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Title: Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises
Author: Nodier, Charles, 1780-1844
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises" ***


produced from images generously made available by the
Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



DICTIONNAIRE

RAISONNÉ

DES ONOMATOPÉES

FRANÇAISES,

PAR CHARLES NODIER.

ADOPTÉ

Par la Commission d'Instruction publique,

POUR LES BIBLIOTHEQUES DES LYCÉES.


PARIS,

DEMONVILLE, Imprimeur-Libraire,

rue Christine, Nº. 2.

1808.



A

MONSIEUR OUDET,

BIBLIOTHÉCAIRE DE LA POLICE GENERALE.

HOMMAGE

_De l'estime et de la reconnaissance._



PRÉFACE.


On a desiré quelquefois un dictionnaire des Onomatopées françaises. On a
cru que ce recueil serait utile à ceux qui étudient notre langue, et je
souhaite que mon ouvrage ne trompe pas cette espérance.

Il y a, sans doute, peu de mérite à ces sortes de compilations. Ce sont
de ces travaux qui, suivant l'expression de Duverdier, exigent plus de
zèle que de talent, et plus de patience que d'industrie. Mais c'est en
cela même qu'ils sont dignes de quelque considération, quand ils
atteignent leur but, puisqu'ils supposent à la fois du désintéressement
et du courage. On connaît ces vers de Scaliger:

    _Si quem dura manet sententia judicis olim,
        Damnatum aerumnis suppliciisque caput:
    Hunc neque fabrili lassent ergastula massa,
        Nec rigidas vexent fossa metalla manus.
    Lexica contextat: nam, caetera quid moror? Omnes
        Poenarum facies hic labor unus habet._

«L'Onomatopée, dit Dumarsais, est une figure par laquelle un mot imite
le son naturel de ce qu'il signifie. On réduit sous cette figure les
mots formés par imitation du son, comme le _glouglou_ de la bouteille:
le _cliquetis_, c'est-à-dire le bruit que font les boucliers, les épées,
et autres armes en se choquant: le _tric trac_ qu'on appelait autrefois
_tic tac_, sorte de jeu assez commun, ainsi nommé du bruit que font les
dames et les dez dont on se sert à ce jeu: _tinnitus acris_, tintement,
c'est le son clair et aigu des métaux: _bilbire_, _bilbit amphora_, la
petite bouteille qui fait glouglou, on le dit d'une petite bouteille
dont le goulot est étroit: _taratantara_, c'est le bruit de la
trompette,

    _At tuba terribili sonitu taratantara dixit._

»C'est un ancien vers d'Ennius au rapport de Servius. Virgile en a
changé le dernier hémistiche qu'il n'a pas trouvé assez digne de la
poésie épique; voyez Servius sur ce vers de Virgile:

    _At tuba terribilem sonitum procul aere canoro
    Increpuit._

»_Cachinnus_, c'est un rire immodéré. _Cachinno, onis_, se dit d'un
homme qui rit sans retenue. Ces deux mots sont formés du son ou du bruit
que l'on entend, quand quelqu'un rit avec éclat.

»Il y a aussi plusieurs mots qui expriment le cri des animaux, comme
_bêler_, qui se dit des brebis.

»_Baubari_, aboyer, se dit des gros chiens. _Latrare_, aboyer, hurler,
c'est le mot générique. _Mutire_, parler entre les dents, murmurer,
gronder comme les chiens. Les noms de plusieurs animaux sont tirés de
leurs cris, sur-tout dans les langues originales.

»_Upupa_, huppe, hibou.

»_Cuculus_, qu'on prononçait coucoulous, un coucou, oiseau.

»_Hirundo_, une hirondelle.

»_Hulula_, une chouette.

»_Bubo_, un hibou.

»_Gracculus_, un choucas, espèce de corneille.

»_Gallina_, une poule»...

»Le nom de cette figure est composé de deux mots grecs, _onoma_,
_nomen_, et _poïo_, _fingo_. _Nominis seu vocabuli fictio._»

Il paraîtra, peut-être, étonnant qu'on ne puisse citer sur l'Onomatopée
que cette notice imparfaite, et à-peu-près insignifiante. Elle n'a été
traitée qu'en passant par Dumarsais, parce que les détails auxquels elle
aurait pu le conduire étaient étrangers au plan et à la marche de son
ouvrage. Ici même, il serait hors de propos d'épuiser cette matière, et
de rassembler les raisonnemens qui attestent que les langues n'ont pas
eu d'autre type, et n'ont pas suivi dans leur formation d'autre mode que
cette figure. En attendant que je puisse offrir au public le résultat
des études dont cette question a été pour moi l'objet, je dois me borner
à des applications purement classiques; et si j'y attache cependant
quelques considérations élémentaires qui feront pressentir mon systême,
c'est que j'ai cru qu'il étoit nécessaire à la tête d'un recueil
d'Onomatopées, de donner de l'Onomatopée une idée plus distincte et plus
précise que celles qu'on puiserait dans les vagues définitions des
rhéteurs.

    La parole est le signe de la pensée,
    L'écriture est le signe de la parole.

Pour faire passer une sensation dans l'esprit des autres, on a dû
représenter l'objet qui la produisait par son bruit ou par sa figure.

Les noms des choses, parlés, ont donc été l'imitation de leurs sons, et
les noms des choses, écrits, l'imitation de leurs formes.

L'Onomatopée est donc le type des langues prononcées, et l'hieroglyphe,
le type des langues écrites.

Les êtres qui n'ont pas des formes propres et des bruits particuliers
n'ont été dénommés que par analogie, soit dans le langage, soit dans
l'écriture.

Les abstractions morales qui sont plus ou moins postérieures à
l'établissement des premières sociétés, du moins en très-grande partie,
ont dû être dénommées, conformément à la même règle.

Les premiers rapports des choses sensibles et des choses
intellectuelles, tels qu'ils ont été saisis par des sens neufs, ayant
échappé à nos organes, à travers la succession des temps, ne peuvent
être que difficilement retrouvés. Les motifs qui ont déterminé la
désignation de ces idées, étant assez généralement perdus, il restera
dans les langues une partie qu'on peut appeler la langue abstraite, et
dont l'origine ne se démontrera que par une longue suite d'analyses et
de comparaisons.

L'autre partie s'expliquera d'elle-même. La nature se nomme.

On aurait tort de conclure, cependant, que suivant les principes que
j'émets, tous les hommes dussent parler la même langue, ou que toutes
les langues du moins, dussent rapporter leurs termes aux mêmes racines;
car, non-seulement, les objets physiques ne nous apparaissent pas à tous
sous les mêmes rapports, en raison de la variété de notre organisation;
mais encore il n'en est aucun qui ne puisse nous apparaître sous un
grand nombre de rapports différens, parmi lesquels notre choix s'est
fixé quand il s'est agi de déterminer des signes. Il n'est donc pas
surprenant que dans des temps postérieurs à la création d'une langue
première, et après de grandes révolutions du globe qui ont dispersé les
hommes et effacé les traditions, on en soit venu à reconstruire de
nouvelles langues, formées sur des racines nouvelles; mais le procédé
aura été le même, l'analyse de ces langues n'exigera que le même genre
d'études, et on remontera par elles, comme par les langues
antérieurement parlées, aux racines naturelles, seule et véritable
source de tout idiome.

Il en sera de même des mots à sens abstrait ou figuré, car l'esprit ne
fait pas par-tout les mêmes comparaisons et ne saisit pas toujours les
mêmes analogies. Tel aperçoit entre deux objets une relation qui n'y
sera point pour les autres, ou qui ne se révélera à leur esprit qu'au
moyen d'une série d'observations moins rapides.

Ces modifications dans la nature des sons dont se composent les langues,
dépendent de toutes sortes d'influences dont il serait trop long
d'examiner l'effet; mais celle des climats s'y fait sur-tout
reconnaître. Dans le vocabulaire des pays chauds, tous les mots sont
vocaux et fluides. Le grec a une emphase majestueuse, comme le bruit des
flots du Pénée. L'italien roule dans ses syllabes sonores, le murmure
des cascatelles et le frémissement des oliviers. Dans celui des pays
froids, tous les mots sont rudes et consonnans; leurs sons retentissans
et heurtés rappellent la rumeur des torrens, le cri des sapins que
l'orage courbe, et le fracas des rocs qui s'écroulent.

L'extension des sons radicaux qui expriment une chose bruyante à des
sensations d'un autre ordre, n'est pas plus difficile à comprendre.
Parmi les sensations de l'homme, il n'y en a qu'un certain nombre qui
soient propres au sens de l'ouïe, mais comme c'est à ce sens que
s'adresse la parole, et que c'est par lui qu'elle transmet le signe de
l'objet qui nous frappe, toutes les expressions paraissent formées pour
lui. Des sons ne peuvent exprimer par eux-mêmes les sensations de la
vue, du goût, du tact et de l'odorat, mais ces sensations peuvent se
comparer jusqu'à un certain point avec celle de l'ouïe, et se rendre
manifestes par leur secours. Ces comparaisons n'ont rien d'ailleurs qui
ne soit naturel et facile. C'est à elles que toutes les langues doivent
les figures et tout concourt à prouver que le langage de l'homme
primitif était très-figuré.

Quand on dit qu'une couleur est éclatante, par exemple, on n'entend
point par là qu'une couleur puisse produire sur l'organe auditif la
sensation d'un bruit violent, comme celui dont la racine du mot
_éclatant_ est l'expression; mais bien que cette couleur produit sur
l'organe visuel une sensation vive et forte comme celle à laquelle on la
compare.

L'impression que font éprouver à l'organe du goût les substances acres,
âpres ou aigres, n'est accompagnée d'aucun bruit qui reproduise à
l'oreille la racine de ces mots qualificatifs; mais elle rappelle à
l'organe de l'ouïe les impressions qui ont agi sur lui d'une manière
analogue. Si on était porté à croire que ces idées sont forcées, et que
l'esprit ne fait pas aisément les comparaisons de sensations, il
suffirait de jeter un coup-d'oeil sur les poésies primitives qui en sont
remplies, ou de donner un instant à la conversation d'un homme ingénieux
et simple. Le langage des enfans abonde en figures de cette espèce, et
au défaut du terme propre, ils emploient souvent le signe d'une
sensation étrangère pour représenter la leur. Les femmes qui ont la
sensibilité plus délicate, et qui saisissent plus vîte les rapprochemens
les plus fins, en font aussi un grand usage. Enfin, on peut dire que les
sens se servent si nécessairement les uns les autres, que sans les
emprunts qu'ils se font, on ne pourrait guère peindre qu'imparfaitement
les effets qui leur sont propres, et qu'il n'y a rien qui en rende la
perception plus exacte et plus profonde.

Indépendamment des mots formés par imitation, il y a dans les langues un
très-grand nombre de mots qui sans avoir la même origine n'en sont pas
moins composés très-naturellement, et doivent être rapportés à la même
figure, c'est-à-dire, à l'Onomatopée, littéralement, _fiction de nom_.

Par exemple, chaque touche vocale étant appropriée à deux ou trois sons
particuliers, on ne s'étonnera pas que le nom de ces touches ait été
construit sur les sons auxquels elles étaient affectées. C'est ce que
j'appellerais langue mécanique. Ainsi, la lettre labiale B a désigné
initialement dès le commencement des langues l'organe qui la forme.

Les lettres dentales D et P ont caractérisé les dents.

Les lettres gutturales G et K expriment universellement l'idée de gorge
et de gosier.

La nazale N indique le nez.

La lettre L a été consacrée à la langue, parce qu'elle est le plus
liquide des sons que la langue forme, et que la langue, pour la
prononcer, ne faisant qu'agir contre la voûte du palais, en paraît
d'abord la seule touche et le seul agent.

Qui ne voit quelles immenses générations, cette petite quantité de mots
a pu fournir, et jusqu'à quel point leurs dérivations ont dû s'étendre
dans les langues?

Ensuite, en considérant, avec tous les philosophes qui ont analysé la
parole, les sons simples ou vocaux comme la première langue de l'homme,
et en passant de là aux sons compliqués, ou consonnans, qui ont dû se
succéder suivant le degré de facilité de leur prononciation, nous
verrons les langues s'enrichir d'une immense famille d'expressions
également naturelles, et c'est ce que j'appelle la langue puérile, parce
qu'elle se retrouve toute entière dans le premier langage des enfans.

Le desir, la haine, l'épouvante, le plaisir, toutes les passions que
peut éprouver l'homme si voisin de son berceau, ne se manifestent
d'abord que par une émission de sons simples, de cris ou de vagissemens.
C'est sa langue vocale.

Il invente de nouvelles lettres à mesure que ses organes se développent,
et qu'il commence à juger de leurs rapports et de leurs actions
réciproques. Il apprend l'emploi des touches de la parole. C'est sa
langue consonnante ou articulée.

Mais comme il ne s'en instruit que lentement, et dans un ordre
successif, en allant du plus simple au plus composé, les sons dont
l'artifice est le plus facile sont les premiers qu'il saisisse, et par
conséquent les premiers qu'il attache à ses idées. Telles sont les
lettres labiales.

Aussi observe-t-on que ces lettres sont les caractéristiques de toutes
les idées essentiellement premières qu'admet l'esprit des enfans. C'est
par elles qu'ils désignent presque toutes les choses qui les touchent
immédiatement, comme le _bien_ et le _mal_ physique, les rapports de
_parenté_ les plus prochains, le _boire_, le _manger_, l'action même de
_parler_, etc.

Parcourez les peuples de l'univers, anciens et modernes, dit M. de
Brosse; vous verrez que dans tous les siècles et dans toutes les
contrées, on employe la lettre de lèvre, ou à son défaut la lettre de
dent, ou toutes les deux ensemble, dans la construction des mots
enfantins qui représentent ceux de _père_ et de _mère_.

Le Chananéen, continue-t-il, l'Hébreu, le Syriaque, l'Arabe, et autres
dérivés de l'Assyrien et du Phénicien, que nous n'avons plus, disent
_aB_, _aBBa_, _aVa_, _aBoh_, _aBou_;

Le Grec, le Latin, l'Italien, l'Espagnol, le Français: _PaTer_, _PaDre_,
_Père_;

L'Istrien, le Catalan, le Portugais, le Gascon: _Pari_, _Para_, _Pae_,
_Paire_;

Le Tudesque, le Francisque, l'Anglo-Saxon, le Belgique, le Flamand, le
Frison, le Rhunique, le Scandinave, l'Écossais, l'Anglais, l'Allemand,
le Persan, et autres qui paraissent dérivés du Scythe: _FaDer_, _FaTer_,
_VaTTer_, _VaDer_, _PaDer_, _Payer_, _Peer_, _Feer_, _FoeDor_, _FaDiir_,
_FaTher_, _FaTTer_, etc.

L'Arcadien, _FaVor_;

Le Malabare, _PiTaVe_;

Le Chingulais de l'île Ceylan, _PiTa_;

L'Ethiopien, l'Abyssin, le Mélindien des Côtes d'Afrique, et autres qui
paraissent dérivés de l'Arabe: _aBi_, _aBBa_, _aBa_, _BaBa_;

Le Turc, _BaBa_;

Le Moresque, _aBBé_;

Le Sarde, _BaBu_;

L'ancien Rhoetique, _PaPa_;

Le Hongrois, _aPa_;

Le Malais de l'Inde et du Bengale, _BaPPa_;

Le Balie des Siamois, _Poo_;

Le Mogol, _BaaB_;

Le Tangut, _haPa_;

Le Thibet, _Fa_;

Le Hottentot, _Bo_;

Les Chinois, l'Annamitique du Tunquin, _Fu_, _Phu_;

Le Tartare, _BaBa_;

Le Mantcheou, _aMa_;

Le Tunguz, _aMin_;

Le Georgien et l'Ibérien, _MaMa_;

Le Caraïbe, _BaBa_;

Le Groënlandais, _uBia_;

Le Galibis, _BaBa_;

Le Sauvage de la rivière des Amazônes, _PaPe_;

Le Kalmouck, _aBega_;

Le Samoïède, _aBaM_;

Le Moluquois, _BaPa_;

Le Tamoul, _BiTa_, _ViDa_;

Passant ensuite à la lettre de dent, le même Savant rapporte les
synonimies de l'Egyptien, du Cophte, de l'Africain d'Angola, qui disent
_TaauT_, _TheuT_, _ThoT_, _ToT_;

L'Africain du Congo dit _TaT_;

Le Cimraëc, le Celtique, l'Armorique, le Bas-Breton, le Gallois, le
Cantabre disent _TaaT_, _TaaD_, _TaD_, _TaTh_, _Taz_, _aiTa_;

L'Irlandais, _naThair_;

Le Gothique, _aTTa_;

L'Epirote, _aTTi_;

Le Frison, _haiTe_;

Le Valaque, _TaTul_;

L'Esclavon, le Russe, le Polonais, le Bohémien, le Dalmate, le Croate,
le Vandale, le Bulgare, le Servite, le Carnique, le Lusacien, et autres
dérivés de l'ancien Illyrien et de l'ancien Sarmate: _oTTsc_, _oTsche_,
_oTshe_, ou par corruption, _oièze_, _woTzo_, _wschzi_, _oTzki_,
_wosche_;

Le Sauvage de la Nouvelle Zemble, _oTcze_;

Le Lapon, _aTTi_;

Le Livonien, le Curlandais, le Prussien, le Lithuanien, le
Mecklenbourgeois: _TaBas_, _Tewes_, _Tews_, _Thawe_, _Tewe_;

Le Hongrois, _aTyank_, _aTya_;

Les Sauvages du Canada, _aisTan_, _ayTan_, _ouTa_, _aDatti_;

Le Huron, _aihTaha_;

Le Groënlandais, _aTTaTa_;

Le Mexicain, _TaThli_;

Le Brasilien, _TuBa_;

Le Sybérien, _aTaï_;

Le Russe, _oTeTze_, etc.

Je ne serais même point étonné qu'on m'alléguât que la lettre dentale de
l'une et de l'autre touche paraît déjà d'un artifice un peu difficile
pour ces premiers essais de la parole, et que l'expérience prouve
d'ailleurs que les enfans ne l'employent point successivement, mais
simultanément avec les lettres labiales. Il sera aisé de répondre à
cette objection, en rappelant simplement que l'articulation de cette
lettre nous est apprise, en quelque sorte, dès le premier jour de la
vie, puisque la succion du sein de la mère se fait nécessairement avec
un petit claquement de la langue contre la partie la plus extérieure du
palais, à l'origine des dents, ou plutôt vers la place qu'elles doivent
occuper, et que ce bruit ne peut être représenté que par la lettre
dentale douce ou forte. Aussi, voit-on que le son _thet_ ou _theta_,
représenté chez les Grecs par une lettre qui a la forme de la mamelle
avec son mamelon, est, dans toute les langues connues, le type ou la
racine des signes servant à exprimer les idées qui ont rapport à
l'action de teter, comme de ceux qui désignent les premières relations
de parenté.

Veut-on s'assurer de l'affinité de la langue puérile et de la langue
primitive dans leurs progrès? Que l'on consulte les vocabulaires
recueillis par les voyageurs et les missionnaires chez les peuples
incivilisés, on verra que presque tous leurs mots sont composés de
voyelles et de consonnes des premières touches.

C'est encore guidé par le même principe d'imitation et d'analogie, que
l'homme a composé un grand nombre de mots, d'après l'affinité de nature
qu'il a cru apercevoir entre le son de certaines lettres et l'esprit de
certaines idées. La lettre _h_, par exemple, voyelle indéterminée, ou
plutôt signe particulier d'aspiration, qu'on attache quelquefois aux
voyelles, fut propre à exprimer imitativement tous les accidens de la
respiration humaine; mais en la considérant sous le rapport de son
esprit, et en prenant égard à la manière dont elle est formée, qui a
quelque chose d'un empressement avide, d'une rapacité impatiente, on la
consacra à représenter les idées qui ont rapport à l'action de saisir ou
de dérober. La palatale roulante R peignait à l'oreille un bruit
méchanique engendré par le mouvement circulaire des corps; et comme on
ne peut faire rendre ce son à la touche, par un mouvement simple et
indécomposable de la langue, mais seulement par un _frôlement_ rapide et
prolongé de cet instrument, il est devenu le caractère de tous les
signes par lesquels on avait à rendre l'idée de continuité, de
répétition, de renouvellement; et cela s'est opéré d'une manière si
naturelle, qu'il est commun dans les langues de le voir unir
capricieusement et sans règles à toutes les espèces de mots dans
lesquels on a besoin d'indiquer la réproduction ou la multiplicité
d'action, et que le peuple l'employe tous les jours arbitrairement à cet
usage.

«On peut remarquer, dit M. de Châteaubriand sur ce sujet, que la
première voyelle de l'alphabet se trouve dans presque tous les mots qui
peignent les scènes de la campagne, comme dans _charrue_, _vache_,
_cheval_, _labourage_, _vallée_, _montagne_, _arbre_, _pâturage_,
_laitage_, etc.; et dans les épithètes qui ordinairement accompagnent
ces noms, tels que _pesante_, _champêtre_, _laborieux_, _grasse_,
_agreste_, _frais_, _délectable_, etc. Cette observation tombe avec la
même justesse sur tous les idiomes connus. La lettre _a_ ayant été
découverte la première, comme étant la première émission naturelle de la
voix, les hommes, alors pasteurs, l'ont employée dans tous les mots qui
composaient le simple dictionnaire de leur vie. L'égalité de leurs
moeurs et le peu de variété de leurs idées, nécessairement teintes des
images des champs, devaient aussi rapeler le retour des mêmes sons dans
le langage. Le son de l'_a_ convient au calme d'un coeur champêtre et à
la paix des tableaux rustiques. L'accent d'une ame passionnée est aigu,
sifflant, précipité; l'_a_ est trop long pour elle: il faut une bouche
pastorale qui puisse prendre le temps de le prononcer avec lenteur. Mais
toutefois il entre fort bien encore dans les plaintes, dans les larmes
amoureuses, et dans les naïfs _hélas_ d'un chévrier. Enfin, la nature
fait entendre cette lettre rurale dans ses bruits, et une oreille
attentive peut la reconnaître diversement accentuée, dans les murmures
de certains ombrages, comme dans celui du tremble et du lière, dans la
première voix ou la finale du bêlement des troupeaux, et la nuit dans
les aboiemens du chien rustique.»

L'Onomatopée est d'un grand secours aux poëtes, puisqu'elle est comme
l'ame de l'harmonie pittoresque et de la poésie imitative.

    Quels qu'ils soient, aux objets conformez votre ton.
    Ainsi que par les mots exprimez par le son.
    Peignez en vers légers l'amant léger de Flore.
    Qu'un doux ruisseau murmure en vers plus doux encore.
    Entend-on d'un torrent les ondes bouillonner?
    Le vers tumultueux en roulant doit tonner,
    Que d'un pas lent et sourd le boeuf fende la plaine,
    Chaque syllabe pèse, et chaque mot se traîne.
    Mais si le daim léger bondit, vole et fend l'air,
    Le vers vole et le suit aussi prompt que l'éclair,
    Ainsi de votre chant la marche cadencée
    Imite l'action et note la pensée.

On voit qu'indépendamment des Onomatopées nombreuses qu'a employées le
poëte, il a trouvé un autre moyen d'harmonie dans le concours heureux de
certains mots choisis, qui sans être imitatifs par eux-mêmes, produisent
cependant une imitation parfaite.

    Que d'un pas lent et lourd le boeuf fende la plaine.

Ce vers, par exemple, est composé de monosyllabes durs et heurtés qui
représentent très-bien la marche du boeuf, et qui la notent exactement à
l'oreille.

Tout le monde se rappelle cet admirable passage de Boileau, dans le
poëme du _Lutrin_:

    Ses ais demi pourris que l'âge a relâchés
    Sont à coup de maillet unis et rapprochés.
    Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent;
    Les murs en sont émus, les voûtes en mugissent,
    Et l'orgue même en pousse un long gémissement.
    Que fais-tu, chantre, hélas! dans ce triste moment?
    Tu dors d'un profond somme.

Cet hémistiche ne le cède en rien au _procumbit humi bos_ de Virgile.

Ces exemples ne sont pas rares chez les Latins, et sur-tout dans ce
dernier poëte. Il n'est personne qui n'ait entendu citer ces vers d'une
si riche harmonie:

    _Tum ferri rigor atque argutae lamina serrae._

    _Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum._

    _Necdum etiam audierant inflari classica, necdum
    Impositos duris crepitare incudibus enses._

    _Luctantes ventos, tempestatesque sonoras._

    _Continuò ventis surgentibus, aut freta ponti.
    Incipiunt agitata tumescere, et aridus altis
    Montibus audiri fragor, aut resonantia longè
    Littora misceri, et nemorum increbrescere murmur._

On est même parvenu à exprimer les différentes passions de l'ame, au
moyen de la seule prosodie.

                Ses gardes affligés
    Imitaient son silence autour de lui rangés:
    Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes,
    Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes;
    Ces superbes coursiers qu'on voyait autrefois
    Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix,
    L'oeil morne maintenant et la tête baissée
    Semblaient se conformer à sa triste pensée.

Et dans Virgile:

    _Extinctum Nymphae crudeli funere Daphnim
    Flebant._

Mais autant ces belles combinaisons sont agréables et ingénieuses,
autant est misérable l'abus qu'on en a fait quelquefois, et
principalement de nos jours. Puisqu'on a osé reprocher à Racine un
emploi trop recherché de l'Onomatopée dans certains vers d'_Andromaque_
et de _Phèdre_, que doit-on penser, en effet, de ces poëmes descriptifs
devenus si communs, et qui ne sont, à dire vrai, qu'un entassement
laborieux d'expressions étudiées? Cette affectation est tout-à-fait
indigne d'un vrai poëte, et le résultat de tant d'efforts minutieux
n'est bon qu'à augmenter le nombre de ces _nugae difficiles_ si
méprisées des gens de goût. Il me serait trop aisé de montrer à quel
point on a porté récemment ce travers d'esprit, et ce que j'en dirais ne
serait peut-être pas sans utilité; mais qu'il me suffise de rappeler la
description de l'alouette, par Dubartas, qui est le prototype de toutes
les sottises qu'on a faites dès-lors en ce genre.

Je ferai la même observation sur les mots purement factices que des
auteurs peu délicats dans le choix des termes, ont cru pouvoir créer
pour exprimer des sons qu'ils ne savaient pas imiter autrement. Si une
pareille fantaisie était de nature à devenir contagieuse, la langue
serait bientôt inondée d'onomatopées barbares, et n'offrirait plus
qu'une suite de cacophonies intolérables. Le vers macaronique, qui peint
les éclats de l'escopette, et le _taratantara_ d'Ennius sont de cette
espèce; mais il n'y a rien de comparable, parmi les abus de l'harmonie
imitative et du langage factice, au _breke ke koax_ de J.-B. Rousseau.
Il est d'ailleurs important de remarquer qu'il n'est donné qu'aux poëtes
d'un grand talent d'employer heureusement les effets d'une harmonie
rauque et pénible. On ne choque impunément l'oreille, qu'autant qu'il le
fallait pour ajouter à la force et à l'éclat de la pensée. Ce sont de
ces licences qui veulent être justifiées par le succès, et qu'on ne
pardonne qu'en faveur de l'impression qu'elles produisent.

Je parlerai maintenant du plan que je me suis tracé pour la composition
de ce Dictionnaire. Mon premier projet était de recueillir les
Onomatopées de tous les peuples, et de faire ainsi un espèce de lexicon
polyglote de tous les sons naturels qui restent dans les langues, de
manière à remonter, en quelque sorte, à une langue commune et primitive,
indépendante des conventions particulières, et universellement
intelligible. Mais, sans compter les difficultés essentielles que mon
impuissance aurait opposées à l'exécution de cet ouvrage, ainsi conçu,
et les circonstances qui ont restreint mes recherches, il m'a semblé
qu'une énumération raisonnée des Onomatopées françaises remplirait assez
bien le dessein le plus important que je me sois proposé, qui est
d'épargner un soin incommode et futile, et de présenter, sous un cadre
étroit, une série de rapprochemens curieux à ceux que ce genre
d'observations intéresse, et qui peuvent en tirer parti pour leurs
études.

J'ai cru cependant ne pas devoir négliger les principales Onomatopées
que les langues mortes ou étrangères ont consacrées; mais je ne les ai
recueillies qu'autant qu'elles avaient rapport à des Onomatopées
françaises, et qu'il résultait de leur analogie une comparaison
instructive et piquante.

Je ne me suis point attaché à rassembler tous les mots dont un son
naturel a pu être la racine. Je crois ces mots très-nombreux, mais
inutiles à mon plan. Je crois même qu'il n'y en a presque point qu'on ne
dérive au besoin de cette espèce d'origine, soit immédiatement, soit par
extension. On pourra voir quelques-unes de leurs immenses générations,
dans le systême de M. Court de Gébelin, systême spirituel et séduisant,
mais encore un peu conjectural, comme tous les systêmes, et dans
l'ouvrage non moins docte et non moins ingénieux que prépare un écrivain
de l'amitié duquel j'aime à m'honorer, M. David de Saint-Georges. Je
répète que si l'avenir me laisse quelques loisirs, et que ce faible
essai m'obtienne un seul encouragement de l'indulgence, j'entreprendrai
sans doute un jour de jeter quelque lumière sur cette partie importante
de la grammaire générale, et d'appliquer d'une manière plus complète ma
théorie des étymologies naturelles. En attendant, il n'y aura ici que
des Onomatopées incontestables et frappantes, et qu'il sera aisé de
ramener à leur racine, sans le secours d'une analyse laborieuse.

Je n'ai pas cherché non plus à rapporter à chaque Onomatopée spécifique
toutes les expressions qui en sont composées dans notre langue, et tous
les modes qu'elle a subis, si ce n'est quand il a pu sortir de cette
aride énumération des observations de quelque intérêt. Ceux à qui ces
dérivations ne paraîtraient pas si superflues, les retrouveront sans
peine en partant du mot typique.

Enfin, j'ai rangé sous le même titre, et à leur rang alphabétique, un
certain nombre d'Onomatopées que notre langue n'a point encore admises,
mais qui sont comme naturalisées par l'usage que d'excellens écrivains
en ont fait. Les Onomatopées anciennes qui sont tombées en désuétude
avec une partie de notre langue, trouveront place dans cet ouvrage
toutes les fois qu'elles me sembleront bonnes à conserver, et que je
n'en verrai pas l'équivalent dans les vocabulaires modernes; mais pour
éviter les méprises qui proviendraient d'une telle confusion, je
distinguerai ces deux familles de mots inusités, par l'astérisque en
tête de l'article.

Qu'on me permette d'ajouter à ce propos que si la manie du néologisme
est extrêmement déplorable pour les lettres, et tend insensiblement à
dénaturer les idiomes dans lesquels elle se glisse, il n'en serait pas
moins injuste de repousser sous ce prétexte, un grand nombre de ces
expressions vives, caractéristiques, indispensables, dont le génie fait
de temps en temps présent aux langues. Il n'appartient à personne
d'arrêter irrévocablement les limites d'une langue, et de marquer le
point où il devient impossible de rien ajouter à ses richesses.
Voltaire, pour qui la nôtre était si opulente et si féconde, l'accuse
d'être une _gueuse_ fière à qui il faut faire l'aumône malgré elle.
J'avoue que je me suis souvent étonné de la voir exclure tel mot qu'elle
ne peut remplacer que par une périphrase languissante, et le
dictionnaire que je soumets au public en renferme quelques-uns de ce
genre. C'est une témérité qui avait besoin d'apologie.

Au reste, on insistera moins sur le reproche qu'elle devrait me mériter,
si on daigne se rappeler que la classe de littérature de l'Institut fait
espérer un dictionnaire qui ne laissera plus de doute sur la valeur des
mots que notre langue a acquis ou qu'elle a tenté de ressusciter dans
ces derniers temps. En attendant le monument que cette savante compagnie
se propose d'élever, l'homme de lettres peut lui apporter des matériaux,
et le Lexicographe peut essayer d'en réunir quelques-uns, en
subordonnant son jugement prématuré à celui de ses maîtres.

Je ne finirai point cette préface sans payer de justes tributs de
reconnaissance à ceux qui ont bien voulu protéger ou éclairer mes
études. Il en est un à qui j'en ai offert les premiers fruits. Il m'est
doux de joindre à son nom celui d'un ami que l'élévation de son
caractère et de ses talents doit porter à de grandes destinées, sous un
gouvernement qui apprécie et qui récompense, M. de Roujoux, sous-préfet
de Dôle; si jamais j'ai osé desirer que cet écrit fût accueilli de
quelque estime, c'était pour le voir plus digne d'eux.



AVIS.


_Les mots dont il est question dans ce Dictionnaire, n'étant considérés
que sous le rapport de leurs sons, on a cru devoir exprimer les
Onomatopées hébraïques et grecques, par la simple lettre italique, pour
en mettre la lecture à la portée des premières études._

_L'Astérisque * indique les Onomatopées anciennes tombées en désuétude,
et les Onomatopées non encore admises, mais employées par quelques bons
Ecrivains._



ONOMATOPÉES FRANÇAISES.


A

* AARBRER. Se cabrer. Terme de Manége, qui se dit des chevaux qui se
dressent sur les pieds de derrière quand on leur tire trop la bride.

Ce mot, plus énergique que celui qui nous est resté, et dont la double
voyelle rend la construction plus imitative, est depuis long-temps hors
d'usage. On le trouve dans le vieux roman de Perceval.

ABOI, ABOIEMENT, ABOIER. En vieux langage, _Abai_.

C'est une des Onomatopées qui expriment le cri du chien. Quelques
Étymologistes dérivent ce mot de _ad baubare_, forme de _baubare_, que
les Latins ont dit, ainsi que _boare_. Ces mots eux-mêmes sont des
Onomatopées.

On peut présumer, au reste, que les Grecs de la colonie de Massilia
introduisirent dans les Gaules le mot _bauzein_, moins expressif
qu'_aboier_, mais dont celui-ci doit être fait.

Dans les Langues Canadiennes, un chien s'appelle _gagnenou_, autre
Onomatopée qui a beaucoup de rapport avec le _canis_ des Latins.

ABOIEMENT, est plus d'usage qu'_aboi_, qui ne s'emploie plus guère qu'au
figuré. Un de nos poètes dit cependant en parlant du chien:

    De ton champêtre enclos, sentinelle assidue,
    A toute heure, en tous sens, il parcourt l'étendue:
    Quelquefois en silence, il rôde; et quelquefois
    La forêt s'épouvante au bruit de ses _abois_.

