'attindeia
      Attisken?_

      D. Onaoüandio, Onarie, Esken
      de ihaacarratat, chia chè echa dè
      ioüaechiendaetat Ochiendaoüan.

                M. _Quels entre autres priez vous?_

                D. Nostre Dame, mon Ange Gardien,
                & le Sainct duquel je porte le
                nom.

      M. _Tout ichihoncoüa Onarie Aoüit
      sinouha?_

      D. Ne Avè Maria.

                M. _Quelle Oraison dites vous à nostre
                Dame?_

                D. L'Ave Maria.

      M. _To chihon Avè Maria._

      D. Coüay Onarie onnonrroncoüagnon
      ichien dè ichiendhi d'anderaoüatacoüi,
      Issadè etandatè d'Aoüandio,
      sonhoüa dat khiessakhrendotas
      ottindekien aoüetti, Ahonakrendotas
      eoüa chioutonrraè ecochiatè.
      Aot Onarie Aatio Ondoüe, lo
      ichien Ataihet saronoüandihè onendi
      d'icoüarrihoüanderai, onhoüadè,
      aoüetti heoüa stat etecoüaenheondè.
      Ca sen ti ioti.

                M. Dites l'Ave Maria.

                D. je vous salue Marie pleine de
                grâce. Le Seigneur est avec vous.
                Vous estes beniste entre toutes les
                femmes, & benist est le fruict de
                vostre ventre JESUS.
                Saincte Marie Mere de Dieu, priez
                pour nous pauvres pecheurs, maintenant
                & à l'heure de nostre mort.
                Ainsi soit-il.

      M. _Tout ichiboncoüa stichienditi de
      Chiesken?_

      D. Aot Aesken dè iskiacarratas, stiharas
      Endeia Aatio, taarhatéta
      senchien cha ecantatè aoüantehàn,
      chè taacarratat chè taenditenoüa.

                M. _Quand vous priez vostre Ange
                Gardien, quelle Oraison dites vous?_

                D. Ange de Dieu, qui estes commis
                pour me garder, Illuminez moy, preservez
                moy, & me gouvernez aujourd'huy.

      _Atterrè Aienstacoüa._

      M. _Tout ichien atonattindoroncoüas
      aot Attisken ottloüanchaehen?_

      D. Aau.

                _Leçon Huictiesme.

                M. _Faut-il honorer les reliques des
                Saincts?_

                D. Ouy.

      M. _To atti?_

      D. Ondée atti dat Aot Esken ahaonratanon
      nondée, chè araehen
      etattirandeen ottindeiachaens Ottisken.

                M. _Pourquoy?_

                D. Pource qu'elles ont esté temples
                du sainct Esprit, & qu'elles doivent
                un jour estre reunies à leurs âmes
                glorieuses.

      M. _Tande aot Attisken ottionchia?_

      D. Et senonroncoüagnonch tondi
      decha, aerhon attiennrata nondée
      dè akichiendaen.

                M. _Et leurs Images?_

                D. Il les faut aussi honorer, pource
                qu'elles representent ceux ausquels
                nous devons honneur & reverence.

8/1400


      M. _Sinen ichiehieraha stichienditi?_

      D. Endi achè anderacti, chè ataenohonc,
      chè echa dè ihonnonhoüe,
      chè hontarrat, chè ankhucoüa
      aoüetti Attichristerronon.

                M. _Pour qui priez vous?_

                D. Je prie non seulement pour moy,
                mais aussi pour mes parens & amis,
                & bienfaicteurs & pour toute l'Eglise.

      M. _Stan tetseehieras Attisken d'ondiheon?_

      D. Taierhanto, Aerhon akiatontaoüas
      nondée d'achonacoüa, stat
      iaoüanditi.

                M. _Ne faut-il pas aussi prier pour les
                ames des Trespassez?_

                D. Ouy, d'autant que par nos
                prières nous les delivrons des peines
                de Purgatoire.

      M. _Tout aotan Achonacoüa aatsi?_

      D. Ondée echa et attierrissen attindeiaehen
      Attisken, ne andaenrrocha d'ottirihoüanderachaehen.

                M. _Qu'est-ce que Purgatoire?_

                D. C'est le lieu oü les ames de ceux
                qui meurent en la grâce de Dieu,
                achevent de payer les peines deuës
                à leurs péchez.


      _Atatanonhoüecha,_

      _Enkhon Aienstacoüa._

                _De la Charité._

                _Leçon Neufiesme._


      M. _Tout aotan achinc atont d'attiehoüas
      Attichristerronon?_

      D. Né Atatanonhoüecha.

                M. _Quelle est la troisiesme chose
                necessaire au Chrestien?_

                D. La Charité.

      M. _Tout aotan iaoüavonhoüè Atatanouhoüechaè?_

      D. Aatio achè anderacti, chia chè
      atti oüa, titi ioti nendi onatanonhoüè.

                M. _Qu'aimons nous par la charité?_

                D. Dieu sur toutes choses, & nostre
                prochain comme nous mesmes.

      M. _Tout aotan ne ondée anonheuè
      anderacti Aatio?_

      D. Nen ondée stonnè oerron iaoüanonhoüè
      nonaoüan, chè nonanohonc,
      chè nonennhonaoüan,
      Aatio dè anderacti.

                M. _Qu'est-ce aimer Dieu sur toutes
                choses?_

                D. C'est l'aimer plus que nos biens,
                que nos parens, que nostre vie.

      M. _Tout ec'ioti chia techienonhoüe
      d'oüa titi ioti d'etsonhoüa?_

      D. Nen ioti, stonnè iheras chè
      iherha aoüetti dè aeanhoüa iaras
      chè ierha endindè, Aatioehaan chè
      endionrraehan.

                M. _En quelle façon aimez vous vostre
                prochain comme vous mesme?_

                D. Luy desirant le mesme bien que
                je me desire selon Dieu & raison,
                & luy procurant ce que je ferois pour
                moy mesme.
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      _Attierencoüasti._

      _Assan arre Aienstacoüa._

                _Des bonnes oeuvres._

                _Leçon Dixiesme._

      M. _Iaoüeron ca dac atont dè attiehoüas
      Attichristerronon?_

      D. Nen att Aerencoüasti, aerhon
      onnè d'etsatan ahondiontichien, stan
      onnè teeráta to ara Atoüaincha, dè
      ta tehakhra Aerencoüasti.

                M. _Qu'elle est la quatriesme chose
                necessaire au Chrestien?_

                D. Les bonnes oeuvres, car après
                que quelqu'un est parvenu à l'aage
                de discretion, la foy ne luy suffit
                plus sans les bonnes oeuvres.

      M. _Anè ihattieron Attierencoüasti?_

      D. Ocoüendaenchaon Aatio atocoüendachaen.

                M. _Où sont contenues les bonnes oeuvres
                qu'il nous faut faire?_

                D. Aux commandemens de Dieu.

      M. To chihon Atocoüendaencha Aatio.

      D. 1. Escat ito chien hara ehechiechiendaen
      Aatio, eoüa chechè nondée
      ehestonhoüè dat aondi.
      2. Stan endea tehechienguiatandè
      Aatio Ochienda, oüa arra ondionhiaè.
      3. Oüahia arra echientaoüa, chia
      stan teechienguiaentakè escoüentat.
      4. Ehechiechiendaen dè Hiaistan
      chè Sandoüe, detè chierhè
      achiennhonetsis.
      5. Enon tehechio d'atoüain, stan
      tondi tehechiendionrraentons
      sescoüaon, aarrio.
      6. Stan teechiakhroandè d'atoüain,
      stan tondi teessaens sescoüaon.
       7. Stan teechiacoüanrraeha, stan
      tondi teechiakheroncoüandè enstan
      iensta.
       8. Stan teechiatendoton d'aioi
      ondionhiaè, stan heoüa teechihougnahè
      endea.
      9. Oonè to achaha d'andacoüandetaion
      stat onnè echienguiaè.
      10. Stan tehechiatoncoüan d'aioi
      ottioüan dè ta tehiras.

                M. _Dites les commandemens de Dieu._

                D. 1. Un seul Dieu tu adoreras, &
                aimeras parfaitement.
                2. Dieu en vain tu ne jureras, ny
                autre chose pareillement.
                3. Les Dimenches tu garderas, en
                servant Dieu devotement.
                4. Père & mère honoreras, afin que
                vives longuement.
                5. Homicide point ne seras, de fait,
                ne volontairement.
                6. Luxurieux point ne seras, de
                corps ne de consentement.
                7. L'avoir d'autruy tu n'embleras,
                ne retiendras à ton escient.
                8. Faux tesmoignage ne diras, ne
                mentiras aucunement.
                9. L'oeuvre de chair ne desireras,
                qu'en mariage seulement.
                10. Les biens d'autruy ne convoiteras,
                pour les avoir injustement.

      M. _Tout aotan essonattinontan dè
      essoncarratat cha Ecoüendaenchate
      d'Aatio?_

                M. _Quelle recompense recevront ceux,
                qui garderont les Commandemens de
                Dieu?_

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      D. Nen essonatinnhonon Ennhonoüane
      ecannhonatè, dè ta tecoüannhoentas,
      chè dè ta tehaoenterei
      aondi d'ochiatorrè, chè
      dè hanonatè akioüacha aoüetti,
      chè dè aondechahan etannhoaentaha.

                D. La vie éternelle, qui est une
                vie exempte de tous maux, & remplie
                de tous biens, & qui doit durer
                à jamais.

      M. _Tandè dè attinoncontan tout
      ekhiottieren?_

      D. Ihaochiensseni nondée Aatio,
      chiachè ondechon ihaotti.

                M. _Quels maux encourent ceux qui les
                transgressent?_

                D. L'ire de Dieu, & la damnation
                éternelle.

      _Onditenrrenchaens Attierencoüasti._

      _Scat ichè Aienstacoüa._

                _Des oeuvres de misericorde._

                _Leçon Onziesme._

       M. _Tandè Atenrrencoüa, eoüa
      tondi endoron?_

      D. Taierhanto, stan ichien Achristerronontè
      dè tehakerha nondée
      Atenrrenchaens aerencoüasti.

                M. _Ne faut-il pas aussi exercer
                les oeuvres de misericorde?_

                D. Ouy, & celuy qui ne le fait,
                ne mérite pas le nom de Chrestien.

      M. _To atti ihenon Atenrrencoüaè?_

      D. Nen atti ihenon soutarrè Eskenehaan,
      chiachè soutarrè tondi
      Erroneehaan.

                M. _Combien y a-il d'oeuvres de misericordes?>

                D. Il y en a sept Spirituelles, &
                sept Corporelles.

      M. _To chihon d'Eskenehaan._

      D. l. Aienstan dè tehottindiont.
      2. Arreoüa dè hottirrihoüanderach.
      3. Andionhierrita dè hottindionrrachen.
      4. Arrihoüaienstan dè hottinhoüaehoüas.
      5. Oonè to akhrihote endandichoncoüagnon.
      6. Endionrhens ne arrihoüanderacoüa.
      7. Enditi chè dè enondhédè, chè
      dè Aiheondè, chè indè ne dè ha
      onessata.

                M. _Dites les Spirituelles._

                D. î. Enseigner les ignorans.
                2. Corriger les defaillans.
                3. Donner bon conseil à ceux qui
                en ont besoin.
                4. Consoler les desolez.
                5. Porter patiemment les injures.
                6. pardonner les offences.
                7. Prier pour les vivans & trespassez,
                & pour ceux qui nous persecutent.

      M. _To chihon ne Erroneehaan._

      D. 1. Andataia ondacaota d'ondatonnicesta.
      2. Aerrata dè hindachiaten.
      3. Aennon dè hottihoüachon.

                M. _Dites les Corporelles._

                D. 1. Donner à manger aux pauvres qui ont faim.
                2. Donner à boire à ceux qui ont  soif.
                3. Vestir ceux qui sont nuds.
11/1403

      4. Aatontaoüa dè aconattindascoüaen.
      5. Andatarè dè hiheons.
      6. Oüat sechronon arata.
      7. Anonkhra dè ondiheon.

                4. Racheter les prisonniers.
                5. Visiter les malades.
                6. Loger les pèlerins.
                7. Ensevelir les morts.

      _Arrihoüanderacha._

      _Tendi tetchè Aienstacoüa._

                _Des Péchez._

                _Leçon Douziesme._

      M. _Onnè ichien haoüaen dè
      ecoüakhier, tout aotan
      nonhoüa ecoüateienstan?_

      D. Ne Oucaota dè ecoüachiensseni
      chè ecoüateoüata.

                M. _Apres avoir veu le bien qu'il
                nous faut faire, que reste-il
                maintenant à sçavoir?_

                D. Le mal qu'il nous faut fuir.

      M. _Tout eca Oucaochoutan d'ecoüateoüata?_

      D. Ne Arrihoüanderacha.

                M. _Quel mal devons nous fuir?_

                D. Le péché.

      M. _Tout aotan nondée Arrihoüanderacha?_

      D. Ondée aat aoüetti, dè eatoncoüan,
      chè dè itseen chè dè ierha,
      stat teharas Aatio.

                M. _Qu'est-ce que péché?_

                D. Tout ce qui se dit, qui se desire,
                ou qui se fait, contre la loy
                & volonté de Dieu.

      M. _To hioüa uoüarrihoüanderachaen?_

      D. Tendi, Adanehaan, chè nè
      onionhoüaehaan.

                M. _Combien y a-il de sortes de péchez?_

                D. Deux, l'originel, & l'actuel.

      M. _Tout eca arrihoüanderachuutan
      d'ichias, Adanehaan?_

      D. Ondée d'icoüahoüa stat tekhionatondi,
      chè dè Achonacha ihochonas.

                M. _Qu'est-ce que le péché originel?_

                D. C'est celuy que nous apportons
                avec nous, quand nous naissons, &
                qui nous est pardonné par le Baptesme.

      M. _Tout aotan nondée Onionhoüaehaan
      arrihoüanderacha?_

      D. Ondée nondée arrihoüanderachoutan
      d'onionhoüa icoüarrihoüandérach,
      stonnè onendiont chè
      stat onatechiahaasta.

                M. _Qu'est-ce que le péché actuel?_

                D. Celuy que nous commettons
                nous mesme après l'usage de
                raison.

      M. _To atti hioüa ionarrihoüanderachaè
      onionhoüaehaan?_

      D. Tendi, scat arrihoüanderacha
      arriotacoüa, chè scat ioüarrihoüande
      iassa.

                M. _Combien y a-il de sortes de péchez
                actuels?_

                D. Il y en a deux sortes, l'un est
                mortel, & l'autre véniel.

      M. _To atti iarrihoüanderachaè
      d'attioch?_

                M. _Combien y a-il de péchez mortels?_

12/1404

      D. Soutarrè, Andetaioüacha, Aoüiachata,
      Akhiechencha, Anonstecha,
      Anguiataesta, Andacoüanonacha,
      Akiengnracha.

                D. Sept, c'est asçavoir Orgueil, Ire,
                Envie, Avarice, Gourmandise, Luxure,
                Paresse.

      M. _Tout aotan assonendaoüerhaan
      cha ecarrihouanderachatê d'ihoch?_

      D. Nen assonacoüas Aatio onderaoüatacoüa,
      chia ne achiendaencha
      d'assonastacoüandinen Aronhiaonè.

                M. _Quel mal nous apporte le péché
                mortel?_

                D. Il nous sait perdre Dieu, sa
                grâce, & la gloire qui nous estoit
                promise.

      M. _Tout ec' ioti ec' ichia arriotacoüa?_

      D. Ondée at d'assonachiah Nonesken,
      aerhon assonennhonacoüan
      ennhonatè d'Onderaoüatacoüi,
      chiachè assonaios anheoncha
      dè ta teoüassach.

                M. _Pourquoy s'appelle-il mortel?_

                D. Pour ce qu'il tue nostre âme,
                luy faisant perdre la vie de la grâce,
                & aussi pour ce qu'il nous rend dignes
                de la mort éternelle.

      M. _Tandè ioüarrihoüandeiassa tout
      aotan nondée assonendaoüerhaan?_

      D. Tastan atoüain teassonacoüas
      anderaoüatacoüa stan heoüa ta teassonati
      Ondechon, onekichien
      ihondanhousta Aatiodè nonanonhoüecha,
      chè ondée ioti khionirreoüata
      eca ondechaè, chè ondée
      haotan assonagnions arrihoüanderachaon
      ecarrihoüanderachatè d'ihoch.

                M. _Et le péché véniel, quel mal nous
                fait-il?_

                D. Il ne nous fait pas perdre la
                grâce, ny mériter l'Enfer, mais il
                nous refroidit en l'amour de Dieu,
                & mérite des peines temporelles, &
                si nous meine au péché mortel.

      _Aot Ondateracata._

      _Achinc ichè Aienstacoüa._

                _Des Saincts Sacrements._

                _Leçon Treiziesme._

      M. _Tout ichien, aoüaton atti
      t'aoüateoüata ne arrihoüanderacha,
      chè t'aoüakerha cha ecattierencoüasti
      dat onionhoüachon?_

      D. Stan aondi ta tecoüandaourachè
      dé ta tessoningoüascoüa Aatio
      Onderaoüatacoüa.

                M. _Pouvons nous de nous mesme
                fuir le péché, & faire les bonnes
                oeuvres que nous avons dites?_

                D. Nous ne les pouvons faire sans
                l'aide de la grâce de Dieu.

      M. _Tout aotan dat ecoüakhier chia
      ecoüaen Aatio ne Onderaoüatacoüa?_

      D. Endeïa ecoüaerata aot Ankucoüaè
      Atoteracáta.

                M. _Par quels moyens entre autres acquerrons
                nous la grâce de Dieu?_

                D. Par le bon usage & digne reception
                des Saincts Sacremens de
                l'Eglise.
13/1405

      M. _To Ioüateracataè on Ankhucoüae?_

      D. Soutarrè.

                M. _Combien y a-il de Sacremens en
                l'Eglise?_

                D. Sept.

      M. _Iaoüeron echa?_

      D. Achonacha, Ahetsaroncoüa, Endionrhencha,
      Atonesta, Ondakhiachenta
      Orenoncoüa, Anerraesta,
      Anguiaécha.

                M. _Qui sont-ils?_

                D. Baptesme, Confirmation, Pénitence,
                Eucharistie, Extrême Onction,
                Ordre, Mariage.

      M. _Sinen nondée eca aherhon?_

      D. Aiesus Christ Ouaoüandio.

                M. _Qui les a instituez?_

                D. Jesus Christ nostre Seigneur.

      M. _Tout atti nondée?_

      D. Nen atti atahaonenguiaens,
      chiachè ti ioti attindeïa ataïonton
      Nonesken, chè atahaonanontan
      Aiesus Christ Ostaioüancha atohiattè.

                M. _Pourquoy?_

                D. Pour la guarison & sanctification
                de nos âmes, & pour nous appliquer
                les fruicts de sa Passion.

      _Dac ichè Aienstacoüa._

      _Achonacha._

      M. _Tout aotan assonierha endindè
      Ateracáta d'Achonacha aatsi?_

      D. Nen ihachonas Adanehaan
      arrihoüanderacha, de icoüahoüa
      stat tekhionatondi, chè ondée ioti
      Aoüachristerronon aoüaton,
      chè assonenastas Aatio, aerhon
      assonanontan Aatio Onderaoüatacoüa.

                Leçon Quatorziesme.

                Baptesme.

                M. _Que fait en nous le Sacrement
                de Baptesme?_

                D. Il efface le péché originel, avec
                lequel nous naissons & nous fait
                Chrestiens & enfans de Dieu, par
                le moyen de la grâce qu'il nous
                confère.

      _Ahetsaroncoüa._

      M. _Tandè Ahetsaroncoüa?_

      D. Nen assonahetsaron ataiaoüateiatè,
      chè ataiaoüarrihoüateha
      Atoüaincha dè khionatoüainchaoüi,
      stat tekhionachoni.

                _Confirmation._

                M. _Et le Sacrement de Confirmation?_

                D. Il nous donne force pour confesser
                constamment la foy que nous
                avons receue au Baptesme.

      _Endionrhencha._

      M. _Tandè Endionrhencha tout
      aotan eest nondée?_

      D. Ondée echa assonachonas cha
      ne arrihoüanderacha d'icoüarrihoüanderai
      stat onnè akhionachoni.

                _Pénitence._

                M. _Dequoy nous sert le Sacrement
                de Pénitence?_

                D. Nous recevons par iceluy la
                remission des pechez que nous
                avons commis apres le Baptesme.

14/1406


      _Atonesta.

      M. _Tout ichierhè dè ne aot
      Atonesta?_

      D. Ierhè ça, stonnè Aoüane ahohachendi,
      to tohanè Onaoüandio
      Aiesus Christ dat atoüain ihenkhon
      ecaot Endiscaraè chè Airrataè.

                _Eucharistie._

                M. _Que croyez vous du tressainct
                Sacrement de l'Autel?_

                D. Je croy qu'après la consecration
                qu'a fait le Prestre, nostre Seigneur
                Jesus Christ est réellement
                contenu tant en la saincte Hostie
                qu'au Calice.

      M. _Tande stonnè ahohachendi d'Aoüane,
      orast ihandataront Endiscaraè,
      che orast ihouchahenoutan Airratae?_

      D, Tastan, aerhon stonnè ihaoüangnrakhia,
      d'Aoüane, tohanè
      Ecandataratè aratenni, chè erroné
      aoüaton d'Aiesus Christ, chè
      Ecouchahendatè engon tondi d'Aiesus
      Christ aoüaton.

                M. _Apres que le Prestre a consacrè,
                ce qui est en l'Hostie, est-ce du pain,
                & du vin, ce qui est au Calice?_

                D. Nenny, d'autant qu'en vertu
                des sacrées paroles que le Prestre
                dit, le pain se change au corps de
                nostre Seigneur, & le vin en son
                sang.

      M. Tande ne Onesse tout aotan nondée?

      D. Ahierasta haotan nondée, chè
      iondhéchaens akhracoüa d'Aiesus
      Christ Nonenguiaenchaens Onheoncha
      chè Ostaioüancha: chiachè
      asson haotan horrihoutan et
      anhoüa Aiesus Christ hatestaancoüas
      dè aondhedè, chè de aiheondè;
      ondée echa sti ioti endoron dat
      eskenona to taoüakra icoüaoüetti.

                M. _Qu'est-ce que la Messe?_

                D. C'est une mémoire & vive representation
                de la mort & passion
                de nostre Sauveur Jesus Christ, &
                outre cela un Sacrifice, où il s'offre
                soy-mesme pour le salut des vivans,
                & des morts, & par ainsi nous devons
                tous y assister avec grande reverence.

      _Ondakhiachenta Orenoncoüa._

      M. _Tout aotan eest d'ondakhiachenta
      Orenoncoüa?_

      D. Assonarrihoüanderachonas d'orast
      onarrihoüanderachorè, chè
      assonakheroncoüasta ataiaoüahouichegna
      chè nonakhriochaens,
      chè nonachiatorrec, chè
      Ondakiondatoatacoüa.

                _Extrême Onction._

                M. _A Quoy sert le Sacrement d'extreme Onction?_

                D. Pour nettoyer des péchez que
                nous pourrions avoir de reste, &
                nous donner force pour resister aux
                ennuis & douleurs de la maladie,
                & aux tentations du diable.

      M. _Tout aotan asson?_

      D. Onaest ichien asson t'aoüateenguiaens
      onerronedè dè tetsoraoüan nondée.

                M. _A quoy plus?_

                D. Il nous sert d'avantage pour
                obtenir la santé du corps, si c'est
                le meilleur pour nous.
15/1407


      _Anguiaecha._

      M. _Tout aotan echa Anguiaecha
      ihaatsi?_

      D. Ateracata haotan nondée, tonnè
      Enguiahan chè Ondekien akhiontatastacoüan
      chè akhiontatakhierratan Ankhucoüaonè,
      d'Ahoüatsiraendè chè dè endèa
      arrihoüaienstandè ottihoüatsiraoüan,
      chè de stan teakhroandè, chè stan
      teandacoüandetaiondè oüatsè.

                _Mariage._

                M. _Qu'est-ce que Mariage?_

                D. C'est un Sacrement auquel
                l'homme & la femme se joignent
                ensemble par la foy & promesse
                mutuelle en la face de l'Eglise,
                pour avoir lignée, la bien instruire
                & se garder de fornication.

      _Anerraesta._

      M. _Tandè Anerraesta tout aotan?_

      D. Aot Akhucoüaè Oteracataoüan
      nondée, dè stottien Attioüanens,
      onnè tondi attindaouras chè
      akhrendotandè ne aot orronè Aiesus
      Christ Onenguiaenchaens, chè
      arrihoüanderach orescaoüandè dè
      honendacarratat, chè stan iesta
      aerhadè aot Ankhucoüadè. Tandè
      det attindeiachas Ecoüattioüanens,
      oont ahonendaronca nondée.

                _Ordre._

                M. _Qu'est-ce que l'Ordre?_

                D. C'est un Sacrement mis en
                l'Eglise, par lequel les Prestres reçoivent
                la puissance de consacrer le
                précieux corps de nostre Sauveur,
                absoudre ceux qui leur sont donnez
                en charge, & faire les autres choses
                concernans la police de l'Eglise.
                Enquoy il leur faut obéir, ores
                qu'ils fussent de mauvaise vie.


                               FIN.

         _A la plus grande gloire de Dieu._

16/1408

                             L'ORAISON
                            DOMINICALE

                        TRADUITE EN LANGAGE
                          DES MONTAGNARS
                            DE CANADA

         Par le R. P. Massé de la Compagnie de JESUS.


      Noutaouynan Ca tayen Ouascoupetz.
           Nostre Père qui es és cieux

      1. Kit-ichenicassóuin sakitaganiouisit.
           Ton nom soit en estime.

      2. Pita  ki-ouitapimacou agoué Kit-outénats.
           Ainsi soit que nous soyons avec toy en ton Royaume.

      3. Pita Ki-kitoûin toutaganiouifit Assitz, ego Ouascouptz.
           Ainsi soit que ton comandement soit fait en la Terre, comme
           au  Ciel.

      4. Mirinan oucachigatz nimitchiminan, ouechté teouch.
           Donne nous aujourd'huy nostre nourriture, comme tousjours.

      5. Gayez choueriméouinan ki maratirnisitã agoué,
            Et aye pitié de nous si nous t'avons offencé,
         ouechté ni chouerimananet, ca kichiouahiamitz.
            ainsi que  nous avons pitié de ceux,  qui nous ont
            donné suject de nous fascher.

      6. Gayeu ega pemitaouinan machicaouintan, espich
           nekirakinaganiouiacou.
             Aussi ne nous permets t'offenser, lors que nous y
                 serons induits.

      7. Miatau canoueriminan eapech.  Pita.
           Mais conserve nous tousjours. Ainsi soit.



      La Salutation Angélique.

      Ho hô MARIE, miffit catouatichôuin Kit-ouitchecou,
      Salut Marie, toute bonté vous accompagne,

      Dieu kit-ouitapimuc.
      Dieu est avec vous.

17/1409

      Ki-catouachichiriou  miffit  è  tachitau Iscoueouet,
      Vous estes la meilleure de tant qu'il y a de femmes,

      Gayez sakitaganiouiou  k'oucouchich  kittouascatamitz JESUS.
      & est  en grand  estime le Fils de vostre ventre JESUS.

      O ca catouachichien MARIE Ouccaouymau DIEU,
      O bonne Marie Mere de DIEU,

      ahiemiaouinan,  ca  maratiriniouitsiatz
      priez le pour nous, qui sommes pescheurs

      anoch, mac espich nipiatz, Pita.
      maintenant, & lors que nous mourrons, Ainsi soit.


      LE SYMBOLE des Apostres.

      Ne-Tapouitaouau DIEU
      Je croy en Dieu

      Outaouymau, Ca missit Nittaouitat
      le Père, qui est tout puissant,

      ca  Kichitat,   Ouascoupniouy,  mac Assiriouy.
      qui a fait le Ciel & la Terre.

      2. Gayez   ne    tapouitaouau, JESUS CHRIST Oucouchichimau,
      Aussi je croy en JESUS-CHRIST son Fils

      tipan N'okimaminan.
      unique notre Seigneur.

      3. Ca  (Irinissouymau  catouachichiriou espich ouitchiat,)
      Qui (l'Esprit tres-bon coopérant,)

      Irinicassout ouascatamitz Iscouechichay MARIE, ca ki penet.
      s'est fait homme au ventre de la Vierge Marie, qui l'enfanta.

      4. Chibinat, espich okimaouitay  Ponce Pilate,
      Il a souffert, durant  le gouvernement de Ponce Pilate,

      ki kichtafcouaganiouyou, ki-nipahaganiouyou, mac
      ouaspitaganiouyou.
      a esté cloué en un bois, fait mourrir, & enterré.

      5. Courasetet adamiscamigoutz, mac eabits nichtou kichiganich
      Est descendu aux Enfers, & après trois jours

      minahiauássout, caou iriniouit.
      reprenant son corps, a derechef vescu.

      6. Ifparit Ouascoupetz, gayeu apit outisponesinitanitz  DIEU
      Est monté és Cieux, & est assis à la dextre de Dieu

      outaouyé, ca nitaouitat missit.
      son pere, tout puissant.

      7.  Caou  ke  nougousit  Ouascouptz, kticheastametz, gayez
      Derechef il apparoistra au Ciel, és nuées, &

      écouta  cata-opineouet  Iriniticou, ça  Ki-catouachichitouau:
      là il recevera les hommes, qui auront bien vecu:

      gayeu cata-ouebineouet ochicta ouisitouau adamiscamigoutz
      escouteoutz.

      aussi il precipitera les meschans és enfers dans le feu.

18/1410

      8. Netapouitouau ego, ca catouachichiriou Irinissouimau.
      Je croy pareillement au tres-bon ESPRIT,

      9. Gayez peiocout Ahiamitoúin, ca catouachichit, missimitz
      Aussi une assemblée d'hommes, qui est bonne, en tout le monde

      fakitaganiouyou, Outichioûin ouirouau, ca catouachichitouau.
      bien aymée, l'entresoulagement de ceux qui sont bons.

      10. Outicheouaticinióuin.
      La remisson des péchez.

      11. Il Minahiauóuin netchipaminanet.
      Le retour au corps de nos âmes.

      12. Iriniouin, ca nama nittanipin eapech. Pita.
      La vie, qui ne peut mourrir jamais. Amen.


      La Confession générale.

      Ne-ouitemouau DIEU ca missit nitaouitat,
      le confesse à DIEU qui est tout-puissant,

      Catoua chichiriou MARIE, teaouch Ifcouechichay,
      à la bonne Marie, tousjours Vierge,

      Michel Manitou, ca catouachichiat, ego Jean
      Michel l'ange, qui est bon, pareillement à Jean

      Baptiste, Pierre, Paul, gayeu missit e tachitau,
      Baptiste, Pierre, Paul, & à tous tant qu'ils sont,

      cacacouati chitouau, Ouascouptz, gayez ô Nouta
      qui sont bons au Ciel, aussi ô mon Père je

      ki-ouytematin ne-ki-maratiriniouitsin
      vous confesse que j'ay péché

      Machicaouian, Machicaouian
      je suis meschant, je suis meschant,

      Machicaouissian. Ouay netahiemiau
      d'ordinaire meschant. Pour ce je prie

      catouachichiriou MARIE, teouch Iscouechichay,
      la très-bonne Marie, tousjours Vierge,

      missit e tachitau catouachichitau
      tous tant qu'il y a de bons

      Ouascouptz, gayez ô Nouta kitahiemiaouinan Dieu,
      au Ciel, & vous ô mon Père que vous priez pour moy Dieu,

      oua chouerimic. Pita.
      afin qu'il aye pitié de moy. Ainsi soit.


      Les Commandemens de Dieu.

      1. Peiocou tipan Dieu kigaahiemiau, mac kigasakihihau.
      Un seul Dieu tu prieras, & aymeras.

      2. Outichenicassóuin nama ki-caouyau ega tapouien agoue.
      Son Nom tu ne prononceras sans dire la vérité.

19/1411
      3. Nama Ke-atoscaien kichigatz, kitoutaganiouytau,
      Tu ne travailleras és jours  de commandement,

      miatau micouke ahiemiec.
      mais seulement tu prieras.

       4. K'outtaouy, gayez Ouccaouy kiga tapouetouau,
       Ton Pere, aussi à ta Mere tu croyras,

      ouay ke iriniouien kinouer.
      afin que tu vives long temps.

      5. Aouhiez ega kiga-nipahau.
      Autruy tu ne tueras.

      6. Ega ke machouessien.
      Tu ne seras Luxurieux.

      7. Ega ke kimoutissien.
      Tu ne seras Larron.

      8. Egakekirassien outamirouien ahouiez.
      Tu ne seras Menteur pour nuire à autruy.

      9. Kioué, ca peiocout, ochitau kigaouy maratchihau.
      De ta femme, unique, seulement desireras cognoissance.

      10. Aouhiez out aouyouin ega kigaouy mamau. Pita.
       D'autruy les moyens tu ne desireras ravir. Ainsi soit-il.


      SOMMAIRE DES Commandemens de la Loy.

      1. Soustissi gayeu epischian, ki-ga-sakihihau DIEU.
      Virillement & de tout ton pouvoir, tu aymeras Dieu.

      2. Gayes aouhiez ki-ga-episterimau ego ki-hiau.
      Et autruy tu chériras comme toy-mesme.


      SOMMAIRE DES Commandemens de Nature.

      1. Nana ketoutec kecoué aouhiez ca ega meroueritamen aouhiez
      ketoutise.
      Tu ne feras chose à autruy laquelle ne veuille autruy te faire.

      2. Ouechte ke meroueritamen kiga-toutagouin ego ketoutec ahouhiez.
      Comme tu voudras qu'on te face de mesme feras à autruy.


      LE SIGNE DU CHRESTIEN.

      NE-TAPOUITAOUAU Outaouymau, Oucouchichimau,
      Je croy au Pere, au Fils,

      mac catouachichiriou Irmissouimau, ca peocouchouet tipan Dieu.
      & au très bon Esprit, qui sont un seul Dieu.

      Pita chouerimic agoué.
      Ainsi soit qu'il aye pitié de moy.


      POUR SE RECOMmander à Dieu.

      NOKIMAU atamitz kitichiet
      Mon Seigneur entre vos mains je

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      ki miritin n'itchipay: ouitchihime.
      vous donne mon ame: secourez moy

      Ki-ouebinau ou machicaouen
      vous avez terrasse ce meschant

      Manitou, ca ouitcherimic.
      Diable, qui me hayt.


      POUR DEMANDER pardon de ses pechez.

      PITA chouerimiecou agoue,
      Vueille avoir pitié de nous,

      ô Dieu ca missit nitaouitat, miricou
      ô Dieu tout puissant, donne nous

      n'outiche ouaticiniouinan,
      le pardon de nos péchez,

      mac opinicou ouascouptz ecouta
      & nous retire au Ciel, là ou

      iriniouiacou eapech. Pita.
      nous vivrons à jamais. Ainsi soit.


      ORAISON A l'ange gardien.

