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Title: Bellefleur - Roman d'un comédien au XVIIe siècle
Author: Nion, François de
Language: French
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                               BELLEFLEUR

                  ROMAN D'UN COMÉDIEN AU XVIIe SIÈCLE



                      IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE

          _Vingt exemplaires numérotés sur papier de Hollande_

                            EXEMPLAIRE Nº 14



                            FRANÇOIS DE NION


                               BELLEFLEUR

                  ROMAN D'UN COMÉDIEN AU XVIIe SIÈCLE


                                 PARIS

                        BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
                       EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
                        11, RUE DE GRENELLE, 11

                                  1903
                         Tous droits réservés.



BELLEFLEUR

ROMAN D'UN COMÉDIEN AU XVIIe SIÈCLE



I

LE PANIER D'OEUFS


Je suis fils d'un homme de condition dont le père avait été contraint
de s'anoblir parce que le roi avait besoin d'argent pour ses guerres
et ses amours. Mon aïeul, qui ne prisait rien tant que la qualité de
bourgeois et d'être appelé «honorable homme», ne fut pas trop satisfait
de devenir, de très bon roturier, assez médiocre gentilhomme.

Mais sitôt qu'il fut décrassé de sa roture et noble sans en avoir
d'obligation à ses parents, il commença d'éprouver un certain
contentement de voir le _messire_ devant son nom et l'_écuyer_ à la
queue, et quand le juge d'armes de sa province lui eut bien fait des
armoiries et qu'elles furent enregistrées, il crut, pour le coup,
n'avoir jamais été vilain et jura: «foi de gentilhomme», comme s'il eût
eu dans sa généalogie Galaor, prince d'Achaïe, ou le grand Cyrus, à la
condition toutefois que ce roi des Persans eût pu faire ses preuves par
devant M. d'Hozier.

Même la terre qu'il avait ayant eu autrefois le titre de comté, il
conçut le dessein de faire de son fils un seigneur titré et mourut dans
le temps qu'il allait entreprendre le voyage de Versailles pour suivre
un projet si raisonnable et d'une conséquence si grande. C'est pour
cette raison que, dès que j'eus passé des mains des femmes dans celles
des hommes, je fus appelé le chevalier de Lafontette, qui était le nom
du château où mes aïeux, les Morellet, avaient si longtemps payé la
taille et s'étaient fait remplacer pour la corvée.

On me donna un gouverneur qui avait été cadet dans une compagnie de
grenadiers formée par M. le duc d'Aumont et licenciée après la paix.
Ce bon gouverneur m'apprit tout ce qu'il savait, c'est-à-dire à jurer
le nom de Dieu en allemand, en flamand et en espagnol et même à fumer,
dans une longue pipe de terre qu'il avait rapportée de Hollande, un
tabac qu'il disait avoir recueilli en Catalogne. Il m'apprit aussi à
composer des vers, art auquel il s'entendait parfaitement parce qu'il
avait été autrefois amoureux d'une dame de la cour laquelle donnait
fort dans le bel-esprit, et il m'enseignait la civilité, comme quoi
il n'est pas décent de battre son laquais ou de peigner sa perruque
lorsqu'on est en compagnie, et de quelle manière il faut saluer un
grand, la main dégantée et touchant le parquet.

Cependant mes parents, s'étant à la fin avisés d'une certaine odeur
qui remplissait la maison et qui les incommodait particulièrement,
eurent l'idée de monter à notre appartement d'où cela paraissait venir
et d'ouvrir la porte de la salle où nous honorions les dons du tabac
en les arrosant des présents de Bacchus. Ils furent véritablement
dans la consternation de nous voir au milieu des vapeurs d'une fumée
fort épaisse et si bien conditionnés qu'il était douteux quel fruit
de la vigne ou du pétun avait produit un résultat si fâcheux sur
nos esprits. Ayant sans doute jugé que j'étais suffisamment avancé
de ce côté-là dans mes études, M. et Mme de Lafontette se résolurent
de m'envoyer en achever d'autres dans un collège tenu par des
franciscains, dans la petite ville de la Châtre qui n'était éloignée de
notre château que de quatre postes.

Comme mon grand-père s'était jeté autrefois dans des dépenses
considérables pour soutenir son nouvel état, nos affaires étaient
présentement dans un plus mauvais point qu'au temps où nous étions de
simples croquants; mon père ne voulut donc pas payer la pension que
les franciscains lui demandaient pour me recevoir et me loger, mais il
crut avoir fait merveille en louant pour moi, proche du couvent, une
mansarde qu'il meubla fort proprement et où il m'envoyait de sa ferme
le pain, le vin, du lard et quelques poulets, ou bien des œufs avec du
poisson les jours de maigre et de vigile. En outre, avant de partir,
on me remplit un bon coffre d'habits, de linge, de gros bas d'étoffe
et de chaussures, au moyen de quoi mon père et principalement Mme de
Lafontette, ma mère, se persuadèrent qu'il n'y avait rien de si inutile
que de me donner de l'argent comptant et, véritablement, ils se
seraient fait un scrupule de me laisser voir seulement la couleur d'un
écu ou même d'un franc.

J'enrageais de cette gueuserie, car il venait précisément d'arriver à
la Châtre une troupe de comédiens qui annonçaient des représentations
très extraordinaires, et mon cœur s'était ému à la pensée d'entendre
les vers de M. Rotrou et de M. Corneille qui passaient alors pour les
plus fameux parmi les poètes du temps, mais plus encore peut-être par
la beauté et le piquant de certaine suivante que j'avais aperçue mêlée
à la troupe sur le chariot de Thespis et qui avait paru à mes yeux
comme la huitième merveille du monde. Les places de parterre d'où je
pouvais contempler les traits de ma divinité n'était pas d'un prix à
ruiner un honnête homme, vu qu'elles ne coûtaient que six sols et deux
deniers; mais encore fallait-il posséder un semblable trésor auprès
duquel pâlissaient pour moi toutes les richesses de Golconde, puisque
les deux d'ailleurs se trouvaient également hors de ma puissance.

Il arriva que ces comédiens firent promener par la ville, avec un
grand accompagnement de tambours et de trompettes, une affiche le
mieux composée du monde, en caractères manuscrits chacun d'un pied
de haut et dans laquelle il était dit que, voulant faire participer
les plus humbles comme les plus illustres à une représentation si
inouïe, la sérénissime troupe des comédiens de M. le maréchal de
Moncontour—c'était le titre qu'ils se donnaient—accepterait des dons
en nature pour le paiement des places et que le suisse-portier aurait
ordre de laisser entrer au parterre ceux qui se présenteraient munis
d'un panier d'œufs, d'une paire de poulets gras ou d'un jambon dodu.

Voyant cela, je ne fis qu'un saut jusqu'à mon logis où maître Pierre,
le fermier, venait tout justement d'apporter les provisions de la
semaine et, me saisissant d'une corbeille où s'élevait une montagne
d'œufs les plus blancs et les plus agréables à la vue qu'il m'ait
jamais été permis de contempler, je courus vers le théâtre où déjà les
chandelles s'allumaient et où la foule commençait d'entrer pendant
qu'un Scapin à la tête coupée d'une collerette bien large et bien
godronnée se démenait pour faire approcher les timides ou les indécis
en leur montrant de sa baguette tantôt le prix des places, tantôt
une guirlande de jambonneaux et de volailles, ou bien une grande cuve
dans laquelle les moins fortunés versaient les œufs qu'ils avaient
apportés, après quoi ils avaient le droit de passer sous la hallebarde
du portier et de se tenir bien sagement sur leurs pieds dans le
parterre.

Je m'avançai à mon tour et je me préparais à vider pieusement ma
corbeille dans cette cuve, quand, à un mouvement qui se fit au-dessus
de moi, je levai les yeux et je vis mon infante qui venait aider
Scapin à haranguer l'auditoire. Mon trouble fut si grand de me sentir
si près de cette beauté que, manquant d'un pied et butant de l'autre,
j'allai donner tout droit du nez dans l'offrande des œufs, devenue
dans l'instant une piscine où je nageais le plus galamment qu'il se
pût pendant que Scapin et la soubrette faisaient de grands éclats de
rire que répétait la foule, particulièrement réjouie d'un spectacle si
nouveau et qui lui coûtait si peu.

C'est par suite d'un accident si lamentable que de chevalier je devins
comédien, car, à quelque temps de là, ne pouvant plus supporter les
nargues que les polissons me faisaient dans les rues de la Châtre
en souvenir de mon aventure, je demandai au directeur de la troupe
errante de m'emmener avec lui pour remplacer le valet de comédie qui
avait été tué à Saumur par des étudiants parce que la pièce jouée, qui
était de Bergerac, faisait fureur et que le vin d'ailleurs était à très
bon marché.

C'est ainsi, et préoccupé uniquement de suivre les astres jumeaux
qu'étaient devenus pour moi les yeux de Zerbine, que je quittai le
collège et ma patrie un soir de printemps pour suivre les sentiers
ardus et charmants de Thalie.



II

PHARASMANE


L'Aurore, de ses doigts roses et mignards, entr'ouvrait les portes de
l'Orient d'une manière qui la rendait plus belle en son négligé, quand
le chariot de Thespis se mit en route, accompagné par le bruit des
roues graissées sans doute d'une huile assez pauvre et qui faisaient
une musique fort criarde et la plus propre du monde à réveiller les
morts en roulant sur le chemin du roi.

Sitôt que nous eûmes dépassé les remparts de la ville et que nous nous
vîmes au milieu des champs, chacun ne songea plus qu'à descendre du
coche et à donner à ses jambes un peu de liberté. Les galants du tripot
et les amateurs de spectacles qui se pavanent et s'élargissent dans des
fauteuils sur nos tréteaux auraient eu beau jeu de considérer, sous la
lumière rafraîchie du matin, les mines fraîches de nos comédiennes,
j'entends pour l'Angélique et pour la Cydalise, et pour Zerbinette
aussi, qui parut enfin entre les rideaux de la voiture comique, plus
vermeille à mes regards que ne l'avait été un moment auparavant la
fille du Titan et de la Terre écartant les courtines pourprées de son
lit de nuages. Dona Moralès, la duègne, ne frayait pas de la sorte
avec les premiers feux du jour, mais, coitement adossée à des coussins
fort douillets, elle se réjouissait en ce moment le cœur d'une aile
de poulet délicat et d'une tourte de pigeonneaux dont elle s'était
arrangée avec notre hôtesse, sans oublier de les mouiller d'un vin
un peu vert qu'elle prisait assez, sans que sa décrépitude en voulût
autrement à cette jeunesse.

Dans le même moment, Mirobolan qui faisait les fiers-à-bras dans les
pièces de M. Scarron, et le sieur de La Rapière, lequel figurait le
roi dans les tragédies de M. Hardy, nous rejoignirent montés sur deux
mules poussives qui ne balancèrent pas à s'arrêter sitôt qu'elles
eurent vu que les chevaux du chariot ne marchaient plus, de façon que
leurs maîtres furent contraints d'en descendre pour ne point faire
figure de statue équestre au milieu de la route. Mais, comme l'endroit
parut à tous fort net et garni d'arbres qui répandaient aux alentours
une ombre agréable, on trouva qu'il était le plus propre du monde à
faire collation et à passer dans cette occupation les heures chaudes du
jour.

Nous nous assîmes donc sur un tapis vert qu'un ruisseau parcourait en
se jouant avec un doux murmure, et nous commençâmes à nous entretenir
en mangeant d'une manière qui faisait bien voir que ce n'était point là
poulets de carton, ni pâtés de plâtre peint, mais bonnes, véritables et
solides victuailles, harnais de gueule et goinfrade point chimérique,
belle repue et non chair de théâtre. Comme nous étions ainsi occupés,
mon étonnement ne fut pas médiocre de voir, tout d'un coup, le sabot
d'un cheval se poser sur mon assiette d'étain, qui se trouvait vide
pour l'instant. Faisant aussitôt réflexion que ce mets d'un genre
nouveau n'était pas venu tout seul à cette place, et mettant à profit
les enseignements des philosophes qui nous engagent à rechercher les
causes des effets, je fis remonter mes regards d'abord le long d'une
jambe chevaline, forte et charnue, ensuite vers un ventre rond et poilu
de quadrupède, flanqué de deux bottes elles-mêmes garnies de deux
redoutables éperons, enfin jusqu'aux hauts-de-chausses, au pourpoint,
à la tête et au chapeau d'où ces bottes-là provenaient. Quand je fus
arrivé à ce sommet,—je veux dire la tête,—je vis que celui qui
mettait ainsi le pied de son coursier dans mon dîner était M. de
Lafontette, mon père.

En même temps j'entendis descendre par le même chemin les mots de
vaurien, de polisson, de pendard, de larron, de fils de mauvaise race,
et je connus à ce dernier trait que mes yeux ne m'avaient pas trompé.

Je sus plus tard que mon père ayant été informé de ma fuite avec la
troupe errante s'était incontinent mis à ma poursuite et que, passant
sur la route le long de laquelle nous avions fait notre établissement
et reconnaissant son fils parmi l'illustre compagnie, il avait pu
s'approcher de nous sans être entendu, grâce à l'herbe touffue qui,
poussant en ce lieu, étouffait le bruit des pas et à la ferveur de
notre appétit qui ne nous rendait attentifs qu'à nos morceaux. Pour
le moment, sa vue fut pour moi le coup de la foudre, et les comédiens
eux-mêmes parurent un peu émus quand ils ouïrent ce seigneur leur
reprocher de lui avoir ravi un fils unique, espoir de sa vieillesse et
promis à de plus nobles destins. Zerbine s'étant approchée avec cette
grâce piquante qui la faisait si belle, et lui ayant, par manière de
jeu, offert une coupe pleine de vin, parce que, disait-elle, il devait
s'être échauffé à force de parler, mon père repoussa de la main cette
coupe comme si elle eût été remplie de poison,—et véritablement
c'était celle qui servait au cinquième acte de _Rodogune_,—et,
prenant à partie cette soubrette, lui dit qu'il voyait bien que
c'était pour l'amour d'elle et de son minois fripon que son fils
s'était fait baladin et coureur de grand chemin, mais que cela sentait
les Madelonnettes pour le moins que de détourner ainsi les jeunes
gentilshommes de leur devoir.

Zerbine en entendant un propos si rude et si peu mérité puisqu'elle
se sentait à peine coupable de quelques œillades et encore plus par
coutume qu'autrement, fut dans la dernière confusion, mais elle se
préparait sans doute à répondre à mon père et à lui montrer son béjaune
quand les rideaux qui fermaient la voiture s'écartèrent et nous vîmes
apparaître la figure de la duègne, dona Moralès, qui jusqu'à présent
n'avait pas voulu sortir de son ombre, sans doute dans la crainte que
les rayons du soleil ne fissent tort à son teint de couperose et à sa
peau de parchemin.

A ce spectacle nouveau, M. de Lafontette demeura stupide, mais la
vieille, du haut de son chariot, l'ayant considéré un moment avec une
attention extrême, nous la vîmes descendre l'échelle et s'avancer vers
le père courroucé en répétant d'une voix que l'âge ou l'émotion rendait
tremblante:

—Pharasmane! Mon cher Pharasmane! Est-ce toi? Je te retrouve enfin!

S'entendre appeler tendrement Pharasmane et par une bouche édentée
quand on adresse à son fils les reproches d'un Wenceslas ou d'un don
Diègue, c'est une fortune malheureuse pour un père. Le mien le fit bien
voir, car il n'eut pas plus tôt aperçu cette Tisiphone—sans doute
autrefois Circé pour sa jeunesse—que, lâchant mon bras qu'il avait
saisi et reculant jusqu'à son cheval, il se mit promptement en selle et
piqua des deux, enfilant la venelle comme s'il eût eu les cent mille
diables d'enfer à ses trousses, pendant que Moralès, tendant vers lui
des bras décharnés, s'écriait, tant qu'elle pouvait, qu'elle voyait
bien qu'il était un ingrat et un perfide, puisqu'il fuyait une beauté
qui le recherchait depuis tant d'années à travers tous les chemins de
France et à laquelle il avait jadis donné sa foi!

—Voilà, monsieur, me dit Zerbine quand nous fûmes un peu remis de
cette alarme si chaude, comme en usent envers les femmes de théâtre
les hommes de votre condition. Je ne veux plus être assurée de vos
protestations d'amour que pour le jour où je serai aussi vieille et
aussi laide que Moralès.

—Hélas! belle Zerbine, autant m'ordonner de trépasser sur-le-champ,
puisque ce jour n'arrivera jamais pour vous!



III

LES SIX SOUS DE LA TOURTE


C'est dans la ville de Chinon, célèbre par la bonté de son vin et la
cruauté de son pavé, que m'arriva une aventure dont le succès fut tel
que, de valet de comédie et portier pour garder la porte pendant que
les autres se panadaient sur les tréteaux, je devins, en moins de rien,
l'orateur de la troupe où j'avais placé ma fortune ou son _gracioso_,
comme disent les Castillans.

J'avais donc été commis par le sieur de La Rapière pour veiller à ce
que personne ne passât devant ma hallebarde sans cracher au bassinet
et véritablement les affaires de notre illustre compagnie étaient en si
mauvais état que je n'aurais pas laissé Dieu le père entrer autrement
qu'en payant. Nous n'avions eu, depuis deux jours, que des ombres de
déjeuner capables seulement de sustenter des ombres, comme celles que
peint M. Scarron dans son _Virgile_, mais non des personnes humaines et
bien endentées, et nous avions décidé de jouer ou de mourir, malgré le
temps de froidure et de neige qui n'était point fait pour inciter les
gens à prendre le plaisir du spectacle et plus propre à faire réfléchir
sur les charmes du feu, du chaudeau et de la couette que sur les
emportements d'Hérode, dans la _Marianne_ de M. Hardy.

Je songeais au vide des choses de ce monde et surtout à celui de
mon estomac en considérant la place qui était devant le théâtre et
où le gel étendait des blancheurs figurant assez bien les sucreries
que Mme de Lafontette, ma mère, étalait sur des pâtisseries qui ne
me revenaient que trop en mémoire, quand je vis de loin, à la faveur
d'une torche de résine flambante, une table couverte d'un linge
fort propre et sur laquelle on avait disposé dans un bel ordre des
gâteaux qui auraient paru les plus appétissants du monde, même à un
homme moins affamé que moi. Ces tentations étaient défendues contre
les entreprises des fripons par la vigilance d'un gâte-sauces cerbère
commis à leur garde, comme je l'étais moi-même à celle du tripot
où la troupe se disposait à jouer _Wenceslas_ sous une température
appropriée à cette pièce polonaise. Je n'eus pas plutôt jeté la vue
sur cette table de proposition que mes regards n'eurent plus d'autre
objet que ces délectables gâteaux et mes pensées d'autre occupation
que de découvrir le moyen d'y tâter autrement que par la convoitise.
Je balançai longtemps si, par des discours ou peut-être par une tirade
empruntée à notre répertoire, je ne saurais attendrir le gâte-sauces et
le persuader de me donner au moins une de ces tourtes au godiveau dont
l'odeur arrivait jusqu'à moi avec une impertinence à ne pas supporter;
mais je fis réflexion que si ventre affamé ne possède point d'oreilles
et c'était le cas du mien, il ne devait guère avoir de langue non
plus et que mon éloquence n'aurait point d'effet; je songeai ensuite
à conquérir cette proie par la valeur de ma hallebarde et j'aurais
peut-être suivi ce sentiment qui sentait furieusement pour moi les
coups de bâton, si dans ce moment-là il ne s'était pas présenté devant
la porte du tripot un de ces cavaliers aux bottes sonnantes, dont
les moustaches longues et la rapière démesurée indiquent assez la
profession qui est de couper les oreilles pour le compte d'autrui et
les bourses pour leur sien propre.

Cet homme m'ayant demandé d'un ton fort rude si notre troupe allait
commencer bientôt la comédie, je l'assurai que les comédiens ne
pensaient à rien tant qu'à lever la toile, ce qui fit qu'il entra
aussitôt après m'avoir jeté à la figure le prix de sa place qui
était de six sous, ce gentilhomme se contentant d'être au parterre
et d'entendre la tragédie debout sur ses deux pieds comme un simple
croquant.

Mais je n'eus pas plutôt senti cette monnaie dans ma main qu'il me
sembla qu'il m'était poussé des ailes pour voler vers l'objet de mes
désirs et je compris soudain que le meilleur moyen de se procurer
une tourte était encore de la payer, jugement qui m'eût semblé
extraordinaire et audacieux une minute auparavant.

Laissant donc ma hallebarde posée en travers de la porte comme le
simulacre et la représentation de moi-même, je franchis avec une
merveilleuse légèreté l'espace qui me séparait du gâte-sauces et de ses
tourtes et lui jetant mes six sous—ou plutôt ceux du pandour—avec
une effronterie dont j'avais pu prendre l'exemple d'après moi-même,
je saisis enfin cette pâte délicieuse qui bientôt, tant je la pressai
amoureusement contre mes lèvres, mes dents et mon palais, ne fit plus
qu'une avec ma personne et devint ainsi, par une insigne métamorphose,
fille de gentilhomme et portière de comédie.

Mais à peine avais-je repris ma place à la porte et ressaisi ma
hallebarde avec une vigueur plus nourrie que j'entendis sortir du
parterre la plus gracieuse musique et les plus épouvantables jurements
qui aient jamais résonné dans un théâtre. C'était mon brave qui
apparemment, s'impatientant d'être tout seul et de ne voir point de
comédie, s'occupait, par manière de passe-temps, à rompre tout autour
de lui. Dans le même moment, je vis accourir le sieur de la Rapière,
directeur de la troupe, en robe de chambre et en bonnet de coton sur la
tête, me demandant pourquoi ce vacarme et si tous les diables d'enfer
étaient déchaînés dans le tripot.

—C'est, lui dis-je, un spectateur qui s'impatiente de ce que les
chandelles ne soient pas encore allumées et que l'on ne commence pas.

—Quoi! s'écria-t-il dans le dernier étonnement, il y a un spectateur?

—A telles enseignes que vous pouvez l'entendre d'ici et que le païen
blasphème comme s'il était certain qu'il n'y a point d'autre monde.

Le bruit cessa un petit peu, mais nous entendîmes des sifflements
horribles, comme si tous les serpents de la terre s'étaient réunis dans
la salle et y faisaient leur ramage. La Rapière jura:

—Il siffle déjà!

Je lui répondis que cet homme-là avait bien la mine de concourir au
dénouement des tragédies, mais à coups de pommes et de sifflets.

—Cela étant, commanda le directeur, va lui rendre ses six sous et
qu'il s'en aille, et dis-lui que le roi Wenceslas n'est point fait pour
des gueux de son espèce.

Je sentis à ces mots un frisson mortel me courir par les moelles, et
je souhaitai que le sol, en s'enfonçant sous moi, me dérobât à cette
péripétie.

—Va donc! cria la Rapière; fais sortir ce maraud et allons dormir;
aussi bien le lit nous tiendra lieu de dîner et de souper.

Rassemblant alors mon courage, je fis au sieur de la Rapière une
harangue lui démontrant par les arguments les plus forts et les preuves
les plus frappantes le tort considérable qu'il se ferait et à sa
troupe en ne donnant pas un spectacle qu'il avait fait annoncer à son
de trompe et à coups de caisse par toute la ville, lui faisant voir,
étendue sur sa tête, la vengeance des échevins desquels il avait obtenu
permission par grâce spéciale et qui s'indigneraient d'avoir été gabés
par un comédien; enfin, l'adjurant de ne point priver cette ville de la
fortune singulière et inouïe qui lui était échue en amenant dans ses
murs une compagnie aussi illustre que la sienne et surtout un acteur
tragique tel que lui, capable d'effacer les plus grands noms de l'hôtel
de Bourgogne ou du Petit-Bourbon.

A tous ces discours, il ne contredisait point, se contentant de répéter
d'un ton de désespoir.

—Mais pour un seul, mon enfant, pour un seul homme, jouer _Wenceslas_!

Cependant ma crainte d'avouer mon vol et la difficulté de rendre la
tourte étaient si fortes que je convainquis la Rapière et qu'après
avoir bien pesté il commanda qu'on allumât les chandelles et que l'on
se préparât à lever le drap sale qui servait de toile, ce qui fut fait
dans un instant.

Au même moment, des cavaliers et des dames qui remarquèrent les
lumières en sortant d'un souper se présentèrent à la porte, dans le
dessein de voir les nouveautés tragiques de Paris, et furent ensuite
suivis d'un si grand concours de monde qu'en rien de temps je vis la
salle et mon escarcelle pleines, et que nous eûmes pour des semaines de
quoi oublier nos jeûnes comiques.

Mais que pensez-vous qu'il arriva de l'auteur et de la cause d'un si
beau succès? De portier je devins régisseur, moucheur de chandelles,
souffleur et poète, et Zerbine regarda avec des yeux plus doux le fils
de Pharasmane à qui son teint fleuri et ses lèvres purpurines valurent
le nom de Bellefleur que j'ai toujours porté depuis.



IV

LA PEAU DU LION


Dès que je fus ainsi devenu comédien, on me donna un rôle qui marquait
assez l'importance que j'avais acquise dans la compagnie, car c'était
de jouer le personnage du lion qui rugit au quatrième acte de _Pyrame
et Thisbé_, et, par la vertu de ce cri, mettant en fuite ces parfaits
amants, concourt au dénouement de cette illustre tragédie.

Comme mon dernier succès m'avait gonflé un peu et porté aux visées
ambitieuses, je fis d'abord quelques difficultés pour accepter un rôle
qui est celui d'une bête cruelle et sauvage, parlant en une prose
fruste et silvestre, et qui d'ailleurs ne paraît point sur la scène,
demeurant inconnu du public derrière les portants du théâtre, mais
notre directeur de la Rapière me fit bien voir qu'il n'y avait rien
de si beau et qui convînt autant à mon caractère que de représenter
le roi des animaux, et que d'ailleurs j'avais signé entre ses mains
une promesse de tenir tous les emplois et que, m'obligeât-il à remplir
celui de duègne, j'y devais, comme pour être lion, donner les mains...
il voulait dire sans doute les pattes.

Mais je ne fus pas plus tôt en possession du rouleau de papier où
étaient marqués les endroits de mes répliques, que, prenant en exemple
ces acteurs fameux de l'hôtel de Bourgogne ou du Marais qui, d'un rôlet
imposé par la malice ou l'envie d'un camarade, savent tirer des effets
imposants et des triomphes inattendus, je résolus de m'appliquer si
bien à remplir mon personnage, qu'il n'y eût personne qui ne remarquât
ma manière de jouer comme le charme et l'éclat de ma voix.

Il y avait justement en ce moment, dans la ville de Chinon, un
bateleur qui faisait métier de montrer des bêtes, et qui menait avec
lui quantité d'animaux féroces tels que tigres, ours et léopards, et
même il possédait un vieux lion qui, ayant vieilli dans les foires
et connu l'humanité à travers les barreaux d'une cage, n'avait plus
trop de cruauté et se serait cru perverti de mettre la dent sur des
êtres qu'il prisait si peu. Je demandai à ce bateleur la grâce de me
laisser entretenir son captif et moyennant que je lui payai d'abord à
boire,—c'est à l'homme que je veux dire,—je pus librement parler à la
bête.

Elle n'aimait point les longs discours, et je craignis au commencement
qu'elle ne fût muette, ce qui pouvait passer pour d'autant plus
particulier que j'avais affaire à une femelle; mais je ne sais quelle
inspiration m'ayant porté à lui présenter un petit miroir à main que
j'avais coutume d'avoir dans ma poche pour rajuster mes boucles à
l'occasion, cette lionne n'eût pas plutôt aperçu sa propre image dans
le cristal qu'elle poussa un horrible cri, lequel, résonnant avec une
violence inaccoutumée, porta la terreur dans le voisinage et la joie
dans mon âme. Je le jugeai si naturel et si parfait que désespérant
d'arriver jamais à imiter ce qui était inimitable, je me résolus
incontinent d'amener cet acteur derrière la scène en le dissimulant
sous quelque tapis pour lui faire prendre la parole au moment qu'il
faudrait à la faveur de sa personne réfléchie. Ayant obtenu du bateleur
toute licence par le moyen de quelques flacons, j'emmenai par la
persuasion d'un quartier de viande et d'une bonne corde le meurtrier de
Pyrame au tripot dans lequel se tenait la tragédie. Personne ne nous
ayant vus, nous nous tînmes cois derrière la toile du fond jusqu'au
moment pathétique où la déplorable Babylonienne voit la figure affreuse
du lion à la place de celle de son amant; présentant alors brusquement
la glace au Néméen, j'obtins le plus furieux hurlement qui ait jamais
retenti dans les déserts de la Lybie, sur les rives de l'Euphrate ou
même dans un théâtre, tant que j'en demeurai moi-même un moment dans
l'épouvante.

Dès que j'eus repris mes sens, je me hâtai d'entraîner mon souffleur et
de le ramener chez le belluaire, pressé que j'étais de revenir parmi
les comédiens pour recevoir les compliments que ne pouvait manquer de
me valoir une imitation si parfaite de la nature.

Mais je fus dans la dernière confusion de m'entendre aigrement
reprocher par le directeur et par mes camarades d'avoir fait manquer
le plus bel effet par le défaut de force et de férocité de mon
rugissement; Thisbé glissa même que c'était une pièce que je lui avais
faite pour lui causer du dommage et M. de la Rapière jura qu'il avait
cru entendre le braiement d'un âne au lieu de la voix du roi des
animaux.

Je fus si transporté de rage en entendant les pauvretés de ces espèces
que je demeurai en silence comme autrefois, dans les enfers, Ulysse
à la vue d'Ajax et Didon en reconnaissant son perfide; mais, le
soir, ayant eu le soin de prendre chez mon hôtelier un grand pot de
grès plein de vin d'Anjou, quand le moment arriva où le lion devait
faire entendre sa voix, j'embouchai ce pot,—après l'avoir vidé
toutefois,—de telle manière que mon souffle aviné trouvant dans les
flancs de cette amphore une capacité restreinte et pourtant sonore,
produisit le plus épouvantable et le plus triomphant vacarme qui ait
été ouï à Chinon et peut-être ailleurs. Le ventre creux de la cruche
parut avoir reçu tous les mugissements d'Eole qui, tourbillonnant et
s'entrechoquant un moment dans cet étroit espace, s'échappèrent ensuite
tumultueusement par le goulot et portèrent l'étonnement sur la scène
et l'effroi dans la salle. On vit des maris s'enfuir en abandonnant
leurs femmes, ce qui n'a rien d'extraordinaire, mais en oubliant
leurs manteaux et leurs bonnets, ce qui est bien l'indice d'un esprit
troublé; des braves laissèrent l'épée au fourreau, des marchands
songèrent à la probité et des magistrats à la justice; une femme se tut!

J'éprouvai beaucoup de contentement d'un succès si prodigieux, en même
temps qu'un peu d'inquiétude sur les sentiments du sieur de la Rapière,
dont il me sembla qu'on rompait les bancs un peu plus fort qu'il
n'était coutume.

Comme je sortais dans la rue pour laisser éventer un peu les fumées de
cette gloire, je me trouvai mêlé à des gens qui fuyaient ou à d'autres
qui, plus posément, mais en maugréant tout haut, sortaient du théâtre
pour rentrer chez eux. Une dame qui passa près de moi, soutenue par le
bras d'un cavalier, se plaignait qu'on l'eût froissée et que son corps
de jupe eût été déchiré dans l'algarade et j'entendis son mari ou son
galant lui dire:

—Qu'il voyait bien que ce méchant baladin avait amené le lion du
montreur, ainsi qu'on l'avait dit, au risque de faire dévorer toute
l'assistance comme dans les jeux romains; mais puisque sa mignonne
en avait souffert, il ferait bien voir à cet histrion comment on
prend mesure avec un bâton sur un habit et que, pour la bête, il lui
casserait la tête d'une pistolade et qu'il ferait de sa peau un tapis
pour le lit de sa dame.

Je fus si outré de rage de ce que, quand le lion parlait pour moi, on
le mit à mon compte et que quand c'était moi-même on le mît au sien,
que, sortant de l'ombre et tirant mon épée, je m'écriai:

—Voici le baladin et la bête, seigneur croque-plumet, et pour la peau,
vous n'avez qu'à la venir prendre sans tant vous émouvoir la bile.

A ces mots et à cet aspect, le matamore parut plus pâle et plus
tremblant qu'un patient qui voit la roue ou qu'un débiteur qui
rencontre son créancier, et la dame, considérant son trouble et
jugeant par là mal de son courage en comparaison du mien, quitta son
bras et le laissa s'enfuir, acceptant ensuite que je lui donnasse la
main pour rentrer à sa demeure qui n'était pas fort éloignée.