ACHOPPEMENT. Ce mot qui était une Onomatopée faite du bruit d'un corps
qui en heurte un autre, ne s'emploie plus au sens propre. On ne s'en
sert même que dans cette façon proverbiale de parler: une pierre
d'_achoppement_, pour dire, Un obstacle inattendu.

CHOPPER, est presque tout-à-fait hors d'usage.

AFFRES. Il ne se dit guères qu'au pluriel. C'est un grand effroi, une
émotion extrême, causée par quelque terrible vision. L'Onomatopée
exprime le frémissement qu'excitent l'épouvante et l'horreur. On a donc
eu tort de dériver ce mot du latin _affari_ ou du grec _phren_ et
_afronos_, comme Voltaire, qui regrette d'ailleurs qu'on ne l'emploie
pas plus souvent.

Pourquoi ne dirait-on pas les _affres_ de la mort que l'Académie
autorise? Il n'y a rien qui puisse mieux représenter les frissons de
l'agonie. D'_affres_, on a fait

AFFREUX, qui se dit des objets qu'on ne peut voir sans éprouver un
sentiment de crainte ou d'aversion.

AGACEMENT, AGACER. Du son dont on se sert pour irriter ou _agacer_ les
animaux, ou bien du bruit que produit sous les dents un fruit acide, ou
un fruit qui n'est point à sa maturité, et dont l'effet est d'_agacer_
les dents.

On a dit assez hardiment, au style figuré, les _agaceries_ d'une
coquette, des regards, des propos _agaçans_, des manières _agaçantes_.

Ménage a très-bien dérivé ce mot du latin _acaciare_, qui a la même
racine. Il aurait pu remonter jusqu'au grec où elle se trouve également.
On disait _hegaçç_ en celtique.

AGOUTI. C'est un quadrupède des Antilles, qui a beaucoup de rapport avec
le lièvre. Son nom est formé d'après son cri qu'on exprime à-peu-près
par le mot _couy_. M. de Buffon compare ce cri au grognement du cochon.

Pison et Marcgrave disent qu'au Brésil on appelle cet animal _cotia_.
Souchu de Rennefort l'appelle _couti_, dont on a fait _acouti_ et
_agouti_.

Il est bon de remarquer en passant, sur ce mot, que la plupart des
animaux sont caractérisés par l'Onomatopée, et que l'énumération en
serait devenue fatigante si je ne m'en étais tenu aux indigênes et à
ceux qui sont tellement connus, que leur nom est devenu propre à la
Langue. Celui-ci est de cette dernière espèce.

AGRAFFE, AGRAFFER. L'_agraffe_ est une espèce de crochet qui sert
ordinairement à fixer ensemble les deux côtés d'une robe ou d'un
manteau. L'Onomatopée consiste dans l'imitation du bruit produit par le
déchirement de l'objet que les pointes de l'_agraffe_ saisissent.

Le père Labbe croit qu'_agraffer_ a été pris pour _agriffer_. Budée le
fait venir du grec _agra_, qui signifie l'action de saisir vivement, et
qui a la même racine naturelle. On peut la reconnaître encore dans le
verbe hébreu _garah_ ou _garaph_ que Saint Jérôme exprime par le mot
_arripere_, au cinquième chapitre des Juges.

RAFLER, mot ignoble de notre Langue, se rapporte à ceux-ci par le sens
et par le son. Les vieux Dictionnaires disent aussi _riffler_.

* RAFLE ou RAPHE, qui n'est plus français, est un mot ancien de la même
famille. Nicod rapporte ces paroles de Nicole Gilles en la vie de
Dagobert: «Notre Seigneur Jésus-Christ, afin qu'ils l'en voulsissent
croire, s'approcha du ladre, et lui passa la main par-dessus le visage,
et lui osta une _raphe_ de la maladie de lèpre qu'il avoit au visage, si
que la face lui demeura belle, claire et nette, et le restitua en santé.
Laquelle _raphe_ est encore gardée en un reliquaire en ladite église
Saint-Denys». Par lequel mot, ajoute Nicod, il semble vouloir dire une
poingnée, un plein poing. «Car on dit _rapher_ quand au jeu de dez qu'on
appelle la _raphe_, ayant gaigné, on prend hastivement ou bien plustost
rapidement la mise qui est sur le jeu. Ce qu'on dit aussi _raphler_ ou
_rafler_, et par métaphore, _rafler_ tout, quand on prend rapidement
tout ce qu'on trouve en un lieu».

Dans le vieux langage, _raphe_ signifiait encore la poignée, le manche
d'un outil, l'endroit par où on le saisissait.

AGRIPPER. Du bruit que produit le frottement des griffes ou des mains
contre les corps dont elles s'emparent. _Voyez_ GRIFFE et AGRAFFE.

GRAPPILLER, est peut-être un diminutif de ce verbe, et de là on aurait
fait

GRAPPE, un fruit sujet à être _grappillé_,

GRAPPILLEUR, celui qui _grappille_,

GRAPPILLON, ce que l'on rejette d'une _grappe_,

GRAPPE, instrument de Menuiserie qui présente plusieurs pointes propres
à saisir ou _agripper_ le bois,

GRAPPIN, instrument de fer dont on se sert pour accrocher un vaisseau,
soit pour l'aborder, soit pour y attacher un brûlot.

Je n'ai pas besoin de faire observer que presque tous ces mots sont du
style le plus bas.

GRAVIR, s'aider avec les ongles dans les anfractuosités d'un chemin
raboteux.

GRAVIER, le sable qui se détache sous les ongles d'un homme qui
_gravit_.

GRIMPER, _gravir_ difficilement une route roide et montueuse, me
paraissent autant d'Onomatopées qui se rapportent à la même racine, et
que je rassemble autour d'elle pour mettre ici autant d'ordre que la
méthode alphabétique en permet. Ce qui rend cette analogie plus
sensible, c'est que le peuple emploie bassement le mot _grappiller_ au
sens de _gravir_ dans un grand nombre de provinces, et que _gravir_
s'est même dit _grapir_ en français, selon Borel.

Nicod rapporte _grip_, qui se disait autrefois en style trivial pour
piraterie et rapine. Les Grecs avaient construit beaucoup de mots sur le
même son et d'après le même esprit; _gripos_, qui étoit un filet à
prendre du poisson; _gripeus_, le preneur de poissons; _grupès_, l'ancre
du navire, et le _grappin_ dont on saisissait un navire ennemi;
_grupaï_, les aires des vautours et des oiseaux carnassiers.

Nos vieux Écrivains ont employé plus communément encore _grippe_, qui
signifiait vol et filouterie.

    Je sais bien tous les biais
    Desquels on se sert pour la _grippe_,

dit Chevalier dans la _désolation des filous_. Cholières, tome II de ses
Contes, applique _gripperie_ au même usage.

La _grupée_, c'était le produit, le revenant bon de la _grippe_. On dit
dans la _comédie de la Passion_:

    Pour mettre mignons en alaine,
    Voici fine espice sucrée,
    Et tel y laissera la laine
    Qui n'en aura jà la _grupée_.

On a dit aussi _gruper_ pour, agraffer, et plus souvent pour _agripper_
ou saisir avec les griffes. «Qui sait, dit Rabelais, s'ils useroient de
qui pro quo, et en lieu de rominagrobis _grupperoient_ paovre Panurge?»

Les Bretons ont _krapa_, _krafa_, _gripper_, _grimper_, égratigner;
_kraf_, égratignure; _craban_, griffe; _crib_, peigne; _criba_, peigner;
_cribin_, peigne de fer; _crabb_, cancre, écrevisse, qui s'est conservé
dans le français. _Craff_ est le nom gallois du _grappin_, du harpon des
mariniers.

* AHALER. Pousser l'haleine au dehors. Quelques Écrivains ont dit
_adhaler_. Ce mot très-expressif a un autre sens qu'_exhaler_, et n'a
point d'équivalent en français. _Haleter_ donne l'idée d'une respiration
forte et pressée. C'est l'_anhelare_ des Latins qui avaient aussi
_halare_ et _halitus_.

Il semble que l'hiatus considérable qu'on remarque dans l'expression
proposée, lui donne quelque chose de pittoresque qui n'est pas dans
cette dernière Langue.

AHAN, AHANER. Ahan représente un grand effort qui ôte presque la faculté
de respirer. C'est l'expression du bucheron, des manoeuvres pour
reprendre leur souffle, et se donner la force nécessaire pour bien
porter leur coup. De là on a fait _ahaner_, travailler avec peine, avec
_ahan_, comme dans ces vers de Dubellay:

    De votre doulce haleine
    Esventez cette plaine,
    Esventez ce séjour,
    Cependant que j'_ahane_
    A mon blé que je vanne
    En la chaleur du jour.

_Ahaner_ un champ, s'est dit par extension pour, Cultiver une terre
difficile.

_Ahan_, est passé au style figuré pour exprimer de pénibles travaux
d'esprit, et l'agitation d'un homme qui a de la peine à se résoudre à
quelque chose.

On a fait venir ce mot du grec _ao_ et du latin _anhelare_. C'est
l'opinion de du Cange. Ménage en a cherché l'étymologie dans l'italien
_affanno_, peine, douleur. On aurait pu le retrouver tout entier dans le
dictionnaire des Caraïbes et dans beaucoup d'autres, puisqu'il est tiré
du dictionnaire de la Nature. C'est la plus évidente des Onomatopées.
Pasquier et Nicod ne s'y sont pas mépris.

Dans des lettres de rémission de l'an 1375, on trouve: «Après ce que
ledit Jehan fut deschaucié, entra ondit gué, et tant se y efforça pour
mettre hors laditte charrette, que il entra en fièvre en icelui gué,
pour le grant _ahan_ que il avoit eu».

On ne se sert plus de ce mot qui était très-familier à nos anciens
Écrivains. Rabelais, Montaigne, Amyot l'ont singulièrement affectionné.
Il est encore dans Costar. Jupiter, dit-il, en sua d'_ahan_.

AÏ. C'est le quadrupède, autrement nommé le _Paresseux_, qui est un des
_anthropomorphes_ de Linné.

Il articule les syllabes dont on a formé son nom avec des modulations si
justes, que cela a donné lieu à Clusius de dire très-ridiculement que
c'était le _Paresseux_ qui avait inventé la musique. Il aurait pu
d'ailleurs appuyer cette bizarre présomption d'une analogie curieuse de
la Langue grecque ou _aïo_ s'est dit quelquefois pour _cano_, et il faut
observer que ce mot est passé dans la Langue latine avec le sens de
_loquor_. Il n'appartenait qu'à ces peuples d'harmonieux langage
d'attacher la même expression aux idées de chant et de parole.

AME. Le principe de la vie dans l'homme et dans les animaux.

L'opinion qui range ce mot au nombre des Onomatopées, repose sur une
théorie bizarre et curieuse. La lettre labiale _M_ est une consonne qui
résulte, comme on le sait, de la jonction des lèvres, en sorte que la
bouche très-ouverte doit produire en se fermant le son composé _am_:
savoir, la voyelle par le moyen du souffle émis dans le moment où
l'organe est ouvert, et la consonne par le contact des deux parties de
la touche, dans le moment où l'organe se resserre. C'est ce qu'on
appelle rendre l'_ame_, car telle est la figure de l'expiration de
l'homme, et l'esprit de cette racine.

Au contraire, pour prononcer _M_ initiale suivie d'une voyelle, il faut
que les deux parties de la touche labiale agissent mutuellement l'une
sur l'autre, et se séparent pour l'émission du bruit vocal qui succède
au bruit consonnant. Ainsi se prononcera _ma_, qui est une racine dont
l'esprit est diamétralement opposé à celui de la précédente, puisqu'au
lieu d'exprimer le dernier acte physique de l'homme, elle exprime, par
la figure et par le son, le premier acte, et, en quelque sorte, la prise
de possession de la vie.

Cette racine _ma_ seroit donc la désignation nécessaire de l'existence
_matérielle_, comme cette racine _am_ de l'existence spirituelle. La
première appartiendra aux idées purement corporelles; la seconde aux
idées morales, à celles des principes _animans_, de l'_amour_, de
l'_amitié_, de toutes les affections.

En appuyant la racine _ma_ sur la touche dentale, ou en fera _mat_, qui
est le son typique du nom de la mort dans la plus grande partie des
Langues premières.

En la nazalant, on en fera _man_, qui est le signe presque universel du
nom de l'homme.

Je donne, au reste, ces hypothèses comme plus ingénieuses que probables,
et M. Court de Gébelin, qui les a suggérées, se livre trop souvent et
avec trop d'abandon à son imagination, pour être toujours un guide sûr.

Ce qu'il y a de certain, c'est que les différens noms de l'ame chez
presque tous les peuples, sont autant de modifications du souffle et
d'Onomatopées de la respiration, diversement modulées. Tels sont le
_Psyché_ des Grecs, le _Seele_ des Allemands, le _Soul_ des Anglais,
l'_ayre_ des Espagnols, l'_alma_ et le _fiato_ des Italiens. Il serait,
à la vérité, difficile d'en dire autant de l'_anima_ des Latins, dont le
mot _ame_ est une contraction évidente.

ANCHE. Partie d'un instrument à vent, faite de deux pièces de canne,
jointes de si près, qu'elles ne laissent qu'un espace très-resserré pour
le souffle; ce qui a fait penser à de savans Étymologistes que ce mot
venait du celtique _anc_, étroit, resserré, affilé. Il paraît plus
vraisemblable qu'il a été formé par Onomatopée; et ce qui me porte à le
croire, c'est que je trouve une Onomatopée grecque absolument semblable
à celle-ci, qui exprime l'idée que nous rendons par notre verbe
_suffoquer_. L'air étouffé dans l'étroit canal de l'_anche_, séparé de
l'instrument auquel elle appartient, imite très-bien le gémissement aigu
et forcé d'un homme qui suffoque. De là, la conformité de ces deux
Onomatopées.

ASTHME. L'_asthme_ est une infirmité qui consiste dans une grande
difficulté de respirer dans de certains temps. Cette Onomatopée imite le
bruit de la respiration brusquement interrompue. Elle nous vient
immédiatement, et sans changement, d'une Onomatopée grecque qui
représente la même chose.


B

BABIL, BABILLARD, BABILLER. _Babil_, abondance de paroles sur des choses
inutiles, manie importune de parler continuellement.

De la lettre _b_ qui résulte de la simple disjonction des lèvres, et qui
est la première que les enfans combinent avec les sons vocaux. Aussi
est-elle la première consonne de tous les alphabets.

Nicod dérive ce mot de _Babel_, à cause de la confusion des Langues qui
y eut lieu. Ménage le fait venir de _bambinare_, qui a été fait de
_bambino_, diminutif de _bambo_, transféré selon lui dans l'italien du
syriaque _babion_, qui signifie _enfant_. De la même racine, nous avons
créé

BABIOLE, une chose de peu de conséquence, une bagatelle qui ne peut
occuper que des enfans;

BABOUIN, BAMBIN, un petit enfant qui articule à peine; en gallois
_bach_, d'où vient le nom de _Bacchus_ qu'on représente ordinairement
comme un enfant gros et joufflu;

BAMBOCHE, un enfant grotesque et contrefait, une marionnette ridicule;

BAMBOCHADE, un genre de Peinture qui ne s'exerce que sur des formes
triviales, sur des marionnettes et des _bambins_.

Ménage aurait trouvé d'ailleurs une étymologie plus exacte et plus
naturelle encore dans le grec, où l'on dit _bao_, _babazo_, _babalo_ et
_bambaino_ pour _loquor_. Mais le fait est que tous ces mots et leur
immense famille sont composés d'après le son naturel.

_Baba_, _babe_, en arabe, signifient _bouche_, ouverture; _be_ a le même
sens en Langue celtique. Dans la même Langue, _enfant_ se dit _map_,
_vap_, _mab_, _vab_, et avec le diminutif, _babic_, _un petit enfant_.

On dit dans le latin _garrulitas_, _garrulus_, _garrire_, autres
Onomatopées; dans l'italien, _garrire_, _cicalare_, _ciarlare_ et
_ciachierare_; dans l'espagnol, _babillar_, _charlar_, _chicarrar_.

Amyot a dit _rebabiller_. «Si un _babillard_ escoute un peu, ce n'est
que comme un reflux de _babil_ qui prend haleine pour _rebabiller_ puis
après encore davantage».

Madame Pernelle dit dans le _Tartuffe_:

    C'est véritablement la tour de Babylone,
    Car chacun y _babille_ et tout du long de l'aune.

Voilà l'étymologie de Nicod consacrée par deux vers de Molière.

BÂILLEMENT, BÂILLER. De l'action d'ouvrir involontairement la bouche
dans le sommeil ou dans l'ennui.

Observez que la première syllabe de ce mot est longue, et qu'autrefois
on disait _baailler_ et _baaillement_, ce qui donnait plus d'expression
à l'Onomatopée.

En latin, _hiare_, _hiatus_; en italien, _sbadigliare_,
_sbadigliamento_.

BÉER, ou plutôt, BAYER, mot fait pour peindre une curiosité vaine et un
peu niaise, qui se manifeste par la même émission vocale et par la même
figuration de la bouche, appartiennent à la même racine. _Bayer aux
corneilles_, est une expression proverbiale assez en usage dans notre
langue. On lit dans un de nos plus anciens dictionnaires: _bayer_ à la
mamelle, _appetere mammam_. «C'est proprement ouvrir la bouche, mais
parce que quand plusieurs regardent par grande affection quelque chose,
ils ouvrent la bouche; de là est que _bayer_ signifie aucunes fois
autant que regarder».

BAH, est un mot factice ou artificiel qui échappe aux gens étonnés. De
là

BADAUD, homme simple et sans expérience, qui s'étonne de tout,

S'ÉBAHIR, ÊTRE ÉBAHI, termes attachés au même sens. S'il est vrai qu'ils
remontent à l'hébreu _Schebasch_, comme l'ont prétendu les
Etymologistes, c'est que celui-ci a été fait sur le son commun, et n'a
pas d'autre type naturel.

BARBOTER. Ce mot, dit Ménage, est formé du bruit que font les cannes
quand elles cherchent dans la boue de quoi manger, et on appelle de là
_barboteur_, un canard privé. _Barboter_ en cette signification semble
être une Onomatopée.

_Baret_. On emploie presqu'indistinctement _baret_, _barret_, ou
_barri_. C'est le cri de l'éléphant. On appelait autrefois l'éléphant
_barre_ aux Indes orientales. En latin, on l'appelle _barrus_, et son
cri _barritus_.

Nous avons perdu ce mot.

BEFFROI. Espèce de tocsin. «Quasi _bée effroi_, dit Nicod, car il est
expressément fait pour _béer_ et regarder, ou faire le guet en temps
soupçonneux, et pour sonner à l'_effroi_».

Il est à remarquer cependant qu'un instrument d'airain creux et sonore
s'appelait _bel_ en breton, et que de là peuvent venir l'anglais
_belfry_ et le français _beffroi_.

BÊLEMENT, BÊLER. On disait beaucoup mieux autrefois _béellement_,
_béeller_. Onomatopée du cri du mouton. Elle est parfaitement naturelle,
et Pasquier la préfère avec raison au _balare_ des Latins.

BÉGAYEMENT, BÉGAYER, ont été pris de la même racine, parce que le défaut
de prononciation que ces mots désignent consiste à répéter souvent le
même son avec des inflexions tremblantes, comme les animaux _bêlans_.

BELIER. Le nom de cet animal est certainement formé d'après son cri,
d'après son _bêlement_. Il est donc ridicule de l'avoir cherché dans
_vellus_ qui signifie _toison_; dans _bahal_, hebreu, qui est notre mot
_Seigneur_ ou _chef_, parce que le _belier_ est le maître du troupeau.

    Le _belier_, colonel de la laineuse troupe,

dit Ronsard; et dans _Jobel_, autre terme de la même langue, qui était
un des noms de ce quadrupède.

_Belin_, est l'ancien nom du _belier_. On le dit encore en certains
lieux, des agneaux, et il s'est conservé long-tems au figuré où il
signifiait _doucereux_. C'est un nom d'amitié, que l'on donne aux
enfans, mon _belin_, ma _beline_; on a employé _beliner_, _faire le
doucereux_, dans quelques occasions, et Rabelais l'a étendu à des
acceptions très-variées. Il est absolument hors d'usage.

BEUGLEMENT, BEUGLER. Cri du taureau, du _boeuf_, de la vache, mugir
comme les taureaux.

Ménage dérive ce mot de _baculare_, _à bacula_; mais c'est une
Onomatopée qui est également dans le latin _boare_, d'où _bos_ a été
tiré.

BOEUF, est le nom d'un animal qui _beugle_.

BOA, est celui d'un serpent énorme dont le cri ressemble au _beuglement_
des taureaux.

MEUGLEMENT, MEUGLER, qui se prononcent sur la même touche avec une bien
légère modification, s'emploient indistinctement. On a même dit
_muglement_ en vieux langage, comme dans ce passage d'Amadis: «La
blanche biche qui en la forest craintive eslevoit ses _muglements_
contre le ciel, sera retirée et rappellée».

BIBERON. Homme qui aime à boire, qui boit avec excès.

Du bruit que fait le vin en coulant goutte à goutte. Le _bibax_ et
sur-tout le _bibulus_ des Latins, représentent bien cette expression.
Ces mots dérivaient de leur _bibere_, qui était aussi fort imitatif, et
dont nous avons dégradé la valeur en le contractant dans le mot _boire_.
Leur joli mot _bilbire_ était de la même famille.

En celtique, le mot _boire_ se rend par _ef_, _ev_, Onomatopées du bruit
que fait la bouche en aspirant un liquide. C'est de là que vient
probablement le verbe _avaler_.

C'est une idée d'une hardiesse bien plaisante et bien ridicule, que
celle de ce savant d'ailleurs estimable, qui explique le nom d'_Eve_ par
ce petit verbe de la Langue celtique, et qui se sert de ce rapprochement
pour prouver que cette Langue est la première que les hommes aient
parlée.

BIFFER. Effacer une écriture en passant la plume dessus.

Un habile Etymologiste regarde ce mot comme pris de _buffare_, souffler,
qui est une Onomatopée latine: ainsi, _biffer_ signifierait, détruire un
objet, et le faire disparaître, comme en soufflant dessus. Sans aller en
fixer si loin l'origine, on l'aurait trouvée dans le bruit que fait une
plume passée brusquement sur le papier. Cette conjecture est d'autant
plus vraisemblable, que le mot _biffer_ n'a point d'analogie de
consonnance avec les mots anciens qui ont été attachés à une idée de
même espèce, et peut passer pour une Onomatopée très moderne.

BOMBE. Ce mot dérive du bruit de la _bombe_ qui éclate.

Il était au moins inutile d'en chercher ailleurs l'étymologie, et de la
dériver, soit de _Lombardie_, parce qu'on croit qu'elle y a été
inventée, soit de _bomba_ dont quelques Auteurs ont usé pour parler de
certaines coquilles qui servaient de trompettes, ou de _bombus_ qui
exprime le bruit du même instrument, ou de l'allemand _bomber_ qui
signifiait _baliste_. Il est étonnant qu'on ne l'ait pas fait remonter
aussi aux belles Onomatopées italienne et espagnole, _rimbomba_ et
_zumbido_ avec lesquelles il a tout autant de rapport; mais le fait est
qu'on devait le chercher, aussi bien que ses différens analogues, dans
le son naturel qui les a tous produits.

BOND, BONDIR, BONDISSEMENT. L'Onomatopée est prise du retentissement de
la terre sous un corps dur qui la frappe, et se relève aussitôt.

Le mot _bondir_ revient au _subsilire_ des Latins qui est moins
imitatif.

BORBORIGME. On dit aussi _borborisme_. Bruit de l'air contenu dans les
intestins.

BOUC. La grande conformité des différens noms de cet animal dans presque
toutes les Langues, prouve qu'ils ont dû avoir une racine commune et
naturelle. C'est l'imitation de son cri. Les Grecs qui l'appelaient
communément _tragon_, l'ont aussi nommé _bekkos_. Ménage dit que
_buccus_ se trouve dans la loi salique, et _bouch_ dans le Celtique. En
Langue franque, c'est _buk_, en allemand, _bock_, en italien, _becco_.

BOUFFÉE, BOUFFI. «Ces mots, suivant Nicod, sont par raison d'Onomatopée,
et représentent tant le son du vent qui vient à _bouffées_, que de la
flamme _bouffant_, ainsi que de la bouche de l'homme quand il _bouffe_,
c'est-à-dire, souffle ou le feu, ou la poudre, ou autre chose».

OUF, est le son radical converti en interjection pour exprimer
l'émission de l'air, poussé par un homme essoufflé. Les Latins en
avaient fait _buffare_ ou _bouffare_, que nous avons fidèlement
transporté en notre langue dans le vieux verbe _bouffer_.

_Buffe_, se dit fort anciennement pour un soufflet, pour un coup sur les
joues, comme en ce passage de Marot:

    Vien donc, déclare toy
    Qui de _buffes_ renverses
    Mes ennemis mordans,
    Et qui leur moult les dents
    En leurs gueules perverses.

Et observez que _buffe_ et soufflet ont été faits analogiquement, et
d'après le même principe, parce que la joue frappée paraît souffler ou
_bouffer_ sous la main qui la comprime.

On a employé _buffoi_ au figuré, pour orgueil et présomption; et en
perdant l'expression, nous avons conservé la métaphore. _Bouffi_ de
vanité, est une figure d'un usage très-commun.

BOUFFON, doit se rapporter à la même racine, suivant Ménage qui, d'après
Saumaise, le dérive du _bocca infiata_ des Italiens. Ils appellent
encore _buffo magro_, un maigre _bouffon_, le mauvais plaisant qui ne
les fait pas rire; soit, comme le dit Voltaire, qu'on veuille dans un
_bouffon_ un visage rond et une joue rebondie; soit que cette
_bouffissure_ des joues, qui est une des _bouffonneries_ les plus
triviales des plus grossiers saltinbanques, ait déterminé leur nom
générique. Il serait tout au moins difficile d'en donner une autre
explication.

BOUILLIR, BOUILLONNEMENT, BOUILLONNER.

BOUILLIE, BOUILLON, choses que l'on fait _bouillir_. Ces mots viennent
du bruit que fait un liquide échauffé à certain degré. Dans le verbe
_bouillir_, le son radical pur a été conservé aux trois personnes du
singulier de l'indicatif présent.

    Ceux à qui la chaleur ne _bout_ plus dans les veines
    En vain dans les combats ont des soins diligens;
    Mars est comme l'Amour. Ses travaux et ses peines
                Veulent de jeunes gens.

MALHERBE.

BULLE, mot par lequel on désigne ces petites éminences qui s'élèvent sur
l'eau _bouillante_,

BOULE, qui en est une espèce d'homonyme, étendu à des acceptions plus
générales,

BOUTON, autre terme qui, dans toutes ses acceptions, signifie une
éminence ou un corps de la même forme, n'ont probablement pas d'autre
étymologie. Le peuple, si riche en expressions pittoresques, se sert du
verbe _boutonner_ pour déterminer le premier degré de l'_ébullition_.

M. Court de Gébelin s'est donc certainement trompé en dérivant toute
cette famille de mots du Celtique _bal_, qui signifierait _oeil_, et par
une extension d'ailleurs très-forcée, suivant l'usage de cet érudit,
tous les objets ronds ou roulans. Il est faux qu'_oeil_ se dise en
Celtique autrement que _lagad_; les deux yeux, _daou lagad_. L'auteur du
_monde primitif_ a pris cette fausse interprétation dans Bullet et dans
tel autre lexicographe, qui ont confondu le Basque et le Celtique, et y
ont mêlé, en outre, une foule de mots qui n'ont jamais fait partie de
ces deux langues.

BOURDON, BOURDONNEMENT, BOURDONNER.

«BOURDON, dit Nicod, est une espèce de grosse mouche, tavelée comme
mouche à miel, n'ayant point de picquon ou aiguillon, plus grosse de
corsage que la mouche à miel nommée abeille, et ne fait ni ne sert à
faire le miel ni la cire; ains dévore l'aliment et la provision que les
mouches à miel se sont pourchassé, seulement de sa chaleur conserve les
petits abeillons, qui est la cause que Virgile, au quatrième des
Géorgiques, l'appelle _ignavum pecus_, fainéant et coüard. Pline, en son
livre onzième, leur attribue partie de l'opifice des mouches à miel, ce
que Varron son devancier ne fait pas, _fucus_. Le Français lui a donné
ce nom par Onomatopée, à cause du bruit qu'il fait quand il volète.»

_Boud_ a signifié le _bourdonnement_ du frélon, dans la Langue Celtique.

BOURDON, cloche très-sonore qui produit un bruit de même genre que celui
dont il est question dans cet article, a été ainsi nommée par analogie.

_Bourder_ est un vieux mot très-précieux qui voulait dire _rester court
en chaire_, parce que le prédicateur, en cet état, ne forme plus qu'un
murmure et un _bourdonnement_ confus. Il est à regretter que cette
expression soit perdue.

BOURDE, chose vague et confuse, mensonge qu'on articule à demi, en est
clairement dérivé. On a pu dire allusivement qu'un menteur pris sur le
fait, se tire d'affaire, en murmurant des mots sans suite, comme un
prédicateur qui a perdu le fil de son sermon. Regnier se sert de ce
terme dans cette hypothèse même:

    Ils bâillent pour raison des chansons et des _bourdes_.

BRAIRE. «L'âne _brait_, dit M. de Buffon, ce qui se fait par un grand
cri, très-long, très-désagréable, et discordant par dissonances
alternatives de l'aigu au grave, et du grave à l'aigu. Ordinairement, il
ne crie que lorsqu'il est pressé d'amour ou d'appétit. L'ânesse a la
voix plus aigre et plus perçante. L'âne qu'on fait hongre, ne _brait_
qu'à basse voix, et quoiqu'il paraisse faire autant d'efforts et les
mêmes mouvemens de la gorge, son cri ne se fait pas entendre de loin.»

BRAMER. Ce mot se dit du cerf en certaines occasions, et en général de
tous les animaux qui crient fortement. Il s'est même employé en vieux
langage, pour exprimer le cri de l'homme, comme dans ces vers, attribués
à Clotilde de Surville:

    Tant de loin que de près n'est laide
    La mort. La clamoit à son ayde
    Tojorz un povre bosquillon
    Que n'ôt chevance ne sillon.
    .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
    Tant brama, qu'advint...

Court de Gébelin et Voltaire prétendent que _bram_ signifiait _un grand
cri_ en Langue Gothique. Cette racine, commune dans les Langues, se
retrouve d'ailleurs toute entière dans le Grec.

Si l'on veut s'assurer, au reste, que l'Onomatopée n'est nulle part plus
fréquente que dans les idiomes qui se rapprochent des temps primitifs,
que l'on consulte Voltaire au même lieu, dans ses fragmens sur la Langue
Française. Les mots que cet auteur, toutefois peu versé dans le
mécanisme de la Langue qu'il a enrichie de tant de chef-d'oeuvres, les
mots, dis-je, qu'il fait dériver du Celte, sont autant d'Onomatopées.

BRAILLER, terme populaire qui ne se prend qu'en mauvaise part, et dans
l'usage le plus trivial, a évidemment le même type.

BREDOUILLER. Parler confusément et articuler avec peine.

_Bredi-breda_ est une locution basse et factice qui exprime l'espèce de
_bredouillage_ d'une personne très-loquace, qui articule difficilement.
Ce mot ne se trouve que dans Poisson, et quelques auteurs du même ordre.

BROUHAHA. Bruit confus d'applaudissemens qu'on entend dans les
spectacles, et dans les lieux d'assemblée où l'on récite des ouvrages
d'esprit. C'est une contraction de _bruit de haha_, prononcé _brouit de
haha_ dans le vieux langage.

BROUTER. Du bruit que font les animaux en brisant les plantes près de
leur racine, et en les arrachant avec les dents.

Il y a un exemple de l'harmonie pittoresque de ce mot, dans une des plus
jolies fables de la Fontaine, _le chat, la belette et le petit lapin_.

            Du palais d'un jeune lapin
            Dame belette, un beau matin,
            S'empara: c'est une rusée.
    Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
    Elle porta chez lui ses pénates, un jour
    Qu'il était allé faire à l'aurore sa cour
            Parmi le thym et la rosée.
    Après qu'il eut _brouté_, trotté, fait tous ses tours,
    Jeannot Lapin retourne aux souterrains séjours.

Voici le même mot employé dans la prose, avec un effet d'harmonie
imitative aussi vrai que celui qu'on vient de remarquer. Ce passage est
de M. de Châteaubriand, un des Écrivains dont notre siècle a le plus à
se glorifier; et je rapporte cet exemple avec d'autant plus
d'empressement, que je n'en connais point de si riche en Onomatopées:

«Si tout est silence et repos dans les savanes de l'autre côté du
fleuve, tout ici au contraire est mouvement et murmure: des coups de bec
contre le tronc des chênes, des froissemens d'animaux qui marchent,
_broutent_ ou broyent entre leurs dents les noyaux des fruits; des
bruissemens d'ondes, de faibles gémissemens, de sourds meuglemens, de
doux roucoulemens, remplissent ces déserts d'une tendre et sauvage
harmonie.»

BROYEMENT, BROYER. Ces mots sont faits du bruit d'une substance un peu
récalcitrante, brisée entre deux corps durs. C'est ce qu'expriment aussi
bien le _sfratumare_ des Italiens, et le _quebrar_ des Espagnols.

BRUIRE, BRUISSEMENT, BRUIT. Ces mots _bruire_ et _bruissement_, qu'on a
affecté de négliger je ne sais pourquoi, présentent une des belles
Onomatopées de la Langue. Ils donnent l'idée d'un _bruit_ vague, sourd
et confus, comme celui qui s'élève d'une forêt ébranlée par des vents
impétueux, ou qui résulte du fracas des torrens et de l'écoulement des
grandes eaux; en général, ils sont graves et solennels, et ont un
caractère particulier d'imitation qu'on ne trouve pas dans leurs
analogues.

Un auteur déjà classique, et qu'on peut appeler le Racine de la prose, a
prouvé, par l'emploi qu'il a fait de certains temps du verbe _bruire_,
qu'il serait d'une injuste délicatesse de le réduire à l'infinitif,
comme quelques Grammairiens y avaient paru disposés.