      MANITOU ca catouatichien,
      Esprit qui estes bon,

      ouechté kitotise Dieu, cachiouatessit,
      ainsi que vous enjoinst Dieu, misericordieux,

      ou cachigats kisnohime, ouitchihime mac canouerime. Pita.
      aujourd'huy enseignez moy, secourez moy, & me conservez. Ainsi
      soit-il.


      LA BENEDICtion de table.

      OUTAOUYMAU, Oucouchychimau, mac catouachichiriou Irinissouimau,
       Pere, Fils, & très bon Esprit,

      tipan DIEU, oucachigatz, chiouatesiatz, acheminan ne-mitchiminan.
      seul Dieu, aujourd'huy, misericordieux, donne nous nostre vivre.

      Pita.
      Ainsi soit.


      LES GRACES après le repas.

      O Dieu! kinascomitinan, ca
      O Dieu! nous vous remercions, qui

      nitaouitaien missit, ca ki-ki-mirinan nemitchiminan.
      pouvez tout, qui nous avez donné nostre aliment.

      O DIEU pita chouerimiecou agoue tchipayet Noutaouynausebanit:
      O Dieu vueille avoir pitié des ames de feu nos ancestres:

      mac espich nipiácou netchipaminanet. O Dieu! Pita gayeu
      & quand nous mourrons des nostres. O Dieu! Ainsi soit aussi

      irimouiacou agoue, gayez ouitassitouiacou eapech. Pita.
      que nous vivions, & soyons en paix à jamais. Ainsi soit.


         FIN.
1/1413


                        PIÈCES JUSTIFICATIVES.


                                 I.

         (1629)

         The Generall of the French taken by Captaine Kirke in Canada
         doth acknowledge all good usage in respect of Diett and
         lodging.

         His grievances are,

         1. That friendes and visitantes have not free accesse to him.

         2. That he is upon a Diett where he hath much more then he
         desires without any agreement what he must pay for it, which
         makes him feare that if he should long continue as he doth, he
         should not be able to give satisfaction for it. Whereupon being
         asked whie he did not take his diett with the Maister of the
         house who had divers times invited him, offering him the
         freedome of his house and garden, he answered that he loved it
         private, and being further demaunded whie he did not expresse
         himselfe in that point of his diett the charge whereof he
         feared, he answered that he tooke what they brought him. And
         being againe demanded, whether he had not cleane linnen as was
         fitt, or that any that would have brought him cleane linnen had
         beene refused to come to him, he answered, that he had his
         linnen washed in the house, but in respect of the charge he
         desired to have a laundresse of his owne, whereupon asking of
         the Maister of the house whie he did refute it, he said that
         his house had beene much troubled with two women that came
         thither, and having some suspicion of them he refused them
         entrance.

         3. The third grievance is, that he is detayned for a ransome
         which neither ought to be demanded, nor is he able to pay. For
         he holds himselfe to be noe lawfull prisoner of warre not
         having beene taken in warre, but upon a plantacion. And he
         insists much upon this, That all prisoners taken on both sides
         since the warre between the Crownes have beene freely
         delivered, not onely those that have beene taken by the Kings
         armies or fleetes, but such as have beene taken upon lettres of
         Marque, whereof he gives instance in some taken att
         Newfoundland, and insistes upon the freedome that Capt. Kirke
         gave to all the rest that were under his command. And for his
         ransome, he professeth his whole estate in France is not worth
         above 700. L. Sterling, and wisheth that for their satisfaction
         they would send over some man to search the notaries bookes and
         the contract of Mariage with his wife, or any other waie that
         may discover his estate, and should they keepe him ten yeares
         and ten yeares, he was altogether unable to pay a ransome, and
         wished that noe man would judge of his estate by his clinquant
         cloathes.

2/1414   The Commissarie Generall doth not complaine but acknowledgeth
         all good usage for Diett and lodging. His grievances are two.

         1. That friendes are not permitted to come to him.

         2. That he is kept prisoner for a ransome, beinge noe prisoner
         of warre, and useth the same argumentes as before.

         He saies that att the first he wanted linnen, but now his
         friendes have furnished him, And the Maister of the house being
         questioned, he answered, that he had offered him accomodacions
         in this kind which were refused.

         (_State Paper Office_, vol. V, n. 33.)



                                   II.

         A copie of Mr. Champleins depositions taken before Sr. Henry
         Martin Kt. the 9th. (19) of Novembr. 1629.

         Samuell Champlein of Browages in Guien in the Kingdome of
         France, gent. and late Lieutenant govournor of the forte in
         Canada called the St. Lewis at Kebecke, sworne before the right
         worll Sr Henry Martin Knight Judge of the high Court of
         Admiralty, saieth as followeth.

         To the first Intergatory he saith that he and the rest of the
         French latelie taken at Canada by Capt Kircke and his comp.
         have bin well intreated and used by him and his comp. ev. since
         they were taken by them, giveing them victualls and useing them
         as himselfe, and they have bin noe wayes dealt with to depose
         an untruth for ought hee knoweth.

         To the 2d. 3d. and 4th. hee saith that he was in the forte when
         Capt Kircke and his comp. tooke the same, and there were then
         in that forte and habitacion thereof when Kircke tooke the same
         viz. the 20th. day of July 1629. Stilo novo viz 4 brasse
         peeces weighing each about 150 lb weight, one other peece of
         brasse ordinance wey. 80 lb weight, 5 Iron boxes serving for
         the 5 brasse peeces of ordinance, 2 small Iron peeces of
         ordnance wey. each 8 hundred poundes weight, six murderers with
         their double boxes or chargers, one small Iron peece of
         ordnance wey. about 80 lb, 45 small Iron bulletts for the
         service of the foresaid 5 brasse peeces, six iron bullettes for
         the service of the foresaid, 26 brasse peeces wey. every one 3
         poundes, 30 or 40 poundes of gunpowder all belonging to Mo. de
         Caen of Deepe Mo. Dollew[831] of Paris Mo. de Nouveau of the
         samm Mo. Ezemaell Caen of Roen Mo. Deshenn[832] of St. Mallos
         and 3 or 4 more whose names he doth not remember, aboute 30
         poundes of match belonging to the French King, 13 whole and 1
         broken muskett, a harquebush, a Croacke belonginge to the said
         merchants, 2 longe harquebushes 5 or 6 foote longe, a peece
         belonginge to the Kinge, 2 other harquebushes, 10. halbertes.
         12 pikes belonginge to the Kinge, 5 or 6 thousand leaden
         bulletts plate and barres of lead belonging 60 Corseletts
         whereof 2 are compleat and pistole proof, 2 greate brasse croes
         wei. 80 lb, 1 pavilion to lodge aboute 20 men belonging to the
         King, a smithes fordge with the appurtenances, all necessaries
3/1415   for a kitchen, all tooles and necessaries for a Carpenter as
         appurtenances of Iron worke for a windmill a hand-mill to
         grinde corne, a brasse bell belonging to the said merchants,
         and as he hath bin toulld by the factors for the merchants
         there were in the warehouse or magazine in the said
         habitacions aboute two thousand five hundred or 3 thousand
         beavor skinnes and some cases of knifes the number whereof
         he hath not heard and some small Iron shafts which did
         belonge particularly to Mo. de Cane and the forte belonging to
         the King and the habitacion and houses there belonging to the
         said merchants were all left standing undefaced, and the
         inhabitants in those houses had some goods of their owne in
         them but what they were he cannot expresse, and this he
         affurmed upon his oath to be true, and more to these
         Interogatories he cannot answere.

[Note 831: Dolu.]

[Note 832: Deschênes.]

         To the 4th. he saith that there were not any victuals or
         ordinarie sustinance for men in the said forte or habitacion at
         the tyme of the taking of them, the men in the same haveing
         lived by the space of about 2 monthes before upon nothinge but
         rootes.

         To the 5th. and 6th. he saith that being in distresse for want
         of victuals this examinate sent his brother and twenty more
         persons in a small pinnace of 7 or 8 tonnes called the Le
         Loania[833] and one hundred coates or gownes to a place called
         Gaspey and gave his brother order to land twentie of them
         there, whereof as he remembreth 2 were weomen and 4 children,
         and gave them each of them 2 Coates of beaver to buy victualls
         of the Savages, and with the rest to saile to France to give
         notice of their distresse in the said forte ac aliter nescit.

         (_State Paper Office_, vol. V, n. 34.)

[Note 833: La Coquinne.]



                                 III.

         9 (19) Novembris 1629.

         Eustacie Boule of Paris in France gent. aged twenty nyne yeares
         or thereabouts sworne as aforesayde sayeth as followeth.

         To the first Interrogatory he sayeth that, those Frenchmen
         which Captaine Kirke tooke at Canada and brought home with him
         in his shippe have bin very well used by him, but this
         examinate beinge putt into another shippe called the William
         was at first some thinge ill used by the company of that
         shippe, but uppon complaint thereof to Captaine Kirke he caused
         him to be better used. And he hath not (as he sayeth) bin moved
         to depose any thinge but truth.

         To the second and third he sayeth That he was taken in the
         Shallopp the Coquinna before the fort was taken, but sayeth
         that he knoweth that there were in the interr[t] Forte three or
         fower brasse peeces of Ordnance, twoe iron peeces of ordinance,
         some musketts and other municion, the perticulers whereof he
         cannot expresse nor cann he expresse what quantety of goodes
         were then in that fort or habitacion but he heard that there
         were then in the habitacion a quantetye of beavers, knifes and
         Iron shaftes, and he hath heard that part of the munition of
         the sayd fort did belonge to the French Kinge, and the rest
         thereof to Mounsr. de Cane, Mounsr. Dolliew, Mounsr. Donovien,
4/1416   Mounsr. Harvey, Mounsr. Deyerton, Mounsr. de Shanne[834] and
         other French merchants and that the beavers knifes and shafts
         aforesayde belonged to Mounsr. de Cane in particuler ac aliter
         nescit.

[Note 834: Deschênes.]

         To the fourth he sayeth That they in the fort aforesayde at the
         tyme of theire takinge fedd only uppon rootes and had noe other
         sustenance.

         To the fifth and sixte he sayeth That Mounsr. Shamplye[835]
         caused this examinate with twenty nyne persons more, men woemen
         and children to imbarque themselves in the Interrogate Pinnace
         and gave this examinate order to carrye them to Gaspie and
         there to leave them twenty of them amongst the savages to get
         victualls amongst them and to give them two coates of beaver a
         peece to buy victualles with, and with the rest to seeke
         passage for France to make knowne in what necessitye they in
         the Fort were, And this he affirmeth uppon his oath to be true
         who was Captayne of the sayde Shalloppe. (_State Paper Office,
         Colonial Papers_, vol. V, art. 35.)

[Note 835: Champlain.]



                                  IV.

         9 (19) Novembris 1629.

         Nicholas Blundell of Deepe in France, gent. aged 22 yeares or
         thereaboutes, sworne as aforesayde sayeth as followeth.

         To the first Interrogatory he sayeth That he and the rest of
         the French taken by Captaine Kirke at Caneda have bin well used
         and intreated by him in the best manner that he could and as
         well as himselfe, and hath not bin dealt with to speake any
         thing more then truth.

         To the second and third he sayeth That he was in the Fort of
         Cabecke when it was taken by Captaine Kirke, and he sayeth that
         there were then in the sayde fort two greate peeces of Iron
         Ordnance, but what other munition, goodes or marchandizes, were
         then [in] that fort or the habitacion thereof he cannott
         expresse, livinge as a private gentleman to his fashion Ac
         aliter nescit.

         To the fourth he sayeth That there was not any victuall or
         ordinary susteynance for men in the sayde fort at the tyme of
         the takinge thereof they havinge lived about a month or six
         weekes before, only uppon bitter rootes.

         To the fifth he cannott depose.

         To the last he sayeth that those in the Interrogate pinnace and
         all the rest of the people of the sayde fort and habitacion
         except sixteene were sent away, some to goe for France, and the
         rest to be releived amongst the Salvages in the country.
         (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 36.)



                                    V.

         The depositions of Capt. David Kyrcke, and Capt. Thomas Kyrcke,
         John Lowe and Thomas Wade, Factors for the Adventerers to
         Canada, taken before Sr. Henry Martin, Kt. and Judge of the
         Admiralty the 17th. (27) of November 1629.

         The 26th of March (5th. of April) 1629. we departed from
         Gravesend with sixe shipps and tow pinnaces and weare of the
         coast of England, about the 10th. (20) of April following.

5/1417   The 15'th (25) of June wee arrived at Greate Gaspe and went up
         to Taddowsacke and Quebecke, between that and the 3rd (13) of
         Julye; in these places we traded with the Natives of the
         Countrye for 4540 Beavor skinns and 432. stagge skinns,
         according to the accompt delivered to mee by the Factors and
         pursors of the shipps, as appeareth to bee true under ther
         oathes. About the 3rd (13) of Julye I sent my brother with tow
         hundred men to demaund the rendering of the forte of Quebecke,
         which was geven up unto him the 9th (19) ditto upon such
         articles and condicions as are set dowen under the hande
         writinge of Mr. Champlaine and Mounsier du Pon.

         My brother haveing possession of the Forte sent dowen to our
         shippes all such Bevore skinns as were found therin, which did
         amount to one thousand seaven hundreth and therteen beavors, as
         appeareth by the account of the Factors imployed to take the
         tale and accompte of them, and more beavor skins were not in
         the sayed Fortte and habitation as farre as I knowe.

         These above sayd are the depositions of Capt. David and Capt.
         Thomas Kyrcke, made the 17th Novembr. 1629.

         We John Lowe and Thomas Waade, Factors and pursers in this
         voyadge with the above sayed Capt. Kyrckes do likewise affirme
         upon our oathes taken the 17th Novembr. 1629. that there were
         noe more then 1713 Bevor skinns in the Forte and habitation to
         our knowledge and that there came no more to the Companies
         handes.

         This the parties abovesayd upon there severall oathes taken
         before Sr. Henry Martin Kt. Judge of the Admiraltye have
         affirmed to be true of theire knowledge.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 37.)



                                 VI.

         Demandes de l'Ambassadeur de France au Roy de la Grande
         Bretagne.

         Qu'il plaise à sa Majesté luy accorder la permission de faire
         saisir les pelletries & autres marchandises apportées de Canada
         dans deux vaisseaux par les Kirkes, & deschargez secretement,
         pour le droit des François interessez, contentant à la
         vendition desdites marchandises, moiennant qu'il y ayt un
         commis par luy pour y assister, Et que l'argent quy en
         proviendra soit mis en sequestre jusques en définitive.

         Plus qu'il plaise à sa Majesté vouloir remettre à son juge de
         l'admirauté la cognoissance & le jugement de trois vaisseaux
         pris en mer par les Holandois, & enmenez en ses portz, reclamez
         par les propriétaires François.

         FONTENAY.

         (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 50.)



                                VII

         (11 février 1630.)

         L'ambassadeur de France supplie sa Majesté de la Grande
         Bretagne qu'il luy plaise ordonner suivant & conformément à ce
         qui a esté promis & accordé par les articles du XXIIIIe avril
         dernier, au Capitaine Querch & au Sir Guillaume Alexandre, &
         telz autres de ses subjectz qui sont ou se trouverront en la
6/1418   nouvelle France, de s'en retirer & remettre entre les mains de
         ceux qu'il plaira au Roy son Maistre d'y envoier & seront
         porteurs de sa commission, tous les lieux & places qu'ilz y ont
         occupez & habitez depuis ces derniers mouvemens, &
         particulièrement la forteresse & habitation de Québec, costes
         du Cap Breton & Port roial prins & occupez, scavoir la
         forteresse de Québec par le Capitaine Querch & les costes du
         Cap Breton & Port roial par ledit Sir Guillaume Alexandre
         Escossois, depuis le XXIIIIe avril dernier. Et iceux remettre
         en mesme estat quilz les ont trouvez, sans en desmolir les
         fortifications ny bastimens des habitations, ny emporter
         aucunes armes, munitions, marchandises ny ustencilles de celles
         qui y estoient lors de la prinse, quilz seront tenuz de rendre
         & restituer avec toutes les pelletteries quilz ont apportées
         dudit païs, ensemble la patache commandée par le Capitaine de
         Caen, qui a esté amenée en Angleterre, comme aussy le navire
         nommé la Marie de St jean de Luz, du port de soixante dix
         tonneaux, qui a esté prins par ledit Alexandre au port des
         baleines, coste du Cap Breton, & partie des hommes ramenez icy
         par le Capitaine Pomere.

         (_Sur le dos est écrite._)

         MEMOIRE Whereby the French Amb. desires his Majesty to give
         order for the restitution of all the places taken in Canada by
         the English and Scotts during these last troubles: Item of all
         the goods and ships brought from thence hether all in manner as
         it was taken, CANADA.

         (_State Paper Office, Colonial Séries_, vol. V, art. 50.)



                                 VIII.

         Response de Messieurs les Commissaires establis pour les
         affaires estrangeres sur cinq mémoires à eux presentés par Mr.
         l'Ambassadeur de France, le premier de Febvrier 1629.

         (11 février 1630.)

         1. Touchant la restitution des places, navires & biens qui ont
         esté pris sur les François en Canada, & particulièrement du
         fort de Québec, Sa Majesté persiste en sa première resolution
         signifiée audit Sieur Ambassadeur par un Mémoire qui luy fut
         delivré en Latin, portant que ledit fort & habitation de
         Québec, qui fut prist par le Capitaine Kirke, le 9 (19) de
         Juillet, sera restitué en mesme estat qu'il estoit lors de la
         prise, sans rien abbatre des fortifications ou bâtiments, ny en
         emporter des armes, munitions, marchandises ou utensiles qui y
         furent lors trouvées. Et que si aucune chose en avoit esté
         emportée, elle sera rendue soit en espece ou en valeur, selon
         la quantité de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par nouvelle
         examination qui en sera faite sur serment avoir esté trouvé
         audit lieu. Semblablement les peaus qui ont esté prises &
         emportées dudit fort pour butin & choses de bonne prise, seront
         restituées selon qu'aussy il peut ou pourra apparoir par le
         compte exact qui en sera pris là, sur serment qu'elles auront
         esté prises & emportées dudit lieu. C'est ce que sa Majesté
         offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la
         première déclaration qu'elle en a faite, & n'estime pas pouvoir
         estre pressée à davantage sur ce point là en vertu du dernier
         Traité.

         2. Touchant l'abus que ledit Sieur Ambassadeur se plaint avoir
         esté commis par les Marchans Anglois, en cachant & soustrayant
7/1419   les peaus qui ont esté apportées de Canada, il a esté ordonné
         par Messieurs du Conseil, & charge expresse par eux donnée à un
         des clercs du Conseil, de faire une visitation particulière &
         prendre Inventaire du nombre des peaus qui retient & de faire
         parfournir ce qui s'y trouvera de manque par les marchants afin
         d'accomplir toutes choses selon qu'il a esté promis.

         3. Quant aux marchandises que Pierre de Joffe & autres
         marchants de Calais reclament & disent leur avoir esté prises
         en la navire de Hambourg, Messieurs du Conseil ont pris la
         cognoissance de ce fait par devers eux ainsy qu'ils en ont esté
         requis, & se sont fait mettre entre les mains tous les
         enseignements qui le concernent, avec l'intention de faire
         faire restitution desdites marchandises selon qu'elles leur
         apparoistront appartenir de droit ausdits François.

         4. 5. Touchant la navire particulière de St-jean de Luz, pris
         par le fils de Sr William Alexander, & amené à Plemue, & trois
         autres navires nommez l'Amitié, le Pierre & le Michel de
         Calais, qui ont esté pris & menés en Escosse, Sa Majesté a
         donné ordre exprés qu'ils soyent restitués.

         (_Sur le dos est écrit._)

         Responce de Messieurs les Commissaires aux Mémoires de
         l'Ambassadeur de France, Canada. _(State Paper Office, Colonial
         Papers_, vol. V, art. 50.)



                                  IX.

         Charles, by the grace of God, Kinge of England Scotland France
         and Ireland, Defender of the faith, etc. To our right trustie
         and welbeloved Councellor, Sir Humfrey May Knight
         Vicechamberlaine of our houshold. Sir John Coke Knight, one of
         our principall Secretaries of State, Sir Julius Cesar Knight
         Master of the Rolls, and to our trustie and welbeloved Sir
         Henry Martin Knight Doctor of the Lawes and Judge of the
         Admiraltie, Greeting. Whereas Captaine David Kirke and his
         associats have taken certen goodes moveables merchandize and
         skynns, from certaine of the French which were remayning in the
         forte of Kebecke, the Colledge of jesuites, and in a shippe by
         him taken in Canada in the partes of America, Wee therefore,
         minding and resolving to be trulie informed and advertised of
         the same, and of the quality and values of the skynns goodes
         and merchandize there taken as aforesaid, have assigned and
         appointed, and by theis presents doe assigne and appointe you
         the said Sir Humfrey May, Sir John Coke, Sir Julius Cesar, and
         Sir Henry Martin, to be our Comissioners, giving and by theis
         presentes granting unto you or anie three or two of you full
         power and authority to call or send for before you or anie
         three or two of you at such tyme and tymes, place and places,
         as to you or anie three or two of you shall seeme most
         expédient as well all and singuler masters of shippes and
         mariners as all or any other person or persons whome you shall
         understand or conceive can give you informacion in or
         concerning the premisses, and shalbe necessarie to be called
         for the discovery of the premisses, or anie of them. And wee
         doe further hereby give unto you, or any three or two of you,
         full power and authoritie, as well by examinacion of the said
         masters of shippes marryners or any other person or persons
         whome you or anie three or two of you, shall thincke fitt upon
8/1420   theire corporall oathes, or without oathe as by anie such other
         lawfull waies and meanes whatsoever as to you or any three or
         two of you shalbe thought fitt and expédient to find out and
         discover the said goodes moveables merchandize and skynnes,
         and all other necessarie incidents and circumstances
         concerning the premisses whereby the truth maie the more
         plainely appeare and be made manifest unto you. And upon such
         examination taken and discovery made, Wee will require and
         comaund you or anie three or two of you to certifie and
         advertise us or our privie councell of such your proceedinges
         and howe and what you find concerning the premises. And theis
         presentes or the inrollement thereof shalbe unto you, or anie
         three or two of you, a sufficient warrant in this behalfe. And
         lastlie our will and pleasure is, that this our Comission shall
         continue in force, and that you our said Comissioners, or any
         three or two of you, shall proceed to the execution thereof,
         although the same be not from tyme to tyme continued by
         adjournment. IN WITNESS whereof, wee have caused theis our
         letters to be made patentes, Winnes our selfe at Westm. the
         fifte day of March in the fifte yeare of our Raigne.

         Per ipsum Regem WILLYS.

         (_Sur le dos est écrit._)

         A comission to Sr. Humfrey May Knight, and others to examyne
         what goodes, merchandize and other thinges were taken by
         Captaine Kirke, at Canady, in the partes of America. 5 mar. 5
         Car. WILLYS.

         (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 58.)



                                     X.

         In one onely point Monsieur de Chasteauneuf seemed to goe away
         ill satisfyed, that he could not obtayne a direct promise from
         His Majesty for ye restoring of Port Royall, joyning to Canada,
         where some Scottishmen are planted under ye title of Nova
         Scotia. This plantation was authorized by King James, of happy
         memorie, under letters patents of ye Kingdome of Scotland, and
         severall priviledges graunted unto some principall persons of
         ranke and quality of this Kingdome, with condition to undertake
         the same. True it is, it was not begun till towards the end of
         the warre with France, when some of His Majestys subjects of
         that Kingdome, went to Port Royall, and there seated themselves
         in a place where no French did inhabite. Mons. de Chasteauneuf
         pretending (rather out of his owne discourse, as wee here
         conceive, then by Commission) that all should be putt in state
         as it was before the warre, and by consequence those men
         withdrawne, hath pressed His Majesty earnestly for that
         purpose, and His Majesty without refusing or granting, hath
         taken time to advise of it, letting him know thus much that
         unless he found reason as well before as since the warre, to
         have that place free for his subjects plantation, he would
         recall them, but in case he shall find the plantation free for
         them in time of peace, the French will have noe cause to
         pretend possession thereof in regard of ye warre. Meanewhile
         Kebec, (which is a strong fortified place in the river of
         Canada which the English tooke) His Majesty is content should
         be restored, because the French were removed out of it by
         strong hand, and whatsoever was taken from them in that fort
         shall be restored likewise, whereby may appeare the reality of
9/1421   his Majestyes proceedings, and this I advertise your Lordship
         for your information, not that it should be needfull for you to
         treate or negotiate in it, but to ye end that if it should be
         spoken of upon Monsr. de Chasteauneuf's returne, you should not
         be ignorant how the businesse passed.

         DORCHESTER.

         Whitehall, 15th, Aprill 1630.

         (_Sur le dos est écrit._)

         Lord of Dorchester to Sr. Is. Wake, 15. April 1630. Plantation
         of Canada, Nova Scotia, Port Royall and Kebec.

         (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 82.)



                                XI, n. I.

         To the right honorable the Lords of his Majesties most
         honorable Privie Councell.

         Whereas I received an order from your Lordships of the nineth
         of this instant Aprill, concerning the difference between
         Generall de Cane and the Marchant Adventurers of Canada, about
         the Beaver skinns in question betweene them, I have sent for ye
         said merchants, ye greatest parte whereof appeared before mee
         at severall tymes, and seemed to bee willing that ye said
         Generall de Cane should have ye said skynns delivered unto him
         according to your Lpps. said order by ye said Solomon Smith
         marshall of ye Admiralty, but amongest the rest of the said
         merchants Captaine Kirke, who as I am informed hath the
         custodie of one of the keyes of each warehouse, there being two
         lockes to either warehouse dore wherein the said skynnes are.
         Although he hath byn diverse tymes warned never appeared before
         mee, who is either out of towne or else refuseth to bee spoken
         with all. So as I perceive the said skinns will not be
         delivered unto ye said Generall de Cane nor his Assignees
         untill some further order bee taken by your Lpps. therein, and
         further I humbly certifie unto your Lpps. that the said
         Generall de Cane at his last being with mee informed mee that
         his occasions were such that he cold not staie in England
         untill such tyme as ye difference betweene him and the said
         marchants was ended, but wold appoynt one as his Assignee to
         follow the said buisnes on his behalfe in his absence. In which
         place hee hath appoynted one Jaques Roynard[836], who appeared
         before mee and pretendeth his onlie staie in this Kingdome is
         to see this buisnes ended, which he alleadgeth is an
         extraordinary hinderance unto him in his affaires. All which I
         humbly leave unto your Lpps. consideration. This XXVIIIth of
         Aprill 1630.

         JAMES CAMBELL, Mayor.

[Note 836: Kognard, ou Couillard, sieur de Lespinay.]



                               XI, n. 2.

         To the Right Honorable the Lordes and others of his Majesties
         most Honorable Privy Councell.

         The humble Peticion of Generall de Caen. Shewing that according
10/1422  to your Honours Order directed to ye Lord Mayor of this Citty
         of London he hath proceeded to the sale of ye Beavers, and
         after divers and many profers and ye highest price offered by
         your Petr the said Beavers were then adjudged to your Petr who
         then offered the monyes, demanding the delivery of the said
         Beavers. But Capt. Kirck and his Company would not deliver the
         said Beavers nor ye keyes of ye warehowsen, where ye said
         Beavers are kept, upon any order from the said Lord Mayor to
         them as may appeare by his annexed Certificat with the protest
         for ye costes and dommages which ye said Petr hath and doeth
         suffer.

         Humbly therfore he beseecheth your Lpps. (considering your
         premises and ye injust dealings and tedius frivolous delayes of
         ye said Capt. Kirck and other adventureres for Canada), would
         be pleased to ordaine: That ye said Beaver may be speedily
         delivered to ye said Petr or his assignees, and the said Capt.
         Kirck and Comp. condempned to pay all costes and dommages which
         are or shall happen to ye Petr by reason of not delivery of the
         said Beavers.

         AND HE SHALL PRAY, etc.



                              XI, n. 3.

         Knowe all men by theis presentes that on the Twelveth day of
         April One thousand six hundred and thirty, and in the sixt
         yeare of the Raigne of our Soveraigne Lord King Charles, etc.
         Before mee Josue Mainet Notary and Tabellion Publicq, dwelling
         in this Citty of London by the authority of the said Kinges
         most ex[t] Majesty. Admitted and sworne and in the presence of
         the witnesses herunder named personally apeared the noble
         William de Caen, Lord of La Motte Generall of the Fleete for
         New-France, and hath required of me the said Notary to summon
         the Englishe Adventurers of Canada in Comp. with Captaine Kirck
         to deliver or cause to be delivered the Keyes of the severall
         Warehowsen where the Beaver skins are layde up which have bin
         brought from Caneda, and sould unto the said Generall de Caen,
         and for to have possession of the said Beavers upon the
         conditions mentioned in the order of his Majesties most
         honorable Privy Counsell, dated the nynth of this month, And in
         case of refusall and not delivery of the said Keyes and Beavers
         upon the conditions aforesaid, the said Generall de Caen hath
         protesteth and doeth protest by theis presents of Exchange &
         Rechange and all costes dommages and interestes of the some of
         six thousand poundes starling, which the said Generall de Caen
         hath taken up here by Exchange for to pay and deposite for the
         said Beavers in the handes of the right Worshipfull James
         Cambell, Lord Mayor of this Citty of London, for to recover all
         the same of the said Adventureres of Caneda here of their
         goodes in time or place as of right it shall appertaine. As
         also for ye spoile and perishing of the said Beavers and
         loosing of the market for the same, the said Generall de Caen
         declaring moreover to have given, and doth give by theis
         presentes full power and authority to James Roynard[837], Sieur
         d'Espinez his Attorney, to cause the said Beavers to be
         delivered unto ye Factor of the said Generall de Caen here, who
         hath the monyes for to pay for ye said Beaveres upon the
         delivery of the said Beaveres: In Witnes whereof, the said
         Generall hath herunto set his hand and seale in London, in ye
         presence of Salomon de Quieuremont and Peter James, Witnesses
         hereunto required. The register of the the said Notary is thus
         subscribed de Caen, S, de Quieurmont, Peter James.

[Note 837: Cognard, pour Couillard.]

11/1423  On the thirteenth day of ye said month of Aprill, I the said
         Notary at the request aforesaid tranaported myselfe unto the
         persons of Mistris Kirck, widdow of late Jarvis Kirck, in his
         life time merchant of this Citty of London, and to Captaine
         David Kirck, his sonne, and William Barkely also of London
         merchant Adventurers of Caneda, and have required them and
         every of them to deliver or cause to be delivered to the
         assignee of the said Generall de Caen, the keyes of the
         severall Warehousen where the said Beavers are layde up as
         aforesaid, And then I notified unto them the aforefaid protedt,
         and showed them the said order from his Majesties honorable
         privy Councill, Whereupon Mistris Kirck replyed shee had bin
         long sick, since her late husband's decease, and had not the
         keyes of the said Warehousen, but was ignorant of those
         buissineses which shee had comitted to her sons ordering, and
         the said Capt. David Kirck answered he was not Executor or
         administrator to his late father, and that he had not ye said
         keyes. And the said William Barkely having perused and read
         over the protest and order of ye Councell, answered thereupon
         that he hath not the said keyes of the said Beavers and
         therfore cannot delivered them: And on the fowerteenth day of
         Aprill, I the said Notary having alsoe required of Robert
         Charleton, also of London merchant and one of the said
         Adventurers unto whome I have notified the premises and
         delivered unto him an authentick coppy of the protest and order
         aforesaid, and I demanded of him the delivery of the said
         keyes. Whereupon the said Robert Charleton answered that hee
         neither is or ever was possessed of the said keyes where the
         said Beavers are kept, and for his part hee wisheth that the
         said Generall de Caen had the beavers for the price hee offered
         for them. And finally ye said Robert Charleton said that he
         canot get his part which he hath in the said Comp. and he doeth
         not knowe who hath the said keyes, neyther can hee deliver
         them. Of which severall answers aforesaid, I the said Notary
         have at the instance of Sieur Despinez made this present Act
         for to availe the said Generall de Caen as of right shall
         appertaine, Thus done and passed att London in the presence of
         William Hill and George Colles, Witnesses thereunto required.

         Josua Mainet, Not. Pub.

         (_Sur le dos est écrit._)

         Requeste de Monsieur de Caen.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 87.)



                                   XII.

         May 18th. 1630.

         A letter to the Lord Mayor of London.

         Wee have bin informed that notwithstanding the strict
         directions that have bin given from this Board.

         A lettre to the Lord Mayor and Sheriffe of London.

         Whereas you have formerly received order from this Board to
         summmon the Marchants trading for Canada, to deliver the Keyes
12/1414  of the warehouses, where the Beaver skinns remaine unto your
         Lordshipp upon the depositing of a certaine som of money, which
         as wee are informed the said Marchants refuse to doe. We doe
         therefore pray and require your Lopp. etc., to the said
         Merchants an other summons to deliver the said Keyes, that so
         the said skins may be delivered unto Generall de Cane upon the
         depositing of so much money, as was agreed upon by our said
         former direction which if they refuse now againe to doe upon
         this second significacion, then wee require, and hereby
         authorize your Lopp. etc., to breake open the doores of the
         said warehouses, and to see the Beaver skinns delivered to the
         said Generall de Cane or his Assignes upon the depositing of
         the said sume of money as aforesaid, for which this shall your
         Lopp. etc., sufficient warrant etc., And so etc.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 92.)



                                 XIII.

         Samedie dernier, le Sec(re) du Moulin avec le Sr. de Caen
         s'estans transportez avec un Sergent & ses deputiez au magasin
         où les pelleteries qui avoient esté apportées de Canada avoient
         esté mises soubz le seel par ordonnance du Roy, comme il plaira
         à Messieurs du Conseil le souvenir, un de la part de Querch
         seulement & de ses associez s'y estant presenté, il ne feust
         trouvé audict magasin que trois cens castors & quatre cens
         orignaitz, par où Monseigneur l'Ambassadeur suplie le Roy &
         Messieurs de son conseil d'apporter son authorité pour faire
         reparer & chastier ceste entreprinse dudit Querch & ses
         associez, d'avoir esté si osez de rompre les cadenatz & le
         scelle de la Justice & enlever lesdictes pelleteries. Et que
         pour ceste violence ilz soient condamnez à remettre dedans
         trois jours en main tierce, les six mil castors quilz ont
         recogneu avoir apportez de Canada. Et qu'à ce ilz soient
         contrainctz par emprisonnement de leurs personnes & saisie de
         tous leurs biens, sans prejudice de plus grande quantité que
         ledit Sr. de Caen veriffiera quilz ont apporté de Canada, &
         vendu depuis leur retour à des marchans François pour grandes
         sommes de deniers.

         (_Sur le dos est écrit._)

         MEMORIAL Whereby the French Amb. desires that Mr. Capt. Kerke
         and other bee punished by prison, etc., because they have
         broken up the Magasin of the goods, brought from Canada, and
         that they make restitution within three dayes of the 6000.
         brought from thence, etc. CANADA.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 96.)



                                  XIV.

         Whitehall the second of June 1630.