Et ainsi, à quelques jours de là, elle eut, comme le lui avait promis
le cavalier, à sa disposition et convenance la dépouille et la
soumission d'un lion, sans qu'il fût besoin pour cela de lui casser la
tête, et l'on dit qu'elle en eut contentement extrême et satisfaction.



V

LE NABOT


Mon second début dans la carrière comique fut marqué d'un événement qui
d'abord aurait pu faire baisser la toile pour moi sur un dénouement un
peu précipité; mais la faveur du ciel fit éclater en cette conjoncture
la force efficiente de sa grâce.

En arrivant à Nevers, nous trouvâmes qu'il y avait beaucoup de noblesse
réunie dans cette ville parce que c'était le temps que les États
s'assemblaient et que M. l'Intendant avait demandé pour le roi un don
volontaire de trois millions. Comme cette volonté-là n'était pas celle
de tout le monde, il y avait eu un peu de bruit et l'on avait pendu
quelques croquants pour avoir fait les mutins. Mais cela ne faisait
pas qu'il y eût moins de divertissements, de repas et de danses, comme
si chacun eût dû être bien satisfait de faire un présent de si grande
conséquence à un si bon prince et qui en avait besoin pour ses amours
et le bien de l'État.

Nous ne fûmes pas plus tôt descendus à l'hôtellerie et nos coffres
n'étaient pas encore tout à fait déchargés du chariot qu'on vint nous
demander de jouer le soir même parce que Mme l'Intendante aimait
passionnément la comédie et qu'elle était bien aise de donner ce
divertissement-là à quelques personnes de qualité et peut-être par
là d'occuper les esprits des députés qui, attentifs aux désastres de
Sophonisbe ou de Polyeucte, le seraient moins à celui de leur bourse
qu'on voulait mettre à mal et qui était la seule raison pourquoi on les
avait réunis.

Nous fûmes à ce coup dans la plus grande confusion du monde, parce que
le sieur Mirobolan, qui faisait chez nous les matamores et les héros,
personnages qui ont entre eux de la ressemblance à la ville comme au
théâtre, s'était vu retenir à Chinon par une petite difficulté qui
était que les archers de la maréchaussée avaient eu l'indiscrétion
d'ouvrir son porte-manteau et l'indignité d'y trouver quelques larcins
par lesquels ce tranche-montagne avait signalé son industrie. De
jouer l'_Illusion comique_ de M. Corneille sans capitan gascon ou le
_Penthee_ de M. Mairet sans roi de théâtre, il n'y avait pas jour d'y
songer, encore que M. de la Rapière protestât qu'il avait représenté
une tragédie à lui tout seul et qu'il fallait être de grands sots pour
s'arrêter à si peu que cela.

Du temps que j'étais écolier, j'avais lu avec tant de furie la comédie
de M. Scarron qui est appelée _Don Japhet_, que j'en savais par cœur
tous les rôles et que j'aurais pu en tenir tous les personnages, depuis
Léonore jusqu'à Foucaral; mais j'avais surtout étudié en perfection
celui de cet extravagant et burlesque _Cacique des fous_, seigneur
d'Arménie par la descendance de Noé et cousin de l'empereur par la
parenté qu'ont ensemble, à ce qu'assure Démocrite, la marotte et le
sceptre. Je dis à notre directeur que c'était une affaire finie et
qu'il pouvait faire état de moi pourvu que nous ayons une heure pour
nous recorder. Il parut d'abord confondu de mon audace, mais je lui fis
bien voir par l'enflure de mon débit et l'extravagance de mes gestes
que j'aurais pu faire la partie avec les plus fameux comédiens de
l'hôtel de Bourgogne, et là-dessus il se résolut de donner le soir même
la pièce de M. Scarron, telle qu'elle fut représentée devant le roi sur
le théâtre de la grande salle des machines aux Tuileries, mais sans
cavalcade à la fin, parce que nous n'avions pas les moyens de louer un
si grand nombre de chevaux.

Me voilà donc drapé dans le manteau de don Japhet et me panadant sur
les tréteaux au milieu des fauteuils des seigneurs qui faisaient
parfois plus de bruit que nous en ouvrant leurs tabatières, frappant de
leurs cannes ou simplement s'appelant au travers de la scène. C'était
une comédie qui brochait sur l'autre et le parterre ne témoignait pas
qu'elle lui déplût, mais au contraire se divertissait parfaitement sur
le compte de ces petits-maîtres, en criant tout haut leurs noms, leurs
dettes et les maîtresses qu'ils avaient ou qu'ils se donnaient.

Il y avait au premier rang un gentilhomme nommé Le Tourneur de
Beaupréau qui se trouvait être l'ami de celui avec lequel j'avais si
bien figuré le lion dans la ville de Chinon. Ce M. de Beaupréau était
si mal fait qu'il aurait paru impossible de ne pas rire en considérant
sa grosse tête et son petit corps, si l'on n'avait su qu'il était
aussi méchant et aussi bon spadassin qu'il paraissait laid, ce qui
rendait les railleurs fort circonspects. Ma mauvaise étoile voulut que
ce brutal fût très ignorant des choses du théâtre ou que son esprit
brouillé de vin au sortir de table ne démêlât pas bien le vrai du faux,
car au plus beau moment et quand don Japhet exerçant, comme il dit, sa
vertu carminante, chante:

    Amour, nabot.....

cet enragé, déjà prévenu contre moi par les discours ou les lettres de
l'autre et persuadé que j'avais voulu lui faire pièce et le désigner
aux ris de la foule, prit si bien ses mesures que sa longue canne
ajustée entre mes jambes me fit tomber en même temps qu'un hémistiche
et que j'aurais piqué du nez par-dessus les chandelles sans don
Alphonse qui me retint. Cela fit une grande rumeur dans le tripot et la
pièce s'acheva dans un chaos de gens qui criaient, qui s'injuriaient ou
qui battaient des mains.

Dès que j'eus débarbouillé ma figure du blanc et du rouge dont j'étais
affublé, je fis diligence pour sortir dans la rue où j'avais dessein
d'attendre M. de Beaupréau et de lui demander satisfaction pour
l'injure qu'il m'avait faite. J'étais si transporté de rage d'avoir
été interrompu au plus bel endroit que je ne songeai pas un instant au
danger de me mesurer avec un escrimeur aussi habile et que, l'ayant
suivi adroitement jusqu'à ce qu'il fût démêlé de la foule, je l'abordai
en tirant l'épée et en lui criant de défendre sa vie que j'allais lui
prendre en récompense de l'honneur qu'il m'avait ravi.

Mais, cet homme, me considérant d'un air froid des pieds à la tête,
m'assura fort posément:

—Qu'il jugeait que j'avais besoin de quelques grains d'ellébore et
qu'il fallait que je fusse bien fou d'imaginer que M. Le Tourneur de
Beaupréau, baron d'Hornans, accepterait le combat singulier avec un
histrion.

J'avais prévu le détour et j'avais pris soin d'emporter la feuille
que le receveur des aides m'avait donnée autrefois et qui prouvait ma
qualité de noble en m'exemptant de la taille; sortant donc ce brevet
d'entre les aiguillettes de mon pourpoint, je le tendis en silence à
ce nouveau juge d'armes qui, l'ayant lu avec beaucoup de soin, me le
rendit en faisant un grand salut et en disant:

—Cela étant, Monsieur, et puisque je vois bien que vous êtes
gentilhomme, je vais avoir l'honneur de vous tuer.

—Monsieur, lui répondis-je, l'honneur sera pour moi.

Dans l'instant, nous nous abordâmes avec une furie si grande et si peu
calculée que mon épée passa par-dessus la tête du nain pendant que la
sienne me glissait entre les jambes, de sorte que massacrant l'air tous
deux nous tombâmes pêle-mêle dans le plus triomphant désordre qui ait
jamais troublé un duel d'honnêtes gens.

En ce moment des flambeaux s'allumèrent au bout de la ruelle où nous
nous trouvions et dès que nous eûmes vu luire des armes et flotter des
plumets, nous connûmes que c'était Mme l'Intendante qui rentrait de
faire le médianoche et qu'il y allait de notre tête à dégainer ainsi
malgré les Édits.

Nous étant donc relevés d'une commune sympathie, chacun de nous ne
songea plus qu'à s'enfuir.



VI

LE PHILTRE


Le récit de mon combat contre M. Le Tourneur ne se fut pas plus tôt
publié par la ville avec des circonstances nouvelles et qu'on inventa,
que la curiosité de voir un comédien gentilhomme, ce qui n'était
pas alors aussi commun qu'aujourd'hui, fit affluer une si grande
multitude dans le Tripot où nous donnions nos représentations, qu'il
y eut un portier de tué par la presse, ce qui est la mesure et comme
l'expression la plus parfaite du triomphe et de la gloire pour une
troupe comique.

Devant que les chandelles fussent allumées on se battait déjà autour
de cette même hallebarde que j'avais autrefois tenue dans le désert;
et pour la chambre des comédiennes, elle était pleine des plus
échauffés godelureaux de la ville qui attendaient là d'aller bien
gêner le spectacle avec leurs fauteuils, leurs cannes, leurs canons
et leurs perruques, en encombrant déjà de leurs propos et de leurs
gestes, Zerbine, Doralice et jusqu'à l'Angélique occupées à ranger
leurs hardes, à tourner leurs cheveux et contraintes avec cela de se
défendre, qui du peigne, qui du pied, qui d'un soufflet, qui de la
dent, contre les entreprises de ces galants de province.

Il n'y en n'avait pas un qui n'eût bien fait la débauche avec Saint
Aignan ou Soyecourt, qui n'eût dit son fait à Saint Evremond ou perdu
un bon ami dans Voiture. Il semblait que tous ces gens-là fussent venus
en droiture de la cour et qu'il sortissent du petit lever. Cependant
aucun d'eux, je pense, n'avait essayé le voyage de Paris et s'ils
parlaient de ces choses, c'était comme on le fait pour le Prêtre-Jean
ou l'Empereur du Cathay, par ouï dire ou pour les avoir étudiés dans
des livres d'auteurs qui souvent eux-mêmes n'ont jamais vu l'évêque
d'Éthiopie, ni le souverain de la Chine.

Un petit homme, qui me parut assez bien fait et qui se nommait
Roquebrune du nom d'une terre qu'il avait à quelques lieues de Chinon,
me tira à part après la comédie et me dit qu'il voulait me bien traiter
pour la considération et l'estime particulière qu'il avait conçues
à mon endroit; et véritablement, m'ayant mené dans la meilleure
hôtellerie de la ville, il commanda que l'on servît des perdrix
et un chapon avec force bouteilles, de sorte que nous commençâmes
insensiblement à nous entretenir plus librement et qu'à la fin, ayant
pris courage dans la bonne chère, il me proposa de boire à la santé des
comédiennes; ce qu'il fit, tête nue, et avec un si grand transport que
les flacons et les verres en tremblèrent et que la servante accourut.

L'ayant congédiée assez brutalement le sieur de Roquebrune me fit
entendre que son cœur était touché des grâces de Zerbine, qu'il
était blessé à mort et que c'était une affaire faite, qu'il n'y avait
plus pour lui qu'à dire serviteur à l'existence s'il n'était mis en
possession de cette merveille.

Un tel discours s'adressant à moi pour qui Zerbine était aussi chère
qu'elle était sage, pensa attirer sur la face du vaurien une grêle de
soufflets bien appliqués; mais faisant réflexion que c'était assez
d'une querelle tous les deux jours, je retins ma juste fureur et lui
répondis que je croyais que cette soubrette était honnête fille, et
que le plus sûr pour lui était de se pendre d'abord si vraiment il ne
pouvait supporter la vie sans elle.

Là-dessus, ayant pris un maintien mystérieux et compassé, ce sacripant
me confia qu'il savait d'ailleurs que cette fille avait de la vertu
et que les galants près d'elle ne faisaient que blanchir, mais qu'il
avait acquis d'un certain marchand d'orviétan, lequel passait pour très
expert dans l'art de magie, un philtre composé de plantes si subtiles
et choisies de telle manière, qu'une vestale elle-même serait enflammée
d'amour après avoir goûté à ce breuvage et qu'il avait jeté les yeux
sur moi pour mêler adroitement cette drogue au vin de Zerbine et par ce
moyen la mettre à sa discrétion.

Retenant encore ma fureur en présence d'un si lâche et si méchant
dessein, je lui observai posément que le suc de ces herbes pouvait
fort bien donner la mort aussi bien que l'amour, et qu'il y avait
conscience pour lui à en courir la fortune avec une personne qu'il
aimait; que le plus sûr était d'en faire prendre à quelqu'un qui ne
fût pas de conséquence et d'attendre le succès; que cette servante qui
avait dressé notre table et porté nos plats paraissait la plus propre
du monde à cela, et qu'il n'y avait qu'à l'appeler et à lui faire boire
cette potion amoureuse pour voir l'effet. L'idée plut au sieur de
Roquebrune qui, versant quelques gouttes d'une fiole dans le fond d'une
tasse qu'il remplit ensuite de vin, dit à cette maritorne d'un ton
fort doux, qu'il voyait bien qu'elle était lasse et qu'il lui fallait
prendre des forces pour satisfaire son maître. Cette pauvre créature,
touchée d'un discours si nouveau et d'une honnêteté qu'on n'avait pas
trop accoutumé d'avoir pour elle, fit de grands remerciements et avala
la boisson d'un air de contentement extrême. C'était la plus laide
guenon qui se put voir, avec des cheveux mêlés de paille, un emplâtre
sur l'œil et le nez tourné d'une façon à recevoir la pluie; pour
des dents, elle montrait assez qu'elle en avait, car il sortait de
sa bouche des perles de jais d'un si beau noir qu'elles auraient pu
servir à broder un habit de deuil.

Cette beauté n'eut pas plus tôt bu de ce vin que, soit qu'elle eût cru
voir dans cette sollicitude de Roquebrune la marque d'une passion qui
se déclare, soit qu'effectivement le vendeur de mithridate eut composé
un philtre véritable et de bon aloi, la pauvre guenon se mit à faire
à son empoisonneur des caresses et des protestations d'amour, telles
que nous en demeurâmes un moment dans la dernière consternation. Du
seul œil qu'elle possédât, elle roulait des œillades assassines qui
devaient transpercer les cœurs, et ses lèvres faisant les friponnes
sur les chevaux de frise de ses dents, dessinaient les mines les
plus galantes du monde. Avec cela, et non satisfaite de ces muets
truchements, elle y ajoutait les discours les plus tendres et les plus
passionnés, auprès desquels ceux de l'Astrée eussent paru pétris de
glace et languissants.

Notre homme, maudissant le prompt succès de son spécifique sortit,
comme s'il eût eu Tisiphone à ses trousses; mais la belle éplorée
s'attachant à ses pas commença de le poursuivre à travers les rues, en
l'appelant avec des cris si déchirants que le guet s'éveilla et que le
veilleur de la cathédrale, encore un peu hébété sans doute du vin qu'il
avait bu à son souper, se mit à sonner le tocsin comme au temps des
Espagnols.

Les fenêtres des bourgeois s'ouvraient sur le passage de cette fuite
hurlante, et les rues s'allumèrent de flambeaux tenus par les archers
sortis en chemise; si bien que ce tendre pourchas se continuant à la
lumière des torches, toute la ville put voir le sieur de Roquebrune
mené comme un cerf par cette amazone.

—Fi du vilain qui fuit devant sa mignonne!

—Voyez comme cet ingrat ne s'arrête pas, quand elle l'appelle du nom
de trésor!

—Il faut que cet excommunié soit bien dépourvu de sentiment pour ne
point répondre quand une femme lui montre une tendresse à la vérité
indiscrète, mais bien véritable.

Au milieu de ces propos et parmi ces lumières, Roquebrune fuyait
toujours, ayant cette ménade à ses chausses.

Il doit courir encore, car on ne le revit jamais à Chinon.



VII

L'INJUSTE TRÉPAS


A mesure que je suivais la troupe comique où m'avaient engagé les yeux
de la soubrette, j'éprouvais insensiblement un sentiment qui devenait
plus pur à mesure qu'il était plus vif pour cette jeune personne, parce
que je remarquai que, malgré son humeur enjouée et libre, elle avait
de la vertu et montrait autant d'honnêteté sur les planches qu'une
demoiselle de condition sous l'aile de sa mère ou à l'ombre de quelque
cloître.

Comme je venais de jouer dans le _Dépit amoureux_, et que je me
hâtais de passer derrière le théâtre pour déposer ma souquenille de
Gros-René, j'entrai un soir dans la chambre des comédiennes, qui était
pleine des plus impertinents fâcheux de la ville, et je vis Zerbine
tout habillée sur son lit et tenant une manière d'appartement, comme
auraient dit les courtisans de Versailles, et tellement entourée par
ces provinciaux, grands parleurs, qu'elle semblait disparaître parmi
cette cohue et s'évanouir au milieu de ce tumulte.

Zerbine avait l'art de tenir à distance ceux qui se montraient trop
empressés en paroles et en action, sans cependant les refroidir et
les mortifier par un accueil incivil et brutal; je fus cependant si
transporté de fureur à cette vue, que je balançai un moment si je
mettrais l'épée à la main pour dissiper cette canaille et demeurer seul
maître du terrain. Zerbine qui, dès mon entrée, avait jeté les yeux sur
moi et m'avait fait connaître par ses regards qu'elle était contente de
me voir, n'eut pas de peine à démêler les mouvements qui m'agitaient
et, m'ayant commandé par signes de m'approcher, elle sut m'interroger
avec une si aimable vivacité sur le personnage que je venais de faire
et la manière dont je m'y étais pris pour en rendre le caractère, que
les fâcheux cajoleurs, enragés de voir qu'elle prêtait plus d'intérêt
aux discours d'un comédien qu'à toutes leurs fades protestations, s'en
furent les uns après les autres, pensant la laisser bien quinaude de
leur subit abandon; de sorte qu'en moins de rien, par l'artifice et
le manège vertueux de cette fille d'esprit, je demeurai seul et sans
bagarre en une place que j'avais été tenté de conquérir en bravant les
édits du roi.

J'étais cependant si échauffé par cette vision de mon imagination
jalouse, que j'en pris sujet pour déclarer à Zerbine la violence et
l'ardeur d'une passion que je ne lui avais, jusque-là, laissé connaître
que par mes regards et mes soupirs.

Je dis à cette charmante fille que j'étais résolu de la soustraire à la
vie comique, pour laquelle on voyait bien qu'elle n'était point née,
et que pour peu qu'elle ne sentît pas d'éloignement à mon endroit,
j'avais dessein de l'enlever à cette troupe où je savais que le sieur
de la Rapière, le directeur, faisait état d'un certain contrat pour
la retenir, et que je la conduirais au château de Lafontette, où nous
nous marierions devant le chapelain. J'entendais par ces deux termes,
la maison de mes parents et le curé du lieu, mais quelques fumées
d'ambition qui me venaient plus de mon grand'père, le bourgeois, que de
mon père, l'anobli, m'obligeaient parfois à grandir les choses ou les
personnes qui avaient rapport à ma seigneurie.

Zerbinette voyant que j'en usais de la sorte avec elle, et touchée d'un
langage qu'elle n'avait pas été trop accoutumée à entendre, m'avoua,
avec une merveilleuse rougeur, que, loin de demeurer indifférente
à l'attachement que je faisais paraître pour elle, elle pouvait me
confesser, parce qu'elle voyait l'honnêteté de mes vues, que ses
sentiments étaient d'accord avec les miens et qu'il n'y avait rien
qu'elle eût tant à cœur que de quitter la compagnie des comédiens, et
de me suivre où je voudrais.

Nous convînmes aussitôt que je ferais l'acquisition, pour elle, d'un
habit de cavalier, que nous jugeâmes mieux fait qu'un ajustement
féminin pour une entreprise un peu aventureuse de fuite et, m'étant
rendu chez un fripier qui logeait proche notre hôtellerie, je m'y
procurai un vêtement complet, d'un drap encore fort propre, avec le
manteau et l'épée, dont je fis un paquet que je portai au tripot des
comédiens, sous couleur de me faire brave, pour jouer le personnage de
Dorante, du _Menteur_, que j'étudiais dans le moment.

Je donnai à Zerbine un chapeau qu'on était accoutumé de me voir porter
à la ville et qui était remarquable par une plume d'une longueur
prodigieuse. Comme la belle enlevée était à peu près de ma taille et
qu'elle pouvait suppléer à ce qui en manquait par ses chaussures à
hauts patins, j'avais imaginé ce stratagème de lui faire imiter mon
allure et mon apparence, tandis que je la suivrais sous la livrée d'un
certain grison que j'avais depuis peu et dont je contrefis heureusement
la trogne par le moyen d'un nez de carton que je m'appliquai sur la
figure.

Étant ainsi équipés, nous sortîmes tous deux, Zerbine agitant les
bras et tendant le pied de la façon qu'elle m'avait vu faire et moi
par derrière avec les mines d'un garçon un peu pris de vin, comme il
n'arrivait qu'un peu trop souvent à mon maraud de laquais.

Je voulais aller à la maison de poste et y attendre le jour, qui venait
vite en ce moment, pour prendre des chevaux et gagner pied, laissant
nos hardes en butin à nos camarades; et le projet, qui n'était pas trop
mal machiné, eût sans doute eu le succès que j'attendais si le destin
n'avait conduit nos pas devant certain cabaret où l'on menait grand
bruit et d'où sortaient précisément deux gentilshommes qui me parurent
assez échauffés par les grands coups qu'ils avaient bus. L'un d'eux,
apercevant Zerbine, à la faveur d'une torche portée par un valet qui
le suivait, et trompé par les airs qu'elle copiait trop exactement,
s'approcha d'elle en jurant et en disant que c'était là ce faquin de
Bellefleur, cet histrion qui, l'autre jour, l'avait désigné sur la
scène aux rires du public en contrefaisant ses façons et ses discours,
et qu'il allait lui faire voir comment un hobereau—puisque c'était
ainsi qu'on l'avait nommé—savait tirer vengeance d'un bateleur.

En disant ces mots, M. Le Tourneur de Beaupréau tira sa rapière et
j'allais me précipiter pour détourner sur moi les effets de sa colère,
mais je me sentis soudain arrêté par les mains de l'autre gentilhomme
et du porteur de torche qui s'écrièrent que le serviteur n'avait pas
besoin de se mêler à la querelle du maître et, comme je me débattais
en protestant que j'étais Bellefleur, ils m'enfoncèrent dans la bouche
un baillon si rude qu'il me cassa deux dents, pendant que, d'autre
part, ils me maintenaient d'une courroie, de manière qu'il ne me resta
plus que mes yeux pour voir et mon âme pour déplorer le malheur funeste
qui leur fut offert.

Je vis l'offenseur s'approcher de Zerbine et, lui serrant fortement
la main par défi, lui dire à l'oreille quelques mots qui la firent
se redresser et me jeter, de côté, un coup d'œil perçant dont je ne
démêlais pas bien l'expression. Aussitôt, faisant un pas en arrière,
elle mit son épée à la main et, dans cet instant, le forcené la
chargeant avec la dernière furie, nous ne distinguâmes plus qu'un
mouvement confus de lames et de corps, sous les fumeuses clartés du
résineux flambeau, jusqu'à ce que ma chère beauté, laissant tomber son
arme, fit un grand soupir et s'affaissât sur les genoux.

Les autres, voyant cela, se mirent en devoir de fuir, non sans avoir eu
la charité de me délier, et je pus courir jusqu'à la blessée qui gisait
tout de son long sur le pavé.

Elle avait un grand coup d'épée tout au travers du corps et mon
désespoir fut extrême en reconnaissant, à des signes certains, qu'elle
était sur le point d'expirer. Cependant mes soins et les larmes dont
j'arrosais son visage la firent revenir à elle et ouvrir un instant
les yeux. Repoussant alors mes embrassements, elle me dit d'une voix
gémissante:

—Qu'elle était bien heureuse de mourir à la place d'un infidèle comme
moi et pour détourner le coup fatal qui lui était destiné.

Comme je n'entendais pas ce discours que je crus dicté par l'égarement
de la fièvre, elle ajouta avec plus de force encore:

—Cet homme, avant de m'attaquer, m'a dit, croyant que j'étais vous,
que ce n'était point par vengeance de l'avoir moqué qu'il en voulait
à votre vie, mais pour l'amour de cette dame que son ami aimait et
avec laquelle vous aviez eu dernièrement commerce. J'ai bien vu que ce
discours me causait plus de peine qu'il n'était nécessaire et, dans ce
moment, sentant que je ne pourrais ni vous pardonner cette injure ni
cesser de vous aimer, j'ai résolu de le laisser dans cette erreur qui,
d'ailleurs, vous sauvait de sa furie, et de ne défendre pas une vie qui
n'avait plus de charme pour moi puisqu'elle ne s'emploierait plus à
vous estimer uniquement. Je sens, au contraire, quelque douceur à la
perdre, en songeant que mon sang répandu empêche le vôtre de couler et
que je puis vous témoigner par là un amour que l'honnêteté ne m'avait
pas permis de vous laisser connaître dans sa force et sa grandeur.

Elle allait continuer de me parler et de me sourire, mais, se soulevant
tout d'un coup comme pour chercher encore la lumière ou le souffle,
Zerbine fit un petit cri, faible comme celui d'un oiseau ou d'un
enfant, et, dans ce moment elle rendit l'esprit.

Inconsolable d'avoir eu trop de part au coup fatal qui tranchait si
inhumainement le fil de ces jours délicieux, je fis rendre à Zerbine
les honneurs funèbres qui étaient dus à sa vertu et, disant adieu pour
jamais au sieur de la Rapière et à sa troupe, je m'éloignai de ces
lieux dont je ne pouvais plus souffrir ni détester la vue.

Je résolus de me rendre à Paris qui m'apparaissait comme le lieu
du monde le plus propre à faire éclater mon génie, et laissant
définitivement aux mains du sieur la Rapière le maigre butin de mon
coffre et de mes hardes, je me crus sage de m'en tenir comme un
philosophe de l'antiquité à ce que je portais avec moi, j'entends
une assez longue trousse de cuir qui contenait plus d'écus que de
louis, mais que je jugeai pourtant assez lourde pour m'aider à faire
légèrement le voyage.



VIII

L'OPINION DE CORNEILLE


Sitôt que je fus à Paris, j'employai ces quelques pistoles que j'avais
à me nipper comme un cavalier, car cette ville est celle du monde où
il faut le mieux savoir paraître et rien n'est mauvais dans ce pays-là
pour l'estomac que de n'avoir pas dessus bien des dentelles et des
rubans. Pour ce qui est du dedans, c'est affaire à Dieu et à vous et
tel qui mâche un cure-dent d'un air fier n'a souvent pas plus rompu le
jeûne qu'un bernardin, j'entends de ceux qui observent le carême ou qui
ont envie de devenir prieurs. Comme j'avais résolu de m'habiller en
gentilhomme à la manière des comédiens de la capitale, je pris sur mon
avarice licence de faire venir un fripier que mon hôte me donna pour
honnête homme et qui effectivement me protesta qu'il aimerait mieux
trépasser aussitôt que de surfaire d'un écu, d'où je conjecturai par la
suite qu'il était bon chrétien et bien préparé à la mort.

Je choisis un habit galonné, un chapeau brodé avec un beau point
d'esprit, un baudrier doré et une épée, des bas de soie et des gants
de senteur. Toute cette friperie venait d'un traitant qui avait voulu
faire l'homme de qualité et qui était redevenu commis par le conseil
de son boulanger. Quand je fus équipé de la sorte, c'est-à-dire comme
un grand seigneur ou comme un comédien, je sortis pour aller promener
mon bel air dans les galeries du Palais-Royal qui sont un endroit
merveilleux par la quantité du monde qui s'y assemble et l'éclat que
chacun y fait paraître.

Je vis là des marchands qui vendaient de bons collets d'ouvrage et
d'autres de méchants livres, je vis des laquais qui couraient après
leurs maîtres et des maîtres qui couraient après la fortune, je
vis des femmes jeunes qui étaient trop fardées et des vieilles qui
ne l'étaient pas assez, je vis, en un mot, ce que la foule offre de
meilleur et de pire et, comme il y avait apparence que le pire était en
proportion plus grande, je jugeai que je me trouvai au centre et quasi
dans l'ombilic d'une grande cité et d'un grand peuple.

Cependant je n'oubliais pas une profession qui m'était chère et que je
tenais pour la plus belle du monde et, comme il faut toujours que nous
jouions la comédie ou que nous la voyions jouer aux autres, mon premier
soin fut de me rendre vers la rue Mauconseil où il y avait déjà une
grande foule, parce qu'on devait donner ce soir-là la tragi-comédie du
_Cid_ de M. de Corneille et qu'il y avait toujours un grand concours de
public pour les ouvrages de cet auteur-là.

Mais que devins-je quand j'entrai dans cette salle d'une ordonnance
magnifique, entourée d'un rang triple de loges richement tapissées
d'étoffes, les unes ouvertes, les autres grillées de barreaux!
J'admirais ce grand vaisseau de bois peint et doré éclairé par une
brillante roue de chandelles d'une manière qui ne peut être surpassée;
je considérais cette assistance si différente de celle qui remplissait
les granges ou les tripots de paume où j'avais paru jusqu'alors;
j'étais confondu d'admiration et plein de respect pour mon petit écu à
qui j'étais redevable de si belles choses.

Je passai d'abord entre deux files d'archers qui se tenaient devant
la porte et qui me firent souvenir, pour en rire, de notre portier
de province avec sa hallebarde et ses moustaches. J'aperçus alors le
comédien qui était ce soir-là de semaine à la porte de la comédie et
qui paraissait comme une enseigne parlante de la pièce qu'on allait
représenter. Cet homme figurait d'ailleurs assez bien par sa stature
la forme d'un sac avec deux bras, et par sa face, celle d'une meule
avec deux oreilles; de sorte que l'on pouvait douter lequel de ces
deux attributs du meunier était l'un sur l'autre ou l'autre sur l'un.
De temps en temps, tout en haranguant l'assemblée et en célébrant
le mérite du poème et le sublime des acteurs, il montrait au suisse
quelque clerc ou quelque écolier qui s'efforçait d'entrer sans cracher
au bassinet, et j'observai que ce n'était point comme dans nos
campagnes des œufs, des poulets ou quelque jambon dodu qui servaient
à livrer passage, mais de bonnes livres ou tout au moins des sous bien
sonnants; ce qui ne fit qu'augmenter ma vénération pour l'illustre
compagnie et pour ce gros comédien, Montfleury, qui la faisait éclater
là dans toute sa gloire.

Malgré mon habit de gentilhomme, mon épée, ma canne et mes canons
godronnés, je ne songeai point à me faufiler parmi les seigneurs qui
étaient assis dans des fauteuils sur la scène, mais m'étant glissé dans
une loge fort obscure, je fus satisfait de n'y trouver qu'un homme
qui m'aurait paru de condition si son extérieur n'eût été négligé à
l'extrême. A la lueur des chandelles, il me montra un visage assez
agréable et des yeux pleins de feu; il me rendit mon salut avec une
certaine et fière grâce dont je sentis aussitôt tout le prix.

On commença de jouer l'admirable poème qui a mérité d'être mis en
balance avec les ouvrages des anciens, et le public aussitôt témoigna
par son silence et son attention qu'il entrait dans les sentiments
que cet esprit magnanime a prêté à ses héros. Même les seigneurs qui
étaient sur la scène cessèrent un moment de tourmenter leurs cannes et
de tourner leurs boucles.

Pendant les entractes, je liai conversation avec mon voisin et, tout
transporté encore de ce que je venais d'entendre, je lui exprimai
ce que me dictait le démon qui s'était emparé de moi en écoutant
ces vers. L'inconnu, secouant la tête, me dit qu'il voyait bien que
j'avais du goût pour le sublime, mais que cette tragi-comédie offrait
bien des licences qui pouvaient nuire à la beauté de l'ouvrage; que,
premièrement, l'auteur avait placé son sujet dans une époque barbare au
lieu de choisir, comme il convient, le temps des Romains et des Grecs,
qui est plus propre que tous les autres à faire éclater les grands
sentiments; que le principe des unités n'était pas trop bien observé et
qu'Aristote trouverait à reprendre à une action dont la durée dépasse
évidemment les vingt-quatre heures, quelque soin que l'auteur ait pris
pour s'efforcer de l'y resserrer; que l'unité de lieu n'est pas non
plus telle qu'elle doit paraître pour s'accommoder à la sévérité de la
règle, puisque le lieu particulier change de scène en scène, et tantôt
c'est le palais du roi, tantôt l'appartement de l'infante, ou la maison
de Chimène, ou une rue.

Il parlait lentement et comme à regret, et même sa prononciation
n'était pas tout à fait nette, de manière que sa pensée semblait plus
gênée que servie par sa langue; mais il me vint à l'esprit que dans
l'obscurité où nous étions, et avec un inconnu, cet homme goûtait un
plaisir qu'il ne se donnait pas à l'ordinaire, de laisser paraître son
sentiment sur ces matières.