«La lune, dit M. Bernardin de Saint-Pierre, paraissait au milieu du
firmament, entourée d'un rideau de nuages que ses rayons dissipaient par
degrés. Sa lumière se répandait insensiblement sur les montagnes de
l'île, et sur leurs pitons qui brillaient d'un vert argenté; les vents
retenaient leurs haleines. On entendait dans les bois, au fond des
vallées, au haut des rochers, de petits cris, de doux murmures d'oiseaux
qui se caressaient dans leurs nids, réjouis par la clarté de la nuit et
la tranquillité de l'air. Tous, jusqu'aux insectes, _bruissaient_ sous
l'herbe.»

La Bruyère a dit aussi _brouissement_.

«Une femme entend-elle le _brouissement_ d'un carosse qui s'arrête à sa
porte, elle prépare toute sa complaisance pour quiconque est dedans,
sans le connaître».

Cette licence est heureuse dans cette occasion, parce qu'elle
caractérise très-bien l'espèce de _bruissement_ dont il s'agit.

BRUYÈRE. Il est probable que le nom de cette plante, dont les tiges
souples, grêles et ligneuses, _bruissent_ au moindre vent, est tiré du
même son radical que les mots précédens. L'étymologie que je donne de ce
mot n'est d'ailleurs qu'une conjecture, aussi plausible toutefois que
celle qui le tire du latin _uro_, parce qu'on brûle les _bruyères_ pour
les défricher, et rendre l'emplacement où elles croissaient susceptible
de culture: c'est l'opinion de Borel.


C

CAHOT, CAHOTER. De la secousse qu'on éprouve dans une voiture mal
suspendue qui roule sur un chemin âpre et raboteux, et de l'effort qu'on
fait pour reprendre la respiration durement interrompue.

Les Latins ont dit _succussus_, qu'ils prononçaient _soucoussous_, et
qui rendait la même idée.

CAILLE. «Le mâle et la femelle, dit Buffon, ont chacun deux cris, l'un
plus éclatant et plus fort, l'autre plus faible. Le mâle fait _ouan,
ouan, ouan, ouan_; il ne donne sa voix sonore que lorsqu'il est éloigné
des femelles, et il ne la fait jamais entendre en cage, pour peu qu'il
ait une compagne avec lui: la femelle a un cri que tout le monde
connaît, qui ne lui sert que pour rappeler son mâle; et quoique ce cri
soit faible, et que nous ne puissions l'entendre que d'une petite
distance, les mâles y accourent de près d'une demi-lieue; elle a aussi
un petit son tremblotant _cri cri_. Le mâle est plus ardent que la
femelle, car celle-ci ne court point à la voix du mâle, comme le mâle
accourt à la voix de la femelle dans le temps de l'amour, et souvent
avec une telle précipitation, un tel abandon de lui-même, qu'il vient la
chercher jusques dans la main de l'oiseleur».

C'est de ce cri, que Buffon dit connu de tout le monde, et qu'un autre
Ornithologiste a exprimé par les mots factices _caille caillette_,
qu'est venu le nom de la _caille_ dans notre Langue et dans la plupart
des autres. En effet, on a dit _kakkaba_ en grec, _qualea_ dans la basse
latinité, _cuaderviz_ en espagnol, excellente Onomatopée dont les deux
dernières syllabes doivent se prononcer très-brèves, _quaglia_, en
italien, _quaïl_, en anglais, _wachtel_, eu allemand; et ce son imitatif
se retrouve jusque dans l'hébreu _saly_ ou _xaly_. De ce nom l'on a fait

CAILLETAGE, babillage insupportable et continuel comme celui de la
_caille_,

CAILLETTE, femme frivole et babillarde,

CAILLETER, l'action de parler sans cesse, et à propos de toute chose,
expressions que la Langue française a repoussées jusqu'ici, et qui ne
sont d'usage que dans le style familier.

Rousseau a dit cependant, en parlant de madame de Warens: «La vie
uniforme et simple des Religieuses, leur petit _cailletage_ de parloir,
tout cela ne pouvait flatter un esprit toujours en mouvement, qui
formant chaque jour de nouveaux systêmes, avait besoin de liberté pour
s'y livrer».

CANARD. Du son _can can_, souvent répété, qui est le cri de cet animal,
plutôt que d'_anas_, probablement _à natando_, qui est son nom latin.
Mon opinion est du moins conforme en ce point à celles de quelques
Auteurs, et entr'autres à celle de l'ornithologiste Martinet, qui
remarque fort judicieusement qu'il est du génie de notre Langue de
terminer par cette syllabe ouverte et éclatante, _ard_, les mots qui
désignent un parleur impitoyable et fatigant, comme _bavard_ et
_babillard_.

Les Allemands ont représenté par une autre Onomatopée le cri rauque,
âpre, et enroué du _canard_. Ils l'ont appelé _racha_ et _rachtscha_.

CAN CAN, mot factice tiré du cri du _canard_, a été appliqué par
extension aux bruits tumultueux qui s'élèvent dans une assemblée
nombreuse où l'on ne s'accorde pas, et où l'on traite des affaires de
peu d'importance. Ce n'est pas le sentiment de l'Académie qui l'écrit
_quanquan_, et qui pense qu'on l'a appliqué aux discussions orageuses
sur des choses futiles, par allusion aux horribles disputes que causa au
seizième siècle la prononciation du mot _quamquam_, et qui coûtèrent
peut-être la vie à Ramus. Quelqu'égard qu'on doive cependant aux
décisions de ce corps savant, j'ai cru pouvoir persister dans mon
opinion qui me semble mieux fondée, et que je partage d'ailleurs avec le
plus grand nombre des Etymologistes.

CAQUET, CAQUETER. Ces mots se disent au propre, du bruit que font les
poules quand elles sont prêtes à pondre, et au figuré, du babillage des
personnes qui _caquettent_ comme les poules. Cette Onomatopée se
retrouve très-fidèlement dans la Langue grecque.

On disait autrefois dans notre Langue _cluper_ ou _gluper_, pour
exprimer une espèce de _caquet_ de la poule. Ce terme mériterait d'être
renouvelé.

Linguet s'est servi du mot _caquetage_ en parlant du chancelier de
l'Hôpital. «Aucun, ministre, dit-il, ne fit jamais convoquer autant de
grandes assemblées; mais satisfait d'y étaler une éloquence prolixe et
toujours mal-adroite, il les laissait toutes dégénérer en cohues
tumultueuses ou en _caquetages_ scandaleux dont l'unique résultat était
de constater la frivolité et l'impuissance du Gouvernement».

CASCADE. Ménage pense que ce mot est fait de l'italien _cascata_, ce qui
est incontestable. Il fait remonter celui-ci au latin _cado_, ce qui est
plus douteux; mais ce verbe aurait été employé comme désinent dans
l'expression dont il s'agit, qu'on n'en devrait pas moins reconnaître
cette expression pour une Onomatopée. La première syllabe est un son
factice qui fait rebondir la seconde, et cet effet représente d'une
manière vive le bruit redondant de la _cascade_.

Il y a beaucoup d'Onomatopées du même genre, c'est-à-dire, composées
d'un son naturel et d'un son abstrait. C'est ce que les Etymologistes
n'ont pas remarqué; et satisfaits dès qu'ils ont trouvé dans un mot
l'origine d'un de ses membres, on croirait qu'ils ont regardé le reste
comme le produit du hasard ou du caprice. Il est cependant démontré que
quelque fortuite qu'ait été la composition des Langues, il ne peut y
avoir eu qu'un très-petit nombre de mots formés sans motifs.

CATACOMBES. Du grec _kata_ qui est consacré à l'action de descendre ou
de tomber, et qui a peut-être fourni le latin _cado_ dont je parlais
tout-à-l'heure; et du vieux français _combe_, vallée, gorge, endroit
creux ou souterrain. La réunion de ces deux mots heureusement mariés
produit un des beaux effets d'imitation de la Langue. Il est impossible
de trouver une suite de sons plus pittoresques, pour rendre le
retentissement du cercueil, roulant de degrés en degrés, sur les angles
aigus des pierres, et s'arrêtant tout-à-coup au milieu des tombes.

CATARACTE. En Grec, _Kataraktès_. Chûte d'eau impétueuse et bruyante qui
tombe et se brise de roc en roc avec un grand fracas.

Herbinius, dans son Traité _de admirandis mundi cataractis supra et
subterraneis_, a étendu le sens de cette expression à tous les violens
chocs élémentaires, de quelque espèce qu'ils fussent.

CHAT-HUANT. «_Chahuant_, dit un de nos anciens glossateurs, est une
espèce d'oiseau qui va voletant et huant de nuict, duquel chant huant il
est ainsi nommé, car son chant n'est que hu et cry piteux: pour laquelle
cause les Latins l'ont appellé _ulula_, et aussi _noctua_, parce qu'il
ne chante et ne erre que la nuict. Ils l'ont aussi nommé _bubo_ par
Onomatopoée, représentant le chant d'iceluy par ce nom, et dient que
cest oiseau est féral et funébre, pour estre ténébreux et nocturne et
effrayant: et à ceste occasion tenoit on anciennement son chant pour
présage de calamité future, mesme par mort de maladie. Il est hay à
merveilles des autres oyseaux, lesquels pour estre diurnes,
c'est-à-dire, errans et voletans par jour, et ne avoir la rencontre
ordinaire de ce dit _chahuant_, et pour l'aspect hydeux de luy, le
hayent et poursuyvent à coups de bec et de griffes, quand ils le
trouvent, faisans tous un esquadron combattant contre luy, ausquels,
comme Pline dit au livre X, chap. 17, il résiste par se coucher à
l'envers et se reserrant en arc, si qu'il demeure presque couvert de son
bec et de ses griffes ou serres, laquelle inimitié estant aperçüe par
les oyseleurs, se servent dudit _chahuant_, pour attraper ceux qui
viennent à la meslée contre iceluy. De ce que dessus se voit que de
l'appeler _chathuant_, et pour la difficulté de la prolation françoise
en l'aspiration _h_ après la consonne, dire que _chahuant_ est fait de
_chat huant_, il n'y a pas raison grande, veu que ceste particule _cha_
est ailleurs commune au François, comme en ces mots chatouille,
chatfourré, chafouyn, esquels le mot de chat n'a que veoir».

CHEVÊCHE. En Latin, _Strix_. Ce mot a désigné génériquement les oiseaux
de nuit de l'espèce de la chouette. Maintenant on n'appelle du nom de
_chevêche_ que des oiseaux à qui ce nom ne convient plus, puisqu'il
avait été formé par Onomatopée, et qu'il ne désigne point leur cri, mais
celui de l'_efraye_ ou fresaye. «Les cris acres et lugubres de l'efraye,
et sa voix entrecoupée qu'elle fait souvent entendre pendant le silence
de la nuit, semblent articuler _grei_, _gré_, _crei_; et ses soufflemens
_ché_, _chei_, _cheu_, _cheue_, _chiou_, qu'elle réitère sans cesse,
ressemblent à ceux d'un homme qui dort la bouche ouverte: elle pousse
encore en volant différens sons aussi désagréables.» Ces expressions,
tirées d'un de nos Naturalistes, donnent l'incontestable étymologie des
mots _chevêche_ et _chouette_, et font regretter que l'impéritie des
Méthodistes ait consacré de nouvelles _appellations_ insignifiantes et
capricieuses, puis transporté les anciennes à des espèces qu'elles ne
désignent point, et bouleversé ainsi la nomenclature naturelle, sans
qu'il en résulte aucun avantage pour la science.

Oserai-je souhaiter que les Naturalistes à venir, moins jaloux d'étaler
une vaine érudition, en appliquant aux animaux des noms difficilement
composés, voulussent bien s'en tenir aux désignations imitatives qui
sont naturelles à tous les peuples, et qui universaliseraient, en
quelque sorte, leurs nomenclatures. Cette idée n'a pas été étrangère à
Linné et aux autres Méthodistes philosophes.

CHOC, CHOQUER. Du bruit de deux corps qui se heurtent.

Du même son naturel les Espagnols, pour joûte, ont dit _choca_.

Nous représentions cette dernière idée par le vieux verbe _toster_, dont
les Anglais ont fait _toast_.

CHOUCAS. En Grec, _ankos_, _koloïos_; en Latin, _graccus_, _gracculus_;
en Espagnol, _graio_, _graia_; en Italien, _ciagula_; en Savoyard,
_chüe_, _caüe_, _cavette_, _cauvette_; en Turc, _tschaucka_; en Saxon,
_aelcke_, _kaeyke_, _gache_; en Suisse, _graake_; en Hollandais, _kaw_,
_chaw_; en Illirien, _kauka_, _kawa_, _zegzolka_; en Flamand, _gaey_; en
Suédois, _kaja_; en Anglais, _kae_, _chog_, _jak-daw_; en quelques
provinces de France, _chicas_, _chocotte_ et _chocas_.

J'ai rapporté ces différentes synonymies comme autant d'Onomatopées. Le
_choucas_, indépendamment du cri qui lui a fait donner son nom, en
pousse un autre encore qu'on a exprimé par le son _tian_, _tian_,
souvent répété; mais il lui est beaucoup moins familier, et n'a jamais
été converti en Onomatopée.

CHUCHOTTER, CHUCHOTTERIE, CHUCHOTTEUR. Du mot factice _st_ qu'on a
employé pour imposer silence, ou pour indiquer qu'il faut baisser la
voix, et parler de manière à n'être pas entendu, on a fait _chut_,
suivant l'usage de notre Langue qui mouille ordinairement les sons
sifflans, et de là le verbe _chuchotter_, qui présente une nouvelle
Onomatopée par le concours des syllabes sourdes qui le composent. On
disait autrefois _chuchetter_.

On ne supposerait guères que les Étymologistes eussent vu, dans le son
radical _st_ qui est si simple et si général, une contraction du
_silentium tene_ des Latins. Cela est cependant vrai, car il n'y a point
d'idée si bizarre que ce genre d'érudition n'en puisse offrir un
exemple.

CIGALE. Du son radical _cic_, _cic_, qui est le chant de cet insecte,
les Grecs ont fait probablement _kik aïodos_, l'insecte _chanteur_ qui
dit _kik_; et de ce nom, les Latins _cicada_, les Espagnols _cigarra_,
les Italiens _cigala_, et nous le mot _cigale_, qui est une Onomatopée
alongée d'une terminaison oiseuse et étrangère à notre Langue.

* CLAPPEMENT. Un homme d'esprit qui se pique d'originalité sur toutes
les matières, et qui a dit beaucoup de mal de Racine et de Newton, a cru
devoir, en raison du même principe, attaquer l'ancienne réputation du
rossignol, si prôné parmi les chantres des bois.

«Qu'une oreille impartiale, dit-il, écoute avec attention le rossignol;
qu'elle entende ses sons souvent aigres, toujours fortement prononcés,
mais sans variété, si ce n'est quatre tons, sans modulations; sans
nuances, elle éprouvera une sensation pénible, désagréable. Transportez
l'oiseau, suspendez sa prison à une fenêtre, le chant sera le même, et
le passant l'entendra avec indifférence; s'il s'arrête, ce n'est pas par
l'attrait du plaisir, c'est de surprise et d'étonnement. Il croyait que
l'oiseau ne chantait que dans les bois et pendant la nuit; mais la lune
ne brille pas au travers des branchages touffus; le silence solennel de
la nature ne l'environne pas; le murmure vague d'un ruisseau ne s'unit
pas aux légers frémissemens du feuillage sous lequel il est assis: il
est dans la ville.

«Que peut-on comparer au _clappement_ dur et déchirant que l'oiseau tant
vanté fait entendre au milieu ou à la fin de son chant imphrasé? Je
souffre quand je réfléchis aux efforts redoublés des muscles de son
gosier.»

On ne verra peut-être ici que le caprice d'une imagination d'ailleurs
ingénieuse qui se complaît à colorer agréablement des paradoxes; mais je
rapporte ce passage pour soumettre aux arbitres de la Langue le mot
pittoresque, mais un peu hasardé, qui est l'objet de cet article, et qui
me paraît une innovation plus heureuse que le reste.

CLAQUE, CLAQUEMENT, CLAQUER. Du son que produisent les deux mains
vivement appliquées l'une contre l'autre, ou contre un corps
retentissant.

_Claquer_ se dit aussi fort bien du bruit d'un fouet qui coupe l'air
avec force. Il est passé au sens proverbial dans cette acception.

_Claquement_ s'applique sur-tout au heurt convulsif et spontanée des
dents.

Court de Gébelin prétend que le son radical _claq_ était un mot celtique
qui signifiait _grand bruit_. _Schlagen_ signifie encore en langue
allemande frapper, et du même type, nous avons fait

CLAQUET, petite latte tremblotante qui est d'usage dans les moulins, et
qui frappe la meule avec éclat.

CLIGNOTER. M. de Brosse prétend avec raison, ce me semble, que beaucoup
d'Onomatopées ont été formées, sinon d'après le bruit que produisait le
mouvement qu'elles représentent, au moins d'après un bruit déterminé sur
celui que ce mouvement paraît devoir produire à le considérer dans son
analogie avec tel autre mouvement du même genre, et ses effets
ordinaires; par exemple, l'action de _clignoter_, sur laquelle il forme
ces conjectures, ne produit aucun bruit réel, mais les actions de la
même espèce rappellent très-bien par le bruit dont elles sont
accompagnées, le son qui a servi de racine à ce mot.

CLIN-D'OEIL, c'est le petit mouvement d'un oeil _clignotant_.

CLINQUANT. _Clinquant_ s'est dit, au sens propre, d'une feuille de métal
si fine et si légère, qu'elle se froisse sous les doigts avec un petit
cliquetis aigre dont son nom est formé; et parce que ces feuilles, à
cause de leur ténuité ont ordinairement plus d'éclat que de valeur, on
les prend figurément pour les choses d'un prix médiocre qui ont une
apparence brillante, comme dans ces vers de Boileau:

    Tous les jours à la Cour un sot de qualité
    Peut juger de travers avec impunité;
    A Malherbe, à Racan préférer Théophile,
    Et le _clinquant_ du Tasse à tout l'or de Virgile.

CLIQUETIS. Onomatopée tirée du son des armes qui se choquent.

Ce mot se dit aussi du bruit des verres, et en général des bruits
argentins et mordans.

_Cliket_ est dans le dictionnaire breton de dom Lepelletier, pour loquet
de porte ou de fenêtre. Dans Davies on lit _cliccied_, et
analogiquement, _cleccian_, pour _stridere_.

CLOSSEMENT, CLOSSER. Du cri ordinaire de la poule.

Ces mots ont peut-être quelque chose de plus aigre et de plus bruyant,
et représentent mieux la clameur de la poule inquiète qui rappelle ses
petits, ou de la poule irritée qui les défend, que leurs synonymes
_gloussement_ et _glousser_ dont ils sont une nuance légère, et qui ne
s'en sont pas moins conservés dans la Langue.

GLOUSSEMENT, GLOUSSER, ont obtenu jusqu'ici la préférence dans le
langage poétique, et il me serait facile d'en offrir plus d'un exemple.
Je m'en tiendrai à ces vers élégans d'un de nos meilleurs Poètes
descriptifs:

    La Poule cependant du Coq victorieux
    A reçu dans son sein ce germe précieux
    Qu'elle mûrit, féconde, et reproduit sans cesse;
    Et bienfaitrice exacte à payer sa largesse
    Qu'une coque fragile enveloppe et blanchit,
    Du tribut coutumier, chaque jour t'enrichit.

    La vois-tu, promenant sa vague inquiétude,
    Rêver, fuir le plaisir, chercher la solitude;
    Et trahir sa langueur par de longs _gloussemens_?
    Hâte-toi, l'heure presse, et saisis les momens.
    Son coeur est tourmenté du besoin d'être mère.

La poule glossante s'est autrefois appelée _cloucque_, _à clocqua_, dit
Borel, _id est tintinnabulo, ob sonum similem_.

COASSEMENT, COASSER. Du son radical _koax_, si ridiculement employé par
Rousseau, et qui est l'Onomatopée du cri de la grenouille.

On a dit _coaxare_ dans la basse latinité, et quelques Ecrivains
français en ont fait _coaxer_, qui n'est pas admis par l'usage.

COQ. Oiseau dont le chant est exprimé par un mot factice, de la première
syllabe duquel on a fait son nom. Il est à remarquer que c'est son
incantation la plus familière; aussi a-t-elle fourni aux Langues un
grand nombre d'Onomatopées. Les Grecs ont dit souvent _kottos_ et
_kikkos_. Les Polonais ont _kogut_, les Anglais _cok_, les Savoyards
_coq_ et _gau_. Nous avons dit autrefois _gal_ de _gallus_, et _gog_ du
son radical imitatif. C'est cette dernière dénomination qui nous est
restée avec une modification bien légère.

Ménage ne devait pas dire que _coq_ venait de _clocitare_, d'où est fait
_closser_, mais plutôt que ces mots venaient d'un type commun qui est le
chant du _coq_.

COQUE, mot créé pour représenter l'enveloppe de l'oeuf, pourrait bien
dériver du nom de l'animal, de l'Onomatopée de son chant. La poule
entonne son chant favori à l'instant où elle vient de pondre. _Coq-coq_,
suivant Leroux, exprime le bruit que fait la poule quand elle pond.
Cette étymologie me paraît plus naturelle que celle qu'on attribue à ce
terme quand on le fait venir _à concha_. _Coquille_ se dit aussi chez
nous pour _coque_, mais c'est une terminaison diminutive, familière à
notre Langue.

COQUETTERIE, et les mots qui se rapportent à cette idée, sont employés
figurément par allusion aux moeurs du _coq_, à son inconstance et à ses
amours. En effet, soit que nous l'ayons appelé _gal_ comme dans le vieux
langage, soit que nous l'ayons appelé _coq_ comme aujourd'hui, on peut
suivre facilement cette double dérivation, dont les rapports, tout
curieux et tout piquans qu'ils sont, ont cependant, je crois, échappé à
tous les Etymologistes. _Galendé_ signifiait orné, enrichi, embelli,
comme dans ces vers du roman de la Rose:

    Belle fut et bien ajustée;
    D'un fil d'or étoit _galendée_.

_Gallois_ se prenait pour agréable et léger. Une belle, une franche
_Galloise_, selon Rabelais et les Auteurs du même temps, c'était une
femme éveillée et _coquette_.

    Et puis s'en vont pour faire les _galloises_,
    Lorsque devroyent vacquer en oraison.

_Galeur_ ou _Galeure_ a un sens analogue dans Coquillard:

    _Galeures_ portent escrevices
    Et velours pour être mignons.

Villon se sert du mot _galer_, pour, se réjouir, et passer agréablement
la vie.

    Je plains le temps de ma jeunesse
    Auquel ay plus qu'en autre temps _galé_.

_Gaillard_ et _Galant_ nous restent encore.

Les dérivés du mot nouveau sont plus aisés à retrouver, et frapperont
tout le monde. Remarquons seulement qu'ils remontent au premier emploi
du mot _coq_, et qu'on les croirait inventés simultanément, tant
l'extension en fut naturelle. Il y a plusieurs siècles que le mot
_coquardeau_, désignant un jeune homme étourdi et _coquet_ qui débute
dans le monde, se lisait déjà dans _le blason des fausses amours_.

    Se ung _coquardeau_
    Qui soit nouviau
    Tombe en leurs mains;
    C'est un oiseau
    Pris au glueau
    Ne plus ne moins.

Villon s'est servi de _quoquart_ dans la même acception.

COUCOU. Voici les Onomatopées équivalentes que d'autres Langues me
fournissent.

En hébreu _kaath_, _kik_, _kakik_, _kakata_, _schaschaph_; en grec
_kokkus_, et par corruption _karkolix_, et _kakakoz_; en latin _cuccus_,
_cuculus_; en italien _cuculo_, _cucco_, _cucho_; en espagnol
_cuclillo_; en allemand _gucker_, _kuckuch_, _guggauch_, _guckuser_; en
flamand _kockock_, _kockuut_; en anglais _kuckow_, _cucoo_; en turc
_koukou_; en syriaque _coco_; en polonais _kukulka_, _kukawka_; en
danois _kuk_, _gioeg kukert_; en catalan _cocut_, _cugul_; en vieux
français _coqu_; en Provence _coux_, _cocou_; en Sologne _coucouat_,
pour indiquer le petit du _coucou_.

Il n'y a point d'oiseau dont le nom ait été formé aussi généralement
d'après son cri, et cela, peut-être, parce qu'il n'y en a aucun dont le
cri soit plus analogue aux modulations de la voix humaine; au reste, il
est bon de dire, une fois pour toutes, que si la lettre _C_ prononcée
comme _K_, est l'initiale du nom d'un grand nombre d'oiseaux crieurs, et
même de certains que nous n'avons point nommés, parce que cette
circonstance nous a paru trop faible pour constituer l'Onomatopée; que
si elle est la caractéristique de leur _cri_; comme dans _cailletage_,
_caquet_, _clappement_, _clossement_, _cluppement_, _croassement_; et
que si cette observation peut s'étendre indistinctement à toutes les
Langues connues, c'est que le chant, ou plutôt la clameur de ces
animaux, est engendrée par le claquement de la langue contre le palais,
qui est la plus éclatante de toutes les touches vocales, et que ce
claquement produit la consonne dont il s'agit.

COURLIS. C'est un oiseau que nous avons aussi nommé _curly_ et _turly_
par imitation de son cri.

Ce son naturel a produit beaucoup d'Onomatopées, l'_Elorios_ des Grecs,
le _clorius_ des Latins, le _tarlino_ de la Pouille, le _caroli_ du
Milanais, le _curlew_ des Anglais, le _greny_ des environs de Constance,
le _turlu_ de Poitou, le _turluy_ et le _corleru_ des Picards, le
_corlui_ des Normands, le _corlu_ des Bourguignons, le _corly_ et le
_corlieu_ de nos anciens Naturalistes.

M. de Buffon, à qui je dois cette nomenclature, y joint des observations
qui viennent très-bien à ce sujet. «Les noms composés des sons imitatifs
de la voix, du chant, des cris des animaux, sont, dit-il, pour ainsi
dire, les noms de la Nature; ce sont aussi ceux que l'homme a imposés
les premiers; les Langues sauvages nous offrent mille exemples de ces
noms donnés par instinct; et le goût, qui n'est qu'un instinct plus
exquis, les a conservés plus ou moins dans les idiomes des peuples
policés, et surtout dans la Langue grecque, plus pittoresque qu'aucune
autre, puisqu'elle peint même en dénommant. La courte description
qu'Aristote fait du _courlis_, n'aurait pas suffi sans son nom
_Elorios_, pour le reconnaître et le distinguer des autres oiseaux. Les
noms français _courlis_, _curlis_, _turlis_, sont des mots imitatifs de
la voix; et dans d'autres Langues, ceux de _curlew_, _caroli_,
_tarlino_, s'y rapportent de même; mais les dénominations d'_arquata_ et
de _falcinellus_ sont prises de la courbure de son bec, arqué en forme
de faulx. Il en est de même y du nom _Numénius_ dont l'origine est dans
le mot _Néoménie_, temps du croissant de la lune; ce nom a été appliqué
au _courlis_, parce que son bec est à-peu-près en forme de croissant; et
les Grecs modernes l'ont appelé _macritimi_, ou long nez, parce qu'il a
le bec très-long, relativement à la grandeur de son corps».

On pourrait conclure de ces remarques qu'il y a deux espèces
d'Onomatopées ou de fictions de nom; les premières qui sont les
Onomatopées naturelles, communes à tous les peuples, parce qu'elles sont
formées sur un son qui ne varie pas; les secondes, qui sont les
Onomatopées locales, propres à un seul idiome, parce qu'elles sont
déterminées sur une figure ou un aspect des corps dont le signe est de
convention. Ces deux riches familles de mots pittoresques sont la plus
belle partie des Langues.

CRACHAT, CRACHEMENT, CRACHER. Du bruit que fait la salive jetée avec
force hors de la bouche.

Cette idée a été exprimée dans les Langues par deux sons également
imitatifs, quoique fort distincts, l'un de l'autre. Du premier qui a
servi de racine aux mots dont on s'occupe dans cet article, les
Bas-Bretons ont fait _cranch_ qui signifie salive, et suivant Court de
Gébelin, _craing_ qui signifie la même chose, _craincher_, _cracheur_,
et _crancha_, _cracher_, mais je suis porté à croire qu'il doit ces
dernières expressions à un autre vocabulaire. Les mots _excreare_ et
_screare_ des Latins ont le même type.

Du second, les Latins ont fait _spuere_, _despuere_, _expuere_, les
Italiens _sputare_, les Allemands _speien_, et les Anglais _spit_. Le
son radical _puth_ a été souvent converti en interjection, pour marquer
un mépris extrême, comme en ces mots tirés d'une mauvaise pièce de
Boursaut, intitulée _le Portrait du Peintre_. «C'est mal répondre,
_puth_, misérable critique!»

Il est presqu'inutile de dire que nos mots _conspuer_ et _pituite_ sont
formés d'après cette dernière espèce de son.

_Cracher_, s'exprime en arabe par le mot _ghak_, et en hébreu par les
mots _racac_ et _iarac_, qui sont encore des Onomatopées.

CRAN. Incision ou entaille faite sur un corps dur. En celtique, _cran_,
en latin, _crena_.

ECRAN, meuble qui glisse sur des _crans_.

CRAQUEMENT, CRAQUER. Du bruit que font des corps secs et durs qui se
brisent.

Letourneur dit dans sa traduction du _Jugement dernier_ d'Young:
«Avez-vous entendu ce _craquement_ effroyable dont tout le globe a
retenti dans sa profondeur? C'est le fracas de l'Olympe et de l'Atlas
tombans». Ce passage est d'une belle harmonie.

* CRAQUETER s'est dit quelquefois au sujet d'une matière pétillante et
très-sèche qui éclate au feu, comme le sel ordinaire et les feuilles des
arbres résineux. Il n'est point à dédaigner dans ce sens. Le poète
Théophile en a fait un mauvais usage, quand il a dit qu'on entendait
_craqueter_ le tonnerre. Le signe est trop petit pour l'idée.

On ne se sert plus de _criquer_ et de _criqueter_ qui se prenaient
autrefois dans un sens analogue. Les herbes sèches _criquent_, dit
Nicod. _Herbae aridae rixantur_. _Criqueter_, _digitis concrepare._

CRESSELLE, CRECELLE, ou CRÉCERELLE. C'est un instrument de bois en usage
dans quelques solennités, qui _bruit_ aigrement en tournant sur des
crans durs et serrés. On a cherché par-tout l'étymologie de son nom,
excepté dans le bruit qu'il produit, et dont elle est certainement
tirée.

Ce mot n'est point étranger à la poésie, et Boileau s'en est
agréablement servi dans ces vers imitatifs du Lutrin:

    Ils prennent la _cresselle_, et par d'heureux efforts
    Du lugubre instrument font crier les ressorts.

CREX. Cri sinistre et fréquent d'un oiseau qui en a pris son nom.

CRI, CRIER. Je ne prends point ces mots comme imitatifs de la voix
humaine ou de celle des animaux, mais comme des Onomatopées d'un bruit
purement mécanique qui résulte du frottement ou du brisement des corps.
On se rappelle le superbe hémistiche du récit de Théramène:

    L'essieu _crie_ et se rompt.

M. Lalanne a fait un heureux emploi du même mot dans ces vers du poème
intitulé _Les Oiseaux de la Ferme_:

    Qu'elle est lente à leur gré, qu'ils la trouvent tardive,
    La main qui se refuse à leur ardeur captive!
    Le doux bruit du loquet, long-temps importuné,
    Vient enfin réjouir l'essaim emprisonné.
    Un verrou reste encor, qui, trois fois indocile,
    Trois fois tourne, en _criant_, sur la porte immobile.

CRIAILLER, CRIAILLERIE, CRIAILLEUR, sont faits du même son radical que
les précédens, et alongés d'une syllabe très-ouverte, pour peindre la
continuité fatigante d'un babil disputeur et hargneux.

    Délivrez-moi, Monsieur, de la _criaillerie_,
    Et daignez accomplir votre ordre, je vous prie.

Notre bon Montaigne est, je crois, un des premiers qui aient fait usage
de ce mot. «La _criaillerie_, quand elle nous est ordinaire, passe en
usage, et fait que chascun la méprise. Celle que vous employez contre un
serviteur pour un larcin ne se sent point, d'autant que c'est celle
mesme qu'il vous a vu employer cent fois contre luy, pour un verre mal
rincé, ou pour avoir mal assis une escabelle».

CRIOCÈRE, est le nom que les Entomologistes français ont donné à une
famille d'insectes dont on trouve des espèces sur le lys et sur
l'asperge, et qui est remarquable par la propriété qu'ont les petits
animaux qui la composent de produire un _cri_ assez aigu, au moyen du
frottement de leur corselet contre l'origine des étuis.

CRIC. C'est une machine composée d'une roue dentée ou pignon qui se meut
avec une manivelle, et qui roule en criant.

* CRINCRIN. C'était un instrument chargé de grelots, dont il n'est parlé
que dans les _Fâcheux_ de Molière:

                Monsieur, ce sont des masques
    Qui portent des _crincrins_ et des tambours de basques.

Ménage, qui rapporte ce terme et cette autorité, n'hésite pas à le
regarder comme formé par Onomatopée.

M. de Roujoux pense que le peuple donne au violon le nom de _crincrin_
par allusion aux _crins_ qui forment l'archet; il croit qu'il pourrait
bien en être de même de cet instrument qu'il présume être celui dont se
servent encore les enfans pour imiter la grenouille, et qui est formé
d'un petit cylindre de carton fermé à une de ses extrémités, et attaché
par un crin à un bâton autour duquel on le fait tourner pour produire du
bruit. Le mot alors, selon M. de Roujoux, ne serait pas une Onomatopée,
puisque l'instrument aurait pris son nom de sa principale partie.

* CRISSEMENT, CRISSER. Expressions hors d'usage. C'est l'action de
grincer fortement les dents, et de tirer de leur frottement un son aigre
et _strident_ qui offense l'oreille.

_Crisser_, selon Borel et Monnet, c'est faire un bruit aigu et âpre,
comme les roues mal ointes.

CROASSEMENT, CROASSER. Du cri lugubre et discord des corbeaux.

Le nom même du corbeau dérive de loin du même son primitif. Du _korax_
des Grecs qui est une Onomatopée, les Latins ont fait _corvus_, et
d'après eux les Espagnols _cuervo_, et les Italiens _corvo_. La
dénomination que nous avons adoptée est encore moins naturelle,
quoiqu'on puisse remonter sans effort à son étymologie; mais il n'y en a
point de plus singulièrement corrompue que celles que la Langue
allemande et la Langue anglaise ont substituées au _corvus_ des Latins,
en retranchant bizarrement de ce mot la consonne initiale, et en faisant
du reste par une métamorphose capricieuse les noms insignifians de
_rabe_ et de _raven_.