         This day Thomas Fittz Marchant being convented before the Board
         for a notorious misdemeanor in imbeseling and conveying away
         certaine Beavor skins, out of a Warehouse wherein they were
         deposited by way of sequestration under lock hung on by order
         of the Court of Admiralty, was after examination taken of his
13/1425  Carriage therein, committed to the prison of the Fleete, and it
         was further ordered, that the examinations taken before the
         Board, should be transmitted to Master Atturney Generall, who
         after perusall of them is hereby prayed and required to take
         strickt examination of the business, aswell to discover who
         were actors or Abettors anie way in conveying away the said
         goods, as to whose hands anie parte of the same either in
         specie or anie parte of the moneyes ariseing upon the sale of
         them, are come, and how the same hath bin imployed, or disposed
         of, and by whose direction with all such other circumstances as
         he shall finde requisit touching the same, and that the
         Messinger who hath the said Fitz in custodie doe forthwith
         carry him before Mr. Atturney to the end he may take order for
         the present producing of the said Fittz, his booke of Account,
         without which he refuseth (as appeareth in his Examination
         before the Board) to declare what parte of the money ariseing
         upon the sale of the said goods he had already received.


         Whitehall the 16th. of June 1630.

         Upon consideration this day had at the Board of the difference
         depending betweene Monsr. de Cane a subject of the French Kings
         and Thomas Pittz and others English Merchants Adventurers to
         Canada, and upon consideration had in particuler of the great
         contempt and affront of all authoritie and Justice shewed by
         the said Fittz, whereunto also it is to be presumed that the
         rest of his partners were privie and Abettors, It was thought
         fit and ordered that his Majesties Atturney Generall doe
         proceede in Starr Chamber against the said Fittz, with all
         expedition, and that he likewise hasten the Commission agreed
         on and directed for the examination and discovery of the rest
         of the Actors or Abettors in the said misdemeanors, and that
         here of he give their Lordshipps an account at their next
         sitting on Fryday in the afternoone. Lastly it is thought fitt
         and ordered that the said Fittz be still continued prisoner in
         the Fleete. And that the Warden be expressly charged and
         required not to suffer him at all to goe abroad.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 97.)



                                    XV

         To the right honorable the Lords Comissioners for his Majesties
         Navie and Admiraltie of England.

         The petition of Sr. William Allexander Knight, Capt. David Kerk
         and others the adventurers in the joynt companie of Canada.

         Whereas it pleased his Majesty some three years agoe to give
         Comission under the great Seale of England to the pet[rs] for
         planting Colonies in the river of Cannada, and displanting of
         those who were then his Majesties ennemies in the said Landes,
         and for the better encouragement and enabling of the pet[rs] to
         give them by the same Commission sole power to trade with the
         natives within the Gulfe and river of Cannada: Now the pet[rs]
         are informed that there are divers shipps bound for the said
         Gulfe and river without warrant from them and contrary to his
         Majesties expresse pleasure by his Commission to them, which
         cannot but turne greatly to the prejudice of his Majesties
         service and the losse of the pet[rs] And they are particularly
14/1426  enformed of one shipp, called the Whale of London whose owners
         are Nathaniell Wright and Nathan Wright, the Masters Richard
         Brewerton and Wolston Goslyn, that is presently ready for the
         said voyage.

         Wherefore they doe humbly entreat your Lordshipps that for the
         foresaid shipp or any other which upon due information shalbe
         found to have any such intention contrary to his Majestys
         Commission to the pet[rs] there may be such course taken that
         they may be stayed or sufficient assureance given that they
         will prosecute noe such voyage.

         And they shall pray for your Lordshipps.

         The Lords Comissioners for ye Admiralty desire ye Lord Viscount
         Dorchester to be pleased to take this petition into present
         Consideration, and calling all parties before him to examine
         how farre ye limitts granted to ye petitioners (by Commission
         from his Majestie) extend in Latitude and Longitude, and if his
         Lordshipp shall find that the parties complayned of have
         intention to goe into those partes contrary to his Majesties
         Commission their Lordshipps thinke fitt and order that they be
         staid as is desired.

         Wallingford House, 26. Febr. 1630. (8 march 1631.)

         EDW. NICHOLAS.

         (_Sur le dos est écrit._)

         R. 26°. Febr. 1630. Pet. of Sr. Wm. Allexander.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 4.)



                                   XVI.

         Right trustie and welbeloved Cousins and Counsellors and
         trustie and welbeloved, Wee greete you well. Whereas wee are
         informed that there are certaine shippes bound for the gulph
         and river of Canada, contrarie to a power and comission given
         by us unto Sr. William Alexander Knight, Jerves Kirk and others
         therein contained, who by vertue thereof have been at greate
         Charges in setling and maintaining a Colonie and fort in these
         boundes, Our pleasure is that upon due information of any Shipp
         or shippes bound for the said Gulph and river of Canada,
         contrarie to our former warrant, and without power from the
         forenamed persons having interest in it you take such speedie
         course as is requisite for their stay and hinderance till our
         further pleasure be knowen. For doing whereof these presents
         shalbe unto you a sufficient warrant. From our Court at
         Whitehall the[838]

         (_Sur le dos est écrit._)

         A cont. pt. of a lre. for hinderance of men going to Canada,
         desired by Sr. W. Alexander, ye 19 of Feb. 1630. (1st. march
         1631.)

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 5.)

[Note 838: Ainsi en blanc dans l'original.]



                                 XVII.

         A breife declaration what beaver skinnes Captaine David Kirke
         and his Companie brought from Canida, in the yeare 1629. and
         how the Forte of Kabecke was surrendred.

15/1427     That the sayd Captaine Kirke and his companie brought from
         Canida, the voyage aforesaide but the number of 6253 beaver
         skinnes.

                                        Deposed  upon oath
                                        by Capt'aines David and
                                        Thos. Kirke, Jn°. Lowe
                                        and Th. Wade their factors
                                        and pursers fol. I.


         That of the saide 6253 beaver skinns they gott and acquired by
         trade with the natives of Canada 4540.

                                        Deposed upon oath by
                                        the same parties fol. I. as
                                        also Jacques Reinard Sr.
                                        de  Espines,  Lieutenant
                                        to Monsr. de Cane, hath
                                        deposed ad 15 interrogator.
                                        fol'. 5, that he beleaveth
                                        they traded for 4000.
                                        beavers and all the other
                                        Frenchmen depose that
                                        the English traded there
                                        for beavers skines.

          That Captaine Kirke and his companie had not from the French
          above the number off 1713 beaver skinnes which with those had
          in trade as aforesaid maketh upp the number of 6253 skinnes.

                                        Deposed by the said
                                        Captaines David and Thomas
                                        Kirke, John Lowe and
                                        Thomas Wade, fol. I.[839]

[Note 839: Dans le n. 13 du Vol. V, qui ne diffère pas essentiellement
du n. 12, on lit de plus: _and M. Champlain governor of the Fort
deposeth but of 2500. or 3000 beavers that were therein_, fol. 3.]


          That the time when the Fort of Keibecke was surrendred to
          Captaine Kirke, the French men in the same were in greate want
          of victualles havinge lived two months before uppon nothinge
          but bitter rootes.

                                        Deposed by Samuell
                                        Shamplin, Leieutenant
                                        Goverener, fol. 19, ad. 4,
                                        Nicolas Blundell, fol. 22
                                        and Eustacie Boule, Fol. 23.


          That the French delivered to Captaine Kirke in exchange for
          victualls and for theire bringinge into England and sendinge
          them into France, at his chardges all the beaver skinnes which
          he had from them.

                                        Proved per contractum,
                                        fol. 24. [840]

[Note 840: Le n. 13 porte: _Proved per contractum made at the takeinge
in of the Forte_, fol. 8, 9.]


         That Captaine Kirke fedd for the space off three or fower
         months off the French, 100 persons and that those victualls in
         trucke which the natives would have gayned him more beavor
         skinnes then att those which he had from the French to the
         number of 1000.

                                        Deposed by Captaine
                                        David Kirke, fol. 27. ad.
                                        9 and 10. Interr.


         And whereas there may seeme to be some difference betweene the
         depositions of the English and French, touchinge the number of
         beaver skinnes, that difference is thus to be reconsiled,
         namely that it is to be understood, that the English speake
         only off such beavers as came to the companies accompt, and the
         French speake off the whole number of skinnes that they had
         when the forte was surrendred, not naminge or expressinge what
         part off the same they themselves enjoyed by the permission off
         the English hid or imbeazilled, for it is evident by their owne
         depositions that by the content of the English, some of them
         had one garment and others two garments of beaver a peece, and
         Monsr. Shamplin and Monsr, Pountgrave had 227 beavers off those
         found in the Forte all which by estimation cannot be lesse then
         a thousand skinnes besides one; Monsr. Culliart now residing in
16/1428  Canida, had 250 of the said beavers which the English paid him
         for, as by his receipt may appeare and the Frenchmen themselves
         did privately convay away some beavers and hidd others the
         number whereof cannot be discovered by reason that by the
         articles of agreement they were permitted to carry out of the
         forte what beaver skinnes and others comodities they had,
         nither is it considered what at such a time both the French and
         English off the ordinarie people might convay away as pilladg
         which is impossible for the adventurers to finde out.

         (Sur le dos est écrit.)

         Breviat of ye businesse of Kebeck as was brought me by one of
         ye Canada companie, ye 2. (12) of May, 1631. with a note of the
         Beaver skinnes taken and bought by Capt. Kerke in Canada.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 12.)



                                 XVIII.

         27 May (6 June) 1631.

         Captaine David Kirke sworne and examined before the right
         worshipfull Sr. Henry Martin Knight, Judge of his Majesties
         high Court of the Admiralty uppon certaine Interrogatoryes
         answereth thereto as followeth.

         To the first Interrogatory hee sayeth That true it is, That he
         was Imployed cheife Comander in two voyages into Canida, in the
         yeares 1628. and 1629. and the first of those voyages he was
         sett forth and ymployed at the Chardges of his late father
         Gervase Kirke and others merchantes of London, and the last of
         those voyages at the chardges of Sr. William Alexander the
         yonger, the sayde Gervase Kirke and others theire partners. And
         this hee affirmeth uppon his oath to be true.

         To the second he sayeth That in the first of the said voyages,
         he tooke from the French all the Country of Canida that they
         had in possession, except the fort of Cabecke.

         To the third he sayeth That in the last voyage when he tooke
         the sayd fort of Cabecke he had not any notice or knowledge of
         the late peace concluded betweene England and France.

         To the fowerth he sayeth That in the sayde last voyage wherein
         he tooke the sayde fort of Cabecke, he had a Comission under
         the broade seale of England, authorizinge him to transplant the
         French at Canida, and utterly to expell them from that country.

         To the fift he sayeth That in the sayd last voyage in the river
         of Canida he mett whit a French pinnace whereof Emery de Cane
         was Comander, and that pinnace assalted this examinates
         shallops and shott at them before this examinate began fight
         with her. And that pinnace did kill two of this examinates
         company and hurt and maymed twelve or sixteene others of them.

         To the sixt he sayeth That the beaver and ottar skynnes now in
         sequestration under the lockes of the Admiraltye are the same
         that this examinate had by trade with the natives of Canida,
         and by composition from the French for victualls given them
         accordinge to that composition.

         To the seaventh he sayeth that the French at the tyme of the
17/1429  renderinge of the forte of Cabecke did bringe out of the same
         which they sould and disposed to theire owne use betwixt seaven
         and eight hundred beaver skinns, of which the greatest part
         they sould to the English here in England.

         To the 8th he sayeth that when this examinates men returned
         from the takinge of the sayde forte, this examinate would have
         taken some beaver skynnes from them which they desired him not
         to doe, because (as they did constantly affirme to him) they
         had bought part of them of the French in exchange of apparrell,
         and the rest they founde in ditches and in the wood where the
         french had hid them.

         To the nynth and tenth he sayeth That there was not in the
         sayde forte at the tyme of the rendition of the same to this
         examinates knowledge any victualls, save only one tubb of
         bitter rootes, and he sayeth uppon his oath, That for the
         victualls which he gave the French to releive them in Canida
         and homewards accordinge to Composition, he might have hade in
         trucke with the natives of that country more beavers by a
         thousand then he had out of the sayde fort of Cabecke. And this
         he affirmeth uppon his oath to be true, Further addinge that
         with his owne victualls he fedd of the French by the space of
         three or fower monthes at the least one hundred persons, and
         payde for theire victualls in England and freighted and
         victualled them a shipp and therein sent them from England to
         France according to the sayde composition.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art, 15.)



                                  XIX.

         Monsr.

         Monsr. d'Espiné m'a faict savoir ce qui se pane. J'entendz par
         la vostre qu'aportez de bon vin. J'eusse eue grandement aize
         que feussiez venu d'un aultre fasson, pour vous monstrer que je
         ne suis pas tel qu'il a esté raporté à Monsr. vostre cousin. Ou
         que j'eusse esté vostre prisonnier, ou à moy l'honneur de vous
         estre serviteur, j'entendz que nos deux Majestez sont d'acort.
         S'il vous plaist venir icy sur vostre Commission, vous
         recepverez ce que esperez de celuy qui est

         Monsr.

         Vostre très affectionné,

         KIRCK.


         Je, Emery de Caen, Capitaine de la Marinne, commandant le
         navire nommé le _Don de Dieu_, suivant le congé qu'il a pleu à
         Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre, Chef & sur
         Intendant de la Navigation & Commerce de France, donner au
         sieur Guillaume de Caen, cy devant Général de la flotte de la
         Nouvelle France, pour envoyer un navire à ladiste Nouvelle,
         traister avec les sauvages, recepvoir les debtes qu'il luy
         seroyent deubz, ledist sieur de Caen s'il en auroit donné le
         commandement, & estant arrivé à l'isle d'Orléans, près
         l'habitation de Québec, audist païs. J'aurois envoyé Jacques
         Cognard, sieur de l'Espinay, porter la coppye de mon dist congé
         à une signification dudist sieur de Caen, ensemble ma
         signification & protestation au bas, en datte du quatriesme
         jour de Juillet mil six cens trente un, au Capitaine Louis
18/1430  Kearke, Commandant pour le Roy de la Grand Bretagne, du fort &
         habitation du dist Québec, lequel m'avoit mandé pouvoir venir
         par ma commission, ce que j'aurois faist, & trois jours après
         mon arrivée audict lieu il m'auroit faist mettre noz voilles,
         mousquets & piques dans la dicte habitation. Et ayant parlé par
         plusieurs fois audist sieur Gouverneur & aux commis de la
         compagnye d'Angleterre, pour nous accorder pour faire la
         Traitte par ensemble pour esvitter aux desordres qui eussent
         peu arriver. Nous aurions en fin traitté l'un avec l'aultre
         pour pain, poix & aultres marchandises, des Castors & peaux
         d'orignal passez & grains de pourcelaine, lesquels castors &
         peaux ont esté mis en leur magasin pour les separer entre eux &
         nous. Et ne m'auroyent desfendu la traitte ny donné
         empeschement jusques au jour d'hier que les Hurons sont arrivez
         avec quantité de castors & aultres peletries, ilz m'auroyent
         envoyé leur principal commis, nommé Jehan Loo, me signifier une
         article comprise dans l'ordre qu'ilz ont de leur compagnye,
         signée de Monsieur le chevallier Guillaume Alexandre & le
         Capitaine David Kearke, cy devant général de la flotte Angloise
         pour le dist païs, pour & au nom de toute la compagnye, par
         laquelle ilz ordonnent de prendre & saisir tous navires qui
         traitteroyent dans le dist païs. Et prendre leurs castors
         jusques à fin de traitté, & auroyent mis dans mon dit navire &
         barque plusieurs de leurs gens sans m'avoir laissé aulcun
         exploict de la dicte signiffication, pour m'empescher de
         traitter mes marchandises avec lesdistz sauvages. Et deffence à
         moy de ce faire, encore que je leur aye remonstré & dit que le
         païs appartenoit au Roy mon souverain Seigneur & Maistre, Et
         que j'avois droist de traitter sans aucun contredit ny
         empeschement, suivant ma commission de mon dit Seigneur le
         Cardinal, & qu'ilz ne me montroyent aucune commission du Roy de
         la Grande Bretagne, pour  me prendre, & empescher la traitte,
         eux ayans la force à la main, & desirant entretenir le pais, de
         ma part ay protesté cy devant & de rechef proteste pour le
         susdict Général de Caen & assossiez contre le sieur Gouverneur
         Kearke, & capitaine des vaisseaux leurs bourgeois &
         adventureurs en général, & chacun en leur propre & privé nom,
         de les faire respondre de tous despans, domages & interestz
         soufferts & à souffrir pour l'arrest & empeschement qu'ilz me
         font de la vente & traitté de mes marchandises dont je leur en
         donneray facture, comme de la prinse des castors que j'avois
         traittés cy devant. Faist dans le navire nommé le _Don de
         Dieu_, devant le fort & habitation de Québec, le vingt
         deulxiesme jour d'aoust mil six cens trente un, presence de
         Michel Morieu, Maistre dudist navire, Jacques Cognard sieur de
         l'Espinay, Olivier le Tardif, Jacques Barbault & Jacques
         Ferment, officiers du dist navire. Signé Emery de Caen, Michel
         Morieult, de l'Espinay, Tonnent, Jacques Barbault, Charles
         Mons, Dereau dit St Amours, le Merc de Jean Hanin, Chalot
         Poullain de Mury, Le Juif, Pierre Rousseau, Le Tardif, Le Merc
         de Jehan Crocquet, Jehan Tontain & le Merc de Nicolas Gomme.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 23.)

19/1431

                                   XX.

         [L. S.]

         At Whitehall, the 14th. of October 1631.

         Present:

         Lo. Keeper Lo. Trea[r]. Lo. Privy Seale Ea. Marshall Ea. of
         Kelley Lo. V. Falkland Lo. Bp. of London Mr. Secr. Coke.

         Whereas Captaine Kirke and others the adventurers to Canada,
         did humbly shewe to the Board, that they having the sole Trade
         into those partes graunted unto them, prohibiting all others to
         trade thether, That neverthelesse divers persons viz. John
         Baker, James Ricrofte, Captaine Eustace Man, Henry West and
         others, have as Interlopers presumed to trade thether, carrying
         away a great parte of the said trade, to the great dammage and
         disablement of the said Adventurers to maintaine theire
         Collonie there for defence of the said Island or to proceede in
         the said Trade. Forasmuch as the said persons were thereupon
         this day convented before the Board some of the said
         Adventurers being then also present, And upon Entrance into the
         hearing of the Cause however the said Information in the
         generall appeared to be true, Yet for that the Examination of
         divers particulars objected on either parte, required a further
         tyme then the leasure of the board could permit. Their
         Lordshipps did thincke fitt and order that the further
         examination hereof be referrd to Mr. Sergt. Barkeley, Sr.
         Willm. Beecher and Mr. Nicholas, authorizing and requiring them
         to call for and peruse, all such writings, letters, Charter
         parties and Bookes of Account as they shall think fitt; As
         likewise to call before them and examine all such persons as
         they shall find cause, aswell for the finding out of the
         contemptuous carriage of the persons complainde of, as for the
         discoverie of the particular goodes and comodities and the true
         vallue of the same, by them brought from thence. And thereupon
         to make certificate to the Board, to the end such further order
         may be given as shalbe requisite. Lastly it is ordered that the
         persons complainde of shall enter into sufficient Bond to his
         Majestys use before the Clarke of the Councell attendant, not
         to sett out from henceforth any more Shipps to trade thether
         without lycence from his Majestie, or this Board. And shall
         give theire attendance de die in diem and not departe the Towne
         untill further order which Bond if they shall refuse to enter
         into, then to stand comitted to the custodie of a Messenger
         untill they shall conforme themselves.

         Ext. T. Meantys.

         (_Sur le dos est écrit._)

         Canada 14th. Octob. 1631. Lo[dds] of ye Councells order of
         Reference concerning examinations of ye contempt ag[t] ye
         company of Canada.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 27.)

20/1432

                                 XXI.

         May it please your Lopps.

         We having herewith returned the examinations which we have
         taken according to your Lopps. order of the 14th of October
         last upon the Complaint of the Adventurers to Canada wherein we
         make bould to observe unto your Lopps. that James Ricroft named
         in your Lopps. order (who was imployed as pylott and merchant
         in his voyage complained of) had bene imployed in a former
         voyage by ye Adventurers of Canada, and that (but by that
         imployment) he had noe knowledge of that Coast; We likewise
         finde by other circumstances that he was not ignorant that ye
         Forte of Kebecke in those partes was taken and mayntained by ye
         said Adventurers, the charge whereof is apparent they could not
         undergoe but by the benefitt of their trade there; Wee likewise
         finde that at his last arrival there notice was given him from
         the said Adventurers that he ought not to trade there, to which
         notwithstanding he would not conforme: And such notice is
         proved by a letre subscribed by hymselfe which lre. we herewith
         returne, But the said Ricroft utterly denieth thatt he
         subscribed the said lettre although it were by two witnesses to
         his face attested to us to be signed by himselfe, And further
         it appeares unto us by ye examination of Capt. Vincent Harris
         that the said Ricroft was not only an encourager of these
         merchants to undertake that voyage, but his carriage there did
         discourage the natives to trade with the Adventurers.

         As for Baker the Mr. of the Eliz complained of and Eustace Man
         (one of the owners and merchants of that shippe) albeit the
         notoriousnes of the actions of the Adventurers to Canada doth
         give a suspicion that they were not ignorant of his Majesties
         pleasure for their sole trade into those partes, yet by their
         examinations they deny any manner of notice of his Majesties
         pleasure or other order for ye Adventurers sole trade.

         And for Henry West mentioned in your Lopps. order it was
         alleadged to us that he was sicke and could not come to be
         examyned.

         We have also perused an Order termed a Com[on] which we finde
         to be made by the beforesaid H. West and Eustace Man as
         Merchants unto ye said John Baker and James Ricroft purporting
         their ymployment from ye port of London unto ye Coast of
         Candia, which word Candia was delivered by Eustace Man &
         Ricroft to be intended for Canada, The instrument of which
         order wee herewith together alsoe with the examination and
         letre aforesaid humbly present your Lordships, leving all the
         same to ye Lordships wisdom.

         5. Nov. 1631.

         Examinations taken by us underwritten according to ye order of
         ye l4th of October 1631, from ye Rt. ho[ll] ye Lords of his
         Majesties ho. Councell.

         James Ricroft, Pilott of ye Eliz of London, examyned saith that
         Captaine Kirke and others professinge themselves to be a
         Companie did imploy him in the yere 1630 to Canada, and that he
         was paid by Mr. Eyres (beinge casheere for the said pretended
         Companie) sixe weekes after the end of ye voyage and that
         untill he was imployed by that Companie he never was in ye Gulf
         of Canada. That he heard ye Forte of Kebecke in those partes
         was in ye yeere 1628. surrendred by ye French to the said
21/1433  pretended Companie and saith, that when he was there imployed
         by ye said pretended Companie Captaine Lewis Kirke held ye
         possession of the said Forte.

         This examinate denyes that ever he knewe of or ever saw anie
         pattent to the said Companie untill he came last from sea.

         This examinate confesseth that he hath since 1630 bene imployed
         in a voyage to Canada by Capt. Eustace Man and one Hen. West in
         the Eliz of London. And did trade at Todasecke with ye savages
         that come thether for Beaver skins, and Elke skins, but he
         cannot tell to what quantity or vallue; but referres himselfe
         to the Customers Books for the Certaintie thereof. He saith
         that there was an order from his Merchants for his trade to the
         North parte of Canada and else where, which order is in the
         custody of Captaine Eustace Man, and confesseth that he did
         call to the Mr. of the Eliz (he beinge then deteyned as a
         prisoner by Captaine Vincent Harris, Capt. of the said
         Companies shippe named the Thomas) willing him to trade 3 for
         one which he sayeth was 3 Elkes skins for one Blankett. He
         denyes that he hath anie Charter parties, writinges or Bookes
         of accompt concerning his voyage.

         Jo. Baker Mr. of ye Eliz of London examyned saith that he did
         [not] know when he went out that there were anie that professed
         themselves to be of ye Companie of Canada, but heard that Capt.
         Kerke and others kept a Fort in Canada. And further sayth that
         James Ricroft his Pylott beinge deteyned by the Companie did
         send ye letre nor shewed him subscribed by Ricroft, and upon
         receipt thereof he refused to deliver anie goods therein
         required to be delivered and came for England with five Caskes
         and halfe of Beaver skins and some Elkes skins, for the
         certaine number whereof he referreth himselfe to the Customrs
         books, And faith that he was with ye said shippe tradinge in
         the said Gulfe about 20 dayes and that he had for his
         particuler about 40 pounds of Beaver skins; He denies that he
         wrought by way of challenge to Captaine Vincent Harris, but if
         he spake any wordes it was in his drinke and is forrie for it.

         Captaine Eustace Man one of the owners of the Eliz examined
         saith that he did sett forth the said Eliz (whereof Jo. Baker
         was Mr.) upon the motion and perswasion of James Ricroft for
         Canada and other partes and that untill his said shippe was
         gonne to sea he knewe not of, nor heard not of anie pattent
         graunted to anie Companie. That the order given ye Mr. for that
         voyage is in the Isle of Weight; That there were 531 Bearskins.
         that were brought from Canida and that they are all sold for
         above 500 £. And 100 and odd Elkes skins which were sold for
         above 100 £. But for the truth and certaintie of ye number of
         the said skins, he referreth himself to the Customers books And
         deneyeth that he hath any writinge Charter parties or bookes of
         accompts for he saith that the Mr. never gave him anie accompt
         in writinge of that voyage.

         Wm. Holmes purser of ye Thomas examyned saith that he did
         wright the letre produced dat. 12 May 1630 and read it unto Wm.
         Ricroft and saw him subscribe the same, In which letre it is
         apparent that Ricroft knewe of the Comission granted to Sr.
         Willm. Allexander.

         Edward Lees attendant upon Capt. Vinc. Harris Captaine of the
22/1434  Thomas, confesseth as much as ye said Holmes. Samuell Peirce
         Bever maker examyned saith that he bought of one Mr. Tho. Man,
         a Woollseller dwellinge by London stone about August last, ye
         quantitie of about 880 pound weight of Beaver skins in six
         hogsheads, which the said Tho. Man told him he had bought and
         received of one Captaine Eustace Man Merchant and owner of a
         shippe that came from Canada, for which said skins he paid to
         the said Thos. Man 880 £. saith that he and some other Beaver
         makers whome he can name, bought of severall seamen that said
         they were belonginge to the said Capt. Mans Barque severall
         quantities of Beaver skins to the vallue of 300 weight.

         Captaine Vincent Harris Capt. of the Thomas examyned said that
         beinge imployed by ye Companie of Canada this last yeere to
         trade in those partes, and seeing ye said Eliz whereof Ja.
         Ricroft was pilote come into that Gulfe he commanded him to
         come aboard, and when he came he demanded by what authoritie he
         came thither, & what he did on that coast, whereto he answered
         he came to trade there aswell as this Examinate, whereupon this
         Examinate shewed him the Companies Com[on], and gave him the
         same to read which he did, and then sleighted it very much, and
         to expresse the Contempt he had of it went upon the decke and
         cryed to his shipp the Eliz that they should give 3 for one of
         that those of the Thomas did trade for, whereby those of the
         Company of Canada were constraincd to leave of the trade and
         goe from thence in regard the Savages would not come unto them.
         But reported that the Companie came to deceive them for that
         there were other of their Countrymen would give three tymes as
         much as they.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 33.)



                                  XXII.

         A note of all suche things as the Company hath in Canada and
         the nomber of men.

         Imprimis they have above 200 persons in the fort and habytation
         of Kebec and gone up som 400 leages in the country for further
         discoverys.

         In the fort there is 16 peeces of ordnance and 8 murderers. 75
         musketts and 25 sowlinge peeces and 10 arkebusses a Croake and
         30 pistolls 8 dozen of pikes and 24 holbeards and 40 Corseletts
         and 10 armors of prooffe and 6 Targetts.

         In the sayd fort there is 2000 of powder for the ordnance 300
         of musketts powder, and one hundred and halfe of sowlinge
         powder, Rownd shott burd shott Langer shott and chrossbar shott
         enough for the use of there powder and 10 barrells more which
         the Maye have of the store of 3 pinaces which are there
         furnished with 6 peeces of ordinance a peece and 6 murderers a
         peece and 5 barills a powder a peece and all thinges convenyent
         for their Rigginge and Munition of war.

         The sayd 200 persons vittled accordinge to his Majesties
         allowance att sea for 18 monthes besides what they fownd upon
         the ground which is able to find them 6 months more soe that
         the are very well vittled for 2 years and within towe yeers if
         they worke as the have beegon the wilbee able to subsift of
         themselves.

         There is goods for to Trade with the natives of the Contrey
         more then wee are able to vent in 2 yeeres which goods are no
23/1435  wheare vendable butt in that contry and which goods stands use
         in 6000 £. starlinge besides charges which doth amount to
         6000 £. more.

         All fort of tooles for smithes millers masones plasterers
         Carpendars Joyners bricklers whillons bakers bruers
         ship-carpenters shoomakers and taylors.

         10 Shallops fitted with bases for the head and all other
         furniture.

         All fort of tooles beelonginge to the fortyfication.

         The abovesayde fort is soe well situated that the are able to
         withstand 10000 men and will not care for them, for whatsoever
         the can doe, for in winter they cannot staye in the countrey
         soe that whoesoever goes to beesidge them the cannott staye
         there above 3 monthes in all in which time the muskett will soe
         torment them that noe man is able to bee abroad in centry or
         threnches day nor night without loosinge there sightes for att
         least eyght dayes.

         Soe that if please his Majestie to keepe it wee doe not care
         what French or any other can doe thoe the have a 100 sayle of
         shipps and 10000 men as above sayde.

         (_Sur le dos est écrit._)

         Note of all such thinges as the Company hath in Canada and the
         number of men.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, n. 38.)



                                XXIII.

         Messrs.

         Je me remets à respondre à l'agréable vostre que m'a rendu le
         Sr Alexandre à son retour, qui j'espere sera en bref. Cependant
         vostre homme Mr Lowe n'est comparu icy, qui certes est venu
         fort mal à propos, car de luy on eust peu estre esclaircy de
         beaucoup de doutes qui ont rendu vos affaires avantageuses pour
         Decan & préjudiciables pour vous; toutesfois je vous asseure
         qu'on a faict tout ce qui a esté possible, & que ce qui est
         accordé conste hors des depositions fort clairement. Il y a
         deux points esquels on a trouvé le plus de peine, l'un la
         pretension de Decan d'estre payé de ses Castors à 12 £. 10.
         selon qu'il les avoit enchery & acheptez, à quoy après beaucoup
         d'altercations on a esté forcé de céder par l'exhibition d'un
         acte de Messeigneurs du Conseil privé de S. M., auquel est
         contenue vostre promesse de faire bon ledit prix ou en porter
         le dechet comme pouvez voir par ledict acte qui est du 22
         Janvier 1628/29 auquel je vous remets. L'autre pour le poids
         des Castors, car le Sr Fitch dit bien d'avoir vendu lb. 4000 de
         Castors & 200 Castors, mais nous remet pour le nombre des
         Castors au seigneur Bicher, lequel atteste avoir compté 3500
         peaux en un magasin & 620 en un autre, les reduisant à 2409 &
         33l Castors compte de Canada, ne disant pas sy les 2409 pesent
         seuls lb. 4000 ou bien si tous les 2740 pesent 4000 lb. Cecy me
         met en doubte, & ne sçavons comme le reigler. Decan prétend que
         Fitch n'a enlevé que les 3500 peaux ou 2409 Castors qui
         estoyent en son magasin, lesquels doibvent peser 4000 lb poids
         d'Angleterre, les autres 331, n'ayant esté en sa puissance ny
         les avoir vendus. En quoy il y a de l'apparence de raison, mais
         non pas assez pour la pouvoir tellement refuter ny accorder que
         ce soit selon l'equité. Nous devons nous trouver ensemble
         aujourd'huy pour voir ce qu'il pourra alléguer pour vérifier
         son dire. Mais sy vostre homme eust esté icy on eust peu voir &
24/1436  sçavoir les particularitez de tout, & traicter avec luy avec la
         solidité & resolution qui est requise pour rembarrer son
         audace. La faute est à vous qui n'avez pourveu Monsr.
         l'Ambassadeur de meilleures defences, vous asseurant que toutes
         les armes qu'avez envoyées ont esté employées sans obmission
         d'aucune part qu'on aye peu esplucher pour vostre advantage;
         vous verrez le tout à son temps, à quoy me remets.

         Préparez vous à partir & soyez les premiers en toute façon pour
         prendre l'advantage de la traicte à Tadoussac; n'allez pas trop
         foibles ny aussy ne vous mettez en despences extraordinaires,
         afin que puissiez faire le voyage à profit & sans perte. Il
         faut que vous voyez de prendre ordre aux Interlopers, car cela
         vous gasteroit tout pour ceste année; pour les suivantes, que
         ceux à qui il touche y prennent esgard. J'ay trouvé bon de vous
         donner cest advis par avance, & vous baisant les mains je
         demeure Messieurs

         Vostre affectionné serviteur,

         PH. BURLAMACHI.

         A Metz, ce 30 Janvier 1631.

         A Messrs.

         Messrs. les Députés de la Comp[e] Angloise & Escossoise,
         negotians en Canada,

         LONDRES.

         (_Sur le dos est écrit._)

         Copie d'une lettre escrite à Metz le 30e de Janvier 1630,
         (1631) par le Sr. Burlamachi, aux Députez de la Compagnie
         Angloise & Escossoise, negotians en Canada.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 39.)



                                XXIV.

         That for supposed debtes to du Cane from ye Canada Marchantes
         (for skins, for debtes from savages and for knives) he hath
         bound the King to pay 8270 £, sterling within ye space of two
         months.

         That for certeine French shipps etc. he hath likewise obliged
         his Majestie to pay in Paris unto whom ye French King mall
         appoynt (and that within two months allso) the tome of 6060 £.
         sterling.

         Soe as in effect he hath condemned his Majestie in 14330 £.
         sterling and given Bur: in pawn for ye payment with which it
         may be justly sayd he hath bought ye peace.

         For as concerning the first some it is most certeine that ther
         are butt 1730 skins belonging to ye French as appeers by
         depositions in the Admiralty ye Copies wherof Mr. Burlemachi
         hath and thes skins are still entire here. The knives are in ye
         fort, and ye debts from savages utterly denied.

         And as for ye second some nothing is more certaine then that
         his Majestie never had pennie of it.

         Butt suppose that thes sums of money were recoverable here why
         should the King be bound to pay them.

         Why were nott thes articles first consulted with his Majestie
         before ye signing of them, especially seeing in his name and to
         be certified under his greate seale Burlemachi is made a
         pledge.

25/1437  Why was nott caution also given for du Canes payment of ye
         frayght and charge of ye shipp of 150 tuns; and for payment of
         ye marchandize which the English are to leave in Canada.

         I conceave it most fitting that ye Canada Company should
         answere my Lo. Embas[ores] long letre.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 45.)