Après la comédie et après avoir un peu attendu que la foule sortît,
nous nous levâmes ensemble, et comme nous traversions les couloirs,
je remarquai que les gens du théâtre, jusqu'aux valets des comédiens
et aux moucheurs de chandelles, saluaient bien civilement l'homme que
j'accompagnais, encore qu'il reçût d'une manière assez brusque ces
honnêtetés. J'en conclus qu'il était de ces gros marchands qui ont
accoutumé de fournir aux comédiens les étoffes, les cires ou autres
objets nécessaires à l'exercice de notre profession et qui sont
d'autant plus vénérés dans un théâtre que le directeur leur doit plus
d'argent. A en juger par les honneurs qu'on lui rendait, mon voisin de
loge devait avoir de quoi prendre sentence contre tout le chariot de
Thespis.

Quand nous fûmes dehors, il me serra fortement la main et me dit:

—Ah Monsieur, ces règles sont une considérable incommodité dans
la tragédie, et tel qui s'y conforme aujourd'hui verra par cette
observation même le plus beau de son génie glacé et comme garrotté
entre des liens indestructibles. L'auteur espagnol n'est pas si dominé
par une loi absolue, et l'on dit que les Anglais ont pu s'en affranchir
ou qu'ils n'y furent jamais soumis. Cependant, monsieur, le goût du
public et l'opinion des lettrés est pour cet esclavage, et on l'a bien
vu par les observations qu'a faites M. de Scudéry, dont le nom a bien
la mine de devenir immortel, et les sentiments que donna l'Académie
qui l'est dès à présent. Aussi M. Corneille est peut-être un faquin,
puisque M. Conrard le pense et que M. de Balzac lui-même, du fond de sa
province, l'écrit.

Je ne laissai pas ce discours se poursuivre, et tout enflammé encore
par les grandes actions que je venais de voir, et saisi de cette sainte
colère qu'on dit que Moïse eut parfois (cette comparaison-là est un peu
forcée), je m'écriai:

—Qu'il fallait sur le champ rétracter un mot si affreux et indigne du
grand homme dont nous parlions, sinon que mon bras tirerait vengeance
de cet affront.

J'avais mis, en parlant ainsi, l'épée à la main, et je m'en escrimais
d'une façon d'autant plus triomphante que ce Zoïle me paraissait assez
débonnaire; mais cet homme, sans se déconcerter, me dit:

—Je vous suis obligé, Monsieur, de pousser jusqu'à une fureur de
meurtre le sentiment que vous avez pour cette œuvre tragique, mais je
ne saurais vous rendre raison ni changer de maxime...

—Et pourquoi donc, Monsieur? demandais-je avec emportement.

Il me répondit avec une grande douceur:

—C'est que c'est moi, Monsieur, qui suis M. Corneille.



IX

MOLIÈRE INQUIET


A quelque temps de là, je fus au Petit-Bourbon, où, quand les Italiens
ne jouaient pas, une nouvelle troupe de jeunes comédiens donnait des
pièces de Molière, qui était venu comme moi de la province, avec cette
différence qu'il en avait rapporté de bonnes espèces et de bonnes
nippes et qu'il n'était pas contraint de s'adresser au fripier pour
s'habiller comme les gens de qualité.

Il n'y avait rien qui fût si petit que le Petit-Bourbon. Le théâtre
était de dix-huit toises de longueur sur huit de largeur, au bout
de laquelle il y avait encore un demi-rond de profondeur, le tout
en voûtes semées de fleurs de lys. Le pourtour était accompagné de
colonnes dans le goût antique, avec entre elles des arcades en niches
fort propres pour s'asseoir à l'écart, quand on ne veut point paraître.

Toute la lumière était de quelques chandelles dans des plaques de
fer-blanc attachées aux tapisseries; mais comme on avait remarqué
qu'elles n'éclairaient les acteurs que par derrière et un peu sur
les côtés, ce qui en faisait comme des ombres noires, on avait eu
l'idée de composer des chandeliers avec deux lattes mises en croix et
portant chacun quatre chandelles, pour être placées sur le devant du
théâtre. Ces chandeliers se haussaient et se baissaient par le moyen
d'une corde pour les allumer et les moucher. Cela faisait un luminaire
assez magnifique, et je ne pense pas qu'il soit surpassé jamais, sauf
peut-être à la cour[1].

  [1] Ce n'est qu'en 1719 que le financier Law donna de l'argent
  à l'Opéra, pour qu'il n'y eut plus que des bougies au lieu de
  chandelles.

    (_Journal de Dangeau._)

La symphonie était ce soir-là d'une flûte et d'un tambour avec deux
violons.

Cette fois, je ne balançai pas à faire état de ma profession pour
passer de l'autre côté de la scène, jusques en une chambre qui était
pleine de ceux qui se disposaient à jouer dans la comédie et aussi de
quelques marquis assez échauffés, à ce qu'il me parut, et si empressés
autour des tables où les comédiennes achevaient de s'arranger, qu'elles
pouvaient à peine trouver assez d'espace à leurs mains pour peigner une
boucle ou mettre leur rouge.

Je remarquai une jeune personne qui se démenait fort au milieu de
galants à toute outrance, sans plus s'offenser de leurs assauts que
si c'eût été jeu d'abeilles, contente d'écarter les plus enragés de
quelque coup de pied ou d'un bon soufflet à propos. Elle était petite
et bien faite, avec je ne sais quoi dans l'air et les façons qui
sentait le robin, et véritablement, comme les deux Béjart ses frères et
Madeleine sa sœur, elle était fille d'un procureur au Châtelet, qui ne
donnait pas sans doute autant d'attention à ses enfants qu'à ses sacs
de procès.

On disait dans la chambre que c'était cette Armande dont Molière était
affolé et elle devait jouer ce soir-là, dans l'_École des Maris_, ce
personnage fidèle de Léonor, qu'elle ne tint pas trop bien dans la vie.


C'est alors que je vis Molière; il se tenait assis sur un coffre,
branlant les jambes, et si enfoncé dans sa rêverie qu'on eût cru qu'il
était descendu au fond d'un abîme. Il avait les yeux fort creux, encore
qu'ils regardassent d'une manière qui était aimable; le nez gros et
long, avec de grosses lèvres, et la figure assez ronde. Dès que,
m'étant approché, je me fus fait connaître de lui, il en usa le plus
honnêtement du monde avec moi, m'entretenant avec un plaisir qu'on
jugeait véritable de ses voyages comiques à travers la France durant
près de cinq années et je vis bien qu'il regrettait ce temps-là malgré
la pénurie et les hasards et malgré la fortune présente. Son discours
étant venu sur les détails de la dépense pour une troupe comme la
sienne, il me dit qu'il n'avait que onze personnes pour suffire à tout:
six acteurs, quatre actrices et le gagiste. Il donnait à Saint-Germain,
son portier, 3 livres 15 sous; à l'autre portier, Gilot, 3 livres 10
sous; à leur valet, 1 fr. 10; à un sergent et à douze soldats aux
gardes, 15 livres; à Mme de l'Estang, la receveuse, 3 livres; à quatre
ouvreurs de loges, 6 livres; aux sieurs Crosnier, ses décorateurs,
4 livres 10 sols; à quatre violons, 6 francs; pour les chandelles,
11 francs; pour les affiches rouges et noires et les afficheurs, 8
livres 4 sous; pour la collation pour la troupe, 1 livre; pour le valet
commun, 1 livre, et pour les charités autant. Ces charités étaient à
l'ordinaire pour les capucins, qui prenaient une manière de dîme sur
les spectacles, et Molière me dit que c'était un droit un peu trop
considérable pour de pauvres comédiens.

Cependant on vint avertir qu'il fallait commencer, et je vis que
Molière était bon directeur parce que, s'adressant à chacun de ceux de
sa troupe, il leur enseignait d'un mot les caractères, le ton à prendre
et la manière à faire.

Il dit à l'Espy, qui représentait Ariste, de parler naturellement
parce qu'il faisait le personnage d'un homme de bon sens, et que ce
n'était pas le cas de prendre les airs d'un marquis, et à La Grange,
habillé en Valère, de n'être pas trop fat puisque son rôle était celui
d'un amoureux véritable, mais que d'ailleurs il n'avait rien à lui
commander, ce qui me parut un grand compliment.

Où je l'attendais, c'était aux Béjart, Madeleine et Armande; il ne
manqua pas de leur donner quelques avis, mais l'expression qu'il
mit à parler à la plus jeune eût paru la plus touchante du monde si
l'obligation où il était de se vêtir en barbon, avec un pourpoint
fermé bien long et des hauts-de-chausses bien serrés, n'avait fait de
lui une manière de Géronte plus propre à mettre en fuite l'amour qu'à
l'inspirer.

L'air dont il quitta la chambre des comédiennes pour passer sur le
théâtre marquait assez le dépit qu'il ressentait de laisser, pour un
moment, sa belle au milieu des cajoleurs; et quand, étant moi-même
allé me placer au parterre, je l'entendis tympaniser les muguets et
les blondins, je connus qu'il parlait pour lui et qu'il faisait dire à
Sganarelle ce que Molière pensait.

A la fin Isabelle et Léonor montèrent sur le théâtre, et, mieux que
dans la chambre où l'obscurité faisait du tort à la beauté, je pus
voir de combien d'attraits cette Armande était pourvue. Elle jouait
le rôle de Léonor, qui est une fille sage autant que belle, et sans
écouter les propos des jeunes galants qui «lui paraissent fâcheux»,
suit l'inclination de son cœur pour un époux plus âgé. Isabelle,
au contraire, forme des projets assez hardis, dans le dessein de se
soustraire aux rigueurs d'un hymen qu'elle hait, et l'on voit bien que,
par la suite, elle trouvera toujours le moyen de déjouer les verrous
et les grilles et de montrer leur béjaune à ceux qui veulent assurer
par là sa vertu.

J'observais Molière sous son personnage de Sganarelle et je songeais
que nul homme n'avait jamais avoué son sentiment par le dramatique
comme ce poète le faisait là. Car, pendant qu'il parlait en jaloux,
en bourru, en amant violent et infortuné, j'entendais, par la voix
d'Ariste, son autre âme qui répondait et qui, manifestant la confiance
et la résignation de son emportement amoureux, tâchait d'insinuer à
Isabelle qu'il pensait Armande comme il souhaitait que fût l'honnête
Léonor que, par un excès de prudence ou de badinage, il peignait sous
des traits si opposés à ceux mêmes de cette comédienne.

Sur la scène, dans un fauteuil, il y avait un seigneur qu'on me dit
être le marquis de Moncontour. Il s'agitait, grondait un air entre ses
dents, peignait sa perruque et faisait, de temps en temps, de grands
éclats de rire, en haussant les épaules comme pour regarder le parterre
en pitié. Il ne manquait pas non plus de louer tout haut, quand elle
paraissait, les grâces d'Armande Béjart, sans s'occuper de Sganarelle
qui pensa s'embarrasser à la fin, tant il était outré, dans ses
transports amoureux du second acte.

Je passai de nouveau derrière le théâtre après la comédie et je revis
dans la chambre des comédiennes la même assemblée impertinente de
galants. Molière attirant Armande dans l'angle le plus obscur lui
disait à voix basse:

—Vous n'avez pas assez exprimé, Mademoiselle Béjart, les sentiments
que doit faire paraître Léonor et c'est de la sorte qu'il faut dire ces
vers:

    ... Je préfèrerais le plus simple entretien
    A tous les contes bleus de ces diseurs de rien.
    Ils croyent que tout cède à leur perruque blonde,
    Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde
    Lorsqu'ils viennent d'un ton de mauvais guoguenard
    Vous railler sottement sur l'amour d'un vieillard...

Mais la belle, tournant les yeux vers le marquis de Moncontour,
n'écoutait pas trop les leçons de ce poète; de vrai, la voix de Molière
n'était pas très assurée, et je pense que le parterre eût jugé ce
ton-là trop naturel et sans assez d'enflure.



X

LES DEUX PENDUS


C'est ce soir-là que j'eus l'honneur d'être présenté à M. le marquis de
Moncontour comme ayant fait partie de sa troupe, quand j'avais M. de La
Rapière pour directeur et que les yeux de la pauvre Zerbine servaient
d'étoiles à ma route.

M. de Moncontour fut bien surpris d'entendre qu'il avait une troupe de
comédiens ordinaires ni plus ni moins que le Roi ou M. le Prince, et il
me fit beaucoup d'interrogations sur ce que c'était que le sieur de La
Rapière, comme il était fait et de quel pays il venait.

Je satisfis de mon mieux ce seigneur en lui contant par le menu toutes
les particularités que je savais touchant cet homme-là, que je pouvais
peindre hardiment comme le plus grand fripon que j'eusse connu puisque
je n'avais encore jamais été dans la société des traitants, et sur ce
que je lui dis que La Rapière tranchait quelquefois du gentilhomme
et parlait entre ses dents, de façon cependant qu'on l'entendît, de
naissance illustre et de crédit à la Cour, le marquis eut quelque
soupçon que ce put être le bâtard d'un fils que M. le marquis d'Aydie,
son grand-père, avait eu d'une servante et qui avait été élevé dans la
maison demi-parent, demi-valet, jusqu'à ce que ses vices l'en eussent
fait chasser avec honte.

Cet entretien que j'eus avec ce guerrier fameux m'entraîna
insensiblement dans l'honneur de sa connaissance, et dès qu'il eut
su par le canal de M. Molière que j'étais une façon de gentilhomme,
puisqu'on le devient après trois générations, et que mon fils, à
supposer que j'en eusse jamais un, pourrait être page d'un duc et sa
femme appelée Madame, M. de Moncontour me marqua plus de considération
et une sorte de complaisance qu'il eût eu scrupule d'avoir pour mon
grand-père l'anobli, tant un papier marqué du sceau du Roi peut avoir
d'importance pour un seigneur dont les ancêtres n'avaient jamais été
dans la nécessité d'être décrassés par de semblables savonnettes.

M. de Moncontour allait souvent faire sa partie de cavagnol chez Mme
de La Ferté, qui donnait à jouer dans sa maison du faubourg. Pour
dire le vrai, la compagnie qu'on y voyait ne formait pas une très
magnifique assemblée, et l'on rencontrait autour des tables plus de
gros marchands drapiers, de maîtres orfèvres ou de merciers que de
cordons bleus ou de justaucorps à brevet. Mme de La Ferté faisait
sa société de ces gens quand ses affaires n'étaient pas en trop bon
point, autant dire toujours, et elle tirait d'une telle complaisance
des revenus aussi bons que d'une ferme dans le pays de Beauce ou d'une
rente sur l'Hôtel-de-Ville. La raison en était qu'elle gagnait toujours
et faisait la malheureuse d'une fortune si constante avec ces espèces
qui ne croyaient pas trop payer de leurs pistoles l'honneur de tenir
le jeu avec une femme de cette qualité-là, qui avait été honorée des
entretiens secrets du Roi et de ceux des principaux seigneurs de la
Cour. Je ne dirai point que Mme de La Ferté usât de cartes ajustées
mais on peut dire que le sort s'ajustait à son jeu comme s'il eût connu
les mérites de la naissance et du beau monde préférablement à ceux des
gens de néant qui le sollicitent aussi.

C'est ainsi que par les vertus de la dame de pique et pour remédier aux
injustices de la fortune, Mme de La Ferté en usait avec ses créanciers
de manière que ce qui s'était en allé par le trop de recherche dans la
chère ou la parure revenait par les brelans au contentement de tous.

Ce n'était pas dans un dessein si cupide que M. de Moncontour
fréquentait chez la comtesse, mais je crois qu'il y était attiré par
les yeux de certaine brunette beauté, de sorte qu'il demeurait à
l'ordinaire fort tard dans la maison du faubourg et qu'il était forcé
de revenir par des chemins qui étaient plus peuplés de filous que ne
l'est une chambre de financiers opinant sur le taillon ou sur les
aides. Il est vrai qu'il se faisait suivre d'ordinaire par une manière
de laquais qui avait servi autrefois dans le régiment de Moncontour et
qui portait sur l'épaule un mousquet de bonne apparence et fait pour
engager à la retenue les aigrefins trop enclins à se rendre familiers.
Comme le marquis m'emmenait souvent avec lui chez Mme de La Ferté, je
goûtais fort pour le retour cette façon d'aller dans les rues soutenus
par si peu que ce fût d'un détachement d'infanterie.

Nous revenions un soir en suivant le fleuve du côté de l'Arsenal, quand
nous entendîmes soudain devant nous un grand tumulte comme de gens qui
se battaient, et nous étant un peu approchés nous vîmes que c'étaient
ceux du guet qui étaient aux prises avec des larrons, à moins que ce
ne fussent des voleurs se querellant contre des alguazils, car la nuit
faisait qu'on ne distinguait pas très bien les uns des autres et l'on
dit même que le jour cette distinction-là ne se fait pas non plus très
aisément.

Le maréchal considérant qu'un des partis semblait avoir le dessous, et
n'écoutant que son inclination naturelle qui l'entraînait toujours à
se tourner du côté du plus faible et de l'opprimé, ne balança pas à se
jeter au travers de l'action en frappant de droite et de gauche jusqu'à
ce qu'il eût eu son épée faussée à force des coups qu'il avait donnés
et que les autres se fussent enfuis. Regardant alors autour de lui et
n'apercevant que casaques bleues, plumets bleus et bandoulières jaunes
il vit que c'était aux archers de la maréchaussée que son courage
était venu en aide et je pense qu'il en fut secrètement marri, car il
montrait un peu de penchant pour les tire-laines, rodomonts et autres
braves du pavé, assurant qu'il y avait du gentilhomme en eux parce
qu'ils ne voulaient pas travailler, sinon, comme à la guerre, avec des
épées et des pistolets.

Malgré cela il dut, par honnêteté, souffrir les remerciements de
l'Exempt qui le supplia en outre qu'il lui fît la grâce de venir
avec eux jusqu'au Petit-Châtelet pour rendre témoignage devant le
juge-commissaire que ce n'était pas par manque de vigilance ou lâcheté
qu'il n'avait pas capturé toute la bande, mais par la faute du petit
nombre de ses gens, et que même dans le grand péril où il s'était
trouvé il n'avait pas manqué l'occasion de se saisir du chef des filous
qu'ils appelaient La Moustache et que ce gibier-là valait à lui seul
tout le reste de la troupe.

M. de Moncontour vit effectivement un homme de belle taille et d'assez
bonne mine que des archers achevaient de lier et qui même en cette
extrémité gardait un air de fierté et d'impudence capables d'en imposer
à tous autres qu'à des sbires, et il se délibéra d'aller jusqu'au juge
du Châtelet dans le dessein bien plus d'intercéder pour cet infortuné
que de célébrer les actions de l'Exempt et de ses acolytes.

Mais quand le seigneur fut devant ce vilain homme noir qui paraissait
plutôt quelque singe revêtu d'hermine qu'un honnête chrétien occupé de
juger avec équité ses semblables, il connut que le pauvre La Moustache
était arrivé à la fin de ses aventures et qu'il n'y avait rien qui fût
si impitoyable qu'un robin pour un fripon quand celui-ci est pauvre et
n'a pas des amis sûrs.

A quelque temps de là M. de Moncontour fut commis avec M. d'Artagnan et
cinquante de ses mousquetaires pour contenir la foule immense du public
qui était venue à la Croix du Trahoir pour voir quelques financiers
que l'on menait pendre parce qu'ils avaient montré trop de passion
pour le bien de l'État, à telles enseignes qu'ils le gardaient dans
leurs coffres et dans le secret de leurs appartements, comme ce qu'ils
avaient de plus cher au monde.

Ils s'étaient aussi attachés aux deniers des particuliers, mais pour
ceux-là, et parce qu'ils les jugeaient sans doute d'origine moins
relevée, ils les employaient à construire les bâtiments les plus beaux,
à dessiner les jardins les plus magnifiques et aussi, dit-on, à mériter
les faveurs des dames les plus illustres. Mais, à la fin, le roi, à
qui rien n'échappe de ce qui touche les intérêts de son royaume et de
ses sujets, les avait laissés décréter et l'affaire étant venue devant
le Parlement on avait vu sur la sellette ceux qui un peu auparavant y
faisaient asseoir les autres, de manière qu'ils avaient été convaincus
du crime de concussion et de fraude et condamnés à la corde comme il
convient. Mais dans le moment que les juges opinaient avec le plus
d'emportement contre ces traitants en parlant de question, de roue, de
potence et de tous les supplices qui peuvent venir à l'imagination d'un
robin en furie, on vint dire au président de Nesmond que les maîtres
des requêtes ayant ouvert certaine cassette où étaient enfermés des
papiers fort secrets de ces traitants, on avait trouvé les preuves les
plus certaines que beaucoup de ces juges avaient eu des liaisons avec
ceux mêmes qui avaient paru devant eux, qu'ils avaient eu part à leurs
largesses et que l'un même avait soudoyé quelques braves de profession
pour pénétrer dans le lieu où il jugeait que devaient être les écrits
qu'il redoutait le plus de voir rendus au jour.

«_A ces mots il se fit une telle huée_» dirait le bonhomme Lafontaine,
que l'on crut qu'un ordre du prince privait désormais le Parlement
de ses _épices_; ceux qui criaient le plus fort étaient peut-être
ceux dont la conscience se sentait le plus faible; mais tous étant
convenus enfin, comme dans la fable des _animaux malades de la peste_,
de dévouer le moins redoutable et le plus galant, on jeta la vue sur
celui qui savait si bien employer des escogriffes à retrouver ses
papiers égarés, et qui était justement ce juge-commissaire, lequel
avait si fort malmené le pauvre La Moustache, et qui, en moins de temps
qu'il n'en faut d'ordinaire pour entr'ouvrir seulement les sacs[2]
des plaideurs, fut saisi au corps, enquêté, questionné, jugé et enfin
condamné à la potence.

  [2] Dossiers.

La Moustache était conduit au gibet dans une petite chaise à bras que
traînaient les aides du bourreau. M. de Moncontour le vit fort bien
et fut mortifié de penser qu'il était pour quelque chose dans cette
pendaison-là; mais que devint-il lorsque le juge-commissaire que l'on
menait également vers sa fin, étant venu à dépasser le voleur,—parce
que, vu les charges qu'il avait occupées, sa charrette était tirée par
un cheval,—celui-ci se mit à déplorer son malheureux sort, demandant
si tout de bon on aurait le cœur de le faire mourir d'après l'ordre
et sur l'opinion d'un magistrat si indigne et prêt à subir le même
trépas que lui. Qu'au surplus, il n'y avait rien qui fût si injuste
que son supplice, puisque ce magistrat lui avait fait dire, dans les
commencements de son procès, qu'il fît prendre par sa troupe certaines
pièces dans un endroit qu'il avait désigné en lui fournissant des
facilités pour faire tenir à ses gens des instructions, et que,
moyennant cela, il aurait la vie sauve, et qu'il ne l'avait pas voulu
par respect pour les ordres du roi.

Ce justiciard en aurait sans doute dit bien d'autres sur son juge, si
on ne les avait tous les deux pendus en même temps. M. de Moncontour,
qui passa à quelque temps de là devant le gibet de la Croix du
Trahoir, m'assura qu'il les avait vus se balancer en face l'un de
l'autre, à la manière de ces baladins qui se saluent avant de commencer
un pas de ballet, et, véritablement, quoique celui-là n'eût pas eu pour
le régler les cadences des violons, on pouvait dire que ces danseurs
étaient tous les deux bien faits pour être d'accord.



XI

LES TROIS COUPLES


Pendant que l'on pendait les financiers, la Cour se laissait divertir
par d'autres et Molière me dit un jour, d'un air riant, que M. Fouquet
voulait donner une fête au roi, dans sa maison de Vaux, et qu'il
n'avait que quinze jours pour faire sa comédie et pour dresser son
théâtre. Il m'engagea obligeamment à le suivre, m'assurant que, s'il
ne pouvait me procurer l'honneur de paraître devant une si illustre
assemblée, il me faciliterait, du moins, par quelque emploi de moucheur
de chandelles ou de souffleur, une occasion de goûter les douceurs
qu'on trouve à approcher des grands, même lorsqu'ils ne jettent point
la vue sur nous.

Nous fûmes, par le coche d'eau, jusqu'à Melun, où le surintendant
nous fit chercher à quatre carrosses pour nous mener à cette terre
si magnifique, que le soleil, dans sa course dessus et dessous
l'antarctique, ne peut rien voir qui soit si beau. Nous connûmes bien
en y entrant que la renommée n'avait pas, cette fois, menti, comme elle
a accoutumé, et la diversité des jets d'eau qui, d'abord, frappa nos
regards, avec la belle ordonnance des terrasses et des jardins, n'était
qu'une petite partie des merveilles qui nous étaient réservées. On nous
conduisit dans un appartement fort propre où, d'abord qu'on eut ouvert
les coffres, Molière commanda que l'on commençât promptement de répéter
notre affaire, car il était fort exact en ces matières, et s'il voyait
que quelque comédien ne sût pas son rôle ou ne l'entendît pas assez, il
faisait le diable, criant que nous étions d'étranges animaux à conduire
et d'autres gentillesses pareilles. Je me souviens même qu'il eut une
petite noise avec Mlle Molière, sa femme, parce qu'elle s'avisa de lui
faire observer qu'il aurait dû faire une comédie où il aurait joué
tout seul, ce qui l'enragea tellement, qu'il lui dit de se taire et
qu'elle était une bête.

Comme la nouvelle de notre arrivée s'était répandue, on vit bientôt
accourir les plus empressés blondins, pour faire leur cour aux
comédiennes et leur glisser bien des douceurs; il vint aussi de ces
gens, qu'on nomme nécessaires, se mêlant de remarquer et de critiquer,
qui pensèrent faire crever de dépit Molière, et je crois bien qu'avec
toutes ces importunités-là le pauvre homme n'eut pas beaucoup de loisir
ni de faim pour goûter à la collation qu'on nous servit et qui était
fort galante et bien ordonnée.

Le théâtre avait été dressé dans une allée de sapins, près d'une grille
d'eau qui répandait une fraîcheur agréable, et l'on avait disposé sur
la scène des feuillages fort touffus, parmi lesquels cent flambeaux
devaient répandre leur clarté.

Dès que nous eûmes pris nos mesures, la nuit tomba. On vint nous
avertir que le roi, ayant terminé la visite du parc et du château
et la loterie étant tirée, le souper avait été servi sur tables
et, qu'aussitôt après, on nous dirait de commencer. En effet, nous
entendîmes presque en même temps une grande clameur et le son de mille
voix confuses qui s'approchaient et, dans l'instant, Molière commanda
que les chandelles fussent allumées et que l'on se tînt prêt.

Dès que la toile fut levée, il parut sur le théâtre en habit de ville
et, s'adressant au roi, avec le visage d'un homme surpris, il fit des
excuses en désordre sur ce qu'il se trouvait là seul et manquait de
temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle
semblait attendre. Je pense que je n'ai jamais vu Molière si bon que
dans ce personnage-là, parce que le peu de bégayement naturel qu'il
avait et qu'il s'efforçait de dissimuler à l'ordinaire, le servait en
cette occasion en faisant mieux paraître le trouble qu'il fallait qu'on
jugeât qu'il ressentait.

Comme il achevait de parler, une coquille s'écarta au milieu de vingt
jets d'eau naturels, et une agréable naïade en sortit pour dire des
vers que M. Pellisson avait composés à la louange du roi. Cette nymphe
était Mlle Béjart; à sa voix, les termes et les rocs dont le théâtre
était orné se murent, mainte figure tourna sur son piédestal et les
arbres s'ouvrirent. Plusieurs dryades s'en échappèrent, accompagnées
de faunes et de satyres, qui formèrent une entrée de ballet. Après
cela, la naïade emmena une partie des gens qu'elle avait fait paraître,
et le reste se mit à danser au son des hautbois et des violons, jusqu'à
ce qu'on vînt annoncer la comédie des _Fâcheux_.

J'étais du ballet de la dernière entrée, et l'un des quatre bergers
qui, avec une bergère, formaient au sentiment de tous ceux qui l'ont vu
un divertissement d'assez bonne grâce, et je pus considérer ce grand
roi, dont la jeunesse riante était déjà parée des attributs sévères de
la majesté. Il était dans un fauteuil, ayant à côté de lui la reine
sa mère et Madame[3], la reine étant demeurée à Fontainebleau, parce
qu'elle était grosse et peut-être aussi pour d'autres raisons qu'on ne
disait pas. Je ne tardai pas à démêler, parce que Dupare me la montra,
parmi les filles d'honneur de Madame, celle dont la renommée s'occupait
en ce moment et qu'on nommait Mlle de la Vallière. Je jugeai qu'elle
avait les cheveux les plus blonds du monde, avec une mine de pudeur,
mais des yeux languissants qui n'étaient pas trop d'accord avec cette
mine-là. Pour sa bouche, elle était fort grande, et je me souvins du
noël impertinent de Bussy et de ce bec «qui d'une oreille à l'autre
va». Mais ses dents blanches et ses lèvres vermeilles la rendaient
cependant assez passable. Le roi ne manquait pas, chaque fois qu'il
le pouvait, de jeter les yeux de son côté, et je remarquai que la
princesse, qui était sur une chaise à sa gauche, ne paraissait pas trop
satisfaite de l'honneur que Sa Majesté faisait à sa suivante.

  [3] Henriette d'Angleterre.

Dès que nous eûmes achevé notre entrée, on vit partir mille fusées
qui, se frayant par la force du salpêtre un chemin à travers les airs,
retombaient en une pluie d'étoiles qu'elles semblaient avoir été
décrocher à la voûte céleste. Parmi ces fracas et ses sifflements, je
me glissai entre les bosquets pour considérer de plus près la cour.
Je remarquai certains seigneurs qui remuaient des pistoles au fond de
leurs poches, comme si c'eussent été des pois ou des fèves, et sans
s'en soucier davantage, et véritablement cette fortune-là ne leur
coûtait guère, car ils n'avaient eu qu'à ramasser les espèces d'or et
d'argent qu'ils avaient trouvées, par les soins de leur hôte, sur les
tables de leurs chambres.

Mais, dans le moment que le dôme du château s'allumait pour jeter une
infinité de flammes et de serpenteaux, je vis, à la faveur de cette
clarté subite, trois couples qui s'étaient retirés un moment à l'écart
dans une salle de verdure subitement embrasée par cet éclat de lumière
indiscrète. C'était, dans un retrait d'arcade habitée par un Terme,
Molière avec sa femme. Il n'était pas malaisé de connaître qu'ils se
querellaient, et je songeai que, parmi ses fâcheux, le poète comique
en avait oublié un, qui était le mari. Sans doute que M. de Sévigné et
le marquis de Vardes étaient aussi de cet avis-là. Un peu plus loin,
dans une allée où se mouraient en tournant encore les soleils des
artificiers, j'aperçus un justaucorps rouge avec un chapeau chargé de
grandes plumes blanches. Il fallait bien que ce fût le roi, puisqu'il
était couvert, et, sous la mante de soie grise qui voulait la dérober à
tous, je crus bien reconnaître les yeux d'azur et les cheveux blonds de
Mlle de La Vallière.

Comme je me retirais à pas suspendus, j'arrivai devant un décor de
pots à feu qui, par l'artifice du sieur Torelli, représentaient les
armoiries du surintendant, et cet écureuil grimpant dont il avait fait
l'emblème de sa cupidité et de sa passion pour le pouvoir. Je surpris
deux ombres furtives que ma venue, sans doute, avait fait fuir, et je
vis bien que M. Fouquet se délassait des fatigues et des honneurs de
cette fête en prenant le frais avec Mlle de Menneville.

Mais, dans l'instant que j'allais me retirer pour goûter un sommeil
qui ne serait troublé ni par l'ambition, ni par la jalousie, ni par
l'amour, un coup de vent subit éteignit les lumières qui dessinaient
la figure de l'écureuil, et je ne vis plus que des lézards et des
couleuvres que l'ordonnateur avait placés là par manière d'ornements.

Je me suis souvenu plus tard que ces animaux figuraient dans le blason
des Le Tellier et dans celui de M. Colbert.

Quand cette mémoire me vint, l'écureuil était par terre.



XII

LE SOUPER D'AUTEUIL


Molière me dit en revenant de Vaux qu'il voulait m'emmener faire la
débauche avec lui dans la maison des champs de M. Despréaux, de manière
que nous pourrions saluer ce fameux poète qui est bien sur le chemin de
s'égaler aux plus illustres auteurs de l'antiquité, dans le genre où se
sont exercés Perse, Juvénal, et le plus parfait de tous, cet Horace,
qui fait nos délices, et sans lequel il n'y a pas moyen de goûter les
délicatesses de la vie.