Boileau écrit quelque part:

    Sitôt que d'Apollon un génie inspiré
    Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
    En cent lieux contre lui les cabales s'amassent;
    Ses rivaux obscurcis autour de lui _croassent_.

Ce mot rauque tombe à la fin du vers d'une manière singulière et
inusitée qui rend son effet plus énergique.

CROC. Ce mot ne fut probablement d'abord que le signe factice du
déchirement d'un corps saisi par un instrument aigu; et puis il devint
par une extension très-naturelle le nom de cet instrument, du _croc_ et
du _crochet_.

ACCROCHER, c'est saisir avec un _croc_, ou fixer avec un _crochet_.

CROQUER. Du bruit que fait un aliment sec et difficile à broyer, en se
rompant sous la dent.

    Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce!
    Est-ce un péché? Non, non, vous leur fîtes, Seigneur,
                En les _croquant_, beaucoup d'honneur.

Le même La Fontaine a employé le mot de _croqueur_ que notre Langue a
rebuté:

            Un vieux renard, mais des plus fins,
    Grand _croqueur_ de poulets, un jour fut pris au piége.

CROQUET, nom que l'on donne à une espèce de pâtisserie très-cassante, a
la même origine que les mots précédens. Ils sont les uns et les autres
du style familier.

CROULEMENT, CROULER. Du retentissement sourd et profond des murailles
qui s'affaissent, qui s'ébranlent, et qui tombent.

ÉCROULEMENT et S'ÉCROULER qui ont un sens moins vif, sont cependant plus
en usage.

Le mot _croulement_ a été transporté très-énergiquement par Montaigne
dans le style figuré.

«Nos moeurs sont, dit-il, extrêmement corrompües, et penchent d'une
merveilleuse inclination vers l'empirement de nos loix et usages; il y
en a plusieurs barbares et monstrueuses; toutes fois pour la difficulté
de nous mettre en meilleur état, et le danger de ce _croulement_, si je
pouvois planter une cheville à nostre roüe, et l'arrêter en ce poinct,
je le ferois de bon coeur».


D

DANDIN, DANDINER. Pasquier dérive ces mots du terme factice _dindan_ qui
exprime le bruit des cloches, parce que la marche d'un _dandin_, d'un
homme hébêté, d'un badaud qui chemine lentement et au hasard, en ne
s'occupant que de choses vaines et communes, représente assez bien le
mouvement des cloches ébranlées.

Cette dénomination s'est retrouvée souvent dans le style satirique,
témoins Thenot _Dandin_, Perrin _Dandin_, Georges _Dandin_.

DÉGRINGOLER. Terme bas qui est pris du bruit d'un corps qui roule d'une
certaine hauteur.

Voltaire a dit: «Si deux ou trois personnes ne soutenaient pas le bon
goût dans Paris, nous _dégringolerions_ dans la barbarie».

DRILLE. J'oserais conjecturer que ce mot a été fait du bruit que
produisaient les pièces d'une vieilles armure, qui, mal unies et agitées
au moindre mouvement, se choquaient les unes contre les autres. Par une
de ces extensions qui sont familières à toutes les Langues, et sur-tout
à la nôtre, ce mot a signifié depuis un habit militaire en lambeaux,
puis le soldat qui le portait, et finalement de mauvais haillons. Les
traces de cette génération existent encore, puisqu'il est conservé sous
toutes ses acceptions.

* DRONOS. Donner _dronos_ sur les doigts est une expression fort
triviale que je trouve dans Rabelais. Le Duchat la regarde comme une
Onomatopée du bruit que rend un coup dur et retentissant; mais dans le
cas où l'imagination des Lecteurs ne voudrait pas se prêter à
l'explication qu'il plaît au savant commentateur d'en donner, ils sont
libres de la ranger parmi les mots sans nombre que cet Auteur a formés
sans autre règle que son caprice, véritables termes macaroniques, dans
la construction desquels il n'a cherché qu'à être original et bizarre,
et auxquels il s'est peu soucié d'attacher un sens. Voilà pourquoi un
commentaire dans le genre de celui de M. Le Duchat, où l'on prétend tout
expliquer, est une des entreprises les plus ridicules qu'on ait pu faire
sur Rabelais.

* DROUÏNE. Ce mot, tout aussi dédaigné, signifie le havresac dans lequel
les chaudronniers mettent leurs outils, dont le choc sonore semble
articuler _dron_, _drin_, ou _drouin_.

CHAUDRON, CHAUDRONNIER, seraient donc des Onomatopées tirées de cette
racine.

En anglais, un _drouïneur_ ou _chaudronnier_ qui porte la _drouïne_,
s'appelle _tinker_, autre Onomatopée aussi tirée du tintement des métaux
dont il est chargé.


E

EBROUER. Onomatopée assez précieuse, qui représente l'action d'un cheval
ardent, soufflant avec force pour chasser l'humeur qui l'incommode, et
pour reprendre facilement haleine.

        _Tum si qua sonum procul arma dedêre,
    Stare loco nescit, micat auribus, et tremit artus,
    Collectumque premens, volvit sub naribus ignem._

Il n'y aurait peut-être rien de comparable à cet admirable passage des
_Géorgiques_, si on ne lisait pas dans Job:

«Est-ce vous qui avez donné au cheval sa force et sa beauté? Le
ferez-vous bondir comme la sauterelle, lui, qui du souffle si fier de
ses narines, inspire la terreur? Il se rit de la peur; il s'agite, il
frémit, il frappe du pied la terre, et l'enfonce. Dès qu'il entend le
son de la trompette, il dit: courage! Il sent l'approche de l'armée, et
joint ses hennissemens aux cris confus des soldats.»

On reconnaîtra facilement dans les deux Poètes les images dont le mot
_ébrouer_ est l'expression elliptique.

ÉCLAT, ÉCLATER. Du bruit d'un corps dur qui se divise avec violence
quand on le crève, quand on le fend, quand on le brise.

Il y a long-temps que les Glossateurs et les Étymologistes ont reconnu
que ces mots étaient faits du son que rend le bois, par exemple, quand
on le met en pièces, comme cela se remarquait au brisement des lances
dans les tournois. On lit au deuxième livre d'Amadis: «Adonc baissèrent
leurs lances, et donnans des esperons à leurs chevaux, coururent l'un
contre l'autre de si grande roideur, que leur bois vola en _esclats_».

Les Grecs ont dit _klao_ pour _frango_, et de là, chez les Latins, un
éclat de bois s'est quelquefois appelé _clasma_. _Clao_ signifiait en
celtique une espèce de ferrement, et le bruit qu'il rendait sous le
marteau.

Cette racine passant au figuré par catachrèse ou extension, a enrichi
nos vocabulaires de beaucoup de termes. Elle a fourni aux Langues
gothiques le mot _cla_ ou _cala_, _crier_, dont il est facile de suivre
les nombreuses dérivations.

_Clabaud_, qui est composé de ce mot et du latin _boare_ ou _baubare_, a
été pour, chien, et figurément pour, un parleur insupportable.

_Clabauder_, est encore pris quelquefois en ce sens dans un style
très-bas.

    Que deviendrai-je, entendant les Libraires
    Me _clabauder_ et crier de concert,
    Deçà, Monsieur, achetez Boisrobert!

_Clamer_, qui signifiait nommer à haute voix, appeler avec _éclat_, est
totalement rejeté par notre Langue, qui a cependant conservé tous ses
composés. Il était toutefois difficile à remplacer en certaines
occasions.

    C'est elle qui a tant de pris
    Et tant est digne d'estre amée
    Qu'el' doit estre rose _clamée_.

GUILLAUME DE LORRIS.

_Clameur_, _Acclamation_, et les autres expressions de cette famille
n'ont rien perdu dans l'usage. On disait autrefois _clamours_, comme
dans ces vers de Marot:

    Tous pélerins doivent faire requêtes,
    Offrandes, voeux, prières et _clamours_.

Le mot _éclisser_, pour, faire jaillir des _éclats_ de boue, a cessé
d'être français.

ÉCLABOUSSER, Onomatopée mixte, composée d'_éclat_ et de _boue_, lui a
été substitué.

ÉCLOPPÉ. Je crois que c'est le seul mot qui nous reste de cette racine,
qu'on peut croire formée par imitation du bruit inégal et lourd de la
marche d'un boiteux.

Rabelais a dit _cloper_; et, _clopiner_ se trouve dans des Auteurs d'un
style assez pur. J'ai lu _clanpin_ dans des mémoires de la fin du
dix-septième siècle, où l'on désignait ainsi le duc du Maine.

_Claudicare_, qui signifiait boiter chez les Latins, n'aurait-il pas la
même origine; et de là n'aurait-on pas fait le nom de la _cloche_, parce
que son mouvement ressemble à la marche des boiteux? Ce qu'il y a de
certain, c'est qu'on dit encore _clocher_ pour _boiter_, et qu'on
appelle vulgairement _cloche_, une espèce d'ampoule qui survient aux
pieds d'un homme fatigué, et qui le fait _clocher_.

* CLOPIN, CLOPANT, est un mot factice, construit par Onomatopée du pas
des boiteux. La Fontaine s'en est servi dans la fable du _Pot de terre
et du Pot de fer_.

    Mes gens s'en vont à trois pieds
    _Clopin clopant_ comme ils peuvent,
    L'un contre l'autre jetés
    Au moindre hoquet qu'ils treuvent.

ÉCRASER. Ce mot est engendré par un son analogue à celui qui a produit
le mot _éclater_, mais qui représente un brisement moins simultanée, et
c'est pour cela qu'il est alongé par la consonne roulante.

Le cri de la craie qui se rompt et qui se pulvérise sous le pied,
reproduit fort distinctement cette racine.

Les Chaldéens ont dit _kéras_, et les Grecs plus vivement encore
_katatripsis_ pour _obtritus_, _écrasement_. Ce dernier mot n'est pas
français.

Si l'on veut s'assurer de la vérité de cette étymologie, qu'on ouvre au
mot _écraser_ le dictionnaire de l'Académie; on y verra entr'autres
usages de ce mot: _écraser des groseilles, du verjus_. On _écrase_ donc
des bayes sèches, tendues, récalcitrantes. On n'_écraserait_ pas des
fruits tendres et pulpeux. D'où vient cette différence? Elle est l'effet
du son produit par l'action d'_écraser_, qui est âpre, aigu dans le
premier cas, mousse et presque muet dans le second.

ÉCROU. L'_écrou_ est une pièce de bois ou de fer qui a un trou
correspondant à la grosseur d'une vis qui s'y introduit, et y tourne
avec un bruit désagréable.

L'_écrou_, qui est un acte d'emprisonnement, est une figure de celui-ci.

La consonne roulante marque les efforts et le cri de la vis dans les
crans pressés où elle s'emboîte; et dans _clou_, qui est une Onomatopée
assez douteuse, le son est bref et net, parce qu'on le _fiche_
brusquement, et qu'il produit un bruit indécomposable et immodulé.

ÉGRISER. Oter les parties brutes d'un diamant en le frottant contre un
autre.

Le bruit agaçant de ce frottement, semblable à celui d'un verre que le
diamant du vitrier divise, ou qu'on fait grincer en le grattant de
l'ongle, a servi de racine à cette Onomatopée.

ENFLER, ENFLURE. Onomatopées composées de la préposition, et du bruit de
l'haleine chassée avec effort.

_Enfler_, s'est dit d'abord pour, l'action de emplir d'air un corps vide
et flasque, jusqu'à ce qu'il ait acquis un certain degré de tension;
puis, _enflé_, s'est dit en général de tous les corps qui ont une
grosseur inusitée ou accidentelle.

Les Latins disaient _inflare_ qui a la même racine et la même valeur.

GONFLER, que nous avons de plus qu'eux, est peut-être plus imitatif,
parce qu'il est plus emphatique, et qu'on ne peut le prononcer sans une
assez forte émission du souffle.

ESCOPETTE, ESCOPETTERIE. Du bruit éclatant des mousquets.

Ce mot a donné lieu au plus ridicule des vers factices:

    _Schiopettus tuf taf: bom bom colubrina sboronat._

«L'escopette perce l'air avec ses _tuf taf_, et la coulevrine avec ses
bom bom».

Perse avait dit _sclopus_, pour, le son que rend la bouche, quand on
frappe sur les joues gonflées d'air:

    _Nec sclopo tumidas intendis rumpere buccas._

De là le diminutif macaronique _schiopettus_ et le français _escopette_,
qui sont des Onomatopées formées sur un son de la même espèce. C'est
l'opinion de Paradin et de Polydore Virgile.

ÉTERNUEMENT, ÉTERNUER. «L'_esternuement_, qui vient de la tête; étant
sans blâme, dit Montaigne, nous lui faisons un honneste accueil. Ne vous
mocquez pas de cette subtilité; elle est d'Aristote».

Nous disions beaucoup mieux _esternüer_, parce que ce mot ainsi prononcé
conservait le son radical dans toute sa valeur, et s'écartait moins des
analogues qu'on lui connaît dans d'autres Langues.


F

FANFARE. La plupart des instrumens à vent sont caractérisés par la
lettre F, parce que cette consonne produite par l'émission de l'air
chassé entre les dents, est l'expression du soufflement ou du
sifflement. De là, _fanfare_, qui est un chant de trompette.

Rabelais en avait fait le verbe _fanfarer_, que je ne me souviens pas
d'avoir vu ailleurs.

FIFRE. La voyelle resserrée entre deux lettres très sifflantes, donne
une idée très-juste du bruit aigu de cet instrument, et la désinence
roulante marque son éclat un peu rauque.

Les Allemands l'ont nommé _pfeifer_ par analogie à l'Onomatopée
_pfeifen_ qui signifie _siffler_. Cette dénomination a été exactement
transportée dans notre Langue et dans la plupart des autres. Nous avons
même dit _pifre_, comme en ce passage de la traduction d'_Amadis_ par
Gabriel Chapuis. «Plusieurs sont des _pifres_ et autres instrumens». Et
en cet autre de Rabelais: «Puis soubdain retourne, et nous asseure avoir
à gausche descouvert une embuscade d'andouilles farfeluës, et du cousté
droict à demi-lieue loing de là, ung gros bataillon d'aultres puissantes
et gigantales andouilles, le long d'une petite colline furieusement en
bataille, marchantes vers nous au son des vézes et piboles, des guogues
et des vessies, des joyeulx _pifres_ et tabours, des trompettes et
clairons».

FLACON. Du bruit de la liqueur versée hors du _flacon_, et qui tombe de
quelque hauteur dans un vase sonore. Il est du moins certain qu'on n'a
découvert aucune autre étymologie raisonnable de ce mot, et que
l'unanimité avec laquelle tant d'idiomes l'ont admis, donne lieu de
penser qu'il n'a pas été formé au hasard. Les Espagnols ont dit
_flascon_, les Italiens _fiascone_, les Allemands _flasche_, les
Flamands _flesche_, les Polonais _flasha_, les Bohémiens _flasse_, les
Hongrois _palassk_, et les Anglais _flagon_.

Une observation qui donne du poids à cette conjecture, c'est que
_flacquer_ s'est dit autrefois pour, vuider son verre, en jetant les
liqueurs qu'il contient. La Bruyère en fournit un exemple dans ce
passage. «S'il trouve qu'on lui a donné trop de vin, il en _flacque_
plus de la moitié au visage de celui qui est à sa droite, et boit le
reste tranquillement». De là,

FLACQUÉE D'EAU, l'eau que l'on _flacque_, ou que l'on jette contre
quelque chose,

FLAQUE D'EAU, mare croupissante et de si peu d'étendue, qu'il semble
qu'on l'ait _flacquée_ à l'endroit où elle est,

FLASQUE, adjectif qui s'est dit d'abord d'une chose amollie par
l'humidité, et particulièrement d'un linge mouillé qui produit, quand on
le soulève et qu'on le laisse retomber sur lui-même, le bruit de l'eau
qu'on _flacque_ à terre. Cette dernière expression dérive secondairement
du _flaccidus_ des Latins qui a été immédiatement fait du bruit naturel.

FLANQUER. Du bruit d'un coup violent, le peuple a fait le mot factice
_flan_ pour le représenter, et le verbe _flanquer_ pour, donner un coup
dont le son est exprimé par _flan_.

Ces termes sont de la plus basse trivialité.

FLÈCHE. Mot factice formé sur le son de la _flèche_ chassée de sa corde,
et qui fuit en sifflant. C'est l'opinion de Nicod, du temps duquel on
disait encore indifféremment _flèche_, _flic_, ou _flis_.

En espagnol, c'est _flecha_, en allemand _pfeil_, en anglo-saxon _fla_.

Les Italiens ont aussi _freccia_, mais plus communément _saëtta_, du
_sagitta_ des Latins[1], qui nous a fourni _sagette_, et qui a du
rapport avec la _zagaye_ des Maures et de quelques nomades.

Le mot _psi_ est une autre Onomatopée du bruit de la _flèche_, dont il
reste peu de composés dans les Langues; mais il est à remarquer que les
Grecs en ont fait une de leurs lettres qu'ils ont représentée
hyéroglyphiquement sous la figure d'une _flèche_ empennée, ou d'un trait
appuyé sur son arc.

FLEUR. Du bruit que fait l'air aspiré par l'organe qui recueille les
parfums de la _fleur_.

FLAIRER, en est formé par métonimie. Cette étymologie laisse d'autant
moins de doutes, qu'on a dit autrefois _fleurer_. Molière s'en est servi
dans ce vers d'Amphitrion:

    Impudent _fleureur_ de cuisine,

pour désigner un parasite. Le nom de M. _Fleurant_ qu'il a employé dans
le _Malade imaginaire_, est tiré du même verbe, dans la même
construction.

Cette racine est propre à caractériser en général tous les termes qui
figurent des émanations douces, des formes ondoyantes, des mouvemens
caressans, comme _flamme_, qui est un corps impalpable et tenu, que le
vent agite et balance; _flatter_, qui est une action gracieuse au propre
et au figuré; _fléchir_, qui se dit en parlant de l'inclinaison molle et
légère d'un corps souple, comme les jeunes plantes et les roseaux; et
beaucoup d'autres expressions de la même espèce, sur lesquelles je ne
m'arrêterai pas davantage, et que je ne classerai point à leur rang
alphabétique, parce qu'elles me paraissent trop éloignées de leur type.

FLOT.

FLEUVE, FLUX, FLUIDES, choses qui _fluent_.

Du bruit des liquides qui s'écoulent. Cette racine se retrouve dans
presque toutes les Langues.

AFFLUENCE, a signifié originairement le concours des _flots_, le _flux_
des grandes eaux, la réunion de plusieurs _fleuves_ qui _fluent_
ensemble vers un même but, et figurément l'action de survenir en grand
nombre, et d'aborder dans le même lieu; mais on ne le prend plus que
dans sa dernière acception.

_Fléon_, se disait dans le vieux langage pour un petit _fleuve_, ou
ruisseau.

    Glorieux _fléon_, glorieuse êve,
    Qui lavaz ce qu'Adam et Eve
    Ont pour leur pechié ordoyé.

Sur quoi je ferai remarquer en passant qu'il résulte de cette citation
qu'on a dit autrefois _êve_ pour eau en français, et que ce mot _ev_
signifiait, boire ou avaler, en celtique. Voyez au mot _biberon_.
_Afon_, _avon_, dont _amnis_ paraît dérivé, représentait dans la même
Langue l'idée que nous attachons à ce mot latin, un fleuve, une rivière
rapide.

* FLOFLOTTER, qui est tout-à-fait perdu, est cependant une assez
heureuse Onomatopée du choc des flots en rumeur.

Dubartas a écrit _le floflottant Nérée_, et c'est, je crois, ce qui a
fait dire à Pasquier au huitième livre de ses recherches: «_Floflotter_
est mis en usage par les poètes de notre temps pour représenter le heurt
tumultuaire des _flots_ d'une mer, ou grande rivière courroucée».

Je ne sais personne, au reste, qui ait employé ce terme depuis Pasquier,
si ce n'est l'extravagant poète Desmarets dans sa comédie des
_Visionnaires_, où il le donne pour épithète au _fleuve_ Nérée, comme
avait fait Dubartas.

    Déjà de toutes parts j'entrevois les brigades
    De ces Dieux chèvre-pieds et des folles Ménades
    Qui s'en vont célébrer le mystère orgien
    En l'honneur immortel du père Bromien.
    Je vois ce cuisse-né suivi du bon Silène
    Qui du gosier exhale une vineuse haleine,
    Et son âne fuyant parmi les Mimallons
    Qui les bras entirsés courent par les vallons.
    Mais où va cette troupe?... Elle s'est égarée
    Aux solitaires bords du _floflottant_ Nérée.

FLOU. Ce mot se dit en Peinture, et surtout dans la mauvaise école, d'un
tableau dont le coloris est doux, tendre, et comme soyeux et velouté. Il
est donc dérivé du son moëlleux d'une étoffe précieuse, faiblement
froissée avec la main. Dans le _Charles Ier._ de Wandick, on croit
entendre le _flou_ du satin.

Au reste, on se sert ordinairement pour fondre les couleurs, pour les
noyer, les dépouiller de leur sécheresse, et amollir leurs nuances,
d'une petite brosse de soies légères, qu'on passe délicatement sur ce
que le pinceau a touché, et dont on effleure la toile avec tant de
précaution, qu'il semble qu'on la caresse. Cette opération est
accompagnée d'un petit bruit qui est peut-être devenu par analogie le
nom de cette manière de peindre.

FLÛTE. Du _flare_ des Latins qui est une Onomatopée du souffle. La douce
émission du son qui flue en quelque sorte par les trous de la _flûte_, a
déterminé le nom de cet instrument.

Les Italiens ont dit _flauto_, les Espagnols _flauta_, les Allemands
_floete_, les Anglais _flute_, et les Celtes _flehut_. Cette conformité
de dénominations, qui n'est fondée sur aucune autre étymologie
apparente, vaut une démonstration.

J'ajouterai que les Orientaux appellent une _flûte_, _avuv_, et les
Taïtiens, _evuvo_. C'est l'aspiration de la Langue celtique _av_ ou
_ev_. Remarquez aussi que le _v_ se prononce sur la même touche que
l'_f_ qui n'est qu'un _v_ fort. Les Hébreux prononçaient _vau_ pour _f_;
les Allemands prononcent, au contraire, _faou_ pour _v_. Il résulte de
là que le mot _avuv_ des Orientaux, et le mot _evuvo_ des Taïtiens, ont
la même construction que le mot _fifre_, et présentent comme lui un son
vocal aigu resserré entre deux dentales. Ils en diffèrent par
l'intonation qui est moins brusque, par la désinence qui est plus pleine
et plus harmonieuse, et par l'adoucissement des consonnes
caractéristiques. _Avuv_ ou _evuvo_ représentent donc très-bien une
_flûte_, un fifre doux.

Le _syrinx_ des Grecs est aussi une Onomatopée, mais qui tient à la
mélopée primitive, et au son plus aigre des simples roseaux.

FRACAS, FRACASSER. D'un bruit éclatant et prolongé qui est occasionné
par une destruction violente ou par un phénomène naturel, comme le
_fracas_ de la foudre qui tombe, le _fracas_ des cataractes, et le
_fracas_ des volcans.

Quinaut a supérieurement dit dans ces vers d'une belle harmonie
imitative:

    Que le bruit, que le choc, que le _fracas_ des armes
            Retentisse de toutes parts!

FREDON, FREDONNER. En chassant l'air de la bouche, avec un roulement
pressé de la langue, et un petit frémissement des lèvres, on produit le
bruit sourd ou le chant confus que ces mots expriment. Guichard a
rencontré assez heureusement, quand il les a dérivés du _fritinnire_ des
Latins, excellente Onomatopée qui a la même racine, et qui avait été
faite pour représenter le murmure des hirondelles.

FRELON. Du bourdonnement des ailes de cet insecte, on a fait son nom
français. Les Latins ont dit _crabro_, et les Espagnols _tabarro_, qui
sont d'autres Onomatopées.

FRÉMIR, FRÉMISSEMENT. On ne peut se tromper sur le son radical de ces
mots, qui se reproduit dans tant d'occasions, soit qu'il se forme de
l'agitation rapide des lèvres dans le _frémissement_ de la fièvre et
dans celui de la peur, soit qu'il paraisse émaner des feuillages émus,
des herbes fouettées par le vent, des eaux qui murmurent sur les
cailloux.

FRISSON, FRISSONNEMENT, qui sont des _frémissemens_ d'une espèce
particulière,

FRAYEUR, EFFROI, sentiment qui excite le _frisson_,

FROID, sensation physique dont l'effet est le même, sont autant
d'expressions qui se rapportent à cette racine, et sur lesquelles je ne
reviendrai pas ailleurs.

FRETILLER. Pour exprimer un mouvement très-vif et très-rapide, comme
celui d'un petit poisson suspendu à la ligne, et pour représenter le
bruit dont il est accompagné.

FRETIN, c'est le nom qu'on donne au petit poisson qui _fretille_.

    Un carpeau qui n'était encore que _fretin_,
    Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.

Et ailleurs:

            Un rieur était à la table
        D'un financier, et n'avait en son coin
    Que de petits poissons; tous les gros étaient loin.
    Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille;
            Et puis il feint à la pareille
    D'écouter leur réponse; on demeura surpris,
            Cela suspendit les esprits.
            Le rieur alors d'un ton sage
            Dit qu'il craignait qu'un sien ami
            Pour les grandes Indes parti
            N'eût depuis un an fait naufrage.
    Il s'en informait donc à ce menu _fretin_;
    Mais tous lui répondaient qu'ils n'étaient point d'un âge
            A savoir, au vrai, son destin;
            Les gros en sauraient davantage.

FRIRE. Du pétillement de l'huile bouillante quand on y plonge un corps
froid pour le faire _frire_.

Cette Onomatopée se retrouve dans toutes les Langues.

Observez que le grec _frugo, frughios_ (_torreo, torridus_), dont le son
a tant d'analogie avec celui sur lequel ce mot est formé, a fourni le
nom de l'_Afrique_ et de la _Phrygie_, pays de feu. Je dois cette
remarque à M. de Cambry, dont l'immense érudition a enrichi la science
des Langues de tant d'heureuses découvertes.

FRISER. Pour rouler les cheveux, on les presse avec un fer chaud qui les
dessèche et qui les crispe. C'est du petit bruit avec lequel ils se
retournent sur eux-mêmes, qu'on a fait le mot _friser_.

_Friser_ se prend aussi pour, effleurer un objet, pour, en passer si
près que le bruit du frottement se fait légèrement entendre.

FROISSEMENT, FROISSER. Belles expressions qui représentent ordinairement
le cri d'une étoffe ferme que l'on presse avec quelque force; mais qu'on
a étendues à d'autres significations, et qui peuvent s'appliquer plus ou
moins à toutes sortes de ruptures et de brisemens.

Il est certain qu'elles ont été formées d'après le son naturel, et je
n'en atteste que les Auteurs même qui ont cherché ailleurs leur
étymologie. Ils remarquent qu'on dit _froisser_ du damas et du satin. On
ne le dirait pas d'une étoffe douce et légère qui cède sans bruit sous
la main. On la chiffonne, on ne la _froisse_ pas. _Froisser_ est donc un
mot imitatif, une véritable Onomatopée.

On dit vulgairement le _froufrou_ d'une robe de satin, d'un vêtement de
taffetas, et ce mot factice est la racine de ceux-ci.

FRÔLER, pour, friser, effleurer un corps.

_Frôler_ une robe de taffetas, c'est la faire crier en passant.
_Frôlement_, pour représenter ce bruit, est un mot pittoresque et vrai,
mais hasardé.

_Freler_, qui est de cette famille, s'emploie dans la Langue du peuple,
en parlant d'une matière de peu de consistance, comme les cheveux et la
barbe, ou le poil, la laine et les plumes des animaux, qui, à peine
_frôlés_ ou effleurés par le feu, se retirent en rendant un son faible
et rapide dont ce verbe paraît formé.

FRONDE. Une corde qui sert à lancer les pierres avec violence, à les
faire déchirer l'air avec bruit et de manière à ce qu'elles en tirent un
frémissement long, retentissant et sonore, dont on peut exprimer l'effet
par le mot qui fait le sujet de cet article.

Les Grecs ont dit _sphendoné_, les Latins _funda_, les Italiens
_fromba_, _fronda_ et _frondola_. L'_e_ muet qui termine sourdement
cette Onomatopée dans notre Langue, et qui figure la désinence d'un
bruit mourant, la rend préférable à toutes les autres. J'en excepte
cependant l'énergique _sling_ des Anglais, qui est le terme le plus
pittoresque que l'on ait attaché à cette idée.

Dans le pays de Léon, _fromm_ exprime le bruit que fait une pierre jetée
avec une _fronde_. _Fromm a-ra ar-maen_, la pierre bruit. C'est le
_rombo_ des Italiens, et le _bromos_ des Grecs.

FROTTEMENT, FROTTER. Le son radical de ces mots est propre, comme on
peut le voir, à tous les froissemens, à tous les frémissemens de la
nature; il convient également pour exprimer l'action que ces termes
figurent, et il rappelle très-bien le bruit dont elle est ordinairement
accompagnée.

FROUER. Un soufflement tremblotant de la chouette a servi de type à
cette Onomatopée, qui est d'usage parmi les chasseurs pour indiquer
l'action de siffler à la pipée, ce qui se fait communément en plaçant
entre les lèvres une feuille ployée qui étouffe le son, et qui le
module.


G

GALOP, GALOPER. Nicod conjecture très-plausiblement que ces mots sont
faits par Onomatopée du bruit des chevaux qui _galopent_; mais je ne
saurais convenir avec lui et avec certains Etymologistes qui ont partagé
son opinion, que le mot _haquenée_ ait été immédiatement formé sur une
racine naturelle de la même espèce. Le _haca_ des Castillans, et le
_faca_ des Aragonais dont on le fait dériver, descendent probablement
comme lui du latin _equus_, qui a produit _equina_, et en vieux français
_haquet_ et _haquenée_. Coquillard a dit:

    Sus, sus, allez vous en, jaquet,
    Et pansez le petit _haquet_,
    Et lui faites bien sa litière.

C'est aussi l'opinion de Ménage.

GARGARISER, GARGARISME. Cette Onomatopée est purement grecque,
_gargarizo_, _gargarismos_. Elle est formée du bruit d'un remède liquide
dont on se lave la bouche et l'entrée du gosier. Les Grecs disaient
aussi, dans un sens assez analogue, _gargalisein_, et _gargalismos_,
_titillare_, _titillatio_.

Elle est d'ailleurs commune à la plupart des Langues. En hebreu,
_garghera_ signifiait le _gosier_; il se dit _gargareon_ en grec, et
_gorzaillen_ en celto-breton: la même initiale caractérise encore assez
universellement, et avec peu de modifications, les noms qu'on a donnés à
cette partie, soit chez les Latins qui l'appellent _jugulum_, soit chez
les Italiens qui l'appellent _golla_, soit chez les Allemands qui
l'appellent _khéle_ ou _ghéle_, soit chez les Espagnols qui l'ont
appelée _garganta_. Rabelais n'a fait que transporter en espagnol le nom
de son _grandgousier_, pour en faire celui de _Gargantua_, qu'il s'amuse
à expliquer autrement par un quolibet. Le nom même de _gargamelle_ se
prend pour la gorge ou le gosier, dans la Langue du peuple, et
Hauteroche l'a employé à cet usage.

On disait autrefois _esgargaté_ de crier, d'un homme qui avait une
extinction de voix.

* GARGOUILLE. «_Gargouille_, dit Nicod, est ce petit canal de pierre ou
d'autre chose, issant en forme de couleuure ou d'autre beste, hors
d'oeuvre, au dessous des couuertures des églises, et tels autres
bastimens pour jetter au loing l'eaüe pluviale qui en descend. Le nom
est par Onomatopée du _gargouillis_, et bruit que l'eaüe fait courant
par telles _gargouilles_».

Marot a pris ce mot pour grosses bouteilles desquelles le vin s'écoule
avec abondance, à la manière de l'eau qui tombe des gargouilles, et avec
un bruit pareil:

    Semblablement le gentil Dieu Bacchus
    M'y amena, accompagné d'andouilles,
    De gros jambons, de verres, de _gargouilles_.

GAZOUILLEMENT, GAZOUILLER. Ces mots sont tirés du chant des oiseaux,
dont ils expriment assez bien l'harmonieux babillage, qui est le
_susurrus_, le _garritus_, le _lene murmur_ des Latins. Mais employés
jusqu'à satiété par nos Poètes pastoraux, et cousus depuis deux siècles,
aux plus misérables bouts-rimés de la Langue, ils ont perdu toute leur
grace et toute leur fraîcheur, et sont tombés dans la classe des lieux
communs les plus fastidieux. Il y a certaines de ces expressions et de
ces tournures qui, inventées d'abord par une riche imagination, et
prostituées depuis à tous les usages, sont devenues aussi fades et aussi
importantes qu'elles étaient autrefois vives et ingénieuses[2]. Avançons
une idée vraie qui n'a que l'apparence d'un paradoxe. Un méchant
écrivain porte plus de dommage à la Langue dans laquelle il écrit que le
plus beau génie ne lui fait d'honneur. C'est la harpie qui souille tout
ce qu'elle touche, et dans ses mains tout se fane et se décolore.

GEAI. En grec, _karakaxa_, en Latin ancien _garrulus_, et de là
_garrire_, en latin barbare _gaius_, en espagnol _gayo_, _cayo_, en
catalan _gaitg_, _gralla_, en italien _ghiandaja_, en allemand _jack_,
en polonais _soika_, en suédois _not-skrika_, en anglais _jay, ia, ia_,
en français dans différens lieux et dans différens temps _jay_, _gay_,
_jayon_, _gayon_, _jaques_, _jaquot_, _jacuta_, _girard_, _richard_,
_gautereau_.