                                  XXV.

         Trusty and welbeloved etc. For soe much as there is made a
         finall good agreement betwixt us and our good brother the
         French King, and that all differences aswell betwixt our
         Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfect
         accord, and that amongst other particularityes on our side v/e
         have consented to the restitution of the fort and habitation of
         Quebec in Canada, as taken by force of armes since the peace,
         howsoever the Comission were given out to you during the warre
         betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment
         of our royall word and promise before all whatsoever
         allegations may be made to the contrary in this behalfe, as we
         have obliged ourselves to that King for the due performance
         thereof by an act passed under our great Seale of this our
         realme of England, soe we doe by these our lres. straightly
         charge and command you, _that upon the fight hereof yee doe
         give speedy notice and order to all such subjects of ours which
         are under your Comission and gouvernement aswell souldiers
         which are in garrison in the foresaid fort and habitation of
         Quebec for defence thereof, as inhabitants, which are there
         seated and planted, to [conforme themselves unto the sayde
         agreement and to] [841] _render according to the sayd agreement
         the sayd fort and habitation into the hands of such as shalbe
         by our sayd brother the French King appoynted and authorised to
         demand and receave the same from them_, in the same state yt
         was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of
         the fortifications and buildings which were erected at the tyme
         of the taking, or without carrying away the armes munitions,
         marchandises or utensills which were then found there in. And
         yf any thing hath ben formerly carryed away from thence, our
         pleasure is, yt shalbe restored either in specie or value,
         according to the quantity of what hath ben made appeare uppon
         oath and was sett downe in a shedule made by mutuall content of
         such as had cheife comand on both sides at the taking and
         rendring thereof. And for soe doeing these our lres. shall not
         onely serve for warrant but likewise for such expresse
         signification of our will and pleasure, that whosoever officer,
         souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew
         himselfe crosse or refractory thereunto, shall incurre our
         highest indignation and such punishment and penalty as shalbe
         due unto offendors of soe high a nature.

[Note 841: Ces mots sont effacés dans l'original.]

         (_Sur le dos est écrit cette note._)

         And every of you our subjects remayning in the foresayd fort
         and habitation, either as soldyers in garrison for defence
         thereof or inhabitants there seated and planted, imediately
         uppon sight hereof which shalbe presented by such as our good
26/1438  brother the French King shall appoynt and authorise for that
         purposse, to render the sayd fort and habitation of Quebec into
         their hands.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 46.)



                                 XXVI.

         Charles R.

         Trusty and welbeloved wee greete you well. Forasmuch as there
         is made a finall good agreement betwixt us and our good brother
         the French King, and that all differences aswell betwixt our
         Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfectt
         accord, and that amongst other particularytyes on our side, we
         have consented to the restitution of the fort and habitation of
         Kebec in Canada, as taken by force of armes since the peace,
         howsoever the Commission were given out to you during the warre
         betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment
         of our royall word and promise before all whatsoever
         allegations may be made to the contrary in this behalfe, as wee
         have obliged ourselves to that King for the due performance
         thereof by an act passed under our great seale of this our
         realme of England, soe we doe by these our letres straightly
         charge and comand you that uppon the first commoditie of
         sending into parts and meanes for ye people to returne yee doe
         give notice and order to all such subjects of ours which are
         under your Commission and government aswell souldiers which are
         in garrison in the foresaid fort and habitation of Kebec for
         defence thereof, as inhabitants, which are there seated and
         planted, to render according to the sayd agreement the sayd
         fort and habitation into the hands of such as shalbe by our
         said brother the French King appoynted and authorised to
         demaunde and receave the same from them, in the same state yt
         was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of
         the fortifications and buildings which were erected at the tyme
         of the taking, or without carrying away the armes munitions
         merchandises or utensills which were then found therin. And yf
         any thing hath bene formerly carryed away from thence, our
         pleasure is, it shalbe restored eitheir in speicie or value,
         according to the quantity of what hath bene made appeare uppon
         oath and was sett downe in a schedule made by mutuall content
         of such as had cheife comaund on both sides at the taking and
         rendring thereof. And for so doeing these our letres shall not
         onely serve for warrant but likewise for such expresse
         signification of our will and pleasure, that whosoever officer,
         souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew
         himselfe crosse or refractory therunto, shall incurre our
         highest indignation and such punishment and penalty as shalbe
         due unto offenders of soe high a nature.

         (Sur le dos est écrit.)

         Letters from his Majesty to ye Canada marchants and ye
         comanders under them for rendring Kebeck corrected as in these
         first originals appeareth.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 47.)



                                XXVII.

         Declaration du Sr. Champlain soubs serment des armes, munitions
         & autres utensiles laissées au fort de Kebeck lors de la
         rendition, qui doyvent selon le Traicté estre restituées.

27/1439  4. Quattre pièces d'Artillerie de fonte du poids d'environ 150
         lb. piece.

         1. Une pièce d'Artillerie de fonte pesant environ 80 lb.

         5. Cinq boites de fer servant pour les dites pièces.

         2. Deux plus petites pièces d'Artillerie de fer pesant chacune
         800 lb.

         6. Six Pierriers avec leurs Chambres ou boites pour les
         charger.

         1. une petite pièce d'Artillerie de fer pesant environ 80 lb.

         45. Quarante cinq petits boulets de fer pour les cinq pièces
         d'Artillerie sudite.

         6. Six boulets pour les autres pièces, chacun pesant 3 lb.

         30. ou 40. Trente ou quarante livres de Poudre à Canon.

         30 lb. Trente de Mesche, ou environ.

         30. Trente Mousquets entiers & un rompu.

         1. Une Harquebuze à croc.

         2. Deux longues harquebuzes de cinq ou six pieds.

         2. Deux autres harquebuzes.

         10. Dix Hallebardes.

         12. Douze picques.

         5. ou 6000. Cinq ou six mille livres de plomb en boulets,
         platine & bancs.

         60. Soixante Corcelets, desquels deux sont complets & à la
         preuve du Pistolet.

         2. Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lb.

         1. Un Pavillon ou tente pour loger Vingt hommes.

         1. une forge de Mareschal avec les Appartenances.

         Toutes sortes de provisions pour la Cuisine.

         Tous Outils pour un Charpentier.

         Tous outils de fer propres pour un moulin à vent.

         Un Moulin à bras pour moudre du bled, etc.

         Une cloche de fonte.

         (Sur le dos est écrit.)

         Copie de la deposition du Sr. de Champlain des armes &
         utensiles laissées au fort de Kebecq.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 49.)



                                 XXVIII.

         An answere made by the Adventurers to Canada unto a letre
         written by the right hon[ble] Sr Isaack Wake Knight Lord
         Ambassador for his Majestie of England, now resideing in
         Fraunce beareing date the 9th of Aprill 1632.

         To the first Article mentioned in his Lordshipps letre wherein
         he writes that the instructions he received from us were soe
         weake and came soe farr short for what was necessary for our
         defence that had he not gathered light from Monsieur de Caen
         his owne speeches, he should not have brought our busynes to
         soe good a passe.

         Wee answeare that those depositions and instructions which wee
         sent and delivered here to Mr. Burlamachi and which he had
28/1440  under the seale of the Admiralty by the Lordes of his Majesties
         privy Counsell their comaund, were soe authentique and
         sufficient, that if this cause had byn tryed here in England
         where witnesses would have byn allowed, which wee earnestly
         desired, We doubt not but to have recovered charges of de Caen
         rather then any money should have byn paid unto him. But the
         French Ambassador and Monsr. de Caen would never permitt any
         legall proceeding neither in the Admiralty nor in any other
         Court of justice here in England.

         Secondly, Whereas his Lordshipp writes that De Caen his
         pretentions were for 266000 livers, We marvaile not at his
         unreasonable demaund, knowing the French at well as we doe,
         whereof some of us have had woefull experience in the busynes
         with Morteau and Launay and others. But Monsr. de Caen att his
         being here claymed in all only 4266 beavors. And Monsr.
         Champlaine Governor of the Fort when, their goods were taken
         deposeth there were but 2500 or 3000 beavors belonging to the
         French att the most. Whereof at the rendring of the Fort the
         French that were then there, were by composition permitted and
         did carry away such as they pretended were their owne, and they
         had each of them a Coat conteyning 7 or 8 beavors a peice
         besides what they conveyed away secretly. And some were stollen
         by them as appeares by the depositions of Oliver le Tardiff one
         of their servauntes. Besides wee bought divers beavors of the
         said Frenchmen att the returne here of our shipps for which wee
         paid them above 400 £. as by their acquittances appeareth which
         beavors they brought then in our shipps from thence. All which
         being deducted it will plainly appeare there could not come to
         our hands above 1713 beavors according to the depositions of
         our Captaynes and factors who kept a just and exact accompt of
         the same, which beavors were delivered unto us by the French
         there, upon composition and condition that wee should feed them
         and bring them home they being almost starved and must have
         perished without our releife they having fedd upon nothing but
         rootes for the space of Three monthes before, as appeares by
         the deposition of Monsr. Champlaine, Mo. Blundell, Mo. Bowley
         and others. And the victualls we gave them would have bought
         there above 4000 beavors, as appeares likewise by the
         depositions of Capteyn Kirke and others. The rest of the
         Beavors (which with the said 1713 received from the French are
         still in sequestration) Wee bought of the salvagcs with our
         owne goodes the French themselves confessing in their
         depositions that wee traded for 4000 Beavors.

         Thirdly, whereas his Lordshipp writes for the restitution of
         the shipp Hellen and the goods taken in her which were but of a
         small valewe, We answeare that the said shipp came out of
         Fraunce the 20th of May 1629 and the peace was proclaimed ten
         daies before to take effect from the 14th of Aprill before
         that, which peace they knew and heard of before their coming
         out of Fraunce as appeareth by the deposition of Jaques Raymond
         [842] Sieur de Espines Leiutennt to Mo. de Caen. Nevertheless
         at their comyng into the river of Canada they concealed the
         said peace and first assaulted and shott att our shallopps and
         after att our shipps to have surprized them and killed some of
         our men and wounded many others, which appeareth likewise by
29/1441  the deposition of the said Jaques Raymond and the deposition of
         our men. Now we conceive that by our lawe and the lawe of
         nations those men that shall assault us knowing of the peace
         concluded betweene both Kingdomes ought to suffer as Pyratts
         and the shipp and goods soe taken are lawfull prize and
         therefore noe restitution ought to be made but contrarily the
         French ought to give us satisfaction for our damages in the
         fight susteyned and also for loss of our mens lives. Howsoever
         wee wilbe contented to deliver such goods in Canada as were
         taken in the said shipp Hellen (if it be soe agreed and by his
         Majesty comaunded).

[Note 842: Jacques Kognard (Couillard), sieur de l'Espiné.]

         Fowerthly, whereas de Caen demaundeth satisfaction for Beavors
         owing to him by the Salvages we answeare that wee never
         received any of them for him, and therefore he may now goe and
         receive them himselfe. And for the Knyves which he pretendes to
         be worth 600 Beavors they remayne still in the Fort to be
         delivered unto him if it be soe concluded.

         Fifthly, concerning the number of Beavors which his Lordmipp
         saith is playne by the French depositions to be 4200 skynnes,
         although Mo. Champlaine their Governor whoe should know best
         deposeth but 2500 or 3000 beavors. We answeare that it is more
         playne by the depositions of the English that there were but
         1713 beavors which came to our hands and they were delivered
         unto us upon composition by the French. That we should give
         them food whereby to preserve their lives from perishing and
         bring them home, which we conceive wee ought to enjoy having
         paid soe well for them in regard our provisions they had would
         have bought above 4000 beavors as is before expressed. And if
         there were any more the French carryed them away with them as
         they had permission to do. As appeareth by the contract made
         with Monsr. Champlayne and Monsr. Pountgrave att the rendringe
         of the Forte.

         Sixthly, concernyng the weight of the Beavors, Wee marvell a
         Calculation of 6625 £. should be concluded on, seing the whole
         number of 4000 Beavors are still remayneing under their
         Lordshipps Comaund and may be weighed justly, Soe that they to
         whome they shalbe adjudged shall have noe losse by them.

         And for the price of 25 s. sterling per lb. If Mo. de Caen
         would have paid us the money for them upon our security to have
         repaid it to them to whome it should be adjudged he might have
         had them willingly. But whatsoever he pretended Monsr. de Caen
         had noe purpose to take them at that rate. For when he had a
         good part of them att the Lord Mayors house and might have had
         them from thence upon paying for them he nor his assignee
         Monsr. de Espines would not bring in money for them, though he
         was often urged thereunto, but suffered them there to remayne
         as they doe to this day.

         And whereas it appeares that it is concluded that de Caen shall
         have 82700 livers for such Beavors as were taken from him, Wee
         conceive that of right he ought to have nothing att all, but
         rather that he should give his Majestie satisfaction for the
         lives of his subjects which they tooke away contrary to the
         peace concluded. Whereof they were not ignorant but concealed
         the same as is before proved and confessed by them.

         And for the Beavors we had from the French, they were delivered
         unto us by contract to feed them and bring them home as is
         before expressed, and as appeareth by the contract made with
         them which cost us twice soe much as the Beavors were worth.

         Also wee conceive that the Charges wee have byn att in building
30/1442  and keeping the Fort nowe Three years should have byn
         considered in some measure. And if the French must be paid
         according to the price of beavor in England, Wee thinke it had
         byn very reasonable that they should have paid the Charges of
         bringing them home, seeing that which is bought in Canada for
         2s. is worth here above xx s. And that voyage cost us above
         20000 £. which charge wee were att upon his Majesties Comaund
         and upon promise to enjoy both the goods wee should take the
         Fort and the Countrey.

         But now by this conclusion it should seeme wee have made a
         voyage for De Caen whoe (as he makes his reckoning) will have
         paid him here for every Beavor marchauntable (which he
         calculates att a pound and halfe in weight and att 25 s.
         sterling per lb.) which is 37 s. 6 d. sterling for every
         beavor, which cost not him above 3 s. sterling in Canada and
         wee have paid all the Charge of fetching and bringing them home
         hither which cometh to much more then all the beavers are
         worth. And if de Cane had sett forth shipps himselfe he must
         have byn att the like charge which would have cost hime more
         then his Beavors were worth. And therefore we conceive there is
         no reason he should have the value of the Beavors as they are
         worth here, seeing we have bought them there and paid all the
         charges of bringing them hither. By which agreement de Caen
         would make above 12 for one profitt and wee should loose all
         both principall which was our provisions they had for them and
         also the charge of bringing them hither. And it appeares that
         for such goodes as wee shall have remayneing in Canada and
         deliver de Caen wee are to have but 30 per Cent more then they
         cost us, which seemeth as strange on thother side; beinge that
         the charges of carryîng the goodes thither and other expences
         will come to above Three tymes more then they cost besides the
         extraordinary yerely charge of keeping the Fort of Kebeck which
         must be raised upon the profitt of the goodes.

         Further whereas his Lordshipp hath ordered de Caen to pay 2400
         lyvers for the bringing home of 60 men custome and all other
         charges, wee conceive it to bee a very poore allowance seeing
         his Majesties custome amounteth to above 1000 lyvers and the
         very freight of our shipps coste above 4000 £. sterling besides
         Maryners wages and victualles.

         And also whereas his Lordshipp hath further agreed That de Caen
         shall pay the freight and all Charges of a shipp of 250 tonnes
         to fetch home our men and goodes and also to pay 30 per Cent
         for such goodes as wee shall have remayneing in the countrey,
         Wee marvell de Caen doth not send one & give order and security
         for the performance thereof, that soe wee [may send away
         a][843] shipp in good tyme, that the delivery of the Fort may
         be performed according to his Majesties Comaund. But wee hold
         it very unreasonable wee should have soe litle allowance 30 per
         cent for the reasons above expressed.

[Note 843: Effacé dans le manuscrit.]

         And lastly wee conceive the carryage of the busynes hath byn
         very unequall. For seeing our English Marchants have byn forced
         to goe into Fraunce to plead for such goodes as have byn taken
         from them by the French. Why should not the French come as well
         into England to plead for such goodes as have byn taken from
         them by the English. For all the world knoweth there is as good
31/1443  justice to be had in England as in France. For in the passage
         of the busynes for Canada, it is playne that the depositions of
         the French are fully approved and the English wholly rejected.
         Soe also in the proceeding about the shipp called the
         Benediction taken by the French; It appeareth by the English
         depositions that the goodes which the French tooke from the
         English amounted to 14000 £. sterling and upwards. Yet their
         witnesses are not received nor allowed. But what the French
         have deposed is come to their handes (being little more than
         halfe of the said somme) is yeilded unto and restitution to be
         made for noe more. Soe that according to that rule it had byn
         but reason the English should have made restitution for noe
         more then what they proved came to their handes of the
         Frenchmens goodes. But in the whole course of their
         proceedinges it appeares the French are to receive and pay
         accordinge to their owne proofes and the depositions of the
         English are neither regarded nor their proofes on either side
         admitted or accompted of.

         DAVID KIRKE for my mother

         Elizabeth Kirke.

         ROBERT CHARLTON.

         WILLIAM BARKELEY.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 53.)



                              XXIX, n. 1.

         May it please your Lordshipps.

         As I was comaunded by your Lordshipps order of the Five and
         twentieth of July last I have heard Captaine Man and Mr. Tomson
         traders about Canada, and not taking upon mee to examin whether
         the Traders offended against the priviledge granted by his
         Majestie or not, or whither they comitted any Contempt for that
         I conceived I was but to enforme myselfe what damages the
         Adventurers have susteyned and what profitt the other parties
         have made wherein I find that Captaine Kirke conceiveth
         himselfe damnified principally by the traders trucking for
         Bevers of which Captaine Man retorned 700 £. worth of Bever and
         some Elkes skynnes and Mr. Tomson retorned about 1200 £. worth
         of Bever, all which Captaine Kirke would have had allowed unto
         him besides amends for damages that may happen in the trade
         hereafter, but upon consideration of the Charge and expence the
         traders weare at in setting forth their shipps and it was but
         casuall whether those Bevers should ever have come to the
         handes of Captaine Kirke in case the Traders had not bought
         them, of the natives and although by their trading and giveing
         more to the natives for Bevers then was used there hath growen
         damage to the future trade, yett I find noe certainty that this
         shall fall uppon Captaine Kirke, and for that I cannot find
         that Mr. Tomsons voyage was profitable and the gaine of
         Captaine Mans voyage was not much, I proposed that for a finall
         end of those Controversies betweene them Captaine Man should
         pay 200 £. and that M. Tomson should pay 400 markes without
         expecting any of their assentes. All which I humbly leave to
         your honors judgement.

         WM. NOYE.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 66.)
32/1444


                               XXIX, n. 2.

         Quinto die Septembris Anno 1632.

         Annoque Octavo R. Caroli Anglie.

         John Peacocke Sollicitor to the Adventurers of Canada make
         oath, That according to a Report of his Majesties Attorney
         Generall, he this deponent repaired to the house of Morrice
         Thomson merchant the third of this present moneth of September
         and then and there demaunded of the said Morrice Thomson the
         somme of Fowre hundred markes to and for the use of the said
         Adventurers of Canada. The Answer of the said Tomson to this
         depont was, he owed the Adventurers nothing nor nothing would
         pay.

         Jo. PEACOCK.

         Jur: quinto die Septembris 1632.

         Ro. Riche.

         (Sur le dos est écrit.)

         5 Sept. 1632

         Mr. Atturney generalls Report in a difference betweene Captain
         Kirke on the one part and Mr. Tomson and Capt. Man on the other
         about trading to Canada.



                                XXIX, n. 3.

         To the right hono[ble] the Lords and others of his Majesties
         most hono[ble] privy Counsell.

         The humble petition of the Adventurers to Canada.

         Humbly shewing.

         That according to your Lopps. order of the 25th of July last to
         Mr. Attorney Generall he made his reporte and therein awarded
         Morrice Thomson to paie to your pet[rs] Fower hundred markes
         which hath beene demaunded as appeares by affidavit hereunto
         annexed, which he refuseth to pay and Captaine Eustace Man, Two
         hundred Poundes, who absents himselfe although they both
         submitted themselves to this hono[ble] Board as it appeares by
         the said Order.

         The Petitioners humblie desires your Lopps. to take this their
         Contempt and their former into your Lopps. consideration, as
         also the great charge your petitioner have bin att in the
         taking of the Fort of Quebeck and keeping it ever since, and
         the now delivering it to the French allmost to the Ruyne of
         their estate. All which wee have done at his Majesties and your
         Lopps. Comaundes and humblie leave to your grave judgments. And
         (according to our bounden duties) shall ever praie, etc.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 66.)



                                 XXX.

         The 17th June 1633.

         The Canada Adventurers demandes from Monsr. Guill[me] de Cane
         of Diepe are as followeth.

33/1445

         1. For the Charge of a Shipp of 250 tunnes for a voyage of 7
         monthes victualled and manned with 70 men for fetching home 100
         soldiers from the Forte of Kebecke in the river of Cannada
         being allowed by the Trinity House. 2550 £ 00 s. 00 d.

         2. For sundry goods delivered at Thadusacke the 28th June 1632
         by William Holmes unto Mr. Delarraldow [de la Ralde] amounting
         to in all as per particulers. 0617 £  02 s. 06 d.

         3. For 585 Beavers Marchants put aboard a French Pinace called
         the Lyon wherof Mr. de Rosse was Captaine being put abord by
         the order of Mr. de Cane and Monsr. La Rada the said skins doe
         weigh English waight 1000 lb. W[t] which at 25 s. per lb. is:
         1250 £ 00 s. 00 d.

         Summa 4417 £ 02 s. 06 d.

         (Sur le dos est écrit.)

         1634. Octob. 12. Demands of the Canada merchants.

         (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 75.)



                                 XXXI.

         Contrat de mariage de Samuel de Champlain. (Registre des
         Insinuations au Greffe du Chatelet.)

         Lundy, 270. jour de decembre 1610.

         Par devant Nicolas Chocquillot & Loys Arragon, notaires &
         Garde-nottes du Roy nostre Sire en son Chastelet de Paris
         soubssignez, furent presents en leurs personnes M. Nicolas
         Boullé, secretaire de la chambre du Roy, demeurant à Paris, rue
         & paroisse Sainct Germain l'Auxerrois, & Marguerite Alix sa
         femme, de luy auctorisée en cette partye au nom & comme
         stipulant & eulx faisant fort pour Héleyne Boullé leur fille à
         ce presente d'une part. Et noble homme Samuel de Champlain,
         sieur dudict lieu, capitaine ordinaire de la Marine, demeurant
         à la ville de Brouage, pays de Sainctonge, fils de feu Anthoine
         de Champlain, vivant capitaine de la Marine, & de Dame
         Marguerite LeRoy, ses pere & mere, ledit sieur de Champlain
         estant de present en ceste ville de Paris, loge rue Tirechappe,
         de la paroisse Sainct Germain d'Auxerrois, pour luy & en son
         nom d'autre part.

         Lesquelles partyes, & de bon gré, ont recogneu & confessé en la
         presence par l'advis & consentement de Messire Pierre du Gas,
         gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy & son Lieutenant
         General en la Nouvelle France, Gouverneur de Pons en Sainctonge
         pour le service de sa Majesté, amy; Honorable Homme Lucas
         Legendre, marchand bourgeoys de la ville de Rouen, aussi amy;
         Honorable Homme Hercules Rouer, bourgeois de Paris; Marcel
         Chesnu, marchand bourgeois de Paris; M. Jehan Roernan,
         secretaire dudict Sieur de Mons, amy dudit futur espoux, &
         Honorable Homme François Le Saige, apothicaire de l'ecurie du
34/1446  Roy, allié & amy; Jehan Ravenel, sieur de la Merrois; Pierre
         Noël, sieur de Cosigné, amy; Me Anthoine de Murad, conseiller &
         aumosnier du Roy, amy; Anthoine Marye, Me Barbier, chirurgien,
         allié & amy; Geneviefve Le Saige, femme de Me Simon Alix, oncle
         du costé maternel de laditte Héleyne Boullé; avoir faict,
         seignent & font entre eulx de bonne foy ledict traitté,
         accords, dons, douaires, promesses cy mentionnez qui ensuivent
         pour raison du mariage futur desdits Samuel de Champlain &
         Héleyne Boullé, qui ont promis & promettent prendre l'un &
         l'autre par nom & loy de mariage dedans le plus bref temps que
         faire se pourra & sera advisé entre eulx, leurs parents & amis,
         si Dieu & nostre mère Eglise s'y accordent, aux biens & droits
         à eulx appartenants qu'ils promettent porter l'un avec l'autre.
         Et pour estre unis & conjoincts entre eulx selon les us &
         coustumes de Paris; lequel mariage neantmoins, en consideration
         du bas aage de la ditte Héleyne Boullé, reste accordé qu'il ne
         se sera & effectuera qu'après deux ans d'huy finis & accomplis,
         sinon & plus tost si il est trouvé bon & advisé entre leurs
         parents & amis passer outre à la confection dudict mariage, en
         faveur duquel promettent & s'obligent solidairement ledict
         Boullé & sa femme de bailler & payer auxdicts futurs mariez par
         advancement d'hoyrie venant par ladicte Boullé aux successions
         futures de ses pere & mere la somme de six mille livres
         tournois en deniers comptans dans le jour précédant leurs
         espousailles, & par tant ledist sieur futur espoux a doué &
         doue laditte future espouze de la somme de dix-huict cents
         livres tournois en douaire prefix pour une fois payé à icelle
         douaire avoir & prendre par elle tost que douaire aura lieu sur
         tous & chacun les biens meubles & immeubles, presents & advenir
         dudict futur espoux, qu'il en a pour ce du tout us & coustume
         de Paris.

         A esté accordé que le survivant desdicts futurs mariez aura &
         prendra par préciput & avant que faire aucun partage des biens
         de leur communauté & hors part la somme de six cents livres à
         sçavoir ledict sieur futur espoux pour ses habits, couvert &
         chevaulx, & laditte future espouze pour ses habits, bagues &
         joyaulx, selon la prizée qui en sera faicte par l'inventaire, &
         sans ce ne faire sur icelle ou ladiste somme en deniers
         comptans audict choix & option dudict survivant, pourveu que
         lors de la dissolution dudict futur mariage il n'y ait enfant
         ou enfans vivant nez & procréez d'iceluy. Et recognoissent
         lesdicts futurs espoux, & ayant esgard à la grande jeunesse de
         ladicte Héleyne Boullé, & pour l'affection & amitié qu'ils luy
         portent, veult & entend ledict futur espoux après la
         consommation dudit mariage advancer & luy donner moyen de vivre
         & de s'entretenir après son deceds, & advenant qu'il fust
         prevenu de mort en ses voyages sur la mer & és lieux où il est
         employé pour le service du Roy, en ceste consideration &
         advenant, comme dict est, son deceds, veult & entend ledit
         futur espoux que laditte future espouze jouisse sa vye durant
         de tout & chacun les biens meubles & immeubles presents &
         advenir quelque part qu'ils soyent situez & assis, & qui
         pourront appartenir audict futur espoux soit par acquisition,
         successions, domaines ou aultrement, pourveu qu'il n'y ait
         enfant ou enfans vivans lors nez & procréez dudict futur
         mariage. Pour faire insinuer lequel dit contract au Greffe du
         Chastelet de Paris & part ou d'ailleurs où il appartiendra, ont
         lesdicts espoux faict & constitué & par ces presentes font &
         constituent leur procureur général & special le porteur des
         presentes... Faict & passé à Paris en laditte rue & paroisse
         Sainct Germain, Enseigne du miroir, après midy, l'an mil six
35/1447  cents dix, le lundy vingtseptiesme jour de décembre. Et ont
         lesdicts futurs espoux & aultres susnommez signé la minute des
         présentes, demeurée vers Arragon l'un de nous soubssignez.

         (Signé) CHOCQUILLOT & ARRAGON. [844]

[Note 844: Le successeur d'Arragon demeure Boulevard Saint-Martin,
celui de Chocquillot rue de Provence, No. 56. (Note de M. Lafontaine.)]

         Et plus bas est escript ce qui ensuyt:

         Ledict Sieur de Champlain, sieur dudict lieu comme dessus
         nommé, confesse avoir eu & receu desdicts Nicolas Bouller &
         Marguerite Alix sa femme aussy cy dessus nommez ledict Boullé à
         ce present la somme de quatre mille cinq cents livres sur & en
         moings de la somme de six mille livres tournois, audist Sieur
         de Champlain promis en faveur du mariage de luy & d'Héleyne
         Boullé... Faict & pasé à Paris en l'estude des notaires
         soubssignez après midy l'an 1610, le mercredy vingtseptiesme
         [845] jour de décembre. Et ont signé la minute des presentes
         estant au bas de la minute. Ledict contract de mariage signé de
         Chocquillot & Arragon.

[Note 845: Le mercredi était le vingt-neuvième.]



                                 XXXII.

         Lettre de Champlain au Card. de Richelieu 1635. [846]

[Note 846: L'original est à Paris, aux Archives des Affaires
Étrangères.]

         Monseigneur,

         L'honneur des commandements que j'ay receu de vostre Grandeur
         m'a depuis plus relevé le courage à vous rendre toutes sortes
         de services avecque autant de fidellité & d'affection que l'on
         sçauroit souhaitter d'un fidelle serviteur. Je n'y espargneray
         ny mon sang, ny ma vye dans les occasions qui s'en pourroient
         rencontrer. Il y a assés de subject en ces lieux, sy vostre
         Grandeur desire y contribuer son authorité, laquelle
         considerera, s'il luy plaist, l'estat de ce païs qui est tel,
         que l'estendue est plus de quinze cents lieues de longitude,
         accompagné d'un des beaux fleuves du monde, sur les mesmes
         paralleles de nostre France, où nombres de rivieres longues de
         plus de quatre cents lieues s'y deschargent, qui embellissent
         ces contrées habitées de nombre infiny de peuples, les uns
         sedentaires ayans villes & villages, bien que formez de bois à
         la façon des Moscovites, aultres qui sont errans, chasseurs &
         pescheurs, tous n'aspirant que avoir un nombre de François &
         Religieux pour estre instruicts à nostre foy. La beauté de ces
         terres ne peut se trop priser ny louer, tant pour la bonté des
         terres, diversité des bois comme nous avons en France, comme la
         chasse des animaux, gibier & des poissons en abondance d'une
         monstrueuse grandeur, tout vous y tend les bras, Monseigneur, &
         semble que Dieu vous ayt reservé & faist naistre par dessus
         tous vos devanciers pour y faire un progrés agréable à Dieu
         plus que aucun n'a faict. Depuis trente ans que je fréquente
         ces contrées, qui m'a donné une parfaicte cognoissance tant par
         expérience & le rapport que m'ont faict les habitans de ces
         contrées. Monseigneur, pardonnez s'il vous plaise à mon zèle,
         si je vous dy que, aprés que vostre renommée s'est estendue en
         Orient, que la fassiez achever de cognoistre en l'Occident,
36/1448  comme elle a très prudemment commencé à chasser l'Anglois de
         Québec, lequel neantmoins, depuis les traictez de paix faict
         entre les couronnes, vient encore traicter & troubler en ce
         fleuve, disant qu'il leur a esté enjoinct d'en sortir, mais non
         d'y rester, & pour ce ont congé de leur Roy pour trente ans.
         Mais quand vostre Eminence voudra, elle leur pourra encore
         faire ressentir ce que peult vostre authorité, qui se pourra
         encore estendre, s'il luy plaise, à ce subject qui se presente
         en ces lieux, à faire une paix générale parmy ces peuples, qui
         ont guerre avec une nation qui tiennent plus des quatre cents
         lieues en subjection, qui faict que les rivieres & les chemins
         ne sont libres. Que si ceste paix se faict, nous jouyrons de
         tout & facilement: ayans le dedans des terres, nous chasserons,
         & constraindrons nos ennemis tant anglois que flammands, à se
         retirer sur les costes, en leur ostant le commerce avecque
         lesdicts Iroquois, ils seront constraincts d'abandonner le
         tout. Il ne fault que cent vingt hommes armez à la légère, pour
         esviter les flesches; ce que ayant, avec deux ou trois mille
         Sauvages de guerre nos alliez, dans un an on se rendra maistres
         absolus de tous ces peuples, en y apportant l'ordre requis, &
         cela augmentera le culte de la religion, & un trafic
         incroyable. Le païs est riche en mines de cuivres, fer, acier,
         potin, argent & aultres minéraux, qui s'y peuvent rencontrer.
         Monseigneur, le coust de six vingts hommes est peu à sa
         Majesté, l'entreprinse honorable autant qu'il se peult
         imaginer.

         Le tout pour la gloire de Dieu, lequel je prye de tout mon
         coeur vous donner acroissement en la prosperité de vos jours, &
         moy d'estre tous les temps de ma vye,

         Monseigneur,

         Vostre très humble, très fidelle & très obeissant serviteur

         CHAMPLAIN.

         A Québec, en la Nouvelle

         France, ce 15e d'aoust 1635.



1/1449
                           TABLE DES MATIÈRES
                  CONTENUES DANS LES OEUVRES de Champlain.

         N. B. Les chiffres renvoient aux numéros d'ordre qui se
         trouvent au bas des pages. Ce signe... marque les renvois qui
         ont moins d'importance, mais qui peuvent être utiles dans
         certaines recherches.

         ABENAQUIS, ou ABENAQUIOIS; sollicitent l'alliance des Français
         contre les Iroquois, 1180--l'auteur envoie reconnaître leur
         pays, 1182-3--retour des envoyés, et leur rapport, 1216.

         ABRIOU, fils de Marchim; lui succède, 274.

         ACADIE (côte d'), 115--comprend le pays des Almouchiquois,
         122--mines de cette côte, 114, 121, 123--le cap de La Hève est
         «joignant cette côte», 156--«la grande rivière Saint-Laurent
         côtoie la côte d'Acadie», 183--... 561, 711, 728, 1067, 1159.

         ACHELACY, pour ACHELAYI, ou Achelaï, ancien, nom sauvage de la
         pointe de Sainte-Croix (aujourd'hui le Platon), 309.

         AÇORES, ou ESSORES, «où les vaisseaux des Indes prennent
         hauteur», 51.

         AIGLE (cap à l'), différent de celui qui porte aujourd'hui le
         même nom, 293 note 4; 790, note 4.

         ALBERT (le capitaine), commandant du fort Charles, en Floride,
         672--... 689.

         ALFONSE (Jean), pilote de Roberval, 151, 692.

         ALEXANDER (Sir), chevalier, 1221.

         ALGONQUINS, primitivement Algoumequins, 72, 73--danse
         algonquine, 72, 75, 76--... 103--éloignés de la grande rivière
         de soixante lieues, 105--... 109-11--quelques-uns cultivent la
         terre, 317--se joignent aux Hurons (1609) pour faire la guerre
         aux iroquois, 323, 346, 801-26--expédition de 1610, 356,
         358-77--descendent à la traite (1611) au saut Saint-Louis et à
         Tadoussac, 397-412--leur pays, 447 et suiv., 857 et suiv.--un
         parti d'Algonquins est cause de la rupture de la paix avec les
         Iroquois, 1127.