Nous prîmes, pour arriver jusqu'à ce village d'Auteuil, un coche
d'eau qui, partant du Pont-Royal, nous mena insensiblement, par le
moyen des rames, à travers la ville, de sorte qu'en un moment nous
vîmes ce port qu'on appelle de la Conférence, où s'assemblent les
navires qui viennent faire le commerce à Paris, et qu'ayant dépassé le
Pont-Tournant, nous longeâmes cette longue terre qui a, depuis peu,
reçu le nom d'Ile des Cygnes, qui est mieux que l'ancien, lequel était
un peu indécent.

Molière me montra ensuite des maisons, sur la pente d'une colline
agréable, en me disant que c'était le village de Chaillot, et que ces
beaux jardins que l'on voyait s'élevant par derrière étaient ceux du
couvent des Bons-Hommes de Passy; mais le courant du fleuve et, je
pense aussi, deux chevaux que l'on avait attachés à une corde, et la
corde à notre bateau nous entraînant toujours, nous fûmes enfin devant
Auteuil, cette ville dont messieurs de Sainte-Geneviève sont les
seigneurs et où bien des bourgeois de Paris ont leur maison pour aller
boire et discourir le dimanche sous quelque treille, comme nous avions
nous-même dessein de faire ce jour-là.

Sitôt que nous fûmes près du rivage, on jeta à terre une longue planche
qui nous conduisit enfin, par le secours de Dieu, sains et saufs, au
bout de cette navigation-là.

Nous fîmes quelques pas sous des ombrages assez frais et parmi des
ruelles assez sombres, au milieu de mille boules de mail que des
joueurs nous poussaient entre les jambes, comme si elles eussent été
des quilles, et, étant entrés à la fin dans un jardin fort propre,
orné de fontaines et de quelques ifs taillés d'une manière qui était
galante, nous vîmes qu'une table avait été dressée sous un couvert
et tellement remplie de flacons et de plats, qu'on pouvait à peine
distinguer la couleur des serviettes sur lesquelles tout ce harnais de
gueule était étalé.

Cette vue nous aurait disposés à la joie, quand même nous n'aurions
pas vu sortir du logis M. de Bachaumont qui, nous embrassant de la
meilleure grâce du monde, nous témoigna le contentement qu'il avait
de nous voir et son dessein de nous bien régaler. M. Chapelle parut
ensuite et, renouvelant ses protestations, nous fîmes si bien assaut
de civilités, que nous serions demeurés là jusqu'au jour du jugement
dernier, si un petit laquais n'était venu nous avertir qu'on avait
servi sur table.

Sitôt que nous eûmes commencé d'apaiser notre faim, un propos s'établit
entre Molière et M. de Bachaumont, parce que ce dernier soutenait qu'il
ne fallait pas faire une part si grande aux anciens, en leur donnant,
comme on avait accoutumé, le pas sur les modernes, mais que, bien
loin de là, pour la tragédie, nous étions bien supérieurs aux Latins,
qui n'avaient à nous opposer que quelques déclamations pompeuses d'un
supposé Sénèque, tandis que M. de Corneille et M. Racine avaient donné
les plus excellents poèmes tragiques que l'on connût. Partant de là,
il dit encore que ni Térence, ni Plaute, chez les Latins, n'avaient
fait de bonnes comédies, que, pour Aristophane, il avait, à la vérité,
quelque mérite, mais fort obscurci par le peu d'honnêteté des termes
et la licence de l'invention. Il ajouta que Ménandre était plus de son
goût, parce qu'il ne restait de ce poète que des morceaux assez rares
et qu'enfin il donnait la palme à Eupolis et à Cratinus, parce que les
écrits de ces derniers étaient si réduits par le temps et l'insolence
des Barbares qu'ils pourraient être contenus dans le creux de la main.

A ce discours extravagant, nous partîmes de ce grand éclat qu'Homère
assure que les dieux font retentir dans leur Olympe; mais Bachaumont,
poussant son raisonnement, nous dit le plus sérieusement du monde qu'il
nous montrerait à tous notre béjaune; que Chapelle n'avait de sens
qu'à ordonner un dîner; que, moi, j'étais bon à le manger, et qu'enfin
Molière n'y entendait rien, attendu que lui, Molière, effaçait par ses
moindres écrits tous ceux des anciens comiques et qu'il n'y avait pas à
revenir là-dessus.

Nous vîmes alors, parce qu'il s'était tu après cela, qu'il était fort
échauffé par le vin qu'il avait bu, et Chapelle opina qu'il faudrait
lui donner, le soir, quelque potion lénitive pour écarter ses vapeurs
et ramener ses esprits. Molière rêvait à son ordinaire, comme si
l'entretien ne lui fût parvenu que par des canaux divertis à l'extrême,
et je conjecturai qu'il s'inquiétait moins de la querelle des anciens
et des modernes, que de savoir si Armande avait tout de bon du goût
pour ce blondin qui lui avait serré les doigts, l'autre soir, à la
Comédie.

Dans ce moment, le petit laquais vint dire que M. Despréaux arrivait
et, en effet, ce grand homme se montra aussitôt au bout d'une allée.
Je n'avais pas eu encore occasion de le saluer ni de le voir, et je
fus dans le dernier contentement de considérer les traits d'un poète
si fameux. M. Despréaux a l'air le plus noble et le plus fin, les yeux
vifs et brillants, la bouche moqueuse, si spirituelle qu'elle semble
mâcher de la malice; avec cela, son maintien est assez imposant et
fait connaître qu'il est homme de condition, enfin il parut tel que
mon imagination l'avait déjà présenté à mes yeux, et je lui sus un gré
infini de cette civilité qu'il avait là.

Quand on l'eut mis au fait de notre entretien, et qu'il connut que
notre démêlé venait encore de cette querelle des anciens et des
modernes, il dit d'abord que Bachaumont n'avait pas trop raison de
puiser ses arguments plutôt dans les bouteilles que dans les textes,
et que la seule chose sensée qu'il lui eût vu faire avait été de boire
toute l'eau d'un bénitier, parce qu'une dame qu'il aimait y avait
trempé les doigts; il continua en protestant que M. Perrault n'avait
pas eu dessein de louer les modernes en mettant Racine, Corneille et
Molière au-dessus de tous les anciens, mais le propos d'avilir ceux-ci
par la suite, en leur préférant M. Quinault, et qu'au surplus il ne
doutait pas que les écrits de ces poètes ne dussent passer aux siècles
suivants, mais que c'était affaire à ceux de ce temps-là d'établir les
parallèles. Se tournant alors vers Molière, il l'assura qu'il était son
serviteur et qu'il savait bien que leurs sentiments sur cette matière
étaient les mêmes.

Après cela, il n'y avait plus qu'à se remettre à boire pour essayer de
noyer dans le vin la bassesse de notre siècle, et c'est ce que nous
fîmes, avec une ardeur d'autant plus grande que le jour commençant
à faire place à la nuit nous avertissait qu'il faudrait bientôt
retrouver notre coche d'eau si nous ne voulions pas faire à pied
le voyage de Paris, de sorte qu'insensiblement nous nous trouvâmes
si bien conditionnés à la fin,—j'entends Chapelle, Bachaumont et
moi-même,—que blessés de cette idée que nous étions des cuistres
végétant dans une ignorance barbare, nous convînmes tous, d'un même
sentiment, d'en finir avec ces misères-là et d'aller nous jeter à la
rivière qui, par une grâce spéciale du ciel, coulait là tout à propos.

Nous levant en tumulte et courant au fond du jardin, nous fîmes part de
cet honnête dessein à Despréaux et à Molière, leur proposant par une
faveur singulière de notre bonté de les laisser venir avec nous, abîmer
dans les flots de la Seine les modernes tout ensemble avec les anciens.

—Attendez! dit Molière d'un air doux; attendez jusqu'à demain.



XIII

LE GASCON FACHÉ


Dans la place du cimetière Saint-Jean, proche des Halles, il y avait un
traiteur assez fameux, où quelques-uns des hommes de la cour avaient
accoutumé d'aller faire la débauche avec MM. Despréaux et Racine; et
même M. de La Fontaine y venait quelquefois, quand il avait quelque
poème licencieux dans l'esprit, parce qu'il disait que rien n'était
plus propre à exciter sa verve que les discours des gens de qualité,
quand ils s'entretiennent, après boire, de leur mérite ou de la vertu
des dames. Molière m'y mena une fois, parce qu'il savait que M. de
Sévigné ne manquerait pas de venir ce jour-là, et qu'il avait dessein
d'étudier les façons de ce seigneur, pour accommoder le personnage
de Don Juan dans la comédie du _Festin de Pierre_, qu'il voulait
représenter, parce que sa troupe et son public le voulaient aussi.

Sitôt que nous fûmes entrés dans la chambre particulière du logis, qui
était réservée à une assemblée si illustre, parce qu'en ce temps-là les
cafés n'étaient pas encore établis, je vis qu'il y avait sur une table
un exemplaire de la _Pucelle_, de Chapelain, qu'on y laissait toujours,
et nous sûmes bien, par la suite, pourquoi.

M. Despréaux et M. Racine firent mille honnêtetés à Molière et
voulurent bien m'assurer de leurs sentiments, malgré la petitesse de
ma condition; mais, dans l'instant que nous étions occupés par ces
civilités-là, il parut un gentilhomme que je connus à son maintien pour
celui que Molière m'avait dépeint, et dont il voulait faire son étude.
Il avait le visage fort rond et des yeux pleins de feu, avec un regard
fier et gracieux, et la mine d'un homme qui n'a pas trop rencontré de
cruelles. Ses cheveux étaient blonds et le mieux frisés du monde,
assez épais et assez longs pour n'avoir pas besoin de boucles ajoutées,
et, par-dessus tout cela, son abord avait quelque chose de haut et de
tranquille qui marquait assez que c'était un seigneur de la première
qualité.

L'hôte apporta des flacons d'un certain vin de Joigny que M. de La
Fontaine prisait fort, et nous nous mîmes à boire en nous entretenant
d'une manière vive et qui m'éblouit par les heureuses saillies des
convives. Mais qui pensez-vous qui fît le plus le diable et montrât
le plus d'enjouement? J'aurais gagé que ce serait le poète comique et
j'aurais perdu, car Molière demeurait à son ordinaire fort rêveur,
pendant que l'auteur de tant de tragédies, qui ont fait couler de si
belles larmes, se laissait aller à mille saillies, montrant un esprit
bouffon et se répandant en discours pleins d'équivoques, qui nous
mirent enfin tellement en gaieté que l'on devait, je pense, entendre de
tout le voisinage les grands éclats de rire que nous poussions.

M. Boileau me dit à l'oreille que c'était ainsi, en badinant, que
Racine avait écrit, en quelques jours, sa comédie des _Plaideurs_
et que, sans cesse, cet auteur inventait en ce réduit les plus
ingénieuses folies qu'on pût imaginer.

Mon étonnement grandit lorsque M. de Sévigné ayant prononcé quelques
mots, à propos d'une comédie, assurant que l'auteur était un sot pour
n'avoir pas suivi en la matière «les errements d'Aristote», je vis M.
Despréaux se lever tout en furie en s'écriant:

—Bon Dieu! Monsieur, quelle langue est cela? Suivre des errements,
Monsieur, c'est tout justement comme si vous parliez le langage des
Topinambous, et je ne voudrais pas gager que ces peuplades sauvages se
hasardassent à de si pitoyables discours!

Là-dessus, s'étant rassis, les autres protestèrent qu'il fallait que
le coupable subît la peine ordinaire et qu'elle serait, cette fois,
en dix vers seulement, parce que ce supplice était de ceux qu'il faut
appliquer avec une certaine modération pour ne pas voir expirer le
patient durant sa géhenne.

Je n'entendais pas trop bien ce qu'ils voulaient dire par là, quand
je vis M. de Sévigné prendre, en soupirant, le livre de M. Chapelain
qui se trouvait sur la table et commencer, d'une voix mal assurée, la
lecture de cette pièce fameuse:

    Loin des murs flamboyants qui renferment le monde...

On ne le laissa pas aller bien loin, parce qu'il montrait du repentir
et que cette lecture nous empêchait de boire, et aussi parce que l'hôte
vint, dans ce moment-là, nous avertir qu'il y avait un homme qui
voulait parler à nous, et que cet homme portait une épée très longue
avec un rouleau de papier sortant de sa poche et presque aussi démesuré
et, qu'au surplus, il laissait assez paraître qu'il était de Gascogne.
Connaissant à cette peinture que c'était quelque poète des rives de
la Garonne, nous nous écriâmes tous d'une voix qu'il ne fallait pas
qu'il entrât, mais l'hôte tirant un papier nous dit que nous pouvions
toujours le voir et qu'après cela nous déciderions.

Despréaux donc, après qu'il eut considéré un moment cet écrit, fit un
grand éclat de rire et, commençant à parler, nous montra que c'était
une manière de licence poétique ou de privilège concédé au sieur de
Rabastignac, par Scudéry, pour donner à entendre au public que ce poète
avait mérité ses bienveillances à lui, qu'il n'y avait plus à revenir
là-dessus et que, d'ailleurs, si quelqu'un laissait paraître qu'il
n'était pas de ce sentiment et qu'il ne jugeait pas fort bons ces vers,
il rentrerait à ce faquin son jugement dans la gorge et lui ferait bien
voir qu'il s'appelait: de Scudéry.

Après cela, il n'y avait plus qu'à donner congé à l'hôte d'introduire
ce Languedocien, mais celui-ci ne nous en laissa pas le loisir, car
s'étant glissé par la fente de la porte,—et véritablement il était si
maigre qu'il ne l'écarta pas d'un pouce—il parut devant nous avec sa
terrible rapière, son effroyable rouleau et la plume menaçante de son
feutre qu'il agitait avec tant de grâce que nous crûmes que c'était
quelque chasse-mouche. Il se dit le serviteur des illustres auteurs qui
étaient là, protesta qu'il ne souhaitait rien tant que leur suffrage
et, déployant le rouleau que la peur nous faisait considérer avec des
yeux capables de toucher une Euménide, mais non un Gascon, il commença
de lire un fort long poème composé, à ce qu'il nous parut, pour faire
ressortir la gloire du roi Genséric, ses galanteries, ses conquêtes et
ses infortunes.

Sans doute qu'il aurait poursuivi jusqu'au sac de Rome si Despréaux,
saisissant le moment qu'il reprenait sa respiration, ne lui eût dit,
fort doucement, qu'il y avait, à la vérité, quelque beauté dans ces
vers, mais qu'il leur trouvait une tournure un peu lâche et que cela
était fâcheux. Cette parole faillit être aussi funeste que celle
autrefois prononcée par le Sénat de Carthage devant les envoyés
romains, car notre homme, se redressant aussitôt, et se coiffant fort
impudemment de son feutre, s'écria qu'il n'y avait rien de lâche dans
la maison de Rabastignac et qu'il le ferait assez voir.

A ces mots, comme il montrait quelque dessein de tirer son épée, nous
nous levâmes en tumulte, renversant la table qui s'écroula avec un si
grand bruit d'ais fracassés et de vaisselle en éclats que l'on crut,
pour le moins, que la fin du monde était arrivée, et je ne sais ce qui
serait survenu de la Gascogne et de Genséric si le marquis de Sévigné,
avisant quelques soldats des gendarmes-dauphin où il était guidon,
qui passaient par là et que le vacarme avait attirés, ne leur eût dit
d'emmener ce furieux et de faire rafraîchir ses esprits dans quelque
cellier bien frais de leur caserne.

Ainsi, nous ne pûmes jamais savoir ce que Genséric avait fait de ses
Vandales, et peut-être que ce baron nous eût renseignés là-dessus sans
le contre-temps, car, à en juger par ses vers, il avait bien la mine de
descendre par la ligne la plus directe de cette peuplade barbare-là.

M. de Moncontour qui entendit parler de cette aventure-là, et que
j'avais été pour quelque chose dans la défaite de ce capitan, fit si
bien auprès de Mme de Montespan avec qui il en usait privément que
j'eus enfin un ordre du roi pour entrer dans sa troupe. Ainsi, l'action
d'un insensé me servit plus que toutes les machines que Molière et les
autres avaient fait jouer dans la vue d'obtenir cette grâce, ce qui
montre assez que ce n'est ni le mérite ni la vertu qui font la fortune
des hommes ni la gloire des empires, mais le hasard, l'occurrence et
peut-être même certaine injustice, par où le souverain maistre de la
terre et des cieux se plaît à faire éclater sa puissance et à faire
révérer sa fantaisie.



XIV

SCAPIN HÉROS


Dès que j'eus eu l'insigne honneur d'être admis dans la compagnie de
messieurs les comédiens ordinaires du Roi, nous partîmes pour l'armée
de Flandre. Ce début pourrait surprendre et j'entends déjà quelque
censeur sévère demander avec un sourire si c'était que nous avions
formé le dessein de réduire les Républiques par les bâtons de Jodelet
ou les seringues de Purgon... Ami censeur, arrête-toi ou plutôt fais
réflexion sur la gloire de Louis qui, non satisfait de mener après lui,
dans un camp, Mars et Bellone tenant la Victoire enchaînée, faisait
accompagner les divinités redoutables par les Jeux et les Ris, par
Comus et par Thalie.

En d'autres termes, cela veut dire que le roi ayant résolu d'abaisser
l'orgueil des Hollandais et de châtier l'insolence de leurs gazettes,
commença d'attaquer leurs places, dont il prit quatre en huit jours,
après quoi il marcha droit à l'Issel et, passant dans l'île Batave,
mit le siège devant Arnhem. Ce grand prince avait jugé à propos de
faire venir les dames pour leur donner le divertissement de la guerre
et, tous les jours que l'on ne se battait pas, ce n'étaient que fêtes,
cadeaux et galanteries; le soir nous avions l'honneur de figurer devant
Sa Majesté, dans des granges proprement et prestement disposées ou
dans les salles de conseil des bourgeois. Cela me rappelait un peu les
aventures comiques du début de ma carrière, sauf l'incertitude du gîte
et du souper. Nous recevions six livres par jour et nous avions part
aux distributions de vivres; savoir, par représentation pour la troupe,
huit pains et un setier de vin de table.

Il arriva vers le quinze de juillet, qu'étant devant Arnhem, qui
faisait mine de se défendre, et comme on commençait à pousser des
lignes, Molière nous dit que nous allions répéter dans le jour, parce
que, ce soir-là, nous aurions l'honneur de jouer devant la cour, qu'il
fallait tirer des coffres nos ajustements, qui étaient un peu fripés,
et les endosser pour juger de l'ensemble.

Nous avions à peine eu le loisir de débrouiller deux scènes, qu'on
entendit un bruit de mousqueterie si proche et si effroyable, que
nos comédiennes s'épouvantèrent et que nous courûmes tous, dans la
mascarade de nos rôles, pour savoir ce que c'était.

Nous vîmes que quelques escadrons frisons, avec un peu d'infanterie,
avaient fait une sortie; leurs rangs, fort bien alignés, s'étendaient
entre les remparts et nos tentes, pendant que les décharges des fusils
formaient de petits nuages ronds de fumée, parmi les quinconces
d'arbres; plus près de nous, un gros de cavaliers arrivait au galop, et
nous reconnûmes M. de Turenne à son cheval pie, qui se cabrait la queue
à terre: d'autres gentilshommes accouraient, vers lui, le chapeau à la
main, lui montrant l'ennemi, et dans le fond, on découvrait le roi, à
pied, suivi de la cour, appuyé sur sa grande canne et regardant la
bataille.

Dans cet instant, nous aperçûmes ce que ni M. de Turenne ni le prince
ne pouvaient distinguer, à cause d'une certaine pente que le terrain
faisait en cet endroit: c'était un bataillon de troupes wallonnes, qui,
se glissant à la faveur du coteau, commençait d'emporter nos ouvrages
et menaçait de brûler nos magasins. Je ne sais quelle fureur guerrière
s'empara alors de mes esprits ou si le parchemin qui m'exemptait de
la taille et me faisait noble agit sur mon cœur, mais, saisissant la
hallebarde d'un mort et ralliant quelques grenadiers que le succès
de l'ennemi avait dispersés, je courus sur les Hollandais, qui ne
s'attendaient pas à cette attaque-là et que nous mîmes facilement en
fuite, parce qu'ils furent aussitôt débandés que surpris.

De là, poursuivant notre pointe et faisant toujours reculer les
guerriers des États, nous tournâmes si bien la position que, prenant de
flanc les escadrons frisons que M. de Turenne faisait dans le moment
charger de front, nous ne contribuâmes pas peu à jeter la panique
parmi cette cavalerie qui, tournant bride enfin et remettant son salut
aux jambes de ses coursiers, rentra dans Arnhem plus précipitamment
qu'elle n'en était sortie.

Mais que direz-vous de l'étonnement des généraux et de toute la cour
quand, voyant les rangs s'éclaircir et le renfort apparaître, ils
reconnurent que ces soldats, qui avaient si bien taillé des croupières
aux reîtres de M. le prince d'Orange, étaient conduits par une manière
de masque ou de matassin vêtu d'une souquenille à raies, avec un
bonnet semblable sur la tête, point de cheveux sous ce bonnet et un
pied de blanc sur les joues? Ils pensèrent d'abord qu'ils avaient
la vue troublée ou que c'était quelque fantôme, mais la façon dont
je m'escrimais avec ma hallebarde et le rapprochement, leur firent
connaître enfin que ce fantôme était un homme et que cet homme menait
grand train ces pauvres gens, assez vaillants à la vérité, mais mal
conduits par des officiers dont le mérite consistait principalement à
être enfants ou parents de bourgmestres des bonnes villes.

Voyant cela et que déjà Arnhem n'était pas dans le cas de résister
longtemps aux ordres du roi, M. de Turenne prit des dispositions si
exactes et des mesures si justes, que des bombes bien ajustées ayant
embrasé quelques maisons, les femmes s'attroupèrent et contraignirent
le gouverneur de faire battre la Chamade.

Le soir, au moment que j'allais paraître en scène et que je préparais
déjà mon dos de Scapin aux bâtonnades de Géronte, quelqu'un vint me
chercher de la part de M. de Turenne et m'emmena malgré mes camarades
ébahis qui juraient que le roi attendait et qu'il nous fallait
commencer. Mais quand je fus entré dans un appartement assez magnifique
et fort proprement meublé qui était plein de courtisans, on me fit
tourner à droite et par un réduit fort obscur, l'on me poussa dans un
cabinet où je vis un seigneur assis auprès d'une dame bien parée et si
parfaitement belle qu'il eut quelque peine d'en détourner les yeux pour
me considérer.

—C'est toi, demanda-t-il, qui tout à l'heure crossais si bien les
Hollandais de ta hallebarde?

Je l'assurai qu'il ne se trompait pas.

—Cela étant, continua-t-il, tu es un brave et si tu veux changer ton
sarrau de Scapin contre une épée de sergent, cela est en ton pouvoir.

—Monsieur, lui répondis-je, j'ai trop reçu de volées dans les
comédies; je ne voudrais point emporter cette coutume-là sur les champs
de bataille du roi.

La dame rit et le gentilhomme en parut charmé.

—Je vois bien, dit-il, que tu as la mine de mourir Scapin, mais Scapin
doit avoir soif; voilà pour boire à la santé du roi et des dames.

J'attrapai au vol une bourse assez ronde et fis le gros dos en bon
valet de comédie.

—C'est bien, vas jouer ton rôle et nous t'applaudirons si tu es aussi
parfait histrion que bon soldat.

Un instant après, la toile se levait sur le premier acte des
_Fourberies_ et je voyais sur un fauteuil, seul en avant et dans un
appareil qui approchait la majesté des dieux, l'homme à la bourse ayant
non loin de lui la dame au doux sourire.

C'était le roi et Mme de Montespan.

Mes jambes en tremblent encore quand j'y pense...



XV

LES MATASSINS


Après cela, M. de Rochefort ayant manqué son coup sur Muyden, pour
vouloir marcher avec trop de précaution, le comte Maurice de Nassau se
jeta dans cette place où se trouvaient les écluses de Hollande, qu'il
sut lâcher si à propos que les eaux de la mer couvrirent le pays, de
manière que nous n'eûmes plus qu'à nous en aller, parce que les armées
du roi n'avaient pas encore appris à combattre en nageant, comme font
les canards ou les castors, ce qui fait voir qu'on ne pense jamais à
tout dans l'instruction des milices.

Cela fut cause que nous quittâmes Nimègue dans le temps que nous nous
préparions à jouer _Pourceaugnac_, pour le divertissement de M. de
Turenne, et nous le fîmes si précipitamment que, sans perdre le temps
en cérémonies, nous montâmes sur notre char comique dans le costume de
nos rôles, et moi sous celui de Sbrigani, qui était une souquenille
rayée de vert et de jaune, à la façon des papegais, avec une fraise
bien godronnée, fort propre à tenir le cou raide dans les cahots du
chemin.

Nous partîmes au travers des ombres de la nuit en même temps qu'un
escadron des chevau-légers de M. le Prince lesquels, éclairant notre
route par le moyen de torches qu'ils tenaient en l'air, rappelaient
assez parfaitement ces coureurs dont parle Ennius, qui se passent de
mains en mains des flambeaux. Nous roulions ainsi depuis un fort long
temps, en pestant tout haut contre l'incivilité de ces républicains et
l'incommodité de leurs chemins, quand un gentilhomme, s'approchant,
vint nous dire avec beaucoup d'honnêtetés que les troupes allaient
camper dans un village dont on apercevait les feux à quelque distance
et que pour nous notre gîte serait chez le bourgmestre, dont la maison
se trouvait à propos là, ajoutant, avec un souris à l'adresse des
dames, que ce magistrat champêtre était bien fortuné de loger chez lui,
à la fois Thalie, Melpomène et Vénus.

Il ne parut pas cependant que ce brutal de Flamand fût si sensible que
cela à cette faveur du destin, car, sitôt que nous eûmes heurté à son
huis, nous l'entendîmes crier au voleur en appelant ses servantes.
Comme elles ne répondaient pas et que rien ne remuait, sinon le vent
qui nous troussait et nous faisait claquer des dents, nous nous
délibérâmes de jeter bas la porte en employant une poutre que Béjart
trouva et qui lui parut placée là, depuis le commencement des siècles,
pour l'usage auquel elle servit et qui fut de nous faire entrer
derrière elle dans cette demeure ennemie.

Nous pensâmes périr à force de rire quand nous vîmes que le brave
bourgmestre, ayant enfin rassemblé le bataillon de ses servantes, les
avait armées de balais et se tenait derrière elles, les animant au
combat et faisant de grands gestes avec une broche qu'il avait été
décrocher à la cuisine.

Me tournant alors vers la troupe de matassins qui se donnaient
au diable d'être si rudement reçus, je leur dis que c'était à eux
d'enlever une citadelle ainsi défendue; aussitôt, dressant leurs
seringues de la manière que les grenadiers font de leurs piques pour
aborder l'ennemi, ces bouffons se précipitèrent si vaillamment qu'ils
rompirent la ligne des servantes, les obligèrent de se disperser, de
manière que nous pûmes croire qu'elles avaient fui à la nage.

Après cet exploit-là, nous fûmes les maîtres dans cette demeure et il
ne tint qu'à nous d'être bien persuadés que nous étions citoyens des
Républiques et bourgmestres de père en fils; nous découvrîmes une si
prodigieuse quantité de pâtisseries, salaisons, fromages, confiseries
et autres provisions matérielles, que, devant un tel harnais de
gueules, nous ne songeâmes plus qu'à nous y bien atteler pour tirer en
triomphe le char de la bonne chère. Cependant du Croisy, qui aimait
à boire, trouvait que la partie spirituelle était fort négligée,
entendant par là que sans Bacchus, dieu des coupes pleines, Comus,
roi des festins, se morfond. Ne point trouver de vin dans un pays où
il y a tant d'eau eût semblé une gageure; nous la gagnâmes, grâce
au stratagème de Lagrange qui, par le moyen d'un nœud coulant, sut
fort subtilement pêcher dans la cave, laquelle était bien incivilement
fermée, tout un banc de bouteilles à qui nous fîmes bien voir que nous
avions plus horreur du vide dans nos estomacs que dans leurs panses; de
sorte que nous étions tous assez bien conditionnés quand une vilaine
aurore, qui semblait transie à force d'être mouillée et dont les doigts
étaient plutôt de cendres que de roses, entr'ouvrant des courtines de
brumes, nous montra les eaux étendues dans toute la campagne d'où notre
maison émergeait comme une île ou comme ce rocher du château d'If où
les consuls de Marseille envoient quelquefois les comédiens apprendre
leurs rôles.

Confondus d'abord à la vue d'un tel spectacle nous employâmes en
conscience quelques heures à pester contre cette mystification
des éléments, après quoi, jugeant bien qu'on viendrait enfin nous
délivrer et que le roi ne laisserait pas sa troupe ordinaire réduite
à s'entredévorer comme dans le festin de Thyeste, nous retournâmes
aux jambons de notre hôte après avoir prié notre ami d'exercer encore
son industrie sur les flacons, de manière qu'à la fin nos matassins
s'enivrèrent si parfaitement qu'ils furent bientôt plongés dans un
sommeil auprès duquel celui des Sept-Dormants aurait paru de la
frénésie. Les laissant cuver leur vin dans une salle basse, nous fîmes
partie de nous assembler à l'étage supérieur de notre arche, pour
lire les productions de nos auteurs et choisir quelque pièce qui fût
digne de réjouir le Prince, exemple de fermeté dans le malheur et de
constance dans le devoir dont l'antiquité, elle-même, ne donne que trop
peu d'exemples.

Mais quelle ne fut pas notre surprise et jusque notre terreur lorsque,
dans le moment où du Croisy nous débitait le songe de Cyaxare, roi des
Mèdes, nous vîmes tout à coup nos matassins entrer brusquement, et
quand, mettant en batterie leurs instruments, ils commencèrent à nous
inonder d'eau, comme si nous n'étions pas assez remplis par les yeux,
de ce fade et fâcheux liquide. Pensant que cette racaille avait encore
l'entendement brouillé par les fumées du vin, nous songeâmes d'abord à
leur donner quelques coups de nos bâtons en guise d'ellébore, mais nous
ne les trouvâmes non plus que nos rapières, et fûmes contraints de
battre en retraite sous cette artillerie humide et fort bien dirigée.

Nous descendîmes, en désordre, le degré pour nous réfugier dans la
salle basse où notre surprise fut prodigieuse de trouver endormis les
camarades à qui nous croyions devoir cette arrosée. Béjart était tout
prêt à jurer que nous avions eu affaire à des fantômes, mais les éclats
de rire, bien humains, qui retentirent et la vue des pauvres bouffons
dépouillés de leurs surtouts, nous firent enfin connaître que nous
avions eu affaire aux servantes du bourgmestre, et que ces péronnelles
n'avaient pas craint de traiter une illustre compagnie comme le pauvre
M. de Pourceaugnac le fut par les soins de Sbrigani.

En cet instant, des trompettes sonnant au dehors nous firent accourir,
et nous fûmes dans la dernière satisfaction de voir que des soldats
venaient nous chercher en faisant mouvoir des barques par le moyen des
rames; secouant nos ivrognes et les poussant de la main et du pied,
nous nous embarquâmes sans plus attendre, laissant le bourgmestre au
milieu de ses servantes matassines.

Cet homme-là pouvait bien se vanter d'avoir eu la comédie à bon compte
et des meilleurs acteurs qui fussent...



XVI

«PHÈDRE»


Quand nous revînmes couverts de ces humides lauriers, c'était le temps
que Paris et la France disputaient sur le mérite de la _Phèdre_ de
Racine ou de celle de Pradon et tel qui n'avait jamais rien entendu
à la prosodie jurait hardiment sur son âme que les vers de l'un ne
valaient rien et qu'il n'y avait rien de si parfait que ceux de
l'autre, selon qu'on tenait pour Port-Royal ou pour Mme de Bouillon.
Je ne fus pas plus tôt entré à la comédie et les garçons n'avaient
pas encore fini d'allumer les chandelles que l'on entendit un bruit
de sifflets qui faisaient la plus triomphante musique du monde et me
remirent en mémoire ma jeunesse et mes débuts.

Cependant cette fureur s'apaisa un peu quand le rideau commença de
se lever et quand Mlle de Champmeslé vint dire ses plaintes dans un
langage qui paraissait moins des mortels que des dieux.

En jetant les yeux autour de moi, je remarquai un homme mis proprement
et paraissant de condition, qui faisait la figure la plus étrange et
la plus hétéroclite qui se pût voir, à chaque vers que les comédiens
débitaient.

Il se remuait sur son siège, mordant son poing, frappant du pied,
branlant la tête et parfois, quand le parterre faisait voir qu'il
sentait les extrêmes beautés de cette tragédie, il se tournait vers
lui, faisant des nargues et criant:

—Que c'était bien là un sot parterre pour s'ébahir de sottises!