«Leur cri ordinaire est très-désagréable, dit M. de Buffon, et ils le
font entendre souvent. Ils ont aussi de la disposition à contrefaire
celui de plusieurs oiseaux qui ne chantent pas mieux, tels que la
cresserelle et le chat-huant. S'ils aperçoivent dans le bois un renard
ou quelqu'autre animal de rapine, ils jettent un certain cri
très-perçant, comme pour s'appeler les uns les autres, et on les voit en
peu de temps rassemblés en force, et se croyant en état d'en imposer par
le nombre, ou du moins par le bruit. Cet instinct qu'ont les _geais_ de
se rappeler, de se réunir à la voix de l'un d'eux, et leur violente
antipathie contre la chouette, offrent plus d'un moyen pour les attirer
dans les piéges, et il ne se passe guères de pipée sans qu'on en prenne
plusieurs; car étant plus pétulans que la pie, il s'en faut bien qu'ils
soient aussi défians et aussi rusés. Ils n'ont pas non plus le cri
naturel si varié, quoiqu'ils paraissent n'avoir pas moins de flexibilité
dans le gosier, ni moins de disposition à imiter tous les sons, tous les
bruits, tous les cris d'animaux qu'ils entendent habituellement, et même
la parole humaine. Le mot _richard_ est celui, dit-on, qu'ils articulent
le plus facilement».

Ce mot se retrouve parmi les nombreuses Onomatopées dont le cri du
_geai_ fournit la racine, et de la variété desquelles l'instinct
imitatif de cet animal nous donne le motif.

GLAPIR, GLAPISSEMENT. Mots formés d'un bruit aigu, perçant, comme les
aigres éclats de la voix d'un animal qui n'est pas adulte, ou le fausset
d'une voix discordante et d'un mauvais instrument. En grec _klaggé_, et
de là _clangor_.

_Glatir_ et _Glatissement_, ont signifié la même chose. En Picardie,
_glay_ se dit pour un grand bruit ou pour un grand concours de voix.

GLAS ou GLAIS, c'est le tintement _glapissant_ d'une cloche qu'on sonne
pour un Ecclésiastique qui vient de mourir.

GLISSER. Du bruit d'un corps qui parcourt rapidement la surface d'un
corps _glissant_.

GLACE, est un mot formé du même son naturel, parce que la glace offre
une surface unie, lisse et _glissante_. En breton _clezr_, la _glace_,
et _clezra_, _glacer_, dont _glisser_ peut bien être fait.

* GLOUGLOTTER. On a inventé ce mot pour exprimer le chant du coq d'Inde,
et cette innovation paraît d'autant plus naturelle, que les Langues
anciennes ne pouvaient fournir de terme qui présentât la même idée. Je
ne vois pas cependant qu'il ait été mis en usage par aucun Ecrivain
considéré.

GLOUGLOU. Mot factice qui se tolère aisément dans une chanson bachique,
et qui imite à merveille le bruit d'une liqueur qui s'écoule par un
canal étroit.

Madame Deshoulières a dit en parlant du vin:

    C'est un secours contre plus d'un tourment,
    Il n'en est point qui ne cède aisément
    Au doux _glouglou_ que fait une bouteille.

On se rappelle le couplet de Sganarelle dans _le Médecin malgré lui_:

            Qu'ils sont doux,
            Bouteille jolie,
            Qu'ils sont doux
            Vos petits _glougloux_.
    Mais mon sort ferait bien des jaloux,
      Si vous étiez toujours remplie!
        Ah bouteille ma mie,
        Pourquoi, vous videz-vous?

_Bilbit amphora_, dit Dumarsais; c'est la petite bouteille qui fait
_glouglou_.

GLOUTON, GLOUTONNERIE. Un signe presque certain que tel mot est tiré
d'un son naturel, c'est sa reproduction dans un grand nombre de Langues.
Ainsi, _glouton_ qui s'est dit _glous_ en vieux français, s'est dit
_glwth_ en celtique, _glout_ et _gloiet_ en breton, _gluto_ dans la
basse latinité, _ghiottone_ en italien, et _gluttonous_ en anglais.

Ces Onomatopées sont formées d'après le bruit que font les alimens,
avidement _engloutis_ par un homme affamé, et de là

ENGLOUTIR, qui est d'une acception plus noble et plus étendue.

GORET. C'est un nom du cochon, fait de son grognement. _Gronder_, se dit
_gorren_ en Langue flamande.

Le cochon s'est d'ailleurs appelé en grec _khoïros_, en georgien
_gorri_, en latin _gorretus_, en italien _verro_. Sur ce dernier mot et
sur notre mot _veyrat_, on se rappellera que l'initiale _g_ s'est
souvent confondue avec le _v_ dans les Langues, et que cette différence
ne peut constater deux espèces d'étymologie.

En vieux français, la truie se nommait _gorrière_.

L'auteur du Monde primitif prétend que du cri du cochon, animal
naturellement bruyant, les Celtes avaient fait _gawri_, qui se prenait
pour _clamare_. Je ne sais comment il a pu tomber dans cette erreur, à
moins qu'il n'y ait été induit par une faute d'impression ou une
mauvaise écriture, et qu'il n'ait cru lire _gawri_ dans le mot _garmi_
ou _sgarmi_, dont c'est en effet le sens, et dont _garrire_ paraît
dériver. Les _gawris_ ou _gawrics_ étaient dans la religion des Celtes
des esprits follets, des espèces de _Dusii_ qui dansaient autour des
monumens. Ce mot est formé de _gawr_, géant, et du diminutif _ic_[3].
Cela est fort étranger à l'idée que nous attachons au mot _goret_.

Le terme celtique qui signifie _cochon_, est une Onomatopée prise de son
grognement, _oc'h_, ou bien _ouc'h_, en observant que le _c'h_ est
aspiré, et se prononce d'une manière gutturale. Et de là, _coc'h_,
_stercus_, dont le mot français _cochon_ est incontestablement tiré.

GOULOT. Du _glouglou_ de la bouteille, c'est-à-dire, du bruit que fait
le vin en traversant son _goulot_, on a fait ce dernier mot qui est fort
peu en usage.

Regnier a dit _goulet_ dans sa plaisante description des meubles d'une
courtisane;

    Du blanc, un peu de rouge, un chiffon de rabat,
    Un balet, pour brusler en allant au sabat,
    Une vieille lanterne, un tabouret de paille
    Qui s'étoit sur trois pieds sauvé de la bataille,
    Un barril défoncé, deux bouteilles sur cu
    Qui disoyent sans _goulet_: nous avons trop vescu.

La bouteille s'appelle en hébreu _bacbuc_, qui est une autre Onomatopée
du bruit qu'elle fait quand on la vide. C'est de là que la prêtresse de
la dive bouteille a pris son nom dans Rabelais.

GOUTTE. Ce mot est formé du son naturel, du bruit que produit un liquide
qui tombe _goutte_ à _goutte_.

    L'eau qui tombe _goutte_ à _goutte_
    Perce le plus dur rocher.

GRAILLEMENT, GRAILLER. _Graillement_ se dit du son d'un cor usé, rompu,
enroué, dont on se sert pour rappeler les chiens. C'est une nuance de
_râlement_, ou plutôt, c'est _râlement_ dont on a mouillé l'_l_, et
qu'on a précédé d'un son guttural et _criard_, pour exprimer l'aigreur
de l'airain fêlé.

GRATTER. Du bruit des griffes ou des ongles contre les corps dont ils
attaquent la superficie. _Egratigner_ en est le diminutif.

GRÊLE, GRÊLER. Un bruit sec, un peu aigre, un peu retentissant qui
accompagne la chute de la _grêle_, a déterminé son nom. Il faudrait pour
en douter n'avoir jamais entendu la _grêle_ frapper le verre en
glissant, ou rouler sur l'ardoise qui résonne, en la faisant rebondir.

En latin, c'est _grando_, _grandine_ en italien, _granizo_ en espagnol,
_grizill_ en celtique, où de la racine _grill_ se forment, en général,
les noms des choses bruyantes.

GRESIL, qui se dit d'une petite _grêle_, fort menue et fort dure, est
immédiatement tiré de ce dernier mot.

GRELOT. Petite boule creuse en métal où l'on enferme quelques corps
durs, et qui fait l'office de sonnette quand on l'agite.

C'est le _crotalum_ des Latins, mais ce n'en est point une contraction,
comme on l'a dit. _Grelot_ est un mot factice de la même construction et
de la même racine que le _Drelin_ du _Malade imaginaire_.

GRELOTTER, qui est l'action de heurter les dents quand on éprouve un
grand froid, en a été trivialement formé, parce que ce choc imite celui
des petits corps que contient le _grelot_.

GRENOUILLE. Du râlement désagréable et prolongé de cet ovipare, les
Latins ont fait _rana_, _ranula_, et même _ranunculus_, qui est employé
par Cicéron. Ces mots sont devenus le type de la plupart de ses noms
modernes, et entr'autres de celui que nous avons adopté, quoiqu'il en
paraisse d'abord plus éloigné qu'aucun autre. Le _batracos_ des Grecs a
eu moins de dérivés.

Il ne faut pas omettre que dans quelques-unes de nos provinces les mots
_rane_, _raine_ et _rainette_ se prennent populairement pour
_grenouille_. Or, si l'on pouvait douter que _rana_ fût formé par le
procédé imitatif, j'ajouterais une remarque qui me paraît démonstrative;
c'est que dans ces mêmes provinces où _rainette_ signifie _grenouille_,
ce mot a un homonyme aussi étranger que lui à notre Langue, et qui se
dit de l'instrument qu'on appelle plus régulièrement _cresselle_. Entre
l'une et l'autre de ces expressions, et les bruits dont elles sont
tirées, la conformité est si frappante, que je ne crois pas qu'il y ait
une identité d'étymologie plus claire et plus authentique.

GRESILLEMENT, GRESILLER. On entend par _gresillement_ le pétillement
d'un reste de parties grasses, qui se trouvent dans la peau, le vélin,
le parchemin que l'on brûle, et le froncement, le racornissement un peu
bruyans qui l'accompagnent. Ces mots me paraissent trop bas pour devoir
être employés sans nécessité.

GRIFFE. De _griffe_, qui est pris de l'éraillement d'un corps plus ou
moins solide, et particulièrement d'une étoffe sous les ongles pointus
et recourbés d'un animal, on a composé,

AGRIFFER saisir quelque chose avec les _griffes_,

GRIFFER, déchirer d'un coup de _griffe_,

GRIFFADE, blessure que les oiseaux onglés font avec leurs serres,

GRIFFON, oiseau de proie fabuleux,

GRIFFONNER, écrire mal, dessiner grossièrement,

GRIFFONNAGE, écriture incorrecte et illisible,

* GRIFFONNEMENT, terme qui n'est point français, mais qui est d'usage
parmi les Artistes, pour signifier une esquisse à la plume, ou même un
genre de gravure mis en réputation par Rembrandt et Romain Dehooge, et
dont les traits confus et bizarres, mais chauds et hardis, ont l'air
d'être formés à coups de _griffes_,

GRIFFE, outil de serrurier ou de tourneur, qui a la forme d'une
_griffe_, ou plutôt qui en a l'usage.

Cette Onomatopée est commune à beaucoup de Langues. On lit ce portrait
de Cerbère au sixième chant de l'Enfer du Dante:

    _Cerbero, fiera, crudele e diversa,
    Con tre gole caninamente latra
    Sovra la gente, che quivi è sommersa.
    Gli occhi a vermigli, e la barba unta, e atra,
    El ventre largo, e unghiate le mani.
    _Graffia_ gli spirti, gli scuoja, ed isquatra._

GRIGNOTER. Ce mot se dit bassement de l'action de ronger lentement et
avec quelque effort un aliment dur. De là,

GRIGNON, morceau de pain sec et très-cuit, qui crie sous la dent.

Il est rare de voir employer _grignoter_ à propos de mets doux et
pulpeux, comme dans cet exemple qui est tiré de M. de Parny:

    Une source dans ton verger
    Jaillit avec un doux murmure,
    Et son eau bienfaisante et pure
    Te désaltère sans danger.
    La faim te presse et te fatigue?
    De ton figuier mange le fruit,
    Et ne va pas durant la nuit
    Du voisin _grignoter_ la figue.

Cet exemple pourrait prouver aussi que le talent a le privilége de tout
ennoblir, mais je ne crois pas que personne se hasarde à en renouveler
l'essai sur cette expression, assez justement dédaignée.

GRUGER, qui se prend dans le même sens, en est un augmentatif.

GRILLON. Du petit tintement argentin qui caractérise cet insecte, et que
les Entomologistes croient provenir de deux membranes, tendues en forme
de tymbales, qu'il frappe vivement et presque sans relâche.

Le _grillon_ s'est nommé _grillos_ en grec, _grillus_ en latin, en
espagnol et en italien _grillo_, en allemand _grille_, et en anglais
_criket_.

Les Méthodistes français ont transporté ce dernier nom imitatif à une
autre espèce de coléoptères qui a beaucoup de rapports avec la
sauterelle, mais qui ne se fait remarquer par aucun bruit naturel que
cette Onomatopée puisse désigner.

GRINCEMENT, GRINCER. Du frottement convulsif et bruyant des dents, qui
se fait entendre dans la douleur, la colère, la rage et le désespoir.

Les Allemands ont _greinen_, et les Italiens _digrignare_.

Le _trismos_ des Grecs, qui a tant d'analogie avec notre mot
_crissement_, est une belle Onomatopée. Ils disaient aussi _grusein_,
pour, _pousser des cris de douleur_, des cris accompagnés de
_grincemens_.

Dans la belle description du Jugement dernier, qui se lit dans une des
tragédies de Schiller, les réprouvés sont peints _grinçant_ leurs dents,
et les faisant bruire comme des dents de fer.

L'Evangile désigne en ces mots l'enfer et les tourmens des damnés. _Ibi
erit fletus et stridor dentium._ Là seront les pleurs et les
_grincemens_ de dents.

GRIVE. M. de Buffon, en peignant le plumage de cet oiseau, dit que ce
mot _grivelé_ qu'on emploie ordinairement pour donner une idée de la
variété de ses nuances, est visiblement formé du mot _grive_, qui l'est
lui-même du cri de la plupart des oiseaux de ce genre.

Ménage aperçoit l'Onomatopée dans le mot _grive_, et cependant il aime
mieux la faire venir de son dérivé _grivelé_. L'opinion de M. de Buffon
n'en est pas moins incontestable.

GROGNEMENT, GROGNER, GROGNEUR. Ces expressions sont faites du cri du
pourceau, et ont des équivalents de même construction dans la plupart
des idiomes connus.

En grec _grullé_, _grullismos_; et le porc, _grullos_; en latin
_grunnitus_, _grunnire_.

* GROGNARD, GROGNON, ne se disent point, quoique usités familièrement
par des Écrivains recommandables. Jean-Jacques Rousseau, en racontant
une espiéglerie qu'il fit dans son enfance à une nommée madame Clot,
ajoute que ce souvenir le fait encore rire, parce que cette voisine,
bonne femme au demeurant, était bien la vieille la plus _grognon_ qu'il
eût connue de sa vie.

GROMMELER. Ce mot a rapport à l'action de gronder sourdement et entre
les dents. Il est fait d'un certain grognement des chiens hargneux.

_Grumeler_, s'est pris dans le même sens en vieux langage, comme dans
ces vers de la farce de Gringore:

    Je me dis mère sainte église,
    Je veux bien qu'un chacun le note
    Je mauldis, anathématise;
    Mais sous l'habit pour ma devise
    Porte l'habit de mere sote,
    Bien scay qu'on dit que je radote,
    Et que suis folle en ma vieillesse;
    Mais _grumeler_ vueil à ma porte
    Mon fils le prince en telle sorte
    Qu'il diminue sa foiblesse.

GRONDEMENT, GRONDER, GRONDERIE, GRONDEUR. La racine de ces mots est
prise dans un murmure plus noble que celle des précédens, et on les
admet dans un style plus élevé.

Le substantif _gronderie_ ayant été créé pour un usage figuré, j'ai cru
pouvoir hasarder _grondement_ qui me paraît indispensable pour
représenter le bruit de la foudre, et celui d'une mer lointaine.

GROIN. Du cri ordinaire du porc.

Voltaire regrette qu'on ait perdu le vieux verbe _grouiner_, qui
exprimait le même bruit.

GRUAU. Du bruit d'un grain que le moulin rompt et concasse.

GRUE. Cet oiseau, dont le nom est formé d'après son cri, est le
_ghéranos_ des Grecs, et le _grus_ des Latins. Les Italiens l'appellent
_gru_ et _grua_, les Espagnols _grulla_ et _gruz_, les Allemands _krane_
et _kranich_, les Anglais _crane_, les Anglo-Saxons _crane_ ou _croene_,
les Suisses _krie_, les Suédois _trana_, les Danois _trane_, les
Illyriens _gerzab_; en Gallois, c'est _garan_, et en Celtique, _gru_.
Bochart pense que c'est l'_agur_ de Jérémie; et la ressemblance de ce
nom avec presque tous les noms de la _grue_, semble confirmer cette
idée, quoiqu'il soit exprimé autrement dans la Vulgate.

L'excellent traducteur Legros a partagé l'opinion de Bochart. «La
cicogne, dit-il, connaît dans le ciel quand son temps est venu. La
tourterelle, l'hirondelle et la _grue_ savent discerner la saison de
leur passage, mais mon peuple n'a point connu le temps du jugement du
Seigneur».

Une observation pleine d'intérêt, et qui prouve que les articulations de
la voix de la _grue_ ont toujours passé pour avoir quelques rapports
avec celle de la voix humaine, c'est que les Commentateurs pensent que
si certains Poètes ont appelé cet oiseau l'oiseau de Palamède, cela
vient de ce qu'outre l'ordre de bataille et le mot du guet, Palamède en
avait appris quatre lettres grecques.

* GRULLER. M. Court de Gébelin prend cette mauvaise expression dans deux
sens sous lesquels il la trouve également imitative. Dans le premier,
elle signifie _trembler de froid_; dans le second, _ébranler un arbre_
pour en faire tomber les fruits. Il est vrai que le peuple l'emploie
ainsi, mais elle n'était pas digne d'être _francisée_. Sous le premier
de ces rapports, elle n'est que l'augmentatif ou la contraction du verbe
_grelotter_; sous le second, elle n'est que le verbe _crouler_,
corrompu.

_Crolement_ ou _Grolement_, se dit aussi très bassement d'un tremblement
spasmodique de la tête, qui a lieu chez les vieillards et chez ceux qui
sont sujets aux affections nerveuses. Ce terme me semble fait du même
verbe _gruller_ sous sa seconde acception, parce que ce tremblement
ressemble à celui d'un arbre agité, dont la tige _vibre_ long-temps.

GUÊPE. Du latin _vespa_, écrit, selon ses premières racines, avec la
voyelle _ou_ initiale, remplacée successivement, comme cela se remarque
dans les Langues, par la dento-labiale _v_, et la gutturale _g_, si
sujettes à se confondre. Le son typique était l'Onomatopée du vol
bruyant de la _guêpe_.

* GUIORER. Terme inusité qui est fait du cri naturel de la souris.

Davies rapporte _gwichio_, _strepere_. Selon quelques Savans, _gwicha_
s'est dit en Langue celtique pour, se plaindre à la manière des petits
oiseaux. _Gwigoura_, c'est faire un petit bruit comme une porte qui
roule sur des gonds rouillés. Ces bruits ont rapport à celui que ce mot
représente, et sont exprimés d'une manière assez semblable.


H

HACHE. On a cherché fort loin l'étymologie de ce mot. Elle est dans le
son naturel, dans l'aspiration forte et profonde, dans l'ahan pénible
qui marque les efforts d'un bucheron.

L'initiale _h_, si nulle dans la plupart des mots, est singulièrement
caractéristique lorsqu'elle est aspirée, et les Onomatopées qui
expriment les divers accidens de la respiration de l'homme, lui sont,
presque toutes, redevables de leur énergie.

* HAHALIS. De _hahé_, cri de chasse, dont on se sert pour arrêter les
chiens qui prennent le change ou qui s'emportent trop, ou bien de
l'éclat tumultueux de la voix des chasseurs, et des retentissemens de
l'écho, on a composé cette expression, d'ailleurs peu connue et
restreinte dans son usage, à l'acception pour laquelle elle a été
inventée.

HALETER. Je ne m'attacherai point à démontrer que le mot _haleine_ et
certains autres qui en dépendent, sont faits par Onomatopée de
l'émission de l'air dans l'acte de la respiration. Cela me paraît bien
établi, et je n'aurais point rejeté ces expressions, s'il n'avait pas
été de mon projet de réunir seulement celles qui conservent un caractère
d'imitation évident, sans m'occuper de celles qui l'ont perdu, et dans
lesquelles le son radical se cache parmi des sons étrangers.

Le mot qui fait le sujet de cet article, est sensiblement formé du bruit
d'une respiration pressée, entre-coupée et violente. L'_anhelare_, et
mieux encore le diminutif _anhelitare_ des Latins, ont le même type.

HAPPER. Saisir quelque chose avidement, et avec une forte aspiration qui
marque l'impatience ou le desir.

Il y a de certaines terres et de certains métaux qui _happent_ la langue
dès qu'on l'applique sur leur surface, et, par exemple, l'argille et
toutes les agrégations alumineuses. Cet effet est produit par une
absorption rapide de la salive qui met en contact plus parfait la peau
de la langue et la terre qu'elle essaye. Ce mot semble spécialement fait
pour représenter la sensation tenace et subite dont je parle, quoique la
rapidité monosyllabique de sa racine le rende d'ailleurs
très-pittoresque dans grand nombre d'occasions.

HARPE. Je conjecture que ce mot est fait par Onomatopée du son des
cordes de la _harpe_, rassemblées en grand nombre sous les doigts, et
ébranlées simultanément.

Quoi qu'il en soit, le nom de la _harpe_ a très-peu varié dans les
Langues modernes. Les Anglo-Saxons l'ont appelée _hearpa_, les Allemands
_herp_ et _harf_, les Anglais _arp_, et les Italiens _arpa_.

HARPER, est un vieux terme encore employé par Molière et par Sarrazin,
pour, _prendre_, _saisir_, _dérober_. Il semble que le peuple, dont
toutes les expressions présentent d'ordinaire des images vives et
singulières, s'est emparé de cette racine pour l'appliquer aux actions
qui exigent un grand développement de la main, comme dans les exemples
auxquels je renvoie. L'_arpax_ des Grecs dont le _rapax_ des Latins est
le parfait équivalent, à une petite transposition près, et tous les mots
qui en dérivent, n'ont pas dû être autrement construits, quel que soit
l'instrument ou l'objet qui en a fourni le son radical.

On disait _harpaille_ en vieux langage, d'une troupe de brigands et de
maraudeurs, comme dans ces vers tirés des _Vigiles_ de Charles VII.

    Illecques et à saincte Ermine
    Appartenant à feu Tremouille,
    Avoit grande _harpaille_ et vermine,
    Ne n'y demeuroit coq ne poule.

On a vu à ce sujet, dans la préface de cet ouvrage, ce que j'ai dit de
la lettre _h_, considérée comme signe figuré d'une rapacité avide et
impatiente[4]. Ces applications particulières sont à l'appui de mon
opinion.

_Raper_, _Rapt_, sont faits de _harper_ par métathèse.

HENNIR, HENNISSEMENT. Mots formés du cri des chevaux, et qu'on ne peut
prononcer sans se rappeler ces beaux vers de M. Delille:

    Plus loin, fier de sa race, et sûr de sa beauté,
    S'il entend ou le cor, ou le cri des cavales,
    De son sérail nombreux _hennissantes_ rivales,
    Du rempart épineux qui borde le vallon,
    Indocile, inquiet, le fougueux étalon
    S'échappe, et libre enfin, bondissant et superbe,
    Tantôt d'un pied léger à peine effleure l'herbe,
    Tantôt demande aux vents les objets de ses feux,
    Tantôt vers la fraîcheur d'un bain voluptueux,
    Fier, relevant ses crins que le zéphir déploie,
    Vole, et frémit d'orgueil, de jeunesse et de joie.

Les Latins avaient cette Onomatopée. On lit dans Virgile au troisième
livre des Géorgiques:

    _Talis et ipse jubam cervice effudit equinâ
    Conjugis adventu pernix Saturnus, et altum
    Pelion _hinnitu_ fugiens implevit acuto._

    Tel, Saturne surpris dans un tendre larcin
    En superbe coursier se transforma soudain,
    Et secouant dans l'air sa crinière flottante,
    De ses _hennissemens_ effraya son amante.

C'est le _c'hwirina_ des Bretons. Davies écrit _chwyrnu_. Il traduit le
mot _Rhinge_ qui y a rapport, par _stridulus_, ou _sonus stridens_.

L'ingénieux auteur du roman de _Gulliver_ a tiré du même son radical le
nom factice de _houyhinms_, pour désigner un peuple de chevaux.

HEURT, HEURTER. Du choc rude et brusque de deux corps durs.

HISSER. Hausser une vergue, la faire monter au haut du mât, au
commandement de _hisse_, _hisse_.

Ces mots sont pris du bruit de la vergue quand on la relève, et du
frémissement de la voile quand on la froisse.

HOQUET. Du bruit d'une _inspiration_ subite, courte et convulsive.

Les Latins ont dit _singultus_, les Anglais _hicket_ et _hiccough_, les
Flamands _hick_, les Celtes _hak_, et _hic_ ou _ig_, rapportés par
Lepelletier et Davies.

Un Etymologiste cherche l'origine de ce mot dans l'hébreu _enka_, qui
veut dire _sanglot_. Il est probable que ces différentes expressions
sont de la même racine.

HORREUR. _Horror_. Ce mot est une Onomatopée qui représente l'impression
que produisent sur nous les objets épouvantables. De là,

HORRIBLE, ce qui fait _horreur_,

ABHORRER, avoir en _horreur_.

HUÉE, HUER. _Huée_ se dit d'une clameur de désapprobation qui s'élève
dans les assemblées nombreuses, et dont ce mot est formé
très-imitativement.

On employait autrefois _hus_, _hüe_, et _huyer_ dans le même sens.

HULOTTE. En latin et en italien _ulula_, en allemand _huhu_, en anglais
_howlet_.

Ces noms de la _hulotte_ lui viennent de son cri sinistre. Le _bubo_ des
Latins, dont nous avons fait peu imitativement le mot _hibou_, procède
de la même analogie.

* HULULER, est un verbe que des Ecrivains en petit nombre ont cru
pouvoir tirer du gémissement de la _hulotte_, pour une foule
d'acceptions auxquelles le verbe _hurler_ paraît moins propre. Cette
Onomatopée singulièrement précieuse n'a pas été dédaignée dans la Langue
latine, et enrichirait la nôtre.

HUMER. Avaler quelque chose avec une aspiration forte et tout d'une
haleine.

Le vieux mot _super_, qui a la même valeur, ne se dit plus qu'en
quelques provinces. On peut conjecturer que le mot _soupe_ était fait de
la même racine, et cela d'autant plus probablement, que, suivant Ménage,
_super_ signifie _humer du bouillon_.

HUPPE, ou PUPU. Les deux noms de cet oiseau sont l'effet d'une
controverse assez oiseuse parmi les Etymologistes. On se demande si le
premier lui a été donné en raison de la huppe élégante dont sa tête est
ornée, ou s'il est une simple traduction un peu contractée de l'_upupa_
des Latins, qui était dérivé du cri ordinaire de l'animal. On est aussi
embarrassé sur le second, que les uns regardent comme l'expression de ce
cri, et les autres comme une dénomination odieuse par laquelle nos aïeux
désignaient la _huppe_, à cause de la saleté qu'on lui reproche. Quant à
moi, je suis porté à croire que Belon s'est trompé en faisant venir le
nom de la _huppe_ de cette touffe de plumes qui la caractérise, et je
partage l'opinion de Ménage qui regarde au contraire le mot _huppe_ dans
cette dernière signification, comme dérivé du nom de l'oiseau qui l'est
lui-même de son cri.

Aristophane s'est amusé à imiter la voix de la _huppe_ dans ces mots
factices: _epopoë_, _popopo_, _popoè_, _jo_, _io_, _ito_, _ito_, _ito_,
_ito_.

Cette Onomotapée se retrouve chez tous les peuples; c'est l'_epops_ des
Grecs, le _bubbola_ des Italiens, le _popa_ des Portugais, le _hoppe_
des Flamands, le _hoop_ et le _hoopof_ des Anglais, le _popp_ des
Suédois, etc. Nous avons dit _pupeput_, _pepu_ et _pipu_.

HURLEMENT, HURLER. Heureuses Onomatopées du cri des loups et des chiens
effrayés.

    Tel un loup furieux, de butin affamé,
    Qu'on chasse, encore à jeun, d'un bercail alarmé,
    _Hurle_ les longs regrets de sa rage impuissante,
    Se retourne en grondant, et mord la proie absente.

Cette nuance a échappé à la Langue latine, puisque les mots _ululatus_
et _ululare_ sont plus propres à exprimer des bruits coulans et modulés
que le roulement rauque et effroyable que ceux-ci représentent. C'est
pourquoi le verbe _hululer_ serait une innovation avantageuse à notre
Langue. Les Italiens qui usent d'_urlare_ et d'_ululare_, suivant les
occasions, ont bien senti le prix de cette modification, toute légère
qu'elle paraisse. _Voyez_ le Dante, parlant de la pluie de feu qui
dévore les damnés dans le troisième cercle:

    __Urlar_ gli fa la pioggia, come cani:
    Dell'un de' lati fanno all'altro schermo,
    Volgonsi spesso i miseri profani_.

Et concluons de là que nous avons traduit l'_urlare_ des Italiens, et
non pas l'_ululare_ des Latins, qui est cependant susceptible d'un aussi
grand nombre d'applications, et qui est au moins aussi noble et aussi
harmonieux.

Rabelais a dit _ullement_ dans ce passage de Pantagruel: «Le grand
effroi et vacarme principal provient du deuil et _ullement_ des diables,
qui là guettans péle mélle les paovres ames des blessez, reçoipvent
coups d'épées à l'improviste, et pastissent solution en la continuité de
leurs substance aerée et invisible,... puis crient et _ullent_ comme
diables».


J

JAPPEMENT, JAPPER. Ces mots se disent pour _aboiement_ et _aboyer_, en
parlant des petits chiens et des renards.

Les Celtes ont dit _chilpa_, _japper_, _chilpaden_, _jappement_.


K

KAKATOÈS. Le nom de cette belle espèce de perroquet est formé de son
cri.

Klein et Seba en ont fait _kakatocha_, Edwards et Albin, _cokcatoo_,
Brisson, _catacua_, et on l'appelle en certains endroits, _cacatou_.


L

LAPPER. Saisir avec la langue, boire à la manière des renards et des
chiens. On croirait que c'est le mot _happer_ privé de la forte
aspiration qui le caractérise, et augmenté d'une lettre linguale qui en
détermine la nouvelle acception.

    Compère le renard se mit un jour en frais,
    Et retint à dîner commère la cigogne;
    Le repas fut petit, et sans beaucoup d'apprêts.
            Le galant pour toute besogne
    Avait un brouet clair (il vivait chichement).
    Ce brouet fut par lui servi sur une assiette;
    La cigogne au long bec n'en put attraper miette,
    Et le drôle eut _lappé_ le tout en un moment.

Cette expression n'est pas tout-à-fait particulière à notre Langue; le
mot _lap_ se retrouve dans la Langue celtique, et on pourrait en faire
descendre assez naturellement les mots _lepus_ et _lapin_.

LÉCHER. Du bruit de la langue traînée sur la superficie d'un corps
qu'elle suce ou qu'elle nettoie.

C'est le _leichein_ des Grecs, le _lingere_ des Latins, le _lecken_ des
Allemands, le _leccare_ des Italiens.

Ajouterai-je, à propos de ce dernier terme, que les Italiens en ont fait
_il lecchino_, le gourmand, le _lécheur_ de plats; et d'_il lecchino_,
_al lecchino_, qui est devenu l'_arlequin_ de nos théâtres; plaisante
méprise d'un érudit qui, sur la foi d'un jeu de mots d'_arlequin_, fait
dériver son nom de l'illustre famille de Harlay!

LORIOT. De vieux Lexicographes prétendent que cet oiseau, est ainsi
nommé, parce qu'il semble articuler ce mot dans son chant. Ce qu'il y a
de certain, c'est que les Grecs, et, d'après eux, les Latins, l'ont
appelé _chlorion_, dont le nom français du loriot dérive d'autant plus
incontestablement, qu'on a dit autrefois _lorion_. Or, le mot _chlorion_
a dû être tiré de _chloros_, _viridis_, _herbidus_, _luteus_, _flavus_;
et comme ces termes désignent une des deux couleurs du _loriot_, on
pourrait penser avec Schrevelius que le nom de cet animal est fait _ex
colore_. C'est donc une Onomatopée un peu douteuse.

LOUP. En grec _lukos_, en latin _lupus_, en italien _lupo_, en espagnol
_lobo_, en allemand et en anglais _wolf_, en suédois _ulf_.

Il paraît évident que ces noms ont été construits imitativement d'après
le hurlement du _loup_. Le nom latin du renard, et quelques-uns de ses
noms modernes, ont le même type.

Il paraît qu'on a écrit autrefois _lou_, comme en ces vers de
Saint-Amand parlant des anciennes épées sur lesquelles était gravé un
_loup_, et qui étaient recherchées pour leur bonté:

    Sa vieille rapière au vieux _lou_,
    Terreur de maint et maint filou.

Je suis cependant porté à croire que c'est une simple licence que
Saint-Amand a pratiquée pour l'exactitude de la rime; car je ne trouve
aucun exemple de cette espèce d'ortographe, qui se rapproche beaucoup
plus de la construction naturelle, et qui offrirait sous ce rapport une
tradition assez précieuse.


M

MIAULEMENT, MIAULER. Du cri ordinaire des chats, de ces éclats
désagréables de leur voix, dont Boileau se plaint dans sa satire des
_Embarras de Paris_:

    Qui frappe l'air, bon Dieu! de ces lugubres cris?
    Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris?
    Et quel fâcheux démon durant les nuits entières
    Rassemble ici les chats de toutes les gouttières?
    J'ai beau sauter du lit, plein de trouble et d'effroi,
    Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi.
    L'un _miaule_ en grondant comme un tigre en furie,
    L'autre roule sa voix comme un enfant qui crie.

Quoique Nicod ait écrit _miauler_, il semble qu'on disait autrefois
_miaouler_, et certains Grammairiens regrettent cette manière de
prononcer qui leur paraît plus imitative. Elle l'est peut-être trop, et
j'ai déjà dit que cette recherche excessive d'imitation était fort
ridicule quand elle choquait l'harmonie, et qu'elle ne se fondait que
sur un cliquetis de sons bizarres et forcés.