         ALGONQUINS (île des), ou île de Tessouat, aujourd'hui île des
         Allumettes, 455, 456, 466, 468, 880, 881.

         ALGONQUINS (lac des), aujourd'hui lac des Allumettes, 508.

         ALGONQUINS (rivière des), ancien nom de l'Outaouais, 105, 108,
         110--description de cette rivière, 444-70, 508, 509,
         858-82--les sauvages vont au Saguenay par cette rivière,
         509--... 857.

         ALMOUCHIQUOIS. Voyez _Armouchiquois_.

         ALOUETTE (l'), petit vaisseau des Jésuites, 1080-1--La Ralde
         fait demander ce vaisseau (1626) à Miscou, pour l'aider contre
         les traiteurs désobéissants, 1113.

         ALOUETTES (pointe aux), ou pointe Saint-Mathieu,
         69--description qu'en fait l'auteur, 74--... 287, 787, 1010,
         1015, 1095.

         ANADABIJOU, grand sagamo, 70--réception qu'il fait à Pont-Gravé
         et à l'auteur, 70-1--recommande à Pont-Gravé le fils de
         Bechourat, 126-7--les Algonquins, à l'occasion de sa mort, font
         un présent à son fils, 410--... 1024, 1026.

         ANASSOU, capitaine sauvage; M. de Monts fait alliance avec lui,
         222.

         ANEDA, capitaine sauvage de la baie de Casco, 198.

         ANGLAIS; détroit trouvé par eux, 148--les Anglais de la
         Virginie surprennent l'établissement de La Saussaye, et
2/1450   ravagent l'Acadie, 773 et suiv.--première tentative pour
         s'emparer du Canada, 1155-61--prennent le vaisseau de
         Roquemont, 1164-7, 1192--nouvelle de leur retour,
         1220--paraissent derrière la pointe Lévis (1629), 122l--force
         de leur flotte, 1239--s'emparent de Québec, 1222-32--emmènent
         sur leurs vaisseaux les Français de Québec, 1276--leurs
         prétentions sur la priorité des découvertes en Amérique,
         1306-13.

         ANGLAIS (port aux), aujourd'hui Louisbourg, 280, 763.

         ANNE (cap), visité par Champlain, et M. de Monts. Voyez Iles
         (cap aux).

         ANSELME (Hubert), commandant d'un vaisseau de la compagnie des
         Cent-Associés (1631) destiné pour Tadoussac; relâche à Miscou,
         1315.

         ANTICOSTI, grande île située à l'entrée du fleuve
         Saint-Laurent, 67--description de cette île, 1087-8--... 1276.

         ANTONS (le sieur des), de Saint-Malo, apporte des vivres à
         Sainte-Croix, 224--occupé à la pèche à Canceau, 238 va à Port
         Royal, ibid--retourne à Canceau, ibid.

         ANVILLE (duc d'), amiral de France, approuve le projet de
         société formé par l'auteur, 886.

         ARCADIE, pour ACCADIE, ou Acadie, 115. Voyez Acadie.

         ARGALL (Samuel), capitaine anglais, s'empare de l'établissement
         de La Saussaye, à l'île des Monts-Déserts, 773-6--se résout à
         montrer la commission de La Saussaye, qu'il avait dérobée,
         776--dévaste Sainte-Croix et Port-Royal, 777--retourne en
         Virginie, 778.

         ARMOUCHIQUOIS, ou Almouchiquois, sauvages à la côte d'Acadie,
         122--redoutés des Souriquois, ibid--exploration de la côte des
         Armouchicois, 193-224, 731-60--... 270-1--Chouacoet fait partie
         de leur pays, 271--... 561--moeurs et coutumes, 737, 750-2,
         756-8--leur manière de faire les canots, 743-4--chemin à suivre
         pour aller du lac Champlain à la côte des Armouchiquois, 818.

         ARMOUCHIDES, sagamo ou chef sauvage, 113.

         ARNANDEL (Joannis) capitaine de vaisseau, de Saint-Jean-de-Luz,
         faisant la pêche à Miscou (1631), 1318-19--son vaisseau saisi
         par Dumay et Gallois, 1319--son équipage le délivre, et il se
         maintient par la force, 1320.

         ASISTAGUERONON, ou Atsistahéronon, nation du Feu, ennemie des
         Cheveux-Relevés et de la nation Neutre, 546, 931.

         ASTICOU, nom algonquin du saut de la Chaudière, sur
         l'Outaouais, 449, 862.

         ATTIGOUANTAN, ou Attignaouantan, nation de l'Ours, l'une des
         principales tribus huronnes, 511--l'auteur arrive chez cette
         tribu, 514--... 551,628.

         ATTIGOUANTAN (lac des), aujourd'hui lac Huron. L'auteur lui
         donne le nom de mer douce, 513. Voyez Douce (mer).

         ATTIOUANDARONK. Voyez Neutre (nation).

         AUBRY (messire Nicolas), prêtre, écarté dans le bois dix-sept
         jours, 164-5.

         AUMONT (maréchal d'); l'auteur sert sous lui, 5, 702.

         BACCHUS (île de), à la côte des Almouchiquois, 199-200--...
         202, 241, 736.

         BAHAMA, ou BAHAM, canal, 49, 50.

         BAILLIF (le), natif d'Amiens, aide de sous-commis, à Tadoussac
         (1622), 1038--se donne aux Anglais, 1228--le capitaine Louis
         Kertk lui remet les clefs du magasin de Québec, ibid--M. de
         Caen l'avait chassé pour mauvaise conduite, 1229--s'empare, au
         magasin, de tout ce qui appartenait à ce dernier, ibid--vole au
         commis Corneille cent livres en or et en argent, avec plusieurs
         effets, 1231--sa conduite scandaleuse lui attire le mépris même
         des Anglais, ibid--maltraite les Français de Québec, 1305.

         BAILLIF (le P. Georges le), à Québec (1621); instruction qu'il
         avait de la part du vice-roi, 995-6--commission que lui donne
         l'auteur, 1001-2--député à Tadoussac auprès du sieur de Caen,
         1008-9--revient rendre compte de sa mission, 1009-10--détermine
         l'auteur à y descendre, 1010---l'y accompagne, 1010-12--part
         avec Pont-Gravé pour la France, porteur d'une requête des
         habitants du pays, 1018.

         BALEINES (port aux), dans l'île du Cap-Breton, 1285.

         BANAMA. Voyez Panama.

         BANC de Terre-Neuve, ou le Grand-Banc, 66, 127, 280, 349,
         435-6, 666.

3/1451   BARRÉ (Nicolas), remplace le capitaine Albert au fort Charles,
         en Floride, 673.

         BASQUES. Ils se fortifient à l'île Saint-Jean (1623), et se
         saisissent du vaisseau de Guers, 1045.

         BASQUES (anse aux). Voyez _Chasaut-aux-Basques_.

         BATISCAN, capitaine sauvage, 356, 389, 1198.

         BATISCAN (rivière de), 91.

         BATTURIER (cap), à douze ou treize lieues de Mallebarre, 247,
         755.

         BAUDE (Moulin-), lieu ainsi nommé près de Tadoussac, 986, 1092,
         1106--les vaisseaux de Kertk mouillés en cet endroit (1629),
         1239, 1243, 1244, 1249.

         BAYONNE (île de), en Gallice, 7.

         BEAU CHAINE, l'un des facteurs et commis de la compagnie des
         marchands, 612.

         BEAULIEU (le sieur de), conseiller et aumônier ordinaire du
         roi; par son entremise, l'auteur s'adresse au comte de Soissons
         pour l'engager à prendre le Canada sous sa protection, 432.

         BEAUMONT (le sieur), maître des requêtes; conseille au maréchal
         de Thémines de demander la charge de lieutenant pendant la
         détention du prince de Condé, et l'obtient, 966.

         BEAU-PORT (le), aujourd'hui Gloucester, dans le Massachusets,
         242-4, 752.

         BECHOURAT, chef montagnais, probablement le même que Begourat;
         donne son fils à Pont-Gravé pour l'emmener en France, 126.

         BEDABEDEC, pointe basse à l'ouest de l'entrée de la rivière de
         Pénobscot, 180, 181, 185, 187, 194,726--montagnes de Bedabedec,
         731.

         BEGOURAT, sagamo montagnais, 121, 126.

         BERGERONNES (les grandes et les petites), ou Bergeronnettes,
         1092, 1106.

         BERMUDE (la), île dangereuse, 50.

         BESOUAT, pour Tesouat, Voyez Tessouat.

         BESSABEZ, chef sauvage de la rivière de Pénobscot, 179,
         183--son entrevue avec l'auteur, 184, 185--... 265, 267, 725,
         729, 730.

         BIARD (le P. Pierre), jésuite, missionnaire en Acadie, 766 et
         s.--pris par les Anglais à Saint-Sauveur, 773--conduit en
         Virginie, et menacé de la mort par le Mareschal, 776--8--sa
         générosité envers le capitaine Turnel, 778-9--conduit en
         Angleterre, et de là en France, 780.

         BIC (le), ou le Pic, 68--un vaisseau rochelois fait la traite
         dans les environs (1624), 1059--... 1063, 1092, 11055--Desdames
         y apprend la nouvelle de la prise de Québec, 1247.

         BIENCOURT (Charles de), sieur de Saint-Just, fils de M. de
         Poitrincourt; va trouver son père à Port-Royal, 387--l'y
         remplace, 765--âgé d'environ dix-neuf ans (1610), 767--repasse
         en France, ibid--son association avec les pères Jésuites,
         768--retourne à Port-Royal (1611), 768-9--y demeure, 769, 770,
         772--encore en Acadie en 1624, 1067.

         BISEAU (M. du), ambassadeur de France en Angleterre,
         780--obtient la délivrance du sieur de La Mothe, ibid.

         BLANC (cap), aujourd'hui cap Cod, 212, 244-5, 748, 753.

         BLANCHE (baie), ou baie du cap Blanc (cap Cod), 244, 752.

         BLAVET, évacué par les Espagnols, 6, 7, 701-2--... 16.

         BONAVENTURE (île de), près de Percé, 113, 1181, 1187.

         BONNERME, chirurgien, à Québec; l'auteur le fait emmenotter,
         301--remis en liberté, ibid--sa mort, 318.

         BORGNE (le), chef algonquin, 1198.

         BOULLÉ (Eustache), beau-frère de l'auteur, vient en Canada
         (1618), 599--rencontre sa soeur à Tadoussac (1620), 986--monte
         à Québec, 989--l'auteur le met au fort (1621) avec Dumay et
         quelques autres, 1001--nommé lieutenant de Champlain (1625),
         1079--député (1627) par l'auteur aux Trois-Rivières, pour
         prévenir une rupture avec les Iroquois, 1120--revient à Québec,
         1121--... 1182-3--l'auteur l'envoie (1629) vers le Golfe, avec
         une trentaine de compagnons, chercher passage pour la France,
         1214--pris par les Anglais, 1240, 1244--fait à l'auteur le
         récit de son voyage, 1240-4--accompagne le général anglais à
         Québec, 1252.

         BOULAY (rivière du), dans l'Acadie, 160, 715.

         BOURDET (le capitaine), commandant au fort de la Caroline, 674.

         BOUTONNIÈRES (cap des), 1090.

4/1452   BOUTRON, petite ville de la Nouvelle-Espagne, 25.

         BOUVIER ou BOVIER, marchand, en traite au saut Saint-Louis
         (1611), demande aux Hurons d'emmener avec eux un de ses hommes,
         406--l'auteur a quelques paroles avec lui à ce sujet,
         408--Iroquet se charge de cet homme, ibid.

         BOYER, de Rouen, chirurgien, panse la blessure de l'auteur
         (1610), 365--arrive à Tadoussac (1613), 437.

         BOYER, peut-être le même que le précédent; grand chicaneur,
         fait signifier à l'auteur un arrêt du parlement, 968-9---...
         981--deux familles inutiles, venues de sa part, sont renvoyées
         en France par l'auteur, 1019.

         BREBEUF (le P. Jean de), jésuite, arrive en Canada,
         1070--revient (1629) du pays des Hurons, 1218.

         BRÉCOURT (le sieur de), receveur de l'amirauté, 984.

         BRETON (cap), dans l'île Saint-Laurent, ou du Cap-Breton,
         115--... 386--plusieurs vaisseaux y périssent (1613), 436--...
         711.

         BRETON (le capitaine), bon marinier anglais, avait bien traité
         les Jésuites au retour du Canada, (1629), 1304--revient de
         Québec, (1630), ibid.

         BRETONS (les), furent des premiers à découvrir les terres
         neuves, 666.

         BRION (île de), dans le golfe Saint-Laurent, 1084.

         BRISSAC (maréchal de), 5, 6, 441, 702, 856.

         BRUGES (David de), pilote, 769.

         BRÛLÉ (cap), près du cap Tourmente, 1102.

         BRÛLÉ (Étienne), de Champigny, truchement pour les Hurons,
         député vers les Carantouanais, 523, note 1--demeure avec eux,
         590--depuis huit ans parmi les sauvages, 621 (voir
         368)--raconte à l'auteur ses aventures au pays des
         Carantouanais, 622-9--retourne avec les Hurons, 629--à Québec,
         en 1623; va au-devant des sauvages pour les faire hâter,
         1043--rencontre les Hurons au saut de la Chaudière, 1045--sa
         mauvaise conduite, 1065--se donne aux Anglais, 1228,
         1249--reproches que lui adresse l'auteur, 1249--monte au pays
         des Hurons, 1251.

         BRÛLÉ (l'îlet), près de Tadoussac, 1095.

         BUREL (le frère Gilbert), jésuite, arrive à Québec, 1070.

         BURLAMAQUI, ambassadeur du roi d'Angleterre en France, donne
         des assurances que le Canada sera remis aux Français, 1326.

         CABAHIS, chef sauvage, 183--son entrevue avec l'auteur, 184,
         186--renseignements qu'il lui donne sur la rivière de
         Pénobscot, 186--... 729-30.

         CABOT (Jean); commission qu'il reçoit du roi d'Angleterre, 150.

         CABOT (Sébastien), fils de Jean; au service de l'Angleterre,
         150, 1312.

         CADIX. Plan de cette ville en 1598, par Champlain, 7.

         CAEN (Émeric de), neveu du sieur Guillaume; celui-ci le laisse
         à Québec (1624) pour principal commis, 1067--commande en
         l'absence de Champlain, ibid--vice-amiral de la flotte (1626),
         1080--arrivé à Percé, 1081--prend le commandement du vaisseau
         de La Ralde, avec la condition que les Huguenots n'y chanteront
         pas les psaumes, 1104-5--dépêche de Tadoussac une chaloupe à
         Québec, 1105--La Ralde lui écrit de Miscou de lui envoyer le
         petit vaisseau des Jésuites, Y Alouette, 1113--part de Québec,
         ibid--son arrivée (1627), 1121--monte aux Trois-Rivières pour
         se rendre à la traite, ibid--s'efforce d'empêcher la rupture de
         la paix, 1122--... 1125--redescend à Québec, et de là à
         Tadoussac, 1128--occupé à la pêche de la baleine, 1130--appelé
         cousin de M. de Caen (Guillaume), 1235, 1240--rencontre Thomas
         Kertk vis-à-vis la Malbaie, 1235--pris par les Anglais,
         1236-9--détails sur ce qui lui était arrivé antérieurement,
         1240-7--retourne en Canada (1631), sur le vaisseau de Guillaume
         de Caen, 1323--les Anglais ne lui permettent pas de traiter,
         1324-5.

         CAEN (Guillaume de); lettre qu'il adresse à l'auteur (1621),
         993, 995--ce que mande à son sujet le sieur Dolu, 995--pouvoirs
         à lui donnés par le vice-roi, 996,999--nouvelles lettres qu'il
         adresse à l'auteur, 1007--surprend une lettre, avec copie d'un
         arrêt en faveur de l'ancienne compagnie, adressée à Pont-Gravé,
         laquelle annonçait que cet arrêt lui avait été signifié à
5/1453   Dieppe, ibid--teneur de cet arrêt, 1007-8--l'auteur lui députe
         le P. le Baillif et Guers, 1008--saisit le vaisseau de
         Pont-Gravé, à Tadoussac, 1009-13--traite avec l'auteur de ce
         qu'il y a à faire pour l'habitation, 1013-17--part de
         Tadoussac, 1017--l'auteur envoie au-devant de lui à son retour
         (1622), 1034--passe deux jours à Québec, et remonte aux
         Trois-Rivières, 1035--revient à Québec et descend à Tadoussac,
         1037--arrive de France (1623); sa réception à Québec,
         1044--monte à la traite, ibid--va visiter le cap Tourmente avec
         l'auteur, 1051--cause de son retard en 1624, 1060-1--nouvelle
         de son arrivée, 1063--arrivée Québec, 1064--monte aux
         Trois-Rivières, 1065--en revient et va de nouveau visiter le
         cap Tourmente, ibid--dit à l'auteur que M. de Montmorency le
         lui a concédé avec l'île d'Orléans et quelques autres îles,
         1065-6--revient à Québec, 1066--laisse Émeric de Caen à Québec
         (1624) pour principal commis, 1067--arrête à Gaspé, 1068--amène
         (1625) les Jésuites à Québec, 1076--ses difficultés avec les
         anciens associés, 1077-9--laisse Pont-Gravé libre de repasser
         en France, ou de rester à Québec (1626), 1113--prie Pont-Gravé
         (1627) de retourner hiverner à Québec, et l'y décide, 1125--a
         quelques démêlés avec le P. Noirot, 1129--refuse d'employer ses
         hommes au fort, 1132--déposé par la nouvelle société, 1164--...
         1165-6--avait envoyé des meules de moulin, qui restèrent à
         Tadoussac, par la négligence des commis, 1171-2--...
         1210-1--envoie quelques secours à Québec, en attendant ceux de
         M. de Rasilly, 1240--l'auteur le rencontre qui s'en allait en
         Angleterre, pour y faire valoir ses droits, 1281--son vaisseau
         part pour le Canada avec un congé du cardinal de Richelieu pour
         cette année seulement (1631), sous le commandement de son neveu
         Émeric, 1323.

         CAHIAGUÉ, appelé plus tard Saint-Jean-Baptiste, village huron,
         où séjourna l'auteur, 517, 518, 520, 522, 544, 907, 909, 929.

         CAIOU, rivière du Mexique, 28.

         CAMPÊCHE (côte de), où il y a quantité de sel, 46.

         CANADA. Description générale de ce pays, 67-124, 557-61,
         1082-1103.

         CANADA (grande baie de), 67.

         CANADA (grande rivière de), ancien nom du Saint-Laurent, 68,
         89,94, 95, 124.

         CANADA (terre de, ou province de), au temps de Cartier, 306-8.

         CANADIENS, ou CANADOIS, nom sous lequel on a désigné d'abord
         les sauvages du bas du fleuve, 184, 743.

         CANANÉE, pilote; parti de Gaspé pour Bordeaux, est pris par les
         Turcs, 1068-9.

         CANARIES (les îles), 9.

         CANCEAU, port d'Acadie, rendez-vous des vaisseaux de M. de
         Monts, 155--Pont-Grave y saisit quelques vaisseaux basques,
         157--... 234, 236, 273, 275, 278, 280, 384 762,--le petit
         passage, 1087.

         CAP-BRETON (île du), appelée encore Saint-Laurent, 115, 155,
         170, 279, 1084--description de cette île, 279-80, 763--... 561.

         CAQUEMISTIC, sauvage montagnais; le P. Charles Lalemant baptise
         un de ses enfants, 1115--l'enfant est enterré au cimetière de
         Québec, ibid.

         CARANTOUAN, village situé à quelques journées au sud des
         Tsonnontouans, 520 note 1, 590, 622-5.

         CARANTOUANAIS, habitants de Carantouan, probablement les mêmes
         que les Andastes, 520 note 1--expédition combinée avec les
         Hurons contre les Tsonnontouans, 520, 523, 622-4.

         CARHAGOUHA, village huron. L'auteur y trouve rendu le P. le
         Caron, 516-7, 906-7--première messe dite en ce village,
         517--l'auteur y retourne voir le P. le Caron, 545.

         CARMARON, nom, probablement défiguré, d'un village huron;
         l'auteur y est bien reçu, 515.

         CAROLINE (la), fort élevé en Floride par Laudonnière, 674--...
         677, 684.

         CARON (le P. Joseph le), récollet, choisi pour les missions du
         Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--monte au saut Saint-Louis
         sans s'arrêter à Québec, 498--revient à Québec chercher des
         ornements d'église, ibid--son zèle pour le salut des sauvages,
         501, 502--l'auteur le rencontre qui remontait, 504--part du
         saut Saint-Louis pour hiverner avec les Hurons, 506-7--fixe sa
6/1454   demeure au village de Carhagouha, 517--y célèbre la première
         messe, ibid--l'auteur vient le revoir après l'expédition contre
         les Iroquois, 545... 592--retourne en France, 593--... 614--à
         Québec (1618),615--passe trois mois avec les sauvages (1623),
         1040-1--retourne au pays des Hurons (1623) avec le P. Viel et
         le F. Sagard, 1050--... 1063--revient de France (1626), 1080,
         1108--baptise un jeune sauvage nommé Louis, 1121, 1183--et un
         autre sauvage nommé Martin, 1142-3--gardien en 1629, 1184--...
         1198.

         CARTHAGÈNE, ville de la Nouvelle-Grenade, 13--l'auteur y
         demeure un mois et demi, et en fait le plan, 47.

         CARTIER (Jacques), de Saint-Malo; on avait cru, pendant quelque
         temps, qu'il avait hiverné à la rivière qui porte son nom,
         91--... 150--l'auteur prouve que Cartier hiverna près de
         Québec, dans la rivière Saint-Charles, 304-9--... 322,
         415-l6--résumé de ses voyages par l'auteur, 668-71, 1310.

         CATHERINE (la), ou Sainte-Catherine, vaisseau de 250 tonneaux,
         sur lequel revint l'auteur en 1626, 1080-1--part de Tadoussac
         (1627), 1130.

         CAUMONT (Jean), dit le Mons, probablement celui qui plus tard
         est connu sous le nom de Gaumont; commis au magasin (1620-21),
         99--part pour Tadoussac (1621), rencontre le capitaine Dumay,
         et retourne avec lui, 992--... 996.

         CAYMAN (les îles), 22.

         CHABOT (Philippe), amiral de France, 668.

         CHABOT. Voyez Cabot.

         CHAFAUT-AUX-BASQUES, 1096-7--Emery de Caen y mouille en 1629,
         1245.

         CHALEURS (baie des), 114, 116, 1085-6.

         CHAMBLY (rapides de). Voyez Iroquois (saut des).

         CHAMBREAU, maître d'un vaisseau de Bordeaux, au Cap-Breton en
         1629, 1285.

         CHAMPDORÉ (Pierre-Angibaut, dit), l'un des pilotes de M. de
         Monts, dans son voyage à la côte des Almouchiquois, 221--...
         230, 231--opiniâtre et peu entendu au fait de la marine, 232,
         239--Pont-Gravé fait informer contre lui, 232-3--le fait
         désemmenotter pour travailler à une barque, 233--désemmenotté
         une seconde fois pour remédier à un accident, 235--Pont-Gravé
         lui fait grâce, à la prière de l'auteur et d'autres, 235--reste
         à Port-Royal, 238--... 278.

         CHAMPLAIN (Samuel de). Employé dans l'armée, en Bretagne,
         5--passe en Espagne, 5-7--part pour les Indes-Occidentales,
         9--se rend à Mexico, 25--retourne en Espagne au bout de deux
         ans et deux mois, 49-52--son premier voyage au Canada, 65,
         701-2--entre dans le Saguenay jusqu'à douze ou quinze lieues,
         84--son voyage au saut Saint-Louis, 86-112--et à Gaspé,
         112-19--rapport que lui fait Prévert sur les mines d'Acadie et
         sur le gougou, 121-6--retourne en France, 127--rend compte de
         son voyage au roi, 153, 704--M. de Monts lui demande de
         l'accompagner à la Nouvelle-France, 706--part du.
         Havre-de-Grâce (1604), 155--chargé par M. de Monts d'aller
         reconnaître les lieux, 157-62--explore avec lui la baie
         Française, 165 et suiv.--son logement à Sainte-Croix, 176--fait
         l'exploration de la côte de Norembègue, 177-87, 724-31--de la
         côte des Almouchiquois, 193-224, 238-63, 731-59--son occupation
         à Port-Royal, 226-7--va à la rivière Saint-Jean, 227--part avec
         Pont-Gravé pour la côte de la Floride, et fait naufrage,
         229-32--demeure à Port-Royal avec M. de Poitrincourt, 238--y
         fait un chemin de l'habitation à la Truittière, 264--établit
         l'ordre de Bon-Temps, 268--explore, avec M. de Poitrincourt, le
         fond de la baie Française, 271-3--son retour en France (1607),
         274-81, 760-4--rend compte de ses voyages à M. de Monts,
         283--ce qu'il dit de ses premières cartes, 283, 759-60--chargé
         par M. de Monts de faire une habitation sur le fleuve
         Saint-Laurent, 283-4--part de Honfleur (1608), et vient fonder
         l'habitation de Québec, 286-96, 303-4, 783-4,
         792-3--conspiration contre sa vie, 296-302--sa première
         expédition contre les Iroquois (1609), 321-48, 801-26--laisse
         pour commandant à Québec Pierre Chavin, et retourne en France,
         348--rapport de son voyage à Henri IV et à M. de Monts,
         349-51--encourage M. de Monts à ne pas abandonner l'habitation
         de Québec, 785--voyage de 1610, 351-74,785, 826-35--sa seconde
         expédition contre les Iroquois (1610), 358-70, 826-35--fait
7/1455   réparer les palissades autour de l'habitation de Québec,
         371--va trouver Pont-Gravé à Tadoussac, et le dissuade
         d'hiverner, 321-2--repasse en France, 373-7--voyage de 1611,
         379-413, 838-53--danger qu'il court dans les glaces,
         379-87--travaux qu'il fait faire à la Place-Royale (Montréal),
         392-3, 838-41--M. de Monts lui remet (1611-12) le soin de
         former une nouvelle société, 413-4, 432, 885--ses deux cartes
         de 1612 et 1613, 4l 8-22--moyen qu'il donne pour prendre la
         ligne méridienne, 422--nommé lieutenant du comte de Soissons,
         433, 886-91--lieutenant du prince de Condé, 434.
         891-2--difficultés que lui suscitent les marchands (1612-13),
         435, 892-3--son voyage de 1613 sur l'Outaouais, 435-74, 854-84,
         893--nouvelles difficultés de la part des marchands (1613-14),
         894-6--va à Fontainebleau faire rapport de son voyage au roi et
         au prince de Condé, 894--forme une nouvelle compagnie entre les
         marchands de Rouen et de Saint-Malo, auxquels refusent de se
         joindre les Rochelois, 894-7--s'occupe (1614) de procurer des
         missionnaires au Canada, 490-7--part de France (1615) avec
         quatre récollets, 496-7, 897--fait travailler à l'habitation de
         Québec, à la construction d'une chapelle et au logement des
         Récollets, 499--se décide à aller au pays des Hurons, et à les
         accompagner dans une expédition contre les Iroquois, 502 et
         suiv., 898 et suiv.--il y est blessé de deux coups de flèche,
         533,920--contraint d'hiverner avec les Hurons, 536,
         922--visite, avec le P. le Caron, la nation du Petun, 545-6,
         930--puis celle des Cheveux-Relevés, 546-8, 931-2--choisi pour
         arbitre dans un différend entre les Hurons et les Algonquins,
         549-56, 933-40--redescend à Québec, et repasse en France,
         590-6, 963-5--son voyage de 1617, 596-8, 968-9--revient à
         Québec (1618) avec son beau-frère, 599-601, 614-5--y fait
         construire un fourneau, 615-6--monte aux Trois-Rivières avec le
         sieur de La Mothe, 617-8--retourne en France, 630-1--motifs de
         ses voyages et de ses travaux, 972--se dispose (1619) à
         conduire sa famille au Canada, 978-9--la compagnie des
         marchands veut lui retirer le commandement de Québec, pour le
         donner à Pont-Gravé, 978-80--lettre du roi et arrêt du conseil:
         en sa faveur, 980-2--nommé lieutenant de M. de Montmorency,
         983--autre lettre du roi en sa faveur, 984--amène sa famille au
         Canada (1620), 985-9--travaux qu'il fait faire à l'habitation
         de Québec, 990-1--reçoit (1621) des lettres du roi, de M. de
         Montmorency, de M. de Puisieux, des sieurs Dolu, Villemenon et
         de Caen, 993-5--accommode les difficultés entre l'ancienne et
         la nouvelle compagnie, 996-1015--fait parachever le magasin de
         Québec, 1015-6--diverses entrevues avec Mahigan-Atic, qu'il
         fait capitaine, 1022-8--favorise les négociations de paix avec
         les Iroquois, 1029-33--bonne réception qu'il fait (1622) au
         sieur de Caen, 1034-5--lettre que le roi lui adresse,
         1035--reconduit le sieur de Caen à Tadoussac, 1037--monte à la
         traite à la rivière des Iroquois (1623), 1044-5--va visiter le
         cap Tourmente avec M. de Caen, 1051--fait construire le nouveau
         magasin (1623-24), 1052-5, 1057, 1059--fait faire un chemin
         plus facile pour monter au fort Saint-Louis, 1053--retourne en
         France avec sa famille (1624), 1066-9--relation de son voyage,
         1069--nommé lieutenant du duc de Ventadour, 1071-6--revient au
         Canada (1626), 1079-80, 1103-8--fait une habitation au cap
         Tourmente, 1109-10--reconstruit et agrandit le fort
         Saint-Louis, 1110-11--La Ralde lui écrit de Miscou,
         1113--descend au cap Tourmente, 1114--s'oppose de tout son
         pouvoir à la rupture de la paix avec les Iroquois (1627),
         1118-20--monte aux Trois-Rivières pour la même fin, 1122--en
         revient, 1125--dénuement ans lequel on le laisse, 1130-1--va au
         cap Tourmente, 1133--les sauvages lui font présent de trois
         jeunes filles, 1138-42--précautions qu'il prend à l'approche
         des Anglais, 1155, 1157--réponse qu'il fait à la sommation de
         Kertk, 1161--nouvelle commission du roi (1628), 1165-6--fait
         faire un moulin à bras, 1170--puis un moulin à eau, 1172--ses
         projets pour soutenir son monde pendant l'hiver, 1173-5--envoie
         (1629) une députation aux Abenaquis, 1180-3--envoie à
         Tadoussac, puis à Gaspé, 1183-6--difficulté avec Pont-Gravé au
         sujet des pouvoirs, 1210-12--envoie son beau-frère vers le
         golfe, avec une trentaine de compagnons, chercher passage pour
         la France, 1214--ses efforts pour remédier à la disette,
         1219-20--réponse qu'il fait à la sommation des Kertk,
8/1456   1223--signe, avec Pont-Gravé, la capitulation de Québec,
         1226--va trouver à son bord le capitaine Louis Kertk, qui le
         traite bien, 1227-8--descend à Tadoussac avec Thomas Kertk,
         1232--bien reçu du général Kertk, 1239--Boullé lui fait le
         récit de ses aventures, 1240-4--le général anglais lui refuse
         la permission d'emmener les petites filles que lui avaient
         données, les sauvages, 1252-64--il les confie à Couillard,
         1264--remet au général David Kertk le certificat des armes et
         munitions que lui avait donné le capitaine Louis,
         1266-7--comment il passait le temps à Tadoussac, 1275--son
         départ sur les vaisseaux anglais, 1276--son arrivée en
         Angleterre, 1277--ses démarches pour faire restituer Québec aux
         Français, 1277-80, 1295--lettres que lui envoyait la nouvelle
         compagnie, 1281--relation, que lui fait de son voyage le
         capitaine Daniel, 1283-8--résumé qu'il fait lui-même de ses
         voyages, 1306.

         CHAMPLAIN (lac); description que l'auteur en fait, 337, 339,
         344, 816, 817-8, 823.

         CHAMPLAIN (rivière), dans le Massachusets, 256.

         CHAPOUIN (le P. Jacques Garnier de), provincial des Récollets
         de la province de Saint-Denis, bien disposé pour les missions
         du Canada, 493.

         CHARIOQUOIS, nom que l'auteur donne aux Hurons (1611),
         397--éloignés du saut Saint-Louis de quelques cent cinquante
         lieues, 408. Voyez Hurons.

         CHARITÉ, l'une des filles sauvages données à l'auteur,
         1261--discours qu'elle tient à Marsollet devant le général
         anglais, 1263.

         CHARLES (fort), construit en Floride par Ribaut, 672--le
         capitaine Albert y reste commandant, 672, 689.

         CHARTON (le frère François), jésuite, arrive à Québec, 1070.

         CHASTE, ou CHATES (le commandeur de), gouverneur de Dieppe;
         obtient une commission du roi pour fonder un établissement en
         Canada, 700-1--engage l'auteur à y faire un voyage avec
         Pont-Gravé, pour examiner le pays et en faire son rapport,
         701-3--sa mort, 703--M. de Monts le remplace, 704-5--... 1308.

         CHATAM (port de). Voyez fortune (port).

         CHÂTEAUNEUF (monsieur de); les commissaires nommés pour
         discuter l'affaire du Canada s'assemblent chez lui, 971--...
         1277 note 4, 1280 note 2.

         CHATES, ou CHATTE (cap de), 1090-1.

         CHAUDIÈRE (saut de la), sur l'Outaouais, 448-9, 469, 862,
         881-2--cérémonie que faisaient les sauvages en y passant, 469,
         881-2.

         CHAUVIN (le capitaine), de Honfleur, en Normandie, 152--son
         entreprise au Canada, 696-700, 705, 1311.

         CHAVIN (le capitaine Pierre), de Dieppe; commandant à Québec
         (1609-10) en l'absence de Champlain, 348, 356--monte à la
         traite à la rivière des Iroquois, 366--revient de Tadoussac à
         Québec, 371--Pont-Gravé lui mande de redescendre, 372--demeure
         à Tadoussac commandant au vaisseau, en l'absence de Pont-Gravé,
         373.

         CHEROUOUNY, sauvage, auteur du meurtre de deux français, 601 et
         suiv., 1179--trahi par un algonquin de l'île dans une ambassade
         chez les Iroquois, 1177--ceux-ci le font mourir misérablement,
         1178-9.

         CHEVALIER, jeune homme de Saint-Malo, apporte au sieur de
         Poitrincourt des lettres de M. de Monts, lui mandant de passer
         en France, 269--M. de Poitrincourt l'envoie à la rivière
         Saint-Jean et à Sainte-Croix, 271--soupçons contre lui,
         ibid--... 273.

         CHEVEUX-RELEVÉS (nation des); leurs moeurs et coutumes, 512-3,
         546-7, 903-4, 931-2--l'auteur se rend dans leur pays, 546,
         931--ennemis des Atsistahéronon, ou nation du Feu, 546,
         931--ont pour alliée la nation Neutre contre les
         Atsistahéronon, 548, 932.