Comme il remplissait mes oreilles du ramage de son indignation, je
lui dis à la fin, fort posément, que s'il prenait tant de déplaisir à
entendre ce que l'on débitait sur le théâtre, il n'y avait rien de si
pressé et qui fût plus propre à le satisfaire que de s'en aller se
mettre dans ses draps, avec quelque chaudeau que lui ferait sa servante
ou sa femme; mais lui, à ce propos, crispant les mains et roulant des
regards plus furibonds que ceux du monstre de Théramène, me saisit
à la gorge d'une telle force que je crus à ce coup que le goût des
spectacles m'en passerait pour jamais.

Il criait en m'étranglant:

—Où est la douceur d'Euripide, Monsieur le croquant, et ne faut-il pas
que ce Racine soit un grand vaurien pour suivre d'aussi loin ce poète?

A quoi j'aurais pu répondre que le sieur Pradon s'en tenait bien
plus loin encore par la pauvreté de son style et l'infirmité de son
invention, si mon homme ne m'avait pressé le bouton à faire rendre
l'âme.

Comme de semblables contestations n'étaient pas rares, le public ne
prenait pas trop garde à notre querelle et quand mon bourru m'eut enfin
proposé de sortir pour terminer la chose, nous pûmes le faire sans
qu'on y prît garde et gagner un endroit fort ombragé qui était proche
la Seine et merveilleusement propre à vider un différend.

Nous mîmes l'épée à la main sans autre discours; mais il n'était pas
meilleur spadassin que bon juge en matière de théâtre, car, dès le
premier coup que nous nous portâmes, je pris son fer par dessous et
l'envoyai sauter à quelques pas, après quoi je lui tins ma pointe au
visage en disant par badinage:

—Convenez à présent que Pradon est un méchant auteur ou vous irez
incontinent l'applaudir en Enfer.

Mais cet homme, le plus sérieusement du monde, tendant sa poitrine et
s'offrant au trépas, me répondit:

—Pousse, chien et que je meure en répétant que ta _Phèdre_ ne vaut
rien!

Il n'y avait rien à dire après ce trait digne de la vie des grands
capitaines; je ramassai son épée et, après la lui avoir rendue, l'ayant
salué, je m'éloignai vers le théâtre.

Cette action cependant devait avoir d'étranges suites pour moi. Il
se trouva en effet que l'un des spectateurs qui s'était dérangé pour
observer les effets de cette dispute comique, sitôt qu'il nous eut vu
prendre en si petite considération les édits du Roi sur les combats
singuliers et les commandements de MM. les Maréchaux, il courut au
devant d'une troupe d'archers du guet qui faisait pour lors sa ronde en
les avertissant charitablement que nous étions en train d'en découdre,
ce qui, par l'événement, se trouva moins vrai qu'il ne pensait et de
moindre profit pour lui. En effet, quand les alguazils arrivèrent sur
les lieux dont nous étions déjà loin, soupçonnant que le sycophante
avait voulu leur en donner à garder ou peut-être plutôt par l'effet de
leur humeur naturelle qui est de battre, ils firent pleuvoir tant de
coups sur ce pauvre homme qu'ils le laissèrent sur la place et si mal
en point qu'il ne reprit ses esprits que pour aller se faire trépaner
chez un barbier de sa connaissance et beaucoup plus mal accommodé qu'il
n'eût été par l'épée d'un de ces spadassins que les verges de cette
escouade recherchaient au nom du Roi.

Toutefois, comme certaine rumeur de cette affaire avait transpiré un
peu plus peut-être qu'il n'était nécessaire pour ma tranquillité,
Molière me persuada qu'il n'y avait rien qui fut si pressant par moi
que de quitter la ville et de faire un tour en province en attendant
que ce bruit fut assoupi.

Je me souvins justement que M. de Moncontour m'avait mandé un peu
auparavant qu'un homme de qualité du pays chartrain, nommé M. de la
Maisonfort, lui avait écrit pour le prier de lui envoyer quelque homme
de l'art propre à arranger un spectacle pour en donner à ses amis le
divertissement de la comédie, et m'étant muni d'une lettre que ce
seigneur m'écrivit et d'une bourse de cuir que Molière remplit, je
m'éloignai dès le matin de la capitale, l'esprit si troublé par la peur
que je prenais pour la maréchaussée tout ce que je rencontrais sur mon
chemin.

Cependant poussant mon cheval avec plus d'ardeur que ces cochers des
jeux Olympiques qui disputaient le prix à la course des chars, je
finis par atteindre une auberge dans un village qu'on me dit être
proche de Rambouillet et dont l'hôte me rassura d'abord parce qu'on
voyait bien que jamais plumets bleus n'étaient entrés chez lui; sans
cela ils l'eussent sûrement emmené d'abord sur sa mine qui n'était
pas imaginaire, car il me dépouilla en conscience pour un repas
d'anachorète et pour un lit de capucin, j'entends de ceux qui suivent
les règles de leur ordre et qui ont scrupule à se donner des douceurs
plus convenables à des chanoines qu'à ceux qui ont fait profession
d'austérité.



XVII

LA BATONNADE SCAPIN


M'étant remis en route après cela le lendemain, la chaleur du jour
m'engagea au bout de quelque temps à rechercher l'ombre d'un couvert.
Je pris en conséquence un sentier détourné de la route qui, s'enfonçant
insensiblement parmi des bosquets fort touffus, me conduisit dans
une solitude si délicieuse que je balançai un moment si, renonçant
pour l'heure à pousser plus loin mon voyage, je ne descendrais pas de
cheval, pour me livrer sur ces gazons épais aux douceurs du repos. On
n'entendait que le bruit des oiseaux; un lent et doux zéphyr agitait
les feuilles des arbres et chatouillait mon cœur d'une certaine peine,
douce et tendre, qui paraissait l'atmosphère même de ces beaux lieux
confidents.

Dans le moment que je considérais un spectacle si charmant, j'aperçus,
au bout d'une allée, une petite maison que l'art et la nature
semblaient s'être, de concert, étudiés à rendre agréable. Je fus si
transporté de cette vue, que je me délibérai aussitôt de m'avancer vers
ce bâtiment, jugeant qu'il ne pouvait être que la demeure d'un honnête
homme, et qu'il fallait, pour l'avoir choisie, un mérite extraordinaire.

Cependant, comme j'étais descendu de cheval et que je faisais quelques
pas dans l'avenue, je vis bientôt venir à moi une jeune personne qui me
parut moins une mortelle qu'une divinité. Sans être grande, elle avait
dans son port toute la majesté qu'on peut souhaiter chez une princesse,
et sa façon de marcher était si belle et si fière, que l'on pensait
qu'elle exécutât quelque pas de danse quand seulement elle foulait
d'un pied léger l'herbe fleurie des prairies. M'étant approché pour la
saluer, je vis qu'elle avait le plus beau teint, une bouche incarnate,
le nez fait sur le modèle des Grâces, avec sur tout cela des yeux
bleus et si doux, qu'ils donnaient à l'esprit la saveur que le goût
trouve au miel. L'éclat du soleil l'avait contrainte de couvrir d'une
paille rustique ses cheveux, les plus blonds du monde, et elle portait
en ses mains, parfaitement belles et aussi jolies que si on les avait
faites exprès, un bouquet de fleurs des champs qui avaient bien la
mine, encore qu'elle vînt de les cueillir, d'avoir moins de fraîcheur
que le coloris de ses joues.

—Je vois bien, madame, lui dis-je, que ma présence dans ce jardin est
fâcheuse, et je vous prie d'excuser, là-dessus, mon incivilité; mais,
appelé chez un gentilhomme de ce pays pour une affaire qui n'est pas
de grande conséquence, je me suis égaré durant la chaleur et laissé
entraîner ensuite par l'envie de me mettre à l'ombre et la tentation de
ces arbres si frais. Souffrez cependant, madame, que je vous exprime
mon ravissement d'une rencontre aussi agréable. N'imaginez pas qu'en
parlant ainsi j'ai dessein de vous offenser, mais considérez, au
contraire, qu'un aveu si dépouillé d'artifice et peut-être si prompt
marque assez le désordre de mes esprits et la confusion de mes sens.

La belle, à ces mots, montrant une rougeur nouvelle, fit un mouvement
pour fuir et, en même temps, elle laissa échapper les fleurs qu'elle
tenait entre ses bras; me précipitant pour les ramasser, je les tendis
à cette nymphe en m'écriant:

—Madame, si je n'ai point été le maître du sentiment qui m'a fait
parler, je serais au désespoir qu'il vous ait paru moins respectueux
que l'embarras qui y succède et que, jusqu'ici, je n'avais jamais
ressenti.

Je ne voudrais pas jurer et encore moins gager qu'une déclaration si
précieuse ne fût pas, dans mon souvenir, fournie par la mémoire d'un
rôle autrefois débité devant les chandelles; mais, pour nous autres
comédiens, la fiction se mêle si étroitement à la réalité, qu'il n'y
a rien qui ressemble chez nous davantage à la passion qu'une phrase
bien déclamée, ni à la vertu qu'une tirade bien apprise. J'aurais
peut-être poursuivi ce discours singulier, si cette jeune personne ne
m'avait répondu avec beaucoup de modestie qu'en changeant de propos je
lui montrerais, mieux que par toutes les protestations, que j'étais
mortifié de l'avoir chagrinée.

Comme elle achevait ces paroles, un tendre incarnat vint, encore une
fois, rehausser la blancheur de son visage; mais le regard qu'elle me
jeta faisait paraître assez qu'elle ne m'en voulait pas de l'avoir
provoqué. Après cela, elle me demanda, sans doute par manière de
contenance, quel était ce gentilhomme chez qui j'allais et le nom de
sa terre, parce qu'elle connaissait bien le pays tout à la ronde et
qu'elle m'indiquerait le chemin puisque je l'avais perdu.

—Madame, lui répondis-je, le seigneur que je dois voir se nomme M. de
La Maisonfort, et le château qu'il habite est du nom de Rochefitte, que
ce cavalier prit autrefois pour suivre à l'armée le roi en Flandre.

La belle fit un ris malin et m'apprit que j'étais à la vérité assez
éloigné du but de mon voyage, mais qu'en suivant un chemin dérobé
qu'elle m'enseignerait je parviendrais assez rapidement chez M. de La
Maisonfort, et qu'au surplus je rencontrerais beaucoup de cavaliers sur
cette même route, parce qu'il y avait une fête au château de Rochefitte
et qu'on y donnait la comédie, avec les violons, parce que Mlle de La
Maisonfort devait épouser bientôt M. le marquis des Guirandières, que
c'était une affaire faite et qu'il n'y avait plus à revenir là-dessus.

Elle cessa de parler en disant cela et laissa paraître un peu d'ennui,
qui se traduisit par des soupirs et quelques pleurs venant humecter
sa paupière. Il ne me fut pas malaisé de comprendre qu'elle prenait
quelque part à ce prochain hyménée, et je jugeai aussitôt que ce
marquis, trop fortuné et sans doute infidèle pour une autre, était
l'objet de ces regrets et la source de ces larmes.

Plein de tristesse et dévoré de jalousie, comme si j'avais sujet
d'avoir l'une et l'autre, j'allai délier la bride de mon cheval, qui
était attaché à un arbre, et je pris congé de la belle mystérieuse avec
une précipitation où le souvenir du marquis entrait pour quelque chose.

Après avoir fait plusieurs détours par des sentiers qui me parurent un
second labyrinthe, j'arrivai devant un château d'une belle apparence,
et qui était tellement illuminé à l'intérieur, que la quantité de
feux qui sortaient par ses fenêtres forçaient à reculer jusqu'au fond
des bosquets les ombres de la nuit. Un agréable concert de violons et
de luths se faisait entendre et l'on devinait bien, aux bruits des
vaisselles agitées dans les cuisines et aux fumets succulents qui s'en
échappaient, que l'estomac n'aurait pas moins de part aux réjouissances
qui se préparaient que les oreilles et les yeux.

Sitôt que je me fus fait connaître à M. de La Maisonfort pour le
comédien qui venait aider des lumières de son art les personnes de
qualité disposées à se donner le plaisir de paraître en public, à la
manière des baladins, ce seigneur me mena avec de grands éclats de joie
dans une salle magnifiquement préparée, où l'on avait élevé une estrade
pour jouer la farce de Scapin, et où je vis un gros gentilhomme déjà
habillé du long pourpoint de Géronte, et qui faisait le bouffon et le
vieillard avec des mines comme s'il eût eu besoin de cela pour paraître
les deux. Mais que devins-je en apercevant auprès de lui ma divinité
du jardin et en apprenant à des signes certains que ce comédien de
fortune n'était autre que le marquis épouseur, ce château la façade de
la petite maison autour de laquelle la belle malicieuse m'avait fait
tourner et retourner, et cette noce celle de cette Galathée avec ce
Polyphème. Je pensai étouffer de rage et de dépit.

Dès que nous eûmes commencé de répéter, je vis que mon rival était le
plus sot des hommes et je compris la tristesse que j'avais remarquée
dans les yeux de ma princesse. Elle-même qui jouait dans la pièce,
avec des grâces non pareilles, le personnage de Zerbinette, marquait
si bien par ses regards et ses silences le dégoût que lui inspirait
une telle union, imposée par la cupidité d'un père, que, ne pouvant
plus supporter un sort si fâcheux et si contraire, je me résolus d'y
mêler un dénouement de ma façon. Je dis au marquis que c'était la scène
de Géronte et de Scapin qu'il fallait le mieux étudier, parce que
c'était là qu'éclatait particulièrement l'art des deux comédiens, et
l'ayant persuadé de se mettre dans le sac que je fermai en l'assurant
que c'était la tradition de Molière, je lui servis une bâtonnade qui
n'était pas dans la pièce.

M. des Guirandières criait au travers du sac, comme s'il eût été
Géronte lui-même; M. de La Maisonfort, me jugeant pris de frénésie, me
tirait par mes basques en jurant comme un Suisse, et sa fille riait
aussi fort et aussi haut que si elle eût été, en effet, Zerbinette,
la supposée Égyptienne. A la fin, le marquis, rompant ses entraves
de chanvre, s'enfuit si courroucé qu'il ne voulut rien entendre aux
raisons de M. de La Maisonfort,—et vraiment je ne sais de quelle sorte
ce seigneur eût pu en donner,—et c'est ainsi que par mon artifice je
sus rompre cet hymen odieux... en même temps que les côtes du marquis.



XVIII

LE JEU DE L'AMOUR ET DE LA COMÉDIE


Je connus, après que j'eus eu rossé Géronte comme il faut, qu'il n'y a
rien de tel que les coups pour mettre les choses en place. Sitôt que
le marquis des Guirandières se fut enfui sous mon bâton, et dans le
moment que M. de La Maisonfort, indigné de mon action, allait peut-être
attirer, à mon tour, sur mes épaules, une averse de bois, il se fit
un mouvement parmi ceux qui s'étaient assemblés pour la noce ainsi
dérangée, et quelques-uns s'en vinrent dire à notre hôte que j'avais
agi plus sagement qu'on ne pouvait l'attendre d'après ma souquenille
de Scapin, parce que ce marquis était un débauché qui ne visait à rien
qu'au bien de M. de La Maisonfort et de sa fille, et que, pour ses
affaires, elles n'étaient pas en aussi bon point qu'il le publiait,
mais qu'au contraire ses revenus étaient décrétés et qu'il avait dû
engager à des traitants, pour faire figure, la terre d'où il tirait son
marquisat.

Connaissant, par ces discours, des vérités qu'il aurait sans doute
sues beaucoup plus tard si cet homme-là de promis était devenu gendre,
M. de La Maisonfort crut qu'il ne devait plus donner tant de regrets
à la rupture d'un hyménée pour lequel, maintenant, il sentait moins
d'attrait que sa fille n'y marquait d'éloignement et, sans toutefois
paraître excuser mon transport, mais faisant mine de mettre sur le
compte de quelque égarement passager ma furie bâtonnante, ce seigneur
me dit qu'il me verrait volontiers établir ma demeure, pour quelques
jours, dans son château, parce qu'il n'y avait rien qu'ils aimassent,
sa fille et lui, comme les vers et la comédie, et qu'il n'y avait point
de semaine qu'ils ne se donnassent le plaisir de représenter, pour
eux seuls, quelque scène des bons auteurs; que, cependant, sa fille,
Angélique—c'était le nom de cette demoiselle—avait besoin qu'on lui
montrât quelques-uns des secrets du nouveau jeu des comédiens et qu'il
avait jeté la vue sur moi par le canal de M. de Moncontour, parce que
j'étais de la connaissance de Molière et qu'il n'y avait pas de poète
comique qu'il prisât autant que celui-là.

Je lui dis que, sur ce pied-là, j'étais son homme et que, pour ce
qui était d'apprendre à la demoiselle quelque scène nouvelle, j'en
faisais mon affaire, mon triomphe étant, à la vérité, dans l'emploi des
valets, mais que pour les amoureux j'y réussissais assez bien aussi. Le
bouffon est qu'Angélique, imaginant que j'inventais cette fable pour me
rapprocher d'elle, après l'aventure du jardin et l'aveu soudain que je
lui avais fait de ma passion, ne pouvait se défendre de rire et que je
vis bien qu'elle me prenait moins pour un comédien véritable que pour
un amant déterminé.

Le lendemain fut le jour que j'entrai dans les fonctions de ma charge.
M. de La Maisonfort avait fait préparer une galerie, au bout d'une
terrasse, que des caisses d'orangers ornaient, entremêlées de termes
et de quelques fontaines. Pour la galerie, elle était fort proprement
pavée par le moyen de carreaux noirs et blancs et décorée, dans le
goût antique, de pilastres, d'astragales et de festons en façon de
guirlandes. Ce lieu me parut le plus agréable du monde parce que, dans
le moment que j'en franchissais le seuil, j'y aperçus la divinité qui,
depuis quelques jours, faisait toute ma pensée.

Angélique était assise sur un carreau de satin et paraissait rêver très
profondément. Elle appuyait la tête sur une de ses mains et laissait
tomber l'autre bras nonchalamment à côté d'elle. Dans cette posture,
on remarquait la finesse de sa taille et la bonne façon de son habit,
mais j'en augurai de plus qu'elle était occupée par quelque sentiment
tendre et la bonne opinion que j'avais de mon mérite me fit juger que
ce sentiment devait s'adresser à moi.

M'étant donc approché, je commençai à l'entretenir d'une manière que
le badinage se mélangeait d'une certaine douceur, et je vis qu'elle
ne laissait pas que d'être sensible aux mouvements que je faisais
paraître. Nous nous mîmes cependant à faire la répétition d'une scène
de l'_Avare_; j'avais choisi le personnage de Valère, parce qu'il
s'accommodait assez avec celui que je figurais, puisque je cachais
un nom de gentilhomme, celui du chevalier de La Fontette, sous le
sobriquet du comédien Bellefleur. Angélique, de son côté, sut en peu
de temps faire ma partie dans le rôle d'Élise, et rien n'était plus
touchant que de voir ainsi nos cœurs véritables, à travers des masques
de théâtre, échanger des aveux et subir des émois que Molière peut-être
n'avait pas prévus.

Au bout de trois ou quatre jours, nous disions à la perfection les
propos amoureux par qui s'ouvre le premier acte de cette pièce fameuse.
Mais quel ne fut pas mon trouble lorsque Angélique, parlant sans le
secours du livre et comme une personne naturelle, en vint à cette
phrase que prononce Élise: «Tout cela fait chez moi sans doute un
merveilleux effet, et c'en est assez, à mes yeux, pour me justifier
l'engagement où j'ai pu consentir; mais ce n'est pas assez peut-être
pour le justifier aux autres, et je ne suis pas sûre qu'on entre dans
mes sentiments...» Je vis quelque chose qui me parut des pleurs
humecter sa paupière, et je jugeai qu'elle appliquait à elle-même les
paroles qu'elle venait de répéter.

Aussi, continuant avec une passion très naturelle de faire le Valère,
je m'écriai:

«De tout ce que vous m'avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je
prétends auprès de vous mériter quelque chose et, quant aux scrupules
que vous avez, votre père, lui-même, ne prend que trop soin de vous
justifier à tout le monde...»

En parlant ainsi, et par un jeu de scène qui n'était pas indiqué dans
la pièce, je me prosternai à ses pieds, et, saisissant une de ses
belles mains, je la baisai avec une ardeur parfaite.

Ses regards n'annonçaient rien de fatal; elle me dit cependant, sans
prendre cette fois pour truchement le langage de Poquelin.

—Quittez une attitude où je rougis de vous voir, toutefois, puisqu'il
est inutile de vous défendre d'aimer, je ne prétends pas m'opposer à
votre inclination, pourvu qu'elle soit honnête; mais il faut cesser, du
moins pour aujourd'hui, un entretien qui n'a déjà que trop duré...

Elle s'interrompit soudain, et ses yeux, en se jetant avec une vivacité
effrayée vers l'endroit où la galerie s'ouvrait sur cette terrasse que
j'ai dite, m'avertirent d'un péril. Me tournant alors à demi, je vis
M. de la Maisonfort arrêté sur le seuil et montrant un maintien qui
marquait autant d'étonnement que de fureur.

Je balançai un moment si je devais me relever et m'enfuir, ou confesser
dans l'instant même ma flamme à ce seigneur et les projets que j'osais
former; mais Angélique, faisant voir qu'il n'y a rien qui ait tant
d'esprit et d'art qu'une fille sage, quand les intérêts de son cœur
commencent à l'émouvoir, me donna à entendre d'un signe qu'il fallait
demeurer en l'état où je me trouvais, et prenant par l'effet d'une
merveilleuse habileté la parole au moment même, elle me dit avec
une colère bien jouée que «c'en était assez et qu'elle savait bien
que Tircis était un volage qui faisait ses délices d'en conter aux
bergères».

Le père trompé, persuadé par cette parole et cette action que nous
venions de jouer une scène de comédie, et véritablement c'était en
ce moment-là que nous y réussissions le mieux,—cessa de montrer un
visage courroucé, et, s'étant approché, nous dit que les Tircis et les
bergères lui paraissaient des animaux assez fades et qu'il souhaitait
quelque chose de plus hardi et de plus neuf, comme de montrer quelque
tuteur ou quelque père bien dupé.

Nous promîmes à ce bon seigneur, si délicat sur les péripéties, que
nous lui en offririons bientôt une avec un dénouement si neuf qu'il
n'avait jamais été employé sur aucun théâtre et, véritablement, le
mariage comique et sérieux à la fois qui nous unit comme on va voir,
ne s'est pas traité encore sur une scène où l'on peut dire cependant
que tous les ressorts des passions et des mouvements humains ont été
successivement mis en jeu.



XIX

LE NOTAIRE SUPPOSÉ


Quand nous fûmes bien convenus avec Angélique qu'il n'y avait rien
de si nécessaire que de nous marier promptement tous les deux, nous
commençâmes à débattre quelles mesures nous pourrions prendre pour
amener un père fort entêté sur la qualité à consentir que sa fille
épousât Scapin. J'aurais pu, à la vérité, montrer à M. de La Maisonfort
que les planches ne faisaient pas déroger et que le chevalier de La
Fontette avait pu y paraître, tout en demeurant homme de condition,
comme La Thorillière, Brécourt, Hauteroches et quelques autres;
mais Angélique me dit que ce seigneur n'entendrait pas raison sur
ce chapitre, parce qu'il voulait faire d'elle une dame titrée et
qu'elle voyait bien que je ne jouais pas les marquis, même devant les
chandelles.

—Ne prenez point cependant, me dit-elle, l'aveu de cette répugnance
comme une couleur de renoncer au dessein que nous avons formé; mais
cherchons de concert une issue qui nous permette de nous laisser aller
à notre penchant. Je ne sais, continua-t-elle, si je manque, en parlant
ainsi, à la modestie qui doit régler les paroles et les actes d'une
jeune personne, mais je crois que l'on peut dire librement ce l'on
pense, lorsqu'on ne pense rien qui ne soit contraire à la vertu.

Je me prosternai aux pieds d'Angélique, en lui protestant que ma
tendresse était assez délicate pour entendre les sentiments qu'elle
laissait paraître et que, puisqu'elle le voulait ainsi, j'allais tout
préparer pour faire le succès d'un stratagème que je venais d'imaginer.

Ayant donc, dès le lendemain, repris mon cheval qui se plaisait plus
dans les écuries du château que sur les grands chemins, je me rendis à
la ville la plus prochaine, où le don d'une bourse qui contenait cent
pistoles et qui formait tout justement la moitié de mon bien détermina
de me suivre certain Nicodème vêtu de noir et de physique mélancolique
que je ferai connaître tout à l'heure. Je revins au château pour
dîner, sur l'heure de midi, et dès que j'eus expédié mon repas, je
fus, toujours avec mon homme, au-devant de M. de La Maisonfort qui
faisait, en compagnie de sa fille, quelques tours d'allée, sans doute
pour aider à la digestion d'un ragoût de lapin en fricassée dont il
était incommodé pour s'y être trop inconsidérément acharné. J'abordai
ce seigneur d'une manière qui était pour lui plaire, parce qu'elle
sentait son ancienne mode, c'est-à-dire en m'inclinant jusqu'à ce que
ma main droite, dégantée, touchât le sol, et lui ayant dit que mon
acolyte était un camarade fort habile à jouer dans les comédies, que
j'avais fait venir dans le dessein de lui donner un divertissement de
ma façon, je lui demandai congé de tout disposer dans la galerie avec
mademoiselle sa fille pour répéter ce petit morceau.

Mais, soit que la fatigue de son estomac l'indisposât contre toute la
terre, soit, comme je crus, qu'il eût reçu quelques rapports secrets,
touchant mes entretiens avec Angélique, M. de La Maisonfort déclara
tout net qu'il voulait aller avec nous dans la galerie, pour voir de
quelle façon nous conduirions notre répétition. Il me demanda aussi le
nom de mon compagnon, et je lui dis qu'il se nommait la Bazoche, parce
que son emploi était, d'ordinaire, de faire les hommes de robe ou les
tabellions.

Après cela, je donnai à Angélique et à l'inconnu noir un papier sur
lequel j'avais écrit ce qu'ils avaient à dire, et après avoir averti la
Bazoche qu'il ne parût que quand je lui ferais signe, j'exposai à mon
hôte, en ces termes, l'argument de la scène que nous allions jouer pour
lui:

—Imaginez, Monsieur, que je suis un jeune gentilhomme, du nom de La
Fontette, à qui Mademoiselle votre fille a donné dans la vue, bien
qu'il ne brûle pour elle que de l'ardeur la plus pure et la plus
respectueuse. Un père barbare s'oppose à leur union, mais ces honnêtes
et parfaits amants se sont vus réduits à user d'un stratagème pour
s'entretenir librement devant ce Géronte, qui a bien la mine de devoir
être dupé comme il faut.

—Bon, interrompit le seigneur, sur ce pied-là, votre scène me plaît
mieux que vos fades bergeries où l'on ne dit que des chansons. Il n'y a
rien de si réjouissant qu'un père ou un mari à qui l'on fait voir leur
béjaune, et pour moi je n'aime rien tant, après dîner, que s'ils sont
bien attrapés par un fourbe.

—Nous allons donc, lui répondis-je, vous donner bien de la
satisfaction. Commencez, Mademoiselle, sous le nom d'Isabelle, et
songez que je suis présentement Dorante.

ANGÉLIQUE (_lisant sous le nom d'Isabelle_).—Si la modestie ne permet
pas à une jeune fille de déclarer ses sentiments, la sincérité l'oblige
à confesser qu'elle en a pour un cavalier qui a du mérite, et comme
c'est justement l'état où je me vois, j'en éprouve la plus étrange
confusion du monde.

BELLEFLEUR (_lisant sous le nom de Dorante_).—Souffrez, Madame, que
je vous exprime le ravissement où vous me plongez par ce discours. Ne
pensez pas cependant que je reste en arrière dans un pas si périlleux
pour notre inclination réciproque; puisqu'un père, aux ordres duquel
vous vous soumettez sans murmurer, mais non sans regrets, s'oppose
à vous laisser former des nœuds si légitimes, il faut, par un
engagement qui nous lie à jamais, unir nos destinées en dépit de ce
seigneur.

ANGÉLIQUE.—Et le moyen, Monsieur, de le faire consentir à signer un
contrat en bonne forme, après lequel il n'y a plus qu'à aller devant un
prêtre? C'est une entreprise bien téméraire que d'essayer d'y parvenir,
et je vois bien qu'il me faudra finir mes jours dans l'ombre d'un
cloître, où ce père malheureux n'aura pas même la consolation d'essuyer
mes pleurs.

BELLEFLEUR.—Cessez, cessez, Madame, de présenter à mes yeux une image
qui les trouble, mais, vous représentant que nous jouons là une scène
de comédie, consentez que je fasse venir un honnête homme de notaire,
qui a écrit un contrat auquel il n'y a plus qu'à mettre les noms et
qui, sous l'aspect d'un bouffon, fera passer la chose comme un mariage
de comédie.

En ce moment, M. de La Maisonfort nous interrompit pour dire que
cette idée-là était heureuse et qu'il ne pensait pas l'avoir jamais
vue figurer dans un dénouement. Étant convenu que c'était un ressort
nouveau autant qu'admirable, je fis signe à la Bazoche de paraître
dans la galerie et lui dis fort posément que nous étions là deux
amants désireux de nous unir et qu'il n'y avait plus qu'à nous donner à
signer le contrat qu'il avait établi.

Cet homme alors, faisant des mines sérieuses les plus plaisantes du
monde et parlant par paroles authentiques en jargon de gardes-notes,
nous observa fort gravement que la volonté d'un parent y était au moins
nécessaire et qu'il ne pouvait rien faire sans ce concours, parce qu'il
y allait de son cou et que la justice ne badinait pas en de telles
matières. M. de La Maisonfort, qui pensait mourir de rire à voir les
airs solennels d'un si parfait baladin, s'écria qu'il voulait être de
la partie et qu'il jouerait le père, parce qu'il n'y avait rien de si
plaisant qu'un barbon truffé de la sorte.

—Sur ce pied-là, lui dis-je, nous allons répéter la scène du contrat,
et pour faire votre personnage, vous n'aurez qu'à mettre votre nom, en
grondant tout à votre aise, en bas du papier que voilà.

—Oui-dà! répliqua cet homme plein de malice; cela est du dernier
plaisant au moins, et je veux, quand je la saurai bien, représenter
cette farce-là devant mes voisins et particulièrement pour mon compère
M. de la Pimprenelle, qui s'est si bien laissé enlever sous le nez sa
fille par un gendre qu'il n'avait pas souhaité d'avoir.

—Il n'y a donc plus, Madame—et je repris ici la voix de Dorante—qu'à
couronner mes feux par un doux consentement et vous jeter aux pieds
d'un père pour le supplier de consentir à nos vœux.

—Il n'est pas nécessaire! s'écria M. de La Maisonfort, qui tenait
à paraître dans l'action pour montrer son mérite de comédien, et je
consens à tout ce qu'Isabelle désire!

Là-dessus, la Bazoche présenta son papier d'un air notarial et chagrin
à M. de La Maisonfort, que celui-ci, continuant à faire de grands
éclats de gaieté, se mit en bouffonnant à écrire son nom tout au long
du contrat, que nous signâmes pieusement, Angélique et moi, à notre
tour.

Comme la Bazoche—on l'a deviné—était un véritable notaire royal très
capable d'établir un acte et que celui-ci contenait, en cas de rupture
de l'engagement, un bon dédit bien stipulé, mon beau-père était pris
comme un sot.

Il ne nous marquait pas beaucoup de contentement d'avoir figuré de
cette sorte dans la farce du _Notaire supposé_.



XX

LE MARIAGE COMIQUE


C'était une petite drôlerie qui valait au moins pour moi son pesant de
corde, car le père d'Angélique aurait mieux aimé, je crois, la laisser
aller dans le harem du Grand Turc que de voir corrompre par l'ignominie
d'un baladin le sang des La Maisonfort, lesquels, depuis trois
générations, étaient en possession de la charge de panetier de Mgr le
gouverneur de la province, quand il y résidait, ce qui, d'ailleurs, ne
s'était vu que trois fois dans le siècle, et qui tiraient leur origine
d'un capitaine des serins de M. de Vendôme.

Après que, grâce aux jurements qu'il fit bien mieux que par les
explications qu'Angélique et moi lui donnâmes, il se fut convaincu de
son malheur et persuadé qu'il n'y avait pas à revenir dessus, il dit
fort posément à sa fille que, puisqu'il était assez malheureux pour
l'avoir vue s'entêter aussi inconsidérément d'un misérable bateleur,
il n'y avait plus rien qui fût de commun entre elle et lui et qu'au
surplus il destinerait son bien à un certain couvent de Carmes qui
était proche et où il se retirerait, à moins qu'il ne prit femme de
nouveau et ne fit encore souche, quand ce ne serait que pour bien nous
mortifier.