MOUE. Il est impossible de prononcer ce mot, sans que la bouche figure
ce qu'il signifie, c'est-à-dire, cette espèce de grimace qui est
familière aux gens tristes et colères. Le _moerens_, le _moestus_ des
Latins, le _mesto_ des Italiens, et sur-tout le _mustio_ des Espagnols,
doivent appartenir à cette espèce d'Onomatopée. Il résulte d'ailleurs de
l'émission du souffle par les narines, quand les lèvres sont closes,
comme cela se remarque dans les gens qui font la moue, un petit bruit
que les Grecs ont appelé imitativement _mugmos_, et les Latins
_mussatio_.

MUFFLE, qui est le nom de la bouche de certains animaux à lèvres
alongées et proéminentes,

BOUDER, faire la _moue_ par mécontentement,

BOUDERIE, habitude de mauvaise humeur,

BOUDEUR, homme fâcheux, esprit contrariant et chagrin, sont de la même
famille et du même effet d'imitation, les initiales de ces trois
derniers mois se prononçant sur la même touche.

La Langue Celtique employait _moüa_, pour, _se fâcher_, et _bouda_,
pour, _chuchoter_, _bourdonner entre les dents_. Je n'ai pas besoin
d'insister sur ces analogies.

MUGIR, MUGISSEMENT. Belles Onomatopées tirées des cris sourds et
prolongés de quelques animaux, ou du bruit des vagues émues par la
tempête, ou enfin du cours tumultueux d'un grand fleuve, comme dans ce
magnifique tableau de M. Delille:

    Sous le ciel éclatant de cette ardente zone,
    Montrez-nous l'Orénoque et l'immense Amazone,
    Qui, fiers enfans des monts, nobles rivaux des mers,
    Et baignant la moitié de ce vaste univers,
    Epuisent, pour former les trésors de leur onde,
    Les plus vastes sommets qui dominent le monde,
    Baignent d'oiseaux brillans un innombrable essaim,
    De masses de verdure enrichissent leur sein,
    Tantôt se déployant avec magnificence,
    Voyagent lentement et marchent en silence,
    Tantôt avec fracas précipitant leurs flots,
    De leurs _mugissemens_ fatiguent les échos,
    Et semblent à leur poids, à leur bruyant tonnerre
    Plutôt tomber des cieux que rouler sur la terre.

MURMURE, MURMURER. Cette Onomatopée ne varie point dans le grec, dans le
latin, dans l'italien, dans l'espagnol, etc. Ce sont de ces mots que la
nature semble avoir enseignés à tous les peuples.

Leur son peint parfaitement à l'oreille le bruit confus et doux d'un
ruisseau qui roule à petits flots sur les cailloux, ou du feuillage
qu'un vent léger balance, et qui cède en frémissant. Le mouvement vague
et presqu'imperceptible des eaux et des bois, élève dans la solitude une
rumeur qui interrompt à peine le silence, tant elle est délicate et
flatteuse, et c'est de là que les Langues ont tiré ces expressions si
harmonieuses et si vraies, que, tous les jours répétées, elles
paraissent toujours nouvelles.

    Tout est changé, tout me rassure,
      Je n'entends plus qu'un bruit
      Semblable au doux _murmure_
      D'une onde claire, pure,
      Qui tombe, coule et fuit.

Dans ces vers charmans de Bonneville, toutes les syllabes coulent et
_murmurent_.

J'ose croire que nous n'avons point à envier, dans cette circonstance,
la prononciation des Latins, si elle était telle que Dumarsais et
beaucoup d'autres Grammairiens le présument. En effet, le mot _murmure_,
prononcé à la française, est composé de sons plus liquides, et en
quelque sorte plus fugitifs que n'étaient ceux de leur _mourmour_ et du
_mormorio_ des Italiens; et l'harmonie un peu emphatique de ces derniers
mots, leur fait perdre, selon moi, beaucoup de leur grâce et de leur
fluidité.

MUSC. Je ne hasarde ce mot au nombre des Onomatopées que sur la foi de
M. Court de Gébelin qui le croit formé du bruit que fait le nez en
flairant, en aspirant les parfums. Il s'appuie de deux analogies
différentes, l'une tirée du Celtique ou d'une Langue analogue dans
laquelle il prétend que _mussa_ signifie _flairer_, et _musse_, _odeur_;
l'autre tirée de l'Ethiopien où ce dernier mot se dit _mez_; mais cette
opinion peut paraître un peu hasardée.

Il est du moins certain que les Grecs qui ont appelé le _musc_,
_moschos_, ont dit _muzo_ dans le même sens que les Latins _musso_,
_clausis labris sonum è naribus emitto_; ils ont appelé _muron_
certaines odeurs, et l'odeur en général, _murodia_. _Muxoter_, c'est la
narine. Le nom du rat, qui est le _mus_ des Grecs et des Latins, et à
qui l'odeur du _musc_ est assez communément propre, pourrait procéder
aussi de la même analogie.

Les mots _odeur_ et _flairer_ se rendent, d'ailleurs, en Celtique par
des expressions qui présentent l'Onomatopée très-juste du bruit que fait
l'aspiration des parfums: _c'houés_ et _c'houesâd_.


O

OIE. «Le cri naturel de l'_oie_, dit M. de Buffon, est une voix
très-bruyante. C'est un son de trompette ou de clairon, _clangor_,
qu'elle fait entendre très-fréquemment et de très-loin; mais elle a de
plus d'autres accens brefs qu'elle répète souvent; et lorsqu'on
l'attaque ou l'effraie, le cou tendu, le bec béant, elle rend un
sifflement que l'on peut comparer à celui de la couleuvre. Les Latins
ont cherché à exprimer ce son par des mots imitatifs, _strepit_,
_gratitat_, _stridet_.

»Soit crainte, soit vigilance, l'_oie_ répète à tout moment ses grands
cris d'avertissement ou de réclame; souvent toute la troupe répond par
une acclamation générale, et de tous les habitans de la basse-cour,
aucun n'est aussi vociférant, ni plus bruyant».

C'est ce cri naturel de l'_oie_ qui est devenu son nom dans notre Langue
et dans quelques autres. Je crois, du moins, qu'on peut regarder comme
des Onomatopées le _chen_ des Grecs, dont ils semblent avoir fait
_chaino_, _hio_, _dehisco_, parce que le ronflement rauque d'un homme
qui dort la bouche ouverte est assez pareil au bruit que fait l'_oie_
irritée; le _kaki_ de certains Orientaux, le _wazon_ des Arabes, le
_gwasi_ des Celtes, le _goas_ des Suédois, le _gaas_ des Danois, et
l'_apatta_ des Nègres de la Côte d'Or; mais rien n'est d'un effet
d'imitation plus vrai qu'un de ces noms qui est particulier aux
Mexicains, et par lequel ils ont voulu exprimer le cri bref et fréquent
dont M. de Buffon parle à propos de cet animal. Ils l'ont appelé
_tlalacatl_, et cette dénomination factice a été conservée par
Fernandez.

L'_oie_ mâle s'appelle un _jars_, et ce mot a produit une expression
fort usitée. De _jars_ et du Celtique _comps_, langage, en construction,
_gomps_ ou _gon_, l'on a fait _jargon_, _jargonner_, parler comme des
_oies_.

On disait _oüe_ en vieux français, comme le prouvent ces vers de la
farce de _Patelin_:

    Vous l'en avez pris par la moüe,
    Il doit venir manger de l'_oüe_.

Il me semble donc que M. Decaseneuve a mal rencontré quand il a fait de
ce mot un augmentatif d'_oiseau_, et qu'il est d'ailleurs difficile de
remonter à son étymologie autrement que par l'Onomatopée.

OISEAU. La construction de ce mot est extrêmement imitative; il est
composé des cinq voyelles liées par une lettre doucement sifflante, et
il résulte de cette combinaison une espèce de gazouillement très-propre
à donner une idée de celui des _oiseaux_. Il est à remarquer comme une
singularité très-rare dans notre Langue, que ce mot _gazouiller_ est
formé, comme le mot _oiseau_, des mêmes sons vocaux, liés par la même
consonne. Il n'en est distingué que par son intonation qui est prise
dans une lettre gutturale, par conséquent très-bien appropriée à l'idée
qu'il exprime.

OUATE. C'est la première soie que l'on recueille sur le cocon du ver à
soie, ou un duvet léger que fournit une espèce d'_anas_. On s'en sert
pour doubler des vêtemens d'hiver; et le bruit moëlleux que produisent
ces vêtemens quand on les froisse, a pu donner l'idée de cette
dénomination, qui serait assez imitative; mais c'est une étymologie
douteuse que je n'alléguerais point, si les Lexicographes en
reconnaissaient une autre, pour peu vraisemblable qu'elle fût.


P

PÂMER, PÂMOISON. Du _spasma_ des Grecs, qui lui-même est construit
imitativement d'après le bruit propre à la figuration particulière de la
bouche d'une personne qui se _pâme_.

PEPIER. C'est du cri naturel des moineaux, ou plutôt de tous les jeunes
oiseaux, que ce cri a été formé. On a dit autrefois _pipier_, qui n'est
plus d'usage.

_Piauler_, _piuler_, sont dans le même cas, quoiqu'également imitatifs.

PIAILLER, PIAILLERIE, PIAILLEUR, dérivent du même son naturel; on les a
faits pour exprimer une criaillerie fatigante et perpétuelle, comme les
cris des petits oiseaux. Les Latins employaient _pipulum_ pour, injure,
huée et rumeur publique, par la même analogie.

PÉPIE, est le nom d'une maladie dont une grande altération est la cause
ou le symptôme. Ne semble-t-il pas que ce mot soit créé du bruit que
font de petits oiseaux tourmentés par la soif? Le _peperi_ des Grecs,
dont les Latins ont fait _piper_, ne remonterait-il pas encore à la même
racine par une extension peu forcée, parce que c'est une substance qui
altère et qui donne la _pépie_? Les Grecs appelaient _pippos_ un petit
oiseau; et ce qui vient singulièrement à l'appui de mes conjectures,
_pipizo_ se prenait indifféremment chez eux pour _pipio_, _sugo cum
sonitu_, ou _potum proebeo_. _Pio_ même signifiait _bibo_, et de là le
_piot_ de Rabelais et de nos anciens Auteurs. _Pino_, qui avait le même
sens, est devenu le nom français d'un raisin. _Pepier_ emportait
d'ailleurs en vieux langage l'idée de gémissement et de plaintes comme
dans ces vers de Villon:

    Je sens mon coeur qui s'affaiblit,
    Et puis je ne peux _pepyer_.

Les Espagnols ont _piar_, et les Italiens _pipire_, comme les Latins.
Ces derniers appelaient les pigeonneaux _pipiones_, et nous en avions
fait autrefois _pipions_.

PIPÉE, dit Nicod «est un mot fait et imité de la voix des oiselets,
comme aussi _pippe_, _pipper_, et _pippeur_, et signifie le siffler que
l'oiseleur fait avec une fueille de _fou_, ou d'autre arbre, ou de
roseau, ou avec une pippe de bois, contrefaisant la voix d'iceux
oiselets. Selon ce on dit, prendre des oiseaux à la _pipée_, qui est
quand un homme caché dedans un buisson et bien entouré de rameaux
couverts de gluons, ayant un chathuant ou hibou branché et attaché près
de luy, contrefait le _pippis_ des oiseaux, ou bien pressant les ailes
ou les pieds d'un oiseau vif, le fait crier, car les oiseaux advolent à
ce _pippis_, ou à ce cry, pour garantir leurs semblables du chathuant
qu'ils cuident les tenir, et se perchent sur ces rameaux et s'engluent.
_Pipée_, par métaphore, se prend pour mine ou contenance contrefaite».

_Piper_, _pipeur_, qui ne se prennent plus que pour l'action de _piper_
les dés, ont peut-être été rejetés trop dédaigneusement de la Langue;
leur emploi était fondé sur une allusion très-naturelle, et leur sens
était vif et frappant. Montaigne a dit avec son énergie, avec sa
précision ordinaire, que _la Rhétorique étoit une art mensongère et
piperesse_: il y a dans les Langues des expressions si heureusement
caractéristiques, qu'une fois perdues, on ne peut plus les remplacer.

PIC. Instrument de fer courbé et pointu vers le bout, qui a un manche de
bois, et dont on se sert à ouvrir la terre et à rompre le roc;
Onomatopée du bruit que rend la pierre sous l'instrument qui la brise.

PIQUER, c'est donc primitivement frapper avec un _pic_. On dit encore
qu'on _pique_ la pierre, quand on blanchit une maison en dépouillant la
pierre de sa surface.

PIOCHE, nom d'un outil de labourage, a été alongé d'un son plus mousse,
parce la _pioche_ creuse et ne brise point.

BÊCHE, est un mot de la même construction, prononcé sur une touche moins
dure, parce que la _bêche_ n'attaque pas la terre avec force, et ne sert
qu'à la diviser.

En anglais, le verbe _piocher_ se rend par le verbe _dig_. Dans ce
dernier mot, l'imitation du son est frappante. On remarque la même
vérité dans la formation du mot _tuf_, qui est le nom d'une terre
compacte et prête à se pétrifier, qui rend sous la _pioche_ et sous la
_bêche_ un son net et sec dont ce terme est l'expression; mais comme
cette étymologie n'est pas incontestable, je me contente de la rapporter
ici à cause de l'analogie du sujet.

* POUPE. Suivant Nicod, que j'aime à citer souvent, «c'est la tette ou
mammelle, soit d'une femme comme la nomment en aucunes contrées de
France, soit de bestes mordans comme la nomment les veneurs, disans les
_poupes_ d'une ourse, et semblables, le mot vient du prétérit grec
_pépoka_, tout ainsi que pot, et est dit _poupe_, parce que le faon
tette et boit le laict par là, ou bien est fait par Onomatopée du son
que l'enfançon fait de ses lèvres en suçant à force le laict de la
mammelle».

Si toutefois le prétérit grec _pépoka_ pouvait être rapporté à cette
racine, c'était plutôt comme dérivé que comme type, et il paraît que
Nicod s'en est aperçu. Il aurait fait remonter le mot _poupe_ avec plus
de vraisemblance au mot _popanon_, qui est le _popanum_ des Latins, et
qui est incontestablement de la même famille. Remarquez d'ailleurs que
les Latins ont dit _puppus_ et _puppa_, d'où viennent _puer_ et
_puella_.

POUPÉE, c'est l'image d'une petite fille, d'un enfant qui tette encore.
Quelqu'évidente que soit l'étymologie de ce mot, on s'est avisé, je ne
sais où, de le dériver de _Poppée_, parce qu'on prétend que cette femme
fut la première qui mit le masque en usage pour conserver la beauté de
son teint et le préserver du hâle et des injures de l'air.

POUPON, c'est, dans le langage vulgaire et enfantin, un petit garçon à
la mammelle.

PUER. Du bruit que fait la bouche en repoussant, avec une forte émission
du souffle, les odeurs désagréables.

_Pouah_, interjection qui marque le mépris et le dégoût, doit en être le
son radical.


R

RACLER. Du frottement de l'ongle ou d'un instrument aigu sur les corps
qu'ils nettoient ou qu'ils déchirent. _Rakos_ signifiait en grec un
haillon, un vêtement déchiré, une cicatrice, une ride. _Rakterios_,
c'était le corps brisé ou _raclé_, qui rendait du bruit. Aristophane
appelle Euripide _rakiosurraptadès_, raccommodeur de vieux haillons.
_Ragas_ se disait sur une autre touche pour rupture, déchirement, et de
là, _raga_, pour force et violence.

On pourrait croire que _raccommoder_ en est fait par antiphrase ou
contre vérité, à moins qu'on ne fasse voir que les syllabes complétives
en déterminent la nouvelle acception.

La famille des mots qui se rapportent à l'idée d'_effraction_, est
évidemment tirée de la racine autour de laquelle je range ces curieuses
analogies, quoiqu'elles lui soient devenues plus ou moins étrangères
dans leur extension.

RAIRE ou RÉER. Terme de Vénerie emprunté du cerf en amour.

«Il a, dit M. de Buffon, la voix d'autant plus forte, plus grosse et
plus tremblante, qu'il est plus âgé: la biche a la voix plus faible et
plus courte; elle ne _rait_ pas d'amour, mais de crainte. Le cerf _rait_
d'une manière effroyable dans le temps du _rut_. Il est alors si
transporté, qu'il ne s'inquiète, ni ne s'effraie de rien».

RUT, le temps où le cerf _rait_.

RÂLE, RÂLEMENT, RÂLER. Du son enroué d'une respiration qui s'épuise, et
dont les derniers efforts annoncent une mort prochaine.

RÂLE, est aussi le nom d'un oiseau que Ménage croit désigné d'après son
cri.

RAUQUE. Du bruit âpre et fatigant des voix enrouées.

ROQUET, est le nom de mépris qu'on donne à un petit chien importun, et
qui aboie sans cesse. Je le crois formé du son _rauque_ de son
jappement.

REDONDANCE. C'est une dérivation figurée du son que rend un corps dur
qui rebondit dans sa chute.

Ainsi l'on a dit _redondance_ d'une vicieuse superfluité de paroles, qui
ne fait que nuire à la netteté du discours, parce que c'est une espèce
de bondissement de la pensée, qui, après avoir frappé l'esprit,
rejaillit et retombe avec moins de force.

Ce mot n'est point une Onomatopée propre, mais une Onomatopée abstraite
construite par analogie.

RETENTIR, RETENTISSEMENT. Belles Onomatopées dont le son radical est le
type d'une nombreuse famille de mots, consacrés à exprimer des idées de
même ordre. _Voyez_ TINTEMENT, TINTER.

_Retentir_ et ses dérivés s'emploient en général en parlant des échos
des montagnes et des voûtes, et ne conviennent point quand il s'agit
d'un bruit net et sans répercussion. Racine a dit:

    De nos cris douloureux la plaine _retentit_.

Et ailleurs:

    Mes seuls gémissemens font _retentir_ les bois.

Boileau a dit aussi:

    Ils faisaient de leurs cris _retentir_ les rivages.

La vérité d'imitation est moins sensible dans ces exemples que dans
beaucoup d'autres, parce que la plaine, les bois et les rivages sont des
lieux peu _retentissans_. Je sais combien de telles observations sont
minutieuses; mais j'ai rapporté ces vers de deux de nos grands Poètes,
pour faire voir de quelle importance est la justesse d'expression pour
l'effet poétique, et de combien de nuances la Langue la plus riche peut
encore s'orner.

RINCER. Du bruit des doigts contre l'intérieur d'un verre que l'on
_rince_.

    Un si galant exploit réveillant tout le monde,
    On a porté par-tout des verres à la ronde,
    Où les doigts des laquais, dans la crasse tracés,
    Témoignaient par écrit qu'on les avait _rincés_.

Les Irlandais disent _rincsail_, et les Bretons _rinca_.

RONFLEMENT, RONFLER. Du bruit que fait dans la gorge et les narines d'un
homme endormi, l'air fortement aspiré.

On a employé ces mots par extension, pour exprimer le bruit grave des
gros tuyaux d'un orgue, ou celui des canons, et figurément, les éclats
de voix présomptueux d'un Comédien qui cherche le _brouhaha_.

«Il n'y a, dit le Mascarille des Précieuses, que les Comédiens de
l'hôtel de Bourgogne qui soient capables de faire valoir les choses. Les
autres sont des ignorans qui récitent comme on parle; ils ne savent pas
faire _ronfler_ les vers, et s'arrêter au bel endroit».

Du _ronchus_ des Latins, nous avions fait _froncher_ dans le vieux
langage, et dom Lepelletier rapporte _fronsal_, mot de l'usage de
Cornouaille, qui a le même sens.

ROSSIGNOL. En latin _luscinia_, ou _lucinia_, en italien _usignuolo_,
_lusignolo_, _rusignuolo_, en espagnol _ruysenor_.

Le Castelvetro a pensé que le nom italien de cet oiseau était fait par
Onomatopée. Belon et Ménage rapportent des étymologies plus
vraisemblables, et M. de Brosse tranche, suivant moi, la difficulté. De
_luco canens_, _lucinia_, _luciniola_, _lusignuolo_, _rusignuolo_,
_rossignol_; il reste à déterminer si l'imitation du son n'est pas
entrée pour quelque chose dans la construction de ces différens dérivés,
et c'est ce qui me paraît incontestable.

* ROUCOULEMENT, ROUCOULER. Onomatopées du chant des tourterelles, qui
est aussi très-bien exprimé par le _to coo_ des Anglais.

On a dit autrefois _rocouler_, mais _roucouler_ a été justement préféré.

_Roucoulement_ est un mot harmonieux et utile qui serait bon à admettre
dans la Langue. M. de Châteaubriand, d'ailleurs si sévère dans l'emploi
des mots nouveaux, en a fait souvent usage.

ROUE[5]. Ce mot est dérivé du bruit de la _roue_, et en général du bruit
d'un corps rond qui roule avec rapidité sur une surface retentissante.

C'est le _trochos_ des Grecs, le _rota_ des Latins et des Italiens, le
_rüeda_ des Espagnols, le _rot_ ou _rod_ des Celtes, et le _rad_ de
l'ancien Teuton.

_Rodellec_ signifiait en celtique une voiture à plusieurs roues, un
vestige, une ligne, comme celle qui est décrite par la roue.

ROUTE, mot français d'une acception très-voisine, en est probablement
dérivé. Cette opinion n'est pas étrangère à M. Court de Gébelin, qui
appuie mal-à-propos sa conjecture de quelques fausses étymologies.

RUGIR, RUGISSEMENT. «Le _rugissement_ du lion est si fort, dit M. de
Buffon, que quand il se fait entendre par échos la nuit dans les
déserts, il ressemble au bruit du tonnerre: ce _rugissement_ est sa voix
ordinaire; car quand il est en colère, il a un autre cri qui est court
et réitéré subitement, au lieu que le _rugissement_ est un cri prolongé,
une espèce de grondement d'un ton grave, mêlé d'un frémissement plus
aigu. Il _rugit_ cinq ou six fois par jour, et plus souvent lorsqu'il
doit tomber de la pluie».

Ce passage de M. de Buffon m'en rappelle un autre qui a rapport au
_rugissement_ du tigre, et où ce grand Ecrivain hasarde, pour exprimer
ce cri, une Onomatopée que l'usage n'a pas consacrée depuis. «Le tigre,
dit-il, fait mouvoir la peau de sa face, grince les dents, frémit,
_rugit_ comme fait le lion, mais son _rugissement_ est différent.
Quelques voyageurs l'ont comparé au cri de certains oiseaux. _Tigrides
indomitae rancant, rugiuntque leones._ (_Autor Philomelae._) Ce mot
_rancant_ n'a point d'équivalent en français; ne pourrions-nous pas lui
en donner un, et dire, les tigres _rauquent_, et les lions _rugissent_;
car le son de la voix du tigre est en effet très-rauque».

Je suis bien aise de faire remarquer ici que ce verbe factice, à qui M.
de Buffon ne connaît point d'équivalent en français, en a un
très-exactement construit sur la même racine, dans le patois de
Franche-Comté. _Rancôt_, c'est le dernier soupir, le dernier râle du
moribond; _rancoïer_, c'est expirer, rendre l'âme, pousser le sanglot
convulsif qui annonce la mort.

On a dit autrefois _ruiment_ pour _rugissement_, comme dans ce passage
des grandes Chroniques de France, dédiées à Charles VIII. «Sembloit que
ce fussent urlemens de loups et _ruimens_ de lions». Cela donne quelque
probabilité à l'opinion de M. de Caseneuve, qui fait dériver _rut_,
anciennement _ruit_, du _rugitus_ des Latins, et qui regarde _raire_ ou
_réer_ comme une contraction de _rugire_. Il aurait pu citer ce passage
de Job, qui dit, en parlant des biches, à qui l'action de _réer_ est
particulière: _incurvantur ad faetum, et pariunt, et _rugitus_
emittunt_. Marot dit dans sa traduction des Pseaumes:

    Ainsi qu'on oit le cerf _bruire_,
    Pourchassant le froid des eaux,
    Ainsi mon ame soupire,
    Seigneur, après tes ruisseaux.

_Voyez_ RAIRE ou RÉER.

RUISSEAU, RUISSELER. Nicod dérive ces mots du grec _reo_, _fluo_. Le
grec attique _reos_ signifiait _ruisseau_. Les Latins ont dit _rivus_,
_rivulus_, les Italiens _rivo_, _ruscello_, les Espagnols _rio_, les
Anglais _rivulet_. _Dour red_, en celtique, signifie une eau courante et
rapide. Dom Lepelletier nomme _rigol_, et Davies _rhigol_, un _ruisseau_
tracé dans un champ; cette expression s'est conservée dans le français.
Lebrigand a employé quelque part, comme celtique, le mot _ruzelen_; mais
il paraît que ce n'est que le français _ruisselet_ qui s'est glissé,
comme beaucoup d'autres, dans le celto-breton, par le contact des
français avec les peuples de l'Armorique. _Ru_ se dit en Géorgien d'un
grand écoulement d'eaux. _Arou_ exprime la même idée en Arménien et en
Malabare, et _rud_ en Arabe et en Persan. Plusieurs Etymologistes
assurent que _rit_ indiquait dans les Langues gothiques un passage ou un
gué. Les mots par lesquels nous désignions un _ruisseau_ en vieux
langage, se rapprochaient assez du son typique. _Reu_ et _ru_ se
trouvent dans Nicod. _Ru_ s'emploie encore pour désigner le lit ou canal
d'un petit ruisseau. _Ruel_ et _rui_ sont communs dans nos vieux
romanciers. _Ruit_ est employé pour rive dans un passage de Perceval. En
remontant la vallée de la Romanche par la nouvelle route de Grenoble en
Italie, on voit avant le hameau des Roberts, un torrent que le peuple
appelle _riou-peirou_, c'est-à-dire, _ruisseau_ périlleux.

Notre mot _ruisseau_ peint parfaitement à l'esprit le petit murmure doux
et modulé d'une eau vive qui roule entre les cailloux.

S'il est vrai, ainsi que le prétend M. Court de Gébelin, que _rat_ soit
un terme de marine qui sert à désigner un endroit de mer où il y a
quelque courant rapide et dangereux, on peut faire remonter ce mot à la
même racine, soit comme lui par le gallois _rhydd_, qui signifie gué ou
bas-fond, soit, mieux encore, par l'allemand _ritha_, qui signifiait
autrefois torrent, ou par le _dour red_ des Celtes, et par le
celto-breton _rodo_, qui se dit d'un passage de rivière; mais cette
assertion est contestée.

«_Rat_ n'est point un terme de marine pour designer un courant rapide et
dangereux dans la mer, m'écrit M. de Roujoux, c'est un nom de lieu; le
_Raz_ est un vaste écueil situé en face de l'île de Sein, et qui a donné
son nom au passage compris entre cette île et lui. Le passage du _Raz_
ou _Ratz_ est célèbre, parce qu'un grand nombre des vaisseaux qui
entrent à Brest ou qui en sortent, sont forcés d'y donner. Il est
fertile en naufrages, et la baie dont il forme une des pointes,
s'appelle la baie des Trépassés. Je ne crois point que ce mot ait de
signification connue; il ressemble à une foule de termes auxquels on
veut trouver des étymologies, quoiqu'ils n'en aient pas».

ROUIR, est très-judicieusement dérivé du vieux français _ru_, par
Ménage. Nicod même écrit _ruir_, et rend en latin _chanvre roui_, par
_cannabis fluviata_.


S

SANGLE, SANGLER. De _cingula_, _cingulare_, et originairement du bruit
de l'air froissé par une courroie déployée avec force.

_Sangle_ s'exprimait en celtique par _cengl_ et _cenclen_, et suivant la
même analogie, _lancer_ et _darder_, par _cingla_.

En vieux français, on disait _changle_ et _changler_, comme c'est
l'usage dans notre Langue, qui a souvent modifié ainsi les sons
sifflans.

CINGLER, se dit pour, naviguer à pleines voiles, parce que la mer,
ouverte vivement par le navire, rend un petit bruit de la même nature
que le précédent. Mais le son radical est ici moins emphatique, parce
que le froissement qu'il représente est moins éclatant, et a lieu dans
un milieu moins sonore. Cependant on a employé ce dernier verbe au même
usage que l'autre en nombre d'occasions, et on le dit fort bien, du vent
du Nord et de la pluie chassée par un ouragan impétueux.

SAPER. Abattre par le pied, travailler avec le pic et la pioche à
détruire les fondemens d'un mur.

SAPE, se dit en terme de guerre d'un travail qu'on fait sous terre pour
la surprise d'une place. En latin, c'est _sappa_, en italien _zappa_.

L'oriental _saph_ ou _sap_ désigne l'action de briser ou de limer, de
réduire en poussière.

Ces différens mots sont formés du bruit de l'instrument contre les
constructions qu'il attaque, ou sur la terre qu'il entr'ouvre.

SCIE, SCIER. _Scie_ se dit en latin _serra_, en italien _sega_,
_rasega_, en espagnol _sierra_, en anglais _saw_, en allemand _saege_,
autant de dénominations tirées du bruit sifflant que produit la _scie_
en divisant le bois.

Le _secare_ et le _scindere_ des Latins sont construits d'après ce son
naturel qui a fourni d'innombrables Onomatopées à toutes les Langues.

SCION. C'est le nom qu'on donne à des branches grêles et menues, tendres
et pliantes que poussent les arbres. L'osier, par exemple, s'élève en
touffes de _scions_, et je n'hésite pas à penser que ce mot ne soit
formé du frémissement de ces branches débiles, quand le vent les courbe
devant lui, et qu'elles se relèvent en sifflant.

On appelle encore _scions_ les impressions qui restent sur la peau d'une
personne fouettée de verges. C'est le nom de la cause pour celui de
l'effet, employé par métonimie.

_Cion_, s'est dit en vieux langage, de la pluie fouettée par les vents.
Il est facile de saisir l'analogie de ces différentes acceptions.

SIFFLER. Verbe dont on connaît les nombreux dérivés, et qui dérive
lui-même du bruit de l'air comprimé et chassé par une ouverture étroite.
Les Latins ont dit d'abord _sifilare_, qui se lit dans
Nonnius-Marcellus, et ensuite _sibilare_. Les Italiens ont _sibilare_,
_subbiare_, _zuffulare_, _fischiare_, autant d'Onomatopées qui
caractérisent différens modes de _sifflement_; les Espagnols, _silvar_;
les Allemands, _pfeifen_, et les Anglais plus heureusement encore
_whistle_.

En vieux français, nous avons dit _subler_ et _sibler_: Marot a dit
_sublet_ pour _sifflet_. Les Angevins ont gardé cette expression, et
Ondin la rapporte dans ses dictionnaires. Le patois bourguignon y a
substitué _sublô_, qu'on lit dans les noels de la Monnoye.

    Çat ein anfan? me dis-tu vrai?
    Tan meu, velai tô note fai.
    Tu sai bé, quant ein anfan crie
    Que por an époizé le cri,
    Ai ne fau qu'éne chaiterié,
    Vou qu'un _sublô_ vou qu'un trebi.

Il est à remarquer que ce _sublô_ du peuple de Bourgogne ressemble
beaucoup au _subulo_ de Varron, que celui-ci a employé pour _tibicen_.

Cirano, acte II, scène III de son _Pédant joué_, fait dire à Mathieu
Gareau: «Ce biau marle qui _sublet_ si finement haut».

Le peuple mouille l'_S_, et dit communément _chiffler_.

Il paraît que les Celtes faisaient usage du mot _si_, pour bruit;
_sifflement_, murmure.

Les Grammairiens appellent consonnes _sifflantes_ ces trois lettres _s_,
_x_, _z_, parce qu'on ne les prononce qu'avec une espèce de
_sifflement_. Elles doivent donc être d'un grand usage pour exprimer les
bruits de cette espèce. La Langue anglaise est une Langue _sifflante_,
parce qu'elle a beaucoup de mots sur la touche _sifflante_ et sur la
touche dentale.

L'emploi fréquent de la lettre _S_ rend la prononciation _sifflante_.
Euripide en faisait un usage vicieux qui passa même en proverbe. On
appelait ce défaut le sygmatisme d'Euripide.

Racine a prodigué les _S_ dans ce vers d'Andromaque:

    Pour qui sont ces serpens qui _sifflent_ sur vos têtes?

et l'effet d'imitation qui en résulte est frappant. On l'a trouvé,
peut-être avec justice, un peu trop minutieux.

Il y a de l'harmonie dans ces vers d'un de nos Poètes lyriques:

            Ixion et les Aloïdes
            Ont cessé leurs mugissemens.
            De Tantale et des Danaïdes
        Je n'entends plus les longs gémissemens,
            Et des fatales Euménides
                Les couleuvres avides
    Ne brisent plus les airs par d'aigres _sifflemens_.
            L'Érèbe n'a plus de tourmens.

La forme et le son de la lettre _S_ la rendent propre à désigner
doublement le serpent, et à peindre en même temps ses mouvemens tortueux
et ses _sifflemens_ aigus. L'_ophis_ des Grecs, qui est originairement
égyptien, a le singulier mérite d'offrir dans ses caractères une espèce
de noeuds de couleuvres, et dans sa terminaison, un bruit semblable à
celui qui annonce ordinairement ces animaux. C'est tout-à-la-fois un
hiéroglyphe et une Onomatopée. La lettre [Phi] ressemble à un caducée.

Les Latins ont _anguis_, qui a la même désinence _sifflante_, et de plus
_seps_ et _serpens_; les Italiens _serpente_, _biscia_; les Espagnols
_sierpe_; les Anglais _serpent_ et _snake_.

On appelle _bysse_ en science héraldique, des serpens et des couleuvres.
C'est l'ancien nom français de ces reptiles. Celui par lequel nous
désignons actuellement le _serpent_, est une Onomatopée sans vivacité et
sans harmonie, dont je n'ai pas cru devoir faire un article à part, mais
dont les analogues curieux me paraissent assez bien placés dans
celui-ci.

SILLON, SILLONNER. Du bruit d'un corps qui en effleure légèrement un
autre sur un long espace. De là,

SILLAGE, qui est la trace d'un vaisseau sur la mer, quand il ne fait
qu'y glisser doucement.

SIPHON. «Ce sont, dit un vieux commentateur de Rabelais, ces canaux et
tuyaux ès-fontaines qui jettent l'eau, et par le moyen et force de l'air
qui les presse, rendent un son et sifflement d'où ils ont pris leur
nom».