         CHIGNECTOU. Voyez Deux-Baies (cap des).

         CHILLE, rivière du Mexique, 28.

         CHISEDEC, lieu ainsi nommé par les sauvages, sur le
         Saint-Laurent, 1093.

         CHOMINA, ou CHOUMIN, le Raisin, bon sauvage; porte secours aux
         Français dans la disette, 1172--un de ses fils, baptisé par le
         P. le Caron, retourne à la vie sauvage, 1183--son dévouement
         pour les Français, 1194 et suiv.

         CHOUACOUET, ou SACO (rivière de); M. de Monts et l'auteur s'y
9/1457   arrêtent, 201--en repartent, 203--... 205, 217--M. de Monts y
         rencontre Marchim, 222--M. de Poitrincourt et l'auteur y
         arrêtent,  240-1--... 250--est au pays des Almouchiquois,
         271--... 739, 751.

         CHOUONTOUARONON, ou Sountouaronon (Tsonnontouans), 522, 910.
         Voyez Etitoithomnan.

         CLAUDE (le sieur), natif de Beauvais, commandant au Grand-Cibou
         (1629-30), 1287--assassine Martel son lieutenant, 1316.

         COCHOUAN (René), natif de Brest, détenu prisonnier au port aux
         Baleines, par les Anglais, et délivré par le capitaine Daniel,
         1286.

         COD (cap). Voyez Blanc (cap).

         COHOUEPECH, chef almouchiquois, 243.

         COLIGNY (Gaspard de Châtillon, sire de), amiral de France,
         672--envoie en Floride deux expéditions, 672-9.

         COLLIER (le sieur), marchand de Rouen, associé de M. de Monts,
         350.

         COLOMB (Christophe), 676.

         COLOMBE (dom Francisque), chevalier de Malte, général espagnol,
         9.

         CONDÉ (le prince de); l'auteur lui dédie son quatrième voyage
         (1613), 429--le roi lui remet la direction des affaires du
         Canada, 434, 490, 891-2---nomme l'auteur son lieutenant,
         434--donne des passe-ports pour quatre vaisseaux, ibid--...
         470, 496, 893-7--sa détention (1616), 966--mis en liberté,
         982--... 1072.

         COQUILLES (port aux), dans l'île de Campo-Bello, 230.

         CORMORANS (île aux), à une lieue du cap de Sable, à la côte
         d'Acadie, 158--... 236, 712.

         CORNEILLE DE VENDREMUR, d'Anvers, demeure premier commis à
         Québec (1626-27), à la place de Pont-Gravé, 1113--remet au
         capitaine Louis Kertk, Pont-Gravé étant au lit, les clefs du
         magasin, 1228.

         CORNEILLES (cap aux), 223, 261-2.

         CORNEILLES (île aux), 194.

         CORTEREAL (Gaspar), navigateur portugais, 150.

         CORTEREAL (Michel),--frère de Gaspar, 150.

         CORTEZ (Fernand), 676.

         COTON (le P.), jésuite; envoie, à la demande du roi, des
         missionnaires au Canada, 766--... 781, 783, 785.

         COUDRES (île aux); description qu'en fait l'auteur, 87,
         293-4--... 90, 110, 791, 1100.

         COUILLARD (Guillaume), gendre de Louis Hébert; au service de la
         compagnie dès 1613 ou environ, 1152-3--sa répugnance à aller à
         Tadoussac (1628) pour accommoder une barque, 1153-4--sa famille
         demande conseil à l'auteur, après la prise de Québec, avant
         d'accepter les offres des Anglais, 1232-4--ce qu'il dit au
         général Kertk au sujet des filles données à l'auteur,
         1255-6--se charge de les garder comme ses propres enfants,
         1264.

         COURANT (le passage), ou détroit de Canceau, 279.

         CRAMOLET, l'un des pilotes de M. de Monts, dans son voyage à la
         côte des Almouchiquois, 221.

         CREUSE (rivière), mentionnée par l'auteur, 508 note 5.

         CUBA (île de), 22--sa description, 48-9.

         DANIEL (le capitaine), de Dieppe; destiné pour venir à Québec
         en compagnie de M. de Rasilly, 1240-2--on apprend par Joubert
         qu'il était parti pour Québec, 1248--arrive du Cap-Breton
         (1629), où il avait pris un établissement appartenant aux
         Anglais, 1281--remet à l'auteur des lettres de la nouvelle
         compagnie, ibid--relation de son voyage, 1283-8--...
         1282--retourne à Sainte-Anne de Cap-Breton (1631), 1315 et
         suiv.

         DANIEL (le sieur), médecin, envoyé à Londres pour demander la
         restitution du Canada et de l'Acadie, 1295.

         DARACHE, maître d'un vaisseau basque, venu en traite à
         Tadoussac, 288--l'auteur fait l'accord entre lui et Pont-Gravé,
         289.

         DARONTAL, ou ATIRONTA, chef huron; donne l'hospitalité à
         l'auteur, 537, 543, 923, 928--l'auteur lui fait visiter
         l'habitation, 591-3, 963-5.

         DAUNE (Jean), capitaine de vaisseau, 769.

         DAUPHIN (cap), sur le Saint-Laurent, probablement le même que
         le cap au Saumon, 293, 790.

         DAVIS (Freton), détroit découvert par John Davis, 151, 693,
         1312.

         DAVIS (John), navigateur anglais, découvre un passage auquel il
         donne son nom, 151, 693, 1312.

10/1458  DESEADE (la), ou la DÉSIRADE, 9, 10.

         DES CHAMPS, de Honneur, chirurgien, à Port-Royal, 228.

         DESCHESNES (le sieur), remonte à Québec et aux Trois-Rivières
         pour la traite (1618), 601--Pont-Gravé vient l'y rejoindre,
         615--... 617--à Tadoussac

         (1620), 986--sur le point de prendre un vaisseau rochelois
         proche du Bic, ibid--parti de Québec pour la rivière des
         Iroquois, 987--arrive à Tadoussac (1623), 1042--monte à la
         traite, 1044-5--va à Tadoussac chercher les vivres pour
         l'habitation, 1051--à l'Acadie en 1624, 1067--cinq hommes de
         son équipage tués par les sauvages, ibid.

         DESDAMES; a. Québec.(1622); dépêché à Tadoussac pour en ramener
         une barque, 1037--sous-commis en 1623, 1041--arrive de France
         avec le P. Nicolas Viel et le F. Sagard, 1042-3--apporte à
         Québec (1628) des nouvelles du sieur de Roquemont, 1164,
         1166-7--rapporte avoir vu des vaisseaux anglais, 1167--l'auteur
         l'envoie à Gaspé, 1185-6--son retour, 1206--descend à Gaspé
         avec Boullé (1629), et consent à y demeurer, 1214--prend le
         commandement de la barque, 1241--... 1244--informé de la prise
         de Québec, s'en retourne vers Gaspé, puis en France, avec
         Joubert, 1247-8.

         DESMARAIS, gendre de Pont-Gravé, arrive à Québec (1609),
         321--remplace l'auteur à Québec, ibid--accompagne l'auteur dans
         la première expédition contre les Iroquois, 326, 330--l'auteur
         le prie de s'en retourner à l'habitation, 331----à Honneur
         (1610), d'où il devait s'embarquer pour le Canada, 354--arrive
         à Québec (1610), 371--arrive de nouveau à Québec (1623), avec
         Étienne Brûlé, 1043.

         DESPRAIRIES, jeune homme de Saint-Malo, plein de courage, va au
         secours de l'auteur (1610), 363-4, 830-1.

         DESTOUCHE, enseigne de Champlain, arrive en Canada (1626),
         1079--repart (1627), 1130.

         DEUX-BAIES (cap des), aujourd'hui Chignectou, dans la baie de
         Fundy, 168, 718-9.

         DEUX-MONTAGNES (lac des), 390, 394, 507, 858.

         DIHOURSE (Michel), de Saint-Jean-de-Luz; ses vaisseaux sont
         pris et pillés par un lord écossais au Cap-Breton, 1285.

         DOLBEAU (le P. Jean), récollet, choisi (1615) pour les missions
         du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--demeure à Québec avec
         frère Pacifique, 499--dit la première messe, 505--demeure à
         Québec (1616-17) avec frère Pacifique, 595--de retour en Canada
         (1618), 615.

         DOLU (le sieur), grand audiencier de France, intendant de la
         Nouvelle-France, 983--met tous ses soins à régler les
         difficultés de la société, ibid--lettre qu'il adresse à
         l'auteur, 993-5--nouvelles lettres, 1007--... 1008, 1212.

         DOUBLET, pilote, venant de l'île Saint-Jean et Miscou, arrive à
         la rivière des Iroquois, 1045.

         DOUCE (mer), appelée d'abord par l'auteur lac des Attigouantan,
         aujourd'hui lac Huron, 511--description de ce lac, 513-4,
         904-5--... 547, 559, 628.

         DRAKE (Sir Francis); son entreprise sur Porto-Bello, et sa
         mort, 45-6.

         DUGAS (rivière). Voyez Gua (rivière du).

         DUGLAS, ou DU GLAS, de Honneur, pilote du vaisseau de
         Pont-Gravé; il amène (1604) à M. de Monts les maîtres des
         navires basques saisis par Pont-Gravé, 176.

         DUMAY (le capitaine); arrive de France (1621) avec lettres de
         M. de Montmorency, 992-3--... 998--l'auteur l'envoie au-devant
         du sieur de Caen, 999-1000--lui confie (1621) le commandement
         du fort Saint-Louis, 1001--l'y maintient malgré les commis,
         1003-4--demeure commandant à Québec en l'absence de l'auteur,
         1010.

         DUMAY, frère du précédent, commandant d'une barque d'environ
         trente-cinq tonneaux, à Miscou (1631), 1318--surpris par les
         Basques, 1319-21.

         DUPARC (le sieur), jeune gentilhomme de Normandie, qui avait
         hiverné à Québec de 1609 à 1610, 355--monte de Tadoussac à
         Québec pour prendre le commandement de la place dans l'automne
         de 1610, 373--il y hiverne, 373, 389--au saut Saint-Louis
         (1613), 471--commandant à Québec (1616), 602.

         DUPLESSIS. Voyez _Plessis_.

         DUPONT. Voyez _Pont-Gravé_.

11/1459  DUPONT (rivière), aujourd'hui rivière de Nicolet, 328, 807.

         DU THET (le frère Gilbert), jésuite; accompagne les
         missionnaires en Acadie, 772--tué par les Anglais à
         Saint-Sauveur dans l'île des Monts-Déserts, 774.

         DUVAL (Jean), chef de la conspiration contre l'auteur,
         298--exécuté à Québec (1608), 302.

         DUVERGER (Bernard), récollet, provincial de
         l'Immaculée-Conception, bien disposé pour les missions du
         Canada, 491-3.

         DUVERNAY, gentilhomme de l'équipage de Dumay; à Québec en 1621;
         l'auteur l'envoie aux Trois-Rivières avec Halard, 1007--de
         retour (1623) du pays des Hurons, où il avait hiverné,
         1045--arrive de nouveau du même pays (1624) 1063.

         ÉCHAFAUD-AUX-BASQUES. Voyez _Chafaut-aux-Basques_.

         ENTOUHORONON, ou Tsonnontouans, l'une des cinq nations
         iroquoises, 520-1, 909--appelés Ouentouoronon, 1127.

         ENTOUHORONON (lac des), aujourd'hui lac Ontario, 524, 526-7,
         536, 911, 913-4.

         EQUILLE (rivière de l'), au port Royal, 166, 235, 717.

         EQUILLE (rivière de l'), se jette dans le Saint-Laurent, plus
         haut que le Saguenay, 1097.

         EROUACHY, sauvage; confirme la nouvelle de la mort de Pierre
         Magnan et de ses compagnons, 1175--ce qu'il rapporte des
         Abenaquis, 1180--sollicite la délivrance d'un prisonnier auprès
         de l'auteur, 1194 et suiv.

         ESPAIGNOLLE, ou HISPANIOLA, dans l'île de Saint-Domingue, 22.

         ESPÉRANCE, l'une des filles sauvages données à l'auteur; ce
         qu'elle dit de Marsollet, 1254--discours qu'elle lui tient
         devant le général anglais, 1260-2--remonte à Québec, 1276.

         ESQUEMIN (l'), ou les Escoumins, 119, 1092, 1105, 1244.

         ESQUIMAUX, sauvages du Labrador; ennemis des Montagnais, 1094.

         ESTURGEONS (rivière aux), qui se jette dans le lac Nipissing;
         mentionnée par l'auteur, 511 note 2.

         ETCHEMIN (rivière), qui se décharge dans le fleuve
         Saint-Laurent, près de Québec, 186.

         ETCHEMINS, 73--sauvages ainsi nommés en leur pays, 172--leurs
         moeurs, 186--... 743.

         ETCHEMINS (rivière des), ou de Sainte-Croix, 172, 174--.. 186,
         722.

         ÉTIENNE (maître), chirurgien, à Port-Royal, 269.

         ÉVÊQUE (cap l'), sur le Saint-Laurent, 116.

         FARILLON, ou FORILLON, petit rocher ainsi nommé, près du cap de
         Gaspé, 1085.

         FEMMES (port aux), ou la rivière Noire, un peu plus haut que
         Tadoussac, 1098.

         FERCHAUD (Laurent), commandant d'un vaisseau destiné à
         l'habitation de Saint-Louis, au cap de Sable, 1314--remet au
         sieur de la Tour les lettres de la nouvelle compagnie, ibid.

         FEU (nation du). Voyez Asistaguéronon.

         FINNETERRE, en Gallice, 6.

         FLAMANDS. Leurs rapports avec les sauvages dès les premiers
         temps de la colonie, 521, 624--cinq de leurs hommes tués par
         les Iroquois, pour n'avoir pas voulu leur donner passage sur
         leurs terres, 1117--les Loups proposent aux Montagnais de
         s'unir à eux pour ruiner les villages iroquois, 1118--disposés
         à la paix avec les nations sauvages, 1193.

         FLECQUE (la), vaisseau de la compagnie; à Tadoussac (1627),
         1130.

         FLIBOT, petit vaisseau de près de cent tonneaux, 1169--l'un des
         trois vaisseaux qui prirent Québec (1629), 1227,
         1243-4--l'auteur descend à Tadoussac sur ce vaisseau avec
         Thomas Kertk, 1232--le général anglais le renvoie avec des
         provisions, 1249.

         FLORIDE ou FLOURIDE, au nord du canal de Bahama. 49--le roi
         d'Espagne n'en fait point d'état, 51--... 115, 340--tentatives
         d'établissement par Ribaut et Laudonnière, 672-9.

         FONTENAY-MAREUIL, ambassadeur de France à Londres; s'occupe de
         faire rendre le Canada aux Français, 1325-6.

12/1460  FORILLON. Voyez _Farillon_.

         FORT-NEUF, forteresse de la Havane, 48.

         FORTUNÉ (port), aujourd'hui Châtain, 248-55--malheur arrivé aux
         Français dans ce port, 253-5--... 256, 262, 756, 759.

         FOUCHER, français qui avait la garde de l'habitation du cap
         Tourmente, 1110--surpris par les Anglais, 1155-6--descend à
         Gaspé avec Boullé, 1214, 1244.

         FOUQUES (le capitaine); M. de Monts le dépêche à Canceau, 175.

         FOURCHU (cap), en Acadie, 159, 163, 234, 235--... 274, 713.

         FRANÇAIS (rivière des); l'auteur passe par cette rivière pour
         aller au pays des Hurons, 511 note 4.

         FRANÇAISE (baie), ainsi nommée par M. de Monts, 160, 164,
         714--description de cette baie, 165 et suiv.--l'auteur, avec M.
         de Poitrincourt, explore le fond de cette baie, 271-3.

         FRANÇOIS (Frère), jésuite. Voyez _Charton_.

         FROBISHER (Sir Martin), voyageur anglais, 151, 693, 1312.

         FROIDEMOUCHE, l'un des français envoyés de la Malbaie à Québec
         (1629) par Émeric de Caen, 1246-7--était descendu dans la
         barque de Boullé, 1246.

         FUNDY (baie de). Voyez _Française_ (baie).

         GALLOIS (Michel), de Dieppe, envoyé de Sainte-Anne du
         Cap-Breton, à Miscou, par le capitaine Daniel, 1317-8--surpris
         par les Basques, 1318-21.

         GASCOIN, pilote; arrive à Québec (1624), 1060--à Tadoussac,
         1068--remonte à Québec, et apporte des nouvelles de M. de Caen,
         1063.

         GASPÉ, ou GACHEPÉ, 68--description de ce lieu, 113, 1085--...
         107, 113, 192, 286,387, 474, 763, 985, 1003, 1067-8, 1125.

         GASPÉ (cap de), 1085, 1090.

         GATINEAU (la), rivière qui se jette dans l'Outaouais,
         mentionnée par l'auteur, 447-8, 861.

         GAUDE. Voyez _Claude_.

         GENNES (rivière de), qui se jette dans le lac Saint-Pierre, du
         côté sud, probablement la rivière Yamaska, 328, 807.

         GEORGES (le capitaine), 151, 693, 1312-3.

         GEORGES (le sieur), marchand de La Rochelle, donne passage à
         Nicolas de Vignau, dans son vaisseau faisant voile pour le
         Canada, 441, 856.

         GÉRARD (le capitaine), probablement pour Guérard; quitte la
         flotte de Miscou pour aller porter des nouvelles en France,
         1067.

         GERVAIS (le Frère). Voyez _Mohier_.

         GILBERT (Sir Humphrey), voyageur anglais; se perd sur l'île de
         Sable, 151, 693, 1312.

         GLOUCESTER. Voy. _Beau-Port_ (le).

         GOUFFRE (rivière du), 294.

         GOUGOU, monstre ainsi appelé par les sauvages, au rapport du
         sieur Prévert, 125-6.

         GOURGUES (Dominique de), gentilhomme gascon; venge la mort des
         français massacrés en Floride par les Espagnols, 680-7.

         GRAND-BAIE, nom donné autrefois à cette partie du golfe
         Saint-Laurent comprise entre le Labrador et la côte occidentale
         de Terre-Neuve, 418, 1038, 1088.

         GRAND-CIBOU, 1285--le capitaine Daniel y fait faire un
         retranchement, 1287--le P. de Vieuxpont y vient trouver le
         capitaine Daniel, 1294.

         GRANDMONT (monsieur de), 1038.

         GRAND-SAINT-ANDRÉ (le), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel,
         1283.

         GREC (Le), jeune homme d'origine grecque, à Québec en 1628,
         1154-5--l'auteur l'envoie au cap Tourmente avec deux sauvages,
         1155--rencontre Foucher, qui avait échappé aux Anglais, ibid.

         GROS-JEAN, de Dieppe, truchement des Algonquins; se donne aux
         Anglais, 1255.

         GUA (rivière du), ou du GAS, 209, 745.

         GUADELOUPE (la), plan de cette île par Champlain, 10.

         GUÉRARD, basque, écrit de Tadoussac à Pont-Gravé, 1038.

         GUERCHEVILLE (madame de), favorise l'envoi des Jésuites au
         Canada, 765 et suiv.--obtient du roi les terres de la
         Nouvelle-France depuis le Saint-Laurent jusqu'à la Floride,
         excepté Port-Royal, 771--fonde Saint-Sauveur, à l'île des
13/1461  Monts-Déserts, 772--envoie à Londres La Saussaye, pour obtenir
         quelques réparations, 780-1--... 781, 782.

         GUERS, commissionnaire, arrive à Québec (1620), 989--y fait
         lecture des lettres de commission de l'auteur, et en dresse
         procès-verbal, 989-90--envoyé aux Trois-Rivières pour savoir ce
         qui s'y passe, 990--revient de France (1621) avec lettres de M.
         de Montmorency, 992-3--... 1001--député à Tadoussac avec le P.
         le Baillif auprès du sieur de Caen, 1008--l'auteur l'y renvoie
         avec lettre adressante au sieur de Caen, 1010--à Québec, le 18
         d'août 1621, 1016.

         GUERS, peut-être le même que Guérard; les basques saisissent
         son vaisseau à l'île Saint-Jean, 1045.

         GUINES (frère Modeste), récollet, à Tadoussac (1618), 615.

         HALARD (Jacques), arrive à Québec (1621), et donne avis à
         l'auteur de l'arrivée du sieur de Caen, 1006--monte à la traite
         aux Trois-Rivières, 1007--certifie avoir livré des munitions à
         l'auteur, à Québec, 1016-7--demeure à Tadoussac (1624) pour la
         traite, 1061--écrit de là une lettre à l'auteur, 1062.

         HAUTE (l'île), à l'entrée de la rivière Pénobscot, 181, 260-1,
         726.

         HAUTE (l'île), dans la baie de Fundy, mentionnée, 168.

         HAVANE (la), rendez-vous de la flotte espagnole, 46--l'auteur y
         arrive, 47--description que l'auteur en fait, 47-8--l'auteur y
         séjourne quatre mois, 49.

         HAWKINS (Jean), capitaine anglais, secourt les Français en
         Floride, 675.

         HÉBERT (Anne), fille aînée de Louis; sa mort, 987.

         HÉBERT (le sieur Louis), apothicaire, se fixe à Québec avec sa
         famille, 596-8, note--... 615--tenant la place de M. de
         Biencourt (1613), 772-3--mort de sa fille aînée, 987--son
         premier logement à Québec, 988--à Tadoussac (1621); mission que
         lui confie le sieur de Caen, 1014--différend entre lui et le
         sieur de La Ralde au sujet des prières, 1036--enseigne de M. de
         Caen, ibid--l'auteur lui fait reconstruire le pignon de sa
         maison, 1055--fait une chute, qui lui cause la mort, 1116--...
         1171--sa famille soumise à des exactions de la part des commis
         de la société, 1188.

         HÉBERT (la veuve), Marié Rollet, femme de Louis Hébert; son
         désert, 1219 le capitaine Louis Kertk accorde quelques soldats
         pour la garde de sa maison, 1228--demande conseil à l'auteur
         avant d'accepter les offres des Anglais, 1232-5.

         HENRI IV. L'auteur fait le voyage de 1603 par son ordre,
         283--lettres qu'il accorde à M. de Monts pour faire un
         établissement sur le Saint-Laurent, 284-5--rapport que l'auteur
         lui fait de son voyage, 348-50--nouvelle de sa mort à
         Tadoussac, 372--protège les missionnaires du Canada, 766.

         HÈVE (La), cap «joignant la côte d'Acadie», 156, 275, 711,
         760--le vaisseau de La Saussaye y arrive, 772

         HISPANIOLA, ou ESPAIGNOLLE, dans l'île de Saint-Domingue, 22.

         HOCHELAGA, ou OCHELAGA, 670.

         HONABETHA, chef almouchiquois, 209, 745.

         HOUEL (le sieur), secrétaire du roi et contrôleur général des
         salines de Brouage; suggère à l'auteur de demander des
         récollets pour les missions du Canada, 491--s'occupe lui-même
         de cette affaire, 492-3, 896.

         HUDSON, navigateur anglais; l'auteur mentionne ses voyages,
         441, 1313.

         HUET (le P. Paul), récollet, 596 note 1--à Québec (1618),
         615--repasse en France avec frère Pacifique, pour faire rapport
         sur les affaires du Canada, 630--plaintes que fait contre lui
         le sieur de Caen, 1009.

         HUISTRES (port aux), ou baie de Barnstable, Massachusets, 245,
         753.

         HURON (lac). Voyez _Douce_ (mer).

         HURONS, appelés d'abord les bons Iroquois, Ochateguins et
         Charioquois, 111, 317, 323, 346, 349, 356, 358, 370, 397,
         408--emmènent avec eux (1615) le P. le Caron, 498, 500-2,
         506--l'auteur monte en leur pays, et les accompagne dans une
         expédition contre les Iroquois, 503, 506 et suiv.--description
         de leur pays, 514-22, 561-2, 905-10, 940-1--moeurs et coutumes,
         519-20, 562-90, 908-9, 944-63--l'auteur hiverne en leur pays,
         536. 544-5 549. et suiv., 922, 929, 940, 963--leur population,
14/1462  562, 944--appelés Hurons pour la première fois, 800, 834--...
         852--les PP. le Caron et Viel vont en mission dans leur pays,
         avec le frère Sagard, 1050--retour du frère Sagard,
         1063-4--retour du P. Brebeuf (1629), 1218.

         ILES (cap aux), aujourd'hui cap Anne, 205, 206, 740, 74l--...
         216, 750.

         ILES (port aux), 203-4.

         IMBERT (Simon), cendrier, serviteur de M. de Poitrincourt;
         plaintes faites contre lui, 771.

         IROQUET, chef algonquin, 324, 803--son fils avait vu l'auteur
         l'année précédente (1608), 324--arrive à la rivière des
         Iroquois après la seconde bataille livrée, 367, 833--fort
         affectionné à l'auteur, 368--difficulté qu'il fait d'emmener
         avec lui le garçon de l'auteur, 368-70, 833-4--descend à la
         traite (1611), 397, 844--... 403--emmène avec lui un des hommes
         de Bouvier, 408--faisant partie de l'expédition des Hurons
         (1615), 527, 914--hiverne avec sa troupe au pays des Hurons,
         544, 929--mécontente les Hurons, 549, 933--blessé de deux coups
         de flèche, 549-50,934--fait manquer à l'auteur le voyage du
         Nord que devaient lui faire faire les Nipissings, 551, 935--...
         555, 939.

         IROQUOIS, 71, 73, 95--ce que les sauvages rapportent à l'auteur
         de cette nation, 99, 109-10--les bons Iroquois, 111--... 209,
         317, 32l--première expédition de l'auteur contre eux, 322-48,
         801-25--seconde expédition, 358-70, 826-34--assistés dans leurs
         guerres par les Flamands, 521--troisième expédition de l'auteur
         contre eux, 502-7, 520, 522-44, 898-929--négociations de paix
         avec eux (1622), 1029-33--seconde députation (1624) pour
         terminer la paix, 1064--tout est rompu par la perfidie du
         traître Simon, ibid--en guerre avec les Loups, 1117--rupture de
         la paix avec les nations alliées (1627), 1119-20--nouvelle
         députation pour la renouer, 1124-5--nouvelle rupture par les
         Algonquins, 1126-8, 1177-9.

         IROQUOIS (les bons), les mêmes que les Hurons, 111. Voyez
         _Hurons_.

         IROQUOIS (lac des), ou lac Champlain, 99, 115.

         IROQUOIS (rivière des), aujourd'hui le Richelieu. Champlain
         remonte cette rivière cinq ou six lieues, 98--description qu'en
         font les sauvages à l'auteur, 99--... 120--l'auteur remonte
         cette rivière (1609), et en fait une description plus
         détaillée, 328-37, 807-16--...358, 825, 1043, 1063--on y fait
         la traite (1623), 1045-50.

         IROQUOIS (premier saut des), ou saut de la rivière des
         Iroquois, aujourd'hui rapide de Chambly, 329, 332, 346, 808,
         809, 810, 811, 825.


         JAMAY (le P. Denis), récollet, choisi pour les missions du
         Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--monte au saut Saint-Louis
         avec l'auteur, 499--redescend à Québec avec Pont-Gravé,
         506-7--retourne en France (1616), avec le P. le Caron, 593-4.

         JACQUES (maître), natif d'Esclavonie, bien entendu à la
         recherche des minéraux, 228.

         JACQUES-CARTIER (rivière), 91.

         JACQUES-CARTIER (rivière), aujourd'hui rivière Lairet, qui se
         jette dans la rivière Saint-Charles; Jacques Cartier hiverne à
         son embouchure, 670.

         JEANNIN (le président), encourage l'auteur à poursuivre ses
         découvertes, 432, 441, 856--favorise auprès du conseil la
         nomination du comte de Soissons, 886.

         JEAN PAUL, matelot, arrive à Québec (1623), 1042.

         JÉSUITES; chargés des missions de l'Acadie, 766-9--leur
         association avec le sieur Robin et M. de Biencourt,
         768--quittent Port-Royal, 772-3--vont s'établir avec La
         Saussaye à Saint-Sauveur, dans l'île des Monts-Déserts,
         773--faits prisonniers par les Anglais, 773 et suiv.--premiers
         jésuites arrivés à Québec, 1070, 1076--y font travailler au
         défrichement, 1111-2--sont contraints (1627) de renvoyer tous
         leurs ouvriers, 1129--avaient à Québec (1628) un moulin à bras,
         où la plupart allaient faire moudre, 1171--... 1219-20,
         1222--l'auteur demande à Louis Kertk des soldats pour empêcher
         qu'on ne ravage rien chez eux, 1228--les Anglais se saisissent
         de plusieurs choses qui leur appartenaient, 1230--visite de
15/1463  Louis Kertk chez eux, 1231--vaisseau venant à leur secours et
         rendu inutile par la prise de Québec, 1240, 1248--reproche que
         leur fait le général Kertk, 1272--repassent en France, 1376-7.

         JOUAN CHOU, capitaine sauvage, 1104, il 87--offre qu'il fait à
         Pont-Gravé, 1206.

         JOUANISCOU, chef sauvage, 262, 265.

         JOUBERT; attendu avec des secours pour Québec, 1240--rencontre
         Desdames, et retourne en France, 1247--fait naufrage à la côte
         de Bretagne, 1248--... 1282.

         KÉNÉBEC (rivière de), 183, 185--les sauvages de cette rivière
         s'appellent Etchemins, comme ceux de Pénobscot, 185-6, 730--...
         187, 194, 197--l'on va par cette rivière jusqu'à Québec,
         197--son entrée est dangereuse, 197-8--... 218, 222, 260.

         KERTK (David), général de la flotte anglaise; envoie de
         Tadoussac sommer le fort de Québec, 1159-61--réponse que lui
         fait Champlain, 1161-3--renonce un instant à son entreprise,
         1163--dix jours à Gaspé, 1207-8--revient à Tadoussac (1629),
         d'où il envoie ses deux frères sommer Québec, 1220-3--ratifie
         la capitulation accordée par ses frères, 1227--reçoit bien
         l'auteur, 1239--va voir Québec avec Jacques Michel et autres,
         1252--festoie ses officiers à Tadoussac, 1252-3--son entretien
         avec l'auteur au sujet des filles sauvages données à celui-ci,
         1254-6--persiste à refuser à l'auteur la permission de les
         emmener avec lui, 1258-63--motifs de ce refus dévoilés à
         l'auteur par Jacques Michel, 1263--demande à l'auteur de lui
         remettre le certificat des armes et munitions que lui avait
         donné le capitaine Louis, 1266-7--plaintes que faisait de lui
         Jacques Michel, 1268-70--ses différentes prises en Canada
         (1629), 1274-5--interdit aux catholiques l'exercice de leur
         culte, 1275--son retour en Angleterre, 1276-8.

         KERTK (Louis), frère de David; s'empare de Québec,
         conjointement avec son frère Thomas, au nom de l'amiral,
         1221-9--venu pour commander au fort de Québec, 1222--prend
         possession du fort et de l'habitation, 1229-31--permet à
         l'auteur d'emmener les filles sauvages données à celui-ci,
         1227-8--lui donne un certificat de tout ce qui se trouvait dans
         la place, 1229-30--visite les PP. Jésuites et les PP.
         Récollets, 1231--son caractère, 1233, 1247--... 1265-6, 1305,
         1325/

         KERTK (Thomas), vice-amiral de son frère David; accorde la
         capitulation de Québec (1629), conjointement avec son frère
         Louis, au nom de l'amiral, 1222-7--redescend à Tadoussac avec
         l'auteur, 1232--s'empare du vaisseau de M. de Caen, 1235-9--la
         chaloupe de Boullé prise par lui, 1242--l'auteur l'engage à
         parler au général, son frère, en faveur des filles données par
         les sauvages, 1256--... 1269-73--revient du Canada (1630),
         1304--y retourne (1631), 1324.

         KINIBÉKI. Voyez _Kinèbec_.

         KRAINGUILLE (le sieur de), lieutenant du sieur de La Tour, au
         cap de Sable; repasse en France, 1314.

         LABRADOR (côte de), 151, 561, 692, 693--l'auteur avoue que les
         Anglais ont fait quelques découvertes vers cette côte, 1312.

         LA PERRIÈRE, ou LA FORRIÈRE, sauvage député par les siens pour
         excuser le meurtre commis sur deux français, 607-8--donne avis
         (1623) d'un complot formé par les sauvages contre les Français,
         1044--arrive de Tadoussac (1628), 1145--son entrevue avec
         l'auteur, 1145-9--revient traiter quelques vivres et du petun,
         1150.

         LA FRANCHISE (de); pièce de vers qu'il adresse à Champlain, 61.

         LALEMANT (le P. Charles), jésuite; arrive en Canada, 1070--...
         1111--repasse en France, 1128-9--revenant au Canada avec le P.
         Noirot, 1240--on apprend par Joubert qu'il était parti de
         France pour Québec avec le P. Noirot, 1248--son naufrage,
         1288-95.

         LAMETS, français échappé aux Anglais avec quatre autres, à la
         prise de Saint-Sauveur, 774.

         LA MOTHE-LE-VILIN (Nicolas); ses aventures à l'Acadie, 599--son
         arrivée en Canada, 599-601--monte de Tadoussac à Québec avec le
16/1464  P. Dolbeau, 615--et de Québec aux Trois-Rivières avec l'auteur,
         617-8--hiverne à Québec (1618-19), 630--lieutenant de La
         Saussaye en 1613, et pris par les Anglais à l'île des
         Monts-Déserts, 773--emmené en Virginie, 775--fait prisonnier et
         conduit en Angleterre, 780--délivré par l'entremise de M. du
         Biseau, ambassadeur, ibid.

         L'ANGE (le sieur), parisien; stances qu'il adresse à l'auteur,
         139--part pour le Canada avec l'auteur, 435--à Tadoussac,
         437--en part pour le saut Saint-Louis avec l'auteur, ibid--va
         au-devant de lui à son retour de l'Outaouais, 470--repart du
         saut avec l'auteur pour la France, 473.

         LA ROCHE (marquis de); son expédition à l'île de Sable, 152,
         155, 695-6, 1311--défauts que remarque l'auteur sur son voyage,
         696.

         LA ROCHE-DAILLON (le Père), récollet; arrive en Canada (1625),
         1077--monte pour la seconde fois (1626) au pays des Hurons,
         1112--l'auteur va le visiter (1629) pour avoir des provisions,
         1184.

         LAROUTTE, pilote, accompagne l'auteur dans la première
         expédition contre les Iroquois, 326, 330--demeure à la garde de
         la barque pendant la seconde expédition de l'auteur, 360, 827.

         LAS DAMAS, golfe, 9.

         LAS VIRGINES, îles, 10, 11.

         LA TOUR (le sieur Claude Turgis de Saint-Étienne de), pris par
         les Kertk, 1159, 116l--travaille inutilement à gagner son fils
         aux Anglais, 1298--revient le trouver au cap de Sable, 1299.

         LATOUR (Charles-Amador de), fils de Claude, successeur de M. de
         Biencourt, à l'Acadie, 1297--établi au cap de Sable, 1298--le
         capitaine Marot vient se joindre à lui, 1298-9--ramène son père
         au devoir, 1299--reçoit des lettres (1631) de la nouvelle
         compagnie, 1314.