Des desseins si sérieux et si épouvantables n'étaient pas pour faire
renoncer une passion grande et parfaite comme celle dont nous étions
animés, et je dis à Angélique qu'il n'y avait qu'à mettre à profit la
licence que, dans sa colère, M. de La Maisonfort nous avait donnée de
quitter ensemble le château, et que nous verrions plus tard à apaiser
ce seigneur en courroux, quand notre mariage serait plus consolidé.

Mlle de La Maisonfort, avec une certaine rougeur sur les joues, qui me
parut plus belle cent fois que les roses de l'aurore dans le ciel, me
fit un petit propos pour m'avertir qu'elle ne pénétrait pas à la vérité
très bien ce que j'entendais consolider notre mariage, mais qu'elle
estimait pour elle qu'il n'y avait rien qui fût si pressant que d'aller
devant un prêtre pour le faire sanctifier, les écrits des hommes ne
comptant pour rien en de telles matières. Elle m'assura qu'après
cela elle ne ferait plus de difficulté de me suivre à Paris, où elle
trouverait des parents qui avaient du crédit et seraient en état de me
faire obtenir un emploi pour vivre, en attendant que Monsieur son père
se relâchât de sa sévérité. J'allais protester que les bénéfices de ma
profession de comédien suffiraient à nous empêcher d'être dans une trop
grande nécessité, mais elle m'interrompit pour s'écrier que je disais
des enfances et que c'était une imagination qui ne se concevait pas
qu'un M. de La Fontette—puisque c'était mon nom lorsque je n'étais
plus Bellefleur ou Scapin,—et surtout époux de Mlle de La Maisonfort,
songeât encore à monter sur un théâtre et à recevoir des nasardes pour
de l'argent. Je vis que mon personnage de mari commençait un peu plus
tôt qu'il n'est de coutume, mais justement à cause de cela, je n'étais
pas encore d'humeur à faire des raisonnements de cette espèce-là, et je
dis à Angélique qu'elle avait raison, que je ne serais plus comédien de
ma vie, que c'était une chose faite et qu'il n'y avait pas à revenir
là-dessus.

C'est au milieu de la grande route que nous discourions de la sorte,
car, après mon éclat avec M. de La Maisonfort, mon premier soin avait
été d'aller tirer mon cheval de l'écurie et de le mener au bout du
parc, sans oublier de poser en équilibre sur la selle un coffre
médiocre à la vérité, mais qui me semblait l'objet le plus précieux du
monde, puisqu'il contenait mes hardes les meilleures et certaine bourse
de cuir sur laquelle je faisais plus de fondements, pour tout dire, que
sur le crédit et surtout le zèle de toute la parenté d'Angélique. Je
chargeai bientôt ma monture d'un bien plus estimable encore, car Mlle
de La Maisonfort étant venue me joindre par un chemin détourné, nous
convînmes enfin qu'elle se servirait de ce moyen de voyager jusqu'à
la ville voisine, où nous nous flattions de trouver un prêtre qui
consentît à nous unir, sans trop faire attention à ce qu'il y avait de
singulier dans des épousailles si furtives et précipitées.

Nous arrivâmes vers le soir dans une petite ville qui me parut n'être
composée que d'hôtelleries, parce que de toutes les portes des gens,
en nous voyant passer dans cet équipage de voyageurs, nous faisaient
des mines pour nous avertir qu'on trouvait chez eux les meilleurs lits
et les poulets les plus dodus de la province, avec un certain vin dont
ils donnaient à connaître par signes l'excellence et la qualité. Il
faut que les habitants de ce pays-là aillent boire et manger les uns
chez les autres pour que leur commerce soit un peu productif, car les
passants étrangers y sont rares et les hôtes chez qui nous prîmes gîte
nous le firent connaître en nous traitant fort mal. Sans doute qu'ils
se réservaient de se rattraper sur la note.

Dès que nous eûmes soupé, Angélique me dit qu'elle connaissait un
prêtre qui logeait non loin de là et que nous n'avions rien de mieux
à faire que d'aller lui demander de nous marier bel et bien, attendu
que le temps pressait et que M. de La Maisonfort pourrait bien
s'être ravisé et nous faire courir après. Nous fûmes donc chez ce
bon ecclésiastique, qui était une manière d'homme de condition et le
propre frère du bailli de l'endroit. Nous le trouvâmes encore à table,
et il me parut qu'il n'avait pas fait pénitence comme nous, car je ne
vis jamais desserte si chargée de viandes diverses, de légumes et de
fruits indiquant la délicatesse et la profusion de la chère.

M. l'abbé Tanbeau de l'Isle du Val nous reçut bien, quand sa
gouvernante, qui était une béate d'un caractère assez obligeant, lui
eut dit le nom d'Angélique, et je vis bien, après que nous lui eûmes
expliqué notre affaire et raconté notre histoire, que s'il n'eût tenu
qu'à lui, il eût eu contentement de donner le plus tôt possible un
gendre qui n'était pas de son goût à ce M. de La Maisonfort, dont il
devait avoir sur l'estomac certaines hauteurs un peu inconsidérées.

Mais, sitôt que je lui eus avoué quelle était ma profession,—parce
qu'il me l'avait demandé,—M. Tanbeau fit un cri, protestant que les
canons de l'Église ne considéraient pas les comédiens comme étant de la
communion des fidèles, et qu'il ne pouvait nous donner les sacrements
qui étaient réservés à d'autres.

—Sur ce pied-là, lui dis-je, Monsieur l'abbé, quand notre grand
Molière viendra à trépasser, il faudra donc qu'on le jette à la voirie?

—On voit, me répondit-il, que la règle souffre parfois quelque
tempérament, et je le souhaite pour ce poète, parce qu'il a l'honneur
d'approcher le Roi et que son revenu dépasse trente mille livres
l'an, circonstance qui rend d'ordinaire les plus nobles du monde les
professions même notées d'infamies.

—Mais, répliquai-je, vous ignorez peut-être qu'un arrêt du Parlement
de 1641 tient notre état pour honorable, et il ne fait point déroger à
la noblesse comme celui de marchand ou de fermier, à telles enseignes
que Molière a formé le projet de réunir une troupe de comédiens du Roi,
composée de jeunes gens de condition, sous le nom d'_illustre théâtre_.

—Cela se peut, reprit M. Tanbeau; mais je ne saurais prendre sur moi
de vous unir.

Angélique, en ce moment, nous interrompit pour protester à l'abbé que
j'avais définitivement, et pour toujours, renoncé à Thalie, et qu'il
pensait bien que, demoiselle comme elle était, elle n'irait point se
commettre à épouser un histrion.

—Cela étant, s'écria le bon M. Tanbeau, je ne vois plus rien qui
s'oppose à ce que je vous fasse époux.

—Mais, poursuivit-il en nous regardant avec un ris malin, vous
n'ignorez pas que, selon les règles ecclésiastiques, je dois vous
demander, pour un mariage si prompt, comme vous semblez le souhaiter,
une somme qui n'est pas mince, dans le but de racheter les dispenses.

Je me sentis à ces mots inondé d'une sueur d'angoisse, comme chaque
fois qu'il était fait quelque allusion trop claire à ma fameuse bourse
de cuir, pour l'embonpoint de laquelle je me sentais des entrailles de
père. M. Tanbeau vit bien, à mon air, que je n'étais pas très ferré
sur l'article, et je crois qu'il s'y était attendu, car il me dit tout
à trac qu'il avait songé déjà à l'incommodité qu'une telle exigence
pourrait causer à des jeunes gens et qu'il avait trouvé, à force d'y
rêver, le moyen de remédier à cela, ayant lu dans quelque auteur, ou
ouï conter par le père Onuphre, capucin de ses amis, l'histoire d'un
bateleur qui recevant l'hospitalité de Notre-Dame la Vierge Marie par
l'entremise d'un couvent de moines, et ne possédant pas de quoi payer
la dépense qu'il y faisait, se relevait de son lit et allait dans la
chapelle exécuter les plus gracieux tours qu'il pût tirer de son sac,
pour amuser l'Enfant Divin durant les longues nuits de l'église.

C'est ainsi qu'Angélique et moi, après nous être engagés l'un l'autre
par les serments les plus forts, et aussi envers l'abbé, à ne plus
sacrifier aux muses comiques, nous finîmes par jouer devant M. Tanbeau
et sa béate une scène du _Jodelet_, qui divertit si parfaitement le
bon prêtre et sa vieille gouvernante, que nous craignîmes, pour lui du
moins, qu'il n'en étouffât, tant il riait, devant que nous ne fussions
mariés par son ministère.

Le ciel, favorable à nos chastes amours, ne permit point qu'un
dénouement si tragique succédât à la farce de M. Scarron, ou du moins
le frère du bailli survécut assez à sa joie pour nous marier le
lendemain d'un bon et solide mariage, dans une petite chapelle bien
humble de son illustre cathédrale.



XXI

L'ASSAUT BURLESQUE


Sitôt que le bon M. Tanbeau nous eut mariés, Angélique et moi, nous
prîmes la poste pour aller à Paris, ville que ma nouvelle épouse ne
connaissait pas, et où nous étions persuadés de faire bientôt fortune;
mais chacun de nous, en soi-même, ayant en vue la même chose, en
considérait le succès par des moyens différents, car si la fille de
M. de La Maisonfort fortifiait ses visées ambitieuses par l'espoir du
crédit de ses parents et principalement de cette Mme du Fresnoy dont
elle me vanta le pouvoir sur l'esprit de M. de Louvois, je faisais
table, pour ma part, sur mon dos, comme le plus gracieux et le mieux
accoutumé à recevoir les coups de bâtons des comédies, dos que je
prisais comme un héritage, ou plutôt comme une nourrice, et fort propre
à remplir son envers, je veux dire l'estomac.

Nous arrivâmes, par la porte de la Conférence, dans un carrosse public
qui était si rempli de gens de robe, que nous avions plutôt la mine de
sacripants qu'on mène pendre, que d'honnêtes mariés venant faire visite
à leur parenté. Cependant, nous connûmes bientôt, aux discours de ces
chats-fourrés, qu'ils n'avaient pas des intentions si barbares, mais
que c'étaient seulement les membres d'une chambre des requêtes que le
roi avait envoyés passer quelques mois à Pontoise pour se rafraîchir la
bile, parce qu'ils faisaient un peu les mutins. Ils avaient l'apparence
de revenir assez contrits d'être demeurés si longtemps sans juger, et
j'augurai mal des pauvres plaideurs sur qui ils déchargeraient d'abord
leur trop d'amas de furie procédurière.

On nous mena dans une auberge proche le Palais-Royal, où nous prîmes
pension en attendant le Louvre ou Versailles, car ma femme ne parlait
de rien moins que d'avoir bouche à cour, et je vis bien qu'elle gardait
dans la tête quelques fumées de l'orgueil paternel et la vision de ce
capitaine des serins de M. de Vendôme qui avait mis à mal toutes les
finances de la famille par l'ambition de soutenir un rang en conformité
avec une si illustre origine.

Dès le lendemain matin, Angélique étant sortie seule pour quelques
achats de rubans, car elle voulait être bien parée pour aller voir
Mme de Fresnoy, elle revint après un peu de temps, toute étourdie, me
dire que Paris était une ville bien singulière et qu'il s'y passait
d'étranges choses; que, s'étant promenée un moment à travers une place
où l'on vendait des légumes, elle avait vu de jeunes villageoises qui
criaient d'un air content, en montrant leur tas de denrées: «J'ai été
marquée par le bourreau! J'ai été marquée par le bourreau!» comme
si elles dussent en être bien aises, et qu'en effet, un gros homme
de mauvaise mine leur mettait un signe avec de la craie sur leurs
habits; qu'un peu plus loin, étant entrée pour faire ses dévotions
dans une église, elle avait entendu dire que «le roi allait porter
l'_antienne_». Angélique me confessa qu'elle trouvait bien surprenant
que le plus grand prince du monde vint ainsi dire l'office, comme un
moine, dans la chapelle d'un couvent.

A ces mots, je fis un grand éclat de rire en lui disant que pour le
bourreau et la marque, c'était une façon de reconnaître ceux des
villageois qui avaient payé le droit pour vendre leurs produits sur le
marché, et que ce n'était pas le roi de France, Louis le Grand, qui
chantait ainsi l'ordinaire à Saint-Germain-des-Prés, mais Jean-Casimir,
jésuite, cardinal, souverain de la République polonaise, et enfin abbé
de cette église par le chagrin qu'il avait eu de perdre sa reine qu'il
aimait tendrement.

—Cela étant, me dit Angélique, Paris me semble être la ville du monde
où l'on joue les personnages les plus opposés et les moins prévus, et
je ne m'étonne plus après cela que, gentilhomme comme vous l'êtes et
portant le nom de chevalier de La Fontette, vous soyez devenu comédien
sous celui de Bellefleur.

—Mais, répondis-je, quelle erreur vous fait imaginer que la profession
de comédien soit comme celle de marchand qui déroge à la noblesse,
et pensez-vous que La Thorillière, Brécourt ou du Croisy soient des
croquants?

«Je veux, poursuivis-je, vous montrer clairement que rien n'est si
éloigné de la vérité qu'une pareille croyance et, remettant à demain
notre visite à Mme du Fresnoy, je prétends vous conduire à l'instant à
la comédie que je sais que l'on donne aujourd'hui, et où vous verrez
sur la scène des hommes de condition qui, à l'encontre de ce que font
d'ordinaire les autres, vous divertiront parfaitement.»

Qu'un jeune époux a de pouvoir sur un cœur qui vient de s'ouvrir!
Angélique qui, peut-être, six mois plus tard, eût repoussé sans
ménagements l'idée de remettre seulement d'une heure une visite si
nécessaire, souscrivit ce jour-là sans dispute à mon désir, et j'eus
la satisfaction d'amener ma femme dans l'endroit où si souvent j'avais
aidé à tromper des maris.

M'étant donc fait reconnaître du portier, qui était à l'entrée des
comédiens, je pénétrai avec Angélique dans le temple de Thalie, par le
derrière du théâtre; mais nous trouvâmes dans la salle un mouvement
singulier, et nous entendîmes du côté de la grand'porte un tumulte
si effroyable qu'il semblait que toutes les furies se battissent
ensemble dans une antichambre d'enfer. Dans ce moment, Molière parut
au milieu du parterre, et m'apercevant avec Angélique qui marquait
quelque sentiment d'effroi, il nous dit rapidement que c'étaient les
mousquetaires et tous les autres officiers de la cour, lesquels avaient
accoutumé d'entrer à la comédie sans payer, qui menaient ce vacarme,
parce que lui, Molière, avait obtenu un ordre du roi de les obliger à
ne plus passer sans cracher au bassinet, et que nonobstant cet ordre,
ils voulaient forcer l'entrée et venaient de tuer le suisse, qui se
défendait avec sa hallebarde. Comme il parlait encore, la porte éclata
comme poussée par le bélier d'une machine de guerre, et les furieux se
précipitèrent en tumulte. Les seigneurs de la scène et les dames des
loges se levèrent pour s'enfuir devant ces forcenés, et le désordre
eût été extrême si Béjart, qui était habillé en Géronte pour la pièce
qu'on allait jouer, ne s'était présenté sur le théâtre. Alors ce
jeune comédien, dont on pouvait connaître, sous le fard et les rides
ajoutées, le teint frais et vermeil, levant les bras et tremblant des
genoux à la façon des vieillards, cria lamentablement:

—Eh! messieurs, épargnez du moins un malheureux qui n'a plus que
quelques jours à vivre!

Ce compliment si bouffon dans une bouche si jeune arrêta la fureur de
ceux que la force n'avait pas contenus, et les rires se mêlant à la
réflexion sur ce qu'ils avaient osé, malgré les volontés du roi, ils
demeurèrent un moment confus, puis enfin se retirèrent.

Aussitôt, entraînant Angélique, je passai derrière le théâtre dans le
dessein de parler plus longuement avec Molière. Mais que devînmes-nous
quand, dans un corridor, nous nous trouvâmes subitement en face d'une
femme en grand habit, qui faisait l'éplorée et poussait de grands
cris en montrant un mur qui, à la vérité, pouvait paraître assez
extraordinaire, puisque par un prestige diabolique sa partie inférieure
s'agitait sous les apparences d'un haut de chausses de velours noir et
de deux jambes, tandis que de ses profondeurs on entendait sortir une
voix lamentable, de sorte que l'on pouvait dire, cette fois, ainsi que
dans l'Écriture, que les pierres elles-mêmes criaient.

Dans ce moment, je vis Angélique faire le plus sérieusement du monde
la révérence à la dame hurlante, qui était Mme du Fresnoy, venue à la
comédie avec son mari, lequel dans sa frayeur de la soldatesque avait
voulu s'enfuir par un trou dans le mur du Palais-Royal, et y serait
parvenu, en effet, puisque sa tête et ses bras avaient passé, si le
reste eût voulu suivre. Il se démenait comme un possédé, jurant qu'il
avait du crédit, que les comédiens le lui payeraient et que c'était un
affront qu'ils avaient voulu lui faire en face. Cependant je crois que,
pour l'heure, il songeait à autre chose qu'à son visage.

Des gagistes arrivaient qui agrandirent le trou et dégagèrent le
commis de M. de Louvois. C'est alors que j'eus l'honneur d'apercevoir
directement ce cousin sur lequel nous fondions tant d'espérances et
dont les traits bouffis et la perruque poudrée de poussière de chaux
et de petit moellons me parurent cependant respirer la dignité la plus
grande et la moins murée qui fût, tant le physique de ceux que l'on
croit les dispensateurs de la fortune se présente aimable, malgré tout,
à ceux, comme moi, qui n'ont jamais été gâtés par les faveurs de la
capricieuse déesse.

—Eh! monsieur! disait Mme du Fresnoy, outrée, est-ce là une façon de
sortir de la comédie pour un homme de votre sorte?

—Morbleu! Madame, jurait le mari, est-ce une façon d'entrer à ces
furieux-là? Je le dirai à M. de Louvois, et il leur fera bien voir...

—Madame, soupirait Angélique, souffrez que je présente M. le chevalier
de La Fontette, mon époux, à M. du Fresnoy, dont la cour et la ville
célèbrent le mérite...

—Ouais! pensais-je en considérant Mme du Fresnoy, que je trouvais
pourvue de plus d'attraits qu'il n'était nécessaire à un barbon de
cette espèce; il me semble que mon cousin doit bien de l'obligation de
ce mérite-là à la figure de sa femme.

La sottise du mari et la beauté de son épouse me donnaient une
meilleure idée du crédit de nos parents que tous les discours innocents
d'Angélique.



XXII

LE PÉDANT MALAVISÉ


Nous ne manquâmes pas, Angélique et moi, d'aller dès le lendemain chez
Mme du Fresnoy, dans le dessein de lui rendre nos devoirs et pour voir,
en même temps, si, par le moyen de son crédit, nous ne pourrions pas
être mis enfin en possession de cet emploi qui, aux yeux de mon épouse,
ne comptait que comme un premier pas vers celui de secrétaire d'État,
pour le moins, ou de surintendant.

Nous trouvâmes cette dame dans un appartement fort propre et meublé
d'une manière assez magnifique. Elle était assise à sa toilette et
si occupée à se parer qu'elle prit à peine le soin de demander au
petit laquais qu'on nous apportât des sièges, encore ce ne furent que
des chaises sans bras, ce dont Angélique parût mortifiée, car elle
était attentive à ces sortes de choses et fort exacte à observer les
traitements qu'il fallait faire selon les personnes et leur condition.

Une fille suivante accommodait la tête de notre cousine d'une façon qui
parût nouvelle, car nous vîmes que les cheveux étaient coupés de chaque
côté d'étage en étage avec de grosses boucles rondes d'un air assez
négligé, qui lui donnaient la meilleure grâce du monde. Mme du Fresnoy
considérant de côté Angélique et remarquant qu'elle avait encore des
_bouffons_ sur les oreilles, lui dit un peu sèchement qu'on voyait
bien qu'elle venait de la province et que ces petites frisures rangées
étaient justement à la mode du temps du roi Guillemot.

—Il ne faut pas, continua-t-elle, tenir cela pour des chansons, et il
n'y a rien de si fâcheux pour une tête, même remplie des idées les plus
sublimes, que d'avoir le dessus hideux ou négligé. C'est par le soin
qu'elle prend de son ajustement qu'une femme se pousse dans le monde.

Je n'entrais point tant dans ce sentiment-là et, jugeant qu'il
s'agissait un peu trop de la tête dans les leçons que sa parente
donnait à l'innocente Angélique, je commençai d'en ressentir un peu
d'ennui et quelques inquiétudes pour mon front.

Cependant nous nous mîmes insensiblement à entretenir Mme du Fresnoy du
sujet de notre visite, et Mme de La Fontette, ma femme, partit de là
pour faire un petit discours qui marquait tant d'obligeance pour moi et
me montrait si honnête homme et d'une manière si éclatante qu'il n'y
eût eu personne, à l'entendre, qui ne crût que j'effaçais les esprits
des sept Sages, ou plutôt qui n'augurât que nous n'étions mariés que
depuis quelques semaines.

—Cela est bon, dit la dame, et il faut bien que Monsieur ait du
mérite, puisque sa femme même en convient; mais n'est-il pas comédien,
sous le nom de Bellefleur?

—Madame, répondis-je, songez qu'il n'y a pas d'homme qui soit si
propre qu'un comédien à remplir en ce monde les emplois les plus
divers, puisque, passant indifféremment des états les plus vils aux
rangs les plus élevés, il peut, dans la même soirée et pour peu que
l'on joue des pièces différentes, être un valet, un roi, un amant
heureux ou un mari dupé, un Géronte ou un Valère, et ne pensez-vous pas
que l'art de présenter au public tant de visages ne soit tout justement
le plus propre pour bien disposer un homme à faire figure dans le monde?

—Mais le dos, Monsieur, répliquait-elle, le dos qu'en faites-vous?

J'allais lui protester que je ne l'entendais pas, mais au vrai je
savais bien où était l'enclouure, puisque cette question des coups de
bâton empêchait, dans le même temps, le grand Molière de rentrer à
l'Académie, où on lui avait fait savoir qu'il serait reçu, pourvu qu'il
quittât les emplois à nasardes et à rossées; mais, dans ce moment, la
porte s'ouvrit toute grande, de la manière qu'elles font devant les
seigneurs d'importance, et nous vîmes entrer un gros homme aux yeux
têtus qui remplit tout aussitôt la chambre où nous nous trouvions, tant
il remuait en faisant de grands pas et de grands bras.

Mme du Fresnoy s'étant levée avec de belles révérences et en mettant
du «monseigneur» entre chacun, je pense, de ses mots, nous connûmes à
ce coup que c'était là ce grand ministre dont la renommée célébrait en
tous lieux la puissance et l'orgueil, M. de Louvois, pour tout dire,
et je crois bien qu'Angélique dut jurer en elle-même que notre fortune
avait, à cette heure, assez bonne mine.

Cependant l'honnêteté et la retenue nous commandaient de nous retirer,
d'autant que notre cousine ne songeait point du tout à nous présenter
à ce potentat, mais comme nous préparions notre sortie et qu'Angélique
ramenait déjà ses jupes pour saluer, Mme du Fresnoy, sans doute dans la
pensée de faire la bonne mère, dit tout d'un coup qu'il fallait que Mme
de La Fontette vît son fils et que monseigneur le voudrait bien, ce qui
me fit faire réflexion que ce monseigneur pouvait bien avoir quelque
part à ce fils-là, car de croire que l'on tirât pour nous exprès de
sa chambre le jeune fils de M. du Fresnoy ne me vint pas à l'esprit,
l'espace d'un soupir.

Cet enfant cependant parut devant nous, conduit par un précepteur
en soutanelle, et si pénétré d'humanités, qu'on voyait bien qu'il
en était devenu une bête. Il fit, comme il devait, de grandes
inclinaisons de son long corps en contraignant à les imiter son élève,
qui était un bon garçon réjoui et plus propre à pousser la charrue dans
les guérets qu'à réciter les maximes de M. de Despautères, ou à faire
des cérémonies avec les grands.

Mais Mme du Fresnoy ayant dit au pédant qu'il fallait que M. du
Tailli—on appelait ainsi ce fils, en attendant sans doute que M. de
Louvois lui achetât une terre titrée—récitât quelque petite galanterie
de ce qu'il avait appris ces temps derniers, M. Babouin, c'était le nom
du maître, assura qu'il n'y avait qu'à faire des questions au jeune
homme et que celui-ci y répondrait de façon à contenter, pourvu que ce
fût en latin, parce qu'il ne se servait pas d'un autre langage quand
ils étaient entre eux. Là-dessus, ayant fait se tenir droit devant lui
le petit garçon, il prit justement la mine que font les grues au bord
des fleuves, quand avec leurs becs, elles attendent les poissons, et
demanda:

—_Quem habuit successorem Belus, rex Assyriorum?_ (Qui eut pour
successeur Belus, roi d'Assyrie?)

L'enfant répondit sans délai:

—_Ninum._ (Ninus.)

Mais soit qu'il eût prononcé ce latin trop à la romaine en arrondissant
l'_u_ et sans faire assez sonner l'_m_; soit plutôt que le souvenir
de certains discours qu'il avait surpris dans les cuisines ou les
antichambres lui troublât la mémoire, M. du Tailli prononça ce nom du
babylonien tout justement comme celui d'une beauté qui, pour n'être
pas si ancienne que cette dynastie, comptait déjà cependant quelques
lustres, je veux parler de Mlle de l'Enclos, nommée familièrement
_Ninon_, pour laquelle le ministre avait réellement montré quelques
complaisances, qui n'avaient point été du goût de Mme du Fresnoy. Nous
demeurions cois, sans paraître avoir entendu, mais M. de Louvois, qui
ne savait pas bien l'art de dissimuler, ou qui s'en souciait peu,
marqua d'abord quelque étonnement, fronça ses gros sourcils, ouvrit la
bouche, puis, se souvenant peut-être de cette maxime du sage que le
silence est d'or, il la referma et la porte sur lui.

—Il faut que vous soyez bien impertinent, monsieur Babouin, disait la
cousine, pour entretenir votre élève des folies de M. de Louvois et
lui enseigner ainsi le nom d'une personne dont les mœurs ne sont pas
trop bonnes, bien qu'elle soit de condition et fille de gentilhomme.

—Je vous proteste, Madame, s'écriait le pédant, qu'il n'y a rien qui
soit si éloigné de ma pensée que de laisser connaître à M. du Tailli le
nom de quelque dame que ce soit. La chronologie des rois d'Assyrie...

—Allez, Monsieur; c'est se moquer et vous allez tout à l'heure donner
le fouet à ce petit garçon pour vous apprendre à en user si mal avec
lui.

—Pardi! criait le pauvre enfant, si l'on me fouette parce que je parle
de Ninus, que fera-t-on à M. de Louvois, lui qui parle à Ninon?

—Fi! mon cousin! soupirait Angélique, convient-il de mêler à votre
babillage le nom d'un grand ministre, et qu'a de commun le fouet que
vous aurez avec les discours que celui-ci peut tenir.

—Morbleu! pensais-je, il faut que j'aille conter cette aventure-là à
Molière, et je veux être un sot s'il n'en tire quelque scène plaisante
pour une de ses farces.



XXIII

LA MORT DE MOLIÈRE


Angélique, toujours poursuivie par ses visions de fortune et de
grandeur, ne quittait presque point Versailles, où elle était assidue
comme si elle eût été déjà pourvue d'une charge à la cour, et je crois
qu'elle avait quelquefois l'insigne honneur d'aider sa cousine, Mme
du Fresnoy, dans cet emploi de dame du lit de la reine, que M. de
Louvois avait inventé pour cette belle, bien qu'elle fût fille d'un
mousquetaire à genoux, pour dire honnêtement le mot d'apothicaire.

Pour moi, qui ne prisais pas tant la satisfaction d'être poussé par
les seigneurs dans l'antichambre du Roi, et repoussé par les suisses
sur les degrés du grand escalier, sans autre contentement que d'avoir
à faire bien des salutations à des gens qui ne me les rendaient point,
je demeurais à Paris, m'attachant principalement à rendre des soins à
Molière, dont les bontés qu'il faisait paraître à mon endroit étaient
les plus rares du monde. C'était le temps qu'il venait d'achever son
_Malade imaginaire_, et véritablement on peut dire que ce n'était pas
une imagination pour lui d'être malade, car depuis longtemps déjà il
était travaillé d'une fluxion qui l'incommodait à un point qu'on ne
peut dire. Cependant, comme il craignait qu'on ne s'aperçût dans le
public des efforts de poitrine que le mal l'obligeait de faire et
qu'il ne pouvait consentir à renoncer à une profession où son nom seul
faisait vivre plus de cent personnes avec lui, on observa par la suite
qu'il avait soin d'insinuer dans les pièces quelque petite réflexion
sur sa toux, afin de la mettre par là sur le compte du personnage
plutôt que du poumon.

Malgré cela, il donna beaucoup d'attention à bien conduire sa troupe
durant qu'on répétait les scènes de cet ouvrage comique, veillant à
ce que Mlle Molière, qui faisait Angélique, ne fût pas, comme à son
ordinaire, trop parée pour le personnage, que Mlle Beauval n'invectivât
pas trop, selon sa coutume, les comédiens qui jouaient avec elle et
qu'elle donnât plus de vivacité au rôle de Toinette. Pour Beauval, le
mari, en habit de Diafoirus comme sous le sien propre, il remplissait
l'emploi de niais d'une manière telle qu'il n'y avait rien à lui
remontrer là-dessus; enfin, La Grange paraissait, en Cléante, d'un
caractère si noble et si aisé, qu'on ne pouvait souhaiter un amoureux
plus discret ni plus éloquent. Comme certain gagiste, qui devait faire
le personnage de M. Fleurant, s'était trouvé incommodé, Molière m'avait
demandé d'occuper sa place, et j'y avais consenti avec bien de la joie,
mais en prenant garde qu'Angélique n'en sût rien, car elle n'eût pas
manqué de trouver abominable que je remplisse un emploi d'apothicaire,
étant, comme j'avais l'honneur d'être, si proche parent de Mme du
Fresnoy.

A la première représentation qui eut lieu le 10 de février de l'année
1673, la pièce eut l'applaudissement ordinaire que l'on donnait aux
ouvrages du moderne Térence. Je soupai, ce soir-là, avec Molière, qui
avait pris sa robe de chambre, et qui m'interrogea sur ce qu'on pensait
de sa pièce dans le public, et principalement parmi les comédiens,
parce qu'il savait que c'était là que les critiques étaient les plus
fortes. Je lui dis que ses comédies avaient toujours une heureuse
réussite à les regarder de près, et qu'elles étaient comme un vin
excellent et d'un goût délicat, dont la bonté paraît plus grande à
mesure qu'on l'essaie mieux. Je l'engageai en même temps à composer
quelque lettre-préface ou quelque apologie, pour montrer ce qu'il avait
voulu faire, et nous donner son opinion sur les règles du théâtre.

—Un temps viendra, me dit-il, de faire imprimer mes remarques sur les
pièces que j'ai faites; mais présentement il n'y faut pas songer, et
peut-être sera-t-il bientôt plus nécessaire de m'occuper de choses plus
graves.

Marquant ainsi les sentiments d'un bon chrétien et sa résignation aux
volontés du Seigneur. Après cela, il me commanda de manger, parce
que je devais avoir appétit. Je voulus lui donner un bouillon, dont
Mlle Molière avait fait monter une provision, et où elle s'entendait
parfaitement, mais il refusa parce qu'il le trouvait trop substantiel.

—Eh non! les bouillons de ma femme sont de vraie eau-forte pour moi:
vous savez tous les ingrédients qu'elle y fait mettre. Donnez-moi
plutôt un petit morceau de fromage de Parmesan.

Laforest lui en apporta; il en mangea avec un peu de pain, et il se
fit mettre au lit, après avoir envoyé demander à sa femme un oreiller
rempli d'une drogue qu'elle lui avait promis pour dormir.

—Tout ce qui n'entre point dans le corps, dit-il, je l'éprouve
volontiers; mais les remèdes qu'il faut prendre me font peur: il ne
faut rien pour me faire perdre ce qui me reste de vie.

Le jour que l'on devait donner la troisième représentation du _Malade
imaginaire_, je trouvai Molière fort tourmenté de son rhume. Je lui
observai qu'il me paraissait plus mal que la veille.

—Cela est vrai; j'ai un froid qui me tue.