SOUFFLER. Nous avons vu tout-à-l'heure au mot _siffler_ une Onomatopée
construite d'après le bruit de l'air chassé à travers un canal étroit.
Celle-ci est formée sur l'émission libre de l'air poussé hors d'un canal
de grandeur suffisante, avec un bruit mousse et sans éclat.

Les dérivés nombreux de cette expression ne peuvent échapper à personne.

SOURDRE. Sortir, jaillir, s'écouler par une fente de la terre ou du
creux d'un rocher.

L'étymologie de ce mot a été rapportée avec raison au _surgere_ des
Latins, qui avait le même sens.

        _Medio de fonte leporum
    _Surgit_, amari aliquid, quod in ipsis floribus angit._

LUCRET.

On a même dit en français _surgeons_, tantôt pour ces rejetons qui
naissent au pied des arbres, tantôt pour un petit ruisseau qui vient de
_sourdre_ de la terre; et _surgir_, qui est pris pour _sourdre_, avec un
peu d'extension dans ce passage des hymnes de Ronsard:

    Après vous _surgirez_ dedans l'île déserte
    D'hommes et de troupeaux, mais aussi bien couverte
    D'oiseaux qui ont la plume à pointe comme espics,
    Et la dardent des flancs ainsi que porcs espics.

Mais s'il est vrai que cette origine soit à-peu-près incontestable, il
n'en est pas moins certain que l'imitation du son naturel a modifié
jusqu'à un certain point l'expression qu'on y rapporte. Il est peut-être
malheureux qu'elle vieillisse négligée, car elle est significative et
utile. Amyot s'en est servi dans sa traduction de _Daphnis et Chloé_, et
cet exemple en déterminera le sens:

«Il y avoit, dit-il, en ce quartier-là une caverne que l'on appelait _la
Caverne des Nymphes_, qui estoit une grande et grosse roche, au fond de
laquelle _sourdoit_ une fontaine qui faisoit un ruisseau dont estoit
arrouzé le beau pré verdoyant».

M. Mercier a cru mal-à-propos que ce mot faisait _sourdir_ à
l'infinitif, ou que cette nouvelle construction pouvait avoir
quelqu'avantage sur l'autre. C'est au bruit de deux consonnes roulantes,
durement séparées par une autre, et qui semblent en rompre l'effort, que
le mot _sourdre_ doit son harmonie pittoresque.

* STRIDENT. C'est ainsi qu'on qualifie un bruit dur, un peu aigre, un
peu frémissant, qui est produit par un corps très-réfractaire, attaqué
avec la lime ou avec la scie.

Ce mot expressif et vrai, heureusement formé du _stridere_ des Latins,
n'a point encore été admis dans l'usage de notre Langue, qu'il ne
pourrait qu'enrichir.

STRIE. C'est une espèce de sillon profond, gravé difficilement dans un
corps dur, ce qui est marqué par sa construction rude et _stridente_.
Cette expression est propre à l'Histoire naturelle descriptive.

SUCER. Onomatopée préférable au _sugere_ des Latins dont elle a été
formée, avec un changement pris dans le son radical.

C'est le _saugen_ des Allemands, le _sycan_, le _sugan_, le _succan_, le
_sucian_ des Anglo-Saxons et de la Langue franque; le _zuigen_ des
Flamands, le _suck_ des Anglais, le _suga_ des Suédois, le _succhiare_
des Italiens.

Skinner rapporte toutes ces étymologies au vieux Sarmate _cic_, qui
signifiait mammelle, et dont le type naturel est le même.

SUC, c'est la substance qu'on extrait des corps par la _succion_.

SUCRE, est le nom d'une production végétale qu'on tire des fruits par le
même procédé. Les Italiens qui ont aussi reconnu cette analogie,
appellent le sucre _zucchero_, et les Arabes _sucar_.

* SUSURRATION, SUSURRE, SUSURREMENT, SUSURRER. Je hasarde ici ces trois
substantifs et ce verbe qui sont peut-être des latinismes assez heureux,
pour exprimer le frémissement des feuillages et le murmure des roseaux
émus par le vent. Nous n'avons pour rendre ces idées que des mots trop
généraux et des images trop vagues.

Un de nos Lexicographes dit _susurre_, qui est construit sur le mot
_murmure_ avec lequel il a tant de rapports. _Susurration_ est plus
conforme au type latin, et _susurrement_ à l'esprit de notre Langue;
mais il n'est donné qu'à nos bons Ecrivains de consacrer ces expressions
agréables, et d'en fixer l'emploi.


T

TACT. Le mot factice _tac_ fut inventé pour exprimer le bruit des corps
durs et secs qui frappent les uns sur les autres.

TIC TAC, eut une signification analogue, et marqua un battement, un
mouvement réitéré, comme celui d'un marteau qui frappe, d'un balancier
d'horloge, des pulsations du sang et des palpitations du coeur. Regnier
l'emploie pour représenter les coups que se donnent dans leur lutte
grossière les personnages de son souper ridicule:

        Ainsi ces gens à se piquer ardens
    S'en vinrent du parler à _tic tac_, torche lorgne;
    Qui casse le museau, qui son rival éborgne;
    Qui jette un pain, un plat, une assiette, un couteau,
    Qui pour une rondache, empoigne un escabeau.

TIC, maladie de cheval, est une Onomatopée, selon Ménage, parce que le
cheval qui a le _tic_, reproduit ce bruit en frappant de sa tête contre
sa mangeoire; et je crois que _tic_, dans le sens de caprice ou de
manie, en est une acception figurée.

TIQUETÉ, s'est dit d'un corps taché de petits points, imprimés comme au
hasard, et semblables aux meurtrissures qui résulteraient de petits
coups dont ce mot rappelle le bruit.

_Taquer_ ou _Toquer_, qui sont des mots populaires, ont été formés
d'après cette racine, et le mot _tact_ en est pris avec une grande
extension, pour désigner tout ce qui a rapport à l'action du toucher.

TÂTER, TÂTONNER, À TÂTONS, et autres termes de la même famille, n'ont
pas une autre origine, et ont été construits, soit dans notre Langue,
soit dans celles qui en offrent les équivalens, d'après le son naturel.

TAFFETAS. Il n'y a point de doute sur l'étymologie de ce mot, qui est
prise dans le bruit de l'étoffe qu'il désigne. _Dixose assi_, dit
Covarruvias, _del ruido que haze el que va vestido della seda, sonando
el _tiftaf_, par la figura onomatopeia_. On a même écrit autrefois
_taffetaf_, comme dans ce passage de _la grande nef des Fous du monde_:
Les bourses comme pannetières, les ceintures de _taffetaf_, etc.

En italien, c'est _taffeta_, en espagnol _taffatan_, en grec moderne,
_taphata_. Ménage prétend que _taffata_ se retrouve dans la basse
latinité, et Ducange y a vu _taffetas_ et _taffetin_.

TAMBOUR. Chez les Latins _tympanum_, et dans la basse latinité _tabur_,
_taburcium_ et _tamburlum_; en arabe _tabal_ et _tambor_, en italien et
en espagnol _tamburro_; en allemand _trommel_, et l'homme qui bat la
caisse _tambour_; en vieux français _tabur_, _thabur_, _tabor_ et
_tabour_, d'où _taborer_ et _tabourner_. Rabelais et Regnier disent
_tabouriner_, et le peuple _tambouriner_.

Ces mots sont faits du bruit éclatant de la caisse, et en général des
bruits très-retentissans.

De la même racine, on avait tiré dans le vieux langage les mots _tabut_
et _tambusteis_ qui signifiaient grand tumulte et bruit assourdissant
comme celui de la caisse.

TARABUSTER, en est une dérivation figurée.

TAMPON. On appelle _tampon_ ce qui sert à boucher un vaisseau, parce
qu'en enfonçant le _tampon_, on excite un bruit dont ce nom paraît
formé.

Les Latins ont dit _tappus_ dans la même signification, les Italiens
_zaffo_, les Anglais et les Allemands _tap_.

TAPE, TAPER, qui s'emploient bassement dans notre Langue, viennent du
même son naturel.

SE TAPIR dans une place étroite, y demeurer en _tapinois_, c'est s'y
tenir caché, serré, et en quelque sorte adhérent comme un _tampon_.

TAPON, est un mot très-bas qui se dit d'un paquet pressé, contenu, ou
_tapi_ dans un petit lieu. C'est aussi un terme de Marine qui signifie
un certain bouchon dont on ferme l'ame du canon pour empêcher l'eau d'y
pénétrer.

TAUPIN, est le nom français d'un insecte dont le thorax est armé d'un
ressort au moyen duquel il saute sur lui-même avec bruit.

ÉTOUPE, fait du latin _stuppa_ ou du celtique _stoup_, qui est le _topp_
de Davies, pourrait se rapporter à cette Onomatopée, parce que les
_tampons_ sont ordinairement d'_étoupes_.

TAN. Ce mot désigne une poudre menue d'écorce de chêne, battue dans de
gros mortiers, par la force des roues d'un moulin, et avec un bruit
qu'il exprime.

TAON. Le vol bruyant du _taon_ était assez bien représenté par ce nom
que la nouvelle prononciation a dénaturée. L'Onomatopée s'est conservée
dans le langage du peuple qui dit _tavon_ ou _tavan_. Je ne doute pas
que la même aphérèse ne nous ait fait perdre l'effet imitatif du mot
_paon_, formé du _pavo_ des Latins, qui l'était du cri naturel de cet
oiseau.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on a dit autrefois _tahon_, qui se lit
dans ces vers de Christian de Troyes:

    Toujours doit li fumier puir,
    Et _tahons_ poindre, et maloz bruire,
    Envious, envier et nuire.

Ménage fait _hanneton_ de _tabanus_, qui est le nom latin du _taon_, par
un procédé bien bizarre. De _tabanus_, _tavanus_, _tavanettus_,
_vanettus_, _vanetto_, _vanetonne_, _nanettone_, _hanneton_. Je crois
qu'on peut établir, sans insulter à la mémoire de ce savant laborieux,
qu'il n'y a rien de plus ridicule que ces étymologies arbitraires dont
la filiation ne repose que sur des intermédiaires factices. Si hanneton
n'est pas fait d'_alis tonans_, c'est peut-être une Onomatopée.

TARABAT. Instrument bruyant qui servait à appeler les Religieux aux
Offices nocturnes.

Les Grecs ont dit _thorubein_, pour, faire du bruit, et _thorubos_,
pour, tumulte ou fracas. Cette curieuse analogie n'a jamais été aperçue.

TARIN. Les Naturalistes pensent que le nom de cet oiseau a été fait
d'après son chant; mais la variété de ses modulations a dû déterminer un
grand nombre d'Onomatopées. En effet, les Grecs l'ont nommé _thraupis_,
les Allemands _zinsle_, _zeizel_, _zyséle_, _zyschen_, _zeisich_, les
Polonais _csiseck_, les Illyriens _csisz_, et les Anglais _siskin_. Nous
l'appelons vulgairement _scenicle_, _cinit_, _cerizin_.

Tous ces mots, quoiqu'étrangers les uns aux autres, ont une racine
naturelle.

TETER. C'est tirer avec la bouche le lait de la mamelle, et cette action
produit un bruit dont le mot qui la désigne est emprunté.

TETTE, qui n'est plus d'usage, mais dont les équivalens ont la même
racine, et qui signifie l'endroit par où les animaux nourrissent leurs
petits, s'est dit en grec _titthos_ et _titthion_; en latin _tetta_; en
allemand _titte_; en anglo-saxon _tit_, _titt_ ou _tytt_; en Langue
franque _tuito_; en anglais _teat_, et en espagnol _teta_. On m'assure
que le syrien et le chaldéen _thad_ expriment la même idée; et dans la
partie de ma préface où j'ai démontré que les premiers rapports de
l'enfant et de la mère, c'est-à-dire, l'action de _teter_, ont eu dans
le langage une racine commune avec les premiers rapports de parenté,
j'ai fait sur la forme hiéroglyphique, et sur le son imitatif du _thêta_
des Grecs, une observation assez nouvelle que je recommande à
l'attention du Lecteur.

TIMBALES. _Tabala_ était, suivant Plutarque dans la vie de Crassus, et
suivant Hésichius, un tambour dont se servaient les Parthes. C'est
_tablon_ en arabe, _tympanon_ en grec, et _tympanum_ en latin.

Il paraît que cet instrument s'est d'abord appelé _timbre_, et qu'il en
est question sous ce nom dans _Perceval_ et dans ces vers du _roman de
la Rose_:

      Cil fleues court si joliement,
      Et maine si grand dissonent,
      Qu'il résonne, tabourne et _timbre_
      Plus souef que tabour ne _timbre_.

TIMBRE, qui signifie, dans son acception actuelle un instrument d'un
métal sonore qui retentit sous le marteau, est incontestablement tiré de
la même racine.

TIMPAN, est le nom qu'on a donné à cette partie de l'oreille qui reçoit
les impressions de l'air agité, et qui cause le sentiment de l'ouïe,
parce qu'elle est comme une espèce de tambour sur lequel les bruits
extérieurs viennent agir.

TIMPANON, sorte d'instrument de Musique, monté avec des cordes de laiton
qui vibrent sous de petites baguettes, présente le type grec sans aucun
changement.

On appliquera facilement aux autres expressions de la même famille les
observations que je fais sur celles-ci, soit que les objets qu'elles
représentent aient été dénommés d'après le bruit qu'ils rendent, soit
que leurs qualifications aient été déterminées par de simples analogies,
comme cela a lieu dans le verbe _timpaniser_, qui se dit pour, blâmer
hautement, parce que ces sortes de diffamations sont, en quelque
manière, divulguées au son du tambour.

TINTEMENT, TINTER. Onomatopées du son de la cloche, qui avaient
d'heureux équivalens dans le _tinnitus_ et le _tintinnire_ des Latins.
Ils avaient aussi appelé _tintinnabulum_ la petite clochette qui rend un
bruit clair et argentin. Catulle a dit, avec peu de goût, ce me semble:
_auris tintinnat tintinnabulum_.

TINTEMENT, ou TINTOUIN, se disent indistinctement d'un battement
importun qui fatigue l'oreille, et qui ressemble au _tintement_ de la
cloche. Nicod en explique assez bien l'extension métaphorique.
«_Tintouin_, dit-il, est un nom imité du chifflement qui se fait aux
ventricules du cerveau, et cornissant par les oreilles, et vient de
_tinter_; et parce que tel _tintouin_ empêche le repos de la personne,
on l'usurpe aussi par métaphore, pour souci rongeant, travail d'esprit
et fatigation de l'entendement».

TINTAMARRE, vient, selon Pasquier, du bruit que font les paysans quand
ils frappent sur leur _marre_, qui est un instrument de labour, pour
avertir ceux qui sont éloignés, de quitter leur besogne, et que midi est
sonné. Quoi qu'il en soit de cette désinence parasite, il ne peut y
avoir de doute sur l'effet imitatif de cette expression et sur le
caractère de sa racine, qui est bien évidemment prise dans le son
naturel.

TOCSIN. Ce mot vient de _toquer_, _frapper_, et de _sing_, qui
signifiait autrefois une cloche. Il en est fait mention en ce sens dans
le Pontifical.

En quelques lieux, on appelle encore petit _sing_ les petites cloches.
Il y a aussi un vieux proverbe qui dit: on en fait bien les _sings_
sonner, pour dire, on en fait beaucoup de bruit.

_Tocsin_, est donc composé d'un son naturel et d'un son abstrait, à
supposer que _sing_ lui-même ne soit pas une Onomatopée ancienne.
Rabelais a écrit _toquesing_ au chapitre 66 du livre IV de _Pantagruel_.

TONNER, TONNERRE. Ce météore terrible a fourni des Onomatopées à tous
les peuples. C'est une des premières catastrophes naturelles qui aient
dû frapper l'imagination de l'homme, et il n'est pas étonnant qu'il ait
cherché à le représenter par un concours de sons éclatans. Dans notre
Langue même où cette imitation est plus imparfaite que dans beaucoup
d'autres, on peut remarquer cependant que le nom du _tonnerre_ est formé
d'une syllabe très-sonore, alongée d'une terminaison roulante.

Les Celtes ont dit _tonitru_, les Latins _tonitruum_, et leur
prononciation donnait à ce mot une harmonie sourde et retentissante
comme les _grondemens_ de la foudre dans les échos; les Italiens
_tuono_, les Espagnols _tronido_, les Anglais _thunder_, et les
Allemands _donner_.

Ajoutons, sans pousser plus loin cette recherche, que les idiomes
humains n'ont pu exprimer un bruit de la nature de celui-ci que par des
approximations encore bien imparfaites, quoique le son radical des
différens noms par lesquels ils l'ont caractérisé, soit le plus grave de
tous ceux que peut former la voix. Aussi est-il devenu dans les mots
_son_ et _ton_, le signe général de tous les bruits, de toutes leurs
modifications et de tous leurs effets.

TORRENT. Du bruit d'un courant d'eau très-impétueux, effet que l'auteur
d'un roman moderne a cherché à rendre dans ce passage, qui ne me paraît
pas tout-à-fait dépourvu d'harmonie.

«Après des pluies abondantes, un torrent large et rapide, grossi de tous
les ruisseaux et de toutes les ravines, descend du haut de nos montagnes
avec le bruit de la foudre, s'élance furieux dans la plaine, la remplit
d'épouvante et de désastres, brise, envahit, dévore tout ce qui
contrarie son passage; et, chargé d'arbres déracinés, de rocs et de
décombres, il roule et se précipite en grondant dans la Salza».

_Torrent_ se dit _strumor_ en Langue gallique, et se trouve ainsi
exprimé dans des fragmens d'anciennes poésies, attribuées à Ossian.

* TOURDE. En vieux français _tourd_. C'est un nom qu'on donne à la grive
dans quelques provinces, et que les Étymologistes disent fait par
Onomatopée.

Le mot _twrdd_ a désigné en celtique, suivant M. Court de Gébelin, le
chant bruyant de certains oiseaux, et, en général, les bruits tumultueux
et fatigans.

ÉTOURDIR, rompre la tête à quelqu'un à force de criailleries, est
construit sur cette racine.

TOURTEREAU, TOURTERELLE. En hébreu _thor_; dans presque toutes les
Langues orientales _tur_; en latin _turtur_, prononcé _tourtour_; en
italien _tortora_, _tortorello_, _tortorella_; en espagnol _tortola_; en
anglais _turtledove_; en allemand _turteltaube_; en celtique _turzunel_;
en vieux français _tourte_ et _tourtre_.

Il n'est personne qui ne reconnaisse dans ces expressions des
Onomatopées très-heureuses du roucoulement des _tourterelles_.

TOUSSER, TOUX. Du bruit que l'on fait en _toussant_.

Le _husten_ des Allemands, et le _cough_ des Anglais, pour être d'une
construction différente, n'en sont pas moins des Onomatopées
incontestables.

TRACAS, TRACASSER. Ces mots expriment dans leur sens propre un bruit
violent et incommode, comme celui des corps qui se fracassent; mais ils
diffèrent de cette dernière espèce d'expression et quant au sens et
quant à la racine, en ce que l'idée de fracas emporte celle de rupture
et de brisement, qui n'est point inhérente à celle-ci.

Nicod prétend fort mal-à-propos, selon moi, que _tracas_ vient de _trac_
ou _trace_, _comme qui dirait aller çà et là, errer par les voies_.

Quoique ce terme et ses dérivés ne soient guère d'usage que dans des
acceptions figurées, ils sont sensiblement tirés d'un son naturel, et on
appelle encore très-bassement dans la Langue du peuple, du nom de
_tracas_, une chaussure lourde et grossière, qui cause un bruit
désagréable quand on marche.

On peut remarquer ici un singulier rapprochement; c'est que la
dénomination triviale dont je parle a le même rapport avec le mot
_tracasser_ que _savate_ son synonyme avec le mot _sabat_, qui se prend
dans notre Langue pour un bruit haut et tumultueux. _Sabata_ se dit en
celtique, pour, faire du bruit ou crier à pleine voix. _Sabot_
dériverait de la même racine, et on aurait fait de ce dernier mot, par
extension, le nom de l'ongle de certains animaux.

TRANSIR. La racine de ce mot que je choisis au hasard dans sa famille,
caractérise un grand nombre de mots analogues, et dont le sens est
marqué par le bruit naturel dont ils dérivent.

Les dents serrées convulsivement dans le frémissement du froid, de la
fièvre et de la peur, laissent échapper un son dur et roulant dont on a
fait _transir_, engourdir, pénétrer de froid,

TERREUR, sentiment de crainte causé par la présence d'un objet
épouvantable,

TREMBLEMENT, frissonnement véhément et universel,

TREMBLER, frissonner avec force par tout le corps,

TREMBLOTER, qui en est le diminutif,

TREMBLE, arbre ainsi nommé, parce que ses feuilles _tremblent_ et
s'agitent au moindre vent,

TRÉMOUSSEMENT, SE TRÉMOUSSER,

TRESSAILLEMENT, TRESSAILLIR, qui expriment de petites émotions, de
faibles mouvemens d'effroi, de surprise ou de joie.

TRANTRAN. Mot factice et populaire qui n'est plus d'usage que dans son
acception figurée, c'est-à-dire, pour signifier l'intelligence d'un
état, d'un métier, le secret d'un négoce, le cours des affaires de
commerce et d'industrie.

Quelques-uns prétendent que ce mot s'est dit proprement du son du cor
des chasseurs, sens auquel il est employé dans la _vénerie_ de
Dufouilloux, de sorte que ce serait une métaphore tirée de la conduite
de la chasse.

D'autres avancent que cette façon de parler vient du bruit des violons
qui s'accordent, bruit qu'on peut rendre par _trantran_; et alors ce
serait une métaphore tirée de l'accord et de l'harmonie de la musique.

TRAQUET. Petite soupape qui ouvre et ferme l'ouverture de la trémie,
pour laisser tomber ce qu'il faut de grain sous la meule.

TRICTRAC. Jeu dont le nom vient du bruit que font les dames et les dés
dont on se sert en jouant. C'est ce bruit que M. Delille exprime
admirablement dans ces vers:

    J'entends ce jeu bruyant où le cornet en main,
    L'adroit joueur calcule un hasard incertain.
    Chacun sur le damier fixe[6] d'un oeil avide
    Les cases, les couleurs, et le plein et le vide.
    Les disques noirs et blancs volent du blanc au noir;
    Leur pile croît, décroît. Par la crainte et l'espoir,
    Battu, chassé, repris, de sa prison sonore
    Le déz avec fracas part, rentre, part encore.
    Il court, roule, s'abat.

Dumarsais croit que ce jeu s'est appelé autrefois _tictac_, et il est
encore désigné de cette manière par les Allemands et les Anglais.

* TRINQUER. Heurter les verres en buvant, ce qui se fait avec un bruit
dont le mot _trinquer_ est formé par Onomatopée.

Les Allemands s'en sont emparés, en lui donnant quelque extension, pour
représenter l'action de boire elle-même. Ils disent _trincken_, les
Flamands _drincken_, et les Italiens _trincare_.

TROMPE, TROMPETTE. Dans la basse latinité _trumpa_; en italien _tromba_
et _trombetta_; en anglais _trumpet_; en allemand _trompete_.

Il était inutile de chercher l'étymologie du mot _trompette_ dans ces
différentes Langues, comme l'a fait Ménage, ou il fallait remonter du
moins jusqu'au bruit naturel qui l'a produit, ainsi que ses analogues.

«_Trompe_, dit le père Labbe, _tromper_, _trompette_, _trompetter_,
viennent du son qui se fait ordinairement dans le cor de chasse _trom,
trom, trom_, et non pas de _tuba_, ni du _taratantara_ du bon Ennius
qu'il avait formé sur le son clair et gaillard des clairons et de la
doucine».

TROMBONNE, est le nom italien actuellement francisé d'un instrument que
nous avons d'abord nommé _trombon_.

TROT, TROTTER. Le mot _trot_ représente à l'oreille comme à la pensée
l'allure naturelle des chevaux dont on presse le pas. C'est donc avec
raison que Pasquier le dérive, par Onomatopée, du bruit que font les
animaux en _trottant_.

De la même racine vinrent le celtique _troad_ qui signifie _pied_, et le
celtique _trotta_ qui signifie _trotter_.

Je ne sais où M. Court de Gébelin a lu _trul_, qui se disait pour,
_aller_ ou _courir çà et là_, et dont viendrait le mot populaire
_trauler_.

TURLUT. C'est un oiseau du genre de l'alouette, qu'on a nommé _turlut_
en raison de son chant dont ce mot est l'expression.

TIRELIRE, est une autre Onomatopée construite pour représenter le même
bruit naturel, comme _turelure_ et _turelurelu_ pour imiter le son de la
flûte. «Ces termes factices, qui ont bonne grace dans une poésie telle
que celle-ci, dit la Monnoye dans son curieux glossaire sur les Noels,
seraient insupportables dans un poème sérieux. Virgile n'a eu garde
d'employer le _taratantara_ d'Ennius. Un Merlin Coccaïe, un Arena, un
Belleau ont eu droit d'exprimer, comme bon leur a semblé, toutes sortes
de voix dans leurs macaronées, mais on ne saurait pardonner à Dubartas
sa ridicule description du chant de l'alouette, en ces quatre vers du
cinquième livre de sa Semaine»:

    La gentille alouette avec son _tire lire_
    Tire l'ire à l'iré, et _tirelirant_ tire
    Vers la voûte du Ciel, puis son vol vers ce lieu
    Vire et desire dire, adieu dieu, adieu dieu.

Il faut dire à l'honneur du siècle de Dubartas que ces vers parurent
déjà très-misérables de son temps, car je les lis ainsi corrigés, mais
non pas beaucoup meilleurs dans l'édition que je consulte.

    La gentille alouette avec son _tire lire_
    Tire l'ire aux faschez, et d'une tire, tire
    Vers le pole brillant, plus d'un plumage las
    Changeant un peu de son se laisse cheoir en bas.

C'est cette version qu'Edouard Dumonin a suivie dans sa traduction
latine, intitulée _Beresithias_:

    _Dulcis alauda suo _tire liro_ consonna tollit
    Iratis iras, saevamque extrudit Erymnin
    Flammicomum tractuque polum levis involat uno
    Hinc leviter flexo cantu, dum membra fathiscunt
    Corpora demittit terrae._

Baptiste Mantouan a cherché à exprimer la même chose dans ce passage de
ses poésies, et y a sans doute mieux réussi que ses rivaux, sans
recourir au même procédé:

    _Prole novâ exultans, galcâque insignis alauda
    Cantat; et ascendit ductoque per aera gyro
    Se levat in nubes: et carmine sydera mulcet._

Ronsard a fait usage aussi du mot _tire lire_ dans une piece de ses
_Gaîtés_, intitulée l'_Alouette_, et c'est peut-être la seule tache
qu'il y ait dans ce morceau charmant:

    Hé Ciel que je porte d'envie
    Aux plaisirs de ta douce vie.
    Alouette qui de l'amour
    Dégoises dès le point du jour,
    Secouant en l'air la rosée
    Dont ta plume est toute arrousée!
    Devant que Phébus soit levé
    Tu enlèves ton corps lavé
    Pour l'essuyer près de la nue.
    Trémoussant d'une aile menue,
    Et te sourdant à petits bonds,
    Tu dis en l'air de si doux sons
    Composés de ta _tirelire_,
    Qu'il n'est amant qui ne desire,
    T'oyant chanter au renouveau
    Comme toi devenir oiseau.
    Quand ton chant t'a bien amusée,
    De l'air tu tombes en fusée
    Qu'une jeune pucelle au soir
    De sa quenouille laisse cheoir,
    Quand au fouyer elle sommeille
    Frappant son sein de son oreille:
    Ou bien quand en filant le jour
    Void celuy qui luy fait l'amour
    Venir près d'elle à l'impourveüe,
    De honte elle abaisse la veue,
    Et son tors fuseau délié
    Loin de sa main roule à son pié.

Cet épisode de la fileuse est d'un goût absolument antique, et un des
plus gracieux que l'on puisse imaginer. Si Ronsard n'avait jamais fait
que de pareils vers, la postérité lui aurait peut-être confirmé jusqu'à
un certain point ces titres pompeux de _Prince des Poètes_, et
d'_Apollon de la source des Muses_, qu'on lui a donnés de son temps.


V

* VAGIR, VAGISSEMENT. Ces mots expriment le cri des enfans qui viennent
de naître, et notre Langue a récemment admis le substantif _vagissement_
sur les réclamations de Voltaire. «C'est une disette insupportable,
écrivait-il, d'appeler des choses si différentes du même nom. Le mot
_vagissement_, dérivé du latin _vagitus_, aurait très-bien exprimé le
cri des enfans au berceau.

»Dumarsais, observe un autre Littérateur, a fait tout ce qu'il a pu pour
faire prendre ce mot, et n'a point réussi. C'est le cas de le
reproduire, et de faire voir qu'il est aussi naturel et aussi utile que
_mugissement_. Le cri d'un enfant au berceau est, à coup sûr, une bien
longue périphrase».

Le verbe _vagir_, qui est fait du substantif, comme de _mugissement_ et
_rugissement_ sont faits _mugir_ et _rugir_, et dont la construction
est, par conséquent, très-conforme à l'esprit de notre Langue, n'est
sans doute pas à dédaigner. Un étranger qui a donné quelques volumes à
la Littérature française, a dit quelque part: «Si Dieu m'offrait le
privilége de la rétrogradation jusqu'à mon enfance, et de _vagir_ une
seconde fois dans le berceau, je refuserais ses offres».

VAGUES, est le nom qu'on donne aux eaux agitées et mugissantes, parce
que le bruit qui s'en élève ressemble à un long _vagissement_. En
allemand _wage_, _woge_; en gothique _wego_; en anglo-saxon _waeg_; en
islandais _vag_.

VIOLON. Je crois devoir rapporter à propos de ce mot les raisons
ingénieuses qu'emploie M. Court de Gébelin pour en faire remonter
l'origine au son naturel. «Le mot _violon_, dit-il, désigne un
instrument à cordes qu'on fait résonner avec un archet. Mais quelle est
l'origine de ce nom? Elle se perd dans la nuit des temps pour tous les
Étymologistes; car, dire avec eux qu'il vient de l'espagnol _biolone_,
ce serait tout au plus supposer que cet instrument nous vînt par
l'Espagne, ce qui serait, peut-être, difficile à prouver.

»Ce nom tient à ceux de quelques autres instrumens appelés _viole_,
basse _de viole_, _violoncelle_, etc.

»Si jamais nom dut être formé par Onomatopée, n'est-ce pas celui d'un
instrument de musique? Ils ont un son à eux, un son déterminé et
constant, un son propre à les distinguer de tout autre. Ce son dut
devenir leur nom dès l'origine; et, quoique naturelle, on dut perdre à
jamais cette origine de vue, dès qu'on eut perdu de vue les origines de
la Langue qu'on parlait, et les révolutions de la nation dont on faisait
partie.

»Les instrumens bruyans, tels que le tambour, le tympanon, et la
tymbale, portent des noms parfaitement imitatifs: en les nommant, on
peint le coup qui les fait retentir.

»Dans les instrumens à cordes, on avait à peindre des sons d'une toute
autre espèce, des sons aigus et sifflans, grêles en quelque sorte; on
eut donc recours, pour les peindre, à la voyelle _i_, dont le son grêle,
aigu et sifflant se met si bien à l'unisson de ces instrumens, et qui,
associée au son _o_, sert également à peindre cette joie et cette gaîté
qu'accompagne et qu'inspire dans les fêtes le son des instrumens. On dit
donc _viole_, _violon_ par le même sentiment qu'on disait ioh! ioh! et
qu'on fit en _iol_ et en _jol_ les mots celtes, theutons, basques, etc.
qui peignent la joie et le plaisir.

»C'est de ce mot que les Latins firent également celui de _fides_, qui
désigna les instrumens à cordes, et qui forma le diminutif _fidicula_,
petit instrument à cordes; tandis qu'en le prononçant en _v_, ils en
firent _vitula_, 1º. la déesse de la joie; 2º. en latin barbare, cet
instrument dont nous avons altéré le nom en celui de _vielle_.

»Ils en firent encore

»_Vitulari_, se réjouir, folâtrer,

»_Vitellianae_, tablettes sur lesquelles on écrivait des choses gaies».

VÎTE, VÎTESSE. Le mot _vîte_ est peut-être l'imitation du souffle,
accéléré par la promptitude de la marche.

Les Latins n'en auraient-ils pas fait _festinare_, se hâter? En
anglo-saxon, _hwato_ signifie alerte, prompt, et _hwetan_, exciter,
animer.


Z

ZESTE. C'est une zône très-mince qu'on enlève de la peau d'une orange,
en glissant vivement contre sa superficie le tranchant d'un couteau. Le
petit bruit qui en résulte a motivé cette dénomination qu'on a étendue
depuis à d'autres acceptions, tant propres que figurées.

ZIGZAG. Ce sont, suivant Ménage, des tringlettes croisées en losange les
unes sur les autres, qui se resserrent et s'alongent, et dont on se sert
pour faire tenir des lettres ou autre chose dans des lieux élevés.

Poisson a composé une petite comédie intitulée le _Zigzag_, où Octave
donne une lettre à Isabelle, qui était à la fenêtre d'un logis.

    Mon _zigzag_ fera son office;
    Ce mot de lettre mis au bout
    Instruit Isabelle de tout.

Ménage reconnaît que ce mot a été fait par Onomatopée.


FIN.



NOTES


[1] Comme il était de mon intention de donner dans le cours de cet
ouvrage quelques exemples de l'extension des sons radicaux et des
racines imitatives dans la désignation des êtres qui, comme je l'ai dit,
n'ont point de formes propres et de bruits particuliers, et de prouver
qu'aucune expression n'a été formée sans motif, et que les termes qui
ont caractérisé les sensations premières, ont dû devenir allusivement le
signe des sensations analogues; comme le son radical _sag_ qui est une
des anciennes Onomatopées du bruit de la _flèche_, est d'ailleurs un des
plus curieux que je connaisse dans les modes qu'il a subis, je vais
suivre ses différentes dérivations dans la Langue latine seulement, pour
ne pas charger cette note d'un appareil inutile d'érudition.


RACINE, SAG. Sens propre, une _flèche_.

Les Latins en ont fait _SAG-itta_, et immédiatement, par le procédé
comparatif, ce nom est devenu commun à une plante dont il est question
dans Pline, et qui ressemble à une _flèche_, au bout d'un rejeton de
vigne qui a la forme d'une _flèche_ barbelée, et à une constellation
composée de cinq étoiles qui représente une _flèche_.