         LAUDONNIÈRE (le capitaine René de), gentilhomme poitevin; son
         entreprise en Floride, 674-9--défauts observés dans son
         entreprise, 687-91.

         LAUSON (Jean de); l'auteur lui écrit de Douvres, relativement à
         la prise de Québec, 1277--lettres qu'il avait adressées à
         l'auteur et confiées au capitaine Daniel, 1281.

         LAVIGNE, de Honfleur, commandant à Tadoussac (1621) sur le
         vaisseau de Pont-Gravé, 1005.

         LE COCQ, charpentier, l'un des deux français envoyés de la
         Malbaie à Québec (1629) par Émeric de Caen, 1246-7--était
         descendu dans la barque de Boullé, 1246.

         LE COCQ_(Jean), tué accidentellement à Québec, 1041.

         LEGENDRE (Lucas), marchand de Rouen, associé de M. de Monts,
         350--... 35l--associé de la nouvelle compagnie (1624); écrit
         une lettre à l'auteur, 1061.

         LE GRAND (le capitaine), essaye vainement de s'emparer d'un
         vaisseau rochelois à l'île Verte, 1015.

         LESCARBOT (Marc), avocat; joyeuse réception qu'il fait à M. de
         Poitrincourt et à l'auteur, 263--accompagne Chevalier à la
         rivière Saint-Jean et à Sainte-Croix, 271--... 278.

         LE SIRE, commis (1622), annonce à Québec l'arrivée du sieur de
         Caen, et redescend à Tadoussac, 1034.

         L'ESPINAY (Jacques Couillard, sieur de), lieutenant d'Émeric de
         Caen, pris par les Anglais, 1239.

         LESTAN, envoyé par le jeune de La Tour au sieur Claude de La
         Tour, père, pour le ramener au devoir, 1299.

         LÉVIS (cap de), ou pointe LÉVIS, près de Québec; les vaisseaux
         anglais paraissent derrière cette pointe (1629), 1221.

         LIENCOURT (M. de), gouverneur de Paris, marié à madame de
         Guercheville, 770.

         LIÈVRES (île aux), 86, 110, 292-3, 789, 1097-8.

         LONGUE (baie), 204 note 5, 740 note 4, 741 note 3.

         LONGUE (l'île), 160--grand et petit passage, 160, 162, 165,
         169, 234, 714.

         LOQUIN, l'un des commis et facteurs de la compagnie des
         marchands, 615--monte aux Trois-Rivières (1618) avec
         Pont-Gravé, ibid--part de Tadoussac (1620) pour aller rejoindre
         Pont-Gravé à la rivière des Iroquois, 988--lieutenant (1623) du
         sieur de Caen; arrive à Québec pour aller en traite, 1043-4.

         LOUIS, jeune homme au service de M. de Monts, se noie dans le
         Grand-Saut, qui garde son nom, 394-6, 842-3.

         LOUIS DE SAINTE-FOY, ou Amantacha, sauvage instruit par les PP.
         Jésuites; se donne aux Anglais, 1251--monte au pays des Hurons
17/1465  avec Étienne Brûlé, ibid.

         LOUIS NÉOGAOUACHIT, fils aîné de Choumin, baptisé par le P. le
         Caron, 1121--retourne à la vie sauvage, ibid.

         LOUIS (le Frère), jésuite, noyé avec le P. Noirot, vers les
         îles de Canceau, 1288-90.

         LOUIS XIII; lettres qu'il donne à l'auteur (1618), 980--autre
         lettre (1620), 984--autre (1621), 993--autre (1622),
         1035--l'auteur lui est présenté (1624) par M. de Montmorency,
         et lui fait rapport de son voyage, 1069--commission en faveur
         de Champlain (1628), 1165-6.

         LOUISBOURG. Voyez _Anglais_ (port aux).

         LOUPS (nation des), ou Mahingans, en guerre avec les Iroquois,
         1117--proposent aux Montagnais de s'unir avec eux aux Flamands
         pour ruiner les villages iroquois, 1118--... 1117.

         LOUPS-MARINS (île aux), en Acadie, 159, 163, 713.

         MAGELLAN (détroit de), 45.

         MAGNAN (Pierre), français; va en ambassade chez les Iroquois,
         1125--sa mort, 1126-7--cause de sa mort, 1127--il était natif
         de Tougne, en Normandie, proche de Lisieux, 1127, 1179--détails
         donnés sur sa mort par Érouachy, 1177-9.

         MAHIGAN-ATIC. Voyez _Miristou_.

         MAHIGANATHICOIS, ou Mahingans; nation, des Loups; cinq flamands
         tués par eux, 1113--... 1117, 1119, 1177--désirent faire la
         paix avec les Iroquois, 1193.

         MAHINGANS. Voyez _Mahiganathicois_, et _Loups_.

         MAISONNEUVE (le sieur de), de Saint-Malo; muni d'un passe-port
         du prince de Condé pour trois vaisseaux; l'auteur le rencontre
         au saut Saint-Louis, 470, 883--offre passage à l'auteur sur son
         vaisseau, 473, 893.

         MALBAIE (cap de la), ou cap à l'Aigle, 1099.

         MALBAIE (rivière de la), appelée aussi rivière Platte, 790,
         1099--... 1235, 1246.

         MALLEBARRE (cap de), 1284.

         MALLEBARRE (port de), aujourd'hui Nauset, 213-21, 240, 246,
         247, 255, 260, 749-54, 755, 759.

         MANCENILLE, port de l'île Saint-Domingue, 17.

         MANITOU, ou génie chez les Montagnais et les Algonquins, 575,
         579, 955, 957-8.

         MANITOUGATCHE. Voyez _Nasse_ (la).

         MANTANE. Voyez _Matane_.

         MANTHOUMERMER, chef sauvage, 195--réception qu'il fait à M. de
         Monts et à l'auteur, 195-6, 732-3.

         MARCHIM, chef sauvage, 196, 197, 241--tué par Sasinou, 274--son
         fils Abriou lui succède, ibid--... 733, 734.

         MARESCHAL (Le), commandant de la Virginie, veut faire mourir
         les Français pris à Saint-Sauveur, et ne s'appaise qu'à la vue
         des lettres de La Saussaye, dérobées par Argall, 776--renvoie
         Argall dévaster les postes d'Acadie, 776-7--résolu de faire
         mourir le P. Biard, s'il abordait en Virginie, 778.

         MARGOTS (île aux), 172, 722.

         MARGUERITE (la), île où se pèchent les perles, 11.

         MARGUERITE (la), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel, 1283.

         MARILLAC (le sieur de), rapporte au conseil du roi les articles
         dressés par M. de Monts, 968--... 975.

         MAROT (le capitaine), de Saint-Jean-de-Luz, chargé de la
         conduite d'une expédition à l'Acadie, 1297--va rejoindre La
         Tour au cap de Sable, 1298-1302.

         MARSOLLET (Nicolas), de Rouen, truchement des Montagnais;
         l'auteur lui donne ordre de ne pas partir de Tadoussac pour
         Québec avant le 8 d'août (1624), 1062--se donne aux Anglais,
         1229, 1249--reproches que lui adresse l'auteur, 1249,
         1258-9--ce qu'il fait pour empêcher que l'auteur n'emmène les
         petites filles que lui avaient données les sauvages, 1253-63.

         MARTEL, de Dieppe, lieutenant à Sainte-Anne du Cap-Breton,
         assassiné par son commandant, 1316-7.

         MARTIN, sauvage ainsi appelé des Français, père de l'une des
         filles données à l'auteur, 1142--baptisé par le P. le Caron,
         ibid--sa fin malheureuse, 1143-4.

         MARTYRS (îles des), ainsi nommées pour y avoir eu autrefois des
         français tués par des sauvages, 275, 760.

         MASSÉ (le P. Ennemond), missionnaire en Acadie, 767--tombe
18/1466  malade parmi les sauvages, 771-2--fait prisonnier par les
         Anglais, 773-5--retourne en France, 776-80----arrive à Québec,
         1070--demeure en Canada (1627), 1129--supérieur (1629), 1218.

         MATANE, ou MANTANE, rivière qui se jette dans le fleuve
         Saint-Laurent, 68--les sauvages vont par cette rivière à la
         baie des Chaleurs, 114--... 354, 1091--on fait la pêche de la
         morue jusque-là, 1094.

         MATOU-OUESCARINI, ou Madouascaïrini, nation algonquine, 450,
         864.

         MAY (rivière de), aujourd'hui rivière Saint-Jean, en Floride,
         672, 674--... 677, 678.

         MECABAU, sauvage appelé Martin par les Français. Voyez
         _Martin_.

         MECHIQUE, ville. Voyez Mexico.

         MECHIQUE, ou MEXIQUE (rivière de), 28.

         MEILLERAYE (Charles de Mouy, sieur de la), vice-amiral de
         France, 668, 670.

         MEMBERTOU, ou MABRETOU, chef souriquois, 233-4--... 266,
         267--nourri avec sa famille par M. de Poitrincourt, 268--va à
         la guerre contre les Almouchiquois, 270, 274.

         MENANE, grande île à la côte des Etchemins, 172--... 194, 229,
         263, 721.

         MENENDEZ DE AVILEZ (Dom Pedro), chasse les Français de la
         Floride, 677-9.

         MESSAMOUET, sauvage, va avec l'auteur à la découverte d'une
         mine de cuivre, 176-7--... 239--accompagne M. de Poitrincourt
         jusqu'à Chouacouet, 240--fait des présents à Onemechin, 241.

         MEXICO, visité par Champlain, 25, 44--description que l'auteur
         fait de cette ville et des productions du pays, 25-44.

         MEXIQUE, description qu'en fait l'auteur, 25-44.

         MICHEL (Jacques), renégat français; conduit la flotte de Kenk à
         Québec, 1154--... 1168-9--l'auteur le rencontre au
         Moulin-Baudé, 1239--contre-amiral de la flotte anglaise,
         ibid--conseil donné par lui aux Anglais dès l'Angleterre,
         1243--... 124;--monte à Québec avec le général Kertk,
         1252--l'auteur l'engage à parler au général Kertk en faveur des
         filles données par les sauvages, 1256--secret qu'il confie à
         l'auteur au sujet du général, 1263--sa dernière maladie, ses
         blasphèmes, ses plaintes contre les Anglais, sa fin
         malheureuse, 1267-73--ses obsèques, 1273-4.

         MINES.--Mines d'argent du Mexique, 28--mines de cuivre à
         l'Acadie, 114, 122-5, 168-70, 176-7--mines d'argent à la baie
         Sainte-Marie, 715--mines de fer à la rivière du Boulay, en
         Acadie, ibid.

         MINES (port aux), aujourd'hui havre à l'Avocat, dans la baie de
         Fundy, 168-9--... 227, 273.

         MIRAMICHI ou MISAMICHY, baie du golfe Saint-Laurent, 114, 719,
         1087.

         MIRISTOU, sauvage fort attaché aux Français, 1021--diverses
         entrevues avec l'auteur, 1022-8--prend le nom de Mahigan-Atic,
         1024--conditions auxquelles il est reçu capitaine, 1027--fort
         bien accueilli de Pont-Gravé et du sieur de La Ralde,
         1034--refuse de s'allier aux Loups contre les Iroquois avant
         d'avoir l'avis de l'auteur, 1118--ce qu'il propose pour
         prévenir une rupture de la paix, 1119-20--monte aux
         Trois-Rivières avec l'auteur, 1122--nouvelles de sa mort, 1145.

         MISAMICHY, ou MESAMICHY. Voyez Miramichi.

         MISCOU (les..îles de), dans le golfe Saint-Laurent, 1045, 1062,
         1067, 1085-7--La Ralde y saisit plusieurs vaisseaux faisant la
         traite contre les défenses, 1113--hiver de 1626-27,
         1117--quelques français y hivernent, ibid--la maison est saisie
         (1628) par les Kertk, 1159---la compagnie des Cents-Associés y
         envoie du secours (1631), 1315.

         MISTIGOCHE, ou MATIGOCHE, nom que les Montagnais donnaient aux
         Normands et aux Malouins, 357, 360, 827.

         MOCOSA, ancien nom de la Virginie, 6l, 1307.

         MOHIER (le frère Gervais), récollet, baptise Trégatin, 1126.

         MOINERIE (de la), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en
         traite à Tadoussac, 437.

         MOLUES (baie des), aujourd'hui Malbaie, 113, 1085.

         MONAHIGAN. Voyez _Nef_ (la).

         MONTAGNAIS, sauvages du Saguenay et des environs de Québec,
         72-3--trafiquent avec d'autres nations du Nord, 86--expédition
19/1467  contre les Iroquois, 120-1--autre expédition (1609) avec
         l'auteur, 321-48, 801-26--soixante montagnais vont à la guerre
         contre les Iroquois, 357--... 358, 828-9--réception qu'ils font
         à Champlain (1613), 436--... 745.

         MONTE-CHRISTO, 19.

         MONTMORENCY (Charles de), amiral de France et de Bretagne;
         Champlain lui dédie son voyage de 1603, 59--s'entremet de
         l'affaire du Canada, 967, 969, 982--nomme l'auteur son
         lieutenant, 983--vice-roi de la Nouvelle-France, 984--prise de
         possession du Canada en son nom (1620), 989-90--lettre qu'il
         adresse à l'auteur, 994--instruction qu'il donne au P. le
         Baillif, 995-6--présente l'auteur au roi (1624), 1069--...
         1072.

         MONTMORENCY (saut), près de Québec; l'auteur le mentionne pour
         la première fois, 89--ainsi nommé par l'auteur, 792.

         MONT-ROYAL, à une lieue de la Place-Royale (Montréal), 391,
         839.

         MONTS (Pierre du Gua, ou Dugas, sieur de); fait le voyage du
         Canada (1599) avec le sieur Chauvin, 698--obtient du roi (1603)
         une commission pour le Canada, 704-5--fait son embarquement
         (1604), 154-5, 705-6--l'auteur, sur sa demande, l'accompagne,
         706--fait, avec l'auteur, l'exploration des côtes d'Acadie, 157
         et suiv.--et de la baie Française, 165 et suiv.--fait une
         habitation dans l'île Sainte-Croix, 173-5, 706-7--reçoit
         humainement les maîtres des navires saisis par Pont-Gravé,
         176--demeure d'abord dans le logement de Champlain, à
         Sainte-Croix, ibid--envoie Champlain à la découverte d'une mine
         de cuivre, 176-7--renvoie ses vaisseaux en France, 177--charge
         l'auteur d'explorer la côte de Norembègue, ibid--... 184--fait
         faire des jardinages à Sainte-Croix, 188, 191--y fait
         accommoder une barque pour aller à Gaspé, 192--se décide à
         changer le lieu de son habitation, 193--son voyage à la côte
         des Almouchiquois (1605), 193-224--transporte l'habitation de
         Sainte-Croix au port Royal, 224--part pour la France,
         225-6--... 242, 260--sa commission révoquée, 707-9--rappelle sa
         colonie de Port-Royal, 269, 273 et suiv., 708--remarques de
         Champlain sur ses entreprises, 135, 152-4, 709-10--charge
         l'auteur de faire une habitation sur le Saint-Laurent (1608),
         283-6, 783 et suiv.--sa commission révoquée de nouveau, 784--en
         sollicite vainement une nouvelle, 349-51, 785--... 394,
         413--l'auteur lui rend compte du voyage de 1611, 413-4,
         885--ses associés lui cèdent leur part dans l'habitation de
         Québec, 414--confie à l'auteur le soin de former une nouvelle
         société, 414, 885--nouveaux articles dressés par lui (1617),
         968--... 595, 972--mort avant 1632, 1308.

         MONTS-DÉSERTS (île des), ainsi nommée par l'auteur, 179,
         724--description de cette île, 178-81, 726--... 194,
         261--établissement formé en cette île par La Saussaye, 773--les
         Anglais s'en emparent, 773 et suiv.

         MORE (le), forteresse de la Havane, 48.

         MOTIN; ode de ce poète sur les oeuvres de l'auteur, 143.

         MOULIN-BAUDÉ. Voyez _Baudé_.

         MOUSQUITES (port aux), 17.

         MOUTON (port au), en Acadie, 155--description de ce lieu,
         156-7, 712.

         NACOU, port de la Guadeloupe, 10.

         NASSE (La), surnom du sauvage Manitougatche; annonce le retour
         des Anglais (1629), 1220.

         NATEL (Antoine), serrurier, découvre la conspiration contre
         l'auteur, et obtient sa grâce, 298-300.

         NAUSET (port de). Voyez Mallebarre (port de).

         NEF (île de la), aujourd'hui appelée Monahigan, 223. Voir note
         2 de la page 222--... 731.

         NEGRE (cap), à l'Acadie; pourquoi ainsi appelé, 157, 712.

         NEUTRE (nation), ou Attiouandaronk, 546, 930--demeurant à
         l'ouest du lac des Entouhoronon (Ontario), 548--son armée de
         quatre mille hommes, ibid--pourquoi l'auteur ne s'y rend pas,
         ibid--alliée à la nation du Petun contre les Assistaguéronon,
         548, 932.

         NEUVE-ESPAGNE, 16, 21.

         NIBACHIS, chef algonquin; réception qu'il fait à l'auteur,
         452-3, 866--fait équiper deux canots pour le conduire vers
         Tessouat, 454, 867.

         NICOLET (rivière de). Voyez Dupant.

20/1468  NIGANIS, ou NIGANICHE, dans l'île du cap-Breton, 273, 280, 763.

         NIPISSING (lac), ou lac des Nipissirini, l'auteur passe par ce
         lac en allant au pays des Hurons, 509-11--description de ce
         lac, 510-1.

         NIPISSIRINI, ou NIPISSINGS, nation des Sorciers, 44.3, 458--mal
         vus des autres nations algonquines, 458-9, 871--bonne réception
         qu'ils font à l'auteur, 510-1--leurs moeurs et coutumes,
         ibid--... 549, 857.

         NOIROT (le Père), jésuite, arrive en Canada, avec des
         provisions (1626), 1079-80, 1108, 1111--... 1129--a quelque
         démêlés (en France) avec M. Guillaume de Caen, ibid--venant à
         Québec, rebrousse chemin à l'approche des Anglais (1629), 1207,
         1240--on apprend de ses nouvelles par Joubert, 1248--son
         naufrage et sa mort, 1288-95.

         NOREMBÈGUE (côte de); l'auteur en fait l'exploration,
         177-87--... 340, 728--moeurs et coutumes des sauvages de cette
         côte, 191-2, 735-6.

         NOREMBÈGUE (rivière de), aujourd'hui baie de Fundy; l'auteur a
         cru que c'était la rivière de Pénobscot, 174, 179--... 725,
         731.

         NORMANDS; furent des premiers à découvrir les terres neuves,
         666.

         NOROT, nom d'un commandant de vaisseau, mentionné dans la
         lettre de David Kertk, 1159--et dans la réponse de Champlain,
         1161.

         NOTRE-DAME (monts), 1090.

         NOUE (le P. Anne de), jésuite; son arrivée à Québec,
         1112--monte au pays des Hurons, Ibid--demeure en Canada (1627),
         1129.

         NOUVELLE-ANGLETERRE, 1279.

         NOUVELLE-ÉCOSSE, 1279. Voyez _Acadie_.

         NOUVELLE-FRANCE. Voir _Canada_. Première fois que l'auteur
         mentionne le Canada sous ce nom, 657--sa description,
         659-64--ses limites, suivant l'auteur, 1313.

         OBENAQUIOUOIT. Voyez _Abenaquis_.

         OCHATEGUIN, chef huron, 324, 803--arrive à la rivière des
         Iroquois après la seconde bataille livrée, 367, 833--descend à
         la traite (1611) avec deux cents de ses compatriotes, 397,
         844--blessé à l'attaque du fort des Iroquois (1615), 533, 919.

         OCHATEGUINS, nom que l'auteur donne aux Hurons, 317, 323,
         346--sont les bons Iroquois, 349--...356, 358, 370, 453, 464,
         803, 525, 834. 867.

         OCHELAGA. Voyez _Hochelaga_.

         OIES (cap aux), 1099-1100.

         OISEAUX (île aux), 985, 1081, 1084.

         ONEMECHIN (Olmechin, suivant Lescarbot), capitaine
         almouchiquois, 200--chef de la rivière de Chouacouet, 241,
         243--tué par Sasinou, 274--son fils Quéconsicq lui succède,
         ibid-... 737.

         ONTARIO (lac). Voyez _Entouoronon_ (lac des).

         OQUI, ou OKI, manitou ou génie chez les Hurons, 574 et suiv.,
         955 et suiv.

         ORANI, chef sauvage, blessé à l'attaque du fort des Iroquois
         (1615), 533, 919.

         ORLÉANS (île d'), 88, 108, 294-6, 438, 603, 791-2, 1103--M. de
         Caen dit à l'auteur que M. de Montmorency la lui a concédée
         avec le cap Tourmente, et quelques autres îles, 1065-6.

         ORPHELINS (ban des), 1086.

         ORVILLE (le sieur d'), l'un des compagnons de M. de Monts, à
         l'île Sainte-Croix, 176--la maladie l'empêche de commander à la
         place de M. de Monts, 225.

         OSTEMOY, OSTEMOUY, ou Autmoin, jongleur ou devin chez les
         Souriquois, 335. 8l4.

         OTAGUOTTOUEMIN, nation algonquine, 508, 900.

         OTONABI (rivière), mentionnée par l'auteur, 524.

         OTOUACHA, premier village huron où aborde l'auteur, 514, 905.

         OUAGABEMAT, frère de Chomina, s'offre d'aller à la côte des
         Etchemins pour traiter de la poudre; ce qui lui est accordé,
         1216.

         OUAGIMOU, ou OAGIMONT, suivant Lescarbot, sauvage, 265.

         OUEL (le sieur). Voyez _Houel_.

         OUESCHARINI, ou Ouaouiechkairini, nom algonquin de la
         Petite-Nation, 447, 467, 861, 880.

         OUTAOUAIS (rivière des). Voyez Algonquins (rivière des).

         OUTETOUCOS, capitaine montagnais; périt dans le saut
21/1469  Saint-Louis, 394-6, 842-3--ses compatriotes vont quérir son
         corps, et l'enterrent dans l'île Sainte-Hélène, 411.

         OUYGOUDY, nom sauvage de la rivière Saint-Jean, 171, 720.


         PANAMA, port, sur l'isthme du même nom, 44-5--l'auteur émet
         l'idée de couper l'isthme, 45.

         PANOUNIAS, sauvage qui fit, avec M. de Monts et l'auteur, le
         voyage du pays des Almouchiquois, 193-4--sa mort, 265--son
         enterrement, 266-7--... 270--guerre à cause de sa mort,
         274--avait été tué à Norembègue (Pénobscot), par les gens
         d'Onemechin et de Marchim, 274.

         PARMENIUS (Étienne), de Bude, savant hongrois, venu à
         Terre-Neuve en 1583; y périt, 1312.

         PEMEMEN, fils de Sasinou, lui succède, 274.

         PEMETEGOIT, ou Pentagouet. Voyez _Pénobscot_.

         PENOBSCOT, ou PENTAGOUET, rivière du pays des Etchemins,
         appelée par erreur Norembègue, 174, 179--ce que l'auteur en
         dit, 179-85, 725, 728-30--... 773, 782.

         PENTAGOUET. Voyez _Pénobscot_.

         PERCÉ, ou ILE PERCÉE, 113-4, 116--l'auteur y rencontre Prévert,
         121--... 286, 349--quantité de vaisseaux y font la pêche
         (1610), 374--... 474, 601, 763, 1080.

         PETUN. Voyez _Tabac_.

         PETUN (nation du), ou Tionnontatéronon; l'auteur se rend chez
         cette nation avec le P. le Caron, 545, 930--ce que l'auteur en
         dit, 545-6--ces peuples vivent comme les Hurons, 546.

         PIAT (le P. Irénée), récollet; hiverne avec les sauvages,
         1040--entreprend une mission à Tadoussac, 1041-2.

         PIC (le). Voyez _Bic_.

         PILOTOIS, ou PILOTOUA, devin ou jongleur chez les Montagnais,
         82, 335--description de la jonglerie, 335-6, 814-5.

         PILLET (Charles), matelot de l'île de Ré, assassiné par les
         sauvages, 603-5.

         PLACE-ROYALE, à une lieue du mont Royal, 390-1,
         839--description que l'auteur en fait, 390-3, 838-40--l'auteur
         y fait défricher et y fait faire une muraille, 392-3, 840--...
         394.

         PLAISANCE (baie de), à Terre-Neuve, 1082.

         PLATTE (rivière). Voyez _Malbaie_.

         PLESSIS (frère Pacifique du), récollet; choisi pour les
         missions du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--demeure à
         Québec avec le P. Dolbeau, 499, 505--hiverne (1616-17) avec le
         même père, 595--à Québec (1618), 615--repasse en France avec le
         P. Paul Huet, pour faire rapport sur les affaires du Canada,
         630-1--sa mort, 987.

         PLYMOUTH (port de), dans le Massachusets. Voyez Saint-Louis
         (port).

         POITRINCOURT, ou POUTRINCOURT (Jean de), 163--sur le point de
         s'égarer aux îles aux Margots, 172--demande Port-Royal à M. de
         Monts, et retourne en France, 177-8, 765-6--revient à
         Port-Royal, 236-7--fait travailler au défrichement, 237--part
         pour explorer la côte de la Floride, et relâche, 238--fait avec
         l'auteur un voyage d'exploration jusqu'au-delà du pays des
         Almouchiquois, 239-63--fait faire un moulin à une lieue de
         Port-Royal, 264--fait faire un chemin à Port-Royal, depuis
         l'habitation jusqu'à l'entrée du port, 265--... 267--nourrit
         une partie des sauvages pendant l'hiver, 268--M. de Monts lui
         mande de ramener ses compagnons en France, 269--va avec
         l'auteur au fond de la baie Française, 271-3--demeure à
         Port-Royal quelque temps après le départ de ses compagnons,
         273-4--son fils, M. de Biencourt, vient le rejoindre à
         Port-Royal (1611), 387--lieutenant de M. de Monts (1607),
         708--laisse son fils à Port-Royal, 765-6--conditions auxquelles
         M. de Monts lui avait concédé Port-Royal, 766--y retourne,
         767--renvoie son fils en France, ibid--... 771--à Port-Royal
         (1629), 1279.

         POITRINCOURT (cap de), dans la baie Française, 272.

         PONT-Gravé. Engage le sieur Chauvin à demander le privilège de
         la traite, 697--fait le voyage du Canada comme lieutenant de ce
         dernier, 698--l'engage à fixer son habitation plus haut que
         Tadoussac, ibid--retourne en France, 699--choisi de nouveau
         pour faire le voyage de Tadoussac, 701--voyage de 1603, 65,
22/1470  702-3--sauvages qu'il ramène de France, 70--essaye de franchir
         le saut Saint-Louis avec Champlain, 101-2--de retour à
         Tadoussac, 112--emmène en France un jeune montagnais et une
         iroquoise, 126-7--part de France (1604) pour Canceau, 155,
         706--M. de Monts envoie, du port au Mouton, une chaloupe
         au-devant de lui, 157--saisit quelques vaisseaux basques,
         ibid--M. de Monts lui envoie le capitaine Fouques à Canceau,
         pour avoir des provisions, 175-6--envoie à M. de Monts les
         maîtres des navires basques saisis à Canceau, 176--arrive à
         Sainte-Croix (1605), 193--choisit avec l'auteur la situation de
         Port-Royal, 224--y reste en qualité de lieutenant de M. de
         Monts, 225-6--fait accommoder une barque pour aller à la
         découverte le long de la côte de la Floride, et fait naufrage,
         229-32--atteint d'un mal de coeur, 230--retourne en France
         (1606), 238--maltraité, à Tadoussac (1608) par un vaisseau
         basque, 288-9--l'auteur fait l'accord entre lui et le maître de
         ce vaisseau, 289--garde prisonniers les auteurs de la
         conspiration contre Champlain, 301--monte à Québec avec eux,
         301-2--retourne en France, 303--de retour à Tadoussac (1609),
         321--monte à Québec et à Sainte-Croix, 326, 805--de retour de
         Gaspé à Tadoussac, 348--se décide à passer en France, ibid--de
         nouveau chargé de la traite à Tadoussac (1610), 350--fait
         embarquer, à Honfleur les choses nécessaires pour l'habitation,
         351, 785--de retour à Tadoussac, 356--monte en traite à la
         rivière des Iroquois, 365--... 368--retourne à Tadoussac,
         370--forme la résolution d'hiverner à Québec, 371--Champlain
         l'en dissuade, 371-2--repasse en France, 373--à Tadoussac
         (1611), 387-8--monte au saut Saint-Louis, 393, 402--redescend à
         Tadoussac, 469--l'auteur s'embarque dans son vaisseau (1613),
         435--les Récollets viennent en Canada sur son vaisseau,
         497--arrive à Québec avec le P. Denis Jamay, 499--est d'avis
         qu'il est nécessaire que l'auteur aille assister les Hurons
         contre leurs ennemis, 502-3--l'auteur le rencontre qui revient
         du saut avec le P. Denis, 506-7--de retour en France (1616)--au
         saut Saint-Louis, 591--repasse l'auteur en France, 595,
         965--le ramène au Canada (1618), 599--... 614--monte à. Québec
         et aux Trois-Rivières, pour la traite (1618), 615--...
         620--retourne en France, 630-1--la compagnie veut lui donner le
         commandement de Québec à la place de Champlain, 978-80--hiverne
         à Québec (1619-20), 981, 991--parti de Québec (1620) pour la
         rivière des Iroquois, 987--descend des Trois-Rivières à Québec,
         et repasse en France, 991--arrive à Québec (1621), 1005--monte
         aux Trois-Rivières pour la traite, 1006--lettre tombée entre
         ses mains, 1009--de Caen saisit son vaisseau à Tadoussac,
         1009-13--l'auteur lui dépêche un canot aux Trois-Rivières,
         1010--à Tadoussac, 1012--présente à l'auteur une protestation
         contre de Caen, ibid--l'auteur prend vainement son vaisseau
         sous sa sauvegarde, 1013--de Caen lui rend son vaisseau,
         1014--... 1015--part de Québec avec le P. le Baillif,
         1017-18--revient (1622), 1033--monte aux Trois-Rivières pour la
         traite, 1034--hiverne à Québec (1622-23) comme principal
         commis, 1037--... 1038--malade de la goutte, 1039-40--à la
         rivière des Iroquois (1623), 1043--à Québec (1624), 1065--...
         1068--Émeric de Caen lui dépêche (1626) une chalouppe de
         Tadoussac, 1105--nouvelles de lui à Tadoussac, 1106-7--repasse
         en France, 1113--revient à Québec (1627), à la prière de
         Guillaume de Caen, 1125--... 1141, 1153, 1159, 1183,
         1206--embarras de sa position, 1208-10, 1211-12--demande à
         l'auteur de faire lire sa propre commission; l'auteur le lui
         accorde, et lit en même temps la sienne, 1210-1--signe avec
         Champlain la capitulation de Québec, 1226--malade au lit lors
         de la prise de la place, 1228--y demeure encore quelques jours,
         1232.

         PONT-GRAVÉ (Robert), fils, perd une main au port Fortuné,
         257--brouillerie entre lui et M. de Biencourt, apaisée par les
         pères Jésuites, 769--à Sesambre (1613), 776--recueille à son
         bord une partie des français de Saint-Sauveur, pour les
         repasser en France, ibid.

         PORÉE (Thomas), l'un des principaux membres de l'ancienne
         compagnie des marchands, 1008.

         PORT-AUX-ANGLAIS, aujourd'hui Louisbourg. Voyez _Anglais_ (port
         aux).

         PORT-AUX-ILES, 203-4.

         PORT-NEUF, lieu ainsi nommé, plus bas que Tadoussac, sur le
         Saint-Laurent, 1093-4.

23/1471  PORTO-BELLO, ou Portovella, 16--description que l'auteur en
         fait, 44--expédition que Drake y fait, 45-6--l'auteur y demeure
         un mois, 46.

         PORTO-PLATTE, dans l'île Saint-Domingue, 17--plan de ce port,
         ibid.

         PORTO-RICO, 8--description qu'en fait Champlain, 11-16--comment
         les Anglais s'en emparèrent, 12-13--le général espagnol y
         laisse garnison, 16.

         PORT-ROYAL, concédé par M. de Monts à M. de Poitrincourt, 177,
         765--l'auteur et Pont-Gravé en choisissent la situation,
         ibid--description que l'auteur en fait, 224-7--on y transporte
         l'habitation de Sainte-Croix, 224, 708--habitation abandonnée
         un instant, 233-4--on y retourne, 236--amélioration qu'y font
         M. de Poitrincourt et l'auteur, 264-5--Champlain y établit
         l'ordre de Bon Temps, 268--le scorbut y fait quelques ravages
         pendant l'hiver (1606-7), 269--l'habitation abandonnée,
         274--sauvages qu'on y baptise (1610), 767--M. de Biencourt y
         vient rejoindre son père (1611), 387--M. de Poitrincourt y
         demeure encore en 1629, 1279--... 1285--au pouvoir des Anglais,
         1299, 1314.

         PORTOVELLA. Voir _Porto-Belle_.

         POULAIN (le P. Guillaume), récollet; plaintes que fait contre
         lui le sieur de Caen, 1009.

         PRAIRIES (rivière des), 500--première messe dite par les
         Récollets, 504--l'auteur passe par cette rivière pour aller au
         pays des Hurons, 507, 899-900.

         PRÉVERT (le sieur), de Saint Malo; envoyé par Champlain aux
         mines d'Acadie, 114--lui fait rapport de son voyage,
         121-4--emmène en Europe quatre sauvages, 127--part de Gaspé,
         ibid--mine de cuivre découverte par lui, 168-70, 227.

         PROVENÇAL (le capitaine), oncle de Champlain, pilote général du
         roi d'Espagne, 6--repasse en Espagne la garnison de Blavet,
         ibid--se fait remplacer par Champlain pour le voyage aux
         Indes-Occidentales, 9.

         PUISIEUX (monsieur de), secrétaire des commandements du roi;
         lettre qu'il adresse à l'auteur, 993, 994, 1017.