J'allai chercher Mlle Molière qui vint avec Baron; ils furent tous deux
bien touchés de l'état où ils le voyaient, et lui s'en étant aperçu
commença de parler si doucement qu'on pouvait douter si c'était une
parole humaine, la plainte étouffée de quelque Prométhée vaincu par le
vautour. Pourtant tous deux ne laissèrent pas que de l'entendre et,
pour moi, ces paroles sont demeurées dans ma mémoire à la manière de
ces épitaphes antiques, qu'un stylet gravait sur un inaltérable airain.

Molière disait:

—«Tant que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir, je
me suis cru heureux; mais aujourd'hui que je suis accablé de peines
sans pouvoir compter sur aucun moment de satisfaction et de douceur, je
vois bien qu'il me faut quitter la partie; je ne puis plus tenir contre
les douleurs et les déplaisirs qui ne me donnent pas un instant de
relâche.»

Il s'arrêta un peu comme s'il réfléchissait à ce qu'il avait dit, puis
estimant peut-être qu'il avait trop laissé paraître sa pensée, il
ajouta:

—Mais qu'un homme souffre avant de mourir.—Cependant je sens bien que
je finis.

Je connus alors que rien n'avait échappé à ses regards observateurs des
intrigues criminelles de ce Baron qu'il avait comblé de bienfaits, et
de cette Armande si particulièrement chérie.

Aucun des deux ne s'attendait à un pareil discours, et, par confusion
aussi bien que par artifice, ils feignirent de n'y démêler que les
murmures d'un malade au lieu des reproches d'un époux justement irrité.

S'étant donc approchés, ils le conjurèrent avec des larmes de ne pas
jouer ce jour-là et de prendre du repos.

—Comment voulez-vous que je fasse? Il y a cinquante pauvres ouvriers
qui n'ont que leur journée pour vivre; que feront-ils si on ne joue
pas? Je me reprocherais d'avoir négligé de leur donner du pain un seul
jour, le pouvant faire absolument. Pourtant il faut que l'on commence
la comédie à quatre heures, sans cela, je ne puis m'y trouver et il
faudra rendre l'argent. Dites-le aux comédiens, et qu'ils soient prêts,
avec les lustres allumés et la toile levée.

Dès que l'heure fut arrivée, j'envoyai chercher les porteurs pour le
mener au théâtre. Il n'eut pas grand mal à s'habiller pour faire le
personnage d'Argan, s'étant contenté de garder sa robe de chambre
de vrai malade pour représenter celui qu'il figurait imaginaire.
J'observais, durant qu'il jouait, son air et son visage et, voyant bien
que les cris et les lamentations qu'il faisait n'étaient pas feints,
je sentais une fureur intime contre ce public qui se divertissait à le
voir contrefaire ainsi le malade à la perfection, et jetait de grands
éclats de rire chaque fois que la douleur lui tirait une grimace. Les
choses cependant allèrent assez bien pour commencer, et j'augurai
mieux de l'issue en le voyant tempêter d'un si bon courage contre les
impertinences de Toinette, mais, quand il passa derrière le théâtre,
après le second acte, je connus bien qu'il y avait quelque chose de
détraqué dans la machine, et que ce n'étaient point ni les Mores
dansants ni les singes sautants de l'intermède qui pourraient cacher à
cet homme-là une figure qu'il avait devant les yeux et qui ne laisse
plus distraire d'elle sitôt qu'on a dû la regarder un peu fixement.
Quand il en vint, dans sa scène avec Béralde, à ce qu'Argan dit de
Molière lui-même et que les médecins devaient l'abandonner en cas qu'il
fût malade, et que Béralde lui répliqua que Molière ne leur demanderait
point de secours, il me sembla qu'il pâlissait. Mais, dans le moment
même, me souvenant de mon rôle de Fleurant, j'entrai avec ma seringue
et je ne m'occupai plus que de bien jouer, car, pour nous autres, la
semblance du théâtre étouffe toujours toutes les réalités de la vie.

Cependant, un peu après, étant revenu derrière mon portant, j'attachai
de nouveau mes regards sur Molière, et je fus dans la dernière
épouvante de voir qu'il agonisait, en quelque sorte, sur la scène et
dans son fauteuil d'Argan. C'était juste le moment où celui-ci disait:
«_Je sens déjà la médecine qui se venge._»

Mais que devins-je en entendant celui que je considérais plus comme un
demi-dieu que comme un mortel, s'écrier: «qu'il avait un voile devant
les yeux», qu'il souffrait «de maux de cœur», «de lassitude dans
tous les membres», «de douleurs dans le ventre comme si c'étaient des
coliques» et que je reconnus l'expression parfaite des incommodités
qu'il endurait d'habitude et dont il m'avait fait, par privilège, la
confidence? Je doutai alors si Mlle Molière, en raillant les maux dont
il se plaignait et en refusant, par étourderie et indifférence, de
prendre en recommandation la présence de son mal, ne lui avait pas
donné d'abord cette idée d'un malade qu'on ne croit point tel et qu'on
moque, pour éviter la nécessité fâcheuse de lui donner trop de soins,
idée que, pour les besoins de son art et par l'effet de l'inclination
naturelle de son esprit, il avait par la suite tournée en farce pour en
amuser le parterre.

Justement, au moment où cette idée me vint, Argan était étendu dans sa
chaise, contrefaisant le mort, et Béline, sa femme, disait: «Quelle
perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la terre? Un
homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant... Mouchant,
toussant, crachant toujours; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur,
fatiguant sans cesse les gens et grondant nuit et jour servantes et
valets!» J'aurais gagé qu'il faisait répéter là, à Béline, quelque
phrase entendue de Mlle Molière!

On m'appela dans la chambre des comédiens, pour parler à un petit
laquais qui m'apportait un paquet de ma femme, et je ne revins sur
le théâtre qu'au moment de la cérémonie burlesque et dans l'instant
qu'Argan crie _juro_ pour être reçu médecin. Le pauvre Molière
n'avait pas achevé, qu'il lui prit une convulsion dont la plupart des
spectateurs s'aperçurent, ce que voyant, il s'efforça de cacher par un
ris forcé la sorte de râle qu'il faisait déjà entendre.

Ses mains étaient glacées, je les mis dans un manchon pour les
réchauffer et, la comédie étant faite, j'ordonnai à ses porteurs de
venir en hâte et je ne quittai point sa chaise du Palais-Royal à la rue
de Richelieu où il logeait. Dès qu'il fut dans sa chambre, il lui prit
une toux si forte qu'il se rompit une veine dans la poitrine. Aussitôt
il me commanda d'aller promptement chercher sa femme en bas, pendant
que deux religieuses, qui venaient à Paris quêter durant le Carême et
qu'il recevait communément chez lui pendant ce temps, l'assistaient et
le soignaient.

Je fus quelque temps à découvrir Mlle Molière et, quand je pus remonter
enfin avec elle et Baron, le plus grand poète comique des temps passés
et futurs, étouffé par le sang qui sortait de sa bouche en abondance,
avait rendu tristement l'esprit.



XXIV

LE CHAGRIN DE M. DE MONCONTOUR


Il était dix heures du soir quand nous trouvâmes M. de Molière mort
dans sa chambre; Mlle Molière était encore accommodée pour jouer le
personnage d'Angélique et Mlle Beauval avait conservé son bavolet de
Toinette, n'ayant pas eu le temps de se défaire après la comédie. Pour
Lagrange, il n'avait pas quitté la robe et le bonnet de faux docteur,
dont s'affuble Cléante, non plus que Beauval, ni Brécourt, ni Hubert
ceux des Diafoirus et de Purgon, et je représentais moi-même tout au
vif le personnage de M. Fleurant, dont je portais toujours l'habit.
Ainsi ce contempteur de la médecine gisait au milieu des apparences
de ceux qu'il avait si bien joués, et l'on eût pu dire qu'il était
entouré des ombres vengeresses de la Faculté, si nous n'eussions été
des médecins pour rire, j'entends par là fictifs et travestis, car pour
rire nous n'y songions guère, et nos yeux s'étaient métamorphosés en
fontaines dès que nous n'avions plus pu douter de l'étendue de notre
malheur.

Un peu de jour paraissant dans les carreaux de la fenêtre et mêlant sa
faible lumière à la clarté des chandelles que nous tenions allumées,
vint enfin nous avertir que le soleil recommençait son cours. Au
même moment, il nous vint à tous dans la pensée qu'il n'y avait rien
qui fût si pressant que d'informer le roi du trépas d'un homme pour
lequel il avait toujours marqué beaucoup d'estime et d'inclination,
et Mlle Molière, jetant les yeux sur Baron et sur moi, nous dit de
prendre un de ces carrosses que l'on trouvait depuis quelque temps
à louer à l'image Saint-Fiacre et de nous faire mener en droiture à
Saint-Germain, où le roi était pour lors. Ce que nous fîmes avec une
grande diligence et une parfaite tristesse.

Nous descendîmes d'abord chez un Suisse, où nous prîmes un peu de
nourriture avec quelques coups d'un vin aussi rude que l'accent de
notre hôte, et je dis à Baron que j'irais chercher M. de Moncontour
pour qu'il s'employât à nous faire parler au roi, parce que je savais
que ce seigneur honorait Molière de son amitié et qu'il éprouverait
beaucoup d'affliction—du moins celle qu'un courtisan peut laisser
paraître—à l'annonce de cette mort.

Je pénétrai dans le château à l'heure du lever, et, m'étant faufilé
dans une galerie, je tâchai de démêler M. de Moncontour parmi le groupe
des seigneurs les plus rapprochés de la chambre du roi. Je l'aperçus
bientôt qui peignait sa perruque en sautant d'un pied sur l'autre,
car, malgré son âge, il affectait les façons des jeunes gens, croyant
par cela plaire aux dames et passer pour un blondin. Quand j'eus pu
le joindre au milieu de la foule, je l'abordai avec un grand respect,
et, l'ayant tiré dans une fenêtre, je commençai mon compliment en lui
annonçant que j'avais une nouvelle fâcheuse à lui porter, et dont
j'étais assuré qu'il prendrait sa part. Cependant en l'observant, et
jugeant qu'il opposait à mes paroles un air distrait et chagrin, je
m'interrompis pour lui dire que je craignais d'être fâcheux et que pour
peu qu'il eût quelque affaire ou souffrît de quelque incommodité, je me
voudrais du mal de l'importuner.

—Point du tout, Monsieur, me répondit-il obligeamment et vous pouvez
faire état de moi; mais je suis, je l'ajoute, d'une colère outrée,
parce qu'un des gentilshommes de Monsieur le Dauphin a tant fait par
ses brigues, qu'il s'est fait donner un logement que l'on m'avait
promis à Versailles. Cela est inouï, après tant de services à la
guerre, et il faut que l'on me prenne pour une grue, de m'offenser si
sensiblement par une pareille injustice.

«Au surplus, poursuivit-il, que désirez-vous de moi, Monsieur de La
Fontette, et en quoi puis-je vous servir? Vous savez que je suis à
vous.»

Je fis encore quelques détours pour annoncer cet événement funeste à
un homme qui appelait Molière son ami, et qui avait tant d'estime pour
lui, qu'il avait commandé qu'on l'introduisît dans sa chambre à quelque
heure que ce fût et quelle que fût la compagnie qui s'y trouvât. Je
vis bien d'abord que le marquis était touché de cette mort et il me
marqua le coup qu'il en ressentait par les expressions les plus fortes
et les plus tristes, m'assurant qu'il allait au plus tôt demander un
entretien au roi pour Baron et pour moi; mais il avait quelque chose en
tête qui ne lui permettait pas de se donner tout entier au sentiment
qu'il éprouvait et, le marquis de Théricourt étant venu à passer, qui
avait la charge de distribuer les logements, le maréchal me quitta dans
l'instant pour courir après ce seigneur avec lequel il s'entretint
longtemps en faisant des gestes qui témoignaient assez combien la
matière de ses discours était passionnée.

Dans ce moment, je me sentis toucher par ma manche et je vis Baron
qui s'était lassé de m'attendre et qui, ayant rencontré M. de
Vivonne—lequel prisait aussi tout particulièrement Molière, disant
souvent qu'il voulait vivre avec lui comme Lélius avait fait avec
Térence—avait obtenu d'être mené dans le cabinet du roi. Je le suivis
dans l'instant et l'huissier ayant ouvert un battant de la porte, nous
nous trouvâmes subitement devant le plus grand roi du monde.

Sa Majesté se tenant debout, car on venait d'achever de l'habiller,
et le grand-maître de la garde-robe lui présentait, sur une soucoupe,
trois mouchoirs brodés de points. Je vis ainsi, pour la seconde fois,
tout près, ce prince que j'avais si souvent considéré du théâtre
à la faveur des chandelles. Quoiqu'il fût parvenu déjà à l'âge de
trente-cinq ans, Louis montrait encore sur son visage toutes les grâces
de la jeunesse, tempérées par l'éclat de la grandeur; il daigna nous
assurer qu'il était touché de la mort de Molière, disant qu'il avait
bien de quoi pleurer un poète qui l'avait si fort diverti et que, pour
le comédien, encore qu'il y en eût qui le surpassassent, il ne se
souvenait pas qu'il l'eut jamais ennuyé.

Nous partîmes de là pour dire au monarque nos craintes sur ce que le
clergé ferait peut-être des difficultés pour la sépulture, parce que
Molière avait eu le malheur de décéder sans avoir reçu le sacrement
de confession, malgré qu'il en eût exprimé le désir, et par la faute
de MM. Lenfant et Lechat, deux prêtres habitués de la paroisse
Saint-Eustache, qui avaient refusé de venir à lui, et dans le temps
qu'il venait de représenter la comédie.

Le roi nous dit qu'il parlerait avec M. de Paris de cette affaire et
qu'au surplus le désir du sacrement de confession, quand il était dicté
par la contrition parfaite, suffisait pour absoudre un pêcheur. Voyant
que nous paraissions un peu surpris qu'il fut instruit des choses de la
religion les plus subtiles, il sourit, ajoutant:

—Ne suis-je pas chanoine de plusieurs églises?

Et véritablement, il l'était.

Étant sortis du cabinet du roi, je trouvai M. de Moncontour, qui
marquait par son attitude qu'il était fort chagriné, et ne doutant pas
qu'il n'éprouvât une grande douleur de la mort d'un ami si fidèle, je
lui dis ce que je crus devoir pour l'adoucir par quelque consolation;
je fus bien surpris lorsque j'entendis le marquis s'écrier:

—Cela est vrai, la mort de Molière me touche et je prends une part
infinie dans un trépas si cruel et si prompt; mais il faut convenir
qu'il m'arrive l'aventure la plus piquante, la plus mortifiante
du monde, et que l'injure qui m'est faite domine en ce moment mes
sentiments jusqu'à étouffer en moi les souvenirs de l'amitié.

Je vis bien où était l'enclouure et qu'il s'agissait encore de ce
logement à Versailles, et je demandai à ce seigneur si c'était de
quelque magnifique appartement que l'intrigue l'eût ainsi écarté et qui
pût lui faire oublier l'hôtel aux superbes dehors qu'il avait proche le
château dans la rue de l'Intendance?

Il me regarda d'un air surpris:

—Point du tout, monsieur, et ce logement-là était sous les combles, la
chambre la plus mal accommodée et la plus puante du monde.

—Sur ce pied-là, répliquai-je, Monsieur le marquis, il ne me paraît
pas que Votre Seigneurie ait perdu au change?

—Et comptez-vous pour rien, monsieur, l'honneur et la facilité
d'approcher le roi à tous les moments de la journée, et de se trouver
de la sorte pour ainsi dire à la source de ses grâces et dans le canal
de ses faveurs? Cela est de conséquence, au moins! Non, vous voyez une
victime de la dernière injustice et il n'y a rien qui soit si triste
que mon état, ni si déplorable que mon affliction...

Pour moi qui ne me sentais pas disposé à partager les emportements de
M. de Moncontour et à m'étendre sur une infortune aussi prodigieuse
que la sienne, je me retirai discrètement, sans même qu'il s'en
aperçut, et laissant ce seigneur s'abîmer dans la douleur dont il
décrivait si bien les effets.



XXV

LE PRÉSIDENT SCAPIN


A quelque temps de là, étant allé à Versailles avec ma chère Angélique,
il arriva une aventure surprenante, dont le succès mit enfin en
possession M. de Moncontour de cet appartement au château qu'il
regrettait plus d'avoir perdu qu'une bataille et me conduisit moi-même,
par manière de ricochet, à un établissement définitif et à un certain
point de fortune que je n'ai point souhaité depuis de dépasser.

Mme du Fresnoy, notre cousine, qui aimait passionnément le fils dont
son mari avait obligation à M. de Louvois, parut, ce jour-là, dans
une désolation finie parce que ce même enfant ayant laissé ouverte la
cage d'un serin qu'il affectionnait particulièrement, l'oiseau s'était
envolé dans quelque bosquet.

M. du Tailli ne pouvait se consoler de cette fuite et nous trouvâmes
Mme du Fresnoy au milieu d'un escadron de laquais qu'elle dirigeait
et qui, montrant plus de furie que de zèle, épouvantaient ce pauvre
serin, lequel faisait de petits vols brusques et toujours plus hauts;
de manière que l'on concevait bien que, la peur et l'instinct de la
liberté aidant, il finirait par s'échapper tout à fait et gagner
quelque couvert où il n'y aurait plus jour à le reprendre.

Angélique s'étant approchée et voyant Mme du Fresnoy si suante sous son
grand habit que ses petites boucles s'étaient défrisées et pendaient
comme ficelles à nouer des sacs, lui dit fort posément que, pourvu
qu'on la laissât faire et que les laquais se tinssent cois, elle était
assurée d'obliger l'oiseau à revenir et qu'elle serait bien quinaude si
elle ne le tenait dans sa main devant qu'une heure fût passée.

La chose de la sorte arrangée, notre cousine ayant retenu ses
commandements, son fils ses pleurs et les laquais leurs cris, je
connus aussitôt ce que la force du sang et le souvenir des aïeux
peuvent avoir d'action sur les mouvements des hommes et que cet insigne
capitaine des serins de M. de Vendôme, qui était l'auteur de sa race
et l'inclyte raison de sa grandeur, revivait justement en ce moment
dans Angélique qui, prenant un visage souriant ensemble et majestueux,
s'avança vers l'arbre où l'oiseau battait des ailes en jetant, avec
de petits sauts, de petits cris qui auraient pu fort bien passer pour
un langage, si M. Descartes ne nous avait prévenus que la machine de
l'animal ne pense pas plus que celles construites par l'industrie des
hommes. Angélique, usant de gestes lents et si mesurés qu'on les eût
dit réglés par le jeu de quelque invisible violon, attira d'abord, sans
les effrayer, les regards de l'oiseau. En même temps, par le moyen
des lèvres à demi jointes, elle figurait un sifflement d'une douceur
ravissante et telle qu'il eût fallu le cœur d'un tigre au lieu de
celui d'un serin, pour n'en paraître pas charmé.

Dans ce moment, nous vîmes, en effet, cette bête qui, descendant d'un
pied, sembla se rapprocher, en hésitant, comme balançant entre le
désir de la liberté et l'invincible attrait de se laisser prendre par
un si bel appeau. Ma femme, cependant, poursuivant les modulations de
son sifflement, s'approchait insensiblement et déjà levait une main,
quand M. du Tailli ayant inconsidérément crié que l'oiseau était pris,
celui-ci fit un saut et s'enfuit. Nous vîmes cette petite boule d'or
traverser l'obscurité du bosquet pour se poser dans un feuillage où
le soleil déjà avait mis des couleurs d'un jaune qui ne le cédait pas
à celui du plumage; mais, au même moment, un seigneur qui tournait
justement l'allée, faillit recevoir en plein dans son pourpoint la
bestiole étourdie et, sans se démentir, posant sur l'agitation de ses
ailes son chapeau lourd de plumes et de points, dans l'instant il eût
réduit en captivité la cause d'un si grand émoi.

Étant accourus, nous vîmes que c'était M. de Moncontour qui venait
par cette manœuvre-là de décider la victoire et lui, qui jugea la
situation d'abord, me confia, par la suite, qu'il n'avait pas éprouvé
tant de joie ni conçu tant d'espérance le jour où, par l'arrivée subite
de ses escadrons à Turckheim, il avait aidé le comte de Turenne à
culbuter M. de Montecuculli.

Ce marquis appréciait les choses comme il convient à un seigneur de la
cour et n'augurait pas à la légère, car Mme du Fresnoy ressentant pour
un service à ce point signalé la reconnaissance d'une âme généreuse,
elle fit jouer des ressorts si justes et prit des mesures si exactes,
qu'en moins de huit jours elle eut obtenu pour ce vieux guerrier
l'appartement qu'il désirait d'occuper à Versailles et que ni ses
services à la guerre, ni sa constance à demeurer près du prince, ni sa
grande qualité n'avaient eu assez de crédit pour lui procurer.

Sa reconnaissance et la faiblesse de M. de Louvois ne se bornèrent pas
là, car, à quelque temps de là, M. de Moncontour fut compris dans une
promotion de maréchaux, dignité qu'il avait méritée par ses campagnes,
mais qu'il aurait sans doute attendue plus longtemps sans l'aventure du
serin.

Sitôt que M. de Moncontour eut été mis en possession d'une demeure
qu'il jugeait si délicieuse, il fit diligence pour m'envoyer un mot
de billet disant qu'il voulait reconnaître les soins que nous avions
pris, Angélique et moi, pour maintenir la cousine dans ses heureuses
dispositions en lui rappelant par le moyen du serin les obligations
qu'elle avait à lui et véritablement nous nous y étions attachés de bon
cœur.

Je trouvai le nouveau maréchal dans son nouvel appartement. C'étaient
deux chambres meublées assez médiocrement, dans la hauteur de l'une
desquelles était ménagé de quoi coucher un valet, avec un sol de
carreaux sur lequel on avait eu l'honnêteté de jeter un bon tapis.

—Monsieur de La Fontette, me dit le marquis, je sais les diligences
que vous avez faites pour m'aider à obtenir une grâce que je prisais
fort, et je veux vous montrer que vous ne vous êtes pas employé pour
un ingrat. Il y a présentement, dans le pays chartrain, où j'ai mes
terres, une charge dans l'élection d'une ville petite, mais jolie, qui
est à ma disposition et que j'ai résolu de vous faire avoir. C'est une
charge de campagne, à la vérité, mais il y a de grands agréments et de
grandes prérogatives.

—Je suis confondu, Monsieur le maréchal, des bontés que vous faites
paraître à mon endroit, mais oserais-je vous demander de quoi il s'agit?

—Vous serez président, Monsieur de La Fontette, à moins que vous
n'ayez quelque répugnance à entrer dans la robe.

—Monsieur, voulez-vous?...

—A la vérité, on ne voit dans toute la juridiction ni procureurs, ni
avocats, ni conseillers même, et vous serez la justice à vous tout
seul, mais on est maître absolu dans le pays, le titre demeure et je
gage que Mme de La Fontette aura satisfaction d'être présidente.

—Songez, Monsieur, que je suis comédien.

—Eh! Monsieur, me répondit cet homme de guerre avec un beau
sang-froid, le théâtre n'est-il pas la meilleure école du tribunal?
Soyez assuré que vous n'aurez pas perdu vos grimaces et qu'elles
pourront servir encore.

—Je n'ai point étudié le droit.

—Il y a dans la ville un tabellion qui règle tout moyennant trente
ou quarante francs par année, et puis, quand on a bon sens et bon
esprit, on n'a qu'à juger à la rencontre. C'est assez pour des gens de
province. C'est à Paris que l'on raffine...

—Sur ce pied-là, Monsieur le maréchal, je suis votre homme, et il ne
me reste qu'à vous remercier...

—Allez, allez, s'écria-t-il en m'interrompant et en me poussant par
les épaules, allez Monsieur le président, faire l'achat d'une robe
noire; vous n'en serez pas plus tôt revêtu que vous jugerez comme
Salomon. Mais, au moins, ne vous laissez pas frustrer de vos épices;
haut la main, Monsieur le président, et si vous rendez la justice,
faites-lui rendre aussi.

C'est ainsi que de Scapin je devins président et qu'Angélique ajouta
un nouveau lustre à la lignée des capitaines de serins. Le hasard ou
plutôt la Providence, qui ne laisse pas d'avoir de l'esprit malgré sa
grandeur, voulut que le premier coupable que j'aie eu à juger fût un
pauvre histrion de campagne qui avait sur la conscience le meurtre de
quelque poule, conseillé par l'appétit.

Je balançai longtemps si je le ferais pendre, pour prouver aux autres
et surtout à moi-même que je n'étais pas un magistrat de derrière les
chandelles, mais mon inclination naturelle me portant à la douceur, et
ayant remarqué que ce maraud avait des lumières toutes spéciales sur la
façon de confectionner certaines confitures que je prise fort, je me
libérai d'en faire mon laquais et, dans la suite, ayant montré du goût
pour la basoche, je lui fis avoir une charge d'huissier, de manière
qu'à la fin il jugeait à ma place lorsque j'étais incommodé ou occupé à
la promenade.

Et, ce qui montre assez que l'art comique est la véritable nourrice
et la source naturelle de toutes les autres professions humaines, on
tomba d'accord que jamais la justice n'avait été si droitement et si
subtilement distribuée dans le pays chartrain. C'est ainsi que Thalie,
la muse au double masque, préparait des serviteurs pour Thémis, la
déesse au double visage.



XXVI

LA PIERRE FENDUE


Il y avait bien deux ou trois ans que je jugeais les autres à la
manière d'un Solon ou d'un Dracon, selon le sentiment de ceux que mes
arrêts faisaient blancs ou noirs, quand je fus contraint d'aller à
Paris pour quelque affaire dont je ne me souviens pas bien. Il faut
cependant qu'elle ait été de conséquence, car je partis au milieu de
l'hiver et dans le temps que la neige obstruait tous les chemins.
J'ai souvenance, à la vérité, qu'Angélique, ma femme, était pour lors
d'une mélancolie si outrée, pour avoir été traitée de _présidenteaude_
par la femme de l'Élu à qui elle disputait le pas, que les meubles
en dansaient d'eux-mêmes dans la maison et que deux plaideurs qui
apportaient certain quartaut de vin vieux dans l'attente de leur procès
avaient été reçus par elle comme s'ils fussent venus lui redemander
leurs Épices.

Je pris le coche de Chartres, qui me conduisit à Paris en deux journées
seulement, et étant descendu dans une auberge qui avait bon air, je
m'occupai d'abord à bien me décrasser de la poussière du chemin, après
quoi je commandai à l'hôte de mettre un poulet à la broche et de tirer
de son meilleur vin, accomplissant toutes ces choses avec la liberté
d'esprit et le contentement d'un homme qui se verrait par quelque
miracle subitement tiré de la tempête et entré dans la bonace.

Dès que j'eus dîné de la manière que j'ai dit, je m'en fus en droiture
à la rue Mazarine, proche celle Guénégaud, où la troupe s'était retirée
depuis la mort de Molière, pour voir la comédie que l'on donnait ce
soir-là, et qui se trouva être le _Misanthrope_. M'étant fait ouvrir
une loge, j'entendis cette pièce parfaite, et qui a mérité d'être
placée au-dessus même des ouvrages des anciens par la peinture des
caractères et la force de l'expression; mais j'eus peine à retenir
mes larmes en voyant, au lieu de l'aimable Molière, l'impertinent
Baron dans le personnage d'Alceste. A la vérité, ce comédien avait du
mérite, et l'on a sans doute eu raison de dire qu'il avait atteint
la perfection dans son art, mais de le considérer de la sorte, et si
l'on peut ainsi parler, dans la peau et sous les habits d'un homme
que j'avais si passionnément aimé, de voir auprès de lui Mlle Molière
remplir ce rôle de Célimène que je savais avoir été écrit pour elle
dans les transports de la jalousie la plus cruelle ou les espérances
d'un invincible amour, de trouver ainsi rassemblés sous mes yeux les
deux êtres pour qui Molière avait montré un si fort attachement et
payé d'une extrême ingratitude, cela me parut si touchant, si neuf et
si déplorable, que le ressentiment de cette heure est toujours depuis
demeuré en moi.

Après le _Misanthrope_, on donnait l'_Inconnu_, du fameux Thomas
Corneille; entre les deux pièces, La Grange vint tenir l'emploi
d'orateur, qui était auparavant celui de Molière. Son compliment ne fut
pas mauvais, il y montra du feu et une honnête hardiesse, mais sans
égaler la bonne grâce, la politesse et la modestie de celui qui l'avait
instruit.

Étant passé sous le rideau, à la fin du spectacle, j'allai saluer Mlle
Molière, qui faisait paraître un visage de veuve, je veux dire serein
et riant, en même temps que le maintien d'une femme qui veut cesser
de mériter ce beau titre et ce beau front, et je pus juger sur l'air
sournois et passionné d'un comédien nommé Guérin d'Étriché, qui se
trouvait là, qu'elle songeait, comme on l'a dit plus tard, à remplacer
son mari d'esprit

    Par un de chair qu'elle aimait davantage.

Poussant un peu plus loin mes pas, je cherchais La Grange pour lui
faire mes honnêtetés quand, entrant dans la chambre des comédiennes,
je me vis soudainement devant une jeune personne qui était grande et
bien faite, quoique peu jolie, et que je crus reconnaître pour l'avoir
vue autrefois, étant petite, s'amuser aux jeux des enfants dans quelque
coin de la scène, devant que la toile ne fût levée. Je m'approchai de
la fille de Molière et, l'ayant saluée, je lui dis que j'avais sujet
de me louer du sort, puisque je me trouvais devant une personne dont
le père m'aimait et pour qui j'avais toujours fait profession de la
vénération et de l'amour qu'un fils peut avoir.

Nous nous entretînmes ensuite quelques instants de la sorte, et
j'appris de cette demoiselle que sa mère l'avait fait entrer au
couvent, dans l'espérance qu'elle y resterait tout à fait, mais que,
ressentant pour la vie religieuse une aversion insurmontable, elle
avait enfin obtenu de revenir auprès de Mlle Molière.

—Mais, lui dis-je, quel est votre âge présentement?

—Chut! me répondit-elle, j'ai quinze ans et demi; mais n'en dites rien
à ma mère.

Montrant ainsi qu'elle avait compris la cause pour laquelle on avait du
dépit d'une aussi grande fille.

Dans le moment que nous parlions tous deux, nous vîmes un homme assez
bien fait, quoique vieillard de quarante ans approchant, qui semblait
me considérer d'un œil mortifié, jusqu'à ce que la petite Molière lui
eut fait connaître qui j'étais et m'eut dit que c'était un gentilhomme
nommé le sieur de Montalant à qui elle avait de grandes obligations.
Je ne savais pas bien ce qu'elle entendait par là, mais dans la suite
ce Montalant ayant épousé cette Iphigénie, je connus que le meilleur
office que l'on puisse rendre à une fille est de la soustraire au
cloître et de lui donner un mari même barbon.

Après avoir salué la jeune personne, M. de Montalant lui demanda d'un
air vif:

—Savez-vous quel est le dessein de Mlle Molière en faisant voiturer
cette grande masse de bois que l'on voit au cimetière Saint-Joseph sur
la tombe de votre père? Il y a là pour le moins cent voies.

—Non, vraiment, s'écria la petite, et je vous prie de me faire
connaître la raison de cette fantaisie étrange et nouvelle, car pour ma
mère, dès la comédie faite, elle partit.

—Sur ce pied-là, repartis-je, il n'y a qu'à faire venir des porteurs
et nous irons en chaise jusqu'à l'endroit que Monsieur dit; il n'y a
rien, au surplus, qui soit si pressé pour moi que d'aller faire mes
dévotions sur une si illustre pierre.

Étant arrivés dans le cimetière Saint-Joseph, nous vîmes que de grands
feux s'élevaient au-dessus d'une tombe, qui passait d'un pied hors de
terre, et qu'autour de ces feux une quantité de misérables assemblés se
chauffaient avec de grandes démonstrations d'une joie qui se pouvait
concevoir par comparaison avec la violence du froid de l'hiver. Les
flammes, en montant dans la nuit et parmi les solitudes sépulcrales
du lieu, faisaient une image parfaite de l'enfer, et, pour achever le
tableau, on pouvait fort bien considérer comme figures de damnés les
gens qui, pour s'approcher plus du foyer, se battaient et se mordaient,
ou ceux qui, assommés par les effets de la chaleur, dormaient étendus
tout autour dans la fange humide et grasse.

Un archer du guet, qui se trouvait là et considérait philosophiquement
ces choses à la manière de ceux de sa corporation, nous dit
effectivement que c'était un bienfait de Mlle Molière qui, pour honorer
la mémoire de son mari, faisait aux pauvres du quartier des largesses
de chauffage.