SENS DÉRIVÉ.

_SAG-ittarius_ a signifié un homme qui lance des _flèches_, et ensuite
un signe du Zodiaque. Puis par une extension commune dans les Langues,
on a nommé _SAG-ittarius_, une monnaie de Perse qui avait un
_SAG-ittaire_ pour empreinte.

_SAG-ittifer_ a été le nom du porc épic, parce que les pointes dont il
est couvert ont quelque ressemblance avec des _flèches_.

Jusqu'ici l'opération de l'esprit est simple et sans complication.


SENS RELATIF.

L'imagination commence à saisir des rapports plus éloignés, mais elle
n'a point encore perdu de vue le sens propre.

_SAG-aris_ signifie d'abord un faisceau de _flèches_, un carquois; il se
dit bientôt d'une hache d'armes.

_SAG-ma_ exprime en premier lieu ce qui sert à cacher la pointe de la
_flèche_, à la garantir en temps de paix. Ensuite, il se dit
généralement d'un fourreau, et finalement de la selle d'un homme d'armes
où les _flèches_ sont fixées.

_SAG-men_ est pris dans un sens plus hardiment figuré, quoiqu'il
appartienne encore au sens primitif. On appelle ainsi la verveine par
opposition ou contre vérité, parce que les Ambassadeurs proposant la
paix ou la guerre, portaient dans leurs mains une verveine et une
_flèche_.

_SAG-a_ signifie premièrement les armes d'un soldat. _Ire ad SAG-a_,
c'est s'emparer de ses javelots et de ses _flèches_. On en fait _SAG-um_
ou _SAG-ulum_ qui est l'habit d'un soldat en guerre.

Une fois que ce pas est fait, on va beaucoup plus loin. On appelle
_SAC-itza_ le pillage d'une ville, l'extermination de ses habitans,
parce que les vainqueurs les renversent à coups de _flèches_, et notre
Langue en emprunte les mots SAC et _SAC-cager_ qui conservent encore
toute la racine, avec une simple modification de la gutturale _g_,
prononcée sur une touche plus éclatante.

Enfin, il suffit de nazaler cette racine SAG, pour en former _SANG-uis_,
qui s'emploie par une extension du même genre, parce que le sang coule
sous les _flèches_.

_N. B._ En vieux français, _sache_ a signifié un fourreau, _sacher_,
tirer du fourreau, et ensuite, poursuivre le gibier et le renverser sous
les _flèches_, d'où il semble que _chasser_ a été fait par métathèse.


SENS FIGURÉ OU MÉTAPHORIQUE.

Ici l'esprit de l'homme s'élance hardiment à des objets très-éloignés,
pour peu qu'il y puisse saisir quelque affinité avec le sens originaire
du mot inventé.

Une erreur populaire lui persuade qu'une espèce de pierre précieuse
attire le bois comme l'aimant attire le fer, et que le bois y vole avec
la rapidité de la _flèche_. Il nomme cette pierre _SAG-da_.

Il a observé que la _flèche_, en s'enfonçant dans un corps dur, y frémit
long-temps encore. Il appelle _SAG-acio_, id est, _SAG-ittae actio_,
tous les genres de palpitation et de tremblement.

Il essaye de trouver un objet de comparaison à l'action de regarder. Le
regard parcourt l'espace avec la vîtesse de la _flèche_, et le son
radical SAG devient le nom du regard dans presque toutes les Langues de
l'Orient. Les Latins cependant ne se servent point de cette racine à ce
dernier usage; mais ils le méconnaissent si peu, qu'ils s'enrichissent
de ses dérivations au sens abstrait.


SENS ABSTRAIT.

_SAG-ire_, c'est avoir de la pénétration, du discernement, saisir des
yeux de l'esprit.

_SAG-ax_, c'est un homme pénétrant, un homme dont le regard sûr discerne
la vérité.


SENS HYPERBOLIQUE.

Le dernier terme de cette gradation est si étranger à son type, qu'il
serait impossible d'en reconnaître l'origine, si on n'y pouvait
remonter, comme nous le faisons, par une succession très-naturelle de
sensations et de jugemens. Le sens abstrait s'étendant à des
significations nouvelles, ce n'est plus au _SAG-e_, à l'esprit délicat
et subtil qui saisit les choses dès le premier abord, avec une extrême
justesse, que doit s'arrêter cette série d'idées que nous venons
d'exposer; son regard plus prompt, plus sûr, plus pénétrant encore,
perce tous les obstacles. Son esprit s'élève au-dessus de toutes les
conceptions ordinaires; il domine, il explique l'avenir,

C'est le devin que les Latins ont appelé _SAG-us_, la magicienne,
l'enchanteresse dont ils ont fait _SAG-a_, _SAG-ana_.

_Prae-SAG-ire_, c'est voir hors du présent, c'est anticiper par la
pensée sur les événemens futurs.

_Prae-SAG-ium_, c'est le pressentiment, le pronostic.

_Prae-SAG-us_, c'est le sorcier, l'augure, l'homme inspiré, termes dont
on a complété le sens par la petite préposition _prae_, au-devant,
au-delà.

Il reste à s'assurer que les autres mots de la Langue naturelle
donneront une pareille filiation, et c'est ce que chacun peut
reconnaître dans ses études particulières, soit qu'il se contente, ainsi
qu'on l'a fait ici, de pousser ses recherches dans une Langue seulement,
soit qu'il veuille les étendre à toutes, ce qui n'est pas plus
difficile.


[2] Une figure nouvelle est pleine de charme, parce qu'elle donne à
l'idée un point de vue nouveau. Une figure rebattue, devenue lieu
commun, n'est plus que le froid équivalent du sens propre. On doit donc
éviter de prodiguer les figures dans une Langue usée. Elles ne
présentent plus qu'un faste insipide de paroles et de tours. Le style
purement descriptif sera dès-lors préférable au style figuré, parce que
le sens figuré avait fait oublier quelque temps le sens propre, et que
celui-ci paraît nouveau. L'aurore aux doigts de roses, qui ouvre les
barrières du matin, et dont les pleurs roulent en perles humides sur
toutes les fleurs, offre sans doute une image heureuse et brillante;
mais on produira beaucoup plus d'effet aujourd'hui en peignant le soleil
à son lever, rougissant d'une lueur encore incertaine le sommet des
hautes montagnes, les vapeurs de la plaine qui se dissipent, les
contours de l'horizon qui se dessinent sur le ciel éclairci, et les
fleurs qui se penchent sous le poids de la rosée.


[3] C'est l'opinion de M. de Roujoux. Dom Lepelletier écrit _coric_ qui
signifie _petit nain_. On pourrait penser que _gawric_ est fait de
_gawr_ dans son sens le plus ordinaire, _élevé_, _supérieur_, et désigne
très-bien alors les intelligences secondaires, les génies et les fées,
_Gawric_, petite puissance, ou bien il est tiré de _gour_ ou _gwr_ qui
s'est dit pour, homme, et signifie alors avec le diminutif un petit
homme, un nain, comme on représentait les êtres surnaturels dont il
s'agit.


[4] Il y en a beaucoup d'exemples dans le latin.

  _Halosis_, pillage, dilapidation.
  _Hama_, un croc.
  _Hamare_, harponner.
  _Hamus_, un hameçon.
  _Harpa_, un vautour, et puis, la _harpe_, l'instrument de musique
    dont les cordes sont saisies avec toute la main.
  _Harpaga_, un hérisson, un grappin, un avare.
  _Harpagare_, prendre de force.
  _Harpastum_, un ballon qu'on cherchait à s'arracher en jouant, et
    dont il est question dans Martial.
  _Harpax_, l'ambre qui attire la paille.
  _Harpe_, un oiseau de proie.
  _Harpia_, la harpie aux mains crochues.
  _Haurire_, avaler, engloutir.
  _Haustrum_, instrument à puiser de l'eau.
  _Helluo_, un glouton.
  _Helluari_, absorber, avaler, dévorer.
  _Helveus_, qui a la bouche ouverte et prête à saisir sa proie.
  _Hera_, la fortune qu'il faut saisir au passage.
  _Heres_, le hérisson, l'animal hérissé de pointes qui saisissent et
    déchirent.
  _Hiare_, ouvrir la bouche.
  _Hiera_, l'épilepsie, mal qui envahit, qui saisit, qui absorbe.
  _Hippae_, les cancres, les écrevisses aux pattes armées de crochets.
  _Hirudo_, la sangsue. _Non missura cutem nisi plena cruoris._
  _Hiulcus_, avide, intéressé.
  _Humare_, enterrer, cacher sous la terre.
  _Humus_, la terre dévorante, qui consume tous les corps privés de vie.
  _Hyphaear_, la glu, matière qui happe, qui attache, etc.

Il serait sans doute ridicule d'avancer que la construction de ces mots
compliqués n'a eu d'autre base que l'initiale. Rien n'est plus facile
que de remonter à leurs racines naturelles, desquelles disparaîtrait
cette lettre, qu'on peut regarder comme très-moderne relativement aux
temps et au langage primitifs. Mais il serait plus absurde de dire
qu'elle a été attachée à ces expressions sans motif, et je pose en
principe que le motif qui en a déterminé l'emploi, c'est son caractère,
son esprit, l'idée d'avidité qu'elle réveille toutes les fois qu'on
l'aspire. Les caprices de la prononciation et de l'écriture ont pu la
transporter dans d'autres mots auxquels elle n'a point donné ce sens;
mais ces mots seront en très-petite quantité, et les exceptions ne
prouvent pas plus ici qu'ailleurs.


[5] Comme le son caractéristique de cette expression est un des plus
communs et des plus intéressans de la nature, puisqu'il sert à exprimer
le bruit des corps dans leur mode de déplacement le plus ordinaire, je
le prendrai pour exemple de ces grandes générations de mots que je n'ai
fait qu'indiquer à d'autres articles, et qui auraient surchargé cet
ouvrage de trop de détails inutiles. C'est M. Court de Gébelin qui me
fournira le tableau des termes dont celui-ci est le type.

ROUAGE, ROUER.

ROUET, instrument à _roue_.

ROUELLE, tranche coupée en rond.

ROTULE, en latin _rotula_, os cartilagineux, large et rond qui forme le
mouvement du genou.

ROTATEUR, muscle circulaire qui sert à mouvoir l'oeil.

ROTE, en latin _rota_, tribunal de la cour de Rome, dont la salle est
pavée de carreaux qui représentent des _roues_.

RODER, aller çà et là en faisant des tours et des détours.

RODEUR.

ROULER, 1º. se mouvoir en rond; 2º. plier en rond: au figuré,
considérer, méditer.

ROULANT.

ROULEAU, chose faite ou tournée en rond.

ROULEMENT, bruit d'une chose qui roule, mouvement en rond.

ROULADE, roulement de la voix.

ROULAGE, action de rouler, facilité de rouler.

ROULIER, voiturier de marchandises.

ROULETTE, petite _roue_.

ROULIS, agitation d'un vaisseau que le vent fait rouler sur les flots.

ROULON, pièce de bois travaillée en rond.

RÔLE, autrefois ROOLE, du latin barbare _rotulum_, 1º. registre qu'on
roule en long, comme les anciens manuscrits; 2º. ce que chaque acteur
doit faire ou réciter dans la représentation d'une pièce de théâtre:
chaque acteur a son rouleau, son rôle à part pour l'apprendre et pour le
jouer; 3º. manière dont chaque homme représente dans le monde; 4º.
feuille d'écriture en termes de pratique.

RÔLER, écrire des rôles.

ENRÔLER, en Anjou, ENROTULER, coucher sur les registres, enregistrer
dans le catalogue de ceux qui forment le corps où l'on se réunit.

ENRÔLEMENT, ENRÔLEUR.

ROTONDE, bâtiment en rond.

ROTONDITÉ, qualité d'un corps rond.

ROND, en latin _rotundus_, tout ce qui est en cercle; au figuré, qui va
rondement.

RONDEUR, figure ronde.

RONDELET, un peu rond.

RONDIN, bâton rond.

RONDINER, en vieux français, donner des coups de rondin, de bâton.

RONDACHE, RONDELLE, en vieux français, boucliers ronds.

RONDEAU, petit poème composé de couplets finissant par les mêmes mots
qui commencent le poème.

RONDE, inspection qu'on fait en parcourant une enceinte.

A LA RONDE, tout autour.

RONDEMENT, en rond; au figuré, franchement.

ARRONDIR, donner une forme ronde.

ARRONDISSEMENT.

ROUTE, chemin.

ROUTIER, 1º. qui connaît les routes, expérimenté; 2º. livre de routes.

ROUTINE, habitude, connaissance acquise par la pratique seule; chemin
battu.

ROUTINIER, qui n'a que la routine.

DÉROUTER, faire perdre à quelqu'un la route, etc.

                   *       *       *       *       *

Cette racine me suggère d'ailleurs une réflexion qui vient à l'appui de
ma théorie de l'extension des sons naturels, dans la qualification des
êtres insonores. Nous avons vu se composer d'un son radical qui est le
signe du mouvement, et qui s'opère lui-même par le roulement de la
langue sur le palais, deux familles de mots distincts, dont l'une
appartient à une idée de mouvement, et l'autre à une idée de forme. Il
n'était pas difficile de reconnaître le point de contact de ces deux
familles, et nous avons compris que le signe des bruits qui résultent
d'un mouvement circulaire, avait dû devenir dans le langage,
l'indicateur des formes rondes. Mais si le rapport des mouvemens et des
formes semble d'abord assez naturel pour expliquer la ressemblance des
expressions qui les caractérisent, il est également vrai que la nature a
établi de frappantes harmonies entre ces deux premières sortes de
sensations et celles des couleurs. Le langage figuré nous en offre assez
de preuves. Nous avons dit, entr'autres exemples, de _sombres_
gémissemens, et des lueurs _éclatantes_. La première de ces tournures
présente une idée de bruit, spécifiée par une circonstance tirée de
l'ordre des couleurs, et la seconde, une idée de couleur déterminée par
une épithète qui appartient à l'idée du bruit. Le fameux aveugle-né
Saunderson, après avoir cherché long-temps à se faire un sentiment juste
des couleurs, finit par comparer la couleur rouge au son de la
trompette; et il y a peu d'années que l'intéressant sourd-muet Massieu,
interrogé sur l'opinion qu'il se formait des bruits, et celui de la
trompette en particulier, le compara sans hésiter à la couleur rouge.

S'il y a de l'harmonie entre ces effets, pourquoi ces effets
n'auraient-ils pas été exprimés par des sons de la même espèce?

Le mot _rouge_ et ses dérivés sont donc, selon moi, des Onomatopées
construites par extension du son radical du roulement. En vieux
français, _ro_ s'est dit pour _rouge_, et _roe_ pour _roue_. Toutes les
Langues fourniraient de pareils rapports.

M. Bernardin de Saint-Pierre a reconnu l'harmonie du mouvement
circulaire, de la forme ronde, et de la couleur rouge. Il se plaît même
à étayer ce rapprochement ingénieux des observations les plus agréables;
et s'il a négligé de prouver que les mots qui désignent chez la plupart
des peuples ce mouvement, cette forme et cette couleur, ont une racine
commune, c'est sans doute parce que cette espèce de démonstration
empruntée des froides études de la Grammaire, lui a paru trop sèche pour
une matière si élégante et si poétique.


[6] Le mot _fixer_ n'est point français dans le sens de regarder
fixement, d'attacher un regard _fixe_ sur une personne ou sur une chose;
mais c'est une de ces expressions que l'usage devrait avoir consacrées.
Ce verbe offre une des figures les plus énergiques, une des hyperboles
les plus éloquentes de la Langue; c'est non-seulement saisir l'objet sur
lequel nous portons la vue, c'est encore l'arrêter, le rendre immobile,
nous l'approprier, nous l'identifier par le seul effet de nos regards,
_habere in oculis_, disaient tout aussi hardiment les Latins.

Jean-Jacques Rousseau, Duclos, Rivarol, madame de Genlis l'ont
fréquemment employé. M. de Châteaubriand, tout en le condamnant dans un
autre, l'avait laissé échapper deux fois dans la première édition du
_Génie du Christianisme_; et les termes qu'il y a substitués depuis,
sont bien loin de racheter le sacrifice que cet Ecrivain a cru devoir en
faire à la correction. Il lui appartenait, il appartient à quelques
hommes qui doivent à leurs talens le privilége de donner aux mots le
droit de cité, d'accueillir celui-ci dont rien ne nous offre
l'équivalent: je le recommande aux Lexicographes.

Il n'est guères possible, au reste, de parler de la formation des mots
dans les Langues premières, sans être obligé de s'arrêter un moment à ce
qu'on appelle la néologie ou création des mots nouveaux. Cette néologie
est une des choses dont on a parlé le plus diversement, et dont on peut
effectivement porter les jugemens les plus opposés. Elle est à la fois
le génie protecteur et le fléau des Langues; elle les enrichit et les
dénature. Par elle, tout se dégrade, tout se confond; et sans elle,
l'imagination asservie se traîne impatiemment dans ses lisières.

Il est certain que tous les mots ayant été formés pour exprimer la
pensée prise sous certain aspect, ou l'être pris dans certaine qualité,
et que rien n'étant plus mobile que les aspects de la pensée et plus
varié que les qualités de l'être, il n'y a pas un seul homme qui n'ait
souvent besoin, pour rendre sa sensation avec justesse, d'improviser une
expression qui la peigne. Otez cette ressource à l'esprit, et vous
détruisez tout ce qui reste de poésie dans vos Langues. Vous condamnez
Racine à parler le patois de Jodelle, et à quelqu'époque même que la
Langue soit prise, vous donnez d'injustes entraves à la pensée, car les
idées se succèdent sans cesse en variant leur ordre et leurs rapports.
Si j'ai vu ce qui n'a point été aperçu jusqu'à moi, si j'ai découvert
entre des choses connues un rapport frappant et cependant nouveau, ce
qui est le propre d'une organisation poétique, le tour et le mot dont
j'ai besoin n'ont pas pu être prévus. Il faut donc que j'imite l'homme
primitif dans ses essais, et que je crée un signe pour ma perception; ou
bien si vous me forcez à n'employer que des signes déjà convenus, il
faut que je délaye une idée forte et ingénieuse dans une périphrase
languissante.

D'un autre côté, la néologie sera d'un plus grand secours à ces
Ecrivains sans talens, qui, incapables de saisir des effets nouveaux,
parviennent cependant à faire croire au vulgaire qu'ils y ont réussi, en
revêtant d'un tour audacieux et d'une expression inusitée des idées
communes et souvent triviales et populaires. De là ces locutions
barbares, ces mots bizarrement composés, ces néologismes intolérables
qui frappent l'esprit sans l'instruire, et que la manie des nouveautés
perpétue quelquefois dans le langage qu'ils finissent par corrompre.

Il y a donc beaucoup de choses à observer dans l'admission des mots
nouveaux: qu'ils soient indispensables, que leur construction ne soit
point étrangère à l'esprit de la Langue, qu'elle rappelle distinctement
leur racine, que des Ecrivains estimés en aient fait usage.

Au reste, je regarderais un dictionnaire des mots à admettre dans la
Langue comme une entreprise peu philosophique et mal mesurée. Les mots,
interprètes de la pensée, doivent s'élancer avec elle, et c'est dans la
chaleur d'une conception rapide qu'un néologisme heureux se fait
pardonner. L'invention ne procède point par ordre alphabétique; mais ce
serait peut-être un livre assez curieux que celui qui réunirait les
expressions vives, caractéristiques et originales qui sont propres à un
seul Ecrivain, qui n'ont point été mises en oeuvre depuis lui, ou qui
l'ont été rarement, et qui ne se sont point conservées dans les
vocabulaires. On en tirerait beaucoup de ce genre des écrits de Cicéron,
de Sénèque, de Rabelais, de Montaigne, de Sterne, de Milton, de
Schiller, du Dante et d'Alfieri.



TABLE DES ONOMATOPÉES


A

    * AARBRER.
    ABOI, ABOIEMENT, ABOYER.
    ACHOPPEMENT.
      CHOPPER.
    AFFRES.
      AFFREUX.
    AGACEMENT, AGACER.
    AGOUTI.
    AGRAFFE, AGRAFFER.
      RAFFLER.
    AGRIPPER.
      GRAPPILLER.
      GRAPPE.
      GRAPPILLEUR.
      GRAPPILLON.
      GRAPPE, instrument de menuiserie.
      GRAPPIN.
      GRAVIR.
      GRAVIER.
      GRIMPER.
    * AHALER.
    * AHAN, AHANER.
    AÏ.
    AME.
    ANCHE.
    ASTHME.

B

    BABIL, BABILLARD, BABILLER.
      BABIOLE.
      BABOUIN, BAMBIN.
      BAMBOCHE.
      BAMBOCHADE.
    BÂILLEMENT, BÂILLER.
      BEER ou BAYER.
      BAH!
      BADAUD.
      S'ÉBAHIR, être ÉBAHI.
    BARBOTER.
    * BARET.
    BEFFROI.
    BÊLEMENT, BÊLER.
      BÉGAYEMENT, BÉGAYER.
    BÉLIER.
      * BELIN.
    BEUGLEMENT, BEUGLER.
      BOEUF.
      BOA.
      MEUGLEMENT, MEUGLER.
    BIBERON.
    BIFFER.
    BOMBE.
    BOND, BONDIR, BONDISSEMENT.
    BORBORIGME.
    BOUC.
    BOUFFÉE, BOUFFI.
      OUF.
      BOUFFON.
    BOUILLIR, BOUILLONNEMENT, BOUILLONNER.
      BOUILLIE, BOUILLON.
      BULLE.
      BOULE.
      BOUTON.
    BOURDON, BOURDONNEMENT, BOURDONNER.
      BOURDON, cloche.
    BRAIRE.
    BRAMER.
      BRAILLER.
    BREDOUILLER.
    BROUHAHA.
    BROUTER.
    BROIEMENT, BROYER.
    BRUIRE, BRUISSEMENT, BRUIT.
      BRUYÈRE.

C

    CAHOT, CAHOTER.
    CAILLE.
      * CAILLETAGE.
      * CAILLETTE.
      * CAILLETER.
    CANARD.
      CANCAN.
    CAQUET, CAQUETER.
    CASCADE.
    CATACOMBE.
    CATARACTE.
    CHAT-HUANT.
    CHEVÊCHE.
    CHOC, CHOQUER.
    CHOUCAS.
    CHUCHOTTER, CHUCHOTTERIE, CHUCHOTTEUR.
    CIGALE.
    * CLAPPEMENT.
    CLAQUE, CLAQUEMENT, CLAQUER.
      CLAQUET.
    CLIGNOTER.
      CLIN-D'OEIL.
    CLINQUANT.
    CLIQUETIS.
    CLOSSEMENT, CLOSSER.
      GLOUSSEMENT, GLOUSSER.
    COASSEMENT, COASSER.
    COQ.
      COQUE.
      COQUETTERIE.
    COUCOU.
    COURLIS.
    CRACHAT, CRACHEMENT, CRACHER.
    CRAN.
      ÉCRAN.
    CRAQUEMENT, CRAQUER.
      * CRAQUETER.
    CRESSELLE, CRECELLE, ou CRESSERELLE.
    CREX.
    CRI, CRIER.
      CRIAILLER, CRIAILLERIE, CRIAILLEUR.
      CRIOCÈRE.
    CRIC.
    * CRINCRIN.
    * CRISSEMENT, CRISSER.
    CROASSEMENT, CROASSER.
    CROC.
      ACCROCHER.
    CROQUER.
      CROQUET.
    CROULEMENT, CROULER.
      ÉCROULEMENT, s'ÉCROULER.

D

    DANDIN, DANDINER.
    DÉGRINGOLER.
    DRILLE.
    * DRONOS.
    * DROUINE.
      CHAUDRON, CHAUDRONNER.

E

    * ÉBROUER.
    ÉCLAT, ÉCLATER.
      ECLABOUSSER.
    ÉCLOPPÉ.
      * CLOPIN, CLOPANT.
    ÉCRASER.
    ÉCROU.
    ÉGRISER.
    ENFLER, ENFLURE.
      GONFLER.
    ESCOPETTE, ESCOPETTERIE.
    ÉTERNUEMENT, ÉTERNUER.

F

    FANFARE.
    FIFRE.
    FLACON.
      FLACQUÉE D'EAU.
      FLASQUE.
    FLANQUER.
    FLÈCHE.
    FLEUR.
      FLAIRER.
    FLOT.
      FLEUVE, FLUX, FLUIDE.
      AFFLUENCE.
      * FLOFLOTTER.
    FLOU.
    FLÛTE.
    FRACAS, FRACASSER.
    FREDON, FREDONNER.
    FRELON.
    FRÉMIR, FRÉMISSEMENT.
      FRISSON, FRISSONNEMENT.
      FRAYEUR, EFFROI.
      FROID.
    FRÉTILLER.
      FRETIN.
    FRIRE.
    FRISER.
    FROISSEMENT, FROISSER.
    FRÔLER.
    FRONDE.
    FROTTEMENT, FROTTER.
    FROUER.

G

    GALOP, GALOPER.
    GARGARISER, GARGARISME.
    * GARGOUILLE.
    GAZOUILLEMENT, GAZOUILLER.
    GEAI.
    GLAPIR, GLAPISSEMENT.
      GLAS, ou GLAIS.
    GLISSER.
      GLACE.
    * GLOUGLOTTER.
    GLOUGLOU.
    GLOUTON, GLOUTONNERIE.
      ENGLOUTIR.
    GORET.
    GOULOT.
    GOUTTE.
    GRAILLEMENT, GRAILLER.
    GRATTER.
    GRÊLE, GRÊLER.
      GRÉSIL.
    GRELOT.
      GRELOTTER.
    GRENOUILLE.
    GRESILLEMENT, GRESILLER.
    GRIFFE.
      AGRIFFER.
      GRIFFER.
      GRIFFADE.
      GRIFFON.
      GRIFFONNER.
      GRIFFONNAGE.
      * GRIFFONNEMENT.
      GRIFFE, outil de serrurier ou de tourneur.
    GRIGNOTER.
      GRIGNON.
      GRUGER.
    GRILLON.
    GRINCEMENT, GRINCER.
    GRIVE.
    GROGNEMENT, GROGNER, GROGNEUR.
      * GROGNARD.
      * GROGNON.
    GROMMELER.
    GRONDEMENT, GRONDER, GRONDERIE, GRONDEUR.
    GROIN.
    GRUAU.
    GRUE.
    * GRULLER.
    GUÊPE.
    * GUIORER.

H

    HACHE.
    * HAHALIS.
    HALETER.
    HAPPER.
    HARPE.
      * HARPER.
    HENNIR, HENNISSEMENT.
    HEURT, HEURTER.
    HISSER.
    HOQUET.
    HORREUR.
      HORRIBLE.
      ABHORRER.
    HUÉE, HUER.
    HULOTTE.
      * HULULER, ou ULULER.
    HUMER.
    HUPPE ou PUPPU.
    HURLEMENT, HURLER.

J

    JAPPEMENT, JAPPER.

K

    KAKATOES.

L

    LAPPER.
    LÉCHER.
    LORIOT.
    LOUP.

M

    MIAULEMENT, MIAULER.
    MOUE.
      MUFFLE.
      BOUDER.
      BOUDERIE.
      BOUDEUR.
    MUGIR, MUGISSEMENT.
    MURMURE, MURMURER.
    MUSC.

O

    OIE.
    OISEAU.
    OUATE.

P

    PÂMER, PÂMOISON.
    PEPIER.
      PIAILLER, PIAILLERIE, PIAILLEUR.
      PEPIE.
      PIPÉE.
    PIC.
      PIQUER.
      PIOCHE.
      BÊCHE.
    * POUPE.
      POUPÉE.
      POUPON.
    PUER.

R

    RACLER.
    RAIRE ou RÉER.
      RUT.
    RÂLE, RÂLEMENT, RÂLER.
      RÂLE, oiseau.
    RAUQUE.
      ROQUET.
    REDONDANCE.
    RETENTIR, RETENTISSEMENT.
    RINCER.
    RONFLEMENT, RONFLER.
    ROSSIGNOL.
    * ROUCOULEMENT, ROUCOULER.
    ROUE.
      ROUTE.
      _A la note._
      ROUAGE, ROUER.
      ROUET.
      ROUELLE.
      ROTULE.
      ROTATEUR.
      ROTE.
      RODER.
      RODEUR.
      ROULER.
      ROULANT.
      ROULEAU.
      ROULEMENT.
      ROULADE.
      ROULAGE.
      ROULIER.
      ROULETTE.
      ROULIS.
      ROULON.
      RÔLE.
      RÔLER.
      ENRÔLER, ENROTULER.
      ENRÔLEMENT, ENRÔLEUR.
      ROTONDE.
      ROTONDITÉ.
      ROND.
      RONDEUR.
      RONDELET.
      RONDIN.
      RONDINER.
      RONDACHE, RONDELLE.
      RONDEAU.
      RONDE.
      A LA RONDE.
      RONDEMENT
      ARRONDIR.
      ARRONDISSEMENT.
      ROUTE.
      ROUTIER.
      ROUTINE.
      ROUTINIER.
      DÉROUTER.
    RUGIR, RUGISSEMENT.
    RUISSEAU, RUISSELER.
      ROUIR.

S

    SANGLE, SANGLER.
      CINGLER.
    SAPER.
      SAPE.
    SCIE, SCIER.
    SCION.
    SIFFLER.
    SILLON, SILLONNER.
      SILLAGE.
    SIPHON.
    SOUFFLER.
    SOURDRE.
    * STRIDENT.
    STRIE.
    SUCER.
      SUC.
      SUCRE.
    * SUSURRATION, SUSURRE, SUSURREMENT, SUSURRER.

T

    TACT.
      TIC TAC.
      TIC.
      TIQUETÉ.
      TÂTER, TÂTONNER, À TÂTONS.
    TAFFETAS.
    TAMBOUR.
      TARABUSTER.
    TAMPON.
      TAPE, TAPER.
      SE TAPIR.
      TAPON.
      TAUPIN.
      ÉTOUPE.
    TAN.
    TAON.
    TARABAT.
    TARIN.
    TETER.
      TETTE.
    TIMBALES.
      TIMBRE.
      TIMPAN.
      TIMPANON.
    TINTEMENT, TINTER.
      TINTEMENT ou TINTOUIN.
      TINTAMARRE.
    TOCSIN.
    TONNER, TONNERRE.
    TORRENT.
    * TOURDE.
      ÉTOURDIR.
    TOURTEREAU, TOURTERELLE.
    TOUSSER, TOUX.
    TRACAS, TRACASSER.
    TRANSIR.
      TERREUR.
      TREMBLEMENT.
      TREMBLER.
      TREMBLOTTER.
      TREMBLE, arbre.
      TRÉMOUSSEMENT, SE TRÉMOUSSER.
      TRESSAILLEMENT, TRESSAILLIR.
    TRANTRAN.
    TRAQUET.
    TRICTRAC.
    * TRINQUER.
    TROMPE, TROMPETTE.
      TROMBONE.
    TROT, TROTTER.
    TURLUT.
      TIRELIRE.

V

    VAGIR, VAGISSEMENT.
      VAGUES.
    VIOLON.
    VÎTE, VÎTESSE.

Z

    ZESTE.
    ZIGZAG.



TABLE ALPHABÉTIQUE

_Des Auteurs cités dans cet Ouvrage, ou qui ont été consultés pour sa
Composition._


A

    Albin.
    Alfieri
    Amyot.
    Aristophane.

B

    Baptiste Mantouan.
    Belon.
    M. Bernardin de S. Pierre.
    Bochart.
    Boileau.
    Boisrobert.
    M. de Bonneville.
    Borel.
    Boursault.
    Brisson.
    Buffon.
    Bullet.

C

    M. de Cambry.
    Caseneuve.
    Castelvetro.
    Catulle.
    M. de Châteaubriand.
    Chapuis (Gabriel).
    Chevalier.
    Cholieres.
    Christian de Troyes.
    Cicéron.
    Clotilde de Surville.
    Clusius.
    Coquillard.
    Costar.
    Covarruvias.
    Court de Gébelin.
    Cyrano de Bergerac.

D

    Dante.
    M. David de Saint-Georges.
    Davies.
    Debrosse.
    M. Delille.
    Mad. Deshoulières.
    Desmarets.
    Dubartas.
    Dubellay.
    Ducange.
    Duclos.
    Dufouilloux.
    Dumarsais.
    Dumonin (Edouard).
    Duverdier.

E

    Edwards.
    Ennius.
    Euripide.

F

    Fernandez.

G

    Mad. de Genlis.
    Gringore.
    Guichard.

H

    Hauteroche.
    Herbinius.
    Hesichius.

J

    Jérémie.
    Saint-Jérôme.

K

    Klein.

L

    Le père Labbe.
    La Bruyère.
    La Fontaine.
    M. Lalanne.
    La Monnoye.
    Latour d'Auvergne.
    Le Brigand.
    Le Duchat.
    Legros.
    Dom Lepelletier.
    Leroux.
    Letourneur.
    Linguet.
    Linné.
    Lorris (Guillaum. de).
    Lucrèce.

M

    Malherbe.
    Marcgrave.
    Marot.
    Martinet.
    Ménage.
    M. Mercier.
    Milton.
    Molière.
    Monnet.
    Montaigne.

N

    Nicod.
    Nicole Gilles.

O

    Ossian.

P

    Paradin.
    M. de Parny.
    Pasquier.
    Perse.
    Pison.
    Plutarque.
    Poisson.
    Polidore Virgile.

Q

    Quinault.

R

    Rabelais.
    Racine.
    Ramus.
    Regnier.
    Rivarol.
    Ronsard.
    M. de Roujoux.
    Rousseau (Jean-Bapt.)
    Rousseau (Jean-Jacq.)

S

    Saint-Amand.
    Saumaise.
    Saunderson.
    Scaliger.
    Schiller.
    Schrevelius.
    Seba.
    Servius.
    Skinner.
    Souchu de Rennefort.
    Sterne.
    Swift.

T

    Théophile.
    Trenck (le baron de).

V

    Varron.
    Villon.
    Virgile.
    Voltaire.

Y

    Young.



NOTE SUR LA TRANSCRIPTION


On a conservé à l'identique l'orthographe de l'original, y compris ses
variantes (par exemple ame/âme, poète/poëte, etc.), à l'exception des
coquilles manifestes (ex. qni au lieu de qui) qui ont été corrigées.





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