         QUÉBEC. L'auteur y mouille pour la première fois, 89--... 108,
         197--l'auteur y fonde une habitation, 296, 301, 303-4, 309,
         784, 786, 792-3--première exécution d'un condamné, 302--maladie
         de la terre, 318-20--nombre des hivernants en 1608-9,
         321--rejouissances qu'y font les sauvages (1609), 326--Pierre
         Chavin y commande (1609-10), 348--... 356--soixante montagnais
         y arrivent, 357--l'auteur y fait réédifier quelques palissades
         autour de l'habitation, 371--arrivée de Desmarais, ibid--Duparc
         y commande (1610-11); nombre des hivernants, 373, 389--l'auteur
         y fait faire quelques réparations (1611), 412--M. de Monts en
         reste seul propriétaire, 414--... 417, 434--hiver de 1612-13,
         sans beaucoup de froid et sans maladie, 438--... 497--l'auteur
         y fait construire (1615) la première chapelle et le logement
         des Récollets, 499--première messe célébrée par le P. Dolbeau,
         505--l'auteur en part pour aller au pays des Hurons, 506--son
         retour, 591-2--l'auteur fait augmenter l'habitation «du tiers
         pour le moins», 593--on commence à y faire de la chaux,
         ibid--... 601--meurtre de deux français commis par des
         sauvages, 601-14--arrivée de l'auteur (1618) et du personnel de
         la traite, 615--l'auteur y demeure quelques jours pour visiter
         les travaux, 615-17--... 618--départ des traitants, 630--...
         782--cédé par M. de Monts à quelques marchands de La Rochelle,
         784--l'auteur l'offre à madame de Guercheville, 785--les
         difficultés entre les associés (1612-13) empêchent l'auteur de
         rien faire pour l'habitation, 892--état des personnes qui
         doivent y être menées et entretenues pour l'année 1619,
         973--mauvais état de l'habitation (1620), 987-8--arrivée de
         l'auteur avec sa famille, 989--prise de possession au nom de M.
         de Montmorency, ibid--réparation de l'habitation et
         commencement du fort Saint-Louis, 990--l'auteur construit ce
         fort contre le gré des marchands, 991, 992--fait parachever le
         magasin, 1015--armes et munitions déposées en 1621,
         1016-7--deux familles inutiles renvoyées par l'auteur,
         1019--ordonnances qu'il publie pour le maintien du bon ordre,
         ibid--famine causée par la division entre les deux sociétés,
         1020--nombre des personnes qui hivernent (1622-23), 1037--...
24/1472  1039.--travaux faits à l'habitation (1622-23), 1039-40,
         1042--on essaye d'engager les sauvages à descendre y faire la
         traite, 1043--arrivée des traiteurs, 1050--nouveaux magasin,
         dont l'auteur donne le plan, 1051-3--il y fait faire un chemin
         pour monter au fort Saint-Louis, 1053--fait travailler au fort
         (1623-24), 1054-5--un coup de vent enlève la couverture du
         château, 1055--l'auteur fait continuer les travaux à
         l'habitation, 1057-8, 1059, 1066--première pierre du nouveau
         magasin, 1057-8--observations météorologiques de l'auteur
         (1623-24), 1053-4, 1058-9--départ de Champlain et de sa
         famille, 1066--le sieur Émeric de Caen reste commandant à sa
         place, 1067--population en 1624, ibid--arrivée des Jésuites,
         1070, 1076--... 1079--disette de vivres (1626), 1106-7--arrivée
         de l'auteur, 1108--travaux de l'habitation peu avancés,
         ibid.--population en 1626, 1109--l'auteur reconstruit et
         agrandit le fort, 1110-l--fait couvrir la moitié de
         l'habitation, 1111--fait amasser et scier le bois de charpente,
         1115--un des ouvriers des pères Jésuites meurt de la jaunisse
         (1626), ibid--un enfant de Caquémistic enterré au cimetière de
         l'habitation, ibid--population en 1627, 1130--l'entretien du
         fort n'est pas du goût des associés, 1131-2--deux français tués
         par les sauvages, 1134 et suiv.--premier labour fait avec des
         boeufs, 1144--disette de vivres (1628), 1150-2--sommation de
         Kertk (1628); réponse de Champlain, 1159-63--l'auteur fait
         faire un moulin à bras, 1170--puis un moulin à eau, 1172--hiver
         de 1628-9, 1172-5--disette extrême, 1171-5, 1184-90--population
         en 1628-29, 1189--lecture publique des commissions de
         Pont-Gravé et de l'auteur, 1211-2--retour des Anglais (1629),
         1221-2--nouvelle sommation des Kertk, 1223--capitulation,
         1223-7--les Anglais en prennent possession, et pillent le
         magasin, 1228-9--effets trouvés dans la place lors de la prise,
         1229-30--départ de l'auteur, 1232--visite du général David
         Kertk, 1252--démarches pour obtenir la restitution de cette
         place, 1277-81, 1295-7, 1325-6--deux vaisseaux anglais en
         reviennent (1630), 1304--nouvelles qu'ils apportent,
         1304-5--conspiration ourdie par un ministre contre le capitaine
         Louis Kertk, 1325--le fort et l'habitation sont rendus à la
         France, 1326.

         QUECONSICQ, fils d'Onemechin, lui succède, 274.

         QUENECHOUAN, saut ainsi appelé, 444, 858.

         QUENONGEBIN, ou Kinounchepirini, nation algonquine, 446, 860.

         QUENTIN (le P. Jacques), jésuite, missionnaire en Acadie,
         772--fait prisonnier par les Anglais, 773-5--conduit en
         Virginie, puis en Angleterre, 775-80.

         QUINIBEQUI. Voyez _Kinébec_.

         QUINIBEQUI (lac de), ou baie de Merry-Meeting, 222.

         QUIOUHAMENEC, chef almouchiquois, 242.

         RALDE (le sieur de La); M. de Caen annonce à l'auteur (1621)
         qu'il le lui enverra de Tadoussac, 1006--arrive de France
         (1622), 1033--monte aux Trois-Rivières, 1034--redescend à
         Tadoussac pour aller à Gaspé, 1036--lieutenant du sieur de
         Caen, ibid--différend avec Hébert au sujet des prières, ibid--à
         Miscou (1624), 1062, 1067--retourne en France, 1068--nommé
         général de la flotte du Canada (1626), 1079-80, 1103--se rend à
         Miscou, 1104--donne le commandement de son vaisseau à Émeric de
         Caen, 1104-5--mande à Québec qu'on lui envoie l'Alouette pour
         lui prêter main-forte, 1113--laisse à Miscou quelques français
         pour hiverner, 1117--nouvelles de son arrivée à Tadoussac
         (1627), 1121--... 1125--indisposé contre les Jésuites,
         1129--reçoit néanmoins le P. Lalemant en son vaisseau, et le
         traite bien, 1130--part dans la Catherine, 1130--... 1132,
         1151.

         RALLEAU (le sieur), secrétaire de M. de Monts, accompagne
         l'auteur dans l'exploration de la côte d'Acadie, 157--son
         entrevue avec le chef Secondon, 171--repasse en France,
         177--revient à Port-Royal (1606), 236--arrive de Niganis
         (1607), 273.

         RAMÉES (îles), dans le golfe Saint-Laurent, 1084.

         RANGÉES (les îles), à la côte des Etchemins, 178, 194, 262,
         724.

         RANGÉES (les îles), à la côte d'Acadie, 277.

         RASE (cap de), à Terre-Neuve, 127, 1082.

25/1473  RASILLY (le chevalier de), attendu en Canada (1629),
         1239-40--les vaisseaux de la nouvelle compagnie devaient le
         rejoindre avant de partir pour Québec, 1248, 1283--sa flotte
         envoyée au Maroc, 1249--... 1283-4--élu général de la flotte du
         Canada, 1296--prépare à La Rochelle, un nouvel embarquement
         (1632), 1326-7.

         RAYE (cap de), à Terre-Neuve, 67, 384, 387, 436, 1081-3.

         RAYE, ou REYE (Pierre), charron, renégat français; se donne aux
         Anglais, 1229.

         RÉALLE (la), vaisseau du sieur Desdames, dans lequel le P.
         Nicolas Viel et le frère Sagard passèrent en Canada, 1042.

         RÉCOLLETS. Le sieur Houel suggère à l'auteur de demander des
         religieux de cet ordre pour les missions du Canada, 491--quatre
         sont choisis, 495--leur arrivée à Tadoussac, 497--leur premier
         logement à Québec, 499--... 896-7, 988-9, 1001, 1050,
         1219--repasse en France, 1276--trois religieux de cet ordre
         vont à l'Acadie, 1297-1301.

         RÉCONCILIÉ (le), sauvage ainsi surnommé par les Français;
         accepte des présents de la part des Loups pour se joindre à eux
         contre les Iroquois, 1118--ce que l'auteur trouve fort mauvais
         et fort dangereux, 1118-9--se rend secrètement aux
         Trois-Rivières, où il se montre opposé à la guerre, 1120,
         1122--va en ambassade chez les Iroquois, 1124-5--sa mort,
         1126-7--il avait tué deux français au cap Tourmente, 1127--...
         1149.

         RIBAUT (Jacques), neveu de Jean, commandant d'un vaisseau à la
         Floride, 678.

         RIBAUT (Jean); son expédition en Floride, 672-9--défaut observé
         dans son entreprise, 687-91.

         RICHELIEU (le cardinal de); l'auteur lui dédie son livre de
         1632, 643.

         RIDEAU (rivière), mentionnée par l'auteur, 448, 86l.

         RIVIÈRE-PLATTE (cap de la), ou cap aux Oies, 1099.

         ROBERVAL (le sieur de), 151--son expédition au Canada, 692,
         1310.

         ROBIN (le sieur); ses conventions avec les missionnaires du
         Canada, 768.

         ROCHE (ruisseau de la), au port Royal, 167.

         ROCHE (marquis de La). Voyez _La Roche_.

         ROCHELLE (La); M. de Monts y envoie les vaisseaux basques
         saisis par Pont-Gravé à Canceau, 176--... 237, 413.

         ROCHERS (anse aux), quelques lieues plus haut que Tadoussac,
         1097.

         ROQUEMONT (Claude de), 1157--nouvelles apportées de lui à
         Québec par Desdames, 1164, 1168--fautes qu'il commit, suivant
         l'auteur, 1168-9--nouvelle de sa prise par les Anglais,
         1191-2--... 1274-5.

         ROSSIGNOL, capitaine de vaisseau; on donne son nom à un port de
         l'Acadie, 156--son vaisseau envoyé à Canceau, 175-6.

         ROSSIGNOL (port du), en Acadie; origine de ce nom, 156.

         ROUGE (l'île), vis-à-vis l'entrée du Saguenay, 1096--Émeric de
         Caen y échoue (1629) à la vue des vaisseaux anglais, qui le
         laissent repartir, 1245.

         ROUMIER, sous-commis au magasin de Québec; hiverne de 1619 à
         1620, et retourne en France, 991--commis de la nouvelle société
         (1621); apporte à l'auteur plusieurs dépêches, 1007.

         ROYAL (port), en Acadie, 161--ainsi nommé par l'auteur, 166,
         717--description de ce port, 165-7--... 169.

         RUOS, ou RUAULX (île aux), 1101--sert de marque pour suivre le
         chenal, 1102.

         SABLE (baie de), en Acadie, 158, 712.

         SABLE (cap de), près de la baie de Sable, en Acadie, 158-9,163,
         235-6, 712--étabilssement du sieur de La Tour en cet endroit,
         1298 et suiv.

         SABLE (île de); Sir Humphrey Gilbert y fait naufrage, 151,
         693--le marquis de La Roche y laisse des hommes et des
         munitions, 152--description de cette île, 155--... 280.

         SACO. Voyez Chouacouet.

         SACQUÉ, pour Sagné, 327. Voyez Saguenay.

         SAGARD (le frère Gabriel), récollet, arrive en Canada (1623),
         1043--part pour le pays des Hurons, avec le P. Viel et le P. le
         Caron, 1049-50--en revient (1624), 1063-4.

         SAGUENAY, rivière, 68-9--description que l'auteur en fait,
         84-6, 290-2, 788--source de cette rivière, 327--direction pour
         y entrer, 1092-3.

26/1474  SAINE (baie), ou de Chibouctou, aujourd'hui baie d'Halifax,
         275, 760.

         SAINT-ANTOINE (rivière), au port Royal, 167, 718.

         SAINT-BARNABE (île), dans le fleuve Saint-Laurent, 1091-2--le
         sieur de Roquemont y donne rendez-vous à Desdames, 1166-7.

         SAINT-CHARLES (rivière), quelquefois appelée simplement la
         Petite-Rivière, primitivement rivière Sainte-Croix (voyez ce
         mot), 669--prise en glace (novembre 1623), 1053--l'auteur y
         fait faire un chemin à la Sapinière, 1054--... 1157.

         SAINT-DOMINGUE (île), 17--description de cette île, 21-2,
         50-1--... 674.

         SAINT-ÉLOI, petite île du fleuve Saint-Laurent, 93, 323, 803.

         SAINT-ÉTIENNE (le), vaisseau de Saint-Malo, destiné à porter
         des vivres à Sainte-Croix au printemps de 1605, 193--porte en
         Canada les pères Récollets, 497.

         SAINT-JEAN (île), aujourd'hui île du Prince-Edouard, 124--les
         Basques s'y retirent et se mettent en défense (1623), 1045--se
         saisissent du vaisseau de Guers, ibid--... 1087.

         SAINT-JEAN (rivière), appelée des sauvages Ouygoudy, 170-1,
         174, 177, 720-1--projet d'y faire une habitation, 1300-1.

         SAINT-JEAN-BAPTISTE. Voyez _Cabiague_.

         SAINT-JEAN-DE-LUZ, en la Nouvelle-Espagne, 24-5--l'auteur y
         arrive, 24--description de cette forteresse, 24-5--l'auteur y
         retourne, 46.

         SAINT-JULIAN, ou SAINT-JULIEN (le), navire du capitaine
         Provençal; du port de cinq cents tonneaux, 6--retenu pour le
         voyage des Indes, 8.

         SAINT-LAURENT (baie de), partie méridionale du golfe du même
         nom, 169, 279, 763.

         SAINT-LAURENT (cap de), au nord du cap Breton, 67-8, 286, 387,
         108l, 1083.

         SAINT-LAURENT (fleuve), appelé Grande-Rivière de Canada, 68,
         89, 95, 124--désigné pour la première fois par l'auteur sous le
         nom de Saint-Laurent, 183--... 209, 557, 659, 663, 728 734.

         SAINT-LAURENT (golfe); description que l'auteur en donne,
         1083-90.

         SAINT-LAURENT (île de), ou île du Cap-Breton, 115.

         SAINT-LOUIS (cap), 208--ainsi nommé par M. de Monts, 210--...
         212, 244, 744, 746.

         SAINT-LOUIS (fort), à Québec, commencé par l'auteur (1620),
         990--appelé de ce nom pour la première fois, 1053--l'auteur
         fait faire un chemin pour y monter plus facilement,
         ibid--travaux qu'il y fait faire, 1054-5--un coup de vent
         enlève la Couverture du château, 1055--l'auteur le reconstruit
         (1626) et l'agrandit, 1110-1--l'auteur l'entretient contre le
         gré des associés, 1131, 1188-9.

         SAINT-LOUIS (fort et habitation de), au cap de Sable, où
         commandait le sieur de La Tour, 1314.

         SAINT-LOUIS (port), aujourd'hui Plymouth, dans le Massachusets,
         211, 747.

         SAINT-LOUIS (saut), appelé d'abord le Grand-Saut, ou simplement
         le Saut, 86--description de ce lieu, 100-5, 396-7--... 370,
         388, 390--un jeune homme, du nom de Louis, s'y noie (1611),
         394-7--... 414, 416--traite de 1612, 459--traite de 1613,
         438-9, 470-3--... 442, 507--traite de 1615, 497, 500--traite de
         1616, 591--les sauvages demandent qu'on y fasse une habitation,
         592--... 670, 701.

         SAINT-LUC (le maréchal de), 5, 702.

         SAINT-LUC DE BARAMEDA. Voyez _San-Lucar de Barameda_.

         SAINT-MALO. Prétention des habitants de cette ville au
         privilège de la traite du Canada, 415-17.

         SAINT-MATHIEU (pointe de). Voyez _Alouettes_ (pointe aux).

         SAINT-NICOLAS, port et cap de ce nom, 19--combat entre les
         Espagnols et les Français, 19-21.

         SAINT-PAUL (île), à l'entrée du golfe Saint-Laurent, 67, 286,
         387, 1081.

         SAINT-PIERRE (île de), près de Terre-Neuve, 67, 354, 387, 1082.

         SAINT-PIERRE (lac), élargissement du fleuve Saint-Laurent,
         mentionné pour la première fois par l'auteur, 94,
         96--description qu'il en fait, 96-7, 327-8, 806-7--... 347.

         SAINT-SAUVEUR, habitation formée par La Saussaye, dans l'île
         des Monts-Déserts, 773--pris par les Anglais, 773-5--le
         capitaine Argall y retourne, rompt la croix que les pères y
         avaient plantée, et en plante une autre avec le nom du roi
         d'Angleterre, 777.

27/1475  SAINT-VINCENT (cap), 7--les Espagnols y prennent deux vaisseaux
         anglais, 52.

         SAINTE-ANNE du Grand-Cibou, au Cap Breton. (Voyez Grand-Cibou).
         Secours que la compagnie des Cent-Associés y envoie (1631),
         1315--assassinat du lieutenant Martel, commis par le commandant
         du fort, 1316-7--le capitaine Daniel y rétablit l'ordre, 1316
         et suiv.

         SAINTE-CATHERINE (la). Voyez _Catherine_ (la).

         SAINTE-CROIX, commandant d'une pinasse, à Sainte-Anne du
         Cap-Breton, 1318--le capitaine Daniel l'envoie de là à
         Tadoussac, ibid--ses pelleteries lui sont enlevées par Thomas
         Kertk, 1321--désarmé par un vaisseau basque; revient à
         Sainte-Anne, 1321-2.

         SAINTE-CROIX (île), dans la rivière de ce nom, 173--M. de Monts
         y fait faire une habitation (1604), 173-6, 706--départ des
         vaisseaux, en 1604, 177--M. de Monts y fait faire des
         jardinages, 188--ce qui s'y passe de remarquable pendant
         l'hiver (1604-5), 188-93--l'habitation est transportée au port
         Royal, 224--on y trouve de très-beau blé l'année suivante,
         239--... 723, 731.

         SAINTE-CROIX (île), dans l'Outaouais; l'auteur y plante une
         croix avec les armes de France, 451, 864.

         SAINTE-CROIX (pointe), aujourd'hui le Platon, sur le fleuve
         Saint-Laurent, 90-2--le fleuve y est fort rapide et fort
         dangereux, ibid--... 322-3, 326-7, 617, 802-3, 806.

         SAINTE-CROIX (rivière), aujourd'hui rivière Saint-Charles, où
         hiverna Jacques-Cartier, 304-9.

         SAINTE-CROIX (rivière), ou rivière des Etchemins, 172-4, 178,
         i86, 239--petit passage de la rivière Sainte-Croix, 262.

         SAINTE-HÉLÈNE (île), en face de la Place-Royale, 393, 840--les
         Montagnais y enterrent Outetoucos leur chef (1611), 411--...
         442, 857.

         SAINTE-HÉLÈNE (le port), à la côte d'Acadie, 276, 761.

         SAINTE-MARGUERITE, port d'Acadie, 161-2, 716.

         SAINTE-MARGUERITE (rivière), qui se jette dans le
         Saint-Laurent, 117.

         SAINTE-MARGUERITE (rivière), en Acadie, 275, 760.

         SAINTE-MARIE (baie), en Acadie; description qu'en fait
         l'auteur, 161-2--M. de Monts s'y arrête, 163--il n'y trouve
         aucun lieu pour s'y fortifier facilement, 165--... 167--son
         vaisseau en part pour l'île Sainte-Croix, 175--... 716.

         SAINTE-MARIE (cap de), à Terre-Neuve, 66, 286,1082.

         SAINTE-MARIE (rivière), aujourd'hui Sainte-Anne de la Pérade, 3
         23,'803.

         SAINTE-SUSANNE (rivière), aujourd'hui rivière du Loup, qui se
         jette dans le lac Saint-Pierre, 328, 807.

         SAINTE-SUSANNE du cap Blanc (rivière), 212, 748.

         SALEMANDE (la), vaisseau de 150 tonneaux, commandé par
         Pont-Gravé (1621); vient à Tadoussac, 1000.

         SAN-LUCAR DE BARAMEDA, 8--plan de cette ville par Champlain,
         ibid.

         SANTEIN (le sieur), commis du sieur Dolu (1622); apporte à
         Québec la nouvelle de la réunion des deux sociétés, 1022.

         SASINOU, chef de la rivière de Kénébec, 196-7, 222-3--Onemechin
         et Marchim tués par lui, 274--son fils Pememen lui succède,
         ibid--... 733-4.

         SAUMON (port au), 1098-9.

         SAUMON (rivière au), 293, 790.

         SAUSSAYE (le sieur de La); son entreprise en Acadie,
         772-3--surpris par les Anglais, 773 et suiv.--se rend à Londres
         pour demander la restitution de son vaisseau, 780-1--... 782.

         SAUT (le), ou le GRAND-SAUT. Voyez Saint-Louis (saut).

         SAUVAGES. Moeurs et coutumes des Montagnais et des Algonquins,
         71-84, 120-1, 310-14, 333-7, 340-9 366-7, 455-9, 793-7,
         798-800, 803-5--moeurs et coutumes des Hurons, 519-20, 562-90,
         908-9, 944-63--moeurs et coutumes des Souriquois, 266-7--des
         Etchemins, 183, 191-2, 198--des Almouchiquois, 200-1, 207-9,
         210, 2l 6-18, 248-50--sauvages du Labrador, 1088-9.

         SAVALETTE, capitaine de vaisseau basque, 277-8, 762.

         SAVALETTE (port de), en Acadie, 277-8, 762.

         SAVIGNON, jeune huron que garde l'auteur en échange d'un
         français, 370, 834--... 390--envoyé par l'auteur au-devant de
         la flotte huronne, 393, 841--sur le point de se noyer dans le
28/1476  saut Saint-Louis, 394-6, 843--frère du capitaine Tregouaroti,
         397, 844--se loue de son voyage en France, 398, 845--l'auteur
         lui donne son congé, 404, 850.

         SECONDON (ou CHKOUDUN suivant Lescarbot), chef de la rivière
         Saint-Jean, 171--avait montré la mine de cuivre à Prévert,
         227--... 239--accompagne M. de Poitrincourt jusqu'à Chouacouet,
         240--... 202, 205.

         SESAMBRE, île à la côte d'Acadie, ainsi appelée par les
         Malouins, 275, 760--une partie des Français de Saint-Sauveur,
         avec le P. Massé, y viennent trouver Robert Pont-Gravé, 776.

         SÊVILLE, 8--plan de cette ville par l'auteur (1598), ibid--...
         52.

         SILLERY (Nicolas Brûlart de), chancelier, 441, 856.

         SIMON (maître), mineur, accompagne l'auteur, 160, 715.

         SIMON, sauvage ainsi appelé des Français, 1055--l'auteur essaye
         vainement de le dissuader d'aller faire un coup chez les
         Iroquois, 1055-6--change de résolution, 1057--compromet la paix
         en assommant un iroquois, 1064.

         SOISSONS (Charles de Bourbon, comte de). L'auteur l'engage à
         prendre le Canada sous sa protection, 432--ce qu'il accepte,
         433, 886 et suiv.--sa commission, 433--nomme l'auteur son
         lieutenant, 43 3, 886--sa mort, 434, 887--... 1072.

         SONDE (canal de la), 23.

         SOUBRIAGO, général de la flotte espagnole, 7, 9.

         SOUPÇONNEUSE (la), île, 256,759.

         SOURDIS (madame de), contribue à l'approvisionnement des
         missionnaires du Canada, 767.

         SOURICOUA, rivière; probablement la même que Gédaïc (Shediac),
         114.

         SOURIQUOIS, sauvages de l'Acadie, 115, 184,728, 743.

         STADACA, pour STADACONÉ, 307.

         STADACONÉ, nom d'une bourgade sauvage, située près de la pointe
         de Québec, 307.

         STUART (Jacques), milord écossais que le capitaine Daniel
         rapporte avoir été au Cap-Breton en 1629, 1285--le capitaine
         Daniel s'en saisit, 1285-7.

         TABAC, ou PETUN, appelé herbe à la Reine, 50--les mariniers et
         autres personnes en usent, 51--les sauvages en présentent à
         Pont-Gravé et à l'auteur, 71.

         TABAGIE, festin des sauvages, 70-2, 438, 457-8, 870--tabagie
         des Hurons, 563-6, 587.

         TADOUSSAC, port à l'entrée du Saguenay; description de ce lieu,
         70-4, 84-6, 112-3, 119-21, 286-7, 290-2, 786-9--distance de ce
         port à l'île aux Lièvres, 86--l'auteur y arrive pour la
         première fois (1603), 68--en repart, 121--les sauvages de
         l'Acadie s'y rendent par la rivière Saint-Jean, 171--... 298,
         321--ce qui s'y passe de remarquable en 1609, 321, 347-9--la
         traite, en 1610, y est fort mauvaise, 371-2--départ des
         vaisseaux, 374--arrivée de Champlain (1611), 387--Pont-Gravé y
         demeure pour la traite, 388-9--arrivée des vaisseaux (1613),
         436-7--les pères Récollets y arrivent (1615), 497--arrivée des
         vaisseaux (1618), 601, 614--...6l7--départ des vaisseaux,
         631--l'auteur y arrive avec sa famille (1620), et y rencontre
         son beau-frère, 986--vaisseau rochelois y faisant la traite
         contre les défenses, 986-7--... 991, 1000--vaisseau de
         Pont-Gravé saisi par de Caen (1621), 1008-13--l'auteur s'y rend
         pour accommoder les difficultés, 1010--ce qui s'y passe en
         1621, 1005, 1008-15, 1017--en 1622, 1034, 1036-8--un vaisseau
         espagnol y vient espionner le sieur de Caen (1622), 1038-9--...
         1092-3--arrivée du vaisseau de la compagnie (1626), 1107-8--...
         1128--les Kertk s'en emparent (1628), 1154, 1158-9--en
         repartent après avoir brûlé les barques, 1163-4--...
         1172--David Kertk y fait monter une barque (1629), 1249--on y
         enterre Jacques Michel, contre-amiral de la flotte anglaise,
         1273-4--la compagnie des Cent-Associés y envoie faire la traite
         (1631), le vaisseau relâche à Miscou, 1315.

         TAILLE (La), français soupçonné d'avoir pris part (1608) à la
         conspiration contre l'auteur, emmenotté, puis remis en liberté,
         301.

         TANGUEUX (île aux), 163.

         TARDIF (Olivier le), de Ronfleur, truchement; à Québec
         (1622-23); dépêché à Tadoussac, 1042--sous-commis à Québec
         (1626-27), 1113--remet, de concert avec Corneille, les clefs du
         magasin au capitaine Louis Kertk, 1228.

29/1477  TECOUEHATA, chef sauvage, arrive au saut Saint-Louis avec
         quatorze canots, 411.

         TEQUENONQUIAYE, village huron, appelé plus tard Ossossané, La
         Rochelle, Saint-Gabriel et la Conception. L'auteur y est bien
         reçu, 516, 906.

         TERRE-FERME, 16.

         TERRE-FERME (rivière de), au Mexique, 28.

         TERRE-NEUVE. L'auteur mentionne dès 1603 plusieurs points de
         cette île, 66-7--... 561--par qui découverte, 666-7--...
         1081--description de cette île, 1082-3.

         TESSOUAT, chef algonquin, 76 note 1--l'auteur se rend chez lui
         (1613), 454, 867-8--bonne réception qu'il lui fait, 454, 457 et
         suiv.; 868, 870 et suiv.--... 461, 876, 878--l'auteur prend
         congé de lui, 467, 880.

         TESSOUAT (île de), aujourd'hui île des Allumettes, visitée par
         l'auteur (1613), 455-6, 868.

         TESTU (le capitaine), homme fort discret. Natel lui découvre la
         conspiration contre l'auteur, 298-9.

         THÉMINES (le maréchal de), vice-roi pendant la détention du
         prince de Condé, 966--en procès avec les associés, 967--arrêt
         du conseil en sa faveur, 969-70--les envieux tâchent de faire
         rompre sa commission, 970--débouté de ses prétentions, 982.

         THIBAUT (le capitaine), de la Rochelle, accompagne Champlain à
         sa seconde expédition (1610) contre les Iroquois, 360--l'auteur
         repasse en France (1611) dans son vaisseau, 413.

         THOMAS, truchement pour les Algonquins; accompagne l'auteur
         dans son voyage de 1613, 453, 460, 462, 465, 866, 874-5,
         878--... 552 note 2.

         TORTUE (île de la), 17, 18.

         TORTUE (île de la), à l'ouvert de la rivière Kénébec, 194, 197,
         732, 734.

         TOUAGUAINCHAIN, village huron; l'auteur y est bien reçu, 516,
         906.

         TOURMENTE (cap), à dix lieues au-dessous de Québec; pourquoi
         ainsi nommé, 294, 791--... 603--visite qu'y fait l'auteur
         (1623) avec M. de Caen, 1051--M. de Caen y retourne (1624), et
         assure à l'auteur que M. de Montmorency le lui a concédé,
         1065--... 1102-3--l'auteur y fait une habitation (1626),
         1100---plan des logements, 1110--on y envoie les bestiaux,
         1114--l'auteur y descend, ibid--hiver de 1626-7, 1117--meurtre
         commis en ce lieu plusieurs années auparavant par le
         Réconcilié, 1127--nombre de personnes qu'on y emploie,
         1131,1189--voyage qu'y fait l'auteur (1627), 1133--...
         1152--prise et destruction de l'habitation par les Anglais,
         1154-8, 1204, 1244--l'auteur y envoie une chaloupe pour voir le
         dégât fait par l'ennemi, 1163.

         TOUS-LES-DIABLES (pointe de), aujourd'hui pointe aux Vaches,
         près de Tadoussac, 69, 287, 436. Voir >i>Vaches_ (pointe aux).

         TOUS-LES-SAINTS (baie de), à Terre-Neuve, 1082.

         TOUTES-ISLES (baie de), à la côte d'Acadie, 157, 276, 761.

         TRAITE des pelleteries. Traite de 1603, à Tadoussac, 70,
         703--vaisseaux basques faisant la traite à Canceau (1604),
         contre le privilège de M. de Monts, 157, 176--à Tadoussac
         (1608), 287-90--à la rivière des Iroquois (1610),
         365-70--«seconde traite» (1610), fort mauvaise, 371-2--se fait
         (1611) à Tadoussac et au saut Saint-Louis, 388-9, 393, 397-412,
         838, 844-53--traite de 1613, au saut Saint-Louis, 43 8-9, 466,
         470-3--de 1615, au même lieu, 497--... 509, 511--traite de
         1616, au même lieu, 591--de 1618, aux Trois-Rivières, 601, 615,
         617-8, 630--traite de 1621, au même lieu, 1006-8--traite de
         1623, au cap Massacre, ou de la Victoire, près de l'entrée de
         la rivière des Iroquois, 1045-50--traite de 1624, à Québec,
         1064--de 1626, 1108--Pont-Gravé remplacé, comme premier commis,
         par Corneille de Vendremur, 1113--traite de 1627, à la rivière
         des Iroquois, très-bonne, 1121-2, 1128--traite de 1631, peu
         abondante, 1324.

         TREGATÉ, ou TRACADIE, entre la baie des Chaleurs et la baie de
         Miramichi, 114, 170, 719, 1087.

         TREGATIN, sauvage baptisé par le frère Ger vais, 1126--ne
         persévère pas, ibid.

         TREGOUAROTI, capitaine huron, frère de Savignon; descend à la
         traite (1611), 397, 403, 844--emmène avec lui un français, 408.

         TREMBLAYE (La), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en
         traite à Tadoussac, 137

30/1478  TRÉPASSÉS (baie des), à Terre-Neuve, 1082.

         TRESARD, jeune homme de La Rochelle; Champlain ne lui permet
         pas de l'accompagner à la traite, 390.

         TRICHET (Pierre), avocat, de Bordeaux. Pièce de vers composée
         par lui sur les voyages de l'auteur, 647.

         TROIS-RIVIÈRES (les); l'auteur mentionne ce lieu pour la
         première fois, 94--îles qui sont à l'entrée, ibid--l'auteur est
         d'avis que ce lieu serait propre à une habitation, 94-5--...
         327--on y fait la traite (1618), 601, 615, 617-8, 630--...
         806--traite de 1621, 1004--les sauvages y tiennent conseil
         (1627) sur la guerre des Iroquois, 1120-21.

         TRUITTIÈRE (la), petite rivière à l'ouest de Port-Royal, 264-5.

         TSONNONTOUANS. Voyez _Entouhonoron_.

         TUFET (le sieur), commence une habitation à l'Acadie,
         1297-8--peu de succès de son entreprise, 1301-2.

         TUILLERIE (monsieur de la), 1240.

         UBALDINI (Robert), nonce à Paris, lors du départ des Récollets
         pour le Canada, 492 note 2.

         VACHES (pointe aux), appelée d'abord pointe de tous les
         Diables, 69, 287, 436, 787, 1092.

         VARIN (Jean-Baptiste), envoyé à Québec par M. de Caen, 1016.

         VENTADOUR (Henri de Lévis, duc de), vice-roi du Canada,
         1069-70--nomme l'auteur son lieutenant, 1071 et suiv.

         VERA-CRUZ, 25.

         VÉRAZZANO (Jean), florentin, découvre les côtes de la Floride,
         667,1309-10.

         VERTE (île), dans le Saint-Laurent; les Rochelois y font la
         traite contre les défenses, 1015, 1094-5.

         VERTE (île), à l'Acadie, 276-7, 761.

         VERTE (rivière de l'île), 276, 761.

         VICAILLE (la), vaisseau de David Kertk, d'où est datée la
         sommation de Québec, 1161.

         VIEL (le P. Nicolas), récollet, arrive en Canada (1623),
         1043--monte au pays des Hurons avec le P. le Caron et le frère
         Sagard, 1049-50--nouvelles qu'en apporte Du Vernay (1624),
         1063.

         VIERGES (cap des), à Terre-Neuve, 1081.

         VIERGES (îles des), ou Las-Virgines, 674.

         VIEUXPONT (le P. de), jésuite, missionnaire (1629) au
         Grand-Cibou, 1287--son naufrage, 1289-92--va trouver le
         capitaine Daniel au Grand-Cibou, 1294--retourne en France
         (1630), 1303.

         VIGNAU (Nicolas de); ses impostures, 440 et suiv.; 855 et
         suiv.--conditions auxquelles l'auteur lui pardonne, 471.

         VIGNIER (le sieur), agit pour le prince de Condé dans l'affaire
         du Canada, 967--promet obtenir à M. de Montmorency la
         commission de vice-roi, 982.

         VILLEMENON (le sieur de), intendant de l'amirauté; s'entremet
         pour M. de Montmorency dans l'affaire du Canada, 967,
         982--lettres qu'il adresse à l'auteur (1621), 993,
         995--nouvelles lettres, 1007.

         VIMONT (le P. Barthélemi), jésuite, missionnaire au
         Grand-Cibou, 1287--retourne en France (1630), 1303.

         VIRGINES (les), la VIRGINIE; les Anglais de cette colonie
         s'emparent de l'établissement de La Saussaye, à l'île des
         Monts-Déserts, 773--dévastent Sainte-Croix et Port-Royal,
         777--ancien nom de la Virginie, 6l, 1307.

         WAYMOUTH (George), capitaine de vaisseau anglais; mention de
         son voyage à la côte de la Nouvelle-Angleterre, 222-3.

                                FIN





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