Nous qui savions combien cette mémoire était lointaine et prête à
s'évanouir devant les flambeaux d'un autre hyménée, nous ne pûmes nous
empêcher de nous entre-regarder en silence. J'ai cru depuis que cette
flambée charitable était comme l'excuse dernière d'une veuve croyant
expier par ce grand déploi de flammes envers un mort, celles dont elle
rougissait de brûler pour un vivant.

—Esprit, disait M. de Montalant, chère Esprit, voilà qu'il est tard et
qu'il faut rentrer au logis.

Je ne connus pas d'abord à qui ce discours s'adressait, et je me sus
mauvais gré, tout de suite après, d'avoir oublié le nom de la fille de
Molière. N'était-il pas juste cependant, que le seul des enfants qui
eût survécu au comique s'appelât _Esprit_?

Le lendemain, le hasard ou l'enchaînement de mes pensées me
conduisirent de nouveau dans le cimetière de Saint-Joseph. La pierre
qui recouvrait la tombe s'était fendue en deux, par l'effet du feu.
Je crus que, durant la nuit, l'âme de Molière avait pu s'élever à
travers cette fente pour se mêler un peu à celles du populaire qui se
chauffait à cette flamme et s'égayait à cette clarté, image des foules
de l'avenir qui s'éclaireront éternellement à la lumière de son génie
et se réjouiront à la chaleur de sa gaieté.



XXVII

LA REVANCHE DE THALIE ET DE THÉMIS


Quand Scapin eut été pourvu d'une charge de président, par la grâce de
M. de Moncontour et par le canal du serin qui fit en même temps de ce
marquis un maréchal de France; quand la souquenille rayée du valet de
comédie eut été remplacée sur mon dos par la robe noire du magistrat,
et qu'au lieu des feux du théâtre je reçus les épices du tribunal, je
ne trouvai point finalement que ma condition fût changée sensiblement.
J'imaginais parfois que les plaideurs acharnés à disputer devant
moi n'étaient que les personnages d'une scène que nous répétions; et
pour l'assemblée qui venait parfois bâiller à l'audience—j'entends
les jours d'hiver où je faisais allumer de grandes bourrées dans
l'âtre ou quand il s'agissait de l'honneur d'un voisin—elle figurait
parfaitement à mes yeux les spectateurs. Ils montraient effectivement
le même goût, qui est de siffler l'acteur quand il joue bien et
d'approuver le magistrat s'il opine mal.

Cependant Angélique, ma femme, n'était pas apparemment de ce sentiment,
et le fit bien voir; car, s'étant montrée aussi stérile que le sont,
au dire des voyageurs, les déserts sablonneux de la Lybie, du temps
que j'étais Scapin, elle s'appliqua—sitôt que je fus président—à
concevoir, chaque année, des enfants dont je me crois tendrement le
père, ce qui fit qu'en un peu moins de six ans nous en comptâmes un
peu moins que la demi-douzaine, je veux dire cinq, que j'élevai de la
manière que je vais dire.

Le premier, qui était un fils, fut appelé par nous M. de la
Bertrandière, du nom d'une certaine seigneurie que j'acquis à bon
compte après la mort d'un traitant que j'avais fait pendre. M. de la
Bertrandière n'eut pas plutôt atteint l'âge de sept ans que, cessant
de le laisser polissonner, comme il avait fait jusqu'alors, avec les
petits garçons du pays, j'ordonnai qu'il passerait des mains des femmes
dans celles des hommes, et par là j'entendais n'être plus cousu aux
jupes de la maritorne qui préparait nos repas, mais attaché aux basques
de l'huissier qui écrivait mes procès-verbaux. Pour le second, qui fut
aussi du sexe masculin, sa mère jugea que ce serait lui faire tort de
le destiner à moins qu'à la prélature, et nous commençâmes à le nommer
M. l'abbé, le jour qu'on lui ôta les lisières. Après cela vinrent
deux filles, Isabelle et Armande, puis un fils, qui fut le Chevalier,
car nous le crûmes assez bon gentilhomme pour être admis à faire ses
caravanes sur les galères de l'ordre de Malte. On peut juger par là
que nous ne songions guère, pour notre géniture, à la ranger sous les
lois de Thémis ou de Thalie, origine et source de notre fortune, mais
les fumées ambitieuses de ma femme et le soin de sa grandeur faisaient
qu'elle souffrait assez impatiemment de me voir robin, pour ne point
vouloir permettre que ses fils endossassent le harnais des chevaliers
de la procédure. Et, pour le théâtre, elle ne se souvenait pas, je
pense, que j'eusse été comédien.

On fit faire, par le tailleur du village, un habit de cavalier au
gentilhomme, un vêtement de prébendier à l'ecclésiastique et un
équipage militaire pour le profès. Pour les filles, elles eurent de
beaux damas et des rubans à la mode des dames de la cour, car nous nous
serions écriés à l'idée qu'elles pussent n'avoir pas, plus tard, le
tabouret à Versailles, ou tout au moins des pages à Paris.

Après cela, nous fîmes venir un magister pour apprendre le rudiment
et surtout donner le fouet à mes fils, avec un maître à danser pour
montrer à nos filles les façons de la bonne compagnie, et contents
d'avoir ainsi pourvu à la fortune future de nos descendants, nous pûmes
enfin librement nous livrer à nos occupations coutumières, qui étaient
pour Angélique de contester avec les vieilles femmes du village,
et pour moi, les jours que je ne jugeais point, de vider quelques
flacons chez les uns ou chez les autres en discourant sur les affaires
publiques ou les biens de la terre.

Or, un matin que je revenais de chez le curé du lieu, qui était
bon compagnon et avait entrepris de faire mon salut, par le moyen
d'un excellent vin qu'il avait dans son cellier, je fus surpris,
au détour de quelque charmille, d'entendre dans une partie écartée
de mon jardin un murmure de voix alternées. M'étant avancé un peu
plus, je distinguai, sur une terrasse terminée par deux rampes
assez majestueuses, une petite troupe de gens qui semblaient faire
des cérémonies, s'abordaient avec des révérences ou se promenaient
pompeusement deux par deux en discourant. Comme j'avais pu me
dissimuler derrière une allée d'arbres, j'arrivai assez près pour être
confondu de voir que c'étaient mes fils et mes filles qui s'étaient
concertés pour jouer la comédie.

Il y avait là aussi quelques polissons du village, réunis sans doute
pour servir de spectateurs, et qui marquaient assez n'avoir pas payé
leurs places en poussant plus souvent de longs sifflets d'improbation
que faisant des battements de mains, même aux endroits les mieux
touchés. Cependant Isabelle, l'aînée de mes filles, montrait des mines
et se servait de l'éventail de la bonne manière, tandis qu'Armande,
en suivante qui connaît ses devoirs, marchait derrière sa sœur
avec un maintien à la fois modeste et effronté. Le chevalier, qui ne
comptait pas plus de cinq printemps, figurait un page et s'appliquait
en conscience, sans cesser toutefois de plonger ses doigts dans son
nez, à porter la queue de la dame, tandis que M. de la Bertrandière,
un poing sur la hanche, et tenant de l'autre main une canne qu'il
m'avait dérobée, s'avançait à pas comptés, comme un seigneur auprès de
son infante. Pour l'abbé, il montrait une apparence austère la plus
bouffonne du monde et paraissait plongé dans des pensers profonds, qui
ne le détournaient point, à la vérité, du soin de croquer un massepain
qu'il tenait fort gracieusement en manière de tabatière.

Après qu'ils eurent ainsi représenté je ne sais quelle scène de leur
imagination,—car les paroles n'arrivaient pas jusqu'à moi,—je les
vis débattre un moment sans doute sur le jeu qu'ils voulaient essayer;
après cela, l'abbé partit en courant du côté de la maison, pendant
que les fils de mon fermier apprêtaient avec beaucoup de gravité une
manière de siège, où M. de la Bertrandière s'assit dès que son frère
eut rapporté ma robe de juge qu'il m'avait empruntée sans me consulter.

Les deux petits paysans qui, décidément, figuraient les archers dans
cette mascarade, amenèrent alors un garnement tenant encore à la main
la poire qu'il venait de dérober dans mon verger. Il me parut qu'il
était jugé dans les formes, car, après interrogatoire, et ayant écouté
d'un air indolent la plaidoierie de l'abbé, mué pour la circonstance
en avocat, mon pendard de fils, qui imitait mes façons avec une
effronterie pour laquelle je prévoyais le fouet,—feignant de dormir
et de s'éveiller brusquement pour invectiver l'accusé, contrefaisant
le défenseur dans l'endroit le plus pathétique, ou lorgnant les deux
dames, ses sœurs, en prononçant la condamnation,—commanda d'un ton de
bonne humeur que l'on emmenât le voleur pour le pendre promptement.

Dans le moment, la suivante vint annoncer la dame à M. le président,
qui s'entretint quelque temps avec elle d'un air égrillard, et, un peu
après, le page apporta au juge un sac fort pesant rempli de sable en
manière d'écus, sur quoi le prisonnier fut délivré et eut licence de
s'en aller, ce qu'il fit en achevant de manger sa poire.

J'étais si transporté de fureur de voir ces marauds d'enfants
représenter ainsi la justice que, levant mon bâton et paraissant sur
la terrasse, je mis du coup en déroute toute la bande, qui s'enfuit
laissant par terre ses hardes et ma robe, défroques déplorables de
l'art comique et de l'appareil judiciaire.



DOCUMENTS


«Les mémoires de Louis Morellet, sieur de La Fontette s'arrêtent ici;
on sait peu de choses sur ses dernières années qu'il vécut dans la
retraite et occupé du soin de son salut, car il devint fort dévot
après la mort de sa femme, disant que la mauvaise humeur naturelle
d'Angélique l'ayant sûrement conduit au purgatoire et pour longtemps,
il voulait essayer de gagner le ciel en droiture afin d'y goûter un peu
de repos pendant l'éternité en attendant que sa femme vînt le rejoindre
dans le sein de Dieu.

On doit croire, que, selon ses desseins, l'un de ses enfants suivit
la voie des armes, car un La Fontette figure parmi les officiers
tués pendant la retraite de Prague, mais, malgré nos recherches, nous
n'avons pu retrouver le destin des deux autres, qui, vraisemblablement,
n'ont pas laissé postérité. Une des filles de Bellefleur se fit
comédienne contre son vœu; on croit qu'il mourut du chagrin que lui
causa cette disgrâce. Thérèse Morellet était grande, spirituelle et
libre, elle dansa à l'Opéra et sut plaire. C'est elle qui fit à Mlle Le
Rochois, qui lui enseignait un rôle d'amante abandonnée adressant ses
adieux à celui qu'elle adore, une réponse célèbre:

—Pénétrez-vous de la situation, disait le professeur; si vous étiez
délaissée par un homme que vous aimeriez avec passion, que feriez-vous?

—Je chercherai un autre amant.

On a sujet de croire, surtout après cela, que la seconde fille de
Bellefleur fut nonne.

(Extrait de l'ouvrage—introuvable aujourd'hui: «CONSIDÉRATIONS SUR
LA TROUPE DE MOLIÈRE, _avec des notes pour servir à l'histoire de
la descendance des acteurs et actrices de l'illustre théâtre pour faire
suite à celles de M. de Grimarest_» (1764).)

Portrait de Bellefleur, par Mme la maréchale de Moncontour (_Mémoires_):

«Sa taille ne passait guère la médiocre, mais elle était bien prise et
sentait l'homme de condition. Il avait la figure ronde, avec des yeux
pleins de feu et en tout la mine d'un honnête homme, quoiqu'au théâtre
il ne jouât que les valets. Bellefleur épousa une manière de fille de
qualité qui la lui fit payer bien cher par ses dégoûts, et l'obligea de
quitter le théâtre qu'il aimait. Par la suite, il devint président et
dévot. Sans doute qu'il se souvenait de Perrin Dandin et de Tartuffe.
On assurait qu'il était gentilhomme, mais il peut être tenu pour
certain que jamais ses ancêtres n'avaient gagné tant de batailles
ni obtenu tant de renom avec leurs épées, qu'il ne remporta l'un et
l'autre avec son dos et sous le bâton.»


Il y a quelques années, au moment où je rassemblais et déchiffrais les
feuillets épars et inédits des Mémoires de Bellefleur, le hasard—ou
pour parler plus franc,—le succès d'une piste habilement suivie
me conduisit à retrouver dans le Loir-et-Cher un certain baron de
Lafontette, qui paraissait dans une situation de fortune assez belle
et qu'on me dit infatué de noblesse d'une manière qu'on ne rencontre
plus qu'en province chez les personnes inoccupées. Sous prétexte de
recherches généalogiques je parvins à entrer en rapport avec M. de
Lafontette qui ne me cacha pas que sa famille remontait à la plus
haute antiquité. L'ayant interrogé sur le président de Lafontette,
il me répondit que peut-être des cadets de sa maison avaient pu à un
moment donné entrer dans la robe, mais que son ascendance directe était
d'épée et qu'on pouvait retrouver à chaque page de l'histoire de France
les traces des grands coups d'estoc,—il prononçait _estoc_ avec une
évidente complaisance,—fourni par les siens.

J'osai lui glisser quelques mots de Bellefleur en m'informant s'il
n'avait pas quelques notions sur ce personnage de son nom, mais il
rejeta avec hauteur la corrélation que j'avais paru vouloir établir
entre cet histrion, dit-il, et son aïeul.

Cependant les registres de l'état civil consultés par moi donnent cette
indication: _Acte de naissance de Louis, Joseph, Charles, Léon Morellet
de Lafontette, fils de, etc._

Ce M. de Lafontette a un fils qui n'a pas cru devoir immobiliser son
activité dans les opinions réactionnaires de sa famille et qui occupe
actuellement au ministère de l'Instruction publique une situation
prépondérante et occulte. Son influence s'exerce d'une manière assez
sensible dans le choix des croix attribuées aux comédiens comme
professeurs ou fonctionnaires.


        Paris.—L. MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette.—5326.



TABLE


                                                  Pages.
        I  Le panier d'œufs.                          1
       II  Pharasmane.                                 9
      III  Les six sous de la tourte.                 16
       IV  La peau du lion.                           24
        V  Le nabot.                                  32
       VI  Le philtre.                                39
      VII  L'injuste trépas.                          46
     VIII  L'opinion de Corneille.                    56
       IX  Molière inquiet.                           65
        X  Les deux pendus.                           73
       XI  Les trois couples.                         84
      XII  Le souper d'Auteuil.                       92
     XIII  Le Gascon fâché.                          100
      XIV  Scapin héros.                             108
       XV  Les matassins.                            115
      XVI  «Phèdre».                                 123
     XVII  La batonnade Scapin.                      130
    XVIII  Le jeu de l'amour et de la comédie.       139
      XIX  Le notaire supposé.                       147
       XX  Le mariage comique.                       156
      XXI  L'assaut burlesque.                       165
     XXII  Le pédant malavisé.                       174
    XXIII  La mort de Molière.                       182
     XXIV  Le chagrin de M. de Moncontour.           193
      XXV  Le président Scapin.                      202
     XXVI  La pierre fendue.                         211
    XXVII  La revanche de Thalie et de Thémis.       219
           Documents.                                227
           Table.                                    233



                       EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
                    11, RUE DE GRENELLE, PARIS (7e)


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OEUVRES DE FRANÇOIS DE NION

  LES FAÇADES
  LES DERNIERS TRIANONS
  LA MORTE IRRITÉE
  L'OBEX
  LA PEUR DE LA MORT
  L'AMOUREUSE DE MOZART
  LES HISTOIRES RISQUÉES DES DAMES DE MONCONTOUR
  LES MAITRESSES D'UNE HEURE
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Le Livre des MILLE NUITS et une Nuit

  _Première traduction littérale et complète du texte arabe_
    PAR LE =Dr J. C. MARDRUS=
  Tome Ier.—Histoire du marchand.—Histoire du
    pêcheur.—Histoire du portefaix.—Histoire de la femme
    coupée.—Histoire de Noureddine.
  Tome II.—Histoire du bossu.—Histoire d'Ali-Nour et de
    Douce-Amie.—Histoire de Ghanem Ben-Ayoub et de sa sœur Fetnah.
  Tome III.—Histoire du roi Omar Al-Néman et de ses deux fils
    merveilleux Scharkan et Daoul'Makan.
  Tome IV.—Fin de l'histoire du roi Omar Al-Néman.—Histoire
    charmante des animaux et des oiseaux.—Histoire d'Ali Ben-Bekar.
  Tome V.—Histoire de Kamaralzaman avec la
    princesse Boudour.—Histoire de Bel-Heureux et de
    Belle-Heureuse.—Histoire de Grain-de-Beauté.
  Tome VI.—Histoire de la docte Sympathie.—Aventure du poète
    Abou-Nowas.—Histoire de Sindbad le Marin.—Histoire de la
    belle Zoumourroud avec Alischar, fils de Gloire.—Histoire de
    six adolescentes.
  Tome VII.—Histoire prodigieuse de la ville d'Airain.—Histoire
    d'Ibn Al-Mansour.—Histoire de Wardan le boucher.—Histoire
    de la Reine Yamlika.—Histoire du bel adolescent
    triste.—Le parterre fleuri de l'esprit et le jardin de la
    galanterie.—L'étrange Khalifat.
  Tome VIII.—Histoire de Rose-dans-le-calice.—Histoire magique
    du cheval d'ébène.—Histoire de Dalila-la-Rouée.—Histoire de
    Jouder le pêcheur.
  Tome IX.—Histoire d'Abou-kir.—Anecdotes du jardin
    parfumé.—Histoire d'Abdallah de la terre et d'Abdallah
    de la mer.—Histoire du jeune homme jaune.—Histoire de
    Fleur-de-Grenade.—La soirée d'hiver d'Ishak.—Le Fellah
    d'Égypte.—Histoire du khalife et du khalifat.
  Tome X.—Les aventures de Hassan-al-Bassri.—Le diwan des gens
    hilares et incongrus.—Histoire du dormeur éveillé.—Les amours
    de Zein-al-Mawassif.—Histoire du jeune homme mou.
  Tome XI.—Histoire du jeune Nour avec la Franque héroïque.—Les
    séances de la générosité et du savoir-vivre.—Histoire
    merveilleuse du miroir des vierges.—Histoire d'Aladdin et de
    la lampe magique.
  Tome XII.—La parabole de la vraie science de la vie.—Farizade
    au sourire de rose.—Histoire de Kamar et de l'experte
    Halima.—Histoire de la jambe de mouton.—Les clefs du
    destin.—Le diwan des faciles facéties et de la gaie
    sagesse.—Histoire de la princesse Nourennahar et de la belle
    Gennia.
  Tome XIII.—Histoire de Gerbe-de-Perles.—Les deux vies
    du sultan Mahmoud.—Le trésor sans fond.—Histoire
    compliquée de l'adultérin sympathique.—Paroles sous
    les quatre-vingt-dix-neuf têtes coupées.—La malice des
    épouses.—Histoire d'Ali-Baba et des quarante voleurs.

  Chaque tome in-8º carré                                    =7= fr.

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    LE TRÉSOR D'ARLATAN
      Avec de nombreuses aquarelles de LAURENT-DESROUSSEAUX.
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        de 107 gravures en couleur par NOTOR, d'après des
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    =Contes Choisis=
      Avec 2 compositions de MAURICE ÉLIOT, gravées à
        l'eau-forte par F. DESMOULIN.                         1 vol.

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      Avec 2 eaux-fortes de CHAMPOLLION, d'après les
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ALPHONSE DAUDET

    =Contes Choisis=
      Avec 2 eaux-fortes d'EDMOND MORIN.                      1 vol.

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    =L'Abbé Tigrane=
      Avec 2 dessins de J.-P. LAURENS, gravés par COURTRY.    1 vol.

    =Julien Savignac=
      Avec 2 dessins de J.-P. LAURENS, gravés par COURTRY.    1 vol.

    =Le Chevrier=
      Avec 2 dessins de J.-P. LAURENS, gr. par CHAMPOLLION.   1 vol.

CAMILLE FLAMMARION

    =La Pluralité des Mondes=
      Avec 2 eaux-fortes de P. FOUCHÉ.                        1 vol.

TH. GAUTIER

    =Mademoiselle de Maupin=
      Avec 4 dessins de GIRAUD, gravés par CHAMPOLLION.       2 vol.

    =Fortunio=
      Avec 2 dessins originaux de TH. GAUTIER.                1 vol.

    =Jeunes-France=
      Avec 5 dessins de TH. GAUTIER.                          1 vol.

    =Mademoiselle Dafné=
      Avec 2 eaux-fortes de JEANNIOT.                         1 vol.

    =Émaux et Camées=
      Avec 2 dessins et un portrait de l'auteur, gravés
        à l'eau-forte d'après les aquarelles de Madame la
        Princesse MATHILDE.                                   1 vol.

    =Le Roman de la Momie=
      Avec 2 dessins de LECOMTE-DU-NOUY, gravés à
        l'eau-forte par JASINSKI.                             1 vol.

GOETHE

    =Werther=
      Traduction PIERRE LEROUX, avec 2 dessins de DELBOS.     1 vol.

EDMOND ET JULES DE GONCOURT

    =Renée Mauperin=
      Avec 2 eaux-fortes d'ED. MORIN.                         1 vol.

    =Madame Gervaisais=
      Avec 2 dessins de DESMOULIN, gravés à l'eau-forte
        par MANESSE.                                          1 vol.

HORACE

    =Odes=
      Traduction PATIN, avec 2 dessins de MEUNIER.            1 vol.

VICTOR HUGO

    =Les Orientales. Les Feuilles d'Automne=
      Avec 2 dessins de BENJAMIN CONSTANT, gravés à
        l'eau-forte par DESMOULIN.                            1 vol.

    =Odes=
      Avec 2 dessins de G. ROCHEGROSSE, gravés à
        l'eau-forte par JASINSKI.                             1 vol.

    =Ballades. Les Rayons et les Ombres=
      Avec 2 dessins de JULES GARNIER, gravés à l'eau-forte
        par F. DESMOULIN.                                     1 vol.

    =Les Chansons des Rues et des Bois=
      Avec 2 dessins de MAURICE ÉLIOT, gravés à l'eau-forte
        par DEBLOIS.                                          1 vol.

    =Les Châtiments=
      Avec 2 dessins de PAUL ROBERT, gravés à l'eau-forte
        par F. DESMOULIN.                                     1 vol.

    =Les Chants du Crépuscule. Les Voix Intérieures=
      Avec 2 dessins de H. LAURENT-DESROUSSEAUX, gravés à
        l'eau-forte par L. MULLER.                            1 vol.

    =Les Contemplations=
      Avec 4 dessins de H. MONTÉGUT, gravés à l'eau-forte
        par A. MASSÉ.                                         2 vol.

    =La Légende des Siècles=
      Tome I, avec 2 eaux-fortes de JEANNIOT.                 1 vol.
      Tome II, avec 2 dessins de MAURICE ÉLIOT, gravés à
        l'eau-forte par DESMOULIN.                            1 vol.
      Tome III, avec 2 dessins de LAURENT-DESROUSSEAUX,
        gravés à l'eau-forte.                                 1 vol.
      Tome IV, avec 2 dessins de ROUX, gravés à l'eau-forte.  1 vol.

GIACOMO LEOPARDI

    =Poésies=
      Traduction de EUGÈNE CARRÉ, avec des eaux-fortes de
        F. DESMOULIN.                                         1 vol.

HECTOR MALOT

    =Une Bonne Affaire=
      Avec 2 dessins de DESMOULIN, gravés à l'eau-forte par
        FAIVRE.                                               1 vol.

GUY DE MAUPASSANT

    =Contes et Nouvelles=
      Avec 2 dessins de JEANNIOT, gravés à l'eau-forte par
        MASSÉ.                                                1 vol.

CATULLE MENDÈS

    =Contes Choisis=
      Avec 2 eaux-fortes de G. FRAIPONT.                      1 vol.

J. MICHELET

    =La Montagne=
      Avec 2 dessins de MASSÉ, gravés à l'eau-forte.          1 vol.

    =L'Amour=
      Avec 2 dessins de M. ÉLIOT, gravés à l'eau-forte par
        F. OUDART.                                            1 vol.

    =La Femme=
      Avec 2 eaux-fortes de PAUL AVRIL.                       1 vol.

OCTAVE MIRBEAU

    =Contes de la Chaumière=
      Avec 2 eaux-fortes de RAFFAELLI.                        1 vol.

ALFRED DE MUSSET

    =Premières Poésies=
      Avec un portrait de l'auteur gravé à l'eau-forte par
        M. WALTNER, d'après le médaillon de DAVID D'ANGERS,
        et une eau-forte, d'après BIDA, par M. LALAUZE.       1 vol.

    =Poésies Nouvelles=
      Avec un portrait de l'auteur, réduction de l'eau-forte
        de LÉOPOLD FLAMENG, d'après le tableau de LANDELLE
        et une eau-forte de LALAUZE, d'après BIDA.            1 vol.

    =La Confession d'un Enfant du Siècle=
      Avec un portrait de l'auteur dessiné à la sanguine
        par EUGÈNE LAMI, fac-similé par _Legenisel_, et une
        eau-forte d'après BIDA, par LALAUZE.                  1 vol.

    =Comédies et Proverbes=
      Tome Ier.—Avec un portrait de l'auteur, gravé par
        ALPHONSE LEROY, d'après la lithographie de GAVARNI,
        et une eau-forte de LALAUZE, d'après BIDA.            1 vol.
      Tome II.—Avec un portrait de l'auteur gravé par
        ALPH. LAMOTHE, d'après le buste de MEZZARA, et une
        eau-forte de Lalauze, d'après BIDA.                   1 vol.
      Tome III.—Avec un portrait de l'auteur, gravé par
        MONZIÈS, copie d'une photographie d'après nature,
        une eau-forte de ABOT, représentant le tombeau
        d'Alfred de Musset, et une eau-forte de LALAUZE,
        d'après BIDA.                                         1 vol.

    =Contes et Nouvelles=
      Avec un portrait de l'auteur, gravé par WALTNER,
        d'après une aquarelle faite spécialement pour ce
        volume par EUGÈNE LAMI, et 2 eaux-fortes de
        LALAUZE, d'après BIDA.                                1 vol.

PAUL DE MUSSET

    =Lui et Elle=
      Avec 2 dessins de G. ROCHEGROSSE, gravés par
        CHAMPOLLION.                                          1 vol.

CHARLES NODIER

    =L'Écrin d'un Conteur=
      Avec 2 dess. de FERDINANDUS, gr. à l'eau-forte p.
        F. MASSÉ.                                             1 vol.


L'ABBÉ PRÉVOST

    =Histoire de Manon Lescaut et du Chevalier des Grieux=
      Avec 2 eaux-fortes de LE NAIN.                          1 vol.

CARDINAL DE RETZ

    =Pensées=
      Avec introduction par le Dr LETOURNEAU, avec 2
        eaux-fortes de F. DESMOULIN.                          1 vol.

JEAN RICHEPIN

    =Les Caresses=
      Avec 2 dessins de MAURICE ÉLIOT, gravés à l'eau-forte
        par F. DESMOULIN.                                     1 vol.

    =La Mer=
      Avec deux compositions de HENRI CARUCHET, gravées à
        l'eau-forte par MORDANT.                              1 vol.

ÉDOUARD ROD

    =Vie Privée de Michel Teissier=
      Avec 2 eaux-fortes de F. DESMOULIN.                     1 vol.

J.-T. DE SAINT-GERMAIN (TARDIEU)

    =Pour une Épingle=
      Avec 2 dess. de G. Alaux gr. à l'eau-forte p. MANESSE.  1 vol.

JULES SANDEAU

    =Le Docteur Herbeau=
      Avec 2 dess. de BASTIEN-LEPAGE, gr. par CHAMPOLLION.    1 vol.

    =Mademoiselle de la Seiglière=
      Avec 2 dessins de LELOIR.                               1 vol.

    =La Chasse au Roman=
      Avec 2 dessins de NIELSENN.                             1 vol.

SILVIO PELLICO

    =Mes Prisons=
      Traduction LATOUR, avec 2 eaux-fortes de CHARPENTIER.   1 vol.

A. THEURIET

    =Raymonde=
      Avec 2 dessins de DELBOS.                               1 vol.

    =Contes de la Forêt=
      Avec 2 dess. de REICHAN, gr. à l'eau-forte par
        JASINSKI.                                             1 vol.

ALFRED DE VIGNY

    =Cinq-Mars=
      Avec 4 dessins de JEANNIOT.                             2 vol.

    =Servitude et Grandeur Militaires=
      Avec 2 dessins de JEANNIOT.                             1 vol.

    =Théâtre=
      Avec 4 dessins de JEANNIOT.                             2 vol.

    =Poésies complètes=
      Avec un portrait de l'auteur d'après DAVID D'ANGERS,
        et un dessin de JEANNIOT, gravés par LANÇON.          1 vol.

    =Journal d'un Poète=
      Avec 2 dessins de JEANNIOT.                             1 vol.

    =Stello=
      Avec 2 dessins de JEANNIOT.                             1 vol.

VIRGILE

    =Les Bucoliques et les Géorgiques=
      Avec 2 eaux-fortes de F. MASSÉ.                         1 vol.

ZOLA

    =Contes à Ninon=
      Avec 2 dessins de JEANNIOT.                             1 vol.

    =Nouveaux Contes à Ninon=
      Avec 2 des. de F. FAU, grav. à l'eau-forte par
        F. MASSÉ.                                             1 vol.

    =Thérèse Raquin=
      Avec 2 dessins de G. ALAUX, gravés à l'eau-forte par
        MANESSE.                                              1 vol.


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OCTAVE MIRBEAU

    LES AFFAIRES SONT LES AFFAIRES

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    L'AUTRE DANGER

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    LA LOI DU DIVORCE

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    LE CRIME DU DOCTEUR

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    LE VEAU D'OR

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    MADAME CARIGNAN

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    LE CONSOLATEUR

MARIUS-ARY LEBLOND

    LE ZÉZÈRE

ALFRED BOUCHINET

    AU DELA DE LA FOI

L.-F. SAUVAGE

    SÉBASTIEN TRUME

HENRY RABUSSON

    SCRUPULE DE VIERGE

FERDINAND FABRE

    MA JEUNESSE

JEAN ROANNE

    MADEMOISELLE DE CALIAN

VALENTIN MANDELSTAMM

    MÉMOIRES D'UN GRAND DE LA TERRE

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    LES SUPPLIANTS

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    LES TRIBUTAIRES

MICHEL CORDAY

    =Sésame ou la Maternité consentie=

CHARLES-HENRY HIRSCH

    HÉROS D'AFRIQUE
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    LE MARCHAND DE BONHEUR


            Paris.—L. MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette.


       *       *       *       *       *


  Corrections:

  Page   3: «lorqu'on» remplacé par «lorsqu'on» (lorsqu'on est en
              compagnie).
  Page   5: «derniers» par «deniers» (six sols et deux deniers).
  Page   9: numéro de chapitre ajouté (II—Pharasmane).
  Page   9: «Thepsis» remplacé par «Thespis» (le chariot de Thespis
              se mit en route).
  Page  41: «forces» par «force» (avec force bouteilles).
  Page  51: «gentishommes» par «gentilshommes» (d'où sortaient
              précisément deux gentilshommes).
  Page  60: «goudronnés» par «godronnés» (ma canne et mes canons
              godronnés).
  Page  65: «donnaient» par «donnait» (une nouvelle troupe de
              jeunes comédiens donnait des pièces de Molière).
  Page  80: «auparavent» par «auparavant» (ceux qui un peu
              auparavant).
  Page  97: «qui» par «qu'il» (la seule chose sensée qu'il lui eût
              vu faire).
  Page 100: «acccoutumé» par «accoutumé» (avaient accoutumé
              d'aller faire la débauche).
  Page 106: «anssitôt» par «aussitôt» (se redressant aussitôt).
  Page 116: «cachots» par «cahots» (dans les cahots du chemin).
  Page 127: «entrain» par «en train» (nous étions en train d'en
              découdre).
  Page 127: «rien qui fut si pressant par moi»: il faut sans
              doute lire «pour moi».
  Page 128: «entré» par «entrés» (jamais plumets bleus n'étaient
              entrés chez lui).
  Page 134: «Richefitte» par «Rochefitte» (le château qu'il
              habite est du nom de Rochefitte).
  Page 135: «concerts» par «concert» (Un agréable concert de
              violons).
  Page 142: «d'un» par «d'une» (je commençai à l'entretenir d'une
              manière).
  Page 148: «es» par «les» (qui doit régler les paroles).
  Page 148: au lieu de «qui ne soit contraire à la vertu» il faut
              sans doute lire «qui soit contraire à la vertu.»
  Page 172: «parvenue» remplacé par «parvenu» (et y serait
              parvenu, en effet).
  Page 241: «Manessel» par «Manesse» (gravés à l'eau-forte par
              MANESSE).